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Title: Le musée du Louvre, tome 1 (of 2)
Author: Dayot, Armand
Language: French
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    Au lecteur.

    Ce livre électronique reproduit intégralement le texte original,
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    noms propres. Seules quelques erreurs typographiques évidentes
    ont été corrigées. La liste de ces corrections se trouve à la
    fin du texte.

    La ponctuation a également fait l’objet de quelques corrections
    mineures.



  LES GRANDS MUSÉES DU MONDE
  ILLUSTRÉS EN COULEURS

  LE MUSÉE
  DU LOUVRE

  Publié sous la direction de M. ARMAND DAYOT,
  Inspecteur général des Beaux-Arts

  [Illustration]

  OUVRAGE ILLUSTRÉ DE 90 PLANCHES HORS TEXTE EN COULEURS

  PIERRE LAFITTE & Cie
  ÉDITEURS :: 90, CHAMPS-ÉLYSÉES :: PARIS
  1912



  COPYRIGHT 1912
  BY PIERRE LAFITTE & Cie



PRÉFACE


_Notre étonnement est toujours aussi grand, en parcourant notre
admirable musée du Louvre, de le voir si peu fréquenté. Trop souvent
le bruit des pas y résonne comme en un temple sans fidèles. Dans ce
merveilleux sanctuaire d’art où, siècle par siècle, «l’idéal de tous
les peuples» s’est, en quelque sorte, cristallisé en d’incomparables
chefs-d’œuvre, bien rares sont les fervents qui viennent porter leur
hommage et purifier leur goût. Parfois, sous la conduite d’un employé
d’agence, des étrangers le parcourent et l’animent d’une rumeur
passagère. Quant au Parisien, ne l’y cherchez pas: on l’y voit si peu!_

_Par la facilité même qu’il a d’entrer au Louvre à tout instant
il remet toujours au lendemain la visite projetée... De même du
provincial, venu à Paris pour ses affaires ou ses plaisirs. Il aura
la plupart du temps tout vu, les promenades, les cabarets, les
hippodromes, les théâtres, tout, sauf notre grand musée national._

_A quoi tient cette indifférence de nos compatriotes pour les musées?
Serait-ce inaptitude à apprécier les œuvres d’art? Je ne le pense pas,
le Français ayant d’instinct le goût du Beau, d’ailleurs certifié
par les merveilles d’art de notre pays. Alors? J’accuserais plus
volontiers l’insuffisance actuelle de l’enseignement artistique dans
les écoles, insuffisance qui permet à un jeune homme, d’ailleurs pourvu
de parchemins, d’ignorer l’existence d’un Velazquez ou d’un Rembrandt.
Que ce bon élève, un jour, pénètre dans le Louvre, il sera dès l’abord
ahuri, confondu par l’entassement de ces peintures auxquelles il ne
comprend rien, dont il ignore tout, l’origine, l’époque et jusqu’au nom
de l’auteur. Et ces notions élémentaires qui lui manquent, s’il lui
prend fantaisie de les chercher, il ne les trouvera qu’en d’énormes
volumes de critique, alourdis de considérations savantes et dont il ne
pourra pas dégager la substance. Mais le guide précis, clair, facile à
suivre, qui le renseignera brièvement sur la valeur d’une œuvre, la vie
de son auteur, les traits essentiels de son talent, où se le procurer?
Inutile de le chercher dans les bibliothèques, il n’y existe pas. Il
est encore à faire._

_Ou, plutôt, il était encore à faire car, si la vanité ne nous aveugle
pas, nous croyons pouvoir affirmer qu’il est fait maintenant et c’est
ce guide nécessaire que nous vous présentons._

_La pensée directrice de cet ouvrage, c’est de propager le goût du
Beau, de développer le sens artistique par la constante contemplation
des plus admirables chefs-d’œuvre de la peinture. Posséder les musées
chez soi, à portée de la main à toute heure, à tout instant, quelle
heureuse fortune! Le musée chez soi, c’est-à-dire évoquer la fidèle
image de la toile qu’on aime, faire revivre et prolonger à son gré
l’émotion ressentie devant les œuvres admirées jadis et qu’on ne
reverra peut-être plus! Quel précieux privilège de pouvoir contempler
ainsi tous les tableaux célèbres, épars dans les musées les plus
lointains, à Madrid, à Amsterdam, à Saint-Pétersbourg, à Rome!_

_Et quel concours miraculeux nous fournit la science moderne!_

_La photographie noire, sans lumière, uniforme de tons, a désormais
vécu pour faire place à la photographie des couleurs. Ah! l’admirable
découverte, en vérité! Grâce à elle, la peinture nous est restituée
tout entière; c’est le tableau lui-même qui revit sous nos yeux.
Regardez, tout s’y trouve, exactement rendu, le velouté des chairs, le
chatoiement des étoffes, le scintillement des bijoux, la transparente
légèreté des ciels, la profondeur lumineuse des ombres. Les nuances
les plus fines, les frottis les moins appuyés y sont traduits avec
la même précision que les plus forts empâtements. Cela n’est-il pas
merveilleux, et n’est-il pas juste de dire que, possédant un tel
ouvrage, on possède réellement le musée chez soi?_

_Quelques lecteurs s’étonneront peut-être de rencontrer dans une sorte
de désordre des œuvres très différentes d’époque, d’école et de genre.
Mais cette apparente confusion n’est pas involontaire. Elle est le
résultat de considérations faciles à justifier._

_L’ouvrage que nous présentons au public n’est pas, en effet, purement
didactique, au sens étroit du mot. Il est fait, certes, pour instruire,
mais pour instruire sans ennui. Un volume d’enseignement, en matière
d’art, implique généralement une classification soit par époques,
soit par écoles, classification d’où se dégage toujours une certaine
monotonie. Donner tout d’une traite l’école flamande, par exemple,
c’est la redite obligatoire et continue des scènes d’intérieur et des
scènes de cabaret, fatigantes à la longue, quelle que soit d’ailleurs
la valeur intrinsèque de l’œuvre, de même que l’œil se fatiguerait
aussi d’une suite ininterrompue de Madones italiennes ou de Descentes
de Croix, fussent-elles signées des plus grands noms._

_Ici, au contraire, la fantaisie seule nous a guidés comme seule,
dans un musée, elle guide les pas du promeneur qui s’arrête à son gré
devant la toile qui l’attire, portrait, allégorie, scène d’histoire ou
peinture de genre._

_Pareil à ce visiteur, nous n’avons prétendu faire qu’une libre
promenade à travers le Louvre, promenade intéressante au plus haut
point, toujours pleine d’imprévu, où chaque pas amène une surprise
et une émotion nouvelles, fixant au passage les œuvres glorieuses
qui rayonnent dans notre grand musée. N’est-ce point là la meilleure
méthode et la plus attrayante? Nous l’avons pensé et c’est elle que
nous avons adoptée dans la présentation de ce volume._

_Au hasard de la course, les époques, les écoles, les nationalités
vont se confondre. L’école flamande voisinera souvent avec l’école
française, un Hollandais avec un Espagnol, un romantique avec un
primitif comme les fleurs les plus diverses dans un merveilleux jardin.
Sans plus d’égards pour les genres, portraits, allégories, sujets
religieux, paysages, tableaux mythologiques alterneront au cours de
ces pages, l’un nous reposant de l’autre et nous permettant de les
mieux goûter tous. Ainsi conduite, la promenade est sans fatigue; elle
s’égaie de rencontres inattendues; elle puise le meilleur de son charme
dans son infinie variété._

_Variété qui n’enlève rien, d’ailleurs, à la portée éducative de
l’ouvrage, bien au contraire, chaque planche étant accompagnée d’une
notice explicative. Cette notice, nous l’avons voulue claire, précise,
documentaire, débarrassée de considérations générales et dégagée des
querelles d’école, assez courte pour n’être pas fatigante, assez longue
pour être complète. Sur chaque œuvre reproduite elle dira tout ce
qu’on en peut dire sous une forme résumée: l’événement qui en amena
l’exécution, les qualités qui la distinguent, les particularités de la
composition, du dessin ou du coloris, le tout fortifié par l’opinion
autorisée d’un critique éminent. Du peintre lui-même nous saurons, dès
le premier contact, ce qu’il importe d’en savoir, son caractère, son
histoire, les anecdotes intéressantes de sa vie, les traits essentiels
de son talent. Et lorsque le lecteur rencontrera plus loin un autre
tableau du même peintre, il le reconnaîtra de lui-même avant d’avoir
lu le nom, sur la physionomie générale de l’œuvre, comme on reconnaît
de loin un ami dans la rue avant même de distinguer les traits de son
visage. Par la diversité des artistes et des œuvres, les similitudes
et les différences de chacun d’eux se fixeront dans son esprit, et les
classifications s’opéreront automatiquement, sans effort. Et, peu à
peu, par une lente progression, sans même qu’il s’en aperçoive, il aura
meublé son esprit et formé son goût._

_Un tel résultat suffirait à justifier cet ouvrage, ou plutôt cette
série d’ouvrages, puisque, au_ Louvre, _succéderont les_ Offices _et
le_ Palais Pitti _de Florence, la_ National Gallery _de Londres,
l’_Académie _de Venise, le_ Prado _de Madrid, les musées d’Allemagne et
d’Autriche, etc._

_Puissions-nous, par cette publication à la fois séduisante et
éducative, avoir contribué à faire pénétrer dans le public français,
d’une sensibilité artistique si grande, mais, cependant, il faut bien
le reconnaître, trop souvent ignorant des merveilles qui peuplent nos
musées nationaux et ceux de l’étranger, le goût de l’éternelle Beauté
et le désir d’en pénétrer le mystère._

  [Signature manuscrite: Armand Dayot]
  _Inspecteur général des Beaux-Arts._



FRANÇOIS BOUCHER

VULCAIN PRÉSENTANT A VÉNUS
LES ARMES FORGÉES POUR ÉNÉE

SALLE DU XVIIIe SIÈCLE


[Illustration]



_Vulcain présentant à Vénus les Armes d’Énée_


Boucher, affirme le Nécrologe de 1771, «possédait à un degré supérieur
toutes les grandes parties de l’art de la peinture et il eût pu
s’essayer et se distinguer dans tous les genres; mais né sensible,
aimable et voluptueux, il se vit presque toujours entraîné vers les
Grâces dont il fut généralement appelé le peintre.» Sensible, aimable
et voluptueux: en ces trois termes se résume la physionomie du XVIIIe
siècle tout entier, avec son élégance spirituelle et son dévergondage
raffiné; dans ces trois mots également s’enferme tout l’art de
Boucher, peintre des fêtes galantes et des mythologies gracieuses.
Ses conceptions personnelles s’adaptaient merveilleusement au goût
de l’époque. Il devait réussir dans une cour brillante et libertine
dont Mme de Pompadour était la reine; il en devint bientôt le peintre
officiel. Aussi bon courtisan qu’artiste habile, il employa le meilleur
de son talent à célébrer Vénus, la déesse d’amour et de beauté,
délicat hommage à la favorite royale, sa protectrice, souveraine
toute-puissante dans le fastueux Olympe de Versailles. Par goût
naturel, il aime d’ailleurs à faire jouer la lumière sur les chairs
roses et nacrées des femmes; son œuvre entière est un hymne permanent à
la jeunesse, à la beauté et à l’amour.

Parmi ces toiles allégoriques, celle que nous donnons ici est l’une
des plus belles. A droite du tableau, Vulcain, assis sur une peau de
tigre, tend à la déesse les armes qu’il vient de forger. Portée sur un
nuage et appuyée sur une de ses nymphes, Vénus à demi nue les examine
négligemment. Son corps nonchalamment étendu est une merveille de grâce
aisée et de beauté indolente. Au premier plan, on aperçoit le char de
la divinité, attelé de colombes. Sur le devant de la toile, un Amour
tresse des guirlandes de roses. Dans le ciel baigné d’une lumière
diaphane, d’autres Amours se poursuivent en jouant.

S’il obtint les suffrages unanimes de ses contemporains, l’art de
Boucher éprouva les rigueurs de la postérité. De l’engouement exagéré
on en vint sans transition à l’absolu mépris. On lui reprochait
la mollesse de son dessin, l’incorrection de ses anatomies, le
conventionnel de sa peinture. Malgré la part de vérité contenue
dans ces critiques, il faut avouer que nous sommes très mal placés
aujourd’hui pour juger Boucher, qui fut surtout et avant tout
décorateur. Pour asseoir un jugement équitable, il faudrait voir ses
œuvres dans le cadre pour lequel elles avaient été peintes, panneaux
sculptés où courent des guirlandes, trumeaux ouvragés et précieux,
tympans dorés et festonnés d’arabesques; on leur trouve aussitôt toute
leur signification esthétique et toute leur harmonie. Dépouillées de ce
soutien nécessaire, les toiles de Boucher ressemblent à des diamants
qu’on aurait dessertis de leur alvéole d’orfèvrerie.

«Son œuvre est prodigieuse sous son aspect léger, prodigieuse par la
fécondité de l’effort qu’elle représente, et prodigieuse aussi par la
facilité d’expression qu’on y découvre, facilité, il faut bien le dire,
plus rare chez ceux qui s’obstinent à pénétrer le mystère de la nature
que chez ceux dont la faculté d’observation s’arrête à la surface des
choses. Et telle était cette incroyable facilité, qui constituait le
fond du talent de Boucher que ce dernier traita avec la même assurance,
sinon avec le même bonheur, tous les sujets, depuis les sujets de
sainteté jusqu’aux grivoiseries les plus déshabillées, caressant avec
une égale aisance de pinceau les voiles de la Vierge dans ses tableaux
de Nativité et les splendeurs nacrées de Miss Murphy voluptueusement
étendue au milieu des draperies bouleversées de l’alcôve.» (Armand
Dayot.)

Ce qu’on ne peut, sans injustice, contester à Boucher, c’est
l’harmonieuse beauté de sa composition, l’incomparable fluidité de
sa couleur, la clarté de ses atmosphères et surtout cette élégance
parfaite, un peu maniérée mais exquise, où se matérialisent à nos yeux,
en quelque sorte, l’esprit et le goût de la Régence et du règne de
Louis XV.


David le savait bien, lui qui avait travaillé plus que tout autre à
réagir contre cet art. Un jour qu’il entendait certains de ses élèves
tourner en dérision le peintre des Bergeries et des Boudoirs, il alla
vers eux, fort en colère, et leur cria: «N’est pas Boucher qui veut!»

On peut en croire David; il était bon juge. Boucher est resté
inimitable dans un genre qu’il a créé et dont aucun peintre après lui
n’a pu retrouver le secret. Ses élèves s’évertuèrent à le continuer, et
n’y réussirent point. Sous leur pinceau, l’habileté du maître devint du
procédé, sa grâce de l’afféterie, son tour galant de la fadeur.

On est aujourd’hui revenu de l’injustice dont a longtemps souffert
l’art de Boucher. Sans le classer au rang des grands maîtres on
s’accorde à le reconnaître comme un peintre délicat et charmant,
parfois incorrect mais jamais banal, dont on regarde toujours les
œuvres avec plaisir et intérêt, parce qu’elles sont élégantes,
spirituelles, brillantes comme la société dont elles reflètent les
goûts, les qualités et les défauts.

_Vulcain présentant les armes d’Énée à Vénus_ figura au Salon de 1757.
Il y obtint un grand succès. Il fut acquis par le roi Louis XV pour
être reproduit en tapisserie par la manufacture royale des Gobelins.
Plus tard, il passa du Garde-Meuble au Musée du Louvre, qu’il n’a plus
quitté. On le voit aujourd’hui dans la salle du XVIIIe siècle.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 3.20.--Largeur: 3.20.--_Figure grandeur naturelle._



RAPHAËL

BALTHAZAR
COMTE DE CASTIGLIONE

SALON CARRÉ


[Illustration]



_Balthazar, Comte de Castiglione_


Il y a quelques mois à peine, ce magnifique portrait de Raphaël
voisinait encore, au Salon Carré, avec la fameuse _Joconde_ de Vinci,
récemment enlevée à l’admiration du monde par une main criminelle.
Côte à côte, les deux tableaux rayonnaient d’un éclat incomparable
dans cette salle illustre, dans ce Saint des Saints de l’Art, qui ne
renferme cependant que des chefs-d’œuvre. A la place laissée vide
par la Mona Lisa--et qu’elle ne reprendra peut-être plus--Balthazar
Castiglione trône aujourd’hui et son fin sourire de diplomate succède à
la troublante énigme des yeux et des lèvres de la Joconde.

A contempler l’impeccable perfection de ce portrait, on devine que
Raphaël mit toute son âme à l’exécuter. Castiglione fut, en effet, son
ami le plus cher et son conseiller le plus sûr. C’est à lui que le
grand artiste écrivait: «Je vous dirai que, pour peindre une beauté
féminine, j’ai besoin de vous avoir avec moi pour choisir la plus
belle.»

Castiglione méritait cet honneur. La nature l’avait orné des dons les
plus brillants. Son extérieur était séduisant, son visage agréable,
ses manières affables et courtoises. Il aimait les arts avec passion,
les comprenait et les encourageait. D’un savoir et d’une intelligence
remarquables, à la fois soldat et lettré, il maniait l’épée comme un
Sforza et la plume comme Machiavel. De même que celui-ci écrivit le
_Livre du Prince_, Castiglione laissa au monde cet immortel monument
de l’esprit de la Renaissance: le _Livre du Courtisan_. Du courtisan
il fut lui-même le type accompli, sans bassesse comme sans effort,
par la souplesse de son esprit et la sincérité de son attachement
à ses princes. Il guerroya d’abord dans l’armée du duc d’Urbin et
le servit ensuite comme diplomate. Puis il passa successivement au
service du pape Clément VII et de l’empereur Charles-Quint. Léon X
le créa cardinal. Charles-Quint lui donna le titre d’évêque d’Avila.
Soldat, littérateur, diplomate, évêque, cardinal, Castiglione, avec
ses qualités multiples, réalise la plus complète et la plus brillante
personnification du grand seigneur cultivé de la Renaissance italienne.

Il se montra toujours très attaché à Raphaël, qu’il avait connu très
jeune et dont il avait deviné le génie. Très en faveur auprès des
princes et à la cour pontificale, il contribua à faciliter ses débuts.
C’est à son influence que le jeune peintre dut ses premières commandes.
Raphaël ne se montra pas ingrat. Devenu riche et parvenu au faîte de
la gloire, il ne cesse de voir un bienfaiteur dans ce patricien qui
ne se pose qu’en ami. Il sait d’ailleurs quelle science, quel goût
sûr, quelle hauteur d’esprit se dissimulent sous les dehors élégants
du grand seigneur. Lorsqu’il est embarrassé sur un point quelconque
d’histoire ou s’il hésite dans la composition d’un groupe ou d’un
ensemble, c’est au jugement de Balthazar Castiglione qu’il fait appel.
Quand Jules II confia à Raphaël la décoration de ses appartements
au Vatican, le rude pontife décréta la destruction des fresques
précédemment peintes, et dont certaines étaient signées des grands noms
de Pérugin et de Sodoma. Désolé de cette profanation, Raphaël s’en
ouvrit à Castiglione qui l’encouragea à résister aux desseins du pape.
Fort de cet appui, le peintre se présenta devant Jules II, essuya sa
colère, mais réussit à sauver les œuvres menacées. Chargé de peindre
des figures allégoriques dans la Chambre de la Signature, Raphaël, peu
cultivé malgré ses facultés d’assimilation, trouva un guide toujours
prêt, un conseil toujours autorisé auprès de Balthazar Castiglione,
et l’harmonie ordonnée, l’unité de conception dans la variété infinie
des motifs indiquent bien l’importante contribution documentaire que
celui-ci fournit au peintre.

Tel nous le dépeint l’histoire, tel nous le voyons dans le portrait du
Louvre. Les yeux vifs et pénétrants disent l’intelligence, les lèvres
minces la finesse; Raphaël, dont l’amitié conduisait le pinceau, a su
embellir le personnage d’une aristocratique distinction. L’ensemble
du tableau est dans une tonalité grise, atténuée, peu habituelle aux
peintres de cette époque et qu’on ne retrouvera qu’un siècle plus
tard chez un autre artiste de génie, Vélazquez. Tout s’harmonise
admirablement dans ce tableau, le vêtement, le visage, le fond même,
comme si l’ensemble baignait dans une lumière uniforme, très douce et
tamisée par un écran.

Cette manière, dont Raphaël lui-même n’usa que très rarement, démontre
la prodigieuse souplesse de son art, qui s’adaptait à tous les genres
et se transformait complètement suivant le sujet à traiter, tour à tour
aimable ou grandiose, plein de suavité ou de puissance et toujours égal
par le génie.

Cette œuvre est l’une des dernières de Raphaël. Il la peignit en 1517,
trois ans avant sa mort.

Après la mort de Castiglione, le tableau passa au duc de Mantoue, à qui
Charles Ier d’Angleterre l’acheta. On le retrouve plus tard dans la
collection d’un amateur hollandais, Van Asselin, chez lequel Rembrandt
et Rubens le copièrent. A l’époque où Mazarin l’acquit, ce portrait
était estimé 3.000 francs. A la mort du cardinal-ministre, il entra,
grâce à Louis XIV, dans le domaine national. Primitivement peint sur
bois, il a été transporté sur toile.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 0.67--Largeur: 0.62--_Figure à mi-corps, grandeur naturelle._



RUBENS

HÉLÈNE FOURMENT
ET SES ENFANTS

GRANDE GALERIE


[Illustration]



_Hélène Fourment et ses enfants_


Pierre-Paul Rubens est un des peintres les plus puissants et les plus
féconds dont fasse mention l’histoire de l’art. Son œuvre est immense;
il n’est pas un grand musée d’Europe qui ne possède plusieurs toiles
signées de lui, et cela s’explique si l’on songe que, de son vivant,
il travailla beaucoup en Italie, en Espagne, en France et que les
princes étrangers, lors de la vente qui suivit sa mort, se disputèrent
à prix d’or les tableaux demeurés dans son atelier. Le Louvre est
particulièrement riche en œuvres du grand peintre; celle que nous
donnons ici compte parmi les plus belles.

Elle représente Hélène Fourment, seconde femme de Rubens, avec deux de
ses enfants. La jeune femme est assise tenant un de ses enfants dans
ses bras tandis que l’autre, une fillette, placée devant elle, relève
son tablier en un geste gracieux. Entre les deux enfants, on aperçoit
un oiseau qui s’envole.

Rubens s’était marié deux fois, d’abord le 3 octobre 1609, avec
Isabelle Brandt, fille de Jean Brandt, secrétaire de la Régence,
peu après son retour à Anvers, lorsqu’il eut quitté le service du
duc de Mantoue. Il avait à cette époque trente-deux ans, sa jeune
épouse dix-huit. Elle lui donna deux fils dont les portraits figurent
aujourd’hui à la galerie Lichtenstein, à Vienne. Elle mourut à l’âge de
trente-cinq ans et Rubens éprouva, de cette perte, un profond chagrin.
«En vérité, écrit-il, j’ai perdu une excellente compagne; elle n’avait
aucun des défauts de son sexe; point d’humeur chagrine, point de ces
faiblesses de femme, mais rien que de la bonté et de la délicatesse.
Une semblable perte me paraît bien sensible et puisque le seul remède
à tous les maux est l’oubli qu’engendre le temps, il faudra sans doute
espérer de lui mon secours, mais qu’il me sera difficile de séparer la
douleur que me cause sa mort du souvenir que je dois garder toute ma
vie à cette femme chérie et vénérée!»

L’apaisement se fit plus vite que ne l’avait espéré Rubens. Quatre ans
après, le 6 décembre 1630, il épousait, à l’âge de cinquante-quatre
ans, la jolie Hélène Fourment, nièce de sa première femme, qui n’avait
que seize ans. On connaît d’elle, outre le tableau reproduit ici, un
autre portrait aussi célèbre, généralement désigné sous le titre du
_Chapeau de paille_.

Le portrait d’Hélène Fourment avec ses enfants est une merveille de
légèreté et de transparence. «Ce ne sont, écrit Gautier, que frottis
pénétrés de lumière, que touches lâchées et jetées comme au hasard mais
qui expriment ce qu’elles veulent dire mieux que le travail le plus
poussé. Dans cette toile d’une fraîcheur délicieuse, Rubens a tempéré
sa rouge ardeur. Il est blond, argenté, nacré comme le satin et la
lumière.»

Rubens n’avait que soixante-trois ans quand il mourut, en pleine
puissance de son génie, sans avoir subi cette déchéance qui, bien
souvent, gâte la fin des plus grands artistes. Il fut enterré dans le
caveau de messire Fourment, son beau-père. «Ces messieurs, relate le
registre mortuaire de la paroisse, ont contribué tous ensemble aux
dépens de transport et la quête a produit 9 gros 10 sous. Le convoi a
eu lieu avec 60 flambeaux ornés de croix de satin rouge et la musique
de Notre-Dame. Nous avons chanté le _Miserere_ avant la messe, puis le
_Dies iræ_ et d’autres psaumes. Il a été exposé avec 6 cierges. Les
frais de l’église, fixés d’abord à 6 livres, se sont montés à 69 gros
3 sous qui ont été payés.» Sa veuve, Hélène Fourment, fit construire
derrière le chœur de l’église Saint-Jacques une chapelle où fut
transportée sa dépouille. Sur l’autel se trouve le _Saint Georges_ où
l’artiste, dit-on, s’était représenté avec ses deux femmes, Isabelle
Brandt en Vierge Marie, Hélène Fourment en Marie-Madeleine.

La succession de Rubens s’élevait à 700.000 florins. La veuve et les
fils du premier lit, Albert et Nicolas Rubens, se firent adjuger, en
plus des portraits qui leur revenaient, un certain nombre de toiles. Le
reste fut vendu aux enchères publiques. Cette vente, qui ne comprenait
pas moins de trois cent quatorze toiles ou dessins, eut lieu, le
17 mars 1642, dans une auberge d’Anvers, au _Souci d’or_, dont la
tenancière, la veuve Sagers, reçut de la famille 474 florins pour prix
des rafraîchissements servis aux agents et amateurs, parmi lesquels
se trouvaient, avec l’envoyé du roi d’Espagne, les représentants de
l’empereur d’Allemagne, de l’électeur de Bavière, du roi de Pologne
(Gustave Geffroy). Les dessins et une grande quantité de tableaux
furent acquis par le banquier Jabach qui, plus tard, revendit une
partie de sa collection à Louis XIV.

Quant au portrait d’Hélène Fourment, il appartenait vers le milieu
du XVIIe siècle, à M. de La Live de Jully; à la vente de ce
collectionneur, M. Randon de Boisset l’acheta 20.000 livres; quelques
années après, en 1777, il passe dans la collection du comte de
Vaudreuil qui le paye 18.000 livres. Il est enfin acquis, pour 20.000
livres, par la Couronne, en 1784. Il figure aujourd’hui dans la partie
de la grande galerie du Louvre réservée à la peinture flamande.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 1.13.--Largeur: 0.82.--_Figure petite nature._



LOUIS DAVID

MADAME RÉCAMIER

SALLE DU SACRE


[Illustration]



_Madame Récamier_


David est peut-être, de tous les peintres, celui qui a été le plus
glorifié et le plus honni. Porté aux nues par ses contemporains, il
fut traîné aux gémonies par la génération suivante. L’accord s’est
fait aujourd’hui sur son œuvre, grâce au recul du temps qui éteint
les haines d’écoles et de partis. David, peintre d’histoire, ne jouit
plus que d’une estime modérée et toute notre admiration s’adresse
désormais à David portraitiste. Ce jugement de la postérité aurait
surpris et surtout irrité le peintre, s’il avait pu le deviner. A ses
yeux, la peinture d’histoire, inspirée de l’antique, comptait seule;
il s’en était servi comme instrument pour abattre le maniérisme et
la fadeur du XVIIIe siècle; il lui devait son titre de chef d’école.
Quant aux portraits, il les considérait comme un délassement de ses
grands travaux et comme un art inférieur, bon tout au plus à procurer
un revenu sûr et immédiat. A Mme de Verninac, sœur de Delacroix, dont
il a fait un délicieux portrait et qui désirait le voir figurer au
Salon de l’an VIII, il écrit: «Il serait ridicule qu’un artiste comme
moi exposât simplement un portrait tel bon qu’il soit.» Et pour adoucir
son refus, il ajoute: «Je suis occupé en ce moment à faire encore une
autre belle femme, Mme Récamier. C’est un tout autre genre de beauté.
Je pense qu’elle voudra que son portrait soit exposé; alors j’aurai
l’honneur de vous en prévenir et de vous prier en même temps d’y
joindre le vôtre.»

C’est en 1800 que David commença le portrait de
Jeanne-Françoise-Julie-Adélaïde Bernard, femme du richissime banquier
Récamier. Sa grande fortune, sa réputation de beauté et d’esprit la
faisaient rechercher dans les salons de l’époque; elle y brillait sans
efforts, par la seule vertu de son charme et de sa bonté. Cette femme
célèbre chargea David, alors dans toute sa gloire, de fixer ses traits.
Le peintre aborda ce portrait avec enthousiasme, certains disent avec
amour; il s’était adjoint, pour dessiner les accessoires, un jeune
artiste nommé Ingres, qui devait à son tour devenir illustre.

David avait placé son modèle dans une pose charmante. A demi-couchée
sur un lit de repos, Mme Récamier tourne vers la droite son joli
visage. Elle porte une robe légère de linon blanc, d’où sortent
ses pieds nus croisés l’un sur l’autre. Un ruban noir maintient la
chevelure bouclée.

Le portrait si bien commencé ne fut jamais fini. Un beau jour, David
apprit que Mme Récamier le quittait pour se faire peindre par Gérard,
son élève. Il en conçut du dépit et abandonna son ouvrage. Le portrait
demeura à l’état d’ébauche, mais quelle ébauche! Devant cette œuvre
magistrale, où la couleur est simplement indiquée par des frottis
légers qui la rendent transparente, lumineuse, on se réjouit presque du
hasard qui empêcha David d’appliquer la pâte épaisse, souvent terne et
lourde, de son pinceau. Tel qu’il nous est parvenu, ce portrait est un
véritable chef-d’œuvre, autant par la maîtrise de l’exécution que par
la sobriété, la distinction et l’harmonie des lignes.

Gérard, dans son portrait de Mme Récamier, ne fut pas moins heureux
que son maître. Comme lui, il réussit à produire un chef-d’œuvre. On
peut comparer les deux toiles qui se trouvent au Louvre. Celle de
Gérard a peut-être plus de fraîcheur et de séduction, on y devine le
souci du peintre à flatter son modèle; celle de David se distingue
par plus d’harmonie dans l’ensemble, par plus de fermeté, par plus
de vérité aussi. Rien ne ressemble moins à David peintre d’histoire
que David portraitiste: devant la nature vivante tombait sa froideur
systématique; il l’attaquait avec une absolue sincérité, ne cherchant
ni à l’interpréter ni à l’orner; sur les traits mobiles du modèle,
à force d’étude et de précision, il saisissait l’âme et la fixait.
Il doit à cette probité scrupuleuse une gloire de bon aloi que ses
meilleures et ses plus vastes compositions d’histoire n’auraient pu lui
assurer. «Il ne reculait même pas devant l’horreur, malgré son amour de
la beauté classique. Ce qui fait la gloire de David, c’est sa grande
science du dessin fortifiée par l’étude incessante du modèle, anoblie
et comme ramenée au type général par la familiarité de l’antique. Sans
doute les personnages de ses tableaux se figeaient parfois en statues,
mais jamais ses portraits. Pendant une longue période, l’autorité de
David fut immense, incontestée, sans rivale. Il s’était emparé, en
maître despotique, du domaine de l’art. Ces dominations ne s’acquièrent
pas sans une rare puissance et, pourquoi ne pas dire le mot, sans
génie.» (Théophile Gautier.)

