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Title: Louis XIV et Marie Mancini - d'après de nouveaux documents Author: Chantelauze, Régis de Language: French As this book started as an ASCII text book there are no pictures available. *** Start of this LibraryBlog Digital Book "Louis XIV et Marie Mancini - d'après de nouveaux documents" *** ┌───────────────────────────────────────────────────────────────────┐ │ Note de transcription: │ │ │ │ Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été │ │ corrigées. L'orthographe et la ponctuation d'origine ont été │ │ conservées et n'ont pas été harmonisées. │ │ │ │ Voir la note plus détaillée à la fin de ce livre. │ └───────────────────────────────────────────────────────────────────┘ LOUIS XIV ET MARIE MANCINI PARIS TYPOGRAPHIE GEORGES CHAMEROT 19, RUE DES SAINTS-PÈRES, 19 LOUIS XIV ET MARIE MANCINI D'APRÈS DE NOUVEAUX DOCUMENTS PAR R. CHANTELAUZE [Illustration] PARIS LIBRAIRIE ACADÉMIQUE DIDIER ET Cie, LIBRAIRES-ÉDITEURS 35, QUAI DES AUGUSTINS, 35 1880 Tous droits réservés. A MADAME ROGER DES GENETTES CHÈRE ET EXCELLENTE AMIE, Lorsqu'un funeste accident priva tout à coup vos parents et tous ceux qui vous aiment du plaisir d'entendre vos spirituelles causeries, Sainte-Beuve m'écrivait: «Pourquoi faut-il qu'elle soit frappée là d'où vient le charme?» Quelle joie n'eut pas éprouvée cet esprit curieux et délicat entre tous s'il lui eut été donné, comme à moi, de lire vos lettres si pleines d'esprit et de cœur, de grâce et d'élégance, de finesse et de goût, d'imagination et de saillies, ces lettres d'un style si ferme et si pur, d'une couleur si vraie. Bien loin de contredire ce que je pense de ces merveilles, il les eut saluées comme une découverte, comme une révélation nouvelle du style épistolaire au XIXe siècle, et, un peu malgré vous et les vôtres, de cette main vive, alerte et légère, qui excellait à fixer les formes et les nuances les plus fugitives, il vous eut saisie au vol, et se fut empressé de suspendre votre portrait dans sa galerie de femmes, le plus près possible de Mmes de Sévigné, de La Fayette, de Staal de Launay. Comme il eut aimé à vous présenter à ses lecteurs d'élite! Malheureusement le grand maître n'est plus. Qui jamais le remplacera? Qui retrouvera sa plume et son pinceau? Permettez-moi, chère amie, à moi son indigne élève, mais son fervent admirateur, ainsi que le vôtre, d'inscrire votre nom en tête de cette Dédicace. A vrai dire, le livre que je vous offre est moins un livre qu'une mosaïque, mais une mosaïque composée de fragments du grand siècle. C'est à ce titre surtout qu'il me semble digne de vous être offert. Puissiez-vous être aussi indulgente pour le cadre que vous l'êtes depuis longtemps pour celui qui l'a dessiné et sculpté tant bien que mal. A vous de tout cœur, R. C. Paris, ce 26 septembre 1880. LOUIS XIV ET MARIE MANCINI INTRODUCTION Opinion de Voltaire sur les amours du Roi et de Marie Mancini.—Les trois projets de mariage de Louis XIV.—Documents inédits consultés par l'auteur. Le vif intérêt que présente la passion de Louis XIV pour Marie Mancini, passion qui faillit provoquer de si graves événements entre la France et l'Espagne, n'a pas échappé à l'œil pénétrant de Voltaire. «Louis XIV, dit-il, mit dans sa cour, comme dans son règne, tant d'éclat et de magnificence, que les moindres détails de sa vie semblent intéresser la postérité, ainsi qu'ils étaient l'objet de la curiosité de toutes les cours de l'Europe et de tous les contemporains. La splendeur de son gouvernement s'est répandue sur ses moindres actions. On est plus avide, surtout en France, de savoir les particularités de sa cour, que les révolutions de quelques autres États... Voilà pourquoi il n'y a guère d'historiens qui n'aient publié les premiers goûts de Louis XIV pour la baronne de Beauvais, pour Mlle d'Argencourt, pour la nièce du cardinal Mazarin, qui fut mariée au comte de Soissons, père du prince Eugène, surtout pour Marie Mancini, qui épousa ensuite le connétable Colonne. Il ne régnait pas encore quand ces amusements occupaient l'oisiveté où le cardinal Mazarin, qui gouvernait despotiquement, le laissait languir. L'attachement seul pour Marie Mancini fut une affaire importante, parce qu'il l'aima assez pour être tenté de l'épouser, et fut assez maître de lui-même pour s'en séparer. Cette victoire qu'il remporta sur sa passion commença à faire connaître qu'il était né avec une grande âme[1].» Ce sujet a même paru si grand, si dramatique, qu'il a, comme on le sait, tenté la muse de deux de nos plus grands poètes au XVIIe siècle: «Lorsque Madame, dit encore Voltaire, fit travailler Racine et Corneille à la tragédie de _Bérénice_, elle avait en vue non seulement la rupture du Roi avec la connétable Colonne, mais le frein qu'elle-même avait mis à son propre penchant de peur qu'il ne devînt dangereux[2].» Au récit des amours du Roi et de la nièce de Mazarin, qui fut sur le point de devenir reine de France, se trouve étroitement mêlée l'histoire des deux autres projets de mariage de Louis XIV avec la princesse de Savoie et avec Marie-Thérèse. Ces trois projets se trouvent liés entre eux et enchaînés de telle sorte, qu'il est impossible de parler de l'un sans que l'on ne soit obligé de s'occuper de l'autre. C'est ainsi qu'à la naissance de la passion du Roi pour Marie Mancini, l'offre de la main de l'Infante vient tout à coup traverser et faire échouer le projet du mariage de Savoie; c'est ainsi que l'amour réciproque de Louis XIV et de la nièce du Cardinal tient pendant plusieurs mois en suspens le mariage espagnol et menace même de le rompre. Cette histoire forme donc comme un drame en trois actes, dont le premier se termine par la rupture de l'union projetée entre le Roi et Marguerite de Savoie; dont le second est rempli tout entier par la lutte de Mazarin avec Louis XIV et sa nièce, afin d'empêcher leur mariage, et dont le dernier, après les efforts suprêmes de cette lutte, a pour dénouement le triomphe définitif du cardinal et celui de l'Infante. Jusqu'à présent on n'a connu la correspondance de Mazarin avec le Roi, avec Anne d'Autriche et d'autres personnages, au sujet du mariage d'Espagne, de l'amour de Louis XIV pour Marie Mancini et de la paix des Pyrénées, que d'après les Recueils fort incomplets et fourmillant d'erreurs qui ont été publiés au siècle dernier par des éditeurs aussi peu scrupuleux que peu instruits[3]. Il existe deux Recueils manuscrits de ces mêmes lettres, en copies authentiques, l'un qui fait partie de la Bibliothèque Mazarine, l'autre des archives du ministère des affaires étrangères. Les lettres qui composent le premier n'ont été publiées qu'en partie; parmi elles on en trouve un assez grand nombre d'inédites. Ce ne sont point, il est vrai, des originaux, mais des copies ayant la valeur des originaux, puisqu'elles ont été prises par les ordres et sous les yeux mêmes de Colbert et qu'elles ont fait partie de sa bibliothèque. Le second Recueil, beaucoup moins complet, renferme, entre autres, les deux lettres les plus importantes, qui furent adressées au Roi par Mazarin afin de le dissuader d'épouser sa nièce. L'une est datée de Cadillac, le 16 juillet 1659, l'autre de Saint-Jean-de-Luz, le 28 août suivant. Bien différents des textes donnés au XVIIIe siècle et qui présentent à chaque page des erreurs, des non-sens, des omissions, des mots tronqués, des chiffres sans leur clé, les textes de la Mazarine et des archives des affaires étrangères[4] sont presque toujours très corrects, beaucoup plus complets, et ils offrent de nombreuses variantes. Nous avons eu soin, pour tous les passages que nous avons cités, de ne jamais laisser passer un chiffre sans en donner la clé d'après celle de Baluze, l'archiviste et le bibliothécaire de Colbert. Nombre des lettres inédites du Cardinal, dont nous venons de parler, sont adressées au Roi, à la reine Anne d'Autriche, à Marie Mancini, et à Mme de Venel, gouvernante des nièces de Mazarin. Ajoutons que nous avons eu la bonne fortune de pouvoir copier dans les archives du ministère des affaires étrangères, plusieurs lettres inédites de Louis XIV adressées à l'infante Marie-Thérèse[5], avant son mariage, lettres dont la lecture est des plus piquantes, lorsqu'on vient de parcourir la correspondance de Mazarin, qui reflète si vivement l'ardente passion du Roi pour Marie Mancini. La plupart des lettres du Cardinal roulent sur les préliminaires du traité des Pyrénées et sur l'amour du Roi pour sa nièce. Il avait à la fois à lutter, pour mener sa grande œuvre à bonne fin, et contre les exigences de l'Espagne et contre cette passion du Roi qui pouvait l'entraîner à faire de Marie Mancini une reine de France. Les négociations qui préparèrent le traité sont trop en dehors de notre sujet, pour que nous ayons cru devoir faire le moindre emprunt sur ce point aux lettres du Cardinal. Il n'en est pas de même de l'autre question qui le préoccupait si vivement. Jusqu'à présent on n'avait montré que les principales péripéties de ce drame intime, mais sans en indiquer l'enchaînement, et, parfois, sous de fausses couleurs. La correspondance manuscrite, et souvent inédite de Mazarin, beaucoup plus complète que celle qui a été publiée, nous permettra de suivre l'action pas à pas, d'en montrer toutes les phases successives. A côté des grandes questions qui s'agitaient sur les bords de la Bidassoa, la passion orageuse du Roi et de Marie Mancini faillit rompre les négociations, déchaîner de nouveau la guerre sur l'Europe et bouleverser le royaume. Tel est le récit que nous allons dérouler de nouveau sous les yeux du lecteur. Afin de ne pas en interrompre le fil, nous avons eu soin de n'insérer dans notre texte que les passages les plus saillants des documents consultés, en rejetant la plupart d'entre eux dans l'Appendice de ce volume, ou dans les notes. Marie Mancini étant la principale héroïne de notre récit, nous n'avons pas cru que ce fût un hors-d'œuvre de raconter la fin de sa vie, qui fut traversée par de si étranges aventures. D'ailleurs, cette dernière partie ne se lie-t-elle pas intimement aux précédentes par les vaines tentatives qu'elle fit plusieurs fois pour rentrer en France, afin de reconquérir l'amour de Louis XIV et de supplanter les favorites? Pour cette dernière partie, nous avons consulté les sources contemporaines et, en première ligne, les Mémoires authentiques de Marie Mancini, qui, malgré le vif intérêt qu'ils présentent, sont à peine connus à cause de leur extrême rareté. CHAPITRE PREMIER Arrivée successive des nièces de Mazarin à la cour.—Les Mancini et les Martinozzi.—Ambition sans bornes de Mazarin, mise à découvert par plusieurs des mariages de ses nièces.—Olympe Mancini.—Premiers passe-temps de Louis XIV: Cateau la Borgnesse, Mlle de La Mothe-Argencourt, la comtesse de Soissons, etc.—Marie Mancini, ses divers portraits.—Maladie du Roi.—Douleur de Marie; passion naissante de Louis XIV pour elle.—Portrait du Roi. Lorsque Mazarin fut maître du cœur de la Reine et qu'il jugea son pouvoir bien affermi, il jeta le masque, cessa de jouer le désintéressement et fit venir à la cour plusieurs des enfants de ses sœurs, MMmes Martinozzi et Mancini. La première, devenue veuve, avait deux filles, la seconde avait eu jusqu'à dix enfants. A Mme Martinozzi, Mazarin demanda sa fille aînée, et à Mme Mancini, deux de ses filles, les plus âgées, et un fils. Comme s'il se fût agi de princesses du sang, Mme de Noailles eut mission de se rendre à Rome en grand équipage et de les amener à Paris sans leurs mères. Une La Rochefoucauld, la marquise de Sénecé, ne crut pas au-dessous d'elle, après avoir été la gouvernante de Louis XIV, d'être placée auprès des nièces de Mazarin au même titre, ce qui lui valut d'être cruellement chansonnée. «Le 11 septembre (1647), dit Mme de Motteville, nous vîmes arriver trois nièces du Cardinal et un neveu... L'aînée des petites Mancini (Laure[6]) était une agréable brune, qui avait le visage beau, âgée de douze ou treize ans. La seconde (Olympe[7]) était brune, avait le visage long et le menton pointu. Ses yeux étaient petits, mais vifs, et on pouvait espérer que l'âge de quinze ans leur donnerait quelque agrément... Mlle Martinozzi[8] était blonde; elle avait les traits du visage beaux et de la douceur dans les yeux. Elle faisait espérer qu'elle serait effectivement belle... Ces deux dernières étaient de même âge et on nous dit qu'elles avaient environ neuf à dix ans. Mme de Nogent les fit recevoir à Fontainebleau.» Elles furent installées chez le Cardinal, «qui ne montra pas s'en soucier beaucoup; au contraire, il fit des railleries de ceux qui étaient assez sots de leur montrer des soins; et, malgré ce mépris, il est certain qu'il avait de grands desseins sur ces petites filles. Toute son indifférence là-dessus n'était qu'une pure comédie, et par là nous pouvons juger que ce n'est pas toujours sur les théâtres des farceurs que se jouent les meilleures pièces[9]». La Reine accueillit les nièces et le neveu du Cardinal comme s'ils eussent été de sa famille, et les courtisans se pressèrent à l'envi autour de ces enfants pour leur faire leur cour. «Voilà, dit à Gaston d'Orléans la maréchale de Villeroi, voilà des petites demoiselles qui présentement ne sont point riches, mais qui bientôt auront de beaux châteaux, de bonnes rentes, de belles pierreries, de bonne vaisselle d'argent et peut-être de grandes dignités[10]...» La maréchale avait touché juste. Il était évident que les premières familles du royaume se disputeraient la main des nièces du favori, et qu'il n'aurait qu'à choisir parmi les plus nobles, les plus puissantes, les plus illustres, pour effacer par les plus grandes alliances la bassesse de son origine, sa qualité d'étranger, et pour enraciner son pouvoir d'une manière stable. Rien ne parut trop haut à l'orgueil et à l'ambition de Mazarin. On peut juger s'il fut atteint au défaut de la cuirasse par les mazarinades. «Il a fait venir, disait le curé Brousse, de petites harengères de Rome, il les fait élever dans la maison du Roi, avec le train des princes du sang et sous la conduite de celle qui a eu l'honneur d'être gouvernante du Roi[11].» Il désignait ainsi la marquise de Sénecé, qui, sentant courir dans ses veines le sang des La Rochefoucauld, eut bientôt honte de ses fonctions et tourna à la Fronde. Comme le Cardinal logeait au Palais-Royal, ce fut là que furent élevées ses nièces, sur le même pied que Louis XIV et le duc d'Anjou. Le pamphlétaire n'a rien exagéré. La Reine souffrait ce pêle-mêle avec le plus grand laisser-aller; elle veillait à l'éducation des nièces comme à celle de ses propres enfants, elle les initiait aux usages du monde, et les instruisait aux choses de la religion. Elle les menait fréquemment avec elle au Val-de-Grâce pour «diriger elle-même leurs dévotions[12]». Pour deux d'entre elles ce fut peine perdue, car elles restèrent toute leur vie absolument étrangères aux pratiques dévotes, au grand désespoir de leur oncle, qui ne leur demandait pourtant qu'une chose, de sauver les apparences. L'ambition de Mazarin était sans bornes: il ne se contenta pas de faire épouser plusieurs de ses nièces aux plus grands seigneurs du royaume; il osa mêler son sang plébéien à celui des princes de la maison royale. Dans son orgueil, il en vint à refuser l'une d'elles au fils aîné de Charles 1er, parce qu'il le croyait hors d'état de remonter sur le trône d'Angleterre. Il fit plus, il rêva pour deux de ses nièces le trône de France. Pendant la Fronde, il maria l'une d'entre elles, Laure Mancini, au duc de Mercœur, de la maison de Vendôme. Il aurait bien voulu prendre dans ses filets le frère de Mercœur, le duc de Beaufort, le fameux Roi des Halles, afin de se retremper dans sa popularité. Mais Beaufort, qui n'avait pas le don de seconde vue, n'eut pas l'esprit de devenir Mazarin à temps. Pendant cette période de la Fronde, où le Cardinal se vit à deux doigts de sa perte, ses nièces jouèrent un fort grand rôle dans les combinaisons de sa politique. Elles lui servaient d'appât pour attirer à lui ses plus dangereux ennemis. Condé, au moment où il se croyait le maître, avait forcé le Cardinal, par un article de traité, à ne les marier qu'avec son consentement. Lorsqu'il fut arrêté, ses partisans furent sur le point de les enlever au moment où elles étaient réfugiées au Val-de-Grâce, pour les conduire dans quelque place forte du Prince, afin de priver le Cardinal d'un de ses plus grands moyens de séduction. Le coadjuteur lui-même faillit se laisser prendre à cette amorce, et songea à marier une de ses propres nièces au jeune Paul Mancini. Après la Fronde, l'heureux Mazarin, qui avait abattu tous ses ennemis, s'attacha à raffermir de plus en plus son autorité par de nouvelles et grandes alliances avec sa famille. Au commencement de 1653, il fit venir de Rome deux autres filles et un fils de la Mancini, ainsi que la seconde fille de la Martinozzi. Cette fois, ce furent les deux sœurs du Cardinal qui conduisirent elles-mêmes leurs enfants à la cour. Ces trois nouvelles nièces devaient faire la plus grande figure sur la scène du monde: Laure Martinozzi devait épouser le prince héritier du duché de Modène; la seconde, Marie Mancini, si célèbre par son amour pour Louis XIV, après avoir vu s'évanouir son beau rêve de la couronne de France, fut mariée au connétable Colonna; la troisième, Hortense Mancini, si connue par ses étranges aventures, qui tiennent plus du roman que de l'histoire, devint la duchesse de Mazarin; enfin, la plus jeune, Marie-Anne, qui ne vint en France que plus tard, fut la duchesse de Bouillon, l'amie de La Fontaine. Des deux fils cadets qui restaient à la Mancini, le plus âgé, Philippe, devint duc de Nevers. Anne-Marie, l'aînée des deux filles de Mme Martinozzi, d'une rare beauté et d'une sagesse égale à sa beauté, fut, par un coup de maître du Cardinal, mariée au prince de Conti, au moment même où le Parlement, en robe rouge, venait de condamner à mort M. le Prince pour avoir pris les armes contre la France et le Roi. Enfin, peu de temps après, Mazarin mariait Olympe Mancini au prince Eugène de Carignan, qui, par sa mère, tenait aux Bourbons, et il fit revivre en sa faveur le titre de comte de Soissons. Olympe, dont Mme de Motteville nous a déjà esquissé les traits, avait été élevée avec le Roi. D'un esprit souple et insinuant, adroite à caresser les goûts du jeune prince, elle était parvenue à captiver son cœur, et le Cardinal, qui rêvait pour elle les plus hautes destinées, se prêta complaisamment et de fort bonne grâce à leurs penchants. Après avoir triomphé de tous ses ennemis, il était parvenu à un si haut degré de fortune, que l'on se demandait sans étonnement à la cour si Olympe ne serait pas reine de France. Les courtisans murmuraient même tout bas ce nom magique à l'oreille de la jeune fille; et Christine, reine de Suède, en traversant la France, ne trouva rien de mieux, pour faire sa cour au Roi, que de vanter en sa présence les grâces et les charmes de la favorite, ajoutant «que ce serait fort mal de ne pas marier au plus tôt deux jeunes gens qui se convenaient si bien». Ce n'étaient que ballets, que carrousels, que mascarades, que jeux de bague donnés à grands frais par le Cardinal, et dans lesquels on voyait figurer, sous divers costumes, Olympe et Louis XIV[13]. Le Roi ne semblait pas cependant avoir pris cette passion fort au sérieux, et Olympe, qui était très avisée, ne tarda pas à deviner que la fantaisie qu'il avait pour elle ne le conduirait jamais jusqu'au mariage. D'autres beautés plus séduisantes l'avaient captivé ou plutôt distrait. Olympe s'en aperçut, elle laissa éclater sa jalousie, ses bouderies, puis, sortant peu à peu de ses illusions, elle songea à des projets plus praticables. Elle jeta les yeux tour à tour sur le prince de Conti, sur le prince de Modène, sur Armand de la Meilleraye, et elle eut la douleur de se les voir enlever par ses sœurs les uns après les autres. Enfin, le Cardinal la maria au prince de Carignan, comme nous l'avons dit plus haut. Mazarin aimait fort cette nièce, qui avait un peu de son génie pour les intrigues et les affaires, et que d'ailleurs il eut toujours dans sa main. Mme de La Fayette soutient, elle aussi, «qu'il n'aurait pas été éloigné du dessein de la faire monter sur le trône[14].» S'il en est ainsi, le mariage d'Olympe avec le comte de Soissons fit évanouir un de ses rêves les plus ambitieux, et, peut-être, malgré l'extrême répugnance de la Reine, il ne lui eût pas été impossible de le voir s'accomplir. Le Roi prit si gaîment son parti de ce dénouement, que la Reine mère dit tout bas à l'oreille de Mme de Motteville: «Ne vous disais-je pas qu'il n'y avait rien à craindre de cette liaison?» Chose étrange! loin de mettre fin à ce caprice, le mariage le raviva. Le Roi ne quittait plus l'hôtel de Soissons, et peut-être fut-il moins timide avec la princesse qu'il ne l'avait été avec la jeune fille. L'aventure étrange qui lui était arrivée avec une des femmes de chambre de la Reine sa mère, Mme de Beauvais, qu'Anne d'Autriche avait surnommée la _Borgnesse_, avait dû le rendre plus audacieux[15]. Singuliers débuts pour ce royal don Juan qui inscrivit plus tard sur sa liste les noms de La Vallière, de Fontanges et de Montespan! Cette faveur inouïe valut à Cateau la Borgnesse un bel hôtel, et cette fille d'un fripier des Halles vit M. le baron de Beauvais, son fils, érigé en personnage avec lequel il fallut compter. Une petite jardinière succéda à la Beauvais et donna au Roi une fille qui fut mariée à un obscur gentilhomme. Puis ce fut la belle duchesse de Châtillon, qui, après tant de conquêtes pendant la Fronde, uniquement entreprises pour recruter des partisans à M. le Prince, fit celle du jeune Roi. Louis fut moins heureux auprès d'Élisabeth de Tarneau, fille d'un avocat au Parlement et d'une merveilleuse beauté. Il l'avait vue aux Tuileries; il en devint follement épris et fit plusieurs tentatives pour l'engager à répondre à son amour, mais elle eut la sagesse de lui refuser même une entrevue. Il essaya de se consoler de ce mécompte avec Mlle de La Motte Argencourt, fille d'honneur de la Reine mère, qui avait succédé en cette qualité à Mlle de La Porte. «Elle n'avait ni une éclatante beauté, ni un esprit fort extraordinaire; mais toute sa personne était aimable. Sa peau n'était ni fort délicate, ni fort blanche, mais ses yeux bleus et ses cheveux blonds, avec la noirceur de ses sourcils et le brun de son teint, faisaient un mélange de douceur et de vivacité si agréable, qu'il était difficile de se défendre de ses charmes[16]». Ajoutez qu'elle dansait en perfection, et le Roi en dansant avec elle en devint éperdument amoureux. Mazarin prenait ombrage de toutes les passions du Roi qui pouvaient l'éloigner de ses nièces. Alors il se montrait grand moraliste et intraitable. Il signala à la Reine le nouveau goût du Roi. La dévotion de la Reine s'alarma; elle entraîna son fils dans son oratoire, et lui fit promettre au pied de l'autel de renoncer à sa passion. Il céda, alla à confesse, communia, mais, à la première danse avec Mlle d'Argencourt, tous ses serments furent oubliés[17]. Il lui jura de s'attacher à elle désormais, sans que rien pût le faire manquer à son serment. Mazarin n'était pas homme à battre en retraite. Il eut l'adresse, on ne sait comment, de se procurer des lettres de la belle adressées à son amant le marquis de Richelieu, et il les mit sous les yeux du Roi. L'amour-propre blessé l'emporta sur la passion; la malheureuse d'Argencourt fut livrée au Cardinal, qui la fit enfermer dans le couvent des filles de Sainte-Marie de Chaillot, où, bon gré mal gré, elle dut expier ses péchés. La punition était cruelle; elle eût paru moins rigoureuse si Mazarin l'eût appliquée à la plupart de ses nièces pour des causes semblables. Mais ce n'étaient là que des distractions qui n'empêchaient pas le Roi de fréquenter fort assidûment l'hôtel de Soissons. Avait-il quelques petits démêlés avec Olympe, ce qui arrivait quelquefois; cessait-il de paraître pendant quelques jours, le comte de Soissons, le plus débonnaire des maris, prenait l'alarme, craignait d'avoir perdu la faveur dont il jouissait, et ne se donnait ni paix ni trêve qu'il n'eût ramené le jeune prince aux pieds de la comtesse. A cette époque, elle paraissait une femme assez désirable, et il fallait bien qu'il en fût ainsi pour qu'elle ait su captiver un peu plus tard le marquis de Vardes, c'est tout dire. «Suivant la description que j'en ai faite, dit Mme de Motteville, il semblait que tous les efforts de la nature et de la jeunesse ne pourraient pas l'embellir. Elle avait les yeux pleins de feu, et, malgré les défauts de son visage, l'âge de dix-huit ans fit en elle son effet: par l'embonpoint elle devint blanche, elle eut le teint beau et le visage moins long; ses joues eurent des fossettes qui lui donnaient un grand agrément, et sa bouche devint plus petite; elle eut de beaux bras et de belles mains, et la faveur avec le grand ajustement donnèrent du brillant à cette médiocre beauté.» Le Roi, cependant, ajoute-t-elle, «se divertissait... avec les autres nièces qui étaient demeurées au Louvre; mais il se fatigua d'aller à l'hôtel de Soissons si souvent, ou plutôt son cœur se lassa de n'être pas assez occupé.» D'autres Mémoires assurent qu'il prit ombrage des assiduités du marquis de Villequier et qu'il lui abandonna une conquête qu'il ne se sentait pas d'humeur à partager. «Pendant le séjour que l'on fit à Fontainebleau, il parut s'attacher davantage à Mlle (Marie) de Mancini; il parlait à elle avec application, et, malgré sa laideur, qui dans ce temps-là était excessive, il ne laissa pas de se plaire dans sa conversation[18].» Voici de quelle façon charmante Marie, dans ses Mémoires[19], raconte la passion naissante de Louis XIV: «La manière familière avec laquelle je vivais avec le Roi et son frère était quelque chose de si doux et de si affable que cela me donnait lieu de dire sans peine tout ce que je pensais, et je ne le disais pas sans plaire quelquefois. Il arriva de là, qu'ayant fait un voyage à Fontainebleau avec la cour[20], que nous suivions partout où elle allait, je connus au retour que le Roi ne me haïssait pas, ayant déjà assez de pénétration pour entendre cet éloquent langage qui persuade bien plus sans rien dire que les plus belles paroles du monde. Il se peut faire aussi que l'inclinaison particulière que j'avais pour le Roi, en qui j'avais trouvé des qualités bien plus considérables et un mérite beaucoup plus grand qu'à pas un autre homme de son royaume, m'eût rendue plus savante en cette matière qu'en toute autre. Le témoignage de mes yeux ne me suffisait pas pour me persuader que j'avais fait une conquête de cette importance. Les gens de cour, qui sont les espions ordinaires des actions des rois, avaient, aussi bien que moi, démêlé l'amour que Sa Majesté avait pour moi, et ils ne me vinrent que trop tôt confirmer cette vérité par des devoirs et des respects extraordinaires. D'ailleurs, les assiduités de ce monarque, les magnifiques présents qu'il me faisait, et, plus que tout cela, ses langueurs, ses soupirs et une complaisance générale qu'il avait pour tous mes désirs, ne me laissèrent rien à douter là-dessus.» Rassemblons quelques traits épars dans les Mémoires du temps pour reconstituer le portrait en pied de la principale héroïne de ce récit. «Marie, sœur cadette de la comtesse de Soissons, était laide,» dit Mme de Motteville qui la peint au moment de l'âge ingrat. Elle pouvait espérer d'être de belle taille, parce qu'elle était grande pour son âge et bien droite, mais elle était si maigre, et ses bras et son col paraissaient si longs et si décharnés, qu'il était impossible de la pouvoir louer sur cet article. Elle était brune et jaune; ses yeux, qui étaient grands et noirs, n'ayant point de feu, paraissaient rudes. Sa bouche était grande et plate[21], et, hormis les dents, qu'elle avait très belles, on la pouvait dire alors toute laide.» Telle l'avait vue, pendant son adolescence, la confidente d'Anne d'Autriche. «Cette fille, ajoute-t-elle, en traçant le portrait moral, cette fille était hardie et avait de l'esprit, mais un esprit rude et emporté. Sa passion en corrigea la rudesse... Ses sentiments passionnés et ce qu'elle avait d'esprit, quoique mal tourné, suppléèrent à ce qui lui manquait du côté de la beauté.» Le portrait que nous a laissé d'elle un autre peintre de premier ordre, Mme de La Fayette, n'est pas plus séduisant et se rapproche beaucoup de celui qui précède: de beauté, «Mlle Mancini n'en avait aucune; il n'y avait nul charme dans sa personne, et très peu dans son esprit, quoiqu'elle en eût infiniment. Elle l'avait hardi, résolu, emporté, libertin et éloigné de toute sorte de civilité et de politesse[22].» Somaize, qui, dans son _Dictionnaire des Précieuses_[23], a prêté tant de charmes et de beautés aux dames de la cour de Louis XIV, même à celles qui en étaient le plus dépourvues, glisse prudemment sur la laideur de Marie dans le portrait qu'il a tracé d'elle sous le nom de _Maximiliane_. Il se contente de vanter «les belles qualités qui la rendent une des plus admirables personnes de son sexe», il ne parle pas de ses défauts, il ne s'attache à peindre que son esprit, et, par ce côté, il nous donne la clé de ce qui a pu séduire Louis XIV. «Je puis dire, sans être soupçonné de flatterie, ajoute le portraitiste de l'hôtel de Rambouillet, que c'est la personne du monde la plus spirituelle, qu'elle n'ignore rien, qu'elle a lu tous les bons livres, qu'elle écrit avec une facilité qui ne se peut imaginer, et qu'encore qu'elle ne soit pas de Grèce[24], elle en sait si bien la langue, que les plus spirituels d'Athènes[25] et ceux même qui sont de l'assemblée des quarante Barons[26], confessent qu'elle en connaît tout à fait bien la délicatesse; de quoi _Madate_[27], qui avait l'honneur de la voir souvent, peut rendre témoignage. J'oserai ajouter à ceci que le ciel ne lui a pas seulement donné un esprit propre aux lettres, mais encore capable de régner sur les cœurs des plus puissants princes de l'Europe. Ce que je veux dire est assez connu sans qu'il soit besoin de s'expliquer davantage[28].» Au moment où nous sommes, c'est-à-dire en 1658, Marie avait dix-neuf ans, étant née à Rome en 1639. Ce n'était déjà plus la jeune pensionnaire de treize ou quatorze ans, jaune et maigre, que vient de nous peindre Mme de Motteville. Sa taille s'était développée, elle avait pris de la grâce et de l'ampleur; elle n'avait pas impunément respiré l'air de la cour; ses yeux pleins de flammes, l'émail de ses dents, qui étincelait sous des lèvres fraîches et épanouies, attiraient les regards et faisaient oublier ce qu'il y avait de peu correct dans ses traits. Elle n'était venue de Rome qu'à l'âge de quinze ans, la mémoire toute pleine des grands poètes de l'Italie. Bientôt la littérature française lui devint tout aussi familière; elle dévora tous les romans à la mode, héroïques et amoureux, elle se passionna surtout pour le grand Corneille. Ce fut pendant la campagne de Flandre (en 1658) que l'on vit éclater l'ardente passion de Marie Mancini pour le Roi. Après la bataille des Dunes, le jeune prince, à la suite des fatigues de plusieurs siéges livrés dans un pays marécageux et couvert de cadavres sans sépulture, fut atteint d'une fièvre pernicieuse[29] qui lui fit courir les plus grands dangers. Ses médecins n'avaient plus d'espoir, on parlait déjà de son successeur, et Mazarin prenait ses précautions pour sauver ses trésors, lorsqu'un empirique fit ce que les plus habiles médecins de la cour n'avaient su faire. Pendant cette dangereuse maladie du Roi, Marie Mancini «avait témoigné une affliction si violente de son mal et l'avait si peu cachée, que, lorsqu'il commença à se mieux porter, tout le monde lui parla de la douleur de Mlle Mancini; peut-être dans la suite lui en parla-t-elle elle-même. Enfin, elle lui fit paraître tant de passion, et rompit si entièrement toutes les contraintes où la Reine mère et le Cardinal la tenaient, que l'on peut dire qu'elle contraignit le Roi à l'aimer. Le Cardinal ne s'opposa pas d'abord à cette passion[30]...» Le Roi, jusqu'alors, n'avait connu de l'amour que l'ivresse des sens. Il fut touché de cette passion vraie, profonde, qui avait éclaté pour lui à travers des larmes et des sanglots, et il y répondit par un amour tendre qu'il n'éprouva jamais peut-être au même degré pour aucune de ses plus belles maîtresses. Comme elle avait infiniment «d'esprit», au témoignage de Mme de La Fayette, qui s'y connaissait, on peut se figurer quel dut être l'ascendant qu'elle prit peu à peu sur le jeune Roi, à qui elle ouvrait en même temps les horizons de l'amour et de l'intelligence. Il avait jusqu'alors passé sa vie au milieu des fêtes et des ballets, peu soucieux des choses de l'esprit, dont l'avait détourné la politique ombrageuse du Cardinal. Marie lui mit entre les mains tous les livres qu'elle aimait et elle lui apprit à les aimer. Elle l'initia à l'italien et le mit en état de comprendre les beautés de l'Arioste et du Tasse; elle lui inspira, sinon le goût, du moins la passion des beaux-arts, et l'on sait s'il resta fidèle à cette noble passion. Un des plus brillants côtés de Marie Mancini, c'étaient ses conversations, que trouvaient aussi intéressantes que variées les hommes les plus éminents de la cour. Lyonne, Saint-Évremont, La Rochefoucauld, ne dédaignaient pas de causer avec cette jeune fille, l'un de politique, l'autre d'histoire, celui-ci de morale. Le Roi avait part à tous ces entretiens, était glorieux de tous les succès de son amie et se piquait d'émulation. Ce qui le charmait surtout, ce qui faisait naître de nouvelles flammes dans son cœur, c'étaient les lectures que faisait Marie à haute voix des romans et des tragédies à la mode, devant le petit cercle de la Reine. Sa voix passionnée, amoureuse, et jusqu'à son accent italien, donnaient un charme étrange à sa diction. Pour tout dire, elle avait mérité par son goût très fin pour la poésie, par les délicatesses de son esprit, d'avoir conquis une place d'honneur parmi les Précieuses: Le Roi, notre monarque illustre, Menait l'infante Mancini, Des plus sages et gracieuses Et la perle des Précieuses. C'est ainsi que Marie faisait l'éducation littéraire du prince qui devait être le Mécène de son siècle[31]. Elle fit plus, elle lui inspira l'amour du pouvoir et de la gloire. Mazarin l'avait élevé dans l'ignorance et l'indifférence des choses de l'État, et le jeune prince, tout entier à ses plaisirs, lui avait abandonné sans peine le fardeau des affaires. Marie le rappela au sentiment de sa grandeur; elle le fit souvenir qu'il était Roi. Tous les contemporains se sont complu à célébrer la beauté et la suprême élégance de Louis dans sa jeunesse, et tous ses portraits peints et gravés nous montrent que ce jugement est dénué de flatterie. Il se faisait remarquer par sa belle taille, sa bonne mine et par un air de majesté répandu dans toute sa personne. Il avait le port et la démarche d'un héros ou d'un demi-dieu[32]. Ajoutez à tous ces avantages extérieurs une grande affabilité et une grâce enchanteresse dans ses moindres paroles, à laquelle une timidité naturelle prêtait encore des charmes. Comment les plus belles et les plus grandes dames de la cour eussent-elles pu résister à un prince beau comme Apollon et dont le jeune cœur, comme celui de Chérubin, palpitait au seul aspect d'une femme[33]? Mais de tous les amours de Louis aucun ne parla si haut que son premier amour pour Marie Mancini, et de toutes ses maîtresses aucune ne l'aima plus ardemment que cette Italienne qui, à force de passion, sut transfigurer pour lui seul sa laideur en beauté. Cette passion des deux amants semblait à la plupart des courtisans si impétueuse, si irrésistible, qu'ils croyaient qu'elle irait jusqu'au mariage. Mais un événement inattendu vint suspendre pendant quelques mois cette opinion. CHAPITRE II La princesse Marguerite de Savoie.—Penchant de Mazarin et éloignement de la Reine pour ce mariage.—Départ des deux cours de France et de Savoie pour Lyon et leur séjour dans cette ville.—Jalousie et secrètes menées de Marie Mancini.—Portrait de Marguerite de Savoie.—Goût de Louis XIV pour cette princesse.—Arrivée à Lyon d'un envoyé secret du roi d'Espagne, chargé d'offrir la main de l'Infante et la paix.—Intrigues de Marie Mancini.—Rupture du mariage de Savoie. Pendant que le Roi s'abandonnait à la violence de son amour, «toute l'Europe regardait de quel côté il se tournerait pour choisir une femme, et toutes les princesses qui pouvaient aspirer à cet honneur étaient attentives à l'événement de cette élection[34]». Il y avait longtemps que Christine de France, fille de Henri IV, veuve de Victor-Amédée Ier, duc de Savoie, pressait Mazarin de se déclarer pour le mariage du Roi avec la princesse Marguerite sa fille. Un mot sur la duchesse Christine. A la mort de son mari, en 1637, elle avait été déclarée Régente et tutrice de son fils Charles-Emmanuel II, et de ses trois filles; mais deux de ses beaux-frères, pour usurper le pouvoir, avaient armé ses sujets contre elle et attiré en Piémont les Français et les Espagnols. L'un d'eux, le prince Thomas, ligué avec les Espagnols, surprit Turin, et la duchesse, bien qu'elle eût montré un grand courage à défendre ses droits, fut contrainte de se réfugier dans la citadelle et de là à Suse avec toute sa cour. Deux ans après, en 1639, lors d'une entrevue avec son frère Louis XIII, Christine ayant refusé avec la plus grande fermeté de livrer à Richelieu, comme otage, le jeune Charles-Emmanuel son fils, s'attira la disgrâce du terrible cardinal; mais, l'année suivante, elle eut l'art de l'apaiser; et, grâce au comte d'Harcourt, Turin fut repris, le Piémont rentra dans l'obéissance, et les deux beaux-frères de la princesse reconnurent son autorité. A partir de ce moment, la Régente ne fut plus inquiétée et elle administra ses États avec sagesse et vigueur, en digne fille de Henri IV, dont elle rappelait la personne par son air digne et affable, et par la manière originale dont elle s'exprimait en français. Elle parlait avec la même grâce l'italien et l'espagnol, et, au témoignage des contemporains, elle était une des princesses les plus accomplies de son temps. La princesse Marguerite, sa seconde fille, tout à fait dépourvue de beauté, avait eu le déplaisir de voir le duc de Bavière lui préférer sa sœur cadette, qui était fort belle. La situation politique de la France à l'égard de l'Espagne et de la Savoie semblait faire pencher alors la balance en faveur de la princesse Marguerite. Les Espagnols, abattus par les éclatants revers de Lens et de Rocroy, et hors d'état de relever la fortune contraire par la force des armes, employaient tous leurs artifices pour débaucher les alliés de la France. Ils avaient fait de grandes offres à la duchesse de Savoie pour l'attirer dans leur parti, en lui représentant que, si le Milanais tombait au pouvoir des Français, elle se trouverait à leur merci, enfermée dans leurs possessions, sans pouvoir être secourue par l'Espagne, et qu'elle travaillait à sa propre ruine en contribuant à chasser les Espagnols de Milan. Elle trouvait ces conseils excellents, sans doute, mais, comme elle était fille de France, elle ne pouvait se résoudre à tourner ses armes contre le Roi son neveu. Lasse d'une longue guerre, elle n'aspirait qu'à la neutralité, à reprendre Verceil et à empêcher les Français de s'emparer de Milan, en leur refusant le passage dans ses États. Mazarin eut vent de ces négociations et mit tout en œuvre pour les rompre. La duchesse, qui connaissait le personnage, ne répondit d'abord qu'avec froideur aux premières avances du Cardinal. Il en prit de l'ombrage, s'alarma, la pressa, et Christine finit par lui déclarer qu'elle ne tiendrait le parti de la France qu'à la condition du mariage du Roi avec sa fille Marguerite, qu'on ne cessait de lui promettre et d'éluder depuis quelques années. Le Cardinal, qui voyait la Flandre à demi conquise après la bataille des Dunes, et le Milanais fort ébranlé par la prise de Valenza et de Mortara, ne voulut pas rester en si beau chemin, et, comme il ne pouvait pousser ses conquêtes en Italie sans un passage par le Piémont et sans l'assistance de la duchesse de Savoie, il résolut enfin de la contenter. Il accepta le projet du mariage, mais sous la réserve que le Roi ne se déciderait qu'après avoir vu la princesse, et il engagea la duchesse à conduire sa fille à Lyon, lieu qu'il désigna pour l'entrevue. Christine accepta cette proposition avec joie, et la fin de l'année fut fixée pour la réunion des deux cours[35]. Mazarin avait d'ailleurs un penchant secret et très prononcé pour cette alliance. Sa nièce, Olympe, la comtesse de Soissons, avait épousé le fils aîné du prince Thomas, oncle de Charles-Emmanuel, et leurs enfants pouvaient devenir les héritiers du duc de Savoie[36]. Anne d'Autriche avait toujours passionnément désiré la paix, et l'infante d'Espagne comme seule digne d'épouser le Roi son fils. Jusque-là ce mariage avait semblé impossible, le roi d'Espagne n'ayant pas encore de fils et l'Infante étant appelée à être l'héritière de tous ses États. Mais, depuis quelque temps, il était né un fils à Philippe IV, et la Reine sa femme était sur le point de mettre au monde un nouvel enfant mâle. La couronne d'Espagne paraissait donc suffisamment sauvegardée dans son indépendance, et le mariage de l'Infante avec le roi de France devenait chose possible. A défaut de cette princesse, les prédilections de la Reine se tournaient vers la jeune Henriette d'Angleterre, qu'elle aimait tendrement et dont l'esprit et le charme précoces annonçaient déjà ce qu'elle serait un jour. Le Roi seul et Mazarin ne la trouvaient point à leur gré; le Roi, parce qu'elle était trop maigre et trop petite fille, le Cardinal parce qu'il n'avait aucun intérêt «à faire pencher la balance de ce côté[37]». Le Cardinal ne pouvait se dissimuler que l'Infante ne fût la plus digne femme que le Roi pût avoir; il n'ignorait pas non plus le vif penchant de la Reine pour cette princesse. Aussi eût-il soin de feindre, pour la satisfaire, qu'il souhaitait ardemment ce mariage, tout en espérant en secret qu'il surgirait d'assez grandes difficultés pour le faire avorter, et qu'elles tourneraient au profit de la princesse de Savoie[38]. Pour amener le roi d'Espagne à se prononcer, «il fallait lui montrer publiquement que le Roi se voulait marier ailleurs. Ainsi le dessein du Cardinal fut de faire le voyage de Lyon pour tâcher d'embarquer le Roi avec la princesse Marguerite, montrant toujours par là que son intention était de presser le roi d'Espagne de se déclarer. Agissant de cette manière, il faisait ce qu'il pouvait pour travailler au contentement de la Reine. Le Roi, par là, devait voir la princesse de Savoie, et de cette vue le Cardinal espérait un bon effet; car il mettait les choses en état qu'en cas que le roi d'Espagne demeurât muet (_ce qu'il croyait devoir arriver_), il pût par le propre goût du Roi lui laisser choisir une femme; et il ne doutait pas que, _dans le désir qu'il avait de se marier, ne lui laissant voir que celle-là, il ne la prît_. Outre l'engagement où il l'exposait, il était persuadé avec raison que, malgré le peu de beauté de cette princesse, le Roi en serait content et satisfait, parce qu'elle était aimable, spirituelle et sage, ce qui, selon son humeur, lui devait plaire[39].» Par ce voyage, il espérait donc voir s'accomplir de deux choses l'une, ou le mariage de l'Infante avec le Roi, seul gage de la paix avec l'Espagne et de satisfaction pour la Reine, ou celui de la princesse Marguerite, cousine de sa nièce Olympe. «Mais, ajoute Mme de Motteville, il est indubitable qu'il préférait dans ses désirs ses propres intérêts à ceux de la Reine.» Il avait hâte de partir pour Lyon, afin de couper court à deux autres projets de mariage dont on commençait à presser la Reine, celui d'Henriette d'Angleterre et celui de Mlle d'Orléans, seconde fille de Gaston d'Orléans, princesse d'une rare beauté. L'accomplissement de ces deux projets n'eût offert ni profit, ni garantie à la politique personnelle du cardinal. Quant à la grande Mademoiselle, il ne pouvait plus être question d'elle depuis qu'elle avait fait tirer le canon de la Bastille sur les troupes royales. Il y avait aussi sur les rangs une princesse de Portugal dont la mère avait offert de grands trésors à Mazarin pour que sa fille devînt reine de France. A la nouvelle du voyage de Lyon, la reine de Portugal laissa éclater son dépit et dit tout haut qu'elle était étonnée que le Roi choisit si mal[40]. «Mlle de Mancini, quoiqu'elle ne fût pas princesse, prenait aussi sa part de l'inquiétude commune à tant d'illustres personnes, et, quoique en toutes choses elle fût indigne de leur être comparée, elle ne laissait pas d'avoir des désirs bien relevés. Elle ne quittait point le Roi, elle le suivait partout, et le Roi paraissait se plaire avec elle; l'assiduité qu'ils avaient l'un pour l'autre commençait à déplaire à la Reine... La femme qu'il semblait que le Roi allait prendre en Savoie ne lui plaisait pas, et Mlle de Mancini, qui paraissait être la mieux placée dans le cœur du Roi, ne lui était pas agréable. Cette manière de l'obséder continuellement lui donnait de la tristesse; et malgré sa discrétion, et la qualité de nièce du ministre, si considérable en France, la Reine montrait assez librement à ses confidents combien cette fille lui déplaisait.» Ainsi s'exprime la femme de chambre d'Anne d'Autriche, Mme de Motteville, dont le témoignage ne saurait être suspect, et qui nous semble du plus grand poids pour expliquer la conduite double que joua plus tard le cardinal Mazarin dans cette grosse question d'un projet de mariage du Roi avec Marie Mancini. Quant à celui que préparait le Cardinal avec la princesse de Savoie, Anne d'Autriche ne le voyait qu'avec un déplaisir extrême, mais elle en parlait avec plus de modération que lorsqu'elle s'exprimait sur le compte de la nièce de son favori. Elle hésitait à faire ce voyage de Lyon, et elle ne finit par s'y décider que dans l'espoir de rompre ce mariage[41]. Elle ne se doutait pas que les quinze jours qu'il fallut pour préparer ses équipages seraient cause de l'accomplissement de ses vœux les plus chers, puisqu'ils devaient donner le temps à l'envoyé d'Espagne d'arriver à Lyon pour faire connaître à la cour de France les intentions du Roi son maître. Enfin, la cour se mit en route le 26 octobre 1658, avec une nombreuse suite de grands seigneurs et de grandes dames, parmi lesquelles la princesse Palatine, Anne de Gonzague, surintendante de la maison de la future Reine, la Grande Mademoiselle, Mme de Noailles, la comtesse de Soissons et ses sœurs Marie, Hortense et Marie-Anne Mancini. Le Cardinal était du voyage, fort soucieux de ce qui allait se passer, et en proie en ce moment à de rudes attaques de goutte et de gravelle. Bien que l'on fût au commencement de l'hiver, il faisait le plus beau temps du monde, et le Roi en profitait pour monter à cheval en compagnie de Marie Mancini, afin de pouvoir causer plus librement avec elle. Ils firent ainsi une bonne partie du chemin jusqu'à Auxerre, où la cour séjourna la veille et le jour de la Toussaint. Elle s'arrêta aussi pendant quelques jours à Dijon pour obtenir des États une somme plus considérable que d'habitude. Le Roi dansait tous les soirs, et, tandis que la comtesse de Soissons jouait avec la Reine, il se faisait apporter dans son logis une grande collation, qui ressemblait à un souper, et il passait quatre ou cinq heures à causer avec Marie. Quelquefois Hortense et Marie-Anne interrompaient le tête-à-tête en venant prendre part à la collation. Louis ne manquait jamais, lorsque les joueurs étaient aux prises ou pendant les bals, de se retirer à l'écart avec son amie. Il était alors au plus mal avec la comtesse de Soissons, à qui il ne dit mot pendant tout le voyage. Marie, qui l'entretenait dans ces sentiments hostiles, ne parlait presque pas à sa sœur, ou si elle lui parlait c'était pour ne pas manquer une occasion de la «picoter». En quittant Dijon, la cour alla coucher à Beaune, puis à Chalon, et le roi fit encore ce trajet à cheval côte à côte avec sa jeune amie[42]. Il arriva à Lyon avec sa suite le 24 novembre. La duchesse de Savoie se fit attendre trois jours. Le cardinal Mazarin, accompagné de Monsieur, frère du Roi, alla à sa rencontre à une assez grande distance. Le Roi y fut aussi avec sa mère, ayant dans son carrosse le maréchal de Villeroi, la Grande Mademoiselle et Mme de Noailles. Écoutons le récit de l'entrevue des deux cours, par Mlle de Montpensier qui assistait à la scène: «Nous trouvâmes tout le chemin plein d'équipages. Madame Royale et Mesdemoiselles de Savoie avaient une grande quantité de mulets avec de très belles et magnifiques couvertures, les unes de velours noir, les autres cramoisi, avec les armes en broderie d'or et d'argent. Force personnes de leur cour en avaient de belles. Nous trouvâmes la litière du corps de Madame Royale précédée de douze pages vêtus de noir avec des bandes de velours noir en ondes, suivis de ses gardes avec un officier à la tête; ils avaient des casaques noires avec du galon d'or et d'argent; il y avait une autre litière à Madame Royale et plusieurs autres. Nous trouvâmes quantité de carrosses à six chevaux; suivis de quantité de livrées, enfin toutes les marques d'une grande cour.» Dès que l'on eut signalé l'approche de la cour de Savoie, le Roi monta à cheval et courut au-devant d'elle. Il revint aussitôt au galop auprès d'Anne d'Autriche «avec une mine la plus gaie du monde et la plus satisfaite». «Eh bien, mon fils?» lui dit la Reine, d'un ton plein d'affectueuse curiosité. «Elle est plus petite que Mme la maréchale de Villeroi, répondit le prince en souriant; mais elle a la taille la plus jolie du monde; elle a le teint...»; il hésita, ne pouvant dire comme elle l'avait. Enfin, il trouva: «olivâtre; mais cela lui sied bien. Elle a de beaux yeux; enfin elle me plaît et je la trouve fort à ma fantaisie[43].» La Reine lui dit qu'elle en était bien aise, quoique, au fond du cœur, elle fût désolée de perdre l'Infante. A la rencontre des deux cortèges, Anne d'Autriche et la duchesse de Savoie descendirent de leurs carrosses. La duchesse, à qui l'on donnait le titre de Madame Royale, parce qu'elle était fille de France, était encore toute «emmaillottée dans ses coiffes et paraissait fort fatiguée». «Elle salua la Reine, lui baisa les mains, lui fit mille flatteries.» Elle avait été belle, mais il ne lui restait plus aucun reste de beauté, malgré tout le soin qu'elle prenait pour réparer les désastres du temps. On lui trouva un grand air de ressemblance avec son frère Gaston d'Orléans, mais elle paraissait plus vieille et plus cassée que ce prince. «Elle avait la taille gâtée, mais cela ne l'empêchait pas d'avoir fort bonne mine et l'air d'une grande dame[44].» Elle présenta à la Reine sa fille aînée, veuve du prince Maurice de Savoie; puis la princesse Marguerite. Voici le portrait peu flatté, mais fort ressemblant, sans aucun doute, qu'a laissé d'elle Mlle de Montpensier, qui la vit souvent de près et se donna le malin plaisir de la peindre en déshabillé: «Pour la princesse Marguerite, elle est petite; mais elle a la taille assez jolie, à ne bouger d'une place; car, quand elle marche, elle paraît avoir les hanches grosses, et même quelque chose qui ne va pas tout droit. Elle a la tête trop grosse pour sa taille, mais cela paraît moins par-devant que par derrière, quoique ce soit une chose fort disproportionnée. Elle a les yeux beaux et grands, assez agréables, le nez gros, la bouche point belle, et le teint fort olivâtre, et si[45] avec tout cela elle ne déplaît point. Elle a beaucoup de douceur, quoiqu'elle ait l'air fier. Elle a infiniment de l'esprit, adroit, fin; et il y a paru dans sa conduite.» Elle n'avait entrepris ce voyage qu'avec une extrême répugnance; elle ne croyait pas être plus heureuse avec le Roi qu'elle ne l'avait été avec le duc de Bavière, qui avait refusé sa main. Elle avait résisté, feint d'être malade, mais elle avait dû céder aux pressantes instances de sa mère, qui voyait les choses tout en beau. Christine pensait que, l'intérêt de Mazarin étant que ce mariage se fît, rien au monde ne pourrait l'empêcher de se faire. Elle ne pouvait soupçonner qu'un jour viendrait où le ministre, ne consultant que sa propre gloire et l'intérêt de la France, pencherait pour le mariage du Roi avec l'Infante, qui, d'ailleurs, semblait alors presque impossible. Elle espérait donc «que ce voyage ne lui pourrait être que glorieux et utile, et ne s'imaginait pas que le Roi, la Reine et Mazarin, faisant ce pas vers elle, pussent lui manquer et ne la pas satisfaire[46].» Dès que les princesses furent remontées en carrosse, le Roi à cheval se plaça près de la portière où se trouvait la princesse Marguerite, et, bien qu'il fût naturellement «très froid et fort peu aisé à apprivoiser», il lui parla avec aussi peu d'embarras que «s'il l'eût vue toute sa vie»; il se montra empressé, souriant, satisfait, et, de son côté, la princesse lui répondit avec à-propos, avec finesse, sans être déconcertée, et même sur un ton de noble assurance. Le jeune prince paraissait si émerveillé, surtout de l'esprit de Mademoiselle de Savoie, que personne ne doutait, ce jour-là, qu'il ne dût l'épouser. Les deux cours vinrent descendre au logement de la Reine, en Bellecour. Madame Royale remercia publiquement le Cardinal de lui avoir rendu la citadelle de Turin, et elle l'accabla de flatteries et de caresses si excessives, qu'elle déplut à la Reine. Après cette harangue, elle fut conduite par le Roi à l'archevêché où l'on avait orné son logement de magnifiques tapisseries[47]. La Reine était demeurée extrêmement triste de l'entrevue du matin. Elle n'avait trouvé ni belle ni à son gré Mademoiselle de Savoie; elle jugeait qu'il serait humiliant pour le Roi son fils d'épouser une princesse qu'avait dédaignée le duc de Bavière. D'ailleurs, ce mariage, c'était la perte de l'Infante qu'elle aimait tendrement, c'était la continuation de la guerre avec le roi d'Espagne son frère qu'elle n'aimait pas moins. Ce qui la désolait le plus, c'est que le Roi avait montré du goût pour la princesse Marguerite. Le soir même de l'entrevue, ne pouvant plus dissimuler ses sentiments, elle les laissa entrevoir à son fils et au Cardinal. «Mais le Roi, qui avait envie de se marier, et qui n'avait point été choqué du visage et de la personne de la princesse Marguerite, y résista fortement. Il dit à la Reine qu'il la voulait, et poussa la résistance jusqu'à lui dire qu'enfin il était le maître[48]...» La Reine, qui ne pleurait pas souvent, ne put retenir ses larmes. Elle ordonna à son confesseur de faire faire des prières dans tous les couvents de Lyon, afin que ses vœux fussent exaucés[49]. Puis elle envoya Beringhen, le grand écuyer, auprès de Mazarin pour lui représenter qu'il était de son devoir «de s'opposer à la volonté du Roi, comme à un torrent qui allait trop vite», et de s'associer «aux sentiments de la Reine, qui étaient contraires à ce mariage». Mais le Cardinal, qui voyait sur le point de s'accomplir une alliance si considérable pour sa famille, lui répondit froidement «qu'il ne se mêlait point de cela; que, pour lui, il n'était pas cause de l'inclination que le Roi paraissait avoir pour cette princesse, et que ce n'étaient pas là ses affaires[50].» L'invariable réponse de Mazarin à tous ceux dont il voulait se défaire, c'était: «Je ne suis pas le maître[51].» Mais un événement auquel on était loin de s'attendre vint tout à coup déconcerter les calculs des uns et les espérances des autres. Au bruit de ce voyage de la cour à Lyon, à la nouvelle que le roi de France était sur le point d'épouser la princesse de Savoie, Philippe IV, qui désirait ardemment la paix et qui voyait fuir l'espérance pour sa maison du plus beau trône du monde, s'écria: «_Esto no puede ser, y no sera!_» «Cela ne peut pas être et ne sera pas!» Et, sans perdre un moment, il ordonna à don Antonio Pimentel de se rendre en France sous un déguisement et d'offrir à Mazarin la paix et l'Infante. Pimentel, sans passeport, et au risque d'être fait prisonnier, traversa la France à franc étrier et il arrivait à Lyon le même jour que la princesse Marguerite. Il s'était tenu caché à Mâcon au moment même du passage de la cour, et de cette ville, en date du 19 novembre, il avait écrit à Mazarin pour lui faire connaître qu'il était chargé d'une importante mission[52]. Il connaissait Colbert, alors intendant de la maison du Cardinal, et par son entremise il put voir Mazarin, le lendemain même de son arrivée à Lyon, et il lui fit part des offres de Philippe IV. Au moment même où Pimentel venait de sortir du cabinet du Cardinal, la Reine y entrait[53], peut-être pour obtenir de lui une réponse moins défavorable que celle qu'il avait faite la veille à Beringhen. J'ai, lui dit le Cardinal, qui avait cru devoir jusque-là cacher à la Reine l'arrivée de Pimentel, j'ai une nouvelle à donner à Votre Majesté, à laquelle elle ne s'attend pas et qui la surprendra au dernier point. —Est-ce que le Roi mon frère m'envoie offrir l'Infante? répondit la Reine avec une profonde émotion; car c'est la chose du monde à quoi je m'attends le moins. —Oui, Madame, c'est cela, reprit Mazarin, qui mit aussitôt sous ses yeux une lettre à elle adressée par Philippe IV et dans laquelle il lui offrait la paix et l'infante Marie-Thérèse[54]. On peut juger de la joie d'Anne d'Autriche. Jamais, de son aveu, elle n'en éprouva de plus grande, mais cette joie n'était pas exempte d'inquiétudes. Si elle croyait fermement à la sincérité et aux bonnes intentions du Roi son frère, elle n'était pas sans crainte que les Espagnols, qui avaient peu d'intérêt à ce mariage, ne missent tout en œuvre pour le traverser et le faire échouer. Pendant ces premières heures où allait se décider le sort de deux grands royaumes, la passion de Marie Mancini n'était pas restée oisive. Elle avait interrogé avec anxiété Mlle de Montpensier, qui s'était trouvée dans le même carrosse que Marguerite de Savoie, pour apprendre d'elle quelle impression cette princesse avait faite sur le Roi, les paroles qu'il lui avait adressées, «et comment il en avait usé avec elle[55]». Mlle de Montpensier se fit un jeu cruel, plaisir de vieille fille, de ne rien lui céler, et la jalouse Italienne, blessée au cœur, alla trouver le Roi et lui dit avec emportement: «N'êtes-vous pas honteux que l'on vous veuille donner une si laide femme[56]?» On peut penser si elle se fit faute de signaler aux yeux prévenus du Roi tout ce qui était capable de noircir les traits de la princesse. Le soir même, dans l'entourage du jeune prince, on faisait courir le bruit, auquel Marie Mancini n'était peut-être pas étrangère, que Mademoiselle de Savoie ne devait qu'à son corset d'avoir la taille droite, et que, de ce côté-là, elle était fort disgraciée de la nature. Pour s'en assurer, le roi courut le lendemain matin chez la princesse Marguerite et entra brusquement dans sa chambre. «On crut, dit Mlle de Montpensier, qu'il la voulait surprendre pour lui voir la taille déshabillée, à cause qu'on lui avait dit qu'elle était bossue; mais il ne témoigna pas y prendre garde: il fut aussi froid le matin qu'il avait paru empressé le jour de l'arrivée; ce qui étourdit fort Madame de Savoie. Pour Mme la princesse Marguerite, elle fit la même mine.» Les malices de Marie Mancini et les nouvelles d'Espagne avaient déjà dissipé la flamme naissante du Roi. Il sortait de chez le Cardinal, et il n'avait pas hésité un moment à donner la préférence à l'Infante. Le soir, chez la Reine, Louis affecta de causer en particulier avec Marie Mancini, sans dire un seul mot, même de politesse, à Marguerite de Savoie[57], et, jusqu'au départ de cette princesse, il ne daigna plus lui adresser une seule fois la parole. Elle, au contraire, eut le bon goût et la fierté «de faire la meilleure mine du monde». On s'étonnera peut-être de ce que le Roi, si vivement épris à cette époque de Marie Mancini, ait montré d'abord tant d'empressement à épouser la princesse de Savoie. La seule manière d'expliquer ce qu'il y eut en effet d'assez étrange dans la conduite du jeune prince, c'est de supposer que Marie Mancini ne lui avait point encore parlé de ses prétentions, que le Roi se contentait de l'aimer sans songer à en faire une Reine, et qu'il n'aspirait à épouser Marguerite de Savoie, que parce qu'il considérait le mariage comme une émancipation, et que le mariage seul pouvait tout concilier à ses yeux. Ce qu'il fit depuis rend assez probable une telle supposition. Plusieurs jours s'écoulèrent sans qu'il fût parlé, entre les deux cours, du sujet pour lequel elles s'étaient réunies. Madame Royale espérait que la présence de son fils, le duc de Savoie, qui venait d'arriver à Lyon, mettrait fin au silence de Mazarin et d'Anne d'Autriche. Charles-Emmanuel ne tarda pas à comprendre ce que signifiait ce silence. Il se fit remarquer autant par la dignité de son maintien et par son grand air, que par la singularité de son costume[58]. Pour ne pas être obligé de faire un sacrifice à l'étiquette, il ne jugea pas à propos, ce qui n'était guère politique, de rendre visite au Cardinal. Il crut même au-dessous de lui d'attendre la réponse de la cour de France, et, après avoir pris congé d'elle assez brusquement, il prononça ces paroles: «Adieu, France, et pour toujours; je te quitte sans regret[59].» Plus difficile à éclairer que son fils, Christine de Savoie gardait encore quelque espoir. On lui avait caché avec le plus grand soin l'arrivée de Pimentel. Comme le voyage s'était fait à la face de l'Europe, que Mazarin avait attiré à Lyon la cour de Savoie, ce qui était en quelque sorte un engagement difficile à rompre, le Cardinal, tout fin diplomate qu'il était, n'était pas sans embarras pour trouver un biais afin de se dégager. Il y avait des jours où il était obligé d'insinuer que le mariage allait bien, d'autres où il essayait de battre en retraite. Enfin, Madame Royale, ayant fini par apprendre l'arrivée de Pimentel, en fut très alarmée, et pressa vivement le Cardinal de lui donner une réponse, tout en lui laissant entrevoir «qu'elle voyait bien que l'on ne voulait pas tenir ce qu'on lui avait fait espérer[60]». Comme l'envoyé d'Espagne était arrivé à Lyon le 28 du mois, elle en tira un fâcheux augure, prétendant que cette date lui avait toujours été funeste. Le Cardinal, pressé dans ses derniers retranchements, se vit contraint d'avouer à Madame Royale les propositions du roi d'Espagne. Il lui déclara qu'il était impossible pour la France de ne pas les accepter, sous peine de soutenir une guerre sans fin et sans issue; qu'il était du devoir de la Reine et du Roi d'assurer la paix de l'Europe, et qu'ils devaient préférer à la princesse de Savoie, sa fille, l'infante d'Espagne, s'ils pouvaient l'obtenir. En même temps, l'adroit ministre lui fit espérer que, dans le cas où ce mariage ne pourrait se conclure, le Roi prendrait l'engagement formel d'épouser la princesse Marguerite. Madame Royale devint «pâle comme la mort,» pleura beaucoup, «pensa s'évanouir». Le Cardinal redoubla ses artifices, ses promesses, ses caresses, il étala devant elle un écrin où étincelaient «quantité de bijoux de senteur» et des «pendants d'oreilles de petits diamants», montés en «or émaillé de noir;» bref, elle trouva le présent «si galant», qu'elle finit par l'écouter, par essuyer ses larmes, et qu'elle courut, toute souriante et presque consolée, montrer ses bijoux à la Reine. Mlle de Montpensier a raconté cette étrange scène d'une manière charmante. La duchesse, avec le plus noble désintéressement, déclara à la Reine qu'elle préférait le repos et le bonheur des peuples à ses intérêts particuliers; mais elle la pria, si le mariage d'Espagne, qui devait entraîner la paix, ne se faisait pas, de prendre l'engagement de revenir au mariage de sa fille. La Reine s'empressa d'accueillir sa demande, «et le Roi signa de sa main une promesse, par laquelle il s'obligeait d'épouser la princesse de Savoie, dans le cas où, dans un an, il ne serait pas marié avec l'Infante[61].» À la nouvelle que tout était rompu, la princesse de Savoie ne laissa paraître aucun chagrin et sembla garder «une tranquillité admirable». Le jour de son départ, Madame Royale monta dans le carrosse de la Reine; la princesse Marguerite était à la portière et le Roi se tenait auprès d'elle, à cheval, comme le jour de son arrivée. «Mais la conversation, dit Mademoiselle, ne fut pas si échauffée.» A une lieue de Lyon, les deux cours se séparèrent. «Madame Royale pleura; sa fille aînée un peu. Pour la princesse Marguerite, elle ne jeta que quelques larmes, qui parurent être plutôt de colère que de tendresse[62].» Au retour, la Reine laissa éclater toute sa joie d'être délivrée _de tout ce monde-là_; elle se moqua de Madame Royale d'avoir pleuré, disant que c'était «la plus grande comédienne qui fût au monde.» «Comme elle était fort négligée, la Reine trouva qu'elle ressemblait fort à une certaine folle, que l'on appellait Mlle Feilar. On ne parla pas de même de la princesse Marguerite: car on admira sa conduite et la constance et la force avec lesquelles elle avait soutenu tout ce qui lui était arrivé[63].» Pauvre princesse! après avoir perdu la plus belle couronne de l'univers, elle en fut réduite à épouser un petit duc de Parme[64], et, peu d'années après, elle s'éteignait la même année que sa mère, la duchesse Christine[65]. Peu de jours après le départ de Madame Royale, arriva la nouvelle que la reine d'Espagne était accouchée d'un second fils, et Philippe IV écrivit aussitôt à sa sœur une lettre des plus tendres, pour lui annoncer cet heureux événement, qui confirmait de plus en plus ses espérances pour la paix et pour le mariage de l'Infante. Marie Mancini triomphait. «Elle admirait la fidélité du Roi et la puissance qu'elle avait eue sur lui. Elle reprit son poste ordinaire, qui était d'être toujours auprès de lui, à l'entretenir et à le suivre autant qu'il lui était possible; et la satisfaction qu'elle reçut de se croire aimée, fit qu'elle aima encore davantage celui qu'elle n'aimait déjà que trop[66].» «Le Roi, dit de son côté Mlle de Montpensier, jouait à la paume tous les jours, ou faisait faire l'exercice aux mousquetaires; allait chez M. le Cardinal et tout le reste du soir causait avec Mlle de Mancini, avec qui il faisait collation à l'ordinaire, et quand la Reine donnait le bonsoir pour se coucher», il reconduisait les trois sœurs à leur logis, Hortense, Marie et Marie-Anne. «Au commencement, il suivait leur carrosse, puis il servait de cocher, et, à la fin, il se mettait dans le carrosse et, les soirs qu'il faisait beau clair de lune, il faisait quelques tours en Bellecour. Mlle de Mancini fut malade deux ou trois jours; il y allait souvent et ne jouait plus chez la comtesse de Soissons. Pendant notre séjour à Lyon elle fut quasi toujours malade. Il lui rendait des visites courtes et de loin en loin, et ses sœurs de même. Le comte de Soissons était dans un chagrin nonpareil de quoi le Roi n'en usait plus comme à l'ordinaire avec sa femme[67].» Le mariage de Savoie écarté sans retour, Marie Mancini ne négligea rien pour faire échouer celui de l'Infante. Elle avait remarqué avec quelle promptitude et quelle facilité le Roi, après avoir montré un goût très vif pour Marguerite de Savoie, s'était détaché de cette princesse pour revenir à elle plus épris que jamais. De la passion qu'elle lui inspirait et de celle qui l'entraînait avec emportement vers lui, elle osa tout espérer. Bien qu'à cet amour il se mêlât beaucoup d'ambition, cet amour n'en était pas moins vrai, profond, irrésistible, héroïque même et capable de s'élever à la hauteur des plus grands sacrifices. Comment le jeune Roi, qui n'avait connu jusque-là que l'ivresse passagère des sens, eût-il pu résister aux entretiens de cette Italienne, tout pleins de poésie et de flamme! Il semble que, pendant quelques semaines, la passion de Marie Mancini fut assez clairvoyante pour qu'elle prît soin de ménager son oncle et pour se le rendre favorable[68]. Trop fière alors et trop avisée pour consentir à être la maîtresse du Roi[69], elle espérait que, si l'amour de ce prince pouvait l'entraîner jusqu'au mariage, le Cardinal, sur un ordre de son maître, n'aurait plus qu'à obéir. Mais écoutons Marie Mancini, qui va nous dire elle-même dans quelle disposition d'esprit elle se trouvait entre l'époque de la rupture du mariage de Savoie et celle où le mariage d'Espagne prit quelque consistance: «Au milieu de tant de prospérités, nous dit-elle, je ne goûtais pas un contentement parfait, parce que mon bonheur allait jusqu'à l'excès. Il me manquait quelque chose pour respirer un peu, et j'aurais souhaité alors quelque petite disgrâce afin que, par l'opposition du mal, j'eusse pu mieux connaître le bien dont je jouissais. Mais, peu de temps après, la fortune ne seconda que trop mes désirs, comme je le dirai bientôt. Étant de retour à Paris, nous ne songions qu'à nous divertir; et il n'y avait pas de jour, je dis trop peu, il n'y avait pas de moment qui ne fût destiné aux divertissements, et je puis dire que je n'ai de ma vie si bien passé mon temps. Sa Majesté, qui avait envie de faire durer nos plaisirs, ordonna à tous ceux qui étaient de notre troupe de traiter la compagnie chacun à son tour. Et encore que toutes ces fêtes se passassent à la campagne, on peut dire qu'il n'y avait rien de plus magnifique. On se le persuadera aisément quand on saura que l'amour, qui est l'âme de ces sortes de choses, en était le premier motif, et qu'il n'y avait pas un seigneur de la compagnie, qui étaient, comme on peut croire, les premiers et les mieux faits de la cour, qui n'eût son inclination particulière...» Et ici Marie Mancini nous fait le récit d'un gracieux épisode de ses amours avec le Roi: «Il faudrait, dit-elle, un volume entier pour raconter toutes les aventures de ces fêtes galantes. Je me contenterai d'en rapporter une en passant, qui fera voir combien le Roi était galant et comme il savait prendre les occasions de le témoigner. C'était, si je m'en souviens bien, au Bois-le-Vicomte, dans une allée d'arbres, où, comme je marchais avec assez de vitesse, Sa Majesté me voulut donner la main, et, ayant heurté de la mienne, même assez légèrement, contre le pommeau de son épée, d'abord, d'une colère toute charmante, il la tira du fourreau, et la jeta, je ne veux pas dire comment, car il n'y a pas de paroles qui le puissent exprimer.» CHAPITRE III Projet conçu par Mazarin de marier le Roi avec sa nièce.—Opinion des contemporains sur ce point.—Infructueuse tentative du Cardinal auprès de la Reine.—Volte-face de Mazarin.—Il engage sa nièce à renoncer à son projet de mariage avec le Roi.—Hostilités entre le Cardinal et sa nièce.—Nouvelle mission de Pimentel.—Demande de la main de Marie Mancini par le Roi.—Refus du Cardinal.—Séparation des deux amants.—Leurs adieux.—Départ de Marie Mancini et de ses deux sœurs Hortense et Marianne pour Brouage.—Protestation par acte authentique de la Reine contre le mariage éventuel du Roi et de Marie. Quelle était à cette époque la pensée secrète du Cardinal sur le projet du mariage d'Espagne? Dans la crainte sans doute que Marie-Thérèse, dont il ne connaissait pas bien le caractère, n'échappât à sa domination et n'entraînât Louis XIV à s'en affranchir, il était peu porté à l'adopter sans avoir pris au préalable des garanties pour ses intérêts. Il éludait une réponse définitive, et il est même certain que, pendant les premières semaines qui suivirent les premières ouvertures de Pimentel, il fut plutôt hostile que favorable aux offres de Philippe IV. Mme de Motteville, la confidente de la Reine, nous apprend, sans exprimer le moindre doute, que «_le Cardinal espérait toujours que le mariage de l'Infante ne se ferait pas_.» Elle ajoute qu'il était alors fort hésitant entre ces deux partis: ou continuer la guerre à outrance contre le roi d'Espagne, dont les affaires étaient en fort mauvais état, afin de lui imposer la paix aux meilleures conditions possibles pour la couronne de France; ou accepter ses propositions, dans la crainte que des événements imprévus ne lui rendissent de nouvelles forces et que la Fortune cessât de lui être contraire. Mazarin semble avoir penché d'abord pour le premier parti, et peut-être qu'en l'adoptant il eût mieux servi la cause de la France qu'en se laissant entraîner au second par l'influence de la Reine. D'après l'opinion des hommes d'État espagnols eux-mêmes, s'il eût continué la guerre, il est fort probable que l'Espagne n'aurait pu soutenir plus longtemps la lutte. Le Cardinal eût conquis facilement les Pays-Bas et le Milanais; en échange du Milanais, il eût pu obtenir la Savoie et Nice, et rendre ainsi nos frontières inexpugnables au sud-est. Enfin, on eût évité de la sorte d'acquérir ces droits dangereux sur la succession d'Espagne, qui ruinèrent en partie la France sous Louis XIV[70]. En accomplissant ce premier projet, Mazarin en eût retiré de grands avantages personnels soit par le mariage du Roi avec la princesse de Savoie, qui devenait pour lui une alliance de famille, soit par le mariage de sa nièce Marie avec Louis XIV. L'extrême passion du Roi pour cette nièce lui permettait de croire que cette alliance ne serait pas impossible. L'ambition du Cardinal n'avait pas de limites; sa timidité naturelle pouvait seule y mettre un frein. Il avait été inexorable pour l'amour naissant que le Roi avait témoigné à Mlle de La Motte-Argencourt, et l'infortunée expiait alors dans un couvent le crime d'avoir attiré sur elle les regards de son souverain. Mais, pour sa nièce Marie, il s'était montré de bien meilleure composition. Loin de couper court aux premiers entretiens des deux amants par une simple séparation, il avait complaisamment et pendant longtemps fermé les yeux. La Reine était moins indulgente. «Elle fit voir qu'elle n'approuvait pas la continuation de l'amour que le Roi paraissait avoir pour Mlle de Mancini. Le même scrupule qui l'avait obligée de s'opposer à l'inclination qu'il avait eue pour Mlle de La Motte, la faisait désapprouver celle-ci, et la vénérable qualité de nièce ne l'empêchait pas d'en dire ses sentiments avec assez de liberté: _Mais cette liberté n'avait point eu d'effet, parce que la passion du Roi jusqu'alors avait été comme protégée par le ministre_[71].» Voici un témoignage irrécusable et qu'il est bon de noter en passant. La Reine, par conscience, par devoir comme par instinct, avait une grande aversion pour Marie Mancini, et ce qui l'augmentait encore, c'est que le Roi, sans tenir compte de ses remontrances, ne paraissait plus, même devant elle, sans être accompagné de son amie. Marie le suivait partout et lui parlait toujours à l'oreille, même en présence de la Reine, sans être retenue par le respect et la bienséance. La Reine parla sévèrement au Roi, «mais il n'écouta pas ses conseils avec la même docilité» qu'il lui avait toujours montrée jusque-là. Il lui résista et même avec quelque aigreur[72]. Quelques critiques de notre temps ont supposé un peu trop légèrement et sans preuves que le cardinal Mazarin, s'étant opposé énergiquement, et par des lettres écrites au Roi de sa propre main, au mariage de ce prince avec Marie Mancini, il s'ensuit qu'il ne nourrit jamais dans son cœur cette ambitieuse pensée. C'est là une grave erreur contre laquelle témoignent plusieurs des Mémoires du temps, écrits par des témoins oculaires ou fort bien informés. Citons-les tour à tour: interrogeons Mme de Motteville, qui savait mieux que personne tout ce qui se passait dans l'intérieur de la Reine; le comte de Brienne, alors secrétaire d'État des affaires étrangères, si au courant des secrets de l'État, et enfin Mme de La Fayette, que ses relations avec les hommes les plus éminents de la cour ont souvent initiée à tant de causes et de circonstances mystérieuses qui ont échappé aux historiens de profession. Ce que l'on demande avant tout aux auteurs de Mémoires, c'est la probité et la sincérité; or, quels témoins plus probes, plus sincères, plus honnêtes que ceux que nous venons de citer? Quels témoins, d'ailleurs, mieux renseignés, eux qui vivaient incessamment dans le plus intérieur de la cour et qui étaient à l'affût de tous les faits et gestes de la Reine et de son favori? Et lorsque leurs témoignages sont conformes sur les mêmes faits, comment pourrait-on en douter? Et, d'abord, que nous dit la véridique Mme de Motteville[73], qui n'était certes pas femme à inventer l'étrange, la curieuse scène que nous allons raconter, scène qui se passa entre Mazarin et Anne d'Autriche, si elle ne l'avait apprise de bonne source, peut-être de la bouche même de la Reine? L'esprit le plus fertile et le plus délié ne saurait rien imaginer de plus vraisemblable et sous des couleurs aussi vraies. Mazarin, au moment où nous sommes, n'avait eu nullement à se plaindre jusque-là de sa nièce Marie; il était autorisé à croire qu'elle aurait, comme par le passé, assez de bon sens pour se montrer toujours docile à ses volontés et pour ne nuire en rien à son pouvoir dans l'esprit du Roi. L'amour de Louis XIV pour sa nièce lui semblait si violent, si enraciné, si inébranlable, qu'il crut fermement qu'il irait jusqu'au mariage. Peut-être le Roi s'en était-il déjà ouvert à lui, comme il le fit plus tard et à plusieurs reprises. Mais comment faire une pareille demande à la Reine, qui sentait couler dans ses veines le sang de tant de Rois et d'Empereurs, à la Reine qui était si entêtée de sa race et si intraitable sur ce chapitre? Mazarin ne se dissimulait pas qu'il aurait à vaincre de ce côté-là bien des difficultés et des répugnances. Mais il savait aussi, lui, qui était maître du cœur de la Reine, qu'il en avait surmonté bien d'autres dans cet esprit indolent, amoureux du repos à l'excès, et qui, après lui avoir souvent résisté, avait toujours fini par lui céder. Il n'était pas homme à attaquer la place de front, et voici comment il s'y prit pour en sonder les approches. Écoutons Mme de Motteville: «L'aversion que la Reine avait pour Mlle de Mancini s'était fort augmentée par un discours que lui avait fait son oncle. Il était esclave de l'ambition, capable d'ingratitude et du désir naturel de se préférer à tout autre. Sa nièce, enivrée de sa passion et persuadée de l'excès de ses charmes, eut assez de présomption pour s'imaginer que le Roi l'aimait assez pour faire toutes choses pour elle: de sorte qu'elle fit connaître à son oncle qu'en l'état où elle était avec ce prince, il ne lui serait pas impossible de devenir Reine, pourvu qu'il y voulut contribuer. Il ne voulut pas se refuser à lui-même une si belle aventure, et en parla un jour à la reine, en se moquant de la folie de sa nièce, _mais d'une manière ambiguë et embarrassée, qui lui fit entrevoir assez clairement ce qu'il avait dans l'âme_ pour l'animer à lui répondre ces mêmes paroles: «Je ne crois pas, Monsieur le Cardinal, que le Roi soit capable de cette lâcheté; mais s'il était possible qu'il en eût la pensée, je vous avertis que toute la France se révolterait contre vous et contre lui, que moi-même je me mettrais à la tête des révoltés et que j'y engagerais mon fils[74].» Sous le coup de cette foudroyante réponse, Mazarin rentra sous terre, mais il en garda un implacable ressentiment. Soit qu'une déclaration si hautaine et si emportée lui ôtât toute envie de recommencer, soit qu'il eût appris que sa nièce, enivrée et affolée de sa faveur, le tournait sans cesse en ridicule et ne négligeait rien pour le perdre dans l'esprit du Roi, toujours est-il que désormais il devint absolument muet sur ce chapitre du mariage, qu'il rentra en lui-même, qu'il se retourna contre sa nièce et qu'il se dévoua corps et âme au mariage espagnol. Comme il craignait que la nouvelle de son échec n'eût transpiré et qu'il en éprouvait autant de dépit que d'humiliation, il s'attacha, à partir de ce jour, à faire montre du plus complet désintéressement, et à se donner le beau rôle pour écarter tout soupçon de la comédie qu'il avait jouée et dont le dénouement lui avait si mal réussi. Mais ceux qui savaient à quoi s'en tenir n'eurent garde de le croire sur parole. Le comte de Brienne, premier secrétaire d'État des affaires étrangères, fut de ce nombre: «Quoi que m'ait pu dire cette Éminence, écrit-il dans ses Mémoires[75], si le mariage de Sa Majesté eût pu se faire avec sa nièce et que son Éminence y eût trouvé ses sûretés, il est certain qu'elle ne s'y serait pas opposée.» Mme de La Fayette dit, de son côté, que le trône que Mazarin avait rêvé pour sa nièce Hortense, il le rêva aussi pour sa nièce Marie, et que s'il renonça à ce dernier projet, c'est qu'il apprit que cette nièce mettait tout en œuvre pour le perdre dans l'esprit du Roi[76]. Enfin, l'abbé de Choisy, s'appuyant sur le témoignage oral du maréchal de Villeroi et de Beringhen, le premier écuyer, est d'avis comme eux que le Cardinal ne battit en retraite que parce qu'il ne se sentait pas assez fort pour imposer à la Reine le mariage de sa nièce[77]. Voilà de quelle façon les contemporains, les mieux placés pour connaître le secret de la comédie, s'exprimaient sur le prétendu désintéressement de Mazarin. Un critique éminent et consciencieux, M. Chéruel, suppose qu'il y eut, en cette circonstance, plus d'unité dans le rôle de Mazarin et qu'il ne cessa de se prononcer depuis le commencement jusqu'à la fin pour le mariage de l'Infante[78]. Il écarte, sans aucune raison plausible, le témoignage si formel de Mme de Motteville, ne dit mot de celui de Brienne et de Mme de La Fayette, et se fonde uniquement, pour établir la sincérité de Mazarin, sur les lettres qu'il écrivit au Roi, _à une date postérieure_, afin de le détourner d'épouser sa nièce. Il n'admet pas que Mazarin, qui joua tant de personnages divers suivant ses intérêts du moment, ait pu changer de rôle en cette circonstance. A l'appui de sa thèse, M. Chéruel n'oppose que ces lettres du Cardinal et quelques autres lettres intimes, _et toujours d'une date postérieure_, adressées par lui à Mme de Venel, gouvernante de ses nièces. A nos yeux, toutes ces lettres n'ont aucune valeur pour éclairer la question, précisément à cause de leur date. Pour détruire les témoignages unanimes de Mme de Motteville, de Brienne, de Mme de La Fayette, il aurait fallu produire des lettres de la même date que les faits dont ils affirment l'authenticité. C'eût été la seule manière de les réfuter. Mais comme ces lettres n'existent pas, les déclarations de ces témoins contemporains, de ces témoins fort bien informés, et dont personne ne saurait contester la sincérité et la véracité, gardent toute leur valeur. Rien dans les arguments du savant M. Chéruel n'est de nature à les détruire[79]. Après la conversation du Cardinal avec la Reine et dans laquelle il avait été si malmené, les choses changèrent bientôt de face. Il est probable que, dans la crainte de perdre son crédit, il changea aussitôt de rôle et qu'il s'appliqua sur-le-champ à détourner sa nièce de ses ambitieux projets, en lui déclarant qu'elle ne pouvait plus compter sur son appui. