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Title: Chronique de 1831 à 1862. T. 1/4
Author: Dino, Dorothée de
Language: French
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Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le
typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée et
n'a pas été harmonisée.



    CHRONIQUE
    DE
    1831 A 1862



[Illustration: DUCHESSE DE DINO
PUIS DUCHESSE DE TALLEYRAND ET DE SAGAN
D'après une miniature d'Agricola, faite pendant le Congrès de Vienne de
1815, appartenant à la princesse Antoine Radziwill]



    DUCHESSE DE DINO

    (PUIS DUCHESSE DE TALLEYRAND ET DE SAGAN)

    CHRONIQUE

    DE

    1831 A 1862

    _Publiée avec des annotations et un Index biographique_

    PAR

    LA PRINCESSE RADZIWILL

    NÉE CASTELLANE

    I

    1831-1835

    _Avec un portrait en héliogravure_

    Troisième édition

    [Logo]

    PARIS

    LIBRAIRIE PLON

    PLON-NOURRIT ET CIE, IMPRIMEURS-ÉDITEURS

    8, RUE GARANCIÈRE--6e

    1909



Tous droits de reproduction et de traduction réservés pour tous pays.


Published 2 December 1908.

Privilege of copyright in the United States reserved under the Act
approved March 3d 1905 by Plon-Nourrit et Cie.



Cette _Chronique_ a été composée avec des notes recueillies en
Angleterre, durant l'ambassade du prince de Talleyrand, et ensuite avec
les fragments extraits des lettres adressées pendant trente ans, par Mme
la duchesse de Dino (plus tard duchesse de Talleyrand et de Sagan), à M.
Adolphe de Bacourt, qui me l'a remise en mains propres, par ordre de ma
grand'mère.

Quelques mois avant sa mort, en 1862, ma grand'mère, qui ne se faisait
plus aucune illusion sur l'état de sa santé, me prévint elle-même du don
précieux qui me serait remis après elle, par son exécuteur testamentaire,
M. de Bacourt, y ajoutant ses instructions et ses conseils.

Le recul des années étant nécessaire à l'homme pour devenir à peu près
juste à l'égard des sentiments et des actes des personnes qui ont marqué
d'un trait spécial, j'aurais voulu retarder encore la publication de
cette _Chronique_, mais ma nièce, la comtesse Jean de Castellane, ayant,
il y a quelques mois, fait paraître le _Récit des premières années_ de la
duchesse de Dino, qui finissait trop tôt, au gré de plus d'un lecteur, il
me semble à propos de ne plus en faire attendre la continuation.

Cette continuation se trouve, presque tout entière, dans cette
_Chronique_.

Ce livre, où les dernières années du prince de Talleyrand sont mieux
mises en lumière que par toutes les publications faites jusqu'à ce jour,
parle trop par lui-même pour que j'aie besoin d'y ajouter un seul mot. La
place que la duchesse de Dino a occupée dans la société européenne de la
première partie du siècle dernier est aussi trop connue pour la rappeler
ici. Ses attraits, comme ses dons, furent rarement égalés, mais ce qui
est moins connu, c'est la séduction morale qu'elle exerçait sur tous ceux
qui l'approchaient. Si l'intelligence est une puissance, l'élévation de
l'âme en est une plus grande encore et celle-ci a certainement aidé la
duchesse de Dino à traverser bien des phases difficiles dans sa vie.

C'est ce qui me semble tout particulièrement ressortir de cette
_Chronique_ où on sent planer une âme supérieure.

    CASTELLANE, Princesse RADZIWILL.

   Kleinitz, 1er septembre 1908.



DUCHESSE DE DINO

CHRONIQUE



1831


_Paris, 9 mai 1831._--Je suis si étourdie du bruit de Paris, j'y ai tant
entendu dire de paroles, tant de figures ont déjà passé sous mes yeux,
que j'ai peine à me reconnaître, à rassembler mes idées et à leur
demander de me dire où j'en suis, où en sont les autres; si ce pays-ci
est en bonne ou mauvaise route; si les médecins sont suffisamment
habiles, ou plutôt si la maladie ne bravera pas la science du médecin!

J'ai déjà vingt fois arrêté ma pensée sur Madère; quelquefois aussi elle
s'est reposée sur Valençay. Mais elle ne se fixe nulle part, et il me
semble tout à fait déraisonnable de rien préjuger avant cette grande
crise électorale à laquelle je vois que tout le monde se réfère. A tout
on dit ici: «Après les élections,» comme, à Londres, le monde frivole
disait: «Après Pâques.»

Il y avait un petit article dans le _Moniteur_ d'hier: la disposition
ministérielle, la disposition du public en général, est équitable et
honorable pour M. de Talleyrand, mais la raison n'est pas à la mode, et
dans ce pays-ci moins qu'ailleurs. En vérité, si je voulais faire
promener ma pensée sur les mille et une petites complications qui gênent
et entravent tout, je ne pourrais arriver qu'à ce résultat: c'est que ce
pays-ci est fort malade, mais que le médecin est bon!...


_Londres, 10 septembre 1831._--Les lettres de Paris disent que l'éternel
bailli de Ferrette s'est enfin éteint et que Mme Visconti, autre
merveille du temps passé, en a fait autant.

On me parle d'émeutes féminines; il y a eu quinze cents de ces horribles
créatures qui ont fait du train. La garde nationale, à cause de leur
sexe, n'a pas voulu user de force; heureusement que la pluie en a fait
justice.

Il est arrivé hier une estafette avec quelques rabâchages sur la
Belgique, demandant que les Hollandais se retirent encore davantage; que
Maëstricht n'ait que des Hollandais seuls pour garnison; notant
l'impatience de ce que le général Baudrand ait eu des entretiens directs
et particuliers avec les ministres anglais et le rappelant sur-le-champ.
Il ne partira cependant qu'après le «Drawing-room».

Rien de nouveau sur la Pologne.

Le _Times_ raconte l'infortunée tentative portugaise. Maudit dom Miguel!
Quelle horreur que son triomphe!

A Londres il n'y a qu'une seule nouvelle: c'est qu'à l'occasion du
couronnement[1], le Roi a autorisé les évêques à quitter leurs vilaines
perruques; les voilà tous méconnaissables pour huit jours; ils se sont
tellement pressés de profiter de la permission qu'ils n'ont pas donné à
leurs cheveux le temps de repousser, cela fait qu'ils ont de drôles de
figures et qu'au grand dîner du Roi, ils ont fait la joie de tous les
convives.

  [1] Couronnement du roi Guillaume IV.


_Londres, 11 septembre 1831._--Les conversations tournent encore toutes
sur le couronnement; la rentrée pédestre et crottée du duc de Devonshire,
les faits, gestes, figures et paroles de chacun, sont commentés,
embellis, défigurés, passés en revue avec plus ou moins de charité,
c'est-à-dire sans charité aucune. Il n'y a que la Reine à laquelle
personne ne touche; tout le monde dit qu'elle était la perfection et on a
bien raison.

J'ai vu hier le duc de Gloucester auquel je n'ai rien tiré, si ce n'est
qu'au grand dîner diplomatique que nous avons aujourd'hui à Saint-James,
on avait cherché le moyen d'éviter le Van de Weyer qui fait tomber la
duchesse de Saxe-Weimar en défaillance. On a, en conséquence, imaginé de
n'inviter, hors les ambassadeurs, que ceux des ministres qui sont mariés:
l'expédient me paraît un peu stupide.

Toutes les vieilles antiquités disparaissent; voilà lady Mornington, mère
du duc de Wellington, qui est morte hier à 90 ans: cela ne fait pas
grand'chose à son fils.

La Landgravine de Hesse-Hombourg et le duc de Saxe-Meiningen sont partis
hier par le bateau à vapeur pour Rotterdam; la duchesse de Cambridge part
aujourd'hui pour la Haye par Bruges. La grande affaire de tout ce monde
est d'éviter Bruxelles!

Lady Belfast raconte fort drôlement la visite et la réception des yachts
anglais à Cherbourg. Les autorités les ont reçus et n'ont jamais pu
comprendre ce que c'était qu'un _Gentlemen's Yacht Club_ dans lequel le
gouvernement n'intervenait nullement; elles ont presque pris ces
messieurs pour des pirates. Cependant on leur a donné un dîner et un bal.
Lord Yarborough a voulu les leur rendre à bord de son yacht, mais toutes
les belles dames de province ont déclaré que rien ne les ferait danser
sur mer, qu'assurément elles auraient toutes des maux de cœur horribles,
que cette proposition était tout à fait barbare, et enfin lord Yarborough
a été obligé de céder et de donner un bal dans une guinguette de
Cherbourg, où il a cependant trouvé moyen de dépenser dix mille francs
dans une seule soirée.


_Londres, 13 septembre 1831._--Le «Drawing-room» d'hier était plus
nombreux que jamais, par conséquent si long et si fatigant qu'il a
successivement mis le Mexique, l'Espagne et Naples hors de combat. Après
les évanouissements successifs des trois représentantes, nos rangs
étaient si clairsemés qu'il a fallu d'autant plus payer de sa personne.

Mme de Lieven s'est bravement assise sur les marches du trône et, de là,
elle a passé dans le cabinet du Roi où elle a fait _lunch_; elle est
ensuite revenue nous dire qu'elle n'était pas fatiguée et qu'elle n'avait
pas faim. Elle était tentée d'ajouter que nos jambes devaient être
reposées du repos des siennes et notre estomac satisfait de savoir le
sien restauré.

Les Pairesses, dans leur costume, avaient en général bon air. Il y en a
une, pauvre malheureuse, qui a payé cher le plaisir d'user du droit de
Pairesse: celui d'aller chez le Roi en dépit du Roi lui-même. Lady
Ferrers avait été une femme entretenue, ou à peu près, et la maîtresse de
son mari avant d'être sa femme. Lord Howe a dit à lord Ferrers que la
Reine ne recevrait pas sa femme, mais lord Ferrers ayant répondu que le
droit des Pairesses était d'entrer chez la Reine, on n'a pas pu s'y
opposer. Seulement on l'a prévenu que la Reine détournerait la tête
lorsqu'elle passerait; c'est ce qui a eu lieu. Mais je dois dire que le
bon cœur de la Reine a paru encore dans cette circonstance. Elle a eu
l'air de commencer à causer avec la princesse Auguste avant que lady
Ferrers fût devant elle; elle n'a pas interrompu sa conversation et on
pouvait croire que la pauvre proscrite était passée inaperçue et non pas
insultée. J'en ai su bon gré à la Reine.

Le dîner était magnifique et le Roi dans un train de bonne humeur
vraiment comique. Il a fait des _speeches français_ étonnants. On dit
qu'après le départ des dames il a donné dans le graveleux à un point
inouï. Jamais je ne l'ai vu si en gaieté. Je crois qu'un courrier arrivé
de Paris un peu avant le dîner, qui a apporté à lord Palmerston et à M.
de Talleyrand la nouvelle que les troupes françaises commenceraient à
évacuer la Belgique le 27 et seraient toutes rentrées en France le 30,
était pour quelque chose dans l'hilarité du Roi. Lord Grey en était
rayonnant.

Les nouvelles du choléra sont mauvaises: il arrive en Suède par la
Finlande, et, en trois jours, sur soixante malades à Berlin, trente en
sont morts.

Il y a eu assez de bruit à Paris pour que M. Perier s'y soit porté
lui-même à cheval, en habit de ministre; sa présence a bien fait.

Il paraît que les affaires belges sont décidément finies et M. de
Talleyrand disait hier qu'il serait en France à la fin d'octobre; mais
j'ai déjà vu tant de hauts et de bas dans ces affaires que je ne sais
plus rien prévoir à huit jours de distance.


_Cambridge-Wells, 16 septembre 1831._--Je viens de visiter Eridge
Castle[2], qui appartient à un richard misanthrope, octogénaire, que le
malheur a poursuivi, dont le titre est celui de Earl of Abergavenny, mais
dont le nom de famille est Neville; c'est un des cousins de lord Warwick.
Le fameux Guy, Earl of Warwick, surnommé «The King's Maker», était un
Neville. Eridge Castle lui appartenait. Plus tard la reine Elisabeth y
fut fêtée.

  [2] Eridge Castle est situé dans le comté de Sussex. Il
  appartient encore aux Abergavenny.

Le château, sur les fondations antiques, a été rebâti dans l'ancien style
avec un soin particulier par le propriétaire actuel. Tout est
parfaitement d'accord, tout est élégant, riche; la perfection des
boiseries et la beauté des vitraux de couleur, remarquables;
l'appartement particulier de lord Abergavenny, extrêmement lugubre. Le
château est sur un point très élevé, avec un lac de vingt arpents au pied
de la colline, mais ce vallon est encadré de collines plus élevées encore
que celle du centre sur laquelle est le château, et elles sont toutes
couvertes d'arbres si beaux et en si grande quantité, qui se prolongent
pendant tant de milles, que cela forme une véritable forêt. C'est la vue
la plus boisée, la plus romantique et, en même temps, la plus
profondément mélancolique que j'aie jamais rencontrée. Ce n'est pas de
l'Angleterre, c'est encore moins de la France; c'est la Forêt Noire,
c'est la Bohême. Je n'ai jamais vu de lierres comparables à ceux qui
tapissent les tours, les balcons et toute cette demeure; enfin, j'en ai
eu la tête tournée.

Dans le parc est un bouquet de sapins, bien hauts, bien sombres, qui
entourent une source d'eau minérale parfaitement semblable à celle de
Tunbridge. Non seulement le parc est rempli de daims, mais il y a aussi
des cerfs, et quantité de vaches, de moutons et un beau troupeau de
buffles.

Lord Abergavenny est très charitable. Cent vingt ouvriers sont toujours
employés par lui. Depuis que les baigneurs de Tunbridge sont venus
dévaster son jardin, il ne permet à qui que ce soit de voir le parc ou la
maison. Il en a même refusé l'entrée, il y a quelque temps, à la
princesse de Lieven. Un billet touchant de la comtesse Batthyány et de
moi l'a attendri; il est sorti, après avoir laissé des ordres à ses gens
de nous tout montrer, et un homme à cheval nous a guidés dans les bois.
Ses gens l'aiment beaucoup, en disent mille biens et racontent fort bien
les malheurs qui ont frappé ce pauvre vieux homme.


_Londres, 17 septembre 1831._--En revenant de Tunbridge hier, j'ai visité
Knowles. C'est un des châteaux les plus anciens de l'Angleterre; bâti par
le Roi Jean-Sans-Terre, la plus ancienne partie de ce bâtiment est encore
de cette époque. Les archevêques de Cantorbéry ont longtemps possédé
Knowles, mais Cranmer, ayant trouvé que sa magnificence excitait les
murmures populaires, rendit Knowles à la Couronne. Élisabeth le donna aux
Sackfield, dont elle fit l'aîné comte de Dorset. Knowles est resté dans
cette famille jusqu'à présent et vient de passer aux mains de lady
Plymouth, sœur du duc de Dorset, qui a péri à la chasse sans laisser
d'enfants. Le vieux duc de Dorset actuel est un oncle du dernier; il a
hérité du titre, mais non de l'_Estate_ qui a passé aux femmes.

A mon tour, je sais faire aussi de la pédanterie: j'ai daigné consulter
un guide de voyage et j'ai trouvé une _housekeeper_! Cette vieille fée
montre fort bien l'antique et lugubre demeure de Knowles, dont la
tristesse est incomparable; je n'en excepte même pas la partie arrangée
par les propriétaires actuels, à plus forte raison celle qui est
consacrée aux souvenirs et à la tradition. Il n'y a là aucune imitation:
tout est ancien et original; on y voit cinq ou six chambres à coucher, le
Hall, trois galeries et un salon avec les meubles du temps de Jacques
Ier. Boiseries, meubles, tableaux, tout est authentiquement de cette
époque. L'appartement dans lequel Jacques Ier fut reçu par le premier
comte de Dorset est magnifique, orné de glaces de Venise, d'un lit en
brocard d'or et d'argent, d'une toilette en filigrane, de cabinets en
ivoire et en ébène, enfin de choses belles et curieuses. Des portraits de
toute l'Angleterre, et parmi cette immense quantité de croûtes, une
douzaine de peintures superbes de Van Dyck et de sir Robert Leslie. Le
parc est grand, mais il n'a rien de remarquable; il n'est bon qu'à
parcourir un peu vite.


_Londres, 19 septembre 1831._--Mes retours à Londres ne sont pas heureux.
Je reviens avant-hier pour apprendre la prise de Varsovie[3], et
aujourd'hui j'arrive de Stocke[4] pour apprendre les nouveaux et sérieux
désordres qui ont eu lieu à Paris, à l'occasion de la défaite des
Polonais. L'état de Paris était grave au départ des lettres; aux détails
contenus dans le _Times_ de ce matin, j'ajouterai que M. Casimir Perier a
courageusement tiré Sébastiani de danger en le mettant dans sa voiture;
arrivés à la place Vendôme, ils ont été obligés de se réfugier à l'hôtel
de l'État-Major. Les cris de «A bas Louis-Philippe» ont été vifs.

  [3] Varsovie, capitale du grand-duché de ce nom, avait été cédée
  aux Russes en 1815. En novembre 1830, il y éclata une
  insurrection terrible qui affranchit pour quelques mois la
  Pologne; mais, malgré une glorieuse campagne contre Diebitsch,
  Varsovie finit par être reprise par Paskéwitch le 8 septembre
  1831.

  [4] Stocke est situé dans le comté de Stafford et possède une
  grande manufacture de porcelaine créée par Wedgwood.

C'est aujourd'hui que probablement le sort du ministère se sera décidé à
la Chambre. Je sais que M. de Rigny était fort inquiet; la dernière
séance avait été très mauvaise.

J'ai aussi reçu une lettre très triste de M. Pasquier... Nos prévisions
auront été vraies et justes: Madère!


_Londres, 20 septembre 1831._--Le comte Paul Medem est arrivé hier et a
passé une grande partie de la journée avec moi.

Il avait quitté Paris le samedi soir. Je l'ai questionné à mon aise et je
l'ai trouvé avec son bon et froid jugement habituel; ne regardant rien
comme perdu, ni rien comme sauvé en France. Tout lui paraît livré au
hasard: la confiance est impossible; il dit de mauvaises paroles sur
l'impopularité du Roi, sur l'ignorance et la présomption de tous. Le seul
dont il fasse cas, c'est M. Perier, mais celui-ci est fort dégoûté et ne
se cache pas du manque de concours. Il fait un triste tableau de l'état
commercial et social de Paris. Tout y est méconnaissable: costumes,
manières, ton, mœurs et langage, tout est changé; les hommes ne vivent
plus guère qu'au café et les femmes ont disparu.

On a adopté de nouvelles locutions: on n'appelle plus la Chambre des
députés que _la Reine Législative_; la Chambre des pairs s'appelle
_l'Ancienne Chambre_; celle-ci n'existe plus comme pouvoir, pour
personne. On dit que c'est le Roi qui a le plus facilement abandonné
l'hérédité de la Pairie, espérant par là se populariser et obtenir une
meilleure liste civile: on ne suppose pas qu'elle excède douze millions;
en attendant, il touche chaque mois quinze cent mille francs.

Plusieurs théâtres sont fermés; l'Opéra et les Italiens attirent encore
du monde; mais si les premiers sujets continuent à jouer sur la scène,
dans les loges on ne voit plus guère que les doublures du beau monde.

Il paraît que l'Empereur Nicolas ne fera exécuter en Pologne que ceux
qui, dans les scènes sanglantes des clubs, ont assassiné les prisonniers
russes; la Sibérie s'ouvrira pour les autres. Quelle quantité de
malheureux nous allons voir faire irruption sur l'Europe et surtout en
France! Quoiqu'il soit bien naturel de leur offrir asile, je dois
convenir cependant que, dans la situation actuelle de la France, ce sont
de nouveaux éléments de désordre qu'on va y introduire. On dit que, dans
les émeutes, les réfugiés de tous les pays jouent un rôle premier.

Les nouvelles de Rio-de-Janeiro sont mauvaises pour les enfants que dom
Pedro y a laissés[5]; une révolte des hommes de couleur y a produit de
grands désordres.

  [5] Les enfants étaient: 1º Doña Jennaria, née en 1819; 2º Doña
  Paula, née en 1823; 3º Doña Francisca, née en 1824; 4º Dom Pedro,
  né en 1825, qui devint en 1831 empereur du Brésil, sous une
  régence.

Les scènes en Suisse sont déplorables[6].

  [6] La révolution française de 1830 fut pour la Suisse l'occasion
  d'agitations nouvelles. Bâle se morcela en 1832 en Bâle-Ville et
  Bâle-Campagne.

Il y a eu du mouvement à Bordeaux.

Miaoulis a fait sauter sa flotte pour ne pas obéir à Capo d'Istria[7].

  [7] Miaoulis s'était retiré à Poros où il s'était mis à la tête
  des Hydriotes révoltés.


_Londres, 21 septembre 1831._--L'émeute a recommencé dimanche soir à
Paris et a duré toute la matinée du lundi[8], et il y avait de mauvais
symptômes de tous les genres; l'aspect de la ville était grave à tous
égards, et si les interpellations annoncées par Mauguin et Laurence
avaient été remises de vingt-quatre heures, c'est qu'on croyait à une
dislocation immédiate du ministère, si ce n'est entière, du moins
partielle. Bonté divine! Où en sommes-nous et où allons-nous?

  [8] De mars à septembre 1831, l'insurrection, ou tout au moins
  l'agitation et le tumulte furent à peu près permanents dans les
  rues de Paris.

A propos de cela, on assure que les troupes qui sont à Madère sont prêtes
à faire leur soumission à doña Maria. Ce nom de Madère, prononcé, jeté
pour ainsi dire, il y a six mois sans grande réflexion, aura été une
prédiction. C'est là que nous chercherons refuge!

C'est Jules Chodron[9] qui est nommé second secrétaire de légation à
Bruxelles.

  [9] M. de Courcel.


_Londres, 22 septembre 1831._--Les lettres de Vienne disent que le
choléra y a paru le 9 de ce mois, et dans les premières vingt-quatre
heures y a enlevé cinquante personnes.

Bülow a des nouvelles de Berlin du 16: il y avait eu jusqu'à ce jour-là
trois cents malades sur lesquels deux cents avaient succombé. Il a beau
s'étendre, ce vilain mal, il ne paraît pas s'endormir.

M. Martin, qui nous est arrivé hier, dit grand mal du Midi de la France:
tout s'y divise en carlisme, bigotisme, républicanisme; de la raison,
nulle part; une absence d'autorité locale déplorable, une confusion, une
anarchie qui laisse le champ libre à tous les délits. Pauvre France!

Ici, on n'est guère mieux. J'ai été hier au soir à Holland-House où le
ministère avait l'air consterné. Il se sent, je crois, un peu coupable;
car, si ce pays-ci est menacé de scènes révolutionnaires, c'est que le
ministère l'aura voulu. Pour intimider la Chambre des pairs et lui
arracher le «Bill de réforme», il excite les meetings et les mouvements
menaçants qui se préparent.

Lord Grey était particulièrement soucieux d'une réunion qui aurait eu
lieu hier chez le duc de Wellington. Il ne sait pas s'il osera faire des
pairs sans perdre des voix sur lesquelles il comptait, et qui se
retireraient de lui si la Pairie était prostituée. Enfin, les embarras,
d'une espèce et d'une autre, couvrent la terre.

Dimanche soir, on a promené dans Paris des bonnets de la liberté sur des
piques et on a fait d'autres gentillesses du même genre. Les lettres de
lundi, à deux heures, mandent que, dans la crainte de voir former des
barricades, on avait enlevé tous les matériaux qui se trouvaient sur la
place Louis XV et qu'on les avait entassés dans les cours des maisons
voisines.


_Londres, 23 septembre 1831._--Il a fait assez beau temps hier pour la
fête de Woolwich à laquelle j'ai assisté. C'est très imposant de voir
lancer un grand bâtiment de guerre et de le voir entrer ensuite dans le
bassin où il doit être mâté.

Nous étions dans une tribune près de celle du Roi; il y avait du monde
par torrents; des bateaux à vapeur, des barques en multitude, beaucoup de
musiques, de cloches, de coups de canon, presque du soleil, des
uniformes, de la parure, enfin de tout ce qui donne un grand air de fête.

Le Roi a mené un petit détachement du Corps diplomatique, dont je faisais
partie, voir une frégate en miniature destinée en cadeau au Roi de Prusse
et qui est charmante: toute en bois d'acajou et en cuivre. Puis il nous a
conduits déjeuner à bord du _Royal Sovereign_, vieux yacht doré et
chamarré du temps de George III. Le Roi m'a adressé un toast pour le Roi
des Français, et à Bülow un autre toast pour Sa Majesté Prussienne. Il a
oublié Mme Falk; la duchesse de Saxe-Weimar, qui ne prenait pas cet oubli
en patience, s'est mise à fondre en larmes, ce qui a fait revenir la
mémoire au Roi, et il a fait alors des excuses à Mme Falk en buvant à la
santé du Roi de Hollande.

J'ai dîné avec le duc de Wellington, qui était de très bonne humeur; il
espère que le «Bill de réforme» sera rejeté par la Chambre des pairs, à
la seconde lecture qui aura lieu le 3 octobre. Lord Winchelsea a déclaré
qu'il voterait contre; le ministère lui a alors demandé la démission de
sa charge de Cour, que le Roi n'a pas voulu accepter.

Il est arrivé hier soir une estafette de Paris, du 20, pour dire que les
émeutes étaient finies et que le ministère avait eu l'avantage dans la
Chambre des députés; mais en même temps, on mande que ce qui s'est passé
prouve qu'il faut avoir le traité belge sur les bases qui ont été
proposées dans la dépêche du 12.


_Londres, 25 septembre 1831._--Nous avons reçu les détails de la séance
de la Chambre des députés dans laquelle le ministère a triomphé. Ce
triomphe a été un ordre du jour, motivé d'une manière honorable pour le
gouvernement, qui a eu une majorité de 85 voix. 357 votants: 221 pour M.
Perier, 136 contre. Voilà, pour le moment, les choses remises dans une
sorte d'équilibre, mais elles ne m'inspirent aucune confiance, car cette
nouvelle Chambre a encore des preuves à donner, dans les questions de
l'hérédité de la Pairie, de la liste civile, du budget, et je ne la
trouve nullement préparée à bien dire ni à bien faire.

On écrit encore en rendant justice au courage de lion de M. Perier, en
représentant le pays comme bien malade et Pozzo fort inquiet malgré le
mariage de son neveu, qui le ravit.

Nous avons eu à dîner trois messieurs d'Arras, recommandés par le baron
de Talleyrand, des Français, de ceux qui s'appellent de la _classe
moyenne_, à laquelle ils se font gloire d'appartenir: parmi les trois, il
y avait un petit monsieur de dix-sept ans, élève de rhétorique au lycée
Louis-le-Grand, qui vient ici pour ses vacances et qui est déjà aussi
bavard et aussi tranchant qu'on peut le souhaiter: il donne tout plein
d'espérance d'être un jour un des hurleurs de la Chambre.


_Londres, 27 septembre 1831._--Hier, la Conférence a adopté un protocole
qui va produire Dieu sait quoi! Les Hollandais et les Belges n'ayant pu
s'entendre en aucune manière, ni même se rapprocher, la Conférence, pour
éviter la reprise des hostilités, terminer enfin cette difficile,
délicate et dangereuse question, et arrêter la conflagration qu'elle est
toujours au moment de produire, s'est constituée hier arbitre et va
procéder à cet arbitrage, dont le résultat sera pris sous sa protection
et garantie. Comment cela va-t-il être pris à Paris? M. de Talleyrand
croit qu'on se fâchera d'abord, puis qu'on cédera, et que d'ailleurs il
n'y avait pas de choix: «Ceci, dit-il, est la seule et unique manière
d'en finir.»


_Londres, 29 septembre 1831._--M. de Montrond est arrivé hier; il parle
avec le dernier mépris de Paris et de tout ce qui s'y passe. Il annonce
que le Roi va demeurer aux Tuileries, après une bataille très rude livrée
par ses ministres, qui lui ont encore, dans cette occasion-ci, mis le
marché à la main. Il leur a fallu aussi persuader la Reine qui y avait
grande répugnance; cependant, ils ont vaincu toutes les déplaisances et
cela va se faire.

Il paraît qu'au Palais-Royal, le Roi ne peut plus bouger sans être
accueilli par les mots les plus durs; on lui crie: «_Bavard...
Avare..._»; on passe à travers la petite grille intérieure des couteaux
avec lesquels on le menace, enfin des horreurs!



1832


_Londres, 23 mai 1832._--Hier, j'ai eu une longue visite du duc de
Wellington. Il m'a dit qu'il regrettait que les convenances personnelles
de M. de Talleyrand le décidassent à quitter l'Angleterre, même
momentanément; qu'un remplaçant, quel qu'il fût, ne pourrait jamais
maintenir les choses au point où M. de Talleyrand les avait conduites;
qu'ici, il avait une position première et une influence prépondérante,
non seulement sur ses confrères diplomatiques, mais encore sur le Cabinet
anglais; qu'il était, en général, extrêmement considéré dans le pays, où
on lui savait gré de se tenir éloigné de toute intrigue; qu'il était le
seul qui pût maintenir, «sous quelque ministère que ce fût», l'union de
la France et de l'Angleterre; que lui, duc de Wellington, craignait que
les autres membres de la Conférence ne prissent le haut ton avec le
remplaçant de M. de Talleyrand, et qu'à son retour, celui-ci ne trouvât
un état de choses différent, et le terrain perdu difficile à ressaisir;
qu'enfin, si M. de Talleyrand ne revenait pas à Londres, on ne pouvait
plus compter sur la durée de la paix.

Il a ajouté que l'aspect des deux pays était bien grave, que toutes les
prévisions étaient insuffisantes, et que qui que ce soit ne pouvait dire
ce qu'apporteraient et «la réforme» par ses résultats futurs, et les
moyens révolutionnaires qui ont été mis en jeu pour l'obtenir, ni quelles
seraient les fantaisies royales, le «Bill de réforme» une fois passé.

Le duc de Wellington a été, comme toujours, fort naturel, fort simple, de
très bon sens, et, à sa façon, qui n'est pas phraseuse, très amical.


_Londres, 24 mai 1832._--M. de Rémusat est ici, il a, pour M. de
Talleyrand, une lettre du général Sébastiani qu'il n'a pas encore remise.

Il m'en a envoyé une du duc de Broglie qui partait pour la campagne,
assez soucieux, ce me semble, de l'état de décomposition de toutes choses
en France. Il me réfère à ce que M. de Rémusat me dira, mais je connais
celui-ci: il a de l'esprit, mais c'est un esprit dédaigneux, dénigrant,
tout emmailloté de formes doctrinaires; même dans le temps où je voyais
le plus les personnes de cette société, je le trouvais, lui,
singulièrement désagréable, et je n'ai pas idée qu'il me fasse
aujourd'hui une autre impression.


_Londres, 25 mai 1832._--M. de Rémusat, que j'avais vu hier soir, m'avait
annoncé sa visite pour ce matin, _pour m'apprendre Paris_, m'a-t-il dit.
On sait que les doctrinaires enseignent toujours quelque chose! Il sort
de chez moi. C'est très long à apprendre, la France, car il me l'a
enseignée pendant plus de deux heures.

Ce qui m'en reste, c'est que le voyage de M. de Rémusat ici est une sorte
de mission, qui lui a été confiée par les honnêtes gens du juste milieu,
tels que MM. Royer-Collard, Guizot, Broglie, Bertin de Veaux, même
Sébastiani, qui est en guerre ouverte avec Rigny. Cette mission consiste
à décider M. de Talleyrand à accepter la présidence du Conseil, ou, si
cela ne se peut, à être le patron d'un nouveau ministère dans lequel
Sébastiani serait conservé et qu'on fortifierait en y faisant entrer
Guizot, Thiers, Dupin. Tel qu'il est, décomposé et désuni, le ministère
ne saurait durer; mais il faut décider le Roi à choisir des hommes plus
forts, résolus à suivre le système de M. Perier et capables, par leur
talent, d'en imposer à la Chambre. On voudrait que M. de Talleyrand, à
Paris, fît assez sentir au Roi le péril de sa situation pour le
déterminer à pareille chose. Voilà ce que M. de Rémusat est chargé
d'obtenir de M. de Talleyrand, et sur quoi il s'est donné la peine de
m'endoctriner. M. de Talleyrand est beaucoup trop déterminé à ne faire
partie d'aucune administration pour être ébranlé sur ce point. Certes,
son intention a toujours été de parler au Roi selon sa conscience, mais
qu'en obtiendrait-il?... Pas grand'chose peut-être...


_Londres, 29 mai 1832._--Quelle journée que celle d'hier! Le
«Drawing-room» qui a duré jusqu'à plus de cinq heures! C'était
l'anniversaire du jour de naissance du Roi, qui, ayant appris que la
princesse de Lieven et moi ne dînions pas chez lord Palmerston, nous a
choisies pour représenter le Corps diplomatique à son dîner.

Il n'y avait à ce dîner, excepté la famille légitime et illégitime, que
le strict service et quelques vieux amis du Roi, comme le duc de Dorset
et lord Mount-Edgecumbe.

Le Roi ne s'est pas fait faute de toasts: le premier à Mme de Lieven, sur
ce qu'après les longues années pendant lesquelles elle avait représenté à
Londres une Cour toujours amie de celle de la Grande-Bretagne, il la
regardait comme une amie personnelle. Puis à moi: «Je vous connais depuis
moins de temps, Madame, mais vous nous laissez ici des souvenirs qui nous
font désirer votre retour et que vous nous reveniez avec la bonne santé
que vous allez chercher aux eaux. Les circonstances délicates et
difficiles dans lesquelles votre oncle s'est trouvé ici, et pendant
lesquelles il a montré tant de loyauté, d'intégrité et d'habileté, me
font attacher beaucoup de prix à ce qu'il nous revienne et je vous prie
de le lui dire.» Puis à Mme de Woronzoff, sur ce que, par son mari, elle
était aussi Anglaise que Russe.

Mme de Lieven a répondu par un mot de reconnaissance, et moi de même,
mais cette pauvre Mme de Woronzoff, en voulant aussi exprimer ses
remerciements, s'est embrouillée de telle sorte que le Roi a repris la
parole et j'ai cru que ce dialogue ne finirait plus.

Après la santé de la Reine, le Roi a remercié pour elle en anglais, en
ajoutant qu'aucune Princesse ne méritait davantage le respect et
l'attachement de ceux qui la connaissaient, car personne ne savait mieux
remplir les devoirs de sa position. Il a alors donné le signal de se
lever, et immédiatement celui de se rasseoir, et s'adressant à la
duchesse de Kent, il a porté la santé de la princesse Victoria, comme
étant la seule qui, par la divine Providence et les lois du pays, devait
lui succéder, et à laquelle il comptait laisser les trois Royaumes, avec
leurs droits, leurs privilèges et leur constitution intacte comme il les
avait lui-même recueillis. Tout cela était accompagné de tant
d'assurances d'une bonne santé personnelle, de force, de volonté de vivre
et de se bien porter, et de la nécessité qu'il y avait que, dans les
circonstances difficiles du présent, il n'y eût pas de minorité, que tout
le monde s'est demandé s'il avait voulu être agréable ou désagréable à la
duchesse de Kent, qui était pâle comme la mort; ou bien si, à cause des
Fitzclarence qui se mêlent d'avoir des prétentions princières, il a voulu
établir qu'il ne reconnaissait d'héritier possible que la jeune
Princesse. D'autres prétendent que le tout était dirigé contre le duc de
Sussex, qui était absent puisqu'on lui a défendu la Cour. Il paraît que
le parti populaire voudrait le porter au trône ou que du moins le Roi se
l'imagine et que c'est là ce qui nous a valu ce très long speech.

Avant la fin de la soirée, le Roi est venu deux fois à moi pour me dire
qu'il ne fallait pas que M. de Talleyrand s'absentât longtemps, que la
paix du monde dépendait de sa présence à Londres, et sur cela force
éloges et gracieusetés. On n'a pas idée de ce qu'on nous montre, de tous
côtés, de regrets obligeants qui ont l'air sincères.


_Londres, 30 mai 1832._--M. de Talleyrand a reçu des lettres du Roi et de
Sébastiani, écrites au moment du départ pour Compiègne: ils assurent
qu'ils useront de tout leur crédit sur le roi Léopold pour le déterminer
à se soumettre pleinement à la Conférence, afin de laisser aux Hollandais
tout l'odieux du refus; mais ils veulent que M. de Talleyrand emporte ici
l'évacuation d'Anvers, à laquelle ils ne veulent entendre qu'après que
toutes les autres questions seront terminées. En apparence, les
entêtements hollandais ne diminuent pas et le mauvais esprit se ranime en
Belgique.

M. de Talleyrand partira aussitôt après l'arrivée de M. de Mareuil, et
espère, avant cela, être arrivé à établir une certaine force armée qu'on
appellerait l'armée combinée anglo-française et qui serait chargée de
couper le nœud gordien.


_Paris, 20 juin 1832._--J'attends M. de Talleyrand après-demain soir.

Je vois bien du monde maintenant: on m'assomme, à la lettre. Que
d'absurdités, de fautes, de passions! Pauvre M. de Talleyrand! Dans quel
gâchis et dans combien d'intrigues ne va-t-il pas tomber!

Du reste, l'état de choses actuel, que tout le monde condamne, doit
nécessairement changer, au moins ministériellement; car le _tollé_ contre
le ministère est général et l'effroi se propage. La Vendée cependant
touche à sa fin et on croit la duchesse de Berry sauvée: ce serait un
point essentiel. Mais l'état du Cabinet est pitoyable; sa marche
saccadée, hésitante, des gaucheries sans nombre, tout assure sa
dissolution. On attend M. de Talleyrand pour frapper les grands coups:
pauvre homme!

La vraie difficulté est dans le caractère du chef suprême. Que tout ceci
est laid! Sébastiani s'en va chaque jour davantage; il m'a fait pitié
hier; il se rend compte de son état et il en est profondément malheureux.
Je vais ce soir avec lui à Saint-Cloud et je tremble qu'il ne tombe mort
à côté de moi dans la voiture.

Wessenberg m'écrit de Londres que le ministère y est triste, inquiet,
embarrassé de son triomphe et redoutant une chute prochaine. Je vois
qu'en Angleterre on est inquiet de l'état de l'Allemagne: le Corps
diplomatique se plaint ici du double jeu de Sébastiani à propos de ce qui
se passe sur le Rhin. Bref, personne n'est content, personne n'est
tranquille; c'est une singulière époque!...


_Paris, 6 septembre 1832._--On écrit à M. de Talleyrand que les
coquetteries qu'on avait faites à Pétersbourg avaient pour objet de
détacher l'Angleterre de notre alliance; qu'on avait été jusqu'à proposer
de remettre Anvers aux Anglais. Tout cela n'a pas pris, et la froideur a
succédé aux gentillesses. Toutes les difficultés de la Conférence
viennent maintenant de Bruxelles, où le mariage a exalté toutes les têtes
et où ils se croient en état de forcer la main à la France[10].

  [10] Léopold Ier, élu Roi des Belges en 1831, avait épousé, en
  1832, Louise, princesse d'Orléans, fille de Louis-Philippe, Roi
  des Français.


_Paris, 21 septembre 1832._--Il paraît que M. de Montrond est en
espérance de Pondichéry et fort désireux d'y aller. Les amis de
Sébastiani le disent entièrement rétabli depuis Bourbonne et naviguant
avec adresse au milieu des écueils que rencontre sa route ministérielle.

Le Roi des Pays-Bas fait le méchant, celui des Belges n'est pas plus
doux. La Conférence se fatigue, et a, dit-on, grand besoin de M. de
Talleyrand pour reprendre son ensemble.

On dit tous les Cabinets fort ébouriffés de ce qui se passe entre
l'Égypte et la Porte ottomane. Chacun recule, plus ou moins, devant les
résultats prochains du Nord, du Midi, du Couchant et du Levant, car
partout il en faut prévoir, sans que personne ait le courage d'y mettre
la main.


_Paris, 23 septembre 1832._--Voilà l'horizon qui se rembrunit de toutes
parts: aux singuliers événements d'Orient, à l'état précaire de
l'Allemagne et de l'Italie, au désaccord qui règne dans le Cabinet
français, à l'approche des Chambres françaises et à celle du Parlement,
aux complications portugaises, à l'obstination toujours croissante de la
Hollande, voici qu'il faut joindre le coup de foudre de la mort de
Ferdinand VII; guerre de succession et, par conséquent, guerre civile,
entre les partisans de don Carlos et ceux de la petite Infante; peut-être
intervention de l'Espagne en Portugal, et, par conséquent, apparition de
la France et de l'Angleterre dans la Péninsule.

D'un autre côté, changement de ministère à Bruxelles, et départs, si
précipités, du duc d'Orléans, du maréchal Gérard et de M. Le Hon pour la
Belgique. Ne sommes-nous pas, plus que jamais, dans le grabuge?

M. de Talleyrand reçoit force lettres, tant de Paris que de Londres, pour
presser son départ.


_Paris, 27 septembre 1832._--Quelle mystification que cette résurrection
de Ferdinand VII[11]! Au fait, c'est très heureux, car assurément les
complications ne manquent point, et une de moins, c'est quelque chose!

  [11] En 1832, le Roi Ferdinand VII tomba si gravement malade,
  qu'on le crut mort. Calomarde se réunit alors aux partisans pour
  faire signer au moribond un décret mettant à néant la déclaration
  de 1830, par laquelle le Roi abolissait la loi salique en
  Espagne.



1833


_Valençay[12], 12 octobre 1833._--M. Royer-Collard a passé une partie de
la matinée ici: original et piquant, grave et animé tout à la fois, fort
affectueux pour moi et aimable pour M. de Talleyrand. Le temps actuel,
qu'il ne fronde cependant pas publiquement, lui déplaît au fond et il en
médit dans sa solitude.

  [12] Valençay, où la duchesse de Dino venait de se transporter,
  est situé dans le département de l'Indre. Le château et le parc
  en sont magnifiques, avec de belles eaux. Le château fut bâti au
  seizième siècle par la famille d'Étampes, d'après les dessins de
  Philibert Delorme. Il servit de prison d'État de 1808 à 1814 pour
  Ferdinand VII et les Infants d'Espagne, par ordre de Napoléon
  Ier. Le prince de Talleyrand, qui s'en était rendu propriétaire à
  la fin du dix-huitième siècle, aimait ce séjour et l'habita
  beaucoup.

Une lettre de Vienne de M. de Saint-Aulaire dit ceci: «Mes vacances
d'été, que je viens de passer à Baden, n'ont pas été troublées par les
réunions de Téplitz et de Münchengraetz[13], parce qu'on ne m'a rien
donné à faire et que, pour ma part, je ne concevais aucune inquiétude.
Voici M. de Metternich qui revient à Vienne, il faudra régler nos
comptes, et mes vacances vont finir.--Les mesures qu'on juge à propos de
prendre pour l'Allemagne seront apparemment très incisives; s'il n'en
était pas ainsi, la tentative serait niaise. La France restera-t-elle
spectatrice inerte? Oui, si l'on m'en croit; du moins tant que quelque
Prince directement intéressé n'appellera pas au secours pour le maintien
de son indépendance. Le Roi de Hanovre serait un bon chef de file; s'il
ne veut pas se porter en avant, je ne compte guère sur le prince
Lichtenstein. Je sais qu'on croit en Angleterre que M. de Metternich
s'est moqué de nous et qu'il était de moitié avec la Russie pour le
traité de Constantinople du 8 juillet dernier: je persiste à soutenir
qu'il était dupe et non complice, et je voudrais qu'on ne s'y trompât
pas, moins pour l'honneur de mon amour-propre que parce que la partie me
semble différente à jouer, suivant que la bonne intelligence sera réelle
ou apparente entre l'Autriche et la Russie. Frédéric Lamb m'a conté hier,
en détail, la campagne du duc de Leuchtenberg en Belgique, dont je savais
quelque chose par les bruits de ville; pas un mot par le ministère, car
on a la mauvaise habitude de nous tenir toujours les plus mal informés,
entre les diplomates de tous les pays.»

  [13] Les trois grandes puissances alliées, l'Autriche, la Prusse
  et la Russie, se réunirent plusieurs années de suite, soit à
  Téplitz, soit à Münchengraetz, pour y délibérer ensemble sur la
  situation de l'Europe. Elles y tombèrent d'accord pour se
  garantir, par un nouveau pacte secret, leurs possessions
  respectives en Pologne, soit contre une agression venant du
  dehors, soit contre un mouvement révolutionnaire intérieur. Elles
  s'y occupèrent également des affaires de France et d'Italie, du
  travail continuel des sectes et des réfugiés italiens sur le sol
  français, qui inspiraient alors de grandes inquiétudes au sujet
  de la tranquillité de la Péninsule. On finit par y décider que
  les Cabinets d'Autriche, de Prusse et de Russie enverraient
  chacun une note séparée au gouvernement du Roi Louis-Philippe,
  pour l'engager à surveiller avec plus d'attention les menées
  révolutionnaires.


_Valençay, 23 octobre 1833._--La duchesse de Montmorency est toute
fraîche sur Prague, à cause de ce que sa fille aînée lui en a conté.
C'est Charles X qui a été mener ses deux petits-enfants à leur mère, à
Leoben, précisément pour empêcher Mme la duchesse de Berry d'aller à
Prague; il paraît que, de Leoben, elle retournera en Italie. M. le
Dauphin et Mme la Dauphine n'ont pas voulu être du voyage[14].

  [14] Louis-Antoine, duc d'Angoulême (1773-1844) fils aîné du Roi
  Charles X, avait épousé en 1799, durant l'émigration, sa cousine
  Marie-Thérèse-Charlotte, fille du Roi Louis XVI et de la Reine
  Marie-Antoinette, dont il n'eut pas d'enfant. Après 1830, le duc
  d'Angoulême céda ses droits à son neveu, le duc de Bordeaux
  (comte de Chambord), et vécut en simple particulier.

On dit Charles X extrêmement cassé, Mme la Dauphine vieillie, maigrie,
nerveuse, pleurant sur tout et toujours. Certes, quelque force d'âme
qu'elle puisse avoir, ses infortunes ont été d'un genre à briser le cœur
le plus haut et l'esprit le plus mâle: c'est, incontestablement, la
personne la plus poursuivie par le sort que l'histoire puisse offrir.

M. de Blacas est le grand directeur de toute cette petite cour, et le
plus opposé à ce que Mme la duchesse de Berry s'y établisse.

J'ai vu une lettre de M. Thiers, qui dit à propos de son mariage: «Mon
grand moment approche; je suis agité, comme il convient, et j'aime ma
jeune femme, plus qu'il ne convient, à mon âge; j'ai donc bien fait d'en
finir à 35 ans plutôt qu'à 40, car j'en aurais été plus ridicule. Au
surplus, peu m'importe; je sais mettre de côté les fausses hontes. Mais
une chose m'est insupportable, c'est de livrer des êtres qui me sont
chers aux indignités et à la malice du monde. Pour moi, je suis aguerri,
mais je ne m'aguerrirai jamais et j'aurais cependant grand besoin de
m'aguerrir pour les gens que j'aime. Il faut bien que le monde aille son
train; il serait bien sot de vouloir qu'une si grosse machine changeât,
pour soi, son éternelle marche.»

Je désire sincèrement que sa philosophie ne soit pas mise à de trop rudes
épreuves, mais, comme dit le proverbe: «On est puni par où on a péché.»


_Valençay, 3 novembre 1833._--Je ne suis pas peu surprise que le duc de
Broglie n'ait pas écrit une seule fois à M. de Talleyrand; il m'a écrit
trois fois sur des affaires privées, annonçant chaque fois une lettre
pour M. de Talleyrand et cette lettre n'est jamais venue.

Mme Adélaïde a écrit deux fois, très bien, avec des désirs exprimés de
voir M. de Talleyrand retourner à Londres, mais sans interpellation
positive; je crois, cependant, qu'elle et le Roi le désirent bien
davantage que M. de Broglie, et je crois qu'il faut s'en prendre à
quelque intrigue entre lord Granville et lord Palmerston, si le désir du
Roi n'est pas plus nettement exprimé jusqu'à présent.

M. de Talleyrand n'est décidé à rien; il y a tant d'inconvénients réels à
entrer dans le mouvement actif de la politique, mais d'un autre côté, il
y a tant d'inconvénients réels à rester en France, que, lors même que je
voudrais donner un conseil, je ne saurais celui, qu'en conscience, dans
l'intérêt bien entendu de M. de Talleyrand, je devrais lui offrir. Il
est effrayé, et je le suis pour lui, de l'isolement, de l'ennui, de la
langueur de la province ou de la campagne, mais il est convaincu aussi de
l'impossibilité de Paris, où il porterait, aux yeux du public, une
responsabilité politique dont il n'aurait ni l'intérêt, ni le pouvoir. Il
ne se dissimule pas davantage la gravité et la complication des affaires
qu'il retrouverait à Londres, augmentées par la nature des individus avec
lesquels il se trouverait en rapport, des deux côtés de la Manche; enfin,
il comprend à merveille qu'il peut reperdre sur une seule carte tout ce
qu'il a si miraculeusement gagné depuis trois ans.

Il est fort agité de tout ceci, et je le suis pour lui encore plus que
lui-même. C'est bien le cas de répéter, en nous l'appliquant, ce que
disait M. Royer-Collard au mois de juin 1830, en parlant de la lutte
entre le ministère Polignac et la France: «Une fin? sûrement. Une issue?
Je n'en vois pas.»


_Valençay, 10 novembre 1833._--M. de Talleyrand vient de recevoir des
lettres de Broglie et du Roi Léopold. Le premier lui dit que le Roi des
Pays-Bas fait la démarche à Francfort; que la confédération germanique et
le duc de Nassau disent _oui_ à la première sommation; qu'il est certain
que Dedel recevra, d'ici à quinze jours, les instructions nécessaires
pour rentrer activement dans la Conférence; que lui Broglie, ainsi que le
Roi, désirent vivement que M. de Talleyrand soit à cette époque à Paris,
pour y convenir de toutes choses; pour y apprendre, de plus, les détails
de la Conférence de Münchengraetz sur les affaires d'Espagne, et pour
retourner ensuite à Londres.

La lettre du Roi Léopold est pour dire que la Belgique ne veut rien payer
à la Hollande: cette espèce de déclaration est enveloppée de gracieusetés
mielleuses.


_Valençay, 11 novembre 1833._--Voici le sens, à peu près, de la réponse
de M. de Talleyrand au duc de Broglie: «Mon cher Duc, vous avez trop
bonne opinion de ma santé, mais vous aurez toujours raison d'en avoir une
excellente de mon amitié pour vous et de mon dévouement au Roi. Je ne
puis vous en donner une meilleure preuve qu'en tirant, au milieu de
l'hiver, mes quatre-vingt-deux ans, de mon repos et de ma paresse
actuels, pour arriver à Paris le 4 décembre, ce que je vous promets.
Quant à aller à Londres, je n'en vois pas trop la nécessité: je suis bien
vieux, tout autre y fera maintenant aussi bien, si ce n'est mieux que
moi.

Nous causerons à Paris, et ma vieille expérience, que vous faites
l'honneur de consulter, vous dira franchement ce qu'elle pense sur ce que
vous lui apprendrez du monde politique; je ne suis plus bon qu'à cela.
Mais si, cependant, par impossible, vous parvenez à égarer assez mon
amour-propre, jusqu'à lui persuader que je suis, pour quelque temps
encore, indispensable, ou à peu près, à vos affaires, alors, sans doute,
je croirai de mon devoir de m'y livrer, jusqu'à ce qu'elles soient
accomplies, mais aussitôt après je retournerai à ma tanière, pour rentrer
dans l'engourdissement qui seul me convient maintenant. Quoi qu'il en
soit, d'ici à quelques semaines, rien ne périclite entre les mains de M.
de Bacourt, qui, j'en suis convaincu, justifie de plus en plus, par son
activité et sa sagesse, tout le bien que je vous ai dit de lui. Adieu!»


_Valençay, 12 novembre 1833._--On commence à être inquiet des affaires
d'Espagne: les provinces du Nord sont toutes à don Carlos; Madrid,
Barcelone, Cadix et presque tout le Midi sont à la Reine à la condition
que la révolution sera complète; c'est ce qui inquiète le plus le
gouvernement français.

L'attente des Chambres trouble un peu; le ministère s'y présentera tel
qu'il est, mais non sans crainte, car il y a bien quelques difficultés à
se présenter devant une Chambre qui doit vouloir se populariser, dans
l'espérance d'être réélue. Les énormes dépenses du maréchal Soult, peu ou
point de diminution de dépenses dans les autres ministères, sont des
difficultés qui pourront devenir de sérieux embarras.


_Paris, 9 décembre 1833._--Notre retour à Londres est décidé. Je suis
arrivée hier ici; j'ai trouvé, en arrivant, M. de Montrond sur le perron,
M. Raullin sur l'escalier, et, dans le cabinet, Pozzo chez lequel je dois
dîner demain. Celui-ci a l'air soucieux; il est fulminant contre lord
Palmerston, qu'on dit n'être à la mode nulle part. M. de Talleyrand n'est
pas d'avis que le duc de Broglie se laisse entraîner par lord Granville
autant que celui-ci le voudrait et il s'est nettement exprimé à cet
égard.

M. de Talleyrand ne croit pas à d'autres chances de guerre qu'entre
l'Angleterre et la Russie, et apportera tous ses efforts à la prévenir.
Il me paraît être au mieux avec Pozzo; il est aussi à merveille avec le
Roi et Madame Adélaïde qui commencent a être en défiance de lord
Palmerston, de lord Granville et à trouver que Broglie n'est pas assez
éclairé; d'ailleurs, qu'il les traite lestement et dédaigneusement; il se
montre aussi fort cachottier et défiant à l'égard de M. de Talleyrand. Il
faut pourtant parler en détail de sa fortune à ceux auxquels on veut
confier son argent.

Lady Jersey a été aux Tuileries; Mgr le duc d'Orléans a été tout à fait à
ses ordres ici. Au Château, où, en effet, on est un peu près de ses
pièces, en fait de beau monde, on a été charmé de l'arrivée de cette
aristocrate d'outre-mer. Cela a fait événement.

Le faubourg Saint-Germain est plus récalcitrant que jamais. L'Empereur
Napoléon avait des places à donner, des biens à rendre, des confiscations
dont il pouvait menacer; rien de tout cela maintenant. Aussi boude-t-on
avec une aisance et une insolence inimaginables. Le fait est que, quand
on n'y est pas obligé, la Cour est trop mêlée pour être tentante. J'en
suis fâchée pour la Reine que j'aime et que j'honore.

Il paraît que le baron de Werther a prodigieusement d'humeur contre lord
Palmerston et le duc de Broglie; il y a certainement bien de la mauvaise
humeur dans l'air, mais M. de Talleyrand dit encore qu'elle n'éclatera
pas en boulets rouges.


_Paris, 11 décembre 1833._--J'ai été hier dîner, avec M. de Talleyrand,
chez Thiers; il n'y avait que lui, sa femme, son beau-père, sa
belle-mère, Mignet, qui disait des pauvretés sur l'Espagne, et Bertin de
Veaux, qui ne parlait que des combats de taureaux qu'il avait vus à
Saint-Sébastien.

Mme Thiers, qui n'a que seize ans, paraît en avoir dix-neuf: elle a de
belles couleurs, de beaux cheveux, de jolis membres bien attachés, de
grands yeux qui ne disent rien encore, la bouche désagréable, le sourire
sans grâce et le front trop saillant; elle ne parle pas, répond à peine,
et semblait nous porter tous sur ses épaules. Elle n'a aucun maintien,
aucun usage du monde, mais tout cela peut venir; elle ne fera peut-être
que trop de frais pour d'autres que pour son petit mari, qui est très
amoureux, très jaloux, mais jaloux honteux, à ce qu'il m'a avoué. Les
regards de la jeune femme pour lui sont bien froids; elle n'est pas
timide, mais elle a l'air boudeur, et n'a aucune prévenance.

Je croyais à Mme Dosne des restes de beauté, mais il m'a paru qu'elle
n'avait jamais pu être jolie; elle a un rire déplaisant, qui a de
l'ironie sans gaieté; sa conversation est spirituelle et animée. Sa
toilette était d'un rose, d'un jeune, d'une simplicité affectée qui m'a
étonnée.


_Paris, 15 décembre 1833._--J'ai dîné hier chez le Roi. M. de Talleyrand
dînait chez le Prince royal. Pendant le dîner, le Roi ne m'a parlé que de
traditions, de souvenirs, de vieux châteaux; j'étais sur mon terrain.
Nous avons d'abord parlé à fond de la Touraine; il a promis des vitraux
de couleur et des portraits de Louis XI et de Louis XII pour Amboise, il
rachètera les restes de Montrichard et empêchera la ruine du château de
Langeais. S'il fait tout cela, mon dîner n'aura pas été perdu. Puis, il
m'a conté les restaurations qu'il faisait faire à Fontainebleau, et il a
fini par me développer son grand plan pour Versailles, qui est vraiment
grand, beau et digne d'un arrière-petit-fils de Louis XIV. Mais cela se
réalisera-t-il? Cette conversation nous a conduits aux nouveaux travaux
qu'il a fait exécuter aux Tuileries mêmes. Il a ordonné qu'on illuminât
tout, et, en sortant de table, il a parcouru tout le Château avec moi.

Tout est vraiment beau, très beau; et si l'escalier, qui est riche et
élégant, avait un peu plus de largeur, ce serait parfait. Cette promenade
nous a conduits du pavillon de Flore au pavillon de Marsan. Le Roi m'a
demandé, alors, si je voulais faire une visite à son fils; j'ai dit,
comme de raison, que je suivrais le Roi partout. Nous avons trouvé Mgr le
duc d'Orléans jouant au whist avec M. de Talleyrand; les amis de celui-ci
avaient été réunis au dîner par le Prince.

L'appartement du Prince royal est trop bien arrangé pour être celui d'un
homme. C'est le seul reproche qu'on puisse lui faire, car, du reste, il
est plein de belles choses trouvées dans le garde-meuble de la Couronne,
où la Révolution avait relégué les beaux meubles de Louis XIV. La
Restauration n'avait pas songé à les en tirer; M. le duc d'Orléans en a
placé une grande partie dans son appartement. C'est fort curieux; j'ai
été bien souvent aux Tuileries sans me douter des choses intéressantes
qui s'y trouvaient réunies; ainsi, j'ai vu, cette fois-ci, dans le
cabinet du Roi, parmi des choses que je ne connaissais pas, un portrait
de Louis XIV enfant, sous les traits de l'Amour endormi, et celui de la
reine Anne d'Autriche peinte en Minerve, et aussi des boiseries
emblématiques du temps de Catherine de Médicis, qui a fait construire les
Tuileries.

Le Roi est un admirable cicerone de ses châteaux: je me suis émerveillée
tout le temps qu'on pût si bien connaître les traditions de sa famille,
en être aussi fier, et... enfin!

Je pars après-demain pour Londres.



1834


_Londres, 27 janvier 1834._--Sir Henry Halford vient de me raconter que
le feu roi George IV, dont il était le premier médecin, lui ayant
demandé, sur l'honneur, deux jours avant sa mort, si son état était
désespéré, et sir Henry, avec une figure très significative, lui ayant
répondu qu'il était dans un état très grave, le Roi le remercia par un
signe de tête, demanda à communier, et le fit très religieusement; il
engagea même sir Henry à prendre part au sacrement. Lady Coningham était
dans la chambre à côté. Ainsi, aucun des intérêts humains ne fut banni de
la chambre de ce Roi moribond, charlatan, et communiant.


_Londres, 7 février 1834._--J'étais hier soir chez lady Holland, qui, en
finissant je ne sais quelle histoire qu'elle me contait, m'a dit: «Ce
n'est pas lady Keith (Mme de Flahaut) qui me mande cela, car il y a plus
de deux mois qu'elle ne m'a écrit.» Puis, elle ajouta: «Saviez-vous
qu'elle détestait le ministère français actuel?--Mais, Madame,» ai-je
répondu, «c'est vous qui avez appris il y a dix-huit mois à M. de
Talleyrand, tout le mal qu'elle disait ici du Cabinet français, au moment
de son origine.--C'est vrai, je m'en souviens; mais il faut néanmoins
que ce Cabinet dure. Lord Granville écrit à lord Holland que nous ne
devons pas croire tout ce que lady Keith nous mandera de la mauvaise
position de M. de Broglie, puisqu'elle est très hostile pour celui-ci et
désireuse de sa chute.» Je n'ai rien répliqué et cela en est resté là. Et
puis, parlez-moi des amitiés du monde!

Au reste, voici un assez drôle de mot qu'on écrit, de Paris, sur M. et
Mme de Flahaut: on prétend que leur faveur n'est plus aussi grande aux
Tuileries, où on dit que «lui, est une vieille coquette et, elle, un
vieux intrigant.»


_Warwick Castle[15], 10 février 1834._--J'ai quitté Londres avant-hier,
et suis venue ce jour-là jusqu'à Stony-Stratfort, où je n'engage personne
à jamais coucher: les lits y sont mauvais, même pour l'Angleterre; j'ai
réellement cru m'étendre sur une couchette de trappiste. J'en suis
repartie hier matin, par un brouillard bien froid, bien épais. Il n'y
avait pas moyen de juger le pays, qui à travers quelques éclaircies,
cependant, m'a semblé plutôt agréable; surtout à Iston Hall, beau lieu
qui appartient à lord Porchester. On passe devant une superbe grille d'où
on plonge dans un parc immense, par delà lequel on découvre un vallon qui
m'a semblé joli. Leamington[16], à deux lieues d'ici, est bien bâti et
gai.

  [15] Antique manoir, jadis une forteresse imprenable.

  [16] Leamington est un petit endroit de bains, situé sur le Leam,
  dans le comté de Warwick. Il doit toute sa renommée à des sources
  minérales et ferrugineuses, découvertes en 1797.

Quant à Warwick même, où je suis arrivée hier dans la matinée, on y
pénètre par une entrée de château-fort: il offre l'aspect le plus
austère, la cour la plus sombre, le _Hall_ le plus vaste, les meubles les
plus gothiques, la tenue la plus soignée qu'on puisse imaginer, tout cela
dans le genre féodal. Une rivière impétueuse et considérable baigne le
pied de vieilles tours crénelées, noires, hautes et imposantes; elle fait
un bruit monotone auquel répond celui d'arbres entiers, qui éclatent en
brûlant dans des cheminées de géants. Des souches énormes sont empilées
sur des tréteaux dans le _Hall_; il faut deux hommes pour les prendre et
les jeter dans l'âtre; ces tréteaux sont établis sur des dalles de marbre
poli.

Je n'ai encore jeté qu'un rapide coup d'œil sur les vitraux de couleur
des grandes et larges croisées qui répondent aux cheminées, sur les
armures, les bois de cerf et les autres curiosités du _Hall_, sur les
beaux portraits de famille des trois grands salons. Je ne connais bien
encore que ma chambre, toute meublée de Boule, de noyer ciselé et pleine
de conforts modernes à travers toutes ces vieilles grandeurs!

Le boudoir de lady Warwick est aussi rempli de curiosités. Elle est venue
me prendre, hier, dans ma chambre, et après m'avoir montré ce boudoir,
elle m'a menée dans le petit salon où j'ai trouvé le fils de son premier
mariage, lord Monson, petite figure d'homme ou plutôt d'enfant, timide et
silencieux, par embarras de sa petite taille et de sa faiblesse de corps;
puis lady Monson, contraste frappant de son mari, grande et blonde
Anglaise, raide, osseuse, avec de longs traits, de larges mains, une
large poitrine plate, un air de vieille fille, des mouvements anguleux,
tout d'une pièce, mais polie et attentive; ensuite lady Eastnor, sœur de
lady Stuart de Rothesay, laide comme on l'est dans sa famille, et bien
élevée, comme le sont aussi toutes les filles de lady Hardwick; lord
Eastnor, grand chasseur, grand mangeur, grand buveur; son frère, un
_révérend_, qui, je crois, ne s'était pas rasé depuis Noël et qui n'a
ouvert la bouche que pour manger; lord Brooke, fils de la maison, du
second mariage, âgé de quinze ans, d'une très jolie figure; son
précepteur, silencieux et humble comme de raison; et, enfin _the striking
figure_ de lady Caroline Neeld, sœur des Ashley et fille de lord
Shaftesbury. Elle est célèbre par un procès contre son mari, dont les
journaux retentissaient l'année dernière; elle est l'amie de lady
Warwick, protégée, recueillie, défendue par elle. C'est une personne
bruyante, hardie, mal disante, avec des façons familières et un ton
risqué; elle a une jolie taille, de la blancheur, de beaux cheveux
blonds, ni cils ni sourcils, une figure longue et étroite, rien dans les
yeux, un nez et une bouche qui font penser à ce que Mme de Sévigné disait
de Mme de Sforze, qui était _un perroquet mangeant une cerise_.

Lord Warwick, retenu dans sa chambre par un rhumatisme goutteux, ne
semblait faire faute à personne.

La maîtresse de la maison est la moins convenable possible pour le lieu
qu'elle habite. Elle a été jolie, sans être belle; elle est naturellement
spirituelle, sans rien d'acquis. Elle ne sait pas même un mot de la
tradition de son château; elle a un tour d'esprit drôle et nullement
posé, ses habitudes de corps sont nonchalantes, et cette petite femme,
grasse, paresseuse, oisive, ne paraît nullement appelée à gouverner et à
remplir cette vaste, sérieuse et presque formidable demeure. D'ailleurs,
tout le monde me semble pygmée dans ce lieu-ci et il faudrait des gens
plus grands que nature, tels qu'étaient les _faiseurs de Rois_[17] pour
la remplir: notre génération est trop mesquine dans ses proportions pour
de tels lieux.

  [17] Voir à l'index biographique: Warwick (Guy, comte de)

La salle à manger est belle, mais moins grandiose que le reste. En
sortant de table, très longtemps avant les hommes, on nous a conduites
dans le grand salon, qui est placé entre un petit et un moyen. Dans ce
grand salon sont des Van Dyck superbes; une boiserie tout entière en bois
de cèdre dans sa couleur naturelle, l'odeur en est assez forte et
agréable; le meuble est en damas velouté où le gros rouge domine; force
meubles de Boule vraiment magnifiques, quelques marbres rapportés
d'Italie; deux énormes croisées faisant renfoncement et cabinets, sans
rideaux et seulement entourées de grands cadres cerclés en cèdre. Pour
tout cela, il y avait une vingtaine de bougies, qui me faisaient l'effet
de feux-follets, trompant l'œil plutôt qu'elles n'éclairaient la
chambre. Je n'ai, de ma vie, rien vu de si triste et de si _chilling_ que
ce salon; une conversation de femmes, très languissante... il me semblait
toujours que le portrait de Charles Ier et le buste du Prince Noir
allaient venir se mêler à nous, et prendre leur café devant la cheminée.
Les hommes sont enfin arrivés, le thé ensuite; à dix heures une espèce de
souper; à onze heures retraite générale, qui m'a semblé être un
soulagement pour tous.

J'ai, dans cette longue soirée, vingt fois pensé à la description que
Corinne fait du château de sa belle-mère.

A dîner, on n'a parlé que des _county-balls_, des _Leamington-spas_ et
des commérages du Comté: c'était, trait pour trait, la description de Mme
de Staël.

Ce matin, j'ai parcouru avec lady Warwick le château, que je connaîtrais
mieux si j'avais été livrée à moi-même, ou seulement aux prises avec une
des deux _housekeepers_ dont la plus ancienne a quatre-vingt-treize ans.
A la voir, on croirait qu'elle va vous parler de tous les York et
Lancastre. La maîtresse de la maison ne se soucie pas le moins du monde
de toutes les curieuses antiquités dont ce lieu-ci abonde et qu'il m'a
fallu voir en courant.

Je me suis cependant arrêtée devant la selle et le caparaçon du cheval de
la Reine Élisabeth, par lequel elle est venue de Kenilworth ici, puis je
me suis emparée du luth offert par lord Leicester à la Reine Élisabeth,
merveilleusement sculpté, en bois, avec l'écusson de la Reine en cuivre
doré, par-dessus et tout à côté de celui du favori, ce qui m'a paru assez
familier. J'ai remarqué un curieux portrait de la Reine Élisabeth dans
ses habits de couronnement et dans lequel elle ressemblait terriblement à
son terrible père. Lord Monson, à l'occasion de ce portrait, m'a conté un
détail que j'ignorais: c'est que la Reine Élisabeth, qui voulait toujours
paraître jeune, n'a jamais permis qu'on fît son portrait autrement qu'en
face, et éclairé de façon à empêcher que les ombres ne portassent sur ses
traits, craignant que les ombres, en marquant les traits, ne marquassent
aussi les années. On dit que cette idée lui était si constamment
présente, qu'elle se mettait aussi toujours en face du jour, quand elle
donnait ses audiences.

La bibliothèque ici n'est pas très remarquable et ne me paraît pas très
fréquentée. La chambre à coucher de la Reine Anne avec le lit de l'époque
est une belle pièce.

A dix heures, nous sommes montées en calèche, lady Warwick et moi,
escortées par lady Monson et lord Brooke à cheval, et nous avons été, par
un pays assez médiocre, aux fameuses ruines de Kenilworth. Là, j'ai
éprouvé un mécompte réel; non pas que ces ruines ne donnent l'idée d'une
noble et vaste demeure, mais le pays est si plat, l'absence d'arbres est
si complète, que le pittoresque disparaît; à la vérité, le lierre y est
partout superbe, ce qui fait bien, mais ce qui n'est pas suffisant.

Lady Monson, moins ignorante de la localité que sa belle-mère, m'a fait
remarquer la salle des banquets; la chambre de la Reine Élisabeth; les
bâtiments construits par Leicester, et qui sont plus détériorés que ceux
des Lancaster, quoique plus modernes; le pavillon d'entrée sous lequel a
passé le cortège de la Reine et qui avait été bâti exprès: il est encore
en bon état, un fermier de lord Clarendon, auquel appartiennent les
ruines, l'habite. Il y a, dans l'intérieur de ce pavillon, un chambranle
de cheminée avec les chiffres et devise de Leicester. Le pavillon où
Walter Scott fait arriver Amy Robsard, est rendu célèbre par le
romancier, mais ne l'est pas dans l'histoire.

On ne m'a pas permis de monter sur les tours; depuis l'accident arrivé
l'année dernière à la nièce de lady Sefton, les ruines sont en mauvais
renom comme solidité; d'ailleurs, on m'a assuré que la vue n'en était
point remarquable.

Nous avons pris le chemin le plus long pour revenir et nous avons
traversé Leamington dans toute sa longueur. L'établissement des bains m'a
semblé joli, ainsi que toute la ville, animée maintenant par beaucoup de
gentlemen chasseurs, qui y vivent un peu comme à Melton Mowbray.

Il ne faisait pas encore sombre quand nous sommes revenues, et lady
Warwick m'a menée voir, au bout du parc de Warwick, qui est très bien
planté, une jolie vue de la rivière Avon, des serres qui ne sont ni très
soignées, ni très fleuries, mais dans lequelles se trouve le _Warwick
vase_: c'est un vase dans des proportions colossales, en marbre blanc,
d'une superbe forme, avec de beaux détails; il a été rapporté d'Italie et
du jardin de Trajan par le père du lord Warwick actuel.

Je retourne demain à Londres.


_Londres, 12 février 1834._--M. de Talleyrand m'a raconté qu'hier soir,
jouant au whist avec Mme de Lieven qui était partner de lord Sefton, la
Princesse, dans ses distractions habituelles, avait renoncé deux fois;
sur quoi lord Sefton a fait doucement remarquer qu'il était tout simple
que ces diables de Dardanelles fissent souvent renoncer Mme de Lieven:
cela a fait rire tous les assistants.

J'ai reçu de M. Royer-Collard une lettre dans laquelle je trouve la
phrase suivante: «Monsieur de Bacourt m'a extrêmement plu; sa
conversation nette, simple, judicieuse, m'a charmé; je n'en rencontre
guère ici d'aussi bonne. Nous nous entendons de tous points.»


_Londres, 15 février 1834._--La duchesse comtesse de Sutherland est venue
me prendre hier, et nous a menées Pauline et moi au _Panorama of the
North Pole_ où le capitaine Ross joue un grand rôle. Comme peinture et
perspective, c'est au-dessous de tout ce que j'ai vu dans ce genre; mais
tout ce qui se rapporte à d'aussi rudes épreuves et à des souffrances
aussi prolongées, est d'un véritable intérêt.

Un des matelots, qui avaient été d'abord avec le capitaine Parry sur la
_Furia_, puis ensuite avec le capitaine Ross, se trouvait, par hasard, à
ce Panorama. Il a donné à Pauline un petit morceau de la fourrure dont il
s'était couvert chez les Esquimaux, et à moi, un petit morceau de granit,
pris au point le plus nord de l'expédition. Nous l'avons beaucoup
questionné; il est revenu bien souvent sur le moment où ils ont aperçu
l'_Isabella_, qui les a rendus à leur patrie: c'était le 26 août. Il a
ajouté que, tant qu'il vivrait, il boirait chaque année, ce jour-là, au
souvenir de cette heureuse apparition.

Nous avons eu, hier soir, un raout chez nous. Il n'avait rien de
remarquable comme toilettes, comme beautés, ni comme ridicules. Le
marquis de Douglas était beau à ravir: miss Emily Hardy m'en a paru
frappée.

Le ministère était représenté par lord Grey, lord Lansdowne, lord
Melbourne. Ce ministère est fort embarrassé, car il se passe chaque jour,
aux Communes, des incidents qui font éclater le schisme trop réel parmi
eux; la figure de lord Grey en portait hier une visible empreinte.


_Londres, 20 février 1834._--Il y a une nouvelle histoire, fort vilaine,
qui circule sur M. le comte Alfred d'Orsay. La voici: sir Willoughby
Cotton écrit, le même jour, de Brighton, à M. le comte d'Orsay et à lady
Fitzroy-Somerset; il se trompe d'adresse et voilà M. d'Orsay qui, en
ouvrant celle qui lui arrive, au lieu de reconnaître sa méprise à la
première ligne, qui commence par «_Dear Lady Fitzroy_», lit jusqu'au
bout, y trouve tous les commérages de Brighton, entre autres des
plaisanteries sur lady Tullemore et un de ses amoureux, et, je ne sais
encore à quel propos, un mot piquant sur M. d'Orsay lui-même. Que fait
celui-ci? Il va au club, et, devant tout le monde, lit cette lettre, la
met ensuite sous l'adresse de lord Tullemore auquel il l'envoie. Il a
failli en résulter plusieurs duels. Lady Tullemore est très malade, le
coupable parti subitement pour Paris. On est intervenu, on a assoupi
beaucoup de choses, pour l'honneur des dames, mais tout l'odieux est
resté sur M. d'Orsay.


_Londres, 27 février 1834._--On s'amuse à répandre le bruit du mariage
de lord Palmerston avec miss Jermingham: elle était hier à l'ambassade de
Russie, chamarrée et bigarrée, à son ordinaire: elle y a été l'objet des
moqueries de Mme de Lieven, qui, cependant, n'a pas cru pouvoir se
dispenser de l'inviter. Pour se venger, peut-être, de cette nécessité,
elle disait, assez haut, que miss Jermingham lui rappelait
l'avertissement du journal le _Times_ que voici: _A house-maid wants a
situation in a family where a footman is kept_[18]. C'est assez joli,
assez vrai, mais peu charitable... Elle ajoutait avec complaisance, à
cette occasion, que les journaux satiriques avaient donné à lord
Palmerston le surnom de _venerable cupid_...

  [18] Une fille de service demande une place dans une famille où
  il y a un valet de pied.

_Londres, 1er mai 1834._--M. Salomon Dedel est arrivé ce matin de la
Haye, il m'a apporté une lettre du général Fagel. J'y trouve ce qui suit:
«Quelqu'un a su que lord Grey avait manifesté l'espoir que Dedel
reparaîtrait à Londres, muni d'instructions pour en finir. Dedel en parle
au Roi et celui-ci lui répond: «Votre absence a eu pour motif de venir
voir vos parents et vos amis, et vous pourrez en donner des nouvelles si
on vous en demande.»

Plus loin je trouve dans la même lettre: «Nous voulons être forcés par
les cinq puissances; nous ne tiendrons aucun compte d'une contrainte
partielle comme celle de 1832; sans cette unanimité, nous nous refuserons
toujours à un arrangement définitif. On prendrait, de guerre lasse,
plutôt la route de Silésie, que de reconnaître Léopold.»

Mme de Jaucourt, en parlant de l'esprit de parti furibond qui règne en
France en ce moment, mande à M. de Talleyrand que M. de Thiard, son
frère, a dit, l'autre jour, chez elle: «Je donnerais mon bras droit pour
que Charles X fût encore à la place d'où nous l'avons chassé.»

N'est-il pas singulier que le jeune Baillot, qui vient de périr assassiné
dans les derniers troubles de Paris, se soit souvent vanté d'avoir, lors
des journées de juillet 1830, tué plusieurs individus, exactement de la
même manière que celle dont lui-même a péri?

On m'a raconté un mot amusant de la vieille marquise de Salisbury. Elle a
été, dimanche dernier, à l'église, ce qui lui arrive rarement; le
prédicateur, parlant du péché originel, a dit qu'Adam, en s'excusant,
s'était écrié: «_Seigneur, c'est la femme qui m'a tenté._» A cette
citation, lady Salisbury, qui paraissait entendre tout cela pour la
première fois, a sauté sur son banc, en disant: «_Shabby fellow,
indeed!_»

Je viens d'une visite du matin chez la Reine, je l'ai trouvée agitée,
inquiète et cependant heureuse de son prochain voyage en Allemagne. Le
Roi l'a arrangé, à son insu; il est entré dans les plus petits détails;
c'est lui qui a nommé la suite d'honneur, les domestiques, choisi les
voitures. Tout cela est arrivé si subitement que la Reine n'en est point
encore remise; elle ne sait si elle doit se réjouir de revoir sa mère qui
est âgée et infirme ou se tourmenter de laisser le Roi seul, pendant six
semaines. Elle m'a dit que le Roi avait voulu inviter M. de Talleyrand et
moi à Windsor, pendant notre séjour à Salthill, mais qu'elle-même l'en
avait détourné, comme tirant à conséquence, et obligeant à d'autres
invitations, entre autres celle de la princesse de Lieven, dont le Roi ne
se souciait pas.

La Reine tousse et se croit assez malade; elle compte sur l'air natal
pour se rétablir.

Il est impossible, chaque fois qu'on a l'honneur de voir cette Princesse,
de ne pas être frappé de la parfaite simplicité, vérité et droiture de
son âme. J'ai rarement vu une personne sur laquelle le sentiment du
devoir eût plus de puissance, qui, dans tout ce qu'elle dit et fait,
parût plus d'accord avec elle-même. Elle a de la gaieté, de la
bienveillance et quoiqu'elle manque de beauté, sa grâce est parfaite, le
ton de sa voix malheureusement nasillard, mais il y a tant de bon sens et
de vraie bonté dans ce qu'elle dit, qu'on l'écoute avec plaisir. La
satisfaction qu'elle éprouve à parler allemand est bien naturelle, elle
me touche, chaque fois, sensiblement; cependant, je voudrais que devant
les Anglais elle s'y livrât moins: je voudrais, dans l'intérêt de sa
situation, peut-être un peu plus d'anglais en elle; on ne saurait être
restée plus Allemande qu'elle l'est; je crains qu'on ne le lui reproche
parfois. Que ne reproche-t-on pas aux souverains maintenant? Responsables
de toutes choses, ils sont sans cesse menacés d'expiations, bien ou mal
fondées. La pauvre Reine a déjà éprouvé toute l'amertume de
l'impopularité, de la calomnie. Elle y a opposé beaucoup de valeur, de
dignité, et je suis convaincue qu'elle est en fonds de courage pour les
dangers.

C'était aujourd'hui la Saint-Philippe; nous avions à dîner les Lieven et
lady Cowper; le prince Esterhazy est venu nous voir après le dîner. Je
remarque, depuis quelque temps, une certaine aigreur dans sa façon d'être
avec les Lieven, qui ne lui est pas habituelle; sa plaisanterie, en
s'adressant à la Princesse, tourne promptement à l'ironie. Je crois que,
de son côté, elle regrettera peu son départ; elle n'a jamais pu le
subjuguer; il coule et s'échappe de ses mains; les arlequinades, toujours
fines, quelquefois malicieuses, d'Esterhazy la gênent et la déroutent;
ils ont toujours l'air d'être sur le qui-vive l'un avec l'autre, et ils
se dédommagent de cette contrainte par des coups de patte assez
fréquents.

La Reine m'a dit qu'à Windsor, dernièrement, Esterhazy lui avait parlé de
M. de Talleyrand avec un attachement particulier, lui disant que son plus
grand plaisir était de venir l'écouter. Il a ajouté, qu'en rentrant chez
lui, il écrivait souvent ce qu'il avait entendu de M. de Talleyrand. Il
paraît qu'Esterhazy tient un journal fort exact; il l'a dit à la Reine,
lui racontant que cette habitude est si ancienne qu'il a déjà rempli de
gros volumes, qu'il se plaît à relire. La Reine s'étonnait, avec raison,
de cette habitude suivie et sédentaire chez quelqu'un dont les allures
sont si peu posées et l'esprit souvent distrait.

Lord Palmerston, qui, depuis notre dernier retour de France, n'a pas une
seule fois accepté de dîner chez nous, qui n'est pas venu à une seule de
nos soirées, était encore invité aujourd'hui, et la présence de lady
Cowper nous faisait croire à la sienne, mais il s'est fait excuser au
dernier moment.


_Londres, vendredi 2 mai 1834._--Alava m'écrit qu'il reçoit des lettres
du ministre d'Espagne à Londres, le marquis de Miraflorès, qui est son
neveu, dans lesquelles il lui parle des éloges que lord Palmerston ne
cesse de lui prodiguer sur son début diplomatique ici, qu'il dit être
extrêmement brillant. Le Marquis, qui est un sot, ne voit pas la cause de
ces éloges, qui proviennent de ce traité de la Quadruple Alliance,
proposé par Miraflorès à l'instigation de lord Palmerston lui-même, et
dont les résultats, bien obscurs encore, pourront devenir plus
embarrassants qu'utiles à son inventeur et aussi à la France.

M. de Montrond a écrit à M. de Talleyrand pour lui dire qu'ayant fait
exprimer à M. de Rigny son désir de venir à Londres, celui-ci avait
trouvé, qu'avant de lui en faciliter les moyens, il fallait d'abord
savoir si M. de Talleyrand serait satisfait de ce voyage. Ce doute choque
beaucoup M. de Montrond, et moi je sais bon gré à M. de Rigny de l'avoir
admis. Au fait, l'année dernière, M. de Montrond, se disant ici chargé
d'une correspondance secrète et diplomatique, était un personnage gênant.
L'humeur qu'il avait, et qu'il montrait, de n'être mis dans aucun des
secrets de l'ambassade, lui faisait manquer, le plus souvent, aux
convenances, blessait M. de Talleyrand dans les siennes, et importunait
les spectateurs. Depuis dix-huit mois, M. de Montrond touche mille louis
par an sur les fonds secrets du ministère des affaires étrangères: je
doute qu'il leur rende jamais la monnaie de leur pièce!

Tous les ouvriers, à Londres, sont en révolte: les tailleurs ne peuvent
plus travailler, faute d'ouvriers; on prétend que, sur les cartes
d'invitation du bal de lady Lansdowne, il y avait: _The gentlemen to
appear in their old coats_. Les blanchisseuses s'en mêlent, et, bientôt,
il nous faudra laver notre linge comme les Princesses de l'Odyssée!


_Londres, 3 mai 1834._--M. de Talleyrand dit que lord Holland a _une
bienveillance perturbatrice_. C'est d'autant mieux dit que rien n'est
plus vrai. Avec la plus parfaite douceur de manières, l'humeur la plus
égale, l'esprit le plus gai, l'abord le plus obligeant, il est toujours
prêt à mettre partout le feu à la mèche révolutionnaire; il y fait, en
conscience, ce qu'il peut, et quand il n'y réussit pas, il en a du
chagrin, autant qu'il en peut avoir.

J'ai dîné hier chez sir Stratford Canning. Sa maison est singulière,
jolie, bien arrangée, remplie de souvenirs rapportés de Constantinople et
d'Espagne. Lui-même a de la politesse, de l'instruction, de l'esprit dans
sa conversation, et sans une certaine contraction des lèvres qui nuit à
une assez belle figure, sans l'air opprimé de sa femme, on aurait peine à
comprendre la réputation de mauvais caractère qui lui est assez
généralement acquise. C'est sous ce prétexte-là, du moins, que l'Empereur
de Russie a refusé, l'année dernière, de le recevoir à Pétersbourg, comme
ambassadeur.


_Londres, 4 mai 1834._--Il y a une vanterie habituelle et une curiosité
indiscrète dans Koreff, qui m'a quelquefois frappée sur le Continent, et
qui, ici, m'inspire une défiance extrême. Son esprit, son instruction
disparaissent à travers les inconvénients de son caractère, et le rendent
souvent très importun. Il vit de commérages de toutes sortes, publics ou
privés; la médecine n'arrive qu'en désespoir de cause; et quand il
consent à être médecin, il parle de lui comme d'une divinité. Alors, il a
sauvé un malade abandonné de tous, fait une découverte miraculeuse:
magnétisme, homéopathie, le vrai, le faux, le naturel, le surnaturel, le
possible, l'impossible, tout lui est bon pour augmenter son importance,
faire disparaître le pauvre diable, et s'entourer de merveilleux à défaut
de considération.

Il a dîné chez nous avec sir Henry Halford; il me semble qu'ils ne se
sont pas pris de goût l'un pour l'autre; et, en effet, quels peuvent être
leurs _atomes crochus_? La science? Oui, sans doute, si elle se formulait
de même pour l'un que pour l'autre. Sir Henry Halford, homme doux, poli,
mesuré, discret, fin, souple, respectueux, parfait courtisan, riche,
considéré, et grand praticien, n'a jamais cherché à être autre chose que
le médecin des grands, et s'est ainsi trouvé, sans le chercher, dans les
secrets des affaires et des familles. Koreff, au contraire, a voulu être
littérateur, homme d'État, et a dégoûté les gens dans les grandes
affaires de le conserver pour médecin. C'est ainsi qu'il s'est perdu à
Berlin, il se relèvera difficilement à Paris, et ne réussira pas à
Londres, à ce que je crois.

A propos de bavardages et d'indiscrètes curiosités, je ne veux pas
oublier une réflexion très vraie que le duc de Wellington vient de me
faire sur Alava: «Quiconque», a-t-il dit, «veut être dans la confidence
de tous, est obligé de donner la sienne à plusieurs, et cela se passe
habituellement aux dépens des tiers.» Il y a un admirable bon sens et
droiture de jugement dans le Duc. Nous avons beaucoup causé aujourd'hui
ensemble à dîner; je voudrais me souvenir de tout ce qu'il m'a dit: le
vrai, le simple, deviennent si rares, qu'on voudrait en ramasser les
miettes.

Le duc de Wellington a une mémoire très sûre: il ne cite jamais
inexactement; il n'oublie rien, n'exagère rien; et s'il y a quelque chose
d'un peu haché, de sec et de militaire dans sa conversation, elle est
néanmoins attachante par son naturel, sa justesse, et par une parfaite
convenance. Il a un ton excellent, et une femme n'a jamais à se tenir en
garde de la tournure que peut prendre la conversation. Il est bien plus
réservé, à cet égard, que ne l'est lord Grey, quoique celui-ci ait une
éducation, sous plusieurs rapports, bien plus soignée et l'esprit plus
cultivé.

Le duc de Wellington m'a dit une chose assez remarquable sur le caractère
anglais: c'est que, nulle part, le peuple n'était plus ennemi du sang
qu'en Angleterre; un meurtre y est découvert avec une extrême
promptitude, chacun se met à la recherche de l'assassin, le suit à la
piste, le dénonce et veut que justice soit faite. Il m'a assuré que le
soldat anglais était le moins cruel de tous, et que la bataille finie,
il ne commettait presque jamais de violence: pillard à l'excès;
sanguinaire, non.

L'extrême et naïve vanité de lady Jersey, dont le Duc s'est amusé, nous a
conduits à parler de Mme de Staël que le Duc a beaucoup connue et dont
les ridicules et les prétentions l'ont plus frappé encore que sa verve et
son éloquence ne l'ont ébloui. Mme de Staël, qui voulait apparaître au
Duc sous toutes les formes, même sous la plus féminine, lui dit, un jour,
que ce qu'il y avait pour elle de plus doux à entendre, c'était une
déclaration d'amour; elle était si peu jeune, et si laide, que le Duc ne
put s'empêcher de lui dire: «Oui, quand on peut la croire vraie.»

Lady Londonderry, fort connue pour ses bizarreries, étant près
d'accoucher et se persuadant qu'elle aurait un garçon, commande un petit
costume de hussard, uniforme du régiment de son mari. En le commandant,
elle dit au tailleur: «Pour un enfant de _six jours_.--De _six ans_, veut
dire milady?» reprend le tailleur.--«Non, vraiment; de _six jours_. Ce
sera le costume de baptême!»

Le duc de Cumberland était assez en faveur près de George IV, dans les
dernières années de celui-ci, et c'est cependant à cette époque que le
duc de Wellington, demandant au Roi pourquoi le duc de Cumberland était
si universellement impopulaire, George IV répondit: «C'est qu'il n'y a ni
amant et maîtresse, ni frère et sœur, ni père et enfants, ni amis que le
duc de Cumberland ne parvienne à brouiller s'il s'approche d'eux.» On
prétend, cependant, que le duc de Cumberland a de l'esprit, mais il est
si de travers qu'il n'est bon à rien et est nuisible à tout.

Le prochain départ de la Reine d'Angleterre pour l'Allemagne inquiète les
vrais amis du Roi; il paraît que ce Prince, qui a le meilleur cœur du
monde, a quelquefois des accès d'emportement singuliers, qu'il se met des
idées étranges dans l'esprit, et qu'il se trouve parfois dans un si
bizarre état d'excitation que l'équilibre menace de se perdre tout à
fait. La Reine, avec son attentive douceur et son grand bon sens, veille
sur lui dans ces moments de crise, en abrège la durée, le modère, le
calme, et lui fait reprendre une assiette convenable.

Le Roi, en ce moment, a beaucoup d'humeur contre dom Pedro, à cause du
dernier règlement commercial qui a été publié en Portugal, la veille même
du jour de la signature du traité de la Quadruple Alliance à Londres.
Cette humeur n'ira probablement pas jusqu'à refuser de ratifier le
traité, car ce pauvre Roi est la meilleure créature possible, mais non
pas très _consistent_, comme on dit ici.

On m'a assuré que la vanité de lord Durham avait été tellement exaltée
par l'accueil qui lui avait été préparé, il y a deux ans, à Pétersbourg,
par les soins de Mme de Lieven, et par celui que les lettres de M. de
Talleyrand lui avaient valu dernièrement à Paris, qu'il ne croit pas
qu'il puisse se permettre de rester dans une situation privée. Son
projet, assez avoué, est de culbuter lord Grey, son beau-père, et de se
mettre à sa place, ou, du moins, d'entrer avec un portefeuille au
Conseil, ce qui ferait déserter tous les autres membres. Il
consentirait, peut-être, à n'être que vice-Roi d'Irlande, ou, comme
pis-aller, à accepter l'ambassade de Paris; mais, si toutes ces chances
venaient à lui manquer, il déclare qu'alors, il veut se faire le chef
avoué de tous les radicaux et faire guerre à mort à tout ce qui existe.

Je sais que Pozzo écrit des hymnes sur le Roi des Français; le reflet
s'en retrouve dans le discours qu'il vient de faire à l'occasion de la
Saint-Philippe. Il prend M. de Rigny en bonne part, puisque, de fait,
c'est le Roi qui est maintenant son propre ministre des affaires
étrangères. Pozzo se montre surtout singulièrement soulagé d'être
débarrassé de M. de Broglie, dont l'esprit argumentateur, les formes
dédaigneuses, et l'exclusif abandon avec lord Granville, rendaient les
rapports avec le reste du Corps diplomatique peu faciles et peu
agréables.

Pozzo, comme beaucoup d'autres, ne croit pas la France tirée des crises
révolutionnaires, il témoigne de l'inquiétude sur l'avenir, et je crois
que c'est la disposition de ceux qu'une colossale présomption sur les
destinées de la France n'aveugle pas.


_Londres, le 5 mai 1834._--Je viens de recevoir une bien triste nouvelle,
celle de la maladie grave de mon excellent ami, l'abbé Girollet: je
n'aurai bientôt plus personne à aimer, plus personne dans l'affection de
qui je puisse avoir foi. Ce cher abbé tient une si bonne place à
Rochecotte, dans sa jolie demeure, au milieu de ses livres, de ses
fleurs, des pauvres, des voisins! C'est un touchant tableau dont j'ai
peu joui et que je ne retrouverai probablement plus: ce sera un rêve que
mon absence a rendu fort incomplet, mais dont le souvenir me sera doux
toute ma vie, car il sera consacré au plus pur, au plus fidèle des
serviteurs de Dieu, au plus sincère, au plus discret, au plus dévoué des
amis, au plus tolérant des hommes!

La duchesse de Kent a donné hier, en l'honneur de son frère, le duc
Ferdinand de Saxe-Cobourg, une soirée, qui, par la foule réunie,
ressemblait à un «Drawing-room» de la Reine. La jeune princesse Victoria
m'a frappée, dès l'abord, comme étant un peu grandie, pâlie, amincie,
fort à son avantage, quoique encore trop petite pour les quinze ans
qu'elle aura dans trois semaines. Cette petite Reine future a un beau
teint, des cheveux châtains superbes; malgré le peu d'élévation de sa
taille, elle est bien faite; elle aura de jolies épaules, de beaux bras,
l'expression de son visage est douce et bienveillante, ses manières le
sont aussi; elle parle fort bien plusieurs langues et on assure que son
éducation est très soignée; sa mère et la baronne Lehzen, une Allemande,
s'occupent l'une et l'autre de la Princesse; la duchesse de
Northumberland ne remplit ses fonctions de gouvernante qu'aux grandes
occasions d'apparat. J'ai entendu reprocher à la duchesse de Kent de trop
entourer sa fille d'Allemands et qu'il en résulte qu'elle n'a pas un bon
accent anglais.


_Londres, 6 mai 1834._--J'ai dîné hier chez lord Sefton. Il revenait de
la Chambre des Pairs, où lord Londonderry avait renouvelé la même attaque
qu'il a déjà soulevée, il y a quelques années, accusant, à propos de la
politique extérieure, le ministère anglais d'être mené et abusé par
l'esprit rusé de M. de Talleyrand, _this wily politician_. Il ne varie ni
dans son opinion, ni même dans ses expressions, car ce sont les mêmes que
celles dont il se servait il y a trois ans. Il fut alors fortement relevé
par le duc de Wellington, qui, quoique du même parti que lui, prit
occasion des paroles désobligeantes de lord Londonderry pour rendre le
témoignage le plus honorable à M. de Talleyrand. Il paraît que lord Grey
en a fait autant hier; c'est plus simple, puisqu'il défendait sa propre
cause; néanmoins, je lui en sais bon gré, quoique je n'assimile pas son
procédé à celui du duc de Wellington.

J'ai accompagné lady Sefton à l'opéra d'_Othello_. C'était, autrefois,
mon opéra favori, il m'a fait moins d'impression hier: Rubini, plein
d'expression et de grâce dans son chant, manque de cette force vibrante
qui rendait Garcia incomparable dans le rôle d'Othello. L'orchestre était
trop maigre, les morceaux d'ensemble n'étaient pas assez enlevés; Mlle
Grisi a bien joué, bien chanté; je l'ai trouvée supérieure à Mme
Malibran, mais ce n'est point encore cette sublime simplicité et cette
grandeur de Mme Pasta! Il y a de plus belles voix, de plus belles femmes,
mais la _Muse tragique_, c'est toujours Pasta: personne ne la détrônera
dans mon admiration ni dans mon souvenir. Lorsqu'elle débuta à Paris,
Talma, qui vivait alors, fut transporté de ses accents, de ses poses, de
ses gestes, il s'écria: «Cette femme a deviné dès le premier jour ce que
je cherche depuis trente ans.»


_Londres, 8 mai 1834._--J'ai déjà parlé du bon procédé du duc de
Wellington, en répondant il y a trois ans à lord Londonderry, qui
attaquait M. de Talleyrand; il l'a complété avant-hier en montrant
ouvertement par des _hear, hear_ multipliés, combien il partageait la
haute opinion que lord Grey a exprimée de M. de Talleyrand. Plusieurs
personnes ont saisi, avec un obligeant empressement, cette occasion de
témoigner leurs bons sentiments pour M. de Talleyrand. Le prince de
Lieven et le prince Esterhazy ont, tous deux, hier, au Lever du Roi,
remercié lord Grey de la justice rendue à leur collègue vétéran.

M. de Rigny a écrit, confidentiellement, à M. de Talleyrand, que le
mariage de la princesse Marie d'Orléans avec le second frère du Roi de
Naples était décidé, qu'on allait s'occuper de dresser le contrat avec le
prince Butera, qui venait d'arriver à Paris. L'Amiral a l'air de croire
que quelques discussions d'intérêt retarderaient la conclusion de cette
affaire; j'en serais fâchée, car les princesses d'Orléans, tout
agréables, bien élevées, grandes dames et riches qu'elles sont, n'en
restent pas moins difficiles à marier. Il y a, autour d'elles, un petit
reflet d'usurpation, dont quelques familles princières reculent à prendre
leur part d'alliance. Il est singulier que le Roi Louis-Philippe, qui a,
pour ses enfants, l'espèce de tendresse que l'on est convenu d'appeler
bourgeoise, se montre si difficile à couvrir par de riches dots,
auxquelles les Princesses, ses filles, ont droit, la gêne de leur
position. La princesse Marie sera bien mieux établie en Italie, qu'elle
n'aurait pu l'être partout ailleurs; elle a beaucoup d'imagination, de
vivacité, peu de maintien, et, malgré une éducation qui a dû assurer ses
principes, elle a une facilité de conversation et de manières, qui
pourrait faire douter de leur solidité, quoique sans le moindre
fondement.

Nous avons réalisé, aujourd'hui, un projet formé depuis plus d'un an,
celui de visiter Eltham, une grange qui servait jadis de salle de
banquets aux Rois d'Angleterre. Depuis Henri III jusqu'à Cromwell, ils
ont souvent habité le palais dont cette salle faisait partie; elle est
dans de belles proportions, mais il n'est plus guère possible de juger de
ses ornements: quelques pans de muraille et les fossés plantés maintenant
et arrosés par un joli ruisseau, un pont gothique fort pittoresque et
couvert de lierre indiquent l'étendue qu'avait autrefois ce royal manoir.

Nous avons dîné hier chez la duchesse de Kent: l'odeur très forte des
fleurs dont on avait encombré son appartement, qui est bas et petit, le
rendait malsain sans l'égayer.

Tout, d'ailleurs, dans ce dîner destiné à réunir la famille royale,
quelques grands du pays et le haut Corps diplomatique, était aussi raide
que sombre. Le peu de bienveillance des Princes entre eux, le
mécontentement du Roi contre la duchesse de Kent, l'absence du duc de
Cumberland que sa belle-sœur n'avait pas prié, pour la très bonne raison
qu'à son retour de Berlin, il a négligé de venir chez elle, enfin,
jusqu'à la disposition des fauteuils, qui rendait toute conversation
impossible; la longueur, la chaleur, le malaise visible de la maîtresse
de la maison, qui ne manque pas de politesse, mais qui a un certain air
emprunté, pédant et gauche, tout a rendu ce dîner fatigant. Le duc de
Somerset est le seul qui ait pris le bon parti, celui de s'endormir
derrière un pilastre durant tout l'après-dîner.