Le portrait de Mme Récamier, n’ayant pas été achevé, demeura la
propriété de l’artiste qui l’oublia dans un coin de son atelier. Il le
suivit dans son exil à Bruxelles sans trouver acheteur. Il fut acquis
par l’État en 1826, à la vente posthume du peintre, pour la somme de
6.180 francs. On le mit au Louvre, d’où il ne sortit qu’une fois, en
1889, pour figurer à la centennale de l’Exposition universelle. Il est
placé aujourd’hui dans la salle connue sous le nom de _Salle du Sacre_,
où se trouvent réunies les œuvres les plus célèbres du grand peintre.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 1.70.--Largeur: 2.40.--_Figure grandeur naturelle._



GIORGIONE

LE CONCERT CHAMPÊTRE

SALON CARRÉ


[Illustration]



_Le Concert Champêtre_


Giorgio Barbarelli, plus connu sous le nom de Giorgione, marque la
transition entre la manière un peu sèche et naïve de l’art gothique et
la géniale éclosion de l’art des Titien, des Tintoret et des Véronèse.
Il naquit en 1477, la même année que Titien; mais tandis que celui-ci
portait durant un siècle le sceptre de la peinture, Giorgione mourait à
trente-trois ans dans la plénitude de son génie. Giorgione fut surtout
un peintre de fresques. Venu tout jeune à Venise, il fut employé par
les procurateurs de la Sérénissime et par les riches particuliers
à décorer les palais officiels ou privés de la ville. Il avait
commencé par peindre l’extérieur de sa propre maison de compositions
fantaisistes, et bientôt cela devint une mode à Venise, si bien qu’avec
le Titien, il fut chargé d’orner la façade du Fondaco dei Tedeschi,
sorte d’hôtel consulaire des commerçants allemands, reconstruit en 1508
sur les rives du Grand-Canal. Giorgione fit preuve, dans le choix de
ses compositions de la plus extraordinaire fantaisie et revêtit le tout
d’un merveilleux coloris dont l’action corrosive de la lagune et du
temps n’a pu complètement étouffer l’éclat.

Cette originalité et cette splendeur de palette, disciplinées par
beaucoup de science, on les retrouve entières dans les tableaux de
Giorgione et notamment dans ce _Concert champêtre_, qui est une des
merveilles du Salon Carré. «Il fut un des premiers qui fit preuve d’une
véritable indépendance en osant ce qui n’avait pas été fait avant lui;
il révéla à l’art vénitien son véritable tempérament en une forme
amoureuse que la morale religieuse avait jusque-là empêchée, mais que
l’esprit dévergondé de la Renaissance encouragea. Dans ses œuvres les
chairs palpitent, les carnations savoureuses et fermes se modèlent
dans de mystérieuses pénombres, sa couleur est dans une gamme chaude
extrêmement harmonieuse. Nul mieux que lui ne donna à la peinture
cette richesse de tons et cette solidité d’exécution, avec autant de
souplesse, d’humour et de vie.» (Pierre Gusman.)

A propos du _Concert champêtre_, nous ne saurions mieux faire que de
citer la belle page de critique que lui consacre Théophile Gautier:

«Au milieu d’un de ces paysages d’une richesse de ton étouffée et
chaude dont Titien s’est souvenu plus d’une fois, de jeunes seigneurs
font de la musique: l’un joue du luth et l’autre semble l’écouter.
Au premier plan, une jeune femme nue, vue de dos, et assise sur un
épais gazon d’un vert doré, approche de ses lèvres une flûte. A la
gauche, une autre jeune femme, qui n’a d’autre vêtement qu’un bout de
draperie blanche glissant de la hanche sur la cuisse, s’appuie sur le
bord d’une espèce d’auge en marbre et y plonge, pour l’emplir, une
bouteille de verre. Les deux jeunes seigneurs ont d’élégants costumes
vénitiens dans le goût de ceux de Vittore Carpaccio; ils ne semblent
nullement se préoccuper du contraste que présentent leurs riches habits
avec la nudité de leurs compagnes. Le peintre, dans cette suprême
indifférence artistique qui ne songe qu’à la beauté, n’a vu là qu’une
heureuse opposition de belles étoffes et de belles chairs, et en
effet il n’y a que cela. Le torse de la femme penchée sur la vasque,
le dos de celle qui joue de la flûte, sont deux morceaux de peinture
magnifiques. Jamais coloris plus blond, plus chaud, plus moelleux et
d’une consistance plus riche ne revêtit d’opulentes formes féminines.

«_Le Concert champêtre_ de Giorgione, ce tableau sans sujet et sans
anecdote, n’attire peut-être pas beaucoup la foule, mais soyez sûr
que tous ceux qui cherchent les secrets de la couleur s’y arrêtent
longuement, et, sans pousser le fétichisme comme sir David Wilkie à
l’égard de _Los Borrachos_ de Vélazquez jusqu’à en étudier un pouce
carré seulement chaque jour, en font des pochades, des études, des
copies complètes qu’ils gardent sur le mur de leur atelier comme le
plus sûr étalon de coloris qu’un artiste puisse consulter. C’est
Giorgione, on peut le dire, qui a fait la palette de Venise. Titien,
Bonifazio, Tintoret, Paris Bordone, Palma vieux et jeune, Paul
Véronèse, les plus illustres et les moins connus, y ont largement
puisé. On peut dire à la gloire de Giorgione que Titien l’égala, mais
ne le surpassa point.»

Les œuvres authentiques de Giorgione sont très rares, ses fresques
ayant presque complètement disparu, sous l’action du temps. Beaucoup
de tableaux qui lui furent attribués ont été reconnus comme étant dus
à Lorenzo Lotto, Palma Vecchio ou Sebastiano del Piombo. Mais outre
le _Concert champêtre_ du Louvre, il faut citer de lui deux œuvres
maîtresses: _La Famille de Giorgione_, au palais Giovanelli, à Venise,
et _Apollon et Daphné_, au Séminaire patriarcal de la même ville.

Le _Concert champêtre_ fit longtemps partie des collections des ducs
de Mantoue, puis il fut acheté par le roi d’Angleterre Charles Ier.
Il passa ensuite aux mains du riche banquier Jabach, grand amateur de
peinture. Mais Louis XIV, ayant vu ce tableau, manifesta le désir de
le posséder et l’acheta au banquier. C’est ainsi que ce chef-d’œuvre,
ainsi que nombre d’autres, entra dans notre patrimoine national.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 1.10.--Largeur: 1.38.--_Personnages en pied, grandeur
naturelle._



REMBRANDT

HEINDRICKJE STOFFELS

GRANDE GALERIE


[Illustration]



_Portrait d’Heindrickje Stoffels_


Le nom de Rembrandt brille d’un tel éclat au ciel de l’art que l’on
peut se demander si l’immortel auteur de la _Ronde de Nuit_ n’est pas
le plus grand peintre que le monde ait connu. Ce qui surprend surtout,
c’est qu’il ait pu rester toujours lui-même, c’est-à-dire génial, au
milieu des traverses et des infortunes qui marquèrent son existence.
Les splendeurs et la misère s’opposent dans sa vie comme la lumière et
l’ombre dans ses tableaux; on semble même reconnaître, dans les œuvres
de la période malheureuse, une fougue, une puissance, une sorte de
fureur exaspérée qui se traduisent sur la toile en traits de feu.

Le portrait d’Heindrickje Stoffels que nous donnons ici ne remonte pas
à la période fastueuse de l’artiste, il ne date pas non plus des années
de misère totale. Rembrandt a déjà connu la douleur en perdant sa femme
adorée Saskia; mais il a trouvé une consolatrice et une amie dévouée en
Heindrickje Stoffels, sa servante. Certains biographes ont fait grief
au grand artiste de cette liaison, jugée par eux indigne d’un génie
comme le sien. Une censure de cet ordre n’a que faire ici. Heindrickje
Stoffels vient à Rembrandt au temps de ses plus grands ennuis et le
sert fidèlement jusqu’à sa mort. Avec l’énergie et la clairvoyance
d’un cœur aimant, elle s’applique à relever la fortune de son maître:
elle entreprend la vente des collections du peintre, espérant ramener
l’aisance. Cette vente ne produit guère que 5.000 florins. Rembrandt
ne peut plus être sauvé; il ne peut plus payer sa maison de la Joden
Breestraat, achetée à tempérament; les emprunts s’accumulent, aggravant
sa détresse et bientôt il est déclaré en banqueroute. Heindrickje
succombe à la peine, à l’âge de trente-six ans. Elle avait donné à
Rembrandt deux enfants qui moururent jeunes.

Rembrandt aimait profondément Heindrickje Stoffels; sa mort ouvrit une
plaie nouvelle dans ce cœur qui saignait déjà par tant de blessures.
Cette fidélité de la servante a reçu sa récompense; son nom survit, à
l’ombre de celui du maître, et celui-ci a immortalisé son beau visage
en de nombreuses toiles. On connaît plusieurs portraits de Heindrickje
Stoffels; le musée de Berlin en possède un, mais celui du Louvre est le
plus beau.

Écoutons Théophile Gautier nous parler de cette peinture: «C’est une
jeune fille de vingt-cinq ans à peu près, avec des traits réguliers
un peu forts, des yeux bruns, des lèvres épaisses et vermeilles, des
cheveux abondants et crêpelés d’un marron tirant sur le roux, une
physionomie tranquille, avenante et douce. Une casaque bordée de
fourrures lui couvre les épaules et laisse voir son col gras et souple,
sa poitrine rebondie que couvre à demi une chemisette plissée. On ne
saurait imaginer l’incroyable puissance de vie que Rembrandt a su
prêter à cette figure baignée dans l’or fluide d’un coloris magique.
Les ombres des joues, le clair-obscur du sol, le ton blond du linge,
le bitume chaleureux et transparent de la fourrure et des cheveux dont
le brun semble pénétré de soleil, la lumière du front et du nez, le
travail étonnant de la brosse qui, avec son martelage, rend le grain
de la peau et la solidité de la chair, font de ce portrait un des
chefs-d’œuvre de l’art, une peinture sans rivale. Titien lui-même n’a
pas cette force profonde de couleur et cette intensité de lumière. Son
ambre pâlit un peu à côté de cet or.»

Rembrandt a laissé aussi de nombreux portraits de sa première femme
Saskia, qui était la parente d’Hendrick van Uylemborch, le marchand de
tableaux d’Amsterdam. Jeune fille, elle avait posé souvent devant lui;
elle lui servit plusieurs fois de modèle durant son mariage. Dans la
toile qui est actuellement à Dresde, elle est représentée assise sur
les genoux de son mari qui tient un verre en main: cette composition
fut sévèrement jugée, on l’assimila méchamment à une scène de débauche.
Le Musée Brera, à Milan, possède un beau portrait de Saskia, qui est
d’une ravissante tonalité blonde. Sur les dernières effigies de la
jeune femme figure le fameux collier de perles acheté pour elle par
Rembrandt, et dont le prix fabuleux, ajouté à d’autres prodigalités,
avait commencé la ruine du grand artiste. Saskia mourut à trente ans,
après huit années d’une union heureuse. Des trois enfants qu’elle avait
donnés à Rembrandt, un seul vécut, Titus, qui devait plus tard unir ses
efforts à ceux de Heindrickje Stoffels pour essayer d’arrêter son père
sur le chemin de la banqueroute.

Mais une dernière douleur était réservée à Rembrandt; ce fils qu’il
aimait tant mourut à son tour, le laissant seul au monde. Il ne tarda
pas à le suivre dans la tombe, le destin ayant épuisé contre lui toutes
ses cruautés. L’enterrement du génial et fastueux Rembrandt coûta 13
florins, comme celui d’un matelot du port.

Le magnifique portrait d’Heindrickje Stoffels, qui se trouvait
autrefois dans le Salon carré, figure aujourd’hui à l’extrémité de la
Grande galerie, dans la partie affectée à l’École hollandaise et dont
les œuvres de Rembrandt, abondamment représentées au Louvre, occupent
tout un panneau.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 0.72.--Largeur: 0.60.--_Buste grandeur nature._



VELAZQUEZ

L’INFANTE MARGUERITE

SALON CARRÉ


[Illustration]



_Portrait de l’Infante Marguerite_


On raconte que Philippe III, roi d’Espagne, voyant des fenêtres de son
palais un homme qui riait, dit gravement: «Ou cet homme est fou, ou il
lit _Don Quichotte_.» On s’informa, l’homme lisait _Don Quichotte_.

C’est de cette Cour austère, encore assombrie sous le règne suivant,
que le génial Velazquez fut le peintre officiel. Il n’y jouit guère,
à l’origine, que de l’amitié personnelle de Philippe IV, dont il a si
souvent reproduit les traits. Le reste de la Cour l’estimait peu, le
plaçait à peine au-dessus des bouffons et des fous chargés de dérider
les tristes hôtes des palais royaux. N’était considéré comme artiste,
à cette époque, que le peintre dont le talent était exclusivement
consacré à l’Église. Velazquez reçoit huit livres pour trois portraits
dont l’un est perdu et dont les deux autres, Philippe IV et le comte
d’Olivarès, sont en Espagne. Un peu plus tard, on le gratifie d’un
présent de trois cents ducats et d’une pension de même valeur, avec
un logement. En 1644, le roi le nomme Inspecteur des Bâtiments, puis
Maréchal du Palais, avec de forts appointements et un logis dans la
maison du Trésor.

Avec quelle joie le grand artiste devait-il saisir l’occasion de
peindre les jeunes infants et infantes de la Cour! Ces figures
fraîches, ces mines avenantes étaient le seul rayon dans ces palais
d’où la joie et le rire étaient bannis. Toute la lumière de sa couleur,
tous les chatoiements de sa palette se dépensent avec amour dans les
nombreux portraits de l’infant don Balthazar Carlos, dans ceux des
infants Philippe Prosper et don Fernand d’Autriche et surtout dans le
célèbre tableau de _Las Meninas_ qui est un morceau de vie transposé
avec un bonheur inexprimable et une plénitude de moyens et d’effets qui
n’ont jamais été surpassés.

Parmi ces œuvres gracieuses il en est une que le Louvre a l’heureuse
fortune de posséder; c’est le portrait de la mignonne infante
Marie-Marguerite, qui devait devenir plus tard la femme de l’Empereur
d’Allemagne Léopold Ier.

Devant cette peinture, l’admiration est unanime. «Voyez, s’écrie
Raffaelli, le portrait de l’infante Marguerite, dans son harmonieuse et
forte couleur, vraie perle de coloriste, où les tons passent les uns
dans les autres sans jamais dire comment ni où, comme ils le font dans
la nacre. Les gris-argent, le noir, le rose et le blond des petites
filles forment toute l’harmonie du tableau de la reine-enfant.»

Léon Bonnat n’est pas moins enthousiaste: «Ah! l’adorable infante,
la pâle infante aux yeux bleus! Elle est debout dans son costume
d’apparat, les bras écartés, étalés sur ses énormes paniers et elle
tient à la main une rose pâle comme sa frêle personne. Est-elle assez
malheureuse, la royale princesse, dans sa splendeur et ses atours,
d’être ainsi astreinte à l’étiquette rigoureuse de la Cour! Ne la
plaignons pas trop toutefois. Elle passe à la postérité grâce au génie
du grand maître. Peut-on, en effet, voir un portrait plus ravissant
que le sien? Ces tons gris, rosés, argentins, ces cheveux d’un blond
cendré, ces nœuds, ces rubans, le tout se détachant sur des tentures
rouges, carmin, violacées, que sais-je? Peut-on voir un plus heureux
assemblage de tons délicats et n’est-ce pas vraiment d’une tendresse
exquise?»

Avant eux Théophile Gautier avait déjà célébré ce tableau: «Quelle
délicieuse créature que cette petite infante Marguerite, avec son nœud
rose dans ses cheveux blonds, et sa robe de taffetas gris de perle
galonnée de dentelles noires! A travers la naïveté de l’enfance, on
sent dans cette mignonne figure la dignité consciente de sa position.
C’est une petite fille, mais une fille de roi, qui sera reine un jour.»

Dans ce tableau comme dans tous ceux de Velazquez, le gris joue un rôle
considérable. De bonne heure l’artiste avait été amené à constater que
le gris était la base harmonique par excellence dans la nature, le lien
subtil et souple qui permettait aux colorations les plus délicates
de chanter et de vibrer dans les ondes de l’air, que cette nature,
qu’on n’interroge jamais en vain, avait elle-même horreur du noir,
qu’elle savait à merveille user du gris pour tempérer les oppositions
de la lumière et amortir l’éclat trop entier ou trop vif des couleurs.
Velazquez en vint donc à user largement du gris pour en faire l’étoffe
de ses préparations et la caresse définitive de ses glacis; il a
proclamé dans ses plus admirables chefs-d’œuvre la vertu souveraine
du gris, ce gris divin de van der Meer et de Corot. Si quelque
maître avait soupçonné cette vérité avant lui, témoin le _Balthazar
Castiglione_ de Raphaël, personne n’en avait formulé avec cette largeur
d’initiative les principes féconds.

Le portrait de l’_Infante Marguerite_ fut peint par Velazquez en
1659, la même année que le portrait en pied envoyé par Philippe IV à
l’empereur d’Allemagne. Théophile Gautier, parcourant le Louvre en
1830, regrettait que l’on n’eût pas ménagé une place dans le «radieux
cénacle» du Salon carré, à la délicieuse petite infante. Son vœu
est aujourd’hui réalisé: l’œuvre charmante de Velazquez y figure
maintenant, entre Véronèse et Raphaël, et sollicite l’admiration des
visiteurs, par la grâce puérile du modèle et la prestigieuse beauté de
l’exécution.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 0.70.--Largeur: 0.59.--_Figure à mi-corps, grandeur naturelle._



SIMONE MEMMI

JÉSUS-CHRIST MARCHANT AU CALVAIRE

SALLE DES PRIMITIFS


[Illustration]



_Jésus-Christ marchant au Calvaire_


En Avignon, vers l’an 1330. Sur l’écran bleu d’un ciel d’été se profile
en vigueur, à travers un réseau d’échafaudages, une masse énorme de
murailles et de tours. C’est le Palais des Papes qui s’élève, sous
l’active impulsion de Jean XXII. Non loin de là, sur la terrasse d’une
riche demeure, trois personnes sont assemblées, deux hommes et une
femme. Le plus jeune des deux hommes semble rêver devant le grandiose
spectacle en écoutant le grondement du Rhône au pied du mur. Tout près
de lui se tient, dans une pose étudiée, une jeune fille admirablement
belle, au visage sérieux et pensif, dont le regard s’arrête fréquemment
sur le troisième personnage. Celui-ci, d’âge mur, est assis devant un
chevalet et son pinceau fixe sur la toile les traits de son modèle,
Laure de Noves, immortalisée par l’amour de Pétrarque, le poète rêveur
qui se tient immobile à ses côtés. Le peintre, c’est Simone de Martini,
plus connu dans l’histoire de l’art sous le nom de Memmi.

Le portrait de Laure n’est pas parvenu jusqu’à nous et c’est dommage si
l’on en juge d’après les sonnets célèbres où Pétrarque glorifie cette
peinture: «Certes, écrit-il, mon cher Simone a été dans le Paradis,
d’où cette noble dame est venue; c’est là qu’il l’a vue et qu’il l’a
peinte sur le papier pour faire connaître ici-bas son beau visage.»

Vasari prétend que les sonnets de Pétrarque ont plus fait pour la
renommée de Memmi que ses œuvres propres; il lui reconnaît cependant
une valeur considérable. Cette valeur est d’ailleurs attestée par la
faveur dont il jouit de son vivant et par les peintures, trop rares,
que nous connaissons de lui.

Memmi était né à Sienne, vers 1284. Il fut, croit-on, l’élève de
Giotto. En tout cas, s’il ne travailla pas dans l’atelier du grand
peintre florentin, il collabora avec lui à plusieurs ouvrages de grande
importance, notamment à la décoration de l’église Saint-Pierre à Rome.

Ces travaux lui avaient valu une grande réputation dont le bruit
parvint jusqu’à Jean XXII, qui désira s’attacher Memmi. Celui-ci lui
fut amené par le cardinal Annibal da Ceccano qui se rendait de Rome en
France. Le pape accueillit le peintre avec honneur et lui confia la
décoration de ses appartements privés, des salles du Conclave et de la
chapelle pontificale. Il n’en reste malheureusement rien, cette partie
du palais s’étant écroulée, un siècle plus tard, durant le siège qu’y
soutint Pierre de Luna, l’antipape Benoît XIII.

Les œuvres de Simone Memmi sont donc très rares. Il existe toutefois
des fresques de lui au palais des Papes, mais elles sont ensevelies
sous le badigeon criminel des chambrées militaires, installées là. On
trouve quelques-uns de ses tableaux dans les musées de Florence, de
Naples, de Munich, de Berlin. Ils suffisent, malgré leur petit nombre,
à assurer la gloire du grand peintre de Sienne. N’oublions pas qu’il
s’agit d’un artiste du XIVe siècle à son début, c’est-à-dire d’une
époque où l’art ne s’était pas encore dégagé de la tradition byzantine,
hiératique et froide. On peut dire de cet art qu’il constitue la
période glaciaire de la peinture. Avec un beau courage, bien secondé
d’ailleurs par Giotto, Memmi s’efforça de secouer ce joug, d’assouplir
cette rigidité, d’animer les visages par la tendresse de l’expression,
en un mot d’introduire la vie dans des corps jusque-là sans âme et sans
mouvement. Les œuvres de Memmi se distinguent par une grâce un peu
maniérée et par un goût très marqué pour la finesse de la décoration
et la préciosité ornementale; elles sont de véritables ouvrages
d’orfèvrerie.

Cette manière toute personnelle se retrouve dans _le Christ marchant
au Calvaire_ que nous donnons ici et dont les proportions réelles ne
sont pas sensiblement supérieures à celles de notre reproduction.

Le Christ, vêtu d’une robe rouge, porte sa croix et s’avance vers la
droite, entraîné par les bourreaux. Son corps est légèrement incliné,
et sa tête se retourne à demi vers un soldat qui, derrière lui,
écarte la Vierge et les saintes Femmes. Au fond, la Madeleine, vêtue
d’une robe rouge, se dresse en gémissant, les cheveux épars. Elle est
suivie d’une foule qui traverse un pont. A l’horizon, se profilent les
remparts d’une ville.

Memmi séjourna à Avignon durant de longues années. C’est là qu’il
connut Pétrarque dont la famille, inféodée aux Gibelins, avait dû
s’exiler de Florence. Une véritable amitié se noua, nous l’avons vu,
entre le peintre et le poète. Memmi fut en grande faveur à la cour
pontificale, d’abord auprès de Jean XXII, puis auprès de Benoît XII et
surtout de Clément VI, le plus magnifique et le plus artiste des Papes
d’Avignon, Memmi ne put collaborer aux grands travaux que le pontife
rêvait d’entreprendre, car il mourut en 1344, deux ans à peine après
l’avènement de Clément VI.

_Le Christ marchant au Calvaire_ est une toile collée sur panneau et
plâtrée. Il est impossible de suivre sa destinée durant le cours des
siècles. Nous la trouvons en 1834 dans la collection de M. Saint-Denis.
Elle fut acquise pour le compte de Louis-Philippe, au prix de 200
francs. Cet admirable petit tableau figure aujourd’hui dans la Salle
des Primitifs, avec les peintures de l’École de Sienne.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 0.25.--Largeur: 0.10.



INGRES

LA SOURCE

SALLE DUCHATEL


[Illustration]



_La Source_


Ingres, grand amateur de formules lapidaires, émit un jour cet axiome:
«Le dessin est la probité de l’art.» Inébranlable dans son culte de la
forme, puisé d’abord dans l’atelier de David mais surtout à l’école de
Raphaël, Ingres ne sacrifia jamais le dessin à la couleur. De celle-ci
il ne s’inquiétait pas. Elle venait toujours, sûre, sobre et modeste.
Elle suivait le dessin en esclave docile qui doit escorter son maître
et marcher du même pas, mais à distance. «La couleur, disait-il, ajoute
des ornements à la peinture, mais elle n’en est que la dame d’atours.»

Dans aucune de ses œuvres peut-être, autant que dans _la Source_,
l’admirable artiste n’a poussé aussi loin la science du dessin et la
perfection de la forme. Avant d’arriver à l’exécution définitive, que
de croquis, que de recherches, que d’études! Les mains, les jambes,
la tête, les pieds, la position de l’amphore furent l’objet de longs
essais, de remaniements sans nombre dont la trace se retrouve dans les
cartons du peintre et qui attestent une défiance de soi que connurent
seuls les maîtres supérieurs. A l’époque où il préparait _la Source_,
raconte Théodore de Banville, Ingres, avec un carton sous le bras comme
un écolier, s’abandonnait à une colère furibonde à la porte d’un musée
qu’il trouvait fermé. Un de ses anciens élèves l’aborde et, cherchant
à le calmer:--Oui, monsieur Ingres, le musée est fermé, mais qu’y
allez-vous donc faire?--Apprendre à dessiner, répondit le grand homme,
avec sa naïveté de conquérant têtu; car, en effet, il n’avait pas
d’autre idée que celle-là et elle lui suffisait. Or, à ce moment-là,
Ingres était un vieillard couvert de gloire; il avait produit ses plus
beaux chefs-d’œuvre, et pour peindre _la Source_, il voulait encore
apprendre à dessiner! Quelle belle et profitable leçon pour les _fa
presto_ vaniteux dont notre peinture contemporaine offre de si nombreux
exemples! Qu’ils étudient, pour leur confusion, cet adorable corps de
jeune fille, si frais, si chaste, si parfait, dont Charles Blanc a dit
qu’elle était la plus belle peinture de l’école française.

Cette jeune fille aux cheveux blonds épars sur les épaules se tient de
face, nue, appuyée contre un rocher que couronnent de légères ramures;
de son bras droit arrondi elle soutient sur son épaule gauche un vase
d’argile dont l’ouverture, inclinée vers le sol et maintenue par sa
main gauche, laisse s’échapper l’eau qui tombe dans le bassin en
filtrant à travers ses doigts. Les jambes de l’enfant, une merveille de
finesse et de gracilité, se reflètent dans le cristal de la source.

Ingres aima toujours peindre les femmes; _l’Odalisque_, _la Baigneuse_,
_le Bain turc_, _l’Age d’or_ sont d’un artiste qui n’était pas
insensible aux fascinations de la chair. «Il fut, écrit M. Henry
Lapauze, un adorateur de la beauté féminine. Il la décrivit en des
traits inimitables, d’un pinceau fervent, mais ses confessions restent
toujours chastes, ses transports toujours contenus; il ne tombe jamais
dans des matérialisations trop sensuelles.»

De cette affirmation _la Source_ nous fournit une éclatante preuve. Ce
corps charmant et délicat, dépourvu de tout voile, n’éveille cependant
en nous aucun autre sentiment qu’une profonde admiration pour son
idéale beauté; les sens demeurent en repos devant cette nudité si
adorablement pudique.

La vue de ce tableau permet encore une autre constatation; elle
démontre à l’évidence l’injustice des détracteurs d’Ingres qui lui
contestent ses qualités de coloriste. Est-il possible de peindre des
chairs de femme avec plus de chaleur et de vérité? Au surplus, Ingres
avait, sur le coloris, des opinions arrêtées que les plus violentes
attaques ne purent jamais ébranler. Il était, aussi bien que tout
autre, mieux même que bien d’autres, maître de son pinceau comme de
son crayon. «Mais composer une toile pour un effet, choisir un motif
aigu ou puissant et le faire dominer dans une symphonie de tons, lui
semblait un procédé indigne de l’art. Utiliser la couleur comme une
matière plastique, peindre ce que l’on appelle «en pleine pâte»,
avec des rehauts, des surcharges, des glacis, des touches visibles
et grumeleuses, lui apparaissait blasphématoire. Animer la peinture
d’une chaleur sensuelle, prodiguer la splendeur criarde des étoffes
éclatantes, la lourde somptuosité des brocarts, des damas, des velours,
des orfèvreries, étaler des chairs nues et grasses, avec des reliefs
trop voluptueux, des roseurs sanguines trop ardentes, des plis et des
taches trop véridiques, excitaient son indignation et sa répugnance.»
(Henry Lapauze.) Il n’en était pas moins un traducteur fidèle et
passionné de la nature, on pourrait presque dire un réaliste. Nous
aurons certainement l’occasion de l’examiner sous cet aspect dans
certains de ses magnifiques portraits du Louvre, dont la place est
naturellement indiquée dans cette galerie d’œuvres célèbres.

On pourrait dire d’Ingres que, si d’autres peintres furent de plus
brillants coloristes, aucun ne le surpassa pour l’impeccable correction
du dessin. Cet amour passionné de la forme, il le tenait des grands
artistes de la Renaissance et surtout de Raphaël. Quand on se réclame
de tels maîtres, on peut attendre avec assurance le jugement de la
postérité.

_La Source_ fut léguée au Louvre par Mme la comtesse Duchatel.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 1.65.--Largeur: 0.80.--_Figure grandeur nature._



GÉRARD DOW

LA FEMME HYDROPIQUE

GRANDE GALERIE


[Illustration]



_La Femme hydropique_


Intérieur de riches bourgeois hollandais. Dans un fauteuil est assise
une femme dont le visage exprime la souffrance. Agenouillée près d’elle
et lui tenant la main, sa fille la regarde en pleurant. Derrière le
siège une servante est penchée sur la malade et lui tend une cuiller
contenant un remède. Au premier plan, debout, un médecin présente à
la lumière de la fenêtre un flacon dont il examine attentivement le
contenu.

Mercier, dans son _Journal de Paris_, analyse ainsi cette scène:
«C’est un drame dont le sujet, quoiqu’il ne soit qu’un événement de la
vie privée, captive tous les suffrages. Vrai, simple, pittoresque et
touchant, il produit un tout du plus bel accord par la concordance des
parties et la grâce des positions.»

D’après Théophile Gautier «il y a, dans _la Femme hydropique_, le
chef-d’œuvre de Gérard Dow, du sentiment et une expression douloureuse
et sympathique bien rendue, quoique l’artiste n’ait pas l’habitude de
chercher le drame dans sa peinture, si calme, si polie, si soignée».

La patience, la propreté hollandaises poussées aux dernières limites,
voilà la caractéristique du talent de Gérard Dow.

Abandonnons pour un instant la Femme hydropique aux soins de son
entourage et examinons la chambre où se déroule ce drame domestique.
Tout y est d’une netteté admirable, les moindres détails y sont notés
avec une minutieuse précision. Devant la fenêtre dont toutes les vitres
sont exactement encadrées dans leur alvéole de plomb, un rideau est
tiré à demi dont on pourrait compter les plis et les anneaux. Le livre,
posé sur le trépied, laisse voir les feuillets à demi soulevés et
sur la tranche rouge on lit la signature de l’artiste et la date du
tableau: G. DOV. OVT 65 JAER. Sur les plis de la lourde tenture relevée
à droite, les plus fines arabesques du dessin se trouvent reproduites
avec une prodigieuse exactitude. Et le lustre, cette petite merveille
de clair-obscur, dont on aperçoit les branches, les anneaux, les
bobêches, de quelle recherche du fini ne témoigne-t-il pas!

Recherche d’autant plus extraordinaire chez Gérard Dow qu’il avait
été durant plusieurs années l’élève de Rembrandt, le peintre des
oppositions vigoureuses, des reliefs puissants et qui ne s’attardait
pas au travail de marqueterie des accessoires.

Mais on ne travaille pas avec un tel maître sans en retirer quelque
fruit.

A son école, il apprit le secret du clair-obscur dont nous voyons, dans
_la Femme hydropique_ précisément, qu’il savait fort bien user. Mais
il tourna vers le précieux et le fini. Chacune de ses œuvres était
soignée, fouillée, ciselée comme une pièce d’orfèvrerie. Rien ne lui
semblait négligeable dans un tableau: le moindre accessoire avait à
ses yeux autant d’importance que le sujet principal. Ces accessoires,
il les multipliait même volontiers pour pouvoir satisfaire son goût
de la minutie et du détail, témoin cette pendulette, dans le tableau
qui nous occupe, dont on aperçoit les plus minces particularités et
jusqu’au contrepoids pendant au bout de la double chaînette. Si l’on en
croit Sandrard, il mettait parfois cinq jours pour peindre une main,
mais, quand elle était finie, on en pouvait dénombrer les rides et les
plis. Il peignait à la loupe, comme Breughel de Velours; c’est aussi à
la loupe qu’il faut examiner ses tableaux: alors apparaît nettement le
prodigieux labeur que représente chaque pouce carré de sa peinture.

Sa minutie était proverbiale; on citait son atelier comme une
merveille d’ordonnance et de netteté. Chaque jour, il le faisait
nettoyer de fond en comble, afin qu’aucune parcelle de poussière ne
vînt se poser sur les toiles en cours d’exécution. Il confectionnait
lui-même ses pinceaux et broyait ses couleurs avec le plus grand soin.
C’est à cela sans doute que ses tableaux doivent d’avoir traversé les
siècles sans rien perdre de la fraîcheur de leur coloris.

Loin de lui nuire, son goût pour la peinture orfévrie contribua à sa
fortune. Ce genre plaisait à la Hollande méticuleuse, soignée, qui
voyait dans ces intérieurs rangés et brillants comme une glorification
de ses vertus domestiques. Gérard Dow exécutait de petits portraits qui
étaient très recherchés et qu’il vendait fort cher. La Compagnie des
Indes lui paya 4.000 florins pour un tableau qu’elle voulait offrir à
Charles II, roi d’Angleterre.