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'à partir de ce jour, elle conçut le plus vif ressentiment contre son oncle et contre la Reine dont elle connaissait l'aversion pour elle. Elle s'attacha à les dénigrer l'un et l'autre dans l'esprit du Roi pour déraciner toute leur autorité et leur influence. Elle osa même, afin de détruire dans le cœur du fils tout sentiment d'affection pour sa mère, lui apprendre tout ce que la médisance, ou la calomnie, avait raconté ou inventé contre elle pendant la Fronde. En un mot, elle fit si bien qu'elle se rendit maîtresse absolue de l'âme du jeune prince[80]. Cependant Pimentel s'était rendu à Paris _incognito_ aussitôt après la naissance du second fils de la reine d'Espagne, et il avait arrêté avec le Cardinal les principales bases du traité. Mais pour ne paraître pas désirer la paix à tout prix, et pour rendre les Espagnols moins exigeants dans leurs prétentions, Mazarin affectait de dire que l'alliance avec l'Espagne lui faisait peur, et qu'il n'entrait en négociation que par reconnaissance pour la Reine. En même temps il faisait donner sous main de grandes espérances à la duchesse de Savoie, et il déclarait assez haut que, pour lui, il ne désirait pas l'Infante, qui non seulement ne lui saurait aucun gré de la marier avec le Roi, mais qu'à l'exemple de sa tante Anne d'Autriche, qui avait mortellement haï le cardinal de Richelieu, elle lui ferait peut-être une guerre à outrance. L'Espagne fit un pas de plus en avant. Don Juan d'Autriche, fils naturel de Philippe IV et de la comédienne Calderona, quitta la Flandre dont il était gouverneur, et, avant d'aller en Espagne, il rendit visite à la Reine. Marie Mancini avait été très alarmée de la venue de Pimentel à Paris. Elle le fut encore plus du séjour qu'y fit don Juan. Comme il prenait des airs très hautains, même en présence du Roi, Marie mit tout en œuvre pour indisposer contre lui son royal amant[81]. Don Juan avait eu l'étrange fantaisie d'amener avec lui une certaine aventurière du nom de Capiton, qu'il faisait passer pour sa folle. Elle avait de l'esprit; «c'était à qui l'aurait[82]», et le Roi s'amusa d'abord à ses causeries. Mais comme elle vantait sans cesse les qualités de l'Infante, Marie Mancini en prit de l'ombrage et se vengea d'elle en la tournant en ridicule. A la suite de cette entrevue avec don Juan, Mazarin ordonna, au nom du Roi, de faire cesser les hostilités sur les frontières d'Espagne, et il se prépara à partir pour Saint-Jean-de-Luz, afin de travailler à la conclusion de la paix avec don Louis de Haro. «Forcé d'être sage et timide par les grandes paroles que la Reine lui avait dites, il avait pris le parti de sacrifier tous ses autres désirs à l'honneur qu'il avait de contribuer à un si grand bien. La Reine le voyait partir avec joie, persuadée qu'il avait chassé de son esprit tout ce qui pouvait lui déplaire[83].» Elle n'était pas cependant sans crainte que l'amour de son fils pour Marie Mancini ne l'entraînât à renoncer à l'Infante pour l'épouser. Qu'imagina-t-elle pour conjurer autant que possible le danger d'un tel mariage? Ce fut de séparer les deux amants. Elle s'en ouvrit au Cardinal avant son départ, et celui-ci, usant de son autorité sur ses nièces, ordonna à Mme de Venel, leur gouvernante, de les conduire dans la citadelle de Brouage, près de La Rochelle[84]. La veille de leur départ, le Roi, accablé de douleur, vint chez la Reine. «Comme la sensibilité d'un cœur qui aime demande la solitude, la Reine prit elle-même un flambeau qui était sur sa table et, passant de sa chambre dans son cabinet de bains, elle pria le Roi de la suivre[85].» Ils y restèrent environ une heure, que la Reine employa à le rappeler au sentiment de sa dignité et à le consoler. Il la quitta les yeux en feu, mais résigné au sacrifice. Il sentit que le mal que lui faisait sa mère «était de la nature de celui que les chirurgiens font à ceux qu'ils veulent guérir de leurs blessures par des incisions et des caustiques[86]». «Le Roi me fait pitié, dit Anne d'Autriche à Mme de Motteville, en sortant de ce pénible entretien, il est tendre et raisonnable tout ensemble; mais je viens de lui dire que je suis assurée qu'il me remerciera un jour du mal que je lui fais, et, selon ce que je vois en lui, je n'en doute pas[87].» Il y eut encore bien des larmes le jour qui précéda la cruelle séparation. Marie Mancini montra le plus profond désespoir, et le jeune Roi fut si touché de sa douleur que, n'écoutant que sa passion, il en vint à proposer au Cardinal d'épouser sa nièce «plutôt que de la voir souffrir pour l'amour de lui[88]». Et comme la Reine et Mazarin résistaient à ses instances, il les supplia à genoux de lui accorder leur consentement[89]. La Reine fut inflexible et le Cardinal «entra de si bonne foi dans ses sentiments que, malgré la force du sang et contre ses intérêts[90],» il eut le courage de ne pas céder aux supplications de son souverain. La négociation de la paix et du mariage de l'Infante était trop avancée pour qu'il pût songer un seul instant à la rompre. Il «prit sans balancer le parti de se faire honneur, en refusant celui que le Roi lui voulait faire dans le premier mouvement d'une passion violente dont il se repentirait bientôt et qu'il lui reprocherait de n'avoir pas retenue, quand il verrait son royaume se soulever contre lui pour l'empêcher de se déshonorer par un mariage si indigne. Il répondit donc qu'ayant été choisi par le feu Roi son père, et, depuis, par la Reine sa mère, pour l'assister de ses conseils, et l'ayant servi jusqu'alors avec une fidélité inviolable, il n'avait garde d'abuser de la confidence qu'il lui faisait de sa faiblesse et de l'autorité qu'il lui donnait dans ses États, pour souffrir qu'il fît une chose si contraire à sa gloire; qu'il était le maître de sa nièce et qu'il la poignarderait plutôt que de l'élever par une si grande trahison[91].» Le lendemain, 22 juin 1659, Marie Mancini partait avec ses sœurs Hortense et la petite Marie-Anne. «Le Roi l'accompagna jusqu'à son carrosse, montrant publiquement sa douleur[92].» Ce fut alors que Marie adressa à son royal amant ces paroles si connues, toutes pleines de tendresse et de reproches: «Vous pleurez et vous êtes le maître[93]!» Il n'eut pas le courage de résister, malgré son affliction; mais il lui promit qu'il n'abandonnerait pas le dessein de l'épouser et qu'il ne consentirait jamais au mariage avec l'Infante[94]. «Puis il vint prendre congé de la Reine et partit à l'instant même pour Chantilly, où il alla passer quelques jours afin d'y reprendre des forces[95].» Cette séparation des deux amants fut la plus grande victoire que la Reine remporta jamais sur le Cardinal. Jusqu'alors il s'était insinué si avant dans sa faveur que l'on peut dire qu'elle n'avait jamais eu d'autre volonté que la sienne. Non seulement il avait usurpé toute l'autorité de sa souveraine, mais il s'était attaché à la détruire dans l'esprit du jeune Roi, à ruiner l'estime du fils pour la mère, soit par des discours sérieux, soit par des railleries. La Reine avait si bien abdiqué tous ses pouvoirs au profit de son favori, qu'elle ne pouvait obtenir aucune grâce pour ses amis sans être obligée de passer par ses mains. Recommandait-elle une affaire au chancelier, au surintendant, à quelque autre ministre? ils lui répondaient invariablement qu'il fallait en parler à M. le Cardinal. Avait-elle besoin d'argent pour ses dépenses les plus nécessaires et les plus urgentes? Mazarin, qui était riche à cent millions, trouvait toujours quelque méchante excuse, pour serrer les cordons de sa bourse. Il avait les insolences d'un amant las de son bonheur, d'un parvenu qui avait triomphé de toutes les rigueurs de la Fortune. La Reine, reconnaissante de tant d'éclatants services qu'il avait rendus au Roi son fils et à la France, la Reine qui, par amour, avait tenu tête, pour le sauver, à tous les orages de la Fronde, avait toujours supporté le joug sans essayer de le secouer et sans se plaindre. Mais le jour où le favori s'oublia au point de vouloir unir son sang roturier au sang de tant de Rois et d'Empereurs, ce jour-là Anne d'Autriche retrouva toute sa fierté et elle fit rentrer dans son néant le fils du pêcheur sicilien. CHAPITRE IV Départ du cardinal pour la frontière d'Espagne.—Il rejoint sa nièce Marie à Notre-Dame de Cléry et poursuit son voyage avec elle pour lui donner des conseils.—Nouvelles différentes qu'il donne au Roi et à la Reine mère de l'état de sa nièce.—Désolation de Marie.—Conseils donnés au Roi par le Cardinal.—Ses lettres à ce prince.—Le comte de Vivonne.—Conspiration de Palais.—Exil de Vivonne.—Faiblesse d'Anne d'Autriche pour le Roi.—Active correspondance entre le Roi et Marie Mancini.—L'exilée de Brouage: ses tristesses et ses espérances.—Mme de Venel.—Espionnage de la petite Marianne.—Promesse de mariage faite à Marie Mancini par Louis XIV.—Désespoir de Mazarin.—Son éloquente lettre au Roi, datée de Cadillac.—Secrète protestation de la Reine contre le mariage éventuel du Roi et de Marie Mancini. La fermeté qu'avait montrée Mazarin à éloigner sa nièce lui rendit toute l'estime et la confiance d'Anne d'Autriche[96]. Les courtisans adressaient-ils à la Reine des louanges au sujet de la paix et du mariage d'Espagne? Par un sentiment de délicatesse digne d'une grande âme, elle en faisait remonter tout le mérite à son ministre seul. Lui faisait-on entendre que sans elle le Cardinal ne se serait jamais avisé de faire partir sa nièce[97]? Elle répondait toujours que lui seul avait pris cette résolution pour mettre un terme aux folles prétentions de Marie Mancini, «et que la timidité n'avait point eu de part à sa conduite». Enfin, murmurait-on à ses oreilles qu'il n'était pas fâché que le Roi persévérât dans le dessein d'épouser sa nièce? «Elle assurait que, par lui-même et par ce qu'il devait au Roi, à elle et au royaume», il ne consentirait jamais «à cet excès d'honneur», dont la pensée seule le rendrait «criminel devant Dieu et devant les hommes[98]». Telle était la bonté et la discrétion d'Anne d'Autriche à l'égard de son favori. Quant à Mazarin, sa résolution de ne jamais plus consentir au mariage du Roi avec sa nièce, le Roi eût-il passé outre, elle semble avoir été irrévocable depuis son départ pour les Pyrénées. Il est des degrés contre lesquels vient se briser l'audace des plus grandes ambitions. Il avait suffi des paroles sévères de la Reine pour le rappeler au sentiment de sa condition et de ses devoirs, et l'hostilité que, depuis ce temps-là, lui montra sa nièce, le fortifia de plus en plus dans le dessein de travailler uniquement au mariage espagnol[99]. Le Cardinal quitta Paris, trois jours après ses nièces, qu'il devait rejoindre en chemin. Il se rendit à Vincennes où il reçut la visite du Roi et de la Reine et, le 26 juin, il s'acheminait à petites journées vers la frontière d'Espagne, tandis que le Roi, de plus en plus triste du départ de son amie, retournait dans sa solitude de Chantilly. Mais cette solitude pesait à son cœur; il avait besoin de l'épancher dans un autre cœur, dans celui de la Reine sa mère. A peine avait-il passé cinq ou six jours au fond de sa retraite, qu'il lui écrivait une lettre des plus tendres pour lui dire toute son impatience de la revoir et tout le prix qu'il attachait à la résistance qu'elle avait opposée à ses désirs. Il lui annonçait en même temps qu'il avait reçu du Cardinal une grande lettre dans laquelle il l'exhortait à apprendre son métier de Roi, et qu'il était bien résolu à suivre ses conseils. Louis s'était empressé de répondre à Mazarin pour lui donner la même assurance. Afin d'entretenir le Roi dans cette bonne résolution, le Cardinal lui écrivait de nouveau de Notre-Dame de Cléry[100] où il avait rejoint ses nièces. Dans cette lettre il lui donnait des nouvelles de Marie, mais il se gardait bien de lui dire dans quelle désolation elle était alors. «Ma nièce a eu un peu de fièvre; mais ç'a été faute d'avoir dormi; elle se porte bien à présent, et, dans la confusion de l'honneur que vous lui faites, je l'aime comme je dois et je le lui témoignerai comme il faut pour répondre à la tendresse qu'elle me fait paraître et à la résignation à ce que je puis souhaiter d'elle, qui lui sera toujours très avantageux. Et rien au monde, ajoutait-il avec fermeté, afin de montrer au Roi que sa résolution à empêcher un tel mariage était de plus en plus inébranlable, rien au monde ne lui pourrait [plus] nuire dans mon esprit que si je la voyais capable de servir d'obstacle, ou de retarder, sous quelque prétexte que ce pût être, la résolution que vous avez prise d'être un grand Roi...» Le Cardinal, qui avait voulu faire le voyage avec sa nièce Marie afin d'essayer de la guérir de sa passion, s'ouvrait à la Reine de ce qu'il avait si soigneusement caché au Roi: «Elle est affligée au-delà de ce que je saurais dire, mais elle me témoigne d'être entièrement résignée à mes volontés et qu'elle n'en aura jamais d'autres. Si elle en use ainsi, je ne plaindrai aucune des choses qui pourront contribuer à son bonheur[101]...» Marie, en quelques lignes d'un sentiment profond, nous a peint le désespoir dans lequel elle était plongée: «Ce que je ne saurais passer sous silence, nous dit-elle, c'est la douleur que je ressentis moi-même de cette séparation; jamais rien en ma vie n'a tant touché mon âme[102]. Tous les tourments qu'on pourrait souffrir me paraissaient doux et légers auprès d'une si cruelle absence, qui allait faire évanouir de si tendres et de si hautes idées. Je demandais la mort à tous moments, comme l'unique remède à mes maux. Enfin, l'état où je me trouvais alors était tel, que ni ce que je dis, ni tout ce que je pourrais dire ne le sauraient pas exprimer.» Le Cardinal épuisait toute son éloquence à consoler une telle douleur. Chaque jour, à chaque nouvelle station de son itinéraire, c'était de nouveaux conseils qu'il dictait au Roi avec une persévérance que rien ne pouvait lasser. «Je suis ravi que vous soyez toujours constant en votre résolution, lui écrivait-il de Saint-Dié[103], mais permettez-moi que je vous réplique que le moyen le plus absolument nécessaire pour la bien exécuter, est de vous rendre maître, autant qu'il vous sera possible, de vos passions; car je suis obligé de vous représenter que, lorsque vous en avez quelqu'une... vous la devez dompter avec plus de violence que les autres...» Tout en donnant au Roi la meilleure règle de conduite à suivre, Mazarin, lorsque ses nièces étaient encore auprès de lui, poussait la condescendance non seulement jusqu'à souffrir des échanges de lettres entre Marie et son royal amant, mais encore à les transmettre à l'un et à l'autre. Ce fut une faiblesse dont plus tard il eut tout lieu de se repentir, comme il le déclara lui-même hautement dans quelques-unes de ses dépêches au Roi. Mais alors il avait l'illusion de croire que l'amour des deux amants finirait par se changer en solide amitié et qu'ils lui sauraient gré un jour de leur guérison. D'ailleurs, par politique et par tempérament, il n'était pas partisan des mesures extrêmes[104]. Le Roi répondait avec la plus grande déférence aux lettres de Mazarin et lui faisait les plus belles promesses du monde. Mais il lui déclarait que de toutes ses passions il en était une seule dont il ne pouvait triompher. Le Cardinal s'efforçait de lui persuader qu'il pourrait se rendre maître de celle-ci comme des autres[105], mais il avouait à la Reine, le même jour, que le jeune prince lui semblait trop dominé par cette passion pour pouvoir la vaincre. Le Roi, après avoir passé huit jours à Chantilly, avait rejoint sa mère à Fontainebleau, et le Cardinal le félicitait de cette réunion qui pouvait contribuer à la guérison de son mal[106]. En même temps, il lui donnait des nouvelles de ses nièces et de leur itinéraire: «M. le Grand-Maître[107] a convié mes nièces de demeurer à La Meilleraye, mais je ne le juge pas à propos. Nous y pourrons bien passer et y coucher une nuit allant à La Rochelle.» A cette époque, les journaux de Paris et de l'étranger commençaient à parler des amours du Roi et de Marie, et le Cardinal se servait de cette nouvelle comme d'un excellent argument pour que le Roi, dans la crainte du scandale, fît un violent effort sur lui-même et rompit avec Marie Mancini[108]. La passion du Roi était de celles que l'absence irrite et enflamme de plus en plus, loin de les calmer. Le Cardinal avait reçu de la Reine les nouvelles les plus alarmantes de l'état de son âme. Il était d'autant plus inquiet des progrès du mal, qu'il venait de recevoir par un courrier d'Espagne «la ratification pure et simple de tout ce qui avait été arrêté à Paris[109].» Il y avait à craindre que, si la passion du jeune prince était connue de la cour d'Espagne, elle ne fût une cause de rupture, ou n'entravât au moins les négociations. «La _confidente_ (la Reine) m'a écrit l'état dans lequel elle vous a trouvé et j'en suis au désespoir, disait Mazarin à Louis XIV dans une lettre datée de Poitiers[110]; car il faut absolument que vous y apportiez du remède, si vous ne voulez être malheureux et faire mourir tous vos bons serviteurs. La manière dont vous en usez n'est nullement propre pour vous guérir, et si vous ne vous résolvez tout de bon à changer de conduite, votre mal empirera de plus en plus. Je vous conjure, pour votre gloire, pour votre honneur, pour le service de Dieu, pour le bien de votre royaume, et pour tout ce qui vous peut le plus toucher, de faire généreusement force sur vous, et vous mettre en état de ne faire pas le voyage de Bayonne avec déplaisir. Car enfin vous seriez coupable devant Dieu et devant les hommes si vous n'y alliez avec le dessein que vous devez par raison, par honneur et par intérêt. J'espère que la personne que vous savez[111] y contribuera de bonne manière, lui ayant parlé dans les termes que je devais pour la disposer à cela...» Le même jour Mazarin suppliait la Reine de lui venir en aide pour guérir le Roi de cette funeste passion qui faisait des progrès de plus en plus inquiétants[112]. On ne saurait trop admirer la chaleur, l'éloquence et l'élévation qui règnent dans ces lettres du Cardinal. On sent qu'il était alors uniquement pénétré de la grande mission qu'il avait à remplir et complètement dégagé de tout intérêt personnel, du moins sur ce chapitre du mariage du Roi avec sa nièce. A cette époque, la reine fut avertie par Mme de Motteville et par Mme de Mesmes que le comte de Vivonne[113] ne négligeait rien pour la brouiller avec le Roi son fils, dont il avait surpris la faveur. Elle apprit en même temps par ces deux dames que ce jeune seigneur, à qui le Roi avait fait confidence de son amour, conseillait à son maître de secouer le joug du Cardinal et d'épouser sa nièce. Vivonne (Louis-Victor de Rochechouart), qui, plus tard, devint maréchal de France et duc à la mort de son père, était le frère d'Athénaïs de Rochechouart, devenue si célèbre depuis, sous le nom de marquise de Montespan. C'était un jeune homme déjà fameux par ses débauches, ses galanteries et son esprit libertin. La Reine avertit sur-le-champ le Cardinal. On peut juger de sa colère et de son inquiétude lorsqu'il apprit cette petite conspiration de Palais[114]. Il écrivit à la Reine sur-le-champ[115] pour qu'elle se préparât au départ avec le Roi dès les premiers jours du mois d'août et pour qu'elle prît, en attendant, toutes les mesures nécessaires afin de déjouer les intrigues du nouveau favori. Comme le jeune Vivonne, sans tenir compte des avertissements et des conseils qu'on lui donnait de la part de la Reine, persistait à entraîner le Roi à épouser Marie Mancini, le Cardinal lui fit donner l'ordre par son père, le duc de Mortemart, d'avoir à quitter la cour et à s'abstenir d'accompagner le Roi au voyage de la frontière d'Espagne[116]. Cependant le Roi et sa mère se préparaient au départ et le Cardinal entendait que le voyage se fît en grande pompe et que rien ne fût épargné dans la dépense[117]. Mazarin était encore avec ses nièces, mais elles devaient bientôt le quitter pour prendre le chemin de La Rochelle. Afin de ménager le Roi, tout en combattant sa passion, il lui conseillait de remettre au chevalier de Méré[118], homme qu'il disait sûr, mais qui lui était tout dévoué, toutes les lettres adressées à sa nièce Marie, lorsqu'elle serait arrivée à Brouage. «Si vous lui ordonnez de passer par La Rochelle, disait-il au Roi il le fera et pourra porter vos lettres à Mme de Venel, qui les rendra fidèlement[119].» Chose étrange, le Cardinal ravivait ainsi d'une main le feu qu'il essayait d'éteindre de l'autre. Il s'alarmait pourtant de plus en plus de cette recrudescence de passion entre les deux amants, de ce déluge de lettres qu'ils s'écrivaient sans cesse nuit et jour et qu'il voyait incessamment pleuvoir pendant qu'il faisait route avec ses nièces. Il constatait avec effroi que ce n'était plus seulement des lettres, mais des volumes de lettres[120]. Hélas! de toutes ces lettres d'amour, dictées par la passion la plus vraie et la plus ardente qui fut jamais, on n'en connaît pas une seule, ni celles de Louis XIV à son amie, ni celles de Marie à son royal amant. Celles de Marie devaient être écrites avec ce feu, cette impétuosité, cet emportement qu'elle mettait en toutes choses, et qu'elle devait avoir surtout au plus haut degré dans une correspondance d'amour. Une de ces lettres du Roi à Marie fut remise au Cardinal peu de jours après qu'il se fût séparé de ses nièces. Mazarin annonça au Roi qu'il envoyait un exprès pour qu'elle fût portée à son adresse, et qu'il voulait bien se charger aussi d'en faire tenir la réponse par Colbert. Ce rôle de Mercure galant ne laissait pas de lui sembler pour le moins fort singulier, à lui prince de l'Église, et voici ce qu'il en disait au Roi d'un ton moitié sérieux, moitié plaisant: «La _confidente_ (la Reine) et moi avons fait, en diverses occasions, d'étranges métiers pour vous témoigner notre complaisance, mais sans aucun scrupule, sachant bien que, dans tous vos commerces, il n'y a rien que de très honnête, qui répond à votre vertu.» La Reine, touchée de l'extrême douleur de son fils, s'était montrée un peu trop compatissante pour lui, et lui avait permis de continuer sa correspondance en toute liberté. Ce n'est pas qu'elle fût revenue de sa ferme résolution de ne jamais donner son consentement à un tel mariage, mais elle espérait que la séparation des deux amants suffirait avec le temps pour les guérir l'un et l'autre et que cet échange de lettres était sans danger. Mazarin n'en jugeait pas ainsi et, avec la plus louable fermeté, il blâmait la Reine de cet excès d'indulgence dans les termes les plus vifs, mais en y mêlant pour elle les sentiments les plus tendres. «J'ai envoyé (lui écrivait-il) par le valet de pied, qui m'a apporté votre lettre du septième[121], pour rendre à la personne que vous savez[122], celle que le _confident_ (le Roi) m'a adressée, croyant qu'elle fût encore avec moi, et je vous réponds par Héron[123], que je redépêche. Je ne vous saurais assez dire mon déplaisir voyant l'empressement du _confident_, et qu'au lieu de pratiquer les remèdes, qui pourraient modérer sa passion, il n'oublie rien de ce qui peut servir pour l'augmenter, et, si vous lui donniez raison, en ce qu'il fait, comme vous me le mandez, à l'exemple de ce que ferait la personne qui lui appartient[124], il sera bien aise d'en user toujours, comme il fait par votre approbation, et, en ce cas, on sera exposé à de très grands inconvénients et peut-être de plus grandes conséquences que vous ne croyez[125]. Pour moi, je ferai mon devoir jusqu'au bout, et si je vois que cela ne profite de rien, je sais bien ce à quoi ma fidélité et le zèle et la tendresse que j'ai pour le service et pour la réputation du _confident_ m'obligeront, avec un désespoir, qui me tourmentera tant que j'aurai de vie, d'avoir été si malheureux que quelque chose qui me touche ait pu être cause, quoique sans ma faute[126], de ternir sa gloire, que j'ai tâché de relever au plus haut point, y employant tout mon esprit et tous les moments sans relâche, et je me dispenserai de dire assez utilement, sans vanité...» Cependant le Cardinal recevait si souvent des lettres de sa nièce, adressées au Roi, pour qu'il les lui transmît, que ce rôle de sigisbée finit par le lasser et l'impatienter. Il exprima à Louis XIV tout le déplaisir qu'il ressentait à jouer un tel rôle, dans une lettre d'un ton plus vif que les précédentes[127]. De Libourne, Mazarin s'était rendu à Cadillac, où il arriva le 15 juillet et où le duc d'Épernon lui offrit l'hospitalité dans son magnifique château. Le Cardinal y séjourna deux jours, afin de donner le temps aux équipages de passer les rivières[128]. La veille, à Libourne, il avait vu Pimentel, qui allait à la rencontre de don Louis de Haro. Il lui avait fait cadeau d'un riche carrosse, de chevaux pour toute sa suite, et il l'avait fait escorter par le commandeur de Gent avec ordre de le défrayer royalement, lui et ses gens, jusqu'à la frontière[129]. Les conférences étaient sur le point de s'ouvrir. A cette heure solennelle, qui allait décider du sort des deux plus grands royaumes de l'Europe, Mazarin venait de recevoir de Brouage et de Paris les nouvelles les plus graves et les plus inquiétantes. Le Roi paraissait décidé à ne plus tenir compte de la résistance de sa mère et du Cardinal et à faire de Marie une reine de France. * * * * * Que devenait pendant ce temps la triste exilée? Elle va nous le dire elle-même en une page pleine de mélancolie: «Mon oncle, qui était allé à Bordeaux pour attendre don Louis de Haro, premier ministre d'Espagne, et où, peu de temps après, la cour arriva aussi, nous envoya à La Rochelle, avec permission de nous pouvoir promener dans tout le pays d'Aunis. Mais la solitude étant la seule chose que je cherchais alors, comme la plus propre à entretenir mes tristes pensées, je choisis le château de Brouage comme un lieu dénué de toute sorte de divertissement, et où mes sœurs s'ennuyaient fort, m'imaginant que tout le monde devait prendre part à ma douleur et que le plaisir des autres aurait été un crime pour moi. Nous étions donc dans cette forteresse si triste et si solitaire, où mon seul divertissement, si j'étais capable d'en avoir quelqu'un, se passait à lire les lettres que je recevais quelquefois du Roi, et à l'affection que me témoignait ma sœur Hortense qui ne me quittait presque jamais...» Au milieu de ses tristesses, il lui restait une espérance. Le mariage d'Espagne ne pourrait-il pas se rompre comme l'avait été celui de Savoie? Elle nous initie elle-même à cette secrète pensée qui la soutenait encore: «Il est peu de malheureux, dit-elle, qui ne trouvent de quoi soulager leur douleur par la consolation de quelque espoir; et il est vrai que cette douceur ne manquait pas tout à fait à mes chagrins, quand je considérais que la paix n'était pas encore conclue, à raison des grands obstacles qui en suspendaient l'exécution. Mon espérance allait même jusqu'à se flatter quelquefois qu'elle ne se conclurait pas et que le méchant succès de ce traité tournerait à mon avantage; mais on surmonta à la fin toutes les difficultés, et ce fut mon malheur qui demeura seul invincible[130].» Mazarin, comme nous l'avons dit, avait choisi pour gouvernante de ses nièces Mme de Venel[131]. Un mot sur cette dame. Son nom de famille était Marie de Gaillard; elle avait épousé M. de Venel, conseiller au parlement d'Aix, mais elle était alors séparée de son mari, pour incompatibilité d'humeur. N'ayant plus le souci des affaires de sa famille, elle s'était dévouée tout entière à celle du Cardinal. Rude et difficile tâche qui lui fit passer bien des jours sans repos et des nuits sans sommeil! Mme de Venel s'acquittait de ses fonctions avec tant de conscience et de vigilance, que, plus tard, le Roi, qui savait pour son compte à quoi s'en tenir, lui donna la fonction de sous-gouvernante dans la maison de ses propres enfants. Elle avait non seulement pour mission de surveiller de près Marie Mancini et ses sœurs, mais encore de correspondre sans cesse avec le Cardinal pour le tenir au courant de tous leurs faits et gestes. Mme de Venel avait su gagner la plus jeune, Marianne, petite espiègle fort alerte et fort éveillée, qui avait toujours l'oreille aux écoutes et l'œil au guet pour surprendre les secrets de sa sœur Marie. Grâce à ce rusé et dangereux petit espion, le Cardinal savait que Marie et sa sœur Hortense s'enfermaient continuellement ensemble, et que Marie passait les jours et les nuits à écrire de longues lettres qui, pour être rendues à leur adresse, ne passaient pas souvent par les mains de Mme de Venel. Hortense et Marie, pleines de défiance, écartaient le plus possible le charmant petit démon. Soins inutiles, tous leurs secrets étaient sur l'heure découverts et révélés à Mme de Venel, qui les transmettait au Cardinal. Celui-ci était si charmé et si émerveillé des talents précoces de Marianne, que, dans ses lettres à la Reine, il ne cessait de faire l'éloge de cette nièce si digne de lui[132], et de la vigilante Mme de Venel. Par quelles mains passaient les lettres de Marie adressées au Roi? C'est ce que le Cardinal ne découvrit que plus tard et ce que nous dirons en temps et lieu, mais ce qu'il savait fort bien par Mme de Venel, c'est que le Roi promettait sans cesse à Marie qu'il n'épouserait pas d'autre femme qu'elle[133]. Les nouvelles qu'il recevait de Paris par la Reine, vers le 15 juillet, n'étaient pas moins alarmantes. Elles étaient d'une telle gravité, qu'il fut sur le point d'abandonner les conférences et de se rendre à Paris en toute hâte pour conjurer les malheurs que lui annonçait la Reine. Il ne fut retenu à Saint-Jean-de-Luz que par la crainte que son départ ne fît trop d'éclat et ne rompît les négociations. Cette lettre de la Reine le jeta dans le plus grand trouble; il en perdit l'appétit, le sommeil, il en pensa devenir fou, et, dans l'état de fièvre qui le consommait, il adressa, le même jour, à cette princesse et au Roi, des dépêches émues, éloquentes, qui mettent entièrement à nu le fond de son âme[134]. Celle qui était destinée au Roi, il la lui fit porter à franc étrier par un de ses gardes, en le suppliant de lui répondre sans aucun délai[135]. Jamais sujet, jamais ministre n'a fait entendre à un souverain de telles vérités, dans un langage plus libre, plus hardi, plus courageux. Les principaux arguments de Mazarin sont d'une force invincible. Le bruit de la passion du Roi est devenu si public, que Pimentel lui-même a déclaré au Cardinal, à deux ou trois reprises, que le Roi est trop amoureux pour se marier. Il est donc à craindre que la cour de Madrid, à cette nouvelle, ne rompe brusquement les négociations et que la guerre ne se rallume plus sanglante que jamais. Si le Roi ne veut écouter que la passion qui le possède, s'il veut passer outre, épouser la nièce du Cardinal, n'y a-t-il pas à craindre aussi que le prince de Condé et les anciens frondeurs ne soulèvent contre lui les parlements, les grands, la noblesse entière et tous ses sujets, en faisant sonner bien haut que le Cardinal est le principal auteur d'une telle mésalliance? Puis Mazarin, avec une éloquence émue, fait appel à la gloire du Roi et à sa réputation pour le sauver d'un tel malheur. Il ajoute que, s'il n'est pas assez heureux pour que le Roi suive ses conseils, il ne lui reste plus, à lui Mazarin, qu'un seul parti à prendre, c'est de s'exiler de France et d'emmener avec lui sa nièce au fond de l'Italie. Voici quelques fragments de cette remarquable dépêche[136]: ... «Les lettres de Paris, de Flandre et d'autres endroits disent que vous n'êtes plus connaissable depuis mon départ, et non pas à cause de moi, mais de quelque chose qui m'appartient, que vous êtes dans des engagements qui vous empêcheront de donner la paix à toute la chrétienté et de rendre votre État et vos sujets heureux par le mariage, et que si, pour éviter un si grand préjudice, vous passez outre à le faire, la personne que vous épouserez[137] sera très malheureuse sans être coupable. «On dit... que vous êtes toujours enfermé à écrire à la personne que vous aimez, et que vous perdez plus de temps à cela que vous ne faisiez à lui parler quand elle était à la cour. «On y ajoute que j'en suis d'accord et que je m'entends en secret avec vous, vous poussant à cela pour satisfaire à mon ambition et pour empêcher la paix. «On dit que vous êtes brouillé avec la Reine, et ceux qui en écrivent en termes plus doux disent que vous évitez, autant que vous pouvez, de la voir. «Je vois d'ailleurs que la complaisance que j'ai eue pour vous, lorsque vous m'avez fait instance de pouvoir mander quelquefois de vos nouvelles à cette personne et d'en recevoir des siennes, aboutit à un commerce continuel de longues lettres, c'est-à-dire à lui écrire chaque jour et en recevoir réponse. Et quand les courriers manquent, le premier qui part est toujours chargé d'autant de lettres qu'il y a eu de jours qu'on n'a pu les envoyer, ce qui ne se peut faire qu'avec scandale, et, je puis dire, avec quelque atteinte à la réputation de la personne et à la mienne. «Ce qu'il y a de pis, c'est que j'ai reconnu, par les réponses que la même personne m'a faites, lorsque je l'ai voulu cordialement avertir de son bien, et par les avis que j'ai aussi de La Rochelle, que vous n'oubliez rien tous les jours pour l'engager de plus en plus, l'assurant que vos intentions sont de faire des choses pour elle que vous savez bien qui ne se doivent pas, et qu'aucun homme de votre état ne pourrait en être d'avis et enfin qui sont, par plusieurs raisons, entièrement impossibles. «... Dieu a établi les Rois, poursuivait le Cardinal, avec autant de fermeté que d'éloquence,... pour veiller au bien, à la sûreté et au repos de leurs sujets, et non pas pour sacrifier ce bien-là et ce repos à leurs passions particulières. Et quand il s'en est trouvé d'assez malheureux qui aient obligé par leur conduite la providence divine à les abandonner, les histoires sont pleines des révolutions et des accablements qu'ils ont attirés sur leurs personnes et sur leurs États. «C'est pourquoi, je vous le dis hardiment, il n'est plus temps d'hésiter, et, quoique vous soyez le maître, en certain sens, de faire ce que bon vous semble, néanmoins vous devez compte à Dieu de vos actions pour faire votre salut, et au monde pour le soutien de votre gloire et de votre réputation... ... Si vos sujets et votre État étaient si malheureux que vous ne prissiez pas la résolution que vous devez et de la bonne manière, rien au monde ne pourrait les empêcher de tomber en de plus grands malheurs qu'ils n'ont encore soufferts et toute la chrétienté avec eux. Et je vous puis assurer de science certaine que le prince de Condé et bien d'autres[138] sont alertes pour voir tout ce qui arrivera de ceci, espérant, si les choses se passent selon leur souhait, de bien profiter du prétexte plausible que vous leur pourrez donner, pour lequel le prince de Condé ne douterait pas d'avoir favorables tous les parlements, les grands et la noblesse du royaume, voire tous vos sujets généralement, et l'on ne manquerait pas encore de faire sonner bien haut que j'aurais été le conseiller et le solliciteur de toute la conduite que vous auriez tenue...» Mazarin ajoute que la passion du Roi est si publique, que Pimentel lui a déclaré, deux ou trois fois, que le prince était trop amoureux pour vouloir se marier de sitôt, et qu'il est fort à craindre que l'on ne prenne à la cour de Madrid des résolutions que celle de France ne manquerait pas de prendre en un cas pareil. «C'est pourquoi, dit en poursuivant le Cardinal, je vous supplie de considérer quelle bénédiction vous pourriez attendre de Dieu et des hommes si, pour cela, nous devions recommencer la plus sanglante guerre qu'on ait jamais vue...» Enfin Mazarin va jusqu'à menacer le Roi, s'il ne rompt sur-le-champ avec sa nièce Marie, de prendre un parti extrême. «Je conclus tout ce discours en vous disant que, si je vois, par la réponse que je vous conjure de me faire en toute diligence, qu'il n'y ait pas lieu d'espérer que vous vous mettiez de bonne façon et sans réserve dans le chemin qu'il faut pour votre bien, pour votre honneur et pour la conservation de votre royaume, je n'ai autre parti à prendre, pour vous donner cette dernière marque de ma fidélité et de mon zèle pour votre service, qu'à me sacrifier, et, après vous avoir remis tous les bienfaits dont il a plu au feu Roi, à vous et à la Reine de me combler, me mettre dans un vaisseau avec ma famille pour m'en aller en un coin d'Italie passer le reste de mes jours et prier Dieu que ce remède, que j'aurai appliqué à votre mal, produise la guérison que je souhaite plus que toutes choses du monde...» Gardons-nous de croire à ce noble mépris des richesses, à ce désintéressement antique, de la part de l'homme le plus avide, le plus rapace qui fut jamais. Croyons encore moins à ce projet d'abdication volontaire du pouvoir, à cette menace de retraite au fond de l'Italie qui ne pouvait s'offrir à l'esprit de Mazarin que comme un moyen oratoire d'un grand effet sur l'âme candide et sur les sentiments généreux d'un jeune prince tel que Louis XIV. Anne d'Autriche, de son côté, fort alarmée des graves complications que pouvait faire naître la passion du Roi, et craignant qu'il ne se laissât entraîner à épouser la nièce du Cardinal, demanda conseil au vieux comte de Brienne, secrétaire d'État des affaires étrangères. Brienne lui dit qu'ayant été longtemps Régente, il ne pensait pas que le Roi, avant l'âge de vingt-cinq ans, pût se marier sans son consentement, mais «qu'en tout cas il lui conseillait de faire une protestation en bonne forme, et que ce serait une bonne pièce pour faire casser le mariage, quand le Roi serait revenu de son aveuglement. La protestation fut dressée, toute prête à être signifiée si les choses fussent allées plus loin...» L'abbé de Choisy, à qui nous empruntons ces détails, les tenait de la comtesse de Soissons elle-même. Il ajoute que le Roi, «emporté par une première passion», eût peut-être épousé la nièce de Mazarin, si celui-ci «ne l'eût menacé de quitter tout et d'abandonner le soin des affaires»; mais que «d'abord il fit peu de cas de ses menaces, qu'il ne croyait pas sincères», qu'il «manda au Cardinal qu'il fît tout ce qu'il voudrait et que, s'il abandonnait les affaires, assez d'autres s'en chargeraient volontiers». Choisy, comme nous le verrons bientôt, était parfaitement instruit de ce qui se passa. «J'ai ouï conter plusieurs fois à la comtesse de Soissons, nous dit-il à ce propos, que l'alarme fut grande parmi les nièces du Cardinal. Elles voyaient sa chute prochaine et se défiaient de l'amour du Roi, qui, venant à leur manquer tout à coup, les faisait retomber dans la misère. Il leur paraissait fort amoureux, mais cela ne les mettait pas en repos[139].» Une forte attaque de goutte était venue fort à propos servir de prétexte à Mazarin pour retarder sa première entrevue avec don Louis de Haro et pour lui donner le temps de recevoir la réponse du Roi à sa lettre de Cadillac, réponse qu'il attendait avec la plus fiévreuse impatience[140]. Il s'était rapproché du lieu des conférences et se trouvait à Bidache d'où il écrivait au Roi[141]: «De conférer avec don Louis et d'être assuré que je le tromperais en ce que je lui déclarerais de vos intentions sur le désir que vous avez de voir achever le mariage projeté, je ne m'y puis résoudre. Et d'ailleurs je sais que, dans l'état où vous êtes, et duquel il ne me paraît pas jusqu'à présent que vous ayez envie de sortir, quand la personne que vous devez épouser serait un ange, [elle] ne vous agréerait pas. Voilà tout ce que j'ai à vous dire, priant Dieu de vous inspirer et de vous assister afin que vous preniez généreusement les résolutions que vous devez par toutes les raisons divines et humaines...» CHAPITRE V Projet du Roi d'aller visiter Marie à Brouage.—Inquiétudes de Mazarin.—Moyen terme qu'il propose pour éviter le scandale de la visite du Roi.—Lettre inédite du Cardinal à Mme de Venel.—Marie Mancini adonnée à l'astrologie.—Son horoscope par son oncle.—Entrevue des deux amants à Saint-Jean-d'Angély.—Portrait moral de Marie Mancini par Mazarin.—Admirable lettre du Cardinal au Roi. Le Cardinal venait d'apprendre une nouvelle qui mit le comble à ses anxiétés. Le Roi, entraîné par sa passion, se proposait d'aller à Brouage pour voir Marie Mancini. Quel scandale dans toute l'Europe et à la veille du mariage projeté avec l'Infante! Une rupture avec l'Espagne n'était-elle pas à craindre? «L'on me mande, écrivait Mazarin à la Reine, que le _confident_ y ferait un voyage. Si cela arrive, j'en serai au désespoir... Je vous conjure d'empêcher cela, ne sachant pas seulement comme on y peut songer, puisqu'il faudrait se détourner de quarante-cinq grandes lieues à aller et revenir. Enfin, je vous déclare que je ne puis être à l'épreuve de cela[142]...» Le Roi répondit enfin à la grande et belle dépêche datée de Cadillac, mais, tout en promettant au Cardinal de suivre ses conseils, il éludait de se rendre au plus essentiel, c'est-à-dire de rompre avec Marie Mancini. La Reine, par tendresse et par faiblesse, lui permettait toujours de correspondre avec l'exilée, et lui s'appuyait sur cette autorisation de sa mère pour résister à toutes les supplications de Mazarin. Le Cardinal, sans se décourager, revint à l'assaut et menaça de nouveau le Roi d'emmener sa nièce en Italie, s'il ne cessait de correspondre avec elle. «A Madrid même, l'affaire a éclaté, lui disait-il, car on n'a pas manqué de l'écrire de Flandres et de Paris, avec intention de brouiller et, rompant le projet d'alliance qui est sur le tapis, empêcher aussi l'exécution de la paix.» Il lui reprochait enfin de donner communication de toutes ses lettres à Marie. «Je me dois encore plaindre de ce que vous prenez grand soin de mander ponctuellement à La Rochelle ce que je vous écris. Jugez, je vous supplie, si cela est bon, s'il est obligeant pour moi, s'il est avantageux à votre bien et s'il peut faire bon effet et contribuer à la guérison de la personne à qui vous écrivez[143].» Le même jour, Mazarin gourmandait encore la Reine de sa faiblesse à tolérer la correspondance entre les deux amants. Il lui parlait en même temps du projet de visite du Roi à Brouage, et il lui conseillait, afin d'éviter une démonstration aussi éclatante, et dont les suites pouvaient être si dangereuses, d'ordonner à ses nièces de venir à la rencontre de la cour sur son passage. «Je vois bien, lui disait-il, par vos lettres et par celles du _confident_, que la tendresse que vous avez pour lui ne vous a pas permis de tenir bon et que vous vous êtes laissé gagner. Mais, assurément, il lui en arrivera du préjudice... Pour moi, je ne change pas d'avis... J'espère, ajoutait-il, en parlant de ses nièces, que le _confident_ aura la bonté de m'accorder la grâce de ne les aller pas voir, car, assurément, cela serait mal reçu et le scandale serait public. Mais, si j'étais assez malheureux de ne pouvoir pas obtenir une si juste demande, et que vos offices ne pussent profiter de rien contre la force de sa passion, je vous conjure de faire plutôt venir mes nièces avec Mme de Venel à Angoulême, lui faisant écrire une lettre par laquelle vous lui ordonnerez de les amener audit lieu, car vous les voulez voir en passant. Et, en effet, après qu'elles y auront demeuré une nuit, vous ferez en sorte qu'elles s'en retournent. Je vous supplie même, en ce cas, d'y envoyer un gentilhomme qui porte votre lettre à Mme de Venel et de les accompagner. Mais, au nom de Dieu, faites tout votre possible pour éviter ce coup, qui, de quelque manière qu'il arrive, ne peut faire qu'un très méchant effet[144]...» La correspondance du Cardinal avec Mme de Venel, pour être informé de tout ce qui de passait à Brouage, n'était pas moins active. Voici une lettre inédite qu'il adressait à cette époque à cette respectable duègne, et qui nous révèle un fait assez intéressant: c'est que Marie Mancini avait fait venir auprès d'elle un astrologue arabe, afin sans doute qu'il lui apprit si elle devait être reine de France. Le Cardinal, fort en colère, ordonna que le nécromancien fût expulsé et, en même temps, il tira l'horoscope de sa nièce, afin que Mme de Venel le mît sous ses yeux. «J'ai reçu toutes vos lettres que le sieur Colbert du Teron m'a envoyées, écrivait-il à cette dame[145]; mais l'incommodité de la goutte, qui m'a attaqué depuis douze jours avec de furieuses douleurs, m'a empêché de vous faire plus tôt réponse. Je suis bien aise de voir que mes nièces se portent bien; mais je voudrais bien que vous prissiez la peine de me mander plus en détail la conduite qu'elles tiennent. Marianne m'écrit, se plaignant qu'Hortense la traite mal et, qu'étant toujours enfermée avec sa sœur, elle l'empêche d'entrer dans leur chambre et d'être avec elles. Je vous prie me mander ce qui en est. «Il y a plusieurs lettres de La Rochelle qui portent que ma nièce passe la moitié du jour avec un Arabe qui se mêle de faire des horoscopes et qui même lui enseigne, et à Hortense, l'astrologie. Je ne sais pas si c'est la vérité, mais il faut qu'il en soit quelque chose, et vous ne sauriez vous imaginer le tort que cela fait à ma nièce, et les discours qu'on fait là-dessus. Il faut rompre absolument ce commerce, et, si elle y fait difficulté, vous direz de ma part audit sieur de Teron de chasser ledit Arabe. «Si ma nièce souhaite fort de savoir ses aventures, son véritable horoscope, je [le] lui dirai en un mot: c'est que, si elle ne me croit, et ne se conduit comme je veux, elle sera la plus malheureuse créature du monde, et, si elle fait ce qu'elle doit et défère à mes conseils, elle n'aura pas sujet d'envier le bonheur de qui que ce soit; je vous prie de [le] lui dire de ma part. Je me souviendrai de votre frère et j'écrivai au Sr Colbert ce qu'il faudra, et vous devez être assurée que vous recevrez toujours des marques de l'affection du Cardinal.» Cependant le Roi était de plus en plus ferme dans sa résolution de voir sur son passage Marie Mancini et, pour que le Cardinal n'y mît aucun obstacle, il lui promit, dans les plus beaux termes du monde, de déférer à tous ses conseils. Mazarin, voyant qu'il n'y avait plus à lutter contre le torrent, se résigna à l'entrevue, non sans donner au jeune Roi tous les conseils que lui inspiraient la sagesse et la prudence. «... Il est vrai, lui écrivait-il, que l'on tomba d'accord à Paris que vous feriez une visite en venant à Bordeaux, pourvu que l'on passât près de La Rochelle[146]. Mais je n'avais pas cru que les choses se pussent échauffer de la sorte [qu'elles ont été] après la séparation, et que cela dût obliger tout le monde à s'entretenir de cette correspondance en termes peu favorables pour vous... D'ailleurs, je sais que l'intention de la personne est d'engager [votre affection] plus que jamais, et qu'ainsi la bonne disposition dans laquelle vous êtes à présent pourrait être renversée, puisque vous êtes homme comme les autres. J'avais cru aussi que vous prendriez la même route que j'ai prise, étant la plus commode; en ce cas, vous seriez passé à vingt-deux lieues de La Rochelle, mais, enfin, ayant mandé à la _confidente_ le tempérament qu'on pouvait prendre pour vous donner ce contentement avec bienséance, je me remets à ce qu'elle [vous] en dira, et je demeure le plus véritable et le plus passionné de tous vos serviteurs[147].» A la veille de l'entrevue du Roi avec sa nièce, le Cardinal le suppliait de plus en plus de rompre avec elle et de n'avoir plus d'autre pensée que son mariage avec l'Infante[148]. Il était fort irrité contre Marie, qui continuait follement à lui tenir tête et à se soustraire à ses conseils. Le 14 août, il adressait cette dépêche inédite[149] à Mme de Venel pour qu'elle fût mise sous les yeux de celle qui osait braver ainsi sa toute-puissance: «J'ai reçu, lui disait-il, toutes vos lettres et il m'a été impossible d'y faire réponse et de vous dire mes sentiments bien particulièrement comme j'aurais voulu, à cause de mes grandes occupations. A présent même je ne vous dirai autre chose [sinon] que je vois bien, par la manière dont ma nièce en use avec moi, [qu']il paraît assez qu'elle ne m'aime pas; et, comme je vois qu'elle a grande peine à m'écrire deux mots, je vous prie de lui dire que je l'en dispense à l'avenir. Elle a un fort petit esprit, nulle conduite, et, pour son plus grand malheur, elle croit être fort habile. Elle est bien aise de voir ce qui en est, ne faisant nul cas de mes conseils et méprisant les moyens d'acquérir mon amitié, de laquelle, quelque chose qu'elle puisse penser, dépend tout son bonheur. Elle reconnaîtra cette vérité quand il ne sera plus temps, et se repentira toute sa vie de n'avoir profité des bontés que j'ai eu pour elle et des diligences que j'ai faites pour la rendre heureuse. Je crois que la Reine vous aura écrit d'amener mes nièces à Saint-Jean-d'Angely pour voir Sa Majesté dans son passage par ce lieu-là[150].» La Reine, en effet, avait donné cet ordre à Mme de Venel et cette dame s'était empressée d'obéir. Mais, pleine d'inquiétude sur les dangers d'une telle visite, que faisaient suffisamment prévoir les incessantes correspondances entre les deux amants[151], elle avait cru de son devoir de prévenir sur-le-champ le Cardinal et celui-ci s'était empressé de la rassurer[152]. L'entrevue des deux amants eut lieu le 10 août à Saint-Jean-d'Angely[153]. Ils se virent en particulier, et, pour me rien perdre du tête-à-tête, Marie Mancini refusa d'aller souper chez sa sœur, la comtesse de Soissons, avec sa cousine, la princesse de Conti, qui l'avaient invitée l'une et l'autre. Elle ne leur fit pas même de visite. Que de doux propos, que de serments de s'aimer toujours furent échangés entre les deux exilés, après six semaines d'absence[154]! Cette entrevue, loin de calmer leur passion, ne fit que l'irriter et l'enflammer de plus en plus. A peine furent-ils séparés, que leur correspondance devint plus active et plus brûlante que jamais. Mme de Venel (quelle duègne peut être inaccessible aux séductions d'un grand prince!) Mme de Venel s'étant montrée beaucoup trop sobre de détails sur l'entrevue, dans une lettre adressée au Cardinal, celui-ci la pria de l'informer plus amplement, dans quelle situation d'esprit se trouvait sa nièce: «Je serais ravi, lui dit-il, de savoir ce que Marie pense et si, avec toutes les flatteries que lui font les faiseurs d'horoscope, elle ne sait pas qu'elle a pris le chemin d'être la plus malheureuse [personne] de son siècle. Elle verra, sans y pouvoir remédier, que je ne me suis pas trompé dans mon calcul, et que toutes les folies qu'elle s'est mises dans l'esprit n'aboutiront qu'à la rendre misérable.» Le Roi, aussitôt après sa visite à Marie Mancini, s'était empressé d'écrire à l'oncle pour plaider la cause de la nièce, pour assurer Mazarin qu'elle avait pour lui de tout autres sentiments que ceux qu'il lui supposait, et pour le rendre plus indulgent et moins grondeur. Mais le Cardinal, qui savait à quoi s'en tenir et qui voulait couper court à la passion du Roi, de plus en plus ardente et menaçante, lui fit un portrait de sa nièce bien propre à le désenchanter s'il en eût été moins épris. «J'ai, lui disait-il, toute la soumission que je dois pour [tout] ce qui vient de vous, et je vous crois incapable de dire rien qui ne soit la vérité même; mais j'ai grand sujet d'appréhender que votre bonté ne vous ait engagé à m'écrire des choses de la _personne_ que vous savez, qui soient en effet bien différentes: car je sais, à n'en pouvoir [pas] douter, qu'elle ne m'aime pas, qu'elle méprise mes conseils, qu'elle croit avoir plus d'esprit et d'habileté que tous les hommes du monde ensemble, qu'elle est persuadée que je n'ai nulle amitié pour elle, et cela parce que je ne puis adhérer à ses extravagances. Enfin, je vous dirai sans déguisement ni exagération qu'elle a l'esprit mal tourné, et qu'elle n'a jamais tant cru certaines folies comme elle fait à présent, et qu'elle y est plus engagée depuis que vous lui avez fait l'honneur de la voir, quoique je sois très assuré que vous ne pouvez lui en avoir donné sujet après les paroles qu'il vous a plu me donner là-dessus. Croyez-moi, vous devriez entièrement mettre fin à ce commerce qui rendra assurément cette _personne_ la plus malheureuse créature qui soit au monde, et qui vous donnera en votre particulier de l'inquiétude, quelque pouvoir que vous ayez sur [votre] esprit et quelques résolutions que vous preniez. «Vous êtes sur le point de vous marier avec la plus grande princesse qui soit au monde, et qui est fort bien faite de corps et d'esprit, ce que je crois vous pouvoir dire avec plus de certitude, à présent qu'on en entend parler à tous ceux qui l'ont vue, en cette conformité: et il arrivera que vous ne ferez pas la chose avec le plaisir et la satisfaction que vos serviteurs souhaiteraient, parce que vous avez [d'autres] passions qui se sont rendues maîtresses de votre esprit. Voilà tout ce que j'ai à vous dire; comme le plus sincère et [cordial] de tous vos serviteurs, et qui donnerait mille fois sa vie pour votre gloire, et pour vous voir en possession d'un contentement solide, comme serait celui de vous voir marier avec satisfaction, et d'être toujours heureux dans votre mariage[155].» Les prétentions exorbitantes du prince de Condé avaient principalement jusqu'alors retardé la signature de la paix et des articles du mariage. Mais on avait fini par s'entendre, et don Louis de Haro pressait le Cardinal de signer le traité et le contrat. La saison étant trop avancée pour que le roi d'Espagne, dont la santé était fort chancelante, pût se mettre en route, don Louis proposa au Cardinal de remettre au mois de mars le voyage de Philippe IV et de l'Infante. Mazarin accueillit avec d'autant plus d'empressement cette demande, qu'il espérait que ce délai donnerait au Roi le temps de se guérir de sa passion. Après avoir donné ces nouvelles à la Reine, Mazarin lui annonçait qu'il écrivait au Roi «une petite lettre de seize à dix-huit pages»: «Je m'assure, lui disait-il[156], qu'elle ne lui plaira pas; mais je ne pouvais pas m'en dispenser sans le trahir et blesser ma conscience et mon honneur; car, enfin, je vous proteste, comme si j'étais devant Dieu, que j'aime mieux mille fois me retirer avec ma famille, ainsi que je lui écrivis de Cadillac, et de contribuer avec le sacrifice de ma personne et des miens à sa guérison, que de demeurer auprès de lui pour le voir malheureux... outre que j'ai honte de dire à don Louis, à l'égard du mariage, plusieurs choses contre la vérité, qui ne serviraient qu'à tromper une princesse qui mérite sans contredit l'affection du _confident_. Je ne vous saurais assez dire à quel point cela me tient chagrin et inquiet, n'ayant pas une heure de repos, et recevant matière de désespoir du lieu d'où je devrais attendre des sujets de consolation et soulagement...» La signature du traité et des articles du mariage était imminente. Il fallait que le Cardinal prît un parti décisif, qu'il frappât un dernier coup pour vaincre la passion du Roi. Le triomphe de sa nièce eût été le signal de sa disgrâce; c'était une rivale irritée, implacable, qu'il devait abattre à tout prix. Par le mariage du Roi avec l'Infante, il se maintenait au pouvoir; par le traité de paix avec l'Espagne, il gagnait les sympathies de l'Europe et il jetait les fondements de sa propre gloire devant la postérité. Il n'hésita pas, il prit la plume et écrivit au jeune prince une lettre admirable, la plus forte, la plus courageuse, la plus éloquente de toutes les lettres qu'il lui ait jamais adressées au sujet de sa nièce. Le portrait que trace de Marie le Cardinal, bien que dicté par la passion, n'en est pas moins vrai au fond, et se trouve parfaitement justifié par tout ce que l'on sait de la fin de sa vie. Si elle fût montée sur le trône, ses défauts l'eussent visiblement emporté sur le côté brillant de son esprit, et l'empire qu'elle aurait exercé sur le Roi eût été sans aucun doute un grand malheur pour la France. Sans la passion que vous avez pour elle, dit Mazarin à Louis XIV, «vous tomberiez d'accord avec moi que cette personne n'a nulle amitié pour moi, qu'elle a au contraire beaucoup d'aversion parce que je ne flatte pas ses folies; qu'elle a une ambition démesurée, un esprit de travers et emporté, un mépris pour tout le monde, nulle retenue en sa conduite et prête à faire toute sorte d'extravagances; qu'elle est plus folle qu'elle n'a jamais été depuis qu'elle a eu l'honneur de vous voir à Saint-Jean-d'Angély, et que, au lieu de recevoir de vos lettres deux fois la semaine, elle les reçoit à présent tous les jours; vous verrez enfin comme moi qu'elle a mille défauts et pas une qualité qui la rende digne de l'honneur de votre bienveillance. «Vous témoignez... de croire que l'opinion que j'ai d'elle procède des mauvais offices qu'on lui rend. Est-il possible que vous soyez persuadé que je sois si pénétrant et si habile dans les grandes affaires, et que je ne voie goutte dans celles de ma famille, et que je puisse douter des intentions de cette personne à mon égard, voyant qu'elle n'oublie rien pour faire en toutes choses le contraire de ce que je veux, qu'elle met en ridicule les conseils que je lui donne pour sa conduite, qu'elle fait vanité de ce qui, à la vue de tout le monde, préjudicie à son honneur et au mien?... «Elle se tient plus assurée qu'elle n'a jamais été de pouvoir disposer entièrement de votre affection après les nouvelles promesses que vous lui avez faites à Saint-Jean-d'Angely, et je sais que, si vous êtes obligé à vous marier, elle prétend de rendre pour toute sa vie malheureuse la princesse qui vous épousera, ce qui ne pourra arriver sans que vous ne le soyez aussi, et sans vous exposer à mille inconvénients qui en arriveront... «... Vous avez recommencé, depuis la dernière visite, que j'avais toujours cru qui serait fatale et que, par cette raison, j'avais tâché d'empêcher, à lui écrire tous les jours, non pas des lettres, mais des volumes entiers, lui donnant part des moindres choses qui se passent et ayant en elle la dernière confiance à l'exclusion de tout le monde. Ainsi tout votre temps est employé à lire ses lettres et à faire les vôtres. Et, ce qui est incompréhensible, vous en usez de la sorte et vous pratiquez tous les expédients imaginables pour échauffer votre passion, lorsque vous êtes à la veille de vous marier...» Et ici se présente une question que le Cardinal n'a garde d'éluder, et qu'il aborde avec une éloquence pleine d'indignation. Que fera sa nièce si le Roi épouse l'Infante? deviendra-t-elle sa maîtresse? «Quel personnage prétend-elle de faire après que vous serez marié? A-t-elle oublié son devoir à ce point de croire que, quand je serais assez malhonnête homme, ou pour mieux dire infâme, pour le trouver bon, elle pourra faire un métier qui la déshonore? Peut-être qu'elle imagine d'en pouvoir user ainsi, sans appréhender que personne en murmure, ayant gagné le cœur à tout le monde...» Pour éviter un tel malheur, un tel opprobre pour sa nièce, comme pour lui-même, le Cardinal n'a plus qu'un seul parti à prendre: c'est d'entraîner sa nièce avec lui au fond de l'Italie. «Car enfin, dit-il au Roi avec une noble fermeté, il n'y a puissance qui me puisse ôter la libre disposition que Dieu et les lois me donnent sur ma famille. Et vous serez un jour, ajoute-t-il, le premier à me donner des éloges du service que je vous aurai rendu, qui sera assurément le plus grand, puisque, par ma résolution, je vous aurai rendu le repos et mis en état d'être heureux et le plus glorieux et accompli roi de la terre. Outre que mon honneur... m'oblige à ne différer davantage à faire ce qu'il faut pour sa conservation...» Il est une autre question sur laquelle insiste le Cardinal et qu'il discute avec non moins d'éloquence et de force. C'est celle du préjudice et du déshonneur qui résulteraient pour le Roi d'une mésalliance. Et ici Mazarin, pour donner le change à Louis XIV et à la postérité sur l'ambition secrète qu'il avait nourrie autrefois en faveur d'un tel mariage, s'élève aux considérations les plus hautes, en même temps qu'il fait gloire d'avoir su résister avec le plus noble désintéressement aux instances du Roi: «Pourrais-je vous cacher, étant auprès de vous, poursuit-il, ce que vous avez pris la peine de dire en plusieurs rencontres, à l'occasion du mariage de Richelieu[157], qu'il n'y avait rien de si étrange et qui méritât plus de reproches que de se mésallier, et laisser de vous représenter, avec le respect que je vous dois, que les pensées que vous avez eues et que la personne[158] prétend qui ne sont pas effacées dans votre esprit, sont bien contraires à celles que vous témoigniez à l'égard de Richelieu, et que vous-même, par la décision que vous avez donnée sur son sujet, vous vous seriez jugé vous-même. Et il ne faut pas alléguer, comme vous avez eu la bonté de faire plusieurs fois sur cette matière, même en présence de la Reine, que la pensée d'épouser ladite personne avait pour principal motif de faire une action, à la vue de tout le monde, qui témoignât que ne pouvant récompenser assez mes services, vous l'aviez voulu faire par ce moyen; car il n'y eût eu qui que ce soit qui n'eût donné une semblable résolution à un excès d'amour et non pas à mes services. Mais quand il serait vrai que ce seul motif vous y eût plus porté que la passion, était-il juste que je m'oubliasse au point d'y consentir, et que, charmé d'une proposition si éclatante et si avantageuse pour moi, je pusse, pour mon intérêt particulier et pour relever ma réputation, y donner les mains aux dépens de la vôtre. En vérité, mon ambition ne va pas à exécuter seulement la moindre chose en ma vie qui ne soit glorieuse pour vous, et je le dois d'autant plus que, outre mon devoir, vos grandes bontés m'y obligent...» Enfin, dit le Cardinal en terminant sa lettre, «je me trouve fort embarrassé... de donner la dernière main à ce qui regarde votre mariage; car il me semble que je promets ce qui n'est pas, et que je contribue à l'établissement d'une chose qui rendra malheureuse une innocente qui mérite votre affection... «Il est temps de vous résoudre et déclarer votre volonté sans aucun déguisement; car il vaut mille fois mieux de tout rompre et continuer la guerre sans se mettre en peine des misères de la chrétienté et des préjudices que cet État et vos sujets en recevront, que d'effectuer ce mariage s'il n'a à produire que votre malheur et ensuite nécessairement celui de ce royaume...» Nous ne donnons que quelques fragments de cette lettre; il faut la lire en entier[159] pour se rendre compte de la hauteur des vues, de la force des considérations, de l'éloquence et de la chaleur qui l'animent depuis le commencement jusqu'à la fin. Si par les témoignages de Mme de Motteville, du comte de Brienne, secrétaire d'État des affaires étrangères, et de Mme de La Fayette, on ne savait à quoi s'en tenir sur les premiers et ambitieux projets du Cardinal, sur sa tentative par voie d'insinuation auprès d'Anne d'Autriche afin de marier Louis XIV avec sa nièce, cette lettre serait assurément le plus noble exemple d'indépendance et de désintéressement que jamais ministre ait pu donner à son souverain. CHAPITRE VI Anxiétés de Mazarin.—L'exilée de Brouage.—Sèche réponse du Roi à la lettre du Cardinal.—Accablement de Mazarin.—Ses lettres pleines d'humilité au Roi.—Héroïque désistement de Marie Mancini.—Joie du Cardinal.—Ses lettres inédites à Mme de Venel et à Marie Mancini. Jamais le Cardinal ne s'était trouvé dans une situation plus difficile et plus embarrassante. «Cette affaire, écrivait-il plus tard à Colbert[160], est peut-être la plus délicate que j'aie eue de ma vie, et qui m'a donné le plus d'inquiétude.» Il passa les trois ou quatre jours qui s'écoulèrent avant qu'il reçût la réponse du Roi dans une mortelle anxiété. De quelle manière le Roi recevrait-il ses conseils? Quelle résolution prendrait-il? Mazarin attendait son arrêt de vie ou de mort dans le trouble qui agite le cœur des ambitieux à la veille de la chute ou du triomphe. Mais il avait l'art de dissimuler ses craintes et il persévérait dans ses hardiesses de langage: «... Je prétends nous avoir rendu un très important (service) depuis vingt-quatre heures[161], écrivait-il au Roi, le lendemain du jour où il lui avait adressé la mémorable dépêche[162], vous ayant écrit avec la liberté et la franchise que doit un fidèle serviteur qui s'intéresse plus [en] votre gloire et à votre bonheur que [nul] autre[163]. J'attends réponse avec grande impatience, parce que je dois par là régler ma conduite, et prendre les résolutions que j'estimerai pouvoir le plus contribuer à vous délivrer de la passion qui présentement vous possède. Je n'ajouterai autre chose à ce que je vous ai déjà écrit, si ce n'est que si vous pouviez voir ce qu'on écrit de la cour aux personnes qui sont ici, et ce que disent ceux qui en viennent, vous [connaîtriez[164]] que, nonobstant la dissimulation avec laquelle vous vous appliquez à présent à vous conduire, il n'y a personne qui ne lise ce que vous avez dans le cœur, et qui ne soit persuadé que vous souffrez beaucoup dans l'effort que vous faites sur vous-même pour faire bonne mine, et que vous avez plus d'aversion que jamais pour le mariage qui est projeté, à cause que la passion pour la personne est augmentée au dernier point...» Il ne se passait pas de jour que le Cardinal, de plus en plus inquiet, ne pressât instamment le Roi de lui répondre. «J'attends avec impatience, lui disait-il, l'honneur de votre réponse à la lettre que que je vous écrivis, il y a deux jours, puisque de là dépend mon repos et ma joie, ou mon dernier malheur[165]...» Don Louis de Haro avait ou feignait d'avoir l'illusion que Louis XIV était amoureux de l'Infante, et le Cardinal en avertissait le Roi pour lui dire à quel point une telle opinion, si éloignée de la vérité, le mettait sur les épines. «Don Louis s'applique avec passion pour abréger le temps de votre mariage, croyant que vous et l'Infante [avez eu], dès votre bas âge, la plus tendre et la plus grande inclination l'un pour l'autre et que [celle-ci[166]] s'étant présentement convertie en amour, vous souffrez impatiemment les moments qui retardent ce que vous souhaitez. Je vous avoue que don Louis m'a fait pitié, voyant à quel point il se trompe, et le soin qu'il prend de me persuader qu'il vous sert comme il doit pour faire venir promptement l'Infante. S'il savait ce que je sais, il serait bien étonné; mais peut-être qu'il plaira à Dieu de vous donner les sentiments qui vous sont nécessaires pour être heureux...» Marie Mancini, depuis son entrevue avec le Roi, avait, d'après ses conseils, changé tout à fait de conduite à l'égard de son oncle, en apparence du moins. Elle lui écrivait lettre sur lettre afin d'essayer de rentrer dans ses bonnes grâces, mais le Cardinal, qui savait à quoi s'en tenir sur ses sentiments véritables, et qui n'entendait plus garder de ménagements, adressait à Mme de Venel cette dépêche, en grande partie inédite, dans laquelle il laissait éclater toute sa mauvaise humeur: «J'ai reçu toutes vos lettres, dont la dernière est du 27e de ce mois, avec celles de mes nièces; mais il m'a été impossible de vous faire réponse, n'ayant pas un moment à moi dans les grandes occupations qui m'accablent de tous côtés[167]. Je ne sais quelle démangeaison a prise ma nièce (Marie) de m'écrire si souvent comme elle le fait. Je vous prie de lui dire que je ne prétends pas qu'elle prenne plus cette peine; que je sais fort bien ce qu'elle a dans le cœur et dans l'esprit, et l'état que je dois faire de l'amitié qu'elle a pour moi. «J'ai vu par sa dernière lettre qu'elle prend grand soin de se justifier sur ce qui lui est arrivé avec la comtesse de Soissons. Elle pouvait bien s'épargner la peine de m'écrire là-dessus, car je me soucie fort peu de ces démêlés-là, lorsqu'il y a d'autres choses qui m'affligent au dernier point, et je me vois si malheureux que, devant attendre du soulagement de ma famille, dans l'accablement d'affaires où je suis, je n'en reçois que des sujets de déplaisir et particulièrement de ma nièce Marie. «Je vous avoue que je ne puis pas m'imaginer à quoi elle songe quand le Roi est à la veille de se marier, et je ne vois pas, après cela, quel personnage elle prétendra de jouer. Je sais bien que je ne manquerai pas de faire ce à quoi son honneur et le mien m'obligeront[168].» Aux sujets de ressentiment et de crainte que la nièce inspirait à l'oncle, s'étaient joints de nouveaux griefs. Marie, captive à Brouage, avait jugé indispensable d'avoir à ses ordres des hommes de main et d'exécution, soit pour la délivrer, soit pour porter secrètement ses messages. D'abord, elle avait facilité l'évasion de son frère de la citadelle de Brisac où il avait été enfermé par ordre du Cardinal[169], à la suite d'une partie de débauche qui avait fait grand scandale. Quel messager plus sûr et plus fidèle qu'un Mancini entre le Roi et la prisonnière? Puis Marie avait corrompu un homme que son oncle avait attaché à sa personne pour la surveiller. C'était le sieur Colbert du Teron[170], cousin du ministre. Du Teron, témoin de la passion des deux amants, et voyant déjà Marie assise sur le trône de France, se dévoua à elle corps et âme, et, trompant la vigilance de Mme de Venel, il lui faisait passer secrètement toutes les lettres du Roi, et se chargeait aussi de faire parvenir toutes ses réponses[171]. Cependant la réponse du Roi ne se fit pas longtemps attendre, car elle parvint au Cardinal le 1er septembre. Malheureusement, nous n'avons pu la retrouver dans les papiers d'État de cette époque, et il y a tout lieu de croire que le Cardinal ne jugea pas à propos de la garder avec celles dont il pouvait se faire un trophée. Elle était brève, fière et sèche. Louis XIV avait dû être particulièrement blessé du reproche de dissimulation que lui avait adressé Mazarin[172]. Le ministre effrayé et consterné baissa le ton. Il demanda très humblement pardon au Roi des termes peu mesurés de ses précédentes dépêches, et il eut soin d'adoucir singulièrement désormais l'expression de ses remontrances. Ce qu'il craignait avant tout, c'était la disgrâce, et, bien qu'il eût souvent menacé de quitter le pouvoir, il n'est sorte de moyens qu'il ne fût prêt à mettre en œuvre pour s'y maintenir. Pendant la Fronde, lorsqu'il s'était réfugié à Cologne, il avait fait montre du plus grand stoïcisme et du plus grand mépris pour les affaires, jurant qu'il n'avait soif que du repos et de la vie privée, et l'on sait comment il tint parole[173]. Il ne faut donc pas trop croire à son désintéressement lorsqu'il adressait au Roi la lettre suivante[174]: «A l'instant que je reçois votre lettre, je prends la plume pour me donner l'honneur de vous dire que, bien que la réponse soit assez succincte, je reconnais assez vos intentions, et l'assiette de votre esprit à mon égard. Votre bonté ne vous [a jamais permis ni de me parler, ni de m'écrire jusqu'à présent] comme vous faites en ce rencontre: je n'en suis pas pourtant surpris, car, depuis Lyon, [j'avais toujours douté][175] que, si je n'étais pas sacrifié à la personne dont il est question, je le serais à une autre. Si vous aviez voulu prendre la peine de bien examiner ma lettre, vous y auriez trouvé beau champ pour me témoigner de la gratitude de ce que je vous mandais par une pure et indispensable [amitié[176]] de votre service, gloire et honneur. [J'aurais ce bonheur que vous] ne me traiteriez pas en extravagant, en me disant que j'ai mauvaise opinion de vous, et que je vous [crois[177]] menteur. Je ne mériterais pas de vivre, si j'avais de semblables pensées de mon maître; mais je dis la vérité, sans manquer au respect que je vous dois, lorsque je soutiens que la passion que vous avez pour la personne que vous aimez, vous empêche de voir ses défauts, et que je sais qu'elle n'a aucune amitié pour moi, nonobstant ce que vous avez pris la peine de me mander au contraire; car, sans vous faire tort, je crois de la connaître mieux que vous, et j'ai vu mieux que qui que ce soit la manière dont elle a usé avec moi. «Si vous êtes fâché contre moi, ainsi que vous me dites au commencement de votre lettre, ajoutait Mazarin du ton le plus humble et le plus suppliant, vous n'avez qu'à m'ordonner le lieu où je me devrai rendre pour ressentir les marques de votre indignation, et je n'y manquerai pas; car je vous suis soumis au point que, sans faire la moindre contestation, je publierai hautement que vous avez raison et que je suis coupable. Je vous crois pourtant trop équitable pour vouloir récompenser mes longs et fidèles services en m'ôtant l'honneur, étant, ce me semble, assez que vous disposiez, comme bon vous semblera, de ma vie, et de tout ce que j'ai au monde, en me laissant, tant que je vivrai, ainsi que les lois divines et humaines l'ordonnent, la disposition de ma famille. Je vous supplie très humblement de me pardonner si je vous ai importuné, vous assurant que je ne le ferai plus à l'avenir et je finirai cette lettre en vous [protestant][178] qu'en exécution de vos ordres, je presserai pour abréger le temps du mariage, et j'en signerai les articles et ceux de la paix; [et je ferai après ce à quoi votre service m'obligera, me confinant en lieu qui me donnera le moyen de vous servir en ce rencontre[179]], comme j'ai eu le bonheur de faire, trente ans durant, le Roi votre père et vous, sans que vos armes et vos affaires aient perdu de la réputation, pendant que j'ai eu l'honneur de les conduire. Je vous demande seulement la grâce d'être persuadé que, quelque chose qui me puisse arriver, je serai, jusqu'au dernier moment de ma vie, la plus fidèle et la plus passionnée de toutes vos créatures.» Le Cardinal avait épanché son chagrin dans le cœur de la Reine, et elle s'était empressée de lui répondre dans les termes les plus affectueux, mais, en même temps, en lui donnant le conseil de céder à l'orage et de courber la tête devant la colère du Roi comme s'il se fût rendu vraiment coupable envers lui[180]. Il lui adressa sur-le-champ, pour la remercier, une lettre dans laquelle il lui exprimait, sans déguiser rien, toutes les émotions de son âme[181]. Le même jour, afin d'obéir aux conseils de la Reine, il faisait amende honorable au Roi dans cette lettre inédite, si différente par le ton des fières dépêches de Cadillac et du 28 août précédent. «J'ai, lui disait-il, une telle vénération et un si profond respect pour votre personne et pour tout ce qui vient de vous, que je ne puis seulement avoir la pensée de disputer les moindres choses[182]. Au contraire, je n'ai nulle peine à me soumettre à vos sentiments et de déclarer que vous avez raison en tout. Je tiendrai cette conduite toute ma vie, et, quelque malheur qui me puisse arriver, je réponds bien qu'il ne m'arrivera pas celui de manquer en la moindre chose à ce que je vous dois, ni même de n'avoir, jusqu'au dernier moment de ma vie, la dernière amitié et tendresse pour vous. Quoique j'eusse sujet d'être assuré que vous n'en avez plus que moi, vous me feriez justice et je le recevrais pour une très grande grâce si vous avez la bonté de croire qu'il n'y a rien de si vrai et que les effets vous le confirmeront en toutes rencontres.....» Les choses en étaient là, lorsque le Cardinal reçut une lettre de sa nièce qui le combla de joie autant que de surprise. Marie Mancini, ayant appris d'une manière certaine, et sans aucun doute par les soins de Mazarin, que les clauses du mariage du Roi avec l'Infante allaient être signées, prit une résolution que l'on peut dire héroïque. Sa fierté fut plus forte que son amour et sa douleur. Elle eut le courage de ne plus écrire un mot à Louis XIV et, en même temps, elle fit sa soumission à son oncle. A cette nouvelle inespérée et à laquelle il devait son salut, Mazarin prit la plume et écrivit-sur-le-champ à Mme de Venel cette lettre où éclate toute sa joie et dont jusqu'à ce jour on n'avait publié que quelques fragments[183]: «Je vous avoue que je n'ai pas eu depuis longtemps un si grand plaisir que celui que j'ai reçu en voyant la lettre que ma nièce m'a écrite et la nouvelle que vous me donnez de l'assiette où est présentement son esprit, après qu'elle a su que le mariage du Roi était tout à fait arrêté. «Je n'avais jamais douté de son esprit, mais je m'étais méfié de son jugement et, particulièrement, dans un rencontre dans lequel une forte passion, accompagnée de tant de circonstances qui la rendent furieuse, ne donnait pas lieu à la raison d'agir. «Je vous réplique de nouveau que j'ai la plus grande joie du monde d'avoir une telle nièce, voyant que, d'elle-même, elle a pris une si généreuse résolution et si conforme à son honneur et à ma satisfaction. Je mande au Roi ce qu'elle et vous m'écrivez qu'elle a fait. Je m'assure que Sa Majesté l'en estimera davantage, et si la France savait la conduite qu'elle a tenue en ce rencontre, [elle] lui souhaiterait toute sorte de bonheur et lui donnerait mille bénédictions. Mais je suis assez en état de lui faire ressentir les effets de mon amitié et de l'inclination que j'ai toujours eue pour elle, laquelle a été seulement interrompue parce qu'il paraissait qu'elle n'en avait aucune pour moi et qu'elle ne faisait nul cas de mes conseils, quoiqu'ils n'eussent autre but que son bien et le repos de son esprit. «Je vous prie de lui témoigner de ma part que je l'aime de tout mon cœur; que je m'en vais songer sérieusement à la marier et à la rendre heureuse, et qu'elle le sera au dernier point si elle s'applique tout de bon à profiter de la tendresse que j'ai pour elle et de l'estime que j'en fais par l'action qu'elle vient de faire, car, sans l'exagérer, je vous déclare qu'elle est telle qu'il eût été malaisé d'en attendre une semblable d'une personne de quarante ans, qui eût été toute sa vie nourrie parmi les philosophes. «Et, puisqu'elle se plaît à la morale, il faut que vous lui disiez de ma part qu'elle doit lire des livres qui en ont bien parlé, particulièrement Sénèque dans lequel elle trouvera de quoi se consoler et se confirmer avec joie dans la résolution qu'elle a prise. «Je suis persuadé qu'elle aime trop sa gloire, son avantage et sa réputation pour y apporter le moindre changement, et vous lui direz de ma part que je serais au désespoir si cela arrivait, et qu'elle perdrait le mérite de la plus belle action qu'elle puisse faire de sa vie. «Je ne lui fais pas une longue réponse, parce que cette lettre servira pour elle. Je désire qu'elle m'écrive par toutes les occasions et qu'elle me dise avec liberté tous ses sentiments, car je serai ravi de la pouvoir, par mes réponses, mettre en état d'être aimée et estimée de tous et de procurer, par toutes sortes de voies, son contentement avec solidité. «Il faut qu'elle se divertisse et qu'elle se promène et qu'elle prenne tous les divertissements qui pourront contribuer à entretenir son esprit dans la tranquillité que je lui souhaite, et, s'il faut faire dépense pour ses divertissements, vous n'avez qu'à prendre de l'argent du sieur de Teron, qui ne vous refusera rien de ce que vous lui demanderez.» On remarquera que le Cardinal, qui ne se montrait guère chrétien que pour sauver les apparences, et qui, au fond, était aussi indifférent, aussi païen que le cardinal de Retz, ne conseille à sa nièce, pour qu'elle puisse supporter son malheur avec courage, ni la lecture de l'Évangile, ni celle de l'_Imitation de Jésus-Christ_. Étrange illusion d'un esprit uniquement appliqué aux choses de la politique, il lui semble que la lecture de Sénèque est bien suffisante pour calmer la blessure que sa nièce porte au fond du cœur. Sénèque, les distractions, les promenades, la chasse, la pêche, les bons dîners, pour le moment il ne trouve rien de mieux. Quant à permettre à Marie qu'elle retourne à la cour, il ne peut (on en comprend les motifs) lui donner cette autorisation qu'après le mariage du Roi avec l'Infante[184]. Le même jour il adressait à sa nièce cette lettre inédite: «Vous ne me pouviez donner une plus grande joie que de m'écrire la résolution que vous avez prise. Je prie Dieu de tout mon cœur qu'il lui plaise de vous assister, en sorte que vous l'exécutiez ainsi que vous devez par toutes sortes de raisons, vous pouvant dire, sans vous flatter, que vous ne sauriez rien faire en votre vie qui vous donnât plus de gloire et de réputation que celle que vous tirez de l'action que vous venez de faire. J'écris au long là-dessus à Mme de Venel. C'est pourquoi je ne m'étendrai pas ici davantage, car je ne pourrais que vous répliquer les mêmes choses. Je vous prie seulement d'être assurée de mon amitié et de ma tendresse, qu'il ne tiendra qu'à vous d'en recevoir des effets en toutes rencontres[185].....» CHAPITRE VII Dépit du Roi contre Marie Mancini.