Il y avait un besoin général de blâmer qui se faisait jour sans trop de
déguisement. La Reine se plaignait de la chaleur, et, au dessert, a dit à
la duchesse de Kent, que si elle ne mangeait plus, ce serait une grande
charité de quitter la table. Le Roi disait à ses voisins, que le dîner
était à l'entreprise, et prétendait ne pouvoir comprendre un seul mot de
ce que le duc Ferdinand de Saxe-Cobourg lui disait. Ce Prince, frère de
la duchesse de Kent, est laid, gauche, embarrassé; il n'a pas grand
succès ici, fort peu surtout du Roi, auquel il n'a montré aucun
empressement d'être présenté; celui-ci, à son tour, l'a fait attendre
fort longtemps avant de le recevoir, ce qui a mis la duchesse de Kent de
fort mauvaise humeur.

Mme de Lieven me faisait remarquer l'espèce de familiarité de langage et
de manières d'Esterhazy avec la famille royale, dont elle se montrait
fort scandalisée; la raison de parenté, que j'ai alléguée, lui a semblé
une très mauvaise explication. Il y a toujours une rivalité de position
entre eux, qui était, surtout, très sensible, dit-on, sous le feu Roi. La
princesse de Lieven, à force de coquetteries et de soins pour lady
Hertford, et ensuite pour lady Conyngham, et grâce à sa maigreur, qui
rassurait l'embonpoint des favorites, fut introduite par elles dans
l'intimité du Roi; elle établissait, par là, une certaine balance avec
les Esterhazy, que leur bonne humeur, leur grande position et leur
parenté avec la famille royale rapprochaient, naturellement, davantage
de la Cour.

On remarquait l'absence de lord Palmerston, qui aurait dû faire partie de
ce dîner auquel assistaient les ambassadeurs. On prétend qu'il est dans
les fortes déplaisances de la duchesse de Kent, qui, lorsqu'il lui fait
la révérence, dans les «Drawing-rooms», ne lui adresse jamais la parole.
On s'étonnait aussi de n'y pas voir le ministre de Saxe, ministre de
famille pour la Reine, pour la duchesse de Kent elle-même, et notamment
aussi pour le duc Ferdinand de Saxe-Cobourg, que, d'office, il accompagne
partout. La duchesse de Gloucester ne pouvait s'empêcher de terminer une
phrase doucereuse et apologétique par la charitable remarque de la
gaucherie innée de la duchesse de Kent; et la princesse de Lieven
risquait de rappeler que George IV, lorsqu'il parlait de sa belle-sœur,
la nommait _la gouvernante suisse_.

Quelque tort qu'on trouve à la duchesse de Kent, on ne saurait lui
refuser le mérite de beaucoup de prudence dans sa conduite politique.
Appelée, comme elle le sera sans doute, à la Régence, ce point n'est pas
indifférent. Il n'y a personne qui sache de quel parti ses opinions
politiques la rapprochent; elle les invite et les confond chez elle, et
maintient parfaitement l'équilibre. Son obstination dans sa conduite
envers les Fitzclarence est d'un petit esprit: elle se met, pour
l'expliquer, sur un terrain de pruderie assez ridicule; je sais, que,
pour répondre aux observations que lord Grey lui faisait à ce sujet, elle
lui dit assez sottement: «Mais, my lord, comment voulez-vous que j'expose
ma fille à entendre parler de bâtards, et à m'en demander
l'explication?--Alors, madame», réplique lord Grey, «ne permettez pas à
la Princesse de lire l'histoire du pays qu'elle est appelée à gouverner,
car la première page lui apprendra que Guillaume de Normandie avait le
surnom de Bâtard avant celui de Conquérant.» On dit que cette réponse a
laissé une impression fâcheuse contre lord Grey, à la duchesse de Kent.


_Londres, 9 mai 1834._--On mande, de Paris, à M. de Talleyrand, par
dépêche télégraphique, qu'un secrétaire d'ambassade, arrivant d'Espagne,
apporte la nouvelle que don Carlos quitte la Péninsule et s'embarque pour
l'Angleterre, qu'il veut, dit-on, choisir pour arbitre, dans son grand
procès de famille et de couronne. Cette nouvelle paraît peu probable, et
tout le monde attend sa confirmation pour y croire.

L'espèce de curiosité et d'intérêt qu'excite la personne de M. de
Talleyrand en Angleterre ne s'use pas. En descendant de voiture l'autre
jour à Kensington, nous avons vu des femmes soulevées dans les bras de
leurs maris, afin qu'elles pussent mieux regarder M. de Talleyrand. Son
portrait, par Scheffer, est maintenant chez le marchand de gravures
Colmaghi pour être gravé; il y attire beaucoup de curieux; les boutiques
devant lesquelles s'arrête la voiture de M. de Talleyrand sont aussitôt
entourées de monde. A propos de son portrait, il est placé, chez
Colmaghi, à côté de celui de M. Pitt. Un des curieux qui les examinaient
tous les deux, dit, l'autre jour, en montrant celui de M. Pitt: «Voilà
quelqu'un qui a créé de grands événements; celui-ci (en indiquant M. de
Talleyrand), a su les prévoir, les guetter et en profiter.»

M. de Talleyrand me racontait, hier, que lorsqu'il se fut débarrassé de
sa prêtrise, il se sentit un désir incroyable de se battre en duel; il
passa deux mois à en chercher soigneusement l'occasion, et avait avisé le
duc de Castries actuel, qui était à la fois colère et borné, comme
l'homme avec lequel il était le plus aisé d'avoir une querelle. Ils
étaient, tous deux, du club des Échecs; un jour qu'ils y étaient
ensemble, M. de Castries se met à lire tout haut une brochure contre la
minorité de la noblesse. L'occasion parut belle à M. de Talleyrand, qui
pria M. de Castries de ne pas continuer une lecture qui lui était
personnellement injurieuse. M. de Castries répliqua, que, dans un club,
tout le monde avait le droit de lire et de faire ce qui lui convenait: «A
la bonne heure!» dit M. de Talleyrand, et, s'emparant d'une table de
trictrac, il se plaça auprès de M. de Castries, fit sauter, avec un
fracas épouvantable, les dames qui s'y trouvaient, de façon à ce que la
voix de M. de Castries fût entièrement couverte. La querelle et les coups
d'épée paraissaient immanquables; M. de Talleyrand était ravi d'y toucher
de si près, mais M. de Castries se borna à rougir, à froncer le sourcil,
et finit sa lecture en sortant du club sans rien dire; c'est que,
probablement, pour M. de Castries, M. de Talleyrand ne pouvait cesser
d'être prêtre!


_Londres, 10 mai 1834._--J'ai lu hier, fort vite, le dernier ouvrage de
M. de Lamennais, les _Paroles d'un Croyant_: c'est l'Apocalypse d'un
Jacobin. De plus, c'est fort ennuyeux, et c'est ce qui m'a étonnée, car
M. de Lamennais est un homme de beaucoup d'esprit et d'un talent
incontestable. Il venait de se réconcilier avec Rome, mais voilà de quoi
rompre la paix, car cette guerre jurée à tout pouvoir temporel ne saurait
convenir à aucun souverain, pas plus au Pape qu'à un autocrate.

On se disait beaucoup, tout bas, hier, que le Roi d'Angleterre ressentait
plus vivement que de coutume l'influence printanière pendant laquelle il
éprouve, tous les ans, un manque d'équilibre, physique et moral, assez
marqué. Avec les précédents de la maison de Brunswick, il y a de quoi
s'alarmer.

Je n'ai jamais entendu parler, sur le continent, d'une maladie connue ici
sous le nom de _hay fever_ (fièvre de fenaison), et qui se déclare au
moment de la récolte des foins. Beaucoup de personnes, entre autres le
duc de Devonshire et lady Grosvenor, éprouvent alors de la fièvre, de
l'insomnie, de l'agitation, et une grande souffrance nerveuse. Ceux qui
sont sujets à cette maladie rentrent en ville, évitent les prairies et
l'odeur du foin.

Mais au malaise physique du Roi d'Angleterre se mêlent une agitation
d'esprit et une loquacité étranges; si cet état fâcheux n'était pas bien
fini avant le mois de juillet, je suis convaincue que la Reine
désobéirait au Roi et ne partirait pas pour l'Allemagne; elle seule peut
avoir une action salutaire et modératrice sur lui, dans de semblables
moments.

On me mande, de Paris, le mariage d'Élisabeth de Béranger, avec un de
mes cousins, riche et bien élevé, Charles de Vogüé. Elle était fort
recherchée, car, à de la naissance et de la fortune, elle joint de la
beauté et des talents. Je l'ai beaucoup connue dans son enfance; elle
était alors fort gentille, très vive, et pas mal indépendante, ce qui,
dans une fille unique, idolâtrée par son père, a dû fort augmenter depuis
la mort de sa mère. Celle-ci était une des plus aimables femmes que j'aie
connues, par son esprit, son caractère et ses manières; elle avait été
très belle, on le voyait bien. Ses façons étaient caressantes et douces;
elle parlait avec une élégance et une correction remarquables; amie
dévouée, je n'ai vu personne, excepté Mme de Vaudémont, laisser un vide
aussi senti et des regrets aussi prolongés; ses ennemis (la distinction
en a toujours) prétendaient que la douceur de ses manières l'avait
entraînée fort loin, pendant son veuvage du duc de Châtillon; qu'elle
était devenue plus tard bel esprit, et quelques critiques prétendaient
aussi qu'il y avait, dans sa conversation, une éloquence étudiée qui la
rendait fatigante; je ne m'en suis jamais aperçue; je me plaisais
beaucoup dans sa société, elle m'a toujours laissé l'idée qu'elle se
plaisait dans la mienne; nous avions des amitiés communes, qui nous
attachaient par un lien de bienveillance, et, dans le monde, c'est chose
rare, car on y est, malheureusement, bien plus souvent rapproché par des
haines semblables que par des affections communes; c'est, je crois, ce
qui rend les amitiés du monde si peu durables et si peu sûres; elles
reposent souvent, trop souvent, sur une mauvaise base.

J'ai appris encore un autre mariage, celui de ma nièce à la mode de
Bretagne, la princesse Biron, avec un Arménien, le colonel Lazareff, au
service de Russie. On le dit d'une richesse fabuleuse, possédant des
palais en Orient, des pierreries, des trésors enfin; je ne sais ce qui
l'a conduit à Dresde, où il a fait la connaissance de ma jeune parente,
qui vit près de sa sœur, la comtesse de Hohenthal. On la dit éblouie et
passionnée; j'avoue que cette origine arménienne, cette magnificence à la
façon des _Mille et une nuits_, m'étonnent, m'inquiètent un peu: les
sorciers, les diseurs de bonne aventure, les chevaliers d'industrie, ont
souvent les pays peu connus pour berceau; leurs pierreries tombent
souvent en poussière de charbon, ils supportent rarement le grand jour!
En un mot, j'aurais préféré pour ma cousine un peu plus de naissance, un
peu moins de fortune, et quelque chose de moins oriental et de plus
européen.


_Londres, 12 mai 1834._--L'état fébrile et nerveux du roi d'Angleterre se
manifeste de plus en plus; il dit vraiment des choses fort bizarres. Au
bal de la Cour, il a dit à Mme de Lieven que les têtes se dérangeaient
beaucoup depuis quelque temps, et, en indiquant son cousin, le duc de
Gloucester, il a ajouté: «Celui-là, par exemple, croit à la
transmigration des âmes: il croit que l'âme d'Alexandre le Grand et celle
de Charles Ier ont passé dans la sienne.» La Princesse a ajouté assez
légèrement: «Ah! les pauvres défunts doivent s'étonner beaucoup de s'être
nichés là.» Le Roi l'a regardée avec un air incertain, puis il a ajouté,
ce qui, pour lui, n'est vraiment pas trop mal trouvé: «Heureusement, il
n'a pas assez d'esprit pour porter sa tête sur l'échafaud.»

Ce qui est plus fâcheux que ces propos ridicules, c'est qu'il dort peu,
qu'il se met dans de fréquentes colères, qu'il a une manie guerrière,
étrange et puérile: ainsi il va dans les casernes, fait manœuvrer un à
un les soldats, donne les ordres les plus absurdes sans consulter les
chefs, porte le désordre dans les régiments et s'expose à la risée des
soldats. Le duc de Wellington, le duc de Gloucester, tous deux
feld-maréchaux, et lord Hill, commandant en chef de l'armée, ont cru
qu'il était de leur devoir de faire ensemble des représentations
respectueuses, mais sérieuses: ils ont été très mal reçus; lord Hill a
été le plus maltraité, et il en est resté consterné. On assurait que si
cette pauvre tête royale partait tout à fait, ce serait à l'occasion de
l'armée, car il se croit de grands talents militaires; ou sur le chapitre
des femmes, près desquelles il se croit des mérites particuliers. On
prétend qu'il n'est si pressé de faire partir la Reine que pour passer
six semaines en garçon.

Il a déjà porté avant-hier, à la Reine, tous les cadeaux qu'elle sera
dans le cas de faire sur le Continent; il pousse le temps par les
épaules. La famille royale est fort inquiète, ou voudrait empêcher le Roi
de s'exposer autant à la chaleur, de boire autant de vin de Xérès, de
réunir autant de monde autour de lui; on voudrait enfin l'engager à mener
une vie plus retirée jusqu'à ce que cette crise, plus forte que les
autres, fût entièrement passée; mais il est peu gouvernable.

Parmi ses propos les plus bizarres, je dois citer celui d'avoir demandé
au prince Esterhazy «_si on se mariait en Grèce?_» Et, sur l'air étonné
du Prince, il a ajouté: «_Mais oui, car, en Russie, vous savez bien qu'on
ne se marie pas._»

Le bon duc de Gloucester, qui est très attaché au Roi, est sincèrement
affligé; quant au duc de Cumberland, il s'en va, tout simplement, crier,
dans les clubs, que le Roi est fou, et que c'est tout juste comme son
père, ce qui est, à la fois, peu fraternel et peu filial. Quelques
personnes songent déjà à qui irait la Régence, si ce triste état se
prolongeait, ou se confirmait; car c'est encore un état fiévreux plus que
ce n'est de la vraie démence. La duchesse de Kent n'est rien, aussi
longtemps que le Roi marié vit et peut avoir des enfants; la princesse
Victoria, héritière présomptive, n'est pas majeure; la question se
débattrait donc entre la Reine et le duc de Cumberland, deux chances
presque également défavorables au Cabinet actuel; aussi laissera-t-on le
mal prendre un haut degré d'influence avant de l'avouer. Lord Grey
mettait, hier, une affectation marquée à dire que le Roi ne s'était
jamais mieux porté.

Quand on a su ici que Jérôme Bonaparte se disposait à y venir, on a
prévenu la Cour de Wurtemberg, qu'il serait à désirer qu'il n'amenât pas
la Princesse sa femme, parce que, malgré la proche parenté, on ne
pourrait la recevoir. Jérôme est donc venu seul, et nonobstant
l'avertissement, il n'en a pas moins désiré une audience du Roi
d'Angleterre que M. de Mendelsloh, le ministre de Wurtemberg, a eu la
sottise de demander. Au premier mot le Roi a dit: «Qu'il aille au
diable!» Il est si vif sur la question des Bonaparte, qu'il a été au
moment de défendre la Cour au duc de Sussex, pour avoir reçu Lucien, et
qu'il a trouvé très mauvais que le Chancelier eût exposé le duc de
Gloucester à rencontrer le prince de Canino à une soirée de lady
Brougham.

Lord Durham a dîné, hier, chez nous, pour la première fois, et c'est pour
la première fois aussi que j'ai causé avec lui directement. J'ai examiné
les mouvements de sa figure: elle est très vantée, et, sans doute, avec
raison, mais elle ne s'embellit pas lorsqu'il parle; le sourire surtout
lui sied mal; le trait marquant de ses lèvres, c'est l'amertume; tous les
reflets intérieurs déparent sa beauté. Un visage peut rester beau, lors
même qu'il n'exprime pas la bienveillance, mais le rire qui n'est pas bon
enfant me repousse singulièrement.

Lord Durham passe pour être spirituel, ambitieux, colère et surtout
enfant gâté, le plus susceptible et le plus vaniteux des hommes. Avec des
prétentions nobiliaires qui lui font reculer son origine jusqu'aux
Saxons, tandis que lord Grey, son beau-père, ne se réclame que de la
conquête, lord Durham n'en est pas moins dans toutes les doctrines les
plus radicales. Ce n'est, dit-on, pour lui, qu'un moyen d'arriver au
pouvoir; Dieu veuille que ce n'en soit pas un de le détruire.


_Londres, 13 mai 1834._--Charles X a dit à Mme de Gontaut, le 25 avril:
«L'éducation de Louise étant finie, je vous prie de partir après-demain
27.» Mademoiselle, qui aime beaucoup Mme de Gontaut, a été au
désespoir[19].

  [19] Mme de Gontaut fut une victime de la petite Cour de Charles X
  où deux partis divisaient les fidèles: d'un côté les partisans
  de l'inertie non résignée, et, de l'autre, les partisans
  de l'action. Une lettre où Mme de Gontaut exprimait son
  mécontentement à sa fille, Mme de Rohan, fut saisie. Le Roi, qui
  y était accusé de faiblesse, fit de violents reproches à Mme de
  Gontaut, qui quitta Prague et la Cour après cet entretien.

La duchesse de Gontaut a été très courageuse, elle a passé la journée du
26 à essayer de consoler Mademoiselle, mais sans succès. La vicomtesse
d'Agoult remplace, dit-on, momentanément, Mme de Gontaut: c'est une
sainte à la place d'une personne d'esprit. Cela s'est passé avant
l'arrivée, à Prague, de Mme la duchesse de Berry, qui n'a dû y être que
le 7 mai.

On m'a dit que Jérôme Bonaparte faisait le Roi tant qu'il pouvait. A
l'Opéra, il est seul sur le devant de sa loge, et deux messieurs, qui
l'accompagnent, sont debout derrière son fauteuil.

J'ai été, hier, passer plus d'une heure chez Mme la princesse Sophie
d'Angleterre; elle est instruite, causante, animée, ce qui ne l'empêche
pas, sous le prétexte de sa mauvaise santé, de vivre dans une assez
grande retraite. La princesse Sophie passe pour avoir le talent d'imiter
(si tant est que cela en soit un) à un haut degré, comme l'avait aussi le
feu roi George IV. On dit qu'ils se divertissaient fort ensemble, et se
mettaient, réciproquement, très en valeur. Hier, en effet, la
conversation étant tombée sur Mme d'Ompteda, bonne femme, mais au moins
singulière, si ce n'est ridicule, la princesse a voulu me répéter une
plainte que Mme d'Ompteda lui a adressée, contre une personne de la
Cour, et m'a donné la plus parfaite représentation comique que j'aie vue;
je me roulais de rire à un tel point, que j'en ai demandé pardon à la
Princesse; elle n'a pas paru trop en colère de mon manque de maintien.


_Londres, 14 mai 1834._--M. Dupin l'aîné a écrit à M. de Talleyrand, pour
lui annoncer son arrivée ici; il finit sa lettre par: «Votre affectionné,
Dupin.» M. Dupin a souvent plaidé pour M. de Talleyrand, et, je crois,
fort bien, mais alors, sa formule était moins royale.

On sait que le traité de la Quadruple Alliance est arrivé à Lisbonne,
qu'il y a été approuvé, et on en attend, à tout instant, la ratification,
malgré la folle colère de dom Pedro, qui a trouvé fort mauvais que la
France, l'Angleterre et l'Espagne se soient permis de donner le titre
d'Infant à dom Miguel, que lui, dom Pedro, lui avait ôté par décret.


_Londres, 15 mai 1834._--On assure que M. Dupin vient à Londres pour se
montrer, voulant accoutumer l'Europe à son importance; car il rêve, à ce
qu'il paraît, de réunir entre ses mains, à la session prochaine, la
présidence du Conseil et le ministère des Affaires étrangères. Dans un
temps comme celui-ci, on n'est vraiment plus en droit de taxer de chimère
l'idée la plus étrange! Ce n'est pas la première fois que M. Dupin désire
le portefeuille des Affaires étrangères: il a cherché à l'emporter de
vive force il y a deux ans, et le Roi ayant essayé, alors, de lui faire
comprendre qu'il ne serait peut-être pas tout à fait propre à ce genre
d'affaires, M. Dupin eut une grande explosion de colère, et, prenant un
de ses pieds entre ses mains, en montrant la semelle de son soulier au
Roi, il lui dit: «Ah! Ah! c'est donc parce que j'ai des clous à mes
souliers, que je ne puis traiter avec _Monsieur Lord_ Granville!» C'est à
la suite de cette explication, qui devint de plus en plus insolente de la
part de M. Dupin, que le Roi, en dépit de son indulgence et de ses
habitudes, se prit, à son tour, d'une telle rage, que, saisissant M.
Dupin par le collet, et appuyant son poing fermé sur sa poitrine, il le
poussa hors de sa chambre. Je tiens tout ceci d'un témoin. La
réconciliation se fit bientôt après; on s'est revu sans embarras;
l'épiderme n'est pas sensible à Paris!

_La Quotidienne_ a d'abord loué le dernier ouvrage de M. de Lamennais; le
faubourg Saint-Germain a hésité pendant quelque temps, enfin il a pris le
parti de blâmer. On a même été demander à M. de Chateaubriand de prendre
la plume pour le réfuter; mais il a répondu que, pour lui, il l'admirait
dans toutes ses pages, dans toutes ses lignes, et que s'il se décidait à
dire au public ce qu'il pensait de cet ouvrage, ce serait pour lui faire
rendre l'honneur qui lui est dû. M. de Chateaubriand tourne, ou affecte
de tourner de plus en plus au républicanisme; il dit que toute forme
monarchique est devenue impossible en France.

Les carlistes iront aux élections, et enverront, tant qu'ils pourront,
des républicains à la Chambre, lorsqu'ils ne pourront pas réussir pour
eux-mêmes. Ces mots de république, de républicains, ont cours partout
maintenant, sans plus choquer personne: les oreilles y sont façonnées!


_Londres, 16 mai 1834._--Voici le joli moment de parcourir Londres; cette
multitude de squares, si verts, si fleuris, ces parcs si riches de
végétation, toutes ces vérandahs suspendues aux maisons et couvertes de
fleurs, ces plantes grimpantes qui tapissent les murs de beaucoup de
maisons jusqu'au second étage, tout cela est d'un coup d'œil si doux
qu'on regrette un peu moins le soleil qui aurait rapidement fait justice
de tant de fraîcheur.

J'appliquais presque la même observation, hier matin au «Drawing-room» de
la Reine, où l'éclat des beaux teints anglais, les beaux cheveux blonds
tombant en longs anneaux sur les joues les plus roses et les cous les
plus blancs, ne permettaient pas trop de regretter le manque d'expression
et de mouvement de ces transparentes beautés. Il est convenu de reprocher
aux Anglaises de manquer de tournure: elles marchent mal, cela est vrai;
au repos, leur nonchalance a de la grâce, elles sont généralement bien
faites, moins pincées dans leurs ajustements que ne le sont les
Françaises, leurs formes sont plus développées et plus belles. Elles
s'habillent parfois sans beaucoup de goût, mais du moins, chacun
s'arrangeant ici comme il l'entend, il y a une diversité dans les
toilettes, qui les fait mieux valoir une à une. Les épaules découvertes,
les coiffures plates et les cheveux longs des jeunes filles, ici,
seraient assez déplacés en France, où les très jeunes personnes sont
presque toutes petites, noires et maigres.

Ce que je dis des jardins et de la beauté des femmes, je serais tentée de
l'appliquer, moralement, aux Anglais. Il y a, dans leur conversation,
une réserve, une froideur, un manque d'imagination, qui ennuie pendant
assez longtemps, mais cet ennui fait place à un véritable attrait, si on
se donne le soin de chercher tout ce qu'il y a de bon sens, de droiture,
d'instruction et de finesse cachés sous ces dehors embarrassés et
silencieux; on ne se repent presque jamais d'avoir encouragé leur
timidité, car ils ne deviennent jamais ni familiers, ni importuns, et ils
vous témoignent, de les avoir devinés, et d'être venu au secours de leur
fausse honte, une reconnaissance qui, à elle seule, est une véritable
récompense. Je voudrais seulement qu'en Angleterre, on n'exposât pas de
pauvres orangers aux brouillards épais de l'atmosphère, que les femmes ne
s'ajustassent jamais d'après le journal des modes de Paris et que les
hommes prissent les allures plus vives et plus libres de la conversation
sur le Continent. Détestables caricatures quand ils copient, les Anglais
sont excellents quand ils sont eux-mêmes; ils sont si bien faits pour
leur propre région, qu'il ne faut les juger que sur leur sol natal. Un
Anglais, sur le Continent, est tellement hors de sa sphère, qu'il est
exposé à passer pour un imbécile ou pour un extravagant.


_Londres, 17 mai 1834._--Le ministre de Suède, M. de Bjoerstjerna, qui
veut toujours faire valoir son souverain, même sous les rapports les plus
frivoles, vantait, l'autre jour, à M. de Talleyrand, la force, la grâce
et la jeunesse que le Roi Charles-Jean a conservées à son âge avancé. Il
se répandait surtout en admiration sur la quantité de cheveux qu'a le
Roi, et sur ce qu'ils étaient noirs comme du jais, sans qu'il y en eût un
blanc. «Cela paraît, en effet, merveilleux», dit M. de Talleyrand, qui
demanda «si, par hasard, le Roi ne teignait pas ses cheveux?--Non,
vraiment», répliqua le Suédois, «il n'y a rien de factice dans cette
belle couleur noire.--Alors, c'est en effet, bien extraordinaire», dit M.
de Talleyrand.--«Oui, sûrement», reprit M. de Bjoerstjerna, «aussi
l'homme qui arrache, chaque matin, les cheveux blancs du Roi est fort
adroit». Il y a mille histoires de ce genre sur M. de Bjoerstjerna, qui
cherche à donner crédit au dire populaire qui désigne les Suédois comme
étant les Gascons du Nord.

Samuel Rogers, le poète, a assurément beaucoup d'esprit, mais il est
tourné à la malignité et parfois même à la méchanceté. Quelqu'un lui
ayant demandé pourquoi il ne parlait guère que pour dire du mal de son
prochain, il répondit: «J'ai le son de voix si faible, que, dans le
monde, je n'étais jamais ni entendu, ni écouté; cela m'impatientait.
J'essayai alors de dire des méchancetés, et je fus écouté: tout le monde
a des oreilles pour le mal qui se dit d'autrui». Il passe sa vie chez
lady Holland, dont il se moque, et dont il se plaît à exagérer et à
exciter les terreurs de la maladie et de la mort. Pendant le choléra,
lady Holland était saisie d'inexprimables angoisses: elle songeait sans
cesse à toutes les mesures de précaution, et, racontant à Samuel Rogers
toutes celles qu'elle avait réunies autour d'elle, elle énumérait tous
les remèdes qu'elle avait fait placer dans la chambre voisine: bains,
appareils fumigatoires, couvertures de laine, sinapismes, drogues de
tous genres. «Vous avez oublié l'essentiel», dit M. Rogers.--«Et quoi
donc?--Un cercueil!...» Lady Holland s'évanouit...

Le comte Pahlen revient de Paris, où il a vu le Roi, le soir, en famille,
n'ayant pas d'uniforme pour une présentation en règle; le Roi lui ayant
dit qu'il voulait qu'il vînt à un des grands bals du Château, le Comte
s'en excusa sur le manque d'uniforme. «Oh! qu'à cela ne tienne», reprit
le Roi, «vous y viendrez en frac, _en député de l'opposition_!» En effet,
M. de Pahlen fut à ce bal (matériellement magnifique), et se vit, lui
seul, avec un groupe de députés opposants, en frac, à travers le Corps
diplomatique et ce qu'on appelle la Cour, en uniforme.

Le prince Esterhazy nous a fait ses adieux hier. Il était visiblement ému
en quittant M. de Talleyrand, qui ne l'était pas moins; on ne se sépare
pas de quelqu'un de l'âge de M. de Talleyrand sans une pensée
d'inquiétude, et il y a, dans l'adieu que dit un vieillard, un retour sur
lui-même qui n'échappe pas aux assistants.

Le prince Esterhazy est généralement aimé et regretté ici, et avec
raison; son retour est vivement désiré; la finesse de son esprit ne nuit
en rien à la droiture de son caractère, la sûreté parfaite de son
commerce est inappréciable, et, malgré un certain décousu dans ses façons
et dans son maintien, il reste, toujours, un grand seigneur.


_Londres, 18 mai 1834._--Cette semaine-ci, le Roi d'Angleterre a semblé
mieux; le temps est moins chaud; la grande excitation qu'il éprouvait a
fait place, au contraire, à une sorte d'affaissement; on lui a vu bien
souvent des larmes dans les yeux: c'est aussi du manque d'équilibre, mais
de moins mauvais augure que la grande irritation qu'il témoignait la
semaine passée.


_Woburn Abbey, 19 mai 1834[20]._--Cette demeure-ci est, certainement, une
des plus belles, des plus magnifiques, des plus grandes et des plus
complètes de l'Angleterre. L'extérieur du château cependant est sans
caractère, et sa situation basse, et même, je crois, un peu humide; mais
les Anglais détestent d'être vus et renoncent volontiers, à leur tour, à
voir par-delà de l'enceinte la plus limitée; il y a rarement, des
châteaux d'Angleterre, d'autre vue que celle de l'entourage le plus
immédiat; aussi le mouvement des passants, des voyageurs, des paysans
travaillant dans les champs, la perspective des villages, des lieux
environnants, il ne faut pas espérer en jouir. De verts gazons, des
fleurs dans le pourtour de la maison et des arbres superbes qui
interceptent toute échappée de vue, voilà ce qu'ils aiment, et ce qu'on
trouve ici presque partout; je ne connais jusqu'à présent que Windsor et
Warwick qui fassent exception.

  [20] Woburn Abbey est située dans le comté de Bedford; il s'y
  trouve un magnifique château moderne, appartenant aux ducs de
  Bedford, bâti sur l'emplacement d'une abbaye de Cisterciens
  fondée en 1445.

Les hôtes qui se trouvent à Woburn, en ce moment, sont à peu près les
mêmes que ceux que j'y ai rencontrés, lors de mon premier séjour: lord et
lady Grey et lady Georgina, leur fille; lord et lady Sefton, M. Ellice;
lord Ossulston; les maîtres de la maison, trois de leurs fils, une de
leurs filles, M. de Talleyrand et moi.

Il y a, dans toutes ces personnes, des gens fort distingués, de l'esprit,
de l'instruction, d'excellentes manières, mais j'ai déjà remarqué qu'à
Woburn la réserve anglaise était poussée plus loin qu'ailleurs, et cela
en dépit du langage presque hardi de la duchesse de Bedford, qui
contraste avec la timidité silencieuse du Duc et du reste de la famille.
Il y a, aussi, dans la pompe, l'étendue, la magnificence de la demeure,
quelque chose qui jette du froid, de la raideur et du décousu dans la
société; d'ailleurs, le dimanche, quoiqu'on ne l'ait pas tenu
rigoureusement puisqu'on a fait jouer M. de Talleyrand, est toujours plus
sérieux que tout autre jour.


_Woburn Abbey, 20 mai 1834._--Le Chancelier est venu augmenter le nombre
des visiteurs. En parlant des grandes existences aristocratiques du pays,
il m'a dit que le duc de Devonshire avec ses cent quarante mille livres
sterling de rente, ses châteaux et ses huit membres du Parlement, était,
_avant la réforme_, aussi puissant que le Roi lui-même. Cet _avant la
réforme_ est bien l'aveu du coup porté, par cette réforme, à l'ancienne
constitution du pays. J'en ai fait convenir lord Brougham, qui, tout en
soutenant qu'elle était nécessaire, et ayant commencé sa phrase en disant
qu'on n'avait fait que couper des ailes qui étaient tant soit peu trop
longues, l'a finie en disant qu'ils avaient fait une révolution
_complète_, mais sans effusion de sang. «Et notre grande journée
révolutionnaire», a-t-il dit encore avec une satisfaction apparente, «a
été celle du mois de 1831 où nous avons dissous le Parlement qui avait
osé repousser notre Bill; le peuple est impérissable, comme le sol, c'est
donc à son profit qu'à la longue doivent tourner toutes les
modifications, et une aristocratie qui a duré cinq siècles a duré tout ce
qu'elle pouvait durer!» Voilà la pensée dominante de sa conversation qui
m'a frappée, et d'autant plus, qu'elle avait commencé de sa part par une
sorte d'hypocrisie qui s'est dissipée avant la mienne; il avait commencé
avec quelques ménagements pour mes préjugés aristocratiques que je lui ai
rendus par de petits ménagements pour sa passion nivelante. Cinq minutes
de tête-à-tête de plus, et nous serions arrivés, lui à 1640, et moi à
1660.


_Londres, 21 mai 1834._--On nous a montré un petit coin du parc de Woburn
que je ne reconnaissais pas, et qui est joli dans le moment actuel de la
floraison; cela se nomme _The Thornery_, à cause de la multitude
d'aubépines que renferme cet enclos agreste, au milieu duquel se trouve
une chaumière ornée, fort jolie.

Lord Holland avait recommandé au duc de Bedford de nous conduire à
Ampthill, qui lui appartient, et qui n'est qu'à sept milles de Woburn.
Lady Holland tenait aussi à ce que nous y vissions un beau portrait
d'elle qui la représente en Vierge du soleil; il est beau, agréable et a
dû être ressemblant.

La maison d'Ampthill est triste, humide, mal meublée, mal tenue, et en
contraste avec un des plus jolis parcs qu'on puisse voir. Le pays est
joli, accidenté, riant et boisé.

Ampthill n'est pas sans quelques traditions. C'est là que s'est retirée
Catherine d'Aragon après son divorce. Il ne reste plus rien de l'ancien
château qui était sur le haut de la montagne, et non pas au fond de la
vallée comme l'est la maison actuelle. Une croix gothique est placée là
où était l'ancienne demeure, et sur le piédestal se trouvent quelques
vers assez médiocres en souvenir des cruautés d'Henri VIII; ces vers
n'ont pas même le mérite d'être du temps. Une autre curiosité du lieu,
c'est un certain nombre d'arbres tellement vieux, que du temps même de
Cromwell, on ne les trouvait plus propres à la marine; ils ont
entièrement perdu leur beauté et ressembleront bientôt à ce qu'on appelle
des truisses en Touraine.

Lord Sefton remarquait hier devant lord Brougham que tous les défenseurs
de la Reine Caroline d'Angleterre étaient parvenus aux plus hautes
dignités du pays, lord Grey, lord Brougham, etc... Ce qui m'a fait dire
au Chancelier qu'il n'y avait donc plus d'inconvénient pour lui, à avouer
qu'il avait défendu alors une bien mauvaise cause. Il n'a jamais voulu en
convenir, et a cherché à nous persuader que si la Reine avait eu des
amants, Bergami n'était pas du nombre. Il voulait nous faire croire que
telle, du moins, était sa conviction, et, à l'appui de cette assertion,
que personne, pas plus que lui-même je crois, ne prenait au sérieux, il
nous a raconté que, pendant les trois dernières heures de la vie de la
Reine, durant lesquelles le délire le plus marqué s'était emparé d'elle,
elle avait beaucoup parlé du prince Louis de Prusse, de l'enfant de
Bergami nommée Victorine et de plusieurs autres personnes, mais qu'elle
n'avait pas une seule fois prononcé le nom de Bergami. Il m'a semblé que
pour un aussi grand jurisconsulte, la preuve était par trop négative et
peu concluante.


_Londres, 22 mai 1834._--En revenant hier en ville, nous y avons appris
la nouvelle du rappel du prince de Lieven. C'est quelque chose dans la
politique, c'est beaucoup dans la société de Londres. L'excellent
caractère, le bon esprit, les manières parfaites de M. de Lieven, lui
conciliaient la bienveillance et l'estime générale, et la femme la plus
redoutée, la plus comptée, la plus entourée et la plus soignée est Mme de
Lieven. Son importance politique, que beaucoup de mouvement d'esprit et
de savoir-faire justifiaient, marchait de front avec une autorité
incontestée par la société. On se plaignait quelquefois de sa tyrannie,
de son humeur exclusive, mais elle maintenait, par cela même, une
barrière utile entre la haute et exquise société et celle qui l'était
moins. Sa maison était la plus recherchée, celle où on attachait le plus
de prix à être admis. Le grand air, peut-être même un peu raide, de Mme
de Lieven, faisait très bien dans les grandes occasions. Je ne me fais
pas une idée d'un «Drawing-room» sans elle. A l'exception de lord
Palmerston, qui, par son arrogance obstinée dans l'affaire de sir
Stratford Canning, a amené le départ de M. et de Mme de Lieven, je suis
sûre que personne ne sera bien aise de ce départ; peut-être, cependant,
M. de Bülow, aussi, se sentira-t-il soulagé d'échapper au joug et à la
surveillance de la Princesse devant laquelle son rôle, quelquefois double
et triple, jamais simple, n'était pas facile à jouer.

M. de Lieven est nommé gouverneur du jeune Grand-Duc, héritier de Russie.
On dit qu'il y a là tout ce qui peut flatter et consoler; pour lui oui,
mais non pour elle, qui retombera difficilement après vingt-deux ans de
séjour en Angleterre et des agitations politiques de tous genres, dans
les glaces et les nullités de Saint-Pétersbourg.

Il paraîtrait que les trois Cours du Nord, en opposition à la Quadruple
Alliance méridionale, sont assez disposées à conclure un engagement
séparé avec la Hollande. Le fait est qu'on se ménage en paroles, mais
qu'on aiguise ses armes en silence.

Les Cortès sont convoquées pour le 24 juillet. La nouvelle télégraphique
d'Espagne de l'autre jour, qui n'a conduit qu'à un jeu de bourse, s'est
évaporée assez honteusement. On mande, de Paris, que le général Harispe a
été prié de ne plus donner, télégraphiquement, des nouvelles douteuses,
et que le président du Conseil a été engagé à ne pas répandre les
nouvelles de ce genre avant confirmation.

L'amiral Roussin a refusé le ministère de la marine. Il était question
d'y appeler l'amiral Jacob. M. de Rigny avait laissé le Conseil
parfaitement libre, en ce qui le concerne personnellement, de le nommer,
soit à la marine, soit aux Affaires étrangères; la décision n'est point
encore connue.

A propos du départ des Lieven, voici ce que la Princesse m'a raconté: Il
y a plusieurs semaines déjà, au retour de lord Heytesbury de Pétersbourg,
lord Palmerston dit à M. de Lieven qu'il comptait nommer sir Stratford
Canning à Pétersbourg; le prince de Lieven en écrivit à sa Cour, et M. de
Nesselrode répondit, au nom de l'Empereur, que le caractère entier,
l'esprit anguleux et l'emportement de sir S. Canning lui étant
personnellement désagréables, il désirait un autre ambassadeur, ne
donnant d'exclusion qu'à celui-là. Lord Palmerston, à son tour, exposa
tous les motifs qui lui faisaient désirer de vaincre cette opposition. M.
de Lieven écouta les raisons de lord Palmerston et lui promit de les
faire valoir près de l'Empereur. Dès le lendemain, il expédia un
courrier, à cet effet, à Pétersbourg, mais le courrier n'était pas
embarqué que la nomination de sir S. Canning, au poste de Pétersbourg,
parut officiellement dans la _Gazette de Londres_. Ce manque d'égards
rendit l'opposition russe décisive d'une part, et l'obstination de lord
Palmerston plus invétérée de l'autre; le Cabinet anglais se prétendit
maître de nommer qui il lui plaisait aux postes diplomatiques; l'Empereur
Nicolas, sans contester ce droit, dit qu'il avait, lui, celui de ne
recevoir chez lui que ceux qui lui plaisaient. La brèche a toujours été
ainsi, en s'élargissant, et l'opposition des systèmes politiques, jointe
à l'hostilité des individus, ne présage pas, dans l'état actuel si
compliqué du monde, une paix bien solide ni bien prolongée.


_Londres, 23 mai 1834._--Je crois le Cabinet de Londres embarrassé du
départ de M. de Lieven, et lord Grey personnellement peiné. Lord
Brougham paraît aussi en sentir tous les inconvénients. J'ai reçu de l'un
et de l'autre de longs billets, fort curieux à ce sujet, et que je
conserverai soigneusement.

Voilà M. de La Fayette mort. Quoiqu'il ait été, toute sa vie, _Gilles le
Grand_ pour M. de Talleyrand, sa mort ne lui a pas été indifférente. A
plus de quatre-vingts ans, il semble que tout contemporain soit un ami.


_Londres, 24 mai 1834._--Lord Grey est venu me faire une longue et très
amicale visite; je l'ai trouvé très peiné du départ des Lieven, mais
mettant du soin à détruire l'opinion que lord Palmerston, par ses
mauvaises façons, l'eût provoqué. J'ai vu qu'il désirait vivement que les
semences d'aigreur entre M. de Talleyrand et lord Palmerston ne
germassent pas. Il est impossible de montrer plus de bienveillance
personnelle pour nous qu'il ne m'en a témoigné.

Nous avons dîné à Richmond chez cette pauvre princesse de Lieven, qui
fait vraiment grande pitié. Je crains, pour elle, que les choses ne
soient encore pires, en réalité, qu'elles ne le sont en apparence. Je
crois qu'elle se flatte de rester au courant de toutes choses, et par la
confiance de l'Empereur, et par l'amitié de M. de Nesselrode, comme par
l'espèce de faveur dont jouit son frère, le général de Benkendorff. Je
crains, au contraire, pour elle, qu'elle ne perde bientôt la carte de
l'Europe ou qu'elle ne la voie plus que par une lunette fort réduite, ce
qui serait certainement pour elle une sorte de mort morale. Ses
espérances, ses regrets, tout cela s'exprimait avec vivacité et naturel;
elle m'a semblé plus aimable que de coutume, parce qu'elle était tout en
dehors, avec abandon et simplicité. Ce laisser-aller des personnes
habituellement contenues a toujours quelque chose de particulièrement
piquant.

L'abominable article du _Times_ sur elle, qui est vraiment honteux pour
le pays, l'a d'abord fait pleurer; elle en est convenue, en disant
qu'elle avait été navrée de penser que c'étaient là les adieux que lui
faisait le public anglais, à elle, qui quittait ce pays-ci avec tant de
chagrin, mais elle a senti bientôt que rien n'était plus méprisable et
plus généralement méprisé. Elle a fini par si bien reprendre sa belle
humeur qu'elle nous a raconté, le plus drôlement du monde, car elle
raconte parfaitement, une petite scène fort ridicule du marquis de
Miraflorès. Ce petit homme, qui m'a tout de suite paru d'une fatuité
insupportable, et dont la figure plaisait à Mme de Lieven et me
déplaisait souverainement, a été s'asseoir à côté d'elle au bal de
l'Almacks. La princesse lui ayant demandé s'il n'était pas frappé de la
beauté des jeunes Anglaises, il a répondu, avec un air sentimental, un
son de voix ému et un regard prolongé et significatif, qu'il n'aimait pas
les femmes trop jeunes, qu'il préférait celles qui cessaient de l'être et
qu'on appelait des _femmes passées_.

La duchesse de Kent a vraiment un talent remarquable pour aviser toujours
si juste une gaucherie qu'elle n'en manque pas une. C'est aujourd'hui le
jour de naissance de sa fille, qu'elle devait, à cette occasion, mener
pour la première fois à Windsor, où cet anniversaire devait se fêter en
famille. La mort du petit prince de Belgique, à peine âgé d'un an, et que
ni sa tante, ni sa cousine n'avaient vu, a fait renoncer la duchesse de
Kent à cette petite fête de famille. Rien ne pouvait être plus
désobligeant pour le Roi.


_Londres, 25 mai 1834._--Le Roi Léopold paraît disposé à appeler ses
neveux à la succession du trône de Belgique. Est-ce à dire qu'il ne
compte plus sur sa descendance directe? On en a de l'humeur aux
Tuileries; je crois que ce sera assez indifférent partout ailleurs, où ce
nouveau royaume et cette nouvelle dynastie ne sont guère encore pris au
sérieux.

L'exposition de peinture, à Somerset-House, est bien médiocre, plus
encore que celle de l'année dernière; celle de sculpture encore plus
pauvre. Les Anglais excellent dans les arts d'imitation, mais ils restent
les derniers dans les arts d'imagination; c'est par ce côté surtout que
le manque de soleil se fait sentir. Entourés des chefs-d'œuvre enlevés
au Continent, ils ne produisent rien qui puisse leur être comparé! Rien
ne se colore à travers le voile brumeux qui les enveloppe!


_Londres, 26 mai 1834._--Lord Grey est au moment de voir son
administration se décomposer, par la retraite de M. Stanley et celle de
sir James Graham, s'il fait de nouvelles concessions aux catholiques
irlandais au détriment de l'Église anglicane. S'il se refuse à ces
concessions pour conserver M. Stanley, dont le talent parlementaire est
de premier ordre, il est à supposer que le Cabinet restera en minorité
aux Communes, et que la chute de tout le ministère en sera le résultat.
C'était, du moins, ce qu'on disait et croyait, hier, et la figure
soucieuse de lord Grey, à dîner, chez lord Durham, ainsi que quelques
propos échappés à la naïve niaiserie de lady Tankerville, confirmaient
assez ce bruit. La question se videra demain, mardi 27, à l'occasion de
la motion de M. Ward.

Mme de Lieven ne m'a pas caché son espoir, que si le Cabinet change, soit
en tout, soit en partie, et que lord Palmerston soit du nombre des
sortants, elle pourrait bien rester ici, se flattant que la première
démarche du nouveau ministre des Affaires étrangères serait une demande à
Pétersbourg à l'effet de garder M. de Lieven ici. Elle compterait, dans
cette circonstance, a-t-elle ajouté, sur l'influence de M. de Talleyrand
auprès du nouveau ministre, quel qu'il fût, pour le décider à cette
démarche.


_Londres, 27 mai 1834._--Il est singulier que le fils du maréchal Ney,
qui est à Londres, ait désiré se faire présenter à la Cour d'Angleterre,
qui a abandonné son père qu'elle aurait pu sauver; de s'y faire présenter
par M. de Talleyrand, sous le ministère duquel le maréchal a été arrêté
et accusé, le même jour que M. Dupin, le défenseur du maréchal, doit
également être présenté, et le tout en face du duc de Wellington, qui, en
maintenant strictement les termes de la capitulation de Paris, aurait pu
peut-être couvrir de son égide l'accusé, qu'il n'a pas cru devoir
protéger. Le jeune prince de la Moskowa n'a sans doute pas fait tous ces
rapprochements, mais M. de Talleyrand, qui a compris que d'autres les
feraient, qu'ils ne seraient agréables pour personne, et moins encore
pour le jeune homme que pour qui que ce soit, a décliné cette
présentation sous le prétexte du peu de temps qui restait entre la
demande et la réception, et qui ne lui laissait pas le temps de remplir
les formalités voulues.

Hier, à sept heures du soir, j'ai reçu un billet assez curieux d'un des
amis et confidents du ministre: «Rien n'est changé depuis hier; aucune
amélioration ne s'est établie dans la situation des choses; on va
employer la soirée à obtenir que la question reste ouverte, c'est-à-dire
qu'elle ne soit pas regardée comme une question de Cabinet, que chacun
soit libre de tout engagement et puisse voter comme il lui plaira. Le
Chancelier s'emploie fort à faire adopter ce biais, mais lord Grey, qui
paraît évidemment désireux de se retirer des affaires, pourra bien faire
manquer cette combinaison.»


_Londres, 28 mai 1834._--Après beaucoup d'agitations et d'incertitudes,
lord Grey s'est décidé à laisser sortir du ministère M. Stanley et sir
James Graham, dont l'exemple sera probablement suivi par le duc de
Richmond et lord Ripon; et lui, lord Grey, reste, en se rangeant du côté
de la motion de M. Ward. Il avait eu, un moment, le bon instinct de se
retirer aussi, mais M. Ellice, qui le gouverne maintenant, l'a poussé
dans une autre voie, et le Chancelier a fortement agi sur le Roi, qui, à
son tour, a prié lord Grey de rester.

Hier, les ministres se louaient du Roi avec des attendrissements infinis.
Ce pauvre Roi a soutenu «la réforme» malgré tous ses scrupules
politiques: il abandonne aujourd'hui le clergé, malgré ses scrupules de
conscience; aussi le Chancelier disait-il, hier, que c'était un grand
Roi, et ajoutait, avec une satisfaction joyeuse et l'enivrement de
paroles qui lui est propre, que la journée d'hier était la seconde grande
journée révolutionnaire bénigne des annales de l'Angleterre moderne. Cet
étrange Chancelier, sans dignité, sans convenance, sale, cynique,
grossier, se grisant de vin et de paroles, vulgaire dans ses propos,
malappris dans ses façons, venait dîner ici, hier, en redingote, mangeant
avec ses doigts, me tapant sur l'épaule et racontant cinquante ordures.
Sans les facultés extraordinaires qui le distinguent comme mémoire,
instruction, éloquence et activité, personne ne le repousserait plus
vivement que lord Grey. Je ne connais pas deux natures qui me paraissent
plus diamétralement opposées. Lord Brougham, merveilleux aux Communes,
est un perpétuel objet de scandale à la Chambre Haute, où il met tout
sens dessus dessous, où lui, _Chancelier_, est souvent rappelé à l'ordre,
où il embarrasse lord Grey à tout instant par ses incartades; aussi, il
ne s'y sent pas sur son terrain, et je crois que le jour où il pourrait
ensevelir la Pairie de ses propres mains, il ne s'en ferait pas faute.

Il dînait hier ici avec M. Dupin, autre produit grossier de l'époque,
sentencieux et criard comme un vrai procureur, avec la plus lourde vanité
plébéienne qui apparaît à tout instant. Le premier mot qu'il a dit au
Chancelier, qui se souvenait de l'avoir vu il y a quelques années, a été
celui-ci: «Oui, quand nous étions avocats tous deux...»

Lord Althorp a demandé, hier, aux Communes, l'ajournement de la motion de
M. Ward, pour avoir le temps de remplir les vides laissés par la retraite
de quelques membres du Cabinet, ce qui a été accordé.

On ne peut imaginer ce qui inspire à la duchesse de Kent une mauvaise
grâce aussi continue contre la Reine. Malgré son refus de conduire la
princesse Victoria à Windsor, la Reine a voulu aller la voir à Kensington
avant-hier au soir. La duchesse de Kent a refusé, sous le plus léger
prétexte, de recevoir la Reine; celle-ci en est péniblement affectée.
Personne ne peut comprendre le motif d'une semblable conduite. Lord Grey,
hier, l'attribuait à sir John Conroy, le chevalier d'honneur de la
Duchesse, qu'on dit fort ambitieux, fort borné, et très puissant auprès
d'elle. Il croit que sous la Régence de la Duchesse, il est appelé à
jouer un grand rôle, qu'il veut escompter dès à présent, et s'imaginant
avoir été blessé dans je ne sais quelle occasion par la Cour de
Saint-James, il s'en venge en semant l'aigreur et la discorde dans la
famille royale. J'ai su la dernière scène de Kensington par le Dr Küper,
chapelain allemand de la Reine, qui, en sortant, hier matin, de chez Sa
Majesté, est venu me parler de l'affliction de cette bonne Princesse.
Lord Grey, à qui j'en parlais, hier à dîner, m'a dit que le Roi Léopold,
en quittant l'Angleterre, lui avait dit qu'il était inquiet de laisser sa
sœur livrée aux conseils d'un aussi mauvais esprit que celui de ce
chevalier Conroy; qu'heureusement la princesse Victoria ayant quinze
ans, et devant être majeure à dix-huit, la régence de la duchesse de Kent
serait, ou bien nulle, ou du moins fort courte.


_Londres, 29 mai 1834._--La princesse Victoria ne paraît encore qu'aux
deux «Drawing-rooms» qui sont destinés à fêter les jours de naissance du
Roi et de la Reine. J'ai trouvé à celui d'hier, qui, par parenthèse, a
duré trois grandes heures, pendant lesquelles la défilade a été de plus
de dix-huit cents personnes, que cette jeune princesse avait vraiment
beaucoup gagné depuis trois mois. Ses manières sont parfaites, et elle
sera, un jour, assez agréable pour être presque jolie. Elle aura, comme
tous les Princes, le don de se tenir longtemps sur ses jambes sans
fatigue ni impatience. Nous succombions, hier, toutes, tour à tour; la
femme du nouveau ministre grec, seule, que son culte habitue à rester
longtemps debout, a très bien supporté cette corvée! Elle est d'ailleurs
soutenue par la curiosité et la surprise; elle s'étonne de tout, fait des
questions naïves, des réflexions et des méprises amusantes. C'est ainsi
que, voyant le Chancelier passer en grande robe et perruque, et portant
le sac brodé qui contient les sceaux, elle l'a pris pour un évêque
portant l'Évangile, ce qui, appliqué à lord Brougham, était
particulièrement comique.

La princesse de Lieven a paru, hier, pour la première fois, dans le
costume national russe, qui est nouvellement adopté, à Saint-Pétersbourg,
pour les occasions d'apparat. Ce costume est si noble, si riche, si
gracieux, qu'il va bien à toutes les femmes, ou, pour mieux dire, qu'il
ne va mal à aucune. Celui de la Princesse était particulièrement bien
arrangé et lui allait bien, le voile dissimulant la maigreur de son col.

On ne parlait hier, à la Cour et ailleurs, que de la retraite des quatre
membres du ministère, qui lui ôte une grande force morale, surtout celle
de M. Stanley, à cause de ses grands talents, et celle du duc de
Richmond, à cause de sa considération personnelle. Les conservatifs sont
fort satisfaits; ils voient, par là, leurs rangs se grossir, ceux de
leurs adversaires, si ce n'est s'affaiblir numériquement, du moins se mal
recruter. On parlait de lord Mulgrave, lord Ebrington, Mr Abercromby, Mr
Spring Rice pour entrer au Cabinet, mais rien n'était encore décidé.

Au grand dîner diplomatique qui, pour la fête du Roi, a eu lieu chez le
ministre des Affaires étrangères, lord Palmerston avait, pour la première
fois, invité des femmes. Assis entre la princesse de Lieven et moi, il
était en froideur à droite, en fraîcheur à gauche; il était évidemment
mal à l'aise, quoique son embarras ne fût nullement augmenté de n'avoir
pas été dans son salon, à l'arrivée des dames, d'y être venu tout à son
aise et sans même nous faire la plus petite excuse.

M. Dupin, fort bien traité ici par un monde brillant et élevé, y prend
assez de goût pour faire le difficile sur celui de Paris. Ne s'avise-t-il
pas de trouver, lui, que la Cour des Tuileries manque de dignité, que les
femmes n'y sont pas assez bien mises, que tout y est trop confondu et que
le Roi Louis-Philippe ne _trône_ pas assez! Allant à des dîners, aux
«Drawing-rooms», à la Cour, aux soirées, aux concerts, à l'Opéra, au bal,
aux courses, M. Dupin est lancé dans un train de dissipations qui en fera
une espèce de dandy fort grotesque, je m'en flatte, et qui étonnera un
peu Paris.

Mme de Lieven, qui parle volontiers du feu roi George IV, me disait qu'il
avait une telle aversion pour la roture, qu'il n'avait jamais fait aucune
politesse à M. Decazes, qu'il ne l'avait vu qu'une seule fois, et cela à
l'occasion des lettres de créance qu'il lui a présentées. Quant à Mme
Decazes, n'ayant pas eu de «Drawing-room» pendant la durée du séjour
qu'elle a fait à Londres, il a pu se dispenser de la recevoir, et on n'a
jamais pu le décider à lui accorder une audience particulière ou à
l'inviter à Carlton-House. Il en a agi presque aussi rudement avec la
princesse de Polignac, dont l'obscure origine anglaise lui était
importune. Quant à Mme Falk, le motif pour lequel elle n'a pas vu le feu
Roi est plus singulier encore: Mme Falk a une grosse beauté flamande
fortement développée qui offusquait particulièrement lady Conyngham,
comme trop dans les goûts du Roi; elle a toujours empêché qu'elle ne fût
reçue.

M. Dupin a été si frappé du beau costume des femmes, à la Cour
d'Angleterre, qu'il m'a fait, à ce sujet, une phrase vraiment amusante:
«Il faudrait que la Reine des Français établît aussi un costume de Cour:
on prélèverait ainsi sur nos _vanités bourgeoises_, qui ont la rage de se
montrer à la Cour, l'impôt d'un grand habit.»


_Londres, 30 mai 1834._--Les ratifications portugaises au traité de la
Quadruple Alliance sont enfin arrivées, mais inexactes et incomplètes. Le
préambule en entier du traité est passé sous silence; il est donc peu à
supposer qu'il n'y ait là que de l'oubli et pas de mauvaise volonté.
L'avocat de la Couronne a été appelé au Foreign-Office, pour aider à
trouver un biais qui rendît l'échange possible; on n'a rien trouvé qui
fût sans inconvénient. Cependant, lord Palmerston penchait vers l'échange
en laissant de côté le préambule, ce qui ôterait pourtant à son traité la
force morale, la seule peut-être qu'il ait réellement; on ne doit prendre
à cet égard de détermination que ce matin.

J'ai souvent entendu dire que personne ne pouvait être aussi astucieux
qu'un fou: ce qu'on vient de me raconter me le ferait croire. En réponse
aux félicitations des évêques pour son jour de naissance, le Roi les a
assurés en pleurant, que, se sentant vieux et près de porter son âme
devant Dieu, il ne voudrait pas charger sa conscience d'un tort vis-à-vis
de l'Église, et qu'il soutiendrait de toute sa puissance les droits et
privilèges du clergé anglican. Ceci s'est dit dans la même journée où le
Roi demandait à lord Grey de ne pas se retirer et de laisser aller M.
Stanley.

Hier au soir, le remaniement du ministère n'était pas encore arrêté. Ce
qui semble prouvé, c'est que personne ne veut de lord Durham. Il s'est,
dit-on, livré à une rage épouvantable; lady Durham, qu'il a traitée avec
brutalité, ce qui arrive chaque fois qu'il est mécontent de lord Grey,
s'est évanouie, à dîner, chez sa mère, sans que son mari ait seulement
daigné tourner les yeux de son côté.

Le marquis de Lansdowne qui s'est, tout dernièrement encore, exprimé au
Parlement comme favorable à l'Église, pourrait bien, dit-on, selon ce qui
se passera lundi prochain aux Communes, se retirer également du Cabinet.
Sur cette nouvelle, lady Holland a été, en toute hâte, chez lord
Brougham, lui dire que cette retraite lui paraîtrait un grand malheur et
qu'il faudrait l'éviter à tout prix! Le Chancelier, que la modération de
lord Lansdowne ne satisfait point, a répondu qu'il trouvait, au
contraire, que cette retraite était très avantageuse, et qu'il y aiderait
plutôt que de l'empêcher. Là-dessus, lady Holland s'est animée, et, en
énumérant tous les mérites de son ami, elle a demandé au Chancelier s'il
songeait bien à tout ce que représentait le marquis de Lansdowne. «Oui,»
a répondu lord Brougham, «je sais qu'il représente parfaitement toutes
les vieilles femmes de l'Angleterre.»


_Londres, 31 mai 1834._--Le ministère anglais est rajusté, sans avoir
pris une couleur plus marquée dans aucun sens.

Grâce à des déclarations et à des réserves, on va procéder à l'échange
des ratifications portugaises.

Il me semble que toute la besogne de la semaine est assez pauvre et que
les résultats en seront à l'avenant.


_Londres, 1er juin 1834._--J'ai rencontré hier des ministres sortants et
des entrants. Les premiers me paraissent plus satisfaits que les autres,
et, je crois, avec raison.

Lady Cowper, malgré son esprit fin et délicat, a cependant une extrême
nonchalance et naïveté, qui lui fait dire parfois des choses singulières
par leur trop grand abandon. C'est ainsi qu'elle dit hier matin à Mme de
Lieven: «Je vous assure que lord Palmerston regrette en vous une ancienne
et agréable connaissance, qu'il rend justice à toutes les excellentes
qualités de votre mari, et qu'il convient que la Russie ne saurait être
plus dignement représentée que par lui; mais voyez-vous, c'est par cela
même que l'Angleterre ne saurait que gagner à votre départ.» Mme de
Lieven m'a semblé également frappée de la sincérité de l'aveu, et
mécontente de son résultat.

Lady Cowper lui a montré aussi, sans beaucoup de réflexion, une lettre de
Mme de Flahaut, dans laquelle, après avoir exprimé quelques regrets polis
sur le rappel de M. de Lieven, elle se lamente sur le choix du chargé
d'affaires; elle dit que c'est une petite guêpe venimeuse, malfaisante,
un Russe enragé, un ardent ennemi des Polonais, et que, pour tout résumer
en un mot, c'est le cousin germain de Mme de Dino,--ce qui,
ajoute-t-elle, est positivement très nuisible à l'intérêt de
l'Angleterre, puisque celle-ci doit au contraire attacher du prix à ce
que la France et la Russie ne s'entendent pas.

On dit, au reste, que Pozzo est enchanté de l'éloignement de Paris de mon
cousin Medem; il l'a toujours fort loué et bien traité, mais il se
pourrait que la liaison directe et intime de Paul avec M. de Nesselrode
ait fini par gêner Pozzo; je ne le crois cependant pas.

Hier, à dîner, chez lord Holland, M. Dupin a an peu trop fait le
législateur; le pauvre lord Melbourne surtout, à moitié distrait, à
moitié endormi, était ennuyé d'une longue dissertation sur le divorce,
qui venait d'autant plus mal à propos, que sa femme, après l'avoir fait
enrager pendant longtemps, est morte folle et enfermée. Lord Holland, qui
aime facilement tous ceux que, politiquement, il ne voudrait pas faire
pendre, m'a cependant dit que M. Dupin lui déplaisait souverainement, et
qu'il lui trouvait tous les inconvénients de lord Brougham, sans la
compensation des facultés variées et surabondantes de celui-ci.

A propos du Chancelier, il m'en a assez mal parlé comme caractère, me
disant, par exemple, que c'était lui, lord Holland, qui avait forcé la
main au duc de Bedford pour le faire entrer au Parlement et qu'aussitôt
après, lord Brougham avait passé quatre années sans mettre les pieds chez
lord Holland; qu'à la vérité, il y était revenu sans motif, sans embarras
et sans excuses. La faculté dominante chez le Chancelier, c'est cette
promptitude d'esprit et de souvenir, qui lui fait rassembler
immédiatement et trouver sous sa main tous les faits, tous les arguments,
tous les tenants et aboutissants relatifs à l'objet dont il veut parler.
Aussi M. Allen dit-il du Chancelier qu'il a toujours une légion de démons
de toutes couleurs à ses ordres dont lui-même est le chef; aucun scrupule
ne l'arrête, disait lord Holland. Lady Sefton me confiait, l'autre jour,
qu'il n'était ni sincère, ni fidèle en amitié; lady Grey dit, tout
simplement, que c'est un monstre, et c'est ainsi qu'en parlent les gens
de son parti et de son intimité.


_Hylands, 2 juin 1834._--Les républicains en veulent à M. de La Fayette
d'avoir choisi pour sa sépulture le cimetière aristocratique de Picpus,
et de la quantité de prêtres réunis à la maison mortuaire pour recevoir
le corps. Il s'est fait enterrer avec un tonneau de terre des États-Unis,
mêlée à celle dont on l'a recouvert. A propos de M. de La Fayette, j'ai
entendu plusieurs fois raconter par M. de Talleyrand, qu'ayant été, de
bonne heure, le 7 octobre 1789, chez M. de La Fayette avec le marquis de
Castellane, autre membre de l'Assemblée constituante, pour proposer
quelques arrangements à prendre pour la sûreté de Louis XVI, transporté
la veille aux Tuileries, ils l'avaient trouvé, après les terribles
quarante-huit heures qui venaient de se passer, tranquillement occupé à
se faire peindre.

Nous sommes ici à Hylands chez un ancien et aimable ami, M. Labouchère.
C'est bien riant, et remarquable par la culture des fleurs et la
recherche des potagers. Labouchère, qui est un peu de tous les pays, a
réuni autour de lui des souvenirs de différents lieux; on voit cependant
que la Hollande domine, car c'est surtout dans le parterre de fleurs
qu'on dépense le plus de soins et d'argent.


_Hylands, 3 juin 1834._--Un billet de lord Sefton, écrit hier de la
Chambre des lords, avant la fin de la séance dont nous ignorons encore le
résultat, m'apprend que la commission d'enquête proposée par lord Althorp
pour examiner l'état de l'Église d'Irlande, ne satisfait pas les
exigences de M. Ward et des siens. M. Stanley et sir James Graham se
moquent de cette commission et demandent la question préalable; sir
Robert Peel se tient en arrière; lord Grey est abattu, et le Roi, tout
prêt, soit à la soutenir, soit à former un autre Cabinet: poussé par les
difficultés du moment, il est sans principes et sans affections, ce qui
me paraît être la position commune de tous les Rois.


_Londres, 4 juin 1834._--Il paraît que dom Miguel est hors de combat, et
qu'il met bas les armes, en quittant la Péninsule; il me semble que les
signataires de la Quadruple Alliance attribuent cette soumission à la
nouvelle de la signature de leur traité; si tel est le cas, cet effet
moral est d'autant plus heureux, que le résultat matériel n'aurait,
probablement, pas été aussi effectif.

Au Parlement anglais, M. Ward n'ayant pas voulu se tenir satisfait de la
commission d'enquête, lord Althorp a demandé la question préalable; il a
été soutenu par M. Stanley, qui a admirablement parlé sur la propriété
inviolable de l'Église, et par tous les Tories. La question préalable a
été adoptée à une grande majorité: elle ne saurait plaire au ministère
qui n'a dû ce vote qu'à ses ennemis auxquels elle sert de triomphe, et
principalement à celui des quatre ministres sortants. L'opinion réelle
du Cabinet, les différentes combinaisons qui l'ont fractionnée et fait
agir, tout cela est si confondu, si mêlé, qu'on ne saurait bien
comprendre la pensée véritable qui a présidé à la marche saccadée et
inconséquente de ce Cabinet.

Aux Communes, lord Palmerston s'est élevé contre le principe soutenu par
lord Lansdowne à la Chambre Haute où on a été surpris d'entendre celui-ci
s'exprimer favorablement pour le clergé, lui qui est _socinien_[21]
reconnu. Tout est contradiction dans cette question. Lord Grey a flotté,
incertain entre tous les combattants, ne primant pas les uns,
n'entraînant pas les autres, heurté, poussé, ballotté par tout le monde;
aussi il sort tout meurtri de cette échauffourée, et si, aux yeux de ses
amis, il reste une bonne et honnête créature, aux yeux du public il n'est
plus qu'un pauvre vieux homme, un ministre épuisé.

  [21] Disciple de Socin, qui ne reconnaît ni la Trinité, ni la
  divinité du Christ.

Lady Holland, qui, en général, fait tout ce que les autres évitent, a été
guetter, à une fenêtre de Downing Street, les membres du Parlement qui se
sont rendus, il y a deux jours, au meeting de lord Althorp, afin de
faire, avec plus de sûreté, ses spéculations sur les individus,
spéculations qui sont rarement charitables. Elle croit se faire pardonner
son inconcevable égoïsme en le rendant déhonté et en se proclamant
elle-même un vieux enfant gâté. Elle exploite les autres à son profit,
sans aucun ménagement; les traite bien ou mal, par des calculs plus ou
moins personnels; ne voit jamais un obstacle à ses désirs dans les
convenances d'autrui. C'est à peine si on peut lui faire honneur de
quelques qualités, car elles ont, presque toutes, un motif intéressé pour
base. Quand elle a lassé, à force de caprices et d'exigences, la patience
de ses connaissances, elle cherche à la regagner par d'assez nombreuses
bassesses. Elle abuse de sa fausse position sociale, que les gens de bon
goût ont à cœur de ne pas blesser, pour les soumettre et les opprimer: y
être parvenue, au point où elle y est arrivée, c'est, il faut en
convenir, la meilleure preuve de son habileté et de son esprit. Elle a
fait, dans sa vie, des choses inouïes, qui lui sont toutes pardonnées:
elle a fait, par exemple, passer sa fille aînée pour morte, afin de ne
pas être obligée de la rendre à son premier mari: quand elle ne s'est
plus souciée de cette enfant, elle l'a ressuscitée, et, pour prouver
qu'elle n'avait pas été enterrée, on a ouvert la fosse et la bière, et on
y a, en effet, trouvé le squelette d'un chevreau. La plaisanterie est un
peu forte! Cependant elle règne en despote dans la société, qui est
nombreuse. Cela tient, peut-être, à ce qu'elle ne cherche pas à forcer
les portes des autres, et qu'elle domine le préjugé plutôt que de lutter
contre lui. M. de Talleyrand la tient assez bien en bride et devient
ainsi le vengeur de tout son cercle. C'est une joie générale quand lady
Holland es un peu malmenée; personne ne vient à son secours, lord Holland
et M. Allen moins que les autres.

Lady Aldborough s'adressa un jour à lady Lyndhurst, en lui demandant de
vouloir bien savoir de son mari, qui était alors Chancelier, quelles
étaient les démarches qu'elle devait faire dans un procès important.
Lady Lyndhurst refusa, avec les façons rudes, grossières et vulgaires qui
lui étaient propres, de se charger de demander ces renseignements,
ajoutant qu'elle ne se mêlait jamais d'aussi ennuyeuses besognes: «Very
true, my lady,» répondit lady Aldborough, «I quite forgot that you are
not in the civil line.» Lady Aldborough est spirituelle, elle a du trait,
même en français, elle est souvent un peu trop libre et hardie; c'est
ainsi qu'en apprenant la mort de la princesse de Léon, qui avait péri
brûlée et qu'on disait n'avoir trouvé, dans son mari, qu'un frère et non
pas un époux, lady Aldborough s'écria: «Quoi! Vierge et martyre? Ah!
c'est trop!»

L'état du Cabinet anglais est bien étrange. Sir Robert Peel a déclaré à
la Chambre n'y rien comprendre, cela met le manque d'intelligence de tout
le monde fort à l'aise. Ce qui paraît clair à tous, c'est que si aucun
membre du Cabinet n'est absolument détruit, tous sont blessés, on prétend
même à mort; pour énervés, du moins, c'est évident. J'en suis peinée pour
lord Grey, auquel je suis réellement attachée; pour le reste, je n'y
prends pas le plus petit intérêt. Ce n'est pas par lord Palmerston que
l'éclat leur reviendra. M. de Talleyrand a beau dire qu'il déblaye
facilement de la besogne, qu'il parle et écrit bien le français, c'est un
esprit court, présomptueux; il a l'humeur arrogante et le caractère sans
droiture. Chaque jour fournit une preuve plus ou moins évidente de sa
duplicité: par exemple, qu'est-ce qui peut faire que lorsque lord Grey
s'explique hautement contre l'idée du Roi Léopold de se choisir un
successeur, et que lord Palmerston semble être du même avis, il écrit des
lettres particulières à lord Granville, pour soutenir la pensée de
Léopold? Cela met une gêne continuelle dans toutes les relations des
ambassadeurs avec lui, et cela en établit surtout une très pénible pour
M. de Talleyrand.


_Londres, 5 juin 1834._--M. le duc d'Orléans m'a écrit, sans provocation
de ma part, ni motif bien apparent, une lettre qui me paraît avoir eu
pour but la phrase suivante, qui semble vouloir établir qu'il n'approuve
pas la marche des ministres du Roi son père: «Je vois déjà un symptôme
rassurant dans cette disposition à circonscrire les querelles de parti
dans les limites d'un collège électoral et à ne se livrer bataille qu'à
coup de bulletins. Puisse cette direction des esprits remplacer tout à
fait le système de force brutale que je vois avec douleur prévaloir
aujourd'hui dans tous les partis, et être l'argument favori non seulement
des hommes d'opposition, mais aussi des hommes de pouvoir.» Il me semble
qu'il y a bon sens et bon sentiment dans cette réflexion.

Si M. le duc d'Orléans était bien entouré, j'aurais confiance dans son
avenir: il a de l'intelligence, du courage, de la grâce, de l'instruction
et de l'entreprise; ce sont des dons de Prince, fort heureux, et qui,
mûris par l'âge, peuvent faire de lui un bon Roi. Mais l'entourage est si
petit, si médiocre, en hommes et en femmes; il n'y a là, depuis la mort
de Mme de Vaudémont, rien de distingué, de noble ni d'élevé.

Lady Granville a donné un bal, à Paris, pour le jour de naissance du Roi
d'Angleterre. Elle avait rempli la galerie d'orangers et on devait valser
autour; on avait dissimulé les lampes derrière des fleurs, de manière
qu'on y voyait à peine: rien de plus favorable aux conversations
particulières. Huit voleurs, mis à merveille, sont entrés par le jardin;
cette quantité d'hommes inconnus a frappé, on en a parlé trop tôt; ils
ont vu qu'ils étaient remarqués et se sont évadés. Il paraît que leur
projet était d'arracher les diamants aux femmes, lorsqu'elles seraient
allées dans le jardin qu'on allait illuminer.


_Londres, 6 juin 1834._--Le Cabinet anglais, si petitement rajusté, ne
porte pas la tête bien haute; tous les honneurs sont pour les ministres
sortants. Lord Grey ne s'y trompe pas et ne s'enorgueillit nullement de
la grande majorité de lundi dernier, car, comme me le disait un de ses
amis: «Cette majorité n'est pas le résultat d'une affection pour les
ministres, mais de la crainte de voir venir les Tories qui dissoudraient
le Parlement actuel.» Je crois que rien n'est plus vrai. Au reste, le
Cabinet sent déjà le besoin de se fortifier. On dit que lord Radnor, ami
du Chancelier et grand aboyeur radical, sera Lord du Sceau privé.

Il paraît certain que dom Miguel et don Carlos quittent, décidément, la
Péninsule, le premier pour venir ici, le second pour aller en Hollande.

Le prince de la Moskova ayant persisté dans son désir d'être présenté, il
l'a été hier, ainsi que le prince d'Eckmühl. Ce désir était si vif,
qu'ils allaient chercher à se faire présenter par M. Ellice, en l'absence
de M. de Talleyrand, comme si cela eût été possible, lors même que cela
n'aurait pas été inconvenant. Les jeunes Français n'ont, vraiment, idée
de rien; et M. Ellice, qui n'est _gentleman_ que d'hier, s'était mis de
moitié dans cette belle combinaison.

On appelle, ici, assez drôlement lord Durham et M. Ellice _l'Ours et le
Pacha_.


_Londres, 7 juin 1834._--Voilà Lucien Bonaparte, qui, après avoir adressé
une lettre aux députés de France, l'année dernière, et avoir, ensuite,
disparu pendant plusieurs mois, puis s'être trouvé, dit-on, secrètement
en France, durant les derniers troubles de Lyon et de Paris, est enfin
revenu ici d'où il s'adresse maintenant aux électeurs de France. Sa
nouvelle lettre, plus boursouflée encore et plus remplie d'affectation
littéraire que la première, est en outre de la plus grande bassesse et du
plus mauvais goût.

Lucien, que je n'avais jamais vu, avant son arrivée en Angleterre,
puisqu'il était en disgrâce auprès de l'Empereur, passait pour avoir
autant d'esprit au moins que son frère et beaucoup de décision. J'ai
entendu dire qu'au 18 Brumaire, c'était lui qui avait sauvé Napoléon;
enfin, je l'avais entendu fort louer. Sa connaissance personnelle, comme
il arrive souvent, n'a pas répondu à mon attente; il m'a semblé, humble
dans ses manières, terne dans sa conversation, faux dans son regard,
ressemblant à Napoléon par les contours extérieurs de ses traits,
nullement par l'expression. Je l'ai vu, l'année dernière, à un concert
chez la duchesse de Canizzaro, prier celle-ci de le présenter au duc de
Wellington qui était dans le salon, traverser la chambre et venir, avec
des courbettes, se faire nommer au vainqueur de Waterloo, dont l'accueil
a eu toute la froideur que méritait une telle platitude.

Puisque j'habite, à Londres, une maison célèbre pour un vol considérable
fait à la vieille marquise de Devonshire, qui en est propriétaire[22], et
pour un fantôme qui y est apparu à lord Grey et à sa fille, je veux
conter ici ce que lord Grey et lady Georgiana, sa fille, m'en ont dit à
plusieurs reprises et devant des témoins, lord Grey avec sérieux et
détails, lady Georgiana avec répugnance et hésitation. Lord Grey, donc,
un soir qu'il traversait la salle à manger du rez-de-chaussée pour aller,
armé d'un bougeoir, de la pièce qui donne sur le square à son propre
appartement, vit, au fond de la pièce et derrière une des colonnes qui
divisent cette salle, le visage pâle et triste d'un homme âgé, dont
cependant les yeux et les cheveux étaient très noirs. Le premier
mouvement de lord Grey fut de reculer, puis, relevant les yeux, il vit
encore ce même visage qui le fixait tristement, pendant que le corps
semblait caché par la colonne, mais qui disparut au premier mouvement que
fit lord Grey pour avancer. Il fit quelques recherches sans rien trouver.
Il y a deux petites portes derrière les colonnes et une grande glace
entre elles; je ne sais jusqu'à quel point la disposition des lieux
n'offre pas une explication simple à cette vision, que lord Grey
cependant n'admet avoir été ni celle d'un voleur ni l'effet du reflet de
sa propre figure dans la glace. A la vérité, il était blond alors et ses
yeux sont bleus. Tant il y a que, le lendemain matin à déjeuner, il
raconta à sa famille ce qu'il avait vu la veille en allant se coucher.
Lady Grey et sa fille lady Georgiana se regardèrent aussitôt avec une
expression singulière, dont lord Grey demanda l'explication. On lui dit
ce qu'on lui avait caché jusque-là pour ne pas se faire moquer de soi,
c'est qu'une nuit, lady Georgiana s'était éveillée sous l'impression d'un
souffle qui passait sur son visage; elle ouvrit les yeux et vit une
figure d'homme se pencher sur elle; elle les ferma croyant rêver, mais
les rouvrant aussitôt, elle revit la même figure; le cri qu'elle poussa
alors fit disparaître la vision. Elle se jeta en bas de son lit, courut
dans la chambre à côté, et fermant à clef sur elle la porte de cette
chambre, elle se précipita, à moitié morte, sur le lit de sa sœur lady
Élisabeth; elle lui raconta ce qui venait de lui arriver. Lady Élisabeth
voulut entrer dans la chambre au fantôme pour l'examiner, mais lady
Georgiana s'y opposa de toutes ses forces. Le lendemain matin, fenêtres,
volets et portes étaient en bon ordre, et la vision fut déclarée avoir
été celle d'un fantôme, quoiqu'une partie plate du toit arrivant jusqu'à
une des fenêtres, ait fait supposer aux moins incrédules qu'un
domestique, épris d'une des femmes de chambre, avait été le héros de
cette aventure nocturne.

  [22] Cette maison, où se trouvait alors l'ambassade de France,
  était située dans Hanover-Square, no 21.

La maison n'en est pas moins restée en très mauvais renom. Je couche
dans la chambre où on a enlevé les diamants de lady Devonshire, et ma
fille dans celle du revenant de lady Georgiana. Quand nous sommes entrés
dans cette maison, j'ai vu des gens qui, très sérieusement, s'étonnaient
de notre courage; dans les premiers temps, les domestiques tremblaient en
circulant le soir et les servantes ne voulaient aller que deux à deux.
L'avouerai-je? A force d'avoir entendu lord Grey et sa fille raconter
avec conviction les apparitions, je me suis sentie gagnée d'un certain
malaise qui a eu de la peine à s'user.

Depuis près de trois ans que nous occupons cette maison, on n'y a rien
volé et rien n'y est apparu. Toutefois, pendant un de nos voyages en
France, et lorsque la porte de mon appartement était fermée à clef, la
femme de charge, le portier et les filles de service ont juré avoir
entendu sonner très fort la sonnette dont le cordon est au fond de mon
lit, avoir couru à ma porte, l'avoir trouvée fermée à clef, comme cela se
devait, et, après l'avoir ouverte, n'avoir rien aperçu qui eût pu donner
lieu à ce bruit. On avait voulu me faire croire que ce coup de sonnette
avait retenti précisément le 27 juillet 1832, jour où j'ai été si
cruellement versée à Baden-Baden. Une petite souris aura, probablement,
été le vrai coupable.

On dit que le père de lord Grey a eu une vision fort étrange, et que le
fils, outre celle de Hanover-Square, en a eu une autre, plus curieuse, à
Howick, dont il n'aime pas à parler, ce qui fait que je me suis abstenue
de toute question; mais il en a circulé quelques versions qui ont prêté
depuis à des caricatures.


_Londres, 8 juin 1834._--Les prétentions exagérées de lord Radnor ont
fait abandonner l'idée de le faire entrer au ministère. On songe
maintenant à lord Dacre, qui satisferait, à ce que l'on croit, les
_Dissenters_. Le _Privy Seal_, que lord Carlisle ne tient que
provisoirement, est destiné au nouvel arrivant.

Je suis arrivée, hier matin, chez Mme de Lieven, au moment où elle venait
de recevoir des lettres de Pétersbourg, qui lui donnent enfin une idée
plus précise de ce que sera sa nouvelle position en Russie. Elle prend,
ce me semble, un aspect plus favorable: au lieu de n'être qu'une poupée
de cour et de succomber sous l'esclavage et la contrainte d'une
représentation perpétuelle, la Princesse aura une maison à elle;
l'Empereur désire que ce soit là que son fils apprenne à connaître la
société, se forme au monde et à la conversation.

Ce projet, expliqué avec une grâce et une obligeance parfaites, dans une
lettre de l'Impératrice, pleine d'esprit, de naturel, de bons sentiments
et d'heureuses expressions, devient, nécessairement, d'un grand intérêt
et est une grande consolation pour Mme de Lieven. Elle se voit avec une
influence directe, et aussi indépendante qu'elle peut l'être en Russie.
Son imagination développe et féconde ce nouveau but d'activité, et je
dois cette justice à la Princesse qu'elle n'a pas laissé échapper la plus
petite puérilité ou petitesse de conception dans le plan qu'elle s'est
tracé tout de suite; non, tout était large et bien compris. Le plaisir de
son importance personnelle était visible, mais le contraire eût été de
l'hypocrisie, et je lui ai su gré de se l'être épargné devant moi! Le
désir vif de rendre au jeune Grand-Duc le service immense de l'accoutumer
à la grande et noble compagnie, de rendre son salon assez distingué et
assez agréable pour accoutumer jusqu'à l'Empereur et l'Impératrice à y
jouir plus du plaisir de la conversation que des divertissements pour
lesquels ils ne sont peut-être plus assez jeunes; l'ambition de rendre,
s'il se peut, à cette Cour, le grandiose et la civilisation
intellectuelle dont elle brillait sous la grande Catherine; l'espérance
d'y attirer, ainsi, des étrangers, en excitant leur curiosité et en ayant
de quoi la satisfaire; tout cela occupe l'activité de la Princesse. Elle
a, en elle, de quoi fort bien remplir ce rôle, difficile partout, et plus
encore dans un pays où la pensée même est aussi enchaînée que l'est la
parole.

J'ai trouvé, dans la lettre de l'Impératrice et dans celle de M. de
Nesselrode, quelque chose de raisonnable et de délicat, et dans tout ce
que j'entends dire de l'Empereur Nicolas, quelque chose qui peut faire
espérer de bons résultats de cette seconde éducation de l'héritier d'un
trône de glace. J'ai surtout été satisfaite de voir que la franchise avec
laquelle Mme de Lieven avait témoigné à l'Impératrice ses regrets de
quitter l'Angleterre ait été bien prise. Elle m'a dit à ce sujet: «Ceci
me prouve qu'on peut être sincère, chez nous, sans se casser le cou.»
J'espère qu'elle s'en convaincra de plus en plus, mais il sera longtemps
nécessaire d'envelopper cette sincérité de beaucoup de coton.

Elle m'a extrêmement vanté l'Empereur, comme un homme fortement doué et
destiné à devenir la grande figure historique du temps. A cela, je lui
ai répondu en lui disant un mot de M. de Talleyrand qui l'a charmée. M.
de Talleyrand m'a, en effet, dit ceci: «Le seul Cabinet qui n'ait pas
fait une faute depuis quatre ans, c'est le Cabinet russe. Et savez-vous
pourquoi? C'est qu'il n'est pas pressé.»

La Reine d'Angleterre a témoigné beaucoup de cette obligeance qui lui est
naturelle à Mme de Lieven, à l'occasion de son rappel, quoiqu'elle ait eu
beaucoup de peine à oublier le peu de cas que la Princesse faisait
d'elle, pendant la vie de George IV et celle du duc d'York, et surtout le
manque d'égards des patronnesses de l'Almacks, Mme de Lieven en tête, au
seul bal de ce genre où elle avait été, comme duchesse de Clarence. J'ai
entendu même la Reine, un jour, en faire souvenir Mme de Lieven, d'une
façon à beaucoup embarrasser celle-ci; mais enfin, ces anciens petits
griefs sont effacés et, à l'occasion du départ actuel, la Reine a été
parfaite. Quant au Roi, c'est différent; il n'a pas même dit à M. ou à
Mme de Lieven qu'il savait leur rappel: ils s'en prennent à lord
Palmerston, et je crois que ce n'est pas sans cause.


_Londres, 9 juin 1834._--J'ai trouvé hier la duchesse-comtesse de
Sutherland fort occupée de réunir vingt dames qui, ensemble, offriraient
à Mme de Lieven un souvenir durable des regrets que son départ laisse ici
aux femmes de sa société particulière. Cette pensée, qui est tout
anglaise, car l'esprit d'association se retrouve partout ici, jusque dans
les choses purement de grâce et d'obligeance, m'a paru devoir être
agréable et flatteuse pour la Princesse, et j'ai mis avec plaisir mon nom
sur la liste. Dix guinées est le tribut de chacune, et un beau bracelet à
l'intérieur duquel, si cela se peut, nos noms seront inscrits, me paraît
être l'objet sur lequel le choix s'est fixé.

M. de Montrond est revenu de Paris. Son esprit prompt et incisif est
toujours le même, et quoique assurément il ne soit rien moins
qu'ennuyeux, je me sens reprise de cette espèce de malaise qu'éprouvent
souvent ceux qui sont dans l'atmosphère d'un être venimeux, dont la
piqûre est à redouter. Le charme qui a longtemps fasciné M. de
Talleyrand, à son égard, n'existe plus et a d'autant mieux fait place à
un sentiment de fatigue et d'oppression que l'ancienneté de leurs
relations, et leur intimité passée, ne permettent pas d'en secouer
entièrement le joug.

Il ne me semble pas que M. de Montrond apprenne rien de nouveau de Paris.
Il parle de l'habileté du Roi, personne ne la conteste; que le Roi parle
toujours, et toujours de lui-même, c'est également connu. M. de Montrond
se plaint de la destruction de toute société à Paris, de l'esprit de
division qui la brise et qui ne s'adoucit point. Il raconte assez
drôlement les embarras de famille de Thiers, les prétentions
diplomatiques du maréchal Soult pour son fils, les craintes qu'inspire à
Rigny, et à d'autres, l'espèce d'effet que produit ici, à ce qu'ils
croient, M. Dupin. Ils y voient le symptôme d'une entrée future au
ministère et en veulent presque à M. de Talleyrand des politesses qu'il
lui fait. Ils ne sentent pas que le bon accueil qu'on fait ici à M.
Dupin (l'homme le moins propre, par lui-même, à plaire à la bonne
compagnie anglaise) n'est dû qu'au désir de nous être agréable, et que le
prix que nous y mettons ne tient qu'à faire tourner les grosses phrases
redondantes de M. Dupin à l'avantage de l'alliance anglaise dont il était
le vif adversaire.

J'ai trouvé lord Grey, hier, d'un découragement point du tout dissimulé:
c'est un mal contagieux et qui semble avoir atteint tous ses adhérents.
Cette lassitude, ce dégoût de lord Grey, me semble le plus fâcheux
symptôme de l'affaiblissement du Cabinet actuel. Les coups, qui sont
portés dans le _Times_ par lord Durham à lord Grey, blessent celui-ci au
cœur. Les conservatifs comme les radicaux exploitent déjà la succession
des Whigs; il est impossible de ne pas voir que le moment est critique
pour tous.

En causant, hier, avec un de mes amis, je me suis souvenue qu'ayant eu, à
l'âge de dix-sept ans, comme beaucoup d'autres femmes de Paris à cette
époque, la fantaisie, ou la faiblesse, de consulter Mlle Lenormand, qui
était alors fort en vogue, je pris, d'abord, toutes les précautions que
je crus suffisantes pour ne pas être connue d'elle. Il fallait lui
demander et son jour et son heure; je le fis faire, pour moi, par ma
femme de chambre, sous des noms et des demeures supposés; elle répondit,
et je fus, au jour fixé, à deux heures après midi, avec ma femme de
chambre, dans un fiacre pris à une certaine distance de chez moi, jusqu'à
la rue de Tournon où demeurait la devineresse. Sa maison n'avait pas
mauvaise apparence; l'appartement était propre, et même assez orné. Il
fallut attendre le départ d'un monsieur à moustaches que nous vîmes
sortir du cabinet où la sibylle rendait ses oracles. J'y fis entrer ma
femme de chambre avant moi, mon tour vint ensuite. Après quelques
questions sur le mois, le jour et l'heure de ma naissance, sur l'animal,
la fleur et la couleur que je préférais, et sur les mêmes objets qui me
déplaisaient particulièrement, après m'avoir demandé si je voulais
qu'elle fît pour moi la grande ou la petite cabale dont le prix
différait, elle arriva enfin à ma destinée, dont elle me dit ce qui suit;
je laisse juger à ceux qui me connaissent bien si ce qu'elle me prédit
alors s'est vérifié, en tout ou en partie; l'avenir laisse d'ailleurs
encore de la marge aux événements qu'elle a signalés et qui, sans s'être
réalisés jusqu'à présent, paraissent moins invraisemblables qu'ils ne me
l'ont semblé alors. Peut-être ai-je oublié quelques détails
insignifiants, mais voici les traits principaux de cette prédiction, que
j'ai racontée, depuis, à plusieurs personnes, entre autres à ma mère et à
M. de Talleyrand.

Elle me dit donc que j'étais mariée; qu'il existait entre moi et un grand
personnage un lien spirituel (j'ai expliqué ceci parce que mon fils aîné
était le filleul de l'Empereur Napoléon); que je me séparerais de mon
mari après de nombreux embarras et tourments; que mes chagrins ne
cesseraient que neuf années après cette séparation; que ces neuf années
seraient marquées par des épreuves et des calamités de tous genres pour
moi; elle m'a dit aussi que je deviendrais veuve, que je ne serais plus
jeune alors, sans cependant être trop vieille et que je me remarierais;
qu'elle me voyait, pendant beaucoup d'années, fort rapprochée d'un
personnage qui, par sa position et son influence, m'obligerait à jouer
une espèce de rôle politique et me donnerait assez de crédit pour sauver
la liberté et la vie de quelqu'un. Elle m'a dit encore que je vivrais
dans des temps fort orageux, difficiles et pendant lesquels il y aurait
de grands bouleversements; qu'un jour, même, je serais éveillée à cinq
heures du matin par des hommes armés de piques et de haches, qui
entoureraient ma demeure pour me faire périr, que je parviendrais
cependant à me sauver de ce danger auquel j'aurais été exposée par mes
opinions et mon rôle politiques; que je m'échapperais déguisée; qu'elle
me voyait encore en vie à soixante-trois ans et sur ma demande si c'était
là le terme assigné à mon existence, elle m'a répondu: «Je ne prétends
pas que vous mourrez à soixante-trois ans, je veux dire seulement que je
vous vois vivante encore alors; plus tard, je ne sais rien de vous ni de
votre destinée.»

Les circonstances principales de cette prédiction me parurent, alors,
trop hors du cours probable des événements pour qu'elles me rendissent
inquiète ou soucieuse; je le répétai à mes amis plutôt pour jeter du
ridicule sur ma propre faiblesse qui m'avait conduite en si étrange
compagnie, et quoique le moins vraisemblable de cette prédiction se soit
vérifié, tels que ma séparation, de longs chagrins, l'intérêt que j'ai
été forcée de prendre aux événements publics, par celui qu'ils
inspiraient à M. de Talleyrand, j'avoue qu'à moins du récit d'une autre
prédiction, je ne songe que fort rarement à celle de Mlle Lenormand, pas
plus qu'à sa personne, qui était, cependant, assez étrange pour ne pas
être oubliée. Elle avait l'air d'être âgée de plus de cinquante ans,
lorsque je la vis; sa taille était plutôt élevée, ses façons brusques, sa
robe noire lâche et traînante; son visage d'une mauvaise couleur mêlée,
ses dents gâtées, ses yeux petits, vifs et sauvages, sa physionomie rude
et curieuse tout à la fois, sa tête découverte, ses cheveux gris,
hérissés et en désordre, achevaient de la rendre repoussante. Je fus
soulagée en la quittant.

Je n'ai jamais eu semblable curiosité depuis; mais si je ne l'ai pas
éprouvée, c'est bien plutôt par une certaine terreur de ce qui pourrait
m'être annoncé, et par un certain dégoût pour l'espèce de monde dont
c'est l'industrie, que par usage de ma raison. Si j'avouais toutes mes
superstitions, je ferais grand tort à mon bon sens!

Ces oracles de Mlle Lenormand me revinrent cependant à la mémoire
lorsqu'en juillet 1830, seule à Rochecotte, entourée d'incendies, et
recevant les nouvelles des journées de Paris, je vis passer sous mes
fenêtres les régiments que le général Donnadieu dirigeaient sur la
Vendée, où on croyait que Charles X se rendrait. J'entendais les uns
hurler contre les Jésuites, qu'ils accusaient bêtement de jeter des
mèches inflammables dans leurs maisons et dans leurs champs; les autres
crier contre les _mal pensants_ tels que moi. Le curé vint se réfugier
chez moi, pendant que le maire me demandait si je ne croyais pas qu'il
fallût chasser de la commune cette soutane noire, qui, selon lui, sentait
le soufre. Je me voyais déjà cernée par des piques et des haches, et me
sauvant, comme je pouvais, en bonnet rond et en blouse. Je m'en suis
tirée alors, mais quelquefois je me suis dit: «C'est partie remise, tu
n'y échapperas pas.»


_Londres, 10 juin 1834._--Lord Dacre, qui devait entrer au ministère, a
fait une chute de cheval, causée par un coup de sang, qui le met hors de
cause. On songe, maintenant, à mettre M. Abercromby à la tête de la
Monnaie, en lui donnant entrée au Conseil.

Nous avions hier un dîner arlequin: M. Dupin, les jeunes Ney et Davoust,
M. Bignon et le général Munier de la Converserie. Si de dire du mal de
tout le monde est une manière de dire du bien de soi, M. Dupin n'y a pas
manqué; il a indignement traité Roi et ministres, hommes et femmes de
Paris. Les uns sont avares, bavards, sans tenue; les autres sont des
brigands, des contrebandiers, des sapajous, que sais-je? Les mauvaises
mœurs ont eu leur diatribe; c'était la justice armée d'un glaive
exterminateur. M. Piron, le cicerone de M. Dupin et son très humble
serviteur, me donnait la petite pièce par les formules multipliées de son
adulation; il louait surtout M. Dupin de la manière lucide et détaillée,
dont il expliquait aux ministres anglais les embarras et les dangers de
leur position. Je crois qu'ils auraient autant aimé qu'on ne vînt pas
d'outre-mer leur dire ce qu'ils savaient de reste.

Après le dîner, il m'a fallu subir la doucereuse fausseté de M. Bignon.
Il me rappelle le mielleux et le subalterne de Vitrolles; il en a un peu
la figure, beaucoup le parler et surtout le maintien. Je trouve,
cependant, la conversation de M. de Vitrolles plus animée, et son
imagination plus brillante. Du reste, j'ai causé avec M. Bignon, hier,
pour la première fois, et j'aurais tort de le juger sur cette seule
conversation; mais il est impossible de ne pas être frappé de sa manière
calme et soumise qui met, tout d'abord, en défiance.


_Londres, 11 juin 1834._--La nomination de M. Abercromby est dans le
_Globe_ d'hier soir; nous verrons si cela adoucira le ton du _Times_ qui,
hier matin encore, malmenait cruellement le pauvre lord Grey.

Dans la quantité de mots cités de M. de Talleyrand, il en est un fort
joli, et peu connu, que voici: M. de Montrond lui disait, l'année
dernière, que Thiers était un bon enfant, et pas trop impertinent pour un
parvenu. «Je vais vous en dire la raison», reprit M. de Talleyrand,
«c'est que Thiers n'est pas _parvenu_, il est _arrivé_.» J'ai peur que ce
mot, si délicat, ne perde un peu le mérite de la vérité, mais la faute en
serait à M. Thiers. L'impertinence lui devient familière; depuis son
mariage, il vit dans une sorte de solidarité avec les plus petites gens
du monde, mal famés, prétentieux, _parvenus_ pour le coup, et non pas
_arrivés_! Il est impossible que, malgré tout le déluge d'esprit dont il
inonde la boue qui l'environne, il ne finisse pas par en être, si ce
n'est étouffé, du moins bien éclaboussé. C'est vraiment grand dommage!


_Londres, 12 juin 1834._--J'ai entendu raconter, hier, à Holland-House,
que l'abbé Morellet se plaignant au marquis de Lansdowne d'avoir perdu
ses pensions et ses bénéfices à la Révolution, pour laquelle il avait,
cependant, et tant parlé, et tant écrit, le Marquis lui répondit: «Que
voulez-vous, mon cher; il y a toujours quelques soldats blessés dans les
armées victorieuses.»


_Londres, 13 juin 1834._--On répand le bruit que dom Miguel s'est évadé,
qu'une conspiration a éclaté à Lisbonne contre dom Pedro; on ajoute mille
détails sinistres. Il paraît que tout ceci n'est que jeu de bourse, et
que le vrai est réduit à quelques démonstrations fâcheuses pour dom
Pedro, lorsqu'il s'est montré au spectacle. Ce serait, du reste, la
meilleure conclusion de ce grand drame que l'expulsion simultanée des
deux rivaux.

On s'étonne un peu que dom Miguel ne soit point encore débarqué en
Angleterre. Don Carlos est arrivé hier à Portsmouth sur le _Donegal_.

L'Espagne se choque, avec raison, que le duc de Terceire et le
commissaire anglais qui ont fait signer à dom Miguel des garanties contre
son retour, n'en aient pas réclamé de don Carlos. On voudrait,
maintenant, que l'Angleterre et la France prissent des mesures contre don
Carlos, de façon à le mettre au ban de l'Europe: mais cela n'est pas
admissible, malgré les notes du marquis de Miraflorès et les diatribes de
lord Holland.

Il se tient d'étranges discours à Holland-House. Le petit Charles
Barrington y disant l'autre jour qu'il n'avait pu monter à âne parce que
c'était dimanche et que la religion défendait de monter à âne le
dimanche, M. Allen lui répondit en grommelant: «Never mind; the religion
is only for the donkeys themselves.»

M. Spring Rice vient d'être élu à Cambridge, mais à une petite majorité,
ce qui ne plaît guère au ministère.

Sir Henry Halford, M. Dedel, la princesse de Lieven sont revenus émus,
ravis, enivrés des brillantes journées d'Oxford pour la réception du duc
de Wellington comme Chancelier de l'Université. Cette solennité était
vraiment unique dans son genre; le caractère et le passé du duc de
Wellington qui, il y a quatre ans encore, avait été lapidé à Oxford, pour
avoir fait passer le Bill de l'émancipation des catholiques, la
magnificence de la cérémonie, le nombre et la qualité des spectateurs,
les traditions séculaires qui s'y sont reproduites, les émotions de tous,
l'unanimité des applaudissements, enfin tout était remarquable et ne se
renouvellera plus. Le duc de Cumberland, si généralement impopulaire, a
trouvé là un bon accueil. Les idées religieuses anglicanes y dominaient;
toutes les préventions personnelles disparaissent, devant les dangers
dont l'Église est menacée, ce qui a fait juger avec faveur tous ceux que
l'on croit disposés à la défendre. C'était moins le grand capitaine qu'on
applaudissait dans le duc de Wellington que le défenseur de la foi.

Il est fâcheux qu'au milieu de la licence qu'on accorde, dans semblables
occasions, aux étudiants, ils se soient permis de huer les noms de lord
Grey et d'autres, qu'ils proféraient à haute voix, pour avoir ensuite le
plaisir de les siffler. Le duc de Wellington a témoigné, chaque fois,
que de telles manifestations lui déplaisaient; mais, malgré les signes
d'improbation, elles se sont plusieurs fois reproduites.