L’Électeur palatin, paya 30.000 florins _la Femme hydropique_ et en
fit don au prince Eugène de Savoie. Le tableau demeura dans la famille
de Savoie, à Turin, jusqu’en 1800. A cette époque, le roi de Sardaigne
Charles-Emmanuel IV, dont les États étaient occupés par les armées
républicaines, offrit ce tableau au lieutenant-général Clausel, depuis
maréchal de France, qui s’empressa d’en faire hommage à la nation. On
le plaça au Louvre où il figure aujourd’hui dans la partie de la Grande
galerie réservée aux peintres hollandais.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 0.83.--Largeur: 0.67.--_Figures: 0.32._



QUENTIN LA TOUR

MADAME DE POMPADOUR

SALLE QUENTIN LA TOUR


[Illustration]



_Madame de Pompadour_


Si Quentin La Tour fut un admirable pastelliste et un grand magicien de
la couleur, la nature l’avait moins heureusement doté sous le rapport
du caractère. Il était habituellement quinteux et fantasque. Très
avancé dans les doctrines des Encyclopédistes, il affectait avec les
grands une désinvolture frisant l’impertinence. On le voit reprocher au
Dauphin que ses enfants sont fort mal élevés et qu’il se laisse duper
par des fripons. Le roi lui-même doit subir ses boutades: pendant une
séance de pose, il fatigue Louis XV par un éloge outré des étrangers:

--Mais je vous croyais Français, lui dit le roi surpris.--Non, sire,
répond hargneusement La Tour, je suis Picard, de Saint-Quentin.

L’exécution du portrait de Mme de Pompadour, notamment, est marquée
de péripéties et d’incidents sans nombre. Quentin La Tour n’aime pas
la favorite. De premières ouvertures lui sont faites en 1750, il les
repousse; prié de se rendre à Versailles auprès de la marquise, il se
contente de répondre à l’envoyé:

--Dites à Madame que je ne vais pas peindre en ville.

Mme de Pompadour, dépitée, en écrit à son frère, le marquis de Marigny,
qui est lié avec l’artiste. Son intervention amène un rapprochement et
La Tour jette sur le papier deux préparations de son tableau. Puis il
reste deux ans sans y travailler; tous les prétextes lui sont valables
pour se dérober. A Marigny qui le presse il écrit qu’il se sent en
proie «à un abattement, à un anéantissement qui lui font craindre la
fièvre», et il veut essayer «si l’air lui fera du bien». Marigny se
fâche alors, mais sans plus de résultat. Mme de Pompadour, qui tient à
son portrait, essaye de la douceur: «Je suis, lui mande-t-elle, à peu
près dans le même embonpoint où vous m’avez vue à la Muette et je crois
qu’il serait à propos de profiter du moment pour finir ce que vous avez
si bien commencé. Si vous pouvez venir demain, je serai libre et avec
si peu de monde que vous voudrez. Vous connaissez, Monsieur, le cas que
je fais de vous et de vos admirables talents.»

Vaincu par tant d’insistance, La Tour cède enfin et se rend à
Versailles, sur la promesse qu’aucun fâcheux ne viendra interrompre
le travail. Mais, en bon philosophe, il est bien résolu à «donner une
leçon à ces gens-là». Dès que la marquise est installée, il se met à
son aise, enlève les boucles de ses escarpins, son col, sa perruque,
ses jarretières et se coiffe d’un bonnet de taffetas. Survient le roi:

--Vous aviez promis, madame que votre porte serait fermée.

--Je ne vous dérangerai pas, fait le roi souriant; je vais rester là
bien tranquille. Continuez.

--Il ne m’est pas possible d’obéir à Votre Majesté; je reviendrai
lorsque madame sera seule: je n’aime point à être interrompu.

Et il s’en fut.

Enfin, après trois ans d’efforts et de mécomptes, le portrait fut
achevé et figura au Salon de 1855. Malgré l’évidente mauvaise volonté
mise par La Tour à peindre la favorite royale, les témoignages du temps
s’accordent à reconnaître qu’il mit de la galanterie à l’embellir.
Combien différente et plus véridique est la «préparation» du tableau,
qui se trouve aujourd’hui au musée de Saint-Quentin!

Mais, en dépit de son exécution volontairement flatteuse, ce portrait
n’en est pas moins une œuvre de premier ordre, l’une des meilleures
de La Tour. Sainte-Beuve lui a consacré une de ses pages les plus
brillantes:

«C’est la personne même, écrit-il, qui est de tout point merveilleuse
de finesse, de dignité suave et d’exquise beauté. Tenant en main le
cahier de musique avec légèreté et négligence, elle est tout à coup
distraite. Elle semble avoir entendu du bruit et retourne la tête.
Est-ce bien le roi qui vient et qui va entrer? Elle a l’air d’attendre
avec certitude et d’écouter avec sourire. Sa tête ainsi détournée
laisse voir le profil du cou dans toute sa grâce et ses petits cheveux
très courts, délicieusement ondés, dont les boucles s’étagent et dont
le blond se devine encore sous la demi-poudre qui les couvre à peine.
La tête nage dans un fond bleuâtre qui, en général, est celui de tout
le tableau. L’œil est partout satisfait et caressé; c’est de la mélodie
plus encore que de l’harmonie... Il n’est rien dans ce boudoir enchanté
qui ne semble faire sa cour à la déesse. Elle-même a les chairs et
le teint d’un blanc lilas, légèrement azuré. Ce sein, ces rubans,
cette robe, tout cet ensemble se marie harmonieusement. Tout dans
la physionomie, dans l’attitude, exprime la grâce, le goût suprême,
l’affabilité et l’aménité plutôt que la douceur, un air de reine qu’il
a fallu prendre, mais qui se trouve naturel et se soutiendra sans trop
d’efforts.»

Mme de Pompadour se déclara satisfaite du pastel, mais quand vint
l’heure du règlement, les difficultés recommencèrent. La Tour ne
demandait rien moins que quarante-huit mille livres! Après bien des
pourparlers et des tiraillements, il dut se contenter de la moitié de
cette somme, mais il ressentit de cette déconvenue une colère qui fut
très longue à s’apaiser.

Le portrait de Mme de Pompadour passa, on ne sait comment, entre les
mains du comte de Lespinasse d’Arlet, puis fut acquis, en 1797, par le
Muséum des Arts. Il resta dans la poussière des réserves nationales
jusqu’en 1838, date à laquelle il fut transféré au Louvre, où il figure
aujourd’hui dans la salle des Pastels.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 1.70.--Largeur: 1.20.--_Figure grandeur naturelle._



CONSTANTIN NETZCHER

UNE JEUNE PRINCESSE

SALLE HOLLANDAISE--COLLECTION LA CAZE


[Illustration]



_Une Jeune Princesse_


Sur la terrasse d’un parc majestueux, dans le goût de celui de
Versailles, avec fontaines, balustrades, escaliers de marbre, divinités
marines, une jeune princesse toute gracieuse est représentée. Une
abondante chevelure blonde encadre son joli visage. Joufflue, potelée,
de proportions déjà bien dessinées, la fillette conserve dans
l’attitude éveillée et mutine cette native distinction qui trahit
la race. Quelle fut cette princesse et quel nom laissa-t-elle dans
l’histoire? Nous l’ignorons et cela n’enlève rien au charme de cette
mignonne enfant. En un geste plein de naturel, sa main gauche tient
une tige fleurie qu’elle se dispose à fixer dans un vase placé devant
elle. La main droite retrousse légèrement la robe pourpre en forme de
tablier pour maintenir la cueillette de fleurs dont certaines se sont
déjà échappées et gisent à terre. Le mouvement qui soulève la robe
laisse apercevoir d’élégants dessous en dentelle et la naissance d’une
jambe agréablement tournée. Devant elle, sur la console de marbre qui
supporte le vase, un perroquet au plumage multicolore est posé, tandis
qu’à ses pieds un petit chien blanc et noir paraît jouer.

Autant les personnages sont gracieux, autant le décor est grandiose.
Dans le jardin, de grands arbres d’un vert sombre forment l’écran sur
lequel se profile en vigueur le blond visage de la princesse. Des
groupes de femmes en riche toilette traversent, au loin, les allées du
parc.

L’ensemble est très harmonieux dans son arrangement un peu apprêté, et
la composition très habilement disposée pour laisser tout l’intérêt au
portrait de l’enfant, objet unique de l’œuvre.

Ce qu’il convient de remarquer dans ce tableau, peint par un
Hollandais, c’est l’absence complète des caractères essentiels de la
peinture hollandaise. A sa manière on devine qu’une révolution s’est
accomplie, qu’une influence étrangère a pénétré l’art de Ter Borch
et de Nicolas Maës. C’en est fait des scènes intimes, des réunions
de cabaret, des joyeuses tablées de buveurs et de fumeurs. L’art n’a
certes pas grandi--mais il s’est haussé de ton, il s’est orienté vers
le pseudo-classicisme de l’art français, régenté par Le Brun. La France
est alors à son apogée; la gloire du Roi-Soleil a conquis l’Europe et
derrière ses armées victorieuses, c’est la langue française, la poésie
française, la peinture française, le goût français qui franchissent les
frontières et captivent les peuples. Un peu partout, à l’image de la
France, on cherche à faire grand et si l’on ne parvient pas à égaler la
majesté que Louis XIV imprime à tout, on s’efforce d’y atteindre; si
la peinture hollandaise est mal préparée à imiter les solennelles et
vastes compositions de Le Brun, du moins elle s’évertue à se grandir
aussi.

Les deux Netzcher, Gaspard et Constantin, le père et le fils,
firent les premiers pas dans cette voie nouvelle. Gaspard Netzcher,
d’ailleurs, bien qu’ayant travaillé dans l’atelier de Ter Borch à
Deventer, ne se cachait pas d’affinités françaises. Tout jeune, il
était venu en France et avait séjourné à Bordeaux, où il s’était marié.
Dans son voyage de retour aux Pays-Bas, il s’était arrêté à Paris et
les splendeurs entrevues l’avaient ébloui et conquis. L’art hollandais,
si pittoresque dans son intime et rustique simplicité, lui parut dès
lors inférieur ou tout au moins sans noblesse. Il résolut de ne pas
le continuer et d’adopter un genre moins familier. Phénomène étrange,
son pays ne lui tint pas rigueur de cet abandon de la tradition. Au
contraire, Gaspard Netzcher jouit d’une vogue générale et acquit
une fortune considérable. Les plus riches personnages d’Amsterdam
et de La Haye se disputèrent la faveur de poser devant lui; il fit
même plusieurs fois le portrait de Guillaume III. Peintre souple et
brillant, il revêtait ses personnages d’une élégance un peu mignarde,
plus agréable que vraie, mais qui devait séduire et flatter les
bourgeois un peu lourds de Hollande.

Bien qu’ayant rompu avec la tradition, Gaspard Netzcher traita parfois
le tableau de genre et s’y montra supérieur. Ses scènes intimes n’ont
pas le pittoresque de celles de Ter Borch, mais elles témoignent
d’une habileté consommée et d’une science parfaite de la composition.
On pourrait citer comme des modèles _La leçon de Basse viole_ et la
_Leçon de Chant_ qui sont au Louvre, et sa _Dame donnant à manger à un
perroquet_.

Aussi habile que son père, Constantin Netzcher accentua davantage
encore sa manière et, sans posséder ses brillantes qualités, il n’en
donna pas moins bon nombre de portraits bien venus, méthodiquement
ordonnés, placés dans un cadre un peu théâtral mais agréable. Il eut,
pour le servir, une palette heureuse, chargée d’un coloris toujours
frais, pimpant, et il savait mettre ses modèles dans la pose qui les
faisait valoir le mieux. A ces dons de virtuose il ne joignait pas à un
égal degré la vision exacte ni l’expression réelle de la vie. Il n’est
pas moins un des plus charmants de ces «petits maîtres» hollandais qui
nous ont laissé de si délicieux chefs-d’œuvre.

La _Jeune Princesse_ est entrée au Louvre avec tous les tableaux de la
Collection La Caze, dont elle faisait partie.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 0.90.--Largeur: 0.52.--_Figure grandeur nature._



JAN STEEN

LA MAUVAISE COMPAGNIE

SALLE JAN STEEN


[Illustration]



_La Mauvaise Compagnie_


Voici une de ces scènes dans lesquelles la peinture hollandaise s’est
toujours exercée avec bonheur. On y retrouve réunies toutes les
qualités de cet art, si charmant dans sa vulgarité, à la fois jovial
et précis, qui traite avec la même méticuleuse précision les épisodes
religieux et les kermesses débraillées, avec le même réalisme la face
exsangue du Christ mort et les trognes enluminées des buveurs.

La scène représentée ici se passe probablement dans quelque estaminet
de Leyde, peut-être même dans la propre maison de van Steen, qui fut,
en même temps que peintre, cabaretier de son état et ivrogne endurci.
Nous y voyons, dans le désordre consécutif aux séances de débauche, un
type de paysan aisé, à la tête alourdie de vin, les yeux appesantis par
l’ivresse, qui fait un effort pour ramasser sa pipe tombée à terre. On
devine que le moindre faux mouvement lui fera perdre tout équilibre
et qu’il tombera de sa chaise, ivre-mort, sur le sol. A côté de lui,
sur un siège à haut dossier, une belle et robuste jeune femme--sans
doute sa compagne d’orgie--esquisse de la main un mouvement de retrait
de ses jupes comme pour éviter d’être heurtée par la chute inévitable
de l’ivrogne. Sa figure a quelque chose de bestial, comme celle du
buveur quelque chose de naïvement hébété. Et tandis que le triste
fêtard somnole, insouciant de tout, les bonnes pièces qui l’entourent
s’entendent à merveille pour le dévaliser. Debout à sa gauche, une
deuxième femme, servante de l’auberge apparemment, explore les poches
du dormeur, en retire sa montre qu’elle remet à une vieille usurière,
dissimulée dans l’ombre, qui versera le prix du vol. Au deuxième plan,
dans un fond de la pièce, un homme assis fume tranquillement sa pipe
pendant qu’un musicien debout continue de jouer, pour couvrir le bruit
du marchandage et tous deux contemplent la scène en riant.

Ce tableau, l’un des meilleurs de van Steen, se recommande par le
souci du détail épisodique, particulier à l’école hollandaise. Rien
n’y est oublié de ce qui peut ajouter à l’intérêt de la scène. Avec un
art supérieur, van Steen a prodigué tous les accessoires susceptibles
d’aider à la compréhension parfaite de son œuvre. Peintre de genre de
premier ordre, il nous décrit ce qu’il voit, comme il le voit, avec
l’unique préoccupation de faire vrai. Par contre, les conceptions
morales le laissent indifférent. S’il peint une scène d’orgie, ce n’est
pas afin de montrer les effets de la débauche ni pour nous la faire
détester. Tant de philosophie n’entre pas dans ses vues. Ce qu’il a
jeté sur la toile, c’est l’épisode quotidien de l’ivresse qui chavire
les cervelles et abrutit les corps. Aucun enseignement ne s’en dégage.
Dans la disposition des personnages, on devine même que van Steen
s’amuse de la mésaventure de son ivrogne et que la filouterie dont il
est victime lui paraît un bon tour aimablement joué.

Quoi qu’il en soit, l’œuvre est charmante de naturel et de malice.

Jan Steen est le plus habile et le plus spirituel des maîtres
hollandais au XVIIe siècle, celui qui porta au plus haut point de
perfection la peinture de genre. Il est observateur attentif, minutieux
et, dans chaque objet qui sollicite son attention, l’acuité de son
regard lui fait découvrir le côté comique, ridicule, sur lequel pourra
s’exercer sa verve.

Compatriote et contemporain de Gérard Dow et de Terborch, il n’a ni
la manière large de celui-ci, ni la méticuleuse minutie de celui-là.
Terborch est supérieur à Jan Steen par la correction merveilleuse de
son dessin et l’harmonieuse fraîcheur de son coloris, mais van Steen
l’emporte incontestablement par sa fantaisie, sa verve narquoise,
sa vivacité joviale. Chacun d’ailleurs s’est enfermé dans un genre
spécial: Terborch s’est fait le peintre des intérieurs riches et
les personnages dont il peuple ses tableaux sont des gens de bonne
compagnie, de mise correcte et de manières élégantes. Gérard Dow
semble avoir choisi ses modèles dans la classe moyenne, et ses toiles
finies, polies, orfévrées devaient plaire à la soigneuse bourgeoisie
hollandaise. Jan Steen, lui, cherche ses sujets de tableau dans les
cabarets et les lieux de plaisir. Le millier de toiles qui compose
son œuvre est entièrement consacré à la peinture des ripailles, des
orgies, des noces paysannes et des scènes burlesques. C’est le milieu
qu’il préfère, c’est celui où il vit quotidiennement et il dépense à
le traduire une fantaisie débordante, une gaîté énorme et un talent de
premier ordre.

Jan Steen avait d’ailleurs de qui tenir. Il avait travaillé longtemps
à Haarlem dans l’atelier de van Ostade, puis à La Haye, dans celui
de van Goyen, dont il épousa la fille. On n’a pas de renseignements
très précis sur la vie de cet artiste qui semble avoir laissé à Leyde,
sa ville natale, une fâcheuse réputation d’ivrogne et de débauché;
ses peintures n’en étaient pas moins très goûtées, à cause de leur
spirituelle drôlerie.

De l’œuvre considérable de Jan Steen, le Louvre ne possède que trois
tableaux: _la Fête dans l’intérieur d’une auberge_, _le Repas de
famille_, et _la Mauvaise compagnie_.

Ce dernier tableau fit partie de la collection Charles Cope de Londres.
Il fut vendu 2250 florins à la vente Taylor et le Ministère des
Beaux-Arts l’acquit, en 1881, pour la somme de 4750 francs. Il figure
aujourd’hui à la salle Jan Steen.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 0.47.--Largeur: 0.36.--_Figures: 0.25._



HANS HOLBEIN

PORTRAIT D’ÉRASME

GRANDE GALERIE


[Illustration]



_Érasme_


Hans Holbein est, sans nul doute, la plus grande figure de l’art
allemand et son illustre contemporain Albert Dürer doit lui céder la
première place. Il a pratiqué l’art sous toutes ses formes avec une
égale maîtrise; qu’on le considère comme dessinateur, décorateur,
peintre de fresques, portraitiste, architecte, modeleur, orfèvre,
illustrateur, miniaturiste, il nous révèle toujours une merveilleuse
personnalité. Mais, chez lui, c’est avant tout le peintre de portraits
qui reste incomparable.

Jamais la physionomie humaine n’a été rendue avec autant de précision,
avec autant de pénétration, et cela sans artifices de couleurs, par la
seule netteté du trait, par le rigorisme de la ligne, par la géographie
des rides. Il n’y a plus que la vérité du modèle immobile devant le
peintre, l’âme même est exprimée, le portrait devient une révélation,
presque une indiscrétion; il est toute une biographie. Pas de décor,
pas d’embellissement, aucune flatterie, la nature est prise sur le
fait, et cet art demeure unique, inégalé. Sa sécheresse lui est une
qualité de plus: Holbein a cette sincérité implacable, cette conviction
intransigeante, cette impassibilité merveilleuse que personne n’a
possédées comme lui, et qui font de son œuvre une chose à part, un
trésor spécial, qui porte sa marque indélébile. On dit: _un Holbein_,
et cette simple appellation évoque de suite une galerie d’effigies
remarquables, ayant toutes le même intérêt, la même haute valeur,
qu’il s’agisse de Henri VIII, de la reine Jane Seymour, d’Édouard VI,
de l’archevêque de Cantorbery, de Christine de Danemark, de Nicolas
Kratzer, d’Érasme, du bourgmestre Jacques Meier, du docteur Jean
Chambure ou de tant d’autres dont on ignore les noms.

Le portrait d’Érasme, que nous donnons ici, est un des plus beaux du
maître. Il n’est pas le seul toutefois, Holbein ayant à plusieurs
reprises peint les traits du célèbre érudit et philosophe bâlois, qui
était son ami.

Érasme est représenté de profil, assis devant son pupitre et écrivant.
Il est vêtu d’une lourde houppelande de couleur sombre, aux larges
manches garnies de fourrure. Sa tête est couverte d’un large bonnet de
même étoffe et de même couleur. Le fond du tableau se compose d’une
tapisserie à ramages que le peintre a volontairement noyée d’ombre,
comme la toque et le costume, afin de ne mettre en lumière que la tête
et les mains de son modèle: la tête du penseur, la main de l’écrivain.
Tout l’intérêt, toute la vie du tableau sont concentrés sur ces deux
taches claires, avec une intensité et une perfection que seul un
artiste comme Holbein pouvait atteindre.

Le dessin de la figure est merveilleux avec l’œil attentif baissé sur
le papier, le nez effilé, les lèvres pincées, les plis du menton et des
joues. Toute l’attitude de cette tête sérieuse trahit l’application,
la volonté et en même temps cette finesse narquoise qui fut la marque
distinctive de la philosophie légèrement sceptique d’Érasme. La main
gauche, ornée de bagues, maintient le papier sur le pupitre, tandis
que la droite trace des lignes. Le modelé de ces mains est admirable
et, s’agissant d’Holbein, il est à peine nécessaire d’ajouter que ce
portrait est un chef-d’œuvre.

Holbein avait connu Érasme à Bâle, où il était venu tout jeune avec
ses parents en 1515, et où il passa la plus grande partie de sa
vie. Bâle, à cette époque, était un foyer intellectuel très actif,
où bouillonnaient même les idées réformatrices dont Martin Luther
commençait à secouer l’Allemagne. Parmi les humanistes ballottés dans
les remous de ce torrent, émergeait une figure railleuse de savant et
de philosophe qui paraissait assister au grand drame de la Réforme en
spectateur amusé plus qu’en acteur: c’était Érasme. Entré tout jeune
dans les ordres, il avait pris son grade de docteur en théologie,
mais il s’était vite fatigué de la vie monastique et avait obtenu
du pape d’être relevé de ses vœux. Holbein et Érasme, dès qu’ils se
connurent, se lièrent d’amitié et quand le philosophe, appelé en
Angleterre par Henri VIII, se fixa à Londres, il songea à Holbein,
dont il appréciait le talent, et l’engagea à venir le rejoindre, lui
promettant de le patronner à la cour. Holbein quitta Bâle et passa en
Angleterre. Fidèle à sa promesse, Érasme le recommanda à Thomas More,
chancelier du royaume, et pour servir plus efficacement son ami, il lui
envoya le magnifique portrait reproduit ici. C’était la plus sûre des
recommandations. Thomas More vit le portrait, le trouva admirable et
fit à Holbein l’honneur de poser devant lui avec toute sa famille, ce
qui fournit au peintre l’occasion de réaliser un nouveau chef-d’œuvre.
Ce portrait consacra la réputation d’Holbein en Angleterre. A partir de
ce jour, tout ce que la cour et la ville renfermaient de personnages
considérables défila dans son atelier. Il fut même le peintre officiel
de Henri VIII qui le chargea plusieurs fois de faire son portrait et
celui des différentes femmes qu’il épousa successivement.

Le beau portrait d’Érasme appartint plus tard à Charles Ier qui, après
l’avoir conservé quelque temps, le donna à Louis XIII en échange du
_Saint Jean-Baptiste_, de Léonard de Vinci, qu’il désirait posséder.
Depuis lors, Érasme est demeuré propriété nationale, il figure dans la
Grande galerie, à la travée d’art allemand.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 0.42.--Largeur: 0.32.--_Figure en buste grandeur demi-nature._



CORRÈGE

LE MARIAGE DE SAINTE CATHERINE

SALON CARRÉ


[Illustration]



_Le Mariage de sainte Catherine_


On raconte que Corrège, âgé de dix-sept ans, vint à Mantoue et y vit
la _Victoire_ de Mantegna. Devant l’œuvre du maître padouan son âme
d’artiste tressaillit, il sentit remuer en lui les bouillonnements de
son futur génie et, transporté d’enthousiasme, il s’écria: _Ed anch’io
son pittore!_ (Moi aussi, je suis peintre!)

Peintre, Corrège le fut dans l’acception la plus étendue et la plus
élevée de ce terme. Il est de ces artistes dont la gloire rayonne
souverainement et ne connaît pas de détracteurs, car il possède au
suprême degré tous les dons du génie: une originalité charmante, une
grâce ineffable, une palette d’un coloris magique et une science qui le
classe, avec Michel-Ange, comme le premier dessinateur du monde.

Fresques, mythologies, scènes de genre, sujets profanes ou religieux,
il a tout traité avec une égale perfection; et dans toutes ses œuvres
se retrouvent cette souplesse, cette fantaisie, cette grâce qui nous
font adorer sa peinture.

_Le Mariage de sainte Catherine_, notamment, nous montre Corrège dans
l’épanouissement complet de son génie.

La Vierge, presque de profil, tient l’Enfant Jésus sur ses genoux.
Agenouillée devant elle, sainte Catherine livre sa main au divin Enfant
qui s’apprête à passer à son doigt l’anneau, symbole de leur union.
«Cela forme le plus délicieux bouquet de mains que jamais peintre ait
groupées au centre d’un tableau. On dirait qu’elles sont faites de la
pulpe des lis, tant elles sont pures, délicates et nobles avec leurs
doigts amincis en fuseaux et relevés du bout.» L’expression d’extase
amoureuse de la sainte qui épouse de toute son âme et pour l’éternité
l’insouciant bambino, est admirablement rendue. Derrière la sainte se
tient debout un saint Sébastien d’une beauté merveilleuse et à qui les
flèches, symbole de son martyre, qu’il tient à la main, donnent une
apparence d’Amour.

Dans les profondeurs de la perspective, à gauche, le peintre a eu
l’idée ingénieuse de montrer le saint et la sainte livrés à leurs
bourreaux. Mais ces épisodes sont de petites dimensions, esquissés
légèrement, noyés d’ombres et traités de manière à ne pas distraire
l’attention du sujet principal. Pour les voir, il faut les chercher
bien loin, au dernier plan, et l’œil, amoureusement attaché sur les
figures délicieuses de la Vierge, de sainte Catherine et de l’Enfant
Jésus, ne s’en détourne pas volontiers.

«Celui, écrit Charles Blanc, qui a vu, étudié, admiré cette page
d’un sentiment si délicat, n’est pas loin de comprendre toutes les
perfections de Corrège. L’idée seule du tableau révèle un peintre dont
l’esprit abonde en inventions charmantes. Sainte Catherine, unie au
divin Maître par le martyre souffert en son nom, s’appelle, en langage
mystique, l’épouse du Christ. La poésie, l’imagination acceptent cette
désignation symbolique. Mais comment mettre sous les yeux du chrétien
ce mariage du Christ avec une vierge pure et belle? Corrège le sait.
Ce n’est pas le Christ devenu homme, le Christ descendant de la croix
et placé à la droite de son père qui présente l’anneau à la vierge
martyre, c’est l’Enfant né à Bethléem, encore sur les genoux de sa
mère. Invention naïve et ingénieuse à la fois! Le mythe s’explique sans
effort: cet Enfant ne peut être l’époux de cette femme; cette union,
impossible dans ce monde, est un mystère qui s’accomplit dans le ciel!
La physionomie de la mère exprime cette inépuisable complaisance, ce
dévouement sans limites, cet amour parti des entrailles dont nul autre
peintre n’a eu le sentiment au même degré que Corrège. L’innocence de
la vierge se mêle à la béatitude de la sainte sur la figure de sainte
Catherine. Quant à l’exécution, elle est merveilleuse de finesse,
d’éclat dans les chairs et de transparence dans les ombres.»

Peintre délicat et attendri de la beauté féminine, Corrège donne à ses
têtes de femmes et de vierges une grâce presque enfantine et, chez lui,
les têtes, plus jeunes que les corps arrivés à tout leur développement,
gardent un air d’innocence et d’étonnement candide. Rien de plus
piquant que ce contraste, ménagé d’ailleurs avec un art infini. Dans
_le Mariage de sainte Catherine_, en particulier, la Vierge a cette
fleur d’extrême jeunesse et la sainte n’est guère plus âgée.

Théophile Gautier écrit: «Sous le léger voile d’ambre que le temps a
jeté sur ce tableau, on y sent une fraîcheur argentée, des reflets
bleuis, des tons de nacre, et toute cette gamme de nuances charmantes
endormies dans le mystère du clair-obscur, où Corrège est resté sans
rival.»

On dit que Corrège peignit ce tableau à l’occasion du mariage de
sa sœur, qui s’appelait Catherine. Il n’est pas sûr que l’artiste
en ait fait don à la jeune femme; en tout cas, elle ne le conserva
pas longtemps, car on le trouve vers la même époque, en 1525, en la
possession d’un ami de Corrège, le médecin Grilenzoni. Après avoir
décoré le cabinet de la comtesse Santa Fiora, cette peinture passa
chez le cardinal Sforza, qui la possédait en 1614, et ensuite chez
le cardinal Barberini, qui en fit don à Mazarin. Louis XIV l’acheta
aux héritiers du cardinal en 1661. Depuis cette époque, _le Mariage
de sainte Catherine_ n’a plus quitté les collections nationales et il
figure aujourd’hui au Salon carré, dont il est un des plus précieux
joyaux.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 1.05.--Largeur: 1.02.--_Figures à mi-corps, grandeur
naturelle._



LANCRET

CONVERSATION

SALLE LA CAZE


[Illustration]



_Conversation_


Lancret! Quelle charmante époque et que de jolies choses abolies évoque
ce nom! Parler de Lancret nous reporte aux beaux jours de Trianon et de
Versailles, au temps où ces fastueuses résidences abritaient la cour,
où les allées solennelles du parc s’animaient au babillage des groupes
ou couvraient de leur ombre les tendres aveux murmurés tout bas. C’est
tout un passé d’élégance, de frivolité, d’esprit, d’enjouement, de
politesse, c’est tout un monde qui revit dont le seul but semble avoir
été le plaisir, et l’intrigue amoureuse la seule occupation. Plus même
que Boucher, Lancret est le fidèle historiographe de ce temps en ce
qu’il ne couvre pas comme lui ses personnages sous le voile anonyme de
l’allégorie. Ses modèles, il les prend dans la vie même, autour de lui,
et il les peint comme il les voit, avec leurs vrais ajustements et dans
leurs attitudes familières. Voyez cette pimpante marquise qui se hâte
le long du bassin de Neptune, rougissante et jolie, courant sans doute
à quelque rendez-vous et retroussant une jupe bruissante afin d’aller
plus vite: c’est un Lancret qui passe. C’est un Lancret aussi, ce jeune
page à la mine éveillée qui semble attendre, à l’ombre d’un bosquet,
l’aventure promise.

C’est également un Lancret, et des plus charmants, le jeune couple
conversant au pied d’un arbre que nous montre la planche reproduite
ici. Assise sous le feuillage sombre, la jeune femme semble écouter
les galants propos murmurés tout près de son oreille par un cavalier
appuyé sur un pan de mur. Elle écoute, mais le sourire des yeux et
des lèvres laisse entendre que le marivaudage de son amoureux l’amuse
sans la convaincre. Quelle exquise créature que cette femme et quel
charme dans ce délicat visage encadré d’un diadème blond! Sur ses
épaules nues un léger manteau en voile bleu est négligemment jeté;
autour du cou un collier de perles s’enroule et descend le long de la
gorge dont on aperçoit les rondeurs par l’échancrure du corsage. Une
jupe de soie d’un jaune éteint se drape gracieusement autour du corps
en plis souples qui descendent jusqu’au sol. La main gauche est posée
sur les genoux; la main droite, admirablement modelée, tient un masque
de velours noir. Cet attribut de comédie cadre parfaitement avec le
costume du personnage placé près de la jeune femme et qui a toute
l’apparence d’un acteur de troupe italienne.

Cette délicate fantaisie est peinte avec un art supérieur. Lancret
y a prodigué ces tons moirés, veloutés qui donnent une élégance de
plus à ce tableau. Tout y est équilibré et charmant: le bleu, le
rouge, le jaune, bien que disposés en masses compactes et distinctes,
s’harmonisent et se fondent pour former un ensemble d’une adorable
douceur.

Lancret est, avec Watteau, le peintre le plus représentatif du siècle
des boudoirs, des fêtes champêtres et des galantes intrigues.

Tout jeune, il avait connu le grand artiste. Celui-ci, ému de
l’admiration que lui témoignait le jeune Lancret, lui donna des
conseils et l’élève étudia si bien la manière du maître qu’il en arriva
à se l’approprier complètement. Ce fut au point qu’un jour, dans une
Exposition, deux œuvres de Lancret furent prises pour des Watteau. Il
en résulta entre les deux peintres une brouille qui dura pendant de
longues années.