—Refroidissement de son amour.—Lettre inédite du Cardinal au Roi.—Impatience de Louis XIV d'épouser l'Infante.—Distractions que donne Mazarin à sa nièce et au Roi pour empêcher un retour de tendresse.—Le Roi songe à l'Infante.—Joie du Cardinal.—Projet du Roi d'écrire à Marie Mancini ou de lui envoyer un cadeau.—Conseils donnés par Mazarin à Louis XIV pour le dissuader de ce projet.—Le Roi se rend à ses remontrances. Une autre satisfaction non moins grande était réservée quelques jours après à Mazarin. Le Roi, surpris et froissé de ne plus recevoir de lettres de celle qui, la veille encore, lui donnait de si fréquents et de si brûlants témoignages de son amour; le Roi, qui était d'ailleurs bien plus glorieux qu'amoureux[186], sembla prendre son parti assez bravement. Il eut la fierté de cacher sa blessure et fit tous ses efforts pour ne plus penser qu'à l'Infante. Il comprit alors le service que Mazarin lui avait rendu en combattant avec autant de résolution que de courage une passion qui ne l'eût conduit qu'à une mésalliance et qui eût rallumé plus implacable que jamais la guerre entre la France et l'Espagne. Il rendit toute sa confiance et toute son estime au Cardinal, il le pria de lui parler toujours en toute liberté, et, pour lui faire oublier ce qu'il y avait de trop sec et de trop dur dans sa dernière lettre, il lui adressa quelques lignes d'un ton très affectueux, en lui promettant qu'il ne négligerait rien pour triompher de sa passion. «Si j'avais reçu de la joie des termes dont il vous avait plu de m'écrire en dernier lieu, lui répondait Mazarin avec effusion[187], vous croirez aisément que votre lettre du 11e, que je viens de recevoir, m'a rendu l'homme du monde le plus satisfait, voyant à quel point il vous plaît de m'honorer des assurances de votre amitié. Et, quoique vous me faites justice, lorsque vous me dites d'avoir bien reconnu que je n'ai autre but, en tout ce que je vous ai écrit, que votre gloire, votre repos et le bien de votre service, je vous en ai pourtant des obligations infinies, et, quelque résolution que j'eusse prise au contraire, j'exécuterai avec plaisir l'ordre que vous me donnez de vous mander toujours avec liberté tous les sentiments que je pourrai avoir dans les occasions pour votre service. «Je n'avais pas osé vous écrire la satisfaction que j'avais de la personne que vous savez[188], car je doutais que, peut-être, il ne vous serait pas agréable, et, pour cet effet, je m'adressai là-dessus à la _confidente_, sachant bien qu'elle vous dirait tout. «Je vous conjure à présent de profiter de la grâce que Dieu vous fait en vous donnant un si bon exemple à suivre, et vous verrez que, prenant une généreuse résolution de faire un effort sur vous, vous aurez du repos et vous en donnerez aussi à ladite personne, et vous vous mettrez en état d'être heureux dans votre mariage, vous assurant que l'Infante vous portera de quoi l'être. «Au surplus, je ne saurais assez vous dire à quel point j'aime la personne que je ne croyais pas capable de faire une action telle qu'elle vient de faire, et je l'estime d'autant plus que c'était le seul remède propre à vous mettre en état de vaincre votre passion...» Mazarin, sauvé du naufrage, ne trouvait plus d'expressions assez vives pour peindre à la Reine toute la joie qu'il éprouvait[189]. Son cœur semblait déborder pour elle de tendresse, comme s'il eût eu vingt ans de moins. Il ne laissait pas partir de courrier sans lui exprimer son impatience de mettre la dernière main au traité afin de pouvoir aussitôt la rejoindre[190]. Le Roi, de son côté, à peine guéri de son amour, et dont le cœur s'ouvrait déjà à d'autres désirs, commençait à trouver bien longs les retards que mettaient les ambassadeurs espagnols à l'arrivée de l'Infante. Mazarin essayait de lui faire prendre patience en lui promettant d'autres divertissements. «Je vous rends un million de grâces très humbles, lui disait-il[191], de la continuation de vos bontés, et je vous promets que je ferai avec grande joie tout ce que je pourrai au monde, le reste de ma vie, pour les mériter. Je suis ravi de plus en plus, par ce que vous me faites l'honneur de m'écrire, qu'on ne peut rien ajouter aux sentiments dans lesquels vous êtes, et j'espère en Dieu qu'il les bénira et les affermira en sorte que vous n'en aurez jamais d'autres que ceux qu'il faut avoir pour être le plus glorieux entre les rois et le plus accompli et honnête de tous les hommes. «Je vois le sujet de votre inquiétude pour le retardement de la venue de l'Infante; vous entendrez avec la _confidente_ ce que le maréchal de Villeroi vous dira là-dessus. Vous prendrez la peine d'examiner la chose, et, en me faisant savoir, après, vos intentions, je n'oublierai rien pour m'y conformer. Mais il est bon que vous sachiez que malaisément on pourra accourcir le temps et que je réponds que, sur ce point, il n'y a aucun artifice de la part des Espagnols. Je vous dirai aussi que, s'il faut différer l'exécution du mariage deux mois de plus de ce qu'on s'était proposé, je me promets de faire en sorte que vous ne vous ennuierez point, au contraire, que vous aurez moyen de vous divertir et à votre satisfaction, faisant en même temps plusieurs choses importantes pour votre service et pour lesquelles vous seriez obligé de ne retourner pas présentement à Paris, quand même vous seriez marié, mais bien d'en sortir si vous y étiez. Je m'expliquerai de tout, lorsque j'aurai l'honneur d'être auprès de vous et de la _confidente_.» Après avoir été le trouble-fête de la passion des deux amants, Mazarin était devenu le confident des progrès de leur guérison. Il ne négligeait rien pour les fortifier l'un et l'autre dans leurs nouvelles résolutions et pour donner des distractions à sa nièce à Brouage[192], de même qu'au Roi à Bordeaux. Il écrivait à Marie pour lui témoigner tout son contentement de la persévérance qu'elle montrait à vaincre son amour: «J'ai reçu toutes vos lettres, lui disait-il, avec la joie que vous pouvez bien penser, étant remplies de sentiments si généreux comme elles sont, et voyant que votre fermeté ne permet pas qu'on puisse avoir le moindre doute du changement, et que vous avez pour moi toute l'amitié... que je puis souhaiter. Vous ne vous en trouverez pas mal, puisque, continuant à vous conduire ainsi, vous recevrez des marques de ma tendresse en toutes les occasions qui vous regarderont, et vous reconnaîtrez avec grande satisfaction que vous avez non seulement en moi un bon oncle, mais un père[193] qui vous aime de tout son cœur. «Je vous prie de vous divertir autant que le lieu où vous êtes vous le peut permettre, en attendant que cette négociation s'achève, et que je prenne la résolution de ce que vous aurez à faire. «Il me semble que vous devriez aller demeurer huit jours à Oleron, puisque tout le monde dit que c'est une belle demeure; et vous pourriez aller à la chasse, et faire pêcher; je dis cela en cas que le séjour de Brouage ne vous soit pas agréable. «Au reste, j'écris à Mme de Venel de contribuer de tout ce qui pourra dépendre d'elle à votre divertissement, et de vouloir, pour cet effet, augmenter la table, afin que les demoiselles de Marennes puissent faire bonne chère, étant à propos que vous les reteniez auprès de vous, et de vous donner de l'argent lorsque vous en aurez affaire[194]...» Nous avons sous les yeux un grand nombre de lettres inédites du Cardinal à la Reine et au Roi, qui roulent sur les sujets les plus divers. Celles qui sont adressées à Anne d'Autriche respirent un sentiment passionné, des retours de tendresse sur lesquels il est impossible de se méprendre. Et pourtant l'un et l'autre touchaient presque à l'âge de Philémon et de Baucis. Il exprime à la Reine la plus vive impatience de la revoir, le plus ardent désir de n'être plus désormais séparé d'elle. Ces lettres sont pleines de grâce, d'esprit et d'enjouement. Le Cardinal, cloué au lit par de cruels accès de goutte, trouve matière dans son propre mal aux plus spirituelles plaisanteries. «Je cache tant que je puis à ma goutte, écrit-il à la Reine, la pensée que vous auriez de venir ici, si elle durait encore longtemps, car, si elle en avait connaissance, elle serait assez glorieuse pour s'opiniâtrer à ne me quitter pas, afin de se pouvoir vanter d'un bonheur qu'aucune autre goutte n'aurait eu jamais...» Voltaire et Chaulieu n'auraient pas mieux dit. Mazarin, jusqu'au terme de sa mission, s'enquiert avec soin de tous les faits et gestes de sa nièce et du Roi. Il surveille d'un œil attentif et note avec sollicitude les progrès de leur guérison, mais, dans la crainte d'une rechute, il s'applique à leur donner incessamment tous les plaisirs et toutes les distractions possibles. Il était au comble de ses vœux. A la veille de signer le traité et les articles du mariage, il voyait le Roi dans les meilleures dispositions pour épouser Marie-Thérèse: «Considérez, s'il vous plaît, lui disait-il, dans une lettre en date du 24 septembre, si ma joie n'est pas grande, voyant que c'est la première fois que vous m'avez parlé de l'Infante dans les termes qu'il faut. Je vous dis hardiment que j'espère que vous serez heureux[195]...» Un jour cependant la quiétude du Cardinal est encore troublée par une velléité qui prend au Roi d'écrire à Marie Mancini ou de lui envoyer un cadeau. Mais, comme il n'entend pas traverser une seconde fois les épreuves du cruel martyre qu'il a subi, il met tout en œuvre pour que le Roi ne donne aucune suite à son projet. «Je vous conjure, lui écrit-il, de ne vouloir pas, sous quelque prétexte que ce puisse être, troubler le repos des personnes qui habitent proche de la mer[196], et de croire que je vous en aurai la dernière obligation plus pour votre bien que pour aucune autre considération[197].» Cette fois Louis XIV n'opposa aucune résistance à la prière du Cardinal, et celui-ci s'empressa de le remercier d'avoir bien voulu se rendre à ses conseils: ... «Je vous rends mille grâces de ce qu'il vous a plu m'écrire touchant La Rochelle. J'en suis très satisfait, et au dernier point des nouvelles assurances que vous me donnez de votre bienveillance, dont je tâcherai de mériter la continuation par tous les services que je vous pourrai rendre[198].» Peu de jours après la date de cette lettre, le traité des Pyrénées et le contrat de mariage de Louis XIV et de Marie-Thérèse étaient enfin signés par Mazarin et par don Louis de Haro[199]. Le Cardinal avait mis le dernier sceau à sa puissance et à sa réputation. Bientôt on lut cette orgueilleuse devise autour de l'un de ses portraits gravé par Nanteuil: «_Monstrorum domitor, pacificator et orbis_.» Les monstres, il va sans dire, c'étaient les frondeurs. Des deux derniers qui restaient encore debout et qui le menaçaient du fond de leur exil, ce fut le prêtre, le cardinal de Retz, qui resta seul fidèle à sa haine. Peu de jours après, le héros de Lens et de Rocroi se rendit à Toulouse, fit amende honorable à genoux devant le Roi, et combla de flatteries et de caresses celui qu'il avait autrefois surnommé _il signore faquino_. Tel fut l'éblouissement causé par la fortune du Cardinal, que Charles II, dans l'espoir d'obtenir de lui un secours pour remonter sur le trône de ses pères, lui fit demander la main de sa nièce Hortense. Mazarin, ébloui lui-même, et l'on peut dire aveuglé par le succès, était loin de se douter que ce prince serait avant deux mois rétabli dans son royaume. Aussi refusa-t-il non seulement sa demande, mais, qui plus est, de lui accorder une entrevue. Nous verrons plus tard à quel point il se repentit de son trop de précipitation et quelles démarches il tenta, mais en vain, auprès de Charles II, remonté sur le trône, pour lui faire épouser cette même nièce. En attendant, il se faisait un mérite de son refus auprès de Louis XIV et des grands de la cour[200]. Mazarin partit le 13 du même mois de novembre pour Toulouse, où il arriva le 21. Le Roi et la Reine allèrent à sa rencontre et lui firent l'accueil le plus affectueux. On peut se faire une idée, par le ton des lettres du Cardinal, de la joie qu'il dut éprouver lui-même de se retrouver auprès de ses _maîtres_ dont il avait été séparé pendant une si longue absence[201]. CHAPITRE VIII Mission secrète d'Ondedei, évêque de Fréjus, auprès de Marie Mancini.—Instructions données à Mme de Venel par Mazarin au sujet de ses nièces.—Ses conseils et ses promesses à sa nièce Marie.—Départ pour Paris des exilées de Brouage.—La _Muze historique_ de Loret et les Mancini.—Règle de conduite que trace à ses nièces le cardinal Mazarin. Le Cardinal, qui tremblait toujours que sa nièce Marie ne fît quelque nouvelle escapade, envoya auprès d'elle un de ses plus habiles agents, le fameux Ondedei, alors évêque de Fréjus. Ondedei, pendant la Fronde, avait été, de même que l'abbé Fouquet, l'âme damnée du Cardinal. On l'avait vu se mêler à toutes les intrigues pour en surprendre les secrets et pour en tirer tout le profit possible. «Habillé en vrai capitan de comédie et chargé de plumes comme un mulet[202]», il se donnait hautement pour Mazarin, faisait des offres, au nom de son maître, à qui voulait l'entendre et recevait de toutes mains. Un beau jour on fut tout surpris de voir ce matamore, qui vivait, pour ainsi dire, publiquement avec la marquise Dampus, revêtu du costume ecclésiastique et bombardé évêque de Fréjus, par la grâce de Mazarin. Longtemps le Pape, qui connaissait la vie du personnage, lui refusa les bulles, mais enfin il se laissa vaincre par l'obstination du tout-puissant ministre. Le cardinal de Retz, qui, pour des motifs personnels, a trouvé moyen de renchérir sur la laideur morale d'Ondedei, a dit que ses discours «semblaient encore plus fous que sa mine». Mais le cardinal Mazarin, en faisant de cet homme son confident le plus intime et en lui confiant les missions les plus délicates et les plus épineuses, nous a donné par son choix la mesure des hautes parties intellectuelles d'Ondedei et de son extrême habileté. L'évêque de Fréjus fut donc chargé par le Cardinal, pour faire diversion à la douleur de Marie Mancini, de lui offrir une alliance considérable, celle du connétable Colonna[203]. Encore sous l'empire de son rêve ambitieux, Marie, outrée des pressantes instances du prélat, lui répondit qu'il aurait bien pu s'épargner la peine de ce voyage, s'il n'avait autre chose à lui proposer que de sortir de France contrairement à la parole que lui avait donnée son oncle, avant de quitter Paris, de ne jamais la forcer à se marier contre son gré. Telle est la version qu'elle donne dans ses Mémoires. Mais il résulte d'une lettre de Mazarin, que la jeune fille, en repoussant très résolument cette alliance avec le connétable, indiqua à Ondedei un autre parti qui semblait lui plaire, et dont elle ne dit mot. Il s'agissait fort probablement du prince Charles, le neveu et l'héritier du duc de Lorraine Charles IV, dont nous aurons bientôt à parler au lecteur. Ondedei avait de plus pour mission de faire comprendre à l'exilée qu'elle ne pouvait en ce moment revenir à la cour. Elle parut se soumettre à cette nécessité[204], et son oncle, pour mettre fin à son exil, lui envoya sur-le-champ un gentilhomme pour lui offrir de quitter Brouage, si le séjour lui en paraissait trop triste, et de choisir soit Paris, soit un des grands châteaux sur la route de Paris, tel, par exemple, que celui de Chenonceaux, appartenant au duc de Mercœur, qui avait épousé Laura Mancini, sœur de Marie[205]. Ce gentilhomme était porteur de deux lettres du Cardinal, l'une pour Mme de Venel, l'autre pour Marie Mancini. A la duègne il donnait toutes ses instructions; à sa nièce, le choix d'une nouvelle résidence et celui de l'époux qu'elle désirait. Il insistait, toutefois, sur la grande alliance du connétable Colonna, tout en paraissant laisser sa nièce libre de se prononcer en dernier ressort. On sait comment il lui tint parole. Une circonstance digne d'être notée dans cette lettre de Mazarin, c'est l'assurance qu'il donne à Marie que le Roi aura toujours de l'amitié pour elle, et qu'il est expressément chargé de le lui dire de sa part. «J'ai différé à vous écrire, lui disait-il[206], jusqu'à mon arrivée en ce lieu, et que j'eusse entretenu M. de Fréjus pour être informé en détail de tous vos sentiments sur les choses que je lui avais donné la charge de vous communiquer de ma part. A présent que je suis éclairci de tout, je dépêche ce gentilhomme pour vous dire, ainsi que vous verrez plus particulièrement dans la lettre que j'écris à Mme de Venel, qu'il est à votre choix d'aller à Paris, ou à tel autre endroit sur ce chemin-là, pour y demeurer jusqu'au retour de la cour, n'ayant pas été praticable, comme vous pouvez avoir jugé vous-même, de vous faire venir ici. «Je me remets donc à Mme de Venel, pour ce qui est de votre voyage, vous assurant qu'en quelque lieu que vous soyez, vous devez être assurée de recevoir tous les jours de plus en plus des marques de l'amitié que j'ai pour vous, et de la satisfaction que j'ai de votre conduite, de laquelle je vous réponds que vous n'aurez jamais sujet de vous repentir, étant persuadé qu'elle continuera d'être telle que je la puis souhaiter. «J'ai été bien aise de voir la lettre que vous m'avez écrite par M. le Grand Maître, et vous ne sauriez m'obliger en rien plus sensiblement que de m'ouvrir votre cœur en toutes choses avec une telle franchise que je ne puisse jamais vous reprocher que vous ayez eu quelque chose de caché pour moi. Sur quoi il est bon que je vous dise que vous ne devez pas seulement vous fier plus en moi qu'en qui que ce soit, parce que vous me devez regarder comme votre père, mais parce que j'ai beaucoup de tendresse et d'inclination pour vous, et désire fort de vous en faire sentir les effets. Et vous commencerez à le connaître, quand je vous dirai, qu'après ce que M. de Fréjus m'a dit de votre part, je me conforme volontiers à votre désir de ne vous marier pas à Rome[207], quoique vous voyez bien que le connétable Colonne, chef d'une maison si illustre et prince si accompli et si bien fait, avec plus de deux cent mille écus tout en terres, est assurément un des plus grands partis qu'on peut voir, et le cardinal Colonne, son oncle, m'en a écrit plusieurs fois, et sollicitant la chose avec grande presse, vous préférant à tout autre. «Cependant vous devez être assurée que je mettrais toutes pièces en œuvre pour faire réussir l'autre[208], pour lequel M. de Fréjus m'a témoigné que vous aviez plus d'inclination, et je gagnerai des moments à cela; mais il est impossible de faire, en certaines choses, tout ce que l'on voudrait, et vous ne devez pas vous inquiéter; mais attendre avec repos ce qui me réussira de conclure, avec assurance que je n'oublierai rien, afin que cela soit au plus tôt et à votre contentement. «Si vous pesez bien l'amitié que j'ai pour vous et l'utilité que vous en devez attendre, vous aurez sujet de vous croire une des plus heureuses personnes du monde et particulièrement lorsque vous apprendrez que je vous tiendrai la parole que je vous ai donnée de vous pouvoir promettre en tout temps une cordiale amitié de la _personne_[209] pour laquelle vous avez la dernière estime. Elle m'a donné charge expresse de vous en assurer de sa part, et de vous dire que rien n'est capable de la faire changer, quelque chose qu'on vous puisse dire ou écrire au contraire, sur des apparences qui n'ont aucun fondement. Je vous réponds, en mon propre et privé nom, que cela est vrai, et que vous devez être tout à fait satisfaite de la fermeté des intentions de ladite personne à votre égard, c'est-à-dire qu'elle aura toujours une parfaite amitié pour vous.» Les charmantes exilées partirent pour Paris à la fin de janvier 1660. Après un séjour de plusieurs mois dans la forteresse de Brouage, tout château, pour Marie Mancini, quelque beau qu'il pût être, ne devait lui sembler qu'une prison. Elle avait préféré revenir à Paris pour y retrouver la liberté et la société de la cour. L'arrivée des trois nièces fut célébrée en prose et en vers dans tous les Recueils du temps. Loret, à l'affût de toutes les nouvelles, ne manquait pas de signaler celle-ci, qui faisait le plus grand bruit, après l'éclat des royales amours. ... Les illustres Mancines, Du Louvre à présent citadines, • • • • • • • • • • • Jeudi, dans la maison du Roi, Arrivèrent en bel arroi. Les trois pucelles triomphantes, Qui valent vraiment les Infantes, Mademoiselle Mancini Dont le mérite est infini: A savoir l'illustre Marie, Qui, sans aucune flatterie, Fait voir un cœur placé des mieux, Et digne du destin des dieux[210]. Ce n'était pas la première fois que le gazetier-rimeur avait parlé à ses lecteurs des nièces du Cardinal. Si l'on parcourait la _Muze historique_ on y trouverait fréquemment des couplets dans lesquels il s'est attaché à rendre compte de leurs moindres actions, d'une maladie, d'une absence, etc: Mancini, cette illustre fille, A rendu la cour si chagrine, Que, depuis dimanche passé, On n'a presque ri ni dansé. Scarron, après avoir écrit sa _Mazarinade_, avait fait amende honorable «et avait, lui aussi, brûlé son encens aux pieds de ces petites _harengères_ jadis en butte à tant de brocards[211]». Si Marie avait espéré trouver à Paris quelque liberté, elle avait compté sans son oncle. Mazarin, qui savait à quoi s'en tenir sur les instincts de sa race, entravait de son mieux toutes les tentatives d'émancipation de ses nièces. Dès qu'elles furent réinstallées au Palais-Royal dans son appartement, il adressa à Mme de Venel des instructions détaillées sur la conduite qu'elles auraient à tenir. Il entendait par-dessus tout qu'elles ne donnassent aucune prise aux malins propos du monde. Tout est réglé minutieusement par le Cardinal, jusqu'aux visites qu'elles auront à faire de temps à autre à quelques grandes dames. Il défend qu'elles fréquentent les spectacles sans y être conduites par des femmes du plus haut rang, qu'il prend soin de désigner. Il recommande expressément à Mme de Venel d'empêcher au jeune duc d'Enghien de jouer avec ses nièces, et de ne pas le laisser «aller si vite». Le mot y est. Mazarin, qui connaît mieux que personne les jeux de princes, n'entend pas que l'on s'amuse avec ses nièces avant que l'on ne soit devenu son neveu. «Il faut vivre régulièrement à Paris, écrit-il à Mme de Venel[212], car beaucoup de monde prendra garde à la conduite de mes nièces; je trouve bon qu'elles se divertissent, mais en sorte que personne n'y puisse trouver à redire. Pour des visites, il faut voir en arrivant la reine d'Angleterre et y aller tous les mois une fois; il faut aussi visiter de temps en temps Mme de Carignan et Mme de Vendôme, et caresser soigneusement mes petits-neveux. On peut voir aussi Mme d'Angoulême la jeune, qui est amie de notre maison et fort vertueuse. Il faudra visiter aussi Mme de Villeroi et Mme de Créqui; et je n'entends pas que mes nièces aillent à la comédie que lorsqu'elles le pourront avec une de ces dernières dames. «Quand elles se voudront promener à Vincennes et même y coucher, elles le pourront. «Je crois qu'il a été fort bien de vous être doucement excusée de la proposition que Mme de Bonnelle vous aurait faite d'amener familièrement M. le duc d'Enghien pour jouer avec mes nièces, n'étant pas à mon avis de la bienséance d'aller _si vite_ en semblable matière[213]. «Je ne doute pas que mes nièces ne soient toujours très satisfaites de la manière dont Mme Colbert en usera avec elles, car, outre l'affection qu'elle a pour ma famille, on peut beaucoup profiter de sa conversation. Je serai donc très aise lorsque j'apprendrai que ladite dame sera souvent avec mes nièces, lesquelles feront ce qu'elles doivent si elles la caressent fort, de quoi je serai fort satisfait[214].» CHAPITRE IX Portrait de l'Infante.—Son amour pour Louis XIV.—Sentiments du Roi pour cette princesse.—Ses lettres inédites à l'Infante.—Le mariage royal par procuration.—Louis XIV _incognito_ à Fontarabie.—Galante lettre du Roi à l'Infante.—Célébration du mariage.—Naïves confidences de Mme de Motteville.—Pèlerinage d'amour à Brouage. En attendant l'arrivée de l'Infante et la célébration du mariage, il devait s'écouler encore plus de sept mois. Sept mois au fond de la province! Le Roi fut tenté d'aller passer le reste de l'hiver à Paris; mais, des troubles ayant éclaté à Aix et à Marseille, il crut que sa présence était nécessaire pour en imposer aux rebelles, et il se résigna à rester dans le Midi. Au milieu des distractions de tout genre que faisait naître chaque jour sous ses pas le génie inventif de Mazarin, il gardait encore au fond du cœur (nous en avons surpris le secret) un tendre souvenir de son dernier amour, et, en même temps, singulier contraste, il prêtait complaisamment l'oreille à tout ce qu'on lui disait de la beauté et des qualités de l'Infante. Son cœur flottait entre une espérance et un regret. Mais il promenait de ville en ville ses tristesses et son impatience d'un air si calme, si plein de sérénité et de majesté, que l'œil du plus fin courtisan n'aurait rien pu deviner sur son visage des passions secrètes qui s'agitaient au fond de son âme. Il séjourna tour à tour à Bordeaux, à Toulouse, à Montpellier, à Nîmes, à Marseille, à Aix, à Avignon, et l'on peut voir dans les _Mémoires de Mademoiselle de Montpensier_ quels furent les passe-temps et les distractions de la cour dans ces différentes villes. Nous en ferons grâce au lecteur, pour nous attacher uniquement à peindre la physionomie de l'Infante et ses sentiments pour Louis XIV, en même temps que ceux du Roi pour cette princesse. Parmi les portraits de Marie-Thérèse peints et gravés par les grands maîtres de son temps, ou dessinés à la plume par les auteurs de Mémoires, on n'a que l'embarras du choix. Sa figure mafflée, ses yeux sans rayons d'esprit, ses cheveux d'un blond fade et son teint d'une blancheur molle ne semblaient guère de nature à pouvoir inspirer aucune passion. Mme de Motteville a fait de cette princesse un portrait assez ressemblant dans lequel elle sème avec art les critiques au milieu des éloges. Elle nous la peint: «petite, mais bien faite..., de la plus éclatante blancheur que l'on puisse voir»; avec de beaux yeux bleus qui charmaient par leur douceur et leur éclat; une belle bouche, mais dont les lèvres étaient «un peu grosses et vermeilles»; le tour du visage long, «mais rond par le bas», «les joues un peu grosses, mais belles». «Ses cheveux d'un blond argenté, convenaient entièrement aux belles couleurs de son visage»... Avec une taille plus grande et de plus belles dents, elle eût mérité «d'être mise aux rang des plus belles personnes de l'Europe»... «Sa gorge nous parut bien faite et assez grasse, mais son habit était horrible». Jamais les défauts n'ont plus franchement percé à travers les éloges[215]. Cette princesse, depuis son enfance, et malgré l'état de guerre qui existait depuis tant d'années entre l'Espagne et la France, n'avait jamais cessé d'espérer, contre toute vraisemblance, qu'elle n'aurait pas d'autre époux que Louis XIV. Le Roi seul, par sa grandeur, par sa beauté, par son mérite, lui semblait digne d'elle. Elle l'aimait depuis longtemps, bien qu'elle ne le connût que par ses portraits, devant lesquels elle était toujours restée en extase. D'ailleurs «la Reine sa mère, fille de France, lui avait souvent dit que, pour être heureuse, il fallait être reine de France, et qu'elle voulait la voir porter cette couronne ou porter un voile[216]». Sa passion pour le Roi n'était pas de celles qui éclatent en fureurs et en imprécations contre l'objet aimé, lorsqu'elles sont en proie à la jalousie; elle fut toujours humble, patiente et résignée jusqu'à la mort, dans une souffrance profonde, incessante et muette. Quant à l'affection du Roi pour Marie-Thérèse, elle ne s'éleva jamais à la hauteur d'une passion. Il eut pour elle l'estime que doit inspirer une angélique vertu, le respect de son propre sang, de la reconnaissance pour un amour poussé jusqu'à l'adoration. Il put dire en toute vérité, à la mort de cette princesse, que c'était «le seul chagrin qu'elle lui eût causé»; mais il n'eut jamais d'amour pour elle. On ne saurait en effet donner ce nom au sentiment qu'il éprouva pendant les deux premières années de son mariage. Quand le charme de la nouveauté eut cessé, il se laissa prendre bien vite aux beaux yeux de Mlle de La Vallière. Grâce à une précieuse indication[217], nous avons trouvé dans les archives du Ministère des affaires étrangères la correspondance échangée entre Louis XIV, le roi et la reine d'Espagne, et l'Infante. Les lettres de Philippe IV, de sa femme et de sa fille n'offrent rien de saillant et de caractéristique. Ce sont de sèches formules de chancellerie et d'étiquette dans lesquelles s'emprisonne la majesté royale. Il n'en est pas de même des lettres de Louis XIV; elles sont personnelles, simples, timides d'allure, charmantes d'expressions. Voici en quels termes ce prince, qui, par sa mère, était cousin germain de l'infante Marie-Thérèse, annonçait à Philippe IV, son futur beau-père, l'envoi de la dispense qu'il venait de recevoir du Pape pour son mariage: Monsieur mon frère et oncle, je ne veux pas laisser partir le sieur Bartet, secrétaire de mon cabinet, qui porte la dispense, sans confirmer à Votre Majesté les assurances de mon amitié[218]. Je la prie aussi de trouver bon que, par le moyen dudit sieur Bartet, je puisse savoir au plus tôt l'état de sa santé et celle de la personne que je considère désormais comme un autre moi-même, estimant qu'après la bénédiction qu'il a plu à Sa Sainteté de donner à notre mariage, je puis plus librement que par le passé demander de ses nouvelles et lui en donner des miennes. Je suis, Monsieur mon frère et oncle, bon frère et neveu de Votre Majesté[219]. _Signé_: LOUIS. On remarquera avec quelle attention délicate et respectueuse le jeune Roi évite de nommer sa cousine, Marie-Thérèse, et demande de correspondre avec elle. Le roi d'Espagne s'empressa de donner cette autorisation à son futur gendre, et nous verrons bientôt de quelle manière en usa le jeune Roi. A quelques jours de là, Louis XIV écrivait de nouveau à son royal beau-père pour lui annoncer qu'il lui envoyait Ondedei, évêque de Fréjus, parent et ancien confident de Mazarin, afin qu'il assistât, au nom du roi de France, dans la cathédrale de Burgos, à la lecture de la dispense de Rome: AU ROI D'ESPAGNE. A Avignon, le 24 mars 1660. Monsieur mon frère et oncle, Envoyant le sieur évêque de Fréjus pour assister à la cérémonie que Votre Majesté a résolu qui se fasse à Burgos, et revenir incontinent satisfaire au désir que j'ai d'en entendre le récit, je l'ai chargé très expressément d'assurer Votre Majesté de la continuation de mon amitié, et je la prie de lui donner créance sur ce sujet et sur tout ce qu'il lui pourra dire de ma part. Il est aussi porteur d'une lettre que j'espère que Votre Majesté n'aura pas désagréable qu'il rende à son adresse, ne voyant plus de raison qui puisse empêcher que je ne commence à m'expliquer par cette voie, en attendant le bonheur de pouvoir dire plus particulièrement mes sentiments en personne, comme je souhaite de faire avec grande impatience et de confirmer à Votre Majesté que je suis, etc.[220] La première lettre de Louis XIV à Marie-Thérèse exprime, avec le plus gracieux et le plus naïf empressement, l'impatient désir qu'il a de la voir reine de France. Il commence par lui en donner le titre: A LA REINE. En Avignon, le 24 mars 1660. Ce n'a pas été sans contrainte que j'ai cédé aux raisons qui m'ont empêché d'exprimer jusques ici à Votre Majesté les sentiments de mon cœur. Maintenant que les choses sont en un état qui me donne lieu de vivre avec Elle comme avec un autre moi-même, je suis ravi de commencer à l'assurer par ces lignes que ce bonheur ne pouvait jamais arriver à personne qui le souhaitât plus passionnément, ni qui s'estimât plus heureux de le posséder que moi. Le sieur évêque de Fréjus aura l'honneur de l'entretenir sur ce sujet plus particulièrement, si Elle l'a agréable, mais tout ce qu'il lui dira et tout ce que d'autres lui en ont déjà dit de ma part sera toujours fort au-dessous de ce qui est en effet, ainsi que j'espère dans peu lui confirmer de vive voix, mais non pas sitôt qu'il faudrait pour satisfaire mon impatience. _Signé_: L.[221]. Cependant la cour, afin de se rendre à Saint-Jean-de-Luz, où devait se célébrer le mariage du Roi avec l'Infante, avait quitté Toulouse vers les derniers jours d'avril. Chemin faisant, le jeune prince, devenu un peu plus hardi, adressait une nouvelle lettre à Marie-Thérèse, qui, de son côté, se dirigeait à petites journées avec le Roi son père vers la frontière d'Espagne. Au ton passionné qui respire dans cette lettre, à l'impatience que montre le Roi de voir et de posséder l'Infante, on voit à quel point son imagination était excitée par les fabuleux récits que faisaient les courtisans de la beauté et de la grâce de la jeune princesse. A LA REINE. A Auch, le 25e d'avril 1660. Je profite avec le plus grand plaisir du monde de la permission qui m'a été donnée d'écrire à Votre Majesté et de l'assurer moi-même de la passion que j'ai pour Elle. J'envie le bonheur que ce gentilhomme[222] aura de la voir plus tôt que moi, et quoique je lui aie ordonné de bien représenter à Votre Majesté à quel point je m'estimerai heureux lorsque je lui pourrai expliquer mes sentiments de vive voix, je doute fort qu'il lui soit possible de s'en acquitter selon mon désir. Enfin mon impatience est plus grande qu'elle ne se peut dire, et, sans le soulagement que j'ai de voir que nous nous approchons, rien ne me pourrait empêcher de me rendre en personne auprès d'Elle. Cependant mon plus doux entretien est de parler des perfections de Votre Majesté et d'entendre le récit qu'on m'en fait de toutes parts. C'est celui qui est entièrement à Votre Majesté. _Signé_: L.[223]. A peine arrivé à Saint-Jean-de-Luz[224], le jeune Roi, de plus en plus épris, adressa cette nouvelle lettre à l'Infante, lettre qui ne le cède en rien à celle du 25 avril pour la vivacité des sentiments qu'elle exprime: A LA REINE. A Saint-Jean-de-Luz;—(par M. de Noailles). Voyant approcher Votre Majesté et mon bonheur avec Elle, je ne puis contenir ma joie, et, bien qu'il soit aussi peu possible de l'exprimer au point que je la ressens, je ne laisse pas d'envoyer à Votre Majesté le sieur comte de Noailles, capitaine de mes gardes, en qui j'ai toute confiance, pour lui dire au moins qu'elle est au-dessus de toute expression. Je suis ravi de songer que je me trouve enfin à la veille de pouvoir l'en assurer moi-même. Je la souhaite avec une passion sans égale, et qui, pour dire tout, répond au mérite de Votre Majesté. _Signé_: L.[225]. A cette lettre d'un ton galant et chevaleresque, dans le goût espagnol, la jeune Infante s'empressa de répondre, mais sous une forme voilée et plus mesurée. Voici cette lettre que nous traduisons de l'espagnol[226]: Seigneur, J'ai reçu la lettre de Votre Majesté, que m'a apportée M. le comte de Noailles, accompagnée des démonstrations d'attachement et de joie que cause à Votre Majesté le plus grand rapprochement qui vient d'avoir lieu entre nous, et que ce seigneur m'a témoigné aussi avoir remarquées en vous. J'en ai reçu le témoignage avec toute la déférence que l'on doit à la galanterie (_fineza_) de Votre Majesté et que réclame la bonne fortune d'avoir obtenu une telle faveur. Je tâcherai de la mériter toujours en répondant à l'obligation que m'impose Votre Majesté et en désirant pour Elle que Dieu la garde avec toute félicité, ainsi que je le désire. _Signé_: MARIA-TERESA[227]. Fontarabie, le 3 de juin 1660. Lorsque Philippe IV et l'Infante arrivèrent à Fontarabie, Louis XIV s'empressa d'envoyer à sa royale fiancée un coffre garni d'or, plein de bijoux d'or et de diamants[228]. Le jour même de leur arrivée, le 2 juin, eut lieu à Fontarabie une première cérémonie du mariage, par procuration. Don Louis de Haro, ministre d'Espagne, épousa l'Infante au nom du roi de France, et l'évêque de Fréjus, Ondedei, fut nommé pour en être témoin de sa part[229]. «L'infante Reine, dit Mme de Motteville, témoin oculaire, était coiffée en large le jour de son mariage. Son habit était blanc et d'une assez laide étoffe en broderie de tale: car l'argent était défendu en Espagne. Elle avait des pierreries enchâssées dans beaucoup d'or. Ses beaux cheveux étaient cachés sous une manière de bonnet blanc autour de sa tête, qui était plus propre à la défigurer qu'à lui donner de l'ornement; mais, malgré son habit, nous aperçûmes sa beauté...» Pour tout dire, elle ressemblait à ces madones espagnoles dont les formes disparaissent complètement sous la profusion et la raideur de leurs longues robes tramées or et argent, et dont la tête est engoncée dans une énorme fraise. Après la cérémonie, Mazarin s'approcha de Philippe IV et de la jeune Reine et leur annonça qu'un inconnu, qui était à la porte, demandait qu'on lui ouvrît. C'était Louis XIV, qui n'ayant pu résister à sa curiosité et à son désir de voir l'Infante, s'était rendu à Fontarabie _incognito_. Anne d'Autriche, au comble de la joie, et avec le consentement de son frère le roi d'Espagne, entr'ouvrit la porte afin que son fils pût voir l'Infante-Reine, mais elle eut bien soin de faire en sorte que Marie-Thérèse pût aussi le voir. Comme Louis surpassait Mazarin et Lionne de toute la tête, et qu'il était d'ailleurs facile à la jeune Reine de le reconnaître par ses portraits, elle rougit tout en le contemplant avec la plus grande attention. Le roi d'Espagne le regarda aussi et dit à la Reine sa sœur en souriant: «_Tengo lindo hierno!_» J'ai un beau gendre! Ce premier coup d'œil du Roi fut défavorable à Marie-Thérèse. Elle était tellement noyée de la tête aux pieds dans son ample costume, qu'il eut peine à démêler d'abord que la figure de cette princesse, rehaussée d'un grand air, était à peu près satisfaisante pour un amoureux de vingt ans. Il dit au prince de Conti et à Turenne «que la laideur de la coiffure et de l'habit de l'Infante l'avait surpris; mais que, l'ayant regardée avec attention, il avait connu qu'elle avait beaucoup de beauté, et qu'il comprenait bien qu'il lui serait facile de l'aimer». Sur ce chapitre de la beauté, le Roi, jusque-là, s'était fort souvent contenté de peu. L'expérience seule lui donna du goût et fixa mieux ses choix. Au moment où l'Infante allait s'embarquer sur la Bidassoa, le Roi eut peine à se dérober à l'admiration et à l'enthousiasme des grands d'Espagne, qui le pressaient et le portaient pour ainsi dire, tandis que les gardes du roi d'Espagne, mêlés à ceux du Roi de France, laissaient éclater leurs cris et leurs transports de joie. D'un mouvement rapide, Louis s'élança à cheval et partit au galop le long de la rivière pour suivre le bateau qui portait Philippe IV et l'Infante, «le chapeau à la main et d'un air fort galant. Il aurait peut-être couru jusqu'à Fontarabie, sans des marais qui l'empêchèrent de passer.» «Le Roi d'Espagne, en sortant, soit qu'en effet il ne le vît pas ou ne fît pas semblant de le voir, n'ôta point son chapeau, qu'il n'avait point mis sur sa tête tout le temps qu'il avait été avec la Reine; mais quand il vit le Roi galoper sur le bord de la rivière en posture d'amant, et suivi en roi de France, le roi d'Espagne se mit alors à la fenêtre de la chambre de son bateau et le salua fort bas tant qu'il le pût voir.» La scène est charmante, et c'est Mme de Motteville qui nous donne le plaisir d'y assister. Comme l'_assaffata_ (première femme de l'Infante) demandait à cette princesse si elle trouvait le Roi bien fait et à son goût, elle répondit vivement sans la moindre hésitation: «Comment, s'il m'agrée! c'est un fort beau garçon et qui a fait une cavalcade d'un homme fort galant.» «En cet instant, ajoute Mme de Motteville, la grandeur du Roi se cacha sous sa galanterie et l'éclat de la pourpre pour cette fois le céda aux premières étincelles de son amour.» La reine d'Espagne, retenue à Madrid par la nécessité de diriger les affaires en personne, s'excusa auprès du roi de France de ne pouvoir assister à son mariage et elle lui souhaita une longue postérité[230]. Quant à Philippe IV, le jour même de la cérémonie du mariage par procuration, il adressa à Louis XIV une lettre de compliments officiels, en style de chancellerie, et qui ne nous a pas paru digne d'être reproduite[231]. La réponse de Louis à cette même lettre nous a semblé au contraire assez intéressante pour être mise sous les yeux des lecteurs. AU ROI D'ESPAGNE Sans date. Monsieur mon frère et oncle, la tendresse avec laquelle Votre Majesté s'explique sur la célébration de mon mariage me fait déjà trouver des douceurs dans ce nouveau lien, qui me sont plus chères que je ne puis dire. Je répondrai toute ma vie aux sentiments paternels de Votre Majesté, comme m'y oblige un nœud si saint, lequel j'espère que Dieu bénira à la plus grande gloire et avantage de nos peuples. Cependant j'envoie vers Elle le sieur marquis de Vardes, capitaine de Cent Suisses de ma garde, pour lui témoigner la joie et l'impatience que j'ai de lui confirmer de vive voix que je suis du meilleur de mon cœur, Monsieur mon frère et oncle, bon frère et neveu de Votre Majesté. _Signé_: L.[232]. Louis XIV venait de recevoir la première lettre en espagnol de Marie-Thérèse, la seule qu'elle paraît lui avoir adressée avant son mariage. Il y répondit sur-le-champ par ces charmantes lignes où il disait tant de choses en si peu de mots: RÉPONSE DU ROI A LA REINE A Saint-Jean-de-Luz, le 4 juin 1660. Recevoir en même temps une lettre de Votre Majesté et la nouvelle de la célébration de notre mariage, et être à la veille de jouir du bonheur de la voir, ce sont assurément des sujets de joie indicible pour moi. Mon cousin le duc de Créqui, premier gentilhomme de ma chambre, que j'envoie exprès vers Votre Majesté, lui communiquera là-dessus les sentiments de mon cœur, dans lesquels elle remarquera toujours de plus en plus une extrême impatience de les lui pouvoir dire moi-même. Il lui présentera aussi quelques bagatelles de ma part. _Signé_: L.» Le dimanche 6 juin, les deux Rois se rendirent à la salle de la conférence, suivis des grands de leurs royaumes; ils s'agenouillèrent devant une table, l'un devant l'autre, et, posant la main sur l'évangile, ils jurèrent la paix. Puis s'étant relevés, ils s'embrassèrent cordialement et se promirent une amitié éternelle[233]. Cet acte solennel fut aussitôt suivi de la célébration du mariage, dont on peut lire la description dans les Mémoires du temps. Mais ce qu'il n'est pas permis de passer sous silence, c'est le naïf et délicieux récit par Mme de Motteville de ce qui se passa avant la première nuit de noces: «Leurs Majestés et Monsieur soupèrent en public, sans plus de cérémonie qu'à l'ordinaire, et le Roi aussitôt demanda à se coucher. La Reine dit à la Reine sa tante, avec des larmes aux yeux: _es muy temprano_ (il est trop tôt), qui fut, depuis qu'elle fut arrivée, le seul moment de chagrin qu'on lui vit, et que sa modestie la força de sentir. Mais, enfin, comme on lui dit que le Roi était déshabillé, elle s'assit à la ruelle de son lit sur deux carreaux pour en faire autant, sans se mettre à sa toilette. Elle voulut complaire au Roi en ce qui même pouvait choquer en quelque façon cette pudeur qui l'avait d'abord obligée de chasser de sa chambre les hommes, jusqu'aux moindres officiers. Elle se déshabilla sans faire nulle façon; et, comme on lui eût dit que le Roi l'attendait, elle prononça ces mêmes paroles: _Presto, presto que el Rey m'espera_ (vite, vite, le Roi m'attend.) Après une obéissance si ponctuelle, qu'on pouvait déjà soupçonner être mêlée de passion, tous deux se couchèrent avec la bénédiction de la Reine leur mère commune. «La Reine mère, qui connaissait le Roi son fils un peu froid et grave, nous avoua qu'elle avait eu une grande peur que cette indifférence, qu'elle avait imaginée en l'âme du Roi, ne fût nuisible à cette nièce qu'elle avait si ardemment désiré de lui faire épouser. Mais après qu'elle l'eût vu agir avec elle, comme il fit dans les premiers jours qu'elle fut en France, elle perdit heureusement cette crainte, car elle le vit alors aussi sensible à l'amitié, à l'égard de la Reine, qu'elle l'aurait pu désirer. Elle n'avait à demander à Dieu que la durée de ce bonheur: il fallait l'espérer; mais, par les fâcheuses expériences qu'un chacun doit avoir de l'instabilité du bonheur des hommes, elle avait toujours sujet d'appréhender ce qui arrive souvent dans la vie.» Moins expérimentée que la Reine sa tante, Marie-Thérèse s'endormit pleine de confiance dans la sécurité de son bonheur. Elle ne savait pas, la charmante et trop naïve princesse, qu'un an s'écoulerait à peine et qu'elle verrait Mlle de La Vallière, la favorite du Roi, s'asseoir à côté d'elle dans le même carrosse. Mais en attendant le jour où devaient se dissiper toutes ses illusions, elle laissait éclater à tous les yeux sa passion pour le Roi et prenait même plaisir à la publier hautement[234]. Avant de quitter Saint-Jean-de-Luz, Louis XIV voulut exprimer à la reine d'Espagne et à Philippe IV tous ses sentiments de gratitude et d'affection, et il leur adressa ces deux lettres, écrites de sa main, dans lesquelles on sent respirer les nobles et généreux sentiments qui l'animaient alors: RÉPONSE DU ROI A LA REINE D'ESPAGNE A Saint-Jean-de-Luz, le 7 juin 1660. Madame ma sœur et cousine, la lettre dont Votre Majesté m'a favorisé sur le sujet de mon mariage m'est un nouveau bonheur qui supplée, autant qu'il se peut, à celui de sa présence, laquelle seule manque ici pour rendre notre félicité accomplie. Votre Majesté n'aura pas de peine à croire l'impatience que j'ai eue de voir enfin cet heureux jour où la paix et l'amitié qui nous unissent à présent seraient étreintes par ce nœud indissoluble; mais je puis bien dire que je l'ai souhaité avec ardeur, aussi par cette considération que, hâtant le retour vers Votre Majesté de ce qu'elle aime le mieux au monde, je ne pouvais rien désirer qui lui fût plus agréable. Je lui rends grâce des vœux qu'Elle fait, qui ne sauraient être plus affectueux ni plus obligeants pour moi, et je prie Dieu qu'il la comble de ses saintes bénédictions d'aussi bon cœur que je suis, Madame ma sœur et cousine, Votre bon frère et cousin, _Signé_: L.[235]. LETTRE DU ROI AU ROI D'ESPAGNE A Saint-Jean-de-Luz, le 13 juin 1660. Monsieur mon frère, oncle et beau-père, Je ne puis demeurer davantage sans renouveler à Votre Majesté les assurances de mon amitié, qui augmente tous les jours, dans la possession du précieux gage qu'elle m'a laissé de la sienne. Votre Majesté agréera aussi que j'entre un peu dans le domestique avec Elle pour lui communiquer ma joie et mes satisfactions, ne se pouvant rien ajouter, ni pour l'honneur ni pour l'esprit, ni généralement pour toutes les qualités personnelles aux douceurs de la compagne[236] qu'elle a bien voulu me donner. Puisse Votre Majesté arriver en santé parfaite auprès de ce qu'Elle aime le mieux, comme j'attendrai de le savoir avec grande impatience, et jouir au reste d'une vie aussi longue et aussi heureuse que je la lui souhaite de tout mon cœur, étant, Monsieur mon frère, oncle et beau-père, bon frère, neveu et gendre de Votre Majesté. _Signé_: L.[237]. Deux jours après, le Roi, suivi des deux Reines et de toute sa cour, quitta Saint-Jean-de-Luz pour retourner à Paris. Il se rendit à Bordeaux, où il fut accueilli au milieu des fêtes et des transports de joie. Puis de Bordeaux il conduisit la cour à Saintes, où elle dut séjourner par ses ordres jusqu'au moment où il devait la rejoindre. Sous prétexte d'aller visiter La Rochelle, il partit seul en poste avec quelques confidents. Mais le but secret de cette excursion, c'était d'aller à Brouage[238], pour voir les lieux qui furent témoins de la passion et des souffrances de son amie. Nous n'avons aucun détail sur ce voyage, que Mlle de Montpensier se contente d'enregistrer sans la moindre réflexion dans ses Mémoires. Cette chevaleresque équipée, ce pèlerinage d'amour, empreint de je ne sais quelle poétique mélancolie, nous est une preuve que Louis, même au milieu des premières joies du mariage, n'était pas encore complètement guéri de ce mal si plein de charme et de tourments que lui avait fait sentir pour la première fois l'orageuse passion d'une Italienne. CHAPITRE X Entrée solennelle du Roi à Paris.—Marie Mancini demandée en mariage par le prince Charles de Lorraine.—Portrait de Charles IV duc de Lorraine.—Ses divers mariages.—Amours du prince Charles de Lorraine et de Marie Mancini.—Portrait de ce prince.—Son projet d'épouser Marie Mancini traversé par son oncle qui feint de se mettre lui-même sur les rangs.—Comédie jouée par le duc.—Ce que dit Marie Mancini dans ses Mémoires de ses relations avec le prince Charles.—Ses récits mensongers.—Sa présentation à Marie-Thérèse.—Froideur du Roi pour elle et sa cause.—Reproches qu'elle adresse au Roi.—Amours du prince Charles et de Mlle d'Orléans.—Jalousie et vengeance du Roi contre Marie Mancini et le prince Charles.—Projet de mariage entre Hortense Mancini et Charles II, roi d'Angleterre. Le 13 juillet, la cour était revenue à Fontainebleau et, le 26 août, le Roi faisait son entrée solennelle à Paris[239]. «Paris, dit Voltaire, vit avec une admiration respectueuse et tendre cette jeune Reine, qui avait de la beauté, portée dans un char superbe, d'une invention nouvelle, et le Roi à cheval à côté d'elle, paré de tout ce que l'art avait pu ajouter à sa beauté mâle et héroïque, qui arrêtait tous les regards[240].» Ce mariage, qui mettait fin à une si longue guerre, était l'œuvre du Cardinal. Il était parvenu au comble de la puissance et de la gloire. Les princes recherchaient des alliances dans sa famille, comme s'il se fût agi de celle du plus grand roi. Il vit à ses pieds le duc de Lorraine, Charles IV, et le neveu de ce prince, son héritier présomptif, le beau Charles de Lorraine, se disputer la main de Marie Mancini; il vit le duc de Savoie lui offrir d'épouser une de ses nièces, à la condition qu'on lui rendît Pignerol; il vit enfin la reine de la Grande-Bretagne, la fille de Henri IV, après qu'elle eut accompli le mariage de la princesse sa fille avec Monsieur, frère du Roi, lui demander de nouveau pour son fils Charles II, remonté depuis deux mois à peine sur le trône, la main d'Hortense. * * * * * Quelques mots sur ces divers projets d'union, dont les deux premiers surtout font incidemment partie de notre sujet. A dire vrai, la demande de la main de Marie Mancini par Charles IV, duc de Lorraine, ne fut qu'une comédie; mais, pour en saisir le secret et l'intrigue, il est nécessaire d'entrer dans quelques détails sur la personne et sur la situation de ce duc à l'égard de Louis XIV. «Ce prince qui, suivant l'expression de Voltaire, passa sa vie à perdre ses États et à lever des troupes», était devenu, depuis son avénement, l'implacable ennemi de la France. D'abord, il avait reçu à sa cour Gaston, duc d'Orléans, frère de Louis XIII, qui, à la suite d'une conspiration contre Richelieu, et pour se soustraire à la vengeance du terrible Cardinal, était venu lui demander un refuge. Puis, non content de cela, il lui avait fait épouser sa sœur Marguerite. Enfin, il s'était déclaré l'allié de l'empereur Ferdinand II et il avait mis ses troupes à sa disposition. A la suite de ces actes d'hostilité, ses États avaient été plusieurs fois envahis par les armées de Louis XIII et plusieurs fois démembrés en vertu de divers traités qu'il éludait et violait sans cesse[241]. C'est ainsi qu'il avait perdu successivement le duché de Bar et plusieurs villes importantes qui furent démantelées. Aussi astucieux et aussi peu fidèle à sa parole envers ses propres alliés qu'envers la France, il avait refusé de faire la campagne de 1653 sous les ordres du prince de Condé, qui commandait en chef les Espagnols, et d'évacuer plusieurs places que ses troupes occupaient en Allemagne. Pour punir ce manque de foi, le comte de Fuensaldagne l'avait fait arrêter à Bruxelles, où il avait été attiré comme dans un piége par l'archiduc Léopold, gouverneur des Pays-Bas[242]. De là on l'avait conduit à Anvers, puis en Espagne, où, pendant cinq ans, il resta prisonnier dans le château de Tolède, jusqu'au traité des Pyrénées qui lui rendit enfin la liberté. Mais il fut stipulé par ce traité qu'il ne serait remis en possession que de la Lorraine et de Nancy démantelé, et que le duché de Bar, le Clermontois et Moyenvic resteraient à la France. Ce prince fut sans contredit l'un des plus grands épouseurs de son siècle, et l'histoire de ses divers mariages est un véritable roman. Le marquis de Beauvau, son historien, qui vécut longtemps auprès de lui et dans son intimité, nous a laissé de ce singulier personnage un portrait aussi original que peu flatté, dont voici quelques traits: «Il était de bonne humeur, dit-il, galant et enjoué parmi les dames, pour lesquelles il a toujours témoigné une forte passion, jusqu'à contracter des mariages honteux, si ses parents ne s'y étaient fortement opposés; et, quoiqu'il semblât que l'âge dût consommer cette passion, elle a paru néanmoins jusqu'à la fin. Parmi tout cela il paraissait dévot, et particulièrement au Saint Sacrement comme à la source de toutes les dévotions. Il ne laissa aucun enfant qui pût être juridiquement censé légitime, quelque effort qu'il ait fait pour trouver quelque moyen de faire régner le prince de Vaudemont après lui, au préjudice de son neveu le prince Charles[243].» En premières noces, il épouse Nicole, fille aînée du duc de Lorraine, Henri-le-Bon, et, grâce aux droits de cette princesse, il devient duc de Lorraine. Bientôt, il soutient que cette union est nulle, il abandonne Nicole, en refusant de lui restituer ses États, et, sans avoir fait casser juridiquement son mariage, il épouse Béatrix de Cusane, princesse de Cantecroix, aussi remarquable par son esprit que par sa beauté. Ce ne fut qu'après la consommation de ce nouveau mariage, qu'il s'avisa de poursuivre à Rome la nullité du premier, tandis que la princesse Nicole sollicitait de son côté la nullité du second. Le Pape excommunie le duc, et le duc se moque de l'excommunication du Pape. Il continue à vivre avec la belle princesse de Cantecroix, qui le suivait partout dans ses voyages, et que l'on avait surnommée _sa femme de campagne_. Une sentence du tribunal de la Rote déclare légitime le mariage de Charles et de Nicole. Le duc n'en fait pas plus de cas que de la bulle d'excommunication. Nicole meurt en 1657; Béatrix presse aussitôt le duc de ratifier son union avec elle. Comme il avait cessé de l'aimer, il s'y refuse, en l'accusant de prodigalité et de galanterie. Sur ces entrefaites la cour de Rome déclare illégitime le mariage de Charles et de Béatrix, et ce n'est qu'au lit de mort de cette princesse qu'il consent enfin à l'épouser par procuration. Ce prince, que ses innombrables amours ne peuvent guérir de sa manie matrimoniale, a l'étrange pensée, un jour, d'épouser la fille d'un apothicaire, Marianne Pajot, d'une merveilleuse beauté. On dresse le contrat de ce mariage morganatique. Le duc y fait insérer la clause que les enfants à naître ne seront point habiles à succéder aux duchés de Bar et de Lorraine. Cette clause semble ne porter aucune atteinte aux droits que Louis XIV s'est acquis sur la Lorraine par le traité de Montmartre. Le duc se croit donc en état d'épouser en toute sécurité. Mais le Roi, pour couper court à toute réclamation ultérieure et à la sollicitation de la duchesse d'Orléans, indignée que son frère lui donne pour belle-sœur la fille d'un maître Purgon, fait enlever Marianne Pajot et la fait enfermer dans un monastère. Ainsi finit ce nouveau roman. Enfin ce terrible épouseur, à l'âge de soixante-deux ans, se marie avec une jeune fille de treize ans, Louise d'Aspremont, dont, pour ces deux raisons contraires, il n'eut pas d'enfants. Il n'en avait pas eu de Nicole, mais Béatrix lui avait laissé une fille et un fils, le prince Henri de Vaudemont, qui mourut sans postérité. Toutes ces explications, comme on le verra bientôt, sont nécessaires pour que le lecteur puisse suivre le fil de la singulière intrigue que va dérouler devant ses yeux un témoin oculaire, très digne de foi et fort bien informé, le marquis de Beauvau, qui a laissé de curieux Mémoires sur Charles IV[244] et qui, pendant de longues années, fut le gouverneur de Charles de Lorraine, neveu et successeur de ce prince. Au moment des négociations de Saint-Jean-de-Luz, le duc Charles venait à peine de sortir de sa prison d'Espagne. A cette époque il vivait encore avec la princesse de Cantecroix, mais son mariage avait été déclaré nul par l'Église. Dans l'espoir que ses États lui seraient intégralement rendus, il fit demander au cardinal Mazarin, par un sieur de la Chaussée, et d'abord pour son neveu, le prince Charles de Lorraine, la main de Marie Mancini. Mais lorsqu'il vit que cette offre brillante n'avait pas empêché le démembrement de ses domaines, cédant à un premier mouvement de dépit, il désavoua hautement La Chaussée. Le duc Charles avait pour frère Nicolas-François de Vaudemont, qui avait épousé Claude de Lorraine sœur puînée de la princesse Nicole, et dont il eut Charles de Lorraine, lequel succéda plus tard à son oncle Charles IV. Le duc François, afin de sauvegarder et de fortifier les droits du jeune Charles, son fils, sur le duché de Lorraine, fief féminin, droits que celui-ci tenait du chef de sa mère, depuis la mort de Nicole, voulut le marier avec la fille que le duc Charles avait eue de Béatrix de Cantecroix. Mais le duc, bien loin d'agréer cette proposition et afin de couper court à une nouvelle demande, qui lui semblait comme un attentat à sa succession, maria précipitamment cette jeune princesse du côté gauche avec le prince de Lillebonne, cadet de la maison d'Elbeuf. Une assez profonde mésintelligence régnait depuis longtemps entre les deux frères. Cet affront y mit le comble. Les choses en vinrent à ce point qu'un jour, à la suite d'une discussion, ils mirent la main à la garde de leur épée. Le duc François et le prince son fils, n'ayant plus d'espoir de rendre le duc de Lorraine favorable à leurs intérêts, ne virent plus d'autre moyen de les sauvegarder qu'en demandant de leur côté au cardinal Mazarin la main de sa nièce Marie Mancini. Une femme fort intrigante et d'un esprit raffiné, Mme de Choisi, qui fut la mère du fameux abbé de ce nom, et qui, suivant Mlle de Montpensier, était «fort portée à faire des mariages[245]», conseilla au jeune prince de faire la cour à Marie Mancini. Marie venait, comme nous l'avons dit, de rentrer à Paris et son oncle avait hâte de la marier au plus tôt, afin d'élever une nouvelle barrière entre elle et le Roi. Mme de Choisi renoua connaissance avec un certain abbé Buti, fort adroit Italien, que Marie employait quelquefois à son service. L'abbé et la dame se virent fréquemment, ils dressèrent leurs batteries, des ouvertures furent faites à la nièce de Mazarin. Elle les accueillit avec transport. La servitude dans laquelle elle était maintenue par son oncle commençait à lui devenir insupportable, et son imagination, qui ne rêvait que des couronnes, lui persuadait déjà qu'elle serait bientôt duchesse de Lorraine. Elle ne se fit pas prier pour une première entrevue, qui fut aussitôt suivie de plusieurs autres. Elle fut éblouie par le grand air, la beauté mâle, l'intelligence du jeune prince, et celui-ci ne le fut pas moins par l'esprit de Marie, par l'éclat de ses yeux, étincelants de passion, et surtout par la renommée qu'avait attachée à sa personne l'amour d'un grand Roi[246]. C'était une séduction de plus et bien digne de piquer l'amour-propre d'un cavalier aussi accompli que le prince de Lorraine. Tout annonçait déjà dans ce prince le héros qui devait jouer un si grand rôle aux journées du Saint-Gothard et de Senef, aux siéges de Philisbourg et de Mayence, et que l'empereur Léopold Ier jugea digne plus tard de la main de sa sœur l'archiduchesse Marie-Éléonore, reine douairière de Pologne. Rien ne pouvait faire prévoir alors que ce prince ne rentrerait jamais dans ses États, et, à défaut d'une couronne royale, Marie Mancini se contentait fort bien d'une couronne ducale[247]. Elle aimait d'ailleurs le prince avec le même emportement qu'elle avait aimé Louis XIV, et Charles de Lorraine se laissa entraîner, comme le Roi, par cet amour impétueux et irrésistible. Mais laissons la parole au marquis de Beauvau, qui tenait certainement tous ces détails de la bouche même du jeune prince Charles, dont il était gouverneur: «La demoiselle, comme j'ai dit, trouvait le prince à son gré, et lui donnait souvent des rendez-vous, tantôt au jardin des Tuileries, tantôt en des églises, car sa gouvernante ne lui permettait pas de le voir chez elle, et, bien souvent, ils n'osaient se parler de peur qu'on ne soupçonnât leur inclination mutuelle. Le prince, de son côté, se laissait enflammer d'une passion ardente et assez ordinaire chez les jeunes gens, lorsqu'ils rencontrent une fille qui leur fait beau jeu. Ce n'est pas que cette demoiselle fût belle, ajoute Beauvau, qui se tait par galanterie sans doute sur les détails du jeu, mais elle avait l'esprit vif et engageant, et il la considérait comme un sujet capable de rétablir sa maison, de sorte que leur impatience réciproque gâta tout.» Et ici Beauvau entre dans des explications du plus vif intérêt sur l'étrange et astucieuse conduite que tint alors le duc Charles IV. «Il y a apparence, poursuit-il, que le cardinal Mazarin aurait aisément consenti à ce mariage, puisqu'il ne pouvait rencontrer un parti, ni plus avantageux, ni plus glorieux pour sa nièce, et que la Reine mère même, qui avait pris un trop grand ombrage de l'inclination du Roi pour cette demoiselle, et qui craignait que cela n'apportât à la fin quelque trouble à la nouvelle Reine, le pressait de la marier. Mais comme ce ministre était rusé, et qu'il voulait toujours paraître fort modéré aux choses qui regardaient ses intérêts particuliers, afin de faire croire qu'il ne considérait que ceux du roi son maître, il eût désiré que le duc eût fait rechercher sincèrement son alliance pour monsieur son neveu[248].» Nous connaissons les dispositions de Charles IV pour Charles de Lorraine. Bien loin de favoriser son projet, il le traversa ouvertement, témoignant tout haut de l'aigreur contre ceux qui l'appuyaient, et s'emportant même jusqu'aux menaces. Un tel éclat ne pouvait être que blessant pour le Cardinal. Mais le duc, afin de lui persuader qu'il ne s'opposait au mariage de son neveu que parce qu'il désirait lui-même épouser Marie Mancini, lui en fit faire la demande formelle par le duc de Guise. En même temps, afin de rompre le commerce de son neveu et son projet de mariage, il affecta d'aller voir souvent Marie Mancini, «et d'user de toutes sortes de cajoleries et de persuasion, pour lui faire croire qu'il avait dessein de l'épouser lui-même». «Et pour mieux engager Mme de Venel, sa gouvernante, poursuit Beauvau à qui nous empruntons ces piquants détails, il lui jeta un jour une pierrerie dans son sein, qu'elle avait refusé d'accepter de sa main. Sur quoi il arriva que cette dame, pensant la lui avoir rejetée dans la genouillère de sa botte, elle tomba par terre, et fut trouvée par un laquais qui en profita, le duc ni Mme de Venel ne l'ayant pas voulu reprendre.» La demande du duc de Lorraine ayant été faite par le duc de Guise, le Cardinal, qui connaissait la duplicité du personnage, exigea, cette fois, pour plus de sûreté, que Charles IV lui fît cette ouverture de sa propre bouche. Nous ignorons si le prince, qui était tout pétri d'irrésolution et de fourberie, osa risquer ce pas. Par malheur pour lui, le Cardinal intercepta une lettre qu'il adressait en même temps à la princesse de Cantecroix, dans laquelle il la suppliait de ne pas s'alarmer de ses démarches matrimoniales, que ce n'était qu'un jeu de sa part pour améliorer ses affaires, et que, le moment venu, il trouverait bien moyen de se dégager[249]. Mazarin, outré de cette nouvelle perfidie, résolut de ne plus entendre parler ni du mariage de l'oncle ni de celui du neveu, et, pour se venger, il amusa, jusqu'aux derniers jours de sa vie, le duc de Lorraine par l'espérance toujours ajournée d'un traité d'accommodement avec le Roi[250]. «Voilà, s'écrie à ce propos le marquis de Beauvau, voilà comme trop de raffinement gâte plus souvent les meilleures affaires qu'il ne les fait réussir.» Marie Mancini dut faire aussi peu de cas des promesses que des galanteries du vieux duc. Mais elle fut au désespoir de la rupture de son projet de mariage avec le prince de Lorraine. Elle l'aimait tendrement et follement. Sa passion pour lui était si forte, qu'elle avait souvent déclaré ou qu'elle l'épouserait ou qu'elle se ferait religieuse[251]. Vain serment! Elle n'était pas de la race des La Vallière, et si, plus tard, on la vit dans un couvent, ce ne fut pas à coup sûr de son plein gré qu'elle y entra. Il est intéressant de placer ici sous les yeux du lecteur ce que Marie Mancini a dit de ses relations avec le prince Charles de Lorraine, dans ses Mémoires, dont l'authenticité ne saurait faire l'ombre d'un doute[252]. Elle était trop jalouse de paraître restée fidèle à son amour pour un grand Roi, elle savait trop tout l'intérêt qu'éveillait autour de son nom ce poétique souvenir, devant ses contemporains et devant la postérité, pour qu'elle ait osé de sa propre main en ternir l'éclat. Aussi avec quel soin passe-t-elle sous silence la nouvelle passion dont elle fut éprise pour Charles de Lorraine! «La paix faite, dit-elle, et le mariage du Roi conclu, Son Éminence envoya un ordre à notre gouvernante pour nous mener à Paris, où nous arrivâmes quelques jours avant que la cour partît de Bordeaux, et où le prince Charles de Lorraine, autant galant que bien fait, commença à me faire l'amour; mais j'étais encore peu disposée à recevoir une nouvelle passion. La chute que je venais de faire était trop grande, et il fallait du temps pour m'en consoler et non pas des soupirs. «Mes sœurs ne se plaisaient point aux assiduités de ce prince, et, comme elles se trouvaient souvent engagées à me suivre aux Tuileries, elles se lassaient de ces continuelles promenades, où ce prince me suivait toujours[253], et il était souvent l'objet de leur censure, jusqu'à le railler sur les soins qu'il me rendait, et sur l'estime particulière que j'avais pour lui, et que je ne pouvais refuser à son mérite.» Écoutons maintenant ce qu'elle dit du rôle d'amoureux qu'essaya de jouer auprès d'elle le vieux duc de Lorraine, rôle sur lequel elle est loin de se méprendre et dont elle devine fort bien le secret motif: «Le duc de Lorraine, son oncle, avait pénétré dans le dessein de son neveu, et craignant que ce prince, comme son légitime successeur, avec le mariage qu'il projetait, n'entrât dans les intentions du Cardinal mon oncle, et qu'il ne reçût de Son Éminence des avantages qui auraient pu tourner à son préjudice, chercha le moyen de s'opposer à ces inconvénients, et il voulut même occuper sa place, mais assez mal, parce qu'un homme de son âge ne pouvait pas remplir celle d'un jeune prince, et que son empressement à me suivre partout ne pouvait pas avoir le même succès que les assiduités de son neveu.» Après cette demi-confidence sur laquelle elle se hâte de jeter un voile, Marie Mancini nous raconte sa présentation à la nouvelle Reine, l'émotion et le trouble qu'elle éprouva de se retrouver en présence du Roi et la souffrance que lui causa l'indifférence de ce prince. Ici l'on voit, l'on sent qu'elle parle en toute sincérité. Ce qui mit le comble à sa douleur ce fut d'entendre l'éloge de Marie-Thérèse, de la bouche même de celui qui l'aima autrefois d'une si vive tendresse: «Dans le temps que ce nouvel amant (le duc de Lorraine) s'efforçait de me rendre ses devoirs amoureux, la cour arriva à Fontainebleau, où le Cardinal nous fit venir faire la révérence à la nouvelle Reine. Je prévis d'abord combien cet honneur m'allait coûter, et il est vrai que ce ne fut pas sans peine que je me disposai à le recevoir, m'attendant à voir rouvrir une blessure par la présence du Roi, qui n'était pas encore bien fermée, et à laquelle il aurait sans doute mieux valu appliquer le remède de l'absence. Cependant, comme je ne m'étais pas imaginé que le Roi me pût recevoir avec l'indifférence qu'il me reçut, j'avoue que j'en demeurai si fort troublée, que je n'ai de ma vie rien senti de si cruel que ce que je souffris de ce changement, et qu'à chaque moment je voulais m'en retourner à Paris. «C'est un défaut ordinaire à notre sexe, poursuit-elle, de ne pouvoir souffrir qu'on loue les autres, quand même ce seraient les gens du monde qui méritent le mieux des louanges. Mais, quand c'est une personne que nous aimons, qui donne ces louanges, et qu'elles regardent celle qui nous dérobe son cœur, je ne crois pas qu'il y ait rien de si sensible. C'est une cruauté qui surpasse toutes les autres. Le Roi me réduisit plusieurs fois en cet état-là, et j'étais d'autant plus digne de pitié, que je ne pouvais pas lui en faire des plaintes, ni désapprouver son procédé. Ma raison l'excusait, et les ordres de mon oncle étaient si exprès là-dessus, qui m'avait absolument défendu de rien dire sur ce sujet-là, qu'ils ne me laissaient pas lieu de contenter mon cœur, en accusant le sien de quelque dureté. Néanmoins, toutes ces défenses et toutes ces considérations ne firent qu'augmenter les impatients désirs que j'en avais; et m'obligèrent enfin à chercher deux ou trois fois l'occasion de m'expliquer avec Sa Majesté, qui reçut si mal mes plaintes, que je résolus, dès ce moment-là, de ne me plaindre plus, et de n'avoir pas la moindre pitié de mon cœur, s'il se troublait après tant d'insensibilité.» La confidence est d'autant plus précieuse que les contemporains ont ignoré ces intéressantes particularités, dont on ne trouve pas la moindre trace dans les mémoires du temps. Mais, comme tout en est vrai en ce qui touche la froideur du Roi! Cette froideur, nous en connaissons la cause secrète. Louis savait fort bien à quoi s'en tenir par les malins propos de ses courtisans sur les promenades de Charles de Lorraine et de Marie Mancini aux Tuileries. Son orgueil blessé étouffa les derniers vestiges de son amour. Lui, que son cœur encore malade, avait entraîné à Brouage pour y visiter la prison de son amie, et qui, même après les premières semaines de son mariage, ne pouvait rompre avec ce tendre souvenir, avec quel amer désenchantement ne dut-il pas apprendre qu'il était remplacé dans ce cœur qui semblait s'être donné à lui sans partage et à jamais! Lui qui, jaloux de Dieu même, arracha plus tard La Vallière éperdue au pied des autels, avec quel implacable ressentiment ne se vit-il pas préférer un rival si inférieur à lui en mérite, en puissance et en grandeur! S'il fallait en croire Marie Mancini, la vue du Roi fit naître en elle un retour de tendresse dont elle eut peine à triompher. Vrai ou mensonger, ce qu'elle nous dit de sa souffrance n'en est pas moins intéressant. «Avec tout cela, poursuit-elle, mon mal avait besoin d'un plus grand remède que le dépit. Je cherchai vainement tout ce qui le pouvait guérir, éloignant de mes yeux tout ce qui était capable de fomenter ma passion, jusqu'à me faire des prétextes pour la détruire dans mon cœur. Je priais, autant que je pouvais, ma sœur Hortense, en qui j'avais beaucoup de confiance, et qui avait pitié de l'état où elle me voyait, qu'elle me parlât mal du Roi, et qu'elle me représentât tout ce qui était capable de me le faire haïr, entreprise assez difficile et à laquelle elle ne put aussi que mal réussir. Je fuyais le monde et la cour et je n'y allais que lorsque je ne pouvais m'en dispenser...» Si ce n'est pas là de la passion, jamais à coup sûr le langage qui l'exprime ne toucha de plus près à la vérité. Reprenons le fil de notre récit. Le vieux duc de Lorraine, las de la comédie qu'il jouait avec Mazarin et sa nièce, entama bientôt en faveur de son neveu Charles de Lorraine une nouvelle campagne matrimoniale, dans laquelle il paraît avoir agi avec moins de fourberie. Malgré toutes ses méchantes intrigues, il essayait de persuader à tout le monde qu'il avait de fort bonnes intentions pour ce neveu, qu'il le considérait comme son légitime héritier et que c'était par lui seul qu'il prétendait rétablir sa maison. Sans aucun souci des ouvertures qu'il avait fait faire au Cardinal, par le duc de Guise, il désavoua celui-ci (qui fut outré d'une telle duplicité[254]), et il déclara hautement qu'il avait jeté les yeux sur un parti bien plus honorable et plus avantageux que la nièce du Cardinal, sur Mlle de Montpensier, fille aînée du duc d'Orléans, mort récemment, et qui laissait des biens immenses. Il fit demander la main de cette princesse pour son neveu, en promettant, si elle acceptait, de se dépouiller en faveur du jeune prince de tous ses États. Le Cardinal ayant appris cette nouvelle démarche, témoigna non seulement approuver le projet, mais promit d'y faire souscrire Mlle de Montpensier et le Roi. On crut généralement que le Cardinal ne prenait guère plaisir au change, mais qu'il voulait voir si le duc «se dépouillerait franchement de ses États pour faciliter ce mariage comme il l'offrait, en se réservant seulement cent mille écus de rente[255].» Mazarin envoya même Lionne «pour traiter cette affaire avec le conseil de Mademoiselle, mais le duc qui, avec son irrésolution ordinaire en toutes choses, n'avait pas l'intention si déterminée qu'il désirât d'y voir sitôt une conclusion, y fit toujours naître tant d'obstacles, que le Cardinal, qui languissait depuis plusieurs mois, mourut avant que de pouvoir être satisfait de sa curiosité[256]». Après la mort de Mazarin, le duc feignit de poursuivre ardemment le mariage de son neveu avec Mlle de Montpensier; mais, comme cette princesse n'ouvrait l'oreille à cette demande qu'à la condition expresse que le duc se démettrait de ses États en faveur du prince Charles, il se rendit à Paris pour tout brouiller. Il craignit qu'une fois dépouillé de ses États en faveur de ce mariage, le Roi appuyant Mademoiselle, il ne pourrait jamais revenir sur sa parole. Suivant sa coutume il se tira donc de ce pas dangereux par une nouvelle fourberie. «Comme il désirait, dit Beauvau, que la rupture de cette affaire parût venir de la part du prince de Lorraine et non pas de la sienne propre, il trouva moyen par diverses pratiques secrètes à l'engager à avoir de l'amour pour Mlle d'Orléans[257], ce qui ne fut pas difficile à un jeune prince assez susceptible de cette passion. C'était une princesse de son âge, belle, d'un esprit hardi, qui répondait à son affection, et par conséquent bien plus capable d'inspirer une forte passion dans le cœur d'un jeune homme, qu'une fille déjà d'âge comme Mlle de Montpensier sa sœur...» Qu'arriva-t-il de toutes ces intrigues? Mlle de Montpensier manqua le prince de Lorraine comme elle en avait manqué tant d'autres. Sa sœur, Marguerite-Louise d'Orléans[258], ne fut pas plus heureuse. Malgré sa passion pour le prince Charles, dont elle était affolée, malgré ses résistances et ses pleurs, le Roi la maria à Cosme de Médicis[259], fils aîné du grand-duc Ferdinand et qui lui succéda sous le nom de Cosme III. Pendant toutes ces intrigues et à la nouvelle de la passion que Charles de Lorraine et Mlle d'Orléans éprouvaient l'un pour l'autre, il est facile de sentir à quel point Marie Mancini fut en proie aux tortures de la jalousie. Le Roi, de son côté, qui avait appris que le prince Charles l'avait remplacé dans le cœur de son amie, en conçut un ressentiment profond contre les deux amants. Paraissant ostensiblement céder à la promesse qu'il avait faite aux Médicis de la main de la jeune princesse autant qu'à une nécessité politique, il saisit avec joie cette bonne occasion de porter à son rival le coup le plus sensible. Il ordonna que Mlle d'Orléans partirait pour la Toscane dans quatre jours «ou qu'elle épouserait un cloître». «Après ces paroles tonnantes, dit Beauvau, on demeura sans réplique et sans remontrances, considérant que le Roi voulait la chose si absolument». Mlle d'Orléans, si cruellement arrachée au prince qu'elle aimait, prit en telle horreur son époux, qu'elle se livra aux plus violents exercices pour se faire avorter et qu'elle fit longtemps scandale dans la cour de Toscane par ses emportements et par les bizarreries de son esprit fantasque. Tels étaient les tristes fruits d'un amour contrarié. Nous verrons plus tard Marie Mancini, devenue la connétable Colonna, se livrer à de semblables déportements et peut-être pour la même cause. Le Roi, pour la punir d'avoir cessé de l'aimer et de s'être laissé entraîner à un autre amour, le Roi, à partir du mariage de l'infidèle avec le connétable Colonna, refusa constamment de la voir, lorsque, après avoir fui le palais de son mari, elle fit à diverses reprises des escapades en France. Si elle eut continué à aimer le Roi, même après son mariage, il est fort probable, qu'aimée encore de lui, elle eût précédé La Vallière. La facilité de mœurs qu'elle montra, pendant tout le reste de sa vie et qui fut probablement cause de sa rigoureuse détention dans divers couvents et citadelles, permet de supposer qu'elle n'eût pas résisté à la passion de Louis. C'est pour éviter un tel scandale, que le Cardinal, d'accord avec la Reine mère jugea prudent de la marier hors de France. Mais, en attendant qu'il pût exécuter ce projet, il en poursuivait un autre bien plus ambitieux, celui de faire épouser sa nièce Hortense à Charles II, à qui il l'avait refusée deux fois avant que ce prince fût remonté sur le trône. Mazarin, sachant que Charles avait besoin d'argent pour acheter ce qui restait de factieux dans son royaume et dans le parlement, et pour payer ses troupes avant de les licencier, lui fit offrir cinq millions en même temps que la main de sa nièce Hortense[260]. Il chargea de cette négociation un de ses agents dévoués, le sieur Bartet, qui partit pour Londres[261]. La Reine douairière de la Grande-Bretagne, qui venait de conclure le mariage de sa fille avec Monsieur frère de Louis XIV, se montra très favorable au projet du Cardinal et ne négligea rien pour l'appuyer. M. d'Aubigné, cousin du Roi d'Angleterre et qui était fort lié avec le cardinal de Retz alors réfugié en Hollande, lui écrivit sur-le-champ pour l'engager à venir à Londres, afin qu'il pût tirer profit des circonstances et ménager son retour en France par l'entremise de Charles II. Retz s'empressa de quitter le lieu de sa retraite et de se rendre auprès du roi d'Angleterre, «dans le dessein d'aider, autant qu'il pourrait, à la conclusion de ce mariage, ne doutant pas que ce ne fût une voie sûre pour se raccommoder avec le cardinal Mazarin[262]». Mais les choses avaient changé de face; le pouvoir de Charles s'affermissait de jour en jour, et les symptômes d'hostilité qui s'étaient manifestés d'abord au sein du parlement et de l'armée avaient entièrement disparu. Il put licencier ses troupes sans danger, par un seul acte de sa volonté, et son parlement se montra de plus en plus empressé à faire tout ce qu'il désirait[263]. Charles ne crut donc pas devoir accepter ce qu'il avait sollicité si vivement et si humblement avant de remonter sur le trône. Il se montra sourd aux instances de sa mère et de son ami le cardinal de Retz. S'il fallait en croire Guy Joly, Retz, en cette circonstance, changea de rôle et fit volte-face avec la facilité d'évolution d'un diplomate qui défend le pour et le contre avec la même indifférence. «Ayant trouvé le Roi et son conseil, dit son confident, fort éloignés de cette proposition, il changea de batterie, et, entrant dans l'esprit de la cour, il déclama vivement contre le dessein du cardinal Mazarin, et fit tout ce qu'il put pour persuader au monde que c'était lui qui avait empêché cette indigne alliance et qu'il n'avait entrepris le voyage d'Angleterre que pour cela.» Il proposa aussitôt à Charles II un mariage plus digne de lui, une princesse de Parme dont les Espagnols offraient de payer la dot sur le même pied que celle d'une princesse d'Espagne. Charles accueillit ce projet avec empressement, et déjà il avait fait partir pour l'Italie le comte de Bristol, lorsque son chancelier, qui avait d'autres vues, lui proposa l'infante de Portugal, Catherine, et Charles renonça au projet du cardinal de Retz pour épouser cette princesse[264]. On peut juger de l'extrême déplaisir que dut causer au cardinal Mazarin un refus si humiliant qui mettait ainsi à découvert tout ce qu'il y avait en lui d'ambition, et qui donnait un si éclatant démenti à la modération apparente dont il se piquait. La tentative qu'il fit en cette circonstance nous est une preuve de plus que, si Anne d'Autriche ne se fût pas opposée avec une si ferme résolution au mariage de son fils avec Marie Mancini, le Cardinal eût plutôt consulté son propre intérêt que la gloire du Roi. Rendu plus sage et plus circonspect par ce dernier échec, il trouva bientôt une occasion de le réparer avec éclat. Charles-Emmanuel II, duc de Savoie, le frère de cette princesse Marguerite dont Louis XIV avait demandé la main, ayant fait offrir au Cardinal d'épouser une de ses nièces pourvu qu'il voulut lui faire rendre Pignerol, il refusa cette magnifique alliance, en déclarant «qu'il ne voulait établir ses nièces que pour augmenter sa gloire, et que, faisant cette trahison au roi par la seule considération de ses intérêts, il n'en mériterait que la honte[265]». CHAPITRE XI Dernière maladie de Mazarin.