On dit qu'au moment où le Duc a pris la main de lord Winchelsea, auquel
il venait de donner le bonnet de docteur, le souvenir de leur ancien duel
est venu à la pensée de tous, et que c'est là ce qui a provoqué le plus
d'applaudissements. Ils ont été non moins vifs cependant, et plus
touchants peut-être, lorsque lord Fitzroy-Somerset s'est approché du Duc,
et que, ne pouvant lui offrir la main droite, perdue à Waterloo, ce
fidèle ami et compagnon lui a tendu la gauche. Mais ce qui paraît avoir
excité un enthousiasme inouï, et avoir fait retentir la salle d'un éclat
extraordinaire et prolongé à l'infini, c'est la strophe d'une ode
adressée au Duc qui finissait par deux vers dont voici le sens: «Quel est
celui, qui, seul, a su résister à ce sombre et ténébreux génie, qui avait
bouleversé le monde, et le vaincre? C'est toi, vainqueur à Waterloo.»
Tout l'auditoire alors s'est levé spontanément, les cris, les pleurs, les
acclamations ont été électriques, et comme disait Mme de Lieven, «le duc
de Wellington peut mourir aujourd'hui et moi partir demain, car j'ai
assisté à ce que j'ai vu de plus merveilleux dans les vingt-deux années
que j'ai passées en Angleterre».


_Londres, 14 juin 1834._--Un improvisateur allemand, qui se nomme
Langsward, m'a été recommandé par Mme de Dolomieu. Il a fallu lui faire
honneur et réunir, assez péniblement, tous ceux qui, ici, savent quelque
peu l'allemand, pour entendre ce poète. Ce n'était pas mauvais: des
bouts-rimés, assez heureusement remplis; un morceau, en vers, sur Inès de
Castro, et plus tard, en prose, une scène populaire viennoise, indiquent
certainement de la verve et du talent. D'ailleurs, le don de
l'improvisation poétique indique, presque toujours, une faculté à part,
même dans les gens du Midi, dont la langue est, par ses seuls accents,
une vraie harmonie; à plus forte raison y a-t-il difficulté vaincue à
être poétiquement inspiré, à travers les accents moins flexibles des
langues du Nord. Cependant, les improvisateurs, même Sgricci, m'ont
toujours paru plus ou moins froids ou ridicules. Leur enthousiasme est
outré et factice, les étroits salons dans lesquels ils sont renfermés, et
qui n'inspirent, ni le poète, ni les spectateurs, rien en eux, ni autour
d'eux, ne monte au diapason poétique. Il me semble qu'il faudrait, pour
que l'enthousiasme puisse être contagieux, la campagne pour théâtre, le
soleil pour lumière, un rocher pour siège, une lyre pour accompagnement,
des événements d'un intérêt général et rapproché pour sujets, enfin un
peuple tout entier pour auditoire: Corinne si l'on veut, Homère avant
tout! Mais un monsieur en frac, dans un petit salon de Londres, devant
quelques femmes qui cherchent à s'échapper, pour aller au bal, et
quelques hommes, dont les uns songent aux protocoles de la Belgique, et
les autres aux courses d'Ascot, ne sera jamais qu'une espèce de mannequin
rimeur, fastidieux et déplacé.

Mme de Lieven m'a montré, hier, une lettre de M. de Nesselrode, dans
laquelle il se plaint du mauvais esprit tracassier et agitateur de lord
Ponsonby, qui, ajoute-t-il, fait enrager le pauvre Divan. L'amiral
Roussin y est, comparativement, trouvé charmant.

Dom Miguel est, décidément, embarqué, et se rend à Gênes.


_Londres, 15 juin 1834._--A peine dom Pedro se sent-il délivré de la
présence de son frère, et point encore sous les yeux des Cortès, qu'il se
hâte de détruire couvents, moines et religieuses. Je ne sais si cela sera
encore admiré à Holland-House, mais cela me fait l'effet d'être une folie
impie dont il pourrait bien ne pas tarder à se repentir.

Les Rothschild, qui prétendent tout savoir, sont venus dire à M. de
Talleyrand, que le marquis de Miraflorès venait de partir pour
Portsmouth, afin d'y offrir de l'argent à don Carlos, sous la condition
qu'il signerait des engagements semblables à ceux acceptés par don
Miguel.

M. Bignon, le jour où il a dîné, avec M. de Talleyrand, chez lord
Palmerston, a dit au premier qu'il désirait lui parler, et, avec un air
et un ton mystérieux et intime, il lui a dit: «Maintenant que j'ai dîné
chez lord Palmerston, on ne dira plus à Paris que je ne puis pas être
ministre.» Cette étrange conclusion a été suivie de blâmes indiscrets
contre le Cabinet français, et d'un peu de surprise que M. Dupin n'eût
pas fait à M. de Talleyrand des ouvertures du même genre. Il faut
convenir que rien ne saurait être plus présomptueux que cet esprit, soit
qu'il prenne la forme doucereuse et souple de M. Bignon, soit qu'il
revête la forme doctorale et rude de M. Dupin.


_Londres, 16 juin 1834._--A propos de M. Dupin, sa mère étant morte, à
Clamecy en Nivernais, il y a quelque temps, il a fait graver sur sa
tombe: «_Ci-gît la mère des trois Dupin._»

Il y a d'assez bons contes ici sur lui et sur son cicerone, l'aimable
Piron. M. Ellice les menant un jour, tous deux, voir je ne sais quelle
curiosité de Londres, M. Dupin déploya, dans la voiture, un grand
mouchoir de poche, à carreaux, bien commun, et, après l'avoir étendu à
quelque distance de son visage, il cracha dedans, en visant assez juste
le milieu du mouchoir. M. Piron lui dit alors, tout haut, et avec un air
fort capable: «Monsieur, dans ce pays-ci, on ne crache pas devant le
monde.»

Le choix de M. Fergusson, pour une des places de haute magistrature,
donne de plus en plus une couleur radicale au Cabinet anglais. Lord Grey,
sans presque s'en douter, est ainsi entraîné vers un abîme, dans lequel
le pousse sa faiblesse et que ses instincts et ses tendances naturelles
repoussent. Lord Brougham se vante d'avoir tout rajusté; lord Durham dit,
au contraire, que c'est lui seul qui a décidé tous les nouveaux arrivants
à accepter, probablement pour lui frayer la route. Celui-ci s'est, pour
le moment, retiré dans sa villa, près de Londres, d'où il dit: «J'ai fait
des Rois et n'ai pas voulu l'être.»

Le marquis de Conyngham est désigné, dit-on, pour les Postes, sans entrée
au Conseil; c'est un choix de société dans lequel la politique semble
être hors de cause.

Au dîner high-tory que le Lord-maire donne le 22 au duc de Gloucester,
le duc de Richmond a accepté d'être présent. Le duc de Wellington, qui,
depuis l'indigne conduite de la Cité à son égard en 1830, a juré de n'y
plus reparaître, s'est fait excuser, sans cacher son motif. Pourtant, ce
n'est plus le même Lord-maire, et probablement le Duc recevrait
aujourd'hui un accueil très flatteur, mais enfin il a fait un serment et
il veut le tenir.

M. Backhouse, le sous-secrétaire d'État au ministère des Affaires
étrangères, a été envoyé à Portsmouth pour prendre les ordres de l'infant
don Carlos, sur tout ce qui pourrait lui être agréable, excepté cependant
de lui offrir de l'argent, cette réserve paraissant être la seule manière
d'appuyer efficacement la négociation du marquis de Miraflorès, qui, lui,
est chargé d'offrir à l'Infant, de la part de son gouvernement, une
pension annuelle de trente mille livres sterling, sous la condition de
prendre des engagements semblables à ceux de dom Miguel. On suppose que
la misère absolue dans laquelle l'Infant, sa femme, ses enfants, la
duchesse de Beïra, sept prêtres et beaucoup de dames, en tout
soixante-douze personnes, qui sont à bord du _Donegal_, se trouvent
réduits, et qui est telle qu'ils n'ont pas de quoi changer de linge,
rendra la négociation assez facile. On ne sait point encore quels sont
les projets de don Carlos, les uns disent qu'il veut se retirer en
Hollande, d'autres nomment Vienne, d'autres enfin parlent de Rome; ce
dernier projet paraît être particulièrement désagréable au gouvernement
actuel d'Espagne, mais personne n'a le droit d'influencer ce choix.

On attend, ici, assez prochainement, M. de Palmella, qui s'y annonce
pour terminer des affaires personnelles, mais on suppose assez
généralement que c'est pour aviser aux moyens de se débarrasser de dom
Pedro dont les absurdes folies ne satisfont personne. Ce serait alors le
moment de choisir un mari à doña Maria da Gloria, et la manière,
peut-être, de débourrer cette jeune Princesse, qui n'a, encore, que les
allures d'un jeune éléphant.

Lord Palmerston, selon ses bonnes et courtoises habitudes, avait envoyé
M. Backhouse à Portsmouth, sans en dire mot à M. de Talleyrand, qui ne
l'a appris que par le bruit public. Cela a amené un petit bout
d'explication entre lord Grey et moi. Il faut convenir qu'il est
impossible d'être meilleur, plus plein de candeur, de sincérité et de
bonnes intentions que lord Grey. Je suis sans cesse touchée de ses
qualités d'homme et frappée de son incapacité d'homme politique. Il a
encore couru après moi, sur son escalier, pour justifier lord Palmerston
sur le fait de toute mauvaise intention et pour me prier de l'excuser
près de M. de Talleyrand. J'ai répondu à cela, par le vieux dicton
français que l'enfer était pavé de bonnes intentions et j'ai ajouté en
anglais: «Well, I promise you to tell to M. de Talleyrand that lord
Palmerston is as innocent as an unborn child, but I don't believe a word
of it.» Cela a fait rire lord Grey, qui a pris le tout à merveille de ma
part, ce qu'il fait toujours.


_Londres, 17 juin 1834._--Don Carlos n'a pas voulu voir M. de Miraflorès,
il n'a reçu que M. Backhouse, auquel il a fait comprendre qu'il
n'accepterait pas un écu à condition de céder le plus petit de ses
droits. Il a chargé M. Sampaïo, l'ancien consul de dom Miguel à Londres,
de lui chercher une maison à Portsmouth, où il veut se reposer pendant
quinze jours, puis de lui en trouver une près de Londres pour y passer
quelque temps.

Le gouvernement anglais attribue le refus de don Carlos à un crédit d'un
million, qu'il croit être sûr que l'Infant a trouvé à Londres chez M.
Saraiva, l'ancien ministre de dom Miguel en Angleterre: on prétend même,
ce qui est peu vraisemblable, que ce crédit lui a été ouvert par le duc
de Blacas. L'évêque de Léon, qu'on dit être un assez mauvais homme, mais
habile, à la façon d'un moine espagnol, est avec l'Infant; c'est lui qui
est le conseil et l'âme de cette cour fugitive.

Le marquis de Conyngham, fils de la célèbre favorite de George IV,
succède décidément, à la direction des Postes, à son beau-frère, le duc
de Richmond; il est jeune, beau, élégant, homme à bonnes fortunes,
recevant et écrivant plus de billets que de lettres; aussi dit-on qu'il
est le _Post-master general of the two penny Post_.


_Londres, 18 juin 1834._--Il y a toujours une grande confusion, et un
conflit de juridiction, dans toutes les réunions de dames, et malgré la
présidence de la duchesse-comtesse de Sutherland, il y a eu bien des
discussions et des hésitations pour ce bracelet à offrir à Mme de Lieven.
Quelques dames se sont retirées par économie, d'autres parce qu'elles
n'étaient pas directrices de l'affaire, enfin, il en reste trente. Le
choix des pierres et la façon de les monter ont été un autre chapitre
difficile: point d'opales, la Princesse ne les aime pas; pas de rubis,
ils sont trop chers; les turquoises viennent de Russie, ce serait envoyer
de l'eau à la rivière; les améthystes de même; les saphirs, la Princesse
en possède de superbes; l'émeraude peut-être; mais non--mais oui--mais
cependant--pourquoi pas?--ce ne sera pas ce que je croyais--le péridot
n'est pas assez distingué; il faut demander à la Princesse elle-même...
C'est ce que l'on a fait; voilà le mystère éventé, la surprise finie et
une grosse perle choisie.

Vient ensuite la question plus délicate, plus littéraire, celle de
l'inscription dédicatoire. Ces dames tiennent à ce que les mots gravés
soient en anglais; alors, en ma qualité d'étrangère, je me retire. On me
témoigne des regrets obligeants; je persiste, comme de raison, et me
voilà hors de cause. Je reste comme simple spectatrice et je ne m'en
amuse pas moins. On essaye de vingt rédactions différentes, les
poétiques, les symboliques: les unes veulent jouer sur l'image de la
perle, et disent que la perle a été choisie parce que la Princesse est la
perle des femmes, les autres trouvent que l'image ne serait pas assez
exacte pour l'adopter: on veut y mêler un petit mot adressé aux talents
politiques de la Princesse, ce qui fait rappeler à l'ordre. Il faut
encore trouver un moyen de rappeler les noms des donatrices sans blesser
les autres dames de la société anglaise. Aussi on me consulte; je réponds
que je ne sais pas assez d'anglais pour avoir un avis; on me demande ce
que je mettrais si c'était en français, je le dis, et, de guerre lasse,
on se décide à le traduire en anglais et à l'adopter. Ce sont quelques
mots fort simples: «Testimony of regard, regret and affection presented
to the princess Lieven on her departure, by some english ladies of her
particular aquaintance. July 1834.»


_Londres, 19 juin 1834._--Mme de Lieven, qui est venue hier matin chez
moi, et qui est dans une émotion toujours croissante à mesure que son
départ approche, emportée par l'espèce de fièvre qu'elle éprouve, m'a dit
avec amertume qu'elle était sûre qu'il y avait, outre lord Palmerston,
une seconde personne soulagée de son départ, et que c'était le Roi
d'Angleterre; qu'il s'était refusé à écrire la lettre autographe qui,
tout en mettant l'amour-propre de son ministre à couvert, aurait pu faire
revenir sur le rappel de M. de Lieven; que Palmerston avait endoctriné le
Roi sur les inconvénients qu'il y avait à la trop longue résidence des
ambassadeurs étrangers à sa Cour; qu'ils y devenaient trop initiés et y
acquéraient même une puissance réelle et importante; bref, le Roi est
charmé du départ de Mme de Lieven, et elle en fait honneur à Palmerston,
ce qui n'augmente pas son goût pour lui. Elle trouverait une consolation
à la pensée de l'abîme qui s'ouvre sous ses pieds; en effet, le
ministère, tout entier, ne paraît rien moins que solide, et le plus
ébranlé d'entre ses membres est sans doute lord Palmerston. Ses collègues
n'en font plus grand cas. Lord Grey convient qu'il parle mal aux
Communes, le Corps diplomatique déteste son arrogance, les Anglais le
trouvent mal élevé. Son seul mérite paraît, après tout, ne consister que
dans une facilité remarquable à parler et à écrire le français. Le départ
des Lieven, qui fait de la peine à tout le monde et très certainement à
lord Grey, est si généralement attribué à l'entêtement impertinent de
lord Palmerston, que personne ne cherche à dissimuler cette conviction,
pas même les ministres, ses collègues. Aussi, dans les nombreux dîners et
les réunions d'adieu qu'on offre aux Lieven, personne n'invite lord
Palmerston; c'est d'autant plus remarquable que lady Cowper est
nécessairement de tous. Il n'a pas laissé que d'en être très piqué,
surtout de la part de lord Grey. Celui-ci s'en est fait un petit mérite
près de Mme de Lieven en lui disant: «Vous voyez, j'ai réuni vos amis et
j'ai évité Palmerston.» La pauvre lady Cowper a le reflet de toute
l'humeur de lord Palmerston; on dit qu'il la lui témoigne rudement.

Le duc de Saxe-Meiningen est arrivé, sur l'invitation du Roi, pour
escorter la Reine, sa sœur, pendant son voyage en Allemagne. Elle part,
dit-on, le 4 juillet; le Roi insiste pour que ce soit le 2: il est si
étrangement pressé de ce départ qu'il a arrangé à lui tout seul, que
beaucoup de gens croient qu'il ne laissera pas revenir la Reine de sitôt,
et que personne ne doute du plaisir qu'il anticipe à reprendre la vie de
garçon. Tout le monde tremble de ce qu'il va imaginer pour se divertir:
le genre de ses plaisirs, l'ordre des personnes qu'il y appellera, tout
cela donne à penser aux gens comme il faut, et les inquiète. Il a,
sûrement, de singulières fantaisies en tête, puisque l'autre jour, à
dîner, il a interpellé tout haut un vieux amiral qu'il a beaucoup connu
jadis, en lui demandant s'il était toujours aussi gaillard qu'il l'avait
connu; et l'amiral lui ayant répondu que l'âge des folies était passé, le
Roi a repris que, quant à lui, _il comptait bien s'y remettre_!

C'est toujours un événement pour moi que l'arrivée d'une lettre de M.
Royer-Collard, d'abord parce que je lui suis fort attachée, puis parce
qu'il dit beaucoup en peu de mots, toujours d'une manière frappante, et
avec un ton qui n'appartient qu'à lui et qui donne longtemps à penser.
C'est ainsi que dans la lettre que je viens de recevoir, il y a ceci
plein de vérité et d'une malice de bon goût: «Il a bien de l'esprit
(c'est de Thiers dont il s'agit); il lui manque du monde, et l'expérience
que le monde donne, de la gravité et quelques _principes_; en écrivant ce
mot, il me vient à l'esprit que vous me prendrez pour un _doctrinaire_,
ce serait bien injuste, car ils sont bien exempts de _ce faible-là_.»


_Londres, 20 juin 1834._--Des lettres tombées en mains peu sûres ont
appris que le duc de Leuchtenberg, fatigué de l'éclat qu'avaient eu les
projets de la sœur de la duchesse de Bragance, pour lui faire épouser
doña Maria, priait la Duchesse d'y renoncer désormais, parce qu'ils
avaient inspiré trop de méfiance pour qu'ils puissent réussir; mais il
engage, en même temps, sa sœur, à songer à leur jeune frère Max qui n'a
pas éveillé de soupçons, et qu'il serait plus aisé de faire arriver au
but. Maintenant que ce second projet est dévoilé, il est probable que
son exécution sera aussi vivement contrariée que l'a été la première
intrigue de cette ex-impératrice. On la dit singulièrement active et
ambitieuse, sous des dehors très doux, très agréables et surtout très
simples.

La conversation ayant tourné, hier au soir, dans notre salon, sur le
caractère et la position de Mirabeau, j'ai entendu M. de Talleyrand
répéter un fait curieux: c'est qu'à la Restauration, ayant été, pendant
la durée du gouvernement provisoire, en possession des archives les plus
secrètes de la Révolution, il y avait trouvé la quittance en règle donnée
par Mirabeau de l'argent reçu de la Cour. Cette quittance était motivée
et précisait les services qu'il s'engageait à rendre. M. de Talleyrand a
ajouté que, malgré cette transaction d'argent, il serait injuste de dire
que Mirabeau se fût _vendu_; que tout en recevant le prix des services
qu'il promettait, il n'y sacrifiait cependant pas son opinion; il voulait
servir la France, autant que le monarque, et se réservait la liberté de
pensée, d'action et de moyens, tout en se liant pour le résultat. D'après
cela, sans mériter le jugement extrême de bassesse et d'avilissement que
plusieurs ont porté contre Mirabeau, on peut, cependant, se permettre de
trouver que son caractère était infiniment moins élevé que son esprit. Il
appartenait, d'ailleurs, à une mauvaise race; le père, la mère, le frère,
la sœur, tous étaient ou fous, ou méchants, ou livrés à mille
turpitudes. Et cependant, malgré une déplorable réputation, arrivant
partout comme une espèce de forçat libéré, d'une laideur remarquable et
habituellement sans argent, quelle influence magique n'exerce-t-il pas?
Elle est telle, que son souvenir même l'exerce encore; que cette
prodigieuse organisation en impose; que cette verve surabondante ravit et
attache même à travers les formes ennuyeuses et fatigantes dont on l'a
emmaillotée, dans le livre que son fils adoptif vient de faire paraître.
L'authenticité des matériaux, l'abondance des citations originales, et
leur intérêt merveilleux, dédommagent souvent de la gaucherie et de la
pesanteur de la mise en œuvre.

Il a d'ailleurs, pour moi, un mérite particulier, celui d'éclairer mon
ignorance. Je n'avais qu'une idée très vague de Mirabeau, il était resté
voilé pour moi qui connais si imparfaitement la Révolution française.
Elle est trop près de moi, pour en avoir fait l'objet d'études
historiques, et elle ne m'a pas été assez contemporaine, pour avoir
appris à la connaître pendant sa durée; quelques récits de M. de
Talleyrand, les _Mémoires_ de Mme Roland, voilà tout ce que j'en sais.
D'ailleurs, j'ai une répugnance si vive pour cette dégoûtante et terrible
époque, que je n'ai jamais eu le courage d'y arrêter ma pensée, et que
j'ai presque toujours sauté à pieds joints l'abîme qui sépare 1789 de
l'Empire. Les _Mémoires_ de M. de Talleyrand auraient pu m'éclairer sans
doute, mais je me suis trouvée trop préoccupée de l'individu pour bien
saisir la question générale. M. de Talleyrand, dans ses _Mémoires_,
apprend beaucoup mieux ce qui a amené la catastrophe qu'il n'en donne les
détails. Il était, d'ailleurs, hors de France pendant les années les plus
critiques. Son séjour en Amérique est un des épisodes les plus agréables
de ses souvenirs; c'est, pour le lecteur comme pour lui-même, un temps
de halte et de repos, qui met à l'abri des horreurs de la Convention et
fait reprendre haleine avant d'arriver aux bouleversements armés de
l'Empire.

M. de Talleyrand a ajouté, au sujet de la quittance de Mirabeau, que, la
regardant comme un papier de famille et ne se sentant pas en droit de la
garder, il l'avait remise à Louis XVIII lui-même et qu'il ignorait ce
qu'elle était devenue.


_Londres, 21 juin 1834._--M. de Talleyrand avait plus de cinquante-cinq
ans lorsqu'il a commencé à écrire ses _Mémoires_ ou plutôt un petit
volume sur M. le duc de Choiseul. Partant en 1809 pour les eaux de
Bourbon-l'Archambault, il demanda à Mme de Rémusat de lui prêter un livre
à lire en route: elle lui donna l'_Histoire du dix-huitième siècle_, par
Lacretelle, ouvrage inexact et incomplet. M. de Talleyrand, impatienté
des erreurs et de l'ignorance qu'il y trouvait, mit les loisirs des eaux
à profit pour tracer un tableau rapide, vrai et parfaitement vif et animé
d'une des époques particulièrement dénaturées par Lacretelle. L'extrême
plaisir que ce petit morceau fit aux personnes qui en eurent connaissance
et l'intérêt que M. de Talleyrand trouva à l'écrire, lui donnèrent l'idée
de grouper les événements subséquents autour d'un autre personnage qu'il
avait beaucoup connu; il fit alors son morceau sur M. le duc d'Orléans,
non moins curieux que le premier, mais qu'il a, depuis, refondu aux trois
quarts dans ses propres _Mémoires_. Ceux-ci vinrent, tout naturellement,
compléter, par des souvenirs plus personnels encore, les récits des deux
époques, dont l'une avait vu préparer, et l'autre s'accomplir, la crise
dans laquelle M. de Talleyrand a pris sa place historique. C'est pendant
les quatre années de sa disgrâce près de l'Empereur Napoléon qu'il a le
plus, et j'ajouterais, le plus brillamment écrit. De 1814 à 1816, il n'a
presque rien fait pour ses _Mémoires_; plus tard, et jusqu'en 1830, il a
revu, corrigé, ajouté, complété; il a lié son morceau sur Erfurth et un
autre sur la catastrophe d'Espagne, qui a conduit Ferdinand VII à
Valençay, au corps principal de ses _Mémoires_; il les a poussés
jusqu'après la Restauration, mais toute sa correspondance durant le
Congrès de Vienne, dont les originaux sont aux Affaires étrangères, et
qui forme un curieux document, lui ayant été soustraite (c'est-à-dire les
copies), il s'est trouvé sans matériaux et sans notes pour cette époque
intéressante, et cela se sent parfois dans les _Mémoires_.

En général, il est fâcheux que M. de Talleyrand n'ayant jamais fait de
journal ou pris des notes, et ayant la plus monstrueuse incurie et
négligence pour ses papiers, se soit trouvé, le jour où il a voulu
rassembler ses souvenirs, sans aucun autre moyen de les retrouver et d'en
suivre exactement les détails, que sa mémoire, fort bonne assurément,
mais nécessairement trop surchargée pour ne pas laisser quelquefois des
lacunes regrettables[23].

  [23] Explication rationnelle de ce qui fit l'étonnement du
  public, quand, en 1891, les _Mémoires_ du prince de Talleyrand
  parurent, par les soins du duc de Broglie. La polémique qui
  s'éleva alors, sur le point de savoir si M. de Bacourt n'avait
  pas tronqué le texte de ces _Mémoires_, ne peut recevoir une plus
  précise réponse que celle donnée par cette _Chronique_.

J'ai souvent entendu M. de Talleyrand raconter des anecdotes très
piquantes, qui sont omises dans ses _Mémoires_, parce que, dans le moment
où il écrivait, il n'y songeait plus. J'ai eu, moi-même, le tort de ne
pas les écrire à mesure, et de m'en fier aussi à ma seule mémoire et la
mémoire est souvent bien trompeuse pour soi-même et insuffisante pour les
autres.

M. de Talleyrand a fait, malheureusement, trop souvent, et à toute sorte
de monde, la lecture de ses _Mémoires_ ou plutôt de telle ou telle partie
de ses _Mémoires_; il les a dictés et fait recopier, tantôt à l'un,
tantôt à l'autre: cela en a publié l'existence et a éveillé l'inquiétude
politique des uns, la jalousie littéraire des autres; l'infidélité, la
cupidité ont spéculé sur leur importance. On assure, et je suis portée à
le croire, que plusieurs copies tronquées et envenimées par l'esprit
libellique et haineux de ceux qui les possèdent, existent et doivent être
publiées un jour; ce serait un malheur, non seulement à propos des
mauvaises passions que cela mettrait en jeu, mais aussi parce que ces
copies infidèles ôteraient du mérite, de la nouveauté et de la curiosité
aux _Mémoires_ authentiques, lorsqu'un jour ils paraîtront. Ils seront
comme déflorés d'avance.

Je n'en connais pas de moins libelliques que ceux-ci. Je ne dis pas qu'il
ne s'y retrouve parfois de cette malice fine et gaie, qui est si
naturelle à l'esprit de M. de Talleyrand, mais il n'y a rien de méchant,
rien d'insultant; moins de scandale que dans aucun écrit de ce genre.
Les femmes, qui ont tenu cependant tant de place dans les habitudes
sociales de M. de Talleyrand, sont traitées par lui avec respect, ou au
moins avec grâce, mesure et indulgence. On voit qu'il est resté
reconnaissant du charme qu'elles ont répandu sur son existence; et si, un
jour, les hommes graves trouvent ces _Mémoires_ incomplets pour
l'histoire, si les hommes curieux n'y trouvent pas toutes les révélations
qu'ils y cherchaient, ils pourront peut-être en accuser l'insouciante
paresse de M. de Talleyrand; mais les femmes devront toujours lui savoir
gré de cette retenue de bon ton qui a refusé à l'insolence, à la
grossièreté, au cynisme des publicistes libelliques du temps actuel, de
nouvelles armes pour calomnier ou médire.


_Londres, 22 juin 1834._--Sir Robert Peel, chez lequel j'ai dîné hier, me
faisait observer que M. Dupin, qui y dînait aussi, ressemblait bien plus
à un Américain qu'à un Français. C'est à peu près le plus mauvais
compliment qui puisse sortir de la bouche d'un Anglais bien élevé! Sir
Robert Peel m'a paru être tout particulièrement _in good spirits_. Le
soin qu'il a mis à me questionner sur les membres du ministère français,
et à insister sur son goût et son admiration pour M. de Talleyrand, m'a
fait penser qu'il pouvait bien y avoir là quelque idée d'être bientôt en
position d'avoir des affaires à traiter directement avec eux. J'ai
demandé à sir Robert Peel s'il trouvait les allures et le ton de
discussion changés, depuis le Parlement réformé. Il m'a répondu que oui,
jusqu'à un certain point; mais que ce qui le frappait surtout, c'était
le manque absolu de talents nouveaux, dans cette nouvelle émission de
membres, dans la Chambre des Communes. Il m'a semblé en être au moins
aussi satisfait que surpris; il a, en effet, de fort bonnes raisons pour
désirer que les anciennes célébrités parlementaires ne soient pas
effacées.

Sa maison est une des plus jolies, des mieux arrangées, des plus
heureusement situées de Londres; pleine de beaux tableaux, de meubles
précieux, sans faste, sans ostentation; le meilleur goût a présidé à tout
et ne laisse percevoir aucune trace de l'obscure origine de sir Robert.
La modeste et noble figure de lady Peel, le calme et la douceur de ses
manières, les intelligentes figures de ses enfants, le luxe des fleurs
dont la maison est parfumée, le grand balcon d'où on domine la Tamise,
d'où on aperçoit Saint-Paul et Westminster, tout ajoute à l'ensemble et
le rend aussi agréable que complet. Hier, par une belle soirée, vraiment
chaude, avec la double lumière d'un beau clair de lune, et du gaz
éclairant tant d'édifices et de ponts, dont les arches se reflétaient
dans la rivière, on pouvait se croire partout ailleurs que dans la
brumeuse Angleterre.


_Londres, 23 juin 1834._--Lord Clanricarde, gendre de M. Canning, qui
avait une place dans la maison du Roi, a donné sa démission, par humeur
de n'avoir pas les Postes, qu'on a donné à lord Conyngham.

Le grand dîner conservatif de la Cité, d'avant-hier, a été remarquable
surtout par la présence du duc de Richmond et sa réponse au Lord-maire,
lorsque celui-ci a porté la santé du duc de Wellington et des nobles
Pairs présents; le duc de Richmond a répondu par une sorte de profession
de foi de son attachement _to Church and State_, et, lorsque le
Lord-maire a porté la santé du comte de Surrey, fils aîné du duc de
Norfolk, membre de la Chambre des communes, mais qui n'est pas
conservatif et qui est catholique, le Comte a répondu qu'il avait la
conviction que la Chambre des communes ne se montrerait pas moins zélée
que la Chambre Haute, pour le maintien _de l'Église; oui, de l'Église et
de l'ancienne constitution du pays_. Les applaudissements ont été
immenses.

Il paraît que tout tend, de plus en plus, à rapprocher M. Stanley de sir
Robert Peel, et qu'on espère que cette réunion, qui est déjà fort
avancée, amènera une dissolution du Cabinet actuel; mais on ne veut pas
de trop brusques transitions, pour ne pas effaroucher John Bull, qui
n'aime pas les Cabinets de coalition.


_Londres, 25 juin 1834._--Il y a, chaque année, dans les grandes villes
des Comtés d'Angleterre, ce qu'on appelle ici des _musical festivals_: on
y exécute, en général, de grands oratorios; les artistes célèbres, de
tous les pays, y sont appelés et payés très chèrement. Ces fêtes durent
plusieurs jours; tout le beau monde se rend des différents points du
Comté au chef-lieu; cela se passe dans les églises, où on se rassemble le
matin, et les soirées sont consacrées à des divertissements plus
mondains. Ces fêtes sont, après les courses de chevaux, ce qui attire le
plus de monde.

A Londres, ce festival n'a lieu que tous les cinquante ans: c'était hier
cet anniversaire. Toute la Cour y a été, solennellement, et doit y
retourner les trois autres jours. Westminster était rempli, et quoique
moins imposant qu'au couronnement du Roi, le coup d'œil était cependant
fort brillant encore; les arrangements bien pris, point de foule, ni
d'embarras; c'était très bien. Le nombre des musiciens était énorme: tant
chanteurs qu'instrumentistes, il y en avait sept cents. Mais,
malheureusement, l'église de Westminster est si haute, et construite si
en opposition avec tout effet musical, que ce nombre prodigieux de voix
et d'instruments qui, disait-on, ferait crouler l'édifice, ne le
remplissait même pas assez. C'est surtout pendant la première partie de
la _Création_, de Haydn, que c'était extrêmement sensible. Le _Samson_,
de Haendel, d'une création plus large et plus puissante, convenait mieux
à la circonstance. La _Marche funèbre_ m'a fait beaucoup d'impression, et
l'air de la fin, chanté par miss Stevens, avec accompagnement obligé de
trompettes admirablement exécuté, a été une belle chose. Mais le grand
tort, pour l'effet général, a été d'avoir placé les chanteurs si bas, que
leurs voix étaient perdues, avant d'avoir pu s'élever vers la voûte, et
d'y avoir trouvé leur point de répulsion. Je crois, aussi, que l'orgue
peut, seul, suffisamment remplir les vastes cathédrales; tous les
orchestres du monde restent maigres, et hors du style voulu, et j'ai
regretté qu'on ne l'eût pas employé hier, pour l'effet de l'ensemble,
qui aurait été plus riche et plus frappant. J'ai été jusqu'à trouver
quelque chose de choquant à cette musique de concert dans une église;
cela m'a produit l'effet que pourrait faire un éloge académique, quelque
noble et beau qu'il pût être, en chaire, à la place d'une oraison
funèbre.


_Londres, 24 juin 1834._--M. de Talleyrand disait hier, à propos de
quelques Français: «C'est prodigieux, ce que la vanité dévore d'esprit.»
Il me semble que rien n'est plus vrai, surtout dans l'application qu'il
en faisait.

On annonce à M. de Talleyrand l'ordre du Sauveur, de Grèce, et celui du
Christ, de Portugal. A l'occasion de ce dernier, il m'a raconté que, du
temps de l'Empire, lorsque les ordres pleuvaient sur lui de toutes parts,
le comte de Ségur, grand maître des cérémonies, se montrant un peu triste
de n'en recevoir aucun, M. de Talleyrand pria l'Empereur de lui permettre
de donner à M. de Ségur celui du Christ, qu'il venait de recevoir; ce qui
fut fait, et à la grande satisfaction de M. de Ségur, qui, depuis, ne
manquait jamais de se parer de son grand cordon.


_Londres, 2 juin 1834._--Feu lord Castlereagh parlait un français très
original: il disait à Mme de Lieven que ce qui lui faisait trouver le
plus de plaisir dans sa conversation, c'est que son esprit devenait
_liquide_ près d'elle; et lui parlant, un jour, de l'union qui régnait
entre les grandes puissances, il lui dit qu'il était charmé qu'elles
fussent toutes _dans le même potage_, traduction un peu trop littérale de
l'anglais, _in the same mess_!

J'ai causé longtemps, hier, avec mon cousin Paul Medem; il comprend fort
bien les difficultés de sa position, qui commencent par les regrets si
vifs qu'éprouvent M. et Mme de Lieven à lui céder la place. Ce qui les
aplanira en partie, c'est la recommandation fort sage de l'Empereur de
Russie, de rester parfaitement étranger à la politique intérieure de
l'Angleterre, de ne se faire ni whig, ni tory; et, à cette occasion, il
m'a dit aussi que le vrai motif qui l'avait fait préférer à Matuczewicz,
pour succéder à M. de Lieven, c'était la couleur marquée et tranchante
que celui-là avait pris en Angleterre, où il avait fait de la politique
anglaise comme John Bull lui-même.


_Londres, 28 juin 1834._--Le Roi d'Angleterre est souffrant, et la hâte
qu'il avait de voir partir la Reine s'est, tout à coup, changée en un vif
regret de son éloignement. Elle a fait alors l'impossible pour qu'il lui
permît de rester, mais le Roi a répondu qu'il était trop tard pour
changer d'avis, que tout était prêt, il fallait partir; que de rester
maintenant prêterait à mille conjectures fâcheuses qu'il fallait éviter;
«d'ailleurs», a-t-il ajouté, «s'il y a bientôt quelque changement
ministériel, il vaut mieux que vous soyez absente, pour qu'on ne puisse
pas dire, comme on l'a fait il y a quelques années, que vous m'aviez
influencé.» Le Roi a dit, le même jour, en parlant de ses ministres: «_I
am tired to death by those people_,» et, sur l'observation qu'il était
alors bien singulier qu'il les gardât, il a répliqué, avec assez de bon
sens: «Mais lorsque, il y a deux ans, j'ai appelé les _tories_, ils m'ont
planté là au bout de vingt-quatre heures et m'ont rejeté aux _whigs_;
c'est ce qui ne doit pas arriver une seconde fois; aussi ne ferai-je plus
rien, ni pour ni contre, et je les laisse se débattre comme ils
l'entendent.» Et cela n'arriverait plus comme la dernière fois, car c'est
le refus de sir Robert Peel d'entrer alors au ministère, qui a fait
échouer la combinaison; aujourd'hui, il est prêt à accepter l'héritage,
et le public assez bien préparé à le lui voir saisir.

Il est fort question de la guerre intestine du Cabinet. Il paraît que
lord Lansdowne ne veut pas rester avec M. Ellice, surtout après la
déclaration faite par celui-ci, qu'il partageait les principes de M.
O'Connell. On dit aussi que lord Grey ne s'arrange pas de M. Abercromby.
Enfin, le manque d'ensemble dans le Cabinet est sensible pour le public,
et je crois qu'il est assez habilement exploité par le parti
conservateur. Le prince de Lieven a présenté hier Paul Medem à lord Grey,
qui s'est montré très embarrassé, et qui, après un assez long silence,
n'a trouvé à lui parler que de la France, de M. de Broglie, de M. de
Rigny, des élections, etc., enfin, comme il aurait pu faire avec un
chargé d'affaires de France; mais pour celui de Russie, arrivant de
Pétersbourg, c'était vraiment étrange. Lord Grey a fait des éloges
excessifs de Broglie, et des questions froides et défiantes sur Rigny.


_Londres, 29 juin 1834._--Il est assez singulier que, dans les
circonstances actuelles, lady Holland, qui a, du reste, toujours fait
profession d'amitié pour lord Aberdeen, malgré la différence de leur
politique, ait demandé à M. de Talleyrand de le rencontrer, à dîner, chez
elle!

J'ai pris, hier, congé de la Reine: tout m'a semblé irrévocablement fixé
pour son départ.

Don Carlos et sa suite sont établis à Gloucester-Lodge, jolie maison
située dans un des faubourgs de Londres, qu'on appelle Old Brompton.
Cette maison, qui appartient maintenant à je ne sais qui, a été bâtie par
la mère du duc de Gloucester actuel, d'où lui vient le nom qu'elle porte.
Cette grande proximité de Londres, dans laquelle don Carlos s'est placé,
gêne et embarrasse tous les membres du Corps diplomatique, dont les Cours
ont laissé dans le vague les relations avec l'Espagne. Les signataires de
la Quadruple Alliance sont, nécessairement, hors de cause.


_Londres, 30 juin 1834._--Le marquis de Miraflorès ne fait pas de grands
progrès dans le _démené_ du monde. L'autre jour encore, il en a
singulièrement manqué: c'était chez le Chancelier, lord Brougham; il
venait de causer avec M. de Talleyrand qui, en se retournant pour s'en
aller, se trouva en face de Lucien Bonaparte. On se salue et on se
demande réciproquement, poliment, mais froidement, des nouvelles l'un de
l'autre. M. de Talleyrand allait avancer pour se retirer, quand il se
sent arrêté par le ministre d'Espagne qui, très haut, demande à
l'ambassadeur de France de le présenter à Lucien Bonaparte! Rien n'y
manque!

Le duc de Wellington, que j'ai vu hier à un concert en l'honneur de Mme
Malibran, m'a dit qu'il avait été le matin chez don Carlos, avec lequel
il avait eu une très étrange conversation. Il n'a pas pu me la raconter,
à cause de tout ce qui nous entourait et nous écoutait, mais il m'a dit
cependant que rien n'égalait la saleté, la pauvreté et le désordre de ce
Roi et de cette Reine d'Espagne et des Indes! Cela étonnait d'autant plus
le Duc, qu'ayant trouvé de l'argent ici, ils auraient bien pu acheter
quelque peu de linge et de savon. Le Duc ne m'a dit, de leur
conversation, que ceci: c'est que, d'abord, il leur avait dit la vérité,
ce que le Duc fait toujours, et qu'ayant rencontré là un prêtre, il lui
avait dit: «Voyez-vous, le bon Dieu fait sûrement beaucoup pour ceux qui
l'invoquent, mais il fait encore plus pour ceux qui font quelque chose
eux-mêmes pour leur propre service.» Le prêtre n'a rien répondu, si ce
n'est qu'ils avaient un proverbe espagnol qui disait la même chose.


_Londres, 1er juillet 1834._--Nous avons reçu hier la nouvelle de la mort
de Mme Sosthène de La Rochefoucauld, événement qui prouve que j'ai raison
de soutenir qu'il n'y pas de malades imaginaires. En effet, rien n'est si
ennuyeux et si fatigant pour soi-même que de s'observer, de se priver et
de se plaindre; comment, à la longue, jouer un pareil rôle, sans y être
condamné par quelque avertissement intérieur et douloureux? Mais il y a
deux choses que le monde conteste toujours: ce sont les chagrins et les
souffrances d'autrui, tant on craint d'être obligé de plaindre et de
soigner; il est plus commode de nier un fait que de lui porter un
sacrifice. J'ai passé ma vie à entendre grogner contre Mme Sosthène; on
l'appelait une langoureuse, une plaignante, qui, au fond, était forte
comme un Turc. Lorsqu'on n'a pas les apparences délicates, et même
souvent lorsqu'on les a, il faut mourir pour qu'on consente à croire que
vous étiez réellement malade. Le monde ne vous gratifie que trop de sa
curiosité, de son indiscrétion, de ses jugements téméraires et
calomnieux, mais sa compassion, comme son indulgence, n'arrive qu'après
coup et lorsque vous n'en avez plus que faire.

M. de Montrond parle de retourner à Louèche pour mettre sa pauvre machine
dans une piscine, dans laquelle il ne serait pas mal de plonger aussi son
âme, si faire se pouvait. Il a fait _fiasco_ ici à ce voyage, bien plus
encore que l'année dernière. Quand on se survit à soi-même, comme
fortune, santé, esprit et agrément, et qu'il ne reste pas même un peu de
considération, comme reflet du passé qui vous échappe, on offre le plus
déplorable spectacle. Je disais un jour à M. de Talleyrand, qu'il me
semblait qu'il ne restait plus à M. de Montrond qu'à se brûler la
cervelle: il me répondit qu'il n'en ferait rien, parce qu'il n'avait
jamais pu s'imposer la moindre privation, et qu'il ne s'imposerait pas
plus la privation de la vie que toute autre.

Mme de Montrond, qui avait divorcé d'avec son premier mari[24] pour
épouser M. de Montrond, me racontait un jour, après son second divorce,
et lorsqu'elle avait repris son nom d'Aimée de Coigny, que, se promenant,
une fois, en phaéton avec M. de Montrond qui conduisait lui-même, elle
admirait ses deux jolis chevaux anglais, louait la promenade, la voiture,
le conducteur: «Quel triste plaisir», reprit-il, «c'est par deux jeunes
tigres qu'il faudrait se faire traîner; les exciter, les dompter et les
tuer ensuite.» C'est bien là le langage d'une nature insatiable.

  [24] Le duc de Fleury, petit-neveu du Cardinal.


_Londres, 2 juillet 1834._--La Reine part décidément le 5; elle
s'embarque sur le yacht _Royal-George_, que l'on va voir, par curiosité,
ainsi que deux superbes bateaux à vapeur destinés à remorquer au besoin
le yacht de la Reine. Tout le Yacht-Club doit l'escorter, ce qui couvrira
la mer du Nord d'une charmante petite flottille. La Reine doit débarquer
à Rotterdam, dans la journée du 6, et aller incognito le même soir chez
sa sœur, la duchesse de Weimar, qui habite dans les faubourgs de la
Haye. Je sais que le prince d'Orange doit s'y trouver, comme par hasard;
la princesse d'Orange est en Allemagne chez sa sœur.


_Londres, 3 juillet 1834._--Lord Grey est devenu extrêmement irritable et
nerveux: hier, à dîner, chez lord Sefton, il était, comme on dit ici,
tout à fait _cross_, parce qu'on dînait plus tard que de coutume, parce
que lady Cowley, personne spirituelle et causante, mais grande _tory_,
était là, et parce qu'enfin tout le monde était très paré pour aller au
bal du duc de Wellington. Il est vraiment singulier qu'un homme de la
position élevée et du très noble caractère de lord Grey, soit aussi
sensible à des petitesses, et d'une susceptibilité nerveuse aussi
puérile.

Le duc de Wellington a donné un fort beau bal, magnifique, brillant et
très bien ordonné. Chacun avait fait de son mieux pour ne pas le déparer,
et il m'a paru qu'on y avait réussi.

M. Royer-Collard m'écrit ceci: «L'aspect des élections est trompeur;
elles sont en réalité beaucoup moins ministérielles qu'elles ne le
paraissent; la prochaine session sera laborieuse; le Ministère s'y
attend. Le grand nombre des coalitions est un symptôme très grave. Quelle
doit être la violence des haines qui ont formé cette alliance!» Plus bas,
il dit ceci: «On sait à peu près ce que dira ou fera une personne connue,
dans des circonstances données: M. Dupin échappe à cette divination. La
témérité de ses paroles ne se peut prévoir; elle est ici la même qu'à
Londres, et elle rend impossible qu'il arrive jamais aux affaires.»


_Londres, 4 juillet 1834._--La Reine a dit l'autre jour quelque chose qui
a paru assez ridicule à la personne à laquelle elle l'a dit et que je
comprends, moi, à merveille, probablement de par l'_allemanderie_, comme
dirait M. de Talleyrand. Elle disait donc que, pendant les seize heures
qu'elle a passées la semaine dernière à l'abbaye de Westminster, durant
les grands oratorios qu'on y a exécutés, elle avait eu plus de temps et
de recueillement pour réfléchir sur sa position et faire des retours sur
elle-même qu'elle n'en avait dans l'habitude de sa vie, et qu'elle en
avait retire et fait des découvertes: qu'elle avait trouvé, par
exemple, qu'elle était plus attachée au Roi qu'elle ne le savait
peut-être elle-même, qu'elle se croyait aussi plus nécessaire à son mari
qu'elle ne l'avait supposé, et qu'elle avait compris, enfin, que sa vraie
et seule patrie était désormais l'Angleterre; que tout cela lui rendait
son départ particulièrement pénible, mais qu'elle avait cependant une
consolation: c'était de penser que le Roi serait d'autant plus disposé à
seconder un changement de ministère, qu'on ne pourrait pas supposer qu'il
cédât à son influence à elle. Il y a beaucoup, et peut-être un peu trop
de sincérité dans de pareilles ouvertures de cœur, mais en elles-mêmes,
je trouve toutes ces pensées très naturelles, et je comprends
parfaitement qu'elles aient été inspirées par les lieux et les
circonstances indiqués plus haut.

Du reste, le Roi, de son côté, donne aussi d'assez étranges explications
de ses regrets du départ de la Reine, qui deviennent, de moment en
moment, plus vifs. C'est ainsi qu'il disait hier à Mme de Lieven: «Je ne
pourrais jamais vous faire comprendre, Madame, tous les genres d'utilité
dont la Reine est pour moi.» La rédaction est bizarre et pas mal
ridicule. Le Roi a une goutte molle dans les mains, qui lui en rend
l'usage difficile, l'empêche de monter à cheval, souvent d'écrire, le
fait beaucoup souffrir quand il est obligé de donner un grand nombre de
signatures, et le rend, pour les détails les plus intimes, dépendant de
son valet de chambre. Tous ses beaux projets de reprendre la vie de
garçon et de se divertir à tort et à travers, il n'en est plus question,
et si peu, que le Roi a fini ses épanchements à Mme de Lieven en lui
disant qu'aussitôt la Reine partie, il allait s'établir à Windsor, pour
n'en pas sortir, et y vivre en ermite, jusqu'au retour de la Reine.

Le départ de cette Princesse, qui a lieu demain matin à Wolwich, sera
vraiment magnifique, puisque, outre son vaisseau, les deux grands bateaux
à vapeur et tout le Yacht Club, le Lord-maire, avec toutes les
corporations de la Cité, dans leurs barges de gala, accompagneront la
Reine, pour lui faire honneur, jusqu'à l'endroit de la rivière où la
juridiction finit. On dit aussi qu'une flottille hollandaise doit venir à
sa rencontre.

Almacks, le célèbre Almacks[25], qui depuis vingt ans fait le désespoir
du petit monde, l'objet de l'émulation et des désirs de tant de jeunes
personnes de la province; Almacks, qui donne ou refuse le brevet de la
mode; Almacks, gouvernement absolu par excellence, modèle du despotisme
et du bon plaisir de six dames les plus exclusives de Londres; Almacks,
comme toutes les institutions modernes, porte en lui le germe de sa
destruction. Après le relâchement dans sa police intérieure, est venue
une violation de ses privilèges, puisque le duc de Wellington a osé
donner un bal le mercredi, jour sacré, voué exclusivement à Almacks; et
enfin la désunion et les conflits de juridiction s'étant élevés dans le
_Conseil des six_, nous sommes menacés de voir crouler, avec la
Constitution de l'État et celle de l'Église, si ébranlées en ce moment,
cet Almacks où les jeunes personnes trouvaient des maris, les femmes un
théâtre pour leurs prétentions, les romanciers les scènes les plus
piquantes de leurs récits, les étrangers leurs données sur la société, et
tout le monde enfin un intérêt plus ou moins avouable pendant la saison
par excellence.

  [25] Almacks était une académie mondaine, qui rassemblait le haut
  monde de Londres et était patronnée par six dames de la haute
  société. Le début à l'Almacks sacrait l'homme du monde.

C'est lady Jersey qu'on accuse d'avoir été l'esprit subversif. Les chefs
d'accusation contre elle sont nombreux: s'être refusée à l'admission de
nouvelles patronnesses, qui, plus jeunes et plus gaies que les anciennes,
auraient ranimé la mode qui pâlit; avoir donné avec une facilité très
coupable des billets à des gens peu élégants; avoir soustrait ses listes
à l'investigation de ses collègues, et, après avoir elle-même introduit
du pauvre monde à ces bals, les avoir décriés; ne s'y être plus rendue
elle-même, malgré sa qualité de patronnesse; avoir décidé le duc de
Wellington à donner une fête un mercredi; avoir voulu forcer les autres
patronnesses à remettre Almacks à un autre jour; et enfin, non contente
d'avoir bouleversé ainsi toutes les traditions les plus sacrées de
l'institution, d'avoir écrit un billet, ou plutôt un manifeste arrogant
et ridicule, à la spirituelle lady Cowper, pour se plaindre qu'au mépris
de ses intentions, Almacks eût eu lieu concurremment avec le bal du duc
de Wellington, et pour menacer le Comité de son indignation et de sa
retraite! On s'attend qu'à la première réunion de ces dames, il y aura un
beau tapage féminin. J'avoue que s'il y avait là une tribune pour le
public, j'y porterais ma curiosité.

Il faut convenir que lady Jersey porte l'aveuglement de sa vanité au delà
de toutes les bornes: un manque complet d'esprit, une origine
bourgeoise[26], des richesses mal gouvernées, un mari trop doux, une
beauté plus conservée que parfaite, une santé inaltérable, une activité
fatigante, lui ont persuadé qu'elle avait assez d'argent pour se passer
toutes ses fantaisies, assez de beauté pour désespérer ou combler les
désirs de tous les hommes qui l'environnent, assez d'esprit pour
gouverner le monde, et assez d'autorité pour être toujours, partout et
sans concurrence, la première, dans la faveur des Princes, dans la
confiance des hommes d'État, dans le cœur des jeunes gens, dans
l'opinion même de ses rivales. Elle se croit une existence incontestable
en supériorité, qui rendrait la modestie oiseuse et la ferait paraître de
l'hypocrisie; aussi elle s'en dispense parfaitement. Elle parle de sa
beauté, qu'elle détaille avec complaisance, comme de celle de la fameuse
Hélène des Troyens; son esprit, sa vertu, sa sensibilité, tout a son
tour; sa piété même arrive correctement le dimanche et finit le lundi;
sans mesure, sans esprit, sans générosité, sans bienveillance, sans
grâce, sans droiture, sans dignité, elle est moquée ou détestée, évitée
ou redoutée; à mon gré, une mauvaise personne pour le cœur, une sotte
personne pour l'esprit, une dangereuse personne pour le caractère, une
fatigante personne pour la société, mais au demeurant, comme on dit, la
meilleure fille du monde.

  [26] Lady Jersey était, par sa mère, petite-fille du banquier
  Robert Child.


_Londres, 6 juillet 1834._--Les démentis un peu rudes qui ont été
échangés à la Chambre des Communes entre M. Littleton, secrétaire pour
l'Irlande, et M. O'Connell, n'ont pas eu bien bonne grâce et ont mis
l'indiscrétion du premier et le manque de délicatesse du second fort au
jour! On s'attendait qu'après de pareilles scènes, il y aurait une petite
explication armée entre les deux champions, et que M. Littleton donnerait
sa démission ou serait congédié. Mais l'épiderme politique n'est ni bien
fin ni bien sensible; le calus se forme trop vite dans les habitudes
parlementaires; l'ambition et l'intrigue détrônent promptement toute
délicatesse, parfois tout honneur.

M. Stanley, dans l'éternelle question du clergé d'Irlande, a fait encore
un grand discours avant-hier, et pour le coup en cassant les vitres, et
en jetant le gant au ministère, dont il faisait naguère partie. C'était
si naturel à prévoir que je me suis émerveillée de la niaiserie des
ministres et de leurs amis, qui soutenaient, à perdre haleine, que M.
Stanley resterait leur ami et leur défenseur, après sa retraite comme
avant. Comme s'il n'y avait d'autres liens parmi les hommes politiques
que celui d'une ambition commune!

Le ministre de Naples a cru devoir se rendre chez don Carlos près duquel
il a été appelé, mais bien décidé à ne pas préjuger les intentions de sa
Cour et à ne donner à don Carlos que le titre de «Monseigneur»; mais,
arrivé à Gloucester-Lodge, il a été solennellement introduit auprès du
Prince, qui se tenait debout, au milieu de toute sa Cour, les Princesses
à ses côtés, si noires, si laides, avec des yeux si africains, que le
pauvre vieux Ludolf s'est troublé et qu'entendant tout le monde crier
«_le Roi_» et voyant ces quatre terribles yeux noirs de bêtes féroces
féminines se fixer sur lui avec fureur, il a cru que, s'il se bornait au
«Monseigneur», il verrait son heure dernière, ce qui lui a fait donner du
_Roi_ et de la _Majesté_ à tour de bras, heureux d'être échappé sain et
sauf de cette tanière!

La princesse de Lieven nous a fait passer une très agréable journée,
hier, à la campagne. La société était de bonne humeur et de bon goût: la
Princesse, lady Clanricarde, M. Dedel, le comte Pahlen, lord John Russell
et moi. Le temps était superbe, à deux pluies d'orage près, que la
compagnie a prises en bonne humeur. Nous avons dîné à Burford-Bridge,
jolie petite auberge au pied de Box-Hill, que la chaleur ne nous a permis
de gravir qu'à moitié. Nous avons aussi visité _the Deepdene_[27],
campagne de M. Hope, qui mérite bien son nom: la végétation est belle,
mais le lieu est bas et triste; la maison a des prétentions égyptiennes
grotesques et laides.

  [27] Cette campagne appartient encore à la famille Hope. La
  maison contient une galerie de tableaux remarquable. Le parc et
  les jardins à l'italienne sont parmi les plus beaux de
  l'Angleterre.

Denbies[28] à M. Denison, où nous avons été ensuite, est admirable de
position; la vue est riche et variée, mais la maison est peu de chose, du
moins à l'extérieur. Tout ce côté-là est assez pittoresque et même
beaucoup pour être si près d'une grande ville comme Londres. La partie
sans contredit fut agréable, et le souvenir m'en plaît.

  [28] Denbies appartient maintenant à M. G. Cubitt. Cette
  habitation est située près de Dorking dans le comté de Surrey.


_Londres, 7 juillet 1834._--Le duc de Cumberland annonce l'intention
d'aller chez don Carlos, ce qui déplaît fort au Roi. Le duc de Gloucester
en serait tenté aussi, mais il n'a pas voulu y aller sans prévenir le
Roi, qui l'a prié de n'en rien faire.

Voici exactement ce qui s'est passé entre l'infant don Carlos et le duc
de Wellington. L'Infant avait d'abord envoyé l'évêque de Léon au Duc,
auquel il a paru un gros prêtre assez commun, mais avec plus de bon sens
que le reste de la compagnie. L'évêque a engagé le Duc à venir voir son
maître et à lui donner ses avis. Le Duc a décliné de donner des avis sur
une position dont les détails et les ressources lui étaient inconnus,
mais il n'a pas cru pouvoir refuser d'aller chez don Carlos. Il y a été,
et le singulier dialogue suivant s'est passé entre eux:

DON CARLOS.--Me conseillez-vous d'aller, par mer, rejoindre
Zumalacarreguy en Biscaye?

DUC DE WELLINGTON.--Mais avez-vous les moyens de vous y transporter?
(_Point de réponse..._) Avez-vous un port de mer à vous, où vous soyez
sûr de pouvoir débarquer?

D. C.--Zumalacarreguy m'en prendra un.

D. DE W.--Mais, pour cela, il lui faudra quitter la Biscaye. Et
d'ailleurs, n'oubliez pas que, d'après le Traité de la Quadruple
Alliance, l'Angleterre ne vous laissera pas reprendre la route d'Espagne,
puisqu'elle s'est engagée à vous expulser de ce pays.

D. C.--Eh bien! j'irai par la France.

D. DE W.--Mais la France a pris les mêmes engagements.

D. C.--Que ferait donc la France si je la traversais?

D. DE W.--Elle vous arrêterait.

D. C.--Quel effet cela ferait-il auprès des autres puissances?

D. DE W.--Celui d'un Prince aux arrêts.

D. C.--Mais s'il y avait un changement de ministère, ici, on me
rétablirait en Espagne.

D. DE W.--Beaucoup d'intrigants, et du plus haut rang, chercheront à vous
le persuader, et je ne puis trop vous prémunir contre de semblables
illusions. L'Angleterre a reconnu Isabelle II et ne peut plus revenir sur
cette reconnaissance, ni sur les engagements pris par le traité. Je vous
dis, peut-être, des choses désagréables, mais je crois que c'est le plus
grand service à vous rendre. Je connais bien ce pays-ci; vous n'avez rien
à en attendre. Je suis même étonné que vous l'ayez choisi pour votre
résidence après le traité que mon gouvernement a signé. Vous seriez, ce
me semble, à beaucoup d'égards, infiniment mieux en Allemagne. Je ne
connais pas la force de votre parti en Espagne, ni ses chances de succès;
mais je ne crois pas qu'il vous vienne jamais d'équitables et efficaces
secours que de l'Espagne elle-même.»

Telle est cette conversation qui m'a paru très curieuse, parce qu'elle
témoigne de l'étrange ignorance de l'un, et de la simple droiture de
l'autre. Le Duc a été extrêmement frappé de l'espèce de crétinisme de ce
malheureux Prince, qui n'a rien su, rien appris, rien compris; qui n'a ni
dignité, ni courage, ni adresse, ni intelligence, et qui semble
réellement être à la dernière marche de l'échelle humaine. On dit que
les Princesses, les enfants, tous ceux enfin qui sont autour de lui, sont
à peu près de la même sorte. Cela fait beaucoup de pitié.

Le duc de Wellington ne croit pas au million envoyé par M. de Blacas; il
pense que c'est plutôt le clergé espagnol qui aura envoyé quelque argent.

J'ai dit au Duc que j'avais vu beaucoup de personnes extrêmement
curieuses de savoir quel titre il avait donné à don Carlos, lorsqu'il
avait été chez lui; il m'a dit alors: «Vous voyez, par ce que je viens de
vous raconter, que je pourrais faire imprimer la conversation que j'ai
eue avec ce Prince: elle n'a rien de choquant pour personne. Du reste,
cette curiosité me rappelle celle qu'avaient tous les Espagnols, pendant
la guerre de la Péninsule, de savoir de quelle manière je qualifiais
Joseph Bonaparte, lorsque je communiquais avec lui, ce qui m'arrivait
souvent. Ses correspondances françaises étaient souvent interceptées, et
on me les apportait; elles contenaient beaucoup d'informations qu'il ne
fallait pas qu'il reçût, mais il s'y trouvait aussi des nouvelles de sa
femme et de ses enfants dont je n'aurais pas voulu le priver, et que je
lui faisais passer par les avant-postes français. J'écrivais alors au
général français et je lui disais: «Faites savoir au Roi que sa femme, ou
sa fille aînée, ou sa fille cadette, va mieux, ou moins bien; qu'elles
sont parties pour la campagne», ou autres choses semblables; je ne disais
jamais _Roi d'Espagne_ et j'adressais mes messages à des généraux
français, mais non à des généraux espagnols joséphinos. Ainsi, il n'y
avait, dans ce titre de Roi, aucune reconnaissance à inférer. C'était
une politesse et voilà tout: elle ne pouvait tirer à conséquence.» Le Duc
m'a laissé ainsi à mes propres conclusions sur la manière dont, en voyant
don Carlos, il l'a nommé.

Tous ces pauvres Espagnols ont été hier au Grand Opéra, où ils ont, comme
de raison, excité une grande curiosité!

On me mande, de Paris, qu'on y est en enfantement d'un gouverneur
d'Alger. Le maréchal Soult voudrait y envoyer un maréchal de France,
d'autres veulent un personnage de l'ordre civil pour y placer le duc
Decazes qui le demande à cor et à cri et auquel Thiers, notamment, l'a
promis. C'est assez drôle, un favori de Louis XVIII se rabattre sur
Alger! Je me souviens d'un temps où on songeait aussi à le transporter
fort loin, et où Alger, avec son dey, son esclavage et son cordon, aurait
paru une assez bonne combinaison au Pavillon Marsan. Oh! les drôleries,
les singularités, les contrastes, les catastrophes, n'ont pas manqué dans
les années que j'ai vues se succéder, et dont le nombre me paraît souvent
doublé et triplé, quand je songe à l'immensité de faits accomplis, de
destinées détruites, de bouleversements et de réédifications qui les ont
signalées.


_Londres, 8 juillet 1834._--Le ministère anglais ne sait ni vivre ni
mourir. Chaque jour démolit une partie de l'édifice; il est impossible
que le Cabinet ne se sente pas ébranlé dans ses fondements et cependant,
contre toutes les traditions parlementaires, il reste en dépit des
démentis, des indiscrétions, des petites lâchetés des uns, des petites
trahisons des autres. Les faussetés royales même ne manquent pas; les
conservateurs sont prêts à recueillir une succession que tout leur
promet, mais dont ils aiment mieux hériter par voie de douceur que de
l'arracher aux mourants. En attendant, rien ne se fait, rien ne se
décide, et le public étonné regarde, attend et ne comprend pas. Lord
Althorp annonce que M. Littleton a offert sa démission qui n'est point
acceptée par lord Grey; celui-ci nie telle déclaration du Cabinet, que le
duc de Richmond déclare avoir été prise, chose qu'il affirme,
ajoute-t-il, avec la permission même du Roi. Cet incident singulier
devrait, naturellement, amener quelque solution grave, si les choses se
passaient encore suivant les anciennes habitudes du Parlement, mais
aujourd'hui, on ne s'attend plus qu'à quelque pauvre replâtrage entre les
ministres. Pendant qu'on les voit ainsi marchander leur existence au
dedans, on voit lord Palmerston trancher péremptoirement toutes les
questions du dehors, refuser aux uns des explications, ne pas écouter
celles des autres, ne céder aux avis de personne, inquiéter, irriter tout
le monde; ce n'est, assurément, pas le cas de dire avec Jean Huss, qui
allant au supplice et voyant une pauvre vieille femme courir avec un zèle
aveugle, et, pour la gloire de Dieu, jeter un fagot de plus sur le bûcher
où il devait être brûlé, s'écria: «_Sancta simplicitas!_»

A propos de lord Palmerston, et de sa réputation parmi ceux-là même qui
ont un certain besoin de lui, je citerai le dire de lord William Russell,
le plus tranquille et le plus modéré des hommes. Mme de Lieven lui
exprimant le désir de le voir bientôt ambassadeur à Pétersbourg:
«Assurément, rien ne serait plus heureux et plus brillant pour ma
carrière, et cependant, si lord Palmerston y pensait, je refuserais; car
il ne lui faut pas des agents éclairés et véridiques, mais des gens qui
sacrifient la vérité à ses préventions. Tout langage, toute opinion
indépendante l'irrite, il ne songe alors qu'à se défaire de vous et à
vous perdre. Ma manière de voir, à Lisbonne, n'ayant pas été la même que
la sienne, il a cherché à nuire à la réputation de ma femme, et si, de
Pétersbourg, je lui donnais d'autres renseignements que ceux qui lui
conviennent, il dirait tout simplement que je suis acheté par la Russie
et essayerait ainsi de me déshonorer. Un _gentleman_ ne peut jamais, à la
longue, consentir à traiter des affaires avec lui.»


_Londres, 9 juillet 1834._--Paul Medem nous disait, hier, que rien
n'était si étrange que l'excès du goût du duc de Broglie, lorsqu'il était
ministre, pour lord Granville. La préférence donnée à l'ambassadeur
d'Angleterre, sur tout le reste du Corps diplomatique, dans les
circonstances données, paraissait simple; cependant, cette préférence
était non seulement exclusive, mais inquiète, jalouse, absorbante; elle
était devenue ridicule, gênante et souvent nuisible.

Un autre fait qui n'a pas semblé moins étrange, c'est que, le lendemain
du jour où M. de Broglie est sorti du ministère, faisant sa tournée
d'ambassadeurs, et leur expliquant les motifs de sa retraite, il
ajoutait à chacun, pour adoucir ce qu'il supposait, à tort, être un
regret pour eux, que sa pensée et son système ne restaient pas moins
personnifiés dans le Cabinet, par son élève, M. Duchâtel, qu'il y avait
fait entrer, après l'avoir initié aux grandes affaires qu'il ne
quitterait plus désormais, et l'avoir formé à être un homme d'État de
première distinction. Ce legs, si pompeusement annoncé, n'a pas semblé
d'aussi grande importance aux héritiers qu'au testateur.


_Londres, 10 juillet 1834._--Le _Times_ m'a appris, hier, qu'après avoir
demandé l'ajournement de plusieurs lois à la Chambre des Lords, et avoir
réuni un conseil fort prolongé, lord Grey et lord Althorp avaient remis
leurs démissions au Roi qui les avait immédiatement acceptées[29].

  [29] Le Cabinet de lord Grey était ainsi composé: Premier lord de
  la Trésorerie, le comte Grey. Lord Chancelier, lord Brougham.
  Président du conseil privé, marquis Lansdowne. Sceau privé, comte
  Durham. Chancelier de l'Echiquier, lord Althorp. Intérieur,
  vicomte Melbourne. Affaires étrangères, vicomte Palmerston.
  Colonies, vicomte Goderick. Commerce, lord Auckland. Amirauté,
  sir James Graham. Postes, duc de Richmond. Irlande, M. Stanley.
  Trésorerie générale, lord John Russell. Contrôle, M. Charles
  Grant. Chancelier du duché de Lancastre, lord Holland.

Je suis partie, ne sachant rien de plus, et je suis allée avec la
duchesse-comtesse de Sutherland et la comtesse Batthyány, passer la
matinée à Bromley-Hill, ravissante maison de campagne, où lord
Farnborough, ancien ami de M. Pitt, vit habituellement, uniquement occupé
de cette charmante demeure, belle par sa situation, ses beaux ormes, ses
fleurs, ses eaux superbes, son bon goût parfait, et un soin extrême.
Nous avons été ravis de ce charmant établissement, et c'est avec regret
que nous sommes rentrés dans la fumée et la politique de Londres.

On n'y savait rien de plus sur le grand événement du jour, si ce n'est le
simple fait du message du Roi à lord Melbourne, sans qu'on eût encore
rien appris sur ce qui s'était dit entre le Roi et lui. Nous avons été le
soir chez lord Grey que nous avons trouvé en famille. Ses enfants m'ont
paru abattus, sa femme en irritation, lui seul gai, simple, amical, avec
ce maintien plein de noblesse et de candeur qui lui est propre, et qui a
quelque chose de fort touchant. Il nous a dit, très naturellement, qu'à
travers une série de difficultés et de désagréments sans cesse
renaissants depuis le début de la session, le dernier fait de
l'imprudente bêtise de M. Littleton, si faiblement expliquée par lord
Althorp aux Communes, rendait la démission de M. Littleton insuffisante,
et la sienne et celle de lord Althorp nécessaires.

Il m'a semblé, que, dans la famille de lord Grey, la grande haine était
contre M. Stanley, dont la retraite, suivie d'un si rude discours, a, de
fait, porté au ministère un coup dont l'incident Littleton n'a été que la
dernière crise. Les Communes, peu satisfaites de ce que leur a dit lord
Althorp à ce sujet, se sont fractionnées en de trop fortes minorités pour
n'avoir pas prouvé leur mécontentement, et c'est ce qui a fixé les
longues incertitudes de lord Grey. Il nous a semblé content de l'effet
produit par l'explication qu'il venait de donner de toute sa conduite à
la Chambre des Pairs.

M. Ward, son gendre, est venu lui porter des nouvelles de la Chambre des
Communes, où il paraissait que les explications de lord Althorp auraient
été reçues assez froidement. L'impression y était qu'outre lord Grey et
lord Althorp, MM. Abercromby, Grant et Spring-Rice s'étaient également
retirés du ministère; à quoi lord Grey a repris que cela n'était pas
exact, qu'il n'y avait que lui et lord Althorp qui eussent réellement
donné leurs démissions, et à telles enseignes, que le Chancelier, à la
Chambre des Pairs, avait même dit qu'il ne comptait point quitter, et
qu'il ne rendrait les Sceaux que sur un ordre formel du Roi. A cela, je
me suis permis de demander si la retraite du premier ministre
n'entraînait pas, nécessairement, celle de tous les autres membres du
Cabinet: «--En droit, oui, mais en fait, non;» m'a dit lord Grey, «mais
vous avez raison, c'est l'usage habituel. A vrai dire, mon administration
est dissoute; cependant, ces Messieurs, individuellement, peuvent rester
dans le nouveau Cabinet.» Sa réponse était évidemment gênée et
embarrassée.

Nous avons été ensuite chez lord Holland; il était infiniment plus abattu
que lord Grey, fort irrité de l'attaque que le duc de Wellington avait
faite contre le Cabinet, au Parlement, et qu'il qualifiait de mauvais
goût et de méchant esprit. Il a dit que les Tories semblaient tout
préparés à recueillir la succession, mais qu'il espérait que le discours
du Chancelier les dégoûterait de la tâche en leur montrant les
difficultés énormes; que, d'ailleurs, «on ne se mettait pas à table sans
être invité à s'y placer», et que, jusqu'à présent, le Roi n'avait point
appelé les Tories, qu'il avait fait chercher lord Melbourne, mais que,
néanmoins, il ignorait ce qui s'était dit entre eux.

Sur notre question de savoir si le Cabinet était entièrement ou seulement
partiellement dissous, lord Holland a dit que le Roi devait se croire
sans ministres, et que lui, lord Holland, quoique n'ayant pas donné sa
démission, se regardait cependant comme _out of office_. Il règne sur
cette question une incertitude qui prouve l'attachement de ces Messieurs
à leurs places et la répugnance qu'ils éprouvent à les quitter. Lord
Melbourne est arrivé pendant que nous étions là, nous nous sommes retirés
par discrétion, guère plus avancés à la fin de la journée qu'à son début.

Il paraît que rien ne s'éclaircit en Espagne. Le choléra y répand un
effroi dont la Régente essaye de profiter pour se séquestrer dans un
moment qu'on dit être embarrassant pour elle. Il est fâcheux pour cette
Princesse de s'être déconsidérée aux yeux d'un public, dont il serait si
désireux pour elle d'obtenir l'estime et la bienveillance. Le choléra et
la retraite de la Reine jettent un grand décousu dans la marche des
affaires et du gouvernement. On parle de changer le lieu de rassemblement
des Cortès.

On assure que l'infant don Francesco, resté à Madrid avec sa femme,
l'infante Carlotta, sœur de la Régente, mais brouillé avec elle, songe,
à l'instigation de son épouse, à s'assurer la Régence, et même peut-être
plus que cela. La guerre civile est toujours très vive dans le nord de
l'Espagne; il est impossible de prévoir ce qu'un tel état de choses, dans
la position particulière des acteurs principaux, pourra amener pour le
midi de l'Europe.


_Londres, 11 juillet 1834._--Le Roi, en faisant chercher, avant-hier,
lord Melbourne, lui a parlé de son désir d'arriver à un ministère de
coalition, et l'a prié de s'en occuper, mais lord Melbourne a dû, hier
matin, écrire au Roi que pareille tâche lui était impossible. En même
temps, lord Brougham, qui ne cache pas son désir de rester aux affaires
et de les diriger, a écrit aussi au Roi, pour lui dire que rien n'était
plus aisé que de reconstruire une nouvelle administration avec les débris
de l'ancienne, et de continuer à gouverner dans le même système. Deux
Tories principaux dans leur parti ont dit à Mme de Lieven que s'ils
étaient appelés par le Roi, ils accepteraient, que leur plan était fait
et à la question de savoir s'ils ne s'effrayaient pas de dissoudre la
Chambre des Communes et d'en appeler une autre, ils ont dit qu'ils ne
dissoudraient pas, parce qu'ils resteraient, à ce qu'ils croyaient,
maîtres de la Chambre actuelle, toute mauvaise qu'elle est. Ils se sont
aussi fort bien expliqués sur l'alliance avec la France, et
particulièrement sur M. de Talleyrand, dont le système conservateur leur
inspire confiance, au point, disent-ils, que c'est le seul ambassadeur
français qui puisse leur convenir.

Hier, à dîner, chez nous, il n'y avait que quelques débris du ministère
déchu; on parlait assez librement de ce qui a amené la catastrophe, qu'il
faut rattacher à une série de petites trahisons intestines, ou, comme
disait lady Holland, _à de grandes trahisons_.

Lord Brougham, que lord Durham qualifiait, avec raison peut-être, de
fourbe et de fou, paraît être le grand coupable. Il a entretenu une
correspondance secrète avec le marquis de Wellesley, vice-Roi d'Irlande,
pour l'engager à faire à lord Grey des rapports, qui, différents des
précédents, devaient le déterminer à abandonner le «Bill de coercition».
D'un autre côté, la consultation demandée aux juges d'Irlande sur l'état
du pays, et sur les mesures convenables à adopter, n'ayant pas été telle
que la désirait le Chancelier, n'est jamais parvenue à lord Grey et
paraît avoir été supprimée; les indiscrétions de M. Littleton, le manque
d'énergie de lord Althorp, les difficultés des choses en elles-mêmes,
tout cela réuni a fixé les irrésolutions de lord Grey, qui était décidé
depuis longtemps à ne pas affronter la session prochaine du Parlement. Il
voulait se retirer après celle-ci, mais en choisissant ses successeurs.
Je crois qu'il est sincèrement aise d'être hors de la bagarre, mais qu'il
regrette d'avoir quitté sur un terrain miné par la trahison et sans
savoir en quelles mains va tomber le pouvoir. Il est plein de dignité,
mais sa femme regrette avec irritation toutes les ressources que le
ministère offrait pour établir ses enfants.

Lady Holland est abattue et regrette le bien-être que le duché de
Lancastre procurait à son propre individu. Lord Holland parle de tout
ceci avec un mélange de bonhomie, d'insouciance, de chagrin et de gaieté,
qui est rare, drôle et surprenant.

Personne ne sait, ne prévoit, ni ne présume même ce qui résultera de
toute cette crise.

Le Roi est à Windsor, assez petitement entouré de parents légitimes et
illégitimes qui n'ont ni esprit ni consistance, qui ne sont, d'ailleurs,
pas d'accord entre eux, et dont on ne saurait compter l'influence, ni
dans un sens, ni dans l'autre. La présence de la Reine aurait eu plus
d'importance, mais je suis heureuse de penser que par son éloignement
elle échappe à toute responsabilité. Le Roi en avait la prévision, qu'il
a plusieurs fois manifestée, et elle-même se consolait de le quitter par
la pensée de ne pouvoir être accusée d'influencer à distance les
décisions royales.


_Londres, 13 juillet 1834._--Il est évident que, dans cette semaine, il y
a eu des dupes de différents côtés. Les plus surpris, les plus déroutés
sont sans doute les conservatifs: ils se sont toujours imaginé, et le
public avec eux, que le Roi, trop faible pour renvoyer son ministère,
serait cependant charmé d'en être débarrassé et saisirait avec
empressement le premier joint pour rappeler les Tories, et cependant les
heures et les jours se passent sans qu'on les demande.

J'ai dîné hier avec eux; ils avaient, évidemment, l'apparence de gens
désappointés et le duc de Wellington, qui était mon voisin à table, chez
lady Jersey, en a causé tout librement avec moi. J'ai été parfaitement de
son avis sur le résultat inévitable de la conduite du Roi. Lord Grey
était le dernier échelon entre l'innovation et la révolution, et le Roi
laissant échapper une occasion naturelle et décente, sans remonter
l'échelle, sautera infailliblement la dernière marche qui le sépare de
l'abîme destiné à engloutir le sort de la Royauté, du pays; le
retentissement d'un pareil événement sera incalculable en Europe.

Quelqu'un qui dînait, hier, dans le camp opposé, m'a rapporté que les
Whigs se croyaient sûrs que le Roi était venu en ville pour laisser lord
Melbourne libre de composer un ministère à sa guise, puisqu'il avait
refusé d'en former un de coalition. Ce qui confirmerait cette
supposition, c'est que plusieurs membres influents des Communes ont
rendez-vous ce matin, chez lord Melbourne. Il paraît que la question est
de savoir si on conservera ou si on abandonnera les clauses sévères du
«Bill de coercition» sur l'Irlande. Lord Melbourne veut les conserver,
mais alors il faut se passer de lord Althorp, qui semble cependant être
le seul qui puisse diriger la Chambre des Communes. Il est probable que
la journée actuelle dissipera tous les doutes, et que demain on aura une
administration recomposée, ou du moins rajustée, replâtrée et d'avance
frappée à mort. Ce que j'ai cru depuis longtemps et dit quelquefois,
semble s'être vérifié.

Sir Herbert Taylor, le secrétaire particulier de George III et l'homme
qui, jadis, avait inspiré une grande passion à la belle princesse Amélie,
réputé insignifiant sous le feu Roi George III, cité et estimé sous
George IV pour sa discrétion, remplit encore les mêmes fonctions sous le
Roi actuel. Je l'ai toujours soupçonné d'être un ami dévoué des Whigs et
surtout de lord Palmerston. Il était le seul, à Windsor, auquel le Roi,
dans ses jours de crise, ait pu parler, et par lequel d'ailleurs, toutes
les communications aient pu passer; c'est à ses inspirations et à son
travail sourd et cependant actif, et depuis longtemps préparé, qu'on s'en
prend maintenant de ce qui se passe.

Les dires se détruisent en se succédant; l'esprit se fatigue d'une
curiosité qui n'est ni satisfaite ni justifiée. On revient sur
l'assurance que lord Melbourne aurait liberté entière de former un
ministère à sa guise. On dit que le Roi, qui, décidément, n'a pas quitté
Windsor, a envoyé sir Herbert Taylor chez sir Robert Peel.

On dit aussi dom Pedro mort et don Carlos parti. Enfin, la cité et les
clubs sèment, à l'envi, pour passer le temps, je suppose, les nouvelles
les plus bizarres et les plus contradictoires. On finit par ne plus rien
croire, par ne guère écouter et par attendre assez patiemment, dans une
sorte de lassitude, que la gazette proclame, officiellement, le
successeur du lourd et dangereux héritage du ministère.

Pendant ce temps, lord Grey va faire des dîners de gourmand à Greenwich;
il y porte le poids de sa déchéance et de la perfidie de ses amis, Mme de
Lieven celui de son brillant exil, et M. de Talleyrand les tiraillements
d'une ambition encore vivace et d'une attention fatiguée. Lord Grey a
fort bien dit, l'autre jour, en faisant ses adieux au Parlement, qu'à son
âge de soixante-dix ans, on pouvait avec une certaine fraîcheur d'esprit
conduire encore fort utilement les affaires, en temps ordinaire; mais
qu'il fallait, à une période aussi critique que celle-ci, toute
l'activité et l'énergie qui n'appartenaient qu'à la jeunesse.

Cette vérité, j'en ai fait l'application fort près de moi, et j'ai senti
que, dans une carrière publique, il fallait surtout s'appliquer à choisir
un bon terrain de retraite, à n'en pas perdre l'à-propos, et à quitter
ainsi la scène politique de bon air et de bonne grâce, afin d'emporter
encore les applaudissements des spectateurs et d'éviter leurs sifflets.


_Londres, 14 juillet 1834._--On écrivait ce matin de Windsor à Londres,
pour savoir des nouvelles. Le silence observé par le Roi était absolu, et
dans les longues promenades avec sa sœur, la princesse Auguste, ou avec
sa fille, lady Sophia Sidney, toute conversation politique était
soigneusement évitée et la pluie, le beau temps, le voyage de la Reine,
les seuls sujets traités.

Le voyage de la Reine a éprouvé quelques embarras. Lord Adolphus
Fitzclarence, qui n'est pas, à ce qu'il semble, un marin fort habile, n'a
pu trouver aisément son chemin; le yacht royal prenait d'ailleurs trop
d'eau. Heureusement que le duc et la duchesse de Saxe-Weimar, le prince
et la princesse des Pays-Bas, ayant été sur un steamer hollandais à la
rencontre de la Reine, celle-ci a pu passer à leur bord avec sa femme de
chambre et se rendre directement à la Haye; la suite a eu de la peine à
gagner Rotterdam.

Il est très heureux, à ce qu'il paraît, que la Reine ait pu éviter cette
dernière ville, où l'irritation contre l'Angleterre est assez vive pour
qu'on ait voulu y préparer un vilain charivari à la pauvre Reine. Il
était convenu, ici, qu'elle ne verrait ni le Roi, ni la Reine des
Pays-Bas, condition fortement imposée par le Roi d'Angleterre; on parlait
cependant d'une rencontre fortuite qui pouvait avoir lieu au château du
Loo.

Sir Herbert Taylor ayant été le point de mire de bien des gens dans ces
derniers jours, il en a été question dans beaucoup de conversations, et
j'ai appris ainsi que lorsqu'on le proposa pour secrétaire intime à
Georges III devenu aveugle, on pensa en même temps en faire un Conseiller
privé. George III se mit en grande colère contre une pareille idée, et,
devant tous ses ministres, il dit à M. Taylor: _Remember, Sir, that you
are to be my pen, and my eye, but nothing else; that if you should
presume, but once, to remember what you hear, read or write, to human
opinion of your own, or to give an advice, we would part for ever_. En
effet, sous George III et plus tard sous George IV, M. Taylor n'a jamais
été qu'une sorte de mannequin, sans oreilles pour écouter, sans yeux pour
voir, sans mémoire pour se souvenir. On dit qu'il n'en est plus de même
maintenant, quoique les apparences soient toujours celles de la plus
grande réserve et discrétion. Il m'a été dit, aussi, à cette occasion,
que George III, jusqu'au jour de sa cécité, ne s'était jamais servi de
secrétaire, pas même pour faire les enveloppes ou cacheter ses lettres.
Sa correspondance était aussi étendue que secrète: il savait toutes les
nouvelles de la société, toutes les intrigues politiques, et quand il
était mécontent de ses ministres, ou en méfiance de quelques-unes de
leurs mesures, il lui est arrivé de consulter en cachette l'opposition.
Il n'était jamais pris au dépourvu; il connaissait l'opinion publique et
joignait à beaucoup d'instruction beaucoup de tenue et de dignité.

Depuis avant-hier, le bruit s'est répandu que don Carlos avait quitté
furtivement Londres, et qu'il avait déjà touché le sol français lorsqu'on
le supposait indisposé à Gloucester-Lodge; cependant, ce fait, qui est
généralement admis, n'est point encore démontré. Ce qui en fait douter,
c'est que M. de Miraflorès le soutient vrai, et se vante d'y avoir fait
entraîner don Carlos par un agent à sa solde, qui aurait décidé ce
malheureux Prince à cette démarche, pour le livrer ainsi au premier poste
espagnol, qui en ferait courte justice; cette singulière et atroce
vanterie, dans la bouche de tout autre, il faudrait la prendre au
sérieux, mais M. de Miraflorès est aussi fat en politique qu'en
galanterie, et il est très permis de douter de l'histoire en elle-même,
ou bien de supposer que l'agent, censé avoir mystifié le Prince, n'a
peut-être mystifié que le diplomate.

Hier au soir, la convenance, l'intérêt, la curiosité, l'affection, enfin
les bons et les mauvais sentiments, avaient conduit un nombre inaccoutumé
de personnes à la soirée du dimanche, supposé être le dernier de lady
Grey. On y disait, à mots couverts, mais de façon cependant à laisser
bien peu de doutes, que lord Melbourne était revenu de Windsor premier
ministre, et maître de former, avec les éléments du premier Cabinet, une
nouvelle administration dans laquelle lord Grey, seul, ne rentrerait pas.
C'est monter en scène avec une vilaine couleur de trahison pour les uns;
c'est, pour l'autre, en sortir avec la triste figure d'une dupe; c'est,
de la part du Roi, préférer, par faiblesse, un replâtrage à quelques
jours d'énergie, difficiles sans doute, mais dignes au moins, et
certainement salutaires pour le pays. Les Tories ne lui pardonneront
jamais d'avoir reculé, et la postérité le condamnera pour sa faiblesse.

Il semblait, hier au soir, que tout se fût tout à coup amoindri, affaissé
et sali dans cette grande Angleterre; le Corps diplomatique se
fractionnait en groupes d'expressions frappantes: la nouvelle Espagne, le
nouveau Portugal, la Belgique à peine ébauchée, tout ce qui a besoin du
désordre et de la faiblesse des grandes puissances pour se sauver des
mauvaises conditions de son origine, regardaient lord Palmerston avec des
regards d'angoisse qui, bientôt, et lorsqu'on a supposé qu'il restait aux
affaires, se sont changés en regards d'amour et de triomphe; le mépris,
joint à la haine, contractait toutes les fibres de la princesse de
Lieven; l'ambassadeur de France, qui n'est ni rétrograde, comme le Nord,
ni propagandiste comme l'Angleterre, semblait plus soucieux qu'irrité,
plus affligé qu'étonné, et comme arrivé au point où, le rôle des honnêtes
gens finissant, le sien devait se terminer, et où l'heure d'une retraite
convenable et décente avait sonné. Les Anglais, eux-mêmes, paraissaient
humiliés, et point dupes de l'apparence de modération sous laquelle on
cherche à cacher sa faiblesse. En effet, le replâtrage actuel conduira,
un peu plus lentement, mais par une décomposition aussi absolue, vers la
destruction, qu'aurait pu le faire l'arrivée, de plein saut, au pouvoir,
de lord Durham et de M. O'Connell.

Plus on scrute la conduite de lord Brougham dans tout ceci, et plus on
est frappé de l'indélicatesse de sa nature; le vieux et grave lord
Harewood lui ayant demandé avant-hier où on en était, et si le ministère
se recomposait, le Chancelier lui a répondu: «Où nous en sommes? Et où
voulez-vous que nous en soyons, lorsque, dans un moment aussi critique
que celui-ci, on a à traiter avec des hommes qui imaginent de venir vous
parler de leur honneur? Comme si l'honneur avait quelque chose à faire
dans un moment pareil.»

Si l'honneur ne le gêne pas, il paraît que le maintien de sa dignité ne
le préoccupe guère non plus, car hier dimanche, à travers les mille
agitations de tous, et malgré la règle établie pour les Chanceliers
d'Angleterre, d'assister tous les dimanches à l'office divin dans la
chapelle du Temple, il a imaginé d'accompagner Mme Peter à la messe
catholique et de l'écouter dans le banc de cette belle dame, à laquelle
il fait une cour non moins assidue que celle de son collègue lord
Palmerston.

On dit, ce matin, que pour se débarrasser de lord Durham, en lui donnant
un os à ronger, on l'envoie vice-Roi en Irlande, et qu'en même temps, le
ministère, renaissant de ses cendres, renoncera au Bill de coercition sur
l'Irlande[30]; si c'est le cas, on aura sacré M. O'Connell Roi d'Irlande
le jour anniversaire de la prise de la Bastille. Décidément, le 14
juillet est le jour par excellence, dans les annales révolutionnaires de
l'histoire moderne!

  [30] Ou Bill des dîmes.

J'ai rencontré, tout à l'heure, un Pair conservatif, homme d'esprit et de
cœur, qui m'a remuée fortement: de grosses larmes roulaient dans ses
yeux; il déplorait l'abaissement de son pays, l'écroulement de ce vieux
et grand édifice. Il prévoyait la terrible lutte qui, tout d'abord, peut
s'engager entre les deux Chambres; le radicalisme qui, bon gré mal gré,
va devenir le guide du ministère d'aujourd'hui et de tous ceux qui lui
succéderont rapidement; le ministère du moment n'est, aux yeux de tout le
monde, qu'un mort-né; aussi on est surpris que l'intelligente et bonne
nature de lord Melbourne se soumette à une semblable comédie. Sa sœur
cherchait à l'expliquer en disant qu'il fallait savoir se sacrifier pour
sauver la patrie, mais Mme de Lieven lui a répondu en lui disant: «Ce
n'est pas par des hommes qui se déshonorent que la patrie peut être
sauvée.»

Les amis de lord Melbourne, qui le connaissent bien, prétendent que la
paresse prendra le dessus au premier jour, et qu'après un _Goddam_ bien
vigoureux, il enverra tout paître. En effet, il est étrange de voir, dans
le moment le plus critique du pays, l'homme le plus nonchalant de
l'Angleterre appelé à en diriger les destinées.


_Londres, 15 juillet 1834._--Lord Grey est venu me faire une longue
visite. Nous avons parlé de la dernière crise, comme si c'était déjà de
l'histoire ancienne, avec le même dégagement et la même sincérité. Il n'a
que faiblement, et comme par acquit de conscience, combattu mes tristes
prévisions; il défendait ses successeurs en masse, et les abandonnait en
détail, ou, du moins, il convenait de la difficulté de leur position et
du mauvais vernis avec lequel ils reparaîtraient sur la scène. Il s'est
tu lorsque je lui ai dit que l'opinion publique assignait à M. Littleton
le rôle de la bêtise, à lord Althorp celui de la faiblesse, au
Chancelier celui de la perfidie! Il a haussé les épaules, lorsque je lui
ai cité un propos tenu par M. Ellice, son beau-frère, la veille, dans le
salon de lady Grey; en effet, ce propos était étrange. Le voici: En
répondant aux regrets que quelqu'un lui exprimait de la retraite de lord
Grey: «Sûrement, dit-il, c'est fâcheux sous plusieurs rapports; mais cela
ne pouvait tarder d'arriver, avec le dégoût des affaires qui s'était
emparé de lui; et, du moins, cela aura-t-il l'avantage de nous faire
marcher dans une route plus large, de rendre nos allures plus franches et
de nous tirer de ce juste milieu qui n'est plus possible maintenant.»

Lord Grey m'a répété plusieurs fois qu'il ne regrettait ni le pouvoir, ni
les affaires; que, depuis quelques mois, il s'était senti affaibli, sans
intérêt pour rien, ne faisant les choses qu'avec une extrême répugnance
et lassitude. Il m'a avoué que ce qui l'avait le plus rempli d'amertume,
c'était la conduite de plusieurs des siens, et surtout celle de lord
Durham, dont la violence, la hauteur, l'ambition, l'intrigue, l'avaient
d'autant plus fait souffrir que sa fille en était la première victime, et
qu'il ne pouvait douter que la dernière fausse couche de lady Durham ne
provînt de la brutalité de son mari. Il m'a dit que, malgré l'extrême
effroi que ce caractère inspire, il était question de lui donner, dans le
nouveau Cabinet, la place que lord Melbourne, passant à la Trésorerie,
laissait vacante; l'ambition et la mauvaise activité de lord Durham le
rendent tellement incommode à un ministère dont il ne fait pas partie,
qu'on se demande s'il ne vaut pas mieux l'admettre dans celui-ci, pour
essayer, par ce moyen, de neutraliser ses mauvaises dispositions. Lord
Grey doutait pourtant qu'on s'y décidât, tant il est détesté par tous.

Lord Grey était sûr d'avoir décidé lord Althorp à passer sur tous les
embarras de sa position et de lui faire reprendre sa place dans le
Cabinet[31]. Il dit que sans lord Althorp, on ne pourrait jamais
gouverner la Chambre des Communes; il se flattait aussi de décider lord
Lansdowne à rester en place, mais cela n'était pas certain. Enfin, dans
sa persuasion, fondée ou non, que l'arrivée des tories ou celle des
radicaux amènerait une révolution, il faisait sincèrement, et avec le
plus grand zèle, tous ses efforts pour rajuster ce même misérable Cabinet
par lequel il vient d'être trahi, ne sentant pas, ou ne voulant pas
comprendre, que c'est, nécessairement, sous un très léger masque, du
radicalisme, tout aussi bien que si on en était déjà à un ministère
O'Connell ou Cobbett.

  [31] Le nouveau Cabinet fut ainsi constitué: Premier lord de la
  Trésorerie, lord Melbourne. Chancelier, lord Brougham. Président
  du conseil, marquis Lansdowne. Affaires étrangères, vicomte
  Palmerston. Colonies, M. Spring Rice. Chancelier de l'Échiquier,
  lord Althorp. Amirauté, lord Auckland. Postes, marquis de
  Conyngham. Payeur général de l'Armée, lord John Russell. Irlande,
  M. Littleton. Chancelier du duché de Lancastre, lord Holland.
  Intérieur, vicomte Duncannon. Conseil du Contrôle, M. Charles
  Grant. Commerce, M. Poulett Thomson. Guerre, M. Ellice. Sceau
  privé, lord Mulgrave. La plupart de ces ministres avaient fait
  partie du Cabinet précédent.

J'ai dîné à côté du Chancelier chez la duchesse-comtesse de Sutherland.
Il était de fort bonne humeur et m'a proposé de boire à la date du jour,
le 14 juillet. «Au dessert!» lui ai-je répondu, sachant bien que sa
mobilité d'esprit lui ferait oublier son toast; et, en effet, il n'y a
plus songé! J'aurais été, en tout cas, incapable de l'accepter, car
cette date, déjà si malheureuse, ne s'est, certes, pas purifiée hier.

Le Chancelier m'a demandé si j'avais vu lord Grey, si je n'avais pas été
frappée de sa naïveté, qui est telle, me dit-il, qu'il ne sait rien
cacher, rien dissimuler, rien contenir: c'est un enfant pour la candeur,
pour l'imprévoyance, cédant à toutes les impressions du moment. «C'est
une très noble nature, une âme bien pure», ai-je répliqué.--«Oui, oui,
assurément,» a-t-il repris, «celle d'un charmant enfant, et cela me fait
souvenir que M. Hure, un ami de M. Fox, de Fitz-Patrick et de Grey,
n'appelait jamais celui-ci autrement que _Baby Grey_.»

Don Carlos est décidément parti. Les uns disent qu'il s'est embarqué sur
la Tamise, pendant qu'on le croyait à l'Opéra, et qu'il va débarquer sur
un des points de l'Espagne où on lui suppose des intelligences; les
autres prétendent, et ceci est la version de M. de Miraflorès, qu'il a
passé par la France, que c'est M. Calomarde qui, de Paris, a mené toute
cette intrigue, mais par l'instigation de lui, Miraflorès, pour faire
tomber don Carlos dans un piège. Tant il y a qu'il est parti, et que,
quel que soit le résultat de son entreprise, elle ne saurait, en
elle-même, être indifférente.


_Londres, 16 juillet 1834._--Le successeur de lord Melbourne, au
ministère de l'Intérieur, est connu; c'est lord Duncannon qui passe à
cette place de la Direction des Eaux et Forêts, qu'il abandonne à sir
John Cam-Hobhouse. Celui-ci est connu par ses relations avec lord Byron,
ses voyages en Orient et ses opinions très libérales, moins cependant que
celles de lord Duncannon, qu'on dit être des plus vives. Il est donc bien
évident que le Cabinet a pris une couleur plus tranchée et plus avancée
en tendance révolutionnaire.

Si, hier matin, le départ de Londres de don Carlos était hors de doute,
le soir, son arrivée en Espagne était certaine. Les tories prétendent
savoir qu'il est arrivé en Navarre, après avoir traversé toute la France;
c'est aussi la version de M. de Miraflorès, qui regrette peut-être
maintenant de s'être vanté de lui avoir tendu des pièges et de l'avoir
entouré d'espions, qui devaient, disait-il, le livrer au premier poste
espagnol ennemi; mais voici qu'au contraire, il est parvenu sain et sauf
au milieu des siens, dont on assure qu'il a été très joyeusement reçu.

Le ministère anglais se disait, hier, instruit de son arrivée en Espagne,
qui aurait eu lieu le 9: mais il prétend que don Carlos a débarqué dans
un des ports de la Biscaye, et qu'il y est arrivé n'ayant avec lui qu'un
seul Français; que ses partisans lui avaient fait grand accueil. On
assure qu'il ne s'est rendu en Espagne que sur l'invitation des provinces
du Nord, et sur la menace de celles-ci de se déclarer indépendantes de
l'Espagne et de se constituer en République, si leur chef naturel ne se
rendait pas au milieu d'elles. Il est évident qu'il fallait de grandes
espérances d'une part, et de grandes craintes d'une autre, pour décider
un homme aussi timide et aussi inhabile que don Carlos à courir de
semblables hasards. Du reste, sa conversation avec le duc de Wellington,
que j'ai rapportée plus haut, prouve que le projet d'aller en Espagne
occupait son esprit depuis plusieurs semaines.


_Londres, 17 juillet 1834._--Les amis du nouveau ministère s'évertuent à
assurer que le système d'alliance avec la France n'éprouvera aucune
altération. Je le crois, mais j'aurais préféré, pour les deux pays, que
cette alliance s'affermît sur un terrain de bon ordre, au lieu de ne se
continuer que par des sympathies révolutionnaires. Celles-ci inquiètent,
à juste titre, le reste de l'Europe, et peuvent amener des crises dans
lesquelles il serait difficile de désigner d'avance les vainqueurs.

Nous sommes de plus en plus décidés à retourner en France, aussitôt après
la clôture du Parlement, peut-être même avant.

Notre avenir plus éloigné, je ne le prévois point encore, mais l'exemple
de lord Grey est une preuve de plus que, pour bien finir, les grandes
figures historiques doivent choisir elles-mêmes le terrain de leur
retraite, et ne pas attendre qu'il leur soit imposé par les fautes ou par
la perfidie d'autrui.

Nous avons reçu, hier, les deux premiers volumes d'un livre qui a pour
titre: _Monsieur de Talleyrand_. J'y ai à peine regardé, mais M. de
Talleyrand l'a lu. Il dit que rien n'est si bête, si faux, si ennuyeux,
si mal inventé, et qu'il ne donnerait pas cinq shellings pour que ce
livre n'eût pas été publié. J'avoue que je suis moins philosophe et que
dans des occasions de ce genre, qui sont si fréquentes à une époque
aussi libellique que la nôtre, je me souviens toujours d'un mot de La
Bruyère, qui m'a beaucoup frappée par sa justesse. Il dit: «Il reste
toujours quelque chose de l'excès de la calomnie, ainsi que de l'excès de
la louange.» En effet, le monde se partage entre les malveillants et les
imbéciles, c'est ce qui fait qu'il y a toujours des gens pour croire
l'invraisemblable, surtout quand il est hostile.