Malgré la similitude des genres, un œil averti ne peut cependant
confondre les deux artistes. Lancret n’a pas la poésie mélancolique
de son grand rival ni sa brillante imagination. Dans les paysages un
peu conventionnels que l’un et l’autre emploient comme fond de leurs
tableaux, Watteau place des personnages maniérés sans doute, mais plus
vivants que ceux de Lancret; de même sa couleur est plus chaude, plus
vibrante. Un peu plus froid, légèrement figé, Lancret n’en a pas moins
une grâce charmante; son art est souriant et ses personnages délicats
font songer à des bibelots précieux et frêles. Lancret eut une vogue
considérable. Ses œuvres, assez généralement de petite dimension,
étaient appréciées et se vendaient très bien. A la fortune s’ajoutèrent
les honneurs. En 1719, il est nommé à l’Académie royale de peinture,
avec le titre de «peintre des fêtes galantes» qu’il partageait avec
Watteau.

Lorsque Lancret apprit que Watteau était sérieusement malade, il
demanda à se réconcilier avec ce maître qu’il avait tant admiré et
aimé. Les deux peintres se pardonnèrent leurs torts réciproques: ils
avaient tous les deux une assez belle part de gloire pour oublier toute
rancune.

La gloire de Lancret, sans égaler celle de Watteau, reste enviable.
Élégant et spirituel, il est bien le peintre de la société de son
temps: libre sans grossièreté, délicat, charmant, il n’évoque que des
images riantes ou des scènes aimables. Ses _Scènes champêtres_, ses
_Conversations_, ses _Concerts_, ses allégories décoratives sont des
sujets peu renouvelés mais qu’il sait rendre aimables par l’abandon
gracieux des attitudes, par l’agrément des fonds de paysage, par
l’ingéniosité piquante des détails.

Le musée de Berlin possède 26 Lancret; moins riche, le Louvre n’en a
que 12.

La _Conversation_ est entrée dans notre grand musée national avec la
collection La Caze.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 0.38.--Largeur: 0.27.--_Figures: 0.14._



JAN VAN DER MEER (VERMEER)

LA DENTELLIÈRE

SALLE JAN STEEN


[Illustration]



_La Dentellière_


Sur un métier de dentellière, une jeune femme est penchée, attentive,
et fait courir dans ses doigts agiles les fuseaux et les fils de soie.
Sa blonde tête, couronnée de cheveux bien peignés et roulés en tresse
vers la nuque, est d’une robuste beauté septentrionale. Les traits sont
réguliers, fortement accusés, un peu vulgaires et trahissent l’origine
plébéienne du modèle. Sur la table, à côté de la diligente ouvrière,
on aperçoit un coussin bleu et un gros livre, dont elle lit sans doute
quelques passages aux intervalles de repos.

Ce tableau, à peine plus grand que la planche reproduite ici, rentre
dans la catégorie des peintures de genre dans lesquelles excellèrent
les artistes hollandais du XVII siècle, ceux qu’on appela «les petits
maîtres».

Van der Meer fut un des meilleurs, peut-être le meilleur, de ces
petits maîtres et cependant, par une bizarre injustice de la Destinée,
nous voyons son œuvre et sa personnalité tomber dans l’oubli pendant
deux siècles. Vingt ans après sa mort on ne sait rien de lui dans son
propre pays. Son nom même est dénaturé. De Vermeer, qui était son nom
véritable, on a fait Van der Meer, ce qui a permis de le confondre
avec la dynastie des Jan van der Meer de Haarlem, et avec le Jan
van der Meer d’Utrecht. Pis que cela, ses toiles ont été attribuées
successivement à Peter de Hoogh, à Metsu ou à d’autres encore. Aucun
autre peintre n’a connu cette disgrâce complète dans laquelle tout
sombre, l’œuvre et le nom.

Vermeer était digne d’un autre sort car il fut véritablement un
grand peintre. Il possédait une invention très riche, une harmonie
supérieure dans l’arrangement des couleurs, une gradation parfaite
dans les teintes, une touche énergique, large, solide, des empâtements
très fins. Ses scènes de la vie domestique sont remarquables par le
pittoresque de la composition, et surtout par la beauté de ses effets
de lumière dont le visage de _La Dentellière_ nous offre un éloquent
exemple. La dominante de son coloris, dans la plupart de ses tableaux,
consiste en une tonalité bleuâtre, extrêmement douce, encore affinée
par la légèreté de ses frottis.

De son vivant, Vermeer comptait parmi les meilleurs peintres de Delft.
Il était encore tout jeune que déjà Dirk van Bleyswijck, historiographe
de la cité, le signalait avec éloges. On conduisait les étrangers de
marque à son atelier. Il était entré comme apprenti, suivant l’usage
d’alors, à l’âge de quinze ans, dans l’atelier d’un peintre de Delft,
probablement Léonard Bramer. Six ans après, il passe maître-peintre
dans la guilde de Saint-Luc. Mais il est pauvre et n’a pas les six
florins exigés pour l’entrée dans la corporation: il ne peut verser
qu’un florin dix sols et s’acquitte du reste par acomptes. Mais son
mérite ne tarde pas à s’imposer, il gagne rapidement l’estime de ses
compatriotes et de ses confrères, et on le trouve à plusieurs reprises
doyen de la guilde de Delft.

Vermeer ne fut jamais riche et quand il mourut, à l’âge de
quarante-deux ans, il ne laissait à sa femme et à ses huit enfants
vivants que des dettes criardes. Il devait notamment 600 florins à son
boulanger. Sa veuve donna deux tableaux pour les payer, et comme elle
avait pour le talent de son mari une admiration profonde, elle stipula
qu’elle pourrait les racheter par versements annuels de 50 florins.

Après une éclipse de deux siècles, le nom de Vermeer se reprit à
briller, comme ces astres réputés perdus qui soudain reparaissent
au firmament. En 1809, un expert le qualifie de «très grand peintre
dans la manière de Metsu». Reynolds mentionne sa _Femme transvasant
du lait_ parmi les tableaux qui l’ont le plus frappé pendant son
voyage en Hollande. Plus tard Maxime du Camp, Théophile Gautier, Paul
Mantz, Clément de Ris contribuèrent à le faire connaître, mais c’est à
Burger-Thoré que revient l’honneur de sa complète réhabilitation.

On s’est inquiété de savoir à quelle école Vermeer avait acquis les
notions premières de son art. Certains commentateurs ont insinué que
peut-être il avait travaillé dans l’atelier de Rembrandt. La chose
paraît assez peu vraisemblable car, outre que Vermeer était trop
pauvre pour se rendre à Amsterdam où vivait Rembrandt, rien dans la
manière aimable et mesurée de Vermeer ne rappelle la facture puissante
et grandiose du grand maître hollandais. M. Henry Havard, dans la
savante étude qu’il a consacrée à Vermeer, le démontre de façon
lumineuse et péremptoire. Il n’est pas plus certain qu’il ait été
l’élève de Fabritius, qui était à peu près de son âge, ce qui semble
exclure l’idée que l’un d’eux ait été le maître de l’autre. Nous nous
rangerions plus volontiers à l’opinion de M. Henri Havard qui incline
à croire que Vermeer étudia avec Léonard Bramer, ami et allié de sa
famille.

_La Dentellière_ avait figuré dans une vente faite en 1816 à Amsterdam,
où elle fut adjugée 28 florins. Depuis elle avait été vendue 84 francs
à la vente de Muilman (1813), 501 francs à la vente Laperière (1817),
265 florins à la vente Nagel (1851). En dernier lieu, elle appartenait
à M. Blokhuysen, de Rotterdam. Elle fut acquise en 1870 pour 1.200
francs par l’État. Elle figure aujourd’hui dans la salle Jan Steen.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 0.24.--Largeur: 0.21.--_Figure à mi-corps._



VAN DYCK

CHARLES Ier D’ANGLETERRE

SALLE VAN DYCK


[Illustration]



_Charles Ier d’Angleterre_


Le portrait de Charles Ier d’Angleterre, que possède le Louvre, est un
chef-d’œuvre légendaire.

Le poing sur la hanche, du côté de l’épée, la main droite appuyée sur
une haute canne, le roi tourne légèrement sa tête fine et blonde,
encadrée d’un grand chapeau. Il regarde avec calme, avec assurance,
et toute son attitude est celle d’un homme habitué à commander. Sa
veste de soie grise est traversée du baudrier qui soutient l’épée.
Au-dessous de la culotte rouge et laissant voir les bas de soie, des
bottes souples en cuir fauve, garnies d’éperons, emprisonnent une
jambe nerveuse et élégante. Un peu en arrière, le cheval favori du roi
piaffe, impatient, maintenu par un écuyer vêtu de rouge qui représente
le chevalier d’Hamilton; un autre serviteur, plus loin, porte le
manteau du souverain. Le tertre où sont placés les personnages est
ombragé par la ramure épaisse d’un arbre et, sur les plans éloignés,
s’étend une plaine au-dessus de laquelle des nuages gris floconnent
dans le ciel bleu.

Ce tableau, d’une admirable composition, rend à merveille l’élégante
silhouette de Charles Ier, le plus beau des Stuarts. L’œuvre se
présente avec une noblesse contenue, une richesse sourde et éclatante
tout à la fois, une somptuosité discrète qui impressionnent, où l’on
retrouve quelque chose de la manière de Rubens, mais tempérée, assagie,
comme disciplinée.

Van Dyck avait d’ailleurs longtemps travaillé avec Rubens, qui
l’appelait «le meilleur de ses élèves». Son amitié lui fut aussi
profitable que ses leçons. C’est lui qui le recommanda à la cour des
Stuarts. Charles Ier, influencé par les éloges de Rubens pour son élève
et ravi du portrait de Nicolas Lanière, son maître de chapelle, peint
par Van Dyck, invita celui-ci à se rendre auprès de lui.

Van Dyck arriva à Londres et se présenta au roi qu’il conquit dès la
première entrevue. Il avait une beauté fine, assez semblable à celle de
Charles Ier, des manières aisées, une certaine grâce cavalière et l’air
vif et dégagé d’un homme du monde accompli. Sa conversation n’était
pas moins agréable que sa personne; il avait la parole abondante et
brillante, alimentée par un savoir profond et disciplinée par un tact
infini. Le roi se plaisait beaucoup en sa compagnie; il se rendait
fréquemment à son atelier et, dépouillant avec lui toute contrainte
d’étiquette, ils s’entretenaient ensemble de mille sujets pendant
que Van Dyck travaillait à son portrait. De cette époque datent les
nombreuses effigies du roi et de la reine.

En récompense de son talent, Van Dyck reçut le titre de principal
peintre ordinaire de Leurs Majestés, fut créé chevalier et eut son
logement à Blackfriars.

Dans son portrait de Charles Ier, Van Dyck s’était révélé portraitiste
de génie et il n’est pas étonnant que, voulant suivre l’exemple du
souverain, toute la noblesse enviât l’honneur de poser devant le
grand artiste flamand. Bientôt, il ne put suffire aux commandes, il
dut prendre des collaborateurs chargés de peindre les accessoires, se
réservant seulement les têtes et les mains. Le succès venu, il eut
toute liberté d’augmenter ses prix et gagna des sommes considérables
qu’il dépensait largement. Sa maison était montée sur un pied
magnifique, il possédait un équipage nombreux et élégant et offrait
si bonne chère que peu de princes étaient aussi visités et aussi bien
servis que lui.

En 1639, il épousa Mary Ruthven, demoiselle d’honneur de la reine,
petite-fille de lord Ruthven, dont il eut une fille. Sa femme ne lui
apportait pas de dot, mais elle était considérée comme une des plus
merveilleuses beautés de son temps. Cette union fut de courte durée.
Sa vie de travail et de plaisirs avait miné la santé de Van Dyck et
malgré que Charles Ier eût promis trois cents livres au médecin s’il le
sauvait, le grand peintre mourut à Blackfriars, le 9 décembre 1641, âgé
seulement de quarante-deux ans.

«Non moins coloriste que Rubens, écrit Théophile Gautier, mais plus
fin, plus élégant que son maître, Van Dyck semble créé pour peindre
les rois, les princes, les duchesses, tout ce monde de la haute vie,
fin de race, aristocratique d’allure, d’une magnificence héréditaire
et marchant au-dessus de la multitude comme les dieux marchent sur
les nuages. Il a peint d’une touche aisée et noble, avec une couleur
brillante mais vigoureuse et une pénétration rapide du caractère, des
têtes qu’on ne reverra plus, des masques dont le moule est brisé, des
expressions d’existences à jamais évanouies.»

Le portrait de Charles Ier entra dans le domaine national d’assez
curieuse façon. A la vente du comte de Thiers, qui en était possesseur,
la comtesse Du Barry l’acheta pour une somme de 24.000 livres. Et comme
on lui demandait pourquoi elle avait choisi ce tableau de préférence
aux autres de la collection qui semblaient devoir mieux lui convenir,
elle répondit que c’était un portrait de famille, car elle prétendait
tenir de la maison des Stuarts. Plus tard, elle le céda au même prix à
M. d’Angivillers, pour le compte du Roi.

Ce tableau occupe aujourd’hui au Louvre la salle Van Dyck qui précède
la nouvelle salle des Rubens.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 2.72.--Largeur: 2.12.--_Figures en pied grandeur naturelle._



FRANÇOIS CLOUET

ÉLISABETH D’AUTRICHE

SALLE DES PRIMITIFS FRANÇAIS


[Illustration]



_Élisabeth d’Autriche, femme de Charles IX_


«Quel chef-d’œuvre que le portrait d’Élisabeth d’Autriche, reine
de France, femme de Charles IX! On ne saurait pousser plus loin la
finesse, l’exactitude et la perfection du dessin; sur ce délicat
linéament s’étale une couleur d’une suavité pâle, plus vraie que les
tapages de tons des peintres dits coloristes, et qu’on sent être
l’expression même de la nature: quoique le modèle de ce délicieux
portrait ne soit plus qu’une pincée de cendre, si même cette cendre
existe, on en peut affirmer la ressemblance. Oui, c’est bien Élisabeth,
femme de Charles IX. Elle vit tout entière dans son petit cadre: les
mains posées l’une sur l’autre avec un mouvement plein de grâce, sont
des merveilles, fluettes, transparentes, tendres comme des pétales de
lis, des mains vraiment royales! Le costume, d’une élégance et d’une
richesse compliquées, est constellé de perles, de joyaux, de boutons
émaillés, de pierreries qui font presque disparaître le corsage
de brocart d’or damassé d’argent, avec sa fraise godronnée; et la
chemisette de gaze à bouillons semble porter défi aux Blaise Desgoffes
de l’avenir.»

    (Théophile Gautier.)

C’est en 1570 que la jeune archiduchesse, petite-fille de
Charles-Quint, épousa Charles IX, à l’âge de seize ans. Son royal
époux n’en avait que vingt. Ce ménage d’enfants, trop jeunes pour
avoir une volonté, ne fut qu’un triste jouet politique entre les mains
de la reine-mère, l’astucieuse Catherine de Médicis. Leur union fut
d’ailleurs très courte. Charles IX mourait cinq ans après et quand
Élisabeth, veuve à vingt et un ans, l’âme encore épouvantée des
massacres de la Saint-Barthélemy, eut regagné son pays natal, elle
s’enferma dans un couvent de Clarisses pour y pleurer son court bonheur
et y oublier les horreurs du passé. Elle y mourut de consomption, à
l’âge de trente-huit ans.

A cette époque Clouet, que les écrits contemporains appellent _Janet_,
jouissait d’une grande réputation: il avait succédé à son père, Jean
Clouet, comme peintre de la Cour et, confirmé successivement dans sa
charge par François Ier, Henri II et Charles IX, il bénéficiait d’une
pension de 240 livres sur la cassette royale.

C’est peu de temps après l’arrivée en France de la jeune reine
Élisabeth que François Clouet exécuta son magnifique portrait. On a
cru longtemps que ce tableau fut peint directement d’après nature. La
découverte, en 1825, du cahier des crayons de l’artiste--cahier qui
est conservé au cabinet des estampes--démontre que Clouet, comme tous
les artistes de l’époque, exécutait d’abord ses portraits au crayon,
rapidement, afin de ne pas lasser la patience de ses modèles. L’œuvre
était ensuite reportée à l’huile sur panneau, corrigée, amplifiée,
finie. Il en fut de même pour le portrait d’Élisabeth d’Autriche, qui
se trouve à l’état de préparation, dans le cahier de Clouet, avec tous
ses détails. En marge figurent les indications qui doivent lui servir
ultérieurement pour sa peinture, la couleur des plumes, des soies, des
passements, les nuances diverses du costume, les erreurs de proportions
dans le croquis qu’il se propose de rectifier sur le panneau définitif.

Ce crayon, comme tous ceux de Clouet, est admirable; dans le panneau
reproduit ici, s’ajoutent encore ce coloris délicat et vigoureux à la
fois et cette vérité dans l’expression qui ont permis d’attribuer à
Holbein maintes œuvres de notre vieux maître français. Très longtemps,
on a presque ignoré ce délicieux artiste et cette sorte d’indifférence
rend encore aujourd’hui les critiques hésitants dans l’attribution à
Clouet de tableaux où tout accuse sa manière. Que lui a-t-il manqué
pour tenir dans la postérité le rang qui lui est dû? Un biographe, un
Vasari qui aurait transmis aux générations suivantes son nom et la
nomenclature de ses œuvres.

Et cependant quel maître charmant que François Clouet! Un Holbein fin,
gracieux, élégant, avec toutes les qualités françaises. Rien de plus
délicat que sa manière de peindre, qui ferait paraître grossières les
miniatures les plus achevées. Sa couleur est claire, ses ombres sont
d’une légèreté extrême, comme s’il craignait d’y dérober quelque détail
intéressant; mais dans cette pâleur, quand l’œil s’y est habitué,
quelle recherche du modelé, quel rendu et quelle précision! Et quel
soin, quel goût, quel fini, quelle fidélité dans les costumes, les
ajustements, les armes et les joyaux des illustres personnages, princes
ou princesses qu’il représente! Aucun sacrifice, aucune partie cachée,
et pourtant, de ce monde de détails, rien ne se détache et ne trouble
l’harmonie. C’est bien le peintre des Valois, ces rois artistes,
parés et coquets comme des femmes. Mieux que cela, par la qualité
prodigieuse de son talent, Clouet est le précurseur des portraitistes
modernes et, s’il revenait de nos jours, il n’aurait rien à modifier
dans sa technique pour se placer au niveau des plus grands peintres de
portraits.

Le portrait d’Élisabeth d’Autriche appartient à l’ancienne collection
royale; il n’a jamais cessé d’appartenir à la Couronne ou aux galeries
nationales. Il figure aujourd’hui à la salle XI, l’une des deux salles
consacrées aux Primitifs français.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 0.56.--Largeur: 0.27.--_Bois.--Figure buste demi-nature._



DELACROIX

LA BARQUE DU DANTE

SALLE FRANÇAISE MODERNE


[Illustration]



_La Barque du Dante_


Sous un ciel noir, strié de lueurs sanglantes, le Phlégéton roule ses
eaux chargées de flammes. Dans ce décor d’épouvante, Virgile conduit
le Dante vers l’Enfer. Debout dans la barque qui les porte, les deux
poètes ont des attitudes opposées; Virgile, enveloppé dans un grand
manteau rouge, ne semble pas ému; de sa main droite, il maintient le
poète florentin dont le geste et le visage trahissent la terreur.
Autour de la barque, dirigée par un nautonnier athlétique, les damnés
émergent du flot noir, convulsés, titaniques, la face ravagée, et
essayent de s’agripper à l’esquif; l’un d’eux s’accroche à la poupe
dans un mouvement furieux et la mord avec rage. Ce grouillement de
torses, ces chairs livides se débattant dans la nuit spectrale donnent
bien l’impression d’une scène d’enfer. Il y a tant de dramatique
puissance dans cette œuvre, tant de violence farouche dans le rendu et
en même temps tant d’habile souplesse dans la composition, que l’on
éprouve à regarder _La Barque du Dante_ la même frayeur dont frissonne
l’auteur de _La Divine Comédie_.

Parlant de ce tableau à l’époque où il fut exposé, Thiers le vante en
termes enthousiastes. «Aucune œuvre, écrit-il, ne révèle mieux l’avenir
d’un grand peintre que ce tableau. L’auteur y jette ses figures, les
groupe, les plie à volonté avec la hardiesse de Michel-Ange et la
fécondité de Rubens.»

Écoutons Paul de Saint-Victor: «On comprend l’effet que dut produire,
au milieu de la fade peinture de l’époque, cette toile ardente et
sombre, éclairée d’un jour infernal. _La Barque du Dante_, avec son
Phlégias titanique et les damnés qui l’enlacent, parmi les flots
d’écume noire, de leurs replis tortueux de chairs et de muscles, serait
digne de voguer sur le fleuve qui roule au bas du _Jugement dernier_ de
Michel-Ange.»

Faire songer ainsi, d’un accord unanime, au prodigieux talent de
Michel-Ange, n’est-ce pas porter en soi quelque chose de sa puissance
et de son génie? Et cependant, à l’époque où paraît cette magnifique
toile, Delacroix n’a que 24 ans; non seulement il est un inconnu, mais
il n’a pas eu de maître, il n’a fait que passer dans l’atelier de
Guérin dont la technique glaciale le révoltait. Un peintre, cependant,
exerça une influence réelle sur Delacroix: c’est Géricault, son
camarade d’atelier, qui venait de peindre le _Radeau de la Méduse_. Son
exemple le décida à rompre ouvertement avec la tradition davidienne et
le réalisme intense de cette œuvre le détourna à jamais de la manière
académique de l’école précédente.

Sa _Barque du Dante_ est le premier acte de cette lutte acharnée qu’il
poursuivra toute sa vie. Du premier coup, il se pose en adversaire de
l’école de David. Aujourd’hui, nous nous étonnons que cette œuvre de
couleur si sobre, si sculpturalement plastique dans les modelés du
corps humain, ait pu être considérée comme révolutionnaire et mériter
tant de violentes injures; mais si l’on se reporte à l’époque, on
comprend la hardiesse de la nouveauté de Delacroix. Il osa apporter
de la passion et une expression dramatique intense dans un sujet tiré
de la littérature; il osa choisir un poète du Moyen-Age au lieu de
s’inspirer de l’antiquité classique.

Ce jeune artiste de vingt-quatre ans bouleverse toutes les notions
du Beau, établies par David et si mal interprétées par ses élèves.
Au surplus, Delacroix ne prétend pas contester le génie de David ni
méconnaître l’influence heureuse de sa réaction contre la décadence de
l’art au XVIIIe siècle, mais il affirme son droit de choisir à son gré
les sujets de ses toiles et il pose en principe que l’antiquité n’est
pas seule inspiratrice de la Beauté et qu’on trouve celle-ci partout,
dans la vie moderne, autour de soi et qu’il suffit pour y atteindre
d’avoir une âme sincère et une vision nette.

Fait curieux, Delacroix ne fut pas un enfant prodige; il ne montra pas,
dès ses jeunes années, ces dispositions artistiques que les biographes
se plaisent à constater dans la vie des grands maîtres. Lorsqu’il
quitta le lycée impérial, à l’âge de dix-sept ans, pour entrer dans
l’atelier de Guérin, il songea sérieusement à embrasser la carrière
militaire, comme ses frères. Ce fut donc en vivant dans un milieu
artistique que se révéla son âme de peintre et qu’il prit décidément le
goût d’une carrière qu’il devait illustrer d’un tel éclat.

Une passion immense, doublée d’une volonté formidable, tel était
l’homme. Et quelle puissance d’imagination! «Ardente comme les
chapelles ardentes, elle brille de toutes les flammes et de toutes les
pourpres, tout ce qu’il y a de douleur dans la passion le passionne;
tout ce qu’il y a de splendeur dans l’Église l’illumine. Il verse tour
à tour sur ses toiles inspirées, le sang, la lumière et les ténèbres.»
(Baudelaire.)

_La Barque du Dante_ a beaucoup perdu de son éclat primitif; la couleur
s’en est assombrie jusqu’à noyer les personnages dans une nuit presque
absolue. Cette détérioration regrettable est imputable à l’emploi
exagéré du bitume que Delacroix abandonna, fort heureusement, plus tard.

Quoi qu’on ait dit sur l’injustice dont fut victime Delacroix, il eut,
dès ses débuts, les encouragements officiels; les peintres seuls lui
furent hostiles. L’État acquit _la Barque du Dante_ pour 1.200 francs
et la plaça au Luxembourg. Elle est passée depuis au Louvre où elle
figure, avec ses autres œuvres, dans la salle des Peintres français
modernes.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 1.80.--Largeur: 2.40.--_Figure: 1 mètre._



GRECO

LE ROI FERDINAND

GRANDE GALERIE


[Illustration]



_Le roi Ferdinand_


Le roi Ferdinand est représenté debout, revêtu d’une armure et portant
sur la tête une couronne d’or. Les bras nus sortent du brassard
d’acier. De la main droite, il tient la main de justice et de la gauche
légèrement inclinée vers le sol, le sceptre royal surmonté de la fleur
de lis. Sur l’armure est jeté un manteau de pourpre négligemment drapé.
Près du monarque, un jeune page, le col orné d’une fraise de dentelle,
porte le casque du souverain.

L’auteur du portrait du roi Ferdinand s’appelait Dominico Théotocopuli.
On le surnomma «le Greco» à cause de son origine. Il était né
dans l’île de Crète, vers l’an 1548. Tout jeune il manifesta de
merveilleuses dispositions pour la peinture et il n’eut d’autre pensée
que de venir sur le continent pour y satisfaire son goût. Au XVIe
siècle, Venise était reine des mers et faisait un actif commerce avec
l’Orient; ses navires visitaient toutes les îles de la Méditerranée
et y apportaient l’écho des merveilles de la Sérénissime. Par les
voyageurs et les marchands on savait, dans les îles, qu’à Venise
florissait une pléiade incomparable de peintres, les premiers du monde.
L’esprit du jeune Théotocopuli était hanté de ces récits. Son âme
ardente s’exaltait et quand il mit le pied sur la rive des Esclavons,
il ne songea pas à aller plus loin, il se fixa à Venise.

Il entra à l’atelier du Titien, c’est du moins ce qu’atteste une
lettre écrite de Rome par l’enlumineur Clovio, en 1570, pour demander
au cardinal Farnèse d’accorder un logement dans son palais de Rome «à
un jeune Candiote, élève du Titien et qui est un bon peintre». Il ne
faut rien moins que cette affirmation pour clore le débat; car, si l’on
juge d’après ses œuvres de la première manière, on y retrouve plus
certainement l’influence de Tintoret ou même de Jacopo da Ponte que
celle du Titien.

En 1570, il alla à Rome pour s’y pénétrer de l’œuvre des grands
maîtres. Après cinq ou six ans de séjour dans la ville pontificale,
il passa en Espagne et se fixa à Tolède. La première de ses œuvres,
exécutée dans cette ville, porte la date de 1577. Le Greco ne devait
plus quitter l’Espagne qu’il avait définitivement adoptée comme patrie.

Dès son arrivée dans la péninsule, l’art du Greco subit une
transformation dont on ne trouve peut-être aucun autre exemple dans
l’histoire. Sa manière se modifie complètement. Toute influence
italienne disparaît. Désormais son œuvre ne rappelle plus ni le Titien,
ni le Tintoret; il est Espagnol ou pour mieux dire il est Greco, il est
lui-même, c’est-à-dire un peintre qui ne s’apparente à aucun autre et
qui puise sa personnalité dans son seul génie.

Ce qui le distingue c’est la qualité particulière de sa couleur
un peu froide mais toujours harmonieuse et distinguée. Une autre
caractéristique de son talent, c’est sa prédilection marquée pour
l’ascétisme. Il donne volontiers à ses personnages des visages sévères,
allongés, maigres, émaciés, des corps d’anachorètes dont l’ossature
semble dépourvue de chair. A contempler certaines de ses toiles on
éprouve une sensation de malaise que l’art supérieur de l’artiste
ne parvient pas toujours à dissiper. Mais ses figures vivent d’une
vie intense, prodigieuse. Jamais peintre n’a traduit avec une telle
puissance la flamme intérieure qui vient de l’âme et les extases
passionnées de la ferveur. Quelque laid que soit son modèle, il
l’illumine d’une clarté surhumaine qui le poétise et l’embellit. A ce
titre, il se classe comme un des meilleurs peintres religieux dont
l’histoire de l’art fasse mention. C’est Tolède qui possède ses plus
belles toiles.

Grâce à ce don merveilleux d’évocation, il fut également un
portraitiste de premier ordre et l’on ne trouve guère que Velazquez à
mettre au-dessus de lui. S’il lui est parfois inférieur au point de
vue de l’exécution, il l’égale et parfois le dépasse par son intense
pouvoir de pénétration, par l’incomparable faculté qu’il possède de
fixer en traits de feu la vie intérieure de son modèle.

On l’a appelé «le peintre des âmes». Aucun titre ne pouvait mieux lui
convenir, aucun maître n’était plus digne que lui de le porter.

M. Maurice Barrès, dans son beau livre sur le Greco, écrit: «Le voilà
parti pour être un peintre de l’âme, et de l’âme la plus passionnée:
l’espagnole du temps de Philippe II. Il laisse à d’autres de
représenter les martyrs affreux, les gesticulations violentes, toutes
ces inventions bizarres ou cruelles qui plaisaient à un peuple de mœurs
dures, mais il gardera ce qui vit de fierté et de feu au fond de ces
excès. Ils valent pour ramener toujours les esprits au point d’honneur
et aux vénérations religieuses. Et, dans son œuvre, Greco manifestera
ce qui est le propre de l’Espagne, la tendance à l’exaltation des
sentiments.»

Greco ne fut pas seulement un grand peintre, il était encore
architecte, sculpteur, écrivain. Sous ses trois aspects, on ne peut
malheureusement le juger aujourd’hui, ses sculptures et ses écrits
ayant disparu.

Le _Roi Ferdinand_, d’acquisition récente, figure dans la Grande
Galerie, à la travée de la peinture espagnole.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 2.05.--Largeur: 1.66.--_Figure à mi-corps, grandeur naturelle._



REMBRANDT

LES PÈLERINS D’EMMAÜS

GRANDE GALERIE


[Illustration]



_Les Pèlerins d’Emmaüs_


On connaît la légende évangélique: deux disciples du Christ, peu de
temps après sa mort, cheminent de compagnie sur les routes brûlantes
de la Galilée. Chemin faisant, ils évoquent la grande figure du Maître
disparu et se remémorent la longue suite de ses miracles, l’horreur
de son supplice, le prodige de sa résurrection. Harassés de fatigue,
ils frappent à la porte d une hôtellerie et demandent à manger. A
leur lassitude se mêle un peu de découragement. Que deviendront-ils,
maintenant que le Maître est parti? Le reverront-ils encore? Ils ne
croient pas que le miracle soit possible et, dans leur douleur, ils se
lamentent. Et voilà, que soudain, à cette table où ils se trouvent,
une lueur jaillit et le Christ apparaît, assis entre eux, avec son
majestueux et doux visage, comme au temps où il vivait au milieu de ses
disciples.

C’est cette scène, d’une touchante poésie, que Rembrandt a traitée dans
le tableau reproduit ici. Le peintre a choisi le moment où le miracle
vient de s’accomplir. Le Christ est apparu et autour de lui flotte
encore cette clarté céleste qui a précédé sa venue.

Devant une table en X, couverte d’une nappe posée sur un tapis, le
Christ est assis, ayant à côté de lui les deux _Pèlerins d’Emmaüs_.
Un serviteur debout s’apprête à poser sur la table un plat chargé de
mets. L’Homme-Dieu est vêtu d’une longue robe qui laisse apercevoir,
sous la table, les jambes et les pieds. Sa tête, nimbée d’une auréole,
est légèrement inclinée à droite; les longues boucles de sa chevelure
blonde retombent de chaque côté des épaules. Entre ses mains, il tient
le pain qu’il rompt et bénit. L’attitude et les expressions de visage
des pèlerins trahissent l’amour, la surprise heureuse, l’adoration des
disciples reconnaissant en leur hôte leur Maître bien-aimé. D’une haute
fenêtre qu’on ne voit pas tombe une lumière délicate qui jette une
lueur dorée sur cet épisode évangélique; tout l’éclat en est concentré,
avec un art supérieur, sur la table où vient de s’accomplir le miracle.
Maître incomparable dans le maniement du clair-obscur, Rembrandt a
animé ses ombres les plus profondes d’une chaude luminosité qui les
rend transparentes.