—Il promet en mariage sa nièce Marie Mancini au prince Colonna, grand connétable du royaume de Naples.—Causes de ce projet de mariage.—Désespoir de Marie Mancini.—Sa passion pour le prince Charles de Lorraine.—Mort de Mazarin.—Retards que met le connétable à épouser Marie Mancini.—Prétendues offres à Marie d'autres partis par le Roi, et prétendus refus de Marie.—Motifs qu'elle en donne dans ses _Mémoires_.—Son mariage par procuration avec le connétable.—Elle est conduite jusqu'à Milan, où l'attendait le connétable.—Vrais sentiments de Louis XIV, à cette époque, pour la connétable.—Diversité des opinions de la cour sur les sentiments du Roi.—Lettres de Louis XIV au connétable et à Mme de Venel.—Maladie de Marie Mancini pendant le voyage.—Son arrivée à Rome. La santé du cardinal Mazarin, depuis son retour des conférences, déclinait de jour en jour. Atteint de la goutte et de la gravelle, les trois mois qu'il venait de passer aux bords humides et marécageux de la Bidassoa, au milieu des fatigues d'un travail incessant et des inquiétudes de tout genre dont il était assailli, avaient hâté les progrès de son mal. Sa goutte se porta aux entrailles, ce qui lui donna de la fièvre, des convulsions et du délire. Le Roi, très alarmé de son état, se rendait chaque jour à Paris pour le visiter et le consulter: «Sire, lui dit un jour Mazarin, vous demandez conseil à un homme qui n'a plus de raison et qui extravague.» Le roi, s'apercevant en effet qu'il avait quelques absences et défaillances d'esprit, fut très ému d'un tel spectacle et, s'étant retiré dans une galerie, il pleura ce grand homme, qui avait protégé son enfance contre les factions et qui lui avait servi à la fois de gouverneur, de ministre, de tuteur et de père. Bientôt la goutte remonta des entrailles à l'estomac, le malade fut en proie à de douloureux étouffements, et une hydropisie aux poumons commença à se déclarer. L'état désespéré où il était ne l'empêchait pas de penser à ses trésors, et l'on remarqua avec surprise que, dans les moments de relâche, il s'occupait à peser avec le plus grand soin les pistoles qu'il gagnait, pour remettre au jeu le lendemain les plus légères[266]. Son unique regret en quittant la vie était de se séparer de tant de richesses mal acquises, qui, au témoignage du surintendant Fouquet, s'élevaient à plus de cent millions de livres. Le 22 février (1661), le Roi et la Reine mère, qui étaient alors à Vincennes, allèrent visiter le Cardinal. Ils le trouvèrent plus mal et plus oppressé. Il leur parla cette fois de sa mort, et leur dit des choses si touchantes qu'en le quittant ils fondirent en larmes[267]. Ce n'est pas qu'au fond, il fût sensible à ces attentions. Comme il ne se passait pas de jour qu'Anne d'Autriche ne vînt s'asseoir auprès de son lit, et n'y restât longtemps pour lui donner de tendres soins, le malade, même en sa présence, laissait éclater sa mauvaise humeur, «et la traitait comme si elle eût été une chambrière; et quand on lui venait dire qu'elle montait pour aller chez lui, il refrognait les sourcils et disait en son jargon: «Ah! cette femme me fera mourir, tant elle est importune. Ne me laissera-t-elle jamais en repos[268]?» «Il poussa si avant son ingratitude et son peu de respect pour eux (pour le Roi et la Reine mère), qu'on en levait les épaules et qu'on disait qu'on n'avait jamais vu faire litière de la royauté comme il faisait[269]. » La mort le prenant à la gorge, il fallut enfin qu'il se décidât à partager ses innombrables trésors entre ses héritiers. Un de ses premiers soins fut d'ordonner le mariage de sa nièce Marie Mancini avec le grand connétable de Naples, le prince Colonna, qui appartenait à l'une des plus anciennes et des plus illustres familles de l'Italie[270]. Il redoutait, ainsi que la Reine mère, que la passion du Roi, bien qu'elle parût éteinte, ne se réveillât et ne se montrât moins docile que la première fois. Il fallait donc, et à tout prix, éloigner le plus possible de sa vue celle qui fut l'objet de son ancien amour, et voilà pourquoi, malgré la vive résistance de Marie, le connétable fut préféré à tout autre parti. Mazarin assignait à sa nièce «une dot de cent mille livres de rentes en Italie et sa belle maison de Rome qu'il lui laissa[271].» A cette époque, bien qu'elle ait gardé le silence sur ce point dans ses Mémoires, elle aimait encore éperdument le prince Charles de Lorraine, et, lorsque son mariage avec le connétable fut arrêté par son oncle, elle laissa éclater «un désespoir si violent, qu'elle ne put s'empêcher de reprocher au Roi la faiblesse qu'il avait témoignée pour elle en cette occasion, et au Cardinal l'outrage qu'il lui faisait de faire un sacrifice de son cœur et de sa personne[272].» Nous avons dit plus haut comment elle a essayé de donner le change à ses lecteurs, dans son _Apologie_, en prétendant qu'elle était restée fidèle à sa passion pour le Roi. Voici maintenant les intéressants détails qu'elle nous donne sur son mariage avec le prince Colonna: «Mon oncle commença alors à se trouver mal, et, voyant que chaque jour sa maladie empirait, il résolut enfin de me marier avec le connétable qui, toujours constant et amoureux de moi, persistait à me demander. A quoi m'ayant à la fin fait consentir, Son Éminence écrivit au marquis Angeleli, qui était alors à Bruxelles. Ce marquis vint en même temps, et comme il était agréable, galant et qu'il avait infiniment d'esprit, il persuadait aisément ce qu'il voulait. Il se servit si bien d'un si beau talent en faveur du connétable et des coutumes d'Italie, que m'ayant fait agréer plus que jamais la proposition, ce fut à ma prière que l'évêque de Fréjus sollicita mon oncle pour achever au plus tôt cette affaire. Si bien que Son Éminence conclut mon mariage quelques jours auparavant celui de ma sœur Hortense avec le duc Mazarin[273], et acheva peu de temps après la carrière d'une si illustre vie, par une mort qui fut honorée de tous les témoignages possibles d'estime et d'affection de la part de Sa Majesté.» Le Cardinal mourut le 9 mars 1661 avant d'avoir vu célébrer ce mariage qu'il avait tant à cœur. Il fit paraître à sa mort des sentiments de piété qu'on ne lui avait jamais connus jusque-là. On le soupçonnait de n'avoir pas eu beaucoup de religion, à en juger par son peu «de vénération pour les mystères les plus sacrés[274]». Il n'en montra pas moins beaucoup de fermeté et de tranquillité d'esprit dans ses derniers jours... Suivant la belle expression de Mme de Motteville, «il fit bonne mine à la mort.» Bien que son neveu Mancini et ses nièces eussent été gorgés par lui de trésors et d'honneurs, pour toute oraison funèbre, ils poussèrent cette indécente exclamation, au moment où il venait d'expirer: «_Pure è crepato!_» Mais revenons au récit de la connétable: «Après qu'on eût rendu à sa mémoire ce qu'on lui devait, bien loin que ce changement en apportât dans le cœur du Roi, la bonté qu'il avait pour nous semblait être augmentée, ne passant pas de soir qu'il ne vînt dans notre appartement, suivi de la meilleure partie de sa cour, qui était alors si éclatante qu'on n'a jamais rien vu de plus riche ni rien de plus pompeux, ni jouer plus grand jeu que l'on jouait alors chez nous. «Avec tous ces divertissements, je ne laissais pas d'avoir l'âme pleine de soucis et d'inquiétude, voyant que les articles que le connétable devait envoyer signés ne venaient point. Et comme tout le monde croyait que ce retardement ne provenait que du changement des affaires, depuis que mon oncle était mort, il plût à Sa Majesté de m'offrir divers partis, parmi la plus illustre noblesse de sa cour. Mais, ne prenant pas moins de cœur de voir évanouir toutes mes espérances, que de tenir ma parole, je répondis à Sa Majesté, sur les offres qu'elle me faisait, que, si le connétable avait changé de sentiment, je voulais aller passer le reste de mes jours dans un couvent.» Ne nous laissons pas prendre à ce beau langage de la sirène. Ce n'était pas dans un couvent qu'elle devait chercher des consolations. «Peu de jours après cette proposition, poursuit-elle, on vit enfin arriver le courrier qui apporta les articles que nous attendions... On commença à faire les cérémonies de mon mariage en la chapelle du Roi, où la messe fut célébrée par l'archevêque d'Amasia, aujourd'hui patriarche de Jérusalem, qui me fit un présent de très grande valeur de la part du connétable son neveu, au nom duquel le marquis Angeleli me donna la main. Cette cérémonie étant achevée, on me traita en princesse étrangère, et, comme telle, on me donna le tabouret dans la chambre de la Reine. C'était là le commencement de cette affaire, et le départ, la fin. Je le sollicitai avec beaucoup d'empressement, ne pouvant avoir de repos que je ne me fusse mise en chemin, parce qu'une fois qu'on a pris une résolution favorable ou contraire, il faut l'exécuter le plus tôt que l'on peut. Je partis donc, et, en prenant congé de Leurs Majestés, le Roi eut la bonté de m'assurer que j'aurais toujours part dans son souvenir, et qu'il m'honorerait toujours de son affection, quelque part du monde que je fusse. Ensuite de cela, je partis, accompagnée du patriarche de Jérusalem, du marquis Angeleli et de notre gouvernante[275], suivie de cinquante gardes à qui Son Éminence avait donné ordre, avant que de mourir, de m'escorter jusqu'à Milan, où le connétable me devait venir prendre...» Le mariage, comme nous l'apprend la Relation de la connétable, avait donc eu lieu par procuration, et le prince Colonna ne devait la voir pour la première fois qu'en Italie. Les passages que nous venons de citer des Mémoires de Marie Mancini, nous offrent une particularité sur laquelle sont muets tous les autres Mémoires du temps. Louis XIV, après la mort de Mazarin, voyant que le connétable tardait à exécuter sa promesse de mariage, eût-il l'intention de faire épouser Marie par un des seigneurs de sa cour? Cela est fort douteux, de l'humeur dont il connaissait la dame et sachant fort bien à quoi s'en tenir sur sa nouvelle passion pour le prince de Lorraine, qui lui avait inspiré de si profonds ressentiments. Il ne faut voir, croyons-nous, dans le récit de la connétable sur ce point qu'une invention pour tourner les choses à son avantage et pour maintenir autour de sa figure une auréole poétique. La vérité est que le Roi ne fut pas fâché de la voir partir et d'être séparé d'elle par quelques centaines de lieues. On peut trouver la preuve de ce sentiment peu favorable à l'exilée dans ses refus constants de la laisser revenir à Paris, lorsque, plus tard, s'étant enfuie de Rome, où elle avait abandonné son mari et ses enfants, elle fit de si nombreuses et vaines tentatives pour rentrer en France. Les opinions pourtant, il faut bien le dire, étaient partagées à la cour sur le point de savoir si le Roi avait ou non gardé pour elle un tendre sentiment. Mme de Motteville nous a fait connaître cette divergence d'opinion des contemporains. «Le Roi, à son retour, nous dit-elle, avait vécu avec elle avec beaucoup plus de marques d'indifférence que de passion. Quelques-uns ont dit qu'il eut encore quelques moments de tendresse qui pensèrent rallumer ses premières flammes; mais je l'ignore, et n'en puis rien dire.» Quelque indiscrétion du Roi à ses courtisans aurait pu seule nous révéler le secret des choses. Mais, s'il eut à se plaindre de l'infidélité de Marie, il ne crut pas de sa dignité de le témoigner. Loin de là, il ne s'exprimait qu'avec une respectueuse délicatesse, lorsqu'il fut obligé, en certaines circonstances bien rares, de parler de la connétable. On ne connaît que trois lettres du Roi, dans lesquelles il est question de son ancienne amie, deux au connétable, la troisième à Mme de Venel[276]. Relisons cette lettre à Mme de Venel, qui venait de conduire jusqu'à Milan la connétable, et nous y trouverons des expressions du Roi si charmantes et si délicates, que l'on peut dire qu'elles furent comme les dernières lueurs de son amour. On remarquera que le Roi ne prononce pas le nom de Marie Mancini; mais comment Mme de Venel eût-elle pu s'y tromper, lorsqu'il la désigne d'un mot si tendre? «Madame de Venel, «J'ai été très aise d'apprendre, par vos lettres de Milan, l'heureux succès de votre voyage et la fin de vos aventures. Après avoir gardé un trésor avec la dernière vigilance, il n'y avait rien de plus honnête que de le remettre tout entier à celui à qui il appartient, comme vous avez fait.» Mme de Venel, à qui le Roi avait déjà donné par anticipation le brevet de sous-gouvernante de la première fille qui lui naîtrait, Mme de Venel, après avoir rendu compte au Roi de sa mission, lui avait souhaité d'abord un Dauphin et même un second fils. Le Roi, dans la même lettre, la remerciait ainsi de ce souhait délicat, dont l'accomplissement eût ajourné pour longtemps l'exercice de ses fonctions: «Par là vous méritez de plus en plus qu'on vous en confie (des trésors) de plus importants, et c'est aussi ce que j'ai résolu de faire dès le moment que je le pourrai; et même, s'il y avait en cela autant de retardement que vous le souhaitez par un excès de zèle, j'y suppléerai volontiers en vous donnant, d'ailleurs, des marques de la continuation de ma bienveillance aux occasions qui s'offriront[277].» La connétable, à la suite des nombreuses émotions qui l'avaient assaillie, lorsqu'il lui avait fallu quitter la France, était tombée assez gravement malade, et son arrivée à Rome dut être retardée par les soins qu'on lui donna pendant la route. Le connétable écrivit au Roi pour lui annoncer cet accident ainsi que la convalescence de sa femme et leur arrivée à Rome, et le Roi lui répondit: «Mon cousin, après les fatigues d'un grand voyage et une dangereuse maladie, ce n'est pas peu que ma cousine, votre femme, soit enfin arrivée à Rome en état de convalescence. J'ai été très aise d'apprendre cette bonne nouvelle par la lettre que vous m'avez écrite, espérant que le repos et la satisfaction d'être avec vous achèveront bientôt de la remettre en parfaite santé, comme je le souhaite de tout mon cœur. J'ai vu aussi avec grand plaisir ce que vous me dites des sentiments qu'elle conserve à mon égard et de la part que vous y prenez. Assurez-vous que les miens seront toujours tels pour vous et pour elle que vous pouvez le désirer, et que j'embrasserai avec joie toutes les occasions de vous le confirmer par les effets[278].» Nous allons raconter maintenant la fin de la vie de Marie Mancini, qui fut bien plus semblable à un roman qu'à une histoire véritable. CHAPITRE XII Mémoires de la duchesse de Mazarin, écrits par elle-même, en collaboration avec l'abbé de Saint-Réal.—Mémoires de Marie Mancini, dont la première partie lui est faussement attribuée; authenticité probable de la seconde.—_Apologie, ou les véritables Mémoires de Madame Marie Mancini, connétable Colonna, etc._—Preuves de leur authenticité.—Autres sources consultées: _Lettres de la marquise de Villars_; _Mémoires de la cour d'Espagne_, par Mme d'Aulnoy; _Relation du voyage d'Espagne_, par la même; Mémoires attribués au marquis de Villars, ambassadeur de Louis XIV en Espagne; Lettres de Mme de Sévigné et de Mme de Scudéry, etc., etc. Les Mémoires de la Duchesse de Mazarin, que cette belle personne écrivit de compte à demi avec le galant abbé de Saint-Réal[279], obtinrent un tel succès à leur apparition, qu'un anonyme s'empressa de publier presque aussitôt des Mémoires, en partie apocryphes, attribués à la connétable Colonna[280]. La première moitié de cet opuscule est évidemment fabriquée à plaisir; pas la moindre vraisemblance, pas le moindre esprit, pas une anecdote amusante, et le tout dans un français détestable. Il n'en est pas de même de la seconde moitié, remplie de récits piquants, d'aventures parfois très légères, de détails qui ne peuvent avoir été donnés que par la connétable elle-même, mais en confidence et à quelque ami intime. Cette Relation, qui n'était pas destinée à voir le jour, paraît avoir été écrite par elle en Espagne, pendant qu'elle était captive dans le couvent de _Saint-Dominique-le-Royal_. Une indiscrétion fit sans doute tomber cette Relation entre les mains d'un inconnu, et celui-ci, en la faisant précéder de quelques pages de sa façon, s'empressa de la publier. La connétable, fort émue, fort irritée de cet abus de confiance, de cette publication, qui fit grand scandale, surtout à Rome et en Italie, où il en courut une traduction en italien[281], n'imagina rien de mieux que de prendre la plume et de rédiger un petit volume sous ce titre: _Apologie, ou les véritables Mémoires de Mme Marie Mancini, connétable de Colonna, écrits par elle-même_[282]. L'authenticité de ces Mémoires est hors de doute. Elle est formellement attestée par la marquise de Villars, femme de l'ambassadeur de Louis XIV en Espagne. Au moment où ils parurent, elle voyait souvent à Madrid la connétable Colonna, et elle écrivait alors à Mme de Coulanges: «Elle a fait un livre de sa vie, qui est déjà traduit en trois langues, afin que personne n'ignore ses aventures; il est fort divertissant[283].» N'eussions-nous pas ce témoignage formel, il serait impossible, après avoir lu l'_Apologie_, de ne pas l'attribuer à son véritable auteur, tant les détails que donne la connétable sur certaines particularités de sa vie, concordent de tous points avec les correspondances et les Mémoires du temps, qui n'avaient point encore paru. Ajoutons que c'est une œuvre toute personnelle, écrite évidemment par une grande dame, très familiarisée avec notre langue, fort à la hauteur des sujets qu'elle traite ou qu'elle effleure, et que tout trahit Marie Mancini, jusqu'aux italianismes, qui lui échappent de temps en temps et qui ne prêtent qu'une grâce de plus à son récit[284]. C'est d'après ces Mémoires authentiques et d'une extrême rareté, et en consultant d'autres sources contemporaines, telles que les lettres de Mme de Villars, les Mémoires de la duchesse de Mazarin, ceux de Mme d'Aulnoy sur la cour d'Espagne, la correspondance de Mme de Sévigné et d'autres documents épars, que nous allons essayer de retracer la fin de la vie de cette singulière personne, véritable héroïne de roman. CHAPITRE XIII Première entrevue de Marie Mancini et du connétable Colonna.—Consommation du mariage.—Maladie de la connétable et ses causes.—Naissance d'un fils.—Vénus dans sa conque marine, scène mythologique.—Le carnaval à Venise.—Séparation de corps à l'amiable.—Passe-temps de M. le connétable avec trois marquises romaines.—Jalousie de Mme Colonna.—Chasse aux sangliers dans les Abruzzes.—Le cardinal Chigi et le chevalier de Lorraine.—Jalousie du connétable.—Projet de fuite. Les Mémoires de la connétable Colonna étant presque introuvables et écrits dans une langue courante qui, malgré de nombreuses négligences, rappelle celle du grand siècle, nous croyons être agréable au lecteur en plaçant sous ses yeux quelques-unes de leurs pages les plus saillantes. Nous passerons sous silence une foule de détails que renferme l'_Apologie_, pour ne nous attacher qu'aux faits et aux épisodes les plus dignes d'intérêt. Et d'abord voici de quelle manière piquante la connétable raconte sa première entrevue avec son mari: «Je laisse à part, dit-elle, ce qui nous arriva dans ce voyage (de Paris à Milan) pour n'y avoir rien qui soit digne d'être raconté. Le connétable ne manqua pas de venir au-devant de moi, accompagné du marquis de Los Balbases[285], son cousin, qu'il voulut faire passer pour lui-même, pour voir un peu comme je le recevrais. Il s'avança donc le premier pour me saluer; mais, comme ce marquis ne me semblait pas être le connétable que j'avais dans mon idée, je reçus son compliment avec un peu de surprise et de froideur, et, me tournant tout d'un coup vers une de mes demoiselles appelée Hortense, je lui dis que, si c'était là l'époux qu'on m'avait destiné, je n'en voulais point en aucune manière, et qu'il n'avait qu'à chercher une autre femme. Hortense connaissait le connétable, pour avoir vu son portrait, et, remarquant qu'il se cachait derrière le marquis, elle me le montra pour me tirer d'erreur. Il s'avança alors de lui-même vers moi et il me salua, me donnant la main, pour me mener dans un lieu de plaisance où il avait fait préparer un magnifique repas. C'était à six lieues de Milan où nous allâmes coucher le même jour, ayant été reçue par le duc de Gaetano, qui était alors gouverneur de cet État, avec un appareil dont je laisse le récit pour être trop long.» Le même soir, le prince Colonna, qui, depuis un siècle, languissait et se morfondait dans l'attente, voulut user de ses droits d'époux, malgré les remontrances de Mme de Venel, la respectable duègne de Marie, laquelle avait à cœur de remplir scrupuleusement ses fonctions jusqu'à la fin, c'est-à-dire jusqu'à la consécration du sacrement. Voici comment la princesse nous initie, sans plus de façon et sans en faire mystère, à ce premier épisode de sa vie conjugale: «Le connétable voulut consommer le mariage le même soir que nous fûmes arrivés, sans s'arrêter aux scrupules de ma gouvernante, qui disait que cela ne se devait faire que le lendemain, après avoir ouï la messe.» Mais les empressements et les galanteries du prince ne purent faire diversion à la tristesse que Mme Colonna éprouvait depuis qu'elle avait mis le pied en Italie. «La fatigue du chemin, le déplaisir de me voir absente de mes parents, et par-dessus tout cela le regret d'avoir quitté la France, qui augmentait à mesure que je comparais ses coutumes avec celles d'Italie, dont je n'avais point encore bien reconnu la différence que jusqu'à Milan, m'avaient mise de si méchante humeur, que je ne donnais pas peu de peine au connétable, qui faisait tout ce qu'il pouvait pour me divertir, jusqu'à donner ordre qu'on fît des carrousels et des courses de bague; dans lesquelles fêtes, je puis dire, sans aucune sorte de passion ni de flatterie, qu'il mérita l'applaudissement de tout le monde, se montrant assurément le plus adroit de tous ceux qui coururent avec lui. Les principales dames de la ville me prévinrent à me donner de magnifiques et somptueux repas dans leurs maisons, et particulièrement la marquise de La Fuente, qui surpassa toutes les autres pour l'ordre aussi bien que pour l'éclat. Mais, avec la tristesse que j'avais et le dégoût que m'avait laissé une fièvre continue, tous ces plaisirs étaient sans goût pour moi. Ces réjouissances durèrent dix jours, au bout desquels on résolut, nonobstant le peu de santé que j'avais, de partir pour Rome, où le connétable avait envie d'arriver avant que les grandes chaleurs fussent venues. Cependant la gouvernante et les gardes, qui m'avaient accompagnée, prirent congé de moi et ils s'en retournèrent à Paris. Et nous nous embarquâmes sur un riche et superbe bateau, qui nous porta à Bologne, où le marquis d'Angeleli nous reçut dans sa maison avec des caresses extraordinaires, et où il ne nous régala pas moins magnifiquement. Ce ne furent encore ici que divertissements durant huit jours que nous fûmes dans cette ville; mais mon mal, qui empirait tous les jours, ne me permettait pas d'en goûter aucun.» Chemin faisant, la connétable, de plus en plus malade, est obligée de s'arrêter à Lorette. Le regret d'avoir quitté Paris, d'avoir été abandonnée par le prince Charles de Lorraine, d'être unie pour jamais à un homme pour lequel elle ne se sentait jusque-là que fort peu de sympathie malgré les agréments de sa figure, la mirent à toute extrémité. Dix ou douze médecins des environs, qui furent convoqués, jugèrent le mal sans ressource. Le connétable, fort amoureux, était désolé. Il manda de Rome en toute diligence les plus fameux médecins et le cardinal Mancini, oncle de la princesse sa femme. Il éprouvait en même temps un extrême déplaisir de ne pouvoir assister à la cavalcade qui avait lieu tous les ans à la fête de Saint-Pierre, à Rome, et dans laquelle il aimait à faire montre de son adresse. Malgré les soins empressés qu'il donnait à la princesse, bien loin d'en être touchée, elle laissait éclater tout son chagrin de vivre avec lui. «La violence du mal, dit-elle, l'abattement et la tristesse qui l'accompagnent, permettent rarement à un malade de s'acquitter des témoignages d'amitié qu'on doit aux gens; et ainsi ceux que le connétable recevait de moi n'étaient pas grands, et je ne puis pas nier qu'il n'eût beaucoup à souffrir avec l'humeur fâcheuse dont j'étais alors, que le Cardinal tâchait d'adoucir avec un soin tout particulier. Mais il m'aurait fait encore plus de plaisir s'il eût tâché de corriger celle du patriarche[286], dont l'imprudente ingénuité et le zèle indiscret me persécutaient jusqu'à n'en pouvoir plus, n'entrant jamais dans ma chambre qu'il ne me dît qu'il n'y avait plus d'espérance de vie pour moi et qu'il était temps de disposer de toutes mes affaires.» Plus heureux, ou plus habiles que les médecins de Lorette,les médecins romains remirent la malade sur pied et elle put continuer son voyage jusqu'à Rome. En retrouvant la santé, la dame, qui passait d'une extrémité à l'autre sans la moindre transition, se laissa prendre un beau jour aux amoureux transports du connétable. Afin de lui complaire elle quitta ses habits à la française pour le costume romain, qui, plus _décent_, lui faisait perdre une partie de ses avantages et de ses grâces. «Encore que les coutumes d'Italie ne s'accommodassent pas du tout à mon génie, nous dit-elle, l'amour que j'avais déjà pour le connétable me les rendait supportables. Il est vrai que, pour lui, il n'oubliait rien de tout ce qui me pouvait plaire, étant toujours propre, galant, ayant des soins et des complaisances pour moi qui ne se peuvent exprimer. Et enfin, encore qu'il ne soit pas de complexion fort tendre, je puis dire que je suis l'unique pour qui il a eu le plus d'amour et le plus de constance. «Personne, ajoute-t-elle, n'avait jamais souhaité avec plus de passion que lui d'avoir des enfants, et j'espérais d'avoir de quoi satisfaire bientôt ses désirs. La nouvelle que je lui en donnai lui causa une joie incroyable, qui ne dura néanmoins que deux mois, au bout desquels je fis une fausse couche, qui venait de m'être affligée. Cet accident fut suivi d'une fièvre de quarante-huit jours, qui fit dire partout dans Rome que le connétable s'était marié avec une femme incurable, qui aurait plus besoin de médecin que de sage-femme, et qu'il n'aurait jamais d'héritiers..... Mais ma santé étant un peu revenue vers le printemps et me trouvant enceinte pour la seconde fois dans l'été, on changea de sentiment. Le malheur de ma première grossesse fit qu'on eut plus soin de moi dans la seconde, ne me laissant sortir qu'en chaise... J'eus un garçon, qui apporta une joie incroyable au connétable et à toute sa famille.» A cette occasion, on célébra de magnifiques fêtes et la connétable reçut de très riches présents. Elle a pris soin de nous donner elle-même une description des plus curieuses d'une fête ou représentation toute mythologique qu'elle donna aux cardinaux et à la plus haute société de Rome, quelques semaines après ses couches. La fable de Vénus supportée dans sa conque marine par des Tritons lui suggéra l'idée d'un groupe semblable dont elle voulut figurer le sujet principal. Il est vrai de dire que la déesse, soit pudeur, soit crainte de la comparaison, ne jugea pas à propos de se montrer dans le simple appareil de Vénus. Écoutons ce piquant récit dans le goût de la Renaissance: «A la fin de quarante jours que je relevai de mes couches, il fallut me disposer à recevoir visite du Sacré Collège, des princesses et des autres dames de la ville, et, pour le pouvoir faire avec toutes les formalités requises, je me mis dans un lit qu'on m'avait préparé pour mes premières couches, et qui ne servit que cette fois-là, et dont la nouveauté, aussi bien que la magnificence, causa une admiration générale. C'était une espèce de coquille qui semblait flotter au milieu d'une mer, si bien représentée qu'on eût dit qu'il n'y avait rien de plus véritable et dont les ondes lui servaient de soubassements. Elle était soutenue par la croupe de quatre chevaux marins, montés par autant de sirènes, les uns et les autres bien taillés et d'une matière si propre et si brillante de l'or, qu'il n'y avait pas des yeux qui n'y fussent trompés et qui ne les crussent de ce précieux métal. Dix ou douze Cupidons étaient les amoureuses agrafes qui soutenaient les rideaux d'un brocart d'or très riche, qu'ils laissaient pendre négligemment, pour ne laisser voir que ce qui méritait d'être vu de cet éclatant appareil, servant plutôt d'ornement que de voile.» La joie qu'éprouva le connétable d'être père fut si grande, qu'il n'était sorte de fantaisie de sa femme qu'il ne s'empressât de satisfaire. La dame, profitant de ses bonnes dispositions, lui proposa de la conduire à Venise pour y passer le carnaval. Il y consentit, à la condition que le cardinal Mancini serait du voyage pour servir de chaperon à madame. Cédons la parole à la connétable: «Je le dis à Son Éminence, qui fit, du commencement, quelque difficulté d'y consentir, me croyant enceinte. Mais vaincu, à la fin, par mes prières, en lui assurant que je ne l'étais point, nous partîmes sur la fin de l'automne et fîmes fort agréablement ce voyage, d'autant mieux que le connétable me laissait faire tout ce que je voulais, allant tantôt en carrosse et tantôt à cheval, et même le plus souvent à toute bride; ce qui fit qu'en arrivant à Venise, j'eus le malheur de faire une fausse couche, dont je ne tins que quinze jours le lit, au bout desquels je me trouvai enceinte pour la quatrième fois. Mais, comme j'ai été assez heureuse que de me bien porter dans toutes mes grossesses, je passai ce carnaval le plus agréablement du monde en comédies, en festins, en bals et autres pareils divertissements, jouant à la bassette avec le duc de Brunswick, le duc de Mantoue et d'autres personnes de qualité, que le désir de se divertir avaient attirées à Venise et qui étaient presque tous les jours chez nous.» Venise commençait à être déjà, ce qu'elle devait être un jour au plus haut degré, la ville des plaisirs par excellence, la ville des mascarades, des jeux et des amours, celle qui, par ses canaux et ses gondoles, se prêtait le mieux au mystère des rendez-vous, la ville, enfin, si bien peinte, un siècle plus tard, par Casanova et Lorenzo da Ponte. «Parmi tous ces grands plaisirs, poursuit la connétable, je craignais incessamment de quitter une ville où l'on se divertissait si bien et de retourner à Rome; quand enfin le connétable me vint dire qu'il était absolument nécessaire de se résoudre à partir et que, ma grossesse étant déjà fort avancée, il ne voulait pas qu'il lui arrivât le même malheur qui lui était arrivé en entrant à Venise. J'avoue que cet ordre me fut extrêmement sensible, quoique je m'y fusse attendue; et ainsi, pour m'y faire obéir, il fut obligé de me donner sa parole de revenir passer le carnaval suivant dans une ville si agréable. Ensuite de quoi nous partîmes et nous prîmes congé de tous nos amis, particulièrement du prince de Brunswick, qui se trouva si bien de notre compagnie et avait été si charmé de toutes les amitiés que lui avait faites le connétable, dans tout le temps de notre connaissance, qu'il nous promit de venir exprès à Rome pour nous voir, et qu'il mènerait avec lui la princesse sa femme. Je fis tout ce voyage dans une litière, et, comme nous allions fort doucement, nous n'arrivâmes à Rome qu'au commencement de l'été, où, après avoir passé toutes les grandes chaleurs, que ma grossesse me rendait encore plus insupportables, j'accouchai enfin d'un second fils, au commencement de novembre....,» Le duc de Brunswick, qui se sentait attiré par l'esprit et par les charmes de la connétable, lui tint parole plus tôt qu'elle n'y pensait, et, quelques semaines après l'avoir quittée, il arrivait à Rome avec la duchesse. «Le connétable et moi nous nous montrâmes extrêmement obligés d'une courtoisie si extraordinaire, et, pour ma part, je lui rendis mille grâces de l'exactitude qu'il avait gardée à me tenir sa parole. Je ne parlerai point ici de la générosité, de la valeur, de la courtoisie, de la magnificence, ni de mille manières nobles et obligeantes de ce prince. Ce sont des qualités aussi connues que son nom. D'abord que je fus arrivée à Rome, j'allai rendre visite à la duchesse son épouse, que je trouvai en ses manières, en son humeur, en son esprit et jusqu'à l'air de s'habiller, un abrégé de toutes les perfections les plus charmantes et de toute la politesse la plus accomplie de France.» On peut dire que la vie de la connétable en Italie fut une fête continuelle. Jeux, spectacles, carrousels, chasses, festins, mascarades, voyages à Venise, à Milan, remplissent son existence et ses Mémoires. Glissons sur la plupart de ces détails, si intéressants qu'ils soient, et ne nous attachons qu'aux plus saillants, aux plus caractéristiques. Au printemps de 1665, la connétable fait un second séjour à Venise pour assister à la fameuse foire qui attirait alors tous les marchands et les curieux de l'Europe. Elle était encore enceinte (ce terrible connétable ne lui laissait pas un moment de repos), mais, grâce à de grandes précautions, il ne lui arriva aucun accident. Le connétable se trouvait alors en Espagne. La mort de Philippe IV étant survenue, le prince, impatient de rejoindre sa femme, qui était partie pour Milan, n'attend pas le couronnement de son successeur et se rend en toute hâte dans cette ville, où, le jour même de son arrivée, elle lui donne un troisième héritier. Cette fois, les couches de la princesse ayant mis ses jours en danger, elle prit une résolution extrême: ce fut d'arrêter cette lignée, qui menaçait d'être aussi nombreuse que celle du roi Priam, et, pour cela, de mettre M. le connétable en interdit pour le reste de ses jours. Voici comment elle raconte cet étrange épisode de sa vie qui fut, jusqu'à sa mort, la source de tous ses malheurs: «La même nuit de son arrivée, je lui donnai pour sa bienvenue un troisième successeur. Mais celui-ci m'ayant beaucoup plus coûté que les autres deux, jusqu'à me mettre en danger de ma vie, je pris la résolution de n'en faire pas d'autres, pour ne m'exposer pas davantage à de semblables dangers. Mais, afin que cette résolution fût valide, il était nécessaire de son consentement, de quoi je le pressai fort et l'obtins, n'ayant, depuis cela, en tout le temps que nous avons été ensemble, jamais manqué à sa parole.» Un autre motif non moins grave avait entraîné la princesse à cette rigoureuse interdiction. L'abbé Colonna, frère puîné du prince, venait de renoncer aux ordres et à de riches bénéfices ecclésiastiques, pour épouser une nièce du duc Cesarini, et cette nièce à la mort de son oncle devait hériter de plus d'un million et demi. Mais, en attendant, comme il n'avait reçu pour la dot de sa femme que vingt-cinq mille écus et que le connétable entendait qu'il vécût sur un grand pied, celui-ci lui avait donné sa principauté de Somnino, et monté une maison avec des rentes considérables. Mme Colonna, effrayée de ces prodigalités, prélevées en partie sur les revenus de sa dot et faites au détriment de ses propres enfants, résolut, afin qu'ils pussent maintenir plus tard l'éclat de leur rang, de ne pas augmenter leur nombre, et cette considération, jointe à celle de sa santé lui fit prendre le parti dont nous venons de parler. Elle ne vécut plus désormais avec son mari qu'en étrangère[287]. Le connétable, qui aimait tendrement sa femme, éprouva un extrême déplaisir d'en être réduit au supplice de Tantale; mais, comme il était homme de tempérament, il s'en dédommagea avec la marquise Muti, ancienne amie du cardinal Barberin, dont elle tenait une partie de sa fortune. Bientôt la connétable apprit de bonne source que son mari allait souvent la nuit rendre visite à la dame à l'aide d'une échelle de corde, et que, non content de cette bonne fortune, il chassait encore sur les terres de la marquise Rusque, dont la maison, place des Saints-Apôtres, communiquait par quelque issue avec le palais Colonna[288]. Bien qu'elle eût condamné son mari à un éternel veuvage, Mme Colonna fut très peinée de ces équipées. Pour se distraire et à peine relevée de ses couches, elle courut à Venise au moment où venait de s'ouvrir le carnaval. «Nous le passâmes joyeusement, dit-elle, si ce n'est quelques jalousies que j'eus du connétable, qui cherchait de réparer ailleurs ce qu'il avait perdu par l'accord que nous avions fait ensemble; et j'avoue qu'il m'était fort sensible que la parole qu'il me tenait me coûtât si cher. Il y eut de célèbres opéras à Venise et surtout celui de _Titus_ que je voyais représenter fort souvent avec beaucoup de plaisir. Le carnaval étant passé, le connétable fut à Rome avec mon frère (le duc de Nevers), pour quelques affaires, dont ils furent de retour en trois semaines. Comme je connaissais mieux Venise que la première fois, j'eus encore plus de peine à la quitter. Il me semblait qu'il n'y avait pas de ville plus agréable, ni où l'on se divertissait mieux; mais le connétable, qui commençait d'avoir moins de complaisance pour moi, me pressa d'autant plus d'en partir, qu'il voyait que j'en avais du regret.» De Venise elle va à Milan, où les somptueux repas, et les concerts de nuit qu'elle donne dans son palais de la _Place Marine_, ne peuvent la distraire des infidélités de son mari. Elle y assiste au passage de l'infante Marguerite-Thérèse d'Autriche, fille de Philippe IV, qui se rendait à Vienne pour y épouser l'empereur Léopold Ier. «D'abord qu'elle fut à Milan, dit la connétable, je lui allai faire la révérence en habit de deuil, à l'espagnole, que je portais alors de la mort du cardinal Colonna, qui était décédé à Final d'une maladie qu'il avait gagnée en accompagnant cette princesse. Sa Majesté me reçut avec des caresses qui ne se peuvent exprimer et me dit que, dans l'air et dans les manières, l'on paraissait être ce que l'habit disait, flatterie par laquelle elle me voulait mettre au-dessus des autres femmes, n'y en ayant point qui ne croie que l'usage auquel elle est accoutumée ne soit le plus parfait. Après qu'elle eut été un mois à Milan, elle continua son voyage pour Vienne, où le connétable ne fut pas d'avis de l'accompagner, quoique je l'en priasse fort. Ce ne serait pas rendre justice à son âme généreuse que de dire que ce fut la crainte de la dépense qui l'en empêcha. La vérité est que l'amour qu'il avait pour moi, et qui était déjà fort diminué, ne lui inspira pas d'avoir cette complaisance pour moi.» Mme Colonna s'était transformée en citadelle imprenable et M. le connétable était furieux de n'avoir plus d'intelligences dans la place. Elle, de son côté, l'étrange femme, était de plus en plus piquée et courroucée qu'il allât mettre le siége devant d'autres places qui ne lui opposaient que peu de résistance. Écoutons-la: «Je n'eus pas tant de peine de le résoudre à retourner à Venise, son inclination y étant portée. Je n'y passai pas si bien le temps que les autres fois, parce que je ne m'y trouvai pas de même. J'étais continuellement troublée de mes jalousies, que les contes qu'on me faisait tous les jours des amours du connétable ne rendaient que trop justes, et j'avais tant de douleur que d'autres profitassent de ma stérilité politique, que je me voyais déjà réduite par là à souffrir bien des chagrins.» Pour comble de malheur pour Mme Colonna, aux marquises romaines avait succédé une nouvelle marquise de mœurs encore plus légères, qui vint s'installer dans l'un des appartements vides du palais qu'elle habitait. «Alors, comme si je n'eusse pas encore eu assez de raisons de me tourmenter des jalousies du dehors, la fortune m'en apporta un nouveau sujet dans ma maison en la personne d'une marquise qui vint loger chez nous. Sa jeunesse et sa beauté lui attiraient les yeux de tout le monde. Ceux du connétable ne furent pas exempts de ce commun tribut; et quand je n'aurais pas interprété ainsi ses regards, jamais ses soupirs ni ses assiduités ne m'auraient permis de leur donner une autre interprétation, et j'avoue que mon ressentiment était grand, encore qu'il ne parût pas.» La marquise était si charmante et si séduisante qu'il suffisait de la voir une seule fois pour se laisser prendre dans ses filets. Le président Donaville, qui avait accompagné le duc de Nevers à Rome, en devint éperdument amoureux, et un jeune et spirituel Italien, _il signore Quaranta Lupuli_, en perdit la tête. Mais le choix de la marquise ne pouvait être douteux. Ce fut le connétable qui, par son rang et sa bonne mine, l'emporta sur ses rivaux. Le carnaval fini, M. et Mme Colonna retournèrent à Rome; la marquise fut du voyage, traînant ses deux autres amoureux à sa suite. De tout temps les Italiens se sont assez bien accommodés de ces situations bizarres, où l'on voit les maris vivre en bonne intelligence avec les amants, les sigisbées et les _patiti_ de leurs femmes. Ici, c'était à la femme à se plier aux caprices de son mari, et elle ne s'en accommodait guère. Voici comment elle raconte ce voyage sentimental, qui devait se terminer par un tragique épisode: «La marquise, qui venait avec nous, vit croître encore le nombre de ses amants. Mais celui qui fut le plus amoureux, et qui donna des marques de sa passion par un sacrifice qui n'est guère d'usage en ce temps-ci, ce fut le _Quaranta Lupuli_, qui extrêmement touché de voir son amour méprisé, et jugeant qu'il y en avait de plus heureux que lui, s'abandonna si fort à la douleur et à la jalousie, qu'à une journée de Bologne, où il nous avait accompagnés, avec dessein d'aller jusqu'à Rome, il lui prit une fièvre dont la violence mit fin à sa vie en fort peu de jours. Nous continuâmes notre voyage et, en arrivant à Rome, nous eûmes la nouvelle de sa mort. La marquise en pleura, mais peu, parce que le feu de tant d'autres amants ne pouvait pas bien s'accommoder avec tant de larmes. A cette mort succéda l'absence de son époux, de la compagnie duquel elle n'avait pas joui longtemps et qu'elle pleura comme le _Quaranta Lupuli_.» Pendant que le prince Colonna oubliait ainsi auprès de la marquise les rigueurs de sa femme, Mme la connétable, de son côté, lasse de son veuvage, ou pour se venger des infidélités de son mari, se montrait de moins en moins farouche aux douceurs des galants. Le connétable possédait dans les Abruzzes d'immenses forêts, et, chaque année, il y donnait à son ami, le cardinal Flavio Chigi, neveu d'Alexandre VII, une grande chasse, qui durait douze ou quinze jours et dans laquelle on immolait des hécatombes de daims et de sangliers. Pendant tout ce temps-là, comme on se trouvait souvent à de grandes distances de toute habitation, on dînait et on couchait sous bois en pleine forêt. Le cardinal était connu pour ses mœurs plus que faciles, et quoiqu'il eût été appelé à jouer, sous le pontificat de son oncle, un rôle considérable à peine amoindri sous celui de Clément IX, il vivait dans Rome avec une liberté voisine de la licence. Le connétable, bien que d'humeur fort jalouse, ne l'admettait pas moins dans son intimité. Son Éminence, le prince et sa femme ne se quittaient presque jamais. Tantôt le cardinal était invité à passer une quinzaine de jours à Marine ou dans les autres principautés du connétable, tantôt il lui faisait les honneurs de l'hospitalité, ainsi qu'à la princesse, dans sa splendide villa _dell'Aricia_. Si l'on était forcé de se séparer, c'était aussitôt de continuels messages que l'on échangeait, non pas chaque jour, mais à toutes les heures de la journée[289]. On voyait sans cesse et en tous lieux le cardinal avec la connétable. Elle nous raconte qu'elle allait le visiter seule dans son palais et qu'elle s'amusait à lui jouer toutes sortes de farces dans le goût italien. «Ce n'était pas seulement avec M. le connétable, dit-elle, que nous cultivions sa connaissance; quoique je fusse seule, je ne laissais pas d'agir de la sorte. Si M. le connétable était hors de Rome, le cardinal avait la bonté de me tenir compagnie presque à toute heure. Si je le rencontrais par la ville, je m'arrêtais avec lui pour dire le mot pour rire; si je le trouvais dans les églises, je ne lui permettais pas de s'en retourner seul au logis, et souvent j'allais le prendre pour nous promener ensemble. Et il me souvient qu'un jeudi, qu'on devait faire la congrégation de la signature de justice, dont il est préfet, pour des affaires de conséquence, à lui recommandées par plusieurs cardinaux, m'étant levée de bonne heure, j'allai dans mon carrosse à sa porte, le faisant supplier de descendre, et quand il fut dans le carrosse, quoiqu'il fût habillé seulement à moitié, je commandai au cocher de tirer à la hâte vers la porte Saint-Paul, et nous fûmes dehors jusques au soir et les dépêches l'attendent peut-être encore. Il riait toujours de ces tours qu'il appelait _bizarreries françaises_. Je m'étonne encore, quand j'y pense, de ce que M. le connétable ne se scandalisa point de mes démarches avec le cardinal, au moins il ne m'en a jamais fait semblant, ni au cardinal, si ce n'était qu'il le raillait des pièces que je lui faisais.» Un jour, entre autres, la connétable eut l'étrange fantaisie de s'habiller en cardinal: elle s'empara des vêtements de Flavio Chigi, pendant qu'il était au lit, et elle lui offrit de donner une audience à sa place. Sur quoi le connétable le plaisanta pendant plus de quinze jours, en lui disant que s'il était jamais question de lui pour être pape, il s'y opposerait, afin que l'on ne renouvelât pas le scandale de la papesse Jeanne, «car il savait bien que sa mosette et son chapeau étaient ceux d'une femme.» On peut juger par là de l'intimité qui existait entre le cardinal et la princesse[290]. Le connétable se montra de moins facile composition pour une autre liaison que sa femme eut plus tard avec le chevalier de Lorraine, alors exilé. On connaît le singulier goût de Monsieur, frère de Louis XIV, pour le chevalier, qui était beau comme un ange, au dire des Mémoires du temps. Henriette d'Angleterre, malgré l'irrésistible séduction qu'elle exerçait autour d'elle par ses grâces et son esprit, n'avait jamais pu se faire aimer de Monsieur. Le chevalier de Lorraine[291] le gouvernait si despotiquement, qu'il ne permettait pas même que Madame pût prétendre à ses droits d'épouse. Elle s'en plaignit amèrement au Roi, et le chevalier fut exilé, malgré les supplications de Monsieur, qui se jeta aux pieds de son frère en laissant éclater une douleur mortelle. N'ayant pu obtenir la grâce de son Antinoüs, Monsieur s'en vengea sur Madame en l'abreuvant d'amertumes. Cependant le chevalier s'était réfugié à Rome, où il ne tarda pas à fréquenter assidûment le palais Colonna. En France, il avait eu l'audace de jeter les yeux sur Madame, mais sans aucun succès. A Rome, il fut jaloux d'inscrire au nombre de ses conquêtes celle que Louis XIV avait si passionnément aimée. Il avait d'abord essayé de plaire à la belle duchesse de Mazarin, qui, afin de se soustraire aux mauvais traitements d'un mari avare, jaloux et superstitieux à l'excès, s'était enfuie de Paris, depuis deux ans, et avait trouvé un refuge à Rome auprès de sa sœur la connétable[292]. Mais la duchesse aimait follement un gentilhomme de sa suite, M. de Courbeville, elle ne voyait que par ses yeux, et le chevalier en fut pour ses frais[293]. Pour se dédommager d'une déconvenue à laquelle il était peu habitué, il adressa aussitôt ses hommages à la princesse Colonna. Le chevalier, qui, par son extrême beauté et par le charme de sa conversation, rappelait à l'exilée tout ce que la cour de France offrait de plus séduisant, n'eut pas de peine à supplanter le cardinal Chigi, dont la figure ronde et olivâtre et les gros yeux en saillie ne pouvaient lutter avec tant d'avantages. Il débuta par offrir à la dame un présent digne d'elle, qu'il obtînt facilement de la munificence du duc d'Orléans, et dont il rehaussa encore le prix en le présentant de la part de ce prince. C'était «un équipage de chasse de la valeur de mille pistoles, garni d'un nombre infini de rubans, des plus beaux et des plus riches de Paris[294]». En matière de galanterie, la supériorité du chevalier était si marquée, que la vanité italienne ne pouvait la supporter que difficilement et encore moins ceux qui étaient intéressés à ne pas lui laisser faire trop de chemin. «Comme on ne le pouvait souffrir, dit la connétable, partout ailleurs que chez moi, ses visites faisaient enrager tout le monde[295]. Le connétable s'en piqua, le prince de Somnine s'en fâcha, le cardinal Chigi m'en fit paraître du ressentiment, enfin, du plus grand jusqu'au plus petit chacun en murmurait.» La connétable, impatiente de toute espèce de joug, céda promptement à sa nouvelle passion et donna tout son temps au chevalier, à la promenade, au jeu, à la chasse. «Toutes ces démarches, bien loin d'être approuvées, firent un bruit étrange. M. le connétable, dit-elle, qui en avait un très grand dépit, m'en parla un jour fort en colère, mais je lui répondis comme il faut, et selon l'estime que je faisais du chevalier.» Un jour, le prince envoie un moine pour engager sa femme à rompre cette liaison, en la menaçant de l'y contraindre par la force. Pour toute réponse, Mme la connétable poussa le moine par les épaules hors de sa chambre. «Une demi-heure après, ajoute-t-elle, le cardinal Chigi, qui était peut-être de la cabale, me vint trouver aussi pour me dire la même chose, mais avec plus de civilité et de rhétorique. Après avoir beaucoup parlé, il me dit, pour toute bonne raison, que le bruit était partout que le chevalier était amoureux de moi. Je lui répondis que, puisque M. le connétable n'avait point d'autre raison pour obtenir ce qu'il me demandait, je ne pouvais pas lui complaire sans grandement intéresser ma réputation, que l'innocence de nos divertissements était capable de rassurer tout autre qui aurait quelque égard pour moi et quelque honnêteté pour un étranger d'un mérite aussi connu que celui du chevalier de Lorraine. Et comme il voulut encore m'alléguer de nouvelles raisons, je fus obligée de lui répliquer que je savais fort bien ce que je faisais, que la nature m'avait donné assez de lumières pour discerner le bien d'avec le mal; que je n'étais plus dans l'enfance pour avoir faute d'éducation; que je voulais converser avec qui bon me semblait, et que je ne croyais pas qu'on pût me blâmer de pratiquer le chevalier de Lorraine, particulièrement avec l'honnêteté avec laquelle nous nous voyions; que si la jalousie éblouissait les yeux à quelqu'un, qu'il les ouvrît bien et observât de plus près nos actions, qu'il trouverait aussi innocentes, que celles des personnes d'un âge incapable d'aucun mal. De là étant passé à des choses plus délicates, nous nous brouillâmes fort ensemble.» Ces choses délicates, on les devine. Pour que le cardinal crut devoir rompre avec la dame, c'est qu'il savait mieux que personne sans doute à quoi s'en tenir[296]. Puis la connétable, en véritable Italienne, qui n'est gênée par aucun scrupule, nous raconte une scène toute mythologique dont elle fut l'héroïne et M. de Lorraine l'unique témoin: «Cependant le chevalier ne manquait pas un jour de me venir voir, et, quand le temps le permettait, nous ne manquions pas d'aller à la promenade. Nous avions choisi pour cela la rive du Tibre, hors de la porte de _Popolo_, où même j'avais fait faire une petite maison[297] de bois pour me baigner, l'eau de ce fleuve étant des meilleures de ce pays-là, et le lieu étant fort peu fréquenté. Ce ne fut pas par amour, comme mes ennemis ont débité, mais par galanterie que le chevalier, me voyant dans l'eau jusqu'au col, me pria de lui permettre qu'il fît faire mon portrait en cette posture, n'ayant jamais vu un corps si bien proportionné, qui aurait inspiré de l'amour à Zénocrates[298] avec une si belle figure. M. le connétable m'accusait de m'être laissé voir toute nue au chevalier, mais mes gens savent fort bien que je ne sortais pas de la petite maison pour me baigner, que je n'eusse une chemise de gaze que j'avais fait faire exprès, qui allait jusques aux talons. Et le chevalier, qui était fort respectueux, n'entrait pas dans la maison, se promenait pendant que je me déshabillais, ne me voyait qu'avec cette chemise. Après ces choses, M. le connétable me faisait épier partout, mais, pour ne m'en donner aucun soupçon, il se servait des plus vieux Juifs du Ghete[299], qui, étant accoutumés à être partout, se faisaient moins remarquer. Je m'en aperçus pourtant, et, quand je les voyais, je faisais courir le carrosse, et, par ce moyen, je les eus bientôt lassés... Ainsi M. le connétable fut obligé d'employer d'autres personnes que les Juifs pour m'observer. Un jour que j'étais allée avec le chevalier hors de la porte de _Ripa Grande_, ayant laissé le carrosse, et nous promenant le long de la rive du Tibre vis-à-vis de l'église de Saint-Paul, je m'aperçus qu'un de ses confidents nous suivait. Et, parce que nous parlions des choses de la cour de France, nous étions bien aises de n'avoir personne après nous; ce qui fit qu'ayant vu passer une felouque de Naples, qui allait à _Fiumicino_, nous la fîmes aborder pour nous passer de l'autre côté, ce qui rendit bien capot celui qui nous suivait. Nous entrâmes, après quelque tour de promenade, nous divertissant de la pièce que nous venions de faire, dans l'église de Saint-Paul, pour y voir le crucifix qu'on estime avoir parlé à sainte Brigide, et de là nous allâmes jusqu'à Monte Testaccio, où... nous avions envoyé le carrosse pour nous attendre. Il n'y a rien que l'on n'ait dit sur cette affaire,... et l'on m'a diffamée comme la plus grande criminelle du monde. Je ne pus plus souffrir ces méchancetés de Rome. Ces démarches de mon mari me lassaient, ce qui me fit résoudre de m'en aller en France[300].» Cependant le seul obstacle, qui, depuis deux ans, s'opposait à la rentrée en France du chevalier de Lorraine, n'existait plus. Le 29 juin 1670, la femme de Monsieur, la charmante Henriette d'Angleterre, avait été emportée tout à coup par une mort aussi affreuse que mystérieuse. Le chevalier avait été violemment soupçonné de lui avoir fait administrer un poison subtil par Morelli, son confident, qu'il avait envoyé auprès de Monsieur. Et pourtant, malgré cette effrayante accusation, que la plupart des contemporains crurent fondée, le chevalier, deux années après, en février 1672, obtînt non seulement son rappel d'exil, mais encore le grade de maréchal de camp. Louis XIV, dit M. Monmerqué, avait besoin de lui pour contenir et gouverner son frère, et, afin que les soupçons ne montassent pas trop haut, il écarta ainsi ceux qui pesaient sur la tête du chevalier de Lorraine[301]. Il est fort probable que ce fut dans la pensée d'aller rejoindre le chevalier, que la connétable prit subitement la résolution de quitter son mari et ses enfants. Elle avait, depuis plusieurs années, sous les yeux et dans sa propre famille, le contagieux exemple de sa sœur, la duchesse de Mazarin. La barrière infranchissable qu'elle avait élevée entre elle et le prince, son mari, lui avait fait perdre l'affection qu'il lui avait montrée jusque-là. Insensiblement il avait passé de l'amour à la haine, si bien que la situation de Mme Colonna était devenue intolérable. «Le connétable, nous dit-elle, n'avait pas pour moi les mêmes complaisances, la tendresse, l'estime, ni la confiance qu'il avait autrefois. A peine il me parlait, ou, s'il le faisait, ses paroles étaient telles que j'aurais mieux aimé qu'il ne m'eût rien dit du tout. Le prince de Somnino, son frère, qu'on appelait auparavant l'abbé de Colonna, qui a plusieurs fois apaisé nos dissensions avec beaucoup de bonté et empêché par sa prudence ordinaire qu'elles n'aient pas éclaté, me pourrait être témoin de ce que je souffrais. Si bien que, ne pouvant résister à de si sensibles déplaisirs, je me résolus de chercher les moyens de les soulager. Et comme, dans la continuation de nos bains et de nos promenades, nous avions fait, ma sœur et moi, une plus étroite amitié que jamais, je voulus profiter des tendres sentiments qu'elle avait alors pour moi, et je la priai très instamment qu'elle ne s'en allât point en France sans me mener avec elle. Elle me le promit, après m'avoir représenté ses malheurs et ceux dont j'étais menacée, si je prenais le même parti qu'elle, étant certain, comme on le lit dans ses Mémoires[302], que, bien loin de m'insinuer une pareille entreprise, elle fit tout ce qu'elle put pour me faire craindre de si dangereuses conséquences. Peu de jours après ceci, le chevalier de Lorraine fut rappelé de son exil. Cependant, à mesure que les caprices et les mépris du connétable allaient croissant chaque jour, mes déplaisirs et mes ennuis augmentaient aussi, et mon frère (le duc de Nevers), pour augmenter dans mon esprit le juste ressentiment que me pouvait inspirer un si différent traitement, me disait souvent qu'il craignait bien que je ne perdisse bientôt la liberté dont je jouissais, ajoutant même une fois, devant Mme Mazarin, que, quand j'y penserais le moins, je me trouverais enfermée dans le Palliano, château du connétable, situé dans les confins de l'État ecclésiastique et du royaume de Naples. Toutes ces raisons, jointes à l'aversion naturelle que j'avais toujours eue pour les coutumes italiennes, et pour la manière de vivre de Rome, où la dissimulation et la haine entre les familles règnent plus souverainement qu'à pas une autre cour, m'obligèrent à presser l'exécution du dessein que j'avais déjà formé de me retirer en France, comme le pays de mon éducation, la résidence de la plupart de mes parents, et enfin le centre de mon génie[303].» Avant le départ du chevalier de Lorraine, la princesse Colonna s'était ouverte à lui de son projet de fuite, qu'il approuva pleinement. A peine fut-il arrivé à la cour, qu'il lui envoya un passeport pour elle et pour sa suite[304]. CHAPITRE XIV Fuite des deux sœurs et leurs aventures sous des costumes d'hommes.—Étranges péripéties de leur traversée de Civita Vecchia à Marseille.—Corsaire turc et galères du connétable à leur poursuite.—Leur arrivée à Marseille.—Le capitaine Manechini.—Arrivée des deux sœurs à Aix chez M. de Grignan.—Scandale causé en France par leur équipée.—M. de Saint-Simon.—Fuite au Pont-Saint-Esprit et à Grenoble sous la conduite du chevalier de Mirabeau.—Lettre de Marie-Thérèse à la connétable pour lui défendre de passer outre.—Désobéissance de Mme Colonna.—Ordres donnés contre elle.—Son arrivée à Fontainebleau.—Permission accordée par Louis XIV à la connétable de se retirer dans l'abbaye du Lys.—De cette abbaye elle est conduite sous escorte à celle d'Avenay.