_Londres, 18 juillet 1834._--La fatuité est, chez les hommes, le résultat
d'une disposition qui s'étend d'un point à tous les autres. M. de
Miraflorès, fort avantageux et pas mal ridicule auprès des femmes, n'est
pas moins présomptueux en politique; il s'y lance en enfant perdu, et
s'attribue, avec une simplicité toute naïve, des succès qu'il n'a dû
qu'aux passions personnelles des autres, et que, d'ailleurs, les
résultats définitifs ne se chargeront peut-être pas de justifier; c'est
ainsi qu'il se proclame l'inventeur de la Quadruple Alliance dont l'idée
première lui a été inspirée par lord Palmerston. Maintenant que la
rentrée de don Carlos sur le territoire espagnol renouvelle les
difficultés, le petit Marquis, _proprio motu_ et sans attendre les ordres
de son gouvernement, fait, par une note, chef-d'œuvre de ridicule,
véritable _olla podrida_, un appel à l'Angleterre et à la France, pour
étendre les termes du traité dont on croyait l'objet accompli.

Les circonstances actuelles sont cependant fort différentes. Il y a trois
mois, les deux prétendants, Miguel et Carlos, étaient, l'un et l'autre,
acculés dans un petit coin de Portugal, et, par le fait, plus
spécialement du ressort de l'Angleterre; maintenant, c'est dans le Nord
de l'Espagne qu'est don Carlos, près des frontières de France.
L'Angleterre poussera-t-elle ses passions révolutionnaires jusqu'à
laisser entrer les armées françaises dans la Péninsule, et ne sera-ce pas
pour lord Palmerston le signal de sa sortie du ministère? D'autre part,
la France peut-elle, après s'être prononcée contre don Carlos, lui
laisser ressaisir un pouvoir qu'il emploiera contre elle? Ce n'est pas
que le gouvernement, de plus en plus anarchique, de la Régente offre un
voisinage bien rassurant. Le Roi Louis-Philippe se trouve donc placé
ainsi dans la double alternative d'avoir à redouter, de l'autre côté des
Pyrénées, le principe républicain ou le principe légitimiste; le _mezzo
termine_ ne peut se soutenir que par la force armée, la conquête, enfin!

Cela me rappelle un mot bien vrai de M. de Talleyrand qui m'est souvent
revenu à l'esprit depuis quatre ans: il a été dit au travers de
l'enivrement des grandes journées de 1830. M. de Talleyrand répondit
alors à quelqu'un qui était tout en espérances et en illusions, en
phrases patriotiques et en attendrissements sur la scène de l'Hôtel de
ville, les accolades La Fayette et la popularité de Louis-Philippe:
«Monsieur, ce qui manque à tout ceci, c'est un peu de conquête.»

On dit Martinez de la Rosa dépassé en Espagne et ne pouvant plus se
soutenir au ministère: il serait remplacé par Toreno et passerait à la
Présidence de la Chambre des Pairs. On dit aussi que la Régente l'a nommé
Marquis de l'Alliance.


_Londres, 19 juillet 1834._--Tout ce qui se passe ici fait reporter la
pensée vers les premières scènes de la Révolution française. L'analogie
est frappante, c'est presque une copie trop servile; les aristocrates, la
minorité de la noblesse, le tiers état, il y a de tout cela dans les
tories, les whigs, les radicaux. Les jalousies, les ambitions
personnelles aveuglent les whigs, qui ne veulent voir d'autres ennemis
que les tories, qui n'aperçoivent d'autres courants que de ce côté, et
qui, pour échapper à des rivaux de pouvoir, se précipitent, eux et toute
leur caste, dans l'abîme creusé par les radicaux.

En causant, hier, de tout cela, M. de Talleyrand rappelait un mot que lui
disait l'abbé Sieyès pendant l'Assemblée constituante. «Oui, nous nous
entendons fort bien maintenant qu'il ne s'agit que de _liberté_, mais
quand nous arriverons sur le terrain de _l'égalité_, c'est alors que nous
nous brouillerons.»

A la séance très vive d'avant-hier, à la Chambre des Lords, le ministère
a bien nettement marqué la ligne qu'il veut suivre, et les mêmes hommes,
qui, sous lord Grey, tenaient, il y a moins de quinze jours, les clauses
répressives du «Bill de coercition» pour indispensables, sont venus en
annoncer l'abandon, au milieu des injures, des moqueries de la Chambre!
C'était déclarer que le Cabinet, pour vivre, se plaçait aux ordres de la
majorité radicale des Communes, ne comptait l'opposition des Lords pour
rien, et prendrait tous les moyens pour l'annuler. L'irritation qui en
résulte est, comme de raison, vivement exprimée par les Lords. Les
ministres n'ont que les éloges gracieusement accordés par O'Connell pour
les encourager et les consoler.


_Londres, 20 juillet 1834._--Je préfère, de beaucoup, le second discours
de lord Grey, prononcé avant-hier, à la Chambre des Pairs, pour bien
éclaircir sa position, qui avait été mal représentée par les deux côtés
de la Chambre, au premier discours dans lequel il avait annoncé sa
retraite. Je trouvais celui-ci trop long, trop larmoyant, entrant dans
des détails trop minutieux de ses affaires de famille. Dans le discours
d'avant-hier, plus laconique, plus serré, il est d'une dignité
remarquable, et tout en évitant des personnalités aigres, tout en se
mettant au-dessus de ressentiments personnels, il montre quel a été le
mauvais jeu devant lequel il s'est retiré; il reste indulgent pour les
plus coupables, bienveillant pour ses successeurs comme individus, mais
il se sépare de leur système. Il rentre dans ses propres instincts aux
acclamations des gens sensés, à l'humiliation de ceux qui l'ont quitté, à
la grande déplaisance de tous ceux qui sont les vrais fléaux de l'ordre
social.

Il faut en convenir, il y a quinze jours, lord Grey n'apparaissait plus
que comme un vieux homme éteint, miné, tiraillé, presque au moment d'être
déconsidéré. Depuis sa retraite, un beau rayon de lumière a éclairé ses
derniers actes politiques; son beau talent oratoire, si longtemps exercé
dans l'opposition, reprend, en y rentrant, toute son énergie, et il est
vrai de dire que lord Grey, tombé de chute en chute, vient de remonter à
la première place, depuis qu'il s'est dégagé des honteuses entraves, par
lesquelles il s'était laissé garrotter. Le Cabinet le redoute beaucoup
maintenant; et, en effet, il tomberait bien bas, si lord Grey ne jetait,
miséricordieusement, sur eux, le manteau de sa charité! Ses collègues,
qui, naguère, parlaient de lui avec plus de pitié que de respect,
tremblent, aujourd'hui, devant ses paroles. Ah! que l'on fait bien de ne
pas se survivre, et que l'à-propos est nécessaire, surtout dans la vie
politique!

Une retraite à la fois moins importante et moins honorable, c'est celle
du maréchal Soult[32]. Des querelles intestines sur le choix d'un
gouverneur civil ou militaire de l'Algérie, sur un discours de la
Couronne plus ou moins détaillé au 31 juillet prochain, mais surtout la
terreur du budget de la Guerre, que le Maréchal aurait des raisons pour
ne pas affronter à la prochaine session, voilà les motifs, assure-t-on,
de cette démission, acceptée par le Roi, peu regrettée dans le Cabinet,
en général, et dont on veut offrir la vacance au maréchal Gérard.

  [32] Le maréchal Soult était Président du Conseil depuis 1832. Il
  quitta ces fonctions en juillet 1834.

Il paraît que fort heureusement pour la régente d'Espagne, elle a éprouvé
un accident qui lui permettra de se montrer à l'ouverture des Cortès.
Elle a bien besoin que quelque bon hasard vienne rétablir sa position, si
étrangement compromise par ses légèretés et ses inconséquences.

Lord Howick, fils aîné de lord Grey, dont l'esprit est aussi de travers
que le corps est repoussant, et dont le public ne pensait pas grand
bien, vient aussi de se relever en quittant sa place de sous-secrétaire
d'État au ministère de l'Intérieur, et de suivre ainsi l'exemple et la
destinée de son père. C'est la seule fidélité à sa fortune qu'aura
trouvée lord Grey.

J'ai rencontré, hier, lady Cowper chez elle; elle m'a paru triste et
soucieuse. Il est difficile, en effet, qu'avec son esprit intelligent
elle ne soit pas affligée de voir ses parents et ses amis dans une route
si peu honorable. Elle me faisait remarquer, avec raison, l'aspect si
différent de la société et de la vie de Londres, le soin qu'on met à
s'éviter, l'hostilité du langage, l'inquiétude des esprits, la défiance
du présent, les tristes prévisions de l'avenir, le décousu général,
l'éparpillement du Corps diplomatique et l'absence de tout gouvernement
et de toute autorité. Ce langage était frappant de la part de la sœur du
premier ministre et de l'ami intime du ministre des Affaires étrangères.

Elle a mis du prix à me persuader que tous les sujets de plainte donnés
par celui-ci au Corps diplomatique, et à M. de Talleyrand en particulier,
ne devaient être attribués à aucune mauvaise intention, mais seulement à
quelques négligences dans les formes, excusables chez un homme accablé de
travail. Elle m'a paru surtout embarrassée de l'idée que M. de Talleyrand
pourrait donner la conduite de lord Palmerston, envers lui, comme raison
de sa retraite; enfin elle a mis tout son esprit, son bon goût et sa
grâce, et elle a beaucoup de tout cela, à servir ses amis et à diminuer
l'amertume qu'ils ont provoquée. Je l'ai quittée, parfaitement contente
de ses expressions, mais peu convertie sur le fond des questions.


_Londres, 21 juillet 1834._--Le besoin qu'a le ministère anglais actuel
de quelque orateur à la Chambre Haute moins discrédité que le Chancelier,
plus habile que ses collègues pairs et ministres, a inspiré la plus
inconcevable des propositions, produite par le manque absolu de bon sens,
et l'absence de toute élévation, qui caractérisent Holland-House. C'est
très sérieusement qu'on est venu proposer à lord Grey de rester, non
comme chef, mais comme garde du Sceau privé. Il a eu le bon goût d'en
rire, comme d'une chose trop grotesque pour s'en fâcher. Mais de quel air
a-t-on pu lui adresser une pareille demande?

Du reste, tout est si étrange en ce moment qu'il ne faut plus s'étonner
de rien. Voici, par exemple, le récit exact de la manière dont lord
Melbourne s'est acquitté de l'ordre du Roi, de chercher par tous les
moyens à arriver à un ministère de coalition, où tous les partis fussent
représentés. Je comprends que la chose fût impraticable, mais il faut
convenir que lord Melbourne s'est acquitté d'une singulière façon de
cette mission royale. Il a écrit au duc de Wellington et à sir Robert
Peel, de la part du Roi, pour leur dire de quelle commission il était
chargé, en ajoutant que, pour leur éviter la fatigue des détails, il leur
envoyait, en même temps, une copie de la lettre qu'il venait d'écrire au
Roi sur sa manière personnelle d'envisager la question. Cette lettre ne
contenait autre chose que la plus forte argumentation contre tout
rapprochement et l'énumération de toutes les difficultés qui rendaient le
projet de coalition impossible. La réponse du duc de Wellington et de sir
Robert Peel n'est qu'un accusé de réception, avec un remerciement
respectueux de la communication qui leur était faite au nom du Roi. Le
Roi, s'étant étonné que ces messieurs ne fussent entrés dans aucun autre
détail, leur a fait dire qu'il demandait leurs observations: «Elles sont
toutes contenues dans la lettre de lord Melbourne au Roi, nous n'avons
rien à y ajouter,» ont-ils répondu; et c'est ainsi que s'est terminée
cette singulière négociation.


_Londres, 22 juillet 1834._--L'espèce de calme et de bonne mine qu'avait
repris le gouvernement français, semble un peu troublé par les
discussions des ministres entre eux, qui ont amené la retraite du
maréchal Soult. Il paraît qu'on s'inquiète et se divise aussi sur le plus
ou moins de durée et d'importance de la petite session annoncée pour le
31 juillet. Elle arrive mal à propos, pour discuter les événements de la
Péninsule, et embarrasser le gouvernement par tout le bavardage de la
tribune. Le triomphe de don Carlos fixerait un ennemi personnel sur nos
frontières; celui de la Régente, qu'elle ne peut obtenir qu'en se jetant,
de plus en plus, dans le _mouvement_, nous donnerait un voisinage de
révolution et d'anarchie. Cela ne saurait être indifférent à notre
gouvernement, qui n'a déjà que trop à lutter contre de semblables
éléments. Il paraît, du reste, que les deux armées étaient trop en
regard l'une de l'autre, pour qu'elles n'en vinssent pas aux prises, et
le premier succès éclatant restant à l'un ou à l'autre des deux
compétiteurs fixera, probablement, leurs destinées ultérieures. Aussi en
attend-on l'issue avec une grande et inquiète curiosité.

Maintenant que la querelle ne se règle plus en Portugal, mais en Espagne,
les Anglais se mettent sur le second plan et ne donneront que de légers
secours à leur cher petit Miraflorès; le grand fardeau est réservé à la
France, et il se présente hérissé de difficultés.

On répandait, hier, à la Cité, la nouvelle de la mort de la Reine
régente. Les uns disaient qu'elle avait péri par le poison, d'autres à la
suite de l'accident qui l'avait conduite dans la retraite. La nouvelle
est probablement fausse, mais dans un semblable pays, à travers la guerre
civile, le fanatisme religieux, les querelles et les jalousies de
famille, les passions de toute espèce qui y sont déchaînées, des crimes
ne sont pas plus invraisemblables que les folies et les désordres qui s'y
passent journellement.

Le ministre Stanley qui remplace lord Howick, comme sous-secrétaire
d'État au ministère de l'intérieur, et qui n'a rien de commun avec le M.
Stanley dernièrement ministre, est une espèce de _faux dandy_
parfaitement radical et de la plus mauvaise et vulgaire sorte. Il a été,
un moment, secrétaire particulier de lord Durham.

Celui-ci a dédaigneusement refusé l'ambassade de Paris, qu'on ne lui
offrait, à ce qu'il a bien compris, que pour se débarrasser de lui ici.
Il a répondu qu'il n'accepterait aucun emploi d'un Cabinet qui refusait
de le recevoir dans son sein. Lord Carlisle a donné sa démission de lord
du Sceau privé.


_Londres, 24 juillet 1834._--On disait assez généralement, hier, que
l'infante Marie, princesse de Portugal, femme de l'infant don Carlos,
avait, secrètement aussi, quitté l'Angleterre, pour suivre son mari en
Espagne, laissant ses enfants ici, à la duchesse de Beïra, sa sœur. On
dit que l'infante Marie a beaucoup de courage et de décision.
Probablement, elle s'en croit plus qu'à son mari, et elle pense que sa
présence près de lui inspirera au prétendant toute l'énergie dont il a
besoin dans la crise actuelle. Toutes ces Princesses de Portugal sont des
démons, en politique ou en galanterie, et quelquefois les deux ensemble.
L'aventure qui a fait, d'une de ces Princesses, une marquise de Loulé,
explique l'éclat qu'elle vient de donner à Lisbonne, à l'occasion d'un
officier de la marine anglaise. M. de Loulé s'est fâché, et a renvoyé sa
femme en gardant les enfants. Dom Pedro a exigé que son beau-frère reprit
sa femme; je ne sais comment cela a fini.

L'Infante Isabelle, qui pendant sa régence a aussi fait parler d'elle, et
que dom Miguel a voulu, dit-on, faire empoisonner avec un bouillon aux
herbes, est maintenant à Lisbonne, réunie au reste de sa famille, ou pour
mieux dire, de ses parents, car il règne des affections et des haines si
également dénaturées dans cette maison de Bragance, qu'il ne peut être
question pour elle des liens naturels de famille.

A propos de prétendants et de mœurs singulières, lord Burghersh m'a
beaucoup parlé, hier, de la comtesse d'Albany, qu'il a connue à Florence.
Elle y avait, pour cavalier servant, M. Fabre, le peintre, qui, depuis la
mort d'Alfieri, demeurait chez elle. Ils se promenaient seuls, n'ayant
que le grand chien de M. Fabre en tiers, ils dînaient seuls. De huit à
onze heures, Mme d'Albany recevait tout Florence. M. Fabre allait,
pendant ce temps-là, chez une maîtresse d'un ordre inférieur. A onze
heures, il reparaissait chez la Comtesse, ce qui était le signal de la
retraite pour tout le monde, afin de les laisser souper tête à tête.
Jamais on ne les invitait l'un sans l'autre, ce qui est d'étiquette en
Italie, et poussé à un point de naïveté étrange. En voici un exemple:
lord Burghersh, ministre d'Angleterre à Florence, ouvrit sa maison par un
grand bal, où il crut avoir prié toute la grande compagnie, mais, n'étant
pas encore très au fait des relations de la société, il oublia d'inviter
un monsieur attaché à une belle dame; le matin du bal, le maître d'hôtel
vint chez my lord avec une lettre ouverte, qu'il venait de recevoir, et
qu'il pria son maître de parcourir; lord Burghersh y lut ce qui suit:
«_Sapete, caro Matteo, che sono servita, da il cavalier un tel_; il n'est
pas invité chez lord Burghersh, ce qui, comme vous le sentez, me met dans
l'impossibilité d'aller à son bal: faites réparer cette erreur, je vous
prie.» Elle le fut en effet, et lord Burghersh n'oublia pas la leçon. Le
_sapete_, adressé à un valet, le _sono servita_, tout est d'une naïveté
incroyable, et néanmoins parfaitement dans les convenances italiennes.
Mais, pour en revenir à la comtesse d'Albany et à M. Fabre, la Comtesse
étant morte, M. Fabre fit le portrait du chien, le compagnon de leurs
promenades, le fit graver, et en envoya une épreuve à chacun des amis de
la Comtesse, avec l'inscription suivante: «Aux amis de la comtesse
d'Albany, le chien de M. Fabre.»


_Londres, 25 juillet 1834._--Le ministère devient bien aigre pour lord
Grey: on lui sait mauvais gré de sa noble retraite, de son juste dédain
pour cette absurde proposition du Sceau privé. On le dit faible,
incapable, capricieux, enfin on joint l'outrage à la perfidie, et le
voile léger dont on couvre cette déloyale conduite ne la dérobe pas
assez, aux yeux de lord Grey, pour qu'il ne commence aussi à en être
aigri. Je sais qu'il a dit que si ses successeurs faisaient un pas de
plus dans la route révolutionnaire, il cesserait non seulement de voter
pour eux, mais encore se déclarerait contre eux. Décidément, il est
rentré dans ses vrais instincts, et je crois qu'il aura à cœur de se
laver, autant que cela se pourra, de l'imputation d'avoir entraîné
l'Angleterre dans une route de perdition.

Lord John Russell, le plus doux, le plus spirituel, le plus honorable, le
plus aimable des Jacobins; le plus naïf, le plus candide des
révolutionnaires; le plus agréable, mais aussi, par son honnêteté même,
le plus dangereux des ministres, me disait, hier, qu'il avait eu, il y a
quelques mois, une violente discussion avec lord Grey, à propos d'une
mesure sur laquelle ils n'étaient pas d'accord, et à l'occasion de
laquelle lord Grey lui déclara que jamais il ne consentirait à mettre
son nom à un acte révolutionnaire. Lord John ajouta, avec son petit air
doux: «C'était, après la réforme, une grande faiblesse et une
inconséquence.--Vous auriez raison,» ai-je repris, «si lord Grey, en vous
laissant faire la réforme, en eût prévu toutes les conséquences; mais
vous conviendrez avec moi qu'il ne les a pas aperçues, et que vous vous
êtes bien gardé de les lui signaler _in time_.» Lord John s'est mis à
rire et m'a dit, de fort bonne grâce: «Vous n'exigez pas que je me
confesse?» Si tous les révolutionnaires étaient de l'espèce de Cobbett et
O'Connell, ou de l'inconvenante et cynique nature de lord Brougham, on se
tiendrait plus aisément en garde; mais dans la spirituelle et délicate
personne du fils du duc de Bedford, comment soupçonner de tels travers
dans le jugement, et dans la nature physique la plus frêle, et, en
apparence, la plus éteinte, comment s'attendre à une semblable
persévérance dans la pensée et à une telle violence dans l'action.


_Londres, 29 juillet 1834._--Une course à Woburn Abbey a interrompu ce
journal. Ce troisième séjour que j'ai fait dans ce bel endroit, beaucoup
plus agréable pour moi, personnellement, que les deux premiers, ne m'a
cependant rien fourni à ajouter aux descriptions que j'en ai faites. Il
ne s'y est rien passé non plus, qui sortît du cours habituel de la vie de
château en Angleterre. Grande et large hospitalité, avec un peu plus de
pompe et de parure qu'il ne faut dans la vie de campagne, telle qu'on la
comprend sur le Continent!

Un voyage, à Woburn surtout, est une chose arrangée, comme l'est un dîner
en ville. Vingt ou trente personnes qui se connaissent, mais sans
familiarité, sont invitées à se réunir pendant deux ou trois jours; les
maîtres de la maison se rendent chez eux, exprès pour y recevoir leurs
hôtes et s'en retournent à leur suite; ils paraissent, ainsi, y être
eux-mêmes en visite. Mais enfin, il y a tant à voir, tant à admirer, le
duc de Bedford est si poli, si parfaitement grand seigneur, la Duchesse
si attentive, qu'il est impossible de ne pas rester sous une impression
agréable. La mienne l'a été, beaucoup, et cela en dépit du voile assez
triste qui couvrait quelques-unes des figures principales, lord Grey par
exemple, qui s'est affaissé tout à coup d'une manière frappante,
souffrant et abattu, et ne se donnant aucune peine pour dissimuler ses
dispositions, qui deviennent de plus en plus amères. Les abdications les
plus volontaires sont toujours suivies de regrets; on mourrait dans la
tourmente, on s'éteint dans le repos. C'est si difficile d'être satisfait
de soi-même et des autres!

Mme de Lieven aussi, malgré tous ses efforts, succombait sous le poids
des adieux, du départ, de l'absence; elle est vraiment fort malheureuse
et me fait grande pitié. Elle est bien plus à plaindre, encore, que toute
autre ne le serait en pareille situation, car jamais personne d'esprit
n'a trouvé moins de ressources en elle-même. Elle les demande constamment
à ses alentours. Le mouvement des nouvelles et de la conversation lui est
indispensable, et elle ne connaît d'autre emploi à la solitude que le
sommeil. Elle pleure de quitter l'Angleterre, elle redoute Pétersbourg,
mais sa plus grande terreur, c'est celle de la traversée, huit jours de
solitude! car son mari et ses enfants ne comptent pas pour elle. Elle
s'arrêtera un jour à Hambourg, uniquement pour échanger quelques paroles
avec des visages nouveaux; elle a saisi avec avidité l'idée de lui
assurer la visite du baron et de la baronne de Talleyrand qu'elle n'a
jamais vus et qu'elle sait ne pas être amusants! Elle a éprouvé un
soulagement évident en décidant lord Alvanley à prendre sa route pour
Carlsbad, par Hambourg, dans le même bateau qu'elle, et cela quoique lord
Alvanley la prévînt que le mal de mer le rendait de fort mauvaise
compagnie; enfin l'ennui fait, chez elle, l'effet de la mauvaise
conscience: elle ne songe qu'à se fuir elle-même.

En revenant à Londres, nous avons appris les massacres de Madrid:
toujours cette horrible fable des puits empoisonnés, qui, partout où le
choléra fait des ravages, a excité l'ignorance populaire et l'a changée
en fureur et en atrocités. Les moines en ont été victimes, et, malgré le
fanatisme religieux, les couvents ont été pillés. L'autorité a été
faible, et par conséquent impuissante; le gouvernement était retiré à
Saint-Ildephonse, terrifié et hésitant, ne sachant si, dans ces tristes
circonstances d'épidémie, de désordre et de guerre civile, il devait
proroger les Cortès ou les réunir, ni dans quels lieux, ni sous quels
auspices! Il est impossible d'imaginer un plus triste concours de
circonstances fatales pour l'Espagne et un voisinage plus incommode pour
la France.

Louis-Philippe a grande répugnance à intervenir ostensiblement et
directement dans les destinées de l'Espagne. Il a même assez montré son
éloignement à cet égard, pour en avoir laissé comprendre le secret par
les ambassadeurs à Paris, qui s'en prévalent puissamment. Le ministère
français, qui compte davantage avec les vanités et les susceptibilités
nationales, s'est moins nettement prononcé. C'est ainsi qu'on doit
paraître après-demain devant les Chambres.

Un des principaux motifs indiqués de la retraite du maréchal Soult était
son insistance pour qu'on envoyât un gouverneur militaire à Alger, en
opposition avec le reste du Cabinet, qui exigeait que ce fût un
gouverneur civil. Il paraît que les exigences du maréchal Gérard ont
porté sur le même objet, et que, fort de l'amitié du Roi, il l'a emporté,
car c'est le général Drouet d'Erlon qui vient d'être nommé à cet emploi.


_Londres, 31 juillet 1834._--L'année dernière le Roi d'Angleterre disait
à M. de Talleyrand à son départ pour le Continent: «Quand
reviendrez-vous?» L'année d'avant, il lui avait dit: «J'ai chargé mon
ambassadeur à Paris de dire à votre gouvernement que je tiens à vous
conserver ici.» Cette année-ci, il dit: «Quand partez-vous?» Il me semble
qu'on peut retrouver, dans ses expressions si différentes, la trace des
influences _palmerstoniennes_.

Hier au Lever du Roi, lord Mulgrave a reçu le Sceau privé abandonné par
lord Carlisle.

On parlait, dans notre salon, du talent de certaines personnes pour
raconter des histoires de revenants. Cela m'a rappelé l'intérêt avec
lequel j'avais entendu, il y a deux ans, à Kew[33], Mme la duchesse de
Cumberland nous conter une apparition qu'elle avait vue elle-même et dont
le souvenir paraissait encore l'émouvoir beaucoup. Elle nous fit d'autant
mieux participer à ses impressions qu'il était tard et qu'un gros orage
bien effrayant grondait au dehors.

  [33] Kew est situé sur la rive droite de la Tamise. Ce château
  fut pendant quelque temps la demeure du duc et de la duchesse de
  Cumberland, avant qu'ils n'héritassent du trône de Hanovre. Il y
  a à Kew un observatoire et un jardin botanique créés par le Roi
  George III.

Voici cette histoire; elle se passa à Darmstadt, où Mme la duchesse de
Cumberland, alors princesse Louis de Prusse, était allée voir sa famille
du côté maternel. Elle fut logée dans un appartement d'apparat du
château, qui n'était habité que rarement, et dont l'ameublement, quoique
magnifique, était resté le même depuis trois générations. Fatiguée de sa
route, elle ne tarda pas à s'endormir, mais elle ne tarda pas, non plus,
à sentir passer sur son visage un souffle qui l'éveilla; elle ouvrit les
yeux, et vit la figure d'une vieille dame qui se penchait sur la sienne.
Saisie de cette apparition, elle tira bien vite sa couverture sur ses
yeux, et resta quelques instants immobile; mais le manque d'air lui fit
changer de position, et la curiosité la pressant, elle rouvrit les yeux
et vit la même figure vénérable, pâle et douce, la fixer encore. Alors,
elle se mit à crier bien fort, et la nourrice du prince Frédéric de
Prusse, qui couchait avec l'enfant, dans la pièce voisine, dont les
portes étaient ouvertes, accourut et trouva sa maîtresse baignée dans
une sueur froide; elle demeura près d'elle tout le reste de la nuit. Le
lendemain, la Princesse raconta à sa famille l'événement de la nuit, et
demanda instamment de changer d'appartement, ce qui eut lieu. Du reste,
son récit n'étonna personne, car il était admis dans la famille, que
chaque fois qu'une personne, descendante de la vieille duchesse de
Darmstadt, qui avait habité cet appartement, s'y trouvait couchée, cette
vieille aïeule venait faire visite à ses arrière-petits-enfants, et on
citait, à l'appui de cette tradition, l'exemple du duc de Weimar et de
plusieurs autres Princes. Beaucoup d'années plus tard, la duchesse de
Cumberland, princesse de Solms, et habitant Francfort, fut invitée par
son cousin, le grand-duc de Hesse-Darmstadt, à venir assister à une
grande fête qu'il préparait. La Princesse s'y rendit, mais avec
l'intention de revenir la même nuit chez elle à Francfort. Le souper
fini, elle passa dans une pièce où on avait préparé sa robe de voyage et
où, pendant sa toilette, elle fut suivie par sa cousine, la jeune
Grande-Duchesse nouvellement mariée: celle-ci demanda à la princesse de
Solms si ce qu'elle avait entendu raconter de l'apparition était vrai.
Elle désira en avoir le récit détaillé et, après l'avoir entendu, elle
voulut savoir si l'impression avait été assez forte pour que la Princesse
se souvînt encore des traits de leur vieille aïeule: «Oui, certainement,»
assura la Princesse.--«Eh bien!» dit la Grande-Duchesse, «son portrait
est dans la chambre où nous nous trouvons, avec deux autres portraits de
famille de la même époque. Prenez la lumière, approchez-vous, et
dites-moi lequel vous croyez être celui de l'apparition; je verrai si
vous devinez juste.» Au moment où la Princesse, non sans quelque
répugnance, s'approcha des portraits et reconnut celui de la vieille
grand'mère, il se fit au-dessus de la chambre un bruit épouvantable, le
cadre et le portrait se détachèrent, et sans leur fuite précipitée, les
curieuses eussent été tuées par la chute du tableau.

Je ne sais si cette histoire est bien belle en elle-même, mais je sais
qu'elle me fit beaucoup d'impression, parce qu'elle fut très bien
racontée, et que, dans ce genre de choses, quand on entend dire: «J'ai
vu, j'ai entendu,» on ne se permet plus de tourner la chose en moquerie.
D'ailleurs, le sérieux de la Duchesse était parfait, et son émotion vive,
de sorte que je ne me suis jamais permis de douter de l'exactitude du
récit.

L'absence de Mme la duchesse de Cumberland a laissé, pour moi du moins,
un vide sensible à Londres. Elle a de l'esprit, de l'instruction, les
plus belles manières, les plus royales, de la grâce, de la douceur, des
restes de beauté, surtout dans la taille. Elle m'a traitée avec une bonté
d'autant plus parfaite qu'elle l'a reportée, depuis, sur mon second fils.
Enfin, quelque jugement qu'on porte sur son caractère, qui n'est pas
également honoré par tout le monde, il est impossible de ne pas lui
reconnaître de grandes qualités, et de ne pas être touché de la grande
affliction dont elle est frappée, dans l'infirmité de son fils, le prince
George. Celui-ci est un aimable et beau jeune homme, privé à l'âge de
quinze ans, et après de vives douleurs, de la vue; c'est un objet tout à
la fois de pitié et d'admiration, résigné comme un ange, sans impatience,
sans regrets, sans humeur, dissimulant sa tristesse à sa mère. Il
soutient le courage de ceux qui l'entourent, par celui qu'il témoigne
lui-même, et il inspire déjà dans son jeune âge tout le respect d'une
grande vertu. L'improvisation sur le piano est la distraction à laquelle
il préfère se livrer; ses mélodies sont toujours tristes et graves, mais
lorsqu'il reconnaît le pas de sa mère, il passe à un thème gai et animé
pour lui donner le change sur ses impressions. Aussi longtemps que, par
des remèdes, on a espéré lui rendre la vue et arrêter les progrès de
l'inflammation, on a suspendu son éducation; mais lorsque son précepteur,
qui est un homme excellent, a jugé que l'éducation en souffrait sans que
la vue y gagnât, il a proposé au jeune Prince de reprendre le cours de
ses études, et lui a soumis un plan, pour continuer autant que cela se
pouvait, sans le secours de la vue. Le Prince s'est tu pendant quelques
instants, puis, d'un air pénétré, il a dit: «Oui, Monsieur, vous avez
raison, je suivrai vos avis; car je sens que, quoiqu'une porte se soit
fermée pour moi, il faut que je cherche avec d'autant plus de soin à en
ouvrir une autre.»


_Londres, 1er août 1834._--Quel triste dîner que celui d'hier chez lord
Palmerston! Dîner d'adieu pour la princesse de Lieven, où elle est venue
malgré elle, où nous n'allions qu'à cause d'elle, où lady Cowper faisait
de visibles efforts pour paraître à son aise, où lady Holland voulait
des explications sur les derniers torts de lord Palmerston envers M. de
Talleyrand, où chacun pressentait que notre départ serait aussi définitif
que celui de cette pauvre Princesse. M. de Bülow, pâle et embarrassé,
avait l'air d'un filou pris sur le fait; le pauvre Dedel avait, lui,
l'air d'un orphelin qui voit enterrer ses parents; lord Melbourne ne
faisait à personne, avec sa grosse tournure de fermier normand, l'effet
d'un premier ministre.

L'échec _volontaire_ éprouvé la veille par le ministère à la Chambre des
Communes, où il s'est laissé battre par les radicaux, dans la question du
Clergé irlandais, ne donnait pas bonne mine à ces messieurs. Enfin il y
avait, sur tout et sur tous, une gêne lugubre répandue qui m'oppressait à
un point extrême.

Je ne me sens pas le courage d'aller, ce matin, dire un dernier adieu à
cette pauvre Princesse, tuée de fatigues et d'émotions. C'est un bon
procédé que ne pas augmenter son agitation. Ce départ qui me peine,
puisqu'il éloigne, sans grandes chances de revoir, une personne
distinguée, m'afflige encore par les retours qu'il me fait faire sur tous
les changements qui se sont opérés ici depuis quatre ans, et qui, tous,
les uns après les autres, ont tendu à ternir cette belle et brillante
Angleterre. Dans le Corps diplomatique seul, que de pertes! M. Falk, si
aimable, si doux, si fin, si spirituel, si instruit, remplacé d'abord par
l'âcre M. de Zuylen, l'est maintenant par le bon mais insignifiant Dedel.
La bonne humeur, l'entrain ouvert et naïf de Mme Falk a fait faute aussi.
M. et Mme de Zea étaient gens plus intelligents, de beaucoup, que les
lilliputiens de Miraflorès. M. et Mme de Münster étaient fort supérieurs
aux Ompteda à tous égards. L'excellente Mme de Bülow n'a pu être
remplacée pour moi, et je crois, d'ailleurs, que son absence a trop
laissé les mauvaises tendances de son mari sans le contrepoids que la
simple et honnête nature de sa femme leur opposait. Esterhazy est l'objet
d'un regret universel: sa parfaite bonne humeur, sa sûreté sociale, sa
facilité de caractère, ses habitudes de grand seigneur, la finesse de son
esprit, la droiture de son jugement, la bienveillance de son cœur, tout
le faisait chérir ici et rien ne saurait l'y faire oublier. Wessenberg
aussi a laissé une place vacante qui n'a pas été remplie. Le départ des
Lieven élargit la brèche sociale et le nôtre achèvera cette démolition
générale. Le terrain neutre des maisons diplomatiques est surtout
appréciable dans un pays divisé par l'esprit de parti, et où, la
politique ayant rompu tant d'autres liens, la société ne saurait plus se
réunir sous les anciens auspices.

Nous avons appris, hier, télégraphiquement, que la Reine régente
d'Espagne avait ouvert elle-même les Cortès le 24, à Madrid, que la ville
était tranquille, que le choléra y diminuait un peu et que don Carlos se
retirait de plus en plus vers la frontière de France.


_Londres, 3 août 1834._--Il me semble que rien ne témoigne mieux de
l'état dans lequel est tombée la politique intérieure du gouvernement
anglais que ce que disait, hier, lord Sefton: «Savez-vous,» me disait-il,
«que malgré mon admiration pour lord Grey, je trouve que nous en sommes
venus à un point où il est non seulement heureux pour lui-même, mais
encore fort avantageux pour le pays qu'il se soit retiré? Jamais il
n'aurait consenti à la moindre courtoisie, encore moins à un peu de
flatterie pour O'Connell et ses amis, et cependant il n'y a plus moyen de
ne pas les satisfaire; il est urgent de les adoucir par les bassesses
contre lesquelles lord Grey se serait révolté, et qui répugnent moins à
ses successeurs, à commencer par mon ami le Chancelier. Ainsi vous voyez
qu'il est heureux que nous ayons pour gouvernants des gens tout disposés
à faire les bassesses nécessaires!»

Il me semble qu'on s'accorde à beaucoup louer le discours de la Reine
d'Espagne. Pour l'apprécier il faudrait connaître, mieux que je ne puis
le faire, l'état de ce pays; tout ce que je puis lui souhaiter de mieux,
c'est qu'elle ne soit plus dans le cas d'en faire de si longs et dans de
semblables circonstances. On dit qu'elle l'a prononcé de fort bonne
grâce. On doit lui savoir gré d'avoir repris courage et d'être rentrée
dans la contagion pour le prononcer.

Le choléra enlève beaucoup de monde à Madrid; la police sanitaire y est
mauvaise, la chaleur extrême, la propreté nulle. Les femmes y sont
atteintes dans une proportion double des hommes. La mère de Mme de
Miraflorès est parmi les victimes.

Don Carlos est, à ce qu'il paraît, sur le point de repasser la frontière;
il en est même, dit-on, assez près pour que les vedettes françaises
aperçoivent les siennes.

Je ne sais quel mauvais vent souffle sur Paris, mais je serais disposée à
croire que tout n'y est pas aussi tranquille en réalité qu'en apparence.
Voici, à cet égard, ce que je trouve dans une lettre de Bertin de Veaux:
«Il paraît qu'il est dans la destinée du prince de Talleyrand, et dans la
vôtre, de ne venir à Paris que pendant les crises ministérielles, car
notre ministère n'est pas plus solide que celui de Londres. Au surplus,
dans ce pays-ci, on a pris son parti de vivre au jour le jour; excepté
les acteurs, personne ne pense à la pièce. Cependant, quand vous
arriverez, votre salon sera bientôt plein, et c'est devant vous et devant
le Prince, que tous les acteurs, grands et petits, iront _poser_, comme
on dit à présent.»

Dans une autre lettre, il est fort question des dangers du jour, de ceux
du lendemain, de vœux apparents, de velléités sourdes, de
mésintelligences, d'associations, de la grande ambition de certains
petits hommes, de l'humeur et de la bouderie des autres. A propos de
mécomptes éprouvés par M. Decazes, on ajoute: «Ce pauvre M. Decazes a
beau frapper la terre de tous côtés, il n'en peut rien faire sortir; on
dit qu'il veut maintenant la place de Semonville, et qu'il a peut-être
quelques chances, parce que Semonville est très commode à désobliger; il
ne fait peur à personne. Cette mode d'enterrer les gens, avant qu'ils ne
soient morts, ne me plaît guère; je croyais qu'on en était dégoûté depuis
l'épreuve faite sur MM. de Marbois et Gaëte, qui n'a pas eu de succès
dans le public. Comme, en rentrant chez soi, on se trouve bien de ne
pouvoir être dépossédé de rien!»


_Londres, 4 août 1834._--Il paraît certain que, la veille de l'ouverture
des Cortès, on a découvert une conspiration républicaine fort étendue,
dans laquelle beaucoup de personnes marquantes auraient été compromises.
Palafox et Romero sont arrêtés; on dit que c'est en Galice surtout qu'ils
avaient le plus de partisans; dans l'Aragon et la Catalogne ce sont les
carlistes qui dominent et s'agitent. Ainsi, voilà trois drapeaux
différents, sous lesquels l'Espagne se range et se divise.

Quand M. Backhouse a été trouver don Carlos sur le _Donegal_, celui-ci
lui a dit qu'il avait entendu parler du traité de la Quadruple Alliance,
mais qu'il désirait en connaître le texte. L'ayant lu, il l'a remis à M.
Backhouse, sans réflexions, mais avec un sourire très ironique, qui est
devenu un rire dédaigneux lorsque M. Backhouse lui a dit qu'il croyait
qu'il se faisait illusion sur la force de son parti en Espagne. A cela
près, le Prince a été poli et doux dans son accueil et même obligeant.

On avait annoncé la clôture du Parlement pour le 12, et la plus grande
partie des membres comptaient quitter Londres même avant ce jour-là,
quand le duc de Wellington a réuni, avant-hier, tous ceux de son parti
chez lui; il les a priés dans l'intérêt et _pour le salut de la Patrie_
de rester à leur poste et de profiter de leur majorité, reconnue
imposante dans la question des _dissenters_ pour défendre encore l'Église
à l'occasion des autres mesures qui restent en discussion. La crainte de
laisser le Clergé protestant d'Irlande sans aucun moyen d'existence, si
le «Bill sur les dîmes», œuvre d'O'Connell, est rejeté, laisse, à la
vérité, quelques doutes sur la marche définitive que la Chambre Haute
adoptera, mais les évêques paraissent croire que ce Bill serait aussi
pernicieux pour eux que l'absence de toutes mesures pécuniaires. Il est
certain que la semaine actuelle est une des plus critiques; si ce Bill
est rejeté, les deux Chambres se trouveront en collision. Le ministère
quittera-t-il? ou bien demandera-t-il carte blanche au Roi? avancera-t-il
ainsi dans la route révolutionnaire? ou bien s'en tiendra-t-il, comme le
Chancelier le disait hier, à laisser le Clergé protestant d'Irlande
mourir de faim? Lord Grey disait que ce ne serait pas si aisé de laisser
ces prêtres mourir de faim, puisqu'une loi obligeait de pourvoir à leur
existence, soit en prélevant les dîmes, soit de toute autre manière. Et
quant à une fournée de Pairs, sur l'observation qu'il en faudrait nommer
cent cinquante, lord Grey a dit que deux cents ne suffiraient pas, parce
que toute l'ancienne Pairie, lui en tête, se révolterait contre un
gouvernement assez fou et assez mauvais pour se porter à une telle
extrémité. Il resterait d'ailleurs à savoir si le Roi y consentirait.
Celui-ci est souffrant, triste, abattu; il en convient et surtout de sa
préoccupation morale, qu'il ne cherche pas à cacher. On remarque en lui
une oppression extrême et particulièrement l'affaiblissement d'un œil
qu'il ne peut presque plus ouvrir.

Voici ce qui s'est passé à l'occasion de la Jarretière, vacante par la
mort de lord Bathurst: le Roi l'a envoyée à lord Melbourne, comme étant
son premier ministre. Celui-ci l'a respectueusement refusée, en disant
qu'il suppliait le Roi de la donner à celui auquel lord Grey aurait
désiré qu'elle arrivât, c'est-à-dire au duc de Grafton. Le Roi l'a, en
effet, envoyée au Duc, mais celui-ci, vivement affecté de la mort de son
fils favori, se sentant, d'ailleurs, âgé et hors du monde, a prié le Roi
de la donner à quelqu'un qui pourrait se montrer plus souvent à ses yeux
et qui serait plus utile à son service. On suppose qu'elle ira au duc de
Norfolk; mais il est catholique, et ce serait le premier exemple de cette
grâce donnée à un dissident religieux.

Un rude coup vient de frapper le duc de Wellington, au milieu des soucis
multipliés de chef de l'opposition: Mme Arbuthnot, femme d'esprit et de
sens, discrète et dévouée, amie fidèle du Duc, vient de mourir en peu de
jours d'une maladie vive. Elle était dans toute la force de l'âge et
d'une santé jusque-là très robuste. Le Duc a donc perdu, dans la même
semaine, lord Bathurst, son plus ancien ami, et Mme Arbuthnot, sa
confidente, sa consolation, son _home_! Les morts, les départs rendent
Londres bien triste en ce moment; tout le monde a la mine longue et
déconfite; on est consterné de cette mauvaise veine, qui fait que chaque
jour est marqué par une catastrophe.


_Londres, 5 août 1834._--Dom Miguel a, décidément, signé sa protestation.
Le duc d'Alcudia et M. de Lavradio sont près de lui; ils se disposent
tous à venir rejoindre don Carlos, au moindre succès de celui-ci.

Lady Holland et lady Cowper font tous leurs efforts pour que M. de
Talleyrand et lord Palmerston se quittent sur de bons termes. Je
comprends que les amis de celui-ci le désirent, et qu'il leur importe,
d'une part, que l'on ne puisse pas s'en prendre aux inconvénients
personnels de lord Palmerston de la dispersion totale du haut Corps
diplomatique, et que, de l'autre, le mauvais renom du ministère anglais
dans toute l'Europe ne soit pas fortifié du langage de M. de Talleyrand
sur lui à Paris. On arrivera, en effet, à faire qu'ils se quitteront
poliment, sans éclat, sans rupture; mais il est impossible qu'un levain
qui fermente depuis si longtemps, ne laisse pas un germe de mal-être,
d'embarras et de rancune. M. de Talleyrand ne saurait oublier qu'il a été
traité légèrement par plus jeune et moins capable que lui. Lord
Palmerston, moins impertinent, peut-être, dans les formes, s'en vengerait
sur le fond des choses, et d'autant plus aisément que l'âge et la paresse
de M. de Talleyrand le rendraient, chaque jour, plus facile à entraîner
dans de fausses démarches. Rien ne serait donc plus mal avisé que de se
remettre en présence, et malgré tous les souvenirs si doux et si
satisfaisants qui m'attachent à l'Angleterre, j'avoue que j'éprouverai, à
l'égard de M. de Talleyrand, un soulagement véritable à le voir hors des
affaires publiques.


_Londres, 6 août 1834._--C'est décidément le duc de Norfolk qui a la
Jarretière.

L'Espagne demande des articles additionnels au Traité du 22 avril, dit de
la «Quadruple Alliance». Elle demande à l'Angleterre des vaisseaux en
croisière sur les côtes de la Biscaye; au Portugal, un corps d'armée; à
la France, de l'argent, des munitions, des troupes sur la frontière
française; et à ses alliés réunis, l'appui moral d'une déclaration
favorable à la cause de la Régence, et qui étendrait et expliquerait
plus amplement le but du premier Traité.

L'incertitude et l'ignorance prolongée des mouvements de Rodil inquiètent
sur ses succès, et on attribue à l'alarme qui en résulte la baisse des
fonds à Paris, les malheurs particuliers qui en sont résultés et qui ont
amené de sinistres catastrophes. Les Rothschild, qui avaient inondé
l'Europe d'effets espagnols, et qui en étaient restés eux-mêmes assez
encombrés, sont de très mauvaise humeur et prodigieusement inquiets.

Il y a des gens d'esprit qui prétendent que le grand danger pour la
Régente n'est pas dans don Carlos, mais dans le parti dit du _mouvement_.
On est bien disposé à se ranger à cette opinion quand on songe à
l'horrible propos tenu par Romero Alpuende, qui appelait les massacres du
17 juillet à Madrid: «_Un léger soulagement patriotique._»


_Londres, 8 août 1834._--Rodil paraît avoir obtenu, décidément, un succès
très marqué sur toute la ligue des carlistes. Dans une guerre régulière
cela pourrait mettre fin à la lutte, mais dans une guerre civile les
règles communes ne s'appliquent plus et ce qu'on croit anéanti
aujourd'hui reparaît demain.

M. de Talleyrand a pris congé du Roi avant-hier. Le Roi a été gracieux
pour lui et pour moi, regrettant qu'en l'absence de la Reine, sa vie de
garçon l'empêchât de m'engager à aller à Windsor où il aurait été charmé
de me voir avant mon départ. Ceci est plus obligeant qu'exact, car la
princesse Auguste fait les honneurs du château, des dames y sont
invitées, entre autres lady Grey et sa fille; mais enfin la rédaction est
gracieuse et, dans le monde, c'est tout ce qu'on peut exiger.

Le Roi a beaucoup dit encore que les affaires étaient bien sérieuses et
les cartes bien mêlées, ce à quoi M. de Talleyrand a répondu: «Quant à
nous, Sire, nous jouons nos cartes sur la table de Votre Majesté.»


_Londres, 9 août 1834._--Je ne connais rien de si embarrassant pour des
maîtres de maison que l'hostilité montrée et rapprochée des convives
entre eux. Le Chancelier, auquel nous espérions avoir échappé, nous est
arrivé hier au dessert. Il a prolongé notre dîner en mangeant fort à son
aise et avec sa saleté ordinaire; il parlait en mangeant, touchant à tous
les sujets, comme à tous les plats, sans arrêt, sans délicatesse. Nous en
souffrions, surtout pour lord et lady Grey. Enfin il nous a mis tous bien
mal à l'aise et a augmenté, s'il est possible, mon dégoût et mon mépris
pour lui.

Lord John Russell, qui dînait chez nous, est aussi un petit radical,
mais, du moins, il a toutes les habitudes de bon goût et de bonne grâce
qui distinguent son père.

A propos de popularité et des frais qu'il est convenable que les grands
seigneurs fassent pour les classes secondaires de la société, lord John
me disait, hier, que rien ne pouvait vaincre la répugnance du duc de
Bedford pour le petit monde de son entourage, et qu'un jour l'intendant,
du Duc lui ayant demandé d'inviter ce monde à dîner et le Duc s'y étant
refusé, l'homme d'affaires lui dit: «Mais, monsieur le Duc, par ces
politesses vous épargnerez peut-être quinze mille louis aux élections
prochaines.--Cela se peut, répondit le Duc, mais l'argent dépensé à
m'éviter de l'ennui et de la déplaisance me paraîtra fort bien employé.
Je payerai les quinze mille louis, mais je ne donnerai pas de dîner.» Le
duc de Bedford est cependant très magnifique, très charitable, faisant
faire des travaux considérables uniquement pour employer les pauvres du
Comté. Eh bien! il n'y est pas populaire; l'amour-propre blessé des
classes intermédiaires se fait plus sentir que les besoins satisfaits des
indigents ne se font jour.

Lord, lady Grey, leurs enfants, avaient, disaient-ils, envie de se
distraire, de changer le cours de leurs idées, d'aller en France et de
nous y faire visite; mais l'espèce de triomphe qui y serait décerné à
lord Grey a épouvanté le ministère actuel, qui aurait craint la
comparaison entre les honneurs rendus à leur victime et la
déconsidération sous laquelle ils gémissent. Aussi a-t-on persuadé à lord
Grey que s'il se rendait en France maintenant, il aurait l'air d'y aller
pour chercher une ovation et que ce serait manquer de délicatesse; nous
ne l'y verrons donc pas. Je le regrette pour lui; je crains que dans la
disposition irritée et pénible dans laquelle il se trouve, la solitude et
l'ennui ne lui fassent un mal réel, ainsi qu'à sa femme, qui est plus
blessée et plus profondément atteinte que lui-même. Lord Grey s'est,
moralement et physiquement, détruit aux affaires; quelle différence s'il
s'en était éloigné six semaines plus tôt, en même temps que les quatre
membres vraiment distingues et honorables du Cabinet! Lord Grey se
serait alors retiré avec tous les honneurs de la guerre au lieu de mettre
bas les armes!

Le goût des voyages a, du reste, gagné tout le monde, et le Chancelier,
comme les autres, voulait employer ses vacances à faire un pèlerinage
pittoresque et amoureux aux bords du Rhin, à la suite de Mrs Peter. Mais,
à ce qu'il m'a dit, hier, lui-même, le Roi n'a pas voulu le lui
permettre; depuis lord Clarendon, aucun Chancelier d'Angleterre n'a
quitté le pays, et ce précédent n'est pas encourageant, car ce
Chancelier-là n'était en voyage que parce que son Roi était en fuite.
D'autres personnes disent que le Roi n'est pour rien dans les changements
de projets de lord Brougham, mais que l'obligation de céder quatorze
cents louis de son traitement pour établir une Commission des sceaux en
son absence est la véritable cause qui le fait rester.


_Londres, 11 août 1834._--Lord Palmerston nous a donné un dîner d'adieu.
C'est dans son goût: il aime à fêter les partants; mais il ne s'était pas
donné grand'peine pour la réunion. Il n'y avait, outre quelques
diplomates inférieurs, que Mrs Peter; pas un Anglais considérable,
personne de ceux réputés nos amis. C'était un acquit de conscience, ou
plutôt de mauvaise conscience, et voilà tout. Peut-être lord Palmerston
a-t-il plus de haine contre les Lieven que contre nous, mais il affichera
autant de dédain pour les uns que pour les autres.

A dîner, il a amené, à propos des Flahaut, une petite explication sur ce
qu'il n'avait accepté aucune de nos invitations. Je lui ai dit à ce
sujet, moitié riant, moitié aigrement, quelques petites vérités qui ont
assez bien passé! Il y a eu beaucoup de sous-entendus, de _hints_, de
coups de patte, dans notre conversation, qui m'a rappelé celles du bal de
l'Opéra où la pensée est d'autant plus vraie que l'apparence est plus
voilée et dissimulée. Je me suis amusée aussi à faire peur au _jeune
homme_, comme l'appelait Mme de Lieven. Il a cru qu'il devait se montrer
fort désireux de notre prompt retour; je l'ai pris au mot, en lui disant
que j'allais plus loin que lui, et que j'étais d'avis que M. de
Talleyrand ne partît pas du tout. Il a pris, alors, une figure toute
sotte et, revirant de bord, il n'a cessé de dire que le changement d'air
était nécessaire, indispensable, qu'on avait besoin de se renouveler au
physique et au moral; enfin, il ne voulait plus que nous faire partir au
plus vite.

Je l'ai regardé, et de près, hier; il est rare d'avoir, aussi bien que
lui, le visage de son caractère. Les yeux sont ternes et fauves; son nez
retroussé, impertinent; son sourire amer, son rire forcé; rien d'ouvert,
ni de digne, ni de comme il faut, ni dans ses traits, ni dans sa
tournure; sa conversation est sèche, mais, je l'avoue, elle ne manque pas
d'esprit. Il y a, en lui, une empreinte d'obstination, d'arrogance et de
mauvaise foi que je crois être un reflet exact de sa nature véritable.


_Londres, 12 août 1834._--Il est difficile, malgré le peu de progrès de
don Carlos, d'être rassuré sur l'état de l'Espagne. Le général Alava, qui
y retourne après beaucoup d'années d'exil, paraît frappé de la
démoralisation et de la confusion qu'il y remarque; tous les liens
naturels sont détruits par l'esprit de parti; la férocité et la violence
de ces fanatiques méridionaux ne se tournent plus contre l'étranger, mais
se replient cruellement sur eux-mêmes. L'esprit républicain gagne partout
où l'esprit religieux n'appuie pas le parti légitimiste; il apparaît,
avec tout le pathos, devenu trivial, du langage révolutionnaire dans
l'adresse des Procuradores à la Régente. Déjà, le ministère est en lutte,
dès le début des Cortès, avec cette seconde Chambre, et on ne saurait
imaginer comment le faible gouvernement d'une telle régence pourra
triompher de tant de mauvaises conditions.

J'ai vu, dernièrement, chez lord Palmerston, auquel la Régente l'a
envoyé, un portrait de la petite Reine Isabelle II. Elle n'a, sur ce
portrait, aucune des grâces de l'enfance; elle paraît avoir des yeux
insignifiants et la méchante bouche de son père; c'est, en tout, une
laide petite Princesse. C'est dommage, les femmes destinées au trône, et
surtout aux trônes contestés, ne sauraient presque, sans péril, se passer
de beauté.

L'espèce de banqueroute déclarée par M. de Toreno et qui atteint, d'une
manière si fatale, une foule de petits rentiers, à Paris, y dépopularise
la cause de la petite Reine. Il me semble que c'est une sorte de bonheur;
car si la vanité et la _furia francese_ avaient poussé le gouvernement à
prendre une part trop effective au succès de cette petite voisine, il se
serait trouvé entraîné dans une série d'embarras et dans une solidarité
de dangers, dont les conséquences eussent été incalculables. Le Roi
Louis-Philippe a tout ce qu'il faut de discernement et d'éveil sur ses
propres intérêts dynastiques pour ne pas rester froid et en arrière dans
cette lutte qui ne peut, en définitive, tourner que désagréablement pour
lui, soit que l'anarchie triomphe sous le drapeau d'Isabelle II, soit que
la légitimité l'emporte avec don Carlos. Dans cette double et importune
alternative, il ne serait pas convenable de heurter, par une intervention
précise, nos autres voisins, car nous avons des voisins et non pas des
alliés. L'Angleterre, seule, est en alliance avec nous, mais, ruinée
comme elle l'est par tant de plaies intérieures, peut-elle peser encore
de tout son poids dans les destinées européennes? Non, sans doute, et il
faut bien qu'elle en ait la conscience, puisque ni dans la question
d'Orient, ni dans aucune de celles qui se sont présentées depuis deux
ans, l'Angleterre n'a soutenu, par ses actions, la jactance de son
langage.

Le choléra continue ses ravages à Madrid: il atteint surtout les classes
élevées et particulièrement les femmes. Il reparaît aussi, quoique
légèrement, à Paris et à Londres.


_Londres, 13 août 1834._--Le «Bill sur les dîmes d'Irlande» a été rejeté,
comme on s'y attendait à la Chambre des Pairs, à une si grande majorité
qu'il est difficile de créer assez de nouveaux Pairs pour changer la
balance. Et cependant comment se figurer la prochaine session s'ouvrant
avec la même Chambre Haute et avec le même ministère? Celui-ci déclare
ne vouloir pas quitter la partie, ne compter pour rien la Chambre des
Pairs, marcher uniquement avec les Communes et ne se soucier ni du
Clergé, ni de la Pairie, et probablement fort peu de la Royauté. Ce sera
à celle-ci de se prononcer. Hélas! elle est bien peu éclairée!

Lord Grey me disait qu'il ne partageait pas l'opinion du Chancelier, qui
ne voulait voir d'autres obstacles que ceux venant de la Chambre Haute;
il croit qu'il y en aura aussi de très vifs aux Communes où M. Stanley,
l'ex-ministre, se prépare, dit-on, à faire la guerre la plus acharnée à
l'administration actuelle. Lord Grey s'est abstenu de paraître à la
Chambre des Pairs; il a cru qu'il serait peut-être obligé de parler, et
que, ne pouvant s'empêcher d'exprimer son aversion pour l'alliance du
Cabinet avec O'Connell, il aurait fait évidemment un tort au ministère
dont il ne veut pas être coupable.


_Londres, 14 août 1834._--Les Grands d'Espagne ont, à ce qu'il paraît, le
ton fort libre et fort dégagé avec leurs souverains, avec lesquels ils
fument des cigares et dont, souvent, ils achèvent ceux commencés: le duc
de Frias, jadis ambassadeur ici, distrait, bizarre, ridicule et ne se
gênant avec personne, est revenu, il y a quelque temps, passer quatre
jours à Londres; il a voulu aller au Lever du Roi et, approchant sa
grotesque petite figure, il a dit au Roi: «Vous devez me connaître.» Le
Roi, qui d'abord ne se souvenait pas trop de lui, et choqué de cette
façon dégagée, répondit: «Non, je ne vous connais pas.--J'étais
ambassadeur ici quand vous n'étiez _que_ duc de Clarence,» répliqua le
petit Duc. Sur quoi le Roi, presque en colère et faisant un geste pour le
faire passer, répéta vivement: «Non, non, je ne vous connais pas.» Et,
s'adressant au ministre des Pays-Bas qui suivait, il lui demanda tout
haut: «Quel est cet arlequin?» Cela a fait une assez drôle de scène.


_Londres, 18 août 1834._--Depuis plusieurs jours, soumise à l'influence
cholérique qui domine à Londres, vivement agitée de la maladie de mes
amis, importunée de tous les préparatifs de mon prochain départ, j'ai
négligé mes notes. J'aurais voulu y retracer quelques-uns de mes derniers
souvenirs de Londres, qui se sont obscurcis par la maladie, l'inquiétude,
les regrets, mais qui ne m'en sont pas moins précieux.

J'ai vu le duc de Wellington et lord Grey me dire adieu avec une
expression d'amitié et d'estime qui m'est très honorable. Je laisse ce
dernier, cherchant, pour échapper à des retours pénibles sur lui-même, à
se faire quelque illusion sur la marche trop rapide des affaires du pays;
il les a mises dans une voie dont ses successeurs accélèrent la pente.

Le duc de Wellington voit les choses aussi sombres qu'elles le sont, mais
décidé à lutter jusqu'à la dernière minute, il ne sait pas ce que c'est
que le découragement; non pas qu'il veuille faire de l'opposition à
toutes les propositions du ministère, non pas que, systématiquement, il
veuille entraver l'administration et arrêter les rouages du
gouvernement; il est trop honnête homme pour cela; mais il croit de son
devoir, et de celui de la Chambre Haute, de se placer comme une digue et
une barrière protectrice des bases anciennes et fondamentales de la
Constitution. La personnalité du Roi est un obstacle à presque toutes les
chances de salut; le successeur, une enfant, présente encore plus
d'inconvénients peut-être, et d'autant plus, que sa mère, Régente future,
paraît joindre beaucoup d'obstination à des idées fort étroites.

Il est impossible de ne pas songer avec effroi à l'avenir de ce grand
pays, si brillant encore, si fier, il y a quatre ans, quand j'y suis
arrivée, si terni aujourd'hui que je le quitte, peut-être pour toujours.

Je n'admets pas la chance d'y voir revenir M. de Talleyrand: trop de
bonnes raisons se pressent pour l'en détourner; je les ai détaillées dans
une lettre que je lui ai écrite et qui peint assez exactement sa
position, aussi je veux, pour la conserver, l'insérer ici:

«J'ai de grands devoirs à remplir envers vous; je n'en suis jamais plus
pénétrée que lorsque votre gloire me paraît compromise. Je vous irrite
parfois un peu en vous parlant, je me tais alors, avant d'avoir dit toute
ma pensée, toute la vérité. Permettez-moi donc de vous l'écrire, et
veuillez passer sur ce que les mots pourraient avoir de déplaisant, en
faveur du dévouement consciencieux qui les dicte. Sans prétendre,
d'ailleurs, m'attribuer une grande part d'intelligence, je ne puis la
croire bornée, lorsqu'il s'agit de vous que je connais si bien et dont je
suis placée pour juger les difficultés et apprécier les embarras. Ce
n'est donc pas légèrement que je vous engage à quitter les affaires et à
vous retirer de la scène où une société en désordre se donne tristement
en spectacle. Ne restez pas plus longtemps à un poste où vous seriez,
nécessairement, appelé à démolir l'édifice que vous avez soutenu avec
tant de peines. Vous savez à quel point j'éprouvais, dès l'année
dernière, des craintes, en vous voyant revenir en Angleterre. Je
pressentais tout ce que votre tâche, avec les instruments donnés, pouvait
vous préparer de dégoûts; mes prévisions, convenez-en, se sont réalisées
en grande partie. Cette année-ci la question s'est encore aggravée de
mille incidents fâcheux: songez aux circonstances dont vous seriez
entouré! Et permettez-moi de vous les signaler. Que voyons-nous en
Angleterre? Une société divisée par l'esprit de parti, agitée par toutes
les passions qu'il inspire, perdant chaque jour de son éclat, de sa
douceur, de sa sûreté; un Roi sans volonté, principalement influencé par
celui de ses ministres dont vous avez le plus à vous plaindre; et ce
ministre, léger, présomptueux, arrogant, n'ayant pour vous aucun des
égards que votre âge et votre position exigent, quelles entraves ne
met-il pas aux affaires? Sa pensée unique est de faire triompher ses
propres idées, bien loin de s'éclairer des vôtres; il vous promène
d'incertitudes en incertitudes, vous jette dans la contradiction,
l'ignorance et le vague, fait à côté de vous les affaires qu'il devrait
faire avec vous, et se glorifie ensuite du succès de sa fausseté ou de
son dédain. Est-ce avec un pareil homme que vous conserveriez plus
longtemps l'attitude imposante qu'il vous convient de garder? Ne
sentez-vous pas qu'elle est déjà changée dans le fond, qu'elle ne
tarderait pas à l'être aux yeux du public? Croyez-vous, d'ailleurs, que
le rôle d'ambassadeur grand seigneur, d'homme de _conservation_ tel que
vous, puisse convenir auprès d'un gouvernement entraîné par le mouvement
révolutionnaire, lorsque vous n'avez déjà que trop à lutter avec un
mouvement analogue dans le pays que vous représentez? L'alliance établie
par vous sur la base du bon ordre, de l'équilibre, de la conservation,
pourrait-il vous plaire de la continuer sur celle des sympathies
anarchiques? Ne perdez pas de vue, non plus, que l'appui et la
consolation que vous avez trouvés, pendant plusieurs années, dans
l'amitié, la confiance, le respect, le bon esprit de vos collègues, vous
manqueraient, maintenant que le Corps diplomatique de Londres n'est plus
le même. La nouvelle Espagne, le nouveau Portugal, l'informe Belgique y
paraissent seuls, et sous des formes impertinentes ou vulgaires. Vous
trouvant ainsi isolé en Angleterre, et soumis à tant de mauvaises
conditions, sur quoi vous appuieriez-vous? Est-ce sur le gouvernement que
vous représentez? Les petitesses, les indiscrétions, la vanité,
l'intrigue qui règnent à Paris, vous n'avez pu les dominer que du haut de
votre position à Londres; mais ce n'est pas avec le soutien de nos petits
ministres, qui sont plus à lord Granville qu'à nous, que vous en
imposeriez ici. Vous y êtes venu, il y a quatre ans, non pour faire votre
fortune, votre carrière, votre réputation; tout cela était fait depuis
longtemps; vous y êtes venu, non pas davantage par affection pour les
individus qui nous gouvernent, et que vous n'aimez, ni n'estimez guère;
vous n'y êtes venu que pour rendre, à travers un tremblement de terre, un
grand service à votre pays! L'entreprise était périlleuse à votre âge!
Après quinze ans de retraite, reparaître au moment de l'orage et le
conjurer était une œuvre hardie! Vous l'avez accomplie, que cela vous
suffise; vous ne pourriez désormais qu'en affaiblir l'importance.
Souvenez-vous des paroles, si vraies, de lord Grey: _A un âge avancé,
quand on a conservé sa santé et ses facultés, on peut encore en temps
ordinaire, s'occuper utilement des affaires publiques; mais il faut, dans
les temps de crise, comme ceux dans lesquels nous vivons, un degré
d'attention, d'activité et d'énergie, qui n'appartient qu'à la force de
la vie et non à son déclin_. En effet, dans la jeunesse, tout moment est
bon pour entrer en lice; dans la vieillesse, il ne s'agit plus que de
bien choisir celui pour en sortir. Lord Grey offrait ici une dernière
digue, déjà trop faible, à l'esprit révolutionnaire; vous y avez été la
dernière digue aux luttes des puissances entre elles. Lord Grey a senti
trop tard qu'il était emporté par le torrent, ne sentez pas trop tard,
vous, que votre influence est devenue aussi insuffisante que la sienne.
Un dernier rayon de lumière est venu éclairer les nobles et touchants
adieux de lord Grey, sa retraite est devenue un triomphe; un jour de
plus, il était effacé! Que les deux derniers champions de la vieille
Europe quittent donc en même temps la scène publique; qu'ils emportent,
dans la retraite, la conscience de leurs efforts et de leurs services,
et que l'histoire fasse, un jour, ce rapprochement honorable pour tous
deux. C'est ainsi, mais ce n'est qu'ainsi, que je comprends le dénouement
de votre vie politique. Toutes les considérations qui pourraient vous le
faire envisager différemment me paraîtraient indignes de vous.
Pourriez-vous, en effet, faire entrer dans la balance un peu plus ou un
peu moins d'amusement et de ressources sociales? Faut-il compter pour
quelque chose la petite agitation des dépêches, des courriers, des
nouvelles? L'intérêt qui en résulte n'est que trop souvent le hochet d'un
enfant. Devrions-nous, même, songer au plus ou moins de tranquillité
matérielle? Les secousses, les tourmentes révolutionnaires sont-elles
finies en France? Je n'en sais rien. Sont-elles plus ou moins prochaines
en Angleterre? Je l'ignore. Faudra-t-il redouter la solitude? Chercher la
distraction des voyages? Quels seront, en un mot, les détails de la vie
privée? Peu nous importe. Je suis plus jeune que vous, et je pourrais
plus naturellement, peut-être, y faire quelque attention; mais je
croirais indigne de votre confiance, et de la vérité que j'ose vous dire
aujourd'hui, si un retour quelconque sur mes convenances personnelles me
faisait vous la dissimuler. Quand, comme vous, on appartient à
l'histoire, on ne doit pas songer à un autre avenir qu'à celui qu'elle
prépare. Elle juge plus sévèrement, vous le savez, la fin de la vie que
son début. Si, comme j'ai l'orgueil de le croire, vous attachez du prix à
mon jugement autant qu'à mon affection, vous serez aussi vrai avec
vous-même que je me permets de l'être en ce moment, vous renoncerez aux
illusions volontaires, aux arguties spécieuses, aux subtilités de
l'amour-propre, et vous mettrez fin à une situation qui bientôt vous
déplacerait autant aux yeux des autres qu'aux miens. Ne marchandez pas
avec le public. Imposez-lui son jugement, ne le subissez pas;
déclarez-vous vieux, pour qu'on ne vous trouve pas vieilli; dites
noblement, simplement, avant tout le monde: _l'heure a sonné!_»


Dom Miguel est parti de Gênes, on l'a rencontré à Savone: cela déplaît
tout particulièrement à lord Palmerston!


_Londres, 19 août 1834._--Il paraît que pendant que dom Miguel était à
Savone, on a vu en mer plusieurs bâtiments, qui ont arboré le pavillon
anglais, et qui ont fait force signaux, d'après lesquels dom Miguel
serait retourné à Gênes: voilà ce qu'on disait hier sans y joindre
d'autre explication.


_Londres, 20 août 1834._--M. de Talleyrand a quitté, hier, Londres,
probablement pour ne plus y revenir; c'était, du moins, ce qu'il disait.

Il y a toujours quelque chose de solennel et de singulièrement pénible à
faire une chose pour la dernière fois, à quitter, à s'absenter, à dire
adieu, quand on a quatre-vingts ans. Je crois qu'il en avait le
sentiment; je suis sûre de l'avoir eu pour lui. D'ailleurs, entourée de
malades, malade moi-même, touchant à l'anniversaire de la mort de ma
mère qui est aujourd'hui, me souvenant de tout ce qui m'est arrivé de si
heureux et de si doux en Angleterre, et me voyant à la veille de tout
quitter, je me suis sentie extrêmement faible et découragée; j'ai dit
adieu à M. de Talleyrand avec le même serrement de cœur que si je ne
devais pas le revoir dans quatre jours, et j'aurais pu lui dire aussi
comme je disais à Mme de Lieven: «Je pleure mon départ dans le vôtre.»

Les dernières impressions que M. de Talleyrand a emportées de sa vie
publique ici n'ont pas été précisément agréables. Après un grand nombre
d'heures passées au Foreign Office, en regard de M. de Miraflorès, de M.
de Sarmento et de lord Palmerston, qui s'est fait beaucoup attendre,
comme à son ordinaire, ils ont enfin signé, au milieu de la nuit, des
articles additionnels assez peu importants, au traité du 22 avril de la
Quadruple Alliance. Lord Palmerston aurait voulu donner plus d'extension
à ce traité, tandis que M. de Talleyrand, au contraire, désirait plutôt
en restreindre les obligations. L'absence de Paris de lord Granville
avait laissé le gouvernement français libre de toute obsession de ce
côté, aussi il a tenu bon; il a autorisé M. de Talleyrand à rester dans
la mesure qu'il voulait et lord Palmerston en a été pour ses velléités,
lord Holland pour sa rédaction et Miraflorès pour ses sauteries.

Il y a deux anecdotes que j'ai trop souvent entendu conter à M. de
Talleyrand pour qu'elles aient encore le même mérite pour moi, mais elles
m'ont paru assez piquantes, la première fois que je les ai entendues,
pour que je veuille les écrire ici. Elles se rattachent, toutes les
deux, aux campagnes de l'Empereur Napoléon qui ont fini par la paix de
Tilsitt.

L'Empereur reçut à Varsovie, où il s'arrêta pendant une partie de l'hiver
de 1806 à 1807, un ambassadeur persan[34], qui, à ce qu'il paraît, était
homme d'esprit. Du moins, M. de Talleyrand prétend que l'Empereur
Napoléon ayant demandé au Persan s'il n'était pas un peu surpris de
trouver un Empereur d'Occident si près de l'Orient, l'ambassadeur
répondit: «Non, Sire, car Tahmasp-Kouli-Khan a été encore plus loin.»
J'ai toujours soupçonné la réalité de cette réplique que je crois avoir
été inventée par M. de Talleyrand, dans un de ses moments d'humeur contre
l'Empereur, humeur qu'il répandait en petites malices, et le plus qu'il
pouvait, en les mettant dans la bouche d'autrui. Il y en a d'autres,
cependant, dont il n'a pas renié la paternité, et que je lui ai entendu
dire de premier jet, entre autres ce mot dit en 1812, si souvent répété
depuis, appliqué à tant de choses, qui est devenu du domaine public, et
presqu'une locution commune: «_C'est le commencement de la fin!_» Cette
malheureuse campagne de 1812 inspira plus d'un mot piquant à M. de
Talleyrand. Je me souviens qu'un jour, M. de Dalberg vint dire, chez ma
mère, que tout le matériel de l'armée était perdu: «Non pas,» dit M. de
Talleyrand, «car le duc de Bassano vient d'arriver.» Le duc de Bassano
était, tout particulièrement alors, l'objet de la déplaisance de M. de
Talleyrand, et cela se comprend. L'Empereur avait désiré rappeler M. de
Talleyrand aux affaires; il avait été convenu que celui-ci le suivrait à
Varsovie, mais cela devait rester secret jusqu'au jour du départ.
L'Empereur en prévint, cependant, le duc de Bassano, qui, inquiet d'un
retour de faveur qui pouvait menacer la sienne, vint le dire à sa femme;
celle-ci se chargea de faire manquer la chose: elle se servit pour cela
de M. de Rambuteau, bavard, important et mielleux, prétentieux et souple,
qui se croyait amoureux de la Duchesse et valetaillait auprès du mari. M.
de Rambuteau donc, bien endoctriné par la duchesse de Bassano, s'en fut
partout colporter la nouvelle du voyage à Varsovie, disant que M. de
Talleyrand s'en vantait et le confiait à tout le monde. L'Empereur en
prit de l'humeur, et M. de Talleyrand resta en France, à préparer ses
représailles...

  [34] Myrza-Rhyza-Kan, envoyé extraordinaire de Seth-Ali, Schah de
  Perse, près de Napoléon Ier, à Varsovie, en mars 1807.

Mais pour en revenir à la seconde histoire que M. de Talleyrand raconte
souvent, la voici. Il dit que cet ambassadeur persan, qui faisait des
réponses si spirituelles et si fines à l'Empereur Napoléon, était un
homme de haute taille, de belle mine, de beaucoup de dignité et de
présence d'esprit, tandis qu'un autre ambassadeur d'Orient, celui de
Turquie[35], qui avait été aussi à Varsovie complimenter l'Empereur
Napoléon, était un petit homme court, épais, commun et ridicule. A un
grand bal chez le comte Potocki, ces deux ambassadeurs montant en même
temps l'escalier, le petit Turc s'élança pour entrer dans la salle de
bal avant son collègue; celui-ci, se voyant dépassé, étendit son bras de
façon à en faire une espèce de joug, sous lequel il laissa alors
tranquillement passer le Musulman.

  [35] Eminin-Effendi, accrédité par le Sultan Mustapha IV auprès
  de l'Empereur Napoléon Ier, à Varsovie, en mars 1807.


_Londres, 22 août 1834._--Les ministres anglais ont voulu insérer dans le
discours prononcé par le Roi, à la clôture du Parlement, une phrase très
offensante pour la Chambre Haute, en punition de son rejet du «Bill sur
les dissenters», et de celui «sur les dîmes du clergé protestant
d'Irlande». Mais le Roi s'y est opposé, et avec assez de fermeté pour
qu'après une lutte plutôt vive et prolongée, qui a retardé l'heure de la
séance royale, cette phrase ait été abandonnée.

La Reine est revenue de son voyage. Elle a été reçue avec pompe et
cordialité par la ville de Londres, dont les premiers magistrats ont été
à sa rencontre. Sa santé est meilleure. Je pense avec plaisir à toutes
les consolations que la Providence, dans son équité, lui réserve.

M. de Bülow annonce qu'il a demandé un congé pour affaires de famille et
qu'il est sûr de l'obtenir. Il dit vouloir aller à La Haye, pour y faire
tête à l'orage, et, après l'avoir conjuré là, aller affronter plus
hautement celui qu'il prévoit à Berlin. Je crois, en effet, qu'il ira à
La Haye, mais bien plus pour rentrer en grâce par quelques platitudes que
pour vider la querelle à coups de lance; il ne veut arriver à Berlin
qu'après avoir été gracié à La Haye; c'est du moins là mon opinion.


_Londres, 23 août 1834._--Je termine ici mon journal de Londres avec le
regret de ne l'avoir pas commencé plus tôt. Il aurait eu peut-être plus
d'intérêt. Mais je n'avais, il y a quatre ans, quand je suis arrivée dans
cette ville, ni bons souvenirs du passé, ni intérêt au présent, ni pensée
d'avenir; ne demandant alors aux journées, à mesure qu'elles se
succédaient, qu'un peu de distraction, je ne songeais pas à ce qui les
marquait plus particulièrement l'une après l'autre...


_Douvres, 24 août 1834._--J'ai été tout étonnée de trouver qu'on
m'attendait ici et tout le long de la route. Le duc de Wellington, qui la
suit pour se rendre à Walmer Castle, sa résidence comme gouverneur des
Cinq Ports, m'avait annoncée. Une même famille Wright, gens tout à fait
comme il faut, tient presque toutes les auberges sur cette route.

L'année dernière, j'avais été, après une tempête, recueillie ici par une
très jolie Mrs Wright, qui tenait l'hôtel du _Ship_; elle avait l'air
d'une reine; ce n'est qu'aujourd'hui que j'ai appris qu'elle l'avait été,
mais de théâtre, et que ses extravagances avaient ruiné son mari. L'hôtel
est tenu maintenant par des gens nommés Waburton qui y mettent de la
magnificence. J'ai encore été frappée de la respectueuse politesse avec
laquelle on est accueilli en Angleterre dans les auberges, aux relais de
poste; du bon langage, des manières convenables, chez les gens les plus
inférieurs. Sur la route, on me parlait du duc de Wellington, de la mort
de Mrs Arbuthnot, du passage de M. de Talleyrand, du désir de nous voir
revenir en Angleterre, et de tout cela dans une mesure charmante.

Je vais partir sur un paquebot français; le temps est beau, la mer est
calme. Adieu donc à l'Angleterre, mais non pas au souvenir des quatre
belles années que j'y ai vécu, et qui ont passé avec une rapidité qui
s'explique par l'intérêt des événements et les motifs particuliers de
satisfaction et de douceur que j'y ai trouvés! Adieu encore à cette terre
hospitalière dont je ne m'éloigne qu'avec les regrets de la
reconnaissance!


_Paris, 27 août 1834._--Je suis arrivée ici hier au soir à dix heures.
J'ai trouvé M. de Talleyrand qui m'attendait. L'impression générale qu'il
m'a faite, était d'être assez triste et ennuyé; cependant il se dit fort
content du Château[36], où il paraît être très à la mode. Il dit aussi
qu'il est tellement populaire à Paris, que les passants s'arrêtent devant
sa voiture et lui tirent leur chapeau; mais malgré tout cela, il répète
qu'il ne connaît personne ici, qu'il s'y ennuie, que tout le monde est
vieilli, usé.

  [36] Les Tuileries.

_Paris, 28 août 1834._--J'ai été hier à Saint-Cloud: le Roi m'a fait
l'honneur de causer beaucoup avec moi, peut-être trop, car il m'a fallu
dire quelque chose de mon côté, et c'est un lieu où je n'ai jamais qu'une
envie, celle de me taire. Cependant cette conversation a eu beaucoup
d'intérêt, car le Roi qui a de l'esprit sur tout, et de l'intelligence
de tout, a parlé aussi de tout: l'Angleterre actuelle, dont la
dégringolade n'est pas rassurante pour ses voisins; la retraite de lord
Grey, qui a affligé ici; le départ de don Carlos d'Angleterre; le plus ou
moins de part qu'y avait eu le duc de Wellington, qu'on en suppose
l'auteur, ce que j'ai vivement réfuté, croyant ma conscience engagée à le
faire; puis l'intervention en Espagne, puis la loi salique; enfin, tout
ce qui préoccupe en ce moment, le Roi en a parlé, et fort bien parlé. Il
a beaucoup insisté sur ce qu'à lui seul, il s'était opposé à
l'intervention immédiate que voulaient les ministres; en me disant cela,
il fermait sa grosse main, et me montrant le poignet: «Voyez-vous bien,
madame? Il m'a fallu retenir, par les crins, des chevaux qui n'ont ni
bouche ni bride.»

A propos de la loi salique, il m'a dit: «Je suis «loi salique» jusqu'au
bout des doigts: les Ducs d'Orléans l'ont toujours été, ma protestation
en fait foi; mais quand je luttais pour elle, on trouvait que c'était
m'ôter des chances que de la détruire, aussi tout le monde s'est prêté à
sa destruction, au lieu de m'aider à la faire maintenir; on m'a laissé
seul contre les vanités et les ignorances françaises et toutes les autres
difficultés; puis, maintenant, on me reproche d'avoir abandonné ma propre
cause dans celle de don Carlos. Je n'ai aucune haine contre lui, aucune
affection pour Isabelle, mais on a voulu que les choses tournassent comme
elles l'ont fait. Ce sont les deux années qui ont précédé mon règne qui
ont préparé ce qui se passe aujourd'hui dans la Péninsule et qui est
déplorable. Du reste, que ce soit l'anarchie sous Isabelle, ou
l'Inquisition sous don Carlos qui triomphe, je puis être importuné, mais
non pas ébranlé par ce voisinage. Nous avons fait des progrès immenses au
dedans, mais je conviens qu'il reste beaucoup à faire encore, et avec
quels instruments!»

Le Roi est alors entré dans beaucoup de détails sur la pesanteur de sa
charge, et il a fini par dire: «Madame, songez donc qu'il faut, pour que
les choses aillent, que je sois le _Directeur de tout et le Maître de
rien_.»

A propos de l'état de l'Angleterre, et des complications qui y
surviendront par suite de l'âge et du sexe de l'héritière du trône, le
Roi a dit: «Quelle déplorable chose, dans un temps comme celui-ci, que
toutes ces petites filles Rois!!» Il est parti de là pour faire un
morceau, vraiment très éloquent, sur les inconvénients des règnes de
femmes; puis, tout à coup, il s'est arrêté, m'a fait une phrase polie,
avec une sorte d'excuse qui n'était nullement nécessaire, et je lui ai
dit que je croyais qu'on pouvait dire des femmes cc que M. de Talleyrand
disait de l'esprit, que _servant à tout, elles ne suffisaient à rien_.

Le Roi m'a longuement entretenue ensuite des restaurations de Versailles
et de Fontainebleau. Il a fait remeubler la chambre de Louis XIV, à
Versailles, telle qu'elle était, c'est-à-dire avec une tenture brodée par
les demoiselles de Saint-Cyr. Un panneau représente le sacrifice
d'Abraham; le second, celui d'Iphigénie; le troisième, les amours
d'Armide. Le Roi a fait replacer, dans cette même chambre, un portrait de
Mme de Maintenon donnant une leçon à Mlle de Nantes. Versailles sera le
vrai musée de l'histoire de France. Je sais gré au Roi de son respect
pour la tradition; les monuments historiques lui devront beaucoup.

Quelle triste lettre que celle qu'Alava m'écrit de Madrid. Il fait de
l'Espagne le plus déplorable tableau et ne prévoit qu'une série de
circonstances plus fatales les unes que les autres. Il me dit que
l'ignorance et la présomption y sont poussées au dernier degré, et que le
demi-savoir, importé de France et d'Angleterre, y fait peut-être encore
plus de mal que l'ignorance complète. La banqueroute est flagrante, le
choléra y a été plus hideux qu'ailleurs, augmenté par la stupidité du
peuple, qu'on voyait aux enterrements des cholériques manger des
concombres et des tomates crus, tandis que la Junte de santé, à Ségovie
par exemple, ordonnait que, dans toute maison frappée par l'épidémie,
tous les meubles du décédé seraient brûlés, tous les survivants enfermés
à l'hôpital, y compris le prêtre qui aurait assisté le mourant.


_Paris, 29 août 1834._--Que tout le monde est agité, affairé à Paris!
comme les esprits travaillent! comme la tranquillité, le calme sont
choses inconnues ici! Cependant, il y a des progrès, des améliorations,
mais sans régularité, sans mesure! Tant de petites intrigues, de petites
passions, de petites combinaisons travaillent les hommes, qui ne savent
jouir de rien de ce qui est bon, ni reposer leur pensée dans un avenir de
quiétude! Cette vie fiévreuse est dévorante, et je trouve tous les
membres du Cabinet français vieillis d'une façon effrayante! Ce sont tous
de petits vieillards, qui ont la plus triste mine du monde!

M. Thiers a passé par une série de dégoûts et d'embarras qui lui ont fait
désirer sa retraite; il s'est senti humilié et découragé. Le Roi l'a
soutenu, remonté, protégé, et n'a pas été fâché de faire sentir cette
protection; il a même dit: «Il n'y a pas de mal que messieurs les gens
d'esprit s'aperçoivent de temps en temps qu'ils ont besoin du Roi.»

M. le duc d'Orléans est venu passer une heure chez moi. Il est désireux
de se marier et décidé à le faire; fatigué tout à la fois de la vie
dissipée et des frivolités de jeune homme qui lui nuisent et le
diminuent, dégoûté de l'inactivité réelle de sa vie publique, il désire
un intérieur, une maison; il veut prendre racine, grouper autour de lui,
se fixer, s'asseoir; se vieillir enfin. Toutes ces vues sont sages et
convenables.

Le choix pour sa femme est d'autant plus difficile à faire, qu'il y a
plus de préventions que jamais à vaincre. La grande-duchesse de Russie
serait ce qu'il y aurait de plus éclatant, mais voudrait-on de lui? Puis,
il y a quelques regrets poétiques donnés ici à la Pologne, qui ne
rendraient ce mariage ni agréable en France, ni peut-être possible en
Russie. Une archiduchesse d'Autriche ne serait pas bien facile non plus à
obtenir et, d'ailleurs, il semble qu'il y ait quelque mauvais sort
attaché à ces alliances-là. La nièce du Roi de Prusse, pour laquelle
penche Louis-Philippe, paraît d'un extérieur chétif, d'une santé
délicate, les habitudes de son éducation sont rétrécies, et les sujets de
collision qui peuvent naître entre deux puissances qui se disputent le
Rhin, éloignent M. le duc d'Orléans de la princesse de Prusse. Celle
qui, par les rapports qui en ont été faits, plaît davantage au jeune
Prince, c'est la seconde fille du Roi de Würtemberg: elle est grande,
bien faite, jolie, spirituelle, animée. Elle a de qui tenir: sa mère, la
grande-duchesse Catherine de Russie, était une des femmes les plus
distinguées de son temps, et, quand elle le voulait, parfaitement
agréable; mais aussi, elle était ambitieuse, intrigante, agitée, et
j'espère que la ressemblance de la fille à la mère n'est pas générale. M.
le duc d'Orléans a voulu l'avis de M. de Talleyrand et le mien; nous
avons demandé quelque temps de réflexion.

Le Prince s'est annoncé à Valençay pour le commencement d'octobre, afin
de reparler plus à notre aise de tout ceci. Il a de la raison, de la
justesse d'esprit, de l'ambition, de fort bonnes qualités, mais ce qu'il
y a de bien comme ce qui lui manque exige également que sa femme soit
distinguée.

On dit le maréchal Gérard peu satisfait de son poste de ministre de la
Guerre. Il paraît qu'il ne l'a occupé que sur la promesse d'un
portefeuille pour son beau-frère, M. de Celles; idée folle et
impraticable, mais sur laquelle on s'était engagé afin de le décider, et
après, on ne s'est pas fait scrupule de lui manquer de parole.

Quant au mariage du Prince Royal, je vois que la question de religion
est, pour lui, une chose indifférente, secondaire pour le Roi, et que la
Reine seule tiendrait à une conversion préalable; mais ce ne sera jamais
sur ce point qu'il y aura rupture.

Les exigences exagérées du Roi de Naples pour les conditions dotales de
la princesse Marie ont suspendu toute idée de mariage de ce côté-là.
C'est un regret général dans la famille royale, excepté de la part de la
Princesse elle-même, qui rêve de continuer ici l'existence de sa tante,
qu'elle trouve charmante.


_Paris, le 30 août 1834._--D'après ce que m'a dit M. Thiers, le Roi, à la
retraite du maréchal Soult, a pensé à appeler M. de Talleyrand à la
présidence du Conseil. Cette idée se présente même encore à son esprit
lorsqu'il songe à la retraite probable du maréchal Gérard. Mais M. de
Talleyrand n'accepterait à aucune condition, et pour le coup, comme l'a
dit Thiers au Roi, «Mme de Dino ne le voudrait pas».

A dîner hier à Saint-Cloud, le Roi m'a parlé avec une grande aigreur du
duc de Broglie, comme ayant voulu le rendre étranger à toutes les
affaires. Il s'en est plaint vivement. Il se plaint de pas mal de monde;
il s'arrange de Rigny et compte sur M. Thiers.

M. de Talleyrand est on ne peut plus à la mode au Château, parce qu'il
répète beaucoup qu'il faut laisser faire le Roi. J'y suis aussi, parce
que j'écoute et que je dis de même, ce que je pense du reste, que le Roi
est le plus habile homme de France. Le Roi parle de tout très bien,
longuement, beaucoup; il s'écoute, et a, au moins, la conscience de sa
capacité. Il aime le souvenir de M. le Régent; Saint-Cloud l'y ramène
tout naturellement. Il me racontait que Louis XVIII aimait la mémoire du
Régent, montrait une grande horreur pour les calomnies dont il avait été
l'objet, et ajoutait: «Sa meilleure justification, c'est moi.» Mais quand
Louis XVIII racontait tout cela, il finissait singulièrement, car après
avoir insisté sur l'horreur des calomnies, il disait: «Mais néanmoins les
vers de Lagrange-Chancel sont si beaux, que je les ai retenus et que
j'aime à les réciter[37].» Ce qu'il faisait alors, en s'adressant au Roi
actuel: c'était une singulière conclusion!

  [37] Compromis dans la conjuration de Cellamare, Lagrange-Chancel
  lança contre Philippe d'Orléans trois virulents pamphlets en
  vers, bientôt suivis de deux autres. (_Philippiques_, 1720).


_Paris, le 1er septembre 1834._--J'ai vu ce matin M. de Rigny, il m'a dit
que les nouvelles d'Espagne étaient fort embarrassantes. Martinez de la
Rosa commence à dire que sans l'intervention armée de la France, tout ira
à la diable. Le Roi est, au plus haut degré, contre cette intervention,
beaucoup plus que ses ministres, qui me paraissent être très agités de ce
terrible voisinage.

La haine contre lord Palmerston est si générale ici, que personne ne se
gêne pour l'exprimer. M. de Rigny en est assourdi de tous les côtés. Il
m'a dit à ce sujet que les arrogances de Palmerston, et ses
démonstrations hostiles n'ayant jamais été suivies d'aucune action
véritable, elles ne faisaient plus d'impression, et qu'au dehors, on se
bornait à dire: «Ah! c'est une boutade de Palmerston!» puis on n'y pense
plus.

M. Guizot a succédé chez moi à Rigny; il est fort content de l'état
intérieur du pays, mais il dit, avec raison, que s'il faut avoir, avec
les difficultés du dedans, à se mêler d'une révolution en Espagne, et en
voir venir une en Angleterre, il n'y aura plus moyen de se tirer
d'affaire. Il paraît certain que la Chambre des députés nouvelle vaut
infiniment mieux que la précédente, qu'elle est prise dans un ordre moins
bas; les progrès matériels aussi sont sensibles. La France livrée à
elle-même, sans embarras extérieurs, est évidemment dans une fort bonne
voie.

Le prince Czartoryski est venu à son tour, assez languissant, comme
toujours, et décidément fixé à Paris.

Enfin, j'ai pu sortir, et aller chez les Werther, où j'ai entendu de
nouvelles plaintes contre le Palmerston. En rentrant, M. de Talleyrand
m'a fait ranger des papiers; j'y ai retrouvé une lettre curieuse, signée:
«Ferdinand, Carlos, Antonio,» écrite, par ces trois Princes, de Valençay,
à M. de Talleyrand pour lui exprimer leur reconnaissance et affection.


_Paris, 2 septembre 1834._--J'ai eu la visite de M. Thiers, qui m'a conté
ceci. Tous les rapports d'Espagne s'accordent à dire que don Carlos aura
autant d'hommes que de fusils, et qu'il n'attend qu'un arrivage d'armes
pour marcher sur Madrid, où tout va à la diable; que dom Miguel se
prépare à reparaître, à son tour, dans la Péninsule. Si donc le blocus
n'est pas assez effectif pour empêcher le secours d'armes, la cause de la
Reine est désespérée, à moins que la France ne se mêle activement des
affaires d'Espagne. D'un instant à l'autre, cette question peut se
présenter, et il y a, là-dessus, forte division. Bertin de Veaux et
quelques autres sont pour l'intervention armée, dans le cas où elle
deviendrait nécessaire pour sauver la Reine, parce que, disent-ils, si
don Carlos triomphe, le carlisme, de partout, redevient audacieux, que la
France aura un ennemi implacable sur ses frontières, et qu'avec un danger
aussi réel derrière elle, tous ses mouvements restent paralysés et ses
chances plus mauvaises, dans une guerre qu'on sera d'autant plus tenté de
lui faire. Le Roi et M. de Talleyrand disent à cela: «Mais la guerre,
vous l'aurez bien plutôt si vous intervenez! d'ailleurs, avec qui
marcherez-vous? L'Angleterre, dévorée par ses plaies intérieures,
pourra-t-elle vous aider?» A cela on réplique: «Sa neutralité nous
suffit.--Bon! mais pouvez-vous y compter, sur cette neutralité? Ne
dépend-elle pas de la durée et de la composition du Cabinet actuel, dont
l'existence est fort douteuse?»

M. de Rigny est très tiraillé entre ces avis si divers: c'est un embarras
énorme; je les vois, tous, se cassant la tête, pour trouver un expédient.


_Rochecotte, 7 septembre 1834._--Le temps, qui était mauvais depuis deux
jours, s'est remis hier, et j'ai eu, en arrivant, mon soleil
d'Austerlitz, qui perçait les nuages pour me souhaiter la bienvenue[38].
A Langeais[39], j'ai eu ma voiture entourée de toute la ville et tout le
long du chemin jusqu'ici force coups de chapeau et mines réjouies, ce qui
m'a touchée.

  [38] Rochecotte est un château bâti à la fin du dix-huitième
  siècle, que la duchesse de Dino acheta en 1825, qu'elle agrandit
  et perfectionna beaucoup. En 1847, elle en fit cadeau à sa fille
  la marquise de Castellane.--Rochecotte est situé à mi-côte, d'une
  manière charmante, dans la vallée de la Loire, dominant le
  village de Saint-Patrice, dans le département d'Indre-et-Loire.

  [39] Langeais est un gros bourg, à un peu plus de deux lieux de
  Rochecotte, et situé sur la rive droite de la Loire. Il est
  dominé par un château bâti en 992 et réédifié au treizième siècle
  par Pierre de la Brosse. En 1491, le mariage du Roi Charles VIII
  et d'Anne de Bretagne y fut célébré.

La vallée est très fraîche, la Loire pleine, et la culture admirable de
soins et de richesse, les chanvres, une des industries du pays, élevés
comme des plantes du Tropique; enfin, je suis très satisfaite de tout ce
que je vois.


_Rochecotte, 8 septembre 1834._--Ma vie, ici, n'est ni politique, ni
sociale; elle ne peut être d'aucun intérêt général, mais je n'en noterai
pas moins les petits incidents qui me touchent.

Hier, après le déjeuner, pendant que je reposais ma pauvre tête enrhumée
sur une chaise longue du salon, l'abbé Girollet, assis à côté de moi,
dans un grand fauteuil, m'a dit qu'il avait une grâce à me demander:
c'était que je restasse seule chargée de sa succession, qui n'était rien
comme valeur et dont les charges absorberaient au moins la totalité mais
qu'il n'y avait que moi qui lui inspirât assez de confiance pour qu'il
mourût tranquille sur le sort de ses domestiques et de ses pauvres. Je
lui ai dit que je le priais de faire ce qui lui conviendrait, de disposer
de moi comme il l'entendrait, mais de m'épargner des détails qui
m'étaient pénibles et que j'apprendrais toujours trop tôt. Il m'a demandé
ma main, m'a beaucoup remerciée de ce qu'il appelle mes bontés pour lui,
puis, après cet effort momentané, il est retombé dans un état de silence
et presque de somnolence, dont il ne sort qu'à de rares intervalles.


_Valençay, 11 septembre 1834._--Je suis arrivée hier soir ici, après
m'être arrêtée quelques instants à la jolie campagne de Bretonneau, près
de Tours, et avoir parcouru et admiré la charmante route de Tours à
Blois, qui est si pleine de souvenirs. Il faisait nuit, au clair de lune
près, quand j'ai atteint le relais de Selles, où on savait que j'allais
passer. Au premier coup de fouet du postillon, chaque fenêtre s'est
éclairée des chandelles des habitants, cela a fait comme une jolie
illumination; pendant qu'on relayait, ma voiture a été entourée par toute
la population, avec des cris infinis de bienvenue. Jusqu'à la Sœur
Supérieure de l'hôpital, une de mes anciennes amies, qui est venue à ma
portière quoiqu'il fût neuf heures du soir. J'étais toute assourdie et
ahurie, mais, en même temps, fort touchée. Il y avait plus de quatre ans
que je n'avais passé par là, et j'étais loin de m'attendre qu'on s'y
souviendrait de quelques bons offices que j'y ai rendus dans les temps
passés.

Enfin, à dix heures, je suis entrée, par le plus beau clair de lune, dans
les belles cours de Valençay. M. de Talleyrand, Pauline, Mlle
Henriette[40], Demion et tous les domestiques étaient sous les arcades
avec force lumières. Cela faisait un joli tableau.

  [40] Mlle Henriette Larcher, gouvernante de Mlle Pauline de
  Périgord.


_Valençay, 12 septembre 1834._--Voici le principal passage d'une lettre
adressée par Madame Adélaïde à M. de Talleyrand: «Vous vous rappellerez
sûrement la discussion qui a eu lieu dans mon cabinet, sur le ridicule,
le danger et l'inutilité de faire une déclaration de guerre à don Carlos.
Il paraît, néanmoins, qu'on veut remettre cette question sur le tapis.
Vous l'avez, en ma présence, traitée d'une manière si lucide et si
convaincante, qu'on ne devait pas craindre qu'on s'en occupât davantage.
Cependant, je crois bien faire de vous avertir qu'il faut y prendre
garde, et que vous ferez bien de faire sentir en Angleterre le danger de
cette fausse démarche, qui ne peut conduire qu'à du mal. Il paraît qu'on
est embarrassé en Angleterre, de la promesse de fournir une force navale
à l'Espagne, et que, pour s'en tirer, on a songé à cette absurdité. Je
crois donc que vous feriez bien d'écrire tout de suite en Angleterre sur
cela. J'y tiens beaucoup, parce que personne ne peut le faire aussi bien
et d'une manière plus efficace.»

Voici maintenant la réponse de M. de Talleyrand[41]: «Je conjure le Roi
de persister dans son refus de déclaration de guerre contre don Carlos;
je trouve que ce serait la plus déplorable manière, pour nous, d'aplanir
les embarras des ministres anglais. Je ne suis nullement surpris de ceux
qu'ils éprouvent; il y a si longtemps que je les prévois! et je n'ai
jamais compris la légèreté avec laquelle, depuis deux ans, ils se sont
jetés dans toutes les difficultés de la Péninsule. En 1830, Londres était
le véritable terrain, le seul convenable pour les grandes négociations;
mais aujourd'hui qu'on y est d'autant plus près du désordre que la France
s'en éloigne davantage, ce n'est plus à Londres, c'est à Paris qu'il faut
les ramener, et c'est sous l'œil d'aigle du Roi qu'il faut qu'elles
soient conduites. L'Angleterre n'osera pas se risquer seule, et les
autres puissances se rangeront de notre côté pour désapprouver la
déclaration de guerre; ainsi nous ne risquerons rien à la repousser. Il
n'y a pas de mal à gagner du temps et l'absence de lord Granville, de
Paris, peut nous servir de prétexte pour ajourner une réponse
péremptoire. Si j'hésite à obéir à Madame et à écrire sur ce sujet en
Angleterre, c'est que je dois supposer que ma lettre y produirait l'effet
contraire à celui que je désirerais obtenir. Le Cabinet anglais m'a
trouvé, dans les derniers temps, réservé et froid, évitant avec soin
d'engager mon gouvernement dans toutes les fâcheuses complications de la
Péninsule. Je ne puis douter qu'on ne se soit méfié de moi dans toutes
les transactions qu'on a faites, qu'on ne m'en ait voulu de ma tiédeur,
et qu'aujourd'hui que les ministres anglais sont embarrassés des
engagements que je leur ai laissé prendre, sans vouloir y faire
participer la France, ils recevraient avec d'autant plus d'humeur mes
conseils et mes avertissements.»