Rembrandt n’est pas seulement un alchimiste de la couleur, un magicien
de la lumière, un faiseur de tours de force pyrotechniques tirant,
comme on dit, des coups de pistolets dans les caves; il possède au
plus haut degré le sentiment humain, religieux et pathétique. Avec
des formes parfois communes, triviales, manquant de noblesse comme
dessin, car sa couleur est toujours d’une rare distinction, il parvient
à exprimer les nuances les plus délicates de l’âme. Quelle onction,
quelle majestueuse douceur, quelle tendresse dans ce visage du Christ,
quelle profondeur de pensée dans son regard! Et comme l’admiration
est traduite magnifiquement sur les traits un peu vulgaires de ses
disciples!

Peu de sujets ont été aussi fréquemment interprétés que la scène
légendaire des _Pèlerins d’Emmaüs_. Les plus grands maîtres l’ont
abordée, notamment les Vénitiens, et parmi eux, Titien et Véronèse.

Avec cette liberté vénitienne qui se permettait tous les anachronismes,
Titien ne craignit pas d’introduire dans son tableau des personnages
considérables de son époque. Véronèse, lui, y fait figurer sa propre
femme, des enfants qui jouent, des épagneuls qui gambadent.

Il ne saurait être question ici de comparer des œuvres si différentes.
Celle de Titien a de la gravité, sa composition est admirable et son
coloris tel qu’on peut l’attendre de ce prestigieux artiste; dans le
tableau de Véronèse, tout est charmant, gracieux, d’une harmonie et
d’une fantaisie adorables.

Mais chez les peintres de Venise, le sentiment religieux n’est jamais
très profond; on devine qu’une renaissance d’idées et d’impressions a
soufflé sur ce coin de terre. Pour être réellement chrétienne, leur âme
est trop éprise des splendeurs orientales amenées par les felouques
musulmanes dans le grand port de l’Adriatique.

Dans les pays du Nord, au contraire, la foi reste très vive; le
tempérament septentrional ressent plus profondément la poésie des
symboles chrétiens; la grisaille du ciel, la tristesse des jours
brumeux favorise les longs rêves et incite aux pensées pieuses. Aussi
est-ce dans le Nord que les scènes religieuses ont trouvé leurs plus
sincères, sinon leurs plus éloquents interprètes.

Et lorsque, par miracle, cette ferveur mystique guide une main
puissante comme celle de Rembrandt, lorsqu’elle saisit une âme de cette
trempe, un génie de cette envergure, l’œuvre qui naît de cet accord
atteint aussitôt à la sublimité.

_Les Pèlerins d’Emmaüs_ appartenaient, vers le milieu du XVIIIe siècle,
au bourgmestre Six, d’Amsterdam. A la vente qui suivit sa mort, le
tableau fut adjugé 170 florins. Il fut acheté ensuite, en 1770, par
Louis XVI, à la vente du fermier général Randon de Boisset, pour une
somme de 10.500 livres. Il figure aujourd’hui dans la grande galerie du
Louvre, à la travée réservée aux œuvres de Rembrandt.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 0.68.--Largeur: 0.65.--_Figures: 0.34._



BOUCHER

SUJET PASTORAL

SALLE DU XVIIIe SIÈCLE


[Illustration]



_Sujet Pastoral_


Au pied d’un arbre au feuillage d’un vert sombre, se détachant en
vigueur sur l’azur du ciel, un berger et une bergère sont assis.
Berger et bergère à figure fine, aux vêtements soignés, paysans
de convention tels que les comprenait le XVIIIe siècle élégant et
pomponné, bien faits pour plaire à la société d’alors, monde de cour
qui ne connaissait de la campagne que les majestueux ombrages de
Versailles. Le berger est assis sur un tertre de gazon; l’un de ses
bras, passé autour du cou de la jeune fille, s’appuie sur son épaule;
sa main droite joue avec un oiseau apprivoisé, dont on aperçoit la
cage ouverte à droite du tableau. Sur ses jambes chaussées de bleu est
jetée négligemment la veste rouge dont il s’est dévêtu. Elle, tout
près de lui, un coude appuyé sur le genou de son compagnon, tresse
une couronne de feuillage, mais toute son attention se porte vers les
ébats de l’oiselet et peut-être plus encore vers le joli visage de
l’ami tendrement penché sur elle. Quelle ravissante figure de femme,
fine, délicate, rosée et combien joliment encadrée par le double
réseau de ses tresses blondes! N’est-ce bien pas plutôt une élégante
marquise de la Cour qui joue pour s’amuser un rôle de bergère? On
le croirait vraiment à voir ses mains blanches finement attachées à
des bras bien tournés et ses pieds menus, parfaits, d’une pureté de
lignes qui trahit la race. Et quel costume pour une simple paysanne!
Un corsage de couleur tendre largement échancré sur la poitrine et
une jupe que l’on jurerait être en satin. Entre eux, une corbeille
remplie de roses semble indiquer que ce couple charmant a des loisirs
et que la surveillance du troupeau ne l’absorbe guère. Leurs moutons
sont particulièrement dociles; on les aperçoit, à gauche de la toile,
très sagement couchés dans l’herbe, laissant aux jeunes amoureux toute
licence de se conter fleurette.

Quelle charmante fraîcheur dans ce tableau où tout est combiné pour la
joie du regard, et quelle prodigieuse habileté dans cet art de Boucher
qui joue avec les couleurs comme un vrai magicien! Rien de heurté,
rien de choquant: le vert, le bleu, le rouge se marient dans une
harmonie parfaite. Et quelle science de la composition! Tout l’intérêt
de la scène se concentre bien sur les deux jeunes gens, mais laisse à
l’esprit assez de liberté pour lui permettre de goûter la beauté du
paysage et la fantaisie du détail.

Boucher aimait peindre les pastorales. On trouve dans son œuvre
quantité de sujets empruntés à la vie champêtre, ou du moins à cette
vie conventionnelle des champs où les bergères ont des houlettes
garnies de rubans et des robes à paniers. Convention qui ne trompe
personne, mais que chacun accepte volontiers parce que la vie d’alors
ne se conçoit pas sans élégance et que l’on trouve haïssable tout ce
qui n’est pas joli et parfumé. Et ces bergeries, ces contrefaçons de
pastorales, l’engouement de la Cour et de la ville les consacre, la
mode s’en mêle, et bientôt nous verrons s’élever, sur les pelouses
de Trianon, des fermes en miniature où des duchesses et des reines
viendront par jeu jouer à la paysanne et baratter le beurre.

En réalité, Boucher n’a été que le traducteur de l’état d’âme d’une
époque et, pour le juger équitablement, il faut se reporter à cette
époque, en connaître les aspirations, les goûts, la voir avec les yeux
de ceux qui la vécurent. Alors, toute prévention disparaît et l’on est
en état d’admirer sans réticence ses fantaisistes paysanneries; alors
apparaît dans toute son ampleur le prestigieux talent de l’artiste.

«Les _Pastorales_ de Boucher, écrit Théophile Gautier, vous font entrer
dans ce monde idyllique inventé par lui à l’usage du XVIIIe siècle,
le moins champêtre des siècles, en dépit de ses prétentions bocagères.
Les moutons sont savonnés, les bergères ont des corsets à échelles de
rubans et des teints qui ne se sentent pas du hâle campagnard, et les
bergers ressemblent à des danseurs d’Opéra. Mais tout cela est d’une
séduction irrésistible et d’un mensonge plus aimable que la vérité.»

Boucher avait un véritable tempérament de peintre, d’une invention
inépuisable, d’une facilité prodigieuse et d’une exécution qui est
toujours celle d’un artiste, même dans les œuvres les plus lâchées.
Sans doute il abusa de ces dons précieux, mais la prodigalité n’est
permise qu’aux riches, et pour jeter de l’or par les fenêtres il
faut en avoir. Boucher a suffi, sans descendre jamais au-dessous de
lui-même, au plus effroyable gaspillage de talent pendant une longue
carrière d’artiste. Faire le catalogue de son œuvre est presque
impossible. Boucher a peint des plafonds, des dessus de porte, des
trumeaux, des portraits, des mythologies, des bergerades, des paysages,
des décorations d’Opéra, des modèles de tapisseries; il a orné des
clavecins, des paravents, des cabinets, des chaises à porteurs, des
voitures de gala. Son pinceau facile était prêt à tout et, quoi qu’il
fît, il y mettait une grâce, un charme, une fleur de coloris que
personne ne possédait à ce degré.

La _Pastorale_ fut exécutée en 1763. Après avoir passé en différentes
mains, elle fut acquise sous Louis XVI pour le compte de la Couronne.
Elle entra par la suite au Louvre, qu’elle n’a plus quitté et elle y
figure dans la magnifique salle du XVIIIe siècle où se trouve la plus
grande partie des œuvres de Boucher.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 0.94.--Largeur: 0.74.--_Figures: 0.62._



GÉRARD DAVID

LES NOCES DE CANA

SALLE VAN EYCK


[Illustration]



_Les Noces de Cana_


La scène se passe dans une maison de Bruges, sur la place du Saint-Sang
dont on aperçoit, par les fenêtres ouvertes, les constructions
gothiques. La table du festin, qui occupe la salle presque entière,
est couverte de plats, de coupes et de fruits. Il ne semble pas,
cependant, que les convives se préoccupent beaucoup de leur nourriture;
leur attitude grave, recueillie, leur donne plutôt l’air de fidèles
priant dans un temple. L’artiste a sans doute voulu peindre ses
personnages à la minute solennelle où va s’opérer le miracle. Tous, en
effet, paraissent tourner leur attention vers le premier plan, où les
serviteurs constatent que les brocs et les jarres ne contiennent plus
de vin. A la porte de la salle, un jeune page se presse, portant un
gâteau sur un plat, mais nul n’y prend garde, dans l’anxieuse attente
de l’événement.

Au centre de la table se trouve la mariée, blonde Flamande aux traits
réguliers, couverte de joyaux, qui baisse modestement les yeux et
croise ses mains sur sa robe pourpre d’épousée. A côté d’elle et autour
de la table, les convives, presque tous des femmes, sont rangés et leur
attitude est aussi composée que la sienne. A deux rangs à droite de la
mariée, la Vierge, les mains jointes, la tête illuminée d’une auréole,
se penche vers son Fils et semble le prier d’accomplir le miracle. Le
Christ l’écoute, les yeux baissés. Son visage est celui que la peinture
flamande a adopté, à la suite de Jean van Eyck: une figure longue,
émaciée, terminée par une courte barbe à deux pointes et encadrée
d’une large chevelure blonde divisée sur le front en deux bandeaux.

Le Christ a levé la main dans la direction des jarres vides. C’est la
minute décisive: le légendaire prodige va se réaliser.

En dehors des convives, le miracle aura d’autres témoins: à gauche, au
premier plan, agenouillé sur les dalles, le donateur du tableau; il
porte l’habit rouge et le manteau noir doublé de fourrures des prévôts
de la confrérie du Saint-Sang; derrière lui, on aperçoit son jeune
fils, agenouillé également et les mains jointes. De l’autre côté de la
toile et dans la même attitude se trouve la donatrice. Par une fenêtre
de la salle, un moine suit d’un œil intéressé les péripéties de la
scène.

Il y a loin de ce repas de noces à celui de Paul Véronèse, si débordant
de lumière, de vie, de mouvement et si somptueux de décoration. Les
pays sont différents, les époques aussi. La Renaissance est encore
loin, nous sommes devant l’œuvre d’un Primitif et d’un Flamand. C’est
la période gothique de la peinture, celle où la composition est encore
malhabile, le dessin hiératique, les anatomies imprécises. On y peut
relever quelques fautes, comme les bras de la jeune fille placée à
la droite du Christ, bras évidemment trop courts pour la longueur du
corps. Mais, en balance de ces erreurs minimes, quel art déjà dans le
groupement des personnages qui permet à l’artiste de situer, sur une
toile de dimensions restreintes, dix-neuf figures et un paysage! Chacun
des personnages est très exactement à sa place et, si, au premier
abord, la toile semble manquer de perspective, il n’en faut accuser que
la tache vive de la nappe, qui tend à confondre les plans.

Ce qu’il convient d’admirer surtout dans ce tableau, c’est la vérité
des attitudes et l’expression supérieurement rendue des physionomies.
Chez les peintres flamands de l’époque primitive, le plus implacable
réalisme s’allie à la recherche de l’expression dramatique. Même dans
les sujets religieux, ils voient avec leurs yeux bien plus qu’avec leur
âme. Ils copient la nature, mais sans l’idéaliser: leur seul objectif
est de faire vrai et ne va pas au delà.

Dans le tableau de Gérard David, cependant, on devine un effort marqué
vers l’idéalisation. Ses figures de femmes ne sont ni belles ni
exemptes de vulgarité, mais l’artiste a su imprimer à leurs traits une
onction, une sereine poésie qui fait oublier leur laideur.

Et que dire de la couleur? Gérard David possédait à un degré rare
le don d’allier les couleurs les plus vives, les tonalités les plus
violentes sans les faire se heurter. Les rouges ardents et les verts
aveuglants se marient avec des jaunes qui flamboient. En des mains
inhabiles, ces rutilances entraîneraient la cacophonie: sous sa
palette prestigieuse, tout se fond, tout s’harmonise en des ensembles
équilibrés et chatoyants.

Gérard David, contemporain de Van der Weyden, jouit, de son vivant,
d’une grande réputation, mais sa mémoire souffrit, comme celle de tous
les Flamands, du discrédit où tomba, dans les générations suivantes,
ce qu’on appelait dédaigneusement l’art gothique. Et lorsque arriva
l’heure de la réhabilitation, beaucoup d’œuvres du grand artiste, qui
n’étaient pas signées, furent attribuées tour à tour à Jean Van Eyck, à
Rogier Van der Weyden, à Thierry Bouts et plus fréquemment à Memling.
C’est évidemment à ce dernier que s’apparente le plus l’art de Gérard
David, par sa grâce, sa poésie et sa tendance vers l’idéal.

_Les Noces de Cana_ furent longtemps attribuées à l’illustre peintre de
_la Châsse de sainte Ursule_, et c’est sous le nom de Memling que nous
voyons ce tableau désigné dans les inventaires de l’Empire.

Ce tableau avait été acheté par Louis XIV, pour 15.000 livres, au
banquier Jabach. Depuis cette époque, il n’a pas quitté les galeries
nationales. Il figure aujourd’hui au Louvre, dans la Salle Van Eyck.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 0.96.--Largeur: 1.28.--_Figures: 0.60._



NATTIER

MADEMOISELLE DE LAMBESC
ET LE COMTE DE BRIONNE

SALLE LA CAZE


[Illustration]



_Mademoiselle de Lambesc et le comte de Brionne_


Devant une draperie relevée et fixée à une colonne, Mlle de Lambesc
est assise sur un fauteuil rocaille. Son corps est de trois quarts,
légèrement tourné vers la droite et son beau visage, au regard
impérieux, est vu de face. Elle porte un costume mythologique, suivant
la mode usitée dans les portraits de cette époque: un grand manteau
bleu couvre le bas du corps, et son corsage blanc décolleté est
maintenu autour de la taille par un corselet à mailles d’or; sur son
épaule gauche est jetée une peau de tigre. Les bras et le cou sont
d’un admirable modelé; sortant des plis de la robe, un petit pied
nu apparaît tout rose sous les cordons de l’étroite sandale. De la
main droite, elle maintient un casque sur ses genoux, pendant que de
la gauche elle achève de boucler la cuirasse de son jeune frère, le
comte de Brionne. Celui-ci, très bel enfant à figure poupine, se tient
de face, la tête légèrement inclinée: sous la cuirasse il porte un
justaucorps jaune, sur lequel passe une écharpe blanche qui supporte
l’épée. La main gauche avancée tient la hampe d’un étendard rouge. A
gauche sont disposés des attributs militaires, symboles de la noble
carrière des armes et de la gloire promise au jeune héros. Sur la peau
d’un tambour, posé à droite, on lit l’inscription: _Nattier pinxit,
1732_.

Mlle de Lambesc appartenait à la maison de Lorraine qui avait en
quelque sorte accaparé Nattier au moment où s’affirma sa vogue.
Celui-ci peignit plusieurs fois les divers membres de cette puissante
famille. Sa réputation de portraitiste attira sur lui l’attention
royale. Louis XV, ravi de cet art chatoyant et gracieux, lui fit
peindre successivement la reine, ses maîtresses, ses filles et
lui-même. Dans toutes ces œuvres, Nattier apporta le même souci
d’embellir ses modèles et de les parer de tous les attributs capables
de les flatter. Il excellait d’ailleurs à peindre les femmes; la
finesse de son dessin, la délicatesse de son coloris se prêtaient
admirablement à traduire la grâce des belles épaules nues et la
somptuosité des ajustements de cour.

_Mlle de Lambesc et le comte de Brionne_ date de la belle époque du
peintre qui était dans la pleine maturité de son talent. Cette œuvre
n’est pas seulement un superbe portrait, d’un gracieux agencement et
d’un harmonieux coloris, elle nous révèle en même temps les goûts du
monde aristocratique que Nattier s’appliqua toujours à flatter.

«Il s’attacha, écrit M. Pierre de Nolhac dans sa belle étude sur
Nattier, à ce que l’on appelait «le portrait historique», arrangement
parfois puéril, souvent ingénieux par quoi on transforme un modèle
grâce au costume et aux accessoires, en héros de la Fable, en divinité
ou en figure allégorique. Depuis longtemps, l’art français avait
admis cette idéalisation du portrait. Elle était étrangère, sans
doute, au crayon comme au pinceau des Clouet, de Corneille de Lyon, de
Dumonstier, fidèles observateurs de la nature, qui rend les parements
d’un habit avec le même scrupule que les traits du visage; mais la
manie d’apothéose dont le Grand Roi fut atteint dès sa jeunesse,
s’étendit à tout son entourage. Le fameux tableau de Nocret où toute
la famille royale jouait ses rôles dans un Olympe dont Louis XIV
était le Jupiter, avait été imité, réduit, transposé à l’usage des
plus modestes modèles. Les femmes surtout, avec leur goût coutumier
de l’artificiel, sollicitaient des peintres cette flatterie que leur
prodiguaient les poètes. Alors que les dévotes adoptaient pour leur
image le costume d’une sainte de leur choix, la plupart des femmes
de qualité se faisaient peindre en Diane, en Minerve, en Cérès,
n’osant toujours arborer orgueilleusement la ceinture étincelante de
Vénus. Saint-Simon dit parfois, du ton le plus naturel du monde, que
telle duchesse occupait «un rang dans les nues»; il s’agit des nues
glorieuses de l’Olympe de Versailles que le peintre avait mission de
figurer réellement par son pinceau.»

Scrupuleux observateur de la mode, Nattier plaça tous ses modèles «dans
les nues», et les peignit avec les attributs des divinités olympiennes.
Mlle de Lambesc est représentée en Minerve, Louise-Henriette de Bourbon
en Hébé, Mme de Châteauroux en Point du Jour, Mme de Flavacourt en
Silence. L’allégorie alterne avec la mythologie. Chargé de peindre les
quatre filles de Louis XV, il choisit pour les personnifier les quatre
éléments: la Terre, c’est Mme Infante; le Feu, Mme Henriette; l’Air,
Mme Adélaïde; l’Eau, Mme Victoire.

Par un de ces revirements étranges que les fluctuations de la mode
peuvent seules expliquer, Nattier, après avoir joui d’une grande
vogue, tomba soudain dans le discrédit le plus complet et connut la
misère. Cette défaveur le suivit jusque dans la mort et c’est à notre
siècle que revient l’honneur d’avoir rendu justice à celui que Gresset
appelait «le peintre des Grâces et de la Beauté».

Bien que peint en 1732, le portrait de _Mlle de Lambesc_ figura au
premier Salon du Louvre qui s’ouvrit aux artistes, en septembre 1737.
Il portait comme titre: _Mlle de Lambesc, de la maison de Lorraine,
sous la figure de Minerve, armant et destinant M. le comte de Brionne,
son frère, au métier de la guerre_.

Ce tableau, par une heureuse fortune que ne connurent pas tant d’autres
œuvres de Nattier aujourd’hui disparues, trouva en M. La Caze un
amateur éclairé qui le sauva des aventures en l’achetant. Il est entré
au Louvre avec les autres toiles de cette incomparable collection.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 1.91.--Largeur: 1.59.--_Figure grandeur nature._



RAPHAËL

JEANNE D’ARAGON

GRANDE GALERIE


[Illustration]



_Jeanne d’Aragon_


Jeanne d’Aragon était fille de Ferdinand d’Aragon, duc de Montalte
et petite-fille de Ferdinand Ier, roi de Naples. Sa beauté était
célèbre dans toute l’Italie, son esprit ne l’était pas moins; les
poètes chantèrent l’un et l’autre en strophes enflammées. On disait
couramment, en parlant d’elle, la _diva signora_, et de fait, elle
réalisait le type le plus parfait de l’élégance et de la grâce
féminines au XVIe siècle. Toute jeune, elle épousa le prince Ascanio
Colonna, qui fut grand connétable de Naples. Ce grand seigneur était
bien différent de sa jeune femme: autant Jeanne d’Aragon était fine
et cultivée, autant son époux avait de rudesse et d’ignorance. Soldat
avant tout, ses agréments extérieurs déguisaient mal son âme de
condottière; il était emporté, brutal, et, comme chez tous les hommes
de son temps, il y avait en lui quelque chose du reître batailleur.
L’histoire l’accuse de s’être montré d’une excessive dureté pour sa
femme et ses enfants, qu’il tyrannisait et traitait de façon odieuse.
Aussi rusé que violent, il passa sa vie à intriguer, à conspirer, à
trahir ses maîtres. Il finit par subir la peine de ses fautes et il
mourut en 1577, après de longues années d’une captivité très dure. L’un
de ses fils, Marc Antonio, soldat comme son père, se couvrit de gloire
à la bataille de Lépante.

Dans le portrait que nous donnons ici, Jeanne d’Aragon est représentée
à la période heureuse de son existence. Elle est dans tout l’éclat de
sa royale beauté et de sa triomphante jeunesse. Le malheur n’a pas
encore éteint le sourire qui flotte sur ses lèvres, sourire de jeune
femme qui aime et est aimée.

La splendeur du modèle était digne du génie du peintre. En aucun de ses
portraits, Raphaël n’a égalé la puissance de séduction ni la maîtrise
prodigieuse que l’on constate en celui-ci. Autour de ce charmant
visage, il a accumulé les accessoires luxueux, les pierreries, les
brocarts et les velours, de même que dans les temples on entoure les
idoles d’ornements précieux. Et telle est la prestigieuse habileté de
l’artiste qu’il a su laisser dans une demi-pénombre tous ces détails,
et les fondre, pour ainsi dire, dans une sorte de nuage pourpre sur
lequel se détache, en relief, la délicate et ravissante image.

Quand on aborde un génie comme Raphaël, quelle que soit l’œuvre, les
mots sont impuissants pour traduire l’impression éprouvée. Quelque
genre qu’il ait traité, fresques, peintures mythologiques, madones
ou portraits, on le retrouve toujours égal à lui-même, c’est-à-dire
supérieur à tous les autres. Il reste incontestablement le prince de la
peinture de tous les temps.

Le portrait de _Jeanne d’Aragon_ a inspiré des pages enthousiastes aux
critiques de tous les pays. Nous ne citerons ici que Théophile Gautier:

«Le portrait de _Jeanne d’Aragon_, écrit-il, est une de ces œuvres
qui, outre leur mérite d’art, ont un attrait de fascination. Il est
impossible, à qui l’a vu une fois, de l’oublier. Jeanne d’Aragon reste
dans le souvenir comme un de ces types de la perfection féminine qu’on
rêve et qu’on désespère de rencontrer en cette vie. La princesse
est représentée de trois quarts, coiffée d’un chaperon de velours
incarnadin constellé de pierreries, vêtue d’une robe de même étoffe
et de même couleur, une main posée sur le genou et l’autre repoussant
un pli de fourrure qui lui couvre l’épaule. Le fond est une salle
de riche architecture ouvrant sur les jardins. La tête, encadrée de
longs cheveux blonds ondés et bouffants, se distingue par la finesse
aristocratique et l’élégance patricienne du type. C’est une beauté
princière dans toute la force du mot et l’imagination placerait à côté
d’elle un blason royal, quand même on ne saurait pas qu’on a devant les
yeux Jeanne d’Aragon, fille de Ferdinand d’Aragon et mariée au prince
Ascanio Colonna, connétable de Naples. Heureux Ascanio, d’avoir possédé
l’original d’une telle copie! Les mains, d’une pureté de race extrême,
sont les plus belles qu’on puisse voir et la chaude richesse du velours
fait encore valoir leur blancheur.»

On raconte que Raphaël n’aurait pas peint son modèle d’après nature
et qu’il aurait envoyé un de ses élèves à Naples pour y préparer le
portrait; il n’en aurait d’ailleurs exécuté de sa propre main que la
tête. Le reste aurait été achevé par Jules Romain, d’après le carton du
maître. Mais le temps a passé son pouce harmonieux sur l’ensemble et il
est bien difficile aujourd’hui de distinguer l’œuvre du maître de celle
du disciple. Jules Romain est lui-même un peintre de premier ordre et
lorsque, par dévouement d’élève, il s’absorbe dans la personnalité de
Raphaël, croyez qu’il n’y gâte rien. Au surplus, il n’est pas téméraire
d’affirmer que Raphaël dut surveiller lui-même tout le détail de
l’exécution.

Ce magnifique portrait, peint vers 1518, fut offert à François Ier par
le cardinal Bibienna, qui le fit porter à Fontainebleau. Il fut placé
dans la galerie d’Apollon, sous Henri III. Il figure aujourd’hui dans
la grande galerie du Louvre, réservée aux œuvres de Raphaël.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 1.20.--Largeur: 0.95.--_Figure à mi-corps, grandeur nature._



P.-P. RUBENS

LA KERMESSE

GRANDE GALERIE


[Illustration]



_La Kermesse_


La scène se passe en pleine campagne flamande, devant une de ces
auberges voisines du village dont on aperçoit le clocher, là-bas,
à travers les arbres. Haltes pour les rouliers qui sillonnaient
les routes au temps jadis, ces auberges servaient également de but
de promenade, le dimanche, aux paysans qui venaient s’y gorger de
victuailles et de bière; on y célébrait aussi les noces villageoises,
autour de tables disposées en plein air où pouvait s’épanouir à l’aise
la grosse joie des goinfreries.

C’est bien une noce de village qu’a voulu représenter Rubens; c’est
le titre primitif de son tableau, que l’on a, par la suite, appelé
_la Kermesse_. Ce genre de peinture a toujours sollicité les artistes
flamands, par son pittoresque, sa jovialité. Beaucoup d’entre eux,
comme Teniers, van Steen, van Ostade s’y sont spécialisés et y ont
gagné une gloire durable. Rubens n’a abordé ce sujet que par hasard,
mais, sous sa main puissante, l’épisode vulgaire prend des allures
d’épopée, la gaîté devient du délire, le mouvement de la frénésie; on
est séduit, saisi, entraîné dans la ronde folle des maritornes et des
buveurs.

Au centre, un paysan à la face allumée embrasse une femme renversée
sur l’herbe; à côté, un couple semble se disputer un pot de bière. Sur
des bottes de paille, des mères donnent le sein à leurs nourrissons,
et une vieille femme donne à boire à un jeune enfant. A gauche,
devant l’auberge, des convives avinés sont assis autour des tables;
l’un d’eux, terrassé par l’ivresse et le sommeil, est affalé devant
son verre, tandis que les autres gesticulent et crient. Deux paysans
cherchent à s’arracher un broc de bière; un autre, émoustillé par la
boisson, lutine deux plantureuses commères. A droite se trouve une
mare sur laquelle nagent deux canards, un tonneau vide y flotte aussi;
sur le bord, un baquet qu’un chien explore activement, dans l’espoir
d’y trouver des reliefs. Au fond, entraînée par deux musiciens montés
sur une table, se déroule une ronde échevelée, délirante, cohue d’un
mouvement prodigieux où l’œil effaré n’aperçoit que torses tendus,
croupes bondissantes, jambes levées, jupes envolées.

Rubens seul était capable de faire une œuvre de génie avec des éléments
aussi vulgaires. Dans cette composition où s’agite une multitude de
personnages, chacun d’eux est une petite merveille d’observation et
de naturel. Toute la Flandre campagnarde, exubérante et jouisseuse, y
est peinte magistralement, avec un art qui ne le cède en rien à celui
de la _Descente de Croix_ ou de la _Vie de Marie de Médicis_. Et dans
cette toile, quelle splendeur de coloris! Rubens y a dépensé toute la
fougue de sa flamboyante palette: c’est le plus prodigieux assemblage
de trognes vermillonnées, de chairs colorées, de costumes disparates
fondant leurs teintes violentes dans la frénésie de la ronde et aussi
dans l’harmonieuse chaleur du paysage.

Ce chef-d’œuvre a inspiré à Théophile Gautier, qu’il faut toujours
citer en matière d’art, l’éloquente page suivante:

«La _Kermesse_, c’est le génie même de Rubens, débarrassé de toute
contrainte allégorique ou mythologique et s’ébattant en pleine liberté
dans la joie et l’ivresse flamandes. Mais n’ayez pas peur qu’accoudé
près du pot où mousse la bière, il devienne un paisible et flegmatique
Teniers. Quand Rubens s’amuse, il a de formidables gaîtés de Titan, et
sa puissance est la même pour une précipitation d’anges ou de damnés
que pour une ronde de buveurs. Devant la porte du cabaret, il a pris la
foule chancelante et il l’a nouée en une immense guirlande qui tourne,
comme un zodiaque ivre, dans une ronde folle, les bras enlacés, les
mains se retenant aux mains, avec une incroyable variété d’attitudes et
de torsions, les pieds lourds battant le rythme et soulevant une chaude
brume de poussière. Quelle vie, quelle turbulence, quelle explosion de
joyeuse bestialité! Comme la santé crève sur les joues rouges de ces
commères rebondies! Avec quelle ardeur ces robustes garçons fourragent
les opulents appas de ces grosses femelles! Il faut que tout entre
dans la danse, même les vieilles, et la ronde tourne à perdre haleine
à travers les cris, les huées, les chants. C’est ignoble et c’est
superbe, car c’est la bacchanale du génie.»

La _Kermesse_ appartenait, vers le milieu du XVIIe siècle, au marquis
d’Hauterive. Louis XIV l’avait vue et l’admirait beaucoup. Malgré
ses préférences pour la peinture noble, qui lui faisaient traiter
dédaigneusement de «magots» les personnages de Teniers, le grand
Roi discernait fort bien l’incomparable valeur de cette toile.
Aussi, lorsqu’eut lieu, en 1665, la vente du marquis d’Hauterive,
s’empressa-t-il de l’acquérir pour 3.850 livres. Depuis cette époque,
la _Kermesse_ n’a plus quitté le patrimoine national: elle figure
aujourd’hui dans la grande galerie du Louvre, à la travée des peintres
flamands.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 1.49.--Largeur: 2.61.--_Figures: 0.44._



SIR THOMAS LAWRENCE

PORTRAIT DE M. ET Mme ANGERSTEIN

GRANDE GALERIE


[Illustration]



_Monsieur et Madame Angerstein_


Monsieur et Madame Angerstein se tiennent sur une terrasse d’où l’on
aperçoit les arbres du jardin avec, au fond, une échappée sur la
campagne. Mme Angerstein est assise dans une chaise de rotin: son fin
visage, dont la beauté fut célèbre en Angleterre, est coiffé d’un
turban d’étoffe légère, d’où s’échappent les boucles d’une chevelure
cendrée. Sa robe est faite de linon blanc, presque vaporeux, croisé
sur la poitrine en forme de châle, suivant la mode du temps. Une
ceinture rouge serre sa taille; sur ses genoux est négligemment jetée
une écharpe de gaze noire dont l’extrémité pend jusqu’au sol. A côté
d’elle, et un peu en arrière, M. Angerstein se tient debout, la main
gauche appuyée au dossier du fauteuil. Sur la blancheur de sa haute
cravate et de son gilet de casimir, son habit rouge, boutonné à
l’anglaise, fait une tache vive; il porte une culotte de velours, des
bas blancs et des souliers à boucles. La jambe droite est légèrement
portée en avant.