—Son départ pour Nevers, puis pour l'Italie. Lorsque tout fut préparé dans le plus grand secret, la connétable et sa sœur, la duchesse de Mazarin, qui avait toute l'expérience de ces sortes d'expéditions, sortirent du palais Colonna, en l'absence du connétable, qui était allé passer quelques jours à la campagne. Mme Colonna nous a laissé deux récits détaillés de sa fuite[305], qui ne le cèdent en rien pour l'intérêt, celui de l'_Apologie_ surtout, au récit de plusieurs évasions célèbres. Rien de plus accidenté, de plus dramatique, de plus romanesque. Voici quelques-uns des plus curieux passages de ces deux Relations: «Nous partîmes donc, le 29 mai (1672), avec un petit équipage, tout mon bien ne consistant qu'en sept cents pistoles, mes perles, avec quelques roses de diamants[306], et Mme de Mazarin ayant abandonné tout son bagage à Rome. Ce fut dans le temps que le connétable était allé voir un haras, qu'il avait dans une de ses maisons de campagne, appelée _Frattochie_[307]. Je montai dans le carrosse de ma sœur avec elle; et, pour toute compagnie, nous avions Nanon et une de mes femmes, toutes avec les habits d'hommes[308] dessous ceux de femmes, et le valet de chambre de ma sœur. «Au sortir de chez nous, nous dîmes à haute voix au cocher qu'il nous menât à Frescati, afin de tromper par là une foule de nos gens qui étaient à la porte du palais Mazarin, jusqu'au détour d'une rue qu'un valet de chambre de ma sœur, Allemand de nation, appelé Pelletier, dit au cocher de tirer droit vers Civita Vecchia, où nous avions fait préparer une felouque de Naples[309]. Le cocher obéit et nous arrivâmes à nuit close en cette ville. Mais, comme les mariniers avaient arrêté avec Pelletier qu'ils nous devaient aller prendre à cinq milles de la ville, de crainte que l'on ne nous reconnût au port, nous leur envoyâmes un homme pour les aviser de notre venue, d'autant mieux qu'un laquais, que nous leur avions dépêché pour cela, et que nous attendions avec beaucoup d'impatience et d'inquiétude, ne revenait pas.» Le drôle s'était arrêté dans une hôtellerie pour y cuver son vin. Nos deux héroïnes, lasses de l'attendre, remontèrent dans leur carrosse, et, dans la crainte d'être reconnues, elles s'enfoncèrent dans un chemin détourné. Mais, leurs chevaux tombant à tout moment de lassitude, elles prirent le parti de renvoyer leur carrosse, en faisant promettre au cocher, moyennant quelque argent, que, s'il était interrogé, il déclarât qu'il les avait vues s'embarquer. «Cependant, poursuit la connétable, nous nous retirâmes dans le fond d'un autre petit bois, qu'il y avait proche du chemin royal[310], d'où nous envoyâmes Pelletier pour chercher notre barque, ou pour en louer une autre si la première ne se trouvait pas. Le soleil, qui était alors dans la plus grande ardeur, et qui m'avait brûlé la tête pendant cinq heures entières, une abstinence forcée de vingt-quatre heures, et, plus que tout cela, le déplaisir de n'avoir aucune nouvelle de notre barque, me mirent dans un tel chagrin, que je dis à ma sœur que je voulais m'en retourner, et qu'il n'y avait pas plus de danger de perdre la vie à Rome, de quelle manière que ce fût, que de mourir de faim où nous étions. Mais ma sœur, qui est la femme du monde de la meilleure humeur et de la plus grande patience, tâcha de me consoler avec ses raisons, ajoutant que si, dans une demi-heure, nous n'avions pas quelque nouvelle favorable, elle ferait tout ce que je voudrais. Je me résolus donc d'attendre encore le temps qu'elle disait, quand, un moment après, nous entendîmes le bruit d'un cheval qui venait vers nous au galop, ce qui, joint aux troubles de mon âme et à la crainte que j'avais que ce fussent des gens qui venaient pour nous saisir, mit ma constance à bout[311]. «Si on m'eût alors ouvert les veines, on ne m'aurait pas trouvé une goutte de sang. Les cheveux me dressèrent et je me laissai tomber presque évanouie entre les bras de ma sœur, qui, accoutumée aux malheurs, était plus courageuse que moi[312]. «Alors, ma sœur, armée de deux pistolets, et résolue de tuer le premier qui se présenterait devant elle, sortit de ce bois, et, s'avançant pour voir ce que c'était, elle reconnut notre postillon, qui, sans nous rien dire, était allé chercher la barque. De manière que mes craintes s'évanouirent et que ma joie revint en apprenant de ce garçon que notre barque n'était pas loin de là. Sur quoi ayant d'abord chargé nos malles, qui n'étaient ni grandes ni de grand poids, nous nous mîmes en chemin dans la plus grande ardeur du soleil et dans une plaine qui n'offrait à nos yeux que des sauterelles. «L'infatigable Mme Mazarin, allongeant toujours le pas, allait fort devant, et, pour la pouvoir suivre, il fallait que je me reposasse de temps en temps, la faim, la soif, la lassitude et la chaleur m'ayant réduite en une extrémité que je fus obligée de prier un laboureur que nous rencontrâmes et qui travaillait dans ce champ, de me porter seulement quelque cent pas jusqu'à la mer, lui disant qu'en chassant j'avais perdu mes gens, car nous avions changé d'habits, ma sœur et moi, dans le carrosse[313].» Le laboureur, étonné du costume de la dame, dont il reconnut facilement le sexe, hésitait à se rendre à sa prière, lorsqu'elle lui fit valoir un argument sans réplique. »Ce paysan, ajoute-t-elle, en fit quelque difficulté au commencement, mais, persuadé à la fin par quelques pistoles, que je joignis à mes prières, il me porta entre les bras au lieu où était ma sœur... Enfin, moitié à pied, moitié entre les bras du laboureur, j'arrivai sur le bord de la mer, où nos filles nous joignirent peu de temps après[314].» Le fidèle Pelletier rapporta bientôt la nouvelle qu'il avait arrêté une autre barque, moyennant mille écus, «mais qu'à la vérité il n'était pas content de la physionomie du patron, ni de celle des mariniers, qui lui paraissaient tous des canailles[315].» Cependant ni l'une ni l'autre barque n'apparaissaient à l'horizon, et la connétable, à bout de courage et de forces, tomba dans le plus profond découragement. «Ma sœur, dit-elle, qui n'était pas moins touchée que moi d'un succès si contraire, dissimulait sa douleur pour ne pas augmenter la mienne. L'unique secours que nous trouvâmes en cette fatalité, ce fut, après nous être un peu reposées sur de la paille que nous trouvâmes dans une cabane, d'envoyer Pelletier, pour la seconde fois, chercher notre barque, pendant que je priai, en mon particulier, le laboureur de m'aller chercher un peu d'eau[316].» Enfin, la dernière barque louée par Pelletier arriva, et nos deux aventurières, avec leurs femmes, s'y étant jetées, étaient sur le point de prendre le large[317], lorsqu'elles furent accostées par l'autre barque dont le patron voulait, de vive force, les empêcher de partir. Il en vint même aux menaces, mais, moyennant quelque argent, elles purent se tirer de ce pas dangereux[318]. La mine patibulaire du patron qu'elles avaient choisi, et celle de son équipage qui ne valait guère mieux, leur donnaient le frisson. Le drôle, malgré leur déguisement, s'aperçut bientôt qu'il avait affaire à des femmes, et, qui plus est, à des femmes de qualité, car il échappait sans cesse aux soubrettes de les appeler _Madame_. Il résolut de les exploiter le mieux possible, et, tout en essayant de les rassurer sur son propre compte, il leur dit que, si elles fussent tombées entre les mains d'un autre, il les aurait volées et jetées à la mer[319]. A peine eut-on gagné le large que le coquin exigea une somme plus forte que celle dont il était convenu avec Pelletier, fondant la justice de sa demande sur le danger qu'il courait pour leur rendre service. Pelletier ayant prétendu exiger que l'on s'en tînt au prix convenu, le patron menaça de jeter toutes ses passagères dans la mer ou de les débarquer dans une île déserte. Mme Colonna ne lui imposa silence qu'en lui donnant cent pistoles de plus, avec force promesses d'une plus grande récompense s'il les faisait aborder en France saines et sauves. Chemin faisant, les mariniers leur demandaient d'un ton goguenard si elles avaient tué le pape[320]. Leur navigation, qui dura neuf jours, fut traversée de diverses péripéties. Le premier soir, on découvrit un brigantin monté par des corsaires turcs. Pour l'éviter, il fallut abriter la barque derrière des rochers. A Monaco, s'élève une tempête qui met en péril la frêle embarcation et à laquelle elle n'échappe que par l'habileté du patron. En proie à d'horribles souffrances causées par le mal de mer, nos deux héroïnes, qui venaient de Civita-Vecchia où régnait la peste, ne purent mettre pied à terre à Monaco, mais, moyennant quelques pistoles, elles purent obtenir des billets de provenance faux, afin de pouvoir débarquer sans faire quarantaine. Cependant le connétable avait fait partir quatorze courriers par autant de routes différentes[321] et lancé toutes les galères du grand-duc de Toscane à la poursuite de sa femme; elles avaient exploré tous les ports et elles s'étaient rendues à Marseille. Mais toutes leurs recherches avaient été vaines. Le patron de la barque, homme de mer fort avisé, avait eu soin, pour les éviter, de raser constamment les côtes et de n'aborder à aucun port. Un heureux hasard voulut qu'ayant eu quelque démêlé à Marseille, il refusa à la connétable de l'y conduire et qu'il préféra la déposer à la Ciotat[322]. A peine y fut-elle arrivée avec sa sœur que, quittant l'une et l'autre leurs costumes d'hommes, elles montèrent à cheval et, après avoir cheminé toute la nuit, elles arrivèrent de bonne heure à Marseille, où elles se mirent sur-le-champ sous la protection de M. Arnous, intendant des galères. «Il me donna, dit la connétable, un paquet fermé, où je trouvai un passeport et une lettre de Sa Majesté, avec une autre de M. de Pomponne pour M. de Grignan, lieutenant du Roi en Provence, par laquelle il le chargeait particulièrement de me recevoir à Aix et de m'assister de son autorité, et généralement de tout ce qu'il me pourrait offrir[323].» Mme de Colonna était à peine rentrée depuis une heure dans le cabaret où elle était logée, et s'y livrait au sommeil, lorsqu'on vint la réveiller pour lui annoncer que le capitaine Manechini[324] désirait lui parler de la part du connétable. «Tous nos gens commencèrent à trembler à cette nouvelle, dit la princesse, et, pour prévenir ce qu'il en pouvait arriver, j'en fis d'abord avertir M. Arnous, qui m'envoya en même temps des gardes, me priant très instamment d'aller loger chez lui, où je serais plus en sûreté qu'en une autre part. Je le fis aussi, après avoir donné audience à Manechini, qui n'avait point d'autre proposition à me faire que de retourner auprès du connétable, ou d'attendre pour le moins qu'il m'envoyât un train plus conforme à ma qualité et ce qui était nécessaire pour continuer mon voyage avec plus d'éclat et de bienséance. Il n'oublia pas de m'attendrir avec le souvenir de mes enfants, jugeant que la tendresse que j'avais pour eux m'engagerait peut-être de prendre la résolution qu'il tâchait de m'insinuer. Mais encore que je les aimasse extrêmement, je craignais bien plus le danger qu'il y avait pour moi, et, ne doutant pas que de si belles paroles ne cachassent quelque méchant dessein, je lui dis que le mien n'était pas de m'en retourner. Et, entrant en même temps dans le carrosse que M. Arnous m'avait envoyé avec un gentilhomme, nous allâmes dans sa maison, où nous fûmes si bien reçues et si bien régalées, et où nous trouvâmes de si bons lits, qu'en peu de temps nous nous remîmes de toutes les fatigues que nous avions souffertes sur cette barque[325].» La connétable écrivit à Mme de Grignan pour lui peindre la pénurie de toutes choses où elles se trouvaient, elle et sa sœur, et la fille de Mme de Sévigné leur envoya jusqu'à des chemises, en leur écrivant «qu'elles voyageaient en vraies héroïnes de roman, avec force pierreries, et point de linge blanc[326]». «Le jour suivant, dit la connétable en poursuivant sa Relation,[327] comme j'avais envoyé à M. de Grignan la lettre que j'avais de M. de Pomponne, il arriva de sa part un gentilhomme avec six gardes pour m'accompagner et me donner tout ce que j'aurais de besoin. J'acceptai les offres de ce cavalier, et, après avoir mangé, nous montâmes avec lui en carrosse, Mme Mazarin et moi, et nous arrivâmes le soir à Aix, en compagnie de M. de Grignan, qui nous était venu recevoir à une lieue de la ville avec son carrosse, où il nous pria d'entrer et nous témoigna qu'il était extrêmement fâché de ce qu'il ne pouvait pas nous loger dans le palais du gouverneur, qui était M. le duc de Vendôme, mon neveu, fils du duc de Mercœur et de Vittoria Mancini, ma sœur aînée. Après l'avoir bien remercié de ses soins, nous le priâmes qu'il ne se mît point en peine de notre logis, parce que nous avions déjà donné parole à un gentilhomme de mon frère, appelé Moriès, que nous irions loger chez son frère, le président du Castelet, comme nous fîmes, et où nous fûmes magnifiquement traitées durant quinze jours.» Cependant la fuite de la connétable et de sa sœur avait fait dans Rome un bruit étrange et donné lieu à toutes sortes de suppositions, de contes et de pasquinades. Les uns disaient qu'elles étaient allées en Turquie pour courir les aventures; d'autres, que Mme Colonna suivait le chevalier de Lorraine, ou bien qu'elle était partie pour la Flandre, afin d'y trouver le Roi, mais que ce prince, depuis le mariage de la connétable, ne se souciait plus d'elle; quelques-uns disaient qu'elle voulait imiter la bizarrerie française de la grande-duchesse de Toscane, Mlle d'Orléans, qui avait pris son mari en horreur; quelques autres affirmaient, et ceux-là disaient plus vrai, que Mme Colonna, se croyant menacée de mort à une quatrième couche, ne voulait plus demeurer avec son mari afin de n'avoir plus d'enfant. Pour faire cesser tous ces bruits, le connétable obtînt du Pape qu'une excommunication réservée serait lancée contre ceux qui les répandraient. Mais cette menace, loin de les étouffer, ne fit que les propager encore plus[328]. L'arrivée en Provence des deux sœurs ne causa pas moins de scandale. Mme de Grignan donna à sa mère les plus piquants détails sur l'équipée de ces deux têtes folles, et Mme de Sévigné s'empressa de lui répondre: «Au milieu de nos chagrins, la description que vous me faites de Mme Colonne et de sa sœur est une chose divine; elle réveille malgré qu'on en ait; c'est une peinture admirable. La comtesse de Soissons et Mme de Bouillon sont en furie contre ces folles, et disent qu'il les faut enfermer; elles se déclarent fort contre cette extravagante folie; on ne croit pas aussi que le Roi veuille fâcher M. le connétable, qui est assurément le plus grand seigneur de Rome. En attendant, nous les verrons arriver comme Mlle de l'Étoile: la comparaison est admirable[329]». Cette Mlle de l'Étoile est l'un des personnages du _Roman comique_ de Scarron. Et Mme de Sévigné ne savait pas tout. Le chevalier de Lorraine et son frère, le comte de Marsan, avertis de l'arrivée des deux belles fugitives, s'étaient rendus à Aix _incognito_. Mme de Scudéry s'empressait d'annoncer à Bussy-Rabutin cette nouvelle, digne de figurer dans l'_Histoire amoureuse des Gaules_: «Mme Colonne et Mme Mazarin sont entrées à Aix: l'histoire dit qu'on les y a trouvées déguisées en hommes, qui venaient voir les deux frères, le chevalier de Lorraine et le comte de Marsan[330].» Le bruit même courut qu'elles avaient été arrêtées sous ce déguisement[331], mais il n'en était rien. Elles en furent quittes cette fois pour des madrigaux et des articles dans la _Gazette de Hollande_[332] où on ne les épargnait guère. Il n'en était pas moins vrai que le duc de Mazarin avait obtenu du parlement une sentence qui enjoignait à madame de rentrer sous le toit conjugal, et que, de son côté, le connétable employait tous les moyens pour rentrer en possession de sa femme. Mme Colonna écrivit au Roi une lettre, qui devait lui être remise par le fidèle Pelletier, et dans laquelle elle le suppliait de lui indiquer dans quelle maison il désirait qu'elle vécût à Paris. Elle lui demandait en même temps d'autoriser sa sœur à retourner à la cour, en la mettant à l'abri des poursuites du duc son mari, et de les autoriser l'une et l'autre à loger au palais Mazarin. Cependant, M. de Saint-Simon avait passé à Aix pour faire à la connétable, de la part de son mari, des propositions semblables à celles du capitaine Manechini, mais elle les avait accueillies de la même façon. Sur quoi, M. de Saint-Simon s'était rendu à Paris pour demander au Roi, au nom du connétable, et même du Pape, la remise entre ses mains de Mme Colonna pour être reconduite à Rome. Voulant prévenir le coup qui la menaçait, la connétable (sans attendre le retour de Pelletier qui avait été détroussé par des voleurs et même assez gravement maltraité pour ne pas pouvoir de sitôt continuer son chemin) résolut de partir sur-le-champ. Elle avait passé un mois à Aix[333]. Un chevalier de Mirabeau, capitaine des gardes du duc de Vendôme, s'offrit galamment à l'accompagner avec six gardes, et il «la régala magnifiquement», elle et sa sœur, dans son château de Mirabeau[334]. Elles y attendirent, pendant six jours, le retour de Pelletier, et, voyant qu'il n'arrivait pas, Mme Colonna, dans la crainte qu'on lui défendît de s'approcher de Paris, résolut de prévenir cet ordre et de s'y rendre en toute diligence. Le chevalier de Mirabeau accompagna les deux sœurs jusqu'au Pont-Saint-Esprit[335]. Là, Hortense ayant appris qu'elle était poursuivie par le terrible Polastron, capitaine des gardes de son mari, s'enfuit à Chambéry, accompagnée du chevalier d'Anne et de la moitié des gardes de M. de Mirabeau. De son côté, Mme de Colonna poursuivit son chemin jusqu'à Grenoble. Là elle reçut une lettre de la reine Marie-Thérèse, qui, en l'absence du Roi, alors à la tête de son armée en Hollande, la priait, «_en termes fort obligeants_», de ne pas passer plus avant du lieu où cette lettre la trouverait, «ajoutant qu'elle ne doutait point que ce ne fût l'intention du Roi[336]». Mme Colonna s'empressa d'obéir. Le duc de Lesdiguières, gouverneur du Dauphiné, qui, de son côté, avait reçu ordre de ne pas la laisser passer outre, invita la princesse à loger chez lui ou à l'Arsenal. A quelques semaines de là, les deux sœurs se trouvaient réunies à Grenoble, où elles s'étaient donné rendez-vous[337]. Ce fut en ce lieu que vint enfin les rejoindre Pelletier, qui était porteur d'une lettre du Roi pour la connétable. Au lieu de lui permettre de se rendre à Paris, il lui conseillait de se retirer dans un couvent, «pour arrêter la médisance qui donnait de méchantes interprétations à sa sortie de Rome[338].» Le Roi ajoutait, en ce qui touchait Hortense, que les conditions de sa séparation avec son mari étaient toujours les mêmes. La connétable, entraînée par son esprit romanesque, et s'imaginant que sa vue seule opérerait un miracle, prit la résolution de passer outre et de se rendre à Paris. Écoutons-la elle-même, car rien ne saurait rendre l'intérêt qu'offre son propre récit: «Je fus si peu satisfaite de cette lettre, que je résolus de m'en aller tout droit à Paris et de me jeter aux pieds de Sa Majesté. Je communiquai mon dessein à ma sœur, qui, touchée d'une extraordinaire complaisance, me dit que je ne regardasse en cela que mes intérêts et à ce que je jugerais le plus à propos, et que je passasse par-dessus toutes les autres considérations; que, pour ce qui la regardait, elle s'en retournerait à Chambéry. Nous partîmes donc en litière sans rien dire de notre voyage, de crainte que le gouverneur ne nous arrêtât, et nous fûmes ensemble jusqu'à Lyon, où nous nous séparâmes, elle pour s'en retourner à Chambéry, et moi pour m'en aller à Paris avec un courrier du cabinet, appelé Marguein, que j'avais connu à Rome, fidèle et homme d'esprit, que j'engageai de venir avec moi, et qui se chargea de toute la dépense de mon voyage, dont il s'acquitta avec honneur, jusqu'à avancer tout l'argent qui fut nécessaire. Je courais la poste dans une calèche et Moreno et lui me suivaient à cheval[339].» Ne racontons de ce singulier voyage que les principaux épisodes. Arrivée à Nevers, elle apprend en même temps que le duc son frère et sa femme sont à quelques lieues de la ville; qu'un gentilhomme a défendu à la poste, de la part du Roi, de donner des chevaux sans son ordre, et que la même prescription a été faite à tous les autres relais sur la route de Paris. La connétable, ayant appris, à Lyon, que le Roi avait dépêché un gentilhomme à sa rencontre, ne douta pas qu'elle ne fût l'objet de cette défense. Mais, comptant sur son étoile autant que sur l'irrésistible talisman de ses beaux yeux, elle résolut de poursuivre son chemin. A prix d'argent et à force d'adresse, elle obtient des chevaux de poste, et, pendant que M. de La Gibertière, le gentilhomme lancé à sa poursuite, se morfond à l'attendre à la tête d'un pont, elle prend une voie détournée et continue sa route. Sa calèche verse deux fois, son valet de chambre Moreno est pris à Montargis d'une colique de _miserere_, et Marguein, s'imaginant avoir toute la maréchaussée à ses trousses, refuse d'aller plus avant. Obligée de céder à la nécessité, la connétable envoie Marguein à Paris pour remettre des lettres au Roi et au marquis de Louvois, et elle s'achemine à petites journées jusqu'à Fontainebleau. Là, elle est atteinte par M. de La Gibertière, qui défend expressément à la poste qu'on lui donne des chevaux et qui lui remet une lettre de créance de Louis XIV. Mais laissons la parole à Mme Colonna: M. de La Gibertière «tâcha de me persuader de retourner auprès du connétable, comme le meilleur parti que je pusse choisir, les choses n'étant pas tournées à mon avantage en France, depuis qu'on avait donné à entendre au Roi que je présumais de tenir un absolu pouvoir sur son esprit; ajoutant que Sa Majesté avait un extrême regret de m'avoir accordé sa protection sur des prétextes chimériques et des raisons fondées seulement sur mon caprice, et il conclut enfin, qu'en cas que je ne me résolusse pas de m'en retourner chez moi, je n'avais qu'à prendre le chemin de Grenoble et entrer à l'abbaye de Montfleuri. «Voilà, au pied de la lettre, les articles de son ambassade, et voici ce que je lui répondis: que je n'étais point sortie de ma maison pour y retourner sitôt; que des prétextes imaginaires ne m'avaient pas poussée à ce que j'avais fait, mais de bonnes et solides raisons, lesquelles je ne pouvais ni ne voulais révéler à personne qu'au Roi seul, et que j'espérais de son discernement et de sa justice, quand une fois je lui aurais parlé (qui était tout ce que je désirais), qu'il serait détrompé de la méchante impression qu'on lui avait donnée, de ma conduite; que j'étais bien éloignée de me flatter de la vanité de ce présomptueux pouvoir; que je n'avais point assez de mérite, ni des qualité, ni de suffisance pour prétendre la moindre part dans ses affaires; que je désirais seulement de me retirer à Paris, et que je limitais toute mon ambition à l'étroite demeure d'un cloître, dans lequel je suppliais Sa Majesté de me donner la permission de vivre parmi mes parents, comme faisaient Mme la grande-duchesse de Toscane et Mme la princesse de Chalais, et comme mille autres dames veuves ou séparées d'avec leurs maris l'avaient obtenu; que, pour ce qui regardait de m'en retourner à Grenoble, j'étais trop fatiguée pour commencer tout de nouveau un autre voyage, et que, de plus, j'attendais réponse de Sa Majesté, sur laquelle je me réglerais après. Ce furent là les dernières paroles que je lui dis, auxquelles je fis succéder quelques airs que je jouai sur une guitare, que je pris en même temps.» Ce fut ainsi que la connétable congédia l'envoyé de Louis XIV.» Voilà un finale à l'italienne, que l'on croirait emprunté à un roman, et auquel on était loin de s'attendre après une si grave discussion. A quelques jours de là, Mme Colonna reçut la visite du duc de Créqui, que le Roi envoyait auprès d'elle avec ordre de répondre aux propositions qu'elle lui ferait. Il la trouva dans une méchante hôtellerie, étendue sur un grabat, et il ne put s'empêcher de lui témoigner toute la commisération que lui inspirait la vue d'un tel spectacle qui contrastait si étrangement avec la pompe et la grandeur du palais Colonna. Elle coupa court à «ses lamentations» et le pria de passer au point essentiel. M. de Créqui lui dit alors nettement que le Roi ne voulait pas qu'elle entrât à Paris ni qu'elle lui parlât, en ayant donné sa parole au nonce et au connétable, pour des raisons qu'elle ne devait pas ignorer; qu'ainsi elle n'avait qu'à retourner à Grenoble, si mieux elle n'aimait retourner à Rome, ce qui était le parti le plus sûr et le plus honnête. Quelle fut la réponse de la connétable? Elle-même va nous l'apprendre: «Touchée autant qu'il est possible d'une semblable déclaration, je répondis que le Roi pouvait bien me refuser l'honneur de le voir et m'empêcher d'entrer à Paris; mais qu'il ne serait pas fort séant à Sa Majesté de m'obliger de m'en retourner à Grenoble dans l'état où je me trouvais, non moins fatiguée de la chaleur que de la diligence que j'avais faite; que c'était une étrange dureté et sévérité du Roi de me priver ainsi de l'honneur de sa royale présence; mais que, l'obéissance étant si pressante, je suppliais Sa Majesté de me permettre au moins d'entrer dans l'abbaye du Lys[340].» M. de Créqui l'engagea alors à écrire un billet au Roi pour qu'il lui accordât cette grâce et il se chargea de le remettre de sa main. Peu de jours après arrivait un page de la part de Louis XIV, qui apportait cette autorisation avec un ordre à l'abbesse de recevoir la connétable, et un autre ordre à M. de La Gibertière d'accompagner la dame. Presque en même temps vint un gentilhomme, envoyé par Colbert, qui remit à Mme Colonna deux bourses de cinq cents pistoles de la part du Roi; somme qui lui fut depuis payée tous les six mois pendant tout le temps qu'elle resta sous la protection de ce prince[341]. En recevant le premier arrérage de cette pension elle dit «plaisamment à M. de Créqui qu'elle avait bien ouï dire qu'on donnait de l'argent aux dames pour les voir, mais jamais pour ne les voir point[342]». Dès qu'elle fut installée dans l'abbaye du Lys, dont l'abbesse l'accueillit avec des témoignages d'estime et de bienveillance, elle reçut la visite de ses deux sœurs, la comtesse de Soissons et la duchesse de Bouillon, qui la comblèrent de présents et de caresses. La première lui envoya un lit très riche, orné de tapisseries, et d'autres meubles de valeur pour égayer les murs un peu nus de sa cellule. L'abbesse avait reçu un ordre exprès du Roi de ne laisser pénétrer jusqu'à la princesse que ses deux sœurs, et elle s'empressait de donner à Colbert tous les détails possibles sur la surveillance qu'elle exerçait sur la connétable et qu'elle avait le plus grand soin de cacher à celle-ci. «Elle a toujours paru assez gaie depuis qu'elle est ici, lui mandait-elle, quoique, dans le fond, nous croyions bien qu'elle s'ennuie beaucoup[343].» Mme Colonna menait une vie assez tranquille dans ce monastère, très choyée et très courtisée par l'abbesse, lorsqu'elle eut la malencontreuse pensée d'adresser à Colbert une lettre pleine de plaintes «sur le peu de courtoisie qu'elle recevait de Sa Majesté[344]». Elle terminait sa lettre en lui disant que, puisque le Roi lui refusait la permission d'aller à Paris, il lui permît au moins d'aller où il lui plairait. Le Roi fut très offensé du ton de cette lettre, et les ennemis de Mme Colonna ne manquèrent pas de profiter de cette occasion pour insinuer à ce prince qu'elle était trop près de Paris et que, d'un moment à l'autre, il pourrait lui prendre fantaisie d'y venir. Le Roi, dans la crainte d'une telle équipée, qui eût fait grand scandale, ordonna donc à Colbert de dire de sa part à la connétable qu'après la lettre qu'elle avait écrite, elle ne méritait plus sa protection, et qu'elle n'avait plus qu'à choisir un couvent à soixante lieues de la cour. Mme Colonna, revenue de son emportement, chercha à s'excuser auprès de Colbert et le supplia d'intercéder en sa faveur pour qu'elle obtînt le pardon de sa faute[345]. La réponse de Colbert ne se fit pas attendre. Le Roi pardonnait à son ancienne amie, mais il persistait dans la résolution de l'envoyer à soixante lieues de Paris en lui laissant le choix d'un couvent[346]. Elle répondit avec beaucoup de soumission qu'elle n'avait pas assez couru le monde pour pouvoir choisir un monastère à cette distance, et que, s'il n'était pas possible de faire changer de sentiment au Roi sur ce point, il lui plût au moins de lui en désigner un lui-même, et qu'elle obéirait sans réplique, bien qu'elle éprouvât un sensible déplaisir à quitter une retraite où elle avait trouvé toutes les douceurs de le vie[347]. Enfin elle supplia Colbert qu'il lui fût permis de voir le Roi, une seule fois, la dernière fois de sa vie. Colbert ayant gardé le silence, elle lui adressa ce billet plein de tristesse et d'éloquence dans sa simplicité: «Ce 1er octobre. «Vous ne me répondez pas un mot, Monseigneur, sur la prière que je vous avais fait faire au Roi de ma part; je ne sais plus qu'en juger. Je connais la bonté et l'honnêteté du Roi de tout temps, et ne sais ce que je puis avoir démérité depuis mon arrivée en France, qu'il ne me juge pas digne d'une audience ni d'un mot de réponse. Ou il faut que j'aie bien des ennemis, ou que mon malheur soit sans exemple, puisqu'il n'est possible que le Roi, qui est le plus obligeant Roi du monde, _commence par moi à être inexorable_.» Connaissez-vous rien de plus touchant, de plus sublime que ces derniers mots? Hélas! cette réponse de celui qui l'avait tant aimée arriva enfin; elle était d'une froideur telle, qu'en vraie Italienne elle eût mieux aimé cent fois recevoir un coup de poignard[348]. Elle avoua plus tard à Mme d'Aulnoy «qu'elle en ressentit une douleur si vive qu'elle en pensa mourir[349].» Quatre ou cinq jours après elle vit arriver M. de La Gibertière[350] avec un carrosse et un ordre à l'abbesse de la faire sortir de son couvent. Traitée comme une prisonnière par le Roi, qui avait été presque son esclave, elle obéit en soupirant et, montant dans le carrosse avec trois demoiselles que lui avait envoyées le connétable, elle fut conduite à l'abbaye d'Avenay[351], à trois lieues de Reims et à trente seulement de Paris. Le Roi avait diminué de moitié la distance de cet exil. Cette abbaye était un chapitre noble, qui servait de refuge aux dames de la plus haute qualité. Elle avait alors pour abbesse Mme Brulart de Sillery, petite-fille du garde des sceaux et chancelier de France de ce nom sous Henri IV[352]. «L'abbesse, dit la connétable, me reçut avec tout l'honneur et toute l'amitié que je pouvais désirer; et, un mois après, l'archevêque de Reims, frère du marquis de Louvois, me vint voir, et il me pressa fort de lui déclarer les raisons que j'avais à donner au Roi, sur ma sortie de Rome. Et lui disant que l'inégalité qu'il y avait [entre lui et moi] ne me le permettait pas, il me demanda, d'un air désagréable, si c'était mon dessein de renouveler dans l'esprit du Roi le passé. A quoi je répondis que, comme c'était une chose qu'il me devait accorder le moins, c'était aussi ce que j'avais le plus oublié.» Après cette fière et spirituelle réponse, qui tint à distance le malencontreux prélat, dont la rudesse des manières contrastait si fort avec le peu d'austérité de ses mœurs, Mme Colonna le congédia d'un geste hautain. Après avoir passé trois mois dans ce couvent, où elle reçut l'accueil le plus bienveillant de l'abbesse et de ses religieuses, la connétable eut la permission d'accompagner son frère à Nevers. Mais à peine était-elle installée chez lui depuis huit jours qu'il prétexta un voyage à Venise et la pria de tenir la parole qu'elle lui avait donnée d'entrer dans un nouveau couvent, au cas où il serait obligé de quitter Nevers. Elle fut désolée de ce départ, qui la privait de la société de la duchesse, sa belle-sœur (Mlle de Thianges), l'une des plus aimables et des plus obligeantes femmes du monde, et, en même temps, de l'espérance de retourner à Paris. Il fallut s'exécuter; elle visita tous les couvents de Nevers, mais, n'en trouvant aucun à sa convenance, elle décida d'autant plus facilement son frère à la conduire à Lyon, qu'il avait l'intention secrète de la mener plus loin. A leur arrivée dans cette ville, le marquis de Villeroi, en l'absence de son père, qui était gouverneur du Lyonnais, vint au-devant d'eux, à deux ou trois lieues, avec une suite de carrosses. Après avoir visité plusieurs couvents, elle jeta ses vues sur celui de Sainte-Marie de la Visitation, «situé sur une hauteur d'où l'on découvre toute la ville». Elle était même sur le point d'y entrer lorsque son frère et M. de Villeroi lui firent brusquement changer de dessein. «Je serais, nous dit-elle, demeurée en cette retraite si mon destin, toujours ennemi de mon bonheur, n'avait pas inspiré au marquis et à mon frère de me le dissuader, m'exagérant si fort ce que j'avais souffert et le mépris où j'avais été en France, que je pris la résolution de m'en aller en Italie, sans leur dire le lieu que je choisissais pour ma retraite. Et comme, en ce temps-là, on rappela le marquis de son exil, nous partîmes ensemble, lui pour Paris, et nous pour l'Italie.» Voilà ce que Mme Colonna dit dans son _Apologie_, mais nous trouvons bien plus près de la vérité les explications qu'elle donne dans la seconde partie de ses _Mémoires_: «M. le connétable, ayant appris mon départ pour Paris, écrivit à mon frère, à M. de Colbert, au cardinal Nerli, pour lors nonce du Pape à la cour, et au Roi même, afin que je retournasse en Italie. Ces lettres produisirent leur effet, et me firent enfin résoudre à retourner et à partir pour Turin avec mon frère. _La cause de mon changement, et de ma résolution à retourner à Rome, fut parce que je fus trompée dans mes desseins; le Roi, de qui j'espérais tout, me traita fort froidement, sans que j'en sache encore la raison._» Elle avait cédé à un premier mouvement de dépit, sans faire réflexion qu'elle trouverait bien plus de sûreté en France qu'en Italie, et que Louis XIV n'était pas homme à la livrer au connétable. Elle eut même l'imprudence de faire un accord par lequel il fut convenu que son frère la conduirait jusqu'à Venise, et que là le connétable viendrait la prendre pour la conduire à Rome[353]. CHAPITRE XV Séjour de la connétable à Turin dans un couvent.—Sa fuite à Chambéry pour rejoindre sa sœur et rentrer avec elle en France.—Ordres donnés par Louis XIV de fermer tous les passages.—Retour de la connétable à son couvent.—Sa rupture avec le duc de Savoie.—Départ de Mme Colonna pour la Flandre, sous la conduite du marquis de Borgomainero, ami et agent secret du connétable.—Arrivée à Malines.—Trahison du marquis.—La connétable est conduite prisonnière à la citadelle d'Anvers, puis à Bruxelles dans un couvent, et de là à Madrid dans un autre monastère.—Évasions successives de Mme Colonna.—L'abbé don Fernand Colonna, frère naturel du connétable.—Mme Colonna confiée à sa garde. A peine Mme Colonna eût-elle quitté la France qu'elle sentit toute l'étendue de la faute qu'elle venait de commettre avec autant de légèreté que d'aveuglement. Afin de la réparer, elle résolut, une fois arrivée à Turin, de ne pas passer outre. Elle s'ouvrit de ce dessein à sa sœur, en passant par Chambéry, et la pria d'écrire au duc de Savoie pour qu'il lui permît de se retirer dans un couvent de ses États. Elle adressa, de son côté, à ce prince la même demande, et il s'empressa de lui écrire, le jour suivant, pour l'assurer de sa protection, si, ajoutait-il, elle n'était point opposée au bon plaisir du Roi. Il eut même la galanterie de lui envoyer un gentilhomme avec un carrosse pour la conduire jusqu'à Turin. Le duc de Nevers, fort mécontent d'avoir laissé échapper sa proie, qu'il espérait conduire jusqu'à Venise, poursuivit son chemin, sans aller même saluer le duc de Savoie. «Ce prince, dit la connétable, sortit pour me venir recevoir à une lieue de la ville, et il me fit entrer dans son carrosse, où il y avait quelques seigneurs de sa cour, et, avec une grande suite de noblesse qui venait à cheval, il m'accompagna jusqu'au couvent de la Visitation, où il avait commandé qu'on me meublât un appartement, et disposa l'abbesse à me recevoir par l'entremise de l'archevêque, qui se trouva là présent pour me faire entrer[354].» Elle y passa trois mois. Mais trois mois, n'était-ce pas un siècle pour un esprit aussi inquiet que le sien? Paris était sans cesse l'objet de ses regrets et de ses espérances. Aucune disgrâce, aucun mécompte, aucun revers, ne pouvait lui faire perdre l'illusion qu'elle n'avait qu'à se montrer pour reconquérir son empire. Sur la fausse nouvelle que la duchesse de Mazarin doit bientôt partir pour Paris, elle écrit au duc de Savoie pour le prier d'empêcher, de peur qu'elle ne soit arrêtée, qu'aucun courrier ne parte de deux jours. Charles-Emmanuel lui ayant accordé cette grâce, tout en blâmant sa résolution, elle s'échappe de son couvent et court à Chambéry, munie de mille pistoles qu'elle venait de recevoir du Roi pour sa pension, et suivie de son chapelain. Là, elle apprend que sa sœur, cédant à des considérations politiques et craignant de se voir embarquée dans quelque fâcheuse affaire, est partie sans faire connaître le lieu de sa destination. Force lui fut de retourner à Turin pour se remettre sous la protection du duc de Savoie, qui eut encore la courtoisie de lui envoyer un carrosse au pied des Alpes. A la nouvelle de cette équipée, et à la prière du connétable, Louis XIV envoya ordre à tous les gouverneurs des frontières et provinces de son royaume de fermer tous les passages à la fugitive. Après un mois de liberté, Mme Colonna obtînt, par l'entremise du cardinal Porto Carrero, la permission de retourner dans un couvent, avec la faveur de pouvoir en sortir une fois la semaine. Elle en profita pour fréquenter assidûment la cour et pour assister aux chasses et autres divertissements que l'on donnait à la _Vénerie_, maison de plaisance de la cour de Savoie[355]. Ces distractions et le gracieux accueil qu'elle recevait du duc et de la duchesse semblaient avoir mis un terme à son inconstante humeur; elle paraissait décidée à ne plus rompre son ban, lorsque sa mauvaise étoile en décida autrement. Écoutons le récit qu'elle a fait de sa rupture avec le duc de Savoie, rupture à la suite de laquelle elle quitta ses États pour tomber dans une suite d'infortunes, bien plus grandes que celles qu'elle avait traversées jusque-là. Tant d'insuccès et de mésaventures l'avaient assaillie et poursuivie depuis sa fuite de Rome, que son caractère avait fini par s'aigrir, et qu'elle ne pouvait plus supporter de conseil et de contradiction, sans laisser éclater sa mauvaise humeur. «Mon bonheur était trop grand, et je ne devais pas attendre que la fortune, qui semble s'intéresser à me persécuter toujours, le pût faire durer longtemps. Pour arrêter donc un si heureux cours, elle inspira à Son Altesse Royale des raisons politiques qui l'obligèrent à me proposer de m'en retourner à Rome, me représentant que je serais beaucoup mieux dans ma maison que dans un couvent, et que, si l'unique obstacle qui m'empêchait à me déterminer là-dessus était la désunion qu'il y avait entre le connétable et moi, il s'offrait à être le garant de notre réconciliation. Ces propositions, jointes à beaucoup d'autres choses qu'il me dit à la _Vénerie_, m'offensèrent d'une telle manière, qu'emportée des mouvements de mon humeur un peu colère, je voulus partir dès le moment et m'en retourner dans le cloître. Et je l'aurais fait sans doute, si Madame Royale ne m'en eût empêchée, en m'arrêtant encore huit jours, au bout desquels ils m'y accompagnèrent. Notre différend augmenta en chemin, et comme je suis d'une humeur peu souffrante[356], et que je ne pardonnais rien à ce prince, nos esprits s'échauffèrent plus que jamais, et, en me quittant la main, à l'entrée du couvent, il me dit, après un long silence, que, nonobstant tous mes caprices et les brusqueries que je lui faisais, il me servirait toujours. Au lieu que cette offre me dût apaiser, elle m'irrita plus fort qu'auparavant; de sorte que je lui répondis avec assez de fierté, que je faisais le même cas de sa protection que de sa personne. Il fut si cruellement outré de cette réponse, qu'il s'en alla sans me parler, et cette occasion paraissant favorable à mes ennemis pour me mettre tout à fait mal avec lui, il s'en servirent avec assez de succès[357]. «... Son Altesse Royale passa tout l'été à la _Vénerie_ sans m'envoyer faire un compliment; et, à son retour, m'étant venu voir avec Madame Royale, pour me consoler sur la mort du comte de Soissons, il s'acquitta en grande cérémonie d'un compliment si mélancolique, et accommoda le triste et le sérieux de son visage avec le funèbre de son sujet.» Rien ne pouvait être plus fatal à la connétable que cette brouillerie avec un prince aussi généreux, aussi chevaleresque que le duc de Savoie. Cette nouvelle et irréparable faute devait la précipiter dans un abîme d'infortunes. Cependant, le connétable, qui croyait ne pouvoir réparer l'affront qu'il avait reçu par le départ de sa femme, que par son retour, ne négligeait rien pour l'y faire consentir. Il lui dépêcha un de ses meilleurs amis, le marquis de Borgomainero, de la maison d'Este, avec cent propositions d'accommodement, qui semblaient plus séduisantes les unes que les autres. Mais le marquis, malgré son habileté, ne put jamais la décider à retourner à Rome. Elle craignait la vengeance du connétable et la coutume qu'ont les Italiens de servir eux-mêmes les morceaux à table[358]. Le cardinal Chigi, dans une mission semblable, ne fut pas plus heureux. Cependant Mme Colonna, ne trouvant en Italie aucun lieu qui lui semblât assez sûr pour y résider, songea à rentrer en France. Cédant à une inspiration qui ne prouve guère la pénétration et la prévoyance de son esprit, elle eut la singulière pensée de s'adresser au connétable lui-même pour exécuter ce dessein, comme si la cour de France ne devait pas être le lieu du monde que le connétable dût redouter le plus. Elle lui fit donc adresser cette demande par le marquis de Borgomainero[359]. Le connétable feignit de l'accueillir; il écrivit plusieurs fois à sa femme pour l'assurer qu'il avait prié Louis XIV, à maintes reprises, de lui donner asile dans son royaume; mais que, ne recevant pas de réponse, il aimerait mieux qu'elle prît le parti de se retirer en Flandre. L'imprudente, déterminée à ne pas prolonger plus longtemps son séjour en Savoie, finit par se rendre à la proposition artificieuse du connétable. Après avoir pris congé du duc de Savoie, qui eut la galanterie de l'accompagner jusqu'à son carrosse, elle se livra entre les mains du marquis de Borgomainero. Celui-ci avait eu soin de s'adjoindre, au lieu et place du chapelain de la connétable, qui fut congédié, un homme aussi habile que peu scrupuleux, l'abbé Oliva, entièrement dévoué au connétable[360]. Le carrosse se dirigeait sur Rone, dans l'État de Milan, pour gagner la Suisse, lorsque, à une journée de Turin, le marquis et l'abbé, obéissant à des ordres secrets, qui leur enjoignaient sans doute de ne pas faire arrêter Mme Colonna en Italie, ce qui eût causé un affreux scandale, essayèrent de la dissuader de passer par le Milanais, en l'assurant que le duc d'Ossuna, gouverneur de cet État, avait tout disposé pour la conduire dans une forteresse. Voici comment la connétable raconte ce qui suivit: «Je fus quelque temps à me rendre à leurs conseils; mais, cédant enfin à leur éloquence et à la force de leurs raisons, je pris la route de Saint-Bernard, accompagnée du marquis, de l'abbé, de Morena et d'un valet de chambre appelé Martin, et j'envoyai le reste de mes gens par Rone. Je fus confirmée en peu de temps de ce qu'ils m'avaient dit, parce que le duc d'Ossune, ayant été informé de mon départ par un courrier que Don Maurice lui avait dépêché, et pressé par les lettres du connétable, de m'envoyer dans le château de Milan, croyant que je serais à Rone, parce que j'avais, comme j'ai dit, envoyé par là une partie de mes gens, donna ordre qu'on les saisît. Une de mes demoiselles, appelée Constance, reçut dans cette prison tous les honneurs imaginables, se persuadant que c'était à moi qu'on les rendait, jusqu'à ce qu'un chevalier de Malte, appelé Cavanage, que le duc avait envoyé pour me reconnaître, les désabusa et tira en même temps ceux de ma suite de la plus agréable prison qu'il était possible d'imaginer, ayant, durant huit jours[361] qu'elle dura, été splendidement régalés, et joui, après, par un effet de la générosité de ce duc, de toutes sortes de divertissements. Nous étions bien éloignés de passer si agréablement notre temps sur la montagne de Saint-Bernard, allant parmi les neiges et des précipices si affreux, que c'étaient des abîmes[362]. Avec tout cela nous arrivâmes heureusement à Bâle, où nous apprîmes ce qui était arrivé à nos gens, qui, quelques jours après leur liberté, nous vinrent trouver à Mayence, d'où nous passâmes à Francfort pour aller de là à Cologne, rôdant ainsi, pour complaire au marquis et à l'abbé, qui ne se voulaient point trouver au siége de Bonn, ni rencontrer les troupes espagnoles ni françaises, qui s'étaient mises en marche en même temps que nous.» Le bruit de cette nouvelle aventure n'avait pas tardé à se répandre, et Mme de Sévigné écrivait, le 24 novembre 1673, à Mme de Grignan: ... «Mme Colonne a été trouvée sur le Rhin, dans un bateau avec des paysannes; elle s'en va je ne sais où dans le fond de l'Allemagne.» Après avoir passé trois jours à Francfort, elle se dirigea vers Cologne, et, pendant tout le chemin, elle eut extrêmement à souffrir de «l'humeur défiante, du flegme intolérable et des regards continuels du marquis[363]». Elle n'eut pas moins à se plaindre de l'abbé Oliva. Cependant, elle avait secrètement reçu avis de M. Courtin, résident général de Louis XIV vers les princes et États du Nord, et de M. Barillon, alors plénipotentiaire de ce prince à Cologne, soit par lettres, soit de vive voix, que, si elle passait en Flandre, elle serait infailliblement arrêtée. Le marquis et l'abbé, qui en furent avertis, changèrent aussitôt de manières et de langage, et usèrent de tout leur crédit et de toute leur éloquence pour persuader à la connétable de partir de Cologne. Au dire du marquis, il s'offrait pour elle une occasion excellente de voyager avec plus de sécurité dans un pays occupé çà et là par les troupes françaises: c'était de se mettre sous la garde d'un régiment espagnol, campé non loin de Cologne et qui avait ordre de se rendre en Flandre, au camp du marquis d'Assentar. Avec sa légèreté habituelle, elle monte aussitôt en voiture, mais le carrosse s'étant rompu à quelque distance, elle et deux de ses demoiselles montent à cheval, et galopent gaîment jusqu'au camp du marquis d'Assentar, qui leur offre son carrosse pour continuer leur chemin. Le voyage jusqu'à Malines dura cinq ou six jours, fort égayé par le jeu et par les conversations galantes des principaux officiers espagnols, hollandais et flamands, qui rivalisaient de soins et de complaisances pour la connétable. Pendant qu'elle passait ainsi fort agréablement le temps, sans tenir compte «de la méchante humeur de Borgomainero et des rêveries profondes» dans lesquelles il était plongé, le fourbe, de concert avec le marquis d'Assentar et le comte de Monterey, gouverneur de Flandre, machinait contre elle la plus odieuse trahison. A peine fut-elle arrivée à Malines, que le gouverneur de la ville lui annonça que le comte de Monterey avait donné l'ordre de ne pas la laisser passer outre, jusqu'à ce que tout fût prêt pour la recevoir dans un couvent de Bruxelles. Et pour qu'elle fût hors d'état de violer cet ordre, il fit mettre des gardes à la porte de sa maison, sous prétexte de lui rendre honneur. Toute autre personne, à la place de Mme Colonna, n'eût point été surprise d'un semblable traitement, mais, crédule et confiante comme elle l'était, elle en éprouva autant d'étonnement que de douleur. Le marquis de Borgomainero, craignant d'être découvert, joua une extrême surprise, et dissimula son rôle par tant de serments et de protestations, que la connétable s'y laissa prendre et qu'elle lui confia la mission de partir aussitôt pour Bruxelles, afin d'obtenir du comte de Monterey qu'elle pût se retirer dans le couvent de cette ville nommé de Barlemont. Le marquis et l'abbé d'Oliva, afin d'accomplir en entier leur odieuse mission, insinuèrent dans l'esprit du gouverneur de Flandre tout ce qu'ils purent lui inspirer de défiance contre Mme Colonna, et, afin qu'elle ne pût s'échapper en France ou en Angleterre, ils lui persuadèrent de la faire conduire dans la citadelle d'Anvers. Borgomainero n'eut pas honte d'aller trouver la connétable, et de lui présenter un ordre du gouverneur, par lequel il lui enjoignait d'avoir à se rendre sous la conduite du marquis, dans cette ville, afin d'y attendre la réponse du connétable et l'autorisation du Pape pour qu'elle entrât dans un couvent. De plus en plus aveuglée par les feintes protestations de dévouement du marquis[364], Mme Colonna s'embarqua sans la moindre défiance dans une belle barque commandée par l'Amirante[365], et le jour suivant elle arriva de grand matin à Anvers. Voyant que l'on tardait à la faire débarquer, elle conçut quelques soupçons qui se dissipèrent bientôt. Écoutons son propre récit: «Après trois heures d'attente, l'avis étant venu que le marquis d'Ossera, gouverneur de la place, m'attendait dans son carrosse, je me rassurai, croyant, selon toutes les apparences, que c'était pour me faire honneur. Ayant donc mis pied à terre, j'entrai dans ce carrosse avec Borgomainero et le gouverneur, qui me mena tout droit à la citadelle, où persistant toujours dans mon erreur, et croyant d'être libre, je ne songeai, le premier jour, qu'à me délasser. Le second, je priai le gouverneur de me faire trouver un carrosse, parce que je voulais sortir. De quoi Borgomainero, étonné, me dit d'un air embarrassé que le temps n'était pas beau et qu'il valait mieux me reposer. L'ayant remercié d'un soin si obligeant, je ne lui répliquai rien; mais, le jour ensuite, le marquis de Borgomainero étant parti pour aller trouver le comte de Monterey à l'armée, et l'abbé Oliva s'en étant allé à Bruxelles, sur le prétexte de s'en vouloir retourner à Rome, on me donna deux gardes avec un officier. «Je connus alors clairement mon aveuglement et leur trahison. Et si le marquis avait empêché qu'on ne me traitât de cette manière qu'après son départ, ce n'était que pour ne me faire pas croire qu'il en fût l'auteur... Ils ne s'arrêtèrent pas là, et, comme si j'eusse été criminelle d'État, on recevait et on ouvrait toutes mes lettres, aussi bien celles que j'écrivais que celles qu'on m'envoyait. Ce n'était pas encore assez, et Borgomainero, croyant qu'il n'était pas encore assez bien vengé de mes mépris qui ne procédaient que du peu d'obligation que je lui avais, sachant qu'il y avait une lettre du connétable et un bref de Sa Sainteté, par lequel il permettait à l'archevêque de me laisser entrer dans tel couvent que je choisirais, il conseilla au comte de Monterey d'attendre la réponse de celle qu'il avait écrite, avec l'ordre qu'on me devait envoyer, disant qu'il était bien assuré que tout ce qu'il avait fait en mon endroit serait non seulement avoué du connétable, mais de la Reine régente (d'Espagne), qui ne désapprouverait pas son procédé; et avec cela il rompit toute l'affaire, sur le point que je la croyais conclue. «Les persuasions du marquis eurent tout le succès qu'il souhaitait, et les informations qu'il avait envoyées contre moi en Espagne et en Italie produisirent l'effet que sa vengeance demandait. La Reine envoya ordre au comte qu'on s'assurât de ma personne, et le connétable, louant fort la conduite qu'on avait tenue envers moi, m'écrivit en particulier, pour la justifier, que, sur l'avis qu'on avait eu que je voulais passer en France ou en Angleterre, on avait été obligé de m'ôter la liberté pour m'empêcher de l'exécuter». Ce fut en vain que, pour détruire ces accusations que la connétable disait être fausses, elle déclara au comte de Monterey, qui vint la visiter dans la citadelle, que si elle avait eu le dessein de passer en France ou en Angleterre, rien ne lui eût été plus facile que de le mettre à exécution, lorsqu'elle se trouvait à Cologne au milieu de ses amis. Ce furent les insinuations de Borgomainero qui prévalurent. Lors d'une seconde visite qu'elle reçut de M. de Monterey, elle le supplia avec tant d'instances de lui rendre la liberté et de lui permettre d'aller à Bruxelles, qu'il feignit de la contenter. Il envoya Borgomainero dans cette ville, afin d'y préparer un logement sûr pour Mme Colonna. Celui-ci loua un appartement qui joignait le _Couvent des Anglaises_ et il y «fit mettre plus de grilles qu'il n'y en avait dans le couvent même». Puis, sans attendre l'arrivée de la captive, qui ne faisait que changer de prison, il partit pour la Bourgogne[366]. Malgré l'affreuse peinture que firent de ce triste lieu à la connétable deux de ses demoiselles, qu'elle avait envoyées pour le visiter, et qui l'engageaient à rester plutôt dans la citadelle, rien ne put la retenir. Elle fut conduite à Bruxelles par le capitaine des gardes du comte de Monterey; mais, au moment où elle aperçut cette nouvelle prison, elle fut saisie d'un tel effroi, qu'elle entra précipitamment dans l'église du couvent pour y user du droit d'asile. Elle déclara résolûment au capitaine des gardes qu'elle ne sortirait de l'église que pour entrer dans un monastère, comme le comte le lui avait formellement promis. Aussitôt averti, M. de Monterey vint la trouver, et, ne pouvant rien obtenir d'elle ni par prières ni par menaces, il envoya appeler le nonce et l'archevêque pour qu'ils lui permissent d'employer la force. Après une petite conférence qu'ils eurent ensemble, le gouverneur revint auprès de la connétable; mais, n'ayant reçu d'elle que des paroles aussi dures que les siennes, il partit enfin, en laissant plusieurs gardes pour l'épier et quatre sentinelles à la porte de l'église. En même temps, il fit défendre à l'abbesse de la recevoir dans son couvent. La princesse, de son côté, était résolue à passer la nuit dans l'église, lorsqu'elle reçut la visite d'un honnête bourgeois de la ville, qu'elle connaissait, et qui s'appelait Bruneau Aman. Celui-ci, l'ayant avertie que le gouverneur avait ordonné à ses soldats de l'enlever dès qu'elle serait endormie, lui donna le conseil de sortir tout doucement et d'entrer dans le logis voisin qui lui avait été préparé. Elle céda à ses prières. «Je passai enfin, dit-elle, dans cet auguste domicile, que je trouvai plus fort et mieux gardé que la tour de Danaé, mais où, nonobstant mes déplaisirs, qui n'étaient pas petits, accablée de lassitude et de sommeil, je dormis mieux que je n'avais fait de ma vie. Toutes ces précautions, ajoute-t-elle, n'étaient encore rien; ce n'était pas encore assez que des grilles, des gardes et des sentinelles qu'il y avait autour de cette maison; dans la crainte que je ne m'ouvrisse un passage dans le couvent, le comte m'envoya, pour me garder à vue, et être témoin de toutes mes actions, un gentilhomme espagnol, appelé Don... San Lorenço. Dans un si pitoyable état, n'ayant pas été possible d'obtenir aucune chose du gouverneur de Flandre, ni par mes sanglots ni par mes larmes, je pris enfin le parti de passer à Madrid, et de me retirer dans un couvent, ne doutant pas qu'on ne me l'accordât.» Voilà où en était réduite celle qui avait été sur le point de devenir reine de France. Bruxelles était trop près de la cour de Louis XIV, pour que Marie-Thérèse, dans la même pensée que le connétable, pût consentir à y laisser vivre Mme Colonna, même sous les triples grilles d'un couvent. Quant à Madrid, l'infortunée devait trouver moins de difficulté à y obtenir une prison dans un monastère. Le comte de Monterey approuva sur-le-champ cette proposition et dépêcha un courrier au connétable pour lui en donner avis. En attendant sa réponse, le comte, obligé d'aller à Anvers et de retirer ses gardes, pressa Mme Colonna de retourner à la citadelle, lui promettant qu'elle y serait traitée avec moins de rigueur, et qu'on lui permettrait même de sortir quelquefois en compagnie du lieutenant de la place. Elle y consentit, à condition qu'il signerait une sorte de traité dans lequel seraient stipulés ces engagements, et elle partit, accompagnée de M. Bruneau et de don... de San Lorenço. Pendant les quelques semaines qu'elle passa dans la citadelle, elle eut en effet moins à se plaindre du gouverneur et on lui laissa un peu plus de liberté. L'arrivée de l'abbé don Fernand Colonna, frère naturel du connétable et chargé par lui d'accompagner la prisonnière à Madrid, ne contribua pas peu à ce changement. Elle écrivit à l'amirante pour lui demander l'hospitalité à son arrivée à Madrid et pour obtenir de la reine douairière d'Espagne qu'elle pût entrer dans un couvent de la cour. Sans avoir reçu de réponse, elle partit pour Ostende, où elle s'embarqua sur un vaisseau anglais qui, en neuf jours, aborda à Saint-Sébastien. Huit jours après, n'ayant obtenu de réponse à une seconde lettre, ni de l'amirante ni de la Reine, elle poursuivit son chemin et arriva à Burgos, puis à Alcobendas, village à trois lieues de Madrid. Enfin un courrier lui apporta deux lettres, l'une de la Reine et l'autre de l'amirante, par lesquelles ils s'empressaient d'accueillir ses demandes. Arrivée à Nuestra Señora del Belveder, dans les carrosses du nonce, elle vit venir au-devant d'elle la duchesse d'Albuquerque et la marquise d'Alcannizas, belle-fille de l'amirante, qui la conduisirent à une maison de plaisance de ce seigneur, «richement meublée, ornée des plus excellentes et des plus riches peintures de l'Europe», et située dans l'un des plus beaux paysages de l'Espagne. Après deux mois de séjour dans cette magnifique villa, elle demanda à la Reine de la faire entrer dans le couvent des religieuses de _Santo Domingo el Real_. Les religieuses y ayant consenti, à la condition que la Reine déclarerait par un décret royal que cette grâce ne nuirait en rien pour l'avenir à leurs priviléges[367], la connétable fit son entrée dans le monastère, à la fin du mois d'août 1677, accompagnée du nonce Marescotti, de l'amirante et du marquis d'Alcannizas. Afin qu'elle fût plus libre, et qu'elle ne fût pas confondue dans la foule des autres religieuses, on lui donna une maison contiguë au couvent, que l'on eut soin de garnir de grilles et de tours, et dans laquelle il lui fut permis d'installer l'abbé Colonna et ses domestiques. L'abbesse, doña Victoria Porcia Orosco, personne fort spirituelle et sachant passablement l'italien, s'étudiait, ainsi que ses religieuses, à lui rendre aussi agréable que possible ce triste séjour. Peut-être se serait-elle résignée à y passer la fin de sa vie, si, comme on le lui avait fait espérer, elle avait eu la permission, ainsi qu'à Turin, de sortir une fois la semaine pour fréquenter ses amis et la cour. Mais, sur la demande expresse du connétable, cette permission lui avait été impitoyablement refusée. Il avait écrit à la Reine douairière et à l'amirante pour les supplier de ne jamais la lui accorder, disant qu'elle était bien en sûreté à Madrid et qu'il ne voulait pas courir le danger de la voir en liberté ailleurs. Mme Colonna a raconté avec feu dans quelle irritation la jeta cet ordre barbare, et nous ne pouvons mieux faire que de lui céder la parole: «J'ai déjà dit que la contradiction irrite mon esprit, et je crois que c'est assez pour faire comprendre quelle colère et quel ressentiment j'eus de cette nouvelle; mais on le comprendra encore mieux, quand j'y ajouterai la considération des soins avec lesquels une infinité de personnes m'observaient continuellement, espions éternels de mes actions, par l'ordre de l'abbé don Fernand (Colonna), qui exécutait avec une furieuse rigueur les ordres du connétable. Outre cela, il y avait des gens assez malintentionnés pour irriter encore davantage l'esprit de mon mari en me rendant mille méchants offices auprès de lui, et qui lui écrivaient que je voulais m'enfuir, et que je le ferais infailliblement, si l'on ne m'observait avec soin. Tous ces bruits, joints avec les raisons que j'ai dites ci-dessus, me poussèrent à me déterminer de sortir du couvent[368], pour faire voir que toutes les peines que l'on prenait à me garder et à me tenir enfermée ne serviraient qu'autant que je voudrais. Si bien qu'un jour que don Fernand était sorti avec tous mes gens, je commandai à mes demoiselles de mettre bas ces fortes, ces épaisses et ces hautes murailles que l'auteur de mon Histoire dit avoir été l'unique obstacle à ma fuite. De quoi j'envoyai ensuite donner avis au duc d'Ossune, à l'amirante et au prince d'Astillano, avec un billet que j'écrivis à chacun d'eux, les suppliant de me vouloir favoriser dans cette affaire, puisque mon dessein n'était point, comme mes ennemis le publiaient, de m'enfuir en France ni en Angleterre, mais d'être hors de clôture, dans la maison où j'étais, n'étant pas juste qu'on me retînt par violence dans un lieu où j'étais entrée de bonne volonté[369]...» Mais tous ces seigneurs, plus politiques que galants, répondirent à la connétable d'une manière évasive. Le nonce Molini et l'amirante, avertis par l'abbé don Fernand Colonna, se rendirent auprès de la princesse, non pour condescendre à ses désirs, mais pour lui conseiller vivement de rentrer dans son cloître. La malheureuse connétable, se voyant sans appui et sans protection, finit par se rendre à leurs instances. Mais une nouvelle difficulté se présenta. Les religieuses, après le scandale de la fuite de Mme Colonna, ne voulaient plus, à aucun prix, la recevoir dans leur couvent; il ne fallut rien moins que la crainte d'une excommunication dont le nonce les menaça pour vaincre leur résistance. A partir de ce jour, la surveillance que l'on exerça sur la captive devint de plus en plus rigoureuse. Il y avait quelques mois qu'elle subissait cette nouvelle contrainte, sans voir de remède possible à ses maux, lorsque le jeune roi d'Espagne, Charles II, rappela auprès de lui son frère naturel don Juan d'Autriche, pour lui donner la plus grande part aux affaires de son royaume. Mme Colonna, comptant sur les sentiments généreux de ce prince et ayant fini par intéresser à ses malheurs le duc d'Ossuna, auquel la rattachaient des liens de parenté, résolut d'aller au-devant de don Juan, qui se rendait de Saragosse à Madrid. Sans que personne s'y opposât, elle sortit en plein jour de son couvent, par la porte et en vue de toutes les portières, et elle trouva un refuge dans la maison de la marquise de Mortara. Don Fernand, dans l'ignorance du lieu où elle était, donna l'ordre partout qu'on l'arrêtât, supposant qu'elle avait dessein de sortir du royaume. Comme elle avait écrit à plusieurs seigneurs pour leur faire connaître le lieu de sa retraite, l'amirante, qui était tout entier dans les intérêts du connétable, mit tout en œuvre pour la faire rentrer dans son cloître. Deux jours après, il vint la trouver, accompagné du nonce et de don Garcia de Medrano, du conseil de Castille, pour lui enjoindre, par ordre du Roi, de retourner dans son couvent. Don Garcia, lui parlant, en sa qualité de ministre de la justice, lui dit qu'il avait ordre, en cas de résistance, de l'y conduire par force. La connétable, exaspérée par ces violences, était sur le point de résister jusqu'à la dernière extrémité, lorsque la marquise de Mortara, à force d'instances et d'exhortations, finit par la calmer et par la décider à rentrer dans le monastère. Elle y avait à peine mis le pied, accompagnée de plusieurs grands d'Espagne, que les nonnes, l'ayant reconnue en soulevant sa mantille, «commencèrent à remplir l'air de leurs cris», et à se plaindre de la violation de leurs priviléges. Il fallut, pour qu'elles cédassent, que le nonce leur lût un décret du Roi. Mme Colonna prépare aussitôt une nouvelle fuite. «Enfin, dit-elle, cette guerre civile s'apaisa. Parmi tous ces esprits courroucés, il n'y eut que le mien qui resta dans l'agitation, ayant de mortels déplaisirs des réflexions que je faisais de temps en temps sur la violence avec laquelle on s'efforçait de me tenir enfermée sous des conditions plus rigoureuses que celles qu'on m'avait promises. Je ne me rebutai pas néanmoins pour avoir vu mal réussir mes deux premières entreprises pour ma liberté, et, considérant que c'était le plus doux bien de la vie, et que pour le recouvrer il n'y avait rien qu'un esprit noble et généreux ne dût tenter, je me mis tout de nouveau à chercher le moyen de l'obtenir[370].» Il y avait huit jours qu'elle méditait le plan d'une troisième évasion, lorsqu'elle apprit l'arrivée de don Juan à Madrid. A cette nouvelle, elle adressa un mémoire à ce prince, ainsi qu'au Roi, qu'elle leur fit remettre par le duc de Medina Sidonia. Mais, au moment où don Juan montrait des dispositions favorables envers la captive, arriva une lettre du connétable adressée au Roi, dans laquelle, se plaignant de la récente fuite de sa femme, il demandait qu'elle fût enfermée dans un château. Don Juan, fort embarrassé, remit le mémoire de la femme et la lettre du mari au conseil d'État, ainsi que le règlement de l'affaire. Mme Colonna avait gagné à sa cause les ducs d'Albe, d'Ossuna et le marquis d'Astorga; il fut décidé, à la majorité des voix du conseil, que la princesse serait rendue à une pleine et entière liberté et qu'on lui donnerait même une maison tenue sur un pied conforme à la grandeur de son rang. Le Roi jugea à propos de suspendre l'exécution de l'arrêt du conseil, jusqu'au moment où il aurait reçu réponse d'une lettre qu'il adressait au Mais, en attendant une résolution décisive, il autorisa Mme Colonna à se retirer dans quelque lieu autour de Madrid. Pendant ce temps-là, don Fernand Colonna, agissant au nom du connétable, ne négligeait rien pour que la princesse fût maintenue en captivité dans un couvent ou dans un château. Il présenta même à la cour un Mémoire dans lequel il s'étendait sur les graves inconvénients qu'il y aurait à lui rendre la liberté et combien il importait, «_pour le repos du connétable_», qu'elle fût toujours gardée à vue. Mme Colonna, redoutant les suites des intrigues de l'abbé, crut devoir, par une prompte sortie du couvent, prévenir le mal dont elle se croyait menacée. Elle fit part de son dessein au nonce, au duc d'Ossuna et à l'abbesse, qui ne la désapprouva pas, croyant que le décret royal était dans les formes requises. De peur qu'une religieuse de ses amies, qui dormait dans son appartement, ne donnât l'éveil, elle sortit à six heures du matin; elle se jeta, avec ses demoiselles, dans un carrosse de louage et elle se rendit à l'Atocha et de là à Ballacas, terre appartenant au Roi à une lieue de Madrid. L'après-dînée, le nonce vint la voir, accompagné de don Fernand, et, après l'avoir absoute de l'excommunication qu'elle avait encourue pour être sortie sans permission de son couvent, il fit si bien qu'il parvint à obtenir qu'elle pardonnerait tout à don Fernand et, qui plus est, qu'elle retournerait à Madrid pour y vivre dans la propre maison de l'abbé. Au grand étonnement du nonce, Mme Colonna ne se fit pas trop prier. La crainte de vivre dans un lieu assez désert et la perspective de jouir de quelque liberté à Madrid avaient opéré ce brusque changement. Au moment où elle était sur le point de quitter Ballacas, elle reçut une lettre de don Juan dans laquelle il lui disait qu'elle n'avait pas bien interprété les ordres du Roi, qu'il eût été nécessaire que sa sortie du couvent eût été précédée de quelques formalités indispensables, et que le choix du lieu eût été préalablement fixé, afin qu'elle y fût reçue avec la bienséance et l'éclat que le Roi estimait être dus à une personne de son rang. Mais ce n'était là qu'une simple admonestation pleine de bienveillance, et non un ordre sévère, et elle se remit bien vite de la peur que lui avait causée d'abord l'arrivée de cette lettre. Elle monta, sans plus tarder, dans le carrosse du nonce et, à son arrivée à Madrid, elle vit arriver à sa rencontre les ducs d'Ossuna, de Veraguas et d'Uzeda, suivis de quatre carrosses et d'une grande suite de gens à cheval. Après avoir pris congé de ces seigneurs, elle se rendit dans la maison de l'abbé Colonna, pour y attendre avec impatience ce que décideraient de son sort don Juan d'Autriche et le roi d'Espagne. Ici finissent les Mémoires authentiques de la connétable Colonna. Désormais, nous aurons recours, pour raconter la fin de sa vie si orageuse et si éprouvée, à différentes sources qui n'offrent pas moins d'intérêt. CHAPITRE XVI Mme d'Aulnoy et Mme de Villars.—Leur liaison avec Mme Colonna.—Passe-temps de la connétable dans son couvent.—Ses aventures dans le _Prado_.—Portraits de Mme Colonna par Mmes de Villars et d'Aulnoy.—Cinquième évasion.—Séjour de Mme Colonna chez le marquis de los Balbases, son beau-frère.—Trahison du marquis.—Elle se réfugie à l'ambassade de France.—Elle est conduite dans un couvent à quatre lieues de Madrid.—— Son retour à Madrid, son séjour dans un autre couvent, puis dans la maison du connétable.—Un amant de Mme Colonna.—Elle est conduite prisonnière dans la citadelle de Ségovie.—Scènes de violence.—Témoignages de pitié donnés à la captive par tout Madrid.—Pour sortir de la citadelle, elle consent à se faire religieuse.—Le noviciat.—Son refus de faire profession.—Dernière évasion.—Mort du connétable.—Mme Colonna à Passy.—Sa fin obscure. A défaut des Mémoires de la connétable, nous aurons maintenant pour historiens de sa vie en Espagne deux femmes d'un esprit charmant, qui furent liées assez intimement avec elle, Mme d'Aulnoy et la marquise de Villars, alors ambassadrice de Louis XIV à Madrid, et qui fut la mère du héros. Avoir à citer de tels témoins, c'est une vraie bonne fortune. _Le Voyage d'Espagne_ de Mme d'Aulnoy n'est-il pas, en effet, comme l'a dit Sainte-Beuve, «aussi piquant dans son genre que les Lettres du président de Brosses en Italie?» Il est écrit «dans la meilleure langue», et nous donne un avant-goût de _Gil Blas_. Et quant à Mme de Villars, ses lettres n'ont-elles pas fait «la joie» de Mme de Sévigné et de La Rochefoucauld? Saint-Simon ne l'a-t-il pas proclamée «une des plus spirituelles femmes de son temps[371]?» Le séjour de Mme d'Aulnoy en Espagne ayant précédé celui de la marquise, c'est à elle d'abord que nous allons nous adresser, après avoir jeté un coup d'œil rapide et indispensable sur la révolution de palais qui venait de s'accomplir. A cette époque, le débile et maladif Charles II, ayant atteint sa quinzième année, et s'étant aperçu que la Reine douairière, sa mère, Anne d'Autriche, le tenait dans une espèce de servitude, s'enfuit une nuit de Madrid, se jeta dans les bras de son oncle don Juan, le déclara son premier ministre, et relégua sa mère dans un couvent. Mme Colonna avait trop compté sur le bon vouloir de don Juan à son égard. Ce prince, cédant aux sollicitations de plus en plus pressantes du connétable, l'avait reléguée pour la quatrième fois dans le couvent de _San Domingo el Real_, mais, cette fois, «avec cette condition que, s'il lui arrivait d'en sortir, elle consentait que le Roi la livrerait à son mari[372]». L'abbesse et ses religieuses, de plus en plus fatiguées d'avoir affaire à une telle pénitente, opposèrent une résistance désespérée aux nouveaux ordres de la cour de la recevoir, et elles résolurent d'aller trouver le Roi en personne, pour lui adresser leurs remontrances. A cette nouvelle, le jeune Charles II, éclatant de rire, s'écria: «J'aurai bien du plaisir à voir cette procession de nonnes qui viendront en chantant: _Libera nos, Domine, de la condestabile_.» Elles n'y allèrent pourtant pas et prirent le parti de l'obéissance[373]. La connétable passa quelques mois dans son couvent, sans faire de nouvelle tentative d'évasion, et Mme d'Aulnoy va nous raconter quels étaient ses passe-temps. La princesse avait gagné sans doute tourières, portières et guichetières, en sorte qu'elle était à peu près aussi libre qu'elle l'avait été à Rome. «Quelquefois, le soir, elle s'échappait avec quelqu'une de ses femmes, et elle s'allait promener, le plus souvent à pied, en mantille blanche, au _Prado_, où elle avait d'assez plaisantes aventures, parce que les femmes qui vont là sont pour la plupart des aventurières, et les dames les plus distinguées de la cour se font un sensible plaisir quand elles peuvent y aller et qu'on ne les connaît pas[374].» De telles escapades de la part de cette princesse, qui, au dire de Saint-Simon, «ne contraignit pas ses mœurs à Rome, ni de courir le bon bord, du vivant et surtout depuis la mort du mari», nous expliquent assez les jalousies, les fureurs et les rigueurs du connétable, encore amoureux malgré la perpétuité de son ostracisme. Écoutons Mme d'Aulnoy, témoin oculaire de ses flammes mal éteintes: «Le connétable Colonne, étant venu à Madrid pour passer en Aragon, dont il était vice-roi, allait tous les jours l'entretenir à son parloir, et je lui ai vu faire des galanteries pour elle, telles qu'un amant aurait pu en faire pour sa maîtresse[375].» Comment s'expliquer les singuliers goûts de la princesse, qui avait en horreur son mari, beau «_à faire peindre_», au jugement de Mme de Villars, et qui avait pris pour amant à Madrid un gentilhomme d'une laideur insigne? Son aversion pour le connétable était telle que, plutôt que de le suivre à Rome, comme il le désirait ardemment, elle préféra supporter tous les ennuis et toutes les privations qu'entraîne avec soi la vie monastique. Le mariage de Charles II avec Marie-Louise d'Orléans, fille de Philippe d'Orléans, frère de Louis XIV, fit luire aux yeux de la captive un rayon d'espoir. Il ne lui paraissait pas douteux que la fille d'un prince qui avait toujours défendu ses intérêts, grâce au chevalier de Lorraine, ne fût pour elle dans les mêmes sentiments; et elle ne se trompait pas. Philippe d'Orléans l'avait recommandée très vivement à la jeune Reine. Mais, en attendant l'arrivée de cette princesse, lisons quelques fragments des lettres de la marquise de Villars, qui venait d'arriver à Madrid avec son mari, nommé ambassadeur de Louis XIV à l'occasion du mariage. Elles sont toutes adressées à Mme de Coulanges, cousine germaine de Louvois et amie intime de Mme de Maintenon. D'abord, elle commence par nous faire un portrait de Mme Colonna, qui ne ressemble guère à ceux que nous avons vus, lorsqu'elle était à la cour de France: ... «La connétable Colonne m'a envoyé visiter[376]. Elle est toujours dans son couvent, dont elle s'ennuie fort; elle espère en sortir quand la Reine sera ici, et loger chez sa belle-sœur, la marquise de _los Balbases_. L'abbé _de Villars_, qui l'alla voir l'autre jour, l'a trouvée très bien faite, et j'entends dire qu'elle n'est pas reconnaissable de ce qu'elle était en France: c'est une taille charmante, un teint clair et net, de beaux yeux, des dents blanches, de beaux cheveux. Elle a fait un livre de sa vie[377], qui est déjà traduit en trois langues[378], afin que personne n'ignore ses aventures; il est fort divertissant. Elle est habillée à l'espagnole, d'un fort bon air, mais ayant retranché et augmenté, ce qui en effet est mieux.» A la nouvelle de l'entrée à Madrid de la jeune Reine, Mme Colonna n'y tient plus; son mari était parti; elle oublie la parole par écrit qu'elle a donnée au Roi, que, si elle sort de son couvent, elle sera livrée sans merci au connétable, et elle s'échappe pour la cinquième fois. «Nous arrivions hier, M. de Villars et moi, dit la marquise[379], sur les dix heures du matin, quand nous vîmes entrer dans ma chambre une _tapada_[380], suivie d'une autre qui paraissait sa suivante. Je fis signe à M. _de Villars_ que c'était à lui à se mettre en devoir de faire les honneurs; la suivante se retira. L'autre fit signe qu'elle voulait que quelques gens qui étaient dans l'antichambre se retirassent aussi. Elle s'approcha d'une fenêtre avec M. _de Villars_, me faisant signe en même temps de m'approcher. Elle leva son manteau, je n'en étais guère plus savante. Je me souvenais un peu d'avoir vu quelque personne qui lui ressemblait; M. _de Villars_ s'écria: C'est Mme la connétable _Colonne_! Sur cela, je me mis à lui faire quelques compliments. Comme ce n'est pas son style, elle vint au fait. Elle pleura et demanda qu'on eût pitié d'elle. Pour dire deux mots de sa personne, sa taille est des plus belles. Un corps à l'espagnole qui ne lui couvre ni trop ni trop peu les épaules. Ce qu'elle en montre est très bien fait: deux grosses tresses de cheveux noirs, renouées par le haut d'un beau ruban couleur de feu: le reste de ses cheveux en désordre et mal peigné; de très belles perles à son cou; un air agité qui ne siérait pas bien à une autre, et qui, pour lui être assez naturel, ne gâte rien; de belles dents...» Voilà un portrait tracé en deux ou trois coups de pinceau, et qui devait être fort ressemblant. Celui que nous a laissé à la même époque Mme d'Aulnoy est plus complet et n'est pas moins original: «Elle était fort aimable, quoiqu'elle ne fût pas dans la première jeunesse; ses yeux étaient vifs, spirituels et touchants; ses dents admirables, ses cheveux plus noirs que du jais et en quantité; sa taille belle et sa jambe parfaitement bien faite.» Ce qu'elle ajoute, pour peindre la physionomie morale de cette charmante personne, n'est pas moins intéressant: «J'étais fort des amies de cette dame,... elle était bonne, point médisante, et ce que l'on disait était bien vrai, qu'elle n'avait jamais fait de mal qu'à elle-même; il aurait été à souhaiter qu'elle eût eu plus de prudence, et moins de facilité à croire les personnes qui la conseillaient bien mal[381].» Nous n'avons que l'embarras du choix entre les deux spirituelles Relations de Mme d'Aulnoy et de la marquise de Villars. «Le bruit de l'entrée de la Reine, dit celle-ci, a fait prendre la résolution à Mme Colonne de sortir encore de son couvent. Aussitôt pensé, aussitôt fait. Elle envoie emprunter un carrosse et s'en va droit chez (sa belle-sœur) la marquise de los Balbases. Elle fut bien reçue, malgré leur surprise.» «Le marquis[382] lui fit un accueil à tromper une personne de moins bonne foi qu'elle. Et, sur ces belles apparences, elle ne se proposait plus de retourner à San Domingo[383],» lorsqu'elle apprit que son beau-frère était sur le point de la livrer à son mari, alors à Saragosse. «Sur cela, elle demande un carrosse pour aller prendre l'air, dit de son côté la marquise de Villars; on lui en donne un. Elle fait quelques tours par la ville, et se fait descendre à notre porte. La voilà donc chez nous, disant qu'elle n'en voulait plus sortir, et que l'on ne voudrait pas la mettre dans la rue. Il parut qu'elle serait bien aise de voir le nonce. Nous la fîmes dîner; je lui fis de mon mieux, parce qu'en effet elle fait très grande pitié d'être de l'humeur qu'elle est. Le marquis _de los Balbases_ envoie un de ses parents pour essayer de la résoudre à retourner, et à ne pas donner une nouvelle scène au public. Elle dit qu'elle n'en fera rien. Le nonce arrive; elle le prie qu'il la fasse rentrer dans son couvent. Il répond qu'il n'en a pas le pouvoir. Une dame de qualité de nos amies, qui est la comtesse _de Villombrosa_, dont le fils a épousé la fille _de los Balbases_, vint ici. M. _de Villars_ et le nonce firent plusieurs allées et venues chez _los Balbases_, qui promit plusieurs fois, foi de cavalier, qu'il ne ferait nulle violence à Mme _Colonne_ pour retourner avec son mari; qu'il la priait de revenir chez lui, et que l'on tâcherait de faire en sorte que le Roi, qui avait l'écrit de Mme _Colonne_, ne saurait rien de sa sortie, et que, si elle s'opiniâtrait à ne pas vouloir revenir, elle allait mettre contre elle le Roi, son mari, et toute sa famille. Enfin, Madame, il était près de minuit que nous ne savions tous que faire par les conséquences que cette pauvre créature attirait contre elle en demeurant chez nous. Mais enfin elle se résolut à s'en aller. La comtesse _de Villombrosa_, M. _de Villars_ et moi la remenâmes chez le marquis _de los Balbases_. Sa femme et lui la reçurent très bien; mille embrassades. Vraiment, c'est une chose inconcevable que les mouvements extraordinaires qui se passent dans cette tête. Elle l'avoue elle-même. Si elle ne fait pas plus de chemin, ce n'est pas manque de bonne volonté. Cependant, s'il lui prend envie une autre fois de revenir chez nous et de n'en vouloir pas sortir, par les frayeurs qu'on ne la remette au pouvoir de son mari, nous en serions bien embarrassés.» Cependant le marquis, malgré ses serments, «poursuivait secrètement un ordre du Roi, et, aussitôt qu'il l'eût, il la mena dans un couvent à quatre lieues de Madrid (5 février 1680). Un procédé si sévère l'affligea autant qu'elle était capable de s'affliger. Elle écrivit à la Reine pour lui demander sa protection, et, ayant appris que le connétable revenait d'Aragon avec ses fils, elle obtînt permission du Roi d'entrer dans un monastère de Madrid[384]. Mais, «soit qu'elle n'y fût pas contente ou qu'elle eût d'autres vues, elle n'y sut demeurer, et, à l'heure qu'on y pensait le moins, elle sortit encore et fut droit chez son mari. Elle occupait la moitié de sa maison; elle faisait régulièrement sa cour à la Reine; elle voyait beaucoup de femmes et se divertissait fort bien. Le connétable la laissait dans une entière liberté[385]...» La marquise de Villars va maintenant nous apprendre comment elle usait des loisirs que lui faisait cet époux alors trop débonnaire: «La connétable est toujours dans la maison de son mari, assez inquiète de ce qu'elle deviendra, car elle n'est nullement résolue de s'en retourner en Italie avec lui[386].» Elle avait peur, comme nous l'avons dit, qu'une fois à Rome, livrée à sa merci, il ne lui administrât quelque poison à l'italienne. «Elle voudrait bien, poursuit Mme de Villars, pouvoir rentrer en ce temps-là dans un couvent de Madrid; bien entendu d'en sortir peu après et de s'en aller, tant que terre la pourra porter, en Flandre, en Angleterre, en Allemagne; car, pour en France, elle a peur qu'on ne l'y veuille pas souffrir. Vraiment c'est un original qu'on ne peut assez admirer, à le voir de près, comme je le vois. Elle a ici un amant; elle me veut faire avouer qu'il est agréable, qu'il a quelque chose de fin et de fripon dans les yeux. Il est horrible; mais ce n'est pas ce qui devrait diminuer son inclination et la rebuter, au prix d'une autre petite chose qui ne vaut pas la peine d'en parler: c'est que cet amant ne l'aime point du tout, à ce qu'elle m'a dit. Elle se trouve heureuse cependant qu'il soit comme cela; parce que, s'il répondait un peu à ses sentiments, les choses feraient encore plus d'éclat. Elle ne déplaît point; elle s'habille à l'espagnole, d'un air beaucoup plus agréable que ne font toutes les autres femmes de cette cour. Elle a trois grands fils mal élevés; l'aîné va épouser une des filles du duc de _Medina Celi_, premier ministre...» Peu avant son départ pour Rome, le connétable manifesta l'intention d'y conduire sa femme. «Elle s'en alarma fort,» dit Mme d'Aulnoy qui était dans la confidence de la princesse et qui va nous apprendre une étrange particularité! «Elle déclara qu'elle n'y voulait point aller. C'est qu'elle avait fait tirer son horoscope, et qu'on lui avait dit que, si elle avait encore un enfant, elle mourrait. Cette prédiction lui était entrée si avant dans l'esprit, qu'elle aima mieux retourner dans sa retraite ordinaire. Le Roi voulut qu'elle s'en expliquât; elle lui écrivit qu'elle le suppliait, avec un profond respect, de lui accorder sa protection dans le dessein qu'elle avait de se mettre dans un couvent[387].» Jusque-là, «sans nulle réflexion,» elle avait vécu «au jour la journée, comptant qu'on la laisserait jouir de la liberté de sortir de sa maison, de faire des visites, et qu'on ne parlerait de rien qu'après les noces de son fils aîné[388]». Mais, vers les premiers jours de septembre 1680, on vint lui signifier, de la part du Roi, qu'il ne voulait plus se mêler de ses affaires, et qu'il ne lui restait plus qu'à obéir à son mari, qui voulait la conduire ou l'emmener en Italie. Le lendemain, on lui fit défense de ne plus sortir de chez elle; le jour d'après, de ne plus voir personne. A tout moment, elle vivait dans des terreurs mortelles qu'on ne l'entraînât par violence, qu'on ne la jetât dans une litière pour la mener où il plairait à son mari; et elle n'oubliait pas que ce mari était Italien[389]. Elle résista à toutes les prières, à toutes les menaces; elle fit encore supplier le Roi de la faire enfermer dans le plus austère couvent de Madrid. Charles II choisit son propre confesseur et l'inquisiteur général, don Melchior Navarra, pour décider de l'affaire. Ils conclurent à l'emprisonnement dans une citadelle. Le marquis de los Balbases, dont la haine contre Mme Colonna était sans bornes, avait inutilement demandé jusqu'alors qu'on lui donnât pour prison le château de Ségovie: le connétable de Castille et l'amirante s'y étaient fortement opposés. Mais, cette fois, le premier ministre, le duc de Medina Celi, qui était fort hostile à la connétable, fit pencher la balance pour les mesures de rigueur. Mme Colonna, avertie de ce qui se tramait contre elle, fit supplier la jeune Reine de ne pas l'abandonner «et de tirer parole du premier ministre qu'on n'entreprendrait rien contre elle tant que la cour serait à l'Escurial[390]». Cette princesse, qui était toujours dans des sentiments favorables pour l'infortunée Mme Colonna, obtînt cette parole du duc de Medina Celi. Mais, au mépris de la foi jurée, huit jours après le départ de la cour, dit Mme d'Aulnoy à qui nous cédons la parole pour nous raconter cette horrible scène, «un conseiller du conseil royal avec ses officiers, suivi du connétable Colonne et du marquis de los Balbases, qui servaient de recors, tous armés, comme s'il eût été question d'arrêter un chef de parti plutôt qu'une femme malheureuse et sans défense, allèrent, sur les onze heures du soir, enfoncer les portes de son appartement, qui était toujours dans la maison de son mari. Elle était dans sa chambre; aussitôt un alcade _de Corte_ voulut lui lier les bras avec une corde. Se voyant traitée si indignement, elle prit un petit couteau qui était par hasard sur la table, et, en se défendant, elle lui en donna un coup dans la main. Sa résistance obligea tout le monde de se jeter sur elle avec acharnement, et cette pauvre dame fut traînée par les cheveux et demi-nue, comme la dernière des misérables. On la conduisit de cette manière, toute la nuit, dans le château de Ségovie[391], sans avoir aucune considération ni pour sa naissance ni pour sa réputation, bien qu'elle n'eût donné aucun sujet de la traiter ainsi: car enfin elle était actuellement dans la maison de son mari, et tout son crime était de ne vouloir pas retourner à Rome avec le connétable, s'offrant d'être mise en religion, sans avoir la liberté d'en sortir.» Les indignes traitements dont Mme Colonna avait été victime, et qu'on lui faisait encore subir dans sa prison, intéressèrent à son malheur toute la haute société de Madrid[392] et, en particulier, la jeune Reine, qui fut très peinée que le duc de Medina Celi lui eût manqué si indignement de parole. «Il n'y avait guère de personnes, dit Mme d'Aulnoy, qui ne prissent part aux peines (de la connétable), qui ne murmurassent que l'on eût manqué de parole à la Reine, et que l'on osât employer le nom du Roi pour satisfaire à l'animosité du marquis de los Balbases. On ne regardait que lui dans la conduite que l'on avait tenue avec la connétable, car son mari était un des plus honnêtes hommes du monde; il l'aimait, il avait consenti qu'elle demeurât plusieurs années en religion, et sans doute il ne se serait point opposé à l'y laisser encore aux conditions qu'elle proposait, sans le marquis de los Balbases. C'était lui qui avait conduit toute cette affaire; c'était lui qui avait sollicité le duc de Medina Celi au nom du connétable[393], et le ministre, croyant par là les obliger l'un et l'autre, donna les mains à tout ce qu'on lui demandait. Néanmoins il était surprenant qu'il tînt une conduite si rude avec la connétable; il aurait été bien plus naturel et bien plus honnête de travailler à la réconciliation des esprits, que d'emprisonner une dame qui allait devenir la belle-mère de la fille du duc. Il devait considérer qu'un mari et une femme se raccommodent aisément, et que, s'ils venaient à se remettre ensemble, la fille tomberait entre les mains de la connétable, qui serait en état de se venger sur elle des maux qu'il lui faisait. Il pouvait encore penser qu'elle était riche, qu'elle avait un grand nombre de parents très proches et très considérables, qui ne la verraient pas opprimer sans peine et sans s'y intéresser; qu'ils agiraient utilement pour sa liberté, et qu'au fond ils n'en auraient que du chagrin. «Cette affaire fit beaucoup de bruit dans le monde, ajoute Mme d'Aulnoy; j'en sus très particulièrement le détail, parce que j'étais fort des amies de cette dame...» «Cette pauvre malheureuse, dit la marquise de Villars qui partageait les sentiments de pitié que la ville de Madrid témoignait à Mme Colonna, cette pauvre malheureuse écrit souvent au confesseur de la Reine, qui, par l'ordre de cette princesse, va quelquefois exhorter le connétable à vouloir bien que sa femme vienne ici dans un couvent[394].» On ne s'imaginerait jamais à quelle étrange et bizarre résolution s'arrêta le prince Colonna, si nous n'avions pour témoins de ce fait deux personnes aussi véridiques que Mmes d'Aulnoy et de Villars[395]. Écoutons Mme d'Aulnoy: «L'affaire la