  [41] Cette lettre a déjà été publiée dans le livre que la
  comtesse de Mirabeau a donné en 1890, sous ce titre: _le Prince
  de Talleyrand et la Maison d'Orléans_.

Mme de Lieven m'écrit des tendresses de Pétersbourg; elle va bientôt
rester seule, avec son élève qui lui plaît fort. L'Empereur va à Moscou,
l'impératrice à Berlin, et c'est alors que les Lieven entreront en
fonctions, et qu'ils seront établis chez eux, ce dont elle me paraît,
avec raison, très pressée. Elle me semble déjà sur les dents, quoique
consolée par ses augustes hôtes.


_Valençay, 16 septembre 1834._--Labouchère, qui est arrivé ici hier, dit
que rien n'est comparable à la conduite de M. de Toreno, que celle des
Rothschild[42]. Le premier, avant de déclarer la banqueroute du
gouvernement espagnol, a vendu énormément d'effets; il a fait la
spéculation inverse des Juifs, et, comme il était dans le secret, il a
changé sa position personnelle, qui était fort dérangée, en des profits
énormes, tandis que presque toutes les places de l'Europe sont frappées
de la façon la plus déplorable.

  [42] Voir la _Chronique_ du 6 août 1834, p. 211.


_Valençay, 25 septembre 1834._--Voici l'extrait d'une lettre de M. de
Rigny à M. de Talleyrand: «On s'est calmé à Constantinople, mais
Méhémet-Ali est furieux, lui, des velléités qu'a montrées la Porte et il
parle d'indépendance; nous allons tâcher de calmer cet accès de fièvre.
Toreno, d'adversaire qu'il était des créanciers français, s'est fait
presque leur champion; nous saurons demain ou après la résolution adoptée
par les Cortès. Mais, en attendant, les choses ne vont pas mieux en
Espagne, et on commence à parler fort haut à Madrid de la nécessité de
notre intervention. On voulait remplacer Rodil par Mina.

«Maison s'est mis fort en froid à la Cour de Saint-Pétersbourg pour
n'avoir pas voulu assister à l'inauguration de la colonne.

«J'ai vu, hier, une lettre de lord Holland, qui se félicite de l'assiette
du ministère anglais; je ne sais quelle valeur cela peut avoir.

«Semonville a donné sa démission par écrit; il aurait voulu être remplacé
par Bassano, il l'est par Decazes, ce que vous ne trouverez peut-être pas
mieux. Molé refuse d'être vice-président; il est blessé de ce qu'on ait
mis Broglie avant lui, c'est là toute sa raison; est-ce bien de la
raison? Villemain ne veut pas être secrétaire perpétuel à la place
d'Arnaud: «Ce serait, dit-il, abdiquer toutes les _chances politiques_».
Par contre, Viennet abandonnerait volontiers les siennes pour le fauteuil
à perpétuité.

«Nous venons d'avoir deux ou trois mauvaises élections. Quant à
l'amnistie, elle est négativement décidée; je crains qu'on ne regrette ce
parti, lorsque nous serons au milieu du feu croisé du procès, des
avocats, de la tribune, des journaux. Il faut voir les choses quelques
mois en avant dans ce pays-ci!»

Une lettre de lady Jersey mande que lord Palmerston a refusé le
gouvernement général de l'Inde et que Mme la duchesse de Berry est au
moment d'accoucher, mais, pour le coup, d'un enfant légitime.


_Valençay, 28 septembre 1834._--En rentrant hier de la promenade, nous
avons trouvé le château rempli de visiteurs, hommes et femmes, venus en
poste et visitant toutes choses en curieux. Le régisseur nous a dit que
c'était Mme Dudevant avec M. Alfred de Musset et leur compagnie. A ce nom
de Dudevant, les Entraigues ont fait des exclamations auxquelles je
n'entendais rien et qu'ils m'ont expliquées: c'est que Mme Dudevant n'est
autre que l'auteur d'_Indiana_, _Valentine_, _Leone Leoni_, George Sand
enfin!... Elle habite le Berry, quand elle ne court pas le monde, ce qui
lui arrive souvent. Elle a un château près de La Châtre, où son mari
habite toute l'année et fait de l'agriculture. C'est lui qui élève les
deux enfants qu'il a de cette virtuose. Elle-même est la fille d'une
fille naturelle du maréchal de Saxe; elle est souvent vêtue en homme,
mais elle ne l'était pas hier. En entrant dans mon appartement, j'ai
trouvé toute cette compagnie parlementant avec Joseph[43], pour le voir,
ce qui n'est pas trop permis quand je suis au château. Dans cette
occasion cependant, j'ai voulu être polie pour des voisins: j'ai moi-même
ouvert, montré, expliqué l'appartement et je les ai reconduits jusqu'au
grand salon, où l'héroïne de la troupe s'est vue obligée, à propos de mon
portrait par Prud'hon, de me faire force compliments. Elle est petite,
brune, d'un extérieur insignifiant, entre trente et quarante ans, d'assez
beaux yeux; une coiffure prétentieuse, et ce qu'on appelle en style de
théâtre, _classique_. Elle a un ton sec, tranché, un jugement absolu sur
les arts, auquel le buste de Napoléon et le Pâris de Canova, le buste
d'Alexandre par Thorwaldsen et une copie de Raphaël par Annibal Carrache
(que la belle dame a pris pour un original) ont fort prêté. Son langage
est recherché. A tout prendre, peu de grâces; le reste de sa compagnie
d'un commun achevé, de tournure au moins, car aucun n'a dit un mot.

  [43] Concierge du château de Valençay.

J'ai eu, dans la soirée, une autre visite qui m'a été droit au cœur:
celle d'une Sœur de l'Ordre des religieuses qui sont à Valençay. Elle y
a fait son noviciat, et, quoiqu'elle n'ait que trente-trois ans, elle est
déjà première assistante de la maison mère, d'où elle vient en inspection
ici. Elle regarde Valençay comme son berceau; elle y est venue, à
l'époque où j'ai fondé ce petit établissement; elle était alors d'une
beauté et d'une fraîcheur remarquables; maintenant, elle est maigre et
pâle, mais toujours avec le plus doux regard. Malgré sa sainteté, qui l'a
élevée si vite dans son ordre, elle m'aime beaucoup, et m'a embrassée
comme si j'en étais digne, avec la plus grande joie du monde de retrouver
une pauvre pécheresse telle que moi!


_Valençay, 7 octobre 1834._--J'ai eu, hier, une longue conversation avec
M. de Talleyrand sur ses projets de retraite; elle m'a conduite à traiter
avec lui plusieurs points importants de sa position, et à lui parler avec
sincérité. J'ai eu le courage de lui dire la vérité; il en faut toujours
pour la dire à un homme de son grand âge.

C'est pourtant une utile chose que la vérité, ce premier des biens,
toujours inconnu par les âmes qui ne sont pas fortement trempées; que
l'esprit dédaigne souvent, que les caractères élevés savent seuls
apprécier; qui effarouche la jeunesse, qui effraye la vieillesse; qu'on
n'aime et qu'on n'accueille que lorsqu'on joint aux leçons de
l'expérience toute la vigueur de l'âge et de la santé. Que de réflexions
j'ai faites, depuis hier, sur ce sujet! et que j'ai béni l'homme, habile
et bon[44], qui a guidé mes premières années, et qui m'a donné cette
habitude précieuse, devenue depuis un besoin, de me rendre un compte
sévère de moi-même, d'être la première à me maltraiter; c'est ce qui a
sauvé mon âme, car cela m'a toujours empêchée de confondre le bien avec
le mal; je ne les ai jamais mis à la place l'un de l'autre dans mon
esprit, ni dans ma conscience, et si j'ai chargé celle-ci de fautes, je
l'ai, du moins, tenue libre d'erreurs. Grande différence, qui permet
toujours de revenir sur ses pas; car, ce qui perd, c'est la _fausse
conscience_. Vérité de l'esprit, vérité du cœur, voilà ce qu'il s'agit
de préserver: c'est ce qui conserve de la dignité au caractère, et fait
arriver au terme, non sans fautes, mais bien sans lâchetés.

  [44] Scipion Piattoli, qui avait été précepteur de l'auteur de
  cette _Chronique_.


_Valençay, 9 octobre 1834._--M. de Montrond, qui est ici depuis plusieurs
jours, a demandé hier matin à me voir, pour me parler d'une chose
importante. Je l'ai vu, et après quelques plaisanteries que j'ai reçues
assez froidement, il m'a dit qu'il venait pour m'annoncer son départ; que
je ne serais probablement pas étonnée, d'après la manière inconcevable
dont M. de Talleyrand le traitait. Il s'est fort étendu en plaintes, en
aigreurs; il est profondément blessé et cela lui fait dire beaucoup de
mauvaises choses. Il a ajouté qu'il savait bien que je ne l'aimais guère,
mais que j'avais, cependant, été polie et obligeante pour lui, qu'il
venait m'en remercier et me dire que, quoiqu'il pensât bien que je ne
voudrais pas en convenir, il était impossible que je ne m'ennuyasse pas à
la mort, et que la vie que je menais devait m'être insupportable,
quoiqu'il fût difficile de la prendre de meilleure grâce. Enfin, il a
mis, je ne sais trop pourquoi, du prix à se faire bien venir de moi.

J'avoue que je me suis sentie fort mal à mon aise pendant ce discours,
qui, quoique haché et saccadé, à sa manière, a été long. Voici en résumé,
ma ou mes réponses: «Que je regrettais tout ce qui ressemblait à de la
brouillerie, parce que je ne la trouvais bonne pour personne, mauvaise
surtout pour lui, M. de Montrond, à qui le monde donnerait tort, puisque
son ton rude avec M. de Talleyrand expliquerait le manque de patience de
celui-ci; que, de se plaindre, et d'expliquer ses griefs par les motifs
qu'il venait de me donner serait de bien mauvais goût, et qu'il y avait
de certaines choses, qui, lors même qu'elles auraient une apparence de
vérité, ne se disaient pas, ou ne devaient jamais se dire, après quarante
années d'une liaison qui, du côté de M. de Talleyrand, pouvait s'appeler
du patronage; que pour ce qui me regardait, je ne pouvais m'ennuyer, au
centre de mes devoirs et de mes intérêts de famille; que, d'ailleurs, il
y avait fort longtemps que ma vie, mes habitudes, et toute mon
existence, étaient absorbées dans les convenances de M. de Talleyrand;
que c'était là ma destinée, que je m'en satisfaisais très fort et que je
n'en admettais pas d'autre.»

A cela, il a repris: «Il est clair que vous êtes destinée à l'enterrer;
puis, vous avez beaucoup d'esprit, un grand savoir-faire et savoir-dire,
et vous êtes assez grande dame pour savoir prendre les choses d'une
certaine manière; mais quant à moi, je n'ai qu'à m'en aller.»

J'ai répliqué alors: «Vous avez quelque chose de plus à faire, c'est de
vous en aller poliment, sans esclandre, et de ne dire à personne que vous
l'avez fait par humeur; vous avez, surtout, à ne jamais parler, je ne dis
pas seulement mal, mais encore légèrement de M. de Talleyrand.» Il a dit:
«Vous faites de fort jolis discours ce matin; mais si je fais ce que vous
voulez, que ferez-vous de moi?--Je vous garderai le secret sur la vraie
raison de votre départ.--Vous êtes trop habile, madame de Dino.--Je suis
de bon conseil.» Il m'a demandé si je voulais lui donner la main, et lui
promettre d'être _good-natured_ pour lui. «Oui, si vous ne parlez pas de
travers de M. de Talleyrand.--Alors, je n'irai pas tout droit à Paris; je
vais aller aux Ormes, chez d'Argenson, me faire passer la bile, et quand
j'aurai retrouvé _ma nature d'agneau_, j'irai causer avec le Roi, et
m'excuser sur quelque affaire de n'avoir pas attendu son fils
ici.--Faites ce que vous voudrez, mais faites ce qui convient à un
_gentleman_.» Il est parti.

A déjeuner, il a dit qu'il avait reçu une lettre qui l'obligeait à partir
aujourd'hui.

Le fait est que je m'attendais à quelque chose de semblable. M. de
Talleyrand, après des années d'une longanimité déplacée, a versé
subitement vers l'autre extrémité, sans mesure aucune; et, avant-hier, il
lui a si fort indiqué qu'il était de trop ici, qu'il a bien fallu
comprendre. Il est possible que M. de Montrond prenne quelques
précautions de langage, tout juste ce qu'il faudra pour ne pas être tracé
comme mauvais procédé, mais il me paraît impossible qu'il n'y ait pas
quelque vengeance sourde, car il est blessé et dérangé. Partir la veille
de l'arrivée d'une nombreuse société anglaise, à laquelle il se préparait
à faire les honneurs de Valençay, ne pas être ici quand M. le duc
d'Orléans y est attendu, voilà deux sensibles mécomptes, qu'il ne
pardonnera pas à M. de Talleyrand.

Dans la première et très virulente partie de sa conversation, le nom du
Roi et celui de M. de Flahaut sont revenus fort souvent, et de façon à me
persuader qu'il va se ranger absolument du côté du dernier, pour rendre
auprès du premier de mauvais offices à M. de Talleyrand. Qu'attendre d'un
pareil être? Mais aussi quel enfantillage de perdre patience au bout de
quarante ans![45] M. de Montrond me disait: «Il devait me traiter avec la
douceur et l'intimité d'une ancienne amitié, ou bien avec la politesse
d'un maître de maison.» Mais à cela, j'ai répliqué: «M. de Talleyrand
n'aurait-il pas aussi le droit de vous dire qu'il n'a trouvé en vous, ni
la déférence due à un hôte, ni la bonne grâce due à son âge et à vos
anciens rapports? Dans quelle autre maison auriez-vous blâmé toutes
choses comme vous le faites ici? Vous avez critiqué ses voisins, ses
domestiques, son vin, ses chevaux, toutes choses enfin. S'il a été rude,
vous avez été hargneux; et, en vérité, il y a trop de témoins de votre
perpétuelle contradiction, pour que vous puissiez vous plaindre de
l'humeur qu'elle a causée.»

  [45] En 1793, Montrond s'était réfugié en Angleterre, et s'y
  était mis sous la protection de M. de Talleyrand; de là provenait
  leur longue amitié.


_Valençay, 14 octobre 1834._--Nous avons en visite lady Clanricarde, M.
et Mme Dawson Damer et M. Henry Greville. Je me suis longtemps promenée
en calèche hier avec lady Clanricarde; j'ai beaucoup causé avec elle de
son père, le célèbre M. Canning; de sa mère, non moins distinguée, mais
que sa fille paraît aimer peu. Lady Clanricarde a de l'esprit, de la
mesure, du bon goût, de la dignité, mais, à ce qu'il semble, assez de
sécheresse de cœur, et un peu de raideur d'esprit; ses manières, son
caractère, je crois, ont une valeur réelle, sans abandon, ni séduction;
mais, à tout prendre, c'est assurément une personne distinguée, et de la
meilleure et plus exquise compagnie. Quant à Mme Damer, c'est une bonne
enfant, mais rien que cela.


_Valençay, 18 octobre 1834._--En causant avec lady Clanricarde de lord
Palmerston et de lady Cowper, nous sommes arrivées à nous demander ce
qui faisait conserver à de certaines personnes tant d'influence sur
telles autres. Je lui ai fait alors une observation sur la justesse de
laquelle elle s'est récriée. Je lui disais que «c'était par l'exigence
que les hommes conservaient leur influence sur les femmes, mais que
c'était par des concessions que celles-ci conservaient la leur sur les
hommes.»


_Valençay, 21 octobre 1834._--On a reçu, hier, la nouvelle du terrible
incendie de Westminster à Londres. C'est une horrible catastrophe, et qui
semble d'un caractère tout _ominous_; l'édifice matériel croulant avec
l'édifice politique! Ces vieilles murailles ne voulant plus se déshonorer
en prêtant asile aux profanes doctrines du temps! Il y a là de quoi
frapper, non seulement l'esprit de la multitude, mais encore celui de
toute personne sérieuse.

Les Anglais qui sont ici sont tentés de croire à la malveillance comme
cause de ce feu, parce qu'il a commencé par la Chambre des Pairs. Le
_Globe_, qu'on avait envoyé à M. de Talleyrand, nous a tous fait veiller
fort tard, car nous avons voulu connaître toutes les versions. Il paraît
que la perte en papiers et documents a été énorme, non seulement par le
feu, mais aussi par l'éparpillement. Quel dommage! On dit que cela va
jeter du trouble et de grandes lacunes dans le cours de la justice.

J'ai mené, hier, lady Clanricarde et Mme Damer voir le petit couvent,
l'école et tout le petit établissement des Sœurs de Valençay; c'est un
genre de choses qui touche peu les Anglaises; elles ont beau avoir de
l'esprit, de la bonté, elles ne sont pas charitables dans le vrai sens du
mot; elles ont une aversion singulière pour se mettre en contact avec la
pauvreté, la misère, le malheur, la maladie, la souffrance, et cet
éloignement, de leur part, pour les petites gens, qui, socialement, a
tant d'avantages, me glace et me froisse quand je le vois s'étendre
jusqu'à l'indigence. Ainsi, lady Clanricarde, si agréable en société, n'a
rien trouvé à dire à mes pauvres Sœurs, si simples et si dévouées; elle
a à peine mis le nez à la porte de l'école, et rangeait sa belle robe,
pour ne pas être froissée par les petites filles qui étaient à l'entrée
de la classe; ces deux dames n'en revenaient pas de tout ce que j'avais
trouvé à dire, et elles étaient surtout fort surprises de m'avoir vue
arrêtée plusieurs fois dans le bourg par des gens qui voulaient me parler
de leurs affaires. Cette façon de vivre est complètement incompréhensible
pour une Anglaise, et, dans ce moment-là, lady Clanricarde, malgré tout
son esprit et sa bienveillance pour moi, s'est étonnée, j'en suis sûre,
que je susse manger proprement à table, et que je portasse une robe faite
par Mlle Palmyre.


_Valençay, 23 octobre 1834._--Il a plu outrageusement hier toute la
journée; il n'y a pas eu moyen de sortir. Nos Anglais ont fait une
musique assez barbare pendant toute la matinée; le soir sont arrivées
trois lettres au château. L'une, de lord Sidney à Henry Greville, disant
que M. de Montrond était de retour à Paris, y répétant à tout le monde
que Valençay était devenu inhabitable, que les Damer et Greville s'y
ennuieraient à la mort, que lady Clanricarde seule s'en arrangerait. H.
Greville a lu cela à demi-voix: lady Clanricarde a repris tout haut, M.
de Talleyrand a demandé ce que c'était, on lui a lu tout le passage.

La seconde lettre, de M. de Montrond à M. Damer, pour lui demander
comment il se trouvait à Valençay; que quant à H. Greville, qui aimait
les caquets, il n'en était pas inquiet, parce qu'il y trouverait de quoi
se satisfaire: ceci a été lu tout haut par M. Damer.

La troisième lettre, de M. de Montrond à moi, calme au possible. Je
l'avais passée à M. de Talleyrand, qui, d'humeur de ce qu'il venait
d'entendre, a lu, à son tour, tout haut. Cela m'a fait souvenir du billet
de Célimène! Je ne sais quelles réflexions cette petite scène aura
provoquées, car j'ai été me coucher aussitôt après.


_Valençay, 26 octobre 1834._--Le temps s'est un peu rajusté hier: en ce
moment, il fait un froid vif, mais sec, avec un soleil éclatant. Pourvu
que cela dure pour l'arrivée de M. le duc d'Orléans que nous attendons ce
soir! Car les populations d'une quarantaine de communes, et du monde de
Châteauroux, même d'Issoudun, à dix ou douze lieues d'ici, sont en
mouvement. Le dimanche facilite cette satisfaction de curiosité, et, quoi
qu'en disent les journaux, nous n'aurons d'autres magnificences, d'autres
fêtes, d'autres préparatifs que ceux du nombre. Je crois que M. le duc
d'Orléans sera très bien reçu par les populations rurales. Jamais, depuis
la Grande Mademoiselle, aucun Prince, d'aucune dynastie, n'est venu ici:
tout le pays entre Blois et Châteauroux, si bien traité par les Valois,
était comme frappé de disgrâce, d'oubli; jamais aucune des
administrations n'a voulu rien faire pour ce coin de Berry. Quand je suis
venue ici pour la première fois, tout y était, en fait de civilisation,
comme au temps de Louis XIII. M. de Talleyrand, et même moi, lui avons
fait faire quelques progrès; ce n'est cependant que cette année que nous
avons une poste aux chevaux organisée; il n'y a pas même encore de
diligences, et les communications ont lieu, pour bien du monde, même
aisé, en pataches, c'est-à-dire en voitures non suspendues. Dans un pays
aussi reculé, un Prince est encore _quelqu'un_; nos communes sont
flattées qu'il s'en égare un dans nos sauvageries, et elles crieront:
_Vive le Roi!_ avec fureur: c'est tout ce qu'il y a de mieux.

Parmi les arrivants au château, hier soir, nous avons eu le baron de
Montmorency et Mme la comtesse Camille de Sainte-Aldegonde. Le baron de
Montmorency a été, autrefois, au moment d'être le Lauzun de la
Mademoiselle du temps[46], et, quoiqu'il ait décliné l'honneur de
l'alliance, il est resté fort intime avec Neuilly. Mme de
Sainte-Aldegonde habite un joli château entre ici et Blois; elle est Dame
de la Reine, et grande amie du baron de Montmorency. Elle a été, d'abord,
la femme du général Augereau; elle est du même âge que moi, et nous avons
fait notre entrée dans le monde à la même époque. Nous avons, toutes
deux, été Dames du Palais de l'Impératrice Marie-Louise; nous ne nous
sommes, cependant, pas vues beaucoup, parce qu'elle suivait son mari à
l'armée et ne venait guère à la Cour. A la chute de l'Empire, nous nous
sommes perdues de vue complètement. Mme de Sainte-Aldegonde a été
extrêmement belle, et si elle avait une expression plus agréable, elle le
serait encore; mais elle n'a jamais eu l'air doux, grâce à des sourcils
trop noirs et remontés; le moelleux de la première jeunesse étant passé,
il en résulte quelque chose de cru qui n'est pas attirant. Elle a le
verbe un peu haut, et quoique polie et assez bien élevée, elle manque de
cette aisance et de cette obligeance faciles qui ne s'acquièrent que dans
les premières habitudes élégantes de la vie: quand elles manquent au
berceau, on peut être convenable, on n'est jamais distingué; mais enfin,
à tout prendre, elle est bien.

  [46] Madame Adélaïde avait fait offrir sa main au baron de
  Montmorency, mais à la condition qu'elle ne changerait point son
  nom, ce que M. de Montmorency refusa.


_Valençay, 27 octobre 1834._--M. le duc d'Orléans est arrivé hier par un
assez mauvais temps, et une heure plus tôt qu'il ne s'était annoncé, ce
qui a fort dérangé les curieux ainsi que nous. Cependant, il a trouvé
notre petite garde nationale, le corps municipal, et pas mal de monde sur
son passage. Il n'y a point eu de harangue, ce qui, je crois, l'a
soulagé.

M. le duc d'Orléans a commencé par causer un instant dans le salon avec
M. de Talleyrand, M. et Mme de Valençay et moi. Il m'a annoncé, à ma
grande surprise, que nous allions avoir MM. de Rigny, Thiers et Guizot;
ma surprise n'a pas diminué, lorsque Monseigneur m'a dit que le Roi
poussait beaucoup ses ministres à venir ici, parce que c'était une bonne
excuse pour suspendre, pendant quelques jours, les Conseils; que ceux-ci
étaient devenus impossibles par les fureurs du maréchal Gérard; qu'une
crise était inévitable, mais qu'on désirait la retarder, et, pour cela,
ne pas mettre le Cabinet en présence; que, du reste, le maréchal Gérard
était seul de son bord d'un côté, et les autres ministres, jusqu'à
présent, réunis de l'autre.

Quand Monseigneur s'est retiré chez lui, j'ai été faire ma toilette, et
suis redescendue tout de suite pour être la première au salon. J'y ai
trouvé le général Petit, commandant de la 5e division militaire, puis le
général Saint-Paul, commandant du département de l'Indre, et, de la suite
du Prince, le général Baudrand et M. de Boismilon, son secrétaire.

Après le dîner, il y a eu un peu de solennel que j'ai bientôt rompu, en
me mettant tout simplement à mon ouvrage, comme de coutume, ce dont le
Prince m'a fort remerciée. Tout le monde, alors, s'est groupé, arrangé.
Plus tard, M. de Talleyrand a fait sa promenade accoutumée du soir; en
rentrant il nous a trouvés jouant, lady Clanricarde, le Prince, H.
Greville et moi, à un whist assez gai, la musique jouant dans le
vestibule; enfin la glace s'était rompue.

Après le thé, le Prince s'est éclipsé, et à onze heures tout le monde est
allé se coucher.


_Valençay, 28 octobre 1834._--Voici l'emploi de la journée d'hier: après
le déjeuner, M. le duc d'Orléans a vu le château et ses entours
immédiats, mon fils et moi les lui montrant; tous ceux de nos hôtes pour
qui c'était une nouveauté suivaient.

En rentrant, trois calèches, un phaéton et six chevaux de selle
attendaient. Chacun s'est casé: M. le duc d'Orléans, la marquise de
Clanricarde, le baron de Montmorency et moi dans la première calèche; M.
de Talleyrand, Mme de Sainte-Aldegonde, le général Baudrand et M. Jules
d'Entraigues dans la seconde, et ainsi de suite. Après avoir traversé le
parc et une partie détachée de la forêt, nous nous sommes arrêtés à un
joli pavillon, d'où la vue est belle. La musique militaire était cachée
derrière les arbres, qui ont encore beaucoup de feuilles; le concours de
monde était considérable; c'était une très jolie scène forestière. Nous
nous sommes ensuite lancés dans la forêt même et ne sommes revenus que
pour notre toilette du dîner.

Après le dîner, nous avons mené le Prince au bal de l'Orangerie: les
cours, le donjon, les grilles étaient illuminés et d'un très bel effet;
la salle fort bien décorée, remplie de monde au point de pouvoir à peine
passer; mais il n'y avait pas d'empressement grossier, tout au contraire,
et des cris à se boucher les oreilles, mais qui font toujours plaisir aux
Princes. Il a parcouru toutes les parties de la salle; il a beaucoup
salué, un peu causé; enfin, on en a été fort content, et, quoiqu'il n'y
soit pas resté plus d'une heure, on a été si satisfait de lui qu'à deux
heures du matin, on criait encore sous ses fenêtres.


_Valençay, 29 octobre 1834._--Hier, avant le déjeuner, notre Royal
visiteur a été, avec son aide de camp, mon fils et le baron de
Montmorency, visiter la filature et les carrières d'où on a extrait les
pierres dont le château est bâti; il a trouvé ces carrières superbes.

Après le déjeuner nous l'avons mené aux forges. Il y avait de la foule,
des cris; les ouvriers ont bien fait leur besogne; on a coulé, forgé, et
dans l'intérieur du bâtiment où l'on coule la gueuse et qui est très
beau, on a opéré, à deux reprises, des feux d'artifice, avec la fonte en
fusion, liquide et enflammée. C'était joli et a fort amusé nos dames
anglaises. En revenant, nous avons fait un petit détour qui nous a
conduits aux ruines de Veuil[47]. La musique était cachée dans une des
vieilles tours, un grand feu était allumé dans la seule chambre qui reste
intacte et où on avait servi un goûter. Dans la cour, et à travers des
arceaux à moitié détruits, des gardes nationaux et des paysans criaient
en jetant leurs chapeaux en l'air. Cette petite station a été vraiment
très jolie, malgré le temps couvert; le soleil l'aurait complétée, ou
plutôt la lune.

  [47] Veuil domine la vallée du Nahon, et fut réuni à la
  seigneurie de Valençay en 1787 par M. de Luçay qui en était alors
  propriétaire. Le château, qui devait être remarquablement joli,
  est maintenant une ruine, dont une partie seulement peut être
  habitée par un fermier.

A dîner, outre les convives de la ville, nous avons eu les Préfets
d'Indre-et-Loire[48], de Loir-et-Cher[49], le général Ornano et le
colonel Garraube, député, celui qui nous a envoyé la musique qui fait
nos délices. Après le dîner, le whist, quelques tours de valse, etc...

  [48] M. Amédée d'Entraigues.

  [49] Le comte de Lezay-Marnésia.

Il y a eu, le soir, un vrai bal avec souper pour les gens de l'office, en
l'honneur des gens du Prince Royal; il a été vraiment très joli.

A dîner, hier, j'ai été un peu surprise de ce que m'a dit mon Royal
voisin. Il m'a demandé quand nous allions à Rochecotte.--«Je l'ignore,
Monseigneur.--Mais vous ne pouvez passer tout l'hiver dans ce lieu-ci qui
est bien froid.--Il n'a jamais été question que nous y passions tout
l'hiver.--Viendrez-vous à Paris?--Je n'en sais rien.--Car pour
l'Angleterre, il ne peut plus en être question, puisque lord Palmerston
ne va pas aux Indes.» J'ai regardé le Prince entre les deux yeux, avec un
peu de surprise, et je lui ait dit: «Je crois, en effet, que le départ de
lord Palmerston aurait rappelé les ambassadeurs à Londres, et que, lui
restant, cela les en éloignera; mais les projets de M. de Talleyrand sont
très incertains, et soumis d'ailleurs aux désirs du Roi.--Votre oncle m'a
dit qu'il croyait que nous avions tiré de l'Angleterre tout ce qu'elle
pouvait nous donner; que ce ne serait plus à Londres que se traiteraient
les grandes affaires; qu'il fallait les appeler à Paris auprès de mon
père.--En effet, c'est là la pensée de M. de Talleyrand, parce que
l'habileté et la sagesse du Roi ont inspiré à l'Europe de la confiance,
en raison inverse de la méfiance que la politique anglaise des derniers
mois a généralement propagée.--Mon père désire beaucoup que M. de
Talleyrand retourne en Angleterre, mais avant de causer avec votre oncle
à ce sujet, j'avais dit au Roi que ce retour me paraissait
impossible.--En effet, Monseigneur, il est difficile.--Mais vous, madame,
que désirez-vous?--Ce qui sera agréable au Roi, Monseigneur; et si M. de
Talleyrand ne retourne pas à Londres, c'est qu'il sera persuadé qu'avec
les données actuelles, il ne saurait y être utile. Personnellement,
j'aime extrêmement l'Angleterre; mille liens de reconnaissance et
d'admiration m'y attachent, surtout les bontés de la Reine, l'amitié de
lord Grey et du duc de Wellington; mais il y a de certains amis qu'on ne
perd pas pour les avoir quittés, et j'espère bien, dans le cours des
années, aller remercier ceux que j'ai eus en Angleterre, de toutes leurs
bontés pour moi pendant les quatre dernières années[50].--Mais, quittant
l'ambassade, que fera M. de Talleyrand?--Ce qui plaira au Roi: si le Roi
désire le voir, il ira lui offrir ses hommages; si Sa Majesté lui permet
de se reposer, il restera dans la retraite, à soigner ses jambes, qui,
comme vous le voyez, sont bien faibles et bien douloureuses; en un mot,
Monseigneur, il sera toujours le serviteur dévoué du Roi.» Et nous en
sommes restés là, de cette conversation assez singulière.

  [50] La duchesse de Dino n'est jamais retournée en Angleterre
  malgré le bon souvenir qu'elle gardait à ce pays.


_Valençay, 30 octobre 1834._--Hier matin, tous les voisins de Tours, de
Blois, des environs, sont partis de bonne heure, ainsi que M. Motteux,
qui a laissé un joli chien anglais à M. de Talleyrand. Ce bon petit
Motteux nous a quittés avec des regrets infinis, s'étant parfaitement
amusé ici, passant sa vie à la cuisine, au pressoir, au marché; ne
causant guère, mais n'étant ni indiscret, ni importun, ni mal disant.

Avant le déjeuner, M. le duc d'Orléans a visité les deux ateliers de
bonneterie[51], y a acheté et fait des commandes. Après le déjeuner, il a
voulu voir nos écoles et l'établissement des Sœurs; il a beaucoup donné
pour les pauvres. Il a paru vraiment frappé de la bonne tenue du petit
couvent, et particulièrement des manières de la Supérieure. A cette
occasion, il m'a raconté qu'un de ses aïeux, ayant prêté de l'argent au
Saint-Siège, que celui-ci n'avait pas rendu au terme indiqué, le Pape
envoya, en compensation, une Bulle par laquelle il créait tous les
descendants mâles de la famille _sous-diacres-nés_, et chanoines de
Saint-Martin de Tours, avec le droit de toucher, sans gants, aux vases
sacrés, et de se placer à l'église du côté de l'évangile, au lieu du côté
de l'épître. Le Roi Louis-Philippe a été reçu chanoine de Tours, à l'âge
de sept ans.

  [51] En entrant dans cette bonneterie, fort célèbre alors en
  France, on pouvait voir, surmontées d'une inscription portant
  leurs noms, les jambes moulées de toutes les amies du prince de
  Talleyrand, que ces dames avaient fait faire, afin de donner un
  modèle exact au fabricant de Valençay.

Plus tard nous avons conduit le Prince aux étangs de la forêt, auprès
desquels était un grand feu de bivouac.

Avant le dîner, le Prince a encore voulu causer seul avec M. Talleyrand,
puis avec moi. Après, on a joué une poule au billard, cela a été très
animé; les dames étaient de la partie. Le thé pris, et les lettres
arrivées par la poste reçues, celles-ci annonçant la retraite du maréchal
Gérard, M. le duc d'Orléans est rentré chez lui, a mis son costume de
voyage, et à onze heures et demie, après force gracieusetés, il est
parti.

Quoique tout se soit bien passé pendant son séjour ici, et que le Prince
ait vraiment été à merveille pour tout le monde, je n'en suis pas moins
singulièrement soulagée de son départ. Je craignais à chaque instant
quelque accident, ce qui m'a fait m'opposer formellement à toute chasse;
je craignais les mauvais cris, le mauvais temps, mille choses, et enfin,
j'étais harassée de fatigue.

Comme je le prévoyais, le voyage de M. le duc d'Orléans a éclairci notre
avenir, en ce sens que M. de Talleyrand a dit au Prince qu'il n'y avait
plus rien à faire pour lui à Londres, que le caractère personnel de lord
Palmerston, la route actuelle suivie par le Cabinet anglais, l'absence de
tout le haut Corps diplomatique de Londres, et la tendance évidente de
toutes les Cours de retirer leur action de cette capitale et de
centraliser la haute politique ailleurs; que, par-dessus tout cela, la
fatigue de ses jambes lui faisait une nécessité de ne plus retourner en
Angleterre, à moins d'une réaction qui le rendît, lui, M. de Talleyrand,
plus propre que tout autre à y traiter les affaires de la France; mais
que pour le moment, il croyait que n'importe qui ferait aussi bien, si ce
n'est mieux que lui. M. le duc d'Orléans nous a positivement dit qu'il
avait été chargé par le Roi de connaître les intentions de M. de
Talleyrand, et, en même temps, de lui exprimer, s'il ne retournait pas à
Londres, le désir de le voir à Paris pour causer avec lui; qu'il tenait
beaucoup à ce que M. de Talleyrand n'eût pas l'air de retirer son
intérêt et sa participation à l'œuvre à laquelle il avait tant
travaillé.

M. le duc d'Orléans m'a raconté un petit fait curieux: c'est que Lucien
Bonaparte lui avait écrit, il y a dix-huit mois, une lettre assez plate
pour le prier d'obtenir pour lui le poste de ministre de France à
Florence!

J'apprends, à l'instant, que le Roi a positivement refusé d'appeler le
duc de Broglie à la présidence du Conseil, en remplacement du maréchal
Gérard. Il est évident que c'est la crise ministérielle qui a empêché les
trois ministres qui devaient venir ici de s'y rendre. Je n'en suis pas
fâchée, car cela a ôté tout caractère politique au séjour du Prince.

Il m'a parlé beaucoup de Rochecotte et de son désir d'y revenir l'été
prochain.


_Valençay, 31 octobre 1834._--Nous avions ici M. le comte de la Redorte.
C'est un homme qui a du savoir positif; il a beaucoup étudié, beaucoup
voyagé; il se souvient de tout, mais, malheureusement, au lieu d'attendre
qu'on frappe à sa porte, comme ferait un Anglais, il l'ouvre toute grande
et force les gens à y entrer. Quoique d'une belle figure, et de manières
douces, avec un charmant son de voix, il est tout simplement assommant,
et par les faits, les dates, les chiffres dont il remplit sa
conversation, les détails minutieux dans lesquels il entre, les lourds
sujets d'économie politique dans lesquels il se plonge, tête baissée, il
fatigue, éteint, écrase ses auditeurs. Avec cela des opinions faites sur
tout, des jugements absolus, des rédactions arrangées d'avance; c'est
d'un ennui à périr! Nos Anglais, ici, le portaient sur leurs épaules! Il
est parti après le déjeuner. Au moment où il est sorti, M. de Talleyrand
a dit: «Voilà un esprit arrêté avant d'être arrivé.» Il a dit aussi un
mot assez piquant sur Mme de Sainte-Aldegonde, qui est également partie
ce matin. A propos de ses sourcils si noirs qui surmontent des yeux sans
beaucoup d'expression: «Ce sont», a-t-il dit, «des arcs sans flèches».

Voici l'extrait d'une lettre reçue de Paris hier soir; elle est du 29:
«Les chevaux de poste étaient, dimanche 26, dans la cour de M. de Rigny,
qui allait partir avec Bertin de Veaux, lorsque le Roi l'a fait chercher,
et lui a ordonné de différer son départ d'un jour; le moment opportun
pour partir ne s'est plus retrouvé. Hier, à quatre heures, le maréchal
Gérard a forcé le Roi à accepter sa démission. La résolution de M. de
Rigny est de ne pas accepter la Présidence qu'on veut bien lui offrir; il
ne se reconnaît ni les talents, ni la consistance nécessaires pour
remplir ce poste. Il ne peut pas se dissimuler que l'embarras seul d'un
choix le fait porter sur lui, et si ce refus doit lui faire perdre sa
place, il s'en consolerait, en pensant qu'il vaut mieux quitter les
affaires sur une pareille question que d'en sortir plus tard moins
honorablement. Mais comment cela va-t-il finir? Ce qui paraît le plus
vraisemblable, c'est l'entrée de M. Molé au ministère. M. Thiers voudrait
bien arriver à la Présidence, mais il n'ose pas encore y prétendre
formellement. M. Molé ne resterait pas longtemps; ses moyens, son
caractère, son entourage, tout le fera promptement tomber; ce sera
suffisant à M. Thiers pour arriver à son but, du moins il s'en flatte.
Il eût bien mieux aimé cependant que M. de Rigny se fût chargé du rôle
qu'il destine à M. Molé; mais là, toute son éloquence a échoué!»


_Valençay, 1er novembre 1834._--On m'écrit, de Paris, qu'un article très
injurieux pour M. de Talleyrand et pour moi vient de paraître dans une
revue périodique; il y a bien des années que je suis agonisée d'injures,
de libelles, de mille saletés, calomnies et horreurs, et j'en aurai ainsi
pour le reste de ma vie. Vivant dans la maison et dans la confiance de M.
de Talleyrand, me trouvant, d'ailleurs, à l'époque la plus libellique, la
plus vaniteuse, comment aurais-je échappé à la licence de la presse, à
ses attaques, à ses injures? J'ai été longtemps à m'y accoutumer: j'en ai
été cruellement atteinte, bouleversée, malheureuse; je n'arriverai même
jamais à y rester indifférente. Une femme ne saurait l'être, et aurait,
ce me semble, mauvaise grâce à le devenir; mais comme il serait également
absurde de laisser son repos à la merci des gens qu'on méprise, j'ai pris
le parti de ne rien lire en ce genre, et plus j'y suis directement
intéressée, plus je désire ignorer. Je ne veux pas savoir le mal qu'on
pense, qu'on dit ou qu'on écrit de moi ou de mes amis. Si ceux-ci font
des fautes, ou que moi j'aie des torts, je les connais de reste, et
désire les oublier. Quant à la calomnie, elle me dégoûte et m'indigne, et
je ne vois pas pourquoi j'en recevrais les éclaboussures dans mes
affections et dans mes intérêts les plus chers. Si on pouvait lutter,
combattre et éclairer, à la bonne heure; il faudrait alors savoir pour
être en état de répondre; mais comme répondre serait déplorable et que le
silence est prescrit, ne vaut-il pas mieux éviter une connaissance
pénible et stérile? Les peines, les amertumes sont si nombreuses dans la
vie, il en est un si grand nombre d'inévitables, que je ne songe plus
qu'à en écarter le plus que je puis, sûre qu'il restera toujours
suffisamment de quoi exercer mon courage et ma résignation.

Un autre de mes motifs pour ne pas approfondir la malveillance, c'est que
j'ai trop de peine à la pardonner; car si la reconnaissance est une des
qualités les plus profondément gravées dans la bonne partie de ma nature,
je crains toujours que la rancune lui serve de contrepoids: je n'ai
jamais oublié ni un service, ni un mot d'amitié, mais je me suis trop
souvent peut-être souvenue d'une injure ou d'une parole hostile. Ce n'est
pas, Dieu merci, que la rancune me conduise à la vengeance, non; ma
mémoire, quelque amère qu'elle puisse rester, ne m'a jamais inspirée
hostilement contre ceux qui m'ont offensée; mais alors c'est moi-même qui
souffre; je ne connais rien de plus douloureux au monde que d'éprouver de
la malveillance, et tout inoffensive et silencieuse qu'elle reste au
dehors, elle me ronge en dedans, et me fait mal en rongeant l'âme et
rompant l'équilibre.

Je n'ai eu, hélas! que trop d'occasions de scruter, d'analyser,
d'anatomiser, de disséquer mon _moi moral_. Qui est-ce qui n'a pas sa
maladie chronique morale, comme sa maladie physique? Et qui est-ce qui, à
un certain âge, ne sait pas ou ne doit pas savoir le régime qui convient
le mieux à son esprit comme à son corps?


_Valençay, 4 novembre 1834._--J'arrive d'une course que nous avons faite
à Blois et dans les environs, avec nos Anglais qui retournaient à Paris.
Avant-hier, nous avons visité Chambord, qui a paru, ce qu'il est en
effet, bizarre, original, curieux, riche de détails, du reste dans un
assez vilain pays et dans un état déplorable. La fenêtre de l'oratoire de
Diane de Poitiers, sur laquelle François Ier avait écrit ses deux vers
impertinents sur les femmes, existe encore[52], mais les carreaux sont
brisés; ces vers étaient peu honorables pour un Roi chevalier. Le lieu où
le _Bourgeois gentilhomme_ fut représenté pour la première fois devant
Louis XIV existe aussi, ainsi que la table sur laquelle on a ouvert et
embaumé le corps du maréchal de Saxe qui est mort à Chambord; c'est même
le seul objet mobilier qui soit resté dans le château.

  [52] Souvent femme varie,
       Bien fol est qui s'y fie!

Nous sommes revenus assez tard à Blois, et hier, dans la matinée, nous
avons visité le château de Blois, maintenant une caserne, et certes, un
des plus curieux monuments de France. Bâti des quatre côtés, il offre
quatre architectures différentes. La partie la plus ancienne date
d'Étienne de Blois, Roi d'Angleterre, souche des Plantagenet; la seconde
de Louis XII, où son emblème, un porc-épic avec le motto: _Qui s'y
frotte, s'y pique_, se trouve encore. Puis la partie François Ier, avec
tout l'élégant cachet de la Renaissance; c'est là que le duc de Guise a
été assassiné, que Catherine de Médicis est morte; c'est là qu'est la
salle des fameux États généraux de Blois: on voit la cheminée dans
laquelle on a brûlé le corps de Guise et le cachot où le cardinal et
l'archevêque de Lyon ont été enfermés; la petite niche où Henri III a
placé les moines auxquels il ordonnait de prier pour le succès de
l'assassinat; la fenêtre par laquelle Marie de Médicis s'est sauvée, et
l'appartement où la veuve de Jean Sobieski est morte[53]. Le quatrième
côté enfin, bâti par Gaston d'Orléans dans le style des Tuileries, n'a
jamais été achevé. Près du château est un vieux pavillon où étaient les
bains de Catherine de Médicis; à côté, une vieille masure qui servait de
retraite aux mignons de Henri III.

  [53] Marie-Casimire d'Arquien, morte en 1716.

En revenant de cette course ici, j'ai eu la triste nouvelle de la mort de
la princesse Tyszkiewicz, qui a expiré avant-hier à Tours. C'est moi qui
ai dû l'apprendre à M. de Talleyrand. A son âge, de semblables pertes
frappent davantage la pensée que le cœur; on y voit plutôt un
avertissement personnel qu'on n'y trouve une affliction. Il était plus
saisi que moi; moi plus affligée que lui, car j'aimais réellement la
Princesse; je lui étais profondément reconnaissante de tout ce qu'elle a,
jadis, été pour moi et, quoiqu'elle se soit survécu à elle-même, je ne
puis songer sans peine à toute cette partie du passé qui s'enterre avec
elle. Car on perd, avec des amis, non seulement eux-mêmes, mais encore
une partie de soi-même.

M. de Talleyrand a été du même avis que moi, qu'il ne fallait pas laisser
reposer au milieu d'étrangers cette pauvre et illustre personne, nièce du
dernier Roi de Pologne, sœur unique de l'infortuné maréchal prince
Poniatowski: elle sera enterrée à Valençay.

Une lettre arrivée hier soir ici, de Paris, disait ceci: «Il n'y a rien
de fait pour le ministère; cela finit par être extrêmement ridicule; les
intrigues se continuent. Avant-hier, on croyait tout fait et que Thiers
partait pour Valençay; hier tout était changé, et on en est au même
point. Il n'y a jamais eu un dissolvant pareil à Thiers; nous payons cher
son talent de parole; il faudrait cependant bien en finir. M. de Rigny
est tout prêt à se retirer, M. Guizot porte toujours Broglie pour la
présidence du Conseil et Thiers pousse Molé.»


_Valençay, 6 novembre 1834._--L'autre jour, M. Royer-Collard m'a raconté
quelque chose d'amusant, parce que cela le peint très bien. Il me disait
que la seconde Mme Guizot lui reprochait vivement de renier la
_doctrine_, de se refuser à en être le père, l'appui, le défenseur, et de
ce qu'en se plaignant, comme il le faisait, d'être réclamé par eux, il
causait beaucoup d'embarras à ceux qui en étaient; que c'était mal et
qu'elle le priait, par cette considération, de ne plus les attaquer, les
tourner en ridicule et les renier, comme il le faisait à chaque occasion:
«Ah! madame! vous voulez donc qu'en laissant le public dans l'erreur, je
me prive de ma consolation et de ma vengeance!» Elle était furieuse... La
seule, mais très vive irritation de M. Royer-Collard est contre tout ce
qui touche à M. Guizot et tout ce qui en porte le nom; cette irritation
n'est peut-être pas sans quelque fondement. M. Royer n'a aucun goût pour
M. de Broglie, dont la haute vertu ne lui a pas paru être à la hauteur
des dernières circonstances; et quant à Mme de Broglie, il l'aime encore
moins, parce que sa dévotion ne la préserve d'aucune des agitations et
même des intrigues politiques; le contraste que cela produit lui déplaît.


_Valençay, 7 novembre 1834._--Voici une anecdote parfaitement certaine
qui m'a été contée par un témoin oculaire et qui m'a beaucoup frappée. M.
Casimir Perier est mort, comme on sait, du choléra; mais en outre il
était complètement fou dans les derniers dix jours de sa vie, disposition
qui s'était déjà manifestée chez plusieurs membres de sa famille. Eh
bien! quelques heures avant sa mort, deux des ministres ses collègues,
avec deux de ses frères, causaient dans un coin de sa chambre des
embarras que l'arrivée de Mme la duchesse de Berry produisait en Vendée,
des difficultés qui en résultaient pour le gouvernement, du parti qu'il y
aurait à prendre, de la responsabilité qui en résulterait, et de la
terreur de chacun de l'affronter. Cette conversation fut, tout à coup,
interrompue par le malade, qui, se dressant sur son lit, s'écria: «Ah! si
le président du Conseil n'était pas fou!» Puis, retombant sur son
oreiller, il se tut et mourut bientôt après. Cela n'est-il pas frappant
et ne fait-il pas frissonner comme le _Roi Lear_?


_Valençay, 9 novembre 1834._--J'ai été hier à Châteauvieux voir M.
Royer-Collard. Il avait reçu des lettres de plusieurs des ministres
démissionnaires. On lui mande qu'aussitôt les cinq démissions données,
toutes cinq _galamment_ acceptées, le Roi a fait chercher M. Molé, et lui
a confié, avec la présidence du Conseil, la recomposition totale du
Cabinet. M. Molé a demandé vingt-quatre heures pour réfléchir sur
lui-même et voir avec qui il pourrait s'entendre, mais chacun ayant
décliné le fardeau dont il offrait le partage, il a été obligé de s'y
soustraire également, et tout était retombé dans le vague et peut-être
l'impossible.

Il y a un déchaînement nouveau dans presque tous les journaux contre M.
de Talleyrand; les uns le tuent, les autres le disent malade de corps et
d'esprit, d'autres l'injurient grossièrement et salement. M.
Royer-Collard explique cette nouvelle reprise de fureur par la crainte
que la présidence du Conseil ne soit offerte à M. de Talleyrand et
acceptée par lui. Il paraît que beaucoup de gens, frappés de la pénurie
d'hommes, voudraient qu'on s'adressât ici, et que la terreur que cela
inspire à de certains autres envenime toutes leurs démarches, leurs
paroles et leurs écrits. Quel triste honneur que d'être ainsi le
pis-aller de quelques-uns et l'objet de la haine de plusieurs autres, et
cela à un âge où le besoin seul du repos doit dominer et où la seule et
dernière condition permise est de finir honorablement!


_Valençay, 10 novembre 1834._--Voici l'extrait d'une lettre que j'ai
reçue hier de M. Royer-Collard: «Je dirai fort sérieusement à M. de
Talleyrand, qu'après quatre années d'absence, je ne m'étonne pas qu'il
mette plus d'importance aux articles de journaux qu'ils n'en ont
réellement aujourd'hui. Il ne sait pas à quel point le prestige de la
presse est usé comme tous les autres; qui répondrait à un journal après
deux ou trois jours ne serait pas compris, on aurait oublié. Il n'est
plus donné à la témérité des paroles d'élever ou d'abaisser un
personnage; dans le débordement de la louange, comme de l'injure, on
reste ce que l'on est. C'est le procès de nos mauvais jours!

«Non, il n'y a rien de fait à Paris; c'est que rien de spécieux n'est
possible. Ici se révèlent les véritables conséquences de la dernière
révolution. M. de Talleyrand a eu l'habileté et le bonheur de la faire
tourner à sa gloire, mais il ne recommencerait pas ce miracle. Sa
dernière habileté sera de finir à temps, je dirais volontiers de rompre à
la fois avec l'Angleterre et la France, telles que cette année-ci les a
faites. Je reviens souvent à l'idée qu'il aurait fallu dénouer dès
l'année dernière, et se mettre en sûreté; il était naturel de s'y
tromper, je m'y suis trompé aussi. Vous seule, madame la Duchesse, disiez
vrai. Dans ce même fauteuil d'où je vous écris aujourd'hui, je vous
combattais en aveugle, car vous seule pouviez bien savoir, bien juger.
J'ai eu tort; c'est un hommage de plus que j'aime à vous rendre.»


_Valençay, 11 novembre 1834._--M. Damer mande de Paris ce qui suit:
«Avez-vous entendu une horrible histoire relative à Mme et à Mlle de
Morell, sœur et nièce de M. Charles de Mornay, et qui est arrivée à
l'École militaire de Saumur[54]? Un jeune homme de cette ville, nommé M.
de La Roncière, assez mauvaise tête, est devenu amoureux de Mme de
Morell; elle a fait, ou non, quelques coquetteries pour lui, c'est ce que
je ne sais pas exactement, mais finalement, elle lui a donné son congé.
Il a résolu alors de se venger, et a fait la cour à la fille, jeune
personne de dix-sept ans; il lui écrivait continuellement et la menaçait
de tuer son père et sa mère si elle ne l'écoutait pas. Elle a été
trouvée, une nuit, dans une espèce d'état de folie. Le jeune homme, ayant
appris son état, s'est enfui de l'École, mais a été arrêté depuis. Il a
montré alors des lettres, supposées ou non, qu'il prétend lui avoir été
écrites par la mère et par la fille et qui les compromettraient
gravement. On dit que Charles de Mornay est arrivé à Paris à cause de
cette affaire.»

  [54] Cette affaire amena un procès criminel qui fit grand bruit.
  Émile de La Roncière fut traduit devant le jury d'Angers en 1835,
  et malgré l'habileté de son défenseur, Me Chaix-d'Est-Ange, il
  fut condamné à dix ans de réclusion. En 1843, le Roi
  Louis-Philippe lui fit remise de deux années de détention qui lui
  restaient encore à faire.


_Valençay, 12 novembre 1834._--Une lettre écrite avant-hier de Paris,
pendant que le Roi signait, dans le cabinet voisin, l'ordonnance
créatrice du nouveau ministère, qui n'a pu paraître que dans les journaux
d'hier matin, nous est arrivée ici hier soir. Elle apporte des noms
inattendus et presque nouveaux. Il n'y aurait peut-être pas grand mal à
cela, s'ils l'étaient tous également, mais il en est un, vieilli dans
les fastes de l'Empire, et auquel on en a attribué la perte, le duc de
Bassano; il en est un autre, celui de M. Bresson, qui ébahira
probablement, et qui, pour l'invraisemblable, aurait mérité la fameuse
lettre sur le mariage de M. de Lauzun. Je n'ai pas besoin de dire les
réflexions qu'il nous a fait faire, à nous, gens de Londres, qui avons vu
naître, se perdre et ressusciter l'individu, le tout avec une si
merveilleuse rapidité! Je n'ai pas besoin de dire, non plus, que cette
solution ministérielle fixe toutes les irrésolutions de M. de Talleyrand
et donnera des ailes à sa démission de l'ambassade de Londres.


_Valençay, 13 novembre 1834._--Voici l'impression produite sur M.
Royer-Collard par la nouvelle phase ministérielle: «Mais c'est un
ministère Polignac! Je m'attendais à tout plutôt qu'à cette aventure. Je
suis bien étonné que M. Passy, qui a du mérite et de l'avenir, se soit
enrôlé dans cette troupe. Voilà l'ancien Cabinet jeté dans l'opposition;
mais soit qu'il attaque, soit qu'il appuie traîtreusement, il se fraye un
chemin au retour; il reviendra, cela me paraît infaillible.» Le mot
_aventure_ est le mot propre, car assurément, ce que tout ceci est le
moins, c'est une _combinaison_.


_Valençay, 16 novembre 1834._--Nous avons appris, par le courrier d'hier
au soir, que le ministère de fantaisie avait vécu «ce que vivent les
roses, l'espace d'un matin». La comparaison n'est pas choquante. Ce sont
MM. Teste et Passy qui, le 13 au soir, sont venus remettre au Roi leur
démission, motivée sur la situation pécuniaire du duc de Bassano. Ces
démissions devaient entraîner les autres, et, en effet, le lendemain
matin, M. Charles Dupin est venu offrir la sienne, et M. de Bassano a
reconnu qu'il ne pouvait plus rien faire et que, dès lors, «tout était
dit et fini».

Avant-hier 14, à quatre heures du soir, rien n'était arrangé, ni projeté,
ni espéré. Quelle cruelle et déplorable situation pour le Roi! Si on
voulait faire une pièce de théâtre de cette crise ministérielle, on ne
pourrait même pas lui appliquer la règle des vingt-quatre heures!

Je trouve la conduite de MM. Teste et Passy impardonnable! Il paraît que
c'est eux qui avaient le plus insisté, dans l'origine, pour que le duc de
Bassano obtînt la Présidence avec le ministère de l'Intérieur, et,
certes, ils n'en étaient pas alors à apprendre la situation pécuniaire de
M. de Bassano; car, depuis deux ans, elle était connue de tout le monde.


_Valençay, 18 novembre 1834._--Voici le passage important d'une lettre
écrite hier par M. de Talleyrand à Madame Adélaïde: «Quel soulagement! Je
remercie de bon cœur le maréchal Mortier d'avoir accepté la présidence
du Conseil! Je voudrais faire comme lui, et remonter à la brèche; mais
l'Angleterre pour moi est hors de question! Vienne me plairait, sans
doute, à beaucoup d'égards, et conviendrait d'ailleurs à Mme de Dino, que
tout son dévouement pour moi console difficilement de quitter Londres, où
elle a été si bien appréciée; mais, à mon âge, on ne va plus chercher
les affaires si loin de ses foyers! S'il ne s'agissait que d'une mission
spéciale, auprès d'un Congrès; d'une réunion telle que celles de Vérone
et d'Aix-la-Chapelle, je serais prêt. Et si pareille circonstance, qui
n'est rien moins qu'invraisemblable, se présentait et que le Roi me crût
encore capable de bien représenter la France, qu'il me donne ses ordres
et je pars à l'instant, heureux de lui consacrer mes derniers jours. Mais
une mission permanente ne peut plus me convenir, à Vienne surtout, où
l'on m'a vu, il y a vingt ans, l'homme de la Restauration. Mademoiselle
a-t-elle bien songé à un pareil rapprochement? Et cela en regard de
Charles X, de Madame la Dauphine qui vient souvent à Vienne, et qui
reçoit tous les honneurs dus à son rang, à ses malheurs, et à sa proche
parenté? Simples particuliers en Angleterre, les Bourbons de la branche
aînée sont des Princes, presque des prétendants en Autriche; c'est, pour
l'ambassadeur du Roi, une énorme différence; peu sensible peut-être pour
tel ou tel, mais décisive pour moi dans la vie duquel 1814 reste écrit en
gros caractères.--Non, Madame, il n'y a plus pour moi d'autre existence
que celle d'une retraite sincère et complète, d'une vie privée simple et
paisible. Ceux qui voudront me supposer quelque arrière-pensée seront de
mauvaise foi: à mon âge, on ne s'occupe plus que de ses souvenirs,
etc.[55]...»

  [55] Cette lettre, dont il n'est cité ici qu'une partie, a été
  donnée tout entière par la comtesse de Mirabeau dans son livre:
  _Le prince de Talleyrand et la Maison d'Orléans_, et se trouve
  aussi dans le tome V des _Mémoires_ du prince de Talleyrand,
  parus en 1892.

Le _Journal des Débats_ annonce la démission de M. de Talleyrand, et,
dans son intrigue, cherche à la rattacher au ministère Bassano[56].
Assurément, de tout, c'est ce qui l'aurait le mieux expliquée, mais elle
n'a été motivée par aucun des noms français qui ont successivement occupé
le public depuis quinze jours. Il y avait une manière plus convenable,
plus élevée, plus vraie d'en parler; mais l'esprit de parti dénature tout
à son propre profit! A la bonne heure, nous n'avons plus à y regarder.

  [56] Voici, en entier, cette lettre de démission, quoiqu'elle ait
  déjà paru dans les _Mémoires_ de M. de Talleyrand:

  _Lettre du prince de Talleyrand à M. le ministre des Affaires
  étrangères._


    MONSIEUR LE MINISTRE,

  Lorsque la confiance du Roi m'appela, il y a quatre ans, à
  l'ambassade de Londres, la difficulté même me fit obéir; je crois
  l'avoir accomplie utilement pour la France et pour le Roi, deux
  intérêts toujours présents à ma pensée. Dans ces quatre années, la
  paix générale maintenue a permis à toutes nos relations de se
  simplifier; notre politique, d'isolée qu'elle était, s'est mêlée à
  celle des autres nations; elle a été acceptée, appréciée, honorée
  par tous les honnêtes gens de tous les pays. La coopération que
  nous avons obtenue de l'Angleterre n'a rien coûté ni à notre
  indépendance, ni à nos susceptibilités nationales; et tel a été
  notre respect pour le droit de chacun, telle a été la franchise de
  nos procédés, que loin d'inspirer de la méfiance, c'est notre
  garantie que l'on réclame aujourd'hui, contre cet esprit de
  propagandisme qui inquiète la vieille Europe. C'est assurément à la
  haute sagesse du Roi, à sa grande habileté, qu'il faut attribuer des
  résultats aussi satisfaisants. Je ne réclame pour moi-même d'autre
  mérite que celui d'avoir deviné, avant tous, la pensée profonde du
  Roi, et de l'avoir annoncée à ceux qui se sont convaincus, depuis,
  de la vérité de mes paroles. Mais aujourd'hui que l'Europe connaît
  et admire le Roi; que, par cela même, les principales difficultés
  sont surmontées; aujourd'hui que l'Angleterre a, peut-être, un
  besoin égal au nôtre, de notre alliance mutuelle, et que la route
  qu'elle paraît vouloir suivre doit lui faire préférer un esprit à
  traditions moins anciennes que le mien; aujourd'hui, je crois
  pouvoir, sans manquer de dévouement au Roi et à la France, supplier
  respectueusement Sa Majesté d'accepter ma démission, et vous prie,
  Monsieur le Ministre, de la lui présenter. Mon grand âge, les
  infirmités qui en sont la suite naturelle, le repos qu'il conseille,
  les pensées qu'il suggère, rendent ma démarche bien simple, ne la
  justifient que trop, et en font même un devoir. Je me confie à
  l'équitable bonté du Roi pour en juger.

    Agréez, Monsieur le Ministre, l'assurance de ma très haute
      considération.

    Le prince DE TALLEYRAND.

    Valençay, 13 novembre 1834.

(Le _Moniteur universel_ du 7 janvier 1835 donna cette lettre.)

On assure que, pendant la crise ministérielle, M. de Rigny s'est conduit
avec fermeté, dignité et convenance. Il n'en a pas été ainsi de tout le
monde, et voici un détail curieux sur l'exactitude duquel on peut
compter. Dans ce fameux Conseil d'il y a dix jours, dans lequel chacun a
jeté son masque et où M. Guizot a voulu imposer M. de Broglie au Roi,
comme ministre des Affaires étrangères, le Roi a dit en levant la main:
«Jamais cette main ne signera l'ordonnance qui rappellera M. de Broglie
aux Affaires étrangères.» Alors M. Guizot a sommé le Roi de déclarer
pourquoi il s'y refusait: «Parce que, a répondu celui-ci, M. de Broglie a
failli me brouiller avec l'Europe. J'en appelle au témoignage de M. de
Rigny ici présent (lequel a fait silencieusement un signe
d'acquiescement), et si on voulait me faire violence, je parlerais.--Et
nous, Sire, nous écrirons,» a repris M. Guizot... Peut-on rien imaginer
de semblable? Et voit-on après cela toutes ces mêmes figures assises au
même tapis vert et réglant, d'un commun accord, les destinées de
l'Europe?


_Valençay, 19 novembre 1834._--Nous avons appris, hier au soir, par une
lettre de Londres, le grand événement du changement de ministère en
Angleterre, et le retour des Tories au pouvoir[57]. Ce matin déjà, un
courrier du Roi est arrivé ici, porteur d'une lettre de la main même de
Sa Majesté, et d'une de Mademoiselle. Caresses, prières, supplications,
il y a de tout dans ces lettres. Mon nom même, répété sans cesse, est
appelé à l'aide. Tout cela est employé pour déterminer M. de Talleyrand à
reprendre son ambassade de Londres. Le Prince royal m'écrit dans ce sens
de la manière la plus pressante; toutes les autres lettres reçues par la
poste sont dans le même esprit. Mme Dawson Damer m'écrit qu'elle espère
que le changement du Cabinet anglais fera retirer la démission de M. de
Talleyrand, et que la Reine d'Angleterre ne me pardonnerait pas s'il en
était autrement. Lady Clanricarde me dit qu'elle a d'autant plus peur de
voir échouer les Tories dans leur essai, que cela ferait retomber
l'Angleterre dans les griffes de lord Durham, et qu'elle ne voit qu'un
côté agréable à tout ceci, c'est la presque certitude de mon retour à
Londres. C'est fort gracieux, mais nullement concluant.

  [57] Le Cabinet whig, présidé par lord Melbourne, était tombé le
  15 novembre, et fit place à un ministère tory, qui ne devait pas,
  d'ailleurs, durer plus de trois mois. Il était présidé par sir
  Robert Peel et, au ministère des Affaires étrangères, le duc de
  Wellington remplaçait lord Palmerston.

M. de Rigny m'écrit des excuses de son long silence et me paraît fort en
dégoût de la dernière quinzaine, peu rassuré sur les chances futures du
ministère français, quoique M. Humann eût accepté et que le replâtrage
fût consommé; puis il ajoute le morceau obligé sur l'_impossibilité_
pour nous de ne pas retourner à Londres, et sur la _volonté_ positive du
Roi à cet égard.

M. Raullin, de son petit coin, croit aussi devoir faire sa petite hymne
d'occasion; il dit que les doctrinaires, chez Mme de Broglie, en disaient
autant, mais que, du reste, toute cette coterie, ainsi que la Bourse et
les Boulevards, étaient dans la plus grande agitation des nouvelles
d'Angleterre. Il me mande des drôleries sur le duc de Bassano et sur M.
Humann. Le courrier qui est parti pour aller trouver celui-ci l'a trouvé
à Bar; il a dit qu'il ne répondrait que de Strasbourg. J'aime ce flegme
alsacien.

On dit aussi que l'amiral Duperré se fait tirer l'oreille pour accepter
la marine. Jusqu'à hier matin, il n'y avait que des ministres _in petto_.
M. de Bassano signait imperturbablement et travaillait au ministère de
l'intérieur avec la plus belle ardeur.

M. de Talleyrand a reçu aussi beaucoup de lettres. M. Pasquier, en
réponse à la lettre d'excuse de ne pouvoir assister au procès[58],
insinue une phrase sur les immenses services qu'on est encore appelé à
rendre. Mme de Jaucourt écrit quatre lignes sous la dictée de M. de
Rigny, pour dire: «Venez, on ne peut se passer de vous; sauvez-nous.» Et
enfin M. de Montrond, qui se taisait depuis longtemps, mande que les
nouvelles d'Angleterre sont venues tomber sur tout le monde comme des
flots d'eau bouillante, qu'on déraisonne à l'envi, que lord Granville
prend le changement chez lui de travers. Il se dit aussi chargé par le
Roi de nous faire comprendre la _nécessité_ de notre retour en
Angleterre; que MM. Thiers et de Rigny le désirent comme leur salut.

  [58] D'Armand Carrel, du _National_.


_Valençay, 24 novembre 1834._--M. de Talleyrand persiste, heureusement,
dans sa démission; mais tel est le singulier prestige qui s'attache à lui
que la Bourse de Paris baisse ou se relève selon les chances plus ou
moins probables de son départ pour Londres, que les lettres de toutes
parts l'appellent au secours, et que des gens que nous ne connaissons pas
même de nom, lui écrivent pour le supplier de ne pas abandonner la
France. Cela tient évidemment à deux choses: c'est que le public français
ne veut jamais voir dans le duc de Wellington qu'un croquemitaine en
personne, et dans M. de Talleyrand que quelqu'un que le diable emportera
un jour, mais qui, en attendant, grâce au pacte qu'ils ont ensemble,
ensorcelle à son gré l'univers. Que c'est bête, le public! Il est si
crédule dans sa foi! si cruel dans les vengeances de ses mécomptes!


_Valençay, 27 novembre 1834._--Une lettre du Roi, arrivée hier et qui est
la réponse à celle où M. de Talleyrand persistait dans sa démission, dit,
entre autres choses ceci: «Mon cher Prince, je n'ai rien vu de plus
parfait, de plus noble, de plus honorable, de mieux exprimé que la lettre
que je viens de recevoir de vous. J'en suis profondément touché. Sans
doute, il m'en coûte beaucoup de reconnaître la justesse de la plupart de
vos motifs pour ne pas retourner à Londres, mais je suis trop sincère et
trop ami de mes amis pour ne pas dire que vous avez raison[59].»

  [59] Cette lettre, dont on ne cite ici que le commencement, porte
  la date du 25 novembre, et a été donnée tout entière dans le
  livre de la comtesse de Mirabeau: _Le prince de Talleyrand et la
  Maison d'Orléans_; elle se trouve aussi dans le Ve volume des
  _Mémoires_ du Prince.

A la suite de cet exorde vient une nouvelle invitation à arriver au plus
vite à Paris, pour causer de toutes choses. M. Bresson écrit à M. de
Talleyrand une lettre fort spirituelle et fort habile, où il lui demande
de vouloir bien lui écrire toutes les moqueries que, sans doute, sa
_gloire rapide_ lui aura inspirées; il n'en veut perdre aucune.

M. de Montrond mande que le Roi dit qu'il n'y a rien de plus beau que la
lettre de M. de Talleyrand et qu'il faut se rendre à ses raisons; que du
reste, les embarras sont grands; que l'on regrette le maréchal Soult;
qu'on cherche à le ravoir. Quelle nouvelle ignominie pour nos petits
ministres! Il paraît que l'armée se désorganise.

Les Polonais qui sont venus ici pour l'enterrement de la princesse
Tyszkiewicz disent, à ce qu'il paraît, du bien de nous à Paris. Il n'y a
qu'auprès du Prince Royal que Valençay ait eu un succès contesté par
l'influence Flahaut; M. de Montrond enrage du bien qu'on dit de Valençay,
dont il a fait tant de moqueries!


_Valençay, 1er décembre 1834._--Lorsque je passai, il y a trois mois, à
Paris, j'y vis M. Daure qui écrivait, en assez mauvaise compagnie, dans
le _Constitutionnel_ et me parut assez pauvre garçon. Je lui offris de
m'intéresser auprès de M. Guizot pour lui faire obtenir de l'emploi dans
la recherche des anciens manuscrits et chartiers du Midi, dont le
ministère de l'Instruction publique s'occupe. Je fis en effet ma demande;
elle fut bien accueillie. Je partis pour ici et n'entendis plus parler de
Daure ni de ma demande à M. Guizot; mais, il y a quinze jours, je reçus
une lettre de ce dernier pour m'annoncer la nomination de Daure à la
place que j'avais demandée pour lui. J'écrivis tout de suite à Daure en
lui envoyant la lettre ministérielle, mais ne connaissant pas son
adresse, je fis faire à Paris des démarches qui restèrent infructueuses
et ma lettre attendait quelques lumières sur ce pauvre homme, lorsque
hier au soir j'ai reçu deux lettres, timbrées de Montauban, l'une de
l'écriture de Daure, l'autre inconnue. J'ouvris d'abord cette dernière:
elle est d'un abbé, ami de Daure, qui d'après les dernières volontés de
ce malheureux, m'annonce sa mort; mais quelle mort! Le suicide! La lettre
de Daure, écrite peu avant cet acte de folie, est la plus touchante, je
dirai même la plus honorable pour moi. Il y a un mot sur ceux qu'il
aimait à Londres. Je me reproche très vivement de ne l'avoir point engagé
à venir ici cette année, cela l'aurait sans doute détourné de cette
cruelle fin!

Il m'est revenu cette nuit à l'esprit que l'automne dernier, à
Rochecotte, marchant avec lui tête à tête en allant visiter mes écoles,
je lui parlais de sa destinée, de son avenir, je le prêchais sur son
désordre, sur son manque d'économie. Il me répondit avec beaucoup de
reconnaissance, en me priant de n'être nullement inquiète de lui, qu'il
avait une ressource en réserve dont il ne pouvait parler à personne, qui
était préparée depuis longtemps, et qui lui demeurerait, tout le reste
manquant; qu'il n'était pas aussi imprévoyant qu'il en avait l'air, et
qu'il était sans souci de l'avenir parce qu'il pouvait l'être. Je crus,
tout bonnement, qu'il avait amassé un peu d'argent... Sotte que j'étais!
Il s'est tué précisément au moment où nous enterrions ici la pauvre
princesse Tyszkiewicz. Quel triste mois de novembre!

Voici un petit passage de politique, extrait d'une lettre d'hier: «La
position des ministres français sera décidée dans huit jours; ils
comptent profiter de la première petite circonstance et elle ne tardera
pas à se présenter, pour parler franchement de tout ce qu'ils ont fait,
de tout ce qui s'est passé, de manière à arranger leur position pour
qu'elle soit tolérable, ou bien pour se retirer tout à fait. Ils ne
tiennent pas à rester au pouvoir, de la manière dont ils sont abreuvés de
dégoûts. Il faut voir ce que la Chambre va faire et quelle sera son
attitude. Il avait été question de faire un discours du trône, mais il a
été décidé que cela ne serait pas, et je crois qu'on a sagement fait.»


_Valençay, 2 décembre 1834._--Me voici à la veille d'une nouvelle peine:
la mort, probable, du duc de Gloucester m'en sera une réelle. Comment ne
pas regretter une estime, une confiance, une amitié aussi sincères, aussi
solidement éprouvées?

M. Daure a aussi écrit à M. Raullin. Il paraît qu'il était
particulièrement préoccupé de l'idée de ne pas reposer dans un
cimetière; il a cherché un lieu isolé et désert. Il finit sa lettre à
Raullin par le salut des gladiateurs au peuple romain: «_Ave, morituri te
salutant!_» Ses dernières lettres ne sont rien moins que d'un fou, et
cependant, comment ne pas supposer du désordre de tête? car il était
religieux, il avait toujours la Bible dans sa poche et la lisait souvent.
Il faut que son imagination inquiète et maladive ait un instant égaré son
courage et obscurci sa foi.

On m'écrit de Paris qu'on ne nommera de nouvel ambassadeur pour Londres
que quand sir Robert Peel aura constitué un gouvernement. Il a dû
traverser Paris hier, à ce que l'on croyait. Une autre raison pour
laquelle on ne nommera pas de huit à dix jours, c'est que personne ne se
soucierait d'accepter, avant que le sort des ministres français ne soit
éclairci, et il est des plus précaires. On remarque le peu d'empressement
que mettent les députés à se rendre à la Chambre, comme symptôme du peu
de goût qu'ils ont à s'occuper des querelles des ministres. Celles-ci
sont sourdes, mais réelles; toujours même révolte contre l'orgueil
pédantesque de l'un et les intrigues croisées de l'autre; l'effroi seul
de la Chambre les fait encore aller ensemble.

On dit le Roi fort attristé, et peut-être ces messieurs ne doivent-ils
leur conservation qu'à ce que la peur de la Chambre agit sur lui comme
sur eux. Il paraît qu'on se moque beaucoup à Paris d'une lettre de M.
Bresson en réponse à un mot de _la Quotidienne_. On me mande sur cette
lettre: «Voilà M. Bresson qui nous fait sa généalogie et qui nous
apprend qu'il a toujours été un homme important depuis le jour où il
remettait les dépêches au _malheureux et trop méconnu Bolivar_, jusqu'à
celui où il a failli être ministre des Affaires étrangères! Nous voilà
bien heureux d'être représentés à Berlin par quelqu'un d'aussi
considérable! Comprenez-vous cette manie de correspondre avec les
journaux? Et puis on s'étonne de la prodigieuse importance de ceux-ci!»

M. de Talleyrand est dans une véritable colère de ce que les
communications diplomatiques se colportent à la Bourse et à l'Opéra.
C'est ce qui, avec tant d'autres choses, rend de certaines gens
impossibles à servir.


_Paris, 7 décembre 1834._--Nous voici rentrés dans ce Paris dont la vie
dévorante et hachée convient si peu à M. de Talleyrand et à moi-même.
Hier déjà nous avons été envahis par mille devoirs et visites.

A midi, j'ai reçu M. Royer-Collard qui, en allant à la Chambre, venait
savoir de mes nouvelles. Il n'a fait qu'entrer et sortir, et n'était venu
réellement, je crois, que pour s'acquitter d'une commission de M. Molé.
Celui-ci l'a chargé de me dire qu'il désirait revenir chez nous, mais,
pour début, venir d'abord chez moi et me trouver seule. Ce rendez-vous a
été fixé à demain lundi, entre quatre et cinq heures.

M. Royer-Collard sorti, M. le duc d'Orléans est arrivé, et, à peine
assis, il est revenu sur un commérage de Mme de Flahaut. Tout cela s'est
passé de fort belle humeur, de fort bonne grâce, mais sans que j'aie, ce
me semble, perdu de mes avantages. J'ai été douce, mesurée, à mille
lieues de l'hostilité. Mon terrain principal a été celui-ci: «Les propos
de Mme de Flahaut sur moi ne sauraient m'atteindre, je n'y regarde pas;
il n'y a pas chance que des personnes de mondes, d'habitudes et de
situations si différents qu'elle et moi, puissions jamais nous combattre,
ni moi être heurtée par elle. Je ne lui en veux que du tort qu'elle vous
fait à vous, Monseigneur.--Mais ma principale raison pour l'aimer, c'est
qu'elle ne l'est par personne.--Ah! si c'est comme calcul de proportion,
Monseigneur doit en effet l'adorer!» Nous nous sommes mis à rire et tout
a fini là.

Il m'a parlé d'autre chose, par exemple du tort qu'il avait eu d'être
resté si longtemps sans nous écrire, après son voyage à Valençay. J'ai
répondu: «En effet, Monseigneur, cela n'était pas trop bien élevé de la
part de votre jeunesse, à l'égard du grand âge de M. de Talleyrand, mais
il y a une grâce et une franchise dans vos procédés, qui font qu'on est
ravi de vous pardonner.»

Il est arrivé alors aux questions générales. Il est fort embarrassé et
peiné de l'état des choses, irrité contre son cher ami Dupin de l'étrange
façon dont, la veille, il avait traité la Royauté, étonné de lord
Brougham dont il m'a rapporté le fait suivant. Le jour de l'arrivée de
lord Brougham à Paris, M. le duc d'Orléans l'a rencontré chez lord
Granville; il fut question (je ne trouve pas que le lieu fût bien
convenable) de l'amnistie, dont l'ex-Chancelier se déclara le partisan
violent. Le duc d'Orléans contesta, mais sans, du moins en apparence, le
convaincre. Le lendemain, aux Tuileries, lord Brougham tira un papier de
sa poche et, en montrant un coin au Prince Royal, lui dit: «Voici mes
réflexions sur l'amnistie, que je vais montrer au Roi.» (Autre manque de
convenances de la part d'un étranger.) Il remit en effet ce papier.
C'était le plaidoyer le plus animé contre l'amnistie! Quand la mobilité
va jusqu'à un certain point, elle est, ce me semble, un symptôme évident
de démence!

M. le duc d'Orléans a fini sa visite chez moi en voulant me faire sentir
l'indispensable obligation dans laquelle était M. de Talleyrand de se
rattacher d'une manière publique au gouvernement. J'ai répondu par l'état
de ses jambes. Nous nous sommes fort bien quittés.

En redescendant, j'ai trouvé l'entresol plein: Frédéric Lamb, Pozzo,
Mollien, Bertin de Veaux, le général Baudrand. Malgré ces échantillons si
divers, on parlait aussi librement de toutes choses que si on eût été sur
la place publique. Le plus vif était Pozzo, déversant un inconcevable
mépris sur le ministère français, plaignant le Roi et en parlant très
bien, gémissant sur les embarras de ses ambassadeurs au dehors à travers
tout ce qui se passe ici, et fort irrité de certains passages du discours
prononcé la veille par M. Thiers.

Nous avons été plus tard dîner chez le comte Mollien où se trouvaient M.
Pasquier, le baron Louis, Bertin de Veaux et M. de Rigny qui est arrivé
tard, apportant le vote de la Chambre; vote favorable si on veut, mais
qu'on fera payer cher au ministère, et dont M. de Rigny, du moins, a le
bon sens de ne rien conclure pour le courant de la session.

Il paraît qu'après le discours de M. Sauzet, qui a été admirable, à ce
que l'on dit, la Chambre a été hésitante, et que le ministère s'est cru
perdu. M. Thiers n'osait plus se risquer; cependant, il l'a fait, presque
en désespoir de cause, et il a, dit-on, parlé _miraculeusement_ et fait
virer de bord tout le monde. La veille, il avait fait _fiasco_, et les
Anglais surtout jettent feu et flamme contre lui de sa très singulière
phrase sur l'Angleterre qui, en effet, est inconcevable; mais hier, il a
eu évidemment le triomphe le plus complet.

Un fait singulier, et dont je suis certaine, c'est celui-ci: M. Dupin
avait promis au Roi, il y a trois jours, de soutenir l'ordre du jour
motivé. Avant-hier, il a voté contre; hier il a parlé encore une fois
contre, et... il a voté pour!--Pourquoi? Parce qu'après le discours de M.
Sauzet, les ministres, se croyant perdus, ont été dire à M. Dupin:
«Monsieur le Président, préparez-vous à aller chez le Roi, et ayez votre
Cabinet tout prêt, car d'ici à une heure, nous aurons donné nos
démissions.» M. Dupin, très empêtré, a dit: «Mais je ne croyais pas que
tout ceci deviendrait si sérieux; je ne veux pas votre chute, car je ne
me soucie nullement que le «paquet» me retombe sur les bras.» En disant
cela, il cherchait à s'esquiver, et à laisser un vice-président à sa
place, lorsque Thiers, le prenant par le bras, lui a dit: «Non, monsieur
le Président, vous ne sortirez pas d'ici que la question ne soit vidée;
si elle l'est contre nous, vous n'irez pas ailleurs que chez le Roi où
vous serez condamné à être ministre.» C'est, sans doute, fort curieux;
mais quel monde! Quelles gens!


_Paris, 8 décembre 1834._--Hier, en rentrant chez moi, à quatre heures,
j'ai été étonnée d'y voir arriver le duc d'Orléans, que je croyais déjà
sur la route de Bruxelles; mais il ne devait partir qu'une heure plus
tard, et il était venu pour me dire que sir Robert Peel avait passé par
Paris et avait envoyé son frère, à lui, duc d'Orléans, qu'il connaît
beaucoup, prier le Prince Royal de l'excuser auprès du Roi, s'il ne
demandait pas à avoir l'honneur de lui faire sa cour, mais Sa Majesté
comprendrait aisément que dans les circonstances actuelles, les heures
étaient des siècles. Nous avons conclu deux choses de cette démarche. La
première, c'est que sir Robert Peel était décidé à accepter le ministère,
puisqu'un simple particulier ne se serait pas cru assez d'importance pour
envoyer un tel message; et la seconde, c'est que la courtoisie des
paroles prouvait plutôt de bonnes dispositions pour la France que le
contraire.

A propos de sir Robert Peel, j'ai reçu hier une lettre de lui, écrite de
Rome, à l'occasion du ministère Bassano, très polie, obligeante, et dans
laquelle il dit que ce qui l'effraye le plus dans cette combinaison,
c'est la crainte qu'elle n'empêche M. de Talleyrand de retourner à
Londres.


_Paris, 9 décembre 1834._--Frédéric Lamb, qui est venu chez moi hier
matin, m'a raconté des choses fort curieuses; il m'a appris encore pis
que ce que je savais déjà sur lord Palmerston; des détails inconcevables,
par exemple, sur la conduite de celui-ci dans la question d'Orient, dont
nous n'avions pu, nous autres, à Londres, juger que la superficie, et sur
mille autres choses. Il m'a dit que, lors de la querelle entre
l'Angleterre et la Russie, à propos de sir Stratford Canning, Mme de
Lieven avait désiré que la chose pût s'arranger, de façon à ce que
Frédéric Lamb fût à Pétersbourg et sir Stratford Canning à Vienne. Cela
fut proposé au prince de Metternich qui répondit: «Cet arrangement
n'arrangera rien, car le seul ambassadeur que nous soyons décidés à ne
jamais recevoir, c'est sir Stratford Canning.»

Il m'a dit encore que M. de Metternich disait de lord Palmerston: «C'est
un tyran, et nous ne sommes plus au siècle de la tyrannie.»

Frédéric Lamb déteste lord Granville; du reste, il ne croit pas au succès
du Cabinet tory, mais il ne croit pas non plus que son héritage tombe
nécessairement aux radicaux. Il croit à la rentrée de lord Grey et
cherche les moyens d'évincer lord Palmerston et lord Holland. Il dit,
comme Pozzo, comme M. Molé, des choses inouïes de M. de Broglie; jamais
on n'a fait plus de fautes que celui-ci, à les en croire.

En rentrant chez moi, hier à quatre heures, j'ai reçu M. Molé. Tout s'est
passé comme si nous nous étions vus la veille: lui, me parlant, comme
jadis, de lui, de ses affections, intimités, dispositions d'esprit, avec
ce charme qui lui est propre. Il m'a dit que j'étais beaucoup plus
aimable qu'il y a quatre ans; il est resté près d'une heure. J'ai
toujours trouvé qu'on ne causait avec personne aussi parfaitement bien,
rapidement, agréablement, qu'avec lui; il est de très bon goût, à une
époque à laquelle personne ne l'est plus; il n'a, peut-être, pas l'âme
assez haute pour dominer, mais il a l'esprit assez élevé pour ne pas se
dégrader, et c'est déjà beaucoup.

Bien des noms propres, bien des faits et des choses ont repassé devant
nos yeux dans cette heure, et j'ai été très satisfaite du naturel avec
lequel il a tout abordé. Il m'a dit que j'avais dans l'esprit une équité
qui rassurait toujours, ceux même qui pourraient craindre mon inimitié;
enfin, tout a été pour le mieux. Je ne suis pas sûre que cela se passe
aussi bien entre M. de Talleyrand et lui. Je suis chargée d'arranger leur
entrevue, et tous deux, ce qui est assez drôle, m'ont priée d'être
présente à cette première rencontre.

M. Molé m'a raconté avoir, la veille, écrit à M. Dupin pour refuser de
dîner chez lui, en motivant son refus sur la manière dont celui-ci avait,
à la tribune, travesti les rapports purement officieux et nullement
officiels qu'ils avaient eus ensemble, il y a quinze jours. M. Molé m'a
dit encore qu'il ne songeait pas du tout, comme quelques personnes le
prétendaient, à l'ambassade d'Angleterre, parce qu'il ne voulait rien
accepter du ministère actuel.

Il ne voit plus du tout le duc de Broglie. Il croit que Rayneval est le
seul ambassadeur possible à Londres en ce moment et compte aussi en
parler au Roi, avec lequel il dit qu'il est très bien. Il salue à peine
Guizot et n'est que très froidement avec Thiers.


_Paris, 10 décembre 1834._--C'était, hier soir, une défilade
assourdissante de visites chez M. de Talleyrand. Il s'est dit beaucoup de
choses, dont voici les seules qui m'ont paru piquantes.

C'est Frédéric Lamb, qui est venu le premier, et avec lequel nous avons
été assez longtemps seuls, qui nous les a contées. Il nous a beaucoup
parlé de M. de Metternich et de son dire, il y a quatre mois, sur le Roi
Louis-Philippe: «Je l'ai cru un intrigant, mais je vois bien que c'est un
Roi.» Il nous a dit encore que le jour de la chute du dernier ministère
anglais, lord Palmerston en avait mandé la nouvelle au chargé d'affaires
d'Angleterre, à Vienne, en l'invitant à la transmettre à M. de
Metternich, et en ajoutant: «Vous ne serez jamais dans le cas de faire à
M. de Metternich une communication qui lui fasse plus de joie.» Le chargé
d'affaires porte cette dépêche au Prince, et, je ne sais pourquoi, la lit
tout entière, même cette dernière phrase. M. de Metternich a répondu
ceci, que je trouve de très bon goût: «Voici une nouvelle preuve de
l'ignorance dans laquelle lord Palmerston est des hommes et des choses;
car je ne puis me réjouir d'un événement dont je ne puis mesurer encore
les conséquences. Dites-lui que ce n'est pas avec joie que je l'accepte,
mais bien avec espérance.»


_Paris, 12 décembre 1834._--Nous avons dîné hier aux Tuileries, M. de
Talleyrand, les Mollien, les Valençay, le baron de Montmorency et moi.
J'étais assise entre le Roi et le duc de Nemours; ce dernier a un peu
vaincu sa timidité; il lui en reste cependant beaucoup. Il est blanc,
blond, rose, mince et transparent comme une jeune fille, pas joli à mon
gré.

On ne saurait avoir une conversation plus intéressante que celle du Roi,
surtout lorsque, laissant la politique de côté, il veut bien fouiller
dans les nombreux souvenirs de son extraordinaire vie. J'ai été frappée
de deux anecdotes qu'il m'a racontées à merveille, et quoique je craigne
de les défigurer en les racontant moins bien, je veux cependant les dire.
Un portrait de M. de Biron, duc de Lauzun, qu'il vient de faire copier
sur celui que M. de Talleyrand lui a prêté, était là, et a fait
naturellement parler de l'original. A ce sujet, le Roi m'a conté qu'en
revenant à Paris en 1814, à sa première réception, il vit approcher un
homme âgé qui lui demanda de vouloir bien lui accorder quelques minutes
d'entretien un peu à part de la foule. Le Roi se plaça dans l'embrasure
d'une croisée, et là, l'inconnu tira de sa poche une bague montée avec le
portrait de M. le duc d'Orléans, père du Roi, et dit: «Lorsque le duc de
Lauzun fut condamné à mort, j'étais au Tribunal révolutionnaire; en
sortant, M. de Biron s'arrêta devant moi qu'il avait quelquefois
rencontré, et me dit: «Monsieur, prenez cette bague et promettez-moi que,
si jamais l'occasion s'en présente, vous la remettrez aux enfants de M.
le duc d'Orléans, en les assurant que je meurs fidèle ami de leur père et
serviteur dévoué de leur maison.» Le Roi fut, comme de raison, touché du
scrupule avec lequel, après tant d'années, la mission avait été
accomplie. Il demanda à l'inconnu de se nommer; il s'y refusa en disant:
«Mon nom ne peut vous être utile à savoir; il réveillerait peut-être des
souvenirs fâcheux; j'ai acquitté ma parole donnée à un mourant, vous ne
me reverrez ni n'entendrez jamais parler de moi.» En effet, il ne s'est
jamais manifesté depuis.

Voici la seconde anecdote. Lorsque le Roi actuel était encore en
Angleterre, ainsi que Louis XVIII et M. le comte d'Artois, celui-ci
voulait absolument obliger son cousin à porter l'uniforme des émigrés
français et notamment la cocarde blanche, ce à quoi M. le duc d'Orléans
s'est constamment refusé, disant que jamais il ne la prendrait. Il était
toujours en frac; cela avait même donné lieu à quelques explications
assez aigres. En 1814, M. le duc d'Orléans prit la cocarde blanche avec
toute la France, et M. le comte d'Artois l'habit de colonel-général de la
garde nationale. Le premier jour que M. le duc d'Orléans fut chez M. le
comte d'Artois, celui-ci lui dit: «Donnez-moi votre chapeau.» Il le prit,
le retourna, et jouant avec la cocarde blanche dit: «Ah! ah! mon cousin!
qu'est-ce que c'est donc que cette cocarde? Je croyais que vous ne deviez
jamais la porter?--Je le croyais aussi, Monsieur, et je croyais en outre
que vous ne deviez jamais porter l'habit que je vous vois; je regrette
bien que vous n'y ayez pas joint la cocarde qu'il entraîne.--Mon cher,»
reprit Monsieur, «ne vous y trompez pas: un habit ne signifie rien. On le
prend, on le quitte, et c'est assez égal. Mais une cocarde, c'est
différent: c'est un symbole de parti, un signe de ralliement, et votre
signe particulier ne devait pas être vaincu.» Ce que j'ai aimé chez le
Roi, qui avait la bonté de me raconter cette scène, c'est qu'il s'est
hâté d'ajouter: «Eh bien, madame, Charles X avait raison, et il avait
trouvé là une explication plus spirituelle qu'on ne l'aurait
attendue.--Le Roi dit vrai,» ai-je repris, «l'explication de Charles X
était celle d'un gentilhomme et d'un chevalier, et il est certain qu'il
avait de l'un et de l'autre.--Oui, sûrement,» a ajouté le Roi, «et même
il a très bon cœur.» J'ai été bien aise de voir cette justice rendue là.

A neuf heures, j'ai été avec Mme Mollien chez la comtesse de Boigne. Elle
était venue la première chez moi et m'avait fait dire, par Mme Mollien,
qu'elle serait très flattée si je voulais venir quelquefois chez elle le
soir. C'est le salon important du moment; la seule maison comme il faut,
qui appartienne, je ne dirais pas à la Cour, mais au Ministère, comme
celle de Mme de Flahaut appartient à M. le duc d'Orléans et celle de Mme
de Massa à la Cour proprement dite. Il n'y en a pas une quatrième. Chez
Mme de Boigne, qui reçoit tous les soirs, on s'occupe avant tout de
politique, on en parle toujours; la conversation m'a paru tendue, assez
incommode par les questions directes poussées jusqu'à l'indiscrétion,
qu'on se jette à la tête: «Le duc de Wellington se maintiendra-t-il?
Croyez-vous que M. Stanley se joindra à sir Robert Peel? S'ils croulent,
cela tournera-t-il au profit des whigs ou des radicaux? Pensez-vous que
lord Grey veuille se réconcilier avec lord Brougham?» Voilà par quelles
questions j'ai été naïvement assaillie. Je me suis tirée d'affaire en
plaidant ignorance complète, et en finissant par dire, en riant, que je
ne m'attendais pas, dans une belle soirée, à répondre à des _questions
de conscience_. Cela a fini là, mais je n'en avais pas moins reçu une
impression désagréable, malgré les excessives gracieusetés de la
maîtresse de maison, et j'ai été bien aise de m'en aller.


_Paris, 14 décembre 1834._--Hier, lady Clanricarde a déjeuné chez moi, et
nous sommes parties à onze heures et demie pour l'Académie française. M.
Thiers, le récipiendaire, nous avait fait garder les meilleures places,
et, ce dont je lui ai su gré, loin de sa famille, qui était dans une
petite tribune du haut avec la duchesse de Massa. Il n'y avait, dans
notre groupe, que Mme de Boigne, M. et Mme de Rambuteau, le maréchal
Gérard, M. Molé, M. de Celles et Mme de Castellane. Celle-ci est
engraissée, épaissie, alourdie, mais elle a toujours une physionomie
agréable, et de jolis mouvements dans le bas du visage. Elle a eu l'air
si ravie, si émue, si touchée de me revoir (j'ai été intimement liée avec
elle, et au courant de ses intérêts à un point incroyable pour
l'imprudence de sa brouillerie subséquente), que cette émotion m'a
gagnée; nous nous sommes serré la main. Elle m'a dit: «Me permettez-vous
de revenir chez vous?» J'ai dit: «Oui, de très bon cœur.»

Voici notre histoire. Dans le moment du récri des Tuileries contre moi,
sous la Restauration, Mme de Castellane m'a reniée et, sans se souvenir
du tort qu'il était en mon pouvoir de lui faire, elle a rompu avec moi.
J'ai été amèrement blessée parce que je l'aimais tendrement, mais me
venger eût été une bassesse, et, à travers toutes mes fautes, je suis
incapable d'une vilenie; je crois qu'au fond du cœur, elle m'a su gré de
l'avoir ménagée.

M. de Talleyrand, comme membre de l'Institut, est entré dans la salle,
appuyé sur le bras de M. de Valençay. On ne saurait croire quel effet il
a produit! Spontanément, tout le monde s'est levé, dans les tribunes
comme dans l'enceinte, et cela, avec un certain mouvement de curiosité
sans doute, mais aussi de considération, auquel il a été très sensible.
J'ai su que, malgré la foule qui obstruait les avenues, tout le monde lui
avait fait faire place.

A une heure, la séance a commencé. M. Thiers est si petit qu'entouré de
Villemain, de Cousin et de quelques autres, il est entré sans qu'on l'ait
vu venir; on ne l'a aperçu que lorsque, seul, debout, il a commencé son
discours. Il l'a dit avec le meilleur accent, la prononciation la plus
nette; avec une voix soutenue, peu de gestes, pas trop de volubilité. Il
était pâle comme la mort, et, dans les premiers moments, tremblant de la
tête aux pieds, ce qui lui a beaucoup mieux réussi que s'il avait eu de
cette insolence qu'on lui reproche souvent. Malgré son mauvais son de
voix, il n'a jamais frappé l'oreille désagréablement, il n'a été ni
monotone, ni glapissant, et enfin lady Clanricarde en était à le trouver
_beau_!

M. de Talleyrand et M. Royer-Collard étaient en face de lui, et il
semblait ne parler que pour eux! Son discours est éclatant. Je ne sais
pas s'il est précisément académique, quoiqu'il soit plein d'esprit, de
goût et de beau langage dans de certaines parties; mais ce qu'il est sans
aucun doute, c'est politique, et il l'a dit bien plus comme une
improvisation que comme une lecture. Il a eu de ces mouvements de tribune
qui ont produit aussi, sur l'assemblée, un effet bien plus parlementaire
que littéraire, mais toujours favorable, et, par moments, cela a été
jusqu'à l'enthousiasme. M. de Talleyrand en était à l'émotion, et M.
Royer-Collard faisait faire à sa perruque des hauts et des bas qui
prouvaient la plus vive approbation! Le passage sur la calomnie a été dit
avec une conviction intime qui a été contagieuse et a valu une salve
d'applaudissements.

Le discours est anti-révolutionnaire au plus haut degré; il est orthodoxe
dans les principes littéraires; il est--et c'est ce que j'en aime
surtout--il est traversé d'un bout à l'autre par un sentiment honnête qui
m'a fait plaisir et qui doit être utile à M. Thiers dans le reste de sa
carrière. Enfin, ce beau discours, pour ressortir, pouvait se passer de
l'ennuyeuse réponse de M. Viennet, que personne n'a écoutée et qui a
permis à tout le monde de s'apercevoir qu'il était tard et qu'il faisait
une chaleur affreuse.

On m'a dit que, pendant le discours de M. Thiers, M. de Broglie faisait
force quolibets; M. Guizot était renfrogné, et médiocrement satisfait, je
pense, de voir à son rival, dans la même semaine, un double succès,
politique et littéraire.


_Paris, 16 décembre 1834._--Hier, j'ai fait quelques visites; j'ai trouvé
Mme de Castellane qui ne m'avait pas rencontrée chez moi. Elle a voulu
que j'entendisse son histoire des douze dernières années; elle la raconte
bien. Il m'a semblé qu'elle avait dû la roucouler ainsi à d'autres qu'à
moi. Elle n'a plus de jeunesse du tout, c'est une grosse personne,
courte, trapue; ce n'est plus du tout, au sourire près, celle que j'avais
connue, au physique du moins; moralement, il m'a paru qu'elle s'était
faite grave plutôt qu'elle n'était devenue sérieuse. Elle est
spirituelle, caressante, comme toujours; elle a beaucoup parlé, moi très
peu. J'avais le cœur serré par mille souvenirs du passé, et, quoiqu'elle
ait été douce, je n'ai pu reprendre confiance, mais j'ai bien reçu toutes
ses paroles et je ne suis pas fâchée de ne plus en être à l'amertume avec
elle.


_Paris, 17 décembre 1834._--Je me suis laissé décider par Mme Mollien, à
aller, hier, avec elle, à la Cour des Pairs, non pas dans une tribune en
évidence, mais dans une tribune retirée d'où on voyait et entendait sans
être vu, celle de la duchesse Decazes. Je n'y avais jamais été, les
séances n'étant pas publiques avant 1830. La journée d'hier était fort
annoncée et excitait la curiosité générale; aussi la salle était remplie.

A quelque époque qu'on arrive à Paris, on est toujours sûr d'y trouver
quelque drame scandaleux qui amuse le public. Hier, c'était le procès
contre Armand Carrel du _National_.