Lawrence avait peint plusieurs fois les divers membres de la famille
Angerstein, d’abord un délicieux profil de Mme Angerstein avec ses
blonds cheveux ébouriffés sur sa tête fine, puis M. Angerstein seul,
solide et encore élégant malgré l’envahissement de l’embonpoint, et
enfin le magnifique portrait que nous venons de décrire.

Parcourir l’œuvre de Lawrence, c’est faire défiler devant soi tous les
personnages illustres ou considérables de l’Angleterre, à la fin du
XVIIIe siècle et au commencement du XIXe. Son extraordinaire habileté
lui valut de bonne heure les faveurs du roi et de la cour. A l’âge où
d’autres étudient encore, il est déjà célèbre; à vingt-deux ans, il est
reçu membre associé de l’Académie de peinture et titularisé deux ans
plus tard. En 1792, la mort de Reynolds le laisse seul représentant de
l’art du portrait en Angleterre; il recueille sa succession officielle
et devient portraitiste ordinaire du roi. Tout ce que Londres compte
d’éminent tient à se faire peindre par lui; les plus grandes dames du
Royaume-Uni défilent dans son atelier. Le fils du pauvre cabaretier de
Bristol est comblé d’honneurs, ses toiles se vendent à prix d’or; une
ordonnance royale l’anoblit et le crée baronnet.

Sa renommée a franchi le détroit; il jouit d’une réputation européenne.
En 1815, quand le désastre de Waterloo a rendu la confiance à l’Europe
terrifiée, le Régent envoie Lawrence sur le continent pour portraiturer
tous les personnages, diplomates ou généraux, qui ont le plus contribué
à la chute de Napoléon. Lawrence se rend à Aix-la-Chapelle, où siège
le Congrès européen. De là, il va à Rome pour y peindre Pie VII,
l’illustre pontife qui fut le prisonnier du conquérant. Il reste
plusieurs années en Italie et, le jour même où il rentre à Londres, en
1820, il est nommé président de l’Académie royale de peinture.

Avec le recul du temps, l’étonnante fortune de Lawrence nous paraît
avoir dépassé la réelle valeur du peintre. On ne peut s’empêcher de
le comparer à Reynolds, et ce parallèle, il faut bien l’avouer, n’est
pas à l’avantage de Lawrence. Il n’a pas la facture puissante de
Reynolds ni son ferme dessin. Peut-être à cause de sa facilité, qui
était prodigieuse, sa composition manquait de vigueur, sa couleur de
solidité. Influencé sans doute par la manière de Boucher, exagérée
encore par ses disciples et ses imitateurs, il tombe fréquemment dans
l’afféterie et la fadeur.

Il n’en reste pas moins un peintre d’une grande valeur dont le plus
grand défaut fut d’être trop bien doué et de ne s’être pas assez défié
de sa facilité. Aucun de ses portraits n’est médiocre; ce prodigieux
gaspilleur de talent eut parfois des éclairs de génie: plusieurs de ses
tableaux sont des chefs-d’œuvre.

Quoique surfait, Lawrence n’a pas connu le discrédit de certains
peintres, beaucoup trop admirés de leur vivant et remis par la
postérité dans une place plus conforme à leur talent réel. C’est qu’il
possède des qualités de premier ordre et qui sont de tous les temps. Il
demeure comme le peintre modèle des élégances patriciennes. Il charmera
et séduira toujours par sa finesse, par son raffinement de distinction,
par la légèreté de la touche, la subtilité du ton, la grâce expressive
et spirituelle des physionomies et des attitudes. Comme Nattier et
Tocqué en France, il nous fait aimer cette époque charmante de la
fin du XVIIIe siècle dont il semble avoir complaisamment souligné la
délicate élégance et la précieuse beauté. Il ne faut donc pas hésiter à
le classer, malgré ses quelques défauts, parmi les maîtres de l’école
anglaise.

Le portrait de _M. et Mme Angerstein_ compte parmi les meilleurs du
grand artiste et le Louvre s’honore de le posséder. Il figure dans la
grande galerie, à la travée de peinture anglaise.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 2.24.--Largeur: 1.58.--_Figure en pied, grandeur nature._



J.-F. MILLET

LES GLANEUSES

SALLE DE LA
PEINTURE MODERNE


[Illustration]



_Les Glaneuses_


Sous le soleil qui darde ses rayons, la plaine s’étend à l’infini,
plate, uniforme, sans un vallonnement. Là-bas, tout près des meules
qui se dressent, toute une équipe de travailleurs s’active à lier les
gerbes, sous la surveillance d’un fermier à cheval. Mais on les devine
plutôt qu’on ne les voit. Le drame n’est pas là, mais au premier plan,
et ses protagonistes sont trois femmes qui, d’un geste anxieux et
pressé, se courbent vers la terre pour ramasser les épis oubliés. Cette
récolte demeurera leur salaire, et, sous la chaleur torride, la tête
abritée sous une sorte de bonnet, elles se hâtent et continueront ainsi
jusqu’à la fin du jour. Elles mettent leur maigre cueillette dans leur
tablier noué en poche devant elles. L’une des femmes, debout, scrute
le sol, pour y découvrir un épi à glaner; les deux autres, pliées à
terre, ramassent les tiges qu’elles viennent d’apercevoir. C’est de
la tristesse dans de la lumière et ces misérables silhouettes ont une
émouvante grandeur. Cet épisode, banal en soi, de la vie des champs
s’ennoblit d’une sorte de psychologie sociale où nous découvrons tout
un côté de la misère humaine, celle du paysan, la plus dure peut-être
parce qu’elle ne s’éclaire d’aucune joie et qu’elle se traîne dans
l’éternelle et âpre lutte contre la terre.

_Les Glaneuses_ figurèrent au Salon de 1857. Elles y firent sensation.
Exalté par les uns, ce tableau fut décrié par le plus grand nombre.
On voulut y voir un plaidoyer contre la misère du peuple. «Ce sont,
écrivait Paul de Saint-Victor, _les Parques du paupérisme_.» Tant de
sévérité nous confond aujourd’hui; c’est en vain que nous cherchons
dans l’œuvre de Millet cet appel à la haine que certains y ont voulu
voir, et nous n’apercevons, dans la sérénité de cette toile, que la
résignation muette qui est la vertu du paysan.

Nous possédons d’ailleurs une lettre de Millet à son ami Sensier, qui
explique éloquemment la mélancolie générale de son œuvre: «Je vous
avouerai, lui écrit-il, que c’est le côté humain qui me touche le plus
en art, et si je pouvais faire ce que je voudrais ou tout au moins
le tenter, je ne ferais rien qui ne fût le résultat d’une impression
reçue par l’aspect de la nature, soit en paysages, soit en figures. Ce
n’est jamais le côté joyeux qui m’apparaît, je ne sais pas où il est,
je ne l’ai jamais vu. Ce que je connais de plus gai, c’est le calme,
le silence dont on jouit si délicieusement dans les forêts ou dans
les champs; vous m’avouerez que c’est toujours très rêveur, et d’une
rêverie triste, quoique bien délicieuse. Dans les endroits labourés, et
parfois dans des pays peu labourables, vous voyez des figures bêchant,
piochant. Vous en voyez une de temps en temps, se redressant les reins
et s’essuyant le front avec l’envers de sa main. «Tu gagneras ton pain
à la sueur de ton front.» Est-ce là ce travail gai, folâtre, auquel
certaines gens voudraient nous faire croire? C’est cependant là que se
trouve pour moi la vraie humanité, la grande poésie.»

Millet aimait le paysan, il en connaissait les gestes, les attitudes,
il comprenait l’obscure mélancolie de son âme sans cesse rivée aux
mêmes spectacles et aux mêmes pensées. Il l’aimait d’autant mieux qu’il
était de sa race, fils de paysans lui-même, ayant bêché et labouré une
terre ingrate, là-bas, sur la lande de Gréville, près de la mer. Et
il s’est fait l’éloquent interprète des forçats de la terre, il les a
peints à toutes les heures de leur morne existence, mais sans aucune
arrière-pensée de révolte, avec l’unique souci de faire vrai.

Millet aurait pu, comme bien d’autres, chercher ailleurs ses modèles
et flatter le goût de son époque; héroïquement, il s’est obstiné dans
cette voie où le public refusait de le suivre. Le paysan! Quelle beauté
pouvaient trouver aux travaux de la terre les bourgeois amateurs de
1850, et quel espoir qu’ils orneraient leurs galeries des misérables
fendeurs de bois ou des batteurs de sarrasin? Aussi Millet, dont les
toiles devaient atteindre plus tard des prix si fabuleux, eut-il à
se débattre toute sa vie contre la misère. Dans sa pauvre demeure de
Barbizon, il n’y eut pas toujours de quoi manger. Pendant une de ces
périodes de détresse, son voisin et ami Théodore Rousseau lui acheta,
sous un nom d’emprunt, son _Paysan greffant un arbre_, pour lui
permettre de donner un peu de pain à sa famille. Un jour il écrit à un
ami: «Il n’y a pas quarante sous à la maison, et voilà vingt ans que
cela dure.» Contraint par la nécessité, il passe avec des marchands des
traités désastreux: pour mille francs par mois, il abandonne tous les
tableaux et dessins qu’il produira pendant trois ans. Et certains de
ces tableaux se vendent aujourd’hui des centaines de mille francs.

Millet est mort sans avoir pu assister à ce retour de gloire. Au
surplus, sa haute figure n’est pas mieux comprise de la masse du
public, mais on parle de lui avec le respect qu’inspirent toujours des
chiffres très élevés.

Le tableau des _Glaneuses_ fut acheté 2.000 francs par M. Binder. Il
fut vendu très cher par M. Bichoffsheim à Mme Pomery, de Reims, qui
le légua au Louvre en 1881. Il y figure dans la salle des Peintres
modernes.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 0.82.--Largeur: 1.58.--_Figures: 0.48._



FRANZ HALS

LA BOHÉMIENNE

SALLE HOLLANDAISE


[Illustration]



_La Bohémienne_


Ce tableau devrait s’appeler plus exactement la _Fille au marché_; il
est, en effet, le portrait d’une marchande de poissons de Haarlem,
qui posa très souvent dans l’atelier de Hals. La jeune femme est
représentée à mi-corps. Elle est vêtue d’une robe rouge dont on
n’aperçoit que la taille et les brides qui la maintiennent aux épaules.
La chemise largement ouverte laisse apercevoir la poitrine et une
partie des seins. Le visage, encadré d’une chevelure très opulente
mais peu soignée, est d’une belle vulgarité paysanne qui ne manque
pas de charme; la jovialité bien portante des filles du peuple s’y
épanouit magnifiquement en un rire qui découvre les dents, anime les
joues, bride les yeux. On a souvent épilogué sur la signification de
ce sourire, où certains ont voulu voir de la cruauté ou du cynisme. A
le regarder attentivement, on n’y aperçoit que la joie de vivre chez
une créature saine et belle, expression traduite par le peintre d’une
manière supérieure.

Franz Hals fut d’ailleurs le peintre de la Hollande joyeuse et bien
vivante. «Après Rembrandt, Franz Hals! La rayonnante gaîté après
la mélancolie la plus profonde; le rire après la douleur... Ici,
nous sommes en pleine Hollande heureuse et triomphante et la joie
du triomphe s’épanouit dans l’œuvre du maître de Haarlem. Comme se
déploie le ciel du printemps sur les campagnes fleuries de sa ville
natale.....» (Armand Dayot).

S’il exécuta de nombreux portraits de personnages graves, des réunions
de confréries ou de sociétés, il affectionnait peindre les visages
rubiconds de buveurs, les faces épanouies des servantes d’auberge. Les
modèles ne lui manquaient pas dans les estaminets où il fréquentait,
car il était lui-même grand buveur et bien souvent ses élèves devaient
le ramener, le soir, en état d’ébriété complète.

Mais telle était sa facilité de travail que, malgré les déréglements
de sa vie, il a laissé une œuvre considérable. Franz Hals appartient
à cette glorieuse famille des peintres de la Flandre occidentale qui
compte Rubens, Van Dyck, Jordaens, Teniers; ces grands noms sont
évocateurs de couleur puissante, de force, de réalisme, d’observation
humaine. Hals les égale par l’intensité de vie qu’il donne à ses
personnages et par la verve débordante dont il les anime. Pour sa
facilité, elle était proverbiale et pouvait se comparer à celle de
Rubens. Il exécutait, quand il était en verve, un portrait en quelques
heures.

Van Dyck, étant venu d’Angleterre en Flandre, voulut voir Franz
Hals dont il appréciait les œuvres et dont il avait entendu vanter
l’habileté d’exécution. Il se présenta chez l’artiste; on dut l’aller
chercher au cabaret. Très mécontent d’être dérangé, Hals ne se presse
pas; il ignore d’ailleurs le nom du visiteur. Quand il arrive, Van
Dyck demande à être portraituré; Hals refuse d’abord, et il ne faut
pas moins que la promesse d’une somme importante pour le décider. De
fort mauvaise humeur, il prend une vieille toile, des pinceaux et, deux
heures après, il tend à son modèle un portrait merveilleux d’exécution
et de ressemblance. Van Dyck remercie, paie la somme convenue, puis
demande à l’artiste s’il pourrait à son tour essayer de lui faire son
portrait. Hals fut étonné de l’offre, et plus surpris encore en voyant
son hôte travailler. Il devina alors:

--Mais qui diable êtes-vous donc? Antoine Van Dyck, certainement!

Presque toujours ses élèves ramenaient Franz Hals ivre, et le
couchaient. Une fois dans son lit, le peintre bredouillait une prière
qui se terminait invariablement par ces mots: «Mon Dieu, recevez-moi au
Ciel!» Ses élèves, conduits par Brauwer, résolurent de lui faire une
farce. Ils percèrent quatre trous au plafond, par lesquels on descendit
des cordes qu’ils attachèrent aux quatre pieds du lit. Quand Franz
Hals, ivre comme de coutume, prononça sa phrase habituelle, le lit,
tiré par des mains invisibles, quitta le sol et monta vers le plafond.
Épouvanté de voir sa prière exaucée le peintre s’empressa de crier:
«Pas encore, Seigneur, pas encore!»

Mais avec l’âge, son penchant à la boisson ne fait que grandir; ses
stations à la taverne deviennent plus prolongées. Son talent ne diminue
pas mais sa production se ralentit. La gêne vient, puis la misère. Il
doit à tout le monde. Il paye son boucher en lui offrant un de ses plus
beaux chefs-d’œuvre: _Le joyeux trio_. Comme il est resté fier, des
sociétés de bienfaisance dissimulent la charité qu’elles lui font en
lui commandant deux tableaux qu’il exécute, sans aucune défaillance de
pinceau, à l’âge de quatre-vingt-quatre ans.

On ne sait rien de ses dernières années et de sa mort. Il fut inhumé
dans le chœur de la Groote Keerke de Saint-Bavon. Pour tout mausolée,
une simple pierre tombale, avec les lettres F. H.

Sa veuve lui survécut quelques années, dans une pauvreté extrême. Elle
obtint de la ville, comme secours, une aumône de quatorze sous par
semaine.

_La Bohémienne_ fut vendue 301 livres, en 1782, à la vente Menars. Elle
passa plus tard dans la collection La Caze. Elle figure aujourd’hui au
Louvre dans la salle hollandaise, derrière la grande salle des Rubens.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 0.58.--Largeur: 0.52.--_Figure en buste grandeur nature._



DECAMPS

LES SONNEURS

SALLE TOMY-THIERRY


[Illustration]



_Les Sonneurs_


La scène se passe vraisemblablement dans la tour du clocher d’une
église de village, un jour de fête carillonnée. C’est le moment
d’annoncer l’office: l’enfant de chœur a déjà revêtu le surplis blanc
et la soutane écarlate. A la corde qui met la cloche en branle, quatre
vigoureux paysans sont accrochés et tirent de toute la force de leurs
bras. Une partie de cette ardeur, ils l’ont sans doute puisée dans
les bouteilles qu’on aperçoit jonchant le sol, à côté d’un monceau
d’habits. Dans le feu de l’action, l’un d’eux a laissé choir sa
pantoufle et ses bas, tirés par l’effort, descendent et tirebouchonnent
sur ses jambes maigres. Tous ces gaillards ont l’air de joyeux drilles
pour qui la sonnerie dominicale des cloches semble être l’occasion de
vider quelque bouteille. Le peintre n’a pas situé son épisode; sans
doute est-ce une réminiscence de son séjour dans le Midi. En tous
cas, nous sommes dans un pays où le vin est en honneur. Tout près de
la fenêtre à vitraux, on aperçoit le sacristain qui, le verre en main
et avec une évidente béatitude, fait raison à un jeune homme assis
devant lui dans l’embrasure. L’enfant de chœur lui-même, près de la
porte, tient un flacon qu’il se dispose à aller boire en cachette, dans
quelque coin.

Ce petit tableau est d’une fantaisie charmante; l’effort musculaire
des sonneurs y est traduit avec une vérité, un réalisme parfaits. Par
la minime importance de l’épisode, par l’abondance du détail et la
minutie de l’exécution, cette œuvre se place parmi les meilleures de
cette forme d’art qu’on appelle la peinture de genre, et dans laquelle
excella Decamps.

«A cette peinture, écrit M. Charles Clément, manquent en tout ou en
partie les grandes qualités de l’art, l’importance et l’élévation du
sujet, la force, la noblesse de la composition, la beauté des types,
des gestes, des ajustements, mais elle rachète son infériorité par la
vérité des détails, l’habileté de la facture, l’agrément de la couleur,
la justesse de la pantomime, l’arrangement, en un mot, par l’excellence
de ce qui dépend avant tout de l’observation et de l’exécution.
Un peintre de genre a de l’esprit, du savoir-faire, du talent. Il
étonne, intéresse, séduit; il n’émeut pas, il n’est pour rien dans ces
nombreuses et admirables créations du génie qui, de siècle en siècle,
peuplent l’imagination de ceux qui savent et qui pensent.»

A cet égard, Decamps est beaucoup mieux qu’un peintre de genre. S’il
n’était que le plus brillant et le plus amusant de nos anecdotiers,
on ne comprendrait pas l’unanime admiration dont bénéficie son œuvre.
Mais il ennoblit la plus vulgaire de ses compositions par une admirable
compréhension de la lumière. Peu de peintres ont possédé à un aussi
haut degré le don de capter le soleil et d’en illuminer ses toiles.
Ce fut son étude constante et la plupart de ses tableaux n’ont pas
de sujet, ils ne sont qu’un prétexte pour lui de jouer en virtuose
avec les rayons et les ombres. Il a porté l’art du clair-obscur à
une perfection qui l’apparente aux plus grands maîtres. On en trouve
précisément la preuve dans _les Sonneurs_ où vibre une lumière intense
qui anime les coins les plus sombres de la toile.

Decamps rêva toute sa vie d’être autre chose qu’un peintre de genre.
Il s’essaya dans la peinture de style et y montra de réelles qualités.
On pourrait citer, parmi ces œuvres d’un ordre plus haut _La Pêche
miraculeuse_, _la Défaite des Cimbres_, et surtout _le Christ au
Prétoire_. Il songea même à peindre à fresque: «L’esprit d’invention
ne me manquait pas, écrivait-il, et j’aurais tiré parti de l’idée la
plus saugrenue, si l’on m’eût accordé une salle quelconque. Ce que
j’eusse produit eût été fort attaquable, j’en conviens; enfin organisé
d’une manière particulière, ce que j’eusse produit fût un peu sorti de
ce système de plafonnage usé... J’ai la conviction que la nécessité
où je me suis trouvé de ne produire que des tableaux de chevalet m’a
totalement détourné de ma voie naturelle...»

Il est peut-être heureux, pour la gloire de Decamps, qu’il n’ait pu
donner sa mesure dans la peinture murale: il avait trop la passion
du détail pour se plier aux nécessités de la fresque qui sacrifient
précisément le détail à la masse; en outre, la fresque exige une teinte
claire, vive, légère et Decamps peignit toujours dans une gamme sombre
où domine le clair-obscur. Enfin, la fresque n’est abordable qu’aux
dessinateurs impeccables; or, trop souvent, faute d’étude, le dessin de
Decamps manque de sûreté.

Mais qu’importe ce qu’il eût pu ou voulu être? Ce n’est pas un mérite
si mince de trouver matière à un tableau dans un minuscule épisode de
la vie intime et de nous y intéresser à force d’esprit, de fantaisie,
d’humour et aussi de science.

Pour bien juger Decamps, il faut songer qu’il se forma tout seul,
sans maître sinon sans étude. Mais faute de maître, son étude fut
incomplète. Il n’est presque jamais irréprochable, mais ses défauts,
qui sont incontestables, ne peuvent faire oublier ses éminentes et
rares qualités. Il plait et charme par la saveur un peu âpre de son
talent, et par l’originalité de son invention, et le pittoresque
soutenu de ses anecdotes.

_Les Sonneurs_ furent achetés par M. Tomy-Thierry; ils figurent
au Louvre dans les salles du deuxième étage, réservées à la riche
collection du donateur.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 0.58.--Largeur: 0.48.--_Figures: 0.32._



HOLBEIN

ANNE DE CLÈVES

GRANDE GALERIE


[Illustration]



_Anne de Clèves_


Qui croirait, à contempler cette placide figure de femme, qu’on a
devant les yeux une des nombreuses épouses de Henri VIII, le terrible
monarque anglais! Rien n’indique, dans son attitude, qu’elle redoute
la fin tragique de l’une de ses devancières, Anne de Boleyn, décapitée
sur l’ordre de son époux. Elle nous apparaît, au contraire, infiniment
tranquille, avec un bon visage d’Allemande sans passions qui nous la
ferait prendre pour une religieuse, n’était le costume somptueux dont
elle est revêtue.

Lorsque Holbein fit le portrait d’Anne de Clèves, elle n’était pas
encore la femme de Henri VIII, ce qui explique peut-être son beau
calme. Elle ne connaissait pas le roi sanguinaire qui allait devenir
son époux. Celui-ci, ayant jeté ses vues sur elle, avait dépêché
Holbein sur le continent avec mission de peindre la jeune princesse
qu’il n’avait jamais vue. La flatterie dans le portrait était le
moindre défaut du grand peintre d’Augsbourg. Cette fois, cependant,
il s’efforça au rôle de courtisan. Anne de Clèves n’était pas belle,
il nous la montre, sinon jolie, du moins suffisamment agréable. Au
surplus, sa coiffure, malgré la richesse des broderies et des perles,
n’est pas faite pour l’avantager: collée au front et sur les joues
elle supprime complètement la chevelure, cet ornement naturel des
visages féminins. En dépit de traits irréguliers et un peu vulgaires,
la physionomie n’est pas sans agréments; les yeux ont de la bonté,
la bouche de la douceur. On se surprend à plaindre la malheureuse
princesse qui dut à ce portrait de devenir l’épouse d’un tel homme.

On ne saurait rien deviner des grâces de la jeune femme sous le riche
mais inélégant costume qui l’emprisonne. La robe est d’un velours aux
grands plis raides. Largement échancré en carré, le corsage laisse voir
la poitrine à travers une guimpe de dentelles; il est garni d’un ample
galon bordé de perles et orné de cabochons sertis de gemmes; le cou est
encerclé d’un collier de pierreries où pend une croix en grenats. La
ceinture, la jupe et les manches sont également soutachées d’ornements
d’or recouverts de pierreries. De l’ampleur des manches sortent les
mains, des mains fuselées et baguées, que la princesse tient croisées
devant elle.

Ce portrait d’Anne de Clèves, merveilleuse symphonie de pourpre et
d’or, est un incomparable chef-d’œuvre. Quand il le vit, Henri VIII en
fut enthousiasmé. Le modèle lui plut, puisqu’il l’épousa, mais il ne
se montra pas moins satisfait du talent de l’artiste. «Je pourrais,
disait-il, faire six pairs avec six laboureurs, mais de six pairs je ne
ferais pas un Holbein.»

Plus heureuse qu’Anne Boleyn, Anne de Clèves eut la chance de mourir
de sa belle mort. Quand elle eut cessé de plaire, Henri VIII ne la fit
pas décapiter; il se contenta de la répudier. Mais on devine quelle dut
être son existence auprès de son royal époux et, plus d’une fois, son
doux et tranquille visage se voila de larmes et se contracta dans les
affres de la peur. Celle qui lui succéda, Catherine Howard, eut moins
de bonheur. Après quelques années, Henri VIII lui faisait trancher la
tête.

Ce gros homme balourd avait l’apparence d’un rustre et la férocité
d’un Néron. Son règne ne fut qu’une longue suite de perfidies et de
crimes. Comme tous les tyrans, il avait l’âme inquiète, soupçonneuse,
et quiconque avait attiré sa défiance était marqué pour l’échafaud.
Il a figuré, dans une époque de chevalerie, comme un monstrueux
anachronisme, et il a souillé l’histoire d’Angleterre d’une page
sanglante. Quand il était las de ses femmes, ce Barbe-Bleue couronné
les livrait tranquillement au bourreau.

Après la mort de l’infortunée Jeanne Seymour, Henri VIII songea, avant
de se tourner vers Anne de Clèves, à épouser Christine de Danemark,
duchesse de Milan. Cette princesse, qui n’avait que seize ans, était
déjà veuve, et sa réputation de beauté étant parvenue jusqu’au roi
d’Angleterre, celui-ci lui fit offrir la couronne. C’est Holbein qui
fut chargé de la négociation et, suivant l’usage, il devait peindre
la jeune femme qu’il convoitait. Mais l’ambassade de l’artiste échoua
piteusement. Dès les premières ouvertures, la princesse se récria:

--Je n’ai qu’une tête, répliqua-t-elle, et je tiens à la garder sur mes
épaules.

Christine de Danemark devint plus tard duchesse de Lorraine.

Malgré son échec, Holbein, nous l’avons vu, ne perdit pas la confiance
de son terrible maître. Aussi, malgré les offres brillantes du
bourgmestre de Bâle qui l’invitait à revenir dans cette ville où il
avait si longtemps vécu, il refusa de quitter l’Angleterre. Il y mourut
de la peste, en 1544, âgé seulement de quarante-six ans.

Le portrait d’Anne de Clèves est peint sur vélin collé sur toile; il
faisait partie de la collection de Louis XIV. Protecteur des arts comme
il l’était des lettres, le Grand Roi a donné à la France les plus
beaux tableaux de ses musées. Celui-ci figure au Louvre dans la Grande
Galerie, à la travée de peinture allemande.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 0.65.--Largeur: 0.48.--_Figure à mi-corps, petite nature._



P. PRUD’HON

L’ENLÈVEMENT DE PSYCHÉ

SALLE DES SEPT CHEMINÉES


[Illustration]



_L’Enlèvement de Psyché_


La légende mythologique de Psyché est bien connue: Psyché était une
jeune fille d’une si idéale beauté que l’Amour lui-même s’en éprit et
l’enleva. C’est ce gracieux épisode que Prud’hon a traité dans son
magnifique chef-d’œuvre.

Le tableau représente la scène de l’enlèvement. La jeune Psyché,
portée par des Amours ailés, est mollement étendue entre les bras de
ses ravisseurs. Sa tête charmante, inclinée à droite, ne trahit aucune
crainte ni aucune colère; le regard aigu qui filtre sous les paupières
baissées, les lèvres entr’ouvertes pour le sourire, l’abandon complet
de tout le corps disent, au contraire, l’enivrement voluptueux, la
complaisante acceptation de l’aventure. Un de ses bras est négligemment
replié sur l’épaule; l’autre, relevé d’un geste plein de grâce
au-dessus de la tête, maintient du bout des doigts l’extrémité d’un
voile de gaze qui flotte et bouillonne autour d’elle. Il n’est rien
de plus idéalement beau que la chaste nudité de ce corps de vierge
dont les chairs blondes semblent pétries de lumière. Ses jambes fines
reposent sur le cou d’un jeune Amour à figure rieuse et aux cheveux
ébouriffés. Les deux autres maintiennent le buste de la jeune fille;
l’un d’eux, celui du premier plan, à demi ployé sous le charmant
fardeau, lève les yeux vers la blonde Psyché, qu’il contemple d’un
air d’adoration. Au-dessous d’eux Zéphyr, le vent complice du rapt,
déchaîne un tourbillon de nuées qui facilite l’envol du groupe vers
l’azur.

Cet admirable tableau, l’un des plus beaux de l’école française, est
surtout remarquable par sa conception et sa traduction spéciales de
l’antique, très différentes de celles en honneur dans l’école de David.
A cette école Prud’hon n’emprunte rien, sinon le goût des sujets puisés
dans l’antiquité païenne.

Mais avec quelle grâce supérieure il l’interprète! La beauté n’est
pas pour lui un laborieux assemblage de lignes impeccables, ayant
le poli et la rigidité du marbre. Sous son pinceau prestigieux, la
froide statue s’anime, les chairs vivent, un sang généreux circule;
sur l’épiderme de ses créations, il épand ce je ne sais quoi
d’indéfinissable et d’insaisissable dont seuls Léonard de Vinci et
Corrège possédaient le secret. Aussi bien, Prud’hon n’est-il pas de son
siècle; il a de la beauté le sens profond et idéal des grands peintres
de la Renaissance. J’ai nommé Vinci et Corrège: c’est jusqu’à ceux-là
qu’il faut remonter pour trouver un terme de comparaison avec le talent
du maître français. Ils sont d’ailleurs ses modèles préférés, pendant
la durée de son séjour à Rome. Passionnément, il les étudie, scrutant
leurs procédés, cherchant à deviner leur technique, à s’attribuer leur
coloris. Corrège surtout l’éblouit et l’enchante. Il se désespère
devant la transparence de ses chairs, la fluidité de ses ombres,
l’audace de ses raccourcis. A force d’étude, il pénètre les arcanes de
cet art admirable; il en comprend l’élévation, la beauté; il le fait
sien à son tour et, sur ses toiles, nous retrouvons toute la grâce et
la volupté païennes du grand maître parmesan. Et l’on peut dire de lui
sans exagération qu’il a été le Corrège français.

«Au milieu de son temps, écrit Théophile Gautier, Prud’hon est un fait
imprévu. Il a créé une grâce nouvelle et trouvé une veine de beauté
inconnue. Sa manière de comprendre l’antique diffère complètement
de celle de ses contemporains. Les statues que les élèves de David
dessinent avec une sécheresse sculpturale, il semble les voir au clair
de lune, argentées de molles lumières, baignées d’ombres et de reflets,
ondoyantes, effumées sur les contours, enveloppant et noyant leurs
lignes dans une vague brume. A la mythologie de l’empire il applique le
flou du Corrège. Il a la vapeur, le mystère, la rêverie, et aussi un
divin sourire qui n’appartient qu’à lui. Mais n’allez pas croire à un
talent efféminé; Prud’hon sait, quand il le faut, être mâle, sérieux
et grand. Quoi de plus tragique que _La Justice et la Vengeance divine
poursuivant le Crime_?»

Nous avons dit ce que fut son séjour dans la Ville Éternelle:
un perpétuel enchantement, une admiration sans limite pour les
chefs-d’œuvre de la Renaissance, une fervente adoration pour Corrège et
Vinci.

A son retour, il est un maître et bientôt ses toiles font sensation.
L’Empire a escamoté la Révolution. Napoléon favorise les arts; il
ne tarde pas à distinguer Prud’hon. Il lui confie le portrait de
l’impératrice, que le peintre a représentée assise dans les jardins de
la Malmaison.

A ce chef-d’œuvre, Prud’hon en ajoute un autre: _L’Enlèvement de
Psyché_ que nous donnons ici. Bientôt, il est célèbre, on se dispute
ses toiles, ses portraits, il est de l’Institut et il meurt couvert de
gloire.

_L’Enlèvement de Psyché_ figura au Salon de 1808. Il fut payé 15.450
francs en 1839; il atteindrait aujourd’hui un chiffre fantastique s’il
était remis en vente. La duchesse de Sommariva, qui possédait cette
magnifique toile, la légua, en 1888, au musée du Louvre, qui l’a mise
en belle place dans la Salle des Sept Cheminées, également appelée
Salle du Sacre, où se trouvent les œuvres de David et des autres
peintres du début du XIXe siècle.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 1.93.--Largeur: 1.54.--_Figure grandeur nature._



PH. DE CHAMPAIGNE

PORTRAIT DE RICHELIEU

GRANDE GALERIE


[Illustration]



_Le Cardinal de Richelieu_


Philippe de Champaigne! Une noble figure d’homme et de peintre. Son
admirable existence s’est partagée entre la pratique de toutes les
vertus chrétiennes et le culte fervent et passionné de l’art. Il
réalise le type accompli de «l’honnête homme», tel qu’on le concevait
au XVIIe siècle.