plus importante... (du connétable) était l'envie de régler quelque chose avec sa femme, et de chercher les moyens de vivre l'un et l'autre en repos: le mariage de son fils avec la fille du duc de Medina Celi l'occupait aussi beaucoup. La Reine était touchée des malheurs de la connétable; elle n'apprenait qu'avec peine les mauvais traitements qu'une personne de sa qualité recevait dans sa prison; elle se trouvait même dans une particulière obligation de la protéger, à cause de la parole que le duc avait donnée à la Reine, et de la confiance que la connétable y avait prise. Toutes ces raisons l'engagèrent de charger son confesseur d'agir fortement auprès du connétable[396] pour négocier quelque accommodement, soit qu'il la menât en Italie ou qu'elle demeurât en religion à Madrid, comme elle y avait déjà été. Mais l'esprit du connétable et celui de sa femme étaient également aigris; elle ressentait jusqu'au vif l'indigne traitement qu'elle avait reçu, et les sujets de chagrin qu'ils avaient l'un contre l'autre les empêchaient de consentir à ce qui aurait pu leur faire plaisir. Enfin le connétable, pressé de la part de la Reine et conseillé par la marquise de los Balbases, proposa que sa femme se fît religieuse et qu'il se ferait chevalier de Malte[397]. Cela parut fort extraordinaire à tout le monde, et plus extraordinaire à la connétable qu'à personne: car assurément elle n'en avait aucune envie; son esprit ne s'accommodait pas tout à fait des trois vœux, d'une austère clôture et d'une règle sévère. Cependant le connétable s'y opiniâtra d'une telle manière que tous les amis de la connétable virent bien qu'il n'y avait aucun moyen de tirer cette pauvre dame du château de Ségovie qu'en l'obligeant de donner les mains à ce qu'il voudrait. Ainsi elle y consentit, et on la ramena à Madrid le quinzième février 1681, où elle entra d'abord aux religieuses de la Conception de l'Ordre de San Jeronimo. Elle était si humble de son malheur, qu'elle ne voulut voir que ses enfants. Elle leur dit qu'elle s'estimait la personne du monde la plus infortunée; qu'elle allait faire une démarche qui pouvait lui coûter tout le repos de sa vie; qu'elle en envisageait les suites avec terreur; mais que, cependant, elle y était résolue puisqu'elle en avait donné sa parole[398].» «La connétable Colonne arriva samedi dernier de fort bonne heure, dit Mme de Villars. Elle entra dans le couvent; les religieuses la reçurent à la porte avec des cierges, et toutes les cérémonies ordinaires en pareille occasion. De là on la mena au chœur, où elle prit l'habit (de novice) avec un air fort modeste. Un Espagnol, qui était dans l'église, m'a conté tout ce qu'il vit. L'habit est joli et assez galant, le couvent commode. Je ne puis avoir bonne opinion, ajoute Mme de Villars, de l'esprit et de la pénétration de messieurs les Italiens et les Espagnols, de s'être persuadé que cette femme ait pu accepter de bonne foi la proposition de se faire religieuse, et d'espérer par là qu'elle va leur assurer tout son bien.» Quant à la marquise, elle ne croit pas le moins du monde que la connétable soit de la race des La Vallière; elle insiste à plusieurs reprises sur ce point: «La première fois que j'entendis parler au confesseur de la Reine de la commission qu'il avait du connétable, d'écrire à sa femme, et de lui proposer ce parti, je crus que c'était une pure raillerie, dont je n'aurais jamais voulu me mêler. Le bon père écrivit et la dame n'hésita pas un moment à lui répondre qu'elle y consentait. Pour moi, sans en savoir autre chose, je ne crois point du tout à cette subite vocation...» «Je crus au moins qu'étant entrée au couvent, elle déclarerait qu'elle se moquait, et que tout ce qu'elle avait promis était pour sortir de prison; mais, au lieu de cela, elle prend l'habit dès qu'elle a mis le pied dans l'église[399]...» «Elle en est réduite à jouer la religieuse[400]». Ce n'était, en effet, qu'un jeu, qu'une mascarade italienne, pour Mme Colonna. «Elle portait des jupes de brocart or et argent sous sa robe de laine, et, aussitôt qu'elle n'était plus devant les religieuses, elle jetait son voile et se coiffait à l'espagnole avec des rubans de toutes couleurs. Il arrivait quelquefois que l'on sonnait une observance à laquelle il fallait qu'elle allât: la maîtresse des novices venait l'avertir; elle reprenait son froc et son voile par-dessus ses rubans et ses cheveux épars; cela faisait un effet assez plaisant, et l'on n'aurait pu s'empêcher d'en rire, si d'ailleurs elle ne s'était pas attiré la compassion de toutes les personnes qui la connaissaient; car enfin elle était dans une véritable nécessité, manquant d'argent, fort mal nourrie et encore plus mal logée[401].» Mme d'Aulnoy raconte qu'elle fut lui rendre visite et qu'elle la trouva gelant de froid dans une chambre aussi haute qu'un jeu de paume, et qui, à proprement parler, n'était qu'un grenier. Voilà dans quel misérable état le connétable laissait sa femme, qui lui avait apporté en dot plusieurs centaines de mille livres de rente. Mme de Villars dit aussi qu'elle manquait de tout. Le connétable, afin d'achever son ouvrage, avait fait venir de Rome une dispense pour abréger le temps de la profession de sa femme, et qui lui permettait de la faire avant l'année de son noviciat[402]. Quant à lui, il ne se pressait guère à s'engager par des vœux dans l'Ordre de Malte. C'était une comédie qu'il n'avait jouée que pour hâter le consentement de sa femme à entrer en religion. Mais, à son grand déplaisir, il put s'assurer de jour en jour que sa femme n'avait pas plus de goût que lui pour la vie monastique. Le marquis de los Balbases et sa femme montraient la plus grande affliction de voir leur belle-sœur si mal disposée, ce qui prêtait fort à rire dans le monde. Ne pouvant triompher de la résistance désespérée de sa femme, le prince Colonna prit le parti de l'abandonner dans son monastère, en la laissant dans un état voisin de l'indigence[403]. Il mit la dernière main au mariage de son fils aîné avec la fille du duc de Medina Celi, et il partit trois jours après pour retourner à Rome, emmenant avec lui sa belle-fille et ses deux fils. «Pour la connétable, elle demeura dans le couvent, où elle traîna assez longtemps son habit de religieuse, et ensuite elle le quitta.» Tel est le dernier mot sur Mme Colonna que l'on trouve dans les Mémoires de Mme d'Aulnoy[404]. Du caractère dont elle était, la dame, loin de s'abandonner au désespoir, et dans l'espérance de rompre quelque jour son ban pour la dernière fois, trouvait encore moyen de plaisanter sur les étranges péripéties de sa destinée. «Si je n'avais pas autant compati à son malheur, écrit Mme de Villars à Mme de Coulanges[405], je n'aurais pu m'empêcher de me divertir à l'entendre parler comme elle fait. Elle a de l'esprit. Elle écrit que cela est surprenant, avec ses _hauts_ et ses _bas_.» C'est aussi pour la dernière fois que Mme de Villars parle de la connétable, dans cette lettre à Mme de Coulanges. Deux mois après elle retournait en France. De son côté, M. de Villars, l'ambassadeur de Louis XIV auprès de Charles II, était obligé de quitter l'Espagne. Dans les Mémoires qui lui sont attribués[406], il ne dit rien de plus que sa femme sur Mme Colonna. De l'humeur dont elle était, la princesse ne put se résigner à vivre et à mourir dans son cloître. En 1684, elle fut assez heureuse pour s'évader en France et, cette fois, sans être arrêtée. Elle avait dû garder dans sa fuite le plus rigoureux incognito. Son mari, qui n'avait plus que cinq ans à vivre[407], ne paraît plus s'être occupé d'elle, ou du moins il ne reste aucune trace des démarches qu'il put faire en France pour réintégrer sa femme dans un monastère. S'il en fit, elles restèrent sans effet. L'âge de la connétable, lorsqu'elle rentra en France, l'avait rendue peu dangereuse; Marie-Thérèse était morte depuis un an[408] et Louis XIV ferma les yeux. Après la mort de son mari, Mme Colonna retourna en Italie, où elle resta jusqu'en 1705 et où «elle ne contraignit pas ses mœurs», comme nous l'a dit Saint-Simon[409]. A cette date, il enregistre son entrée en France, en plein règne de Mme de Maintenon: «Cette connétable (la plus folle et toutefois la meilleure de ces Mazarines) s'avisa cette année de venir d'Italie débarquer en Provence. Elle y fut plusieurs mois sans permission d'approcher de plus près. Enfin, elle l'obtînt à la sollicitation de sa famille, pour la voir sans l'aller chercher si loin, à condition qu'elle ne mettrait pas le pied dans Paris, beaucoup moins à la cour. Elle vint à Passy, dans une petite maison du duc de Nevers, son frère. Hors sa famille, elle ne connaissait plus personne. Tout était renouvelé depuis qu'elle était partie de France pour s'aller marier avant le mariage du Roi[410]. L'ennui la prit d'être si mal accueillie, et d'elle-même elle s'en retourna assez promptement[411].» Qui ne voit dans cette défense absolue de revenir à la cour et même à Paris, l'influence secrète de Mme de Maintenon, vieille, dévote, et d'autant plus ombrageuse? Que devint Marie Mancini depuis cette époque? où traîna-t-elle les dernières années de sa vie? nul ne le sait. Le P. Anselme et la Chenaye des Bois prétendent qu'elle mourut à Madrid en mai 1715, la même année que Louis XIV et en le précédant de quelques mois seulement. Le président de Brosses, qui voyageait en Italie au commencement de la Régence, dit, en parlant d'elle: «Je fus fort surpris d'apprendre que cette sempiternelle, qui était maîtresse de Louis XIV il y a un siècle, n'était morte que depuis peu d'années[412].» Ainsi finit dans l'obscurité la plus profonde celle sur qui l'amour du Roi avait attiré les regards de l'Europe; celle de qui l'histoire a retenu ce mot triste et charmant: «Vous m'aimez, vous êtes Roi, et je pars!» Ainsi mourut inconnue et oubliée celle que les courtisans avaient saluée comme une Reine, comme la muse de la poésie et des beaux-arts. Quelle existence offrit jamais de plus étranges contrastes! Aujourd'hui on la voit sur les marches d'un trône, demain errante et fugitive ou sous les grilles d'un monastère, mais encore plus esclave, et toujours victime de ses passions et de l'inconstante mobilité de son caractère. Une seule fois elle donne le spectacle de ce que peut une âme intrépide qui se dompte elle-même: elle sacrifie avec grandeur au repos de l'État, en même temps qu'à sa dignité de femme, sa passion pour Louis XIV. Puis, comme si ce grand effort avait à jamais brisé la fierté de son âme, à partir de ce jour, elle cède au torrent et s'abandonne à tous les caprices de son imagination et à l'inquiétude de son humeur. Rien ne peut faire plier sa nature indomptable, ni les menaces, ni la prison, ni les coups les plus rudes de la Fortune. Elle brave tout, jusqu'à la mort, pour n'obéir qu'aux entraînements de sa fantaisie. Jusqu'à son départ pour l'Italie, elle se maintient presque à la hauteur des héroïnes de roman, créées par le noble et gracieux génie de Mme de La Fayette; depuis sa fuite de Rome, elle descend jusqu'au rôle des héroïnes de _Gil Blas_. Elle n'est plus qu'une princesse d'aventure. FIN. LETTRES DE MAZARIN AU ROI, A LA REINE ANNE D'AUTRICHE, A MADAME DE VENEL, ETC. (D'APRÈS LES MANUSCRITS DES ARCHIVES DU MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DE LA BIBLIOTHÈQUE MAZARINE.) MAZARIN A LA REINE. De Couhé, 6 juillet 1659[413]. «Je n'ai pas voulu écrire au Roi quelque chose dont je vous informerai, car je n'ai pas pu m'imaginer qu'elle eût fondement, et que, d'ailleurs, je croirais lui faire tort et à moi aussi, si je témoignais avoir le moindre ombrage de lui et de le croire capable de tenir une conduite qui ternirait sa réputation dans le temps qu'il est le plus résolu de faire toutes choses pour la relever. Je vous dirai donc qu'outre les avis que j'en ai reçus, j'ai vu, entre les mains de quelques personnes de celles qui m'accompagnent, des lettres qui le confirment, portant que le jeune de Vivonne est en grande faveur et qu'il affecte avec beaucoup de soin d'en faire voir encore davantage, à tel point que Mme de Mesmes en a reçu des compliments, et que Mlle de Beaumont en a parlé en plusieurs lieux comme d'une chose bien certaine. Le _confident_ sait que ce personnage ne doit rien aux plus emportés dans le vice et dans l'impiété. Il sait aussi que, dès ses premiers ans, il fit assez connaître les inclinations qu'il aurait toute sa vie; témoin ce qu'il eut la hardiesse de dire au _confident_ même à Compiègne; et je puis dire avec vérité que c'est lui qui a entièrement perdu mon neveu[414]. Je sais des particularités sur ce sujet, que, si je les eusse représentées au _confident_, comme j'aurais fait sans la considération de son père, assurément il eût été envoyé plus loin que mon neveu. Enfin, je puis dire sans exagération qu'il ne vaut rien, et qu'il n'a pas affaire d'aller à l'école de celui qu'on dit _avoir fait le catéchisme_. Mais il est bon que vous et le _confident_ sachiez qu'il ne m'aime pas, à cause peut-être des réprimandes que je lui ai fait faire; car, pour le surplus, je suis assez ami de son père, et j'ai assez obligé toute la famille pour qu'il en doive user autrement. J'avoue que j'ai reconnu en diverses rencontres que le _confident_ avait de l'inclination pour lui: mais ils sont d'une humeur si différente, et l'un d'eux est autant vertueux et zélé pour Dieu que l'autre est vicieux et impie, que je n'ai jamais cru possible qu'il pût faire aucun progrès dans l'esprit du _confident_, et je me confirme encore plus en cette opinion par l'expérience que j'ai faite de l'amitié du _confident_, lequel a eu la bonté de ne considérer pas beaucoup ceux qu'il a su qui n'en avaient pas pour moi. Il faut donc attribuer à la vanité du personnage le bruit qui court, et non pas à aucun sujet que le _confident_ lui en ait donné. Il sera bon pourtant que vous lui disiez, et même de ma part, si vous voulez, qu'il importe qu'il vive avec lui, en sorte que chacun soit détrompé de ce qu'il veut faire croire, et quoique, par les raisons que je vous ai marquées, je n'aie pas jugé à propos d'écrire au _confident_ sur cette matière, vous pouvez pourtant lui dire ce que je vous ai mandé, puisque vous savez qu'il ne doit y avoir rien de caché entre lui, vous et moi. Je finirai en vous protestant du meilleur de mon cœur ce qui vous peut plaire davantage. MAZARIN A LA REINE[415]. De Cadillac, le 16 juillet 1659. J'ai reçu par l'ordinaire votre lettre du 9e, de laquelle je vous ai mandé que j'étais en peine, mais ce qu'elle contient m'en donne encore davantage et à un tel point que j'ai été sur le penchant de prendre la poste et de m'en retourner, et je crois que je l'eusse exécuté sans le bruit et les conséquences qu'une résolution de tant d'éclat aurait produits dans la présente conjoncture. Mais je ne me suis pas pu empêcher d'écrire une longue lettre au _confident_, avec la liberté qu'il m'a permise et que doit un bon serviteur qui n'a autre but que son bien et que sa gloire, et qu'il se conserve l'amour de ses sujets. Ce n'est pas votre lettre seule qui m'a obligé à cela, mais les avis qui viennent généralement de tous les endroits et particulièrement de la cour, de Paris et de Flandres, et par ce qui m'a été écrit de La Rochelle. Je ne sais pas s'il vous montrera la lettre, comme je le conseille de faire et que je le voudrais; mais ce que je vous puis dire est qu'il ne me reste rien dans le cœur de ce que j'ai cru pouvoir servir à sa guérison, et que, s'il ne fait ce qu'il doit et de la bonne manière, finissant un commerce qui lui est si dangereux, quelque chose qui puisse arriver, je suis résolu, sans retarder un seul moment, d'exécuter ce que je lui mande, espérant que peut-être, par ce moyen, je serais assez heureux pour le guérir. Au moins j'aurai cet avantage que toute la terre verra que j'ai pratiqué jusqu'à mon sacrifice pour servir un maître dans une rencontre où il y va de tout pour lui. Je crains de perdre l'esprit, car je ne mange ni ne dors, et je suis accablé de peine et d'inquiétude dans un temps que j'aurais besoin d'être soulagé. Vos lettres m'assistent fort en cela et me donnent une grande consolation. J'en suis touché au dernier point et je vous supplie de croire que rien au monde ne peut empêcher que je ne sois [jusqu'au] dernier moment de ma vie le plus véritable de tous vos serviteurs. Je vous prie d'assister, autant que vous pourrez, le _confident_ en cette occasion, qui est très délicate pour lui, et de vouloir lui témoigner la dernière tendresse, si vous voyez que cela puisse servir à le retirer du mauvais pas où il est. MAZARIN AU ROI. De Cadillac, le 16 juillet 1659[416]. ... Quand vous ne m'auriez si précisément ordonné, comme vous l'avez fait, de vous parler avec toute liberté, quand il y va de votre service, je ne lairrais[417] pas de le faire en cette conjoncture, quoique je susse vous devoir être désagréable et de courre[418] risque de perdre vos bonnes grâces. J'ai vu ce que la _confidente_ m'écrit touchant votre chagrin et la manière dont vous en usez avec elle. Mais, comme je sais que l'affection qu'elle a pour vous est à l'épreuve de tout et que votre bon naturel, autant que votre devoir, vous donne beaucoup d'inquiétude dès que vous connaissez[419] de lui avoir déplu, et que vous revenez aussitôt à lui témoigner la dernière tendresse, cela ne me donnerait pas grande peine. Mais je vous avoue que je la ressens extrême d'apprendre, par tous les avis qui se reçoivent généralement de tous côtés, de quelle manière on parle de vous dans un temps que vous m'avez fait l'honneur de me déclarer que vous étiez résolu d'avoir une extraordinaire application aux affaires, et de mettre tout en œuvre pour devenir en toutes choses le plus grand Roi du monde[420]. Les lettres de Paris, de Flandres et d'autres endroits disent que vous n'êtes plus connaissable depuis mon départ, et non pas à cause de moi, mais de quelque chose qui m'appartient, que vous êtes dans des engagements qui vous empêcheront de donner la paix à toute la chrétienté et de rendre votre État et vos sujets heureux par le mariage, et que si, pour éviter un si grand préjudice, vous passez outre à le faire, la personne que vous épouserez[421] sera très malheureuse sans être coupable. On dit (et cela est confirmé par des lettres de la cour à des personnes qui sont à ma suite),... que vous êtes toujours enfermé à écrire à la personne que vous aimez[422], et que vous perdez plus de temps à cela que vous ne faisiez à lui parler quand elle était à la cour. On y ajoute que j'en suis d'accord et que je m'entends en secret avec vous, vous poussant à cela[423] pour satisfaire à mon ambition et pour empêcher la paix. On dit que vous êtes brouillé avec la Reine, et ceux qui en écrivent en termes plus doux disent que vous évitez, autant que vous pourrez, de la voir. Je vois d'ailleurs que la complaisance que j'ai eue pour vous, lorsque vous m'avez fait instance de pouvoir mander quelquefois de vos nouvelles à cette personne et d'en recevoir des siennes, aboutit à un commerce continuel de longues lettres, c'est-à-dire à lui écrire chaque jour et en recevoir réponse. Et quand les courriers manquent, le premier qui part est toujours chargé d'autant de lettres qu'il y a eu de jours qu'on n'a pu les envoyer, ce qui ne se peut faire qu'avec scandale, et je puis dire, avec quelque atteinte à la réputation de la personne et à la mienne. Ce qu'il y a de pis, c'est que j'ai reconnu, par les réponses que la même personne m'a faites, lorsque je l'ai voulu cordialement avertir de son bien[424], et par les avis que j'ai aussi de La Rochelle, que vous n'oubliez rien tous les jours pour l'engager de plus en plus, l'assurant que vos intentions sont de faire des choses pour elle que vous savez bien qui ne se doivent pas[425], et qu'aucun homme de votre état ne pourrait en être d'avis, et enfin qui sont, par plusieurs raisons [entièrement] impossibles[426]. Plût à Dieu que, sans commettre votre réputation, vous puissiez vous ouvrir de vos pensées à d'autres, car, par ce qui vous serait dit, depuis le premier jusqu'au dernier de votre royaume, vous seriez au désespoir de les avoir eues, et je ne me verrais pas dans le plus pitoyable état où j'aie jamais été, étant accablé de douleur, ne pouvant dormir un seul moment, et, en un mot, ne sachant ce que je fais; ce qui est à un tel point que, quand je voudrais passer sur toutes sortes de considérations pour vous servir, je n'aurais pas l'esprit en l'assiette qu'il faut pour le faire avec succès, et vous rendre un aussi bon compte de vos affaires comme je l'ai fait jusqu'à cette heure. Dieu a établi les Rois (après ce qui regarde la religion, pour le soutien de laquelle ils doivent faire toutes choses), pour veiller au bien, à la sûreté et au repos de leurs sujets, et non pas pour sacrifier ce bien-là et ce repos à leurs passions particulières, et quand il s'en est trouvé d'assez[427] malheureux qui aient obligé par leur conduite la Providence divine à les abandonner, les histoires sont pleines des révolutions et des accablements qu'ils ont attirés sur leurs personnes et sur leurs États. C'est pourquoi, je vous le dis hardiment, qu'il n'est plus temps d'hésiter, et, quoique vous soyez le maître, en certain sens, de faire ce que bon vous semble, néanmoins vous devez compte à Dieu de vos actions pour faire votre salut, et au monde pour le soutien de votre gloire et de votre réputation, car, quelque chose que vous fassiez[428], il en jugera selon l'occasion que vous lui en donnerez[429]. Et, bien que vous ayez la bonté de me mander que vous vous résoudrez, pour cette gloire et cet honneur, de faire tout ce qui serait nécessaire, vous me permettrez que je vous dise qu'écrivant en d'autres termes à La Rochelle, je ne sais pas quelles sont vos véritables intentions, et, dans ce doute, je m'avance à vous[430] représenter qu'il n'est pas seulement ici question de la gloire et de l'honneur, car bien souvent, en conservant les États, on a moyen de relever l'un et l'autre, quand il est arrivé par quelque malheur qu'ils aient reçu atteinte; mais à présent, si vos sujets et votre État étaient si malheureux que vous ne prissiez pas la résolution que vous devez et de la bonne manière, rien au monde ne pourrait les empêcher de tomber en de plus grands malheurs qu'ils n'ont encore soufferts et toute la chrétienté avec eux. Et je vous puis assurer, de certaine science, que le prince de Condé et bien d'autres[431] sont alertes pour voir tout ce qui arrivera de ceci[432], espérant, si les choses se passent selon leur souhait, de bien profiter du prétexte plausible que vous leur pourrez donner, pour lequel ledit prince ne douterait pas d'avoir favorables tous les parlements, les grands et la noblesse du royaume, voire tous vos sujets généralement, et l'on ne manquerait pas encore de faire sonner bien haut que j'aurais été le conseiller et le solliciteur de toute la conduite que vous auriez tenue[433]. Je suis encore obligé de vous dire avec la même franchise que, si vous ne changez sans aucun délai de conduite et que vous ne surmontiez la passion qui présentement vous domine, en sorte que chacun voie que non seulement le mariage projeté s'exécutera et que vous le faites de bon cœur et dans l'espérance qu'il devra être heureux, aussi bien que la personne que vous épouserez, il est impossible qu'en Espagne on n'ait connaissance de l'aversion que vous y avez et du mauvais traitement que l'Infante pourrait courre[434] risque de recevoir, ne vous cachant pas de faire paraître, à la vue de tout le monde, à la veille de votre mariage, par mille moyens, que toutes vos pensées et vos attachements vont ailleurs. Et, en ce cas, je tiens pour constant qu'on pourrait prendre à Madrid les résolutions que nous prendrions nous-mêmes en un cas pareil à celui-là. C'est pourquoi je vous supplie de considérer quelle bénédiction vous pourriez attendre de Dieu et des hommes, si, pour cela, nous devions recommencer la plus sanglante guerre qu'on ait jamais vue et avec autant de préjudice que nous avons remporté d'avantages par le passé, que Dieu a favorisé votre cause et les saintes intentions que vous et la Reine avez toujours eues. Je vous marque d'autant plus tout ceci que Pimentel, dans le voyage, m'a dit, deux ou trois fois, que tout le monde disait que vous étiez trop amoureux pour vous vouloir sitôt marier[435] et que de Flandres on lui avait écrit la même chose en termes qui lui avaient fait de la peine. Je conclus tout ce discours en vous disant que, si je vois, par la réponse que je vous conjure de me faire en toute diligence, qu'il n'y ait[436] pas lieu d'espérer que vous vous mettiez de bonne façon et sans réserve dans le chemin qu'il faut pour votre bien, pour votre honneur et pour la conservation de votre royaume[437], je n'ai autre parti à prendre pour vous donner cette dernière marque de ma fidélité et de mon zèle pour votre service qu'à me sacrifier, et, après vous avoir remis tous les bienfaits dont il a plu au feu Roi, à vous et à la Reine de me combler, me mettre[438] dans un vaisseau avec ma famille pour m'en aller en un coin d'Italie passer le reste de mes jours et prier Dieu que ce remède, que j'aurai appliqué à votre mal, produise la guérison que je souhaite plus que toutes choses du monde[439], pouvant dire, sans exagération, que, sans user des termes de soumission et de respect que je vous dois, il n'y a pas de tendresse comparable à celle que j'ai pour vous et qu'il me serait impossible de ne pas mourir de regret, si je vous voyais rien faire qui pût noircir votre honneur et exposer votre personne et votre État. Je sais que vous me connaissez assez pour croire que tout ce que je vous écris vient du fond de mon cœur et qu'il n'y a rien qui me puisse empêcher de rebrousser chemin et d'exécuter la résolution que je viens de dire, si je ne vois, par la réponse que vous me ferez et par la conduite que vous tiendrez ensuite, que vous vous êtes rendu maître de la passion à laquelle vous êtes présentement soumis. Voyez si [ne le faisant pas][440] vous voulez que les deux personnes, à qui vous faites l'honneur de témoigner tant d'affection, soient séparées de vous pour jamais et deviennent les plus malheureuses de la terre[441]. La réponse que vous me ferez me servira aussi d'instruction pour la manière que je devrai tenir en m'abouchant avec don Louis de Haro sur le sujet du mariage, car, après tout, votre honneur et votre conscience ne peuvent pas vous permettre de choisir le plus fidèle de [tous] vos serviteurs[442] pour assurer le roi d'Espagne des choses que vous ne voudriez pas tenir. Je ne mande rien de tout ceci en détail à la _confidente_. Il dépendra de vous de lui communiquer ce que je vous écris, pouvant bien vous protester, comme si j'étais devant Dieu, que vous ne sauriez avoir un conseil plus fidèle que celui de la _confidente_, et qui vous puisse plus soulager et vous aider, en l'état où vous êtes, à prendre les résolutions que Dieu et toute la chrétienté vous demandent, car il est certain que, si elle pouvait donner sa vie pour votre contentement, elle le ferait avec grande joie, et vous auriez grand tort, si vous croyiez qu'elle ne vous aime pas, quand elle ne vous flatte pas en certaines choses qui, étant à présent de votre sens, sont pourtant éloignées de la raison, et, à dire vrai, il faudrait, par la même conséquence, que vous crussiez que personne au monde ne vous aime, puisque personne ne saurait approuver vos pensées. MAZARIN AU ROI. De Saint-Jean-de-Luz, le 29 juillet 1659. Vous me faites bien l'honneur de me dire[443] que vous êtes persuadé que je ne désire que votre gloire et le bien de votre État, et qu'ainsi vous êtes résolu plus que jamais de suivre mes avis; mais, dans le même temps, vous ne le faites pas. Je vous avais supplié de n'écrire pas à La Rochelle et vous m'avez répondu que cela vous serait trop dur et que la _confidente_ avait approuvé vos raisons, de manière qu'il faut conclure que j'aurai grand crédit dans votre esprit et que vous aurez la bonté de suivre mes avis pourvu qu'ils soient conformes à vos sentiments. Vous ne parlez à présent que de suivre ceux de la _confidente_, parce qu'ils s'accordent en quelque façon avec les vôtres, et, sans vous expliquer davantage, dans la réponse qu'il vous a plu me faire à la lettre que je vous écrivis de Cadillac, vous m'assurez bien avec excès de votre bienveillance et de vouloir déférer à mes conseils, mais sans me mander rien de précis de vos volontés à l'égard de ce que je dois traiter avec don Louis d'Haro. Vous concluez que vous ne sauriez pas faillir à suivre les sentiments de la _confidente_ et que vous ne doutez pas que je l'approuve. Cela s'appelle en bon français éviter la question et donner le change[444]. Vous êtes le maître de votre conduite, mais non pas de m'obliger à l'approuver lorsque je sais, de certaine science[445], qu'elle est préjudiciable à votre honneur, à la gloire et au bien de votre État, et au repos de vos sujets. Enfin, croyant que je ne saurais commettre un plus grand crime à votre égard que de vous déguiser les choses importantes à votre service, je vous déclare que je ne puis être en repos ni satisfait, si je ne vois, par les effets, que vous vous rendiez maître de vous-même et que vous m'accordiez la grâce que je vous ai demandée, après avoir connu visiblement que, sans cela, tout est perdu, et que le seul remède qui [me] reste à pratiquer est celui de me retirer et emmener avec moi la cause des malheurs qu'on est à la veille de voir arriver[446]. J'ai l'ambition que doit avoir un honnête homme, et peut-être j'en passe les bornes en certaines choses. J'aime fort ma nièce, mais, sans exagération, je vous aime encore davantage et je m'intéresse plus en votre gloire et en la conservation de votre État qu'en toutes les choses du monde. C'est pourquoi je ne vous puis que répliquer les mêmes choses que je me suis donné l'honneur de vous écrire de Cadillac, et, quoiqu'elles ne vous soient pas à présent agréables, je suis assuré que vous m'en aimerez bien un jour et que vous aurez la bonté d'avouer que je ne vous ai jamais rendu un plus important service que celui-ci. La _confidente_ vous aime avec la dernière tendresse, et il ne lui peut être possible de n'avoir de la complaisance pour vous, bien qu'elle connaisse que vos désirs ne s'accordent pas souvent avec la raison, et elle se laisse aller, n'étant pas à l'épreuve de vous voir souffrir. Pour moi, je crois d'avoir la même tendresse qu'a la _confidente_; mais cette même tendresse me rend plus dur et plus ferme à m'opposer à ce qui est absolument contre votre réputation et service, car, si je faisais autrement, je vous aiderais à vous perdre. Vous prenez la peine de me dire que vous vouliez bien croire ce que je vous mandais qu'on disait sur votre personne et sur le commerce que vous aviez à La Rochelle; mais que ni vous ni la _confidente_ n'en aviez pas entendu parler. Cela n'est pas étrange que personne [ne] vous entretienne sur cette matière, et, pour la _confidente_, elle ne peut pas savoir ce que je sais; mais, assurément, elle ne vous dit pas beaucoup de choses qu'elle sait, crainte de vous déplaire. Je voudrais bien que M. de Turenne eût osé vous dire les discours qui se tiennent sur votre sujet et vous auriez vu que je n'avance rien. Enfin je vous réplique que toute l'Europe s'entretient sur la passion que vous avez et chacun en parle avec une liberté qui vous est préjudiciable. A Madrid même l'affaire a éclaté, car on n'a pas manqué de l'écrire de Flandres et de Paris avec intention de brouiller et, rompant le projet d'alliance qui est sur le tapis, empêcher aussi l'exécution de la paix. Lorsque j'aurai l'honneur de vous voir, je vous montrerai des papiers qui vous feront connaître beaucoup plus que je ne vous ai écrit sur cette matière, et, si vous n'y remédiez sans aucun délai, l'affaire empirera tous les jours de plus en plus et elle deviendra incurable. Je me dois encore plaindre de ce que vous prenez grand soin de mander ponctuellement à La Rochelle ce que je vous écris. Jugez, je vous supplie, si cela est bon, s'il est obligeant pour moi, s'il est avantageux à votre bien et s'il peut faire un bon effet et contribuer à la guérison de la personne à qui vous écrivez. Pour les nouvelles que j'ai à vous donner, je me remets à M. Le Tellier, et, au surplus, vous me ferez justice si vous croyez que je n'oublierai rien ici pour vous bien servir, nonobstant les inquiétudes dans lesquelles je suis et les grandes difficultés que je prévois bien qu'il faudra surmonter. MAZARIN AU ROI. A Bidache, le 23 juillet 1659[447]. La goutte qui m'a attaqué depuis six jours avec des douleurs assez grandes m'a empêché de vous écrire, et quoique je sois encore fort mal, n'ayant pas voulu laisser de marcher, je ne puis plus retarder à vous dire que j'ai reçu au même temps deux de vos lettres du 13e, l'une que M. Le Tellier m'a envoyée par l'ordinaire et l'autre que Meré m'a rendue. Je vous suis très obligé des bontés que vous me témoignez, mais je voudrais en recevoir des effets dans la chose du monde qui me touche le plus pour votre bien, pour le salut de votre État, pour votre honneur et pour le mien. Je vous ai écrit assez précisément mes sentiments là-dessus par un courrier que je dépêchai exprès de Cadillac, et j'attends avec impatience la réponse qui réglera la conduite que j'aurai à tenir pour vous bien servir d'une manière ou d'autre. Je n'ai donc rien à ajouter, mais à vous confirmer ce que je me suis donné l'honneur de vous écrire, et vous [supplie] de me faire la justice d'être bien persuadé que, si j'avais moins d'amour et de tendresse pour vous, je ne me conduirais comme je fais, étant résolu, quoi qu'il puisse arriver, de me perdre mille fois plutôt que de manquer à vous représenter les choses qui regardent votre réputation et le bien de vos sujets. Je me sens aussi obligé de vous confirmer que les avis qui viennent de toutes parts et que je conserve pour vous les faire voir, parlent fort à votre préjudice, et je suis au désespoir que cela arrive lorsque vous témoignez être le plus résolu à vous appliquer aux affaires pour devenir le plus grand [Roi] de ce siècle en toutes choses. Au reste, je crois que Dieu m'a envoyé le mal que j'ai pour me donner lieu d'attendre la réponse que je vous ai demandée, car, de conférer avec don Louis et d'être assuré que je le tromperais en ce que je lui déclarerais de vos intentions sur le désir que vous avez de voir achever le mariage projeté, je ne m'y puis résoudre; et d'ailleurs je sais que, dans l'état où vous êtes, et duquel il ne me paraît pas jusqu'à présent que vous ayez envie de sortir, quand la personne que vous devez épouser serait un ange, [elle] ne vous agréerait pas: voilà tout ce que j'ai à vous dire, priant Dieu de vous inspirer et vous assister afin que vous preniez généreusement les résolutions que vous devez par toutes les raisons divines et humaines. J'écris à M. Le Tellier les nouvelles que j'ai d'Espagne et de don Louis. MAZARIN A LA REINE. A Bidache, le 23 juillet 1659[448]. Je vous demande très humblement pardon si j'ai demeuré six jours sans vous écrire, les douleurs que j'ai souffertes depuis ce temps ne me l'ayant pu permettre. J'avais même défendu que personne ne mandât des nouvelles de mon mal, parce que je croyais que ce ne serait rien, mais, continuant toujours, je suis forcé à vous l'écrire et vous représenter que celui qui m'afflige le plus n'est pas la goutte, vous protestant devant Dieu que si le _confident_ n'est pas capable de changer de conduite dans une affaire où il y va du tout pour lui et pour ses bons serviteurs, j'aime mille fois mieux mourir, et, de la manière que je le souhaite, j'en viendrai aisément à bout, et il me sera bien plus avantageux que de voir mon maître, pour qui j'ai la tendresse que vous savez, échouer dans un temps que tout le monde attend de lui quelque chose de grand, et mon honneur taché, après avoir donné toute ma vie mes plus grands soins pour en acquérir. Mais vous verrez confidemment que rien n'est capable d'empêcher l'exécution de ce que j'ai résolu, s'il ne change réellement, quoique j'espère que la mort me secourra plus tôt. L'on me mande que le _confident_ y ferait un voyage[449]; si cela arrive, j'en serai au désespoir, et tout le monde en fera le jugement qui en sera juste. Je vous conjure d'empêcher cela, ne sachant pas seulement comme on y peut songer, puisqu'il faudrait se détourner[450] de quarante-cinq grandes lieues à aller et revenir. Enfin, je vous déclare que je ne puis être à l'épreuve de cela. Vos deux lettres du 12 et du 13, que j'ai reçues par l'ordinaire et par Meré, me consolent fort, voyant la continuation de vos bontés, et je suis marri de n'être plus en état d'y répondre comme je devrais. Soyez seulement persuadée que j'ai les sentiments que je dois et que je ne vous saurais jamais manquer. Le Maréchal de Grammont m'a reçu ici le mieux du monde, mais, dans l'état où je suis, rien ne me touche. Vous souffrirez de furieuses incommodités si vous ne prenez la résolution de marcher à la fraîcheur. Je vous conjure donc d'y songer, car il n'y a rien de si précieux que votre santé et celle du _confident_. Je vous demande la permission de renouveler à Monsieur dans cette lettre les assurances de mes très humbles respects. MAZARIN A LA COMTESSE DE SOISSONS. De Bidache, le 23 juillet 1659[451]. Je ne ferai pas une longue réponse à votre lettre du 14e, les douleurs que je souffre ne me le permettant pas, mais je vous dirai seulement que Monsieur votre mari et vous devez tout souffrir du Roi, attendant qu'il vous permette de lui faire connaître que vous avez pour Sa Majesté les sentiments que vous devez et que rien n'est capable de vous en faire jamais éloigner, car, à la fin, Sa Majesté étant assurée de vos intentions, vous départira les effets de sa bonté comme par le passé. Je vous conjure d'en user ainsi et de le dire de ma part à Monsieur votre mari et de croire surtout l'un et l'autre que j'ai pour vous toute l'amitié que vous sauriez souhaiter. MAZARIN A LA REINE. De Saint-Jean-de-Luz, le 29 juillet 1659[452]. J'ai eu une extrême mortification d'avoir été quelques jours hors d'état de vous écrire, qui est pour moi une des plus grandes consolations que je puisse avoir et principalement dans l'agitation où est mon esprit présentement. J'ai lu vos quatre lettres plusieurs fois et je ne saurais assez vous remercier de la continuation de vos bontés, sans lesquelles je passerais encore une plus malheureuse vie, me voyant éloigné de vous et du _confident_, et que celui-ci ne fait pas les choses que je voudrais pour obliger un chacun à le regarder pour un Roi le plus sage de tous et qui préfère la gloire et la grandeur de son État à toute autre considération et plaisir. Je vois bien par vos lettres et par celles du _confident_ que la tendresse que vous avez pour lui ne vous a pas permis de tenir bon et que vous vous êtes laissé gagner. Mais assurément il lui en arrivera du préjudice, et pour moi je ne change pas d'avis, et je confirme au _confident_, par une lettre que je lui écris, les mêmes choses que je lui ai mandées de Cadillac. Vous verrez la lettre et il est impossible que vous n'approuviez les raisons, si la compassion que vous avez pour lui, quand vous le voyez souffrir, ne vous en empêche. Vous apprendrez toutes les nouvelles par M. Le Tellier et je vous dirai confidemment que j'ai grand soupçon que l'intention de don Louis ne soit pas celle qu'il affecte par toutes sortes de voies de me persuader. J'en serai bientôt éclairci, mais il est certain que Lenet[453] a du pouvoir sur son esprit, et qu'il souhaite au dernier point les satisfactions de M. le Prince. Vous savez beaucoup de choses là-dessus et vous devez croire que l'affaire va de même. Je me plains au _confident_ de ce qu'il a mandé à La Rochelle tout ce que je lui écris; j'en suis assuré, et il a grand tort d'en user ainsi. Marianne m'écrit contre Hortense et avec raison, car elle est toujours enfermée avec Marie de qui elle est confidente, et toutes les deux chassent Marianne, en sorte qu'elle ne peut jamais demeurer avec elles. Je vois qu'Hortense prend le chemin de l'autre et qu'elle a moins de déférence pour Mme de Venel que son aînée. Jugez si cela me donne bien du chagrin. Mais je vous promets que, d'une façon ou d'autre, j'y mettrai ordre quelque chose qui puisse arriver. C'est un grand malheur quand on n'a pas sujet d'être satisfait de sa famille. Mme de Venel fait ce qu'elle peut, mais la déférence qu'on a pour elle est fort médiocre. J'espère que le _confident_ aura la bonté de m'accorder la grâce de ne les aller pas voir, car, assurément, cela serait mal reçu, et le scandale serait public. Mais, si j'étais assez malheureux de ne pouvoir pas obtenir une si juste demande, et que vos offices ne pussent profiter de rien contre la force de sa passion, je vous conjure de faire plutôt venir mes nièces avec Mme de Venel à Angoulême, lui faisant écrire une lettre par laquelle vous lui ordonnerez de les amener audit lieu, car vous les voulez voir en passant, et, en effet, après qu'elles y auront demeuré une nuit, vous ferez en sorte qu'elles s'en retournent. Je vous supplie même en ce cas d'y envoyer un gentilhomme qui porte votre lettre à Mme de Venel et de les accompagner. Mais, au nom de Dieu, faites tout votre possible pour éviter ce coup, qui, de quelque manière qu'il arrive, ne peut faire qu'un très méchant effet. Par la première lettre que l'abbé de Montégu m'écrit, il semble d'avoir compris que ce soit à mon instance que la Palatine[454] doit quitter sa charge[455], et il eût été à propos de ne lui pas nommer seulement mon nom. Il m'a écrit après, de Paris, tout ce qui lui avait été répondu, et je n'y comprends pas grand'chose, car ladite Palatine prétendait venir au voyage et raccommoder son affaire. Je n'en dis rien, mais assurément il n'y a raison qui ne conseille d'exécuter ce qui avait été résolu. Je vous réplique que j'ai toutes les impatiences du monde de vous voir et je suis au désespoir que don Louis tienne une conduite si flegmatique; le climat de son pays le doit obliger à cela, et peut-être sa croyance qu'il prendra ainsi avantage sur l'impatience des Français. Je tâcherai pourtant de la corriger en sorte qu'il se trompe dans son calcul; mais cependant je souffre fort de l'éloignement auquel je suis contraint. J'ai grande curiosité de savoir les choses que vous remettez à me dire de vive voix. Le _confident_ m'écrit mille amitiés pour vous, et la manière dont vous vivez avec lui mérite bien qu'il vous aime plus que toutes les choses du monde. Il serait curieux de savoir le dessein de Mme de Chevreuse dans les flatteries qu'elle vous a faites; elle est la même chose avec Le Jar[1] et je ne sais pas si, de concert, on aurait obligé celui-(ci) à se déclarer amoureux de la petite Beauvais. Vous ne pouviez mieux répondre à Mme de Schomberg que vous avez fait, et, à mon avis, il ne faut répliquer autre chose à la lettre de d'Andilly. J'espère de vous écrire si souvent à l'avenir que j'aurai lieu de réparer le silence que j'ai été contraint de garder quelques jours. LE CARDINAL A LA REINE. De Saint-Jean-de-Luz, le 5 août 1659[456]. ... Vous ne pouviez me donner une nouvelle plus agréable que celle de m'assurer que le _confident_ est résolu de suivre mes avis, car il s'en trouvera bien et sera comblé d'honneur et de gloire et adoré de ses sujets; mais je crains que la visite qu'il désire de faire ne trouble plus que jamais ses bonnes intentions. C'était la première raison qui m'avait obligé d'écrire, comme j'ai fait sur ce sujet, et d'autant plus que je suis persuadé que la personne que vous savez n'oubliera rien pour l'attendrir, et engager son affection le plus qu'elle pourra. Je vous conjure de vous souvenir, [quelque chemin que vous preniez], de faire venir [mes nièces] au lieu où vous passerez le plus [proche] de La Rochelle, car la chose, exécutée ainsi, [aura plus de] bienséance... Je remets à vous dire mille choses, lorsque j'aurai l'honneur de vous voir, et j'ose [me promettre] qu'elles ne vous désagréeront pas, venant de la _Mer_ (de Mazarin)... LE CARDINAL MAZARIN A LA REINE. A Saint-Jean-de-Luz, le 11 août 1659[457]. ... Je suis assez satisfait de la lettre que le _confident_ m'a écrite me disant positivement que je le serai au point que je puis souhaiter quand il m'aura parlé à Bordeaux, croyant qu'il ne le pourrait pas si bien faire par une lettre. Si cela est, je serai fort heureux, car si le _confident_ a la bonté de me croire, et de suivre mes conseils, il acquerra beaucoup de gloire; il sera adoré de ses sujets, il sera estimé et redouté de tous, et vous, qui vous intéressez plus que personne à son bonheur, n'aurez plus rien à [désirer]. Il est homme de parole, et je dois espérer qu'il me tiendra celle qu'il me donne, d'autant plus qu'il ne s'agit que de son avantage et de relever sa réputation. Cependant je ne sais ce que vous aurez fait à l'égard de la visite sur laquelle je ne me suis pas expliqué au _confident_, par le retour du valet de pied; mais, après lui avoir marqué les inconvénients, je me remettrais à ce que je me donnais l'honneur de vous [écrire] là-dessus: ainsi vous en aurez pu user en la manière que vous aurez jugé plus à propos, et en tout cas vous aurez pratiqué ce que je vous ai mandé; c'est-à-dire de faire venir mes nièces en quelque lieu le plus proche de La Rochelle, par lequel la cour passerait, disant que vous les voulez voir. [J'eusse] écrit avec fermeté au _confident_ pour le supplier de ne les voir pas; mais vous m'écrivîtes d'une façon qui semblait que vous étiez d'avis que je ne m'y aheurtasse pas, me marquant que le _confident_ était persuadé que je le trouverais bon, en étant convenu conjointement avec vous à Paris; mais enfin quelque chose que vous ayez résolu là-dessus, si le _confident_ fait ce qu'il m'écrit, il n'y aura pas grand mal. Je suis au désespoir de ne voir pas jour à être le 2e à Bordeaux, comme vous me mandez que vous y serez avec le _confident_, et je voudrais bien pouvoir espérer d'y être à la fin du mois. Vous croirez aisément que je gagnerai des moments, ne souhaitant rien avec plus forte passion que de revoir les personnes du monde que j'honore le plus... Si vous étiez plus près de la _Mer_ (de Mazarin), je crois que vous y auriez plus de plaisir; j'espère que cela sera bientôt. MAZARIN A MADAME DE VENEL. 18 août 1659[458]. Vous me mandez que mes nièces avaient écrit des lettres fort civiles à M. le prince de Conti et à Mme la comtesse de Soissons. Vous ne me dites pas qu'elles ont fait ce grand effort seulement le jour auparavant leur départ de La Rochelle, quoique vous savez que je leur avais fait assez connaître qu'elles ne devaient pas différer un moment à faire cette civilité; mais ma nièce (Marie) sait mieux comme il faut se conduire que moi, et, Dieu merci, a trop d'esprit pour se pouvoir résoudre à déférer au conseil de personne. Je vois même avec grand déplaisir qu'elle entraîne Hortense dans toutes ses résolutions; mais je n'en suis pas surpris, parce que ma nièce lui aura persuadé que, se conformant à sa volonté, elle lui fera avoir une grande fortune, et Hortense, qui est encore une enfant, doit croire cela comme parole d'Évangile. On me mande de la cour qu'elle et sa sœur [non seulement] n'avaient pas visité la princesse de Conti et Mme la comtesse [de Soissons] qui les avaient conviées à souper, mais qu'elles ne leur avaient pas parlé. Voyez si cela est bon, et si ceux qui en font des risées n'ont pas raison. Je vous promets que la cour en est scandalisée, et qu'il est honteux que mes nièces par leur mauvaise conduite donnent sujet à tout le monde de faire des comédies à leurs dépens. MAZARIN A LA COMTESSE DE SOISSONS. Saint-Jean-de-Luz, le 22 août 1659[459]. J'ai reçu votre lettre du 16e, mais je ne puis pas croire que Madame la princesse de Carignan (c'est-à-dire la comtesse de Soissons) ne vienne au voyage après avoir tiré entièrement les trente mille livres. En tout cas, elle fera ce qu'elle voudra, et il n'y aura rien de changé pour cela. Je vois ce que vous me mandez à l'égard de vos sœurs; mais Mme de Venel m'a écrit une longue lettre à l'instance de Marie, par laquelle elle tâche de me faire connaître qu'elle a sincèrement recherché votre amitié, vous en ayant écrit avec beaucoup d'empressement, et que lui ayant été impossible d'aller souper chez vous sans désobliger le Roi qui était chez elle, elle vous en aurait fait des excuses que vous n'avez pas bien reçues, et que même vous aviez répondu quelque chose assez désobligeante. Je ne sais pas ce qui en est, mais, en tout cas, je vous prie de vous conduire en cela avec prudence et modération, étant ainsi à propos pour plusieurs raisons qui vous regardent aussi bien que moi... MAZARIN A LA REINE. De Saint-Jean-d'Angely, le 22 août 1659. ... Je suis ravi de la satisfaction que vous en témoignez (du _confident_) et de vous voir persuadée qu'il fera bien et qu'il a les intentions et l'esprit dans l'assiette que je puis souhaiter. Mais, par les nouvelles de La Rochelle, il me semble que, de côté et d'autre, la passion s'est extrêmement échauffée par l'entrevue qui s'est faite à Saint-Jean-d'Angely, que les dépêches sont plus fréquentes et plus longues, et que l'esprit de la personne qui est à La Rochelle est plus chagrin et plus emporté qu'auparavant. Néanmoins je défère avec plaisir à ce que vous m'en mandez, car je ne souhaite rien tant au monde comme de voir le _confident_ délivré de cette passion et heureux dans le mariage qu'il va faire... ... Je ne souhaite autre chose que son bien, sa gloire et son repos, avec contentement et réputation; et vous savez si j'ai bien travaillé pour cela, sans que toutes les diligences que le _confident_ a faites avec tant d'adresse pour m'engager à favoriser son dessein[460] m'aient seulement pu ébranler un moment. Et, à la vérité, j'eusse été un mauvais serviteur et un méchant homme, si j'eusse été capable d'écouter seulement les propositions que le _confident_ me faisait, puisqu'elles allaient à relever ma réputation aux dépens de la sienne, et à tirer des avantages à son préjudice... AU ROI. De Saint-Jean de Luz, le 28 août 1659[461]. Je vous supplie d'être persuadé, une fois pour toutes, que je ne vous saurais rendre un plus grand et plus important service, que de vous parler avec la liberté que vous avez eu la bonté de me permettre lorsqu'il s'agit de votre service et particulièrement en des choses de considération et d'éclat[462], dans lesquelles assurément vous n'avez aucun serviteur qui puisse discourir si à fond et avec le zèle que je ferai. Je commencerai par vous dire, sur le point de votre lettre du 23e, qui regarde les bons sentiments que la personne a pour moi et toutes les autres choses qu'il vous a plu de me mander à son avantage: Que je ne suis pas surpris de la manière dont vous m'en parlez, puisque c'est la passion que vous avez pour elle qui vous empêche (comme il arrive ordinairement à ceux qui en ont comme vous) de connaître ce qui en est; et je vous réponds que, sans cette passion, vous tomberiez d'accord avec moi, que cette personne n'a nulle amitié pour moi, qu'elle a au contraire beaucoup d'aversion[463] parce que je ne flatte pas ses folies; qu'elle a une ambition démesurée, un esprit de travers et emporté, un mépris pour tout le monde, nulle retenue en sa conduite et prête à faire toute sorte d'extravagances; qu'elle est plus folle qu'elle n'a jamais été depuis qu'elle a eu l'honneur de vous voir à Saint-Jean d'Angely, et que, au lieu de recevoir de vos lettres deux fois la semaine, elle[464] les reçoit à présent tous les jours; vous verrez enfin comme moi qu'elle a mille défauts et pas une qualité qui la rende digne de l'honneur de votre bienveillance. Vous témoignez en cette lettre de croire que l'opinion que j'ai d'elle procède des mauvais offices qu'on lui rend. Est-il possible que vous soyez persuadé que je sois si pénétrant et si habile dans les grandes affaires, et que je ne voie goutte dans celles de ma famille, et que je puisse douter des intentions de cette personne à mon égard, voyant qu'elle n'oublie rien pour faire en toutes choses le contraire de ce que je veux, qu'elle met en ridicule les conseils que je lui donne pour sa conduite, qu'elle fait vanité de ce qui, à la vue de tout le monde, préjudicie à son honneur et au mien, qu'elle veut faire la maîtresse et changer tous les ordres que je donne dans la maison, et qu'enfin[465], méprisant toutes les diligences que j'ai faites avec tant d'amour, d'application et d'adresse pour la mettre dans le bon chemin et la rendre sage, elle persiste opiniâtrément dans ses folies et veuille ainsi être exposée à la risée de tout le monde, qui en fait des continuelles comédies; ce qu'il vous sera aisé de voir dans les papiers que je garde, et dans lesquels vous verrez le sentiment universel de tous ceux qui discourent sur cette matière, qui est à présent l'entretien des meilleurs esprits de toutes les nations. Si la mauvaise conduite de cette personne ne préjudiciait qu'à elle et même à moi[466], je pourrais dissimuler; mais allant plus avant et continuant à faire un tort irréparable à la gloire et au repos de mon bon maître, il m'est impossible de le souffrir; et je serai à la fin[467] contraint de prendre des résolutions par lesquelles chacun se confirme dans la croyance que, lorsqu'il s'agit de votre service, je sacrifie tout. Et si je suis si malheureux que la passion que vous avez vous empêche de connaître et estimer la chose comme elle le mérite, il ne me restera qu'à exécuter le dessein que je vous écrivis de Cadillac[468], car enfin il n'y a puissance qui me puisse ôter la libre disposition que Dieu et les lois me donnent sur ma famille, et vous serez un jour le premier à me donner des éloges du service que je vous aurai rendu, qui sera assurément le plus grand, puisque, par ma résolution, je vous aurais rendu le repos et mis en état d'être heureux et le plus glorieux et accompli roi de la terre. Outre que mon honneur (que Jésus-Christ qui était l'exemple de l'humilité, disait qu'il ne donnerait à personne, _honorem meum nemini dabo_) m'oblige à ne différer davantage à faire ce qu'il faut pour sa conservation. Je retourne à la personne, laquelle se tient plus assurée qu'elle n'a jamais été[469] de pouvoir disposer entièrement de votre affection, après les nouvelles promesses que vous lui avez faites à Saint-Jean d'Angely, et je sais que, si vous êtes obligé à vous marier, elle prétend de rendre, pour toute sa vie, malheureuse la princesse qui vous épousera, ce qui ne pourra arriver sans que vous ne le soyez aussi, et sans vous exposer à mille inconvénients qui en arriveront, car vous ne pourrez avec raison prétendre la bénédiction du ciel, puisque vous n'aurez rien fait de votre côté pour la mériter. Vous avez recommencé, depuis la dernière visite (que j'avais toujours cru qui serait fatale, et, par cette raison, j'avais tâché de l'empêcher), à lui écrire tous les jours non pas des lettres, mais des volumes entiers, lui donnant part des moindres choses qui se passent, et ayant en elle [surtout[470]] la dernière confiance à l'exclusion de tout le monde. Ainsi tout votre temps est employé à lire ses lettres et à faire les vôtres. Et ce qui est incompréhensible, vous en usez de la sorte et vous pratiquez tous les expédients imaginables pour échauffer votre passion, lorsque vous êtes à la veille de vous marier. Ainsi, vous travaillez vous-même à vous rendre[471] le plus malheureux de tous les hommes; car il n'y a rien d'égal pour cela que de se marier à contre-cœur. Je vous demande comme aussi, au sujet de votre passion, quel personnage prétend-elle de faire après que vous serez marié? A-t-elle oublié son devoir à ce point de croire que, quand je serais assez malhonnête homme, ou pour mieux dire infâme, pour le trouver bon, elle pourra faire un métier qui la déshonore? Peut-être qu'elle imagine[472] d'en pouvoir user ainsi, sans appréhender que personne en murmure, ayant gagné le cœur[473] à tout le monde, quoiqu'il n'y ait rien de si vrai que sa manière d'agir a tellement donné de l'aversion contre elle à tous ceux qui la connaissent, que je serais[474] fort empêché de nommer une seule personne qui ait de l'estime et de la bonne volonté pour elle, hors et excepté Hortense, qui est un enfant et qu'elle a gagnée, la flattant mal à propos en certaines choses, et lui donnant de l'argent et d'autres présents, ayant trouvé, à ce que je crois, des trésors, puisqu'elle a refusé de prendre de l'argent que j'avais ordonné à madame[475] de Venel de lui faire donner par du Teron en la quantité qu'elle voudrait, lorsqu'elle alla à La Rochelle. Le plus grand bonheur que cette personne puisse avoir est que je ne diffère davantage à mettre ordre si je ne la puis rendre sage, comme je le crois impossible, au moins ses folies ne paraissent pas devant le monde, car autrement elle courrait grand risque d'être déchirée. Vous entendrez tout ceci avec étonnement, parce que l'affection que vous avez pour elle ne vous donne pas lieu de voir clair en ce qui la regarde. Mais, pour moi, qui ne suis pas préoccupé[476], et qui, à quelque prix que ce soit, vous veux servir[477] en ce rencontre, qui est le plus important de votre vie, quand il m'en devrait coûter la mienne, je vois la vérité comme elle est, et je ne souffrirai pas que vous en receviez du préjudice, car autrement je commettrais une espèce de trahison. Et, au surplus, il en arrivera ce que pourra, ne me souciant pas de mourir en faisant mon devoir et vous servant, comme je suis obligé particulièrement en cette occasion, dans laquelle personne ne le saurait faire que moi. J'avais oublié de vous dire, pour vous faire connaître de plus en plus l'amitié que cette personne a pour moi, qu'elle ne m'a jamais fait l'honneur de m'écrire, qu'une fois, deux seuls mots, forcée à le faire par madame[478] de Venel; et, après vous avoir vu à Saint-Jean d'Angely, une autre lettre que j'ai reconnue pour un effet de ce que vous lui avez dit, étant fort assuré[479] que, dans la bonté que vous avez pour moi, vous n'oubliez rien pour l'obliger à me rendre toute sorte de respect et de marques d'amitié. Mais, quelque pouvoir que vous ayez sur son esprit, il ne vous réussira pas de la gagner sur ce point, et à présent je vous déclare qu'il ne servirait plus de rien; et d'ailleurs comment voudriez-vous prétendre qu'elle eût de la déférence et de l'amitié pour moi, que j'ai[480] des pensées toutes contraires aux siennes, c'est-à-dire qu'elle, voulant être une libertine et extravagante, je veux au contraire qu'elle soit modérée et sage? Je ne doute pas qu'elle ne sache tout ce que je me donne l'honneur de vous mander; mais tant s'en faut que je l'appréhende, je le souhaite avec passion. Et plût à Dieu que je la crusse capable de vous répondre pertinemment sur les affaires dont vous prenez le soin de lui donner part, car volontiers je la prierais de me délivrer de cette peine; mais, à la vérité, que, à l'âge où je suis, accablé de tant et si importantes occupations que j'ai pour votre service, et dans lesquelles il me semble d'être assez heureux pour vous bien servir, et avec réputation et avantage pour votre État, il est insupportable de me voir inquiété par une personne qui, par toutes sortes de raisons, se devrait mettre en pièces pour me soulager[481]. Et ce qui m'afflige au dernier point c'est de voir qu'au lieu de m'assister pour me délivrer[482] de ce chagrin et d'une si juste inquiétude[483], vous y contribuiez, donnant à cette personne, par l'extrême[484] passion que vous lui témoignez, le courage et la résolution de vivre comme elle fait. J'étais tout à fait remis par ce que vous aviez pris la peine de m'écrire, et par la conduite que vous aviez commencé de tenir depuis ma dépêche de Cadillac, et j'avais cru que vous ne songiez qu'à préparer les voies pour être heureux dans votre mariage, ce qui ne pouvait[485] être qu'en venant à bout de la passion qui s'était rendue la maîtresse de votre esprit. Mais j'ai vu avec un sensible déplaisir que, après cette malheureuse visite, que j'eusse voulu empêcher en répandant la moitié de mon sang, tout est retombé en pire état qu'il n'était[486] auparavant; et il ne faut pas, s'il vous plaît, que vous m'expliquiez la chose autrement, car je la sais à n'en pas douter[487], et, je puis dire, aussi bien que vous et cette personne. Songez, je vous supplie, après cela, en quel état je puis être, et s'il y a un plus malheureux au monde que moi, qui ai toujours songé avec la dernière application à employer[488] tous les moments à relever votre réputation et prouver, par toutes sortes de voies, même les plus pénibles, la gloire de vos armes, le repos de vos sujets et le bien de votre État[489] et que je vois à présent qu'une personne qui m'appartient est sur le point de renverser tout et causer votre malheur, si vous continuez à lâcher[490] la bride à la passion que vous avez pour elle. Lorsque je repassais dans ma mémoire ce que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire que, en vous pouvant expliquer de vive voix, j'aurais une entière satisfaction de l'assiette de votre esprit, étant résolu de faire sans réserve tout ce que je vous dirais être nécessaire pour votre gloire, pour être heureux et pour le bien de votre service, j'étais au désespoir de voir trop durer cette négociation, puisque cela m'empêchait de me rendre auprès de vous, et travailler sous vos ordres à calmer votre esprit et vous mettre en état[491] d'être le plus heureux et le plus grand roi du monde; mais à présent j'appréhende qu'elle finisse, ne sachant pas comme vous approcher, ayant sujet de croire que ni vous ni moi n'aurons rien[492] à dire qui vous contente. Car comme quoi me pourrais-je empêcher de vous représenter, sans blesser la fidélité que je vous dois et trahir mes obligations, que vous prenez un chemin tout contraire à la bienséance et au bonheur auquel vous devez aspirer, vous donnant en proie à la passion pour cette personne plus que vous n'avez fait[493], lorsque vous êtes à la veille de vous marier, étant impossible, quelque pouvoir que vous ayez sur vous, et quelque progrès que vous ayez fait par le conseil de cette personne dans l'art de dissimuler, que votre aversion ne paraisse à ce mariage[494], quoiqu'il soit le plus utile, le plus grand et le plus glorieux que vous puissiez faire? Comme pourrai-je vous taire que vous préjudiciez au bien de vos affaires, que vous vous attirez les reproches de tout le monde, et que vous vous exposez à recevoir des marques de la colère de Dieu, si vous allez vous marier haïssant la princesse que vous épouserez, et ayant intention de mal vivre avec elle, ainsi que l'autre personne vous a promis de faire avec celui qui l'épousera? Croyez-vous que Dieu puisse bénir un tel concert? et que, en usant ainsi, vous ne courriez un risque évident de recevoir autant, voire de plus grands effets de son indignation, que vous en avez jusques à cette heure ressenti de sa bonté? Comme pourrais-je passer sous silence, sans vous tromper, la conduite que vous tenez et le soin que vous prenez de pratiquer tous les moyens imaginables[495] pour vous rendre malheureux; puisque, au lieu de rompre tout doucement, comme vous aviez commencé de faire, un commerce, qui est le plus grand obstacle à la satisfaction que d'ailleurs vous recevriez du mariage qui vous attend, vous l'avez rétabli plus que jamais, et avec plus de chaleur, sans considérer que vous allez épouser la plus grande et la plus vertueuse princesse qui soit au monde, qu'elle a eu de l'inclination pour vous du berceau[496], qu'il n'y a rien de si avantageux dans la conjoncture présente pour le bien de vos affaires, qu'elle est fort bien faite et que la beauté de l'esprit ne doit rien à celle du corps? C'est en cet endroit qu'étant auprès de vous, je vous conjurerais de me dire s'il n'y aurait pas de quoi vous satisfaire dans la possession de cette princesse, laquelle sans doute vous adorera, ayant, comme vous avez, des qualités qui ne pourront pas lui donner lieu de s'en dispenser, si ce n'était qu'une autre passion, que vous cultivez soigneusement, vous tient[497], quoiqu'il soit vrai de dire que la personne qui en est cause est bien éloignée[498] d'avoir la beauté, l'esprit et les agréments de la princesse qui doit être votre épouse[499], si ce n'est que peut-être elle lui puisse être comparée dans la qualité et dans la naissance[500]. Pourrais-je vous cacher, étant auprès de vous, ce que vous avez pris la peine de dire en plusieurs rencontres, à l'occasion du mariage du marquis de Richelieu[501], qu'il n'y avait rien de si étrange, et qui méritât plus de reproches que de se mésallier, et laisser de vous représenter, avec le respect que je vous dois, que les pensées que vous avez eues, et que la personne prétend qui ne sont[502] pas effacées dans votre esprit, sont bien contraires à celles que vous témoigniez à l'égard de Richelieu, et que vous-même, par la décision que vous avez donnée sur son sujet, vous vous seriez jugé vous même? Et il ne faut pas alléguer, comme vous avez eu la bonté de faire plusieurs fois sur cette matière, même en présence de la reine, que la pensée d'épouser ladite personne avait pour principal motif de faire une action à la vue de tout le monde, qui témoignât que, ne pouvant récompenser assez mes services, vous l'aviez voulu faire par ce moyen; car il n'y eût eu qui que ce soit qui n'eût donné une semblable résolution à un excès d'amour et non pas à mes services. Mais quand il serait vrai que ce seul motif vous y eût plus porté que la passion, était-il juste que je m'oubliasse au point d'y consentir, et que, charmé d'une proposition si éclatante et si avantageuse pour moi, je pusse, pour mon intérêt particulier et pour relever ma réputation, y donner les mains aux dépens de la vôtre? En vérité, mon ambition ne va pas à exécuter seulement rien en ma vie[503] qui ne soit glorieux pour vous, et je le dois d'autant plus que, outre mon devoir, vos grandes bontés m'y obligent. Enfin j'appréhende mon retour à Bordeaux; car, assurément, je ne vous pourrais entretenir à votre gré, et ne vous dire pas avec beaucoup de force ce que dessus et d'autres choses encore plus fortes sur la même matière. Je me trouve donc fort embarrassé de ce que je deviendrai, et bien plus de donner la dernière main à ce qui regarde votre mariage; car il me semble que je promets ce qui n'est pas, et que je contribue à l'établissement d'une chose qui rendra malheureuse une innocente qui mérite votre affection, et vous, parce que le voulez ainsi, et travaillez pour l'être[504] avec la dernière fermeté. Il est temps de vous résoudre et déclarer votre volonté sans aucun déguisement; car il vaut mille fois mieux de tout rompre et continuer la guerre sans se mettre en peine des misères de la chrétienté et des préjudices que cet état et vos sujets en recevront, que d'effectuer ce mariage, s'il n'a à produire que votre malheur, et ensuite nécessairement celui de ce royaume. Et quoique je continue à faire ce qu'il faut pour avancer la chose, cela n'empêchera pas que je n'exécute ce qu'il vous plaira me commander là-dessus. J'avoue pourtant que je le ferai à regret et avec un sensible déplaisir, si je ne vois au même temps que vous fassiez[505] ce qui est nécessaire pour trouver de la joie dans l'exécution du mariage; et ce sera alors que je ferai ce que Dieu m'inspirera pour votre bien, afin de ne manquer à rien de ce qui peut dépendre de moi, pour contribuer à la satisfaction que je vous dois souhaiter dans ce mariage: ce qui ne peut être autre chose, que ce que je me donnai l'honneur de vous écrire de Cadillac fort précisément et après avoir bien examiné et résolu ce que je vous mandais. Je veux encore ajouter, pour vous faire mieux connaître que la passion que vous avez, vous empêche de prendre le plaisir, que d'ailleurs vous auriez très grand, d'épouser une si belle princesse, si grande, si spirituelle et si accomplie, que vous étiez fort résolu, ou pour mieux dire vous souhaitiez à Lyon, d'épouser la princesse Marguerite, dont la qualité et la beauté ne sont pas comparables à celle[506] de l'Infante, et vous vous souviendrez, s'il vous plaît, que vous étiez fâché de ce que la reine et d'autres vous disaient pour vous en dégoûter. Voilà tout ce que la passion, la fidélité et le zèle que j'ai pour votre service et pour votre bonheur, me contraignent de vous représenter avec la liberté que doit un vieux serviteur[507], qui ne respire que votre gloire, et qui a plus d'intérêt et d'obligations qu'aucun autre à ne vous dire pas seulement, mais à sacrifier sa vie pour le service d'un si bon maître comme vous. Au surplus, je vous proteste[508] que rien n'est capable de m'empêcher de mourir de déplaisir, si je vois qu'une personne qui m'appartient de si près, vous cause plus de malheurs et de préjudice en un moment que je ne vous ai rendu de services, et procuré d'avantages et de gloire[509] à votre personne et à votre État, du premier jour que j'ai commencé à servir. Je vous dirai aussi que j'ai entre les mains des grandes affaires[510]; mais que, assurément, il n'y en a aucune si importante comme celle-ci et qui demande avec plus d'empressement d'être finie. C'est pourquoi, s'il en était besoin, j'oublierais toutes les autres, et je ne travaillerais qu'à celle-ci. Je vous conjure de me faire l'honneur de vouloir lire et bien considérer cette lettre, et de vouloir prendre la peine de me déclarer vos intentions sans aucune réserve[511], afin que je puisse prendre les résolutions que j'estimerai à propos[512] pour votre service. MAZARIN A LA REINE. A Saint-Jean-de-Luz, le 3 septembre 1659[513]. Je ferais grand tort à MM. de Noailles et de Vardes, qui s'en retournent, et surtout à Bartet, qui part informé des moindres choses qui se passent ici, si je voulais entrer à vous entretenir. Je m'en remets donc à leur vive voix et à M. Le Tellier, pour ce que j'avais à écrire pour informer le _Confident_ et vous de ce qui s'est passé dans la conférence précédente et celle d'hier. Il n'a rien manqué que tout n'ait été rompu de (dans) cette dernière, comme vous verrez par la relation que j'espère vous pouvoir envoyer demain au soir. Mais je vous puis dire qu'elle finit assez bien, et que je soutins comme je devais tout ce qui est dû à la dignité et au service du _Confident_, et j'espère que bientôt Don Louis fondra la cloche. Au moins je ne le laisserai en repos que cela ne soit et le plus avantageusement pour vous qu'il me sera possible. Il croit que le meilleur qu'il ait en main pour nous obliger à faire les choses qu'il désire, et particulièrement en faveur de M. le Prince, c'est le mariage. Il m'a fait pitié, et le fera à vous aussi, puisque vous savez s'il prend bien ses mesures là-dessus. Je vous envoie une boëte avec dix-huit éventails qu'on m'a envoyés de Rome; quoique je les croie aussi beaux que tous les autres qu'on a envoyés cette année, qui n'ont servi qu'à faire des présents à des gens de ce pays, qui n'ont pas le goût trop exquis. Vous recevrez aussi quatre paires de gants que ma sœur m'a envoyées dans un paquet. Il y en avait six paires, mais l'ayant ouvert en présence de Pimentel, je lui en ai donné deux, dont j'en vis une hier à don Louis, qui m'en fit compliment. Je suis à vous plus que jamais. A LA REINE. De Saint-Jean-de-Luz, le 14 septembre 1659[514]. Je me remets (à M. de Machaut)[515] à vous expliquer la confusion dans laquelle je suis pour l'excès de vos bontés. Je suis au désespoir de ne pouvoir être à vos pieds sitôt que je voudrais pour vous en témoigner mon ressentiment, et je vous avoue que, bien souvent, je perds patience quand je me vois contraint de demeurer ici sans [votre amour], éloigné de vous et du _Confident_; et, si je pouvais avec des charmes obliger don Louis à finir (puisque toutes mes diligences, mes adresses et mon empressement n'ont de rien servi jusqu'à présent), je vous assure que je les emploierais. * * * * * Vous verrez ce que j'écris à M. Le Tellier de la conversation que j'ai eue avec don Louis sur le voyage du roi d'Espagne et de l'Infante. J'ai cru à propos de mander tout en détail afin que le _Confident_ et vous en eussiez une particulière information. Il n'y a rien si certain qu'étant nécessaire que la demande de l'Infante se fasse auparavant qu'on dépêche pour avoir la dispense du pape, et qu'elle ne soit épousée que lorsqu'elle sera arrivée à Madrid, il est impossible qu'elle puisse être à Fontarabie plus tôt que le vingtième de décembre, et j'ose bien répondre qu'il n'y a nul artifice en cela. Peut-être que Dieu permet tout ceci pour donner temps au _Confident_ de mettre son esprit en état de recevoir l'Infante avec beaucoup de joie et de satisfaction, et pour moi je l'espère ainsi et le souhaite de tout mon cœur. Elle est pourtant si juste, la passion que vous avez de voir terminer cette grande affaire, que je vous excuse lorsque vous voulez comparer votre santé avec celle du Roi votre frère et que vous dites qu'il pouvait bien venir puisque le Roi votre père n'y hésita point, car il était, comme vous savez, beaucoup plus jeune, et il fit le voyage dans les mois de septembre et octobre. Le maréchal de Villeroi, qui partira mercredi, vous parlera au long là-dessus et au _Confident_, et M. Le Tellier prendra soin après de me faire savoir vos intentions. Vous avez raison de croire que je serais satisfait de la lettre que le _Confident_ m'a écrit, car je l'ai été au dernier point, non-seulement par les assurances qu'il me donne de son amitié par des termes fort obligeants, mais par la manière dont il me parle de sa passion, voyant qu'il est entièrement résolu à faire ses efforts pour la surmonter, et, après ce que vous me mandez là-dessus, je ne doute plus qu'il n'en vienne à bout, m'assurant que vous ne lui refuserez pour cela toutes les assistances qui pourront dépendre de vous [et de votre amour pour moi]. Je voudrais vous dire encore mille choses, mais elles ne vous expliqueraient pas assez le déplaisir que j'ai d'être contraint à vous écrire, lorsque je voudrais donner tout ce que j'ai au monde pour vous parler; mais il faut se modérer et avoir patience par pure force. Je pourrais bien vous donner des nouvelles assurées de la _Mer_ (de Mazarin), car je la vois tous les jours, elle est calme depuis peu, et il y a apparence qu'elle le sera longtemps, car il n'y a pas de vents qui soufflent à présent et les _Anges_ (la Reine) la protégent et contribuent entièrement à sa tranquillité. MAZARIN A LA REINE. A Saint-Jean-de-Luz, le 18e septembre 1659[516]. Je ne veux pas laisser partir Gourville[517] qui s'en retourne à Paris sans me donner l'honneur de vous dire que je travaille incessamment pour changer cette demeure en une autre qui me réjouira davantage, quoique le Confident ni vous ne deviez regretter le temps que j'ai employé à vous servir ici. Je ne lui écris pas n'ayant rien à lui mander, et je me contenterai de lui confirmer mes très humbles respects dans celle-ci. Demain il y aura conférence pour hâter d'autant plus la fin de cette négociation; en quoi je puis dire à présent que don Louis fait son devoir, avançant toutes choses autant qu'il est possible, et je ne vous répliquerai même ce que vous savez fort bien de la passion que j'aurai toute ma vie pour vous plaire et pour votre service en toutes choses. MAZARIN A LA REINE. A Saint-Jean-de-Luz, le 20e septembre 1659[518]. ... Je m'assure que le _Confident_ et vous me ferez la justice de croire que je n'ai rien oublié pour presser l'exécution de cette affaire, laquelle je suis contraint, pour la vérité, dire que don Louis souhaite avec passion et sincèrement; enfin on fera tout ce qui sera dans la possibilité; mais il ne faut pas prétendre au-delà. J'ai eu une grande joie de voir ce qu'il vous a plu de me mander de la Mer[519] et des Anges[520], et je vous puis dire, sans aucun déguisement, que je crois ce que vous m'écrivez là-dessus, étant même assuré que vous aurez sujet de me confirmer la chose en termes encore plus précis, lorsque j'aurai l'honneur de vous rendre mes devoirs, car vous aurez reçu réponse de Paris de la personne. A MADAME DE VENEL. 