M. Carrel n'a nullement répondu à mon attente. Il a été impertinent, il
est vrai, mais sans cette espèce d'insolence courageuse et énergique,
sans cette verve de talent qui frappe, même alors que le sujet en
lui-même déplaît. Il n'a produit que peu d'effet par son discours écrit,
et a très positivement choqué, dans sa mauvaise improvisation. C'est le
général Exelmans qui a vociféré sur l'_assassinat_ du maréchal Ney, au
scandale de tout le monde, car il y allait comme un homme ivre; il était
hors de lui, et cela était d'autant plus ridicule qu'on ne pouvait
s'empêcher de se souvenir de ses platitudes pendant la Restauration,
qu'on a, du reste, assuré lui avoir été très durement reprochées, hier au
soir, chez le ministre de la Marine. Le matin, à la Chambre des Pairs, il
n'a été soutenu que par M. de Flahaut, qui s'agitait beaucoup et dont le
maintien a été très inconvenant; il a révolté tout le monde par ses cris
de: «_Continuez, continuez_,» adressés à Carrel, lorsque le Président lui
ôtait la parole. C'est même cet encouragement qui a fait résister Carrel
et qui l'a fait argumenter avec M. Pasquier, sur ce que celui-ci n'avait
pas le droit de lui ôter la parole, lorsqu'un membre de la Chambre, un de
ses juges enfin, l'engageait à continuer.

A cette occasion, j'ai appris de toutes les bouches que M. de Flahaut
était insupportable à tout le monde, par son arrogance, son humeur, son
aigreur et son ignorance; il deviendra bientôt aussi _impopular_ que sa
femme.

M. Pasquier a présidé avec fermeté, mesure, dignité et sang-froid, mais
j'avoue que je partage l'opinion de ceux qui auraient préféré qu'il
arrêtât M. Carrel, lorsqu'il a parlé des _jeunes gens qui avaient
glorieusement combattu dans les troubles d'avril_, au lieu de le faire à
propos du procès du maréchal Ney: la première question, touchant à des
intérêts matériels, aurait trouvé, ce me semble, plus d'écho au dehors
comme au dedans.

Nous avions du monde à dîner hier: une douzaine de personnes; Pauline, ma
fille, faisait la douzième. Il n'y a pas de mal à ce qu'elle apprenne à
écouter sans ennui de la conversation sérieuse; elle a bon maintien dans
le monde, où elle me paraît plaire par sa physionomie ouverte et ses
manières bienveillantes. Après le dîner, les visites ont recommencé,
comme si nous étions des ministres. Le fait est que c'était jeudi, jour
de réception aux Affaires étrangères et à la Marine, et que, sur le
chemin des deux, on nous a pris, je suppose, en allant et en venant.


_Paris, 19 décembre 1834._--M. le duc d'Orléans est revenu de Bruxelles:
il est venu me voir, hier, et m'a invitée à un bal qu'il donne le 29. Il
n'est resté qu'un instant, le Roi l'ayant envoyé chercher; j'ai su, plus
tard, à quel propos.

M. Guizot est venu ensuite; il avait l'air moins à son aise que de
coutume; il a cherché à s'y mettre en faisant de la doctrine sur
l'Angleterre, sur la France, sur toutes choses, mais il m'aura trouvée
peu digne de l'entendre; en effet, j'écoutais froidement, parce que
c'était parfaitement ennuyeux, et il est parti.

Mme de Castellane m'est arrivée, tout essoufflée, de la part de M. Molé,
pour que je prévienne M. de Talleyrand de ce qui se passait. M. le duc
d'Orléans, entraîné par cette déplorable influence Flahaut, se proposait
aujourd'hui, à l'ouverture de la séance de la Chambre des Pairs, et à la
lecture du procès-verbal de la séance d'hier, de protester, avec son
groupe, contre l'_assassinat_ du maréchal Ney, et de demander la revision
du procès. Heureusement que M. Decazes en a été averti; il a été en
prévenir M. Pasquier, celui-ci a couru chez M. Molé, un des vingt-trois
Pairs restants du procès du Maréchal. Grande et juste rumeur dans le
camp; on a été à Thiers, celui-ci a couru chez le Roi, qui ignorait tout
et qui est entré en grande colère. Il a fait chercher son fils partout,
et, après une scène très vive, lui a défendu toute démarche. Son grand
argument a été celui-ci: «Si vous demandez la revision du procès du
maréchal Ney, que répondrez-vous à tel ou tel Pair carliste qui viendra
(et il s'en trouvera) demander la revision du procès de Louis XVI, bien
autrement un assassinat?» J'ai su cette dernière partie de l'incident par
M. Thiers, qui est venu chez M. de Talleyrand, tout à la fin de la
matinée. Bertin de Veaux, qui avait eu vent de la chose, arrivait aussi
tout épouffé.

Enfin le bon sens du Roi a arrêté cette belle équipée; mais qu'elle se
soit présentée à l'esprit de quelqu'un, et de qui? est une des grandes
étrangetés du temps!


_Paris, 20 décembre 1834._--J'ai reçu hier une lettre de Londres, du 18,
et l'ai portée tout de suite à M. de Talleyrand. Je lui ai lu ce qui
était relatif à l'effroi causé par ce nom de M. de Broglie comme
ambassadeur à Londres, et à la nécessité de nommer un successeur à M. de
Talleyrand. Il a très bien senti cela, et a écrit immédiatement qu'il
désirait voir le Roi. A ce moment est arrivé M. de Rigny, lui apportant
une autre lettre particulière. M. de Talleyrand a insisté sur le choix de
Rayneval, ce qui n'a pas plu, je crois, à M. de Rigny, si j'en juge par
ce que celui-ci m'a dit à dîner: «Il y a un inconvénient immense à
envoyer M. de Rayneval à Londres, mais c'est le secret du ministre des
Affaires étrangères; si c'était le secret de l'amiral, je vous le
dirais.» Je n'ai pas insisté.

Je sais que chez le Roi, à cinq heures, il a été convenu que Rigny
écrirait à Londres une lettre à la fois ostensible et confidentielle,
dans laquelle on dirait que le Roi portera son choix sur Molé,
Sainte-Aulaire ou Rayneval et qu'on serait bien aise de savoir lequel de
ces trois noms serait le plus agréable au duc de Wellington. Je me suis
permis de dire à M. de Talleyrand que cela me paraissait fort maladroit,
puisque si le choix du Duc porte sur Rayneval, on sera très embarrassé
ici de ne pas le nommer, et cependant on me paraît décidé à ne pas le
faire; que si le Duc désire Molé, on éprouvera un refus de ce dernier,
et, qu'en définitive, il faudra nommer Sainte-Aulaire, qui n'est désiré
ni par le Roi, ni par le Conseil, ni par le Duc. Comme tout est mal
dirigé et mal conduit ici! Il n'y a nulle part ni bon sens, ni
simplicité, ni élévation, et on prétend, cependant, gouverner non
seulement trente-deux millions de sujets, mais encore l'Europe tout
entière!


_Paris, 21 décembre 1834._--J'ai su, de bien bonne part, ces trois faits:
que l'on ne veut pas envoyer Rayneval comme ambassadeur à Londres, et que
c'est la fraction doctrinaire et Broglie en sous-main qui s'y opposent;
que l'on a, officiellement, propose hier Londres à Molé, qui l'a
officiellement et formellement refusé; et qu'enfin ce matin, on en était
à Sébastiani, sans rien d'arrêté cependant.


_Paris, 24 décembre 1834._--On parlait de Sébastiani, hier, comme devant
être dans le _Moniteur_ de demain, mais à mesure que ce nom circule dans
le public, il excite une véritable rumeur. M. de Rigny grille de se
démettre de son ministère pour demander l'ambassade de Londres, mais on
craint de voir la machine, ici, se détraquer sur nouveaux frais, par la
sortie d'un des membres importants du Cabinet. Il paraît que c'est l'état
des affaires financières de Rayneval qui empêche de songer à lui; on le
dit criblé de dettes et presque en banqueroute.


_Paris, 28 décembre 1834._--J'ai su, par M. Molé, que M. de Broglie avait
une influence étonnante dans le ministère actuel, dont le Roi ne se
doutait pas; que M. Decazes allait, chaque matin, lui rendre compte de ce
qui se passait au ministère; que M. de Rigny et M. Guizot se laissaient
beaucoup influencer par lui, et qu'aucun choix ne se faisait sans lui
avoir été préalablement soumis.

Comment comprendre que dans le _Journal des Débats_ on traduise tout le
discours de sir Robert Peel et qu'on en retranche, quoi? Le passage
flatteur pour le duc de Wellington et qui, certes, n'avait rien de
choquant pour la France! Et cela quand le Duc est ministre des Affaires
étrangères, qu'il est à merveille pour la France et que les _Débats_
sont réputés organe officieux du gouvernement! On est ici, malgré tout
l'esprit français, d'une merveilleuse gaucherie!


_Paris, 29 décembre 1834._--Cette pauvre petite Mme de Chalais est morte
cette nuit. Elle était si heureuse, de ce bonheur honnête et régulier
qu'il n'est donné qu'à certaines femmes de rencontrer! La vie se retire
toujours trop lentement de ceux qui sont fatigués de leur pèlerinage,
toujours trop rapidement de ceux qui la parcourent joyeusement. Sous
quelque forme qu'on implore la Providence, soit qu'on l'importune de ses
prières, soit qu'on se laisse deviner dans un discret silence, elle dit
presque toujours non, et le plus souvent un non irrévocable.

Quelle douleur à Saint-Aignan! Elle y était l'enfant de tous les
habitants. Il me semble que j'entends les cris de tous ses vieux
serviteurs, que je connais et pour qui elle était la troisième génération
qu'ils servaient. Les pauvres, les malades, les gens aisés, tous la
chérissaient. Elle était si secourable, si obligeante, si gracieuse!
C'est plus qu'une mort: c'est la destruction d'un jeune bonheur et d'une
race antique et illustre! Je suis vraiment ébranlée très profondément.


_Paris, 31 décembre 1834._--J'ai eu, hier matin, une bonne longue visite
de M. Royer-Collard. Il m'a raconté toute l'histoire de son professorat;
il m'a montré un coin de son système philosophique, puis il m'a beaucoup
parlé de Port-Royal. Ce sont vraiment des heures précieuses que celles
qu'il me donne; trop rares et trop courtes pour tout ce qu'il y a à
apprendre d'un esprit comme le sien.

Mme de Castellane est venue ensuite; si je m'y prêtais le moins du monde,
elle se ferait ma garde-malade! J'ai su, par elle, que M. Molé écrivait
ses _Mémoires_ et qu'il y en avait déjà cinq volumes.

M. le duc d'Orléans m'est venu ensuite; il m'a raconté beaucoup de choses
de son bal de la veille. Voici ce qui, comparé à ce qui m'a été dit
d'ailleurs, m'est resté: la plus grande élégance, la plus grande
recherche; de la magnificence, du joli monde; un souper superbe, des
fleurs, des statues groupées avec art, des lumières à aveugler, du blanc
et or partout; des livrées neuves, des valets de chambre en habits
habillés, l'épée au côté, vêtus de velours, tous poudrés à blanc, et
beaucoup de diamants dans les parures des femmes; la Reine charmée,
Madame Adélaïde piquée, disant: «C'est du Louis XV»; tous les hommes en
uniforme, mais en pantalons et bottes, et M. le duc de Nemours arrivant
en habit d'officier général, extrêmement brodé, en culottes courtes, bas
et souliers, joli, à ce que l'on dit, ayant bonne grâce et l'air fort
noble. M. le duc d'Orléans m'a demandé si, pour un militaire, je ne
préférais pas le pantalon et les bottes; voici ma réponse: «L'Empereur
Napoléon, qui a gagné quelques batailles, était tous les soirs, quand il
dînait seul avec l'Impératrice, en bas de soie et en souliers à
boucles.--Vraiment?--Oui, Monseigneur!--Ah! c'est différent.»

Mais voici le revers de la médaille: c'est que des députés priés (je
veux dire priés comme simples députés, car il y en avait d'autres comme
ministres et généraux), comme simples députés, donc, il n'y en avait que
trois: MM. Odilon Barrot, Bignon et Étienne: le premier en frac pour
faire plus d'effet!

Il y a de singuliers contrastes dans le Prince Royal: le goût et les
prétentions aristocratiques dans ses habitudes et une détestable tendance
dans la politique. Hier même, nous avons eu pour la première fois maille
à partir ensemble à l'occasion du duc de Wellington. Il m'a dit: «_Vous
voilà comme le Roi._ Aussi mon père sait-il que vous me parlez toujours
dans son sens et vous aime-t-il beaucoup.--Monseigneur, je ne parle
jamais que dans mon propre sens et dans celui de votre intérêt, mais je
n'en suis pas moins très fière de l'approbation et de la justice du Roi.»
Cela a, du reste, très bien fini entre nous, puisqu'il m'a demandé la
permission d'ajouter son portrait à ceux que j'ai réunis à Rochecotte.

Me voici donc finissant l'année 1834, mémorable dans ma vie, puisqu'elle
termine cette part de mon existence consacrée à l'Angleterre. Ces quatre
années, que je viens d'y passer, m'ont placée dans un autre cadre, offert
un nouveau point de départ, dirigée vers une nouvelle série d'idées;
elles ont modifié le jugement du monde sur moi. Ce que je dois à
l'Angleterre ne me quittera plus, j'espère, et traversera, avec moi, le
reste de ma vie. Maintenant, faisons des provisions de forces pour les
mauvais jours qui ne manqueront pas probablement et pour lesquels il est
convenable de se préparer.



1835


_Paris, le 3 janvier 1835._--J'ai eu hier la visite du duc de Noailles
qui m'avait écrit un billet fort aimable pour me prier de le recevoir. Il
est venu me parler de la nièce de sa femme, Mme de Chalais, qu'il aimait
comme son enfant et qu'il savait être vivement regrettée par moi. Nous
avons pleuré ensemble; puis il m'a parlé un peu de politique avec bon
sens et bon goût; un peu de la société; beaucoup de Maintenon. Il est
resté très longtemps et paraissait à son aise et se plaire fort. Il m'a
exprimé le désir de me voir souvent et d'entrer un peu dans nos
habitudes. C'est un des hommes que M. Royer-Collard compte davantage: il
est fort laid et a l'air vieux sans l'être; il est studieux, distingué
et de très bonne compagnie. J'ai beaucoup vu sa femme quand elle
s'appelait Mlle Alicia de Mortemart et qu'elle demeurait chez sa sœur la
duchesse de Beauvilliers, qu'elle suivait à Saint-Aignan. Nous sommes,
d'ailleurs, fort parents des Mortemart, la vieille princesse de Chalais,
chez laquelle M. de Talleyrand a été élevé, étant Mortemart, fille de M.
de Vivonne, frère de Mme de Montespan.

J'ai été hier à la grande réception du soir aux Tuileries, la Reine
m'ayant fait dire par Mme Mollien que je pourrais arriver et m'en aller
par les appartements particuliers, et, par conséquent, ne pas attendre ma
voiture. C'était le dernier jour de réception; j'y ai mené ma
belle-fille, Mme de Valençay. Le palais, éclairé, est vraiment superbe;
beaucoup de choses ont très bon air; beaucoup d'autres font contraste.
Ainsi, par exemple, les fracs isolés à travers la grande majorité des
uniformes, quelques femmes fort parées, puis d'autres en bonnet de
comptoir; point de désordre, mais aucune distinction de salles, de
places; on ne défile pas, c'est la Cour qui entre quand tout le monde est
arrivé et qui fait le tour des dames, après quoi, les hommes seuls
défilent; il y a un petit monsieur en uniforme qui précède et qui demande
à chaque dame son nom, ce qui me paraît pour les trois quarts et demi
indispensable.

On a été très gracieux pour moi et je crois qu'on attachait du prix à ce
que j'allasse un jour de grande réception qu'on peut bien appeler
_publique_. On craignait que je ne voulusse me borner aux audiences
particulières. C'eût été, ce me semble, de mauvais goût; peut-être
aimerais-je mieux ne pas aller du tout, mais, quand on trouve bon de voir
les gens en particulier, il ne faut pas avoir l'air de s'en cacher et de
les renier en public. Aussitôt vue, la Reine m'a elle-même dit de m'en
aller, on m'a fait ouvrir la petite porte et je me suis sauvée, ravie
d'être quitte de cette corvée!


_Paris, 7 janvier 1835._--M. Molé est venu me voir hier, il m'a dit bien
des choses singulières, et entre autres, celle-ci, qu'il se croyait «la
mission de purger le gouvernement de l'influence doctrinaire». Il a une
terrible haine pour les doctrinaires; car il sait haïr. Il m'a même
surprise à ce sujet et je me suis demandé s'il savait aussi bien aimer.
Je suis restée embarrassée devant la réponse.


_Paris, 8 janvier 1835._--Madame Adélaïde m'ayant demandé de lui mener
Pauline, je l'ai fait hier. Le Roi m'a fait dire de l'attendre chez sa
sœur, ce qui fait que j'y ai passé trois heures. Le Roi venait
d'apprendre la scène étrange qui a eu lieu parmi les amnistiés du
Mont-Saint-Michel: le jour même de leur délivrance, tous les amnistiés
républicains (les carlistes ont dit des prières et sont retournés
tranquillement dans la Vendée) ont chanté des chansons atroces, et ont
fini par jurer sur leurs couteaux de table l'assassinat du Roi. Celui-ci
avait sous les yeux les rapports de police et nous en a dit tous les
détails.

Il a causé longtemps, et de toutes choses; je dois dire avec beaucoup de
bon sens, d'esprit, de lucidité et de prudence; comprenant parfaitement
les destinées anglaises, jugeant bien l'Europe, parlant de son fils avec
une grande raison. Il m'a particulièrement dit deux choses qui m'ont
frappée. La première, c'est que, sans avoir été entraîné aussi loin que
son fils, il avait lui-même, cependant, donné dans de certaines erreurs
dont la pratique l'avait guéri. Il est revenu sur la Révolution de
Juillet, et a mis du prix à s'en montrer étranger dans le principe, aussi
m'a-t-il raconté que lors de la décoration de Juillet, ses ministres
avaient voulu la lui faire porter, et qu'il s'y était refusé, disant
qu'il ne la porterait jamais, n'y ayant eu aucune part que celle d'en
arrêter les résultats destructeurs. Il a ajouté: «Madame, vous ne me
l'avez jamais vu porter, cette décoration!»

Il est de plus en plus embarrassé pour son ambassadeur à Londres, car les
nouvelles reçues hier matin même de Naples prouvent que Sébastiani est
hors d'état. Je crois que le Roi aimerait M. de Latour-Maubourg, mais
celui-ci est malade et ne parle que de se retirer à la campagne. M. de
Sainte-Aulaire arrivera dans trois ou quatre jours et je m'imagine que la
chance tournera vers lui. Il a été question, entre le Roi et moi, de M.
de Rigny pour Londres, mais le Roi dit à cela: «Le seul ministre possible
aux Affaires étrangères pour remplacer Rigny serait Molé, mais Guizot
n'oserait pas rester avec lui à cause de la fureur de Broglie, et on ne
croit pas pouvoir se passer de Guizot à la Chambre.» L'objection contre
Sainte-Aulaire, c'est l'influence qu'exerce sur lui M. Decazes, qui est
mauvaise en elle-même et à juste titre désagréable au Roi.

La lettre de M. de Talleyrand du 13 novembre a été enfin lue au Conseil
hier, elle paraîtra dans le _Moniteur_ d'aujourd'hui, et sa publication
sera accompagnée d'une réponse très polie de M. de Rigny. On a seulement
demandé le changement d'un mot qui a été accordé, parce qu'en réalité, il
ne fait qu'éclaircir la pensée sans l'altérer. On a prié M. de Talleyrand
de permettre qu'on mît: _cet esprit de propagande_, au lieu de _certaines
doctrines_.

J'ai été hier soir au grand bal des Tuileries. M. le duc d'Orléans m'a
encore attaquée sur les élections anglaises: il a une peur étrange
qu'elles ne tournent au profit du Cabinet tory. Voici la seconde fois que
nous avons maille à partir à ce sujet; hier, je cherchais à décliner la
discussion, mais lui a voulu l'entamer, disant que «peut-être je le
convertirais». A quoi j'ai répondu: «J'en serais d'autant plus fière,
Monseigneur, que ce serait vous convertir à votre propre cause.»

Il venait de relire la lettre de démission de M. de Talleyrand. Il a dit
que c'était un chef-d'œuvre, un vrai document historique; qu'elle aurait
un grand retentissement au dehors; que rien ne pouvait être si noble, si
simple, si bien pour le Roi que personne ici n'avait le courage de louer;
mais que M. de Talleyrand s'y montrait terriblement conservatif, et que
cela allait donner lieu à une grande controverse dans les journaux. Je
lui ai répondu: «Cela se peut, Monseigneur, mais qu'importe. Que M. de
Talleyrand parle ou se taise, il est toujours attaqué par la mauvaise
presse. A son âge, et quand on fait ses adieux au public, on a bien le
droit de le faire de manière à se satisfaire soi-même et à se montrer tel
qu'on est, tel qu'on a toujours été, un homme d'un bon esprit, ami de son
pays et du bon ordre, et qui plus est, un homme de sa caste, ce qui
n'implique pas nécessairement un homme à préjugés. Enfin, M. de
Talleyrand, _seul_, dites-vous, a le courage ici de louer le Roi, et
pourquoi? Parce qu'il est un gentilhomme, un grand seigneur, et par
conséquent un conservatif. Il faudra toujours que la Royauté revienne à
ceux-là; soyez-en bien sûr.» Il a repris: «Oh! au dehors, cette lettre
sera extrêmement admirée.--Oui, Monseigneur, elle le sera au dehors,
mais elle le sera aussi par tous les honnêtes gens du dedans, et
Monseigneur me permettra de ne compter que ceux-là!» Voilà encore un
échantillon de mes conversations avec ce jeune Prince, qui ne manque ni
d'intelligence, ni de courage, ni de grâce, mais dont le jugement est
encore bien dépourvu de prudence et d'équilibre.

Le Roi qui, lui, est prudent par excellence, et de plus fort gracieux
pour moi, est venu à moi et, en riant, m'a dit: «Avez-vous raconté à M.
de Talleyrand notre longue conversation?--Sans doute, Sire; elle était
trop riche et trop curieuse pour que je ne lui procurasse pas le plaisir
d'en apprendre quelque chose.--Ah! ah! je suis sûr que vous n'aurez pas
oublié mon anecdote sur la décoration de Juillet.--En effet, Sire, c'est
la première chose que j'ai citée à M. de Talleyrand; je la conterai à mon
fils, à mon petit-fils; je veux que mes descendants s'en souviennent pour
répéter un jour ce que je dis sans cesse, c'est que le Roi a un _grand_
esprit.» Il y a longtemps qu'on a dit que, lorsque la flatterie ne
réussissait pas, c'était la faute du flatteur et non de la flatterie; il
me semble qu'hier, le flatteur n'était pas en défaut.


_Rochecotte, 12 mars 1835._--Nos lettres de Paris nous disent que le
refus de M. Thiers de rester au ministère, avec le duc de Broglie,
président du Conseil et ministre des Affaires étrangères, refus auquel le
Roi ne veut pas entendre pour ne pas se trouver livré si uniquement aux
doctrinaires, arrête de nouveau toute la machine. La Chambre des députés
commence à s'émouvoir, et il est impossible de bien apprécier où tout
ceci précipite.

Il doit y avoir, à Saint-Roch, une quête pour les salles d'asile dirigées
par Madame Adélaïde, c'est donc elle qui choisit les quêteuses. Elle a
désigné Mmes de Flahaut et Thiers. La première, furieuse, dit-on, du
_pendant_, a refusé; et cette petite difficulté a trouvé moyen de se
faire remarquer à travers toutes les grandes impossibilités du moment.


_Rochecotte, 14 mars 1835._--Les lettres d'hier ne laissent plus aucun
doute sur le dénouement de la crise ministérielle.

C'est, à peu de chose près, la répétition du mois de novembre dernier: le
maréchal Gérard fut alors remplacé par le maréchal Mortier; aujourd'hui
M. de Broglie remplace Mortier à la présidence et Rigny lui cède les
Affaires étrangères, pour prendre l'intérim de la Guerre, jusqu'à
l'arrivée de Maison, auquel on a envoyé un courrier. Si celui-ci accepte,
l'ambassade de Pétersbourg serait à donner, mais on croit qu'il refusera.
Alors Rigny restera-t-il définitivement à la Guerre ou ira-t-il à Naples
en cédant la place à quelque général secondaire? C'est ce qu'on ignore
encore. Ainsi, avec Broglie et Maison de plus et Rigny de moins, ou à peu
près, chacun reste à son poste. C'était bien la peine de faire tant de
bruit.

Voici ce qu'on mande relativement à M. Thiers, qui, d'abord, s'était
refusé à entrer avec M. de Broglie. Il a été travaillé, tiraillé en tous
sens, Mignet et Cousin pour le dissuader, Salvandy pour le faire
accepter. Pendant ce temps-là, une réunion nombreuse de députés
s'assemblait chez M. Fulchiron. Thiers, le sachant, a dit que si cette
réunion le demandait, il accepterait; Salvandy d'y courir et de revenir
avec une députation, pour obtenir le consentement de Thiers, qui, cette
fois enfin, l'a donné pour ne pas être accusé de faire manquer la seule
combinaison possible, et fort, d'ailleurs, d'une expression solennelle de
la majorité parlementaire. On croit qu'il ne tardera pas, cependant, à se
repentir d'avoir cédé... La balance n'est plus en équilibre; ils vont
être deux contre un dans le Conseil. Il n'y a pas là condition de durée.

J'ai reçu une lettre de M. Molé qui me mande: «Vous laissez ici un vide
que rien ne peut ni ne saurait remplir; personne ne l'a senti et n'en a
souffert comme je l'ai fait depuis quelques jours. J'ai l'espérance que
vous m'auriez approuvé, j'ose dire que j'en suis sûr; vous êtes du très
petit nombre pour lesquels je me pose la question avant d'agir. Ce n'est
plus pour des noms propres qu'on a lutté, c'est pour l'amnistie.
L'amnistie pleine et entière était ma condition; ceux qui se retiraient,
pour s'imposer, ont provoqué, à la Chambre, un hourra contre; moi seul ai
soutenu qu'il tomberait devant la réalité. Quelques-uns, qui voulaient
l'amnistie avec moi, ont cependant perdu courage, et, en ce moment,
l'ancien ministère va se reformer sous la présidence de M. de Broglie.
Plusieurs de ses membres montrent en cela peu de fierté, tous acceptent
une position que l'avenir jugera, ainsi que bien d'autres choses.»


_Rochecotte, 16 mars 1835._--M. Royer-Collard m'écrit ceci, sur la
dernière crise ministérielle: «C'est mardi 10 que le Roi a chargé Guizot
d'avertir M. de Broglie. Vous vous attendez à l'insolence d'un vainqueur?
Point du tout. M. de Broglie, instruit par Guizot, avait déposé, non
seulement son arrogance, mais cette dignité personnelle à laquelle il ne
faut pas renoncer, même pour être président du Conseil. Il s'est aussi
excusé fort humblement du passé, il a promis d'être sage à l'avenir.
Tenez cela pour certain, l'orgueil Necker, qui est le type de l'orgueil
Broglie, a fléchi.»

Plus loin, et à propos du papier signé par la soi-disant réunion
Fulchiron chez Thiers, il y a ceci: «C'est sur cette pièce que Thiers a
capitulé; il rentre donc, mais séparé et dégagé des doctrinaires qu'il a
humiliés. Il _rentre_ au lieu que Guizot _reste_. Personne ne gagne, je
crois, à ce replâtrage.»

Plus loin encore ceci: «Quand M. Molé est entré hier chez moi, je l'ai
embrassé comme un naufragé sauvé. Il sort de là plus considéré, il s'est
surpassé.»


_Rochecotte, 23 mars 1835._--J'ai eu, hier soir, une très gracieuse
réponse de la duchesse de Broglie à la lettre de félicitations que je lui
avais adressée. Le triomphe politique se dissimule sous d'humbles
citations bibliques; la bienveillance y domine, et, au fait, je suis
contente d'elle, elle est une personne de mérite.

J'avais écrit aussi à M. Guizot, à l'occasion de la mort de son frère; il
a attendu la fin de son deuil pour répondre, mais enfin il a répondu, et
hier m'est arrivée une lettre de lui très cajolante. Voici la seule
phrase politique: «Je suis de ceux qui doivent dire que la crise est
finie; mais je suis aussi de ceux qui savent qu'il n'y a jamais rien de
fait en ce monde, et qu'il faut recommencer chaque jour. Un effort
continuel pour un succès toujours incomplet et incertain, voilà notre
vie. Je l'accepte sans illusion, comme sans découragement.»

J'ajouterai un extrait d'une lettre de M. Royer-Collard, arrivée aussi
hier soir: «Ce qui s'est passé est fort triste, le dénouement comme la
crise. Voyez-y le Roi et Thiers vaincus par Guizot, et par contre-coup M.
de Talleyrand dans ce qui lui reste de vie politique. Il est vrai que
cette victoire n'a pas l'aspect et ne fait pas le bruit d'un triomphe;
elle est obscurcie par l'incertitude de la Chambre; mais Guizot est
savant dans l'intrigue et obstiné de toute la force de sa présomption, de
toute l'ardeur de sa soif de domination personnelle: il ne s'arrêtera que
vaincu lui-même par la force des choses, et je ne sais pas s'il y a
quelque part aujourd'hui une telle force. Thiers a eu le plaisir de se
faire attendre trente-six heures et de se séparer à la tribune; mais il
reste qu'il a reculé, et que c'est la peur que lui fait Guizot avec les
petits doctrinaires qui l'a empêché d'entrer, malgré sa bonne volonté,
dans le ministère Gérard-Molé; jusqu'à nouvelle circonstance, il est
absorbé dans la soumission. M. Molé est sorti de ce chaos avec un
surcroît de considération, dont il vous doit, soyez-en sûre, une partie:
vous lui avez apparu plus d'une fois et vous l'avez secouru. Il vous aime
fort et a besoin de votre approbation; ce qui me l'a tout à fait donné,
c'est d'avoir contribué, à ce qu'il croit, à le rapprocher de vous.»


_Rochecotte, 10 mai 1835._--J'ai reçu, hier, un assez curieux compte
rendu de ce qui s'est passé au comité secret de la Chambre des Pairs à
l'occasion de la forme du jugement[60]. Plusieurs Pairs ont déclaré qu'on
ne pouvait en finir en jugeant les prévenus par défaut, c'est-à-dire en
jugeant les banquettes. De cet avis ont été MM. Barthe, Sainte-Aulaire,
Séguier et, à ce que l'on croit, de Bastard. M. Decazes et quelques
autres ont prétendu qu'il fallait les juger un à un. M. Cousin a adressé
les plus violents reproches à M. Pasquier, pour n'avoir pas admis les
défenseurs, et à la Chambre pour avoir eu la faiblesse de maintenir la
décision de son président. M. Pasquier, dans sa réponse, a fait de la
sensibilité, du pathétique. Mais l'incident le plus grave est la
déclaration de M. Molé, qui a dit, formellement, que si on jugeait les
prévenus en son absence, il se récuserait. Cette déclaration a fait le
plus grand effet, et plusieurs Pairs, parmi lesquels le duc de Noailles,
se sont rangés à cette opinion. On ajoute ceci: «Vous voyez bien que dans
cette déclaration, il y a le noyau d'un nouveau ministère Molé, dans le
cas où l'impossibilité du procès forcerait les ministres actuels à céder
leurs places; mais, d'un autre côté, faiblir devant de tels accusés
serait si dangereux, que la nécessité de résister l'emportera sur toute
autre considération: reste à savoir comment! Ce procès est une hydre!»

  [60] Une ordonnance royale avait chargé la Cour des Pairs de
  juger les auteurs des insurrections républicaines qui eurent lieu
  du 7 au 13 avril 1834 dans plusieurs villes de province et à
  Paris. Les arrêts de condamnation ne furent rendus qu'en décembre
  1835 et janvier 1836.

       *       *       *       *       *


_Langenau (Suisse), 18 août 1835._--Il y a quelque temps que cette petite
_Chronique_ a été interrompue. J'ai été souvent malade, toute application
m'était impossible; ma paresse a augmenté, puis est survenu le dégoût de
la plume et de rédiger ma propre pensée, après avoir si longtemps mis en
œuvre celle des autres, ou, pour parler plus exactement, leur avoir
prêté la mienne; puis les déplacements, les voyages, tout enfin a
concouru à rompre mes habitudes. Trop de tableaux nouveaux ont distrait
mon esprit, le temps m'a manqué pour la vie recueillie et appliquée,
toute inspiration d'ailleurs était éteinte. J'avais vécu en prodigue
pendant quatre années; mes provisions étaient courtes, elles se sont
trouvées épuisées! Bref, pour me servir du mot, peu filial, de M. Cousin
parlant de son père, devenu imbécile, _l'animal seul est resté_.

Mes lettres ont raconté, dans le temps, le séjour de M. le duc d'Orléans
à Valençay; le drame (je peux bien le nommer ainsi) de la démission de M.
de Talleyrand de son ambassade de Londres; le changement du ministère, à
Paris, qui n'a eu que trois jours de durée; celui du Cabinet anglais,
qui, au bout de trois mois, s'est retiré devant un Parlement imprudemment
renouvelé; le mécontentement de tous ces événements autour de moi;
l'intrigue à facettes qui a fait Sébastiani ambassadeur à Londres,
tandis que M. de Rigny y aspirait en cachette; tout cela est bien connu,
je n'en dirai donc plus rien.

A Maintenon, où j'ai passé quelques heures chez le duc de Noailles, j'ai
eu plaisir à entendre un long récit du séjour que Charles X y fit en
1830, en quittant Rambouillet pour s'embarquer à Cherbourg. Le duc de
Noailles raconte avec émotion, et par conséquent avec talent, cette scène
dramatique. Je ne l'ai malheureusement pas écrite le jour même où il me
l'a contée et aujourd'hui je craindrais que ma mémoire ne la défigurât.
Je repasserai un jour ou l'autre par Maintenon et, à défaut du récit que
je n'entendrai plus, je dirai ce que cette ancienne et curieuse demeure
sera devenue entre les mains du duc de Noailles, qui y fait beaucoup
d'embellissements.

Notre paisible séjour à Rochecotte aurait pu aussi fournir quelques
pages, dues aux récits piquants de M. de la Besnardière, à la
correspondance souvent agitée de Madame Adélaïde pendant la rentrée, en
mars dernier, du ministère doctrinaire, et à quelques traits
caractéristiques de M. de Talleyrand, aux prises avec une solitude
comparative, cherchant, presque toujours, à mettre les autres dans leurs
torts pour se créer des émotions, s'y plaçant lui-même et guerroyant
ainsi tout seul dans une atmosphère toute pacifique.

J'aurais dû, pendant les jours que Mme de Balbi a passés chez moi, écrire
les mille traits animés qui peignent si bien son époque et son genre
d'esprit. Sa conversation en était semée; ils se lient, presque toujours,
à des scènes, à des personnages et à des situations qui leur ôtent toute
trivialité et en font de vraies données historiques. Si j'avais été en
train alors, je n'aurais pas, certes, passé sous silence l'apparition
bavarde, pompeuse, médisante, en somme grotesque, quoique travaillant sur
un fond spirituel et animé, du comte Alexis de Saint-Priest, contraste
frappant avec la mesure, le bon goût et la malice incisive de Mme de
Balbi. Le manque de toute convenance est ce qui choque le plus dans M. de
Saint-Priest, qui se croit diplomate par droit de naissance et qui ne
l'est sûrement pas par tempérament. Il s'occupe aussi de littérature, de
Mémoires historiques, pour lesquels il s'est cru le droit de demander à
Mme de Balbi, dès le premier jour de leur rencontre à Rochecotte, de lui
communiquer les lettres que, sans doute, elle devait avoir, en grand
nombre, de Louis XVIII. La prétention était trop forte pour ne pas faire
changer en sérieux la gaieté habituelle de Mme de Balbi, qui lui
répondit, fort sèchement, qu'elle manquerait à tous les sentiments de
respect et de reconnaissance qu'elle conservait pour le feu Roi, si une
seule de ces lettres était publiée ou seulement montrée tant qu'elle
vivrait.

Pendant le mois de juin, que j'ai passé à Paris, Versailles, que le Roi a
eu la bonté de nous montrer, aurait dû me donner le besoin de retracer
ici l'impression profonde que m'avait faite la pensée première et la
restauration actuelle. A Paris, où tout s'efface si vite, Versailles
cependant est resté net et éblouissant dans ma pensée, mais c'était le
_trop à dire_ que j'ai craint. Il est douteux que je revoie ce château
d'une manière aussi curieuse, entre M. de Talleyrand qui refaisait le
Versailles de Louis XV, de Louis XVI et de l'Assemblée constituante, et
le Roi Louis-Philippe, au milieu de la salle de 1792, reporté aux
premiers souvenirs de sa jeunesse, et les faisant revivre par ses récits
aussi bien que par les beaux portraits et les curieux tableaux qu'il leur
a consacrés. Au mois d'avril 1812, j'avais visité Versailles avec
l'Empereur Napoléon, lorsque, rêvant d'y établir sa Cour, il était allé y
inspecter les travaux qu'il y faisait exécuter et qui, les premiers, ont
retiré Versailles du désordre et de la destruction que la Révolution y
avait portés! Cette première visite méritait bien de me revenir à la
mémoire lors de la seconde. M. Fontaine, l'habile architecte, et moi,
étions les seuls qui pouvions faire le rapprochement de ces deux
restaurations.


_Berne, 19 août 1835._--Le mois de juin, passé à Paris, a été assez
rempli d'événements divers. Je me reproche vraiment d'en avoir laissé
l'impression s'affaiblir au point d'en avoir à peine conservé une trace
légère; plusieurs conversations en tiers entre le Roi et Madame Adélaïde,
les petites intrigues des doctrinaires tournant avec défiance autour de
moi, par l'entremise de M. Guizot, en qui j'ai souvent remarqué une
_hypocrisie dégagée_ qui me paraît être un charlatanisme assez nouveau;
les accès de découragement et d'enivrement de M. Thiers; mille
circonstances enfin qui donnaient à chaque jour un mouvement particulier,
auraient bien mérité quelques notes. J'aurais dû dire un mot d'un dîner
à la villa Orsini, chez M. Thiers, où quinze personnes, bizarrement
rapprochées, donnaient à cette partie un cachet de mauvais goût qui l'a
rendue embarrassante pour moi et qui a fait dire à M. de Talleyrand:
«Nous venons de faire un dîner du Directoire.»

Des intérêts personnels aussi ont été touchés. La mort de la jeune Marie
Suchet, la douleur de sa mère; la confirmation de ma fille Pauline, qui
m'a fait rencontrer, après cinq années de séparation, Mgr l'archevêque de
Paris, ont été autant d'événements qui ont marqué les jours, en les
détachant, pour ainsi dire, les uns des autres, ne permettant pas de les
confondre.

J'ai été plus particulièrement frappée de mon entrevue avec M. de Quélen,
parce qu'elle a amené une conversation que je ne veux pas livrer à
l'oubli. L'Archevêque, revenant sur un sujet qui, de tout temps, l'a
fortement préoccupé, celui de la conversion de M. de Talleyrand, m'en a
reparlé avec la même vivacité que du temps de M. le cardinal de Périgord.
A tous ses vœux, à l'assurance que toutes les tribulations de sa vie
épiscopale avaient été acceptées avec joie dans l'espérance d'obtenir de
Dieu, par ses propres souffrances, le retour de M. de Talleyrand dans le
sein de l'Église; à d'instantes exhortations pour me faire travailler à
une œuvre aussi méritoire, il a ajouté que, connaissant la sûreté de mon
caractère, et croyant, d'ailleurs, bien faire de me prévenir sur sa
conduite dans cette question, il devait me confier qu'ayant cru trouver,
dans la dernière phrase de la lettre de démission de M. de Talleyrand,
du 13 novembre dernier, un retour vers des idées graves, il s'était, lui,
M. de Quélen, flatté que le moment d'agir efficacement était venu, et
qu'il avait alors écrit à Rome, directement au Pape, pour demander quelle
ligne le Saint-Père lui tracerait: «La réponse du Saint-Père ne s'est pas
fait attendre», m'a dit M. de Quélen, «elle est en termes doux et
affectueux pour M. de Talleyrand; elle me donne le droit d'absoudre et de
réconcilier, et elle étend même mes pouvoirs jusqu'à me permettre de les
déléguer aux prélats dans les diocèses desquels M. de Talleyrand pourrait
être atteint de sa dernière maladie, nommément aux archevêques de Bourges
et de Tours; enfin le Pape m'a même témoigné la disposition d'écrire
lui-même à M. de Talleyrand.» Mes réponses à M. de Quélen n'ont pu être
que dilatoires. J'ai montré cependant d'une manière précise que toute
démarche directe provoquerait probablement un effet opposé à celui désiré
et que, quant à moi personnellement, je ne pourrais jamais me renfermer
que dans un rôle purement passif.

Assurément, je ne puis que me tenir également éloignée de toute action
contraire au but désiré par l'Église, et de toute action qui pourrait
troubler un repos qui m'est confié, sans amener le résultat souhaité. Si
jamais ce résultat peut être atteint, c'est à une voix plus haute et plus
puissante que la voix humaine à l'obtenir.

L'Archevêque m'a aussi parlé de ses propres tribulations, de celles qu'il
a éprouvées depuis 1830: elles ont été étranges et douloureuses. Je
regrette que, dernièrement, il ne les ait pas un peu plus oubliées,
lorsque, retournant aux Tuileries après l'attentat du 28 juillet[61], et
rouvrant Notre-Dame au Roi, il n'a pas accompagné ses actes de paroles
plus franches, plus nettement pacifiques. Il aurait évité ainsi le
reproche d'avoir parlé à deux adresses, l'une à Prague, l'autre à Paris.
Le malheur de l'Archevêque, c'est de n'avoir pas tout à fait la portée
d'esprit nécessaire pour le rôle difficile dans lequel les circonstances
l'ont placé; il n'a pas, non plus, le degré d'énergie qui supplée,
souvent avec avantage, à ce qui manque à l'esprit. Il n'est, certes,
point dépourvu d'excellents sentiments, ni des meilleures intentions; il
est doux, charitable, affectueux, reconnaissant, sincèrement attaché à
ses devoirs et toujours prêt au martyre; mais il reçoit trop facilement
toutes les impressions. Il est aisé d'obtenir sa confiance et d'en
abuser, en le poussant dans une route dont il ne découvre pas assez vite
le but; il s'intimide du blâme et sans cesse le provoque, par une
hésitation et un manque d'équilibre qui tiennent à l'incertitude de
l'esprit et aux scrupules d'une conscience qui ne sait jamais si le bien
d'hier est encore le bien d'aujourd'hui. Bon pasteur en temps ordinaire,
il n'a eu, à notre époque, où personne ne semble fait pour la place qu'il
occupe, qu'une attitude sans force publique et sans tranquillité privée.
Cependant, comme il a beaucoup de nobles et bonnes qualités et qu'il
porte à tout ce qui se nomme Talleyrand un intérêt extrême et qui lui
fait honneur, puisqu'il est puisé dans sa reconnaissance pour le
cardinal de Périgord, je lui souhaite de bien bon cœur une vie plus
douce que celle des dernières années et la fin de toutes ses
tribulations. Un autre aurait su, peut-être, en tirer parti; il ne sait,
lui, qu'y succomber...

  [61] Tentative criminelle de Fieschi, pour tuer le Roi
  Louis-Philippe.

Le séjour de quatre semaines que j'ai fait dernièrement à Baden-Baden m'a
plu. J'y ai trouvé d'anciennes connaissances, j'y ai fait quelques
rencontres agréables. C'est bien là encore que j'aurais dû fixer mes
souvenirs par quelques lignes consacrées à Mme la princesse d'Orange, ce
chef-d'œuvre d'éducation de princesse; au Roi de Würtemberg, à ses
filles les princesses Sophie et Marie, à l'hostilité assez mal dissimulée
entre Mmes de Lieven et de Nesselrode, à la douce philosophie de M. de
Falk, au bon langage de M. et de Mme de Zea, enfin à tout ce qui, en bien
et en mal, m'a frappée dans cette réunion de personnes dont chacune avait
sa part de distinction.

Elles se groupaient toutes, plus ou moins, autour de Mme de Lieven dont
l'éclat passé et l'infortune récente (la mort de ses deux plus jeunes
fils dans la même semaine), excitaient l'intérêt ou imposaient des
devoirs. Elle m'a fait grande pitié et m'est apparue, d'ailleurs, comme
un grand enseignement. Déroutée, jetée au hasard, sans résignation, ne se
complaisant pas dans ses regrets, et ne trouvant qu'un vide cruel dans
des distractions qu'elle ne se lasse pas de demander à chacun, sans goût
d'occupation, sans satisfaction pour elle-même, elle vit dans la rue,
dans les promenades, cause sans suite, n'écoute guère, rit, sanglote, et
fait, au hasard, des questions sans intérêt. Cette douleur est d'autant
plus lourde qu'elle est sans patience au bout de quatre mois d'infortune.
Elle s'étonne déjà de la durée de ses regrets; ne voulant pas subir le
mal, il ne s'use pas; elle le prolonge en luttant avec hostilité. Dans le
combat la douleur triomphe et la victime crie, mais le son est discordant
et ne fait vibrer aucune corde sympathique dans l'âme d'autrui. J'ai vu
chacun se lasser de la plaindre et de la soigner: elle s'en apercevait et
en était humiliée. Elle a paru me savoir gré d'avoir eu pour elle des
soins plus durables, et elle m'a laissé la conviction de lui avoir été,
non pas une consolation, mais du moins une ressource, et j'en suis bien
aise.

J'ai revu avec plaisir, il y a quelques jours, le beau lac de Constance;
j'y avais rêvé, il y a trois ans, un petit château: il a brûlé. J'y rêve
maintenant une chaumière; je serais fâchée qu'un asile manquât sur ce
promontoire, d'où la vue est si riche, si variée, si calme, où il serait
si doux de se reposer.

Du Wolfsberg que j'habitais, j'ai été plusieurs fois à Arenenberg, chez
la duchesse de Saint-Leu; elle m'a paru un peu plus calme qu'il y a trois
ans. L'élève prétentieuse de Mme Campan, la Reine de théâtre a fait place
à une bonne grosse Suissesse, qui babille assez facilement, reçoit avec
cordialité et sait gré à ceux qui font diversion à sa solitude. Sa petite
demeure est pittoresque, mais elle n'est calculée que pour la belle
saison; elle y passe cependant presque toute l'année. L'intérieur est
petit et réduit, et ne semble être fait que pour des fleurs, des joncs,
des nattes et des divans; ce n'est vraiment qu'un pavillon. Les débris
des magnificences impériales qui y sont entassés n'y font pas trop bien.
La statue en marbre de l'Impératrice Joséphine, par Canova, aurait besoin
d'un plus grand cadre. J'aurais voulu, d'un coup de baguette, transporter
dans le musée de Versailles le portrait de l'Empereur, comme général
Bonaparte, par Gros (sans contredit le plus admirable portrait moderne
que je connaisse); il devrait être une propriété nationale, car la vie
guerrière et politique, et toutes les gloires et les destinées de la
France se rattachent à ce portrait, si parfait, de Napoléon. Dans un
petit cabinet, sous un châssis de glace, se trouvent quelques reliques
précieuses, mêlées à d'assez insignifiantes babioles. L'écharpe de
cachemire portée par le général Bonaparte à la bataille des Pyramides, le
portrait de l'Impératrice Marie-Louise et de son fils sur lequel le
dernier regard de l'exilé de Sainte-Hélène s'est porté, et plusieurs
autres souvenirs intéressants, sont réunis là avec de mauvais petits
scarabées et mille petites nippes sans valeur et sans mérite: ainsi un
lorgnon oublié par l'Empereur Alexandre à la Malmaison, et un éventail
donné par le citoyen Talleyrand à Mlle Hortense de Beauharnais, conservés
au milieu des traditions de l'Empire, prouvent une grande liberté
d'esprit et pas mal d'insouciance, ou une grande facilité d'humeur et de
caractère.

Il est vrai que j'ai vu l'Impératrice Joséphine et Mme de Saint-Leu
demander à être reçues par Louis XVIII quinze jours après la chute de
Napoléon. J'ai vu, à Londres, Lucien Bonaparte se faire présenter par
lady Aldborough au duc de Wellington, et au congrès de Vienne, Eugène de
Beauharnais chanter des romances. Les anciennes dynasties peuvent manquer
d'habileté, les nouvelles manquent toujours de dignité.


_Fribourg, 20 août 1835._--Il y aurait, ce me semble, si ce n'est
dignité, du moins bon goût, de la part de Mme de Saint-Leu, à restituer à
la ville d'Aix-la-Chapelle le magnifique reliquaire porté par Charlemagne
et trouvé à son cou, lors de l'ouverture de son tombeau. Ce reliquaire,
qui sous un gros saphir contient un morceau de la vraie Croix, a été
donné à l'Impératrice Joséphine par le Chapitre de la Cathédrale pour se
la rendre favorable; se séparer de cette relique a dû être un douloureux
sacrifice. Il y aurait eu délicatesse et convenance à le faire cesser; ce
qui pouvait convenir au successeur de Charlemagne ne sied guère à
l'habitante d'Arenenberg!

J'ai peu à dire de la tournée qui m'a amenée ici. Saint-Gall est dans une
position charmante, l'intérieur de la ville assez laid, l'église,
reconstruite trop nouvellement ainsi que les bâtiments qui y tiennent, et
qui maintenant servent de siège au gouvernement cantonal, ont manqué leur
effet sur moi. Rien n'y retrace la grande et singulière existence des
anciens princes-évêques de Saint-Gall; l'église a cependant un beau
vaisseau, mais rien d'ancien, rien de recueilli. Le pont qu'on passe pour
prendre la route nouvellement tracée qui conduit à Heinrichsbad est un
accident pittoresque dans un pays boisé.

Heinrichsbad est un établissement tout nouveau; on y prend des bains
ferrugineux et la situation alpestre de cette maison isolée permet d'y
faire des cures de petit-lait. La partie de l'Appenzell qu'on traverse
pour atteindre Meynach m'a plus rappelé les Pyrénées qu'aucune autre
partie de la Suisse.

J'ai revu avec plaisir le lac de Zurich; celui de Zug, que j'ai longé le
lendemain, plus ombragé, plus retiré, m'a semblé plus gracieux. On le
voit presque en entier du couvent des dames de Saint-François dont la
maison domine et la ville et le lac. Je suis arrivée chez ces Dames
pendant une messe chantée, médiocrement, j'en conviens; mais l'orgue,
mais ces voix qui partent de lieux et de personnes invisibles s'emparent
toujours trop vivement de moi pour me disposer à la critique. Ces
religieuses s'occupent de l'éducation de la jeunesse; la sœur Séraphin,
qui m'a promenée, parle bien le français; sa cellule était très propre.
La règle du couvent ne m'a pas paru très austère.

La chapelle de Kussnach, à l'endroit même où Gessler fut tué par
Guillaume Tell, a un mérite historique sans doute, mais comme situation
elle est fort inférieure à celle construite sur le lac des
Quatre-Cantons, à la place où Tell, s'élançant hors de la barque de son
persécuteur, rejeta celle-ci dans l'orage et les flots.

La position de Lucerne, que je connaissais, m'a encore frappée par le
tableau pittoresque qu'elle présente. Le lion, sculpté dans le roc, près
de Lucerne, d'après le dessin de Thorwaldsen, est un monument imposant,
une belle pensée bien rendue.

Berne, où je suis arrivée par l'Immersthal, gracieuse vallée, riche de la
plus belle végétation et embellie de charmants villages, a l'aspect
grande ville, grâce à de nombreux édifices et à la beauté des avenues.
Mais la ville est triste, et même en été on sent combien elle doit être
froide en hiver. La terrasse plantée et suspendue à une grande hauteur
sur le cours de l'Aar, en face des montagnes et des glaciers de
l'Oberland, est une belle promenade, que l'Hôtel de la Monnaie d'un côté
et la Cathédrale de l'autre, terminent noblement.

La route de Berne ici n'offre rien de remarquable. Fribourg se présente
d'une façon assez frappante et originale. Sa position âpre et sauvage,
les tours jetées sur les hauteurs qui l'environnent, la profondeur de la
rivière, ou, pour mieux dire, du torrent qui coule au pied du rocher sur
lequel pose la ville, le pont suspendu qui s'élève au-dessus de la ville,
tout cela est pittoresque. L'intérieur de la ville, avec ses nombreux
couvents et sa population de Jésuites à longues robes noires et à grands
chapeaux, ressemble à un vaste monastère, auquel ne manque même pas, au
besoin, une petite odeur d'Inquisition; ce n'est pas sur ce point
mystérieux et claustral de la Suisse qu'on se sent respirer l'air de la
liberté classique de l'Helvétie. Le nouveau collège des Jésuites, par sa
position, domine la ville, et, par son importance, y exerce une grande
influence. A en juger par le peu qu'il est permis au voyageur de visiter,
cet établissement est sur la plus grande échelle et parfaitement bien
tenu; trois cent cinquante enfants, la plupart français, y sont élevés;
la maison me paraît destinée à en contenir un plus grand nombre. Outre
ce grand pensionnat, les Jésuites ont à côté leur propre maison, et, de
plus, à une lieue de la ville, une maison de campagne.

J'ai été voir la Cathédrale, qui serait tout à fait indigne d'être
visitée, sans un orgue dont on jouait au moment où je suis entrée et dont
le son m'a paru le plus harmonieux et le moins aigre et sifflant que
j'aie entendu.

Je suis fort aise d'avoir vu Fribourg; je l'avais traversé, il y a onze
ans, pour l'examiner. Je comprends mieux, maintenant, l'espèce de rôle
que cette ville joue dans l'histoire religieuse du temps actuel.


_Lausanne, 21 août 1835._--La route large et facile de Fribourg traverse
un pays boisé en partie, cultivé aussi, riant et varié, mais il n'est pas
précisément pittoresque, si j'en excepte le point de Lussan. La nature ne
se grandit qu'au moment où la chaîne de montagnes qui couronne le lac
Léman apparaît à la sortie d'un bois de sapins, qui cache assez longtemps
le lac et la ville de Lausanne.

Comme toutes les villes de Suisse, Lausanne est laid au dedans, mais dans
une situation pittoresque, sur un terrain inégal, qui en rend
l'habitation incommode, mais qui offre plusieurs terrasses d'où la vue
est fort belle: celles de la Cathédrale et du Château sont les plus
citées. Je préfère celle de la promenade Montbadon, moins élevée, mais
d'où l'on distingue mieux la campagne; les toits tiennent trop de place
dans les autres vues.


_Bex, 23 août 1835._--Un peu moins de murs et de vignes, quelques arbres
de plus, rendraient la route de Lausanne à Vevey charmante; ce n'est qu'à
Vevey que le pays me plaît tout à fait. Chillon surtout m'a frappée par
sa position, et ses souvenirs. J'aurais voulu y relire les vers de lord
Byron en parcourant le fameux souterrain; son nom, seul, barbouillé avec
du charbon sur un des piliers de la prison, le même auquel François de
Bonnivard a été attaché pendant six ans, suffit déjà à rendre ce cachot
poétique.

On quitte le lac Léman à Villeneuve pour s'enfoncer dans une gorge
étroite et sauvage. La dentelure aiguë et bizarre des rochers entre
lesquels passe la route est la seule beauté des quatre grandes lieues
après lesquelles on arrive ici. Tout auprès, sur une saillie du rocher
veiné de diverses couleurs, s'aperçoit, à demi cachée dans une touffe
d'arbres, la ruine du château de Saint-Triphon, qui m'a paru d'un bel
effet.

Bex même est un village qui ne ressemble en rien aux beaux villages
suisses du canton de Berne. Tout se ressent déjà du voisinage piémontais.
Nous sommes tous à l'auberge de l'Union, la seule du lieu, ni bonne, ni
mauvaise. L'établissement des bains sulfureux ne s'est pas soutenu, celui
du petit-lait, pas davantage. En fait, c'est un endroit dénué de
ressources, et assez triste et sombre, éclairé cependant pour moi par la
bonne petite mine couleur de rose de Pauline et par l'éclat de ses beaux
yeux bleus; j'ai été charmée de m'y trouver.

On m'a remis ici une lettre que l'amiral de Rigny y avait laissée pour
moi, en passant pour se rendre à Naples. Il me dit qu'il trouve partout
sur sa route l'opinion fort arrêtée que la duchesse de Berry était le 24
à Chambéry, et que le 30 Berryer, qui allait aux eaux d'Aix-en-Savoie, en
a disparu, quelques heures après l'attentat de Paris, et qu'il a reparu
ensuite, fort effaré, à Aix. J'ai trouvé, ainsi que M. de Rigny, cette
version établie partout. Les journaux suisses signalent aussi Mme la
duchesse de Berry; il n'y a, cependant, rien de constaté.

Il vient d'y avoir, à Maintenon, chez le duc de Noailles, une réunion de
gens d'esprit et d'intrigue. M. de Chateaubriand, Mme Récamier, la
vicomtesse de Noailles, M. Ampère, enfin tout ce qui va, le matin, à
l'Abbaye-aux-Bois[62]. J'en suis fâchée; le duc de Noailles ne devrait
pas quitter une route large pour entrer dans un sentier.

  [62] L'Abbaye-aux-Bois était une communauté religieuse de femmes,
  située à Paris, rue de Sèvres, à l'angle de la rue de la Chaise.
  Elle servit de prison d'arrêt pendant la Révolution. Rendue, plus
  tard, à sa destination première, elle offrit, en dehors du
  cloître réservé aux religieuses, un asile paisible à des dames du
  grand monde: c'est là que Mme Récamier vint s'établir.

D'après ce que l'on me mande de Touraine, je vois que les atrocités de
Paris, du 28 juillet[63], y ont créé de l'indignation, mais une
indignation qui craignait de se manifester hautement et qui est peut-être
effacée aujourd'hui. Nous vivons dans un temps où l'on voit tant de
monstruosités sur la scène, les livres en sont tellement remplis, elles
descendent si régulièrement dans la rue, que le peuple, blasé sur
l'horrible, y devient indifférent et se trouve ainsi familiarisé avec le
crime. Cette ville de Tours, dans le fond si calme, s'est signalée
cependant par le refus d'adresses du Tribunal, du Conseil municipal, du
Conseil d'arrondissement. Il a suffi de deux hommes de chicane,
argumentant sur la lettre de la loi, pour mettre à leur aise tous les
indifférents. Il paraît cependant que la garde nationale s'est montrée en
grand nombre le jour du service funèbre et qu'elle a fait une adresse
d'assez bonne grâce. Quand on voit, d'une part, les passions les plus
violentes et les plus criminelles, de l'autre des masses paresseuses ou
indifférentes, on se demande si les lois répressives demandées par le
ministère français suffiront. Peut-être ne feront-elles qu'irriter!

  [63] Attentat Fieschi.

C'est un fort vilain temps que le nôtre; les bons siècles sont rares,
mais il n'y a guère d'exemple d'un plus vilain que celui-ci. Je plains de
tout mon cœur ceux qui sont chargés de le museler, M. Thiers, par
exemple, dont la fatigue et l'inquiétude se montrent, dans une lettre que
j'ai reçue de lui, hier, et dont voici un extrait. Après m'avoir parlé
des dangers personnels auxquels il a échappé lors de l'attentat du 28
juillet, il ajoute: «Mais le seul chagrin, chagrin accablant, c'est
l'immense responsabilité attachée à mes fonctions; je suis debout jour et
nuit. Je suis à la Préfecture de police, aux Tuileries, aux Chambres,
sans me reposer jamais, et sans être sûr d'avoir pourvu à tout, car la
fécondité du mal est infinie, comme dans toute société déréglée, où on a
donné à tous les bandits l'espoir d'arriver à tout, en mettant le feu au
monde; les misérables feraient sauter la planète si on les laissait
faire; ils n'avaient d'autre combinaison, le lendemain de cette horrible
boucherie, que celle-ci: «Nous «verrons;» c'est le principal assassin qui
me l'a dit lui-même. Pour prix de tant de tourments, je ne sais quel jour
je me reposerai, ni par quelle issue j'échapperai à mon supplice.»

Un mot qui me paraît digne de notre excellente Reine, aussitôt après
l'explosion de la machine infernale, et quand elle sut que le Roi et ses
enfants n'avaient pas succombé, a été celui-ci: «Comment mes enfants se
sont-ils conduits?» Les jeunes Princes ont été dévoués et touchants. Ils
se sont serrés autour du Roi; le lendemain, lorsqu'on reconnut la trace
d'une balle sur le front du Roi, le duc d'Orléans dit: «Pourtant, hier,
je me suis fait _le plus grand_ qu'il m'a été possible.»

Pendant que Mme Récamier est à Maintenon chez la duchesse de Noailles, la
princesse de Poix, ma belle-sœur, va aux lundis de la duchesse
d'Abrantès, où on rencontre Mme Victor Hugo! Le bel esprit et la
politique ont étrangement confondu toutes les compagnies, bonnes et
mauvaises!

M. le duc de Nemours va faire une course à Londres; joli, sérieux, digne
et réservé, avec le plus grand air de noblesse et de jeunesse possible,
il me semble qu'il devrait réussir en Angleterre, mais son excessive
timidité lui ôte tellement toute facilité et toute grâce dans la
conversation, qu'il sera peut-être jugé inférieur de beaucoup à ce qu'il
vaut réellement.

De toutes les lettres de félicitations écrites au Roi des Français par
les souverains étrangers, à l'occasion de l'attentat du 28 juillet, la
meilleure, la plus bienveillante est celle du Roi des Pays-Bas. C'est, ce
me semble, de très bon goût de sa part, et j'en suis fort aise; j'ai
toujours trouvé que depuis ses malheurs, le Roi des Pays-Bas avait montré
de l'esprit, de l'à-propos et une persévérance qui, quel qu'en soit le
succès définitif, lui assurera une belle page dans l'histoire de nos
jours, où j'en vois si peu pour qui que ce soit.

Pendant que le Roi des Français se soumet aux escortes, aux mesures de
sûreté, à des allures plus royales, son président du Conseil vient dîner
aux Tuileries, à des dîners d'ambassadeurs, en pantalon de couleur et
sans décorations, et ce ministre est le duc de Broglie!

Jérôme Bonaparte, avec toute sa famille, a quitté Florence, et se trouve
maintenant à Vevey; le choléra fait refluer toute l'Italie en Suisse.


_Bex, 24 août 1835._--Le temps s'étant éclairci, nous avons été voir des
salines près de Bex: ce sont les seules de la Suisse, et elles ne
suffisent pas à la consommation du pays. Nous n'avons pas pénétré fort
avant dans la mine, à cause du froid humide dont nous nous sommes sentis
saisis, mais nous avons vu en détail les étuves de graduation. Le sel m'a
paru être d'une grande blancheur.

On nous a ramenés par la vallée du Cretet, le long du torrent de
Davanson, qui est le plus abondant et le plus impétueux que j'aie vu dans
cette partie-ci des Alpes; son cours est assez long et sa pente
extrêmement rapide; il est resserré dans une gorge étroite, haute et
boisée. Il sert à faire aller beaucoup d'usines pour les besoins
desquelles il se divise en mille petits canaux et aqueducs. Ces
établissements sont presque toujours suspendus sur des quartiers de
rocher qui semblent s'être détachés des cimes supérieures et être restés
suspendus comme par miracle sur l'abîme. Toute cette route, jusqu'au
petit château de M. de Gautard, est charmante, et m'a un peu réconciliée
avec cette contrée qui m'avait désagréablement surprise au premier
aspect.

Je reviens d'une course qui est pleine d'intérêt. Le but principal était
la cascade de Pisse-Vache, belle gerbe d'eau, droite, écumeuse, jetant au
loin autour d'elle une poussière humide, s'élançant, en un seul jet,
d'une brèche de rochers, dont les deux pointes se dressent en longues
aiguilles; l'eau de cette cascade se mêle bientôt à celle du Rhône, près
du pont sur lequel on passe ce fleuve, également impétueux depuis sa
source jusqu'à son embouchure; il l'est remarquablement dans la gorge
étroite qu'il traverse en quittant le Valais, pour entrer dans le canton
de Vaud. La limite est à Saint-Maurice, village pittoresque dont les
couvents, le castel, la vieille tour, les fortifications inégalement
appuyées sur les flancs de rochers à pic sont d'un curieux aspect. La
porte de ce bourg est, pour ainsi dire, formée par l'étroit passage que
laissent entre eux deux grands rochers qui séparent les deux cantons. De
ce point, on voit, à droite, le canton de Vaud, terminé, au loin et par
delà le lac Léman, par le Jura, et à gauche, le sauvage Valais, fermé
par la chaîne neigeuse du Saint-Bernard.

Ce qui, cependant, a fort gâté cette course pour moi, a été la nature de
la population. Les crétins sont nombreux, et ceux-là même qui ne sont pas
aussi infortunés, sont encore affreusement défigurés par des goitres; les
femmes surtout en ont jusqu'à trois; les eaux, provenant des neiges
fondues, l'action incomplète du soleil, qui n'éclaire que peu les
étroites gorges du Valais, y rendent cette infirmité fort commune.


_Genève, 26 août 1835._--Partis de Bex ce matin, nous avons longé le
Rhône jusqu'au point où il se jette dans le lac Léman, de là à Thonon;
route charmante, hardie, taillée dans le roc, suspendue sur le lac,
mélange pittoresque de pelouses superbes, de châtaigniers admirables et
de rochers majestueux du plus bel effet. A partir de Thonon, la route
devient monotone jusqu'à deux lieues de Genève; aux beautés naturelles de
la contrée se joignent alors les nombreux embellissements de jardins
soignés comme en Angleterre, de jolies maisons de campagne, d'avenues
superbes, le tout groupé, ainsi que la ville de Genève, en amphithéâtre
autour du lac.

Nous sommes descendus à l'Hôtel des Bergues. Ma fenêtre donne sur un
nouveau pont en fil de fer, qui, en passant sur le Rhône, joint les deux
parties de la ville et conduit, en même temps, à une petite île sur
laquelle se trouve la statue de Jean-Jacques Rousseau, entourée d'un
bouquet de gros arbres. On aperçoit aussi une grande partie du lac
couvert de petites embarcations. Rien ne saurait être plus gai, plus
animé.


_Genève, 27 août 1835._--Le duc de Périgord, que j'ai rencontré hier,
ici, et qui est une bonne autorité pour ce qui regarde M. l'archevêque de
Paris, m'a expliqué, de la manière suivante, le rapprochement de celui-ci
avec le gouvernement actuel. Après l'attentat du 28 juillet, le curé de
Saint-Roch, dont l'église est devenue la paroisse de la famille royale,
depuis la destruction de Saint-Germain-l'Auxerrois, s'est rendu chez le
Roi, qui lui a dit ses intentions pour un service funèbre. Le curé, qui
se nomme l'abbé Olivier, a fait alors observer au Roi, qu'après le
service funèbre, un _Te Deum_ en action de grâces pour la conservation du
Roi et de ses enfants, serait aussi indiqué que convenable. Le Roi a
adopté cette idée, en ajoutant toutefois: «Ce _Te Deum_ aura donc lieu à
Saint-Roch, puisque l'Archevêque continue son opposition à mon
gouvernement.» Le curé de Saint-Roch a aussitôt prévenu l'Archevêque de
l'innovation qu'allait entraîner son éloignement. C'est alors que M. de
Quélen s'est décidé à aller chez le Roi: il a été reçu, et, depuis, il a
officié aux Invalides et à Notre-Dame. Je saurai, plus tard, ce qui s'est
passé entre le Roi et lui.

On m'écrit de Paris, que le maréchal Maison, qui ne se mêle pas des
débats de la Chambre, promène tous les jours, à la belle heure, en
phaéton, une demoiselle qu'il a ramenée de Saint-Pétersbourg. C'est
l'élégant du ministère.


_Genève, 29 août 1835._--Les environs de Genève ont autant gagné que
l'intérieur de la ville; chaque année, de nouvelles maisons de campagne
remplacent et augmentent celles qui peuplaient les bords du lac. La plus
soignée appartient à un banquier nommé Bartholony. C'est le goût italien
qui domine dans la construction de ces villas; les jardins et la
disposition des fleurs rappellent l'Angleterre; le cadre général seul
reste suisse, et l'on n'en saurait trouver un plus grandiose. Coppet,
plus éloigné de Genève, n'a aucun style; habité maintenant par la jeune
Mme de Staël, qui y vit dans toute l'austérité des premières veuves
chrétiennes, ce lieu semble désert et lugubre; le village sépare le
château du lac et en ôte la vue. M. et Mme Necker et la fameuse Mme de
Staël reposent dans une partie du parc défendue par des broussailles qui
en rendent les approches difficiles. D'ailleurs, d'après l'ordre des
défunts, personne, pas même leurs enfants, ne peut franchir cette
enceinte. Le reste du parc est plein de beaux arbres, mais trop
rapprochés: ils manquent d'air et de soin, comme tout l'ensemble de cette
demeure. On n'y laisse plus pénétrer les étrangers. J'y ai été jadis: les
appartements sont bien distribués et dans d'assez belles proportions,
mais arrangés sans goût, sans élégance; c'est, à tous les égards,
l'établissement d'un banquier puritain: vaste et austère, ni noble, ni
imposant.

La position de Ferney est très agréable; les terrasses et la végétation
embellissent cette demeure, qui, en elle-même, est petite; le tout est
sur l'ancien modèle français du siècle dernier. Le salon et la chambre à
coucher de M. de Voltaire sont restés seuls ouverts aux visiteurs et
consacrés au souvenir du grand esprit qui a fait, pendant trente ans, de
ce petit manoir, le foyer d'où sont parties tant d'étincelles brûlantes.
Nous sommes restés longtemps à examiner toutes les petites reliques
conservées par le jardinier. Il avait quatorze ans à la mort de M. de
Voltaire; il débite assez bien sa leçon: car je ne trouve pas que ses
récits aient un caractère original.

Il y a, dans une lettre que j'ai reçue hier de M. le duc d'Orléans, le
passage suivant: «C'est le jour où les lois en discussion seront votées,
où cette arme dangereuse sera remise entre les mains du pouvoir, que
commencera la difficulté. Ce n'est rien de les avoir fait voter, c'est
tout de les exécuter. Saura-t-on suffire à cette lutte de tous les
instants? Saura-t-on déjouer chaque jour toutes les ruses? résister à
toute la ténacité que déploieront, dans la défense de leurs dernières
ressources, des hommes poussés à bout, et n'ayant plus qu'une seule
pensée, qu'un seul but? Les mauvaises langues, ici, prétendent qu'il est
bien plus difficile de gouverner régulièrement et avec suite, que
d'emporter d'assaut, à coups de discours, des lois nouvelles, lorsqu'on
n'exécute pas même celles dont on est armé. Pour ma part, je me borne à
dire, que maintenant que les ministres nous ont engagés dans la lutte si
grave que nous venons de commencer, je n'aurais pas de mots pour
qualifier leur conduite, s'ils n'usaient pas convenablement de la force
qu'ils ont cru devoir demander, ou s'ils voulaient rejeter sur d'autres
le fardeau d'exécuter ce qu'eux seuls ont conçu et exigé dans ce qu'ils
croyaient être leur propre intérêt.»


_Lons-le-Saulnier, 31 août 1835._--Je suis arrivée ici hier au soir, bien
tard, après avoir traversé le sauvage, aride et triste Jura. De grands
efforts y ont créé une route facile, quoique lentement parcourue à cause
des montées et des descentes continuelles; mais les chemins, arrachés à
du roc pur, abrités par des encaissements habilement pratiqués entre les
infiltrations de l'eau, sont parfaitement unis, larges et bien défendus
contre les dangers d'une nature aussi âpre. Des hauteurs de Saint-Cergues
j'ai jeté un dernier regard sur le beau lac de Genève et des Alpes. Ce
grand tableau se déploie magnifiquement et laisse dans le souvenir une
belle image.


_Arlay, 1er septembre 1835._--Ce lieu-ci, qui faisait partie de l'ancien
duché d'Isenghien, est venu au prince Pierre d'Arenberg du fait de sa
grand'mère maternelle, héritière de la maison d'Isenghien, qui descendait
de celles de Châlons et d'Orange. Tout cela est fort noble d'origine, et
fort présent à la mémoire du propriétaire actuel. La vue, de ma chambre,
et celle de toute la maison, est étendue sans être pittoresque, de même
que la maison, qui est vaste et bien restaurée, est un peu nue
d'ameublement et un peu froide, le coteau qui la domine l'abritant du
midi.

Au sommet de ce coteau se voient les restes du gothique manoir tombé en
ruines qui n'ont pas assez de caractère. Les arrivées sont courtes. Il
n'y a pas d'autre avenue qu'une cour plantée. Beaucoup de choses
manquent à l'agrément et au bon air de l'établissement, mais c'est un bon
débris arraché au naufrage révolutionnaire. Les maîtres de la maison et
la duchesse de Périgord m'ont reçue avec la plus parfaite obligeance.

J'ai reçu ici une lettre de M. Royer-Collard. Il retournait chez lui, à
la campagne, «après avoir acquitté à la Chambre ce qu'il croyait être de
son devoir et de son honneur», et sans attendre le vote sur l'ensemble de
la loi. Son discours, que j'admire comme pensée, comme sentiment, comme
langage (il n'a pas voulu en faire un discours d'effet ou
d'entraînement), était pour satisfaire un cri de sa conscience, pour bien
faire comprendre sa position, qu'un long silence laissait incertaine dans
l'esprit de plusieurs; c'était pour tracer nettement sa ligne d'opinion,
qu'il a, quoique fort souffrant, prononcé ce discours peu étendu, mais si
plein de choses! Depuis cinq ans, c'est la première fois que, sans
exciter des murmures, sans paraître ridicule, hypocrite ou imprudent, on
a loué, défendu, honoré la Pairie, et que l'esprit religieux, les mots de
Dieu et de Providence se sont fait entendre dans l'enceinte de la Chambre
des députés. Le respect avec lequel de telles paroles ont été écoutées me
paraît, plus que toutes choses, placer M. Royer-Collard à part, dans la
haute région qui lui appartient.

L'homme qui semble avoir soudoyé Fieschi, et qui se nomme Pépin, avait
été enfin arrêté. C'était une grosse affaire, mais il s'est échappé! Sur
un ordre du Parquet, ce Pépin avait été extrait à minuit, peu d'heures
après son arrestation, de la Conciergerie où il avait été placé, afin de
faire, en sa présence, des perquisitions dans sa maison. Il a été
conduit, par un commissaire de police et deux hommes seulement; aussitôt
entré chez lui, il a disparu! Un homme dont l'arrestation était si
importante conduit à _minuit_ par deux gardes!... sans être attaché, et
conduit dans sa propre maison dont il connaissait des issues sans doute
inconnues à ceux qui le menaient, c'est d'une étrange imprudence! Il
paraît que depuis les affaires du 6 juin 1832[64], dans lesquelles cet
homme avait été impliqué, sa maison était disposée pour lui fournir les
moyens de s'échapper. Le juge d'instruction qui a laissé échapper Pépin,
en ne le faisant pas mieux surveiller, se nomme Legonidec; c'est un jeune
juge d'instruction de la Cour d'assises de Paris. Il y a des personnes
qui croient qu'il sera fortement compromis par la légèreté, si ce n'est
plus, qu'il a apportée dans une circonstance aussi grave.

  [64] L'enterrement du général Lamarque, mort du choléra, le 2
  juin, avait eu lieu le 5 juin, et avait été l'occasion d'une
  insurrection qui se continua pendant toute la journée du 6.

On m'a menée voir les ruines du vieux château; elles ont plus d'étendue
et d'importance que je n'avais jugé en arrivant. C'était une forteresse
considérable, qui, sous Louis XI, dans le temps des guerres contre les
Bourguignons, a été démantelée par les ordres de ce souverain.


_Dijon, 3 septembre 1835._--J'ai quitté Arlay ce matin, emportant un
souvenir reconnaissant du bon accueil qui nous y a été fait, à Pauline et
à moi. La princesse d'Arenberg surtout m'a inspiré une véritable amitié;
sa politesse, sa bienveillance, sa simplicité, jointes à beaucoup de
raison et d'aplomb, embellies par l'instruction, des talents, le tout se
communiquant facilement, assurent à cette jeune femme une place
distinguée parmi les personnes de son âge et de son rang, dont bien peu
me paraissent la valoir.

J'ai parcouru la nouvelle route, qui passe par Saint-Jean-de-Losne et
abrège beaucoup. Le chemin est beau et facile, mais le pays qu'il
traverse, riche sans doute, et bien cultivé, n'offre cependant rien de
gracieux, et je dirais même rien d'intéressant, sans un assez grand
nombre de châteaux, et le canal de Bourgogne orné de beaux rideaux de
peupliers.

Pierres, le château de M. de Thiard, est le plus important de ceux qui se
trouvent sur cette route. Il m'a paru considérable et noblement entouré,
mais dans une position peu agréable; il est fâcheux qu'on abatte celui de
Seurre, placé au bord de la Saône: il m'a semblé offrir une jolie
situation; Toiran, la Bretonnière et quelques autres, prouvent que la
province est bien habitée.

Je regrette d'être arrivée trop tard ici pour visiter Dijon. Cette ville
se présente bien, elle renferme de beaux édifices, les rues sont animées;
le parc, belle promenade publique, à un quart de lieue de la ville, et
qui y tient par de longues avenues, doit être d'un grand agrément pour
les habitants.


_Tonnerre, 4 septembre 1835._--La route de Dijon à Montbard est unie,
dépouillée, fatigante à l'œil. Montbard est un vieux château féodal des
duc de Bourgogne, placé sur une hauteur considérable, et qui avait été
donné par Louis XV à M. de Buffon; celui-ci possédait déjà, au bas du
coteau, une assez grande et triste maison dans une des rues de la petite
ville. Il a continué d'habiter la maison d'en bas; elle n'a rien
d'intéressant, si ce n'est un assez beau portrait du célèbre
propriétaire. Il fit démolir quatre tours sur les cinq qui restaient
autour de l'enceinte du vieux château; une seule subsiste donc ainsi que
d'énormes murs de clôture: ceux-ci n'enferment plus, maintenant, qu'une
espèce de quinconce de beaux arbres plantés par M. de Buffon, avec de
belles allées qui y conduisent à partir de la maison d'en bas. Les beaux
arbres offrent d'épais ombrages et une promenade agréable. Au sommet du
quinconce est une petite maisonnette qui ne contient qu'une seule pièce
où M. de Buffon s'établissait chaque jour pendant plusieurs heures pour
travailler sans interruption. Il a fait construire une église, sur une
partie d'anciennes fondations du château fort; c'est dans cette église
qu'il est enterré. La maison de M. de Buffon est habitée par sa
belle-fille, veuve sans enfants.

Le pays devient plus varié, à mesure qu'on s'approche d'Ancy-le-Franc,
grand et noble château construit au seizième siècle par MM. de
Clermont-Tonnerre, acheté depuis par le fameux Louvois, et appartenant
encore à un de ses descendants. Ce château, parfaitement régulier, se
compose de quatre corps de bâtiment joints à chaque angle par une tour
carrée; il n'y a pas d'escalier principal, chaque tour en contient un
assez étroit; les chambres à coucher sont dans de belles proportions,
bien meublées, mais le grand appartement est mal distribué, les pièces ne
se lient pas, elles sont assez petites, surtout le salon, que de riches
dorures semblent encore rétrécir. Quelques anciens plafonds et des
lambris analogues donnent à quelques-unes des pièces un caractère
gothique et intéressant. Il entre peu de jour par les fenêtres, peu
nombreuses et assez étroites; la cour intérieure est resserrée et sombre;
le parc entoure tout le château, il est vaste et bien planté; les eaux
sont vilaines et bourbeuses; je n'ai vu ni serres, ni fleurs, mais les
dépendances sont considérables. La grande route traverse l'avant-cour à
dix pas du château, c'est pousser la facilité des communications un peu
trop loin.

Ce qui me plaît le moins dans cette demeure, c'est sa position: le
château, placé dans le fond d'un étroit vallon, manque de jour, d'air et
de vue; le mot anglais _gloomy_ semble fait pour Ancy-le-Franc. La
chapelle est belle. Il est inutile de dire qu'il y a une salle de
spectacle: comment M. de Louvois d'aujourd'hui pourrait-il s'en passer?

J'avais souvent entendu citer Ancy-le-Franc et Valençay comme étant les
deux châteaux les plus considérables et les plus remarquables de France.
Je ne puis admettre aucune comparaison entre eux; Valençay est bien
autrement imposant, et, en même temps, gai à habiter: sa situation est
pittoresque et saine; le château est bien plus riche d'ornements
d'architecture, et sa belle partie qui est du quinzième siècle, de cent
ans plus ancienne, par conséquent, qu'Ancy-le-Franc, est du pur style
Renaissance.

Je n'ai point vu de bibliothèque chez M. de Louvois. C'est une
observation qui me revient seulement à présent: je regrette de n'en avoir
pas fait la remarque au concierge; il avait cependant l'air de montrer en
conscience.

Je préfère non seulement Valençay à Ancy-le-Franc, mais même, tradition à
part, Chenonceaux et Ussé s'il était arrangé et meublé.


_Melun, 6 septembre 1835._--Les bords de l'Yonne sont assez agréables, et
reposent un peu de la triste route de Dijon; il est fâcheux, cependant,
que la végétation soit, pour ainsi dire, factice, car je n'ai guère vu,
jusqu'à Sens, d'autres arbres que des peupliers plantés en quinconces ou
en allées; cela finit par être extrêmement monotone, et par donner trop
d'apprêt et de raideur au paysage.

La cathédrale de Sens est belle, dans de justes proportions; deux objets
de sculpture y attirent particulièrement l'attention: le mausolée du
Dauphin, père de Louis XVI, et l'autel de saint Leu, où ce bon évêque de
Sens est représenté, subissant son martyre, qui lui fut, en effet, imposé
à Sens même; ce groupe en marbre blanc ne laisse pas que de faire
impression. Je trouve le mausolée du Dauphin lourd dans son ensemble,
manquant de simplicité dans sa composition, mais beau dans quelques-unes
de ses parties. Le trésor de la Cathédrale est non seulement fort riche
en reliques dont on peut contester l'authenticité, mais encore en
vieilleries qui m'ont intéressée, parce qu'elles portent un vrai cachet
d'ancienneté. Ainsi le siège de saint Leu, son anneau pastoral, sa
mitre, l'anneau pastoral de Grégoire VII, le peigne dont se servait saint
Leu aux ordinations, les vêtements d'église de Thomas Beckett, qui, comme
je l'ai lu dernièrement encore dans Lingard, s'était, à une première
persécution, réfugié sur le Continent, et avait surtout résidé en France;
ces vêtements sont renfermés dans une caisse en fer, avec beaucoup de
soin. Un beau Christ en ivoire par Girardon vaut bien la peine d'être
examiné.

Dans une lettre de la princesse de Lieven du 29 août, de Baden, que j'ai
trouvée à Sens, il y a ceci: «Les nouvelles qui nous parviennent
d'Angleterre sont étranges. Les ministres auront-ils bien le courage de
mettre à exécution leurs menaces contre les Pairs? Ceux-ci fléchiront-ils
devant ces menaces? J'en doute; mais voilà la collision, si longtemps
différée, qui arrive enfin.--En France on marche parfaitement bien, le
discours de M. de Broglie est superbe. Lord William Russell ne cesse de
dire: _Our alliance is at an end_; la France répudiant les principes
révolutionnaires, et l'Angleterre avançant rapidement dans cette
carrière, ne peuvent plus s'entendre; l'alliance était une alliance de
principes: cette identité de principes n'existant plus, l'alliance est
morte.»


_Paris 7 septembre 1835._--C'est toujours un grand événement pour moi que
de rentrer dans Paris, où j'ai passé tant de mauvais moments: tout mon
passé se déroule devant moi, à mesure que je traverse ces rues, ces
places, qui me rappellent des souvenirs presque tous pénibles.

En allant le long des boulevards, j'ai jeté les yeux, en frémissant, sur
cette maison d'où Fieschi a commis son crime. Elle est toute petite, de
mauvaise apparence; la trop fameuse fenêtre est fermée par des planches.
Dans quelques années, cette maison sera peut-être démolie; j'en serais
fâchée. Un monument expiatoire qu'on élèvera pour l'abattre, au premier
tour de girouette, parlera, ce me semble, bien moins à l'esprit que ne le
fait la conservation exacte des lieux: ils se mêlent mieux à la tradition
en la conservant; chacun en sait l'histoire, et peut y trouver une leçon.
La rue de la Ferronnerie existe encore. On a abattu la salle de l'Opéra
où M. le duc de Berry a été assassiné, pour démolir ensuite la chapelle
qui l'avait remplacée. Et cependant la chapelle d'où Charles IX tirait
sur le peuple est toujours là, toujours montrée, toujours citée. Pourquoi
les crimes des Rois resteraient-ils visibles et ceux des peuples ne le
seraient-ils pas?

Je vais tirer quelques extraits des lettres de M. de Talleyrand qui
m'attendaient à Paris: «Vous trouverez ici dans le ministère plus de
politesse que d'amitié. Être lié intimement avec M. Royer-Collard et ne
pas l'avoir empêché de parler contre les lois de la presse, c'est bien
mal! Voilà notre véritable délit! Thiers même n'est pas venu ici depuis
deux jours. Je ne l'ai pas regretté, parce que je lui aurais dit, fort
net, que je trouvais les articles du _Journal de Paris_, qu'il fait ou
qu'il inspire, fort inconvenants, et qu'il devrait respecter assez M.
Royer-Collard pour garder au moins le silence. La confiance des Tuileries
est aussi une des causes du refroidissement ministériel... Thiers a
beaucoup perdu aux dernières séances de la Chambre! Arriver à la tribune
avec le _National_ d'avant 1830 pour établir qu'on n'a pas dit!!... c'est
se placer bien petitement. Les hommes qui n'ont pas eu une première
éducation ont bien de la peine à se grandir: à la première contradiction
le bout de l'oreille passe... Vous ne pouvez trop louer le discours de M.
de Broglie: tous les encensoirs de Paris ont traversé son salon...
L'affaire de l'évasion de Pépin a beaucoup diminué la consistance du
ministère; il s'est montré incapable dans une circonstance grave, ce qui
fait dire: «Si le gouvernement ne sert pas mieux que cela le Roi, où sera
notre appui à nous autres?» Thiers, au lieu d'employer son esprit à faire
sa position, l'a employé à la diminuer et à la réduire seulement à de
l'esprit. Il s'est mal tiré des dernières séances de la Chambre: d'abord
il a été battu dans un amendement de Firmin Didot, puis il a apporté ses
titres de journaliste à la tribune, ce qui a fait mauvais effet partout.
Et c'est cependant lui qui vaut le mieux dans le ministère, parce qu'il a
du cœur, outre tout son esprit: il aime ses amis, il est bon enfant,
dans la bonne acception du mot, mais il aurait besoin d'être bien entouré
et il l'est très mal... Souvenez-vous que l'espionnage, dans les
Chambres, dans les rues, dans les lettres, est poussé au dernier degré...
Le Roi, la Reine, Madame Adélaïde comptent le plaisir de vous voir parmi
leurs meilleures consolations. Ils en ont besoin, car ils sont, je vous
assure, bien malheureux.--Les Guizot et Broglie vous parleront peut-être
de ma froideur: vous pouvez leur dire que la froideur n'est pas venue de
mon côté; je l'ai reçue.»

Voici maintenant l'extrait d'une lettre de Mme de Lieven, de Bade, du 2
septembre: «J'ai lieu de croire, d'après quelques mots reçus
d'Angleterre, que Peel et lord Grey s'entendent; la querelle des deux
Chambres s'arrangera, à ce que me mande lady Cowper. On trouve en
Angleterre M. le duc de Nemours très bien.»


_Paris, 8 septembre 1835._--M. Thiers est vieilli, souffrant; il n'est
malade que de fatigue et d'épuisement, mais aussi, quelle existence! Il
en veut à ses collègues de marchander les jours de repos qu'il réclame;
il les accuse tout simplement de lâcheté, parce qu'ils reculent devant
trois semaines d'une responsabilité qui pèse toute l'année sur lui, mais
aussi, quelle responsabilité! Celle de préserver le Roi des coups des
assassins! chaque jour voit surgir de nouveaux complots; les déjouer
efficacement est une tâche écrasante.

Jusqu'à présent, le crime de Fieschi ne se rattache à rien d'important;
quelques obscurs complices de cabaret, et voilà tout; les ministres ne
peuvent arriver à rien de plus élevé. M. Thiers trouve même que c'est là
le plus funeste symptôme, que pareille atrocité soit le fruit, non des
passions exaltées, non du fanatisme, ni même d'une combinaison politique
profonde, mais tout simplement le produit de la licence et de l'anarchie
qui règnent dans les esprits.

Fieschi a répondu, au médecin qui le pressait sur le motif qui lui avait
fait commettre le crime: «Je l'ai fait comme un gamin fait sauter un
pétard.» Horrible insouciance! Il est positif que tous les clubs et
sociétés secrètes, carlistes et autres, étaient informés que le 28
juillet il y aurait une tentative faite pour tuer le Roi. Fieschi avait
eu des relations avec quelques brigands comme lui; ceux-ci avaient parlé
à leurs amis, et ainsi un bruit vague s'était répandu dans le public, qui
était même arrivé jusqu'au gouvernement, mais sans détails, sans noms
propres, sans rien de précis. Quant à Fieschi même, c'est tout simplement
une nature de sbire ou de bravo italien, qui prête volontiers son bras
pour commettre un crime, même sans grande récompense.

M. Guizot, qui a été chargé d'annoncer l'événement à la Reine, me disait
qu'elle avait été saisie de maux de nerfs; Madame Adélaïde d'un désespoir
et d'une sorte de rage, qui lui avait ôté tout empire sur elle-même, et
qu'à la lettre, elle ne se connaissait plus. Quant à la duchesse de
Broglie, qui était aussi à la Chancellerie, sur la place Vendôme, avec la
Reine, elle avait été fort émue, mais plus forte que son émotion. A cette
occasion, M. Guizot m'a dit qu'il comparait l'âme de Mme de Broglie à un
grand désert avec de belles oasis, qu'il y avait en elle de grandes
lacunes, mais cependant beaucoup de force et de puissance.


_Paris, 9 septembre 1835._--Les ridicules de Sébastiani se font jour
jusque dans le cabinet de Madame Adélaïde; ils paraissent être, en effet,
hors de proportions. On se moque fort de lui à Londres et il s'y déplaît
beaucoup. Il dit, avec sa parole dogmatique et paralytique: «La société
anglaise m'est indigeste.» Quant à sa femme, ses bêtises et ses naïvetés
sont devenues proverbiales. Ils reçoivent peu, on les délaisse; lord
Palmerston est le seul qui, pour faire contraste avec les insolences dont
il honorait M. de Talleyrand, soit aux petits soins avec le général, lui
fasse sans cesse des visites du matin, le tienne au courant, avec
empressement, de toutes les nouvelles insignifiantes. Enfin, c'est du
noir au blanc!

La légion anglaise soulevée par le général Alava vient d'être battue en
Espagne; cette abominable canaille qu'il avait enrôlée a lâché pied tout
de suite.

Le compromis entre les deux Chambres en Angleterre a lieu: c'est une
trève jusqu'à la session prochaine.

J'ai vu le Roi, qui m'a raconté le 28 juillet. Ce qui est fort singulier,
c'est qu'il ait, dès la veille, averti ses ministres qu'on tirerait sur
lui par une fenêtre, parce que cela serait plus sûr pour l'assassiner. M.
Thiers et le général Athalin craignaient une attaque à bout portant, et
désiraient que le Roi prît des précautions contre ce genre de tentative,
à quoi il s'est absolument refusé, comme étant inutile. Ces messieurs se
rendirent en partie à l'avis du Roi, mais dirent qu'ils croyaient que le
coup, s'il avait lieu, partirait d'une rue étroite; le Roi, au contraire,
soutint qu'ils se trompaient, que la tentative aurait lieu sur le
boulevard, à cause des arbres qui masqueraient mieux l'assassin; enfin,
toutes les prédictions du Roi se sont vérifiées. Il m'a dit que, dans une
vie aussi remplie que la sienne, le moment le plus cruel avait été celui
où l'ordre de la revue l'ayant ramené au bout d'une demi-heure sur la
place même du crime, il avait été obligé de passer au milieu des mares de
sang des morts et des blessés, des cris et des larmes de cette population
mitraillée à cause de lui; son premier mot, en revoyant les siens, a été,
en fondant en larmes: «Mon pauvre maréchal Mortier est mort.» Il est
impossible d'avoir été moins occupé de lui-même, plus simplement
courageux et cependant plus ému des malheurs des autres: il a été
vraiment admirable et il n'y a qu'une voix à ce sujet.

L'Empereur de Russie s'est borné à faire faire un compliment de
condoléances par un chargé d'affaires, sans écrire lui-même, ce qui est
d'autant plus mal qu'il a écrit de sa propre main une lettre de
condoléances à la veuve du duc de Trévise, celui-ci ayant été ambassadeur
à Pétersbourg. Plusieurs petits souverains se sont également tus. Les
lettres de l'Autriche ont été cordiales, celles de la Prusse excellentes,
celles de la Saxe, tendres; de l'Angleterre, convenables; de La Haye,
aimables, d'ailleurs insignifiantes.

Le Roi, qui, avec raison, craint toute secousse, désire garder le
ministère actuel aussi longtemps que possible, mais il croit déjà
remarquer quelques nouveaux germes de division qu'il redoute de voir se
développer pendant le congé de santé qu'a demandé M. Thiers, et qu'il
obtiendra. La recomposition d'un nouveau Cabinet serait extrêmement
difficile, la difficulté gisant surtout dans la question de la présidence
qui met toutes les vanités en jeu. Le Roi voudrait abolir tout à fait
cette présidence, et, pour cela, il voudrait la confier, momentanément,
à quelqu'un hors de ligne, qui n'admettrait pas de concurrents et pas de
successeurs, et c'est alors qu'il pense à M. de Talleyrand. Du reste, le
Roi a au moins autant d'aigreur que par le passé contre le parti
doctrinaire du Cabinet, et craint, avant tout, que dans une décomposition
partielle, ce ne soit cette fraction-là qui se recrute.

Je suis toujours surprise du mensonge, quand il porte sur des choses qui
n'ont aucune utilité. Que les journalistes s'amusent à tromper le public,
à la bonne heure; mais que les ministres s'amusent à faire des contes,
c'est étrange! Ainsi, M. Guizot m'a dit, avant-hier, que c'était lui qui
avait annoncé à la Reine la catastrophe du 28 juillet à l'hôtel de la
Chancellerie. Eh bien! c'est encore aux Tuileries, et au moment de se
rendre à la Chancellerie, que les Princesses ont été informées par deux
aides de camp envoyés par le Roi du danger que celui-ci venait de courir!
La vanité fait faire de bien petites choses! Y a-t-il rien de plus puéril
que de faire une histoire sur un fait de ce genre?


_Paris, 10 septembre 1835._--M. le duc d'Orléans regrette le projet de
mariage manqué en Wurtemberg. Il veut, dit-il, avoir le cœur net à
l'égard de la princesse Sophie, et passer par Stuttgart, au premier
voyage en Allemagne. Il dit que s'il en épousait une autre sans l'avoir
vue, il croirait avoir manqué sa destinée.

M. le duc d'Orléans est assez aigre sur le ministère en général; la
famille royale est disposée à s'en prendre à la négligence, à
l'étourderie, si ce n'est pire, de la police. Il est sûr qu'elle n'a pas
été bien habile depuis quelque temps, mais quant à l'évasion de Pépin, la
faute en est uniquement à la négligence de M. Pasquier qui donne,
négligemment et rejeté dans son fauteuil, des ordres incomplets, et aussi
un peu à M. Martin du Nord qui les transmet, avec encore moins de
détails, à des agents inférieurs qui les exécutent avec paresse. M.
Legonidec, pour se disculper, porte des charges assez graves contre ses
supérieurs; aussi y a-t-il des personnes qui vont jusqu'à expliquer
l'incurie de M. Pasquier, par sa crainte de trouver quelque carliste au
fond de l'affaire Fieschi. C'est tout ce que désirerait Madame Adélaïde,
c'est tout ce que redouterait la Reine. L'opinion du Roi est que le coup
est républicain. Arriver, s'il se peut, à la vérité, voilà l'essentiel,
et le parti-pris des ministres de ne voir dans toute cette affaire qu'une
conspiration de cabaret est peu propre à conduire à de nouvelles
découvertes.

Le prince Léopold de Naples, dans la question de son mariage, est accusé
d'une duplicité qui aurait pu en dégoûter toute autre que la princesse
Marie, mais elle tient à s'établir, il ne se présente pas d'autre parti
et, comme dit le Roi: «Vous ne savez donc pas qu'il faut absolument
marier des Princesses napolitaines.» Sa fille l'est à moitié.

L'aînée de nos Princesses, la Reine des Belges, avait si peu de goût à
épouser le Roi, son mari, qu'elle ne veut plus retourner à Compiègne, où
son mariage a été célébré, et c'est pour cela principalement qu'on
arrange cette année-ci un voyage à Fontainebleau. Cependant,
l'éloignement de la Reine Louise pour son mari s'est transformé depuis en
une passion conjugale, au point qu'elle vit à peu près enfermée avec le
Roi dans un tête-à-tête non interrompu, pas même par ses dames ou par le
grand-maître de la maison. Tout se traite par écrit avec eux. Le Roi et
la Reine s'occupent dans deux cabinets contigus dont la porte reste
ouverte. Le Roi, casanier et méfiant, aime assez cette vie qui est
surtout du goût de sa femme, car elle n'est qu'aimée, au lieu qu'elle
adore. Je tiens ces détails de son frère, M. le duc d'Orléans.


_Paris, 11 septembre 1835._--Mon fils Alexandre, qui arrive d'Italie, dit
qu'elle est couverte de moines, fuyant d'Espagne et apportant les
richesses de leurs couvents: les pierres précieuses qui en proviennent se
vendent à vil prix.

La Reine des Français, quoique d'une santé délicate, se couche tard; elle
ne se met au lit qu'après avoir parcouru elle-même toutes les pétitions
qui lui sont adressées, et cela surtout par la crainte de manquer un avis
utile pour la sûreté du Roi, qui pourrait lui être donné sous cette
forme.

Au moment même où le Roi a vu, le 28 juillet, ses trois fils autour de
lui, il s'est tourné vers Thiers et lui tendant la main il lui a dit:
«Soyez tranquille, je vis et je me porte bien.» Ce sont des paroles de
Henri IV!


_Maintenon, 12 septembre 1835._--Ce lieu-ci est tout arrangé, tout
meublé; l'appartement est beau, l'établissement considérable, la rivière
vive, les aqueducs grandioses; pour qui n'a pas besoin de vue, et pour
qui ne craint pas l'humidité, ce vieux château, si riche en souvenirs,
est une des meilleures et des plus nobles habitations.


_Courtalin, 13 septembre 1835[65]._--Ici, où on est fort au courant de ce
qui se passe à la Cour de Charles X, on assure que le langage sur le
crime du 28 juillet y a été très doux et très convenable. Cette
malheureuse Cour exerce son animosité contre son propre intérieur dans
une sorte de guerre intestine; ce sont les mêmes intrigues, les mêmes
rivalités qu'autrefois à Rome, à la Cour du Prétendant.

  [65] Ce château appartenait au duc de Montmorency.


_Rochecotte, 14 septembre 1835._--J'ai été ce matin voir le prince de
Laval dans son joli manoir de Montigny, qu'il arrange et qu'il orne à
merveille, en cherchant à lui conserver son caractère gothique. C'est un
lieu qui sied bien aux goûts héraldiques du propriétaire.

J'ai trouvé, à Tours, le préfet un peu irrité d'un ordre ministériel qui
provoque un compte rendu exact des journaux auxquels les employés de
l'administration sont abonnés; en effet, cette petite inquisition sent un
peu la curiosité de la Restauration.


_Valençay, 15 septembre 1835._--J'ai dîné aujourd'hui à Beauregard, chez
Mme de Sainte-Aldegonde; c'est un beau château, ancien rendez-vous de
chasse de François Ier, lorsque, de Chambord, il allait courre le cerf
dans la forêt de Roussé. Il y a une galerie avec cent vingt portraits,
assez mauvais, mais curieux, parce qu'ils représentent tous les
personnages célèbres de l'époque dans toute l'Europe. Cette galerie est
carrelée en faïence du temps. Le château renferme de vieux lambris et de
vieux meubles très bien conservés par la propriétaire actuelle.