Bien que né à Bruxelles, Philippe de Champaigne peut être revendiqué
par la France où s’écoula toute sa vie. Peu de temps après son arrivée
à Paris, il eut l’heureuse fortune de se voir employé par Duchesne,
premier peintre de Marie de Médicis, à la décoration du Luxembourg,
entreprise par la reine-mère. Peu de temps après, Duchesne mourait; le
jeune artiste héritait de sa charge, de son logement dans le palais et
il épousait sa fille.

A cette époque, Marie de Médicis n’était pas encore brouillée avec
Richelieu. Elle lui recommanda son peintre, dont elle était charmée. Le
cardinal, qui faisait embellir à ce moment ses châteaux de Richelieu et
de Bois-le-Vicomte, employa fréquemment Philippe de Champaigne. Bientôt
survint la guerre entre la reine-mère et le cardinal-ministre: ce fut
pour Marie de Médicis la persécution, l’internement et l’exil. Le
peintre, très dévoué à sa bienfaitrice, ressentit une véritable douleur
du traitement indigne que lui faisait subir Richelieu. Il ne l’aima
jamais. Chargé des travaux de Bois-le-Vicomte et du palais Cardinal,
il laissait traîner les travaux, imaginant toutes sortes de prétextes
pour ne pas les continuer. Le jeu était d’autant plus dangereux que
le rude ministre devinait bien les motifs de ce mauvais vouloir. Mais
il aimait le talent de Philippe de Champaigne; il employa les procédés
les plus flatteurs pour le ramener à lui. Il lui envoya son confident,
Le Boutilhier de Chavigny, pour lever ce qui lui resterait de rancune.
Champaigne s’obstina. Peu habitué à la résistance, Richelieu s’indigna.
Rencontrant un jour le peintre, il lui dit sur un ton courroucé: «Vous
ne voulez pas être à moi, parce que vous êtes à la reine-mère.»

Mais le cardinal avait l’âme trop grande pour ne pas comprendre la
dignité d’un tel caractère. Il l’en estima davantage et affecta, en
plusieurs rencontres, de lui en donner publiquement des marques.
Un jour, voulant le regagner tout à fait, il lui fit dire par Des
Bournais, son valet de chambre, qu’il pouvait demander ce qu’il lui
plairait pour l’avancement de sa fortune et des siens. Mais Champaigne
répondit:

--Si Monsieur le Cardinal peut me rendre plus habile peintre que je ne
suis, c’est la seule chose que je demanderai à Son Éminence; sinon, je
me tiens pour satisfait de l’honneur de ses bonnes grâces.

Cette réponse fut rapportée à Richelieu et ne l’offensa point,
précisément parce qu’il y vit une hauteur d’âme à laquelle les gens de
cour ne l’avaient sans doute pas accoutumé.

Néanmoins Philippe de Champaigne ne refusa pas de travailler pour le
cardinal. S’il ne recherchait pas les commandes, il ne croyait pas
devoir blesser gratuitement le ministre qu’il n’aimait pas, mais qu’il
savait lui vouloir du bien.

Plusieurs fois il eut l’occasion de peindre l’Éminence rouge, comme
on disait alors, tantôt dans des compositions allégoriques, tantôt
seule avec sa barrette sur la tête. La _National Gallery_, de Londres,
possède trois beaux portraits du cardinal, l’un de face, les deux
autres de profil, exécutés par Philippe de Champaigne pour le sculpteur
Mocchi, chargé d’exécuter le buste du grand homme d’État.

Mais le plus beau est sans contredit celui que possède le Louvre.
Félibien raconte que, pendant les séances de pose, le cardinal
s’entretenait familièrement avec le peintre, l’interrogeant sur son
art, s’informant de sa famille et déployant pour lui plaire toutes les
grâces de sa vaste intelligence et de son grand esprit.

Richelieu est représenté debout, revêtu de son costume cardinalice.
Par-dessus la soutane rouge, on aperçoit le surplis de dentelle qui
jette une note claire dans cette pourpre symphonie. Sur les épaules
est jeté l’ample manteau rouge, dont les plis, drapés avec un art
admirable, descendent jusqu’à terre. Un large ruban de moire bleue
supporte la croix du Saint-Esprit. Du col empesé émerge la tête fine
et volontaire du cardinal; une soyeuse chevelure encadre le front haut
derrière lequel bouillonne l’un des plus puissants cerveaux des temps
modernes; l’œil est vif, scrutateur, la lèvre serrée et prompte à
marquer la colère. La moustache relevée et la barbe taillée en pointe
donnent une allure martiale à ce prélat qui déposait volontiers la robe
pour endosser le harnais de guerre. La main droite tient la barrette
cardinalice, pendant que la main gauche, avec son index tendu, semble
donner un ordre. L’ensemble du personnage est élégant, la silhouette
est élancée, car le cardinal de Richelieu est gentilhomme. Le portrait
se détache en rouge vif sur un fond de draperie sombre qui donne tout
son relief à la belle effigie du grand ministre de Louis XIII.

Le portrait de _Richelieu_ appartient à l’ancienne collection et
provient de l’hôtel de Toulouse. Il figure dans la Grande Galerie
du Louvre, à la travée réservée aux peintres flamands. Philippe de
Champaigne n’en reste pas moins l’une des plus pures gloires de l’art
français.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 2.22.--Largeur: 1.55.--_Figure en pied grandeur naturelle._



LANCRET

L’AUTOMNE

SALLE DU XVIIIe SIÈCLE


[Illustration]



_L’Automne_


Dans un paysage de verdure où se mêlent les teintes d’or de l’automne,
un joyeux pique-nique se déroule sur l’herbe. Le cadre de cette fête
champêtre est délicieux. Un clair soleil illumine le ciel et projette
sa clarté sur la campagne, dont on aperçoit les vallonnements et les
parties boisées escaladant les collines qui ferment l’horizon. C’est
l’époque des vendanges, la récolte joyeuse par excellence; du laborieux
essaim des vendangeuses fusent des rires et des chansons. On les
voit ici, sur la gauche du tableau, s’affairant à la cueillette des
grappes, mais à leur attitude on devine que les langues fonctionnent
au moins autant que les faucilles. Le groupe du premier plan ne paraît
s’intéresser que fort peu au travail de la vendange; il semble se
préoccuper davantage de faire honneur au plantureux dîner étalé sur une
serviette, dans l’herbe épaisse. Des deux femmes qui prennent part au
repas, l’une est presque entièrement étendue à terre et, s’appuyant sur
le coude, s’incline sur une assiette bien garnie; l’autre, assise, a
sans doute apaisé sa faim, car elle regarde devant elle dans l’attitude
du repos. En face d’elles, un convive emplit son assiette. A côté de
la nappe, se trouve un flacon de dimension respectable et le panier
d’où ont été extraits les comestibles. Derrière ce groupe couché, se
tient une jeune femme, son panier de vendangeuse à la main; à gauche,
un âne et son conducteur sont placés, attendant que la cueillette
vienne garnir le double faix destiné à recevoir le raisin. A droite,
un paysan, le verre en main, conte fleurette à une jeune fille assise
qui, le panier passé dans le bras, semble l’écouter avec intérêt.

Tout l’art gracieux de Lancret s’épanouit dans cette toile charmante.
La composition en est habile et parfaitement distribuée, peut-être même
avec un peu trop de symétrie. Avec des dons de premier ordre, Lancret a
plus de savoir-faire que de spontanéité; il ordonne ses toiles avec un
soin minutieux qui rappelle la manière des petits maîtres hollandais.
Élève de Watteau, il ne possédait pas la souplesse, l’imprévu, ni
surtout l’inspiration du maître, mais il a du brillant et de la
virtuosité. Parfois ses personnages sont figés, ils ressemblent un peu
trop à de jolies figurines de Saxe embarrassées dans leurs atours de
porcelaine ramagée, mais ils sont si pimpants, si frais qu’on éprouve à
les regarder un plaisir qui ne se lasse pas. En cela, Lancret est bien
de son siècle. Il semble avoir vu le monde et les choses de son temps à
travers un voile de gaze rose qui teinterait tout de couleurs tendres
et aimables. Il naquit et vécut à l’époque la plus superficielle mais
aussi la plus brillante de l’histoire du monde, époque charmante qui
faisait dire à Talleyrand que ceux qui ne l’ont pas connue ne savent
pas ce qu’est la joie de vivre. Jamais l’esprit ne fut plus fin, la
politesse plus raffinée, l’élégance plus exquise; la vertu ne se parait
pas d’austérité, le vice lui-même revêtait des dehors aimables. A la
cour et à la ville le ton et les manières étaient toujours du meilleur
aloi: on causait, on intriguait, on madrigalisait, toujours avec
esprit; les femmes les moins instruites écrivaient des billets galants
en un style adorable dont le secret est à jamais perdu. Et, en faveur
de tant de jolies qualités, on se sent plein d’indulgence pour la
frivolité qu’elles masquaient si bien.

De ce siècle délicieux et futile, Lancret fut un des peintres les
plus caractéristiques. Chez lui, non plus, il ne faut pas chercher
la profondeur, l’élévation des idées, mais il posséda au plus haut
degré l’art de plaire, un art qui n’est pas à la portée de tous. Qu’il
peigne des marquises ou des paysannes, on sent toujours flotter
autour des jupes et des corsages un capiteux parfum de poudre à la
maréchale; qu’il représente les bosquets de Versailles ou les arbres
d’une campagne villageoise, c’est toujours la même nature soignée,
jolie, sans poussières ni boues. Regardez son tableau de l’_Automne_:
ne vous semble-t-il pas que ces vendangeuses penchées sur les ceps ont
des bonnets bien empesés et des corsages bien brillants pour la dure
besogne à laquelle elles se livrent? Quant aux jolies gourmandes du
premier plan, paysannes elles aussi, on les prendrait plutôt, sinon
pour de grandes dames, du moins pour des soubrettes plus accoutumées à
évoluer dans le boudoir de leur maîtresse qu’à manier le panier et la
faucille du vendangeur.

Mais à quoi bon insister sur ces invraisemblances? Au XVIIIe siècle, la
campagne n’existait pas, elle se bornait tout entière dans les limites
des parcs royaux. Cette époque de raffinement exigeait l’élégance
jusque dans les hardes du paysan.

Il ne faut donc pas juger les tableaux de Lancret avec les mêmes yeux
qui ont vu les toiles poignantes et rudes de Millet. Les temps ne sont
plus les mêmes, ni les goûts. Et l’admiration que nous avons pour les
uns ne doit pas nous rendre injustes pour les autres. On ne saurait
nier, en effet, que l’œuvre de Lancret ne soit charmante. S’il était
nécessaire d’en prouver la valeur, il nous suffirait de rappeler que
bien des peintres, après lui, ont essayé de ressusciter le genre sans y
parvenir. L’élégance et la grâce ne s’acquièrent pas; elles sont un don
de nature. Ne les possède pas qui veut.

L’_Automne_ faisait partie d’une série des quatre saisons peinte par
Lancret pour le château de la Muette. Il fut exposé au Salon de 1738;
il figure aujourd’hui au Louvre, dans la salle du XVIIIe siècle.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 0.68.--Largeur: 0.88.--_Figures: 0.25._



L. DAVID

MADAME SERIZIAT

SALLE DU SACRE


[Illustration]



_Madame Seriziat_


La jeune Mme Seriziat est à demi assise sur un coin de table dont le
tapis rouge fait ressortir la blancheur de la robe. Elle porte un
vêtement de campagne, et la gerbe qu’elle tient dans sa main semble
indiquer qu’elle rentre d’une promenade dans les champs. Un large
chapeau de paille doublé de dentelle, encadre sa jolie tête blonde et
y est maintenu par un ruban de velours vert noué sous le menton. La
taille est serrée par une ceinture à gros nœud de même couleur. La
robe n’a pas de prétentions à l’élégance. Largement échancrée sur la
poitrine, elle laisse apercevoir une chemisette par l’ouverture de
laquelle apparaît un coin d’épaule nue. La main droite, tombant le
long du corps, tient un bouquet de fleurs des champs où domine la note
écarlate du coquelicot; la main gauche, appuyée contre la table, serre
la menotte d’un tout jeune enfant, son fils, qui tourne de trois-quarts
sa bonne figure joufflue.

Tout est simplicité dans ce tableau charmant: simplicité dans
l’attitude et simplicité dans l’exécution. Quant au visage de Mme
Seriziat, il est tout bonnement exquis: sans être absolument régulier,
il attire et séduit par la grâce même des lignes et surtout par le
sourire des yeux et des lèvres. C’est un poème de jeunesse heureuse et
de printanière fraîcheur.

C’est dans des œuvres de ce genre qu’il convient de juger David, bien
plus que dans les grandes compositions inspirées de l’antique. Là, il
dépouille complètement son personnage un peu froid de chef d’école
pour se souvenir seulement qu’il est peintre et un grand peintre.

En présence de la nature vivante, il ne songe plus qu’à la scruter, à
la comprendre, à l’exprimer; il va chercher l’âme au fond des yeux.
Cet impeccable dessinateur, si souvent accusé de froideur, anime
ses portraits d’une chaleur vibrante qui les fait respirer, penser,
vivre. Que de portraits de David on pourrait citer, comme celui de Mme
Chalgrin, du pape Pie VII, dans les yeux desquels se lisent comme en
un livre ouvert les sentiments intérieurs! Est-il possible d’exprimer
avec plus d’éloquence et de vérité la tranquille beauté et le souriant
bonheur de la jolie Mme Seriziat? Et quel sens de l’harmonie! Tout
est composé, charpenté pour la satisfaction des yeux et l’équilibre
de l’ensemble: les couleurs y sont choisies avec un art incomparable,
l’une faisant valoir l’autre, et assemblées discrètement, sans tapage
ni outrance. Pour ses portraits de femmes, David semble avoir à dessein
éclairci les couleurs de sa palette; plus de bitume, plus de tonalités
moroses, la couleur est claire, transparente; elle vibre, elle chante
sur les épidermes délicats et les chevelures ondoyantes.

«Peindre sans arrière-pensée, voilà le plaisir unique qu’offre à
David le portrait. Il n’a même plus à s’occuper de composition, de
perspective et, de fait, il ne se met guère en frais pour camper
ses personnages; il les asseoit simplement sur une chaise ou dans
un fauteuil, les installe devant leur bureau. S’il peint un groupe,
il ne cherche pas davantage; il procède avec le laisser-aller d’un
photographe... Qu’il peigne des jeunes filles ou des femmes séduisantes
par leur beauté ou par leur grâce, ou simplement par le charme de
leur âge, il met à les peindre une ingénuité, une aisance dépourvue
de toute espèce d’affectation qui séduit immédiatement le cœur.»
(Léon Rosenthal.) Devant un portrait, David ne se surveille plus.
N’attribuant à ces travaux, dans son œuvre, qu’une importance très
minime, il oublie toute contrainte d’école et s’abandonne.

Mme Seriziat, «la bonne Émilie» comme on l’appelait dans la famille
de David, était la belle-sœur du peintre. Celui-ci avait exécuté ce
portrait pendant son incarcération à la prison du Luxembourg, après
le 9 thermidor. Quand il figura au salon de l’An IV, son auteur était
encore gardé à vue dans sa maison.

On sait, en effet, que David, conventionnel exalté, s’était lié
d’amitié avec Robespierre et qu’il avait voté les motions les plus
révolutionnaires de la farouche Assemblée.

On l’accuse même d’avoir gouaillé au passage de la charrette qui
conduisait la reine à l’échafaud. Quoi qu’il en soit, le caractère de
David ne fut jamais égal à son génie. Quand, Robespierre abattu, il fut
lui-même décrété d’accusation, il monta à la tribune pour se défendre.
«Il était pâle, écrit un témoin oculaire, et la sueur qui tombait de
son front roulait de ses vêtements jusqu’à terre, où elle imprimait de
larges taches.» Il renia lâchement Robespierre, l’accusant de l’avoir
«trompé par ses sentiments hypocrites». Ce n’est pas à cette bassesse
mais à son génie seul qu’il dut de ne pas porter à son tour sa tête
sous le couperet de Samson.

Acquis par l’État en 1902, le portrait de Mme Seriziat figure dans la
Salle des Sept Cheminées, appelée aussi Salle du Sacre, avec la plupart
des autres œuvres de David.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 1.32.--Largeur: 0.97.--_Figure grandeur nature._



REMBRANDT

VIEILLARD LISANT

GRANDE GALERIE


[Illustration]



_Vieillard lisant_


Devant une hutte au toit de chaume, un vieillard est assis tenant un
gros livre et lisant. Quel personnage a voulu représenter Rembrandt?
Est-ce un de ces ermites qui fuyaient le monde, aux premiers temps de
la chrétienté, et se réfugiaient dans le désert pour s’y consacrer à
la pénitence, à la prière et à l’étude? N’est-il pas plutôt une pure
fantaisie de l’artiste qui, trouvant à peindre une tête caractéristique
de vieillard, lui a donné la figure et les attributs d’un Saint-Jérôme?
Quoi qu’il en soit des intentions du peintre, il a déployé dans ce
tableau sa coutumière supériorité. Sous son pinceau, la moindre
ébauche s’éclaire de traits fulgurants. Dans ce _Vieillard lisant_, de
proportions si médiocres, il y a autant de génie d’exécution que dans
sa grande toile de _la Ronde de Nuit_. Examinons cette tête d’homme:
le large front dégarni, dont quelques mèches argentées précisent le
contour et que des rides sillonnent, semble lourd de pensées; sous
les sourcils broussailleux les yeux baissés dénotent l’attention que
l’homme apporte à sa lecture. Bien que fripée par l’âge, la tête est
belle, de cette beauté vigoureuse et intelligente dont Rembrandt
ennoblit toutes ses créations. Une superbe barbe blanche, qui laisse
entier le modelé d’une bouche parfaite, achève de donner du caractère
à cette figure de savant. L’in-folio que le liseur tient devant lui
est maintenu d’aplomb par deux mains osseuses qui sont deux merveilles
d’exécution. Le vêtement, de couleur sombre, est comme noyé dans une
sorte de pénombre qui laisse toute leur valeur à la tête et aux mains,
les jambes enveloppées de haillons troués restant dans la pénombre.

Dans ce tableau se manifeste dans tout son éclat cette science du
clair-obscur que Rembrandt a portée aux dernières limites de la
perfection. L’ombre et les clartés se distribuent et s’opposent avec
une habileté que les plus grands peintres, après lui, ont vainement
essayé d’atteindre. On a dit de Rembrandt qu’il est un magicien de la
lumière: nulle part, mieux qu’en ce petit tableau, on n’en trouve une
plus éclatante preuve. Nous sommes en présence d’un homme qui lit: les
deux choses vraiment importantes sont la tête et le livre et c’est à
cela seul que l’artiste s’attache. Qu’importe le vêtement, qu’importent
les accessoires si la tête pense et si le livre est en pleine lumière!
Or, la tête vit d’une vie intense, éclairée par des reflets qui se
projettent en vigueur sur le visage, accusant les rides et faisant
éclater toute la pensée des yeux et du front.

Quand on songe aux essais de rénovation entrepris de nos jours et
si l’on contemple les œuvres de Rembrandt, on s’aperçoit que nos
contemporains n’ont rien inventé; ils ont seulement tenté de restaurer
des traditions trop négligées et de ramener l’art à la noblesse de
la grande peinture. Quoi qu’on essaye aujourd’hui, c’est toujours à
l’un ou l’autre des glorieux ancêtres qu’on doit remonter, mais l’art
de Rembrandt plane à des hauteurs tellement sublimes que les plus
vigoureux des peintres modernes ont dû renoncer à gravir ce lumineux
Thabor.

Rembrandt est peut-être le génie le plus complet et le plus divers que
l’histoire de l’art ait jamais connu. Dans sa peinture se trouvent
réalisés, devançant l’œuvre des siècles, tous les efforts, toutes les
conquêtes péniblement et fragmentairement acquises par la suite. Les
classiques amoureux de la forme ne peuvent le renier, car il fut un des
plus prodigieux dessinateurs connus; les coloristes lui ont emprunté
les plus brillants effets de leur palette. Quant aux impressionnistes,
ils peuvent le réclamer comme leur maître, comme leur précurseur. Bien
avant eux, il avait découvert la division des tons, leur juxtaposition
et l’effet lumineux que l’on peut en tirer. Je ne veux pas dire qu’il
avait inventé cette division puisque les mosaïstes de Byzance la
pratiquaient déjà, mais ce n’est pas du tout le même travail; l’idée
n’était pas nouvelle, mais l’application à la peinture n’avait jamais
été faite. Il emploie d’ailleurs cette division avec une sagacité
consommée; tantôt par épaisseur ou demi-pâtes, tantôt par glacis et
tous ces travaux sont enchevêtrés à tel point que l’œil le plus exercé
peut à peine suivre les variations du travail. Ses figures sont des
êtres vivants qui nous regardent à travers trois siècles, dont les
bouches parlent et dont l’épiderme remue; la transposition est telle
que, si l’on s’approche, on ne voit, les unes à côté des autres ou
superposées, que des couleurs crues et heurtées. Et cependant, avec ces
superpositions, le génie de Rembrandt a su faire un ensemble, créer
une harmonie et charpenter de ces toiles où les tonalités les plus
violentes se fondent, se pénètrent dans la plus délicate et la plus
intime cohésion.

Rembrandt, comme Shakespeare, a tout vu de l’humanité, il en a tout
étudié. Toutes les émotions, toutes les passions sont inscrites dans
son œuvre. Mais c’est surtout la lumière qui est son triomphe, il en
sait toutes les ressources, il la distribue en ondées blondes, il en
caresse les visages, il en ouate l’atmosphère, elle s’épand partout,
elle dore même l’ombre de ce ton qui est la marque inimitable du Maître.

Le _Vieillard lisant_ a été légué au Louvre par M. Kaempfen, ancien
directeur des Musées nationaux; il figure aujourd’hui dans la grande
galerie, à la travée d’art hollandais.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 0.39.--Largeur: 0.53.--_Figure grandeur demi-nature._



COROT

PAYSAGE

SALLE DES ÉTATS


[Illustration]



_Paysage_ (_Souvenir de Mortefontaine_)


«Un jour, racontait Corot, je me suis permis de faire quelque chose
«de chic», laissant ma brosse aller à sa volonté; lorsque ce fut
terminé, je fus pris de remords et ne pus fermer les yeux de toute la
nuit. Aussitôt qu’il fit jour, je courus à ma toile et, avec rage, je
grattai avec mes ongles tout mon travail de la veille. A mesure que
mes fioritures disparaissaient, je sentais ma conscience devenir plus
calme, et une fois que le sacrifice fut accompli, je respirai plus
librement, car je me sentais réhabilité à mes propres yeux.»

Tout Corot est dans cette anecdote qui nous le montre tel qu’il était,
ayant voué à l’art un culte exclusif, peignant les arbres avec la même
émotion religieuse que les primitifs italiens mettaient à peindre, dans
la calme retraite du cloître, leurs idéales Madones; chacune de ses
peintures est un hymne vibrant à la nature. C’est cette qualité qui
fait son œuvre supérieure.

Un Corot n’éblouit pas pour attirer l’attention; mais quand une fois on
l’a vu, on ne peut plus s’en détacher et l’entour devient vulgaire. On
pénètre avec lui dans un sanctuaire, d’où la foule bruyante est exclue,
on écoute le silence, on jouit d’une quiétude adorable.

Corot savait saisir les moindres beautés de ce qui s’offrait à sa vue.
Là où ses camarades ne trouvaient rien à peindre, il discernait des
paysages insoupçonnés et brossait des toiles magnifiques. Il possédait
une incomparable faculté de vision. «La nature, aimait-il à dire, est
une éternelle beauté». Nul peintre, dans aucun temps, ne porta aussi
haut l’art d’exprimer cette beauté souveraine des choses.

«La peinture de Corot est douce, sans chocs ni contrastes éclatants, le
mariage des tons y est poussé si loin que le ton pur s’y affaiblit en
nuances infinies dans une harmonie parfaite, mais presque monochrome et
légèrement voilée. Ces tableaux ne sautent pas vivement aux yeux; une
espèce de fumée grise, vapeurs ou poussière, rampe sur les terrains,
enveloppe les arbres, passe lentement au-dessus des eaux, émousse les
rayons lumineux. Déchirons ce léger voile: d’immenses profondeurs où
tout se baigne dans les ombres transparentes et les tièdes clartés
s’ouvrent à nos yeux ravis, ce qui fait dire à l’artiste: «Pour bien
entrer dans ma peinture, il faut avoir au moins la patience de laisser
fuir le brouillard, on n’y pénètre que lentement, et quand on y est on
doit s’y plaire.» (Théophile Sylvestre.)

Cette description fidèle du paysage de Corot s’applique à la lettre à
la belle toile que nous donnons ici et qui porte le titre: _Souvenir de
Mortefontaine_.

Sur le bord d’un lac aux eaux transparentes, reflétant comme un miroir
les frondaisons et les collines, l’artiste a placé la masse imposante
d’un grand arbre dont les branches vigoureuses et touffues emplissent
le paysage. Dans la sérénité de cette nature exquise, se profilent,
minuscules atomes dans cette immensité, des enfants qui cherchent
des fleurs dans l’herbe ou détachent les feuilles basses d’un tronc
d’arbre. Mais ces personnages ne jouent qu’un rôle épisodique; le
vrai protagoniste de la toile, c’est le colosse vigoureux dont la
majestueuse ampleur domine tout et c’est sur lui qu’il faut admirer
l’art prestigieux du peintre. A travers le feuillage épais, la lumière
filtre et se répand en ondes claires, diaphanes, d’une adorable teinte
gris de perle.

Corot est «l’homme des gris», le peintre du crépuscule. Cela ne veut
pas dire que son art soit étroitement limité. Les deux aurores, comme
les Égyptiens les appelaient, Isis et Nephtys, l’aurore du jour et
l’aurore de la nuit, se révélèrent à Corot sans réserve; il savait
traduire en impressions subtiles et cependant très lisibles, la
tranquillité, la fraîcheur, le tremblotement indescriptible de la vie
qui s’éveille, l’éloignement indécis des choses familières, tout le
mystère et la magie de cet instant délicieux. Il invoquait la déesse
pour ses tableaux, et ce ne fut jamais en vain. «Lorsque le soleil se
couche, disait-il, le soleil de l’art se lève.»

Le gris d’aurore, le mot avait une signification froide et sombre
avant la venue de Corot, lui qui sut rendre le frisson charmant de
la fraîcheur du matin. Aussi beaux que l’aurore dont ils sont nés,
apparaissent ses fins gris-perle, et sa palette semble en contenir une
infinité, d’une égale délicatesse et s’harmonisant magnifiquement.
Ces peintures d’aurore sont exquises, et elles sont vraies; elles
portent en elles la certitude de l’absolue réalité, parce que, chez
l’artiste, l’intensité du sentiment ne nuisait jamais à l’acuité de la
vision. «Je prie tous les jours le bon Dieu, disait-il, qu’il me rende
enfant, c’est-à-dire qu’il me fasse voir la nature et la rendre comme
un enfant, sans parti-pris.» Sa prière a été exaucée, ses paysages, il
les a vus et exprimés comme il voulait; ils gardent une impérissable
jeunesse.

Le musée du Louvre possède de nombreux chefs-d’œuvre de Corot. Le
_Souvenir de Mortefontaine_ est un des plus beaux. Il figure dans la
Salle des États, réservée à la peinture moderne.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 0.64.--Largeur: 0.88.--_Figures: 0.12._



LÉONARD DE VINCI

LA BELLE FERRONNIÈRE

GRANDE GALERIE


[Illustration]



_La Belle Ferronnière_


Ce portrait, connu sous le nom de _la Belle Ferronnière_, ne représente
pas, comme on le croit communément, la maîtresse de François Ier, mais
bien Lucrezia Crivelli, aimée de Louis Sforce duc de Mantoue.

Cette jeune femme posée de trois quarts tourne la tête presque de
face. On n’aperçoit que le haut de son buste émergeant derrière une
balustrade de fenêtre. Les cheveux, très exactement divisés en bandeaux
sur le haut de la tête, s’appliquent sur les tempes, bordant les yeux
et se relevant vers les oreilles qu’ils dissimulent entièrement: sur
cette chevelure bien lissée est posée, comme un mince diadème, une
chaînette d’or fermée, au milieu du front, par un de ces cabochons
ouvrés qu’on appelait alors et qu’on appelle encore une _ferronnière_.
D’où le nom sous lequel est connu ce tableau. Le visage est d’un ovale
légèrement arrondi; les traits, réguliers, sont d’une beauté que ne
parvient pas à diminuer le disgracieux agencement de la coiffure.
L’ensemble de cette femme a quelque chose de robuste et d’énergique.
Le cou est cerclé d’un collier à trois rangs de perles: bien que d’une
ligne très pure, il a plus de vigueur que de finesse; ce n’est pas le
col effilé des patriciennes florentines de Botticelli. Les épaules
tombantes et la poitrine développée s’enferment dans un corsage de
velours rouge ouvert en carré, et orné aux épaules de crevés maintenus
par des rubans.

Dans cette figure, comme dans toutes celles de Vinci, il y a quelque
chose d’énigmatique et de troublant. Examinez ces yeux scrutateurs et
profonds, qui rappellent ceux de _la Joconde_: quelles mystérieuses
pensées se cachent derrière ce regard, quels secrets enferment ces
lèvres minces, étroitement closes? Cette femme est une femme de la
Renaissance: elle vit à une époque étrange, à la fois policée et
barbare, où les intrigues se dénouent fréquemment par le poison, où les
amours se terminent par le poignard. Elle est la maîtresse de Ludovic
Sforza, prince magnifique mais violent, dont la tendresse est aussi
dangereuse que la colère et qui gouverne ses États par la terreur.
Et c’est bien de la peur qui se lit dans les yeux grands ouverts de
Lucrezia Crivelli, comme à l’attente de la disgrâce de son terrible
maître. Sur ce point, l’énigme demeure entière; ce que nous savons
de cette femme ne peut nous aider à la déchiffrer, mais le génie du
peintre a traduit magnifiquement l’angoisse de ce regard se révélant
sous le calme apparent de l’attitude.

Est-il bien nécessaire d’insister sur la beauté de cette œuvre? En
parlant de Vinci, quels mots trouver pour exprimer l’admiration qu’il
suscite? Aucun peintre n’a poussé si loin l’art d’animer une figure et
de la charger de pensées; il a le don miraculeux d’amener l’âme dans
les yeux et il semble que l’on va entendre parler le personnage.

Léonard de Vinci est l’un des plus étonnants artistes dont l’histoire
nous ait transmis le nom, en même temps qu’un des plus vastes esprits
du monde. Comme peintre il occupe la même place que les rois au-dessus
de leurs sujets; il domine l’art de tous les siècles, comme un Jupiter
dans l’Empyrée. Michel-Ange et Raphaël, ces deux étonnants génies, ne
sont que des princes dans cette cour dont il est le souverain. Comme
intelligence, il est universel.

Raffaëlli, dans ses _Promenades d’un artiste au musée du Louvre_, écrit
sur Léonard de Vinci cette page: «Grand, beau cavalier, élégant, de
jolie figure, pratiquant tous les sports, tous les exercices du corps,
musicien consommé, improvisateur, chanteur doué d’une belle voix et
capable de s’accompagner sur la lyre, et construisant, au besoin, un
luth d’argent de toutes pièces: grand ordonnateur de fêtes, peintre,
sculpteur, ingénieur, écrivain, esthète, savant en toutes choses,
mécanicien, inventeur d’une machine volante, de la scie circulaire, de
pièces automatiques, etc.»

L’auteur de _la Joconde_ devança beaucoup d’hommes de science dans
leurs recherches, et trouva la théorie de Copernic sur le mouvement de
la terre, la classification de Lamarck en vertébrés et invertébrés, les
lois du frottement, de la respiration, de la gravitation, les ondes de
la lumière et de la chaleur, l’emploi de la vapeur comme force motrice
dans la navigation, les aéroplanes, la chambre obscure, l’attraction
magnétique, le canon se chargeant par la culasse, etc.

C’est à la cour de Ludovic Sforza qu’il peignit vers 1496, le portrait
de Lucrezia Crivelli, suivante de la duchesse Béatrice d’Este, dont
le duc était devenu amoureux. Lucrezia succédait, dans les faveurs du
prince, à Cecilia Gallerani, une femme célèbre par sa beauté et que le
duc dut éloigner sur la plainte de son épouse outragée, la duchesse
Béatrice. L’histoire ne dit pas si celle-ci fut plus enchantée de voir
monter au rang de favorite sa propre demoiselle d’honneur. En tout cas
la liaison ne fut pas de longue durée. Ludovic dut se mettre à la tête
de ses troupes pour combattre les Français, qu’il avait appelés en
Italie, puis trahis. Vaincu à Novare, il fut fait prisonnier et enfermé
au château de Loches, où il mourut (1510).