21 septembre 1659[521]. ... Il ne se peut rien ajouter à la satisfaction que j'ai de la conduite de ma nièce et de voir sa fermeté dans la généreuse résolution qu'elle a prise, en faisant connaître par là qu'elle a du cœur et les parties qui sont nécessaires pour obliger un chacun à avoir beaucoup d'estime pour elle. Vous savez que je ne la flatte pas, et que j'ai dit avec liberté tout ce qui m'est tombé dans l'esprit quand je n'étais pas satisfait de sa manière d'agir: mais, à présent, je le suis au dernier point d'avoir une nièce qui ait des qualités si relevées, et je veux qu'elle sache qu'il n'y a rien au monde que je ne fasse pour lui donner des marques de mon amitié, et qu'elle serait ravie de joie, si elle pouvait s'imaginer la réputation qu'elle acquerra, et les éloges qu'elle s'attirera, quand chacun saura le détail de ce qui s'est passé, et avec quelle fermeté et générosité elle s'est conduite. Je suis ravi de ce que vous me mandez qu'elle se divertit, et je vous prie de contribuer à cela de tout ce qui pourra dépendre de vous sans rien épargner, et, pour cet effet, je mande au sieur du Teron de donner tout l'argent que vous direz, mon intention étant qu'elle ne manque d'aucune chose qui pourra regarder son divertissement. Je vous prie d'ordonner que l'on fasse une bonne table, et qu'on la renforce, étant à propos que les demoiselles de Marennes, avec lesquelles mes nièces se divertissent, étant toujours avec elles, puissent faire bonne chère. J'écris la lettre ci-jointe à ma nièce, et j'écris encore aux autres, et, vous priant de continuer à me donner de leurs nouvelles, je demeure le meilleur de vos amis et le plus assuré de vos serviteurs[522]. MAZARIN A LA REINE. A Saint-Jean-de-Luz, le 23 septembre 1659[523]. Je ne veux pas laisser de profiter de cette occasion pour vous faire ressouvenir et le _Confident_ que vous avez ici un bon serviteur et qui meurt d'envie d'avoir l'honneur de vous confirmer à tous deux les assurances de ses très humbles respects de vive voix. Je travaille incessamment pour cela; mais toujours arrivent des choses, lesquelles, bien que de petite importance, ne laissent pas de retarder d'un jour ou deux l'entière conclusion. Je vous supplie de dire à (chiffre)[524] qu'il prenne garde, car j'ai reçu avis de Brouage que la _Mer_[525] remontera assurément à Bordeaux, et qu'il n'y a rien au monde qui l'en puisse empêcher... MAZARIN AU ROI. A Saint-Jean-de-Luz, le 8 octobre 1659[526]. J'avais espéré que je me porterais assez bien pour aller donner la dernière main, avec la signature, à tout ce que don Louis et moi avions négocié et conclu depuis que nous sommes en ces quartiers, et que les traités seraient dans la forme qu'ils devaient être pour les signer. Mais je ne suis ni en état de marcher, ni les articles, à ce que M. de Lionne m'a dit ce matin, ne peuvent être tous rédigés par écrit, de la manière qu'il faut, que jeudi prochain. Ainsi je vois que mon mal me donnera lieu d'agir dans ce temps-là, et j'espère que je n'aurai pas sujet de retarder un seul instant mon départ après la signature; cependant, quoique je n'aie rien de particulier à mander, j'ai prié le sieur de Vaubrun de s'en aller vous porter de mes nouvelles, afin que vous et _la Confidente_ ne soyez pas en inquiétude de ce qui se passe ici. J'avais écrit que le Roi d'Angleterre était en Espagne, sur ce qu'on m'avait assuré que, lui sixième, était passé par ce lieu la nuit et que, de tous les endroits, on me mandait qu'il avait pris cette route. Mais il n'a pas paru, et don Louis paraît être aussi embarrassé que moi à deviner où il peut être; on saura bientôt ce secret. Le maréchal de Grammont doit être après-demain à Madrid et nous avons avis qu'on l'a fort régalé à Burgos où il s'est arrêté un jour. C'est là où il pourra dire avoir vu pour la première fois les fêtes des taureaux. C'est tout ce que je me puis donner l'honneur de vous dire à présent, souhaitant fort de changer cet entretien par écrit en celui de vive voix. LE CARDINAL MAZARIN AU ROI. A Saint-Jean-de-Luz, le 8 octobre 1659[527]. Je suis touché au dernier point des bontés qu'il vous plaît d'avoir pour moi, prenant part, comme vous faites avec tant de soin, à l'état de ma santé, laquelle assurément sera employée jusqu'au dernier moment pour votre service. Ainsi, je suis ravi de voir que vous ne perdrez rien si je suis assez heureux pour la pouvoir conserver encore quelque temps. Je me remets à ce que j'écris à M. Le Tellier, et j'ai été très-aise d'apprendre par votre lettre que vous faisiez le voyage avec gaîté et je prie Dieu qu'elle augmente de plus en plus comme vous en avez sujet, étant dans le chemin d'être le plus glorieux et puissant Roi qui ait jamais été et d'avoir une estime générale de tous les peuples. Les douleurs m'ont quitté, mais il m'est impossible de marcher; cela pourtant ne retardera pas mon départ le jour après que j'aurai signé. Je vous rends de nouveau très-humbles grâces pour celles qu'il vous plaît me départir avec excès, et je vous supplie de croire que, pour me réjouir, je ne songe qu'au jour que j'aurai le bonheur d'être auprès de vous et de la _Confidente_. MAZARIN A LA REINE. A Saint-Jean-de-Luz, le 8 octobre 1659[528]. Je suis fort persuadé que vous ne prenez nul plaisir à voir souffrir vos serviteurs, mais je le suis encore davantage que vous feriez bien des choses pour empêcher que certaines personnes, qui sont bien avec les Anges, n'eussent aucun mal. J'espère que je serai bientôt délivré du mien, et que cela ne m'empêchera pas de partir le jour après que j'aurai signé, ce qui peut aller, à ce que M. de Lionne m'écrit ce matin, à lundi ou mardi. Je cache tant que je puis à ma goutte la pensée que vous auriez de venir ici, si elle durait encore longtemps, car, si elle en avait connaissance, elle serait assez glorieuse pour s'opiniâtrer à ne me quitter pas, afin de se pouvoir vanter d'un bonheur qu'aucune autre goutte n'aurait eu jamais. Je n'ai renvoyé le valet de pied à l'instant, car, à son arrivée, je venais de dépêcher le gentilhomme de Mademoiselle. Je vois ce que vous me mandez à l'égard des comédiens espagnols, et, si vous le trouvez bon, on peut remettre à prendre résolution là-dessus lorsque j'aurai l'honneur d'être auprès de vous et du _Confident_. Cependant je parlerai en sorte à don Louis, que, si on prend la résolution de les faire venir présentement, il les puisse envoyer. MAZARIN A LA REINE. A Saint-Jean-de-Luz, le 12 octobre 1659[529]. ... J'ai prié le sieur de Vaubrun d'assurer le _Confident_ et vous qu'il n'y a rien d'égal à l'impatience que j'ai d'avoir l'honneur d'être auprès de vous et que je souffre la dernière douleur dans les difficultés qui diffèrent mon départ. Mais à la fin[530] (tout) s'ajustera avec les commis qui copient les articles et j'en serai assurément quitte à l'instant qu'ils seront prêts à signer; après quoi je ne vous dirai pas ce que je ferai, voyant que j'aurai demeuré absent du _Confident_ et de vous plus de quatre mois, ce que je ne me suis pu jamais imaginer, et je vous promets à l'un et à l'autre, qu'à moins que vous me chassiez, cela ne m'arrivera plus en toute ma vie, car aussi bien il ne se rencontrera occasion de servir comme celle-ci... MAZARIN AU ROI. A Saint-Jean-de-Luz, le 15 octobre 1659[531]. J'eus l'honneur de vous écrire l'autre jour, par le sieur de Vaubrun, plus pour vous donner de mes nouvelles que pour avoir rien de nouveau à vous mander. J'en fais de même à présent par M. de Mérinville, que j'ai prié de s'en aller à Toulouse afin de servir dans les États avec ses amis, comme il fera fort utilement. Il vous dira que je me porte beaucoup mieux quoique assez faible; cela ne m'empêchera pourtant pas de me faire porter demain au lieu de la conférence afin de hâter la fin de ce traité, étant nécessaire d'ajuster avec don Louis certaines choses lesquelles, bien que de petite conséquence, n'ont pas laissé d'arrêter le travail de M. de Lionne et de Pedro Coloma. Je reconnais que mon plus grand mal procède de l'impatience que j'ai de me rendre auprès de vous et de la _Confidente_, et qu'il durera jusqu'à tant que j'aie ce bonheur que je souhaite plus que ma vie. MAZARIN A LA REINE. A Saint-Jean-de-Luz, le 20 octobre 1659[532]. Je reconnais bien qu'à moins que les Anges[533] vous eussent inspiré de m'écrire une lettre si obligeante que celle que je viens de recevoir du 7 du courant, il vous (eût) été impossible de la fermer avec des termes si tendres et si avantageux pour moi qui ne désire autre chose, avec plus de passion, que d'être toujours assuré de l'honneur de votre amitié. Je vous déclare encore une fois que rien n'est capable de m'en faire douter, quelque chose qui puisse arriver; mais je vous avoue, à même temps, que vous me combleriez d'obligations si vous aviez la bonté un jour de vouloir apporter quelque remède à ce que vous savez, qui me fait de la peine et qui me la fera toute ma vie. Je vous conjure de vous souvenir de ce qu'il a plu de me faire espérer sur ce sujet, et qu'assurément la passion et la fidélité que j'ai pour vous et pour la moindre de vos satisfactions mérite bien que vous songiez un petit à guérir la maladie qui, sans votre assistance, sera incurable. Vous en avez eu, depuis peu de jours, une belle occasion, ayant vu plusieurs lettres de la cour qui portaient que la personne dont il est question[534] vous avait bien fâchée par des emportements qui étaient fort contre le respect que tout le monde vous doit, et pour une affaire dont il n'y a qui que ce soit qui ne la condamne, outre que l'ouverture de la cassette[535] sera de grand préjudice puisqu'il sera public ce que du Bosc y avait laissé pour servir le _Confident_ en ce que vous savez. Je vous réplique que tout le monde témoigne d'être scandalisé du procédé de ladite personne, et, chacun sachant qu'elle ne m'aime pas et que vous avez la bonté de souffrir la hauteur avec laquelle elle se conduit avec sa propre maîtresse, tous tirent une conséquence qu'elle a tout pouvoir avec vous. Je vous demande pardon de ce que je prends la liberté de vous écrire sur cette matière puisque cela ne procède que de l'amitié et de la confiance que j'ai aux Anges qui seront toujours (les maîtres)[536] d'en user en cela et en tout ce qui me regardera comme ils voudront, sans que je change jusqu'à la mort d'être ce que je dois. En quoi vous ne m'avez pas beaucoup d'obligation puisque, quand même je le voudrais, il me serait impossible de l'exécuter; mais j'ai grande joie de savoir que je ne le pourrai et je ne le voudrai jamais. MAZARIN AU ROI. A Saint-Jean-de-Luz, le 24 octobre 1659[537]. ... Don Louis m'a demandé une conférence après la signature pour m'entretenir sur tout ce qu'il y aura à faire à la venue de l'Infante en cette frontière et sur d'autres intérêts qui regardent le vôtre et celui du Roi catholique. Après, si je ne prends, avec toute diligence, le chemin de Toulouse, je consens qu'on dise que j'ai l'esprit égaré. Je vous conjure de ne vouloir pas, sous quelque prétexte que ce puisse être, troubler le repos des personnes qui habitent proche de la mer[538], et de croire que je vous en aurai la dernière obligation plus pour votre bien que pour aucune autre considération. MAZARIN AU ROI. A Saint-Jean-de-Luz, le 1er novembre 1659[539]. Monsieur de Saucourt m'a rendu votre lettre, et il m'a entretenu sur les chevaux que vous avez reçus. Je souhaiterais que vous pussiez, contre l'opinion de M. le premier[540], vous en servir au carrosse, au lieu de ceux qui y étaient destinés; mais je crois qu'il sera très-difficile, pour ne pas dire impossible, car don Louis m'a dit la même chose et que le roi d'Espagne avait reconnu qu'il avait été très-périlleux si on se fût voulu opiniâtrer de les atteler au carrosse, quoique le cocher en Espagne n'est pas assis, mais il monte le cheval du timon. Mais, en tout cas, de quoi je vous supplie très-humblement, c'est de ne vouloir pas, en aucune façon ni en aucun temps, les mener vous-même, étant impossible qu'il n'arrive quelque grand inconvénient, à qui que ce soit qui le fasse. Je vous rends mille grâces de ce qu'il vous a plu m'écrire touchant La Rochelle[541]. J'en suis très-satisfait, et au dernier point des nouvelles assurances que vous me donnez de votre bienveillance dont je tâcherai de mériter la continuation par tous les services imaginables que je vous pourrai rendre. MAZARIN A LA REINE. A Saint-Jean-de-Luz, le 1er novembre 1659[542]. Je viens de recevoir votre lettre du 28 du passé et je suis au désespoir de vous avoir donné sujet de me faire un si grand éclaircissement, lequel, au lieu de me consoler, me donne encore plus de peine, voyant que l'affection que vous avez pour la personne[543] ne vous permet pas de croire qu'elle soit capable de faire jamais aucune faute. Je vous supplie d'avoir la bonté de me pardonner si j'ai pris la hardiesse de vous en parler, vous promettant de ne le faire de ma vie et de souffrir avec patience l'enfer que cette personne me fait éprouver. Je vous dois encore davantage que cela, et, quand je devrais mourir mille fois, je ne manquerai pas aux obligations infinies que je vous ai, et, quand je serais assez méchant et ingrat pour le vouloir, l'amitié que j'ai pour vous, qui ne finira pas même dans le tombeau, m'en empêcherait. Je souhaiterais vous pouvoir encore dire davantage, et, s'il m'était permis de vous envoyer mon cœur, assurément vous y verriez des choses qui ne vous déplairaient pas et plus dans cet instant que je vous écris qu'il n'a jamais été, quoique je voie, par la lettre que vous m'avez écrite, que vous avez oublié ce qu'il vous plût me dire avec tant de bonté à Paris, lorsque nous parlâmes si à fond sur le sujet de la même personne, laquelle a toujours été la seule cause de mes plaintes et du déplaisir que vous en avez témoigné en divers rencontres. Mais il ne faut pas vous importuner davantage, et je dois me contenter des assurances que vous me donnez de votre amitié sans prétendre de vous gehenner (gêner) à n'en avoir pas pour cette personne[544], puisqu'il vous plaît de nous conserver tous deux à votre service. Je vous conjure de nouveau à genoux de me pardonner si je vous donne du chagrin en vous ouvrant mon cœur qui ne vous cachera jamais rien, et je vous confirme que, si je devais vivre cent ans, je ne vous en dirais jamais un seul mot et que je serai toujours le même à votre égard, avec certitude que vous n'aurez pas en aucun temps le moindre sujet de douter de ma passion extrême pour votre service ni de mon amitié qui n'aura jamais de semblable, si les Anges[545] me veulent rendre justice, le croyant ainsi, et je vous supplie de me rendre de bons offices auprès d'eux, vous protestant, comme si j'étais devant Dieu, que je les mérite. A MADAME DE VENEL. De Toulouse, 9 décembre 1659[546]. Je voulais attendre le retour de M. de Fréjus pour savoir de lui les sentiments de ma nièce et les vôtres sur ce qu'il y avait à faire à présent pour sa plus grande satisfaction, dans l'impossibilité de la faire revenir avec ses sœurs à la cour par les raisons qui tombent aisément dans l'esprit d'un chacun, et qui auront eu sans doute grande force sur le sien, ayant beaucoup de jugement et la connaissance qu'il faut pour être persuadée qu'on n'en peut pas user dans la conjoncture présente d'une autre manière qu'on fait. Et comme je vois que le séjour de Brouage n'est pas trop agréable dans la saison où nous sommes, et que mes nièces, ses sœurs, se plairaient plus en quelques autres endroits, en attendant le retour de la cour à Paris, je dépêche ce gentilhomme exprès pour vous dire que, si ma nièce veut aller avec ses sœurs à Poitiers, ou à quelqu'un des châteaux de l'évêque de ce lieu-là, qui est le frère du maréchal de Clérembault[547] et qui s'y en ira, s'il sait qu'on prenne cette résolution, pour les recevoir, et faire tout ce qui dépendra de lui pour leur divertissement, vous les y pourrez amener; comme, si elles veulent aller à Amboise ou à Chenonceaux, qui est aussi un beau lieu appartenant à M. de Mercœur, ou enfin à Fontainebleau, ou à Paris, chez moi, pour y demeurer et aller de temps en temps à Vincennes, comme il plaira davantage à ma nièce. Je trouve bon que vous vous conformiez en cela à ce qu'elle désirera le plus. Je n'ai jamais songé à séparer Hortense de ma nièce[548]; j'avais seulement dit à M. de Fréjus qu'en cas qu'il reconnût qu'elle ne recevrait pas de déplaisir, si Marianne revenait auprès de moi, j'en eusse été bien aise, parce qu'elle m'aurait diverti quelquefois: mais je préfère en cela leur contentement au mien, et, si ma nièce et Hortense sont bien aises que Marianne les accompagne, j'en suis content aussi. Au reste, j'ai reçu toutes vos lettres, et j'ai été bien aise de tout ce que vous m'avez mandé à l'avantage de ma nièce et de la forte passion que vous reconnaissez de plus en plus en elle de faire les choses qui me peuvent plaire davantage. Aussi, continuant à faire de la sorte, elle doit être assurée qu'elle recevra des marques effectives de mon amitié, et d'une telle manière qu'elle sera heureuse, et ne se repentira pas d'avoir suivi mes conseils. Vous verrez ce que je lui écris, ne doutant point qu'elle ne vous le communique; c'est pourquoi je ne vous répliquerai pas autre chose là-dessus; j'ajouterai seulement que j'ai été ravi de la lettre que M. le Grand Maître[549] m'a rendue de sa part en arrivant ici, ayant reconnu qu'elle ne veut avoir rien de caché pour moi, puisqu'elle m'a ouvert son cœur avec toute sincérité dans l'occasion que vous savez. Je vous prie de faire mes recommandations à Hortense et de lui dire de ma part de se tenir bien droite, d'apprendre bien à danser et de faire bien la révérence. Vous lui direz aussi et à Marianne que je les salue avec plaisir, et je vous prie de croire, en votre particulier, qu'il n'y a personne qui ait plus d'estime et d'amitié pour vous que, etc. APPENDICE APPENDICE TROIS PROBLÈMES DE LA VIE DE MAZARIN Mazarin était-il l'amant d'Anne d'Autriche? Était-il marié secrètement avec elle?—Était-il prêtre? Quelle était la nature des relations de Mazarin avec la Reine?—Y eut-il entre eux un mariage secret?—Mazarin était-il prêtre?—Nous allons examiner successivement ces trois problèmes. Lorsque Mazarin eut succédé à Richelieu, il afficha pendant plusieurs années le plus grand désintéressement et sembla inaccessible à toute pensée de népotisme. «Il déclarait, dit La Rochefoucauld dans ses Mémoires, qu'il ne voulait rien pour lui et que, toute sa famille étant en Italie, il voulait adopter pour ses parents tous les serviteurs de la Reine, et chercher également sa sûreté et sa grandeur à les combler de biens.» En montrant les statues antiques qu'il faisait venir de Rome, il disait que c'étaient là les seules parentes qu'il voulut avoir en France. A la différence de «l'âpre et redoutable Richelieu», qui «avait foudroyé plutôt que gouverné les humains», il se montrait «doux, bénin», humble, modeste, sans ambition, civil, accessible à tous, plein de bonne grâce, d'insinuation, de bienveillance. «On dînait avec lui comme avec un particulier[550]»; «il relâcha même beaucoup de la morgue des cardinaux les plus ordinaires[551]». Bref, «il fit si bien qu'il se trouva sur la tête de tout le monde, dans le temps que tout le monde croyait l'avoir encore à ses côtés[552].» Richelieu avait trouvé sa force dans l'esprit de Louis XIII, il s'était imposé à lui par le pur ascendant de son génie; Mazarin, pour asseoir sa domination, pour faire adopter sa politique par Anne d'Autriche, n'eut pas d'autre soin et d'autre moyen que de gagner son cœur. Parmi tant de seigneurs si renommés par leur élégance, leur grand air, leurs nobles manières, il se faisait remarquer par sa grâce tout italienne et les soins exquis qu'il prenait de sa personne. Bien qu'il eût quarante ans, il était sans contredit un des plus beaux hommes de la cour. «D'une belle taille, un peu au-dessous de la médiocre; le teint vif et beau, les yeux pleins de feu, le nez grand, le front large et majestueux, les cheveux châtains et un peu crépus, la barbe plus noire et toujours bien relevée avec le fer,» les mains belles et fort soignées, tel est le portrait que nous a laissé de lui Henri de Loménie, comte de Brienne[553]. «Il avait le don de plaire, dit de son côté Mme de Motteville, qui ne l'aimait pas, et il était impossible de ne pas se laisser charmer par ses douceurs.» «Il était l'homme du monde le mieux fait; il était beau; il avait l'abord agréable, l'esprit d'une grande étendue; il l'avait fin, insinuant, délicat; il faisait fort plaisamment un conte...» Qui parle ainsi? Le satirique Bussy-Rabutin. Tel était le séduisant successeur de Richelieu, qui eut l'art de s'insinuer si avant dans la faveur de sa maîtresse. Anne d'Autriche, encore belle et qui n'était pas impunément Espagnole, Anne, qui se plaisait aux conversations galantes, aux lectures romanesques, et dont la fierté n'avait peut-être pas été insensible aux folles déclarations de Buckingham, se montra moins sévère pour Mazarin que pour Richelieu. Mazarin commença à venir les soirs chez la Reine, il eut avec elle de grandes conférences. «Sa manière douce et humble, sous laquelle il cachait son ambition et ses desseins, faisait que la cabale contraire n'en avait quasi pas peur[554].» Mais insensiblement les choses changèrent de face. Pour pénétrer au cœur de la place, il se fit nommer surintendant de l'éducation du jeune Roi, ce qui rendait constamment nécessaire sa présence au Palais-Royal. Il y eut son logement. Les conférences politiques y devinrent si fréquentes et si longues, que les courtisans et les dévots s'en alarmèrent et se liguèrent pour rompre le charme à sa naissance. La prude et gracieuse Mme de Hautefort fut chargée la première d'avertir la Reine des bruits fâcheux qui couraient sur elle; mal lui en prit, elle fut aussitôt disgraciée par le cardinal, qui eut soin de la noter sur ses _carnets_[555]. La cabale dévote ne se tint pas pour battue et poursuivit ses insinuations. Mazarin voit des ennemis partout. Comme la Reine suivait assidûment les minutieuses pratiques de la dévotion espagnole, qu'elle fréquentait sans cesse les églises, le Val-de-Grâce, «il s'en prend aux couvents, aux moines, aux dévots et dévotes, qui, sous prétexte d'entretenir la ferveur de la Reine, n'ont d'autre but, dit-il, que de lui faire perdre son temps à tout cela, «afin qu'elle n'en ait plus pour ses affaires et pour me parler.» «La Reine, dit-il encore, subordonne les affaires publiques aux affaires domestiques et particulièrement aux affaires de dévotion; elle devrait faire tout le contraire... Dieu est partout, et la Reine pourrait le prier dans son oratoire[556].» Mme de Brienne, femme du secrétaire d'État, osa un jour, elle aussi, entretenir la Reine des malins propos qui couraient sur son compte à la cour et à la ville. Comme elle ne lui déguisa rien, elle s'aperçut, sans en faire semblant, que plus d'une fois la Reine «rougit jusque dans le blanc des yeux». Lorsqu'elle eut fini, Anne, les yeux mouillés de larmes, lui répondit: «Pourquoi, ma chère, ne m'as-tu pas dit cela plus tôt? Je t'avoue que je l'aime, et je te puis dire même tendrement; mais l'affection que je lui porte ne va pas jusqu'à l'amour, ou si elle y va, sans que je le sache, mes sens n'y ont point de part; mon esprit seulement est charmé de la beauté de son esprit. Cela serait-il criminel? Ne me flatte point; s'il y a même dans cet amour l'ombre du péché, j'y renonce dès maintenant devant Dieu et devant les saints dont les reliques reposent en cet oratoire. Je ne lui parlerai désormais, je t'assure, que des affaires d'État, et romprai la conversation dès qu'il me parlera d'autre chose.» Mme de Brienne, qui était à genoux, prit la main de la Reine, la baisa, la plaça près d'un reliquaire qu'elle venait de prendre sur l'autel de la chapelle du Palais-Royal: «Jurez-moi, Madame, dit-elle, je vous en supplie, jurez-moi sur ces saintes reliques, de tenir à jamais ce que vous venez de promettre à Dieu.» —«Je le jure, dit la Reine, en posant sa main sur le reliquaire et je prie Dieu, de plus, de me punir si j'y sais le moindre mal...[557].» Faut-il s'en tenir à l'explication platonique donnée par la Reine à sa confidente? Peut-être, à cette époque, Anne d'Autriche parlait-elle en toute vérité et sincérité; peut-être avait-elle résisté jusque-là aux séductions du cardinal. Mais, à coup sûr, la suite a suffisamment prouvé qu'elle ne tint pas bien son serment. On connaît les curieuses révélations de La Porte, le fidèle valet de chambre du Roi, qui, lui aussi, fut chassé de la cour pour avoir parlé trop franc à sa maîtresse[558]. Le cardinal de Retz est un peu trop suspect pour que l'on n'écarte pas son témoignage sur un tel sujet. Il ne faut non plus accorder nul crédit aux pamphlétaires du temps, mais ce dont il faut tenir compte et ce qui fait éclater la vérité dans tout son jour, c'est la correspondance de Mazarin avec Anne d'Autriche et les réponses de la Reine à Mazarin. Ce sont là d'irrécusables témoins. Jamais amants n'usèrent entre eux d'un langage plus tendre, plus passionné. Ces lettres étaient écrites en chiffre, et, à l'abri de ce chiffre, qu'ils croyaient sûr, l'un et l'autre s'exprimaient avec le plus entier abandon. Non, ce n'étaient pas là de pures phrases de galanterie, à la façon des Italiens. La passion est vraie, profonde, surtout du côté de la Reine. Deux chiffres mystérieux terminent toutes les lettres des deux amants. L'un exprime la passion de Mazarin pour sa maîtresse, l'autre celle d'Anne pour son favori. M. Ravenel, dans sa publication des _Lettres de Mazarin à la Reine_, les a interprétés ainsi et nous avons découvert la preuve qu'il ne s'est pas trompé. Baluze, le secrétaire de Colbert et son confident, qui eut entre les mains tous les papiers du cardinal, donne la clé de tous les chiffres de la Reine et de son cher correspondant. Or il s'arrête respectueusement devant les deux chiffres exprimant l'un l'amour de la Reine pour le cardinal, l'autre l'amour de Mazarin pour la Reine, chiffres qui se trouvent à la fin de toutes les lettres qu'ils s'adressent. Il n'en donne aucune explication et son silence même est tout à fait caractéristique. Relisez la lettre brûlante que Mazarin écrit de Brulh à la Reine, le 11 mai 1651; elle ne peut être que d'un amant. Pendant la Fronde, alors qu'il est exilé et que la Reine languit loin de lui, elle termine ainsi une de ses lettres: «Jusqu'au dernier soupir; adieu, je n'en puis plus[559].» On pourrait multiplier des citations semblables presque à l'infini. Contentons-nous de citer un passage d'une autre lettre qu'elle lui écrivait, le 30 juillet 1660. Elle avait alors soixante ans: «Votre lettre m'a donné une grande joie; je ne sais si je serai assez heureuse pour que vous le croyez. Si j'avais cru qu'une de mes lettres vous eût autant plu, j'en aurais écrit de bon cœur, et il est vrai que de voir les transports avec [lesquels] on les reçut, et je les voyais lire, _me faisait souvenir d'un autre temps, dont je me souviens presque à tous moments, quoi que vous en puissiez croire_. Si je pouvais aussi bien faire voir mon cœur que ce que je vous dis sur ce papier, je suis assurée que vous seriez content, ou vous seriez le plus ingrat homme du monde; et je ne crois pas que cela soit[560].» Cette invincible, cette immuable passion de la Reine peut seule nous expliquer l'obstination sans égale qu'elle mit, pendant la Fronde, à maintenir aux affaires son premier ministre. Ce fut en vain que tous les partis se déchaînèrent contre lui, en vain qu'il fut déchiré par les pamphlétaires, livré au mépris public, banni par le parlement, décrété de prise de corps; en vain que sa tête fut mise à prix. La Reine, pour le sauver, joua plus d'une fois sa couronne, et il revint triomphant. Cette résistance d'Anne d'Autriche aux vœux unanimes de tous les corps de l'État et de la plupart de ses sujets serait presque inexplicable si la politique seule avait pu la lui inspirer. Examinons maintenant les deux autres problèmes historiques dont nous avons parlé plus haut: Mazarin était-il prêtre? Fut-il secrètement marié avec Anne d'Autriche? Essayons de les résoudre d'une manière qui nous semble plus concluante, à l'aide de nouvelles preuves et de documents peu connus. Et d'abord Mazarin était-il prêtre? Le cardinalat, commençons par le rappeler, est une dignité de la cour de Rome, qui n'implique nullement la possession des ordres. De tout temps il a existé, et jusqu'à notre siècle, des cardinaux laïques et qui sont restés tels jusqu'à leur mort. Plus d'une fois les papes ont conféré la pourpre à des hommes qui ne se sentaient pas appelés au ministère ecclésiastique, mais dont ils jugeaient la présence utile dans leurs conseils. Nombre de cardinaux n'ont jamais été que simples diacres. Tel était, de nos jours, le cardinal Antonelli. Mazarin avait été nommé cardinal avec dispense, en 1640, sans être diacre. Il ne fut jamais que tonsuré. En 1649, il n'était pas entré dans les ordres, c'est ce que constate l'abbé de Laffemas dans sa _Mazarinade_: Vous êtes un grand cardinal, Un homme de haute entreprise, Vingt fois abbé, prince d'Église, Quoique ne soyez _in sacris_, N'ayant ordres donnés ni pris, Et n'ayant point le caractère, Non plus que l'art du _ministère_. Et l'abbé de Laffemas ne se trompait pas; car, deux ou trois ans après, Mazarin, pendant un de ses exils, prévoyant le cas où il serait forcé de se rendre à Rome pour y assister au conclave, dans le cas où le pape Innocent X, dont la santé était fort menacée, viendrait à succomber, écrivait à l'un de ses confidents à Rome, l'abbé Elpidio Benedetti, cette lettre qui résout la question d'une manière tout à fait décisive, au moins jusqu'à cette époque: «Quant à la bulle pour défaut des ordres, la privation de la voix active (pour un cardinal) dans le conclave n'est pas de peu de considération, et, pour cela, je désirerais savoir si, lorsque je prendrai les ordres, je resterai investi de cette voix, sans qu'il faille obtenir une autre dispense[561].» Comme Mazarin s'était opposé sourdement et par toutes sortes de voies à l'exaltation d'Innocent X, le pape, qui lui en gardait une implacable rancune, lui refusa la dispense qu'il demandait. C'est ce qui résulte de deux dépêches adressées au comte de Brienne, secrétaire d'État des affaires étrangères par le sieur Gueffier, agent de la France à Rome. Dans la première (7 août 1651), Gueffier annonce que Mazarin a fait demander au pape un indult pour recevoir les ordres _extra tempora_, et que le Saint-Père a refusé cette dispense[562]. Cette dépêche est confirmée par une autre lettre du même agent, en date du 21 août 1651 et qui n'est pas moins significative[563]. Sous le coup de ce refus, Mazarin jusqu'à sa mort ne paraît avoir donné aucune suite à cette demande. Dans les correspondances de notre ambassade à Rome, on ne trouve pas la moindre trace qu'il ait fait une nouvelle tentative de ce genre; ou, s'il la fit, il ne fut pas plus heureux auprès du successeur d'Innocent X, car nous avons découvert des documents authentiques qui prouvent qu'il mourut sans avoir reçu aucun ordre sacré. On voit en effet dans plusieurs oraisons funèbres qui furent en son honneur prononcées à Rome, en français, en latin, en italien et en espagnol, qu'il resta jusqu'à sa mort cardinal laïque. Citons-en deux passages qui résolvent la question d'une manière décisive: «Ah Dieu, dit le Père Léon, religieux carme de l'Observance de Rennes, quelles clartés et quelles obscurités (dans la vie de Mazarin), quelles lumières et quelles ombres vont rehaussant la beauté de cette peinture! Un Italien français, un soldat docteur aux lois, _un laïque sans ordres sacrés_ et un éminentissime _cardinal_[564].» Le même religieux, en prononçant en latin le même éloge funèbre, revient sur ces étranges contrastes de la vie de Mazarin, sur les divers personnages qu'il joua aux diverses époques de sa brillante carrière[565]. Malgré ces preuves décisives, on a produit des arguments et des semblants de preuves contraires qu'il est indispensable de réduire à leur juste valeur pour ne laisser planer sur la question aucune obscurité, aucune contradiction. Le savant Père Theiner, qui fut, pendant plusieurs années, gardien des archives secrètes du Vatican, écrivait, le 25 mars 1865, à M. Loiseleur: «Nos actes du 16 décembre 1641, où Jules Mazarin a été créé cardinal, ne disent point s'il a été prêtre ou non. Comme il a été cependant admis à l'ordre des cardinaux-prêtres, il est hors de doute qu'il a été prêtre. Mazarin accompagnait le cardinal Spinola, légat extraordinaire envoyé en France pour rétablir la paix entre la France et l'Italie, à cause des Espagnols (œuvre glorieuse de Mazarin et qui créa sa position en France). De retour de cette légation à Rome, Urbain VIII le nommait chanoine de Saint-Jean-de-Latran, autre preuve irréfragable qu'il a été prêtre, car, à Rome, on n'admettait aux canonicats des basiliques patriarcales que des prêtres.» Le très-érudit M. Loiseleur ne se laissa pas prendre à ce que semblent présenter de solide, à première vue, de telles preuves, et voici de quelle manière il en montra le côté faible: «Le Sacré Collège étant divisé en trois ordres: _cardinaux-évêques_, _cardinaux-prêtres_, _cardinaux-diacres_, tout nouvel élu qui ne possède point l'ordre de son rang est astreint à le prendre dans l'année qui suit sa promotion: le clerc admis dans l'ordre des cardinaux-prêtres est obligé de devenir diacre ou prêtre dans le délai indiqué. Jusque-là, il n'est point admis au conclave. Telle est la rigueur des principes. Mais il est arrivé quelquefois que des cardinaux, simples clercs tonsurés ou minoristes, ont obtenu, à l'expiration de l'année qui suit leur promotion, un délai pour entrer dans les ordres, une sorte de prorogation plusieurs fois renouvelée. Il peut se faire ainsi que, longtemps après son élection, un cardinal ne soit point lié par l'ordination et même dépose la pourpre et se marie.» Il est donc évident, d'après les excellentes explications données par M. Loiseleur, que l'on pouvait voir figurer dans les trois ordres hiérarchiques du Sacré Collège, des cardinaux qui n'étaient ni évêques, ni prêtres, ni diacres, et telle était la position de Mazarin. De délais en délais, de remise en remise pour entrer dans les ordres, il était mort simple cardinal laïque. M. Loiseleur, en ce qui touche l'admission de Mazarin parmi les chanoines de Saint-Jean-de-Latran, qui, suivant leur institution, devaient être prêtres, ajoute que le cardinal dut tourner également la difficulté par une simple promesse d'entrer dans les ordres. On peut ajouter une autre considération, c'est que, pour faire partie de cet antique chapitre, l'obligation de la prêtrise n'était pas absolue, puisque le roi de France était, de plein droit, chanoine de Saint-Jean-de-Latran. Rien d'étonnant qu'il ait obtenu la même faveur pour son premier ministre. Après avoir rétabli si nettement la vérité sur ces deux points, et examiné d'une manière non moins lucide d'autres points de la même question, M. Loiseleur nous a semblé moins heureux lorsqu'il avance que Mazarin entra dans les ordres avant la fin de l'année 1653. Il ne s'appuie pour l'établir que sur des inductions et des probabilités et n'en fournit aucune preuve réelle; il ne produit aucune pièce officielle[566]. Enfin, pour prouver que Mazarin était prêtre, on a avancé qu'étant archevêque de Reims, il ne pouvait l'être qu'en cette qualité. On a oublié d'ajouter que le pape lui refusa constamment et absolument les bulles de cet archevêché, précisément parce qu'il ne remplissait pas la condition essentielle pour occuper d'une manière définitive un siége épiscopal. Mazarin ne fut archevêque de Reims, qu'au même titre que le duc de Guise, et que d'autres seigneurs de la même époque, qui furent archevêques et évêques _désignés_, en attendant qu'ils fussent entrés dans les ordres. Voilà ce qu'il ne faut pas perdre de vue. Mazarin, qui disposait à son gré de la feuille des bénéfices, s'était adjugé une soixantaine d'abbayes dont les revenus étaient considérables. L'archevêché de Reims était fort à sa convenance. Il espérait que le pape se contenterait d'une simple promesse de lui d'entrer dans les ordres et qu'il lui donnerait un titre de possession définitif, mais le pape lui répondit toujours par un refus sur lequel rien ne put le faire revenir. Il ne lui accorda jamais de bulles d'investiture pour l'archevêché de Reims. Il nous reste à examiner cette autre question non moins controversée: Mazarin était-il ou non secrètement marié avec la Reine? L'opinion que le mariage existait se trouve dans plusieurs pamphlets de la Fronde: «Ils étaient liés, est-il dit dans un de ces libelles, par un mariage de conscience, et le Père Vincent, supérieur de la Mission, avait ratifié le contrat[567].» Comment croire que le vénérable Vincent de Paul ait pu prêter les mains à une semblable union, qu'il eût considérée à bon droit comme une fraude et un sacrilège, alors que Mazarin ne cessait de garder son titre de cardinal, et qu'il était impossible qu'il pût avoir reçu de Rome une dispense pour se marier, sans qu'au préalable il n'eût déposé la pourpre? Dernièrement un écrivain de talent, qui a gardé l'anonyme, a de nouveau soutenu la thèse du mariage[568], et voici les principaux témoignages et autorités sur lesquels il se fonde. Mazarin n'était pas prêtre; la nature de l'intimité particulière dans laquelle il vivait avec la Reine étant inconciliable avec la dévotion excessive de cette princesse, le mariage seul pouvait tout concilier; enfin le mariage est affirmé catégoriquement par la Palatine, seconde femme du duc d'Orléans, frère de Louis XIV, et mère du régent. Belle-fille d'Anne d'Autriche, «elle devait être mieux que tout autre au courant des plus secrets détails concernant la famille royale[569].» Sans doute Mazarin n'était pas prêtre, et nous croyons l'avoir suffisamment prouvé, mais cette raison est-elle suffisante pour démontrer qu'il fût en état d'épouser Anne d'Autriche? Même en sa qualité de cardinal laïque, ne lui fallait-il pas absolument une dispense pour se marier? Qui ne sait que les qualités de cardinal et d'époux sont incompatibles, et que l'on ne saurait garder les deux à la fois? A-t-on jamais découvert une pareille dispense dans les archives du Vatican ou ailleurs? Et si Mazarin, jusqu'à la fin de sa vie, a porté le titre et les insignes de cardinal, que devient ce prétendu mariage? Cette incompatibilité n'a point échappé à l'esprit sagace de M. Loiseleur: «Ce problème de l'ordination du ministre d'Anne d'Autriche, dit-il[570], n'a point, avec celui de son prétendu mariage, l'intime relation qu'on a, bien à tort, imaginée. Qu'il fût prêtre ou non, Mazarin était cardinal et, à ce titre, il ne pouvait contracter mariage que sur une dispense de la cour de Rome, dispense que le souverain pontife pouvait accorder dans l'un et l'autre cas, mais à laquelle il eût certainement mis la condition formelle de sortir préalablement du Sacré Collège?. «Il y a, comme dit M. Michelet, des exemples de princes cardinaux, que Rome a décardinalisés lorsqu'une convenance politique les obligeait à rompre le vœu du célibat. Il n'y en a point à qui elle ait permis de conserver, comme serait le cas de Mazarin, leur dignité ecclésiastique après leur mariage.» L'argument tiré de l'extrême dévotion de la Reine ne nous paraît pas non plus très concluant. Combien n'a-t-on pas vu dans tous les temps, surtout en Espagne et en Italie, sans parler de la France, de charmantes pécheresses qui ont su concilier le péché et la dévotion, et auxquelles cette casuistique a semblé toute naturelle! Quant à l'autorité de la Palatine, on sait ce qu'elle vaut, à quel point elle renchérit, dans la plupart de ses historiettes, sur la malignité de Saint-Simon. Profondément ulcérée du mariage de Mademoiselle de Blois avec son fils, imposé par Louis XIV, il n'est sorte de calomnies dont elle n'ait diffamé les membres de la famille royale. Son témoignage, lorsqu'il s'agit de la Reine mère, ne nous semble donc d'aucune valeur. Quelle plus douce vengeance pour une princesse si cruellement offensée, quel plaisir pour une protestante, que d'accréditer le bruit du mariage d'un prince de l'Église avec une reine catholique! Mais pour qui connaît la fierté d'Anne d'Autriche, il est impossible de se faire à l'idée qu'elle eût pu consentir à donner sa main au fils d'un pêcheur de Palerme. Son vieux sang impérial et royal se fût révolté à cette seule pensée. TABLE DES MATIÈRES Pages. INTRODUCTION 1 Opinion de Voltaire sur les amours du Roi et de Marie Mancini.—Les trois projets de mariage de Louis XIV.—Documents inédits consultés par l'auteur. CHAPITRE PREMIER 9 Arrivée successive des nièces de Mazarin à la cour.—Les Mancini et les Martinozzi.—Ambition sans bornes de Mazarin, mise à découvert par plusieurs des mariages de ses nièces.—Olympe Mancini.—Premiers passe-temps de Louis XIV: Cateau la Borgnesse, Mlle de La Mothe-Argencourt, la comtesse de Soissons, etc.—Marie Mancini, ses divers portraits.—Maladie du Roi.—Douleur de Marie; passion naissante de Louis XIV pour elle.—Portrait du roi. CHAPITRE DEUXIÈME 29 La princesse Marguerite de Savoie.—Penchant de Mazarin et éloignement de la Reine pour ce mariage.—Départ des deux cours de France et de Savoie pour Lyon, et leur séjour dans cette ville.—Jalousies et secrètes menées de Marie Mancini.—Portrait de Marguerite de Savoie.—Goût de Louis XIV pour cette princesse.—Arrivée à Lyon d'un envoyé secret du roi d'Espagne, chargé d'offrir la main de l'Infante et la paix.—Intrigues de Marie Mancini.—Rupture du mariage de Savoie. CHAPITRE TROISIÈME 59 Projet conçu par Mazarin de marier le Roi avec sa nièce.—Opinion des contemporains sur ce point.—Infructueuse tentative du cardinal auprès de la Reine.—Volte-face de Mazarin.—Il engage sa nièce à renoncer à son projet de mariage avec le Roi.—Hostilités entre le Cardinal et sa nièce.—Nouvelle mission de Pimentel.—Demande de la main de Marie Mancini par le Roi.—Refus du Cardinal.—Séparation des deux amants.—Leurs adieux.—Départ de Marie Mancini et de ses deux sœurs Hortense et Marianne pour Brouage.—Protestation par acte authentique de la Reine contre le mariage éventuel du Roi et de Marie. CHAPITRE QUATRIÈME 79 Départ du Cardinal pour la frontière d'Espagne.—Il rejoint sa nièce Marie à Notre-Dame de Cléry et poursuit son voyage avec elle pour lui donner des conseils.—Nouvelles différentes qu'il donne au Roi et à la Reine-mère de l'état de sa nièce.—Désolation de Marie.—Conseils donnés au Roi par le Cardinal.—Ses lettres à ce prince.—Le comte de Vivonne.—Conspiration de Palais.—Exil de Vivonne.—Faiblesse d'Anne d'Autriche pour le Roi.— Active correspondance entre le Roi et Marie Mancini.—L'exilée de Brouage, ses tristesses et ses espérances.—Mme de Venel.—Espionnage de la petite Marianne.—Promesse de mariage faite à Marie Mancini par Louis XIV.—Désespoir de Mazarin.—Son éloquente lettre au Roi, datée de Cadillac.—Secrète protestation de la Reine contre le mariage éventuel du Roi et de Marie Mancini. CHAPITRE CINQUIÈME 105 Projet du Roi d'aller visiter Marie à Brouage.—Inquiétudes de Mazarin.—Moyen terme qu'il propose pour éviter le scandale de la visite du Roi.—Lettre inédite du Cardinal à Mme de Venel.—Marie Mancini adonnée à l'astrologie.—Son horoscope par son oncle.—Entrevue des deux amants à Saint-Jean-d'Angély.—Portrait moral de Marie Mancini par Mazarin.—Admirable lettre du Cardinal au Roi. CHAPITRE SIXIÈME 125 Anxiétés de Mazarin.—L'exilée de Brouage.—Sèche réponse du Roi à la lettre du Cardinal.—Accablement de Mazarin.—Ses lettres pleines d'humilité au Roi.—Héroïque désistement de Marie Mancini.—Joie du Cardinal.—Ses lettres inédites à Mme de Venel et à Marie Mancini. CHAPITRE SEPTIÈME 141 Dépit du Roi contre Marie Mancini.—Refroidissement de son amour.—Lettre inédite du Cardinal au Roi.—Impatience de Louis XIV d'épouser l'Infante.—Distractions que donne Mazarin à sa nièce et au Roi pour empêcher un retour de tendresse.—Le Roi songe à l'Infante.—Joie du Cardinal.—Projet du Roi d'écrire à Marie Mancini ou de lui envoyer un cadeau.—Conseils donnés par Mazarin à Louis XIV pour le dissuader de ce projet.—Le Roi se rend à ses remontrances. CHAPITRE HUITIÈME 153 Mission secrète d'Ondedei, évêque de Fréjus, auprès de Marie Mancini.—Instructions données à Mme de Venel par Mazarin au sujet de ses nièces.—Ses conseils et ses promesses à sa nièce Marie.—Départ pour Paris des exilées de Brouage.—La _Muse historique_ de Loret et les Mancini.—Règle de conduite que trace à ses nièces le cardinal Mazarin. CHAPITRE NEUVIÈME 165 Portrait de l'Infante.—Son amour pour Louis XIV.—Sentiments du Roi pour cette princesse.—Ses lettres inédites à l'Infante.—Le mariage royal par procuration.—Louis XIV _incognito_ à Fontarabie.—Galante lettre du Roi à l'Infante.—Célébration du mariage.—Naïves confidences de Mme de Motteville.—Pèlerinage d'amour à Brouage. CHAPITRE DIXIÈME 185 Entrée solennelle du Roi à Paris.—Marie Mancini demandée en mariage par le prince Charles de Lorraine.—Portrait de Charles IV, duc de Lorraine.—Ses divers mariages.—Amours du prince Charles de Lorraine et de Marie Mancini.—Portrait de ce prince.—Son projet d'épouser Marie Mancini traversé par son oncle, qui feint de se mettre lui-même sur les rangs.—Comédie jouée par le duc.—Ce que dit Marie Mancini dans ses Mémoires de ses relations avec le prince Charles.—Ses récits mensongers.—Sa présentation à Marie-Thérèse.—Froideur du Roi pour elle, et sa cause.—Reproches qu'elle adresse au Roi.—Amours du prince Charles et de Mlle d'Orléans.—Jalousie et vengeance du Roi contre Marie Mancini et le prince Charles.—Projet de mariage entre Hortense Mancini et Charles II, roi d'Angleterre. CHAPITRE ONZIÈME 213 Dernière maladie de Mazarin.—Il promet en mariage sa nièce Marie Mancini au prince Colonna, grand connétable du royaume de Naples.—Causes de ce projet de mariage.—Désespoir de Marie Mancini.—Sa passion pour le prince Charles de Lorraine.—Mort de Mazarin.—Retards que met le connétable à épouser Marie Mancini.—Prétendues offres à Marie d'autres partis par le Roi, et prétendus refus de Marie.—Motifs qu'elle en donne dans ses _Mémoires_.—Son mariage par procuration avec le connétable.—Elle est conduite jusqu'à Milan, où l'attendait M. Colonna.—Vrais sentiments de Louis XIV, à cette époque, pour la connétable.—Diversité des opinions de la cour sur les sentiments du Roi.—Lettres de Louis XIV au connétable et à Mme de Venel.—Maladie de Marie Mancini pendant le voyage.—Son arrivée à Rome. CHAPITRE DOUZIÈME 225 Mémoires de la duchesse de Mazarin, écrits par elle-même, en collaboration avec l'abbé de Saint-Réal.—Mémoires de Marie Mancini, dont la première partie lui est faussement attribuée; authenticité probable de la seconde.—_Apologie ou les véritables Mémoires de Madame Marie Mancini, connétable Colonna, etc._—Preuves de leur authenticité.—Autres sources consultées: _Lettres de la marquise de Villars_; _Mémoires de la cour d'Espagne_, par Mme d'Aulnoy; _Relation du voyage d'Espagne_, par la même, Mémoires attribués au marquis de Villars, ambassadeur de Louis XIV en Espagne; Lettres de Mme de Sévigné et de Mme de Scudéry, etc, etc. CHAPITRE TREIZIÈME 229 Première entrevue de Marie Mancini et du connétable Colonna.—Consommation du mariage.—Maladie de la connétable et ses causes.—Naissance d'un fils.—Vénus dans sa conque marine, scène mythologique.—Le carnaval à Venise.—Séparation de corps à l'amiable.—Passe-temps de M. le connétable avec trois marquises romaines.—Jalousie de Mme Colonna.—Chasse aux sangliers dans les Abruzzes.—Le cardinal Chigi et le chevalier de Lorraine.—Jalousie du connétable.—Projet de fuite. CHAPITRE QUATORZIÈME 259 Fuite des deux sœurs et leurs aventures sous des costumes d'hommes.—Étranges péripéties de leur traversée de Civita-Vecchia à Marseille.—Corsaire turc et galères du connétable à leur poursuite.—Leur arrivée à Marseille.—Le capitaine Manechini.—Arrivée des deux sœurs à Aix chez M. de Grignan.—Scandale causé en France par leur équipée.—M. de Saint-Simon.—Fuite au Pont-Saint-Esprit et à Grenoble sous la conduite du chevalier de Mirabeau.—Lettre de Marie-Thérèse à la connétable pour lui défendre de passer outre.—Désobéissance de Mme Colonna.—Ordres donnés contre elle.—Son arrivée à Fontainebleau.—Permission accordée par Louis XIV à la connétable de se retirer dans l'abbaye du Lys.—De cette abbaye elle est conduite sous escorte à celle d'Avenay.—Son départ pour Nevers, puis pour l'Italie. CHAPITRE QUINZIÈME 291 Séjour de la connétable à Turin dans un couvent.—Sa fuite à Chambéry pour rejoindre sa sœur et rentrer avec elle en France.—Ordres donnés par Louis XIV de fermer tous les passages.—Retour de la connétable à son couvent.—Sa rupture avec le duc de Savoie.—Départ de Mme Colonna pour la Flandre, sous la conduite du marquis de Borgomainero, ami et agent secret du connétable.—Arrivée à Malines.—Trahison du marquis.—La connétable est conduite prisonnière à la citadelle d'Anvers, puis à Bruxelles dans un couvent, et de là à Madrid dans un autre monastère.—Évasions successives de Mme Colonna.—L'abbé don Fernand Colonna, frère naturel du connétable.—Mme Colonna confiée à sa garde. CHAPITRE SEIZIÈME 319 Mme d'Aulnoy et Mme de Villars.—Leur liaison avec Mme Colonna.—Passe-temps de la connétable dans son couvent.—Ses aventures dans le _Prado_.—Portraits de Mme Colonna par Mmes de Villars et d'Aulnoy.—Cinquième évasion.—Séjour de Mme Colonna chez le marquis de los Balbases, son beau-frère.—Trahison du marquis.—Elle se réfugie à l'ambassade de France.—Elle est conduite dans un couvent à quatre lieues de Madrid.—Son retour à Madrid, son séjour dans un autre couvent, puis dans la maison du connétable.—Un amant de Mme Colonna.—Elle est conduite prisonnière dans la citadelle de Ségovie.—Scènes de violence.—Témoignages de pitié donnés à la captive par tout Madrid.—Pour sortir de la citadelle, elle consent à se faire religieuse.—Le noviciat.—Son refus de faire profession.—Dernière évasion.—Mort du connétable.—Mme Colonna à Passy.—Sa fin obscure. LETTRES DE MAZARIN 347 APPENDICE 407 Paris.—Typ. G. Chamerot, 19, rue des Saints-Pères.—9976. NOTES: [1] _Siècle de Louis XIV._ [2] _Siècle de Louis XIV._ [3] Voir, entre autres, l'édition la moins incomplète publiée en deux volumes in-12 à Amsterdam, en 1745, sous ce titre: _Lettres du cardinal Mazarin, où l'on voit le secret de la négociation de la paix des Pyrénées, etc._ [4] Le Recueil manuscrit de la Bibliothèque Mazarine, qui forme cinq volumes in-4, est relié en maroquin plein aux armes de Colbert et porte le no. H/1719/B; celui des affaires étrangères appartient au fonds _Espagne_, T. LXXI. [5] C'est à l'obligeance de M. Valfrey, qui prépare, comme on le sait, une savante et importante étude sur Hugues de Lionne, que nous devons cette précieuse indication. [6] Depuis duchesse de Mercœur. [7] Qui devint la comtesse de Soissons. [8] Plus tard, la princesse de Conti. [9] _Mémoires de Madame de Motteville._ [10] _Mémoires de Madame de Motteville._ [11] _Lettre d'un Religieux._ [12] _Les nièces de Mazarin_, par Amédée Renée. [13] «Quant à la Reine, dit Mme de Motteville, elle ne se fâchait point de cet attachement; mais elle ne pouvait souffrir, pas même en riant, qu'on parlât de cette amitié comme d'une chose qui pouvait tourner au légitime; la grandeur de son âme avait de l'horreur pour cet abaissement.» [14] _Histoire de Madame Henriette d'Angleterre._ [15] Suivant l'énergique expression de Saint-Simon (_Mémoires_, t. 1er), elle l'avait «_déniaisé_». «Ce Roi de seize ans, qui n'aimait pas les petites filles, s'arrangea des enchantements de cette vieille Circé.» _Les Nièces de Mazarin_, par Amédée Renée. [16] _Mémoires de Madame de Motteville._ [17] _Mémoires de Madame de Motteville._—_Mémoires_ de Walckenaer sur Mme de Sévigné, t. II, p. 108. [18] _Mémoires de Madame de Motteville._ [19] _Apologie ou les véritables Mémoires de Madame Marie Mancini, connétable de Colonna, écrits par elle-même._ [20] On remarquera la concordance sur ce point de l'_Apologie_ avec les _Mémoires de Madame de Motteville_. [21] C'est à la bouche de Marie Mancini qu'il est fait allusion dans un couplet du fameux cantique, faussement attribué à Bussy-Ra butin, et qui a été intercalé dans les éditions subreptices de l'_Histoire amoureuse des Gaules_: Que Deodatus est heureux De baiser ce bec amoureux Qui d'une oreille à l'autre va, Alléluia! [22] _Histoire de Madame Henriette d'Angleterre._ Éd. d'Amsterdam, 1720. [23] T. 1er, p. 168, édition Livet. [24] La Grèce pour la France. [25] Athènes pour Paris. [26] L'Académie française. [27] M. de la Ménardière. [28] L'opuscule manuscrit intitulé: _Les agréments de la jeunesse de Louis XIV, ou son amour pour Mademoiselle de Mancini_, qui a été publié pour la première fois par M. Paul Boiteau, dans son édition de l'_Histoire amoureuse des Gaules_ (t. II, p. 1 à 25), n'est qu'un roman inventé à plaisir et fort mal écrit. On n'y trouve que ce détail caractéristique et qui cadre avec ce que dit Mme de Motteville: «Le Cardinal eût bien voulu, par ostentation, faire plaisir à sa nièce, mais il trouvait tant de difficultés pour l'accomplissement de ce mariage, qu'il résolut de rompre pour toujours un commerce dont il craignait que les suites ne fussent pas heureuses...» [29] Mme de La Fayette dit que cette maladie était la petite vérole. [30] _Histoire de Madame Henriette d'Angleterre._ [31] «Le Roi, dit Mlle de Montpensier, était de bien meilleure humeur depuis qu'il était amoureux de Mlle Mancini. Elle lui avait fort conseillé de lire des romans et des vers. Il en avait une quantité, avec des recueils de poésies et de comédies.» [32] «Le Roi était tel que les poètes nous représentent ces hommes qu'ils ont divinisés...» «Il me souvint, en le voyant, de ces héros que les romans représentent couchés dans un bois ou sur le bord de la mer...» (_Mémoires de Madame de Motteville_). [33] «Le Roi était galant, mais souvent débauché, tout lui était bon, pourvu que ce fussent des femmes.» _Lettres de la Princesse Palatine_, mère du Régent, 24 décembre 1716. [34] _Mémoires de Madame de Motteville._ [35] _Mémoires de Montglat, comte de Clermont_, t. IV, édition d'Amsterdam, 1727. [36] _Mémoires de Madame de Motteville._ [37] _Mémoires de Madame de Motteville._ [38] _Ibidem._ [39] _Mémoires de Madame de Motteville._ [40] _Mémoires de Madame de Motteville._ [41] _Mémoires de Madame de Motteville._ [42] Nous empruntons tous ces intéressants détails aux _Mémoires de Mlle de Montpensier_. [43] _Mémoires de Mlle de Montpensier._ [44] _Mémoires de Mlle de Montpensier._ [45] Et pourtant. [46] _Mémoires de Madame de Motteville._ [47] _Mémoires de Mademoiselle de Montpensier_ et _de Montglat_. [48] _Mémoires de Madame de Motteville._ [49] _Ibidem._ [50] _Ibidem._ [51] «Un homme qui faisait tout, qui commandait absolument dans le royaume, et qui ne voulait pas que la moindre affaire se fît sans être ordonnée par lui, ne paraissait-il pas se moquer de la Reine quand il disait qu'il ne se mêlait pas de marier le Roi?» (_Mém. de Mme de Motteville._) [52] Pimentel, l'envoyé du roi d'Espagne, chargé de la négociation de la paix et du mariage de l'Infante avec Louis XIV, se trouvait à Mâcon le 19 novembre, au moment même du passage de la cour. Il écrivit ce jour là même à Mazarin pour lui annoncer la mission dont il était chargé. (Archives du ministère des affaires étrangères, correspondance d'Espagne, t. XXXIV, fol. 345). Mais il garda le plus strict _incognito_ jusqu'au moment où Mazarin lui permit de ne plus faire un mystère de sa venue, c'est-à-dire lorsque les choses furent assez avancées. Mazarin, de son côté, garda le plus profond secret sur l'arrivée de Pimentel, même à l'égard de la Reine, jusqu'au jour où il fut obligé de la lui faire connaître. Il y eut donc de la part du Cardinal toute une comédie, arrangée d'avance et dont les contemporains, et en particulier Mme de Motteville, qui crurent à l'arrivée soudaine et imprévue de Pimentel à Lyon, furent les dupes. Il n'y a aucun doute sur le fait curieux et inconnu que nous révélons pour la première fois au public. Je dois communication de la lettre de Pimentel à l'obligeance de M. Valfrey et je le prie de vouloir bien en agréer ici tous mes remercîments. [53] Mademoiselle de Montpensier, témoin oculaire, affirme dans ses _Mémoires_ que Pimentel ne vit le Cardinal que le lendemain de l'entrevue des deux cours. Montglat, comte de Clermont, qui était un des hommes les mieux renseignés et l'un des esprits les plus remarquables de la cour, nous dit que le cardinal Mazarin ne vit arriver Pimentel qu'avec une extrême défiance, supposant que ce n'était qu'une ruse des Espagnols pour faire rompre le mariage de Savoie: «La Reine, dit-il, qui aimait sa maison et qui avait une passion démesurée du mariage de son fils avec sa nièce, eut grande joie de cette ouverture, et dès l'heure ne songea plus qu'à se défaire de la duchesse de Savoie et à rompre son mariage. Le Cardinal y agit plus mûrement: il appréhenda que ce ne fût un artifice des Espagnols, pour faire partir la cour de Savoie mécontente et offensée, afin qu'à son retour en Piémont elle fût disposée à traiter avec eux en abandonnant la France pour se venger du mépris qu'elle en aurait reçu, et qu'après ils ne voulussent plus donner l'Infante au Roi, et ne fissent comme à Munster, où ils firent la proposition du même mariage afin de débaucher les Hollandais et, après y avoir réussi, se moquèrent des Français. Mais la Reine ne put jamais entrer dans ces défiances, et, pour détourner le Roi de l'inclination qu'il avait pour la princesse de Savoie, elle commença par lui faire la guerre de l'empressement qu'il avait auprès d'elle, en lui marquant ses défauts, et, par des railleries, elle l'en dégoûta si bien qu'il ne lui parla plus...» (_Mémoires de Montglat_, t. IV, édition d'Amsterdam, 1727.) [54] _Mémoires de Mlle de Montpensier._ [55] _Mémoires de Mlle de Montpensier._ [56] _Mémoires de Mademoiselle de Montpensier._ Mme de Motteville confirme le récit de Mademoiselle: «Mlle de Mancini, qui avait alors moins de maigreur et beaucoup de feu dans les yeux, n'était plus si laide qu'elle l'avait été. Sa passion l'embellissait; elle était même assez hardie pour être jalouse, et déjà elle avait fait de grands reproches au Roi de sa légèreté et de l'agrément qu'il avait eu d'abord pour la princesse Marguerite.» Voici comment Marie Mancini elle-même, dans son _Apologie_, raconte cet épisode du projet de mariage du Roi avec Marguerite de Savoie: «Il vint une tempête qui troubla pour quelque temps la douceur de ces jours, mais elle passa bientôt. On parla de marier le Roi avec la princesse Marguerite de Savoie, fille de Madame Royale, qui fut depuis duchesse de Parme, princesse assurément d'un très grand mérite, et cela obligea la cour de faire le voyage de Lyon. Cette nouvelle était capable de donner bien du trouble et de la peine à un cœur. Je le laisse à penser à ceux qui ont aimé, quel tourment ce doit être, la crainte de perdre ce qu'on aime extrêmement, surtout quand l'amour est fondé sur un si grand sujet d'aimer; quand, dis-je, la gloire autorise les mouvements du cœur, et que la raison est la première à le faire aimer.» Notons en passant cet aveu d'ambition. «Comme mon mal, poursuit-elle, était violent, il eut le destin des choses violentes: il ne dura pas longtemps, et ce mariage du Roi se rompit avec la même promptitude qu'il avait été entamé. Ce fut à don Antonio Pimentel que j'eus cette obligation, qui, étant arrivé dans le temps qu'on l'allait conclure, avec les propositions d'un traité de paix, dont il avait lui-même le projet, Leurs Altesses s'en retournèrent en Savoie, et mon âme reprit en même temps sa première tranquillité...» [57] Le Roi n'avait désiré la princesse de Savoie «que parce qu'il se voulait marier, et qu'elle ne lui avait pas déplu; mais, connaissant, par la bonté de son jugement, la distance infinie qu'il y avait entre l'Infante et elle,... il ne balança pas... à donner son consentement.» (_Mémoires de Madame de Motteville._) [58] «Il était habillé de deuil, botté, avec un justaucorps noir, un mouchoir noué de couleur de feu.» (_Mémoires de Mademoiselle de Montpensier._) [59] _Mémoires de Mlle de Montpensier_: «Ce fut en vain que la Grande Mademoiselle, qui trouvait ce prince fort à son goût, essaya de le séduire «par sa bonne mine, par sa belle taille... et par l'éclat qui lui restait d'une beauté qui avait été parfaite...» Elle n'eut pas plus de chance avec lui qu'avec tous les autres prétendants qu'elle avait convoités jusque-là.—La puissance formidable de Louis XIV ne permit pas à Charles-Emmanuel II de prendre une grande part aux événements de son temps et d'avoir une volonté. Ce prince n'eut d'autre occupation que de maintenir la paix dans ses États sans songer à les agrandir. En revanche, par sa douceur, par sa générosité et sa magnificence, il fit la conquête de tous ses sujets. Il embellit Turin, rendit la forteresse de Montmélian imprenable, fit percer à travers les montagnes, au passage de la _Grotte_, près des Échelles, des chemins qu'on admire encore, et fonda à Turin une société littéraire et une Académie de peinture. [60] _Mémoires de Mlle de Montpensier._ [61] _Mémoires de Montglat_, t. IV. [62] _Mémoires de Mlle de Montpensier._ [63] _Ibidem._ [64] Ranuce II. [65] En 1663. [66] _Mémoires de Madame de Motteville._ [67] _Mémoires de Mlle de Montpensier._ [68] C'est ce qui résulte d'un passage de son _Apologie_, qui se rapporte précisément à cette époque: «J'avais d'autant plus sujet d'être contente, dit-elle, que la Reine... me donnait incessamment des preuves d'une estime particulière, et que j'en recevais encore de mon oncle de plus grandes qu'il n'avait coutume de me donner.» [69] L'auteur anonyme de l'opuscule intitulé: _Le Palais-Royal ou les amours de Madame de La Vallière_, publié par M. Paul Boiteau dans son édition de l'_Histoire amoureuse des Gaules_ (t. II, p. 27 et suivantes), a laissé un portrait peu flatté de Marie Mancini: Le Roi, dit-il, «choisit Mlle de Mancini, laide, grosse, petite et l'air d'une cabaretière, mais de l'esprit comme un ange, ce qui faisait qu'en l'entendant on oubliait qu'elle était laide, et l'on s'y plaisait volontiers.» Il ajoute malicieusement qu'ils passaient de bonnes heures ensemble et que sans la surveillance de Mme de Venel...» Cette dame était, comme on le sait, gouvernante des nièces du cardinal, et celui-ci, qui connaissait leur tempérament méridional, n'était guère rassuré par l'incessant espionnage de cette vénérable duègne: «Mme de Venel, écrivait-il à la Reine, le 29 juillet 1659, fait tout ce qu'elle peut, mais la déférence qu'on a pour elle est fort médiocre.» Marie Mancini était trop ambitieuse et trop adroite pour ne pas se rendre compte que la possession eût tué peut-être l'amour du Roi; il y a donc tout lieu de croire qu'elle ne céda jamais à ses transports. [70] C'est ce que M. Henri Martin dit formellement dans une note fort intéressante de son _Histoire de France_ (4e édition, t. XII, p. 520, note 2). [71] _Mémoires de Mme de Motteville._ [72] _Mémoires de Mme de Motteville._ [73] On a dit que Mme de Motteville, ayant eu à se plaindre du Cardinal, pour un déni de justice envers son frère, elle s'était vengée de lui dans ses _Mémoires_. Bien que la confidente de la Reine ait lancé quelques traits piquants à Mazarin, elle était trop honnête pour avoir fabriqué la fameuse scène qu'elle nous a révélée. [74] «La suite de cette conversation, poursuit la confidente, a été amère à cette généreuse mère, par le ressentiment que ce ministre a caché à tout le monde, mais qu'il a conservé toute sa vie dans le cœur, et qui a produit en mille occasions des effets dont on n'a point su la cause. Le Roi même a pu ignorer jusqu'à quel point a été son ambition, qui était voilée sous les emportements de cette fille,... plus pardonnables à elle qu'à lui, et qui ne pouvaient déplaire à celui qui s'en voyait éperdument aimé.» Dans le texte que nous citons ci-dessus, il semble qu'il faudrait lire: «que j'y engagerais mon _second_ fils», c'est-à-dire Philippe d'Orléans. Sans l'addition de ce mot _second_, qui ne se trouve pas dans le manuscrit, le sens de la phrase serait incompréhensible. [75] Édition de 1709, t. III. [76] Olympe Mancini, dit Mme de La Fayette dans son _Histoire de madame Henriette d'Angleterre_ (édition d'Amsterdam, 1720). Olympe «avait naturellement de l'ambition, et, dans le temps où le Roi l'avait aimée, le trône ne lui avait point paru trop au-dessus d'elle, pour n'oser y aspirer. Son oncle, ajoute-t-elle, qui l'aimait fort, n'avait pas été éloigné du dessein de l'y faire monter; mais tous les faiseurs d'horoscopes l'avaient tellement assuré qu'elle ne pourrait y parvenir, qu'il en avait perdu la pensée et l'avait mariée au comte de Soissons.» [77] «Ç'a été un grand problème entre les politiques, dit Choisy (dans ses _Mémoires pour servir à l'histoire de Louis XIV_) de savoir si le Cardinal agissait de bonne foi, et s'il ne s'opposait au torrent que pour en augmenter la violence. J'ai vu le maréchal de Villeroi et feu M. le Premier agiter fortement la question, non pas ensemble (je l'aurais bien souhaité), mais chacun dans son cabinet. Ils apportaient une infinité de raisons pour et contre, et d'ordinaire ils concluaient en faveur de la sincérité du Cardinal, non qu'ils ne le crussent assez ambitieux pour avoir souhaité de voir sa nièce reine de France, mais ils le connaissaient fort timide, et incapable d'aller tête baissée contre la Reine-mère, qui serait devenue son ennemie sans retour; et cela sur la parole fort périlleuse d'un homme de vingt-cinq ans, qui aimait pour la première fois; au lieu qu'en refusant l'élévation d'une nièce qu'il n'avait pas sujet d'aimer fort tendrement (il savait qu'elle était assez folle pour se moquer de lui depuis le matin jusqu'au soir), au lieu, dis-je, qu'en faisant le héros par le mépris d'une couronne, il le devenait en effet, et faisait la paix, assurait son pouvoir, et persuadait le Roi d'une manière bien sensible de son attachement inviolable à la gloire de sa personne et au bien de l'État.» [78] _Journal général de l'instruction publique et des cultes._ Volume XXIII, no. 81, mercredi 11 octobre 1854. _Études historiques. Lettres inédites du cardinal Mazarin. Conduite du Cardinal envers ses nièces; ses relations avec Anne d'Autriche._ [79] Ajoutons qu'un homme distingué, M. F. Riaux, qui a annoté avec soin les _Mémoires de Madame de Motteville_, est tout à fait du même avis que nous sur cette question d'un intérêt capital. «De savants critiques, dit-il, ont cru trouver (dans les lettres de Mazarin à Mme de Venel) une preuve de l'inexactitude de ce passage des _Mémoires de Madame de Motteville_ où elle raconte l'orgueilleuse tentation qu'aurait eue un instant le Cardinal et la dure réponse d'Anne d'Autriche. Il n'y a cependant nulle contradiction à admettre, d'un côté, que la violente passion de Louis XIV ait produit un éclair d'ambition suprême dans l'esprit d'un ministre qui avait déjà marié une nièce avec le frère du grand Condé et une seconde nièce avec le prince Eugène de Savoie; et, de l'autre côté, qu'une fois son parti irrévocablement pris sur cette question, l'oncle ait mis ses sentiments pour sa famille d'accord avec ses devoirs d'homme d'État. Ce n'est pas une fois, et comme par occasion, que Mme de Motteville parle des velléités ambitieuses qu'aurait excitées chez Mazarin la passion du Roi pour Marie Mancini. C'est à plusieurs reprises et sous des formes variées qu'elle rappelle la _condescendance_ qu'il avait eue à Lyon _pour les emportements de cette fille_, condescendance qui établirait bien en effet que Mazarin n'aurait pas toujours traité de folie les idées et _les emportements passionnés de Mlle de Mancini_.» (Note de M. Riaux dans les _Mémoires de Madame de Motteville_, édition Charpentier.) M. Henri Martin ne s'est pas laissé prendre non plus au prétendu désintéressement de Mazarin dans cette circonstance: «On peut dire, à la vérité, a-t-il soin de déclarer dans une note (_Histoire de France_, t. XII, p. 517, note 2, édition de 1865), que Mazarin connaissait l'humeur très peu reconnaissante de ses nièces, et en particulier le peu d'affection que lui portait Marie, dont le caractère était tout à fait antipathique au sien: il comprit qu'il ne gagnerait rien à faire de Marie une Reine: ceci diminue l'honneur de son désintéressement, mais au profit de sa sagacité.» [80] «Le Cardinal, dit Mme de La Fayette (_Histoire d'Henriette d'Angleterre_), ne s'opposa pas d'abord à cette passion; il crut qu'elle ne pouvait être que conforme à ses intérêts, mais comme il vit dans la suite que sa nièce ne lui rendait aucun compte de ses conversations avec le Roi, et qu'elle prenait sur son esprit tout le crédit qui lui était possible, il commença à craindre qu'elle n'y en prît trop, et voulut apporter quelque diminution à son attachement. Il vit bientôt qu'il s'en était avisé trop tard; le Roi était entièrement abandonné à sa passion, et l'opposition qu'il fit pparaître ne servit qu'à aigrir contre lui l'esprit de sa nièce, et à la porter à lui rendre toute sorte de mauvais services. Elle n'en rendit pas moins à la Reine dans l'esprit du Roi, soit en lui décriant sa conduite pendant la Régence, ou en lui apprenant tout ce que la médisance avait inventé contre elle; enfin elle éloignait si bien de l'esprit du Roi tous ceux qui pouvaient lui nuire, et s'en rendit maîtresse si absolue, que pendant le temps que l'on commençait à traiter de la paix et du mariage, il demanda au Cardinal la permission de l'épouser, et, témoigna ensuite par toutes ses actions qu'il le souhaitait.» «Le Cardinal, ajoute-t-elle en faisant sans doute allusion à la fameuse scène que vient de nous raconter Mme de Motteville, _le Cardinal, qui savait que la Reine ne pourrait entendre sans horreur la proposition de ce mariage_, et que l'exécution en eût été très hasardeuse pour lui, se voulut faire un mérite envers la Reine et envers l'État d'une chose qu'il croyait contraire à ses propres intérêts. Il déclara au Roi qu'il ne consentirait jamais à lui laisser faire une alliance si disproportionnée et que, s'il la faisait de son autorité absolue, il lui demanderait à l'heure même de se retirer hors de France.» [81] _Madame de Motteville._ [82] _Mémoires de Mademoiselle de Montpensier._ [83] _Mémoires de Madame de Motteville._ [84] «La Reine, dit Mme de Motteville, se confia de ce dessein dans la fidélité que le Cardinal était obligé d'avoir pour elle; ce fut à lui-même à qui elle demanda le remède de ce mal, _quoiqu'il lui eût paru avoir sur ce sujet des tentations criminelles_, qu'il lui eût déjà manqué en beaucoup de grandes choses, qu'il eût usurpé toute sa puissance et qu'il eût pris plaisir à l'anéantir. Mais enfin ce même cœur, qui n'était pas assez bon pour s'appliquer à servir la Reine comme il devait, ne fut pas assez méchant pour lui manquer dans ce qu'il voyait lui être le plus sensible; et on peut dire qu'il mérite de grandes louanges pour avoir, malgré la grande passion qu'il avait de dominer et d'enfermer en soi toute l'autorité de la mère et du fils, pu se résoudre à faire une chose qui s'opposait à sa grandeur, par la seule raison qu'il était de son devoir de la faire...» [85] _Mémoires de Madame de Motteville._ [86] _Mémoires de Madame de Motteville._ [87] _Ibidem._ [88] _Ibidem._ [89] _Mémoires de Mademoiselle de Montpensier._ [90] _Mémoires de Madame de Motteville._ [91] _Mémoires de Madame de Motteville._ [92] _Ibidem._ [93] Tel est le texte donné par Mme de Motteville, qui place ces paroles au moment de cette première séparation à Paris. Mme de La Fayette met les mêmes expressions dans la bouche de Marie Mancini et au même moment. [94] «Le Cardinal, avant que de partir pour aller régler les articles (de la paix et du mariage espagnol), ne voulut pas laisser sa nièce à la cour: il résolut de l'envoyer à Brouage; le Roi en fut aussi affligé que le peut être un amant à qui l'on ôte sa maîtresse, mais Mlle Mancini, qui ne se contentait pas des mouvements de son cœur, et qui aurait voulu qu'il eût témoigné son amour par des actions d'autorité, lui reprocha, en lui voyant répandre des larmes lorsqu'elle monta en carrosse, qu'il pleurait et qu'il était le maître: ces reproches ne l'obligèrent pas à le vouloir être; il la laissa partir quelque affligé qu'il fût, lui promettant néanmoins qu'il ne consentirait jamais au mariage d'Espagne et qu'il n'abandonnerait pas le dessein de l'épouser.» (_Histoire de Madame Henriette d'Angleterre._) L'auteur de l'opuscule _Le Palais-Royal_, qui figure dans l'édition de l'_Histoire amoureuse des Gaules_, donnée par Jannet, suppose à tort que ces paroles furent prononcées par Marie Mancini lorsqu'elle partit pour l'Italie afin d'épouser le connétable Colonna. Bayle a consacré le chapitre LXXI des _Réponses aux questions d'un Provincial_ à démontrer que cette entrevue de Louis XIV et de Marie, au moment où elle est ainsi placée, n'est qu'une fable romanesque. Voici une autre variante des paroles de Marie Mancini à Louis XIV qui se trouve dans le manuscrit de Conrart intitulé: _Le Palais-Royal ou les amours de Madame de La Vallière_: «Le Roi pleura, cria, se jeta aux pieds du Cardinal, l'appelant son père; mais enfin, il était destiné que ces deux cœurs ne s'épouseraient pas. Mlle de Mancini, voyant son amant plus mort que vif, elle ne se sentant pas mieux, lui dit fort spirituellement, montant en carrosse pour partir: «Vous m'aimez, Sire, vous pleurez, vous vous désespérez, vous êtes le Roi, et cependant je pars!» Marie Mancini est très sobre de détails sur ce célèbre épisode de son histoire: «Voici, dit-elle, l'endroit de ma vie qui offre le plus beau champ à ma plume pour s'étendre sur le penchant favorable que Sa Majesté avait pour moi, comme le bruit en a assez couru dans le monde. Mais ma modestie ne me permet pas d'en parler, non plus que du regret que ce prince eut de mon départ et des larmes dont il l'accompagna, se retirant à Chantilly pour huit jours...» [95] _Mémoires de Madame de Motteville._ [96] «Par ce service elle se trouvait payée de la constance qu'elle avait eue à le maintenir contre les peuples, le parlement, les princes et ses ennemis particuliers.» (_Mémoires de Madame de Motteville._) [97] Voltaire, qu'il est souvent très bon d'avoir de son côté, est tout à fait de l'avis de Mme de Motteville sur les ambitieux desseins que nourrit d'abord le Cardinal au sujet de sa nièce. (_Siècle de Louis XIV._) [98] _Mémoires de Madame de Motteville._ [99] Son refus de consentir au vœu du Roi «lui donnait beaucoup de gloire, le sauvait même de beaucoup de honte et des malheurs qui suivent d'ordinaire une entreprise monstrueuse et trop hardie». (_Mémoires de Madame de Motteville._) [100] 29 juin 1659. Voy. à l'Appendice. [101] Notre-Dame de Cléry, 29 juin 1659.