Je suis arrivée tard à Valençay, où j'ai trouvé M. de Talleyrand maigri,
se plaignant de palpitations de cœur et d'une gêne assez pénible dans le
bras gauche. Il venait de recevoir une lettre du Roi, qui lui annonçait
la nomination de M. de Bacourt au poste de ministre à Carlsruhe. Voici
les expressions du Roi qui ont trait au peu de déférence de M. de Broglie
pour lui[66]: «Mon cher Prince, le moyen auquel mon _impuissance_ m'a
décidé à recourir a eu un plein succès, et ce que vous désiriez est fait:
j'ai voulu avoir au moins le plaisir de vous l'annoncer moi-même en vous
renouvelant de tout mon cœur l'assurance de cette vieille amitié qui
vous est connue depuis si longtemps.»

  [66] Allusion à la démarche que le prince de Talleyrand avait
  faite auprès du Roi pour faire nommer M. de Bacourt à Carlsruhe.

Le Roi des Français n'est pas le seul souverain qui n'aime guère ses
ministres; celui d'Angleterre déteste les siens; il parle tout haut, à
table, contre eux, ainsi que contre sa belle-sœur, la duchesse de Kent,
qui, pendant ce temps-là, promène sa fille de comté en comté, écoute les
harangues, y répond, et fait déjà la Régente.


_Valençay, 16 septembre 1835._--Mlle Sabine de Noailles a seize ans, de
la grosse beauté, une voix d'homme, de l'esprit, de l'instruction, de la
mémoire comme tous les Noailles, et enfin de la brusquerie dans les
manières. A dîner, à Courtalin, elle élève la voix et, s'adressant à M.
de Talleyrand dont elle n'était pas la voisine, elle lui dit: «Mon oncle,
voulez-vous boire un verre de vin avec moi?--Très volontiers, mon neveu,»
lui répond M. de Talleyrand.

Le duc de Modène fait le petit tyran dans ses États. Une de ses vexations
les plus habituelles est de faire couper les favoris et la moustache de
ceux dont les passeports offrent la moindre irrégularité; la mode du
temps rend cette tonte plus douloureuse que ne le serait la prison;
celle-ci y est, du reste, jointe assez ordinairement.

La grand'mère du duc d'Arenberg actuel, amie intime de Marie-Thérèse,
grande et noble dame à tous égards, vint en France sous le Consulat pour
obtenir sa radiation de la liste des émigrés et la restitution de ses
biens qui étaient encore sous le séquestre. Elle vint demeurer chez la
maréchale de Beauvau avec laquelle elle était liée. Il lui fallut écrire
à Fouché et demander une audience; celle-ci accordée, elle vint à l'hôtel
de police; on ne permit pas à sa voiture d'y entrer, elle fut obligée de
descendre à la porte et de se crotter en traversant la cour. Le ministre
étant occupé ne put recevoir la duchesse d'Arenberg et la renvoya à son
premier commis. Celui-ci lui dit qu'elle pouvait s'asseoir pendant qu'il
chercherait le carton qui contenait les papiers relatifs à son affaire.
Il se mit à feuilleter un registre, puis s'écria: «Mais votre affaire
est rayée depuis quinze jours! Vous êtes toute rayée. Oh! bien! citoyenne
d'Arenberg, puisque je suis le premier à vous donner cette bonne
nouvelle, il faut que je vous embrasse!» Et le voilà prenant la duchesse
par la tête et lui baisant les joues. Mais Mme d'Arenberg n'était point
encore au bas de l'escalier qu'il la rappelle en lui criant: «Eh!
citoyenne d'Arenberg, je me suis trompé; ce n'est pas vous, c'est une
d'Alembert qui est rayée!» Et voilà la pauvre Duchesse revenant chez Mme
de Beauvau après avoir été embrassée et non rayée! Le Premier Consul, qui
sut cette histoire le lendemain, fit aussitôt rayer la Duchesse, qui
rentra dans ses biens.


_Valençay, 17 septembre 1835._--La princesse de Lieven a eu, à Bade, une
conversation assez curieuse avec M. Berryer, l'avocat-député: «Que
pensez-vous, monsieur, des nouvelles lois proposées par le gouvernement
français à l'occasion de l'attentat du 28 juillet?--J'en approuve le
principe, et c'est pour cela que ne vais pas siéger à la Chambre où, par
ma situation, je serais obligé de les combattre.--Croyez-vous à la durée
du gouvernement actuel?--Non.--A la République?--Non.--A Henri
V?--Non.--Mais à quoi croyez-vous donc?--A rien; car, en France, rien
n'est possible à établir!» M. Berryer est parti le lendemain pour Ischl y
voir Mme la duchesse de Berry, et de là à Naples.


_Valençay, 18 septembre 1835._--M. de Talleyrand m'inquiète, non que je
croie grave l'incommodité dont il se plaint, mais il en est frappé. Il
parle souvent de sa fin, il en a évidemment effroi, il en repousse
l'image avec horreur. Il soupire souvent et hier je l'ai entendu s'écrier
avec une profonde tristesse: «Ah! mon Dieu!» Les nouvelles, la politique
l'intéressent, mais nous ne sommes pas en fonds pour cela ici.


_Valençay, 19 septembre 1835._--Lord Alvanley, revenant en fiacre du lieu
où il s'était battu avec le fils d'O'Connell, donna une pièce d'or au
cocher; celui-ci, surpris de cette générosité, dit: «Comment, my lord,
une pièce d'or pour vous avoir mené si près?--Non, mon ami, mais pour
m'en avoir ramené!»

Le bon et excellent docteur Bretonneau que j'ai appelé, de Tours, vient
d'examiner M. de Talleyrand; il déclare que son mal n'est que dans les
muscles, tiraillés et fatigués par les efforts que M. de Talleyrand est
obligé de faire pour s'aider de ses bras, à défaut de ses jambes. De
plus, il le trouve dans un état nerveux de langueur et d'ennui, mais,
enfin, rien de dangereux. Ce qu'il y a de pis, c'est la faiblesse
croissante des extrémités qui peut, d'un instant à l'autre, faire
craindre une impotence complète. Bref, toutes les conditions d'une
existence difficile, mais aucune d'une existence qui touche à sa fin.
J'espère que la présence et les douces et spirituelles paroles de
Bretonneau auront calmé l'esprit de M. de Talleyrand.


_Valençay, 20 septembre 1835._--Le général Sébastiani a manqué de sauter
dans Manchester-Square à Londres. Un nouveau Fieschi y avait établi une
petite machine infernale; une pauvre femme seule aurait été blessée, on
ne sait encore rien de plus. Tout est crime et mystère dans le temps
actuel!

M. Royer-Collard nous a parlé hier de son dernier discours à la Chambre
des députés. Il dit qu'il se serait cru déshonoré s'il s'était tu, qu'il
se serait fait porter à la tribune plutôt que de se taire dans une
circonstance qui intéressait la gloire de toute sa vie; enfin, qu'il
serait mort s'il n'avait pas parlé, et qu'il ne se porte mieux que parce
qu'il a pu dire toute sa pensée.

J'ai eu le courage de toucher la question des cours prévôtales[67] à
l'époque de la seconde Restauration, qu'on lui a tant reprochées
dernièrement, et voici ce que M. Royer-Collard m'a répondu: «J'ai été, en
effet, nommé, avec plusieurs conseillers d'État, pour examiner le projet
de loi, avant que le ministère le portât à la Chambre. M. Cuvier et moi
combattîmes le projet dans son principe et nous le fîmes beaucoup
modifier dans les détails. M. de Marbois, alors garde des sceaux, qui
n'aimait guère cette loi, désirant la faire porter aux Chambres par des
hommes qui y étaient opposés, me nomma Commissaire du gouvernement sans
me consulter. Je ne l'appris que par le _Moniteur_ et je m'en plaignis
avec amertume. Je n'ai point paru à la Chambre comme Commissaire pendant
la discussion de la loi, et je porte le défi à qui que ce soit de citer
un mot de moi en faveur de cette loi.» Il a ajouté que M. Guizot, alors
secrétaire général du ministère de la Justice, n'aurait pas dû se borner
à citer charitablement à ses collègues du Cabinet actuel le _Moniteur_
qui contient son nom, mais qu'il aurait dû, en même temps, dire de quelle
manière les choses s'étaient passées. Si cette accusation, au lieu d'être
portée simplement dans les journaux ministériels, l'avait été à la
Chambre, M. Royer serait monté à la tribune pour rétablir la vérité des
faits.

  [67] Les cours prévôtales étaient, en 1789, des tribunaux chargés
  de punir, promptement et sans appel, certains crimes et délits
  définis par une ordonnance de 1731. Sous le Consulat et l'Empire,
  on institua, sous le même nom, des juridictions exceptionnelles
  pour les désertions, les insoumissions, les délits politiques et
  la contrebande. Les cours prévôtales de la Restauration,
  composées de juges de tribunaux de première instance, et dirigées
  par un prévôt, officier supérieur de l'armée, jugèrent, de 1815 à
  1817, sans appel et avec rétroactivité, les crimes et délits
  portant atteinte à la sûreté publique. Elles furent un instrument
  de réaction et de vengeances politiques.

Il est peiné d'avoir blessé M. Thiers dans son discours; ce n'était pas
contre lui qu'il était dirigé, et il aurait désiré pouvoir lui faire une
place à part.

M. Royer, qui n'a pas toujours bien pensé ni bien parlé du Roi
Louis-Philippe, est fort revenu sur son compte. Il disait, hier, devant
le beau portrait du Roi qui est ici, qu'il s'était fort grandi dans sa
pensée, et à tel point qu'il n'aimait pas à se l'avouer à lui-même, tant
il se trouvait en contradiction avec le passé à cet égard, et sa raison
en opposition avec ses goûts.


_Valençay, 21 septembre 1835._--M. de Talleyrand, qui, le premier jour,
avait été rassuré par le dire satisfaisant et consciencieux de
Bretonneau, est retombé dans ses préoccupations sur sa santé. Il
convient qu'il ne songe pas à autre chose et dit que cela tient à
l'ensemble de sa disposition morale qui est triste et ennuyée. En
rentrant chez lui, hier au soir, je l'ai trouvé lisant des ouvrages de
médecine, étudiant l'article des maladies de cœur et se figurant y avoir
un polype. Il souffre cependant fort peu, à de longs intervalles, et ses
souffrances s'expliquent tout naturellement. Ce qu'il a, c'est
évidemment, pour moi qui m'y connais, mal aux nerfs. Cet étrange Protée
lui était inconnu, il le niait chez les autres, il le subit maintenant
sans vouloir le reconnaître.

On dit le général Alava nommé président du Conseil à Madrid. Depuis un
an, il n'avait, disait-il, accepté la mission de Londres que parce que le
duc de Wellington était ministre; il y est resté, malgré la retraite du
Duc, parce que, disait-il, Martinez de la Rosa était président du Conseil
à Madrid; il n'a pas pu se retirer en même temps que Martinez de la Rosa
parce que, disait-il, celui-ci a été remplacé par Toreno qui était aussi
son ami! Il a conduit lui-même, en Espagne, la légion anglaise qu'il
avait formée à Londres, après avoir juré de se déclarer pour don Carlos,
le jour où la Régente appellerait un seul étranger à la défense de sa
cause, et enfin, il serait maintenant fait chef du Cabinet espagnol par
Mendizabal, qu'il chassait jadis de chez lui parce qu'il était un voleur
et un coquin! C'est, il faut en convenir, pousser la logique de
l'inconséquence à ses dernières limites.


_Valençay, 22 septembre 1835._--C'est la première fois depuis vingt et
un ans que cet anniversaire[68] se passe pour moi loin de M. de
Talleyrand, qui est parti hier pour le conseil général de Châteauroux. Je
suis restée seule avec la génération qui est destinée à lui succéder ici.
Cela m'a fait faire plus d'une réflexion, et surtout celle que le jour où
M. de Talleyrand ne serait plus, je viendrais bien rarement à Valençay,
non pas que j'aie la crainte qu'on y serait mal pour moi, mais parce que
les souvenirs du passé rendraient tout pénible et que le contraste que
déjà je remarquais hier tendra toujours à se marquer davantage. Je ne me
sentais point appelée à régler, à tenir le salon, je n'étais point chez
moi, et je voudrais avoir des ailes à déployer pour prendre mon vol vers
Rochecotte.

  [68] Le 22 septembre, jour de la Saint-Maurice, était la fête de
  M. de Talleyrand, dont ce saint était le patron.

M. Mennechet, jusqu'à présent rédacteur de _la Mode_, journal carliste,
diffamateur par principe, a dit ceci: «Figurez-vous que depuis cinq ans
que je combats sur la brèche pour le monde qui est à Prague, je n'ai eu
que deux lettres de leur part: la première du Roi Charles X, qui se
plaignait amèrement des caricatures que nous lui avions envoyées contre
le Roi Louis-Philippe, et qui nous recommandait de cesser d'en faire; la
seconde est de Madame la Dauphine, qui m'a écrit il y a deux mois une
lettre extrêmement sévère, et qui m'a renvoyé notre journal en déclarant
qu'elle cessait son abonnement parce que nous avions inséré un article
dans lequel nous disions avoir _vu_ ou _reçu_ une lettre d'elle qui
contenait de bonnes nouvelles de M. le duc de Bordeaux.» M. Mennechet,
navré de ces deux lettres, a quitté la rédaction du journal. Je trouve
les lettres de Prague très raisonnables, et très honorables pour ceux qui
les ont écrites.


_Valençay, 23 septembre 1835._--J'attends avec impatience le retour de M.
de Talleyrand de Châteauroux. Quoiqu'il soit devenu triste et irritable,
sa présence fait bien ici; elle remplit ce grand château, elle y
maintient le bon langage et la bonne tenue. Je sais d'ailleurs, alors,
pourquoi je suis ici.


_Valençay, 24 septembre 1835._--Le dire de Bretonneau s'est vérifié. M.
de Talleyrand est revenu de Châteauroux ranimé et satisfait de l'accueil
du préfet, de l'empressement de toute la ville et du succès d'une route
qui l'intéresse.

Madame Adélaïde me mande que la course que le Roi vient de faire à la
ville d'Eu avait été non seulement bonne pour sa santé, mais encore douce
à son cœur et consolante pour tous les siens, par les témoignages
d'affection impossibles à décrire qu'il a reçus tout le long de sa route.

Pépin a été enfin repris le 22 au matin, à ce que me mande aussi Madame,
mais elle venait de l'apprendre et n'ajoute aucun détail.

M. de Rigny est signalé à Toulon, ce qui prouve qu'il n'a pas réussi dans
la négociation du mariage napolitain.


_Valençay, 28 septembre 1835._--M. Brenier, qui arrive de Londres, me
racontait hier que le général Sébastiani a autant d'aversion pour la
musique que sa femme, au contraire, a de goût et de plaisir à l'entendre.
Le mari ne permet point à sa femme d'aller à l'Opéra ni au concert. Un
jour cependant, après de longues instances, Mme Sébastiani obtint la
permission de se rendre à un concert chez lady Antrobus; c'était le 18
juin. Le général devait venir, plus tard, y reprendre sa femme. En effet,
il s'y rendit au moment où entrait le duc de Wellington, en uniforme,
entouré de beaucoup d'officiers, qui venaient tous du grand dîner
militaire donné à l'occasion de l'anniversaire de la bataille de
Waterloo. Les chanteurs entonnent alors un hymne en l'honneur du
vainqueur. Sébastiani furieux dit à M. de Bourqueney, son premier
secrétaire d'ambassade, qui l'avait accompagné, d'avertir Mme Sébastiani
qu'il fallait se retirer. Celle-ci, qui n'entend pas l'anglais et ne
comprenait par conséquent pas les paroles de la cantate, se refusa
d'abord à quitter sa place; mais M. de Bourqueney, encouragé par les
gestes du général en colère, fit enjamber presque de force les banquettes
à la pauvre femme. Ayant enfin rejoint son mari, celui-ci lui dit, de
l'air doctoral et sentencieux qui lui est propre: «Je vous avais bien
dit, madame, que la musique vous porterait malheur!»

C'est ce même M. de Bourqueney, dont, il est ici question et qui écrivait
dernièrement dans le _Journal des Débats_, avant d'aller à Londres avec
Sébastiani, qui a eu le front d'insinuer que c'était lui qui avait, de
Paris, préparé pour M. de Talleyrand le discours que celui-ci a adressé
au Roi d'Angleterre, en lui remettant ses lettres de créance, en 1830.
Voici toute l'histoire de ce discours. M. de Talleyrand, achevant sa
toilette pour se rendre chez le Roi, me dit qu'il lui était venu à
l'esprit qu'il serait convenable de dire quelques mots, que c'était
l'ancien usage, et que dans la circonstance particulière de l'époque, il
y verrait de l'avantage, mais qu'il manquait de temps pour préparer
quelque chose, puis il ajouta: «Voyons, madame de Dino, mettez-vous là et
trouvez-moi deux ou trois phrases que vous écrirez de votre plus grosse
écriture.» C'est ce que je fis. Il changea deux ou trois mots à mon
brouillon; je recopiai le tout pendant qu'on lui attachait ses
décorations et qu'on lui donnait sa canne et son chapeau. Telle est
l'histoire exacte de ce petit discours qui, par des allusions heureuses
et un rapprochement entre 1688 et 1830, fut assez remarqué dans le
temps[69].

  [69] Ce discours se trouve aux pièces justificatives de ce
  volume. J'en détache seulement ici la phrase à laquelle l'auteur
  fait allusion: «L'Angleterre, au dehors, répudie comme la France
  le principe de l'intervention dans les affaires extérieures de
  ses voisins; et l'ambassadeur d'une royauté votée unanimement par
  un grand peuple, se sent à l'aise sur une terre de liberté, et
  près d'un descendant de l'illustre maison de Brunswick.»

Il en est de même de la lettre de démission que M. de Talleyrand a écrite
il y a moins d'un an. On prétend généralement qu'elle est de M.
Royer-Collard, et voici encore ce qui s'est passé à cet égard. J'avais,
dans ma conscience, reconnu qu'il était d'une nécessité absolue pour M.
de Talleyrand de donner sa démission; je familiarisai peu à peu M. de
Talleyrand avec cette résolution; je savais qu'il était toujours
difficile pour lui de rédiger sa pensée, et qu'il lui convenait mieux
d'agir. Aussi depuis longtemps j'avais cherché les paroles qu'il faudrait
employer. Un jour enfin, au mois de novembre de l'année dernière, dans
notre solitude ici, je reparlai à M. de Talleyrand de la convenance qui,
chaque jour, devenait plus grande pour lui de donner cette démission,
devant laquelle il reculait un peu. Il me dit alors que la lettre pour
l'annoncer serait très difficile à faire. Je rassemblais immédiatement
tout ce que j'avais préparé en pensée, je le mis par écrit et retournant
une demi-heure après chez M. de Talleyrand, je le lui lus. Il en fut
frappé, et l'adopta en totalité à l'exception de deux mots qu'il trouvait
trop affectés. Je lui demandai alors de soumettre ce projet de lettre à
M. Royer-Collard; il le voulut bien. Je partis le lendemain pour
Châteauvieux. M. Royer-Collard trouva la lettre bien, seulement il mit à
la fin, _les pensées qu'il suggère_, au lieu de _les avertissements qu'il
donne_ que j'avais mis; puis, au commencement, il changea une expression
qu'il trouvait trop pompeuse, et la remplaça par un mot de meilleur goût.
Et c'est ainsi que, sans aucune nouvelle altération, cette lettre parut
ensuite au _Moniteur_ d'où elle a, pendant assez longtemps, occupé le
public. Toutes les lettres de cette époque écrites par M. de Talleyrand
au Roi, à Madame Adélaïde et au duc de Wellington ont été d'abord jetées
sur le papier et remaniées par M. de Talleyrand. La première seule,
contenant la démission, a été corrigée par M. Royer-Collard; les autres
lui ont été simplement communiquées, il les a toutes approuvées.


_Valençay, 1er octobre 1835._--Hier, j'ai été à Châteauvieux par un temps
épouvantable.

M. Royer-Collard disait que les deux hommes les plus semblables qu'il eût
rencontrés étaient Charles X et M. de la Fayette, tous deux également
fous, également entêtés, également honnêtes. En parlant de M. Thiers, il
a dit: «C'est un polisson, bon enfant, qui a beaucoup d'esprit, quelques
lueurs même de grand esprit, mais bon surtout à perdre un Empire par son
étourderie et son enivrement.» Revenant sur les dernières lois
répressives, il disait: «Je n'ai pas goût à la dictature, mais ma raison
me dit qu'elle peut parfois être nécessaire. Nous sommes peut-être dans
un de ces moments-là. Mais où prendre le Dictateur? Si on proposait
franchement le Roi, je comprendrais, mais les ministres d'aujourd'hui!»


_Valençay, 4 octobre 1835._--J'ai entendu conter hier de singulières
histoires sur M. Cousin dont les idées révolutionnaires d'autrefois sont
changées en sentiments monarchiques les plus exaltés. On cite de lui des
mots charmants à ce sujet. Il paraît que cet illustre Pair a composé un
catéchisme monarchique et catholique. L'ouvrage fait, il va le porter à
M. Guizot qui l'approuve, ainsi que M. Persil, ministre des cultes. On
l'imprime, on l'envoie aux collèges en le recommandant à tous les
établissements de l'Université. Tout cela fait, un pauvre prêtre vient,
le livre à la main, prouver que tous ces docteurs n'ont oublié qu'un seul
petit point de la doctrine catholique, celui du Purgatoire, dont il
n'était pas fait la moindre mention dans le catéchisme doctrinaire,
vérifié et approuvé par M. Guizot qui est ministre de l'Instruction
publique, et en même temps de la religion calviniste!


_Valençay, 10 octobre 1835._--Un préfet, pédant et maussade, refusa de
mauvaise grâce à M. de Talleyrand, l'autorisation de planter un bouquet
de bois, en disant qu'il était _à cheval sur la loi_.--«Ma foi!» répondit
M. de Talleyrand, «vous montez une fière rosse!»

Le célèbre Alfieri, après avoir donné dans les premières idées de la
Révolution française, s'en dégoûta, au point de vouloir quitter la
France, parce qu'un matin, menant lui-même à grandes guides quatre
chevaux au bois de Boulogne, on les lui avait pris violemment pour le
service public; le soir même, il annonça son départ, et aux instances
qu'on lui faisait de rester en France, il répondit: «Eh! que voulez-vous
qu'on fasse dans un pays où les nobles sont sans poignard et les prêtres
sans poison!»


_Valençay, 16 octobre 1835._--Me voici entrée dans de nouveaux soucis.
J'ai été avertie que la princesse de Talleyrand était dans un était de
santé alarmant, et qui menaçait d'une fin prochaine. La baronne de
Talleyrand, qui me le mande, me prie d'y préparer M. de Talleyrand.
J'avoue que j'ai reculé devant cette mission. Les idées sinistres
auxquelles M. de Talleyrand revient si souvent depuis quelque temps, la
tristesse que lui inspire son grand âge, l'inquiétude qu'il manifeste à
chaque petite souffrance, l'impression vive et pénible qu'il reçoit de
la mort de ses contemporains, m'ont fait redouter de lui montrer celle de
sa femme comme prochaine. Je ne craignais pas d'affliger son cœur qui
n'est nullement intéressé dans cette circonstance; mais la disparition
d'une personne à peu près de son âge, avec laquelle il a vécu, qu'il a
jadis assez aimée ou à laquelle il a été assez soumis pour lui donner son
nom, tout cela m'a fait croire que le danger de la Princesse lui
causerait une impression profonde.

Je me suis agitée, tourmentée pour trouver des insinuations détournées,
afin d'aborder la question sans causer de saisissement. Mes premières
paroles à ce sujet ont été écoutées en silence, sans réponse; puis M. de
Talleyrand a aussitôt parlé d'autre chose. Le lendemain cependant, il
m'en a reparlé, mais uniquement, le cas échéant, comme d'un embarras de
deuil, d'enterrement et de billets de part. Il m'a dit que si la
Princesse mourait, il irait passer huit ou quinze jours hors de Paris, et
tout cela, il l'a dit, non seulement avec la plus grande liberté
d'esprit, mais même avec un soulagement visible. Il a immédiatement
abordé les questions d'argent, assez importantes, qui se lient pour lui à
la succession de sa femme, par laquelle il rentrerait et dans la
jouissance d'une rente viagère, et encore dans d'autres sommes à la
propriété desquelles la mort de la Princesse mettrait fin pour elle. Tout
le reste du jour, M. de Talleyrand a montré une sorte de sérénité et
d'entrain, que je ne lui avais pas vue depuis longtemps, et qui m'a
tellement frappée que, l'entendant fredonner, je n'ai pu m'empêcher de
lui demander «si c'était son prochain veuvage qui le mettait si fort en
hilarité». Il m'a fait la grimace, comme un enfant qui joue, et a
continué à parler de ce qu'il y aurait à faire si la Princesse mourait.
Outre la satisfaction de retrouver par là plus de facilité dans son
revenu qui, par plusieurs causes, a notablement diminué depuis quelques
années, ce dont il dépitait extrêmement, il y a probablement, quoiqu'il
n'en convienne pas, même avec moi, dans la perspective de cette mort, le
soulagement de voir briser un lien qui a été le plus grand scandale de sa
vie, parce qu'il a été le seul irrémédiable.


_Valençay, 18 octobre 1835._--Après plusieurs mois de silence, pendant
lesquels le général Alava a échoué, à la tête des bandits anglais qu'il
avait conduits en Espagne, je reçois une lettre de lui, de Madrid, du 6
octobre; elle commence ainsi: «Vous aviez raison, chère Duchesse, de dire
dans le temps que c'était tenter la Providence que d'aller en Espagne
avec des troupes étrangères.» Cette lettre finit par un nouveau retour
vers ma prédiction, qui paraît s'être réalisée pour ce pauvre absurde
Alava, beaucoup plus qu'il ne peut le supporter. Il insiste cependant sur
ce que son honneur était engagé à cette vie de partisan qu'il ennoblit du
titre de chevaleresque et qui n'est qu'un mauvais don-quichottisme.

Il n'a pas besoin d'expliquer pourquoi il a refusé la Présidence, mais il
dit avoir accepté les Affaires étrangères, parce qu'il voyait la sûreté
de la Régente compromise, sans dire en quoi. Puis il ajoute qu'aussitôt
qu'il a été rassuré sur ce point, il s'est retiré entièrement du
Cabinet, qu'il ne songe plus qu'à aller reprendre son poste à Londres,
aussitôt après la session des Cortès. Il paraît sentir tout ce qu'il y a
d'incertain dans cette marche, car il s'écrie: «Dieu seul peut savoir ce
qui, d'ici là, peut se placer entre moi et Londres.» Il termine en disant
que s'il peut se rendre en Angleterre, ce sera par mer, pour éviter Paris
qui, d'après lui, est l'endroit le plus dangereux pour un diplomate
espagnol.

A l'occasion de la France, il dit ceci: «Puisqu'on a attendu le _casus
fœderis_ pour agir, le _casus mortis_ où nous nous trouvons dispense de
penser à notre libération, car les morts n'ont besoin de rien.»


_Paris, 23 octobre 1835._--Nous sommes revenus à Paris depuis quelques
jours.

M. le duc d'Orléans, me parlant hier du mariage manqué à Naples pour sa
sœur la princesse Marie, m'a dit qu'il s'était adressé à son beau-frère,
le Roi des Belges, qui est ici en ce moment, pour qu'il trouvât quelque
cadet de grande lignée en Allemagne, qui, en épousant la Princesse,
viendrait s'établir à Paris. La princesse Marie a de l'esprit, mais une
imagination vive et inquiète, le goût des arts, très peu l'habitude de la
gêne et de la représentation. On verrait dans son établissement à Paris
plus d'assurance de bonheur pour elle, et plus de facilité que dans un
établissement au dehors. Il ne s'en présente aucun de cette dernière
espèce, les chances même paraissent s'éloigner; la Princesse a
vingt-trois ans, la Reine s'afflige et s'inquiète.

Les prétentions pour les enfants du Roi se sont, en tout, fort
amoindries, car M. Guizot disait l'autre jour à M. de Bacourt qui part
pour Carlsruhe, où il faisait remarquer qu'il n'y avait pas d'affaires,
que cependant il y en avait une, celle de conserver la dernière princesse
de Bade pour M. le duc d'Orléans. Cette Princesse est la fille de
Stéphanie de Beauharnais. Je doute qu'un pareil mariage plût au jeune
Prince qui, hier encore, à propos des Leuchtenberg, ne s'est pas bien
exprimé sur les Beauharnais, les taxant tous d'aimer l'intrigue, et ne
voulant pas même faire une exception en faveur de la grande-duchesse
Stéphanie de Bade qui, cependant, dans mon opinion, mérite une place à
part, car elle a non seulement de la bonté, mais encore de l'élévation
d'âme, un peu trop d'activité à la vérité et un peu de prétention au bel
esprit, mais ses sentiments sont tous pris dans un ordre supérieur.

La princesse de Talleyrand est mieux, et si peu occupée de son état
qu'elle ne songe qu'à se faire assurer de nouveaux bienfaits après la
mort de son mari.


_Paris, 24 octobre 1835._--M. Pasquier nous disait hier que Fieschi, à
qui on a été obligé de couper la phalange d'un doigt à la suite des
blessures causées par l'éclat de la machine infernale, avait, de l'autre
main, pris le doigt malade, avant que les chirurgiens s'en emparassent,
et le regardant, avait dit: «Mon petit, j'en suis fâché, mais tu perdras
ta tête avant que je perde la mienne.» Son sang-froid, son courage, sa
force physique, ne sont égalés que par l'excès de sa vanité.

J'ai trouvé les Tuileries tristes, Madame Adélaïde vieillie, le Roi rouge
et bouffi, tous deux affligés du départ du Prince Royal pour l'Algérie.
Châtier un brigand africain ne paraît pas un motif suffisant pour exposer
une vie aussi précieuse. Ils en veulent aux ministres d'avoir plutôt
encouragé qu'arrêté le mouvement aventureux et fort naturel du jeune
Prince.

Le choléra n'est fini ni à Toulon ni en Afrique, il peut en arriver
quelque malheur au Roi. Le mariage manqué à Naples leur donne des
regrets; la froideur extrême du nouvel ambassadeur de Russie, tout les
jette dans le découragement.

L'Empereur de Russie, dans les trente-six heures passées à Vienne, en
hommage apparent au dernier Empereur d'Autriche, et en réalité pour
charmer M. de Metternich par sa femme, et l'archiduc Louis par
l'archiduchesse Sophie, a couru tout Vienne en fiacre, a forcé le caveau
où le dernier Empereur est déposé, et a trouvé moyen, en trente-six
heures, de changer quatre fois d'uniforme.

Les carlistes, à propos de la nomination du comte Pahlen comme
ambassadeur de Russie en France, disent que rien ne prouve mieux le
rapprochement de l'Empereur Nicolas avec le Roi Louis-Philippe, que le
choix d'un fils d'assassin comme ambassadeur près du fils d'un régicide.


_Paris, 27 octobre 1835._--M. de Talleyrand disait hier qu'à son retour
d'Amérique, après toutes les horreurs de la Révolution, rencontrant
Sieyès, il lui demanda comment il avait traversé cette cruelle époque,
ce qu'il avait fait pendant ces tristes années. «J'ai vécu,» répondit
Sieyès! C'était, en effet, ce qu'il y avait de mieux et de plus difficile
à faire!

Le gouvernement, désirant arriver à la mise en liberté des prisonniers de
Ham[70], a saisi ardemment quelques symptômes de dérangement mental qui
se manifestaient chez M. de Chantelauze, pour atteindre ce but. En
conséquence, M. Thiers, avec l'arrière-pensée de faire échanger aux
prisonniers, au bout de quelque temps, une maison de santé pour les
châteaux de quelques amis qui auraient répondu d'eux, avait nommé une
commission de médecins célèbres, pour constater l'état de M. de
Chantelauze d'abord, et par occasion, celui des autres anciens ministres;
mais M. de Chantelauze, aussitôt qu'il entendit parler de l'arrivée des
médecins, se hâta de déclarer, positivement, qu'il les recevrait
poliment, comme gens de mérite, mais nullement comme médecins; qu'il ne
répondrait à aucune de leurs questions, et qu'il veut sa liberté pleine,
entière, immédiate, ou rien du tout. Je ne pense pas que ses compagnons
d'infortune lui sachent bien bon gré de cette humeur dédaigneuse.

  [70] En 1830, les signataires des fameuses ordonnances qui
  amenèrent la chute de Charles X, MM. de Polignac, de Peyronnet,
  Guernon de Ranville et Chantelauze, furent traduits devant la
  Cour des Pairs, privés de tous leurs titres et condamnés à la
  prison perpétuelle. Ils étaient alors enfermés à Ham.


_Paris, 14 novembre 1835._--Je viens de recevoir des lettres de lord et
de lady Grey, très amicales. Ils sont fort occupés de leur propriété de
Howick, d'où ils m'écrivent, et paraissent complètement détachés de la
politique.

Lady Grey dit une chose que je répète de bon cœur avec elle: «If my
friends will only love me, and that I can possess a garden in summer, and
an arm-chair in winter, I am perfectly happy in leading the life of an
oyster.--Don't expose me to Mme de Lieven, she would think me unfit to
live!»


_Paris, 16 novembre 1835._--M. de Barante est venu me dire adieu. Il part
demain pour Pétersbourg, le cœur gros, l'esprit préoccupé. Depuis le
fameux discours de l'Empereur Nicolas à Varsovie[71], que Mme de Lieven
elle-même appelle _une catastrophe_, et les articles du _Journal des
Débats_ qui ont commenté ce discours, la position de l'ambassadeur de
France n'est pas rendue facile. Il semble, du reste, dans une direction
fort sage et d'autant plus prudente qu'il l'a reçue directement du Roi.

  [71] Le discours dont il est ici question a été prononcé le 10
  octobre 1835 à Varsovie, par l'Empereur Nicolas, en présence du
  Corps municipal de cette ville auquel il était adressé. Les
  paroles de l'Empereur étaient remplies de menaces et de reproches
  à l'adresse des Polonais, et formulées dans des termes si
  violents qu'elles firent l'étonnement de l'Europe, où l'on
  douta même de leur authenticité. Les allusions aux relations
  clandestines entretenues par l'insurrection polonaise avec
  l'étranger embarrassèrent plus d'un diplomate et plus d'un
  gouvernement. Ce discours fut publié par le _Journal des Débats_
  du 11 novembre 1835. On le trouvera aux pièces justificatives de
  ce volume.

Nous avons dîné, hier, aux Tuileries; il n'y avait que la famille royale,
le service immédiat, et quelques élèves, amis des petits Princes. M. le
duc d'Aumale venait d'être premier, ce qui le mettait _in high spirits_.
C'était le seul qui me parût l'être, de toute la compagnie.

Le Roi a eu la bonté de faire apporter pour moi un portrait charmant de
Marie Stuart, d'autant plus curieux que son origine est touchante. Les
femmes de Marie Stuart passèrent d'Angleterre en Belgique, aussitôt après
l'exécution de leur maîtresse; elles portèrent avec elles ce portrait,
qu'elles placèrent dans un édifice public, où il est encore. La Reine des
Belges en a fait faire une copie parfaite qu'elle a donnée au Roi son
père, et c'est cette copie que j'ai vue.

Le Roi, dans le courant de la soirée, a longtemps causé avec M. de
Talleyrand, et lui a demandé de faire un voyage à Vienne, ce que celui-ci
a décliné, en se rejetant sur la saison, sur son âge et sur la présence
d'un autre ambassadeur déjà accrédité à Vienne.


_Paris, 20 novembre 1835._--L'effet du fameux discours de l'Empereur
Nicolas à la municipalité de Varsovie a été non moins grand et non moins
désagréable à Vienne qu'à Berlin. Les journaux anglais l'ont attaqué
violemment: le _Morning Chronicle_, qui est le journal du Cabinet whig, a
été bien plus violent encore que le _Journal des Débats_. A propos de
celui-ci, il s'est passé quelque chose de singulier. Le gouvernement,
ennuyé de toutes les imprudences et inconvenances que commettent les
_Débats_, et qui deviennent gênantes, à cause de sa couleur
semi-officielle, a pensé à donner un peu plus d'importance au _Moniteur_,
à y faire insérer des articles soignés, et à ôter ainsi aux _Débats_ de
leur importance ministérielle. Cette pensée était celle du Roi qui
l'avait fait adopter par son Cabinet, mais lorsqu'il s'est agi de savoir
sous la direction immédiate de qui se trouverait le _Moniteur_, le duc de
Broglie l'a réclamé comme président du Conseil. Le Roi a, alors, aussitôt
abandonné et fait abandonner le projet et les choses sont demeurées comme
auparavant.

Les lettres d'Angleterre disent le ministère anglais fort embarrassé. Le
timide discours de lord John Russell à Bristol, sans satisfaire les
conservatifs, a irrité les radicaux et les catholiques d'Irlande à un
point extrême, et l'existence du Cabinet paraît sérieusement menacée,
quoique la solution soit ajournée jusqu'à la réunion du Parlement.

Plus je vois le comte de Pahlen, le nouvel ambassadeur de Russie, plus je
lui trouve les allures d'un homme comme il faut. Je vais en citer une
preuve. Je sais de source certaine qu'il a écrit à sa Cour en termes
nets, simples, droits, bienveillants sur ce qu'il a trouvé et sur ce qui
s'est présenté à lui dans ces derniers temps. Il n'a pas laissé ignorer
combien sa situation sociale souffrait des instructions qu'il avait
reçues; il a ajouté qu'il ne se sentait pas appelé à rester dans une
semblable position et il a déclaré nettement que son gouvernement devait
ou changer ses premières directions, ou le rappeler. C'est hier que cette
déclaration est partie. Le Roi et Madame Adélaïde attendent avec
impatience la réponse qui décidera, nécessairement, de la nature des
relations futures entre ce gouvernement et celui de Russie.


_Paris, 23 novembre 1835._--Voici les traits saillants d'une lettre que
je viens de recevoir du duc de Wellington, qui me devait une réponse
depuis longtemps: «Nous sommes toujours sur la grande route où nous
sommes entrés il y a cinq ans; tout ce que nous pouvons espérer, c'est
que notre marche ne sera pas trop rapide. L'arrêt et le retour surtout
sont impossibles. Robespierre était au moins honnête homme en fait
d'argent; sa puissance était fondée sur le désintéressement; mais ceux
qui veulent et viendront à nous gouverner, ne seront pas touchés par la
même considération. Je le crains du moins.»


_Paris, 24 novembre 1835._--J'ai passé hier une matinée singulière, dont
je veux rendre un compte détaillé. Il faut avant, pour l'intelligence du
récit, que je fasse une petite préface.

J'ai, de par le monde, une cousine qui s'appelle Louisa de Chabannes.
Dans sa première jeunesse, elle avait été fort jolie; chantant,
dessinant, très bien élevée, mais pauvre, elle ne trouva pas à se marier,
devint retirée, sauvage, souffrante et presque laide. Je la voyais jadis,
trois ou quatre fois l'an, et toujours j'étais frappée de cette personne
affaissée, maigrie, ternie, nerveuse, silencieuse. Il y a sept ans,
j'appris qu'elle était entrée aux Grandes Carmélites. Je n'en fus pas
surprise, car quoiqu'elle n'eût pas précisément les allures dévotes, il
était bien visible qu'elle se sentait froissée dans le monde; mais, ainsi
que tous ses parents, je fus bien convaincue que les austérités de cet
ordre rigoureux détruiraient bientôt cette organisation délicate et
souffrante. J'entendais cependant, de loin en loin, son frère Alfred dire
qu'elle vivait et se portait mieux que dans le monde.

Hier matin, on me remet une lettre commençant par: «Ma chère cousine,» et
finissant par: «Sœur Thérèse de Jésus.» Je fus d'abord un petit moment
sans comprendre, puis je me souvins de Louisa de Chabannes. Elle me
disait dans cette lettre, qu'ayant enfin obtenu de ses Supérieures la
permission de me voir, elle me suppliait de venir aussitôt, la journée
d'hier étant une de celles qui, en si petit nombre, sont accordées aux
visiteurs; elle ajoutait que, pour ne pas m'effaroucher, elle avait, par
grande faveur, obtenu de me voir à visage découvert, et sans témoins. Je
me serais fort reproché de désappointer cette pauvre fille, et une visite
à M. l'archevêque me conduisant dans ce quartier, je résolus de faire les
deux choses le même jour.

Je suis sortie à deux heures et me suis arrêtée au haut de la rue d'Enfer
devant un portail surmonté d'une croix. La tourière m'a dit que les
vêpres n'étaient pas finies, car ces religieuses disent chaque jour le
grand office, je devrais entrer à la chapelle. Je m'y suis placée. Au
fond du chœur est une grille armée de pointes en saillie, derrière
laquelle est un grand voile brun. C'est de là que partaient les voix des
Sœurs. Il n'y avait, en plus de moi, que deux vieilles dames dans la
chapelle, qui est ornée d'une statue du cardinal de Bérulle agenouillé,
en marbre blanc, et de plusieurs portraits de sainte Thérèse. Je n'avais
pas vu ma cousine assez souvent pour reconnaître sa voix; d'ailleurs,
l'office a fini presque aussitôt. Je suis rentrée chez la tourière, où le
médecin du couvent est arrivé.

Pendant qu'on allait avertir de sa présence et de la mienne, il a vu que
je tremblais de froid, car, dans cette maison, il n'y a jamais de feu
qu'à l'infirmerie et dans la cuisine. Le docteur m'a parlé alors du
régime intérieur, qu'il prétend ne pas être malsain, et, pour preuve, il
me disait qu'après beaucoup d'observations, il avait constaté que l'âge
moyen auquel les femmes parvenaient dans le monde était trente-sept ans
et que, chez les Carmélites, il allait à cinquante-quatre ans. Il m'a
quittée pour aller à l'infirmerie, et bientôt après, on m'a menée au
parloir, toujours sans feu. Un petit fauteuil de jonc, sous lequel
s'étendait une natte également en jonc, était placé auprès d'une grille
en fer, doublée de petits montants en bois, et derrière cette double
séparation un rideau de laine brune.

Au bout de quelques instants, j'ai entendu tourner un verrou, quelqu'un
s'avancer vers la grille, et une voix très claire dire: «Deo gratias». Je
ne savais ce qu'il fallait répondre, je me suis tue; la même voix a
repris: «Deo gratias». Alors, je me suis résignée à dire: «Je ne suis pas
prévenue de ce qu'il faut répondre.» Un petit éclat de rire m'a
déconcertée: «Ma cousine, c'était pour m'assurer que vous étiez là!» Le
rideau a été tiré, et je me suis trouvée en face d'un visage rond, frais,
de deux yeux bleus brillants, d'une bouche souriante. Au lieu d'une voix
éteinte, j'ai entendu des accents timbrés, animés, une parole rapide,
des pensées douces et bienveillantes, avec des assurances d'un bien-être
et d'une satisfaction que ne démentait pas l'aspect le plus consolant
qu'on pût avoir d'une religieuse sévèrement cloîtrée. Elle a
quarante-huit ans, mais ne paraît pas en avoir trente-six. Elle m'a
beaucoup remerciée d'être venue, m'a remis une petite médaille à
l'effigie de la sainte Vierge, en me suppliant de la faire porter, à son
insu, par M. de Talleyrand. «Cette médaille, a-t-elle dit, ramène à la
foi les plus égarés.» Je ne l'ai pas refusée, je n'ai pas refusé d'en
faire l'usage désiré, c'eût été une dureté odieuse. D'ailleurs, il y a
quelque chose de contagieux dans une foi aussi sincère et aussi vive!
J'ai dit que je guetterais un moment favorable pour remplir ces saintes
intentions.

Je suis repartie fort touchée, fort préoccupée, après avoir dit un adieu
probablement éternel à cette douce et heureuse personne, qui couche sur
une planche, ne se chauffe jamais, fait maigre toute l'année, et qui
serait bien fâchée de ne pas dire avec sainte Thérèse: «Souffrir ou
mourir.»

J'ai été, de là, rue Saint-Jacques, au couvent des Dames Saint-Michel,
pour voir Monseigneur l'Archevêque, auquel je voulais parler d'un projet
de mariage pour mon second fils avec Mlle de Fougères. J'ai été menée par
une des Sœurs, vêtue de blanc de la tête aux pieds, dans un petit
bâtiment séparé, qui donne sur l'immense jardin de ces dames. C'est là
que vit habituellement M. de Quélen, depuis la destruction de son palais.
L'appartement est joli, propre, très soigné.

J'ai trouvé l'Archevêque en bonne santé et en bonne disposition d'humeur,
fort aise de ma visite. Il m'a aussitôt parlé de mes enfants, de leur
avenir, de leur mariage. Je n'ai pas hésité à entrer dans des détails
avec lui à ce sujet. Il a bien écouté et m'a dit qu'il serait heureux en
toute circonstance de témoigner l'intérêt qu'il prenait à la famille de
feu M. le cardinal de Périgord et particulièrement à mes enfants; que je
devais bien savoir qu'il avait pour moi un intérêt à part, qui tenait à
mes qualités, et à ce qu'il avait toujours vu en moi l'instrument dont la
Providence se servirait probablement pour accomplir l'œuvre de sa grâce
et de sa miséricorde sur M. de Talleyrand. Je l'ai engagé à venir
quelquefois, le matin, de loin en loin, chez M. de Talleyrand, comme il
le faisait avant notre départ pour l'Angleterre. Quand je suis partie, il
m'a dit: «Traitez-moi, comme jadis, en grand parent, si ce n'est en ami,
et laissez-moi croire que vous reviendrez me voir aux approches du jour
de l'an.» J'ai dit que oui, et que je lui demanderais alors de lui
présenter ma fille, qui avait été baptisée et confirmée par lui. «Et qui,
je l'espère, ne sera mariée que par moi», a-t-il repris, et là-dessus je
me suis retirée.


_Paris, 6 décembre 1835._--Voici une histoire que M. Molé m'a contée hier
soir. Mme de Caulaincourt (Mlle d'Aubusson) s'est mariée en 1812. En
sortant de la cérémonie, elle est rentrée au couvent où elle avait été
élevée et son mari est parti pour l'armée. Il a été tué à la bataille de
la Moskowa, où son beau-frère, jeune page de l'Empereur, a disparu, sans
qu'on ait pu constater son sort. Mme de Caulaincourt, après son année de
veuvage, est entrée dans le monde, sans cependant y aller beaucoup. Elle
tenait la maison de son père, veuf depuis longtemps. Son frère aîné, peu
de temps après avoir épousé Mlle de Boissy, est devenu fou furieux, et sa
sœur, la duchesse de Vantadour, languit dans une lente consomption. Le
père, frappé ainsi dans tous ses enfants, a voulu se remarier. Il a, en
effet, épousé Mme Greffulhe, mère de Mme de Castellane. Mme de
Caulaincourt s'est retirée alors dans un couvent, où elle voulait prendre
le voile. Son père s'y opposa, et l'archevêque de Paris, dont le
consentement était nécessaire, n'ayant pas voulu le donner aussi
longtemps que M. d'Aubusson refusait le sien, Mme de Caulaincourt fut
obligée d'y renoncer. Elle suivait cependant tous les exercices de la
communauté, en portait l'habit, et ne quittait le couvent que lorsque son
père était malade. Le chagrin de se voir contrariée dans sa vocation a
miné sa santé, au point d'attaquer mortellement sa poitrine. Sur son lit
de mort, elle a enfin obtenu la permission de son père; alors, elle a
fait demander l'Archevêque et lui a exprimé le désir de prendre le voile
en recevant l'extrême-onction. Cela a éprouvé quelques difficultés, qui
cependant ont été levées, et quarante-huit heures avant d'expirer, elle a
reçu les derniers sacrements et le voile tant désiré! Hier matin elle est
morte, jeune encore, en vraie sainte.


_Paris, 9 décembre 1835._--Mme la princesse de Talleyrand est morte il y
a une heure. Je n'ai encore parlé à M. de Talleyrand que d'agonie. Là
même où il n'y a pas d'affection, le mot _mort_ est sinistre à prononcer,
et je n'aime pas à l'adresser à quelqu'un d'âgé et de souffrant, d'autant
plus qu'en se réveillant, il a eu encore une petite angoisse au cœur,
qui a cédé, du reste, quand il a mis ses jambes dans la moutarde. Il
s'est rendormi, et je ne lui dirai la mort qu'à son réveil. Du reste, il
a, je crois, grande hâte d'être, à tout prix, hors des agitations de ces
derniers jours.


_Paris, 15 décembre 1835._--M. Guizot, qui est venu, hier, chez M. de
Talleyrand, a raconté qu'on avait trouvé dans les papiers de M. Réal,
ancien chef de la police impériale, le manuscrit original des _Mémoires_
du cardinal de Retz, raturé par les religieux de Saint-Mihiel; que le
gouvernement l'avait acheté, remis au plus habile chimiste de Paris, qui,
après avoir essayé, infructueusement, de divers procédés, en avait enfin
trouvé un, qui lui a permis d'enlever les surcharges et de lire le texte
primitif. On va faire une nouvelle édition des _Mémoires_ d'après ce
manuscrit.

Mme d'Esclignac, qui se conduit fort mal à propos de la succession de la
princesse de Talleyrand, a eu hier une explication avec la duchesse de
Poix. Celle-ci a essayé de lui faire sentir l'inconvenance de sa
conduite, l'odieux d'un procès et de la publicité, son ingratitude envers
M. de Talleyrand qui l'a dotée et qui paye encore, en ce moment, une
pension à sa nourrice qu'elle laissait mourir de faim. A tout cela, Mme
d'Esclignac a répondu: «Je ne crains pas le scandale pour moi, et je le
désire pour mon oncle; j'aurai le faubourg Saint-Germain, puisque j'ai
fait administrer Mme de Talleyrand par l'archevêque de Paris.»


_Paris, 21 décembre 1835._--Le comte de Pahlen a reçu, hier, de son
gouvernement, des dépêches fort satisfaisantes, et dans lesquelles on
l'assure qu'on ne confond pas les extravagances du _Journal des Débats_
avec la pensée du Roi et de son Conseil. Ces dépêches, arrivées par la
poste, étaient, bien décidément, destinées à être connues du public.
L'Ambassadeur attend, d'un jour à l'autre, un courrier, qui apportera
sans doute, la pensée secrète du Czar.

La princesse de Lieven, que j'ai rencontrée hier chez Mme Apponyi, m'a
parlé de ses propres affaires et m'a dit que, depuis longtemps, son mari
et elle avaient placé toutes leurs économies hors de Russie pour être à
l'abri des ukases.

Le prince de Laval disait, hier, assez drôlement que l'esprit de M. de
Montrond «se nourrissait de chair humaine!» M. de Talleyrand trouvait
cela _très vrai_ et _très joli_!


_Paris, 30 décembre 1835._--J'ai vu, hier, Madame Adélaïde qui était très
satisfaite de la séance d'ouverture des Chambres, qui avait eu lieu ce
matin même. Elle était contente de l'accueil fait au Roi, à l'arrivée et
à la sortie, et, pendant toute sa route, par la garde nationale. On
avait eu beaucoup de peine à s'entendre sur le discours de la Couronne,
auquel on travaillait encore, dix minutes avant la séance. Les mots:
«L'aîné de ma race», qui font grande sensation, qu'on trouve hardis, mais
qui plaisent au Corps diplomatique, et aux gens dont l'esprit veut de la
stabilité, ne sortent ni du Château, ni du Conseil. Ils étaient fondus
dans une phrase entière que M. de Talleyrand et moi avions rédigée et que
le Roi avait adoptée avec attendrissement, mais le Conseil n'a voulu
garder que les mots indiqués: «L'aîné de ma race». Les carlistes les
trouvent insolents! Ils reculent, épouvantés, devant une quatrième race!
Les républicains ne les aiment guère mieux, peut-être moins encore... Le
reste approuve beaucoup.

Nous avions hier, à dîner, Mme de Lieven, M. Edouard Ellice, le comte de
Pahlen, Matuczewicz et M. Thiers, qui était _in high spirits_ et fort
brillant de conversation. Il m'a dit, dans un coin, que le Bergeron,
celui du Port-Royal, avait voulu tenter une nouvelle entreprise; qu'il
s'était déguisé en femme, avec un de ses amis, que leur projet était que
l'on présenterait une pétition au Roi, pendant que l'on tirerait à bout
portant. Le projet a manqué, parce que le Roi, au lieu de se rendre à
cheval à la Chambre, comme il le devait, y a été en voiture, à cause du
verglas. On a fait quelques arrestations, mais comme il n'y a pas eu
commencement d'exécution, on suppose qu'il faudra finir par relâcher les
gens arrêtés.

On a été frappé des huit chevaux qui, pour la première fois, étaient
attelés à la voiture du Roi. En voici la raison, inconnue du public. Pour
plus de sûreté, on a fait monter le Roi (qui ne s'en doutait pas), dans
l'ancienne voiture de l'Empereur Napoléon, qui était toute doublée de
fer, pour le mettre à l'abri des coups de feu; elle est extrêmement
lourde et exige huit chevaux.

Le comte de Pahlen a reçu hier un courrier qui lui a apporté des
modifications à ses premières instructions, si sèches et qui rendaient sa
position ici odieuse. Il paraît qu'on a bien compris cela à Pétersbourg
et qu'on lui laisse plus de facilités. Cela mettait Mme de Lieven de fort
bonne humeur!


FIN DU TOME PREMIER



PIÈCES JUSTIFICATIVES



I

Page 375.

    _Discours adressé au Roi d'Angleterre par M. de Talleyrand, le 6
    octobre 1830, en lui remettant les lettres de créance qui
    l'accréditaient comme ambassadeur de France auprès de S. M. le Roi
    d'Angleterre[72]._

  [72] Ce discours fut d'abord inséré dans le _National_; le
  _Moniteur_ le reproduisit quelques jours après.

    Sire,

Sa Majesté le Roi des Français m'a choisi pour être l'interprète des
sentiments qui l'animent pour Votre Majesté.

J'ai accepté avec joie une mission qui donnait un si noble but aux
derniers pas de ma longue carrière.

Sire, de toutes les vicissitudes que mon grand âge a traversées, de
toutes les diverses fortunes auxquelles quarante années, si fécondes en
événements, ont mêlé ma vie, rien, peut-être, n'avait aussi pleinement
satisfait mes vœux, qu'un choix qui me ramène dans cette heureuse
contrée.--Mais quelle différence entre les époques! Les jalousies, les
préjugés qui divisèrent si longtemps la France et l'Angleterre, ont fait
place aux sentiments d'une estime et d'une affection éclairée. Des
principes communs resserrent, encore plus étroitement, les liens des deux
pays. L'Angleterre, au dehors, répudie, comme la France, le principe de
l'intervention dans les affaires extérieures de ses voisins, et
l'ambassadeur d'une Royauté votée unanimement par un grand peuple, se
sent à l'aise, sur une terre de liberté, et près d'un descendant de
l'illustre maison de Brunswick.

J'appelle avec confiance, Sire, votre bienveillance sur les relations que
je suis chargé d'entretenir avec Votre Majesté, et je la prie d'agréer
l'hommage de mon profond respect.


II

Page 385.

_Discours adressé par S. M. l'Empereur Nicolas au Corps municipal de la
ville de Varsovie, le 10 octobre 1835[73]._

Je sais, Messieurs, que vous avez voulu me parler; je connais même le
contenu de votre discours, et c'est pour vous épargner un mensonge, que
je ne désire pas qu'il me soit prononcé.--Oui, Messieurs, c'est pour vous
épargner un mensonge, car je sais que vos sentiments ne sont pas tels que
vous voulez me les faire accroire.

Et comment y pourrais-je ajouter foi, quand vous m'avez tenu ce même
langage la veille de la Révolution?--N'est-ce pas vous-mêmes qui me
parliez, il y a cinq ans, il y a huit ans, de fidélité, de dévouement, et
qui me faisiez les plus belles protestations? Quinze jours après, vous
aviez violé vos serments, vous avez commis des actions horribles.

L'Empereur Alexandre, qui avait fait pour vous plus qu'un empereur de
Russie n'aurait dû faire, a été payé de la plus noire ingratitude.

Vous n'avez jamais pu vous contenter de la position la plus avantageuse,
et vous avez fini par briser vous-même votre bonheur.--Je vous dis ici la
vérité, car je vous vois et je vous parle pour la première fois depuis
les troubles.

Messieurs, il faut des actions et non pas des paroles, il faut que le
repentir vienne du cœur; je vous parle sans m'échauffer; vous voyez que
je suis calme; je n'ai pas de rancune et je vous ferai du bien malgré
vous.

  [73] Nous reproduisons cette pièce d'après le _Journal des
  Débats_ du 11 novembre 1835.

Le Maréchal, que voici, remplit mes intentions, me seconde, dans mes
vues, et pense aussi à votre bien-être.

(A ces mots, les membres de la députation saluent le Maréchal.)

Eh bien, Messieurs, que signifient ces saluts? Avant tout, il faut
remplir ses devoirs, il faut se conduire en honnêtes gens.--Vous avez,
Messieurs, à choisir entre deux partis: ou persister dans vos illusions
d'une Pologne indépendante, ou vivre tranquillement, en sujets fidèles,
sous mon gouvernement.

Si vous vous obstinez à conserver vos rêves de nationalité distincte, de
Pologne indépendante et de toutes ces chimères, vous ne pouvez qu'attirer
sur vous de grands malheurs. J'ai fait élever ici la citadelle, et je
vous déclare qu'à la moindre émeute, je ferai foudroyer la ville, je
détruirai Varsovie, et, certes, ce n'est pas moi qui la rebâtirai.

Il m'est bien pénible de vous parler ainsi; il est bien pénible à un
souverain de traiter ainsi ses sujets, mais je vous le dis pour votre
bien.--C'est à vous, Messieurs, de mériter l'oubli du passé; ce n'est que
par votre conduite, et par votre dévouement à mon gouvernement que vous
pouvez y parvenir.

Je sais qu'il y a des correspondances avec l'étranger, qu'on envoie ici
de mauvais écrits et que l'on tâche de pervertir les esprits; mais la
meilleure police du monde, avec une frontière comme vous en avez une, ne
peut empêcher les relations clandestines; c'est à vous-mêmes à faire le
police, à écarter le mal.

C'est en élevant bien vos enfants, en leur inculquant des principes de
religion et de fidélité à leur souverain, que vous pouvez rester dans le
bon chemin.

Et au milieu de tous ces troubles qui agitent l'Europe, et de toutes ces
doctrines qui ébranlent l'édifice social, il n'y a que la Russie qui
reste forte et intacte.

Croyez-moi, Messieurs, c'est un vrai bonheur d'appartenir à ce pays et de
jouir de sa protection.--Si vous vous conduisez bien, si vous remplissez
tous vos devoirs, ma sollicitude paternelle s'étendra sur vous tous, et,
malgré tout ce qui s'est passé, mon gouvernement pensera toujours à votre
bien-être.

Rappelez-vous bien ce que je vous ai dit!



INDEX BIOGRAPHIQUE

DES NOMS DES PERSONNAGES MENTIONNÉS DANS CETTE CHRONIQUE


A

  ABERCROMBY (George-Ralph), 1800-1852. Colonel dans l'armée
    anglaise, il fut aussi membre du Parlement et lord-lieutenant. Il
    fit partie du cabinet de lord Grey.

  ABERDEEN (George-Hamilton-Gordon, lord), 1784-1860. Il servit avec
    distinction dans la diplomatie anglaise; fit partie de plusieurs
    ministères, et, en 1852, fut appelé aux fonctions de premier
    ministre qu'il exerça pendant trois ans.

  ABERGAVENNY (Henry, comte), 1755-1843. Il épousa, en 1781, Marie,
    fille unique de lord Robinson. Le nom de famille est Neville.

  ABRANTÈS (Laure de Saint-Martin-Permon, duchesse D'), 1784-1838.
    Par sa mère, elle descendait de la famille impériale des Comnènes.
    Née à Montpellier, elle épousa le général Junot à son retour
    d'Égypte, le suivit dans ses campagnes, étudia et observa beaucoup,
    et après la mort de son mari en 1813, se voua à l'éducation de ses
    enfants. Elle composa plusieurs romans, plus faits pour les
    cabinets de lecture que pour les bibliothèques.

  ADÉLAÏDE D'ORLÉANS (Madame), 1777-1847. Sœur cadette du roi
    Louis-Philippe, dont elle fut constamment l'amie dévouée. Cette
    princesse exerçait sur l'esprit de son frère un grand ascendant, on
    la surnommait son _Egérie_. Femme de tête, elle contribua, sous la
    Restauration, à rallier autour de Louis-Philippe les hommes les
    plus distingués du parti libéral, et, en 1830, à le décider à
    accepter la couronne. Elle ne se maria pas et laissa son immense
    fortune à ses neveux.

  ADÉLAÏDE (la reine), 1792-1849. Fille du duc de Saxe-Meiningen,
    elle épousa en 1818 le duc de Clarence qui monta sur le trône
    d'Angleterre sous le nom de Guillaume IV.

  AGOULT (la vicomtesse D'), Anne-Henriette-Charlotte de Choisy,
    morte en 1841. Dame d'atour de Madame la Dauphine, qu'elle suivit
    dans son exil, elle mourut à Goritz. Elle avait épousé le vicomte
    Antoine-Jean d'Agoult qui mourut en 1828. Il fut grand-croix de
    l'ordre de Saint-Louis, gouverneur de Saint-Cloud, pair de France
    en 1823 et chevalier du Saint-Esprit en 1825.

  ALAVA (don Ricardo DE), 1780-1843.  Lieutenant-général de l'armée
    espagnole. Il fut, en même temps que le prince d'Orange, aide de
    camp du duc de Wellington pendant la guerre et contracta alors avec
    le futur roi des Pays-Bas une vive amitié. Il fut ministre
    plénipotentiaire d'Espagne en Hollande, à Londres et à Paris, après
    la mort de Ferdinand VII. En 1834, il fut fait sénateur par la reine
    régente Marie-Christine. Après l'insurrection de La Granja, il se
    retira des affaires et vint se fixer en France où il mourut.

  ALBANY (la comtesse D'), 1753-1824. Caroline de Stolberg avait épousé
    en 1773 le prétendant Charles-Edouard, qui avait pris le titre de
    comte d'Albany. Elle s'en sépara en 1780 et vécut avec le poète
    Alfieri à qui elle avait inspiré une grande passion, et qui l'épousa
    secrètement, après la mort du comte d'Albany. Après qu'Alfieri fut
    mort, la comtesse se retira à Florence, où elle se lia avec le
    peintre français Fabre.

  ALCUDIA (le comte D'). Homme d'État espagnol. Membre du ministère
    Calomarde du vivant de Ferdinand VII, il remplaçait aux Affaires
    étrangères le ministre Salmon; mais il fut toujours un personnage
    secondaire, et perdit son poste à la mort de Calomarde.

  ALDBOROUGH (lady), Cornélie, fille aînée de Charles Landry, épousa en
    1804 lord Aldborough.

  ALEXANDRE LE GRAND. Roi de Macédoine. 356-323 avant Jésus-Christ.

  ALEXANDRE Ier. Empereur de Russie, 1777-1825. Fils aîné et successeur
    de l'empereur Paul Ier, il eut à soutenir de grandes luttes contre
    Napoléon Ier.

  ALFIERI (le comte Victor), 1749-1803, grand poète tragique italien;
    resté orphelin très jeune, son éducation fut très négligée, mais à
    l'âge de vingt-cinq ans, il se fit en lui une métamorphose subite.
    Pour plaire à la comtesse d'Albany, qui lui avait inspiré le goût
    des lettres et de la poésie, il se jeta dans les études les plus
    sérieuses, créa un système de composition poétique nouveau et
    écrivit, en prose, des ouvrages qui devaient le placer à côté de
    Machiavel.

  ALLEN (George), 1770-1843. Médecin et érudit anglais, qui laissa des
    ouvrages historiques, métaphysiques et physiologiques nombreux. Très
    lié avec lord Holland, Allen vivait chez lui.

  ALTHORP (John-Charles-Spencer, lord), 1782-1845. Homme d'État
    anglais, il fut nommé chancelier de l'Échiquier, après avoir été
    ministre de l'Intérieur et lord de l'Amirauté. Médiocrement doué au
    point de vue de l'éloquence et des capacités financières, il fut un
    ministre laborieux, consciencieux, et d'une honnêteté politique
    proverbiale.

  ALVANLEY (lord), 1787-1849. Fils de Richard Pepper-Arden, ministre de
    la Justice, créé en 1801 lord Alvanley, il eut un duel avec Morgan,
    fils d'O'Connell.

  AMÉLIE D'ANGLETERRE (la princesse), 1783-1810. Elle était la dernière
    des quatorze enfants du roi George III d'Angleterre, la favorite et
    la compagne de son père. Elle mourut à vingt-sept ans sans s'être
    mariée.

  AMPÈRE (Jean-Jacques), 1800-1864. Professeur au Collège de France,
    littérateur distingué, membre de l'Académie des inscriptions et
    belles-lettres et de l'Académie française.

  ANNE D'AUTRICHE. Reine de France. 1602-1666. Fille aînée de Philippe
    II, roi d'Espagne, elle épousa Louis XIII, roi de France, et, à sa
    mort, devint régente pendant la minorité de son fils Louis XIV.

  ANNE PAULOWNA. Reine des Pays-Bas, 1795-1865. Elle était une des
    filles de l'empereur Paul de Russie et épousa en 1816 le roi
    Guillaume II des Pays-Bas.

  ANNE STUART. Reine d'Angleterre. 1665-1714. Fille de Jacques II. Elle
    lutta contre Louis XIV et réunit l'Écosse à l'Angleterre.

  ANTROBUS (lady), 1800-1885. Anne, fille unique de Hugh Lindsay,
    épouse de sir Edmond Antrobus.

  APPONYI (la comtesse), 1798-1874. Elle était fille du comte Nogarola;
    elle épousa en 1818 le comte Antoine Apponyi, qui fut pendant de
    longues années ambassadeur d'Autriche à Paris.

  ARBUTHNOT (Mrs), morte en 1834. Mrs Arbuthnot et son mari Charles
    Arbuthnot, surnommé _Gosch_ dans le monde, étaient les amis les plus
    intimes du duc de Wellington, chez lequel ils vivaient, et très
    répandus dans la haute société de Londres.

  ARENBERG (la duchesse D'), née en 1730. Louise-Marguerite, fille
    unique et héritière du dernier comte de la Mark, épousa, en 1748, le
    duc Charles d'Arenberg.

  ARENBERG (le duc D'), Prosper-Louis, 1785-1861. Il avait épousé une
    princesse Lobkowitz en 1819.

  ARENBERG (le prince Pierre D'), 1790-1877. Il épousa en premières
    noces, en 1829, Mlle de Talleyrand-Périgord, qui mourut en 1842; en
    1860, il se remaria avec la fille du comte Kannitz-Rietberg, veuve
    du comte Antoine Starhemberg.

  ARENBERG (la princesse Pierre D'). 1808-1842. Alix-Marie-Charlotte,
    fille du duc et de la duchesse de Périgord.

  ARGENSON (le comte Voyer D'), 1771-1842. Petit-fils de Marc-Pierre
    d'Argenson, ministre de la guerre sous Louis XV. Il était entré au
    service militaire en 1791. En 1809, il fut préfet du département des
    Deux-Nèthes (Anvers). Député sous la Restauration et le gouvernement
    de Juillet, il se fit remarquer par ses opinions libérales. Il avait
    épousé la veuve du prince Victor de Broglie, mère du duc Victor.

  ARNAULT (Antoine-Vincent), 1766-1834. Poète tragique et fabuliste
    français. Il s'attacha de bonne heure à Bonaparte, qu'il accompagna
    en Égypte et qui le nomma gouverneur des îles Ioniennes; puis, il
    travailla à l'organisation de l'Instruction publique. Il fut admis à
    l'Institut dès 1799 et devint en 1833 secrétaire perpétuel de
    l'Académie française.

  ASHLEY (sir Antoine), 1801-1881. Homme politique et philanthrope
    anglais. En 1830, il épousa lady Emilie Cooper et, en 1851, à la
    mort de son père, devint _lord Shaftesbury_. En 1826, il était entré
    à la Chambre des communes, et fit partie de plusieurs ministères.

  ATHALIN (le baron Louis-Marie), 1784-1856. Général du génie en
    France, il fit avec distinction les campagnes de l'Empire, reçut le
    titre de baron après la bataille de Dresde et devint, sous la
    Restauration, aide de camp du duc d'Orléans. Il fut chargé de
    plusieurs missions diplomatiques et nommé pair de France quand
    Louis-Philippe monta sur le trône. Après 1848, il rentra dans la vie
    privée.

  AUBUSSON DE LA FEUILLADE (Pierre-Hector-Raymond, comte D'),
    1765-1848. Sous le premier empire, il fut chambellan de
    l'impératrice Joséphine, puis ministre plénipotentiaire et
    ambassadeur. Il fut nommé pair par l'empereur aux Cent-Jours. La
    seconde Restauration l'éloigna: il ne rentra à la Chambre des pairs
    qu'en novembre 1831. Il était père de la duchesse de Lévis; il fut
    le dernier de son nom, ayant perdu en 1842 son fils, devenu fou.

  AUGEREAU (Pierre-François-Charles), 1757-1816. Maréchal de France
    sous le premier empire, duc de Castiglione, il se signala dans
    plusieurs campagnes. Il exécuta le coup d'État du 18 fructidor.

  AUGUSTE D'ANGLETERRE (la princesse), fille du roi George III; elle ne
    se maria jamais.

  AUTRICHE (l'empereur D'), Ferdinand Ier, 1793-1875. Fils de François
    II, il monta sur le trône en 1835. Son incapacité et sa mauvaise
    santé l'obligèrent à laisser le gouvernement à une régence dirigée
    surtout par le prince de Metternich. Il abdiqua, en 1848, en faveur
    de son neveu François-Joseph Ier.

  AUTRICHE (l'archiduc Louis-Joseph D'), 1784-1864, fils de l'empereur
    Léopold II et de l'impératrice Marie-Louise, fille du roi Charles
    III d'Espagne. Il fut directeur général de l'artillerie.

  AUTRICHE (l'archiduchesse Sophie D'), 1805-1872. Fille de Maximilien
    Ier, roi de Bavière, elle épousa en 1824 l'archiduc François-Charles
    et fut la mère de l'empereur François-Joseph Ier.


B

  BACKHOUSE (John), mort en 1845. Homme d'État et écrivain anglais.
    Il fut, pendant quelques années, secrétaire particulier de Canning.
    Il a été deux fois sous-secrétaire aux Affaires étrangères.

  BACOURT (Adolphe-Fourrier DE), 1801-1865. Diplomate français, pair
    de France. Il fut envoyé à Londres auprès du prince de Talleyrand
    qui y était ambassadeur du roi Louis-Philippe. Il fut ensuite
    ministre à Carlsruhe, à Washington et ambassadeur à Turin. Il
    démissionna en 1848.

  BAILLOT. Jeune officier, fils unique; tué à Paris dans l'émeute du 13
    avril 1834 par un coup de pistolet, à  bout portant, pendant qu'il
    portait un ordre du maréchal Lobau.

  BALBI (la comtesse DE), 1753-1839. Elle était fille du marquis de
    Caumont-La Force et avait épousé un Génois, le comte de Balbi. Dame
    d'honneur de la comtesse de Provence, elle fut honorée de l'amitié du
    comte de Provence (plus tard Louis XVIII).

  BARANTE (le baron DE), 1782-1866. Il fut successivement auditeur au
    Conseil d'État, chargé de missions diplomatiques, préfet de la
    Vendée, puis de Nantes, député, pair de France et ambassadeur à
    Saint-Pétersbourg. Comme historien, il obtint les plus grands succès
    et entra à l'Académie.

  BARRINGTON (Charles). Jeune Anglais, de l'intimité de lord Holland
    vers 1832.

  BARROT (Odilon), 1781-1873. Homme politique français. Il commença sa
    carrière dans le droit et prit une part active à la révolution de
    1830. Sous le règne de Louis-Philippe, il fut le chef de la gauche
    dynastique.

  BARTHE (Félix), 1795-1863. Magistrat et homme d'État français.
    Affilié aux _carbonari_, il fut un ennemi véhément de la
    Restauration. Député en 1830, il fut ensuite ministre de
    l'Instruction publique, garde des Sceaux, président de la Cour des
    comptes. En 1834, il fut nommé pair. Dans le Cabinet Molé, il fut
    ministre de la Justice. En 1852, il fut appelé au Sénat.

  BARTHOLONY (François), 1796-1881. Riche financier genévois, un des
    fondateurs de la Compagnie de chemins de fer d'Orléans; il prit une
    part active à la création du Crédit foncier de France.

  BASTARD D'ETANG (le comte), 1794-1844. Magistrat et homme politique
    français. Conseiller à la Cour en 1810, il fut appelé en 1819 à la
    Chambre des pairs. Il instruisit avec intégrité le procès de Louvel,
    montra beaucoup d'indépendance politique, et après 1830 fut un
    des membres chargés de l'instruction du procès des ministres de
    Charles X.

  BASSANO (Hughes-Bernard Maret, duc DE), 1763-1839. Commença par être
    avocat, et en 1789, publia les bulletins de l'Assemblée nationale,
    fondant ainsi le _Moniteur universel_. Bonaparte le nomma, après le
    18 Brumaire, secrétaire général des consuls, puis ministre. Il
    accompagna toujours l'empereur, fut nommé en 1811 duc de Bassano, et
    ministre des Affaires étrangères. Nommé pair de France en 1831 par le
    roi Louis-Philippe, il fut un instant ministre de l'Intérieur et
    président du Conseil en 1834.

  BASSANO (duchesse DE), Mme Maret, femme du duc de Bassano, fut dame
    d'honneur des impératrices Joséphine et Marie-Louise.

  BATHURST (Henry, comte), 1762-1834. Homme d'État anglais, un des plus
    éminents du parti Tory. Il fut ministre des Affaires étrangères, de
    la Guerre, du Commerce, des Colonies, président du Conseil formé par
    le duc de Wellington dont il était l'ami intime, et se montra
    l'ennemi acharné de Napoléon Ier qu'il fit reléguer à Sainte-Hélène.

  BATTHYÁNY (la comtesse), 1798-1840. Elle était née baronne
    d'Ahrenfeldt et avait épousé le feld-maréchal comte Bubna. Devenue
    veuve en 1825, elle se remaria en 1828 avec le comte Gustave
    Batthyány Strattman.

  BAUDRAND (Marie-Étienne-François, comte DE), 1774-1848. Général
    français, servit sous la République, dans les armées du Rhin et
    d'Italie, prit part comme chef d'état-major à la bataille du Mont
    Saint-Jean, devint pair de France sous Louis-Philippe, aide de camp
    du duc d'Orléans au siège d'Anvers en 1832 et, en 1837, gouverneur
    du comte de Paris.

  BEAUHARNAIS (Eugène DE), 1781-1824. Fils du général de Beauharnais et
    de Joséphine Tascher de la Pagerie, plus tard impératrice par son
    second mariage avec Bonaparte, Eugène de Beauharnais prit une part
    active aux guerres de l'empire; en 1805, il fut nommé vice-roi
    d'Italie et en 1806 il épousa la princesse Auguste, fille du roi de
    Bavière. Après la chute de Napoléon, il se retira en Bavière, avec
    le titre de duc de Leuchtenberg.

  BEAUHARNAIS (Hortense DE), 1783-1837. Fille de l'impératrice
    Joséphine, elle épousa, en 1802, Louis Bonaparte, roi de Hollande,
    et fut mère de Napoléon III. La Restauration lui donna une pension
    et le titre de duchesse de Saint-Leu.

  BEAUHARNAIS (Stéphanie DE), 1789-1860. Fille de Claude de
    Beauharnais, chambellan de l'impératrice Marie-Louise, elle avait
    épousé en 1806 le grand-duc Charles-Louis-Frédéric de Bade, dont
    elle devint veuve en 1818.

  BEAUVEAU (la maréchale, princesse DE), 1720-1807. Marie-Charlotte de
    Rohan-Chabot avait d'abord épousé en 1749 J.-B. de Clermont
    d'Amboise; devenue veuve, elle se remaria en 1764 avec le prince de
    Beauveau.

  BEAUVILLIERS (la duchesse DE), 1774-1824. Elle était la septième
    fille du duc de Mortemart, et de son premier mariage avec Mlle
    d'Harcourt. Elle épousa le duc François de Beauvilliers de
    Saint-Aignan, pair de France.

  BEDFORD (John, duc DE), 1766-1839. Il épousa d'abord une fille du
    vicomte de Torrington, et en secondes noces, une fille du duc de
    Gordon. Son troisième fils fut lord John Russell.

  BEDFORD (la duchesse DE), morte en 1853. Fille d'Alexandre, duc de
    Gordon, elle épousa en 1803 le duc de Bedford.

  BEÏRA (la duchesse DE), 1793-1874. Marie-Thérèse, infante de
    Portugal, devint veuve en 1813 de don Pedro-Charles, infant
    d'Espagne, se remaria à l'infant don Carlos d'Espagne en 1828 et en
    devint veuve en 1855.

  BELFAST (lady), 1799-1860. Anne-Henriette, fille aînée de Richard,
    comte de Glengall, épousa en 1822 le baron de Belfast.

  BELGES (la reine des), Louise, princesse d'Orléans, 1812-1850.
    Seconde femme du roi Léopold Ier de Belgique et fille de
    Louis-Philippe, roi des Français.

  BENKENDORFF (Alexandre, comte), 1784-1844, officier russe. Lors de la
    rébellion de 1825, il se montra dévoué à l'empereur Nicolas, qui le
    prit comme aide de camp, le fit comte et sénateur. Il était frère de
    la princesse de Lieven.

  BÉRANGER (Mme DE), morte en 1826. Mlle de Lannois épousa en 1793 le
    duc de Châtillon-Montmorency. Devenue veuve, elle se remaria en 1806
    avec le comte du Gua de Béranger.

  BÉRANGER (Mlle Élisabeth DE), fille du second mariage de la duchesse
    de Châtillon, elle épousa le comte Charles de Vogüé, frère du
    marquis.

  BERGAMI (Barthélemy). Postillon italien des écuries de la Reine
    Caroline, épouse de George IV d'Angleterre; la reine l'éleva au rang
    de chambellan, après qu'elle eut quitté l'Angleterre et se fut
    réfugiée en Italie. Il était très beau. Il avait deux frères,
    Balloti et Louis. La Princesse donna l'intendance de sa maison à
    celui-ci et chargea l'autre de sa caisse; leur sœur, qui avait
    épousé un comte Oldi, devint sa dame d'honneur.

  BERGERON (Louis), né en 1811. Journaliste français. Après 1830, il se
    jeta dans le mouvement républicain et fut accusé, en novembre 1832,
    d'avoir tiré sur Louis-Philippe; il fut acquitté, mais en 1840,
    ayant souffleté en plein Opéra M. de Girardin pour une question de
    polémique, il fut condamné à trois ans de prison.

  BERRY (le duc DE), 1778-1820. Second fils du comte d'Artois (Charles
    X), il suivit sa famille dans l'émigration et revint en France en
    1814. En 1816 il épousa la princesse Caroline de Naples. Il fut
    assassiné à Paris, le 13 février 1820, par Louvel, qui voulait
    éteindre en lui la race des Bourbons, mais il laissa un fils
    posthume, le duc de Bordeaux.

  BERRY (la duchesse DE), 1798-1870. La princesse Caroline, fille de
    François Ier, roi des Deux-Siciles; elle épousa, en 1816, le duc de
    Berry, second fils de Charles X, et fut la mère du duc de Bordeaux.

  BERRYER (Antoine), 1790-1868. Avocat de premier ordre, orateur du
    parti légitimiste, il fut plusieurs fois député et entra à
    l'Académie en 1855. Il avait épousé, à vingt ans, Mlle Caroline
    Gauthier. Ses dernières années se passèrent dans la retraite, dans
    sa terre d'Augerville.

  BÉRULLE (le cardinal Pierre DE), 1575-1629. Aussi distingué par son
    caractère doux et conciliant que par sa fermeté religieuse et
    l'étendue de son savoir, il seconda puissamment le cardinal du
    Peyron dans ses controverses avec les protestants. Il établit en
    France l'ordre des Carmélites et fonda la congrégation de
    l'Oratoire.

  BERTIN DE VEAUX. 1766-1842. Né à Essonnes; il fonda en 1799 le
    _Journal des Débats_ avec son frère. Il fut conseiller d'État,
    député et vice-président de la Chambre, ministre à La Haye et pair
    de France.

  BIGNON (Louis-Pierre-Édouard, baron),
    1771-1841. Diplomate français, il fut secrétaire de légation en
    Suisse, en Sardaigne, en Prusse; ministre à Cassel, à Carlsruhe;
    administrateur en Pologne et en Autriche sous le premier empire; il
    fut député en 1817 et pair de France en 1837.

  BIRON (Armand-Louis, duc DE), 1747-1793. Connu sous le nom de Lauzun.
    Il fit la guerre de l'Indépendance en Amérique. En 1792, il fut
    nommé général en chef des armées du Rhin. Accusé de trahison par le
    comité du Salut public et traduit devant le tribunal révolutionnaire
    il fut condamné à mort et exécuté.

  BIRON-COURLANDE (la princesse Antoinette DE), 1813-1881, épousa le
    comte de Lazareff, colonel russe.

  BJOERSTJERNA (Magnus-Frédéric-Ferdinand), 1779-1847. Après la
    bataille d'Eckmühl, il fut envoyé en mission auprès de Napoléon Ier;
    il fut, plus tard, ministre plénipotentiaire à Londres.

  BLACAS (Pierre-Louis-Jean, duc DE), 1770-1839. Il s'attacha à la
    personne de Louis XVIII pendant son exil, et, à la Restauration, il
    fut nommé ministre de la maison du roi. En 1815, il entra à la
    Chambre des pairs et fut envoyé à Naples pour négocier le mariage du
    duc de Berry avec la princesse Caroline, et à Rome pour conclure un
    concordat qui n'a jamais été appliqué.

  BOIGNE (la comtesse DE), 1780-1866. Adèle d'Osmond épousa en 1798,
    pendant l'émigration, le comte de Boigne, qui, après une vie
    d'aventures, était revenu fort riche des Indes. De 1814 à 1859, le
    salon de Mme de Boigne fut, à Paris, l'un des plus importants du
    monde aristocratique, diplomatique et politique. Le duc Pasquier en
    était le plus fidèle habitué.

  BOISMILON (Jacques-Dominique DE), 1795-1871. Professeur français. Il
    fut choisi comme secrétaire du duc d'Orléans; plus tard, il fut
    attaché au comte de Paris et promu officier de la Légion d'honneur
    en 1845.

  BOISSY (Mlle Rouillé DE). Sœur du marquis de Boissy, pair de France,
    elle avait épousé le comte Pierre d'Aubusson qui devint fou, et dont
    elle devint veuve en 1842. Elle mourut elle-même en 1855.

  BOLIVAR (Simon), 1783-1830. Le libérateur de l'Amérique. Il
    affranchit le Venezuela et la Nouvelle-Grenade, qu'il unit, sous le
    nom de Colombie, en une seule République.

  BONAPARTE (le général), voir à $1er.

  BONAPARTE (Jérôme), 1784-1860. Roi de Westphalie. Il était le plus
    jeune frère de Napoléon Ier. Dans sa jeunesse, il avait épousé miss
    Paterson dont l'Empereur le força à divorcer pour épouser la
    princesse Catherine de Würtemberg.

  BONAPARTE (Lucien), 1773-1840. Troisième frère de Napoléon Ier. Plein
    de talents, mais d'un caractère indépendant, il essuya la disgrâce
    de son frère et se retira à Rome où le pape Pie VII érigea en
    principauté sa terre de Canino.

  BONNIVARD (François DE), 1494-1571. Chroniqueur et homme politique.
    Prieur de Saint-Victor dans le territoire de Genève. Il se ligua
    avec les patriotes de cette ville contre Charles III, duc de Savoie,
    qui en convoitait la possession. Le duc, devenu maître de Genève,
    emprisonna Bonnivard à Chillon où il resta six ans. Lord Byron l'a
    mis en scène dans son beau poème _le Prisonnier de Chillon_.

  BORDEAUX (le duc DE), 1820-1883. Fils du duc de Berry et petit-fils
    de Charles X. Il vécut dans l'exil avec sa famille à partir de 1830,
    soit à Venise, soit à Frohsdorf en Styrie, où il portait le titre de
    comte de Chambord. Il avait épousé une archiduchesse d'Autriche et
    n'eut jamais d'enfant.

  BOULE (André-Charles), 1642-1732. Ébéniste dont les ouvrages sont
    très recherchés.

  BOURQUENEY (baron, puis comte DE), 1800-1869. Attaché à la rédaction
    du _Journal des Débats_, puis maître des requêtes au conseil
    d'État, il entra ensuite dans la diplomatie, et fut secrétaire de
    l'ambassade de Londres, puis en 1844 ambassadeur à Constantinople,
    et en 1859 à Vienne. Il quitta bientôt après la carrière
    diplomatique pour entrer au Sénat.

  BRAGANCE (la duchesse DE), 1812-1873. Amélie-Auguste, fille d'Eugène
    de Beauharnais, vice-roi d'Italie, et d'une princesse de Bavière,
    fut la deuxième femme de l'empereur du Brésil dom Pedro Ier, dont
    elle devint veuve en 1834.

  BRENIER DE RENAUDIÈRE (le baron), 1807-1885. Il fut chargé en 1828
    d'une mission en Grèce, et plus tard secrétaire d'ambassade à
    Londres, Lisbonne et Bruxelles. En 1855, il était ministre à Naples.

  BRESSON (Charles, comte), 1788-1847. Diplomate français, il fut chef
    de division au ministère des affaires étrangères sous Napoléon Ier.
    Nommé en 1833 premier secrétaire à Londres, il reçut en 1836 le
    poste de ministre à Berlin où il rétablit les relations d'amitié
    entre la France et la Prusse. En 1841, il devint ambassadeur à
    Madrid, et, en 1847, à Naples où il se tua bientôt, dans un accès
    de démence.

  BRETONNEAU (Pierre, docteur), 1778-1862. Célèbre médecin français,
    résidant à Tours, son pays d'origine, où il s'était établi,
    indifférent à la renommée. Il fut une des gloires médicales de la
    France et fit beaucoup de bien aux pauvres.

  BROGLIE (le duc DE), Achille-Charles-Victor, 1785-1870. Membre de la
    Chambre des pairs, il s'y honora en défendant le maréchal Ney, lors
    de son procès. Attaché au parti doctrinaire, il fut plusieurs fois
    ministre sous Louis-Philippe. Il fut membre de l'Académie française.
    Il avait épousé la fille de Mme de Staël.

  BROGLIE (la duchesse DE), 1797-1840. Albertine de Staël épousa en
    1814 le duc Victor de Broglie. Mme de Broglie était belle, sérieuse,
   pieuse et passait pour un peu sévère.

  BROOKE (lord), né en 1818, il épousa en 1852 Anne, fille du comte de
    Wemyss, et succéda en 1853 à son père comme lord Warwick.

  BROUGHAM (Henry, lord), 1778-1868. Homme politique et écrivain
    anglais, il collabora avec éclat à la _Revue d'Edimbourg_ et fut,
    par de grands succès au barreau, conduit au Parlement en 1810. Il
    fut l'avocat célèbre et heureux de la reine Caroline accusée
    d'adultère. Il se distingua toujours par la défense des idées
    libérales. Il devint pair et chancelier sous le ministère de lord
    Grey, en 1830.

  BROUGHAM (lady), morte en 1865. Marie-Anne, fille de sir Thomas Eden,
    avait épousé d'abord lord Spalding. Devenue veuve, elle épousa lord
    Brougham en 1819. Une seule fille naquit de ce mariage, elle se
    nommait Éléonore, et mourut à dix-sept ans d'une maladie de poitrine.
    Ce fut dans l'espoir de la ramener à la vie que lord Brougham
    construisit, dans le beau climat de Cannes, une maison qui fut le
    commencement de la prospérité de cet endroit.

  BÜLOW (Henri, baron DE), 1790-1846. Diplomate prussien. En 1827, il
    fut nommé ministre en Angleterre et prit part aux conférences de
    Londres en 1831. Plus tard, il fut chargé du portefeuille des
    Affaires étrangères en Prusse. Il avait épousé la fille de Guillaume
    de Humboldt.

  BURGHERSH (John, lord), 1811-1859. Après la mort de son père, comte
    de Westmorland. Ancien aide de camp du duc de Wellington, il passa
    dans la diplomatie, fut ministre à Florence, à Berlin, à Vienne.
    Grand musicien, il a composé plusieurs opéras.

  BUTERA (le prince DE), mort en 1841. Anglais, du nom de Wilding, qui
    avait épousé la princesse de Butera, d'une grande famille de Palerme.
    Par un décret du roi des Deux-Siciles, il fut autorisé en 1822 à
    ajouter ce titre à son nom. En 1835, un autre décret lui accorda, en
    toute propriété, le titre de prince de Radoli qu'il porta jusqu'à sa
    mort. Il ne laissa point d'enfant.

  BYRON (George-Gordon, lord), 1788-1824. Célèbre poète anglais. Au
    moment de l'insurrection hellénique, il se rendit en Grèce et mourut
    à Missolonghi.


C

  CALOMARDE (François-Thadé), 1775-1842. Homme d'État espagnol qui
    fut l'âme de la politique de son pays après le rétablissement de
    Ferdinand VII. Il fit partie, en 1824, du ministère de grâce et de
    justice, où il sut se conserver une influence prépondérante sur les
    déterminations du roi. Il devint l'âme du parti rétrograde, prit
    part au décret par lequel Ferdinand VII abolissait la loi salique en
    Espagne, et fit punir sévèrement les tentatives carlistes. Mais lors
    de la grave maladie du Roi en 1832, où on le crut mort, Calomarde
    fut le premier à saluer don Carlos du titre de Roi, et la reine
    Christine devenue régente l'exila  dans ses terres. Il allait y être
    arrêté lorsqu'il s'enfuit en France où il vécut dans la retraite
    jusqu'à sa mort.

  CAMBRIDGE (la duchesse Auguste DE), 1797-1889. Elle était fille du
    landgrave Frédéric de Hesse-Cassel, et épousa en 1818 le duc
    Adolphe-Frédéric de Cambridge, septième fils du roi George III
    d'Angleterre. Elle devint veuve en 1857.

  CAMPAN (Mme), 1752-1822. Jeanne Genest, devint à quinze ans lectrice
    de Mesdames, filles de Louis XV. Elle épousa M. Campan et devint
    première femme de chambre de Marie-Antoinette. Pendant la
    Révolution, retirée dans la vallée de Chevreuse, elle y fonda un
    pensionnat où Mme de Beauharnais fit entrer sa fille. Napoléon Ier
    nomma, plus tard, Mme Campan surintendante de la maison qu'il fonda
    à Ecouen pour l'éducation des filles de la Légion d'honneur.

  CANINO (Charles-Jules-Laurent, prince DE), et de Musignano,
    1803-1857. Fils de Lucien Bonaparte, il épousa une fille de Joseph
    Bonaparte. Président de l'Assemblée constituante romaine en 1848,
    naturaliste distingué, correspondant de l'Institut de France.

  CANIZZARO (la duchesse DE). Elle était Anglaise, et avait épousé
    François de Plantamone, duc de Canizzaro, qui fut pendant plusieurs
    années ministre des Deux-Siciles accrédité à la cour d'Angleterre.

  CANNING (George), 1770-1827. Homme d'État anglais. Il laissa le
    barreau et se fit nommer à la Chambre des communes en 1793, y
    soutint Pitt qui le fit nommer sous-secrétaire d'État. Plus tard,
    il fut dans l'opposition; puis fut ambassadeur à Lisbonne. Il
    voyagea sur le Continent et ses liaisons avec les libéraux de Paris
    changèrent ses principes. En 1822, il fut appelé au ministère des
    Affaires étrangères et s'employa, depuis lors, à des réformes
    libérales. Il fit des efforts généreux en faveur des catholiques.

  CANNING (Charles-John, comte), 1812-1862. Homme d'État anglais, fils
    de G. Canning. Il entra en 1836 à la Chambre des communes du côté de
    l'opposition dirigée par sir Robert Peel. A la mort de son père, il
    entra à la Chambre des lords et fut sous-secrétaire d'État aux
    Affaires étrangères; en 1846, il fut nommé directeur général des
    Eaux et Forêts; en 1852, directeur général des Postes, puis
    gouverneur des Indes, où il eut à lutter pendant deux ans contre
    l'insurrection.

  CANNING (lady), 1817-1861. Fille aînée de lord Stuart de Rothesay,
    elle épousa lord Canning en 1835 et mourut sans laisser d'enfants.

  CANOVA (Antoine), 1757-1822. Célèbre sculpteur italien.

  CAPO D'ISTRIA (Jean-Antoine, comte), 1776-1831. Né à Corfou, il fit
    son éducation en Italie et entra au service russe. L'empereur
    Alexandre Ier l'employa à plusieurs missions en Allemagne, en
    Turquie, en Suisse; il fut plénipotentiaire au deuxième traité de
    Paris en 1815. Plus tard, retiré en Suisse, il prêta son appui aux
    Grecs révoltés. Il fut assassiné par les fils du Bey des Mainotes.

  CARLISLE (Georges-William, vicomte Morpeth, lord), 1802-1864.
    Petit-fils, par sa mère, de la belle duchesse de Devonshire; il
    remplit avec distinction les fonctions de lord-lieutenant d'Irlande,
    sous le ministère libéral de lord John Russell.

  CARLOTTA (l'infante), 1804-1844. Fille du roi des Deux-Siciles, sœur
  de la reine Marie-Christine d'Espagne et épouse de don Francesco de
  Paulo, infant d'Espagne.

  CAROLINE (la reine), 1781-1821. Fille du duc de Brunswick, elle
    épousa en 1795 le prince de Galles qui fut régent en 1810 et devint
    roi d'Angleterre en 1820 sous le nom de George IV. Son mari l'accusa
    publiquement d'adultère dans un procès célèbre. L'enquête ne
    constata que des inconséquences chez cette Princesse.

  CARRACHE (Annibal), 1560-1609. Considéré comme le plus grand des
    peintres de sa famille, où ils étaient, presque tous, des artistes
    distingués.

  CARREL (Armand), 1800-1836. Célèbre publiciste français. Ancien élève
    de Saint-Cyr, il prit une part active aux conspirations
    semi-libérales, semi-bonapartistes sous la Restauration, et, au
    moment de la révolution espagnole, alla secrètement soutenir les
    constitutionnels. Il quitta l'épée pour la plume, devint rédacteur
    en chef du _National_, journal fondé par MM. Thiers et Mignet dans
    le but de hâter la chute des Bourbons et de préparer l'avènement de
    la maison d'Orléans. Ce ne fut qu'en 1832 que le _National_ arbora
    le drapeau républicain. Carrel se battit en duel avec M. de Girardin
    et mourut quarante-huit heures après, des suites de ses blessures.

  CASTELLANE (André, marquis DE), 1758-1837. Député de la noblesse en
    1789, il s'unit au Tiers-État et fut secrétaire de l'Assemblée
    constituante. Jeté en prison pendant la Terreur il n'échappa à la
    mort que par la chute de Robespierre. En 1802, il fut nommé préfet
    des Basses-Pyrénées, et, ensuite, maître des requêtes au conseil
    d'État. Louis XVIII le nomma pair de France en 1815 et
    lieutenant-général l'année suivante. Il fut le père du maréchal de
    Castellane.

  CASTELLANE (comtesse DE), 1796-1847. Cordelia Greffulhe, épousa en
    1813 le comte de Castellane, plus tard maréchal de France.

  CASTLEREAGH (Robert Stewart, marquis de Londonderry, vicomte),
    1769-1822. Entra de bonne heure à la Chambre des communes où il
   soutint la politique de Pitt. Ennemi acharné de la Révolution
    française, âme des coalitions contre Napoléon Ier, il fournit des
    subsides aux puissances pendant qu'il était ministre de la guerre.
    Lors du congrès de Vienne, en 1815, il sacrifia la Pologne, la
    Belgique, la Saxe et Gênes; sa conduite fut vivement attaquée au
   Parlement. Dans un accès de démence, il mit fin à ses jours.

  CASTRIES (Armand-Charles-Augustin de la Croix, duc DE), 1756-1842.
    Député aux États généraux, il avait fait comme colonel la guerre de
    l'Indépendance en Amérique. Il défendit énergiquement les
    prérogatives de la royauté et blessa au bras Charles de Lameth dans
    un duel né d'une discussion politique, ce qui l'obligea à passer en
    Allemagne. En 1814, il fut nommé pair de France, général de
    division. Plus tard, il se rallia à la monarchie de Juillet.

  CATHERINE D'ARAGON, 1483-1536. Fille de Ferdinand d'Aragon et
    d'Isabelle de Castille, elle épousa successivement Henri VII et
    Henri VIII d'Angleterre. Ce dernier la répudia pour épouser Anne
    de Boleyn, et ce divorce fut l'origine du schisme en Angleterre.

  CATHERINE DE MÉDICIS, 1519-1589. Reine de France. Fille de Laurent II
    de Médicis, elle épousa Henri II, roi de France, et fut régente
    pendant la minorité de son second fils Charles IX. Catherine avait
    apporté d'Italie le goût des arts, elle construisit le palais des
    Tuileries et continua le Louvre.

  CATHERINE PAULOWNA (la grande-duchesse), 1788-1819. Fille de
    l'empereur Paul Ier de Russie, elle épousa d'abord le prince Pierre
    de Holstein, puis Guillaume Ier, roi de Würtemberg, dont elle eut
    une fille.

  CAULAINCOURT (la comtesse DE), morte en 1835. Blanche d'Aubusson,
    épousa en 1812 Auguste-Jean-Gabriel de Caulaincourt, qui fut tué à
    la bataille de la Moskova, et qui était frère du duc de Vicence.

  CELLES (Antoine-Charles, comte de Visher DE), 1769-1841, d'une
    famille illustre du Brabant, il fut élu député aux États-généraux
    de cette province. Napoléon Ier le nomma maître des requêtes au
    conseil d'État et préfet de la Loire-Inférieure, puis du Zuyderzée.
    Après 1814, devenu sujet du roi des Pays-Bas, il fut élu pendant
    quelque temps aux États provinciaux. Le roi Léopold l'ayant envoyé
    comme ministre plénipotentiaire en France, M. de Celles se fit
    naturaliser, et devint conseiller d'État en France en 1833. Il était
    le beau-frère du maréchal Gérard.

  CHABANNES LA PALICE (le comte Alfred DE), 1799-1868. Il fut d'abord
    garde du corps de Louis XVIII, puis chef d'escadron et colonel après
    le siège d'Anvers. Il devint général de brigade et aide de camp du
    roi Louis-Philippe en 1840. Il quitta le service en 1848 et suivit
    la famille royale en exil.

  CHABANNES (Louisa DE), 1791-1869. Religieuse carmélite; elle fut
    supérieure du couvent de Paris pendant plusieurs années, puis de
    celui de Bruxelles où elle mourut.

  CHALAIS (la princesse DE), Marie-Françoise de Rochechouart-Mortemart,
    épousa en premières noces le marquis de Cany dont elle eut une fille
    qui fut la grand'mère du prince de Talleyrand. Elle épousa, en
    secondes noces, Louis-Charles de Talleyrand, prince de Chalais, qui
    mourut en 1757. Elle était dame du palais de la Reine.

  CHALAIS (la princesse DE), morte en 1834. Élolie-Pauline Beauvilliers
    de Saint-Aignan, épousa en 1832 Hélie-Roger de Talleyrand-Périgord,
    prince de Chalais, titre que porte le fils aîné du chef de cette
    maison.

  CHANTELAUZE (Victor DE), 1787-1859. Député et dernier garde des
    Sceaux de Charles X, il avait rédigé les fameuses ordonnances qui
    amenèrent la révolution de Juillet; il fut arrêté et condamné à la
    prison perpétuelle. L'amnistie de 1837 le rendit à la liberté.