Ce magnifique tableau, acheté par Louis XIV, figure dans la Grande
Galerie, à la travée des peintres italiens.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 0.62.--Largeur: 0.44.--_Figure en buste grandeur nature._



EUGÈNE FROMENTIN

CHASSE AU FAUCON EN ALGÉRIE

SALLE THOMY THIÉRY


[Illustration]



_Chasse au faucon en Algérie_


La course frénétique des chasseurs nous a conduits dans ce coin
pittoresque de la plaine algérienne où la verdure d’une herbe courte
s’oppose à la grisaille des rochers brûlés de soleil. La solitude
s’emplit de mouvement et de clameurs, une foule bariolée s’agite;
les vêtements des cavaliers, les harnais des chevaux, les armes
damasquinées scintillent et mêlent leurs notes claires et violentes.
C’est la fin de la chasse. Guidés par le vol des faucons, les Arabes,
au triple galop de leurs montures, ont forcé le lièvre qui gît sur le
sol. Les rapaces, difficilement maintenus par des valets, se jettent à
la curée. Adossés contre le rocher et dressés sur leur selle marquetée
d’argent, le vieux chef arabe et sa suite, faucon au poing, assistent
à la scène. Au deuxième plan, des chevaux tenus en bride et encore
écumants de la course fournie, piaffent et s’impatientent. Hommes et
bêtes forment un ensemble chatoyant, vibrant, qui papillote sous l’azur
du ciel d’Afrique. Tout cela est dans une gamme claire, chantante, d’un
coloris brillant qui donne bien l’impression d’un Orient lumineux et
pittoresque.

Eugène Fromentin restera, dans l’histoire de l’art, le peintre de
l’Algérie, du moins un des premiers qui la découvrirent pour la faire
aimer. Non l’Algérie du Sud, égarée dans la fournaise du soleil et dans
les sables, mais l’Algérie accessible à tous, celle des Arabes, des
cités paisibles parmi des ruines, des palmeraies fraîches oubliées,
comme des corbeilles de fête, au bord du désert, l’Algérie des
fantasias cérémonieuses et brillantes, des mosquées, des champs de
bataille encore fumants, des tribus vagabondes. On peut regretter qu’il
se soit borné à voir l’Arabe hors de sa tente, dans la lumière des
sables et du ciel et qu’il n’ait pas osé, au lieu de ne l’étudier que
dans les manifestations extérieures de sa vie, se pencher jusqu’à son
foyer, dans la familiarité de ses mœurs.

Jules Claretie constate très justement que Marilhat avait rapporté
d’Orient des paysages empreints d’une mélancolie profonde, Decamps des
scènes étincelantes, Delacroix de grandioses spectacles, et qu’à son
tour Fromentin a trouvé sur cette terre lumineuse une note personnelle
que ses prédécesseurs y eussent vainement cherchée, puisqu’il la
portait en lui. La gamme de Fromentin est douce, ses tons favoris sont
les demi-teintes.

Devant cette terre splendide, toute décorée de noblesse par des siècles
d’histoire, Fromentin demeure cependant un Parisien de pure race.
Ses Arabes ont de l’esprit jusque dans les plis de leurs burnous. Il
n’aimait pas voir le laid: il le transformait à travers les mailles
d’or de son imagination. Dans ses tableaux qui n’ont pas la vibration
hardie du désert, la sensation de son étendue monotone, le désert
pourtant ne perd rien de sa grandeur; car l’intelligence du poète, plus
infinie que l’espace des dunes, dépassait par son effort l’horizon qui
n’est vide, comme celui de la mer, que pour le passant incapable de
s’émouvoir et de comprendre. Ses yeux retiennent la configuration des
choses aussi profondément que son âme pénètre les âmes. Son observation
toujours attentive ne néglige rien de la vie: aussi l’exactitude de ses
travaux, pareille à celle des documents d’une histoire, est affirmée
par tous les voyageurs.

Dès qu’il a mis les pieds sur la terre d’Afrique, il est séduit,
conquis pour toujours et il exhale son enthousiasme en pages
éloquentes. Car Fromentin est aussi bon écrivain qu’habile artiste.
Il est l’auteur presque célèbre de _Dominique_, un roman loué par
tous les contemporains et dont la lecture est toujours agréable; il
collabore à la _Revue de Paris_ et à la _Revue des Deux-Mondes_. S’il
n’avait recherché la gloire dans la peinture, il l’aurait certainement
trouvée dans les belles-lettres. «Tout ici m’intéresse, écrit-il.
Plus j’étudie cette nature, plus je crois que, malgré Marilhat et
Decamps, l’Orient reste encore à faire. Pour ne parler que des hommes,
ceux qu’on vous fait sont des bourgeois. Le vrai peuple arabe, en
haillons et plein de vermine, avec ses ânes misérables et teigneux, ses
chameaux en guenilles passant, noirs et rougis par le soleil, devant
ces horizons splendides, cette grandeur dans les attitudes, cette
beauté antique dans les plis de tous ces haillons, voilà ce que nous ne
connaissons pas. Somme toute, au point de vue du travail, je n’ai point
à me plaindre et, du train dont je vais, je promets de vous rapporter
un album assez intéressant.»

Il rapporte mieux qu’un simple album: il rapporte deux volumes
d’impressions et les motifs de nombreuses toiles: c’est toute
l’Algérie, lumineuse et chatoyante qu’il ramène dans ses bagages et
qu’il détaillera sans relâche de son pinceau brillant. Il a mieux vu
l’Algérie que Marilhat, Decamps et Delacroix; il l’a vue en poète et
en psychologue. Et comme exécutant, il les égale par le charme de ses
arrangements sombres et clairs, par la précision d’un style désireux de
dire, au delà des formes, l’âme des êtres et des choses.

_La Chasse au faucon_ fut exposée au Salon de 1863 et acquise par
Thomy-Thiery qui la légua au Louvre ainsi que toute sa collection. Elle
figure au deuxième étage, dans la salle qui porte le nom du donateur.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 1.62.--Largeur: 1.16.--_Figures demi-nature._



CORRÈGE

LE SOMMEIL D’ANTIOPE

SALON CARRÉ


[Illustration]



_Le Sommeil d’Antiope_


Antiope, nonchalamment couchée sur une draperie bleue, un bras arrondi
au-dessus de la tête, dort sans se douter que le secret de ses charmes
est trahi et que Jupiter, sous la forme d’un satyre, mais conservant
encore, malgré ce déguisement, sa majestueuse beauté d’Olympien, a
soulevé le voile qui les cachait d’une main libertine et curieuse.
Penché vers la nymphe, le dieu contemple ce beau corps assoupli par
l’abandon du sommeil. Dans sa blancheur tiède et blonde, baignée de
demi-teintes qui en noyent les contours et lui donnent les rondeurs
de la vie, sous ce torse d’une grâce si molle et si tendre, on suit
pourtant les détails d’anatomie perdus dans la masse par une science
qui se dissimule sous le charme; car il ne faut pas oublier que Corrège
est, avec Michel-Ange, un des plus savants dessinateurs du monde. Aux
pieds de l’Antiope, l’Amour, ayant près de lui son carquois, fait
semblant de dormir, couché sur le gazon, dans une pose d’insouciance
enfantine; mais croyez bien qu’il ne dort que d’un œil, voit tout
le manège et le favorise. Un riche paysage, étouffé et sourd, avec
des tons de velours fauve, sert de fond à cette voluptueuse scène
mythologique et fait admirablement ressortir la blancheur dorée de
l’Antiope, foyer de lumière du tableau. Bien qu’elle ait la beauté
d’une Nymphe, Antiope reste une femme. Ce n’est pas un morceau de
marbre, elle vit, elle palpite et le gonflement de la respiration
soulève sa souple poitrine.

On demeure stupéfait d’admiration devant la grâce voluptueuse de
Corrège qui créa tout un monde charmant de formes ondoyantes, de divins
sourires, de lumières argentées, d’ombres transparentes et de reflets
magiques. Corrège, s’il n’inventa pas absolument le clair-obscur,
en tira du moins des harmonies nouvelles et des effets inconnus.
Son entente du raccourci et de la perspective des corps lui permet,
par l’inattendu des aspects, les courbes imprimées aux lignes, les
têtes qui plafonnent ou se penchent en avant, les poses hardiment
projetées, de changer l’aspect habituel des figures et des groupes,
car ce gracieux, ce délicat, ce tendre est aussi un homme d’une
science profonde; il possède la force comme il possède la grâce et les
Apôtres géants du dôme de Parme sont là pour le prouver. Personne,
pas même Michel-Ange, n’a dessiné d’un style plus grand et plus fier.
De plus, son dessin est enveloppé d’une couleur admirable. Corrège
est peut-être le plus original des peintres. Il se forma tout seul et
tira tout de lui-même. Quelques recherches qu’on ait faites, on n’a
pu retrouver avec certitude le nom d’aucun de ses maîtres et il ne
paraît pas qu’il soit jamais sorti de son pays natal. Ses prétendus
voyages à Rome, à Florence, ne sont rien moins que prouvés. Il ne doit
rien qu’à son génie et à la nature qui l’avait si heureusement doué.
Cette perfection, il l’acquit tout de suite et comme sans effort. A
vingt ans à peine, il était déjà en possession complète de son talent.
A peine si, dans ses deux ou trois premiers tableaux, on aperçoit
quelque sécheresse et quelque symétrie qui les rattachent à l’école
antérieure. Comme Raphaël, dans une vie assez courte, il parcourut le
cycle tout entier de l’art, avec cette différence qu’il travaillait
seul et n’avait pas, pour prêter des mains à sa pensée, une armée
d’élèves enthousiastes et respectueux, pour la plupart grands peintres
eux-mêmes. Sans avoir été pauvre, comme le racontent des biographes
plus amis du pathétique que du vrai, il n’eut pas cette vie éclatante,
bienheureuse, protégée des dieux et des hommes, qui fut la récompense
du peintre d’Urbino. Quoiqu’il n’épargnât rien pour en éterniser la
durée, qu’il employât les couleurs les plus chères, les toiles les plus
soigneusement préparées, ses chefs-d’œuvre furent payés, de son vivant,
des prix médiocres. Mais la postérité, séduite par le charme enivrant
de ses Vierges et de ses Nymphes, lui a donné un trône d’ivoire parmi
les dieux de l’art, dans l’Olympe de la peinture. (Théophile Gautier.)

Corrège n’est pas, comme Rubens, un praticien par excellence pour
lequel la peinture consiste surtout dans le maniement du pinceau; c’est
un vrai poète qui peint pour exprimer des idées et des sentiments. Dans
tous les arts, les hommes les plus puissants n’ont pas de procédés. Les
instruments sont les mêmes pour tout le monde; pour apprendre à les
manier avec génie, il faut en avoir. Inépuisable dans ses inventions
ingénieuses, toujours nouveau dans ses souriantes mythologies, Corrège
a ajouté aux symboles antiques la séduction d’une jeunesse immortelle.
Véritable poète de la Renaissance italienne par le charme souverain de
sa fantaisie, il reste, par la douce émotion de son cœur, un homme de
tous les pays et de tous les temps. D’autres, peut-être, ont été plus
majestueux et plus austères; nul n’a mieux exprimé la beauté dans son
sourire, la vie dans sa grâce.

_Le Sommeil d’Antiope_ a longtemps fait partie de la galerie des ducs
de Mantoue. Acheté d’abord par Charles Ier, il passa ensuite dans le
cabinet du banquier Jabach, puis dans celui de Mazarin. Les héritiers
du cardinal le vendirent à Louis XIV. Il est aujourd’hui l’un des plus
beaux joyaux du Salon Carré.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 1.90.--Largeur: 1.14.--_Figures grandeur nature._



WATTEAU

L’EMBARQUEMENT POUR CYTHÈRE

SALLE DU XVIIIe SIÈCLE


[Illustration]



_L’Embarquement pour Cythère_


Quoiqu’il n’ait peint que des fêtes galantes et des sujets tirés
de la comédie italienne, Antoine Watteau est un grand maître. Il a
créé un aspect nouveau de l’art et vu la nature à travers un prisme
particulier. Son dessin, sa couleur, ses types, ses agencements
lui appartiennent. Il est original. Il a la grâce, l’élégance, la
désinvolture et son art est sérieux si son genre peut sembler frivole.
Son œuvre est une fête perpétuelle. Ce sont des concerts, des bals,
des entretiens galants, des rendez-vous de chasse, des décamérons dans
les grands parcs à terrasses, à statues et à fontaines mythologiques,
des Mezzetins donnant des sérénades à des Isabelles, des Colombines
jouant de l’éventail et de la prunelle avec des Léandres, des
cavaliers relevant de belles dames assises sur l’herbe: tout ce qu’une
imagination heureuse peut inventer de plus riant et de plus aimable.
En voyant ces toiles si gaies, si spirituelles, si claires de ton, où
les lointains bleuissent comme les paradis de Breughel de Velours, on
serait tenté de croire, chez l’artiste, à une bonne humeur inaltérable
et à un joyeux éblouissement de la vie. Ce serait se tromper. Watteau
était valétudinaire, mélancolique, voyait tout en noir et n’avait de
rose que sur sa palette.

La plupart des tableaux de Watteau sont à Berlin. Le Louvre n’en
possède qu’un petit nombre, mais il a l’heureuse fortune de pouvoir
montrer son chef-d’œuvre _l’Embarquement pour Cythère_.

Au bord d’une mer dont l’azur vague se confond avec celui du ciel
et des lointains, près d’un bouquet d’arbres aux branches légères
comme des plumes, se dresse une statue de Vénus ou plutôt un buste
de la déesse terminé en gaine à la façon des Termes et des Hermès.
Des guirlandes de fleurs s’y suspendent: un arc et un carquois y sont
attachés. Non loin de la déesse, sur un banc, une jeune femme jouant de
l’éventail, semble hésiter à partir pour l’île de Cythère. Un pèlerin
agenouillé près d’elle lui chuchote à l’oreille de galantes raisons
pour la convaincre et un petit Amour, le camail sur les épaules, la
tire par le pan de sa robe. Il doit être du voyage sans doute. A côté
de ce groupe, un cavalier prend par les mains, pour l’aider à se lever,
une jeune beauté assise sur le gazon. Un autre emmène sa belle, qui
ne résiste plus, et dont il entoure du bras le fin corsage. Au second
plan, trois groupes d’amoureux, le camail au dos, le bourdon à la
main, se dirigent vers la barque où sont déjà arrivés deux groupes de
pèlerins de la tournure la plus svelte et la plus coquette. Avec quelle
élégance la femme qui va entrer dans l’esquif relève par derrière,
d’un petit tour de main, la traîne de sa robe! Il n’y a que Watteau
pour saisir au vol ces mouvements féminins. La barque est sculptée,
dorée et porte à sa proue une chimère ailée, cambrant son torse et
renversant sa tête dans une coquille à cannelures. Des rameurs demi-nus
la manœuvrent, et de petits Amours en déploient la tente. Au-dessus
de l’esquif, dans des tourbillons de légères vapeurs, pareilles à des
gazes d’argent, volent, se roulent et jouent des Cupidons enfants, dont
l’un agite une torche.

Voilà bien à peu près les principaux linéaments de la composition et la
place des personnages. Mais quels mots pourraient exprimer ce coloris
tendre, vaporeux, idéal, si bien choisi pour un rêve de jeunesse et de
bonheur, noyé de frais azur et de brume lumineuse dans les lointains,
réchauffé de blondes transparences sur les premiers plans, vrai comme
la nature et brillant comme une apothéose d’Opéra! Rubens et Véronèse
reconnaîtraient Watteau pour un des leurs. L’auteur de l’_Embarquement
pour Cythère_ est assurément le plus coloriste des peintres de l’école
française. (Théophile Gautier.)

«Si Watteau, écrivent les Goncourt, a fait une nature plus belle que
la nature, il le doit au poète dont est doublé le peintre. Regardez
dans tous ces berceaux, ces bocages, dans toute cette ombre feuillue,
regardez les trous, les jours, les percées, qui mènent toujours
l’œil à du ciel, à des perspectives, à des horizons, à du lointain,
à de l’infini, à de l’espace lumineux et vide qui fait rêver.
L’ennoblissement dont il revêt son paysage, à lui, c’est la poésie du
peintre-poète, poésie avec laquelle il _surnaturalise_, pour ainsi
dire, le coin de nature que peint son pinceau. Des paysages idéalisés,
des paysages atteignant, dans leur composition poétique, un certain
surnaturel, auquel l’art matériel de la peinture ne semble pas pouvoir
monter, voilà le caractère du paysage de Watteau.»

Watteau composa une réplique légèrement réduite mais d’une facture
plus poussée de son _Embarquement_; cette toile orne aujourd’hui l’un
des salons de l’ambassade française à Berlin, mais pour le charme et
la fluidité des lointains, la séduction de l’ensemble, le tableau du
Louvre l’emporte de beaucoup sur celui de Berlin.

Celle toile valut à Watteau son admission à l’Académie de peinture, en
1770. Elle figure aujourd’hui dans la Salle du XVIIIe siècle.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 1.27.--Largeur: 1.92.--_Figures: 0.30._



PATER

LA TOILETTE

SALLE LA CAZE


[Illustration]



_La Toilette_


L’intérieur d’une élégante au XVIIIe siècle. On est au petit matin,
ou, pour mieux dire, au petit matin des jolies femmes pour qui le jour
commence alors que le soleil est depuis longtemps levé. Rien n’est plus
salutaire à la conservation du teint qu’un sommeil prolongé, dans la
molle tiédeur du lit. Aussi l’agréable personne représentée ici, dans
son déshabillé charmant, offre un visage reposé et des joues délicates
dont l’épiderme, pour employer le style de l’époque «semble pétri de
lis et de roses». Une demi-obscurité règne dans la pièce; la lumière
trop vive du dehors pourrait incommoder la belle paresseuse. Elle est
assise devant sa toilette, jolie table garnie de dentelles couverte
de boîtes de poudre à la maréchale, de pâtes d’amande et de mouches.
Dans le miroir dressé devant elle, elle surveille le détail compliqué
de sa coiffure, à laquelle s’occupe activement une soubrette. Une
matinée très élégante est jetée sur ses épaules, laissant apercevoir
une gorge fort avenante et les bras les plus jolis du monde. En tous
temps, l’ajustement d’une élégante a été une affaire d’importance:
on s’en aperçoit au nombreux personnel qui s’y emploie ici. Pendant
qu’une femme de chambre seconde la coiffeuse, d’autres s’occupent à
diverses tâches; l’une, près de la cheminée, fait chauffer la chemise
de fine toile, une autre approche du feu un récipient contenant l’eau
pour les ablutions. Une fillette, placée là on ne sait pourquoi, suit
d’un œil intéressé toutes les phases de la toilette. Il en est une,
cependant, qui ne semble apporter qu’une attention médiocre à ce qui
se passe autour d’elle: cachée derrière le miroir et courbée sur sa
chaise, son regard mutin paraît faire des signes d’intelligence à un
personnage qu’on ne voit pas. Comme il arrive invariablement dans les
tableaux de cette époque, l’artiste n’a pas manqué d’y ajouter la note
libertine destinée à pimenter l’anecdote. Caché derrière une tenture
qu’il soulève à demi, un jeune abbé de cour passe une tête curieuse et
s’absorbe dans la contemplation de la maîtresse du logis.

Tout est charmant dans cette composition, où l’aimable et spirituel
talent de Pater a prodigué les détails. Comme Watteau et Lancret, il
excelle dans cet art coquet, libertin et gracieux du XVIIIe siècle,
dont l’idéal était le joli et la fonction d’orner les petites maisons
des grands seigneurs et les boudoirs des marquises. Quelles jolies
têtes de femmes, quelles sveltes tournures, quels élégants costumes
galamment portés! Comme tout cela a bon air et vit aisément dans cette
atmosphère de luxe et de plaisir! Comme on sent bien qu’en peignant
ces élégances d’alcôve et de ruelles, l’artiste exprime exactement le
goût, la fantaisie et le caprice de son siècle! De même que le siècle
précédent, solennel et pompeux, avait engendré des peintres comme
Poussin ou Lebrun, de même la Régence jouisseuse et le règne frivole
qui suivit suscitèrent d’aimables talents, tels que Lancret, Watteau,
Hilair, Pater, Boucher, qui surgirent spontanément de cette atmosphère
galante, comme Vénus de l’écume des flots. Avec le même goût de la
peinture gracieuse et libertine, ils eurent tous le don précieux de la
mesure, ce goût inné qui les empêcha de convertir le marivaudage en
grossièreté. Quelque osé que puisse être le sujet traité, il se rachète
toujours par une élégance de bonne compagnie, par un tour spirituel et
malicieux qui frôle sans insister, qui fait sourire et jamais rougir.

A ces qualités rares, ils ajoutèrent--et Pater plus que les autres--une
science du coloris qui les fait reconnaître au premier regard. A
aucune époque, la peinture n’a trouvé de teintes aussi délicates ni
aussi précieuses. En considérant _la Toilette_, de Pater, on est
aussitôt conquis et ravi par cette adorable symphonie de tons où le
bleu et le rose forment les dominantes. Et qu’on ne dise pas que
c’est là un art facile: la savante disposition des valeurs révèle au
contraire une maîtrise supérieure. Quelle délicatesse, par exemple,
dans le rose tendre de la robe que porte la soubrette assise devant
le feu et comme elle se fond harmonieusement avec le rouge plus
sombre de la femme inclinée devant elle. Rien de heurté, ni de banal,
dans ces associations qui, sous le pinceau d’artistes moins habiles,
deviendraient si facilement vulgaires.

Pater peut être considéré comme l’un des meilleurs de nos «petits
maîtres» français. Tandis que Watteau plaçait de préférence ses
personnages dans le plein air de la campagne, avec des lointains roses
et des ciels merveilleux, Pater cherchait plus volontiers ses sujets
dans les intérieurs luxueux et coquets. Il a été surtout le peintre
des boudoirs et des chambres à coucher du XVIIIe siècle. Par son
genre, il rappelle Terburg, le plus aristocratique des Hollandais: il
possède autant de finesse et d’esprit que lui, mais il l’emporte par la
délicatesse et l’élégance. Et s’il n’a pas acquis, malgré ses belles
qualités, la gloire d’un Watteau ou d’un Fragonard, il en faut accuser
son dessin qui n’est pas toujours irréprochable.

_La Toilette_ fut souvent appelée _la Toilette de la mariée_; on l’a
également reproduite sous le titre: _Le Désir de plaire_. Ce minuscule
tableau peut être considéré comme un des plus charmants bijoux que nous
ait légués le XVIIIe siècle, pourtant si fertile en jolies œuvres.

_La Toilette_ fut donnée au Louvre par M. La Caze et figure dans la
salle qui porte le nom du célèbre collectionneur.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 0.37.--Largeur: 0.46.--_Figures: 0.23._



RAPHAËL

PORTRAIT DE JEUNE HOMME

GRANDE GALERIE


[Illustration]



_Portrait de jeune homme_


Sur un balustre de fenêtre, un jeune garçon est appuyé. Son corps porte
tout entier son poids sur le coude droit et la jolie tête repose sur la
main ouverte. De son toquet de velours s’échappent de longues boucles
blondes qui donnent une sorte de mièvrerie féminine à cette figure
d’adolescent. Le visage est d’une parfaite pureté de lignes; le nez, la
bouche, le menton sont d’un dessin délicat et charmant. Quant aux yeux,
largement ouverts, ils révèlent tout à la fois l’heureuse insouciance
de l’âge et une réflexion très appliquée; bien que paraissant fixés sur
un point déterminé, quelque chose de vague, de flou y flotte, comme
s’ils suivaient attentivement un rêve passionnant.

Toute la grâce de Raphaël est transcrite sur cette image et tout son
art se révèle dans la pose abandonnée et pensive du modèle. Quel est
ce jeune homme; quel nom porta-t-il dans le monde de la Renaissance;
joua-t-il plus tard un rôle quelconque dans l’histoire? On ne sait pas.
Certains commentateurs, séduits par la beauté du modèle et se rappelant
que celle du peintre lui avait valu le nom de divin Raphaël, ont cru
pouvoir affirmer que c’était le portrait même du maître. La date du
tableau détruit cette légende: à cette époque Raphaël avait dépassé
l’âge de cette toile et n’aurait pu se peindre que de mémoire. Or, il y
a trop de vie dans cette tête pour admettre que le grand artiste aurait
peint «de chic» une œuvre si parfaite.

D’autres affirment avec moins d’énergie que ce portrait n’est pas
l’œuvre de Raphaël, mais celle d’un certain Francesco Ubertini,
surnommé Bacchiacca. Comme rien ne démontre ce dire et que d’ailleurs
la toile en cause est un chef-d’œuvre, comme d’autre part,
l’insinuation est toute récente, rien n’oblige à l’accepter; tout, au
contraire, invite à l’attribuer à Raphaël plutôt qu’à un inconnu. Au
surplus tout, dans cette toile, trahit la main de Raphaël; c’est la
même technique que l’on retrouve dans son propre portrait du musée des
Offices; c’est celle de tous ses autres portraits, avec la même grâce,
la même onctueuse habileté, les mêmes clartés de palette.

Il n’est pas jusqu’au coloris où l’on ne retrouve le faire habituel du
grand maître d’Urbino. C’est la même tonalité discrète, presque neutre
qui a fait dire aux romantiques, acharnés à détruire sa gloire, que
Raphaël était un médiocre coloriste. Certes, il fut moins coloriste
que les Vénitiens, mais si parfois sa couleur était froide elle avait
toujours cette distinction parfaite par où se révèlent les grands
maîtres.

Raphaël a connu cette disgrâce de voir contester son génie; certaines
écoles, dans les temps modernes, se sont laissé entraîner à cette
aberration de honnir Raphaël comme l’inspirateur du culte de l’antique.
Rien de plus injuste et de plus faux. Le grand artiste ne s’inspira
jamais de l’antiquité qu’il connaissait à peine. Au surplus, toute
polémique est aujourd’hui éteinte; Raphaël a reconquis sa splendide
royauté.

Le _Portrait de jeune homme_ figure au Louvre dans la Grande Galerie, à
la travée réservée aux œuvres de Raphaël.

       *       *       *       *       *

Hauteur: 0.59.--Largeur: 0.44.--_Figure grandeur nature._



TABLE DES MATIÈRES


                                                           Pages.

  _Préface_                                                    5
  _Vulcain présentant à Vénus les armes d’Énée_, par
     F. Boucher                                               13
  _Balthazar, comte de Castiglione_, par Raphaël              19
  _Hélène Fourment et ses enfants_, par Rubens                25
  _Madame Récamier_, par Louis David                          31
  _Le Concert champêtre_, par Giorgione                       37
  _Portrait d’Heindrickje Stoffels_, par Rembrandt            43
  _Portrait de l’Infante Marguerite_, par Vélasquez           49
  _Jésus-Christ marchant au Calvaire_, par Simone Memmi       55
  _La Source_, par Ingres                                     61
  _La Femme hydropique_, par Gérard Dow                       67
  _Madame de Pompadour_, par Quentin La Tour                  73
  _Une Jeune Princesse_, par Constantin Netzcher              79
  _La Mauvaise Compagnie_, par Jan Steen                      85
  _Érasme_, par Hans Holbein                                  91
  _Le Mariage de sainte Catherine_, par Corrège               97
  _Conversation_, par Lancret                                103
  _La Dentellière_, par Jan van der Meer (Vermeer)           109
  _Charles Ier d’Angleterre_, par Van Dyck                   115
  _Élisabeth d’Autriche, femme de Charles IX_, par
     F. Clouet                                               121
  _La Barque du Dante_, par Delacroix                        127
  _Le Roi Ferdinand_, par le Greco                           133
  _Les Pèlerins d’Emmaüs_, par Rembrandt                     139
  _Sujet pastoral_, par F. Boucher                           145
  _Les Noces de Cana_, par Gérard David                      151
  _Mademoiselle de Lambesc et le comte de Brionne_, par
     Nattier                                                 157
  _Jeanne d’Aragon_, par Raphaël                             163
  _La Kermesse_, par P.-P. Rubens                            169
  _Monsieur et Madame Angerstein_, par Sir Thomas
     Lawrence                                                175
  _Les Glaneuses_, par J.-F. Millet                          181
  _La Bohémienne_, par Franz Hals                            187
  _Les Sonneurs_, par Decamps                                193
  _Anne de Clèves_, par Holbein                              199
  _L’Enlèvement de Psyché_, par P. Prud’hon                  205
  _Le Cardinal de Richelieu_, par Ph. de Champaigne          211
  _L’Automne_, par Lancret                                   217
  _Madame Seriziat_, par Louis David                         223
  _Vieillard lisant_, par Rembrandt                          229
  _Paysage_ (_souvenir de Mortefontaine_), par Corot         235
  _La Belle Ferronnière_, par Léonard de Vinci               241
  _Chasse au Faucon en Algérie_, par Eugène Fromentin        247
  _Le Sommeil d’Antiope_, par le Corrège                     253
  _L’Embarquement pour Cythère_, par Watteau                 259
  _La Toilette_, par Pater                                   265
  _Portrait de jeune homme_, par Raphaël                     271



INDEX ALPHABÉTIQUE


                                                           Pages.

  PRÉFACE                                                      5
  BOUCHER            Vulcain présentant à Vénus les armes
                       d’Énée                                 13
    ----             Sujet pastoral                          145
  CHAMPAIGNE (de)    Le Cardinal de Richelieu                211
  CLOUET (François)  Élisabeth d’Autriche, femme de
    Charles IX                                               121
  CORRÈGE (LE)       Le Mariage de sainte Catherine           97
    ----             Le Sommeil d’Antiope                    253
  COROT              Paysage (souvenir de Mortefontaine)     235
  DAVID (Louis)      Madame Récamier                          31
    ----             Madame Seriziat                         223
  DECAMPS            Les Sonneurs                            193
  DELACROIX          La Barque du Dante                      127
  DOW                La Femme hydropique                      67
  FROMENTIN          Chasse au faucon en Algérie             247
  GÉRARD DAVID       Les Noces de Cana                       151
  GIORGIONE          Le Concert champêtre                     37
  GRECO (LE)         Le Roi Ferdinand                        133
  HALS               La Bohémienne                           187
  HOLBEIN            Érasme                                   91
    ----             Anne de Clèves                          199
  INGRES             La Source                                61
  LANCRET            Conversation                            103
    ----             L’Automne                               217
  LAWRENCE           Monsieur et Madame Angerstein           175
  L. DE VINCI        La Belle Ferronnière                    241
  MEMMI              Jésus-Christ marchant au Calvaire        55
  MILLET             Les Glaneuses                           181
  NATTIER            Mademoiselle de Lambesc et le comte
                       de Brionne                            157
  NETZCHER           Une Jeune Princesse                      79
  PATER              La Toilette                             265
  PRUD’HON           L’Enlèvement de Psyché                  205
  QUENTIN LA TOUR    Madame de Pompadour                      73
  RAPHAËL            Balthazar, comte de Castiglione          19
    ----             Jeanne d’Aragon                         163
    ----             Portrait de jeune homme                 271
  REMBRANDT          Portrait d’Heindrickje Stoffels          43
    ----             Les Pèlerins d’Emmaüs                   139
    ----             Vieillard lisant                        229
  RUBENS             Hélène Fourment et ses enfants           25
    ----             La Kermesse                             169
  STEEN (Jan)        La Mauvaise Compagnie                    85
  VAN DER MEER       La Dentellière                          109
  VAN DYCK           Charles Ier d’Angleterre                115
  VÉLASQUEZ          Portrait de l’Infante Marguerite         49
  WATTEAU            L’Embarquement pour Cythère             259


       *       *       *       *       *


    Corrections.

    Page  73: «habituellemente» remplacé par «habituellement» (Il était
                habituellement quinteux).
    Page 110: «Duk» remplacé par «Dirk» (Dirk van Bleyswijck).
    Page 127: «deux» remplacé par «d’eux» (l’un d’eux s’accroche à la
                poupe).
    Page 184 et suivantes: au lieu de «Franz Hals» il convient de lire
                «Frans Hals».
    Page 247: «frénétiqne» remplacé par «frénétique» (La course
                frénétique des chasseurs).
    Page 266: «anecdocte» remplacé par «anecdote» (destinée à pimenter
                l’anecdote).
    Page 266: «cet» remplacé par «cette» (vit aisément dans cette
                atmosphère).
    Page 267: «lontains» remplacé par «lointains» (avec des lointains
                roses).





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