—_Lettres de Mazarin_, etc. Éd. d'Amsterdam, t. I. [102] _Apologie_, etc. [103] Le 30 juin. _Ibidem._ Dans cette même lettre Mazarin donnait au Roi d'intéressants détails sur son voyage: «M. le duc d'Orléans m'a envoyé Belloy à Cléry pour me convier à passer à Chambord avec grande presse. J'irai donc ce soir y souper et coucher, et demain je me rendrai à Amboise où je m'arrêterai un jour.» [104] «J'ai reçu votre lettre ce matin à Chambord, écrivait-il au Roi, d'Amboise le 1er juillet, tout prêt à monter en carrosse pour venir à Blois, et j'ai été contraint d'amener ici le mousquetaire qu'il vous a plu dépêcher: car mes nièces étaient parties de Saint-Dié à deux heures après minuit, pour n'être pas obligées de rendre leurs respects à Madame, passant à Blois avant quatre heures. Mais comme la lettre de ma nièce et la mienne vous auront appris qu'elle se portait parfaitement bien, je me suis consolé de n'avoir pu vous redépêcher le mousquetaire avec la diligence que vous m'ordonnez. Il vous confirmera qu'elle jouit d'une parfaite santé, l'ayant vue lui-même, et vous trouverez ci-jointe sa réponse...» (_Lettres de Mazarin_, t. I, p. 11.) «Il ne fit, dit Marie Mancini en parlant du Roi, que m'envoyer incessamment des courriers, dont le premier fut un mousquetaire, qui m'apporta cinq lettres de sa part, toutes fort grandes et fort tendres.» (_Apologie_, etc.) Nous n'avons pas besoin de faire remarquer, sur ce fait particulier, la parfaite concordance des _Mémoires_ de Marie avec les lettres de son oncle. [105] Lettre du 2 juillet 1659. [106] Châtellerault, 4 juillet 1659. [107] Armand de La Porte, fils du maréchal de La Meilleraye, qui avait succédé à son père dans la charge de grand-maître de l'artillerie, et qui, plus tard, lorsqu'il épousa Hortense Mancini, fut créé, par le Cardinal, duc de Mazarin. [108] Mazarin au Roi: «Toutes les gazettes et autres lettres écrites de Paris disent mille sottises, desquelles il se faut moquer, tâchant de les détruire avec des actions contraires à ce que malicieusement on publie pour préjudicier à vos affaires.» [109] _Lettres de Mazarin_, etc. t. I, Mazarin au Roi; Poitiers, 6 juillet 1659. [110] 6 juillet 1659. _Lettres de Mazarin_, t. I. [111] Marie Mancini. [112] Mazarin à la Reine, Poitiers, 6 juillet. Cette lettre n'est pas datée, mais on peut lui assigner cette date par la place de son classement. Voir à l'Appendice cette lettre à sa date. [113] Vivonne était le propre gendre de Mme de Mesmes, qui venait de révéler son intrigue à la Reine. Il avait épousé depuis peu Louise de Mesmes, très riche héritière et fille de Henri de Mesmes, seigneur de Boissy et Président au Parlement de Paris. [114] _Mémoires de Madame de Motteville._ [115] De Couhé, 6 juillet. _Lettres de Mazarin_, t. I. L'imprimé, par erreur, date la lettre du 16. Voy. à l'Appendice. [116] Mme de Motteville dit que «le jeune confident fut peu après exilé par les conseils de la Reine et du ministre.» [117] Mazarin au Roi, le 8 juillet, de Villefagnan, _Lettres de Mazarin_, t. I. Voy. à l'Appendice. [118] Il s'agit de Georges Brossin, chevalier de Méré, auteur de plusieurs ouvrages d'un style raffiné et quintessencié. [119] Même lettre que la précédente. [120] De Villefagnan, 8 juillet. Mazarin à la Reine. _Lettres de Mazarin_, t. I. Voy. à l'Appendice. [121] Bibliothèque Mazarine, ms. no. H/1719/B, t. III. [122] Marie Mancini. [123] Le courrier de la cour. [124] «C'était la Reine elle-même qui disait que si elle était en la place de son fils, elle en userait tout comme lui.» (Note sur ce passage dans le manuscrit des archives des affaires étrangères, Espagne, t. LXXI.) [125] C'est à dire au mariage du Roi avec Marie Mancini sans le consentement de la Reine et du Cardinal. [126] Il y a dans le manuscrit: «quoique sans _sa_ faute», ce qui n'a pas de sens. Voir les nombreuses erreurs de l'imprimé (édition de 1745, t. I, p. 234 vo.) en le comparant avec notre texte. Nous n'indiquons qu'en passant, et comme spécimen, les fautes grossières de cette édition et des autres. [127] Montlieu, 12 juillet. Voy. à l'Appendice. [128] Lettre de Mazarin à la Reine du 14 juillet (Bibl. Mazarine, Lettres manuscrites de Mazarin, t. III). [129] Mazarin au Roi, Libourne 14 juillet. Lettres manuscrites de Mazarin, t. III. Bibl. Mazarine. [130] _Apologie_, etc. [131] Nous avons trouvé ces nouveaux détails sur Mme de Venel dans une note d'un manuscrit des archives affaires étrangères, Espagne, t. LXXI. [132] Elle devint plus tard duchesse de Bouillon, et se fit distinguer par son esprit et son amour pour les lettres. Elle fut une des amies et protectrices de La Fontaine. [133] Lettre de Mazarin au Roi, datée de Cadillac, 16 juillet 1659. (Bibl. Mazarine. _Lettres manuscrites de Mazarin._) [134] Mazarin à la Reine. A Cadillac, le 16 juillet. _Lettres manuscrites de Mazarin_, t. III. (Bibl. Mazarine.) Voy. à l'Appendice. [135] «M. Le Tellier, disait-il à Louis XIV dans une autre lettre d'envoi, prendra soin de solliciter la réponse et de me l'envoyer sans perdre un moment de temps. Je le passerai fort mal jusqu'à temps que je l'aie reçue, et encore pis si elle n'est telle qu'il faut...» (De Cadillac, le 16 juillet 1659. _Lettres ms. de Mazarin._ Bibl. Mazarine, t. III.) [136] On pourra la lire en entier dans l'Appendice, où nous la publions d'après les textes authentiques des manuscrits de la Bibliothèque Mazarine et des archives du Ministère des affaires étrangères. Cette lettre est datée de Cadillac, le 16 juillet 1659. [137] L'infante Marie-Thérèse. [138] Mazarin entend surtout par ces mots le cardinal de Retz, qui était alors réfugié en Hollande. [139] _Mémoires pour servir à l'histoire de Louis XIV_, par l'abbé de Choisy, de l'Académie française, édition d'Utrecht, 1727. [140] Lettre de Mazarin au Roi, de Bidache, 23 juillet. Bibl. Mazarine. _Lettres manuscrites de Mazarin_, t. III. [141] Lettre de Mazarin au Roi, de Bidache, 25 juillet. [142] Mazarin à la Reine, le 23 juillet. _Lettres manuscrites de Mazarin_, t. III, Bibl. Mazarine. [143] Le 29 juillet. _Lettres manuscrites de Mazarin_, t. III. Bibl. Mazarine. Voy. à l'Appendice. [144] De Saint-Jean-de-Luz, le 29 juillet. _Lettres manuscrites de Mazarin_, t. III. Bibl. Mazarine. [145] Bibliothèque Mazarine, _Lettres manuscrites de Mazarin_, t. III, p. 253 vo. et 254 ro. [146] Bibliothèque Mazarine. _Lettres manuscrites de Mazarin_, t. III. Cette lettre a été imprimée dans les recueils des lettres du Cardinal du XVIIIe siècle, mais, pour montrer à quel point leur texte diffère de celui du manuscrit de la Mazarine, nous avons indiqué les additions et variantes de ce manuscrit en les plaçant entre des crochets. [147] De Saint-Jean-de-Luz, le 5 août. Voyez aussi dans l'Appendice une lettre du Roi à la Reine sa mère en date du 5 août. [148] De Saint-Jean-de-Luz, le 10 août. [149] _Lettres manuscrites de Mazarin_, t. III. Bibl. Mazarine. Mazarin à Mme de Venel, Saint-Jean-de-Luz, 14 août. [150] «Je vous prie de dire à Hortense que je serai bien aise qu'elle me donne souvent de ses nouvelles, étant persuadé qu'elle a beaucoup d'amitié pour moi. Je suis très aise des beaux vers que Marianne m'envoie et je l'aime de tout mon cœur, vous priant, en votre particulier, d'être assurée que personne n'a pour vous plus d'affection et de passion de vous le témoigner que moi.» [151] «Je n'ai rien à vous répliquer à l'égard de mes nièces, écrivait Mazarin à la Reine; mais je vous dirai seulement que, deux fois la semaine, les paquets vont et viennent sans discontinuation et fort gros.» [152] «J'ai reçu votre lettre du 10 de ce mois (août), et je savais déjà que la Reine vous prierait de mener mes nièces à Saint-Jean d'Angely, m'ayant fait l'honneur de m'en demander mon consentement, quoiqu'il ne fût pas nécessaire, Sa Majesté pouvant disposer librement de tout ce qui est à moi. Vous ne devez donc pas être en aucune peine de ce voyage, et d'autant plus que, comme vous avez vu, l'intention de Sa Majesté n'a pas été de mener mes nièces à Bordeaux, mais de les voir seulement en passant...» (Saint-Jean-de-Luz, le 18 août 1659. _Lettres de Mazarin_, éd. de 1745, t. I, p. 169 et suiv.). [153] La lettre de Mazarin, en date du 18 août, est le seul document qui permette de fixer d'une manière certaine la date de l'entrevue du Roi et de Marie Mancini. La lettre de Mme de Venel portant la date du 10 août et racontant au Cardinal certaines particularités de l'entrevue (qu'il rappelle à cette dame) avait été certainement écrite le jour même de la rencontre des deux amoureux. Que se passa-t-il entre eux? Le peu que l'on en puisse savoir se trouve dans un post-scriptum du Cardinal à sa lettre à Mme de Venel, et dans une autre lettre inédite du même à sa nièce, la comtesse de Soissons. (Voyez à l'Appendice la lettre de Mazarin à Mme de Venel en date du 18 août.) [154] «J'ai ouï dire que cette entrevue fut encore sensible, et qu'il y eut quelques larmes répandues de part et d'autre. Le Roi néanmoins continua son chemin, et la nièce s'en retourna dans le lieu de son exil.» (_Mémoires de Madame de Motteville._) [155] Bibliothèque Mazarine. _Lettres manuscrites de Mazarin_, t. III. Le manuscrit contient plusieurs variantes que nous avons eu soin d'indiquer. [156] Mazarin à la Reine, Saint-Jean-de-Luz, le 28 août 1659. Bibl. Mazarine. _Lettres manuscrites de Mazarin_, t. III. Cette lettre ne porte pas de date, mais elle fut certainement écrite le même jour que celle adressée au Roi par le Cardinal, c'est-à-dire à la date du 28 août. Il ne saurait y avoir le moindre doute sur ce point, puisque dans une lettre, à la date du 29 août, Mazarin dit au Roi, «qu'il lui a rendu un très important service, _depuis vingt-quatre heures_», en lui écrivant cette grande dépêche. [157] Le marquis de Richelieu, en 1655, avait épousé la fille de Mme de Beauvais, la _Borgnesse_. (_Histoire amoureuse des Gaules_, édition Jannet, t. II, p. 50, note 3) [158] Marie Mancini. [159] Voy. à l'Appendice la grande lettre du 28 août 1659. [160] Saint-Jean-de-Luz, 22 octobre 1659. [161] Allusion à la grande lettre du 28 août précédent. [162] Saint-Jean-de-Luz, le 29 août 1659. Bibl. Mazarine; _Lettres manuscrites de Mazarin_, t. III. [163] L'imprimé porte _mille_ autres. [164] L'imprimé porte _conviendriez_. [165] Saint-Jean-de-Luz, le dernier août 1659. [166] Le manuscrit porte _celui-ci_, ce qui est évidemment une erreur du copiste. [167] Nous publions en entier cette dépêche. M. Amédée Renée, dans _les Nièces de Mazarin_, n'en a donné que deux ou trois petits fragments. Bibl. Mazarine, _Lettres manuscrites de Mazarin_, t. III, p. 283 vo. et 284 ro. [168] «Dites à Hortense que j'ai reçu sa lettre, et que je suis persuadé qu'elle a de l'amitié pour moi; qu'aussi elle doit attendre de recevoir des marques de la mienne. Si vous avez affaire d'argent pour lui en donner et à Marianne, vous n'aurez qu'à en demander au Sr du Teron. «Et, pour ce qui est de Marianne, vous lui direz que, si je savais écrire en vers, je ferais réponse à ses lettres, mais que pour cela elle ne doit pas laisser de m'en envoyer souvent. «En votre particulier, je suis fort touché de tous les soins que vous prenez de mes nièces et je vous assure que je n'en perdrai pas le souvenir.» (Les trois paragraphes qui précèdent ont été publiés par M. Amédée Renée, d'après l'autographe de la Bibliothèque du Louvre, qui a péri dans l'incendie de cet édifice.) [169] Mazarin accusait formellement sa nièce d'avoir fait évader le jeune Mancini. «Je crois que ma nièce a conduit tout cela, écrivait-il à la Reine, le 1er septembre, et vous pouvez juger ce que cela m'oblige de soupçonner.» [170] Il devint plus tard intendant de la Marine. [171] «Je ne vous saurais assez dire, écrivait Mazarin à Colbert, tout ce que du Teron a mis dans l'esprit de ma nièce, la flattant au dernier point, et la considérant comme le principal instrument pour son élévation auprès de l'autre personne...» [172] Dans sa lettre du 29 août, dont nous avons donné ci-dessus un fragment. [173] «Je vous prie et mes amis de ne vous plus mettre en peine de moi, mandait-il à Lionne, en juillet 1651, car j'ai résolu la retraite sans que rien m'en puisse détourner, et en lieu que les jalousies, les vacarmes et appréhensions cesseront. Annibal, ajoutait-il avec une certaine emphase, Annibal, voyant qu'il faisait peine partout aux Romains, se résolut à la mort, et prenant le poison, finit, disant: _Liberemus hâc curâ populum romanum_. Et moi, je me contente de délivrer ceux qui me veulent du mal à Paris...» A peu de temps de là, Mazarin marchait sur Paris avec une petite armée levée à ses frais, afin d'imposer de nouveau son ministère abhorré à ses ennemis et à toute une nation convertie à la Fronde. [174] A Saint-Jean-de-Luz, le 1er septembre 1659. [175] Les membres de phrase entre crochets sont les variantes du manuscrit de la Bibliothèque Mazarine. [176] _Motif_ dans l'imprimé. [177] _Croyais_ dans l'imprimé. [178] _Assurant_ dans le manuscrit. [179] Au lieu de ce membre de phrase qui se trouve dans le manuscrit de la Bibliothèque Mazarine, on lit celui qui suit dans l'imprimé: «Et j'irai ensuite finir mes jours où il vous plaira m'ordonner, me confiant en Dieu qui me donnera ce moyen de vous servir en cette rencontre, etc.» [180] Mazarin, connaissant la coquetterie d'Anne d'Autriche et à quel point elle était sensible à ces petits cadeaux que l'on nommait alors _galanteries_, avait commencé d'abord par lui écrire: «Je vous envoie une boëte avec dix-huit éventails qu'on m'a envoyés de Rome; quoique je les croie aussi beaux que tous les autres qu'on a envoyés cette année, qui n'ont servi qu'à faire des présents à des gens de ce pays, qui n'ont pas le goût trop exquis. Vous recevrez aussi quatre paires de gants que ma sœur m'a envoyées dans un paquet. Il y en avait six paires, mais l'ayant ouvert en présence de Pimentel, je lui en ai donné deux, dont j'en vis une hier à don Louis, qui m'en fit compliment.» (Lettre inédite du 3 septembre, Bibl. Mazarine, _Lettres manuscrites de Mazarin_, t. III, p. 287, vo. Saint-Jean-de-Luz, 3 septembre). [181] Voyez à l'Appendice la lettre inédite du 6 septembre 1659. [182] Saint-Jean-de-Luz, 6 septembre. _Lettres manuscrites de Mazarin_, t. III, Bibl. Mazarine. [183] Saint-Jean-de-Luz, 8 septembre 1659. Bibliothèque Mazarine. _Lettres manuscrites de Mazarin_, t. III, p. 291 vo. jusqu'à la p. 293 ro. Cette lettre ne figure pas dans le recueil imprimé des lettres du Cardinal, et M. Amédée Renée, dans _les Nièces de Mazarin_, n'en a donné que quelques paragraphes. [184] «J'ai été bien aise de la lettre qu'Hortense m'a écrite, et d'autant plus que vous me mandez que c'est elle qui l'a composée. Je vous prie de l'assurer de mon amitié et de dire à elle et à Marianne que, si le séjour de La Rochelle ne leur plaît pas, j'espère qu'elles le pourront bientôt changer en un autre qui leur sera plus agréable, mais que cela ne peut être que tout ceci ne soit achevé, si ce n'était que vous m'écrivissiez que ma nièce prît plus de plaisir de s'en retourner à Paris. Vous lui en parlerez, prenant pourtant garde que personne n'en ait connaissance. «Je ne saurais assez vous dire l'obligation que je vous ai des soins que vous prenez de mes nièces; je vous prie d'être assurée que je ne manquerai pas de le reconnaître. «Je vois par la lettre de Marianne [en vers] qu'à présent qu'elle a plus de raison, elle manque de rime; mais que, nonobstant cela, je veux absolument qu'elle m'écrive tous les ordinaires dans le même style.» (Suite de la lettre de Mazarin à Mme de Venel, en date du 8 septembre 1659.) [185] Saint-Jean-de-Luz, le 8 septembre. Bibliothèque Mazarine. _Lettres manuscrites de Mazarin_, t. III, p. 293, ro. et vo. [186] Voltaire, dans son _Siècle de Louis XIV_, prête au Roi, en cette circonstance, comme on l'a vu plus haut, un sentiment purement magnanime: «... L'attachement seul pour Marie Mancini fut une affaire importante, parce qu'il l'aima assez pour être tenté de l'épouser, et fut assez maître de lui-même pour s'en séparer. Cette victoire qu'il remporta sur sa passion commença à faire connaître qu'il était né avec une grande âme.» [187] Lettre inédite. Saint-Jean-de-Luz, le 14 septembre 1659. Bibliothèque Mazarine, _Lettres manuscrites de Mazarin_, t. III, fol. 300 vo. et 301 ro. [188] Marie Mancini. [189] Lettre inédite du Cardinal à la Reine, 14 septembre. Voyez à l'Appendice. [190] Lettres inédites du 17 et du 18 septembre. [191] Lettre inédite du 20 septembre. Bibl. Mazarine, _Lettres manuscrites de Mazarin_, t. III, p. 308 vo. [192] Lettre du Cardinal à Mme de Venel, en date du 21 septembre. Voyez à l'Appendice. [193] Les ennemis du cardinal Mazarin publiaient que cette troupe de nièces et de neveux qui accoururent d'Italie à sa fortune étaient ses enfants: il en avait plaisanté lui-même. «_Je ne doute pas_, dit-il dans une lettre à M. le Prince, du 4 juin 1649, _que l'on ne vous ait détrompé à Paris comme les autres, sur la fourbe que j'avais faite, et que vous ne sachiez que je n'ai point de nièces, mais que ce sont mes filles_.» (Note de l'éditeur des _Lettres de Mazarin_ publiées en 1745). [194] «Vous verrez ce que j'écris à Mme de Venel à votre égard, et je vous prie de l'aimer et de suivre ses conseils; car, assurément, il ne se peut pas avoir plus d'amitié et d'estime pour personne, qu'elle n'en a pour vous.» Voici deux billets adressés en même temps par Mazarin à ses deux autres nièces: «...Continuez à m'écrire, disait-il à Hortense, et ne prenez pas garde à ce que Marianne dit pour décrier votre style et votre écriture, car j'en suis content...» Et à Marianne: «Vous ne me pardonneriez jamais si, écrivant à Hortense, je vous oubliais, et je ne vous disais pas la satisfaction que je reçois lorsque vous m'écrivez en rimes. Je vous prie donc de continuer à le faire, et d'aller au secours de vos sœurs quand la rime vous manquera; et, au surplus, soyez assurée que personne ne vous aime plus que moi.» (Cette lettre et ces billets ne figurent pas dans le manuscrit de la Mazarine.) [195] Bibl. Mazarine. _Lettres manuscrites de Mazarin_, t. III. [196] C'est-à-dire à Brouage. [197] Bibl. Mazarine. _Lettres manuscrites de Mazarin_, t. III. [198] Bibl. Mazarine. _Lettres manuscrites de Mazarin_, t. III. Saint-Jean-de-Luz, le 1er novembre 1659. [199] 7 novembre 1659. [200] Voir les _Mémoires de Mademoiselle de Montpensier_. [201] «Leurs Majestés allèrent au-devant de M. le Cardinal. Ce fut une grande joie à son retour, et l'on en avait bien sujet, et lui aussi d'en avoir, ayant fait la paix.» (_Mémoires de Mademoiselle de Montpensier_). [202] _Mémoires du Cardinal de Retz._ [203] «Dans ce temps-là, arriva l'évêque de Fréjus pour me proposer, de la part de mon oncle, le mariage avec le connétable de Colonna, qui avait envoyé à Son Éminence le marquis Angeleli, gentilhomme boulonnais, pour lui en faire la proposition, à la conférence où il était alors, et pour engager en même temps don Louis de Haro d'en écrire à Sa Majesté Catholique, pour obtenir la permission dont le connétable, comme son sujet, avait besoin pour se marier avec moi.» _Apologie, ou les véritables mémoires de madame Marie Mancini, connétable de Colonna_, etc. [204] «L'évêque s'en retourna, dit-elle dans son _Apologie_, avec cette réponse vers mon oncle, qui, ayant un extrême désir de voir mes sœurs, se disposait déjà de les envoyer chercher, comme il l'aurait fait, si, dans la crainte que j'avais de me voir toute seule, je n'eusse pas joint mes prières à celles de ma gouvernante pour l'empêcher.» [205] «La paix faite et le mariage du Roi conclu, Son Éminence envoya un ordre à notre gouvernante pour nous mener à Paris, où nous arrivâmes quelques jours avant que la cour partît de Bourdeaux...» (_Apologie_, etc.) [206] Toulouse, le 9 décembre 1659. _Lettres de Mazarin_, etc, t. II. On trouvera dans l'Appendice la lettre de Mazarin à Mme de Venel, à la même date. Ces deux lettres ne figurent pas dans les manuscrits de la Bibliothèque Mazarine. [207] «Malgré les promesses que le Cardinal faisait dans cette lettre à sa nièce Marie, il signa la veille de sa mort (c'est-à-dire le 8 mars 1661) un contrat de mariage avec le connétable Colonna. Il signa le soir son testament, et il avait signé le matin le traité avec M. de Lorraine. Marie Mancini fut fiancée avec le connétable Colonna, le 9 avril suivant, dans le cabinet du Roi, honneur qui n'est guère que pour les princes et princesses. Le Cardinal fit en même temps le mariage de sa nièce Hortense avec le Grand Maître de l'artillerie, fils du maréchal de la Meilleraye, auquel néanmoins il n'y avait que huit jours qu'il avait donné l'exclusion. Aussi, assurait-on que ce mariage ne se fût point fait si Ondedei n'eût reçu du Grand-Maître 100,000 écus, et Mme de Venel 50,000. (Note de l'édition des _Lettres de Mazarin_, de 1745.) [208] Nous verrons bientôt qu'il était question d'un projet de mariage entre le jeune Charles de Lorraine, neveu de Charles IV, duc de Lorraine, avec Marie. [209] Louis XIV. [210] _Muze historique_, 1er février 1660. [211] Amédée Renée. Voyez, dans la _Muze historique_ du 10 février 1658, d'autres vers consacrés à Marie Mancini. [212] D'Aix, le 28 janvier 1660. L'original de cette curieuse lettre a péri dans l'incendie de la Bibliothèque du Louvre. Fort heureusement l'auteur des _Nièces de Mazarin_ en a conservé une copie. [213] Peut-être le Cardinal songeait-il à lui faire épouser une de ses nièces. Dans tous les cas, s'il conçut ce projet, il ne put le réaliser. [214] La veille, il avait écrit à Mme de Venel (26 janvier): «Vous direz à Hortense que je suis bien aise de ce qu'elle m'a écrit, mais qu'elle ne saurait rien faire qui me plaise davantage que de suivre entièrement vos avis et de se souvenir de la promesse qu'elle m'a faite de s'appliquer à apprendre à bien danser et à faire les révérences à la perfection. «Pour la lettre de Marianne, elle m'a donné beaucoup de contentement, et même je l'ai lue à la Reine, qui m'a ordonné de l'assurer de l'honneur de sa bienveillance et de lui mander qu'elle continue à se faire lire ses lettres.» (Bibl. du Louvre. Copie prise sur l'original.) [215] Pour compléter ce portrait, Mme de Motteville fait cette comparaison de la personne de la nièce avec celle de la tante: «Dans le visage de cette grande Reine (Anne d'Autriche) on pouvait facilement connaître la joie intérieure de son âme; ce qui la rendait si belle qu'à cinquante-neuf ans elle aurait quasi pu disputer de beauté avec la Reine sa nièce, qui dans le vrai n'avait pas une beauté si parfaite que la Reine sa tante avait eue à son âge. La Reine-mère avait les traits du visage plus beaux, elle était plus grande, elle avait une plus grande mine, beaucoup plus de majesté, et le visage d'une plus belle forme. Elle la surpassait encore en la beauté admirable de ses mains et de ses bras; mais la Reine avait le teint plus beau et de belles couleurs qui l'embellissaient: elle ressemblait à la Reine-mère, comme je l'ai déjà dit, de la rencontre de l'air et un peu du tour du visage.» [216] _Mémoires de Madame de Motteville._ [217] Cette indication, nous la devons, comme nous l'avons dit déjà, à l'obligeance de M. Valfrey; qu'il nous soit permis de lui en exprimer toute notre gratitude. [218] Archives du ministère des affaires étrangères. 1659-1661. Espagne. Négociations des Pyrénées, t. LXXI. [219] A Aix, le 9 Mars 1660. Les lettres ne sont qu'en copies, mais en copies authentiques par le fait seul de leur existence dans le dépôt du Ministère des affaires étrangères. [220] Archives du ministère des affaires étrangères. 1659-1661. Espagne. Négociations des Pyrénées, t. LXXI. [221] Archives du ministère des affaires étrangères. _Ibidem._ [222] M. de Lesseins, porteur de la lettre du Roi. (Note du manuscrit des archives du ministère des affaires étrangères.) [223] Archives du ministère des affaires étrangères. 1659-1661. Espagne. Négociations des Pyrénées, t. LXXI. [224] La cour arriva à Saint-Jean-de-Luz le 8 mai. La lettre ne porte pas de date, mais elle est placée dans le manuscrit immédiatement après celle du 25 avril. [225] Archives du ministère des affaires étrangères. _Ibidem._ [226] Le copiste du manuscrit des archives du ministère des affaires étrangères, ne connaissant pas l'espagnol, a donné de cette lettre, ainsi que de celles de Philippe IV et de la reine d'Espagne, un texte fort défectueux. Grâce à l'obligeance de M. Antoine de Latour, si versé dans la littérature espagnole, ce texte a pu être rectifié avec le plus grand soin. [227] Archives du ministère des affaires étrangères. 1659-1661. Espagne. Négociations des Pyrénées, t. LXXI. [228] Nous accommodâmes, dit Mlle de Montpensier dans ses _Mémoires_, une cassette que M. de Créqui devait porter à la jeune Reine, de la part du Roi. C'était un assez grand coffre de calambourg (bois des Indes), garni d'or, où il y avait tout ce que l'on peut imaginer de bijoux d'or et de diamants, comme des montres, des heures, des gants, des miroirs, boîtes à mouches, à mettre des pastilles; petits flacons de toutes sortes; d'étuis à mettre des ciseaux, des cure-dents; de petits tableaux de miniature à mettre dans un lit; des croix, des chapelets... des bagues, des bracelets; des crochets de toutes sortes de pierres, une de grand prix; un plus petit coffre où étaient des perles, des pendants d'oreilles de diamants, et une boîte pour les pierreries de la couronne. Elles ne sortent point du royaume, et les reines ne les ont point en propre, comme tous ceux-là étaient à elle, des pendants d'oreilles de toutes sortes de pierres et des assortiments de même. Enfin on croira aisément que jamais on n'avait vu un présent si magnifique et si galant.» [229] _Mémoires de Madame de Motteville et de Mademoiselle de Montpensier._ [230] Lettre de la reine d'Espagne à Louis XIV. 2 juin 1660. Archives du ministère des affaires étrangères. 1659-1661. Espagne-Négociations des Pyrénées, t. LXXI. [231] 3 juin 1660. Archives du ministère des affaires étrangères. _Ibidem._ [232] Archives des affaires étrangères. 1659-1661. Espagne. Négociations des Pyrénées, t. LXXI. [233] _Mémoires de Madame de Motteville._ Voir les grands et beaux travaux de M. Mignet sur l'_Histoire de la succession d'Espagne_ et sa magnifique _Introduction_ à cette Histoire. [234] «Il ne faut pas s'en étonner, dit Mme de Motteville; la cause de sa passion était belle; et l'innocence donnant à cette princesse le pouvoir de la laisser voir telle qu'elle la sentait, elle prenait autant de plaisir à la publier qu'il lui était agréable d'avoir, par l'amour réciproque que le Roi avait pour elle, un juste sujet de se glorifier de son excès...» [235] Archives du ministère des affaires étrangères. 1659-1661. Négociations des Pyrénées, t. LXXI. [236] La copie manuscrite porte: _compagnie_, ce qui est évidemment une faute. [237] Archives du ministère des affaires étrangères. 1659-1661. Espagne. Négociations des Pyrénées, t. LXXI. [238] Le Roi quitta la cour pour aller visiter Brouage, le 27 juin 1660. [239] _Nouvelle Relation contenant la royale entrée de Leurs Majestés dans leur bonne ville de Paris_, le 26 août 1660. 24 pages in-4o. [240] _Siècle de Louis XIV._ [241] Voir la belle et excellente _Histoire de la réunion de la Lorraine à la France_, par M. le comte d'Haussonville, t. 1, 2 et 3 _passim_. [242] 25 février, 1654. [243] Voici comment Beauvau complète le portrait de cet étrange personnage: «Ce prince était de belle stature, fort libre et fort adroit dans toutes ses actions, à pied et à cheval, dur et infatigable au travail, d'un esprit vif et ardent, agréable, civil et affable aux étrangers, mais rarement parmi ses sujets; faisant peu de cas de sa noblesse et la traitant peu favorablement jusqu'à n'avoir jamais pu souffrir qu'elle jouît d'aucun de ses privilèges; prompt et fâcheux avec ses domestiques, accordant toutefois assez aisément ce qu'on désirait de lui, quand on le trouvait de bonne humeur, mais l'exécutant rarement, familier parmi le peuple, l'écoutant dans ses plaintes, et témoignant compatir à ses misères, mais ne l'épargnant guère, lorsqu'il trouvait l'occasion d'en exiger de l'argent. Il était d'une avarice qui paraissait insatiable et qui le rendait peu libéral; mais, comme son grand cœur avait néanmoins quelquefois des mouvements relevés, il n'épargnait rien aux actions qu'il voulait rendre magnifiques.» (Voir aussi ce qu'ont dit de ce prince dans leurs _Mémoires_ le cardinal de Retz, Mlle de Montpensier, Mme de Motteville, Montglat et surtout M. le comte d'Haussonville qui donne sur lui nombre de documents nouveaux.) [244] _Mémoires du marquis de Beauvau, pour servir à l'histoire de Charles IV, duc de Lorraine et de Bar._ A Cologne, chez Pierre Marteau, 1690. [245] Jeanne-Olympe Hurault de l'Hospital, comtesse de Choisy, morte en 1668. C'est elle qui figure sous le nom de _Célie_ dans le _Dictionnaire des Précieuses_: «_Célie_ est une précieuse dont l'esprit a toujours fait grand bruit. L'on saura qu'elle a de belles qualités, qu'elle est bien faite et qu'elle a de l'esprit, etc.» (Édit. Livet, t. I et t. II.) «Elle a été jolie, dit Tallemant des Réaux (t. VII), a de l'esprit et dit les choses plaisamment, elle est gaie et cherche toujours à se divertir: c'est un original en certaines choses.» Mme de Brégis et Segrais ont aussi fait son portrait. «Sans étude et sans lecture, dit celui-ci, elle parlait et écrivait divinement bien. Elle était amie intime de la reine de Pologne (Marie de Gonzague) qui a entretenu un commerce de lettres avec elle pendant vingt ans.» [246] «Comme (Marie), dit le marquis de Beauvau, était d'un esprit ardent et hardi, on croyait qu'elle agréerait d'autant plus la recherche du prince qu'elle le jugeait un moyen propre à la tirer de la sujétion du Cardinal et de la Reine mère, dont elle se trouvait traitée avec trop de contrainte et de rigueur. Outre cela elle trouvait ce prince beau et bien fait, et le considérait encore avec ses droits assez bien fondés sur les duchés de Lorraine et de Bar, pour pouvoir un jour élever sa fortune et son ambition. Ces considérations firent qu'elle employa un certain abbé Bouti, Italien et adroit, qui ayant eu autrefois quelque connaissance avec Mme de Choisi, trouva moyen de la renouer. Il la vint visiter souvent à la sourdine, pour ajuster ensemble leurs mesures: mais quoique, ordinairement, ces sortes de négociations soient conduites avec beaucoup de secret dans le commencement, néanmoins elles s'éventent aisément quand elles durent trop longtemps.» [247] Le traité de Nimègue ne lui restituant que la partie des États qui avaient été laissés à son oncle Charles IV, à l'exception de Nanci, il refusa de souscrire à cette clause honteuse, et il retourna au service de l'Empereur, auprès duquel il termina sa carrière. [248] _Mémoires du marquis de Beauvau_, etc., etc. [249] _Mémoires de Beauvau._ [250] Ce traité d'accommodement entre Charles IV et Louis XIV fut signé à Vincennes, trois ou quatre jours avant le décès du Cardinal. Restitution au duc des duchés de Lorraine et de Bar, à la réserve d'un passage du côté de l'Allemagne pour les troupes du roi de France; démolition des fortifications de Nanci; maintien en la possession de la France des places de Stenai, Clermont, Jamets et Dun; désarmement complet de la Lorraine, telles furent les principales clauses de ce traité. [251] «L'inclination qu'elle avait prise pour ce prince, dit Beauvau, était si forte, qu'elle avait souvent osé déclarer, ou qu'elle l'épouserait ou qu'elle se ferait religieuse.» [252] _Apologie ou les véritables Mémoires de Madame Marie Mancini, connétable de Colonna, écrits par elle-même._ A Leide, pour l'auteur, chez Jean Van Gelder, 1678. Ce petit volume in-12 est d'une excessive rareté. [253] Conférez sur ce point le récit du marquis de Beauvau, qui concorde parfaitement avec ce que dit Marie Mancini. [254] Le duc de Guise cessa de lui parler, tout en ayant la générosité de faire servir, avec autant de soin qu'à l'ordinaire, ce prince besogneux à qui il donnait depuis longtemps l'hospitalité dans son hôtel. [255] _Mémoires de Beauvau._ [256] _Ibidem._ [257] Mlle de Montpensier a parlé de cet épisode dans ses _Mémoires_, mais, comme ils sont entre les mains de la plupart des lecteurs, nous nous abstenons de leur faire des emprunts. Il n'en est pas de même des _Mémoires_ de Beauvau, qui sont fort peu connus. [258] Elle était la fille aînée du second lit de Gaston d'Orléans. [259] En 1661. [260] _Mémoires de Madame de Motteville._ [261] _Mémoires de Guy Joly._ [262] _Mémoires de Guy Joly._ [263] _Mémoires de Madame de Motteville._ [264] Charles épousa l'infante de Portugal en 1662. [265] _Mémoires de Madame de Motteville._ [266] _Mémoires de Madame de Motteville._ [267] _Mémoires de Madame de Motteville._ [268] _Mémoires de Montglat, comte de Clermont._ [269] _Ibidem._ [270] Lorenzo Onofrio de Gioeni, duc de Taliacoti, prince de Palliano et de Castiglione, né à Rome. Plus tard il devint vice-roi d'Aragon, puis vice-roi de Naples. Il mourut le 15 avril 1689. [271] _Mémoires de Madame de Motteville._ [272] C'est le marquis de Beauvau qui s'exprime ainsi et qui devait être renseigné mieux que personne, par son élève le prince Charles de Lorraine. [273] La Porte de La Meilleraye, grand maître de l'artillerie, fils du maréchal de ce nom. Le Cardinal lui fit quitter ce nom pour celui de Mazarin auquel fut attaché le titre de duc. [274] _Mémoires de Madame de Motteville._ [275] Mme de Venel dont bientôt il sera encore question. [276] Voici la première de ces lettres qu'adressa le Roi au connétable, à l'occasion de son mariage: «Mon cousin, vous avez raison de croire que l'alliance que vous avez prise dans la maison de mon cousin le cardinal Mazarini m'a été très agréable; c'est une vérité que les effets vous confirmeront en toutes rencontres; et assurément la qualité de neveu de ce grand homme, outre les autres que vous possédez, ne me laissera jamais perdre la moindre occasion de vous donner des marques de ma bienveillance.» (_Œuvres de Louis XIV_, t. V. Au connétable. Paris, le 12 avril, 1661.) [277] _Œuvres de Louis XIV_, t. V, p. 21. A Mme de Venel. Fontainebleau, le 20 juin 1661. [278] _Œuvres de Louis XIV_, t. V. Au connétable Colonne. Fontainebleau, le 6 août 1661. [279] Hortense Mancini, après avoir fui le palais de son mari, le duc de Mazarin, s'était réfugiée à Chambéry, où elle résidait chez un parent de Saint-Réal. L'abbé, qui revint dans cette ville en 1676, ne pouvait manquer de plaire à la belle duchesse par la distinction de son esprit. «Il avait l'honneur, dit Desmaiseaux, dans la _Vie de Saint-Évremond_, de l'entretenir tous les jours, et de lui lire les meilleurs livres français et italiens. Cet abbé ne fut pas insensible à ses charmes. Pour s'insinuer dans ses bonnes grâces, il lui suggéra l'idée d'écrire l'histoire de sa vie, et se chargea de la composer sur les particularités qu'elle lui fournirait. Il consentit à la suivre en Angleterre, et il fit, avec Saint-Évremond et d'autres gens de lettres, l'ornement de la société brillante qu'elle réunissait à Londres. Ce fut alors qu'il écrivit les _Mémoires de Madame la duchesse de Mazarin_, qu'il accompagna d'une lettre où il faisait l'éloge de cette dame...» [280] _Les Mémoires de M. L. P. M. M._ (Mme la princesse Marie Mancini), _Colonne, G. connétable du royaume de Naples_. A Cologne, chez Pierre Marteau, 1676, in-12 de 189 pages. Il y en eut une autre édition la même année, chez le même, et une traduction en italien en 1678. [281] La Bibliothèque nationale possède un exemplaire de cette traduction. [282] A Leide, pour l'auteur, chez Jean Van Gelder, à la Tortue, 1678. Ce petit volume est tellement rare qu'il a, pour ainsi dire, la valeur d'un manuscrit. La Bibliothèque nationale n'en possède qu'un seul exemplaire. No. 27, 4627. [283] _Lettres de Madame de Villars à Madame de Coulanges_, nouvelle édition publiée par M. Alfred de Courtois. H. Plon, 1878, un vol. in-8o.—Madrid, 2 novembre 1679. D'après M. de Courtois (voir p. 213), une édition, imprimée à Madrid, aurait précédé celle que nous citons, mais personne ne l'a jamais vue. [284] Elle confia son manuscrit à un nommé S. Bremond, qui dédia le livre imprimé au duc de Brunswick, autrefois intimement lié à Rome avec le connétable et sa femme. S. Bremond a soin de dire dans sa _dédicace_ que «_ce sont les propres Mémoires_ (de la connétable)..., qu'on voit un certain caractère naturel et sincère en tout ce qu'elle dit, quelque chose qui sent si fort la noblesse de son âme, et le rang qu'elle tient dans le monde, qu'il n'y a qu'elle qui peut s'exprimer de cette manière...» [285] Ce marquis épousa plus tard une sœur du prince Colonna, et devint l'un des plus ardents persécuteurs de la connétable lorsqu'elle se fut enfuie de Rome. [286] Le patriarche d'Amasie, qui les accompagnait. [287] _Les Mémoires de M. L. P. M. M. Colonne, grande connétable du royaume de Naples._ [288] _Ibidem._ [289] On trouve tous ces détails dans les _Mémoires_ de Marie Mancini. [290] _Mémoires de M. L. P. M. M. Colonne, grande connétable du royaume de Naples_, p. 85 et suivantes. [291] Il était le second fils d'Henri de Lorraine et de Marguerite Cambout, veuve du duc de Puylaurens. Il était né en 1643 et mourut en 1702. Il portait le titre de chevalier, comme chevalier de Malte. [292] Mme de Sévigné disait plaisamment, avec Saint-Évremond, que la duchesse de Mazarin était dispensée des règles ordinaires, et qu'on voyait sa justification en voyant M. de Mazarin. Quand on lui conseillait de se remettre avec son mari, elle répétait comme les frondeurs: Point de Mazarin! point de Mazarin! (Lettre de Mme de Sévigné à Mme de Grignan, du 27 février 1671.) Le Roi, touché de la situation de la duchesse, lui accorda une pension annuelle de 24,000 livres pour qu'elle pût vivre décemment à Rome. [293] Dans _Apologie, etc._, la connétable le nomme _Gourberville_. Nous avons adopté l'orthographe des _Mémoires de la duchesse de Mazarin_, où il est souvent question de ce personnage. [294] _Apologie, etc._ «Le chevalier, ajoute-t-elle, me procura cet honneur sans lui avoir rendu aucun service, bien loin de lui avoir prêté de l'argent, comme la médisance a publié faussement...» [295] La connétable, dans son _Apologie_, destinée à être mise sous les yeux du public, se garde bien de parler de ces deux épisodes du cardinal Chigi et du chevalier de Lorraine. Elle n'eut pas la même prudence dans la relation qu'elle avait adressée à un ami intime, et qu'une indiscrétion fit tomber entre les mains d'un éditeur anonyme. [296] _Les Mémoires de M. L. P. M. M. Colonne, grande connétable du royaume de Naples, etc._ [297] Dans son _Apologie_ elle donne une description de cette petite maison, mais elle ne dit pas un mot de l'épisode qui s'y rattache. Voici ce que la connétable dit de ce pavillon dans son _Apologie_: «Nous cherchâmes un lieu plus assuré dans le Tibre, proche duquel nous envoyâmes faire une cabane pour nous y déshabiller, et où il y avait une galerie, qui régnait jusque sur le bain, le tout composé de cannes, de feuilles, de rameaux, mais avec tant d'art que tout le monde la regardait avec admiration.» [298] Xénocrates, un des plus illustres philosophes de l'ancienne Grèce. On remarquera que Marie Mancini écrit son nom à la manière italienne, l'_x_ n'existant pas en italien. [299] Le Ghetto, quartier des juifs à Rome. [300] _Les Mémoires de M. L. P. M. M. etc._ En parlant du chevalier de Lorraine, la duchesse de Mazarin dit dans ses _Mémoires_ que sa sœur «s'était fait des affaires avec tout Rome pour lui et pour son frère. On ne pouvait, ajoute-t-elle, les souffrir partout ailleurs que chez elle, et elle s'était déclarée pour eux dans des occasions assez délicates contre le cardinal Chigi et le connétable même...» [301] Voir la savante dissertation de M. Monmerqué dans la _Biographie universelle_ de Michaud, aux mots: _Henriette-Anne d'Angleterre_. [302] Voilà un passage qui garantit la parfaite authenticité des _Mémoires_ de la duchesse de Mazarin, uniquement attribués jusqu'à présent à Saint-Réal. [303] _Apologie, ou les véritables Mémoires de Madame Marie Mancini, etc._ [304] _Les Mémoires de M. L. P. M. M., etc._ La duchesse de Mazarin dit dans ses _Mémoires_, ce qui est confirmé par la connétable dans son _Apologie_, qu'elle fit tous ses efforts pour dissuader sa sœur de quitter son mari, en lui citant son propre exemple. «Les déplaisirs, dit-elle, qu'une pareille équipée m'avait attirés me donnèrent une éloquence extraordinaire, mais la même étoile qui m'avait conduite en Italie la poussait en France.» [305] Dans les _Mémoires de M. L. P. M. M._ et dans l'_Apologie, etc._ [306] «Je savais fort bien que l'argent est la première chose qui manque. Aussi j'en pris autant que je pus, et surtout je n'oubliai pas mes pierreries, que j'enfermai dans un petit coffre, et c'était tout ce que nous avions avec nous...» (_Les Mémoires de M. L. P. M. M. Colonne, G. connétable du royaume de Naples, etc._) [307] _Apologie, ou les véritables Mémoires, etc._ [308] _Les Mémoires de M. L. P. M. M., etc._ Cette particularité que la connétable, sa sœur et leurs femmes étaient déguisées en hommes, ne se trouve pas dans l'_Apologie_, mais sa parfaite exactitude est attestée par une lettre de Mme de Scudéri que nous citerons bientôt et par les _Mémoires de la duchesse de Mazarin_. «Nous montâmes dans mon carrosse, dit cette dernière, avec une de ses femmes et Nanon, habillées en hommes, comme nous, avec nos habits de femmes par dessus.» [309] Les _Mémoires de la duchesse de Mazarin_ concordent parfaitement sur ce point avec ceux de la connétable. [310] Mêmes détails dans les _Mémoires de la duchesse de Mazarin_. [311] _Apologie, etc._; même détail dans les _Mémoires de M. L. P. M. M., etc._ [312] _Les Mémoires de M. L. P. M. M., etc._ On remarquera que les deux Relations sont tout à fait conformes sur ce point comme sur plusieurs autres. [313] _Apologie, etc._ [314] _Apologie, etc._, «Abattue comme j'étais, je fis deux milles à pied, après quoi je fus obligée de me reposer...» (_Les Mémoires de M. L. P. M. M., etc._) [315] _Ibidem._ Voir aussi les _Mémoires de la duchesse de Mazarin_. [316] _Apologie, etc._, et _Mémoires de la duchesse de Mazarin_. [317] «Il était bien nuit...; il nous fallut faire cinq milles à pied pour y aller, et nous nous embarquâmes enfin à trois heures sans avoir bu ni mangé depuis Rome...» (_Mémoires de la duchesse de Mazarin._) [318] _Ibidem._ [319] _Les Mémoires de M. L. P. M. M._ [320] _Mémoires de la duchesse de Mazarin._ [321] _Mémoires de la duchesse de Mazarin._ [322] _Apologie, etc._ et les _Mémoires de M. L. P. M. M., etc._ «Dans huit jours nous débarquâmes à la Ciouta en Provence où nous voyant en lieu de sûreté, nous reprîmes nos habits de femmes et nous allâmes à Marseille à cheval.» (_Les Mémoires de M. L. P. M. M., etc._) [323] _Apologie, etc._ «Il n'est point de contes horribles que l'on ne fît de nous, dit la duchesse de Mazarin dans ses _Mémoires_, jusqu'à dire que nous étions allées en Turquie, et il (le connétable) fut contraint d'obtenir du pape une excommunication contre tous ceux qui en parleraient...» [324] C'était un _bravo_, au dire de la duchesse Mazarin dans ses _Mémoires_; dans les _Mémoires de M. L. P. M. M., etc_, il est désigné ainsi: _Le capitaine Meneghino de Viterbe_. Le langage qu'il tient à la connétable est à peu près le même que dans l'_Apologie, etc._, Mme Colonna, dans cette première Relation, dit qu'elle le dépêcha sur-le-champ avec une lettre pour son mari, «dans laquelle elle lui faisait voir tous ses déplaisirs et les motifs de son départ.» [325] _Ibidem._ Les mêmes détails, quoique moins circonstanciés, se trouvent dans les _Mémoires de la duchesse Mazarin_. [326] _Mémoires de la duchesse Mazarin._ [327] L'_Apologie, etc._ [328] _Les Mémoires de M. L. P. M. M., etc._ [329] Lettres de Mme de Sévigné à Mme de Grignan. Paris, 20 juin 1672. [330] Mme de Scudéry à Bussy, 26 juin 1672. [331] «Le Roi, dit-on, est fâché qu'on les ait arrêtées; car, comme il aime Mme Colonne, il ne lui voudrait pas nuire. Le Pape et les cardinaux ont envoyé prier Sa Majesté de la renvoyer. Pour vous dire la vérité, je conçois bien qu'on peut aimer, mais je ne comprends pas qu'une femme de qualité se puisse résoudre à renoncer à toute sorte d'honneur, de bienséance et de réputation; je tiens qu'il y devrait avoir une punition corporelle pour les dames si fort emportées.» (Même lettre de Mme de Scudéry à Bussy-Rabutin.) A quoi Bussy répondait à son amie, le 16 juillet suivant: «Quand je fais réflexion sur la postérité de ces grands cardinaux de Richelieu et de Mazarin, je trouve qu'il semble que Dieu ait pris un soin particulier de rendre leur mémoire ridicule par toutes les sottises qu'il fait faire à leurs héritiers.» [332] Mme de Sévigné à sa fille: «Je vous envoie un joli madrigal et la _Gazette de Hollande_; j'y trouve l'article des deux sœurs (Colonne et Mazarin) et celui d'Amsterdam fort plaisants.» [333] _Mémoires de la duchesse Mazarin._ [334] _Apologie, etc._, et _Mémoires de la duchesse Mazarin_. [335] La duchesse Mazarin, dans ses _Mémoires_, dit que sa sœur poussa une pointe jusqu'à Montpellier pour y voir le marquis de Vardes, alors exilé pour avoir fabriqué de fausses lettres, afin de nuire à Henriette d'Angleterre. [336] _Apologie, etc._ [337] _Apologie, etc._, et _Mémoires de la duchesse Mazarin_. [338] _Apologie, etc._ [339] _Apologie, etc._ [340] _Apologie, etc._ [341] «Il arriva presque en même temps un gentilhomme de M. de Colbert avec deux bourses de cinq cents pistoles chacune, que Sa Majesté avait ordonné de m'envoyer, et de laquelle somme il a plu à sa grandeur royale de m'obliger tous les six mois durant tout le temps que j'ai été sous sa protection.» (_Apologie, etc._) Au mois de juin ou de juillet 1672, Mme de Scudéry écrivait à Bussy-Rabutin: «Mme de Colonne est à l'abbaye du Lys (près Melun). Le Roi lui a envoyé mille pistoles et beaucoup d'honnêtetés par M. de Créqui. Il lui a fait promettre de plus une pension de vingt mille francs. Ce procédé est du plus honnête homme du monde. Il lui a mandé qu'il ne la pouvait voir et même de choisir pour sa demeure une religion plus éloignée... L'on dit que son mari la vient demander au Roi.» Bussy répondait à son amie: «Quand le Roi en use aussi honnêtement qu'il fait pour Mme de Colonne, il regarde la passion qu'il a eue pour elle plutôt que le mérite de la dame; car, quelque galants que nous soyons, nous n'approuvons pas qu'une dame quitte son mari et coure le pays comme les héroïnes de roman, à moins que ce ne soit pour nous qu'elle fasse ces folies...» (_Correspondance de Bussy-Rabutin_, édit. Charpentier, t. III, p. 453.) Les divers passages de ces lettres, ainsi que ceux des lettres de Mme de Sévigné que nous venons de citer; les lettres de Marie Mancini à Colbert dont nous allons parler et d'autres documents contemporains, concordent parfaitement avec les événements dont parle Marie Mancini, et viennent confirmer pleinement l'authenticité de ses _Mémoires_. [342] Lettre de Mme de Scudéry à Bussy (juin ou juillet 1672). _Correspondance de Bussy-Rabutin_, t. III, p. 453, édit. Charpentier. En répondant à cette lettre, Bussy ne manquait pas de dire qu'il avait trouvée plaisante la réponse de la connétable à Créqui. (_Ibid._) [343] La sœur Magdeleine de Jésus, abbesse du Lys, à Colbert, 27 août (1672). Publiée par M. Amédée Renée dans _les Nièces de Mazarin_, appendice, p. 475-476. [344] M. Amédée Renée, qui a trouvé à la Bibliothèque nationale plusieurs lettres manuscrites concernant la connétable et qu'il donne dans son Appendice, n'a pas eu la main aussi heureuse pour celle-ci. Mais, en revanche, il a trouvé une lettre d'excuses de la connétable à Colbert, et une intéressante réponse de Colbert à la princesse. Ces lettres, comme on le voit, confirment pleinement l'authenticité des _Mémoires_ de Mme Colonna. [345] Voici cette lettre, datée «Du Lys, 23 septembre 1672,» et que M. Amédée Renée a eu l'heureuse chance de retrouver: «Je croyais, Monseigneur, que vous auriez eu plus de charité pour votre prochain, et que vous ne montreriez pas au Roi ma lettre, laquelle j'écrivis en colère sans savoir ce que je faisais. J'en ai eu assez de regret lorsque j'ai été de sang-froid; mais, comme aux fautes commises il n'y a plus de remède, je vous prie au moins de radoucir le plus qu'il vous sera possible l'esprit du Roi, en lui faisant connaître que, quand je serais ici retenue par ses ordres, j'y demeurerais encore avec plus de satisfaction dans l'espérance de faire quelque chose qui lui serait agréable, et que de plus je ne souhaite nullement sortir d'ici pour aller à soixante lieues de Paris, à moins qu'il ne me le commande expressément; ce que je ferai après pour lui obéir, mais non pas pour suivre mon plaisir, le trouvant tout entier dans cette maison, où je demeurerai, si Sa Majesté le trouve bon, jusques à ce que Dieu m'inspire ce que j'aurai à faire touchant mon accommodement. Cependant, soyez assuré que je ne me consolerai jamais d'avoir eu une promptitude si mal à propos, et d'avoir déplu à celui à qui je dois tout ce que j'ai au monde. Je vous prie de m'excuser auprès de lui et de me croire fort vôtre, etc.» [346] Réponse de Colbert à la connétable, _les Nièces de Mazarin_. Appendice, p. 479. [347] Voici l'intéressante réponse de Marie Mancini à Colbert: «Du Lys, ce 25 septembre 1672. Le commencement de votre lettre m'a fort réjoui, Monseigneur, voyant que le Roi avait bien reçu mes excuses, et qu'il voulait bien m'accorder toujours sa protection: mais la suite ne me fait que trop connaître qu'il me voudrait voir bien loin de son royaume, et que ce n'est que par une simple honnêteté tout ce qu'il en fait. Du reste, je ne sais pas assez bien la carte pour choisir un couvent dans une ville à soixante lieues de Paris. Il n'a qu'à dire où il veut que j'aille, je m'y rendrai, quoiqu'il me soit bien fâcheux de quitter un endroit où j'étais déjà toute accoutumée, et où je recevais tous les bons traitements que je pouvais souhaiter. Au moins que ce soit dans une abbaye et un beau couvent, car je ne saurais pas y durer autrement. Je n'aurais jamais cru ce que je vois; je n'en dirai pas davantage, parce que je ne me possède pas si bien que vous; il vaut mieux finir. Dites seulement au Roi que je lui demande de lui parler une fois avant de m'en aller, qui sera la dernière fois de ma vie, puisque je ne reviendrai plus à Paris. Octroyez cette grâce, je vous conjure, Monseigneur, et après je lui promets que je m'en irai encore plus loin s'il le souhaite, étant toujours fort disposée à lui obéir, et à vous, de vous témoigner toute ma vie que je serai, etc.» _Les Nièces de Mazarin._ Appendice, p. 479-480. [348] Le Roi à la connétable Colonna: «A Versailles, le 26 septembre 1672: Ma cousine, désirant vous donner une abbaye commode pour vous retirer et y demeurer en toute sûreté pendant le temps que vous voudrez demeurer dans mon royaume, je n'en ai point trouvé qui convînt mieux à tout ce que vous pouvez désirer que celle de Saint-Pierre, de ma ville de Reims, dont la dame d'Orval est abbesse; et pour cet effet, aussitôt que j'aurai une dernière réponse à cette lettre, j'enverrai le sieur Goberti pour vous y aller conduire. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait, ma cousine, en sa sainte et digne garde.» (Bibl. nat. mss. vol. verts, C.) [349] _Mémoires de la cour d'Espagne._ [350] Louis XIV le nomme _Goberti_, et l'abbesse du Lys, _de La Giberti_. [351] Avenay avait été choisi en dernier lieu, à la place de Saint-Pierre de Reims. [352] _Histoire de l'abbaye d'Avenay_, par Louis Paris, bibliothécaire d'Épernay, t. I. [353] _Les Mémoires de M. L. P. M. M._ [354] _Apologie_, etc., et _Mémoires de M. L. P. M. M._ [355] L'_Apologie_, etc. Les distractions ne manquaient pas à la captive dans le couvent de la _Visitation_. «Comme il y avait, dit-elle, un parc très grand, Son Altesse Royale m'envoya des lièvres, des daims et des chiens pour chasser. Je faisais faire des comédies dans les parloirs. J'écrivis à Rome de m'envoyer mes filles et le maître des cérémonies; mes filles étant arrivées, nous passâmes le temps à merveille...» (_Les Mémoires de M. L. P. M. M._, etc.) [356] Pour peu _endurante_. [357] _Apologie_, etc. [358] «A vous dire le vrai, je craignais la coutume des Italiens de donner le morceau dans des plats, et c'est aussi pour ce sujet que, d'ordinaire, je prenais garde à ma table...» (_Les Mémoires de M. L. P. M. M._, etc.) [359] Mme d'Aulnoy, qui tenait les mêmes détails de la bouche de la connétable, en parle dans ses _Mémoires de la cour d'Espagne_, mais en les abrégeant beaucoup. [360] La connétable fait de ce personnage un portrait affreux. «Pour faire une trahison, dit-elle, (M. le connétable) ne pouvait pas mieux choisir qu'un homme de Calabre... Il est homme de beaucoup d'esprit; il fut théologien, à dix-neuf ans, du cardinal François Barberin, et, ayant commis quelque crime dans cette cour, il fut obligé de s'en aller en son pays, où s'étant mis dans une forteresse, à la tête de quelques rebelles, il tint toujours le parti du duc de Guise... Quelque temps après il se retira à Florence auprès du grand-duc le père...» Puis il alla à Rome, «où ayant fait venir une sœur assez jolie, par ce moyen il eut accès auprès de M. le connétable, qui le logea d'abord auprès de la _Trinità de Monti_, et lui fit avoir l'abbaye de _San Giovanino de Posilipe_ à Naples. Et M. le connétable, l'ayant connu pour un homme de cabale, il jeta l'œil sur lui pour me trahir, etc., etc.» [361] L'_Apologie_ porte durant _huit mois_, ce qui est inadmissible, ainsi que le prouve la suite du récit. [362] En octobre 1673, d'après les _Mémoires de M. L. P. M. M._ [363] _Apologie_, etc. [364] Dans ses _Mémoires_, la connétable parle également de son aveugle confiance à l'égard du marquis. [365] Amiral, grand officier des armées navales d'Espagne, chef et juge de tout ce qui concerne la marine. [366] L'_Apologie_, etc. Depuis le départ de Turin, les _Mémoires de M. L. P. M. M._ sont très brefs sur tous ces faits, dont ils ne donnent qu'un résumé. [367] «Je fus à l'audience de la Reine, qui, avec des marques de bonté, me proposa de me retirer dans le couvent de Saint-Dominique Royal pour quelque temps; et, quoique je n'en eusse point d'envie, je crus pourtant d'être mieux en ce pays-là dans un couvent, que dehors exposée à l'orgueil de cette nation. Les religieuses refusèrent de me recevoir pour ne faire rien contre les priviléges. Mais, après plusieurs disputes, la Reine eut la bonté de leur faire dire de me recevoir, et que cela ne tirerait pas en conséquence au préjudice de leurs libertés. Ainsi j'y entrai, et je m'y trouve avec quelque repos, quoique avec un peu d'ennui, ne pouvant pas souffrir l'orgueil de ces religieuses.» Il résulte de ce dernier passage des _Mémoires de M. L. P. M. M._ et des autres qui suivent, que la fin de cette Relation (qu'il y a tout lieu de croire authentique à cause de sa parfaite concordance avec les _Mémoires de la duchesse Mazarin_, et avec l'_Apologie_), fut écrite dans le couvent même de San Domingo. [368] Voici comment la connétable, dans la seconde partie des _Mémoires de M. L. P. M. M._, entendait fuir de son couvent: «Je ne sais si je vous dois communiquer mon secret, dit-elle au confident à qui elle adresse sa Relation; c'est que je songe à tout moment comment je me pourrai sauver de ce couvent. Les murailles en sont épaisses et la situation très difficile. Cependant j'ai dessein de suivre l'exemple du comte de Lauzun, qui a creusé à Pignerol, deux ans entiers, pour se sauver. Il est vrai qu'il a eu le malheur d'être découvert, mais possible que cela ne m'arrivera pas. Quoi qu'il en soit, j'ai une chambre qui est la plus propre du monde pour y creuser, et c'est ce qui me donne envie de tenter la fortune. Si je peux venir à bout de ce dessein, comme j'espère, vous saurez ce que je deviendrai. Voilà, Monsieur, ce que vous avez désiré de moi et ce que je devais faire pour vous obéir et vous persuader que je suis, etc.» Voilà de quelle manière se terminent les _Mémoires_, c'est-à-dire sous la forme d'une lettre adressée à un ami, lettre qui n'était pas destinée à voir le jour et qui ne fut publiée que par suite d'une indiscrétion. [369] _Apologie_, etc. [370] _Apologie_, etc. [371] Voici le portrait qu'il faisait d'elle dans sa vieillesse: «C'était une petite vieille ratatinée, tout esprit et sans corps, qui avait passé sa vie dans la meilleure compagnie, et qui y vécut avec toute sa tête et sa santé jusqu'à sa mort, à quatre-vingt-cinq ou six ans. Elle était salée, plaisante, méchante... Elle avait des apophthegmes incomparables et ne semblait pas y toucher.» (Voir _Lettres de Madame de Villars à Madame de Coulanges_, édition publiée par M. A. de Courtois, un vol. in-8o.) «La mise en lumière de la _Relation du marquis de Villars_, a dit Sainte-Beuve, vient rendre de l'à-propos et donner comme un fond historique solide aux récits de la marquise, à ces jolies lettres qui, dans leur agréable légèreté, nous initient au seul moment un peu intéressant de ce règne imbécile et maussade (de Charles II), etc.» [372] _Mémoires de la cour d'Espagne_, par Mme d'Aulnoy. [373] _Relation du voyage d'Espagne_, autre ouvrage de Mme d'Aulnoy. Madrid, 29 mai 1679. [374] _Mémoires de la cour d'Espagne_, par Mme d'Aulnoy. Hortense Mancini, duchesse de Mazarin, était alors réfugiée à Londres. Malgré son âge, elle avait conservé encore assez de beauté pour inspirer à son neveu, Philippe de Savoie, chevalier de Soissons, une passion si furieuse, que le chevalier provoqua et tua en duel un Suédois, le baron de Barnier, amant de sa tante. Ce duel causa un tel scandale, que la duchesse de Mazarin, pour fuir le bruit qui se faisait autour d'elle, fut sur le point d'aller rejoindre sa sœur Marie dans son couvent d'Espagne. Heureusement pour les religieuses de ce monastère, que Saint-Évremond, son ami, la détourna de ce projet: «Après avoir parlé (avec la connétable) trois ou quatre jours de la France et de l'Italie, écrit-il à Mme Mazarin; après avoir parlé de la passion du Roi et de la timidité de monsieur votre oncle, et de ce que vous avez pensé être et de ce que vous êtes devenue, vous vous trouverez enfermée dans un couvent.» (_Œuvres de Saint-Évremond_, édition de 1739, t. IV, p. 198 et _Correspondance de la marquise de Villars_, édition Courtois.) [375] _Mémoires de la cour d'Espagne_, par Mme d'Aulnoy. [376] _Lettres de Madame de Villars à Madame de Coulanges_, nouvelle édition publiée par M. Alfred de Courtois. H. Plon, 1878, un vol. in-8o. Madrid, 2 novembre 1679, pp. 84-85. [377] _Apologie ou les véritables Mémoires de Madame Marie Mancini, connestable de Colonna._ Cologne (Hollande), 1679, un vol. in-12. [378] De ces traductions, on ne connaît que celle en italien. (Voir la dissertation de M. de Courtois dans son édition de la _Correspondance de Madame de Villars_.) [379] Mme de Villars à Mme de Coulanges. Madrid, 27 janvier 1680. [380] Femme qui se cache le visage avec sa mantille ou son voile. [381] _Mémoires de la cour d'Espagne._ [382] Don Pablo Spinola Doria, troisième marquis de los Balbases, duc de San Severino et de Sestos. Il était petit-fils du célèbre Ambrosio Spinola. [383] Mme d'Aulnoy. [384] ... «La connétable _Colonna_, depuis la visite qu'elle nous fit, est toujours dans un couvent à cinq lieues d'ici. Son mari est à Madrid depuis deux jours. On dit qu'il lui permettra de revenir dans un autre couvent de cette ville, où elle aura beaucoup moins de liberté que dans celui d'où elle est sortie. Nous avons appris qu'elle fut toute prête, le jour qu'on l'emmena de Madrid au lieu où elle est présentement, de s'en venir encore se fourrer chez nous dans ma chambre...» (Mme de Villars à Mme de Coulanges; Madrid, 6 mars 1680.) [385] _Mémoires de la cour d'Espagne_, par Mme d'Aulnoy. Voici d'autres détails que nous puisons dans les _Mémoires de la cour d'Espagne sous le règne de Charles II_, attribués au marquis de Villars. Le connétable, dit-il, «fit revenir d'abord sa femme dans un couvent de Madrid, et peu après elle vint demeurer chez lui, c'est-à-dire dans la même maison, sans aucun commerce ensemble. Elle fut quelque temps en cet état avec la liberté de faire des visites; elle allait même chez la Reine...» [386] Mme de Villars à Mme de Coulanges, Madrid, 15 août 1680. [387] _Mémoires de la cour d'Espagne._ [388] Mme de Villars à Mme de Coulanges, Madrid, 26 mai 1680. [389] Mme de Villars à Mme de Coulanges, Madrid, 26 septembre 1680. [390] Mme d'Aulnoy, _Mémoires de la cour d'Espagne_. «Comme le connétable parla d'aller en Italie, dit de son côté le marquis de Villars, et de l'amener avec lui, la crainte des suites de ce retour lui fit souhaiter de demeurer à Madrid dans un couvent, ainsi qu'elle le témoigna quand elle reçut ordre du Roi de s'expliquer sur ce sujet. Pour régler les prétentions opposées du mari et de la femme, on fit une junte du confesseur du Roi, de l'inquisiteur général et de don Melchior Navarra qui décidèrent qu'on la mettrait prisonnière dans le château de Ségovie.» Mme d'Aulnoy, en écrivant ses _Mémoires de la cour d'Espagne_, a eu certainement sous les yeux les _Mémoires_ du marquis de Villars, auxquels elle fait de nombreux emprunts. Elle a notamment copié presque littéralement ce passage et ceux qui suivent. [391] Le marquis de Villars donne les mêmes détails, mais moins circonstanciés. [392] «La connétable Colonne est dans un pitoyable état. Je crois que je vous ai mandé que son mari la fit partir un peu brusquement d'ici, pendant que la Reine _était à l'Escurial_. Elle ne tua ni ne blessa personne. Elle est actuellement dans ce qu'on appelle l'_Alcaçal_ de Ségovie, très misérablement traitée. La Reine aurait fort souhaité qu'on lui eût accordé avant cela ce qu'elle demandait pour toute grâce à son mari, qu'on la mit dans un couvent, le plus austère qu'on pût choisir à Madrid...» (Mme de Villars à Mme de Coulanges, Madrid, 29 décembre 1680.) [393] Conférez les _Mémoires du marquis de Villars_ avec ceux de Mme d'Aulnoy. [394] Mme de Villars à Mme de Coulanges, 29 décembre 1680. [395] La seule erreur que commette Mme d'Aulnoy est de dire que le connétable était alors absent et qu'il ne revint à Madrid qu'au mois de février 1681. La correspondance de Mme de Villars fait foi qu'il était bien à Madrid au mois de décembre précédent et que ce fut alors qu'il proposa l'étrange arrangement dont nous parlons. [396] Le marquis de Villars donne les mêmes détails, et se livre aux mêmes réflexions dans ses _Mémoires_. [397] On lit les mêmes détails dans les _Mémoires_ du marquis de Villars. Voici comment sa femme les complète: «Il y a douze ou quinze jours que ce mari dit au confesseur, qu'il ne pouvait consentir que sa femme vînt à Madrid, si elle ne se faisait religieuse dans le couvent où elle entrerait et que lui, il prendrait les ordres. Le confesseur a écrit cette proposition à la connétable, qui l'a acceptée. Je crois qu'il n'y a pas une moindre vocation que la sienne à la religion. Cependant, comme elle a fait dire à son mari qu'elle fera tout ce qu'il voudra, cela pourra l'embarrasser; car je ne crois pas qu'il ait aucune intention de la faire entrer dans Madrid...» (Mme de Villars à Mme de Coulanges, Madrid, 29 décembre 1680.) «Il faut vous dire deux mots de la connétable Colonne, écrit Mme de Villars à Mme de Coulanges, le 26 janvier 1681. Je trouvai le confesseur de la Reine, il y a deux jours, au palais, qui avait apporté une lettre pour la montrer à cette princesse, avant qu'il la fermât. Il venait de chez le connétable Colonne, qui l'avait écrite à sa femme en présence du confesseur. Elle contient que le mari consent qu'elle vienne à Madrid, dans un couvent nommé; qu'elle prenne l'habit de religieuse le même jour qu'elle y entrera, et, trois mois après, qu'elle fasse profession. Je ne doute pas qu'elle n'accepte ces conditions pour quitter le lieu qu'elle habite présentement. Je ne conseillerais pas à la Reine de répondre qu'elle en sortira jamais...» ... «L'on attend tous les jours ici la connétable Colonne, pour prendre l'habit de religieuse. Son mari, qui est fort avare, dispute sur le prix avec le couvent où elle doit entrer. Elle écrivait, l'autre jour, que sa sœur Mazarin ferait bien mieux de venir se faire religieuse avec elle...» (Mme de Villars à Mme de Coulanges; Madrid, 6 février 1681.) La duchesse Mazarin, comme nous l'avons dit dans une note, eut en effet cette singulière velléité. Jamais couvent n'aurait vu deux plus étranges pénitentes. [398] _Mémoires de la cour d'Espagne._ [399] Mme de Villars à Mme de Coulanges, Madrid, 19 février 1681. [400] La même à la même, 17 avril 1681. [401] _Mémoires de la cour d'Espagne._ [402] _Mémoires du marquis de Villars_ et de Mme d'Aulnoy. [403] Lettre de Mme de Villars, 17 avril 1681. [404] «Le connétable, disent les Mémoires du marquis de Villars, partit trois jours après pour l'Italie..., laissant sa femme dans le couvent, incertaine de sa condition, misérablement logée, avec peu de moyens pour vivre pour une femme de sa qualité, et dans un état digne de compassion.» «La connétable demeure dans son couvent, où apparemment elle va manquer de tout. Elle y est déjà misérablement...» (Mme de Villars à Mme de Coulanges, Madrid, 17 avril 1681). La marquise ajoute dans la même lettre:... «Ce que l'on vous mande de Rome de la connétable Colonne serait meilleur pour elle que ce qui se passe ici. La pauvre femme est peut-être bien près d'éprouver de pires aventures que toutes celles qu'elle a eues par le passé. Il ne faut rien imputer à toutes ces sortes de têtes-là; mais on ne peut s'empêcher de la plaindre. C'est la meilleure femme du monde, à cela près qu'il n'est pas au pouvoir humain de lui faire prendre les meilleurs partis, ni de résister à tout ce qui lui passe dans la fantaisie...» [405] Madrid, 17 avril 1681. [406] _Mémoires de la cour d'Espagne sous le règne de Charles II_ (par le marquis de Villars), un vol. in-8o., 1861, publiés de nouveau par William Stirling. Ils avaient déjà paru en 1733, à Paris, chez J.-Fr. de Josse. [407] Il mourut à Rome, le 15 avril 1689. [408] Le 30 juillet 1683. [409] Comment se fait-il qu'on la retrouve à Madrid et dans un couvent en 1688? Sa présence y est indiquée ainsi à cette date dans une lettre du comte de Rebenac: «Madame la connétable, écrit-il, est ici dans un petit couvent dont elle sort quand elle veut; elle ne se mêle d'aucune intrigue. Sa conduite ne déplaît point à la cour. Elle a beaucoup d'amis considérables, et, quoiqu'elle ne soit pas brouillée avec sa sœur, personne ne s'était tant réjoui qu'elle de l'ordre qu'on lui avait donné de se retirer.» (Archives du ministère des affaires étrangères.) [410] Il est presque inutile de relever l'erreur de Saint-Simon. Ce ne fut pas avant le mariage du Roi que Marie Mancini épousa le connétable, mais après. [411] «Cette race demi-mazarine, dit Saint-Simon en tête du passage que nous venons de citer, me fait souvenir de la connétable Colonne que le Roi eut en sa jeunesse tant envie d'épouser, qui ne contraignit pas ses mœurs à Rome, ni de courir le bon bord, du vivant et surtout depuis la mort de son mari. C'était la plus folle et toutefois la meilleure de ces Mazarines. Pour la plus galante, on aurait peine à décider, excepté la mère de M. de Vendôme et du grand prieur, qui mourut trop jeune dans la première innocence des mœurs.» [412] Lettre XXXe. Elle s'occupait avec passion d'astrologie et d'autres sciences occultes. On a sous son nom un opuscule intitulé: _Discorso astrofisico delle mutationi de' tempi et di altri accidenti mondani dell' anno 1670_ (Rome), in-4o. [413] Lettres de Mazarin, t. I, p. 31 et suivantes. L'imprimé par erreur porte la date du 16. [414] Dans des parties de débauche et d'impiété dont parlent les Mémoires du temps, et à la suite desquelles le Cardinal éloigna de Paris son neveu, qui fut depuis duc de Nevers. [415] _Lettres manuscrites de Mazarin_, t. III. Bibl. Mazarine. [416] Manuscrit des Archives du ministère des affaires étrangères et lettres manuscrites de Mazarin à la Bibliothèque Mazarine. [417] Je ne laisserais pas. Je ne _lairrais_, forme ancienne encore en usage au XVIIIe siècle. [418] Courir, manuscrit des affaires étrangères. [419] Ms. des aff. étr.: _de ce que vous connaissez_, etc. [420] Ms. des aff. étr.: «pour en toutes choses devenir le plus grand Roi de la terre.» [421] L'infante Marie-Thérèse. [422] Ms. des aff. étr.: «que vous _savez_, que vous aimez, etc.» [423] Ms. des aff. étr.: «vous poussant à ces choses-là, etc.» [424] Ms. des aff. étr.: «avertir de ce qui était de son bien, etc.» [425] Ms. des aff. étr.: «des choses pour elle qui ne se doivent pas...» c'est-à-dire d'épouser Marie Mancini. [426] Ms. de la Mazarine: «et enfin qui sont, par plusieurs raisons, impossibles...» [427] Ms. des aff. étr.: «de si malheureux, etc.» [428] Ms. de la Mazarine: «que vous _en_ fassiez, etc.» [429] Ms. des aff. étr.: «il en jugera selon que vous lui en donnez occasion, etc.» [430] Ms. de la Mazarine:... «je m'avance de vous représenter...» [431] Le cardinal de Retz entre autres, alors réfugié en Hollande, qui s'était réconcilié avec le prince de Condé et qui conspirait avec lui pour rentrer en France, les armes à la main et pour expulser le premier ministre. [432] Manuscrit de la Mazarine:... «ce qui arrivera de nous...» [433] En épousant la nièce du Cardinal. [434] Ms. des aff. étr.: «_courir_ risque, etc.» [435] Ms. des aff. étr.: «pour vouloir sitôt vous marier, etc.» [436] Ms. des aff. étr.: «qu'il n'y _a_, etc.» [437] Ms. des aff. étr.: «de _ce_ royaume, etc.» [438] Ms. de la Mazarine:... «_de_ me mettre dans un vaisseau, etc.» [439] Ms. de la Mazarine:... «toutes _les_ choses du monde...» [440] Les quatre mots entre crochets sont dans le Ms. des aff. étr. [441] C'est-à-dire Mazarin et sa nièce. [442] Ms. de la Mazarine:... «le plus fidèle de vos serviteurs...» [443] Bibl. Mazarine, _Lettres manuscrites de Mazarin_, t. III, p. 249, ro. et suivantes. [444] _Donner l'échange_ (_manuscrits._) [445] Pour: _de science certaine_. [446] C'est-à-dire d'emmener sa nièce en Italie, pour empêcher que le Roi ne l'épouse. [447] Bibl. Mazarine. _Lettres manuscrites de Mazarin_, t. III, p. 246, verso et 247 ro. [448] Bibl. Mazarine, _Lettres manuscrites de Mazarin_, t. III, p. 247, vo. et 248 ro. [449] C'est-à-dire que le Roi irait à Brouage voir Marie Mancini. [450] Le manuscrit porte _découvrir_; nous préférons la version de l'imprimé. [451] _Lettre inédite._ _Lettres manuscrites de Mazarin_, t. III, p. 248 vo., Bibl. Mazarine. [452] Bibl. Mazarine. _Lettres manuscrites de Mazarin_, t. III, p. 215 et suiv. [453] L'auteur des _Mémoires_, le confident et l'agent du prince de Condé. [454] Anne de Gonzague. [455] La charge de surintendante de la maison de la future Reine. Mazarin lui enleva cette charge pour la donner à sa nièce, la comtesse de Soissons. [456] Le manuscrit de la Bibliothèque Mazarine présente plusieurs variantes que nous avons eu soin d'indiquer par des crochets. [457] Bibliothèque Mazarine. _Lettres manuscrites de Mazarin_, t. III. Les mots ou phrases entre des crochets sont les variantes du manuscrit de la Mazarine. [458] Bibl. Mazarine. _Lettres manuscrites de Mazarin_, t. III. [459] Lettre inédite, Bibl. Mazarine. _Lettres manuscrites du cardinal Mazarin_, t. III, p. 268. [460] D'épouser Marie Mancini. [461] Cette lettre figure, avec de nombreuses erreurs, dans le Recueil imprimé des _Lettres de Mazarin_, t. I, pp. 303, 332, édition d'Amsterdam, 1745. M. Chéruel l'a publiée, d'après l'original, écrit de la main de Mazarin, dans le _Bulletin de la Société de l'histoire de France_ (t. I, 2e partie, p. 176 et suivantes). La copie de M. Chéruel renferme aussi quelques erreurs évidentes, que nous avons pu rectifier d'après une autre copie authentique du XVIIe siècle qui se trouve dans les archives du ministère des affaires étrangères (Espagne. Négociations des Pyrénées, 1659, 1661, t. LXXI). Dans le manuscrit de la Mazarine, non plus que dans l'imprimé, cette lettre n'est pas datée. Dans la copie des archives du ministère des affaires étrangères, elle porte la date du 28 août. Cette date est exacte, et non celle du 18 que lui donne M. Chéruel. En effet, dans une lettre en date du 29 août, que Mazarin adresse au Roi, il lui dit qu'il lui a rendu un grand service, _depuis vingt-quatre heures_, en lui écrivant cette grande lettre. [462] Copie de M. Chéruel: _et délicates_ au lieu de: _et d'éclat_. [463] Texte Chéruel: «... d'accord avec moi, qu'elle au contraire n'a nulle amitié pour moi, qu'elle a beaucoup d'aversion, etc.» [464] Le mot _elle_ qui se trouve dans le manuscrit des affaires étrangères n'est pas dans la copie Chéruel. Les lettres étaient remises secrètement à Marie Mancini par le sieur de Téron, parent de Colbert. Voyez la lettre déjà citée imprimée par Soulavie, t. I, p. 184. [465] «Et qu'elle enfin...» (Copie Chéruel.) [466] Ms. des aff. étr.: «qu'à elle seule comme à moi, etc.» [467] Ms. des aff. étr.: «enfin.» [468] De quitter la France avec ses nièces. [469] Copie Chéruel: «qu'elle ne l'a jamais été, etc...» [470] Ce mot _surtout_ entre crochets n'est pas dans le Ms. des aff. étr. [471] Copie Chéruel: «_pour_ vous rendre...» [472] Copie Chéruel: «qu'elle s'imagine...» [473] Copie Chéruel: «_les cœurs_...» [474] Copie Chéruel: «que je suis, etc.» [475] Copie Chéruel: «_Monsieur._» _Bulletin de la Société de l'histoire de France_, loc. cit. [476] Copie Chéruel: «mais pour moi, _que je_ ne suis pas préoccupé...» [477] La copie Chéruel et celle du ministère des affaires étrangères: «et qu'à quelque prix que ce soit, je vous veux servir...» Nous avons cru devoir corriger cette faute de français, comme Mazarin l'eût fait lui-même s'il eût relu sa lettre. [478] _Monsieur_ dans le _Bulletin de la Société de l'histoire de France_. Le manuscrit des affaires étrangères: _Madame_. [479] Ms. des aff. étr.: «Étant assuré, etc.» [480] Pour: _qui ai_. [481] Tel est le texte du manuscrit des archives du ministère des affaires étrangères. Voici quelle a été la lecture du copiste de M. Chéruel: «Il est insupportable de me voir inquiété par une personne _que_, par toutes sortes de raisons, _je devrais mettre en pièces_ pour me soulager» (_Bulletin de la Société de l'histoire de France_, loc. cit.). Mazarin n'était pas si féroce, et notre texte, qui est le seul admissible, lui rend son vrai caractère. [482] Il y a _délibérer_ dans l'original. Mazarin a francisé l'infinitif italien _deliberare_ qui signifie également _délivrer_. [483] Ms. des aff. étr.: et de cette grande inquiétude. [484] Ms. des aff. étr.: par _les termes de passion_, etc. [485] Ms. de la Mazarine: _pourrait_, etc. [486] Copie Chéruel: «_que_ n'était auparavant.» [487] Copie Chéruel: «car je _le_ sais à n'en _pouvoir_ pas douter...» [488] Copie Chéruel: «... que moi, _que j'ai_ songé avec la dernière application toujours à employer, etc...» [489] Copie Chéruel: «Et procurer, par toutes sortes de voies, même les plus pénibles, _pour_ la gloire de vos armes et _pour_ le bien de votre État, etc...» ce qui n'a pas de sens. [490] Copie Chéruel: _laisser_ la bride. [491] Il y a _le mettre en état_ dans l'original et dans la copie des affaires étrangères. [492] Copie Chéruel: «n'aurons _pas_ rien à dire...» [493] Copie Chéruel: «... vous donnant plus en proie à la passion pour cette personne que vous n'avez jamais fait...» [494] Copie Chéruel: «... qu'il ne paraisse votre aversion à ce mariage...» [495] Copie Chéruel: ... «_par_ tous les moyens imaginables...» [496] Ms. des aff. étr.: «dès le berceau.» [497] Ms. des aff. étr.: «vous tînt...» [498] Copie Chéruel: «est bien loin...» [499] Copie Chéruel: «... votre épouse et que peut-être, etc...» Ce qui n'offre aucun sens. [500] Copie Chéruel: ... «elle lui puisse être _seulement_ comparée, etc.» [501] Il avait épousé, en 1652, la fille de Mme de Beauvais, la _Borgnesse_ (l'_Histoire amoureuse des Gaules_, édit. Jannet, t. II, p. 50, note 3.) [502] Ms. Chéruel: «_qu'elles ne_ sont pas effacées...» [503] Ms. des aff. étr.: «à exécuter seulement la moindre chose en ma vie...» [504] Pour être malheureux. [505] Copie Chéruel: «_faisiez_...» [506] Copie Chéruel: «_avec_ celle...» [507] Ms. des aff. étr.: «que je dois en vieux serviteur.» [508] Copie Chéruel: «Je vous _promets_...» [509] Copie Chéruel: ... «et procuré _des_ avantages et _de la_ gloire, etc...» [510] Copie Chéruel: ... «des grandes affaires, _comme vous savez_...» [511] Copie Chéruel: «aucune _retenue_...» [512] Copie Chéruel: ... «j'estimerai _le plus propres_, etc.» On remarquera que, dans la copie des archives du ministère des affaires étrangères, les secrétaires de Mazarin ont fait disparaître tous les italianismes et toutes les fautes essentielles qui lui avaient échappé au premier jet. Le cardinal, lorsqu'il ne jugeait pas indispensable d'écrire une lettre de sa main, non seulement se prêtait volontiers aux corrections des lettres écrites sous sa dictée, mais il avait soin de les provoquer et de les ordonner pour faire oublier le plus possible son origine italienne. [513] Lettre inédite. (Bibl. Mazarine.) _Lettres manuscrites de Mazarin_, t. III. [514] Lettre inédite. (Bibl. Mazarine.) _Lettres manuscrites de Mazarin_, t. III, p. 287, vo. [515] M. de Machaut, porteur de la lettre du cardinal à la Reine. [516] Lettre inédite. (Bibl. Mazarine.) _Lettres manuscrites de Mazarin_, t. III. [517] L'auteur des _Mémoires_. [518] Lettre inédite. (Bibl. Mazarine.) _Lettres de Mazarin_, t. III. [519] Mazarin. [520] La Reine, noms indiqués par Baluze et par Ravenel. [521] _Lettres du cardinal Mazarin_, t. II, p. 60 et suiv., édit. d'Amsterdam. [522] M. Amédée Renée avait retrouvé dans la Bibliothèque du Louvre cette lettre autographe, qui a été détruite dans l'incendie de cette bibliothèque. [523] Lettre inédite. (Bibl. Mazarine.) _Lettres manuscrites de Mazarin_, t. III. [524] La Reine. [525] Mazarin. [526] Lettre inédite. (Bibl. Mazarine.) _Lettres manuscrites de Mazarin_, t. III. [527] Lettre inédite. (Bibl. Mazarine.) _Lettres manuscrites de Mazarin_, t. III. [528] Lettre inédite. (Bibl. Mazarine.) _Lettres manuscrites de Mazarin_, t. III. [529] Lettre inédite. (Bibl. Mazarine.) _Lettres manuscrites de Mazarin_, t. III. [530] Il y a dans le manuscrit: «mais à la fin _mal_ s'ajustera», ce qui n'offre aucun sens et qui est évidemment une erreur du copiste. [531] Lettre inédite. (Bibl. Mazarine.) _Lettres manuscrites de Mazarin_, t. III. [532] Lettre inédite. (Bibl. Mazarine.) _Lettres manuscrites de Mazarin_, t. III. [533] La Reine. [534] Mazarin ne négligeait rien, comme on le sait, pour perdre ses ennemis dans l'esprit de la Reine. A cette époque, Anne d'Autriche avait accordé toute sa confiance à une personne attachée à son service, et que le cardinal ne nomme pas dans cette lettre mystérieuse qu'il écrit à la Reine. Quelle était cette personne? Nous serions bien tenté de croire qu'elle n'est autre que Mme de Motteville, femme de chambre de la Reine, et l'auteur des Mémoires. [535] Cette cassette, contenant des papiers secrets, avait été confiée à un sieur du Bosc, domestique de la Reine-mère, et mort récemment. [536] Il y a _les mêmes_, dans le manuscrit, ce qui est une erreur du copiste. [537] Lettre inédite. (Bibl. Mazarine.) _Lettres manuscrites de Mazarin_, t. III. [538] C'est-à-dire des nièces de Mazarin. [539] Lettre inédite. (Bibl. Mazarine.) _Lettres manuscrites de Mazarin_, t. III. [540] Le premier écuyer. [541] Où se trouvait Marie Mancini. [542] Lettre inédite (Bibl. Mazarine). _Lettres manuscr. de Mazarin_, t. III. [543] La personne attachée au service de la Reine, que Mazarin voulait faire expulser. [544] Peut-être Mme de Motteville, comme nous l'avons dit plus haut. [545] Le Roi et la reine-mère. Ce chiffre ne se trouve pas dans la clé des chiffres de la cour en 1652, dont un grand nombre furent longtemps conservés. [546] _Lettres de Mazarin_, édition d'Amsterdam, t. II, p. 301 et suivantes. [547] Le comte de Palluau, maréchal de Clérembault. [548] Marie Mancini. [549] Armand de La Meilleraye, grand maître de l'artillerie, qui épousa plus tard Hortense Mancini et qui, par suite de cette alliance, fut créé, sur la demande du cardinal, duc de Mazarin. [550] Tous les petits fragments de phrases que nous venons de citer sont empruntés aux _Mémoires du cardinal de Retz_. [551] _Ibidem._ [552] _Ibidem._ [553] _Mémoires de Brienne_, publiés par Barrière, t. II. [554] _Mémoires de Madame de Motteville._ [555] «J'ai contre moi Hautefort, Senecé et toute la maison de la Reine...» (_Carnets de Mazarin_ fragments publiés par Victor Cousin dans le _Journal des savants_.) [556] IVe carnet, p. 62 et suiv. _Les Carnets de Mazarin_, par Victor Cousin, _Journal des savants_, janvier 1855; et Amédée Renée, _les Nièces de Mazarin_. [557] _Mémoires inédits de Louis-Henri de Loménie, comte de Brienne_, publiés par Barrière, t. II, p. 39 et suivantes. [558] _Mémoires_ de La Porte, premier valet de chambre de Louis XIV. [559] Bibliothèque nationale, boîte du Saint-Esprit; Lettres inédites et autographes d'Anne d'Autriche à Mazarin. [560] Lettre autographe (Bibliothèque nationale), publiée par M. Walckenaer, dans ses _Mémoires sur Madame de Sévigné_, t. III, p. 473. [561] «Quanto a la Bolla per diffetto degli ordini, non è di poca consideratione quella della privatione della voce attiva nel conclave; e perciò desiderarei sapere se quando prenderò gl'ordini sacri, resterò habilitato alla detta voce, senza dovere ottenere altra dispenza.» [562] «Depuis peu on a demandé à Sa Sainteté, au nom de M. le cardinal Mazarin, la dispense et un _extra tempora_ pour se mettre aux ordres, et elle l'a refusé absolument; de quoi l'on s'étonne d'autant plus que, de ces grâces-là, qui que ce soit en obtient tant que l'on veut, moyennant quatre écus pour l'expédition du bref, sans même qu'il soit besoin d'en parler au pape; ce qui a causé curiosité à quelques-uns de rechercher d'où pouvait venir ce refus; s'étant trouvé qu'il doit être fondé sur ce que mondit sieur le cardinal n'a point satisfait depuis sa promotion (au cardinalat) aux conditions portées par la bulle, qui se donne à tous les cardinaux, qui sont, entre autres, de se mettre _in sacris_ dans la première année, sur quoi il s'est dit, il y a quelque temps, qu'il avait été remontré à Sa Sainteté par les personnes qui n'aiment pas mondit sieur le cardinal, qu'elle pouvait, sans cela, légitimement le priver du cardinalat. Et, en effet, le bruit courut lorsqu'il semblait qu'elle le voulait faire pour ne laisser pas cet exemple-là à d'autres cardinaux de n'observer ponctuellement le contenu en la bulle de leur promotion.» (Rome, le 7 août 1651.) Dépêche citée par M. Loiseleur dans son Étude intitulée: _Comment Mazarin devint prêtre_, publiée dans le _Temps_ du 30 décembre 1874. [563] «Sa Sainteté a de nouveau refusé la dispense qu'on lui a demandée pour M. le cardinal Mazarin de se mettre aux ordres, _afin_, dit-on, _qu'il ne puisse avoir entrée ici au prochain conclave_. Sur quoi, ayant été demandé au cardinal Barberin, par un de ses confidents, si ce déni-là l'en pourrait exclure, il dit qu'oui assurément.» (_Ibidem._) [564] _Éloge funèbre de l'Éminentissime cardinal Jules Mazarin._ A Rome, de l'imprimerie de la Révérende Chambre apostolique, in-4o., 1661, par Fr. Léon, religieux carme de l'Observance de Rennes. [565] «_Italus scilicet et Gallus; strenuus miles et doctor laureatus; popularis sacros extra ordines, idemque sacra purpura inauguratus._» Ajoutons que ces oraisons funèbres furent prononcées en présence de l'abbé Elpidio Benedetti, le fidèle agent de Mazarin, qui organisa dans Rome tous les services funèbres célébrés en son honneur et qu'il n'eût pas laissé passer une aussi importante assertion si elle n'eût pas été vraie. [566] Voir, dans le _Temps_ du 31 décembre 1874, le second et ingénieux article de M. Loiseleur, intitulé: _Comment Mazarin devint prêtre_. [567] _Requête civile pour la conclusion de la paix_, Paris, 1649. [568] Dans la _République française_ du 11 novembre 1879, article _Variétés_, sous ce titre: _La minorité de Louis XIV_. L'article est signé: H. [569] «La reine-mère, veuve de Louis XIII, dit la Palatine dans sa _Correspondance_, a fait encore pis que d'aimer le cardinal Mazarin: elle l'a épousé.» [570] Le _Temps_, du 31 décembre 1874, _Variétés, Problèmes historiques_. Comment Mazarin devint prêtre. ┌───────────────────────────────────────────────────────────────────┐ │ Note de transcription: │ │ │ │ Les mots en italiques sont _soulignés_. │ │ │ │ Corrections: │ │ p. 10: fut ⟶ fit. «Mme de Nogent les fit recevoir.» │ │ p. 89: vos lettres Mme de Venel ⟶ «vos lettres à Mme de │ │ Venel.... » │ │ p. 330: appendre ⟶ apprendre. «et qui va nous apprendre.... » │ │ │ │ Variantes non corrigées: │ │ Bourdeaux et Bordeaux. │ │ Colonne et Colonna. │ │ │ │ Autre note: │ │ p. 367: «avec Le Jar[1]. » La note explicative de bas de page │ │ manque. │ └───────────────────────────────────────────────────────────────────┘ *** End of this LibraryBlog Digital Book "Louis XIV et Marie Mancini - d'après de nouveaux documents" *** Copyright 2023 LibraryBlog. All rights reserved.