  CHARLEMAGNE, 742-814. Roi des Francs, chef de la dynastie des
    Carolingiens; il succéda à son père Pépin le Bref en 768; en 800 le
    pape Léon III le couronna empereur d'Occident.

  CHARLES Ier. Roi d'Angleterre, 1600-1649. Fils de Jacques Ier, il
    épousa Henriette de France, fille du Roi Henri IV et sœur de Louis
    XIII. Victime de la Révolution de 1648, il fut condamné à mort et
    mourut sur l'échafaud.

  CHARLES IX. Roi de France, 1550-1574. Deuxième fils de Henri II et de
    Catherine de Médicis. Sous son règne, le royaume fut déchiré par les
    guerres de religion.

  CHARLES X. Roi de France, 1757-1836. Frère de Louis XVI et de Louis
    XVIII à qui il succéda en 1824, il porta le titre de comte d'Artois
    jusqu'à son avènement; il mourut à Goritz en exil.

  CHARLES-JEAN. Roi de Suède, 1764-1844. Général Bernadotte, prince de
    Ponte-Corvo, maréchal de France, il épousa Mlle Clary, sœur de la
    femme de Joseph Bonaparte. Après la mort de Charles XIII de Suède
    qui l'avait adopté, il devint en 1818 roi de Suède et de Norvège.

  CHARLOTTE DE PRUSSE (la princesse), 1798-1860. Fille du roi
    Frédéric-Guillaume III, elle épousa en 1817 le grand-duc Nicolas de
    Russie qui succéda sur le trône à son frère Alexandre Ier.

  CHATEAUBRIAND (François-René, vicomte DE), 1768-1848. Un des plus
    illustres écrivains français du dix-neuvième siècle. Il eut des
    relations avec beaucoup de femmes connues par leur talent, leur
    grâce ou leur beauté. Sous la Restauration, il fut pendant quelques
    années dans la diplomatie, et, comme ministre des Affaires
    étrangères, il prit une grande part à la guerre d'Espagne en 1822.

  CHÂTILLON-MONTMORENCY (duc DE), mari de Mlle de Lannois. Il périt
    noyé dans le naufrage de la frégate _la Blanche_ à l'entrée de
    l'Elbe.

  CHODRON (Jules), 1804-1870. Fils du notaire du prince de Talleyrand,
    qui obtint pour lui, du roi Louis-Philippe, le nom de Courcel, il
    entra dans la diplomatie, où il sut se faire une position aussi
    honorable que distinguée. Son fils fut pendant plusieurs années
    ambassadeur à Berlin et à Londres.

  CHOISEUL-STAINVILLE (Étienne-François, duc DE), 1719-1785. Homme
    d'État français, ambassadeur, puis ministre, de 1758 à 1770, sous
    Louis XV, il fit conclure _le Pacte de famille_. Une intrigue de
    cour le renversa parce qu'il ne voulait pas plier devant la Dubarry.
    Relégué dans sa terre de Chanteloup, il y reçut, malgré le roi, le
    témoignage de l'estime publique. Il avait épousé Mlle Crozat du
    Châtel, qui paya les dettes que la générosité de son mari lui avait
    fait contracter, et passa les dernières années de sa vie, après son
    veuvage, dans un pauvre couvent de Paris.

  CLANRICARDE (marquis DE), 1802-1874. Homme politique anglais. Il
    épousa en 1825 la fille de Canning et fut appelé, l'année suivante,
    à siéger à la Chambre des lords. Il fut sous-secrétaire aux Affaires
    étrangères en 1826, ambassadeur en Russie de 1838 à 1841, directeur
    général des postes de 1846 à 1852 et lord du Sceau privé en 1857.

  CLANRICARDE (lady), morte en 1876. Henriette, fille unique de G.
    Canning, épouse de lord Clanricarde.

  CLARENCE (duchesse DE), 1792-1849. Voir à ADÉLAÏDE (la reine).

  CLARENDON (Edouard-Hyde, comte), 1608-1674. Magistrat et historien
    anglais. Lors de la guerre civile, sous Charles Ier, il prit le
    parti du roi Charles II qui le nomma grand chancelier. Il se retira
    en France et mourut à Rouen.

  CLARENDON (lord), 1800-1870. Ministre d'Angleterre à Madrid en 1833,
    plus tard ministre du Commerce et lord-lieutenant d'Irlande. En
    1853, il devint ministre des Affaires étrangères, représenta
    l'Angleterre au Congrès de Paris en 1856, puis fut ambassadeur en
    Italie en 1868.

  COBBETT (William), 1766-1835. Démagogue anglais. Il passa plusieurs
    années aux États-Unis; à son retour en Angleterre en 1804, il y
    rédigea un journal radical qui fut souvent poursuivi. Élu en 1832 à
   la Chambre des communes, il y appuya chaudement la réforme
    parlementaire.

  COBOURG (le prince Ferdinand DE), 1816-1888. Ce prince fut le
    deuxième mari de la reine de Portugal, doña Maria da Gloria, qu'il
    épousa en 1836. Il reçut le titre de Roi en 1837. Veuf en 1853, il
    fut régent pendant la minorité de son fils. En 1869, il contracta un
    mariage morganatique avec Mlle Hensler, qui fut faite comtesse Elice
    d'Edla. Il était frère du roi Léopold de Belgique et de la duchesse
    de Kent.

  COLMAGHI. Marchand de tableaux et de gravures à Londres. L'origine de
    cette maison, qui existe encore, remonte à 1750, lorsque Paul
    Colmaghi, Italien venu de Paris à Londres, y ouvrit une boutique en
    association avec M. Nolteno. Le roi George IV en fut un constant
    protecteur.

  CONROY (sir John), 1786-1854. Officier anglais; il fut chevalier
    d'honneur de la duchesse de Kent. A son avènement, la reine Victoria
    le fit baron. Il avait épousé en 1808 la fille et héritière du major
    Fisher, frère de l'évêque de Salisbury.

  CONYNGHAM (William, lord), 1765-1854. Avocat irlandais, membre de la
    Chambre des communes, il appartenait au groupe libéral de Burke;
    vers la fin de sa vie il pencha vers les tories. Il fut élevé à la
    Pairie.

  CONYNGHAM (Henri, baron), 1766-1832. Il épousa la fille aînée de
    Joseph Denison.

  CONYNGHAM (lady). Morte en 1861. Élisabeth, fille de J. Denison,
    banquier à Londres, épousa en 1794 le baron Henri Conyngham, qui fut
    créé marquis en 1816. Amie intime du prince régent d'Angleterre,
    plus tard le roi George IV, elle sut profiter de son pouvoir sur
    lui.

  CONYNGHAM (François-Nathaniel, marquis DE), 1797-1882. Il portait, du
    vivant de son père, le nom de Mount-Charles. Il se signala dans les
    affaires publiques par ses idées libérales, fut sous-secrétaire
    d'État aux Affaires étrangères, lord de la Trésorerie, directeur des
    Postes en 1834, membre du Conseil privé en 1835 et vice-amiral de
    l'Ulster en 1849.

  CORINNE, femme poète de la Grèce, cinquième siècle avant
    Jésus-Christ.

  COUSIN (Victor), 1792-1867. Philosophe et écrivain français, pair de
    France, directeur de l'École normale et membre de l'Académie
    française. Il fut un instant ministre de l'Instruction publique sous
    M. Thiers en 1840.

  COWLEY (lady), 1796-1860. Georgiana-Auguste, fille aînée du marquis
    de Salisbury, épousa en 1816 l'Honorable Henry Wellesley, créé en
    1828 baron Cowley.

  COWPER (lady), sœur de W. Lamb, lord Melbourne. Elle épousa en
    deuxièmes noces, en 1840, lord Palmerston, à l'âge de 50 ans.

  CRANMER (Thomas), 1489-1556. Archevêque de Canterbury, promoteur de
    la Réforme en Angleterre. Il prononça lui-même le divorce que le
    Pape avait refusé à Henri VIII contre Catherine d'Aragon. A
    l'avènement de la reine Marie Tudor, il fut arrêté comme hérétique
    et mourut sur le bûcher.

  CROMWELL (Olivier), 1599-1658. Protecteur de la République
    d'Angleterre en 1652, il amena la ruine du parti royaliste et les
    infortunes du roi Charles Ier, qu'il fit condamner à mort.

  CUMBERLAND (Ernest-Auguste, duc DE), 1771-1851. Le dernier des fils
    de George III d'Angleterre. En 1837, il monta sur le trône de
    Hanovre.

  CUMBERLAND (duchesse DE), 1778-1841. Frédérique, princesse de
    Mecklembourg-Strélitz, sœur cadette de la reine Louise de Prusse;
    elle épousa, en 1793, le prince Louis de Prusse, frère du roi
    Frédéric-Guillaume III. Devenue veuve, elle épousa en deuxièmes
    noces le prince Frédéric-Guillaume de Solms-Braunfels, et enfin en
    troisièmes noces le duc de Cumberland, qui fut appelé au trône de
    Hanovre en 1837. Elle fut la mère du roi Georges V de Hanovre.

  CUVIER (Georges), 1769-1838. Célèbre naturaliste, membre de
    l'Académie française. Il fut conseiller d'État en 1814 et pair de
    France en 1831.

  CZARTORYSKI (le prince Adam), 1770-1861.  Fils d'Adam-Casimir
    Czartoryski, qui, à la mort d'Auguste III, roi de Pologne, fut porté
    candidat au trône, mais que Catherine II en fit écarter au profit de
    Stanislas Poniatowski. Envoyé comme otage à Saint-Pétersbourg après
    le partage de la Pologne, il y jouit d'une grande faveur auprès de
    l'empereur Alexandre Ier, devint ministre des Affaires étrangères de
    1801 à 1805, et en 1815 fut sénateur-palatin de Pologne, et curateur
    de l'Université de Vilna. Il se retira des affaires en 1821, et,
    après 1830, s'établit à Paris. En 1817, il avait épousé la princesse
    Anna Sapieha.


D

  DACRE (lord), 1774-1851. Thomas Brand. Il épousa, en 1819, Barbe,
    fille de sir C. Ogle.

  DALBERG (le duc DE), 1773-1833. Fils du Primat et archichancelier
    de ce nom; il fut membre du Conseil provisoire à Paris après la
    chute de Napoléon et plénipotentiaire au congrès de Vienne.

  DAUPHIN DE FRANCE. Louis, fils de Louis XV, 1729-1765. Il épousa
    d'abord l'infante Marie d'Espagne qui mourut bientôt. De son second
    mariage avec la princesse Josépha, fille de l'électeur de Saxe, roi
    de Pologne, il eut plusieurs enfants. Il ne régna pas, mais fut le
    père des rois Louis XVI, Louis XVIII, Charles X. Modèle de toutes
    les vertus, il vécut comme un saint.

  DAURE (M.). Répétiteur au collège Henri IV, à Paris; il écrivait
    dans le _Constitutionnel_.

  DAVOUT (Napoléon-Louis), 1810-1853. Fils du Maréchal. Il fit partie
    de l'état-major du général Gérard, au siège d'Anvers. Il entra à la
    Chambre des Pairs en 1836. Il portait le titre de prince d'Eckmühl.

  DAWSON-DAMER (George-Lionel), né en 1788, colonel dans l'armée
    anglaise.

  DAWSON-DAMER (Mrs), morte en 1848. Nièce et enfant adoptive de Mrs
    Fitzherbert.

  DECAZES (Élie, duc), 1780-1846. Il fut d'abord avocat, puis attaché
    au service du roi Louis de Hollande. Il fut fait ensuite ministre
    et pair de France par Louis XVIII. En 1820, il dut quitter le
    ministère, les royalistes exaltés ne craignant pas de lui imputer
    l'assassinat du duc de Berry; créé duc, il fut envoyé comme
    ambassadeur en Angleterre. Après 1830, il se rallia à
    Louis-Philippe et fut nommé grand référendaire de la cour des
    Pairs.

  DECAZES (la duchesse). Fille du comte de Saint-Aulaire et de Mlle
    de Soycourt, petite-fille, par sa mère, du dernier prince de
    Nassau-Sarbrück et petite-nièce de la duchesse de
    Brunswick-Bevern, qui obtint de Frédéric VI, roi de Danemark, la
    transmission du duché de Glucksbourg en faveur du duc et de la
    duchesse Decazes, à leur mariage en 1818. Elle fut la deuxième
    femme du duc Decazes.

  DEDEL (Salomon), 1775-1846. Diplomate danois; il fut ambassadeur
    en Suède, en Espagne, en Angleterre. Il mourut à Londres.

  DEMION (M.). Homme d'affaires de la famille Montmorency, du prince de
    Talleyrand et des James Rothschild. Il administra pendant plusieurs
    années les terres de Valençay.

  DENISON (Albert), 1805-1860. Second fils du marquis de Conyngham. Par
    sa mère, il hérita des grandes propriétés de son oncle Denison et
    prit alors ce nom. Il fut créé baron de Londesborough en 1850.

  DESAGES (Émile), 1793-1850. Fils d'un employé supérieur au ministère
    des Affaires étrangères, il entra dans les bureaux de ce ministère
    dès l'âge de seize ans. En 1820, il fut nommé secrétaire à
    l'ambassade de Constantinople. En 1830, le général Sébastiani,
    ministre des Affaires étrangères, l'appela à la tête de la direction
    politique de ce département. Il se retira, après 1848, à Menesele,
    dans la Charente.

  DEVONSHIRE (William, duc DE), 1768-1835. De la maison de Courthenay.
    Le titre s'étant éteint dans la ligne aînée, le duc parvint à le
    reprendre, après avoir établi devant la Chambre des lords en 1831
    que, par ses lettres patentes de 1553, la reine Marie avait stipulé
    que le titre, à défaut de ligne directe, passerait aux héritiers de
    la ligne collatérale.

  DEVONSHIRE (la marquise DE). Morte en 1806. Fille de lord Spencer,
    elle avait épousé en 1774 le marquis de Devonshire.

  DIANE DE POITIERS, 1499-1586. Fille aînée de Jean de Poitiers,
    seigneur de Saint-Vallier, Diane épousa à treize ans Louis de Brézé.
    Elle fut la favorite du roi Henri II, qui la fit duchesse de
    Valentinois et lui donna le château d'Anet, un des plus beaux
    ouvrages de cette époque.

  DIDOT (Firmin), 1764-1836. Il se distingua de bonne heure par les
    progrès qu'il fit faire à la typographie, déjà illustrée par son
    père et son frère aîné. Il fut élu député en 1827. Décoré de la
    Légion d'honneur, il fut nommé par le roi Louis-Philippe imprimeur
    du roi et de l'Institut de France.

  DINO (duchesse DE), 1793-1862. Titre que porta la comtesse Edmond de
    Périgord depuis 1815. Il avait été décerné par le roi de Naples au
    prince de Talleyrand qui avait si heureusement défendu ses intérêts
    au Congrès de Vienne, et M. de Talleyrand l'offrit galamment à sa
    nièce.

  DOLOMIEU (la marquise DE), 1779-1849. Dame d'honneur de la reine
    Marie-Amélie, à qui elle était très dévouée. Mme de Dolomieu était
    la sœur de Mme de Montjoye, dame de Madame Adélaïde.

  DOM MIGUEL, 1802-1866. Il fut régent du royaume de Portugal, pendant
    la minorité de sa nièce, la reine doña Maria da Gloria; il en
    profita pour s'emparer du trône et se faire déclarer Roi en 1828.
    Dom Pedro Ier revint alors du Brésil, et après une lutte assez vive
    il parvint à reconquérir la couronne pour sa fille, et il força dom
    Miguel à quitter le Portugal.

  DON ANTONIO (l'infant), 1755-1817. Un des infants espagnols internés
    à Valençay par Napoléon Ier. En revenant de sa captivité, il fut
    nommé grand-amiral de Castille.

  DON CARLOS de Bourbon, 1788-1855. Second fils de Charles II et frère
    de Ferdinand VII, roi d'Espagne, il fut détenu avec son frère à
    Valençay. Ferdinand VII ayant terminé son règne en 1833 en
    abolissant la loi d'hérédité et en léguant sa couronne à sa fille
    Isabelle, don Carlos protesta, fut exilé, rentra en Espagne en 1834
    et commença la guerre civile. Vaincu en 1839, il se réfugia en
    France, puis en 1847 à Trieste où il mourut.

  DON FRANCESCO, 1794-1865. Infant d'Espagne; il épousa en 1819 la
    princesse Carlotta, fille du roi des Deux-Siciles et sœur de la
    reine Christine.

  DONNADIEU (Gabriel), 1777-1849. Général français. Il embrassa avec
    ardeur les principes de la Révolution, s'enrôla et fut attaché
    longtemps au corps d'armée de Moreau. Soupçonné d'intrigues sous le
    Consulat et l'Empire, il passa à plusieurs reprises de la grâce à la
    disgrâce. Il se rallia à Louis XVIII qui lui conféra le grade de
    lieutenant-général.

  DORSET (le duc DE), 1795-1815. Il se tua en tombant de cheval, et ne
    laissa pas d'enfants. Il était le frère de lady Plymouth. Le titre
    de duc de Dorset a été donné à la famille Sackfield par la reine
    Élisabeth d'Angleterre.

  DORSET (Charles, vicomte de Sackfield, duc DE), 1767-1843; oncle du
    précédent et héritier de son titre. Il ne se maria jamais.--Il était
    très lié avec le roi Guillaume IV d'Angleterre.

  DOSNE (Mme), Mlle Sophie-Eurydice Matheron, épousa en 1816 M. Dosne,
    agent de change. Elle était née en 1788. Ses parents tenaient un
    magasin de mercerie en gros dans le faubourg Montmartre.

  DOUGLAS (le marquis DE), 1811-1863. Plus tard duc de Hamilton. En
    1843, il épousa la princesse Marie de Bade. Il mourut à Paris des
    suites d'un accident.

  DROUET D'ERLON, 1765-1844. Maréchal de France; il s'était enrôlé sous
    la République et avait fait les campagnes de l'Empire. Il fut un des
    plus empressés à reconnaître Napoléon Ier à son retour de l'île
    d'Elbe, et commanda le premier corps d'armée pendant les Cent-Jours.
    Il combattit à Waterloo. Condamné par contumace, il trouva un asile
    en Prusse et ne reprit de service en France qu'en 1830. Il fut nommé
    gouverneur d'Algérie en 1834.

  DUCHATEL (Charles Tanneguy, comte), 1803-1867. Homme politique
    français. Il fut successivement conseiller d'État, député, ministre.
    Il fut membre de l'Académie des sciences morales et politiques.

  DUNCANNON (John-William), 1781-1847. Il avait épousé, en 1805, Marie,
    fille de lord Westmorland. D'opinions très libérales, il fit  partie
    en 1834 du ministère Melbourne avec le portefeuille de l'Intérieur;
    en 1835, il fut créé lord Bessborough.

  DUPERRÉ (l'amiral), 1775-1846. Il se signala de bonne heure dans des
    combats contre les Anglais, fut fait contre-amiral et baron en 1811.
    Il conduisit, en 1830, la flotte qui portait l'armée française en
    Algérie et contribua à la prise d'Alger, ce qui le fit nommer amiral
    et pair de France. Il fut plusieurs fois ministre de la Marine.

  DUPIN (André-Marie), 1783-1865, dit _Dupin l'aîné_; jurisconsulte et
    magistrat français, député. Il prit une part active à l'élection de
    Louis-Philippe comme roi des Français. De 1832 à 1840, il fut
    président de la Chambre des députés. Sous le deuxième empire, il fut
    appelé au Sénat.

  DUPIN (Pierre-Charles-François, baron), 1784-1873. Le dernier des
    trois Dupin. Statisticien français. Membre de l'Institut, de la
    Chambre des Pairs, il se montra également dévoué à la dynastie
    d'Orléans et à la Charte de 1830.

  DURHAM (John-Lambton, comte DE), 1792-1840. Gendre de lord Grey. Il
    était entré au Parlement et siégea dans les rangs des Whigs avancés.
    En collaboration avec lord John Russell, il élabora le grand Bill de
    réforme en 1831; il fut plus tard ambassadeur en Russie et
    gouverneur du Canada.

  DURHAM (lady), 1816-1841. Louise-Élisabeth, fille de lord Grey,
  deuxième femme de lord Durham.


E

  EASTNOR (lord), 1788-1873. Il avait épousé, en 1815, la fille de
    lord Hardwick.

  EASTNOR (lady), morte en 1873. Fille de lord Hardwick, elle était
    sœur de lady Stuart de Rothesay.

  EBRINGTON (Hughes, comte de Fortescue, lord), 1783-1861. Il entra
    de bonne heure à la Chambre des communes. En 1839, il fut nommé
    conseiller privé et vice-roi d'Irlande; en 1846, grand-intendant de
    la Couronne, et il se retira en 1850. Il appartint toujours au
    parti whig.

  ÉLISABETH, reine d'Angleterre, 1533-1603. Fille de Henri VIII et
    d'Anne de Boleyn. Elle ne se maria pas, et laissa sa couronne à
    Jacques Ier, roi d'Écosse et fils de Marie Stuart.

  ELLICE (l'honorable Édouard), 1787-1863, gendre de lord Grey.
    Membre de la Chambre des communes, il contribua à y faire voter le
    Bill de réforme. Il fut secrétaire du Trésor et de la Guerre. Riche
    commerçant, il possédait de vastes propriétés au Canada.

  ENTRAIGUES (Amédée Goveau D'), né en 1785. Préfet à Tours de 1830 à
    1847. Il avait épousé une princesse Santa-Croce dont le père avait
    été mêlé aux événements de 1798 qui enlevèrent Rome au Pape et y
    firent proclamer la République. Ce prince avait confié sa fille au
    prince de Talleyrand qui la fit élever et la dota.

  ENTRAIGUES (Jules D'), né en 1787 et mort fort âgé. Frère du préfet
    de Tours, il possédait, dans les environs de Valençay, un joli
    château nommé _la Moustière_.

  ESCLIGNAC (la duchesse D'), 1801-1868. Georgine, fille du baron Boson
    de Talleyrand-Périgord, troisième frère du prince de Talleyrand, et
    de Charlotte-Louise de Puissigneux, elle avait épousé le duc
    d'Esclignac.

  ESTERHAZY (Paul-Antoine, prince), 1786-1866. Diplomate autrichien, il
    fut ambassadeur à Londres pendant les conférences de 1831 et membre
    du Ministère hongrois Batthyány. Il fut toujours un ami fidèle de la
    duchesse de Dino.

  ÉTIENNE (Charles-Guillaume), 1777-1845. Journaliste et auteur
    dramatique français; il devint député en 1832, vota avec les
    libéraux et obtint, en 1839, un siège à la Chambre des Pairs.

  ÉTIENNE DE BLOIS, roi d'Angleterre, 1105-1154. Il avait pour mère une
    fille de Guillaume le Conquérant. Étienne de Blois épousa
    l'héritière des comtes de Boulogne.

  EXELMANS (Isidore, comte), 1775-1852. Un des plus brillants généraux
    du premier Empire. Exilé au retour des Bourbons, il ne put rentrer
    en France qu'en 1823. Nommé pair de France par le roi
    Louis-Philippe, il devint en 1849 grand chancelier de la Légion
    d'honneur, et, en 1851, maréchal de France. Il mourut d'une chute de
    cheval.


F

  FABRE (François-Xavier), 1766-1837. Peintre français, élève de
    David. Il se lia, à Florence, avec la comtesse d'Albany, veuve du
    dernier des Stuart et d'Alfieri, le célèbre poète italien, qu'elle
    avait épousé en secondes noces.

  FAGEL (le général Robert). D'une famille néerlandaise, il combattit
    contre la France pendant les guerres de la République. Il fut nommé
    ambassadeur des Pays-Bas aux Tuileries sous la Restauration.

  FALK (Antoine-Reinhard), 1776-1843. Homme d'État hollandais; il fut
    secrétaire de légation à Madrid; plus tard, ministre des Affaires
    étrangères, de l'Instruction publique, du Commerce, des Colonies.
    En 1824, il fut envoyé comme ambassadeur à Londres; après la
    séparation de la Hollande et de la Belgique, il fut ambassadeur à
    Bruxelles où il mourut.

  FALK (Mme), 1792-1851. Rose, baronne de Roisin; elle était
    demoiselle d'honneur de la Reine des Pays-Bas et épousa, en 1817,
    M. Falk. Après la mort de son mari, elle fut nommée grande
    maîtresse de la princesse d'Orange, et se démit de ses fonctions en
    1849 lorsque la Princesse monta sur le trône.

  FARNBOROUGH (lord), 1761-1838. Ami intime de Pitt, il fut maître
    général des Postes.

  FERDINAND II, roi des Deux-Siciles, 1810-1859. Il monta sur le
    trône en 1830, et amena par son impopularité la chute de sa
    dynastie. On l'avait surnommé _le roi Bomba_.

  FERDINAND VII, roi d'Espagne, 1784-1833. Fils aîné de Charles IV et de
    Marie-Louise de Parme. L'année même de son avènement, en 1808, il
    fut interné à Valençay, mais remonta sur le trône en 1814.

  FERGUSSON (Robert Cutlat), 1768-1838. Avocat et magistrat anglais. Il
    passa vingt ans à Calcutta, où il fit une grosse fortune, et, en
    1826, revint en Angleterre, où il soutint vigoureusement les
    réformes libérales. En 1830, il se fit l'avocat de la Pologne. En
    1831, il épousa une Française, Mlle Auger, dont il eut deux enfants.

  FERRETTE (Étienne, bailli DE), 1747-1831. Il était déjà bailli de
    l'ordre de Malte en 1767 et ambassadeur de cet ordre à Paris. En
   1805, les domaines de Malte à Heitersheim ayant été sécularisés et
    incorporés au grand-duché de Bade, le baron de Ferrette fut
    indemnisé par une pension viagère de 60,000 livres et nommé ministre
    de Bade auprès de l'empereur Napoléon Ier, plus tard, auprès de
    Louis XVIII. Il démissionna en 1830. Il avait beaucoup de relations
    à Paris et était un ami du prince de Talleyrand.

  FERRERS (lord), 1822-1859. Washington Sewallis, comte Ferrers.

  FERRERS (lady), épousa en 1844 lord Ferrers. Elle se nommait Arabella
    et était fille du marquis de Donegall.

  FIESCHI (Joseph), 1790-1835; né à Murano (Corse); il tenta de faire
    périr le roi Louis-Philippe pendant une revue le 28 juillet 1835, à
    Paris, au moyen d'une machine infernale dressée dans une maison vers
    le milieu du boulevard du Temple. Le Roi et les Princes échappèrent,
    mais vingt-deux personnes furent blessées et dix-huit tuées, parmi
    lesquelles le maréchal Mortier, duc de Trévise, ministre de la
    Guerre. Fieschi fut condamné à mort avec ses complices Pépin et
    Morey.

  FITZCLARENCE (Adolphus, lord), 1802-1856. Troisième fils illégitime
    du roi Guillaume IV d'Angleterre et de l'actrice Mrs Jordan. Il fut
    contre-amiral et aide de camp naval de la reine Victoria.

  FITZ-PATRICK (Richard), 1747-1813. Il fut général et se distingua
    dans la guerre d'Amérique. Il entra au Parlement en 1870, fut
    secrétaire du duc de Portland, lord-lieutenant d'Irlande, et, en
    1783, secrétaire au ministère de la Guerre; il fut un constant ami
    de Fox.

  FITZ-PATRICK (M.). Né en 1809, il épousa en 1830 la fille d'Auguste
    Douglas. Il fut capitaine dans l'armée anglaise et membre du
    Parlement.

  FITZROY-SOMERSET (lord), 1788-1855. Plus tard lord Raglan. Fils cadet
    du comte de Beaufort, aide de camp du duc de Wellington, aux côtés
    de qui il perdit le bras droit à Waterloo. Il mourut du choléra sous
    Sébastopol, où il commandait l'armée anglaise.

  FITZROY-SOMERSET (lady), morte en 1881. Elle était fille de lord
    Wellesley, et nièce du duc de Wellington, chef et ami de lord
    Fitzroy-Somerset, qu'elle épousa, en 1814.

  FLAHAUT (le général comte DE), 1785-1870. Aide de camp de Napoléon
    Ier, il fut, sous Louis-Philippe, pair de France, et sous Napoléon
    III ambassadeur et sénateur. Ses parents étaient pauvres, et le
    prince de Talleyrand avait contribué en partie aux frais de son
    éducation.

  FLAHAUT (la comtesse DE), morte en 1867. Elle était fille de lord
    Keith et Nairne, amiral anglais.

  FOUCHÉ (Joseph), duc d'Otrante, 1763-1820. Maître de police sous
    l'Empire; homme habile, mais sans convictions et sans scrupules.

  FOUGIÈRES (Mlle DE). Elle épousa le marquis Christian de Nicolay. Son
    fils, Antoine, épousa Mlle de Vogüé, et sa fille Aymardine, Paul de
    Larges.

  FOX (Charles-Jacques), 1748-1806. Un des plus grands orateurs de
    l'Angleterre. Député, il entra dans l'opposition et fut bientôt à la
    tête du parti whig. Défenseur de la tolérance et de la liberté, il
    se montra favorable à la Révolution française et ne cessa de
    conseiller la paix avec la France.

  FRANÇOIS Ier, Roi de France, 1494-1547. Fils de Charles d'Orléans,
    comte d'Angoulême, et de Louise de Savoie, il succéda, en 1515, au
    roi Louis XII dont il avait épousé la fille Claude.

  FRÉDÉRIC II LE GRAND. Roi de Prusse, 1712-1786. Guerrier illustre, il
    fonda la puissance militaire de la Prusse. Amateur des lettres et se
    piquant de philosophie, il attira Voltaire à sa cour et fut en
    relation avec les encyclopédistes.

  FRIAS (le duc DE), 1783-1851. Don Bernardino Fernandez Vilano, comte
    de Haro, duc de Frias, duc de Meda, marquis de Villena. Depuis 1796,
    il servit dans la _Guardia Volona_ et devint capitaine. Il épousa
    doña Marianna de Siloa, fille du marquis de Santa-Cruz. Le duc de
    Frias fut ambassadeur d'Espagne à Londres, et devint ensuite
    président de la Chambre haute établie par la Charte qu'octroya la
    reine Marie-Christine en 1834, et appelée _El estatuto Real_. Il
    était homme de lettres et a laissé des poésies.

  FULCHIRON (Jean-Claude), 1774-1859. Littérateur et homme politique
    français. Élève de l'École polytechnique, il servit dans
    l'artillerie. En 1831, élu député, il se montra, pendant quinze ans,
    le constant défenseur de la politique conservatrice. Pair de France
    en 1845, il rentra dans la vie privée en 1848.


G

  GAËTE (Martin-Charles Gaudin, duc DE), 1756-1841. Ministre des
    Finances sous Napoléon Ier, qui le créa duc. Il fut député sous la
    Restauration, et, en 1820, gouverneur de la Banque de France.

  GARCIA (Manuel), 1775-1832. Compositeur et artiste lyrique
    espagnol; il fut le père de Mme Malibran et de Mme Viardot.

  GARRAUBE (Jean-Alexandre Valleton DE), 1790-1859. Il suivit la
    carrière militaire et se signala d'abord par son zèle légitimiste.
    Son dévouement pour la duchesse d'Angoulême lui valut le surnom de
    _Chevalier du Brassard_, et une faveur qui, pendant quinze ans, ne
    se démentit pas. Il se rallia à Louis-Philippe en 1830. En 1831, il
    était colonel et député. Il se montra, en général, fidèle à la
    politique des doctrinaires. Il fut admis à la retraite en 1852 avec
    le grade de général de brigade.

  GASTON D'ORLÉANS, 1608-1660. Troisième fils du roi Henri IV et frère
    de Louis XIII. Il porta le titre de duc d'Anjou jusqu'en 1624, où il
    reçut en apanage le duché d'Orléans. Il joua un rôle déplorable
    pendant la Fronde, passant sans cesse d'un parti à un autre.
    C'était, du reste, un homme spirituel, ami des lettres et des
    sciences. Il laissa une seule fille, la célèbre Mademoiselle,
    duchesse de Montpensier.

  GAUTARD (M. DE), mort en 1839. Il possédait, près de Bex, le château
    Grenier. Très estimé, il fut beaucoup regretté quand il mourut des
    suites d'un accident, l'esprit-de-vin dont il dirigeait la
    fabrication ayant pris feu et fait explosion.

  GEORGE III, Roi d'Angleterre, 1738-1820. Il monta sur le trône en
    1760, succédant à son grand-père George II. Il étendit les conquêtes
    de l'Angleterre aux Indes et réunit définitivement l'Irlande. Il
    combattit de tout son pouvoir la Révolution française, et devint fou
    dix ans avant sa mort.

  GEORGE IV, Roi d'Angleterre, 1762-1830. Une jeunesse dissipée,
    l'énormité de ses dettes et son mariage avec une catholique, Mrs
    Fitzherbert, lui aliénèrent l'estime de sa nation. En 1795, il
    épousa la princesse Caroline de Brunswick, à laquelle il intenta
    plus tard un procès scandaleux. En 1811, le Parlement lui donna la
    Régence par suite de la démence de son père. Il monta sur le trône
    eu 1820. Ce fut à lui que Napoléon adressa sa lettre pour réclamer
    l'hospitalité de l'Angleterre, après sa seconde abdication.

  GEORGE V, Roi de Hanovre, 1819-1878. Il succéda à son père le roi
    Ernest-Auguste en 1851, malgré sa cécité. En 1866, il perdit ses
    États, qui passèrent à la Prusse, après avoir absolument refusé
    toute entente avec elle.

  GÉRARD (Étienne-Maurice, comte), 1773-1852. Ayant adopté la carrière
    militaire, il fit toutes les campagnes de la République et de
    l'Empire. La Restauration l'éloigna. En 1830, il devint ministre de
    la Guerre, et en 1831 maréchal. Commandant de l'expédition de
    Belgique, il prit la citadelle d'Anvers et fut élevé à la Pairie en
    1832.

  GESSLER (Hermann). Bailli des cantons de Schwytz et d'Uri pour Albert
    Ier d'Autriche; il fut, par sa cruauté, cause de l'insurrection du
    pays en 1307, et, selon la tradition, périt de la main de Guillaume
    Tell.

  GILLES LE GRAND. Type de la comédie bouffonne, tirant son nom d'un
    acteur célèbre au dix-septième siècle.

  GIRARDON (François), 1630-1715. Sculpteur: protégé par le chancelier
   Séguier qui l'envoya étudier à Rome, il fit plusieurs ouvrages très
   estimés.

  GIROLLET (Jean-Baptiste-Simon, abbé), 1765-1836. Prêtre bénédictin
    de la congrégation de Saint-Maur, que la Révolution força d'émigrer.
    Il trouva en Pologne une situation de précepteur où il connut la
    princesse Tyszkiewicz. Elle le recommanda au prince de Talleyrand,
    qui le fit nommer aumônier de la Chambre des Pairs. Il fut très ami
    de la famille de Talleyrand. Vers la fin de sa vie, il s'établit à
    Rochecotte, où il fonda une école qui porte son nom.

  GLOUCESTER (Frédéric, duc DE), 1776-1834. Fils du duc
    Guillaume-Henri de Gloucester, mort en 1805, il avait épousé en 1816
    la quatrième fille du roi George III, et fut, à cette occasion,
    élevé au rang de prince du sang.

  GLOUCESTER (la duchesse DE), 1776-1857. Marie, fille de George
    III d'Angleterre et de la princesse Sophie-Charlotte de
    Mecklembourg-Strélitz, épouse du duc de Gloucester.

  GONTAUT-BIRON (la duchesse DE), 1773-1858, née Montault-Navailles,
    gouvernante des enfants de France, qu'elle suivit en exil. Charles X
    l'avait créée duchesse en 1827: c'était un titre à brevet.

  GRAFTON (Henry Fitzroy, duc DE), 1790-1863. Il entra en 1826 à la
    Chambre des communes parmi les libéraux et les promoteurs de la
    réforme parlementaire. A la mort de son père, il entra à la Chambre
    des lords où il conserva son attitude libérale, suivant assez
    fidèlement la politique de lord John Russell. Il avait épousé une
    fille de l'amiral Berkeley.

  GRAHAM (sir James), 1792-1861. Il devint en 1836, à la mort de son
    père, duc de Montrose et il siégea alors à la Chambre des lords dans
    les rangs du parti conservateur. En 1837, il devint chancelier de
    l'Université de Glascow; en 1852, grand maître de la maison de la
    reine: il fut aussi lord-lieutenant et chancelier du duché de
    Lancastre.

  GRANT (Charles), plus tard lord Glenelg. Il était né en 1780, fut
    membre de la Chambre des communes. De 1817 à 1822, il fut secrétaire
    d'État pour l'Irlande. En 1830, il fit partie du ministère de lord
    Grey et, en 1835, de celui de lord Melbourne.

  GRANVILLE (lord), 1775-1846. Fils cadet du marquis de Stafford; il
    représenta pendant de longues années l'Angleterre à Paris, où il sut
    se créer des amitiés précieuses. Sa femme était fille de la belle
    duchesse de Devonshire.

  GRANVILLE (lady). Henriette-Élisabeth Cavendish, fille du duc de
   Devonshire, épousa en 1809 lord Granville et mourut en 1862.

  GREFFULHE (Mme), 1766-1859. Pauline de Randan-Pully; elle épousa en
    1793 M. Louis Greffulhe, dont elle eut une fille qui fut la comtesse
    de Castellane. Devenue  veuve en 1821, Mme Greffulhe épousa en
    secondes noces le comte d'Aubusson la Feuillade, pair de France et
    ancien ambassadeur, qui mourut en 1848.

  GRENVILLE (lord William Wyndham), 1759-1834; attaché au parti de
    Pitt dont il était le parent, il remplit plusieurs rôles politiques.

  GREVILLE (Henry). Il occupa un emploi à la cour vice-royale de
    Dublin sous lord Clarendon; il eut ensuite un poste au
    Foreign-office et fut secrétaire privé du duc de Wellington.

  GREY (Charles Howick, lord), 1764-1845. Appartenant au parti
    libéral, lord Grey fut ministre avec Fox et joua un grand rôle dans
    le procès de la reine Caroline et aussi dans les affaires de
    Belgique en 1830. C'est à lui que l'Angleterre dut sa réforme
    électorale.

  GREY (lady), 1775-1861. Fille de William Ponsonby et de Louise,
    fille du vicomte Molesworth, elle avait épousé lord Grey en 1794.

  GREY (lady Élisabeth), fille de lord Grey; elle mourut sans s'être
    mariée.

  GREY (lady Georgiana), sœur de la précédente; elle mourut en 1870
    sans avoir été mariée.

  GRISI (Giulia), 1812-1869. Célèbre cantatrice, fille d'un officier
    italien au service de la France et nièce de Mme Grassini. Elle
    naquit à Milan, entra de bonne heure au Conservatoire et devint une
    artiste renommée, admirée dans toute l'Europe et l'Amérique. En
    1836, elle épousa à Paris le comte Gérard de Melcy, mais cette union
    fut rompue peu après, à la suite d'un duel entre M. de Melcy et lord
    Castlereagh, neveu du célèbre homme d'État. Elle se remaria plus
    tard avec son camarade Mario, comte de Candia.

  GROSVENOR (lady), née en 1797; Élisabeth, fille cadette du duc de
    Sutherland, épousa en 1819 le duc de Westminster.

  GUILLAUME II, Roi des Pays-Bas, 1792-1849. Il épousa, en 1816, Anna
    Paulowna, fille de l'Empereur Paul de Russie, et eut un règne
    paisible et conciliateur.

  GUILLAUME IV, Roi d'Angleterre, 1765-1837. Il monta sur le trône à
    l'âge de soixante-cinq ans, succédant à son frère George IV, et
    régna de 1830 à 1837. Il avait épousé, en 1818, Adélaïde, fille du
    duc de Saxe-Meiningen.

  GUILLAUME LE CONQUÉRANT ou le Bâtard, duc de Normandie, 1027-1087.
    Il conquit l'Angleterre en 1066 et sut organiser fortement son
    nouveau royaume en créant une noblesse militaire hiérarchisée.

  GUILLAUME TELL, mort en 1354. Un des chefs de la révolution qui
    affranchit la Suisse en 1307.

  GUISE (Henri de Lorraine, duc DE), dit _le Balafré_; 1550-1588. Fils
    aîné de François de Guise, chef de la Ligue, il fut assassiné au
    château de Blois par ordre de Henri III; il avait dirigé le massacre
    de la Saint-Barthélemy.

  GUIZOT (François-Pierre-Guillaume), 1767-1874. Homme d'État et
    écrivain français; il fut ministre sous Louis-Philippe. Ambassadeur
    à Londres et membre de l'Académie française.

  GUIZOT (Mme), 1803-1833. Élisa Dillon, fut la deuxième femme de M.
    Guizot, qu'elle épousa en 1828, après la mort de sa première femme,
    Pauline de Meulan.


H

  HAENDEL (Georges-Frédéric), 1685-1759. Compositeur allemand, né à
    Halle en Saxe, mort aveugle à Londres.

  HALFORD (sir Henry Wangham), 1766-1844. Premier médecin du roi
    George III d'Angleterre, jouissant d'une grande réputation. En
    1809, il fut créé baron. Il avait épousé, en 1795, la deuxième
    fille de lord Blestow.

  HARDWICK (lady), 1763-1858. Élisabeth, fille du comte de Balcarres,
    épousa, en 1782, Charles-Philippe Yorke, qui, à la mort de son
    oncle lord Hardwick, prit son nom et son titre. Le mari de lady
    Hardwick, amiral, fit partie du ministère Derby en 1852.

  HARDY (miss Émily), morte en 1866. Elle épousa, en 1839, le Rév.
    Francis Flewson de Rillarmes.

  HAREWOOD (lord Henry), 1767-1841. Il avait épousé lady Louise
    Thynne, fille du marquis de Bath.

  HARISPE (le général), 1768-1854. Il fit avec distinction les
    campagnes de la Révolution et de l'Empire. Écarté par la
    Restauration, il fut rappelé en 1830, élevé à la Pairie et fait
    maréchal de France en 1851.

  HAYDN (François-Joseph), 1732-1809. Compositeur allemand. Auteur de
    symphonies et d'oratorios remarquables.

  HÉLÈNE DE TROIE. Princesse grecque célèbre par sa beauté, et, selon
    la fable, fille de Jupiter et de Léda. Épouse de Ménélas, elle fut
    enlevée par Pâris, ce qui détermina l'expédition des Grecs contre
    Troie.

  HENRI III, Roi d'Angleterre, 1216-1272. Fils de Jean sans Terre,
    auquel il succéda à l'âge de neuf ans.

  HENRI III, Roi de France, 1551-1589. Troisième fils de Henri II. Il
    porta d'abord le titre de duc d'Anjou, fut élu roi de Pologne, mais
    abandonna ce royaume au bout de quelques mois pour venir succéder,
    en France, à son frère Charles IX. Il fut assassiné par Jacques
    Clément, et avec lui s'éteignit la branche des Valois.

  HENRI IV, Roi de France, 1553-1610. Fils d'Antoine de Bourbon et de
    Jeanne d'Albret; il monta sur le trône en 1589, et mourut assassiné
    par Ravaillac.

  HENRI V. Les légitimistes appelaient ainsi le duc de Bordeaux.

  HENRI VIII, Roi d'Angleterre, 1491-1547; succéda en 1509 à son père
    Henri VII; il se prononça pour Charles-Quint contre François Ier et
    rompit avec l'Église catholique.

  HERTFORD (lady), morte en 1836. Isabelle, fille aînée de
    Charles-Ingram Sheffield, vicomte Irvin,  épousa Seymour Conway,
    marquis de Hertford. Elle était une amie de George IV.

  HESSE-DARMSTADT (le grand-duc DE), 1777-1848. Louis II; il épousa en
    1830 une princesse Wilhelmine de Bade, qui mourut en 1836.

  HESSE-DARMSTADT (la grande-duchesse DE), 1813-1842.
    Mathilde-Caroline, fille du roi Louis de Bavière et épouse du
    grand-duc Louis III de Hesse-Darmstadt.

  HESSE-HOMBOURG (la Landgravine DE), 1770-1840. Élisabeth, fille du
    roi George III d'Angleterre, épousa, en 1818, le landgrave
    Frédéric-Joseph, qui mourut en 1829.

  HESSE-HOMBOURG (la Landgravine DE), née en 1778. Auguste, fille du
    duc de Nassau-Usingen, épousa en 1804 le landgrave Louis de
    Hesse-Hombourg.

  HEYTESBURY (lord William), 1779-1860. Homme d'État anglais;
    conseiller privé, diplomate distingué; son dernier poste
    d'ambassadeur fut celui de Saint-Pétersbourg de 1828 à 1833. De 1844
    à 1846, il fut lord-lieutenant d'Irlande. Il avait épousé une fille
    de W. Bouverie.

  HILL (lord Rowland), 1773-1842. Général anglais. Il s'illustra dans
    la guerre d'Espagne et la campagne de 1815. En 1827, il devint
    gouverneur de Plymouth, et l'année suivante il reçut le commandement
    en chef de l'armée anglaise.

  HOBHOUSE (sir John Cam), 1785-1869. Écrivain et homme politique
    anglais. Condisciple de lord Byron à Cambridge, il conserva toujours
    pour lui une vive amitié. Ils visitèrent ensemble une partie de
    l'Orient et du Continent et sir J. Hobhouse fit paraître en 1812 un
    ouvrage, _Voyage à travers l'Albanie_, qui le fit nommer membre de
    la Société Royale de Londres. S'étant trouvé à Paris lors du retour
    de Napoléon de l'île d'Elbe, sir J. Hobhouse publia, après la
    bataille de Waterloo, _Lettres écrites par un Anglais pendant les
    Cent-Jours_, livre qui fit sensation, car il y attaquait vivement le
    gouvernement et y émettait des idées libérales. Hobhouse entra en
    1820 à la Chambre des communes et occupa dès lors plusieurs postes
    administratifs. Il fut élevé à la Pairie en 1851 sous le titre de
    baron Broughton Gyfford.

  HOHENTHAL (la comtesse DE), 1808-1845. Née princesse Louise de
    Biron-Courlande, sœur de la comtesse de Lazareff et de Mme de
    Boyen.

  HOLLAND (lord), 1772-1840. Neveu de Fox, il fut, comme son oncle, le
    champion des libertés publiques. Il contribua, avec lady Holland, à
    adoucir le sort de Napoléon à Sainte-Hélène.

  HOLLAND (lady), morte en 1840. Elle fut en premières noces lady
    Webster. Lord Holland l'avait connue à Florence et l'épousa après
    avoir eu avec elle une liaison antérieure, et après son divorce
    d'avec sir Godfrey Webster. Lady Holland était très spirituelle et
    Holland-House fut pendant longtemps le rendez-vous des notabilités
    littéraires de l'époque.

  HOMÈRE. Célèbre poète grec, regardé comme l'auteur de l'_Iliade_ et
    de l'_Odyssée_.

  HOPE (Thomas), 1774-1835. Riche et amateur des arts, il voyagea
    beaucoup, puis s'installa à Londres où il forma de riches galeries
    de peinture et de sculpture.

  HOWE (Richard-William Penn, lord), mort en 1870, fils du baron
    Curzon. En 1831, il occupait une charge à la cour de la reine
    Adélaïde d'Angleterre.

  HOWICK (Henry), 1802-1894. Fils aîné de lord Grey et sous-secrétaire
    d'État aux colonies dans le ministère de son père en 1830. En 1845,
    à la mort de lord Grey, il prit son titre et sa place à la Chambre
    des lords. Il avait des opinions très libérales.

  HUGO (Mme Victor), née en 1810; elle se nommait Adèle Foucher, et
    était la fille de Paul-Henry Foucher, littérateur et homme politique
    français.

  HUMANN (Jean-Georges), 1780-1842. Financier et homme d'État
    français. Il siégea à la Chambre des députés à partir de 1820, fut
    un des deux cent vingt et un signataires qui amenèrent la révolution
    de 1830, fut ministre des Finances de 1832 à 1836 et de 1840 jusqu'à
    sa mort.

  HURE (M.). Grand ami de Fox.

  HUSS (Jean), 1373-1415. Théologien hérésiarque, de Bohême.
    Excommunié par le pape Alexandre V pour avoir adopté les doctrines
    de Wicleff, il en appela au Concile de Trente, et, refusant de se
    rétracter, il fut brûlé vif.


I

  INÈS DE CASTRO. Assassinée en 1355. Célèbre par sa beauté et ses
    malheurs; elle fut épousée par l'Infant Pierre de Portugal.
    Ferreira fit sur elle, au seizième siècle, une tragédie.

  ISABELLE (doña), 1801-1876. Régente de Portugal de 1826 à 1828.

  ISABELLE II, Reine d'Espagne, 1830-1904. Elle succéda à son père le
    roi Ferdinand VII en 1833, sous la tutelle de sa mère, la reine
    Christine. Isabelle II épousa son cousin germain, François d'Assise
    de Bourbon, qui prit le titre de roi. Elle abdiqua, en 1870, en
    faveur de son fils Alphonse XII, après avoir quitté l'Espagne par
    suite de la révolution de 1868.


J

  JACOB (Louis-Léon, comte), 1768-1854. Marin français. Il inventa en
    1805 les signaux sémaphoriques, devint contre-amiral en 1812. Il
    fut élevé à la Pairie après 1830, et un moment ministre de la
    Marine.

  JACQUES Ier, Roi d'Écosse et d'Angleterre, 1566-1625. Fils de Marie
    Stuart, il fut roi d'Écosse à un an, en 1567, et roi d'Angleterre
    en 1603 à la mort d'Élisabeth.

  JAUCOURT (la marquise DE), 1762-1848. Mlle Charlotte de Bontemps
    avait épousé le marquis de Jaucourt, petit-neveu du chevalier de
    Jaucourt, rédacteur de l'_Encyclopédie_.

  JERMINGHAM (Miss). Fille aînée du baron Stafford, elle mourut en
    1838.

  JERSEY (lady), 1787-1867. Sarah, fille du comte de Westmorland. Lord
    Jersey, son mari, remplit diverses charges de cour et lady Jersey
    tint longtemps, dans la société de Londres le sceptre de l'élégance.

  JOSÉPHINE (l'impératrice), 1763-1814. Née à la Martinique, Joséphine
    Tascher de la Pagerie épousa en 1779 le vicomte de Beauharnais, qui
    mourut sur l'échafaud en 1794; en 1796, elle épousa le général
    Bonaparte, et elle devint Impératrice en 1804; mais, en 1809,
    Napoléon divorça et elle mourut cinq ans après au château de la
    Malmaison, près de Paris.


K

  KENT (la duchesse DE), 1786-1861. Fille du duc de
    Saxe-Cobourg-Saalfeld et mère de la reine Victoria d'Angleterre.
    Elle avait épousé, en premières noces, le prince Emich de
    Leiningen, et en secondes noces, le duc de Kent, quatrième fils du
    roi George III d'Angleterre.

  KOREFF (David-Ferdinand), 1783-1851. Fils d'un médecin juif, il
    naquit à Breslau, fit ses études à Halle, à Berlin et à Paris. Il
    voyagea en Italie avec la famille de Custine et se trouvant à
    Vienne, en 1814, y fit la connaissance de Hardenberg, chancelier du
    roi de Prusse, qui l'engagea à entrer au service de l'État
    prussien. Il se fit alors baptiser. En 1821, il alla à Paris, puis
    passa quelques années en Angleterre.

  KÜPER (le Rév. Dr William), originaire d'Allemagne et luthérien, il
    fut pendant de longues années lecteur de la reine Adélaïde
    d'Angleterre. Il eut pour fils l'amiral Auguste-Léopold Küper.


L

  LA BESNARDIÈRE (Jean-Baptiste Goney DE), 1765-1843. En 1805 il
    accompagna le prince de Talleyrand à la suite de la Grande Armée;
    pendant les dernières années de l'Empire, il représenta au Conseil
    d'État, avec MM. d'Hauterive et Dalberg, le ministère des Affaires
    étrangères; en 1814, il accompagna le prince de Talleyrand à
    Vienne. En 1819, il se retira en Touraine.

  LABOUCHÈRE (Henri), 1798-1861. Anglais, d'une famille d'origine
    française, il fut député de Taunton depuis 1830. Il était le
    deuxième fils de Pierre-César Labouchère, associé de la maison Hope
    et Cie, d'Amsterdam, et d'une fille de sir Francis Baring. Il
    épousa une Baring, sa cousine germaine. En 1858 il fut élevé à la
    Pairie sous le titre de lord Taunton.

  LA BRUYÈRE (Jean DE), 1645-1696. Moraliste français; il fut le
    précepteur du petit-fils du grand Condé et l'auteur des
    _Caractères_.

  LACRETELLE (Jean-Claude-Dominique DE), 1766-1855. Auteur de
    plusieurs ouvrages historiques où il se recommande plus par une
    certaine habileté d'arrangement que par la profondeur.

  LA FAYETTE (Gilbert Mortier, marquis DE), 1757-1834. Après avoir
    fait, fort jeune, la guerre d'Amérique, il fut nommé en 1788 député
    aux États généraux: mis hors la loi après le 20 juin 1792, il dut
    s'enfuir, mais, arrêté par les Autrichiens, il resta cinq ans
    enfermé à Olmütz. Député en 1814, il vota la déchéance de
    l'Empereur; sous la Restauration, il resta toujours dans
    l'opposition. Chef des gardes nationales en 1830, il contribua à
    l'avènement de Louis-Philippe.

  LAGRANGE-CHANCEL (Joseph DE), 1676-1758. Littérateur français,
    auteur de tragédies assez faibles et des _Philippiques_.

  LAMB (sir Frédéric), 1782-1852. Diplomate anglais; frère de lord
    Melbourne, il fut ambassadeur à Venise, à Münich, en Espagne, et
    entra en 1821 à la Chambre des lords sous le titre de lord Beauvale.
    En 1848, il devint vicomte Melbourne, à la mort de son frère
    William.

  LAMENNAIS (Hughes-Félicité-Robert, abbé DE), 1782-1854. Écrivain
    catholique, philosophe réformateur, journaliste révolutionnaire, il
    rompit avec l'Église, qui avait condamné ses ouvrages.

  LANGWARD. Improvisateur allemand peu célèbre.

  LANSDOWNE (Henry, marquis DE), 1780-1863. Homme d'État anglais. Whig
    modéré, il a laissé une réputation méritée de droiture et
    d'honnêteté politique. Il entra au Parlement de 1802; il montra
    beaucoup de zèle pour l'abolition de l'esclavage, et défendit avec
    ardeur les catholiques irlandais. En 1830, il entra dans le Cabinet
    réformiste de lord Grey, et devint président du Conseil privé.

  LANSDOWNE (lady), morte en 1865. Elle était fille de sir Henry Vane
    Tempest et épousa le marquis de Lansdowne en 1819.

  LARCHER (Mlle Henriette), 1782-1860. Elle était Genevoise, et fut la
    gouvernante de Mlle Pauline de Périgord, plus tard marquise de
    Castellane.

  LA REDOUTE (Joseph-Charles-Maurice, comte DE), 1804-1886. Élève de
    l'École polytechnique, il devint lieutenant en 1826 et fut nommé
    officier d'ordonnance du duc d'Orléans, en 1833. Élu député de
    Carcassonne en 1835, il quitta la carrière militaire; fut en 1840
    ambassadeur pendant quelques mois, à Madrid, et entra à la Chambre
    des pairs l'année suivante.

  LA ROCHEFOUCAULD (la vicomtesse Sosthène DE), 1790-1834. Elle était
    la fille unique du duc Mathieu de Montmorency.

  LA RONCIÈRE LE NOURY (Émile-Clément DE), 1804-1874. Fils du général
    de la Roncière, il s'engagea à dix-sept ans dans la cavalerie et fut
    détaché comme lieutenant à l'école de Saumur en 1833. A la suite
    d'un procès qui le condamna à dix ans de réclusion, il rentra dans
    l'obscurité. Le second Empire l'en fit sortir, et le nomma
    successivement inspecteur de la colonisation en Algérie, chef de
    service à Chandernagor, puis aux îles Saint-Pierre-et-Miquelon.

  LATOUR-MAUBOURG (le marquis DE), 1781-1847. Diplomate français; il
    fut, sous le premier Empire, chargé d'affaires à Constantinople,
    puis ministre plénipotentiaire en Würtemberg. Sous la Restauration,
    il devint successivement ministre en Hanovre, en Saxe, ambassadeur à
    Constantinople en 1823, à Naples en 1830, et à Rome en 1831. Cette
    même année il fut appelé à la Pairie.

  LAURENCE (Justin), 1794-1863. Fils d'un orfèvre de Mont-de-Marsan,
    il fut le champion de l'opposition libérale dans son département.
    Tour à tour conseiller de préfecture des Landes, avocat général à la
    Cour royale de Pau, il fut élu député en 1831. En 1844, il fut
    appelé à la Direction générale des Contributions. La Révolution de
    1848 mit fin à sa carrière politique.

  LAUZUN (le duc DE), 1632-1733. Joua un rôle brillant, mais
    aventureux, à la cour de Louis XIV. Il épousa la Grande
    Mademoiselle, cousine germaine du Roi.

  LAVAL (le prince Adrien DE), 1768-1837. Pair de France, duc de
    Fernando en Espagne; il fut ambassadeur de France à Rome. Il avait
    épousé sa cousine, Mlle de Montmorency-Luxembourg.

  LAVRADIO (don Francisco de Almeida, comte DE), 1796-1870. Portugais,
    pair du royaume, conseiller d'État, il fut ministre en 1825 et en
    1846. En 1851, il fut ministre à Londres et il venait d'être
    transféré à Rome lorsqu'il mourut.

  LAZAREFF (le comte Lazare DE), 1792-1871. Colonel russe; il épousa
    la princesse Antoinette de Biron-Courlande.

  LEGONIDEC (Joseph-Julien), 1763-1844. Magistrat français. Avocat au
    Parlement de Paris, il passa en Amérique le temps de la Révolution
    et ne revint en France qu'en 1797. En 1815, la Restauration le nomma
    conseiller à la Cour de cassation où il siégeait encore au moment de
    sa mort comme doyen de la Chambre civile.

  LE HON (le comte Charles), 1792-1868. Né à Tournay, en Belgique, il
    joua dans son pays un rôle d'opposition avant 1830. Il fut ensuite,
    pendant de longues années, ministre de Belgique à Paris où il resta
    jusqu'en 1852.

  LEHZEN (Mlle Louise) morte en 1870. Fille d'un pasteur protestant
    hanovrien, elle vint en Angleterre en 1818 pour être gouvernante de
    la princesse Féodore de Leiningen, fille du premier mariage de la
    duchesse de Kent; elle prit les mêmes fonctions auprès de la
    princesse Victoria, plus tard Reine d'Angleterre. En 1827, le Roi
    George IV lui conféra le titre de baronne. Elle resta à la cour
    d'Angleterre jusqu'en 1849 et retourna alors en Allemagne.

  LEICESTER (Richard Dudley, comte DE), 1531-1588. Jouissant d'un
    grand crédit sur la reine Élisabeth d'Angleterre, le comte de
    Leicester fut comblé de ses faveurs.

  LENORMAND (Marie-Anne), 1772-1843. Célèbre devineresse. Elle fut
    élevée chez les bénédictines d'Alençon, où elle commença son rôle de
    prophétesse, vint ensuite à Paris en 1790; elle se mit à y prédire
    l'avenir, par les cartes, et fut consultée par l'impératrice
    Joséphine et d'autres personnages de distinction.

  LÉON (la princesse DE), morte en 1815. Elle se nommait, avant son
    mariage, Mlle de Séran. Elle mourut d'un accident, sa robe ayant
    pris feu. Son mari entra dans les ordres trois ans plus tard; il fut
    successivement appelé aux évêchés d'Auch et de Besançon et, en 1830,
    il reçut le chapeau de cardinal. Après la mort de son père, le
    prince de Léon avait pris le titre de duc de Rohan.

  LÉON (l'évêque DE). Don Joachim Albarca y Blanquès, 1781-1844. Un
    des conseillers du prétendant don Carlos, qu'il accompagna à Londres
    en 1834, et qui le nomma plus tard son ministre de grâce et de
    justice. Il mourut à Turin. Il avait pris possession du siège
    épiscopal de Léon en 1825.

  LÉOPOLD Ier, Roi des Belges, 1790-1865. Georges-Chrétien-Frédéric,
    prince de Cobourg-Gotha, fut élu roi des Belges en 1831. Il avait
    épousé, en premières noces, en 1816, la princesse Charlotte
    d'Angleterre, et en deuxièmes noces, la princesse Louise d'Orléans,
    fille du Roi Louis-Philippe.

  LESLIE (Charles-Robert), 1794-1839. Peintre anglais; artiste
    remarquable, excellant surtout à reproduire sur la toile les
    écrivains à qui il empruntait généralement ses tableaux,
    Shakespeare, Cervantes, Molière, Sterne, Walter Scott.

  LEUCHTENBERG (le prince Auguste-Charles DE), 1807-1835. Il épousa,
    en 1835, doña Maria, reine de Portugal, et mourut la même année.

  LEUCHTENBERG (le prince Max DE), 1817-1852. Fils d'Eugène de
    Beauharnais; il épousa, en 1839, la grande-duchesse Marie, fille de
    l'Empereur Nicolas Ier de Russie.

  LEZAY-MARNESIA (Albert, comte DE), 1722-1857. Il occupa plusieurs
    préfectures, entre autres celle du Loir-et-Cher, dont il était
    titulaire en 1834.

  LICHTENSTEIN (Aloys-Joseph, prince DE), 1796-1858. Diplomate
    autrichien; il fut attaché aux ambassades de Londres, de La Haye et
    de Dresde. Il avait épousé une comtesse Kinsky.

  LIEVEN (Christophe, prince DE), 1770-1839. Général russe; il fut
    ambassadeur à Paris et à Londres, puis, en 1834, gouverneur du
    grand-duc héritier de Russie, plus tard Alexandre II.

  LIEVEN (la princesse DE), 1784-1857. Dorothée de Benkendorff, épouse
    du prince Christophe de Lieven, ambassadeur à Londres; remarquable
    par son esprit et son jugement, elle fit de son salon à Londres le
    rendez-vous des hommes les plus distingués, et passa les dernières
    années de sa vie à Paris, où elle se vit recherchée par les plus
    hauts personnages politiques.

  LITTLETON (Édouard-John Walhouse), 1791-1863. Créé baron Hatherton
    en 1835. Membre du Parlement anglais. En 1812, il épousa une fille
    du marquis de Wellesley, et en 1858, en secondes noces, la veuve
    d'Édouard Davenport.

  LONDONDERRY (Charles-William, lord), 1778-1854. Soldat et diplomate
    anglais, il fut ambassadeur à Vienne, général et lord-lieutenant. Il
    épousa en premières noces une fille de lord Darnley, et en deuxièmes
    noces, une fille de sir Henry Vane Tempest.

  LONDONDERRY (lady), morte en 1865. Fille de sir H. Vane Tempest,
    elle épousa lord Londonderry en 1819.

  LOUIS (le baron), 1755-1837. Ministre des Finances en France. Il
    avait reçu les ordres et était très lié avec le prince de
    Talleyrand. Depuis 1815, il siégea comme député dans presque toutes
    les assemblées législatives, où il se fit remarquer par la
    modération et la sagesse de ses vues.

  LOUIS XI, Roi de France, 1423-1483. Fils de Charles VII; aucun
    prince de son temps ne connut mieux les ruses de la politique et
    l'art de dominer les hommes.

  LOUIS XII, Roi de France, 1462-1515. D'abord connu sous le titre de
    duc d'Orléans, il succéda comme roi de France à Charles VIII.

  LOUIS XIII, Roi de France, 1601-1643. Fils de Henri IV et de Marie
    de Médicis, sous la régence de qui il régna d'abord. Il épousa Anne
    d'Autriche.

  LOUIS XIV, Roi de France, 1638-1715. Fils de Louis XIII, il n'avait
    pas cinq ans, lorsqu'il succéda à son père sous la régence de sa
    mère Anne d'Autriche; il épousa l'infante Marie-Thérèse, et plus
    tard, secrètement, Mme de Maintenon.

  LOUIS XV, Roi de France, 1710-1774. Fils du duc de Bourgogne et de
    la princesse Adélaïde de Savoie, il succéda sur le trône à son aïeul
    Louis XIV.

  LOUIS XVI, Roi de France, 1754-1793. Une des premières victimes de
    la Révolution, qui le fit périr sur l'échafaud.

  LOUIS XVIII, Roi de France, 1755-1824. Il porta, d'abord, le titre
    de comte de Provence et épousa, en 1771, Louise-Marie-Joséphine de
    Savoie; son règne ne commença qu'en 1814.

  LOUIS-PHILIPPE Ier, Roi des Français, 1773-1849. Fils de
    Philippe-Égalité, duc d'Orléans; il fut proclamé Roi après la
    révolution de 1830 et l'abdication de Charles X, et obligé, lui
    aussi, d'abdiquer, à la révolution de 1848.

  LOUISE, Reine de Prusse, 1776-1810. Fille du grand-duc de
    Mecklembourg-Strélitz et épouse du roi Frédéric-Guillaume III de
    Prusse. Elle fut la mère des rois Frédéric-Guillaume IV et Guillaume
    Ier, qui, en 1870, fut proclamé empereur d'Allemagne.

  LOULÉ (la marquise DE), 1806-1857. Anne, infante de Portugal, mariée
    en 1827 à Mendoça, marquis de Loulé, ministre d'État. Le marquis fut
    créé duc, mais ses enfants ne jouirent jamais d'aucun privilège
    royal.

  LOUVOIS (le marquis DE), 1639-1691. Homme d'État français, ministre
    de la guerre sous Louis XIV; il était fils du chancelier Le Tellier.

  LOUVOIS (le marquis DE), 1783-1844. Il entra dans la carrière, puis
    devint chambellan de l'empereur Napoléon Ier. Il établit à
    Ancy-le-Franc des hauts-fourneaux, une verrerie, un moulin, des
    scieries qui amenèrent la prospérité dans ce pays. Il fut fait pair
    de France sous la Restauration.

  LUDOLF (Guillaume-Constantin, comte), 1759-1839. Ministre du roi de
    Naples à Londres durant de longues années; sa famille était
    d'origine autrichienne.

  LYNDHURST (lady), Sarah Grey; veuve du lieutenant-colonel
    Charles-Thomas, qui tomba à Waterloo, elle épousa en 1819 lord
    Lyndhurst dont elle fut la deuxième femme; elle était d'origine
    juive.


M

  MAINTENON (la marquise DE), 1635-1719. Françoise d'Aubigné, épousa,
    en 1652, le poète Scarron. Devenue veuve, elle fut chargée d'élever
    les enfants de Louis XIV et de Mme de Montespan. Après la mort de
    la Reine, Louis XIV s'unit à Mme de Maintenon par un mariage
    secret.

  MAISON (le maréchal), 1771-1840. Il fit, avec distinction, les
    guerres de la République et de l'Empire; fut fait pair de France
    sous la Restauration. Chargé en 1828 de l'expédition de Morée, il y
    obtint plein succès et fut créé maréchal. Sous Louis-Philippe, il
    fut tour à tour ministre des Affaires étrangères, de la Guerre,
    ambassadeur à Vienne et en Russie.

  MALIBRAN (Mme Marie-Félicité), 1808-1836. Célèbre cantatrice, fille
    de Manuel Garcia. Elle épousa en premières noces le banquier
    Malibran et en secondes noces le violoniste de Bériot.

  MARBOIS (le marquis François $1-), 1745-1837. Il remplit avant la
    Révolution plusieurs missions diplomatiques; à la Révolution, il
    fut déporté à la Guyane, et n'en revint qu'après le 18 Brumaire. Le
    premier Consul le nomma président de la Cour des comptes. La
    Restauration le fit pair et ministre de la Justice. Plus tard, il
    reprit ses fonctions de président de la Cour des comptes, qu'il
    exerça jusqu'en 1834.

  MAREUIL (Joseph-Durand, comte DE), 1769-1855. Diplomate français. A
    la seconde Restauration, il fut nommé conseiller d'État, et chargé
    de diverses missions. Nommé pair de France en 1833 et grand-cordon
    de la Légion d'honneur en 1834, il fut envoyé à Naples comme
    ambassadeur; rappelé dix-huit mois plus tard, il vécut depuis lors
    dans la retraite.

  MARIE (l'infante), 1793-1874. Fille de Jean VI de Portugal, elle
      épousa en premières noces l'infant dom Pedro et plus tard don
      Carlos, infant d'Espagne.

  MARIE II ou MARIA DA GLORIA. Reine de Portugal, 1819-1853. Fille de
    dom Pedro Ier, qui, reconnaissant l'impossibilité de garder ensemble
    les deux trônes de Brésil et de Portugal, abdiqua celui de Portugal
    en faveur de son second enfant, doña Maria, après avoir octroyé à ce
    Royaume une charte libérale. Doña Maria épousa en premières noces le
    duc de Leuchtenberg, et, en secondes noces, le prince Ferdinand de
    Cobourg.

  MARIE-AMÉLIE (la Reine), 1782-1866; Fille de Ferdinand Ier, Roi des
    Deux-Siciles, elle épousa en 1809 le duc d'Orléans, qui fut plus
    tard Louis-Philippe, roi des Français.

  MARIE-CASIMIRE D'ARQUIEN, 1635-1716. Fille du marquis de La Grange
    d'Arquien, elle avait accompagné en Pologne la reine Marie-Gonzague.
    Mariée d'abord à Zamoyski, elle épousa en secondes noces le roi Jean
    Sobieski. Devenue veuve, elle se retira d'abord à Rome, puis à Blois
    où elle mourut.

  MARIE DE MÉDICIS, Reine de France, 1573-1642. Fille du grand-duc
    François Ier de Toscane, elle épousa le Roi de France Henri IV, fut
    la mère de Louis XIII et exerça la Régence pendant la minorité de
    son fils.

  MARIE D'ORLÉANS (la princesse), 1813-1839. Fille du Roi
    Louis-Philippe, elle épousa le prince Alexandre de Würtemberg. Elle
    avait du talent pour la sculpture et est l'auteur d'une statue de
    Jeanne d'Arc placée dans la cour de l'Hôtel de ville à Orléans.

  MARIE-LOUISE (l'Impératrice), 1791-1847. Fille de l'Empereur
  François II d'Autriche, elle épousa en 1810 l'Empereur Napoléon Ier.

  MARIE STUART, 1542-1587. Reine d'Écosse. Elle épousa François II,
    roi de France, dont elle devint veuve en 1560. De retour en Écosse,
    elle eut à lutter contre la Réforme et les agissements secrets de la
    reine Élisabeth d'Angleterre qui la fit emprisonner puis exécuter
    après dix-huit ans de captivité.

  MARIE-THÉRÈSE (l'Impératrice), 1717-1780. Fille de l'Empereur
    Charles VI, elle lui succéda sur le trône d'Autriche et eut à lutter
    contre le Roi de Prusse, Frédéric II, qui lui enleva la Silésie.
    Elle avait épousé François de Lorraine.

  MARTIN (M.). Élève de l'École normale, il devint professeur dans un
    collège de Paris où le prince de Talleyrand le prit pour le charger
    de l'éducation de ses deux neveux Louis et Alexandre de Périgord; il
    devint plus tard recteur de l'Académie d'Amiens.

  MARTIN DU NORD (Nicolas-Ferdinand), 1789-1862. Littérateur et homme
    d'État français; élu député en 1830, il siégea dans les rangs des
    conservateurs, il fut avocat général à la Cour de cassation en 1842,
    puis procureur général à la Cour royale de Paris. En 1834, il devint
    ministre des Travaux publics; en 1839, ministre de la Justice et des
    Cultes.

  MARTINEZ DE LA ROSA (François), 1789-1862. Littérateur et homme
    d'État espagnol. Député aux Cortès en 1812, il y soutint les
    idées les plus avancées, qui le firent condamner à dix ans
    d'emprisonnement au Maroc; la révolution de 1820 lui rendit la
    liberté, et il devint président du conseil. Sous la Reine régente,
    il devint chef d'un Cabinet constitutionnel, qui signa la Quadruple
    Alliance, mais il se retira en 1835. Il fut, depuis, ambassadeur à
    Paris, à Rome, et président des Cortès.

  MASSA (la duchesse DE), née en 1792; fille du duc de Tarente, elle
    avait épousé Régnier, duc de Massa, dont elle devint veuve en 1814.

  MATUCZEWICZ (le comte André-Joseph), 1790-1842. Diplomate au service
    russe, Polonais de naissance. Il fut ministre intérimaire de Russie
    en Angleterre, ministre à Naples et à Stockolm.

  MAUGUIN (François), 1785-1854. Libéral ardent, il fut élu député en
    1827 et joua un rôle actif jusqu'en 1848. Après le coup d'État de
    1851, il se retira à Saumur, chez sa fille, la comtesse de
    Rochefort.

  MEDEM (le comte Paul), 1800-1854. Diplomate russe. Chargé d'affaires
    à Paris, puis à Londres, et, en 1839, ministre à Stuttgart.

  MELBOURNE (lord), 1779-1848. William Lamb. Homme d'État anglais; il
    fut appelé, en 1830, par lord Grey, au ministère de l'Intérieur;
    whig modéré, il s'est acquitté avec beaucoup de tact et de
    dévouement du soin qui lui incombait d'initier la jeune reine
    Victoria à ses devoirs de souveraine.--Séparé de sa femme, lady
    Catherine Ponsonby, connue par sa liaison avec lord Byron, lord
    Melbourne eut une liaison avec Mrs Norton, qui aboutit, en 1836, à
    un procès en divorce dont le scandale fut grand.

  MENDELSLOH (le comte Charles-Auguste-François DE), 1788-1852.
    Diplomate würtembergeois; il fut, successivement, ministre à
    Saint-Pétersbourg, à Londres et à Vienne.

  MENDIZABAL (don Juan Alvarez y), 1790-1853. Homme d'État espagnol.
    Fils d'un pauvre fripier, il gagna une grosse fortune dans le
    commerce. Il devint ministre des Finances en 1835, mais dut se
    retirer bientôt.

  MENNECHET (Édouard), 1794-1845. Littérateur français. Il fut
    secrétaire particulier du duc de Duras, qui le fit connaître à Louis
    XVIII; celui-ci le nomma chef de son bureau; Mennechet remplit
    ensuite les mêmes fonctions auprès de Charles X.

  METTERNICH (Clément-Wenceslas-Lothaire, comte, puis prince DE),
    1773-1859. Homme d'État autrichien. Il fut ministre à La Haye, à
    Dresde, à Berlin, à Paris. En 1809, il fut ministre des Affaires
    étrangères d'Autriche, et resta au pouvoir jusqu'en 1848 où la
    révolution l'obligea à fuir.

  MIAOULIS (André), 1771-1835. Amiral grec; il commanda en chef la
    flotte des insurgés en 1821, battit les Turcs à Patras, mit le feu
    aux navires d'Ibrahim-Pacha à Modon, mais ne put empêcher la chute
    de Missolonghi. En 1831, il se mit à la tête des Hydriotes révoltés
    contre le président Capo d'Istria.

  MIGNET (François-Auguste-Marie), 1796-1884. Historien français,
    membre de l'Académie française, directeur des Archives du ministère
    des Affaires étrangères.

  MINA (don Francisco Espozy), 1781-1836. Fameux chef de partisans en
    Espagne. En 1809, il se mit à la tête d'une bande de guérillas, au
    moment de l'invasion française, et en entrava les opérations pendant
    cinq années. En 1820, pendant la révolution d'Espagne, il tint tête
    au maréchal Moncey. En 1834, il défendit le trône constitutionnel
    contre les prétentions de don Carlos.

  MIRABEAU (Victor Riquetti, marquis DE), 1749-1791. L'orateur le plus
    éminent de la Révolution française. En 1789, il fut député du Tiers
    aux États généraux, et il contribua par son éloquence aux succès de
    la Constituante.

  MIRAFLORÈS (don Manuel, marquis DE), 1792-1867. Issu d'une famille
    de marchands (Pando) enrichie dans les guerres du dix-huitième
    siècle, il fut anobli et reçut la grandesse. Il fut ambassadeur à
    Londres, et, en 1834, y signa le fameux traité de la Quadruple
    Alliance. En 1846, il devint grand chambellan de la reine Isabelle,
    et, en 1864, président du Conseil des ministres. Littérateur
    éminent, il fut membre de l'Académie d'histoire de Madrid.

  MIRAFLORÈS (la marquise DE), 1795-1867. Doña Vicenta Monina y
    Pontejos, héritière et nièce du fameux comte de Florida-Blanca, elle
    épousa, en 1814, le marquis de Miraflorès.

  MODÈNE (le duc DE), 1779-1846. François IV de Modène était fils de
    l'archiduc Ferdinand d'Autriche; il épousa la princesse
    Marie-Béatrice, fille de Victor-Emmanuel, roi de Sardaigne.

  MOLÉ (le comte Mathieu), 1781-1855. Issu d'une famille parlementaire;
    il remplaça en 1813 le duc de Massa comme ministre de la Justice,
    et reçut alors le titre de comte de l'Empire; il se rallia à
    Louis-Philippe, fut nommé pair, et reçut en 1830 le ministère des
    Affaires étrangères. En 1840, il fut nommé membre de l'Académie
    française.

  MOLÉ (la comtesse), morte en 1845. Mlle Caroline de la Briche,
    rencontra, dans le salon de sa mère, le jeune comte Molé, qu'elle
    épousa en 1798. La comtesse Molé a publié, sous le voile de
    l'anonyme, plusieurs ouvrages traduits de l'anglais.

  MOLLIEN (le comte François), 1758-1850. Habile financier, il fut
    nommé, en 1806, ministre du Trésor. Louis XVIII l'appela en 1819 à
    la Chambre des pairs.

  MOLLIEN (la comtesse), 1785-1878. Mlle Juliette Dutilleul, épouse de
    François Mollien. Mme Mollien, personne attachante et distinguée,
    fut dame du palais de la Reine Marie-Amélie.

  MONSON (lord), 1809-1841. Fils du  premier mariage de lady Warwick,
    il ne laissa point d'enfants et son héritage passa son cousin.

  MONSON (lady), Theodosia, fille de Latham Blacker, épousa en 1832
    lord Monson.

  MONTESPAN (la marquise DE), 1641-1707. Françoise-Athénaïs de
    Rochechouart; favorite de Louis XIV.

  MONTMORENCY (Raoul, baron DE), 1790-1862. Il prit le titre de duc en
    1846, à la mort de son père. Il épousa Euphémie de Harchies, dont il
    n'eut pas d'enfants; il était frère de la princesse de
    Bauffremont-Courtenay et de la duchesse de Valençay.

  MONTMORENCY (la duchesse DE), 1774-1846. Anne-Louise-Caroline de
    Matignon; mère de Raoul de Montmorency, de la princesse de
    Bauffremont et de la duchesse de Valençay.

  MONTPENSIER (la duchesse DE), 1627-1693. Anne-Marie-Louise
    d'Orléans, connue sous le nom de la Grande Mademoiselle, était la
    fille unique de Gaston d'Orléans. Elle fut plusieurs fois au moment
    de faire les alliances les plus brillantes, sans y jamais réussir; à
    quarante-deux ans, elle conçut une passion violente pour un simple
    gentilhomme, le comte de Lauzun, qu'elle épousa secrètement. Elle
    avait pris une part très vive à la Fronde.

  MONTROND (le comte Casimir DE), 1757-1843. Ami de M. de Talleyrand
    et habitué de sa maison. Napoléon Ier, à son retour de l'île d'Elbe,
    l'expédia à Vienne, où siégeait le Congrès, avec la mission de
    persuader M. de Talleyrand de se tourner vers lui, mais M. de
    Talleyrand fut inflexible et resta fidèle à Louis XVIII.

  MONTROND (la comtesse DE), 1769-1820. Aimée de Coigny, qui inspira à
    Chénier _la Jeune Captive_, avait épousé en premières noces le duc
    de Fleury et divorça pour épouser le comte de Montrond.

  MORELL (la baronne DE). Mlle de Mornay, sœur du marquis et du comte
    de Mornay, épousa le général baron de Morell, qui commandait, en
    1834, l'École de cavalerie de Saumur.

  MORELL (Mlle Marie DE), née en 1818, connue pour sa beauté, était la
    fille du général baron de Morell; elle épousa le marquis d'Eyragues,
    qui a rempli divers postes diplomatiques sous le règne de
    Louis-Philippe.

  MORELLET (l'abbé André), 1727-1819. Lié d'amitié avec les hommes les
    plus éminents de son siècle, l'abbé Morellet se distingua surtout
    par son esprit fin et railleur. Il fut un laborieux collaborateur de
    l'_Encyclopédie_ et du dictionnaire de l'Académie, dont il sauva les
    archives pendant la Révolution.

  MORNAY (le comte Charles DE), 1803-1878. Pair de France, ambassadeur
    en Suède, frère du marquis Jules de Mornay, député de l'Oise. Dévoué
    à la monarchie de Juillet, il fut élevé à la Pairie en 1845 et fait
    grand officier de la Légion d'honneur. En 1848, il rentra dans la
    vie privée.

  MORNINGTON (lady), 1742-1831. Anne, fille aînée du vicomte
    Duncannon, épousa en 1759 le comte Mornington. Un de ses fils fut le
    célèbre duc de Wellington.

  MORTEMART (Mlle Alicia DE), 1800-1887. Fille du duc de Mortemart et
    de sa seconde femme, née de Cossé-Brissac, elle épousa en 1823 le
    duc Paul de Noailles.

  MORTIER (le maréchal), duc de Trévise, 1768-1835. Fit avec
    distinction les campagnes de la République et de l'Empire. Député et
    pair de France en 1834, il accepta le ministère de la Guerre avec la
    présidence du Conseil. Il fut tué par l'explosion de la machine
    infernale de Fieschi, aux côtés mêmes de Louis-Philippe.

  MOSKOWA (le prince de la), 1803-1857. Fils aîné du maréchal Ney, il
    entra d'abord au service de Suède et ne revint en France qu'après la
    révolution de Juillet. Il fut fait pair de France sous
    Louis-Philippe. Il avait épousé la fille de Jacques Lafitte.

  MOTTEUX (M.). Il était, à Londres, un habitué de Holland-House, et
    très bien vu chez le prince de Talleyrand. Très liée avec lady
    Cowper (plus tard lady Palmerston), il laissa toute sa fortune à son
    second fils.

  MONT-EDGECUMBE (lord Richard), 1764-1839. Un des intimes du roi
    Guillaume IV d'Angleterre; il avait épousé, en 1789, une fille du
    comte de Buckinghamshire.

  MULGRAVE (lord), 1797-1863. Constantin-Henry Phipps, plus tard lord
    Normanby. Il fit partie du ministère whig de lord Melbourne, fut
    gouverneur de la Jamaïque, puis lord-lieutenant d'Irlande. En 1846,
    il fut envoyé à Paris comme ambassadeur, puis en Toscane.

  MUNIER DE LA CONVERSERIE (le général comte), 1766-1837.

  MUNSTER-LEDENBURG (le comte Ernest-Frédéric-Herbert DE), 1766-1839.
    Il contribua, comme envoyé de l'électeur de Hanovre, roi
    d'Angleterre, à former plusieurs coalitions contre la France. Il fut
    ministre de Hanovre à Londres.

  MUNSTER-LEDENBURG (la comtesse DE), 1783-1858. Wilhelmine-Charlotte,
    comtesse de Lippe, sœur du duc de Schœnburg-Lippe, épousa en 1814
    le comte de Munster-Ledenburg.

  MUSSET (Alfred DE), 1810-1857. Poète français, fils d'un chef de
    bureau au ministère de la Guerre; il fut le condisciple du duc
    d'Orléans au collège Henri IV et devint son ami.


N

  NANTES (Mlle DE), 1673-1743. Quatrième enfant de Louis XIV et de
    Mme de Montespan, légitimée par lettres patentes du roi, et mariée
    en 1785 au duc de Bourbon.

  NAPLES (la princesse Marie DE), 1820-1861. Elle épousa en 1850,
    Charles de Bourbon, comte de Montemolin.

  NAPOLÉON Ier, Empereur des Français, 1769-1821. Deuxième fils de
    Charles Bonaparte et de Lætitia  Ramolino. Marié en premières noces
    avec Joséphine Tascher de la Pagerie, veuve du général de
    Beauharnais, il divorça en 1810 et épousa Marie-Louise,
    archiduchesse d'Autriche, dont il eut un fils.

  NASSAU (Guillaume-Georges-Auguste, duc DE), 1732-1839.

  NECKER (Jacques), 1732-1804. Banquier genevois qui devint directeur
    des finances de France sous Louis XVI. Il fut le père de Mme de
    Staël.

  NECKER (Mme), 1739-1794. Suzanne Curchot, fille d'un pasteur
    calviniste suisse, épousa Jacques Necker. Elle fut célèbre par sa
    beauté, son esprit, sa bienfaisance.

  NEELD (lady Caroline), morte en 1869. Fille du comte de Shaftsbury,
    elle épousa en 1831 Joseph Neeld, comte de Grittelton.

  NEMOURS (le duc DE), 1814-1896. Louis-Charles d'Orléans, un des
    fils du roi Louis-Philippe; il épousa une princesse de
    Saxe-Cobourg-Cohari.

  NESSELRODE (le comte DE), 1780-1862. D'une famille originaire de
    Westphalie, dont une branche s'était établie en Livonie, il entra
    dans la diplomatie russe; il fut attaché à différentes ambassades,
    notamment à celle de Paris, puis devint chancelier de l'empire de
    Russie.

  NESSELRODE (la comtesse DE), morte en 1849; elle était la fille du
    comte Gourieff, qui fut ministre des finances russes.

  NEY (Michel), 1769-1815. Duc d'Elchingen, prince de la Moskowa,
    maréchal de France; il se couvrit de gloire dans les guerres de la
    Révolution et de l'Empire. Napoléon l'avait surnommé _le brave des
    braves_. Créé pair de France par Louis XVIII, il se déclara pour
    Napoléon aux Cent-Jours; à la seconde Restauration, il fut condamné
    à mort par la Cour des Pairs et fusillé.

  NICOLAS Ier, Empereur de Russie, 1776-1855. Troisième fils de Paul
    Ier, il monta sur le trône en 1825, succédant à son frère Alexandre
    Ier, et après que son frère, le grand-duc Constantin, y eut renoncé.

  NOAILLES (le duc Paul DE), 1802-1885. Il prêta serment au
    gouvernement de Louis-Philippe et prit souvent la parole dans des
    discussions importantes de la chambre des Pairs. La révolution de
    1848 le rendit à la vie privée, et il s'occupa dès lors de travaux
    littéraires. Il entra à l'Académie en 1849.

  NOAILLES (la duchesse DE), voir MORTEMART.

  NOAILLES (la vicomtesse DE), 1792-1851. Charlotte-Marie-Antoinette,
    fille du duc de Poix, épousa son cousin, le vicomte Alfred de
    Noailles, qui mourut en 1812 au passage de la Bérésina.

  NOAILLES (Mlle Sabine DE), 1819-1870. Mariée en 1846 à Lionel
    Wildrington Standish.

  NORFOLK (le duc DE), 1791-1856; il épousa, en 1814,
    Charlotte-Sophie, fille du duc de Sutherland. Guillaume IV lui
    conféra l'ordre de la Jarretière en 1834.

  NORTHUMBERLAND (la duchesse DE), morte en 1848; elle était née
    Louisa Stuart Wartley.


O

  O'CONNELL (Daniel), 1775-1847. Il s'affilia de bonne heure aux
    associations qui avaient pour but l'émancipation de l'Irlande. En
    1823, il posa les bases d'une association catholique qui s'étendit
    dans toute l'Irlande. Membre de la Chambre des communes, il y
    établit une puissante influence, amena le triomphe des whigs et
    vota, avec eux, la réforme parlementaire; il obtint l'abolition des
    lois vexatoires pour les Irlandais.

  OLIVIER (l'abbé Nicolas-Théodore), né en 1798; il fut curé de
    Saint-Roch à Paris, et en 1841 évêque d'Évreux.

  OMPTEDA (baron Charles-Georges D'), 1767-1857. Diplomate hanovrien;
    ministre d'État et chef de cabinet en Hanovre en 1823, il fut,
    depuis 1831, accrédité à Londres auprès du roi Guillaume IV. Il
    démissionna à la mort de ce souverain.

  OMPTEDA (la baronne D'), 1767-1843. Frédérique-Christine, comtesse
    de Schlippenbach; elle avait épousé en premières noces le comte de
    Solms-Sonnenwald, et en deuxièmes noces, elle épousa le baron
    d'Ompteda.

  ORANGE (le prince Guillaume D'), 1793-1849; il monta en 1840 sur le
    trône de Hollande. Il avait épousé en 1816 Anna Paulowna.

  ORANGE (la princesse D'), voir à $1.

  ORLÉANS (le duc D'), 1741-1793. Louis-Philippe-Joseph, connu sous
    le nom de PHILIPPE-ÉGALITÉ, fit, toute sa vie, une opposition
    systématique à la Cour et devint, en 1787, le chef de tous les
    mécontents. Député aux États-généraux, il devint membre du Club des
    Jacobins, ce qui ne l'empêcha pas d'être guillotiné.

  ORLÉANS (le duc D'), 1810-1842. Ferdinand, fils aîné du roi
    Louis-Philippe et de la reine Marie-Amélie. Il servit sous le
    maréchal Gérard en Belgique, commanda des campagnes en Algérie; il
    mourut d'un accident de voiture, près de Paris.

  ORSAY (le comte Alfred D'), 1801-1852; surnommé le _Roi de la
    Mode_. La beauté était héréditaire chez les d'Orsay. Le comte
    Alfred avait la vocation du _dandysme_ et alla de bonne heure à
    Londres, regardée alors comme le conservatoire de l'élégance
    masculine. Élégant, artiste, il se ruina et mourut misérablement
    d'une maladie de la moelle épinière.

  OSSULSTON (lord), né en 1810, il épousa la fille du duc de
    Manchester et devint, en 1859, lord Tankerville.


P

  PAHLEN (le comte Pierre). Né en 1775. Général russe; il prit une
    part glorieuse aux campagnes de  1812, 1813, 1814; il fut
    ambassadeur de Russie à Paris de 1835 à 1841; fut ensuite nommé
    membre du conseil de l'Empire et Inspecteur général de la cavalerie.

  PALAFOX (don José DE), 1780-1847. L'intrépide défenseur de
    Saragosse; il accompagna en 1808, à Bayonne, la famille royale
    d'Espagne, comme officier, et s'évada dès qu'il vit Ferdinand VII
    retenu prisonnier. Il souleva l'Aragon et, après une vigoureuse
    défense dans Saragosse, força les Français à s'en éloigner, mais ils
    revinrent à la charge avec toutes leurs forces et le contraignirent
    à capituler. Palafox contribua puissamment à rétablir Ferdinand VII
    sur le trône. S'étant, en 1820, prononcé pour la Constitution, il
    fut disgracié et vécut, depuis lors, dans la retraite:
    Marie-Christine, à son avènement comme Régente, le créa duc de
    Saragosse et grand d'Espagne.

  PALMELLA (duc P. de Souza-Holstein DE), 1786-1850. Homme d'État
    portugais. Il fut régent de Portugal en 1830 et fit prévaloir la
    cause de doña Maria sur celle de dom Miguel. Il fut un des
    plénipotentiaires du Congrès de Vienne en 1815.

  PALMERSTON (lord), 1784-1865. Homme d'État anglais. Élu aux Communes
    en 1807, il fut lord de l'Amirauté en 1808, secrétaire à la Guerre
    de 1809 à 1828, secrétaire d'État aux Affaires étrangères de 1830 à
    1841, puis de 1846 à 1851; ministre de l'Intérieur de 1852 à 1855,
    lord de la Trésorerie de 1855 à 1858, et de 1859 jusqu'à sa mort.

  PALMERSTON (lady), 1787-1869. Elle était sœur de lord Melbourne, et
    avait épousé, en premières noces, lord Cowper; en secondes noces,
    elle épousa lord Palmerston.

  PALMYRE (Mlle). La plus grande couturière de Paris sous
    Louis-Philippe.

  PÂRIS. Second fils de Priam et d'Hécube; c'est lui qui décerna à
    Vénus la pomme de discorde, choix qui suscita contre Troie la haine
    de Junon et de Minerve.

  PARRY (sir William Edward), 1790-1855. Navigateur anglais, connu par
    ses expéditions au Pôle Nord. Il était hydrographe à l'Amirauté et
    accompagna Ross dans son premier voyage de découvertes.

  PASQUIER (Étienne, duc), 1767-1862. Nommé par Napoléon maître des
    requêtes, puis conseiller d'État, il se rallia aux Bourbons en 1814,
    fut, en 1815, chargé des Sceaux; plus tard membre de la Chambre des
    pairs, il en reçut la Présidence sous Louis-Philippe. Il fut élevé à
    la dignité de Chancelier en 1837.

  PASSY (Hippolyte-Philibert), 1793-1880. Homme politique français,
    membre de l'Institut. Élu député en 1830, il fut appelé en 1834 dans
    le Cabinet éphémère du duc de Bassano. En 1838, il remplaça le
    prince de Talleyrand comme membre de l'Académie des sciences morales
    et politiques.

  PASTA (Judith), 1798-1865. Chanteuse italienne, d'origine juive.
    En 1821 elle vint à Paris et s'y fit une grande renommée. En 1849
    elle se retira, dans sa belle maison de campagne, près du lac de
    Côme.

  PAYS-BAS (le Roi DES). Voir à $1.

  PAYS-BAS (le prince Frédéric DES), 1797-1881. Amiral de la flotte.
    En 1825, il avait épousé la princesse Louise de Prusse.

  PAYS-BAS (la princesse Frédéric DES), 1808-1870. Louise, princesse
    de Prusse, fille du roi Frédéric-Guillaume III.

  PEDRO Ier (dom), 1798-1834. Empereur du Brésil et roi de Portugal,
    père de la reine doña Maria de Portugal.

  PEEL (sir Robert), 1788-1850. Homme d'État anglais. Élu aux Communes
    en 1809, il fut ministre de l'Intérieur en 1822. Conservateur pour
    tout ce qui touchait au système politique, il se montra libéral en
    ce qui concernait la législation criminelle et l'administration. Il
    fit partie de plusieurs ministères et sut, en 1848, rétablir
    l'équilibre financier, que les whigs avaient laissé avec un déficit
    de 30 millions, par la mesure de l'_income-tax_, en ouvrant de
    nouvelles sources de revenus par l'abolition des lois de prohibition
    sur les céréales.

  PEEL (lady), morte en 1849. Julie, fille du général sir John Floyd
    Bart, épousa, en 1820, sir Robert Peel.

  PÉPIN, 1780-1836. Épicier de la place de la Bastille, à Paris, Pépin
    fut élu capitaine de la garde nationale après les journées de
    juillet 1830; impliqué dans l'attentat Fieschi en 1835, il fut
    arrêté, condamné à mort et exécuté.

  PERIER (Casimir), 1777-1832. Il entra en 1817 dans la vie politique.
    Après 1830, il fut élu président de la Chambre des députés, et, peu
    après, ministre sans portefeuille. En 1831, il fut président du
    Conseil et gouverna en homme ferme et résolu. Il succomba aux
    atteintes du choléra à la suite d'une visite faite avec le duc
    d'Orléans à l'Hôtel-Dieu.

  PÉRIGORD (le duc DE), 1788-1879. Augustin-Marie-Élie-Charles de
    Talleyrand-Périgord, Grand d'Espagne de première classe.

  PÉRIGORD (la duchesse DE), 1789-1866. Marie-Nicolette, fille du
    comte de Choiseul-Praslin, épousa, en 1807, le duc de Périgord.

  PÉRIGORD (le comte Alexandre DE), plus tard duc de Dino, 1813-1894.
    Second fils du duc de Talleyrand et de la princesse Dorothée de
    Courlande. Alexandre de Périgord servit d'abord dans la marine, mais
    abandonna bientôt cette carrière; en 1849, il fit la campagne du
    Piémont contre l'Autriche, dans l'état-major du Roi Charles-Albert,
    et, pendant la guerre de Crimée, il fut attaché au corps d'armée
    sarde comme commissaire français. Il avait épousé Mlle Valentine de
    Sainte-Aldegonde.

  PÉRIGORD (Mlle Pauline DE), 1820-1890. Fille du duc de Talleyrand et
    de l'auteur de la _Chronique_ que nous publions. Elle épousa, en
    1839, le marquis Henri de Castellane, dont elle devint veuve en
    1847. Depuis lors, elle vécut retirée du monde; et adonnée à la
    pratique des plus hautes vertus; elle demeurait, la plus grande
    partie de l'année, dans son domaine de Rochecotte, dans la vallée de
    la Loire.

  PERSIL (Jean-Charles), 1785-1870. Magistrat et homme d'État
    français. Nommé député en 1830, il attaqua aussitôt le ministère
    Polignac en protestant contre les ordonnances. Il fut ministre de la
    justice en 1834, mais ayant eu des divergences avec M. Molé, il
    démissionna. En 1839, il entra à la Chambre des pairs et prit la
    direction de l'Hôtel des Monnaies. Napoléon III le nomma membre du
    conseil d'État.

  PETER (Mme), dame anglaise, fort connue dans la société de Londres
    vers 1835 et amie de plusieurs hommes d'État.

  PETIT (le général), 1772-1856. Il fit avec distinction les campagnes
    de la République et de l'Empire. C'est lui qui reçut, à
    Fontainebleau, avec la dernière accolade de l'Empereur, ces adieux
    touchants qui s'adressaient à toute l'armée. Il fut fait Pair de
    France en 1838.

  PIRON (M.), 1802-1865. Fils d'un propriétaire du Nivernais, il reçut
    une bonne éducation et occupa une situation considérable dans
    l'administration des postes. Ses fonctions l'avaient fait entrer en
    rapport avec le personnel des postes anglaises, et il connaissait
    bien l'Angleterre. En 1834, M. Dupin, Nivernais lui aussi, l'emmena
    avec lui pendant son voyage à Londres, afin de lui servir de guide
    dans la société anglaise, où Piron avait d'anciennes relations,
    entre autres avec le duc de Richmond (ancien ministre des Postes de
    son pays) et lord Brougham. La mort prématurée d'un fils qui était
    tout son orgueil fut un tel coup pour M. Piron, qu'il en mourut
    aussi, terrassé par une attaque quelques semaines plus tard.

  PITT (William), 1759-1806. Il suivit les traces de son père, célèbre
    homme d'État anglais. Il manifesta, après la Révolution française,
    une grande haine à la France et soudoya contre elle trois
    coalitions. Il fut un très habile administrateur.

  PLANTAGENET. Dynastie qui occupa le trône d'Angleterre, depuis Henri
    II jusqu'à l'avènement de Henri VII. Au quatorzième siècle, elle se
    sépara en deux branches rivales, d'où naquit la guerre des Deux
    Roses.

  PLYMOUTH (lady), 1792-1864. Elle était fille du duc de Dorset, et
    épousa en premières noces, en 1811, lord Plymouth. Devenue veuve,
    elle épousa William Pitt, lord Amherst. Elle mourut sans laisser
    d'enfants.

  POIX (la duchesse-princesse DE), 1785-1862. Mélanie de Périgord,
    fille du duc de Talleyrand et de Mlle de Senozan, épousa en 1809 le
    comte Just de Noailles, prince de Poix.  La duchesse de Poix avait
    été dame du palais de la duchesse de Berry.

  POLIGNAC (Jules-Armand, prince DE), 1780-1847. Président du conseil
    et ministre des Affaires étrangères à la fin du règne de Charles X.
    Il signa, le 29 juillet 1830, les fameuses ordonnances qui amenèrent
    la révolution et la déchéance de la branche aînée des Bourbons.

  POLIGNAC (princesse DE). Née miss Barbara Campbell, Écossaise; très
    belle et très riche mais sans naissance; elle dut abjurer le
    protestantisme et se convertir au catholicisme pour épouser le
    prince de Polignac. Elle mourut en 1819.

  PONIATOWSKI (le prince Joseph), 1762-1803. Général polonais; il
    servit dans la légion polonaise sous les ordres de Napoléon Ier, fut
    fait maréchal de France à Leipzig et périt dans les eaux de
    l'Ulster. Sa bravoure chevaleresque l'avait fait surnommer _le
    Bayard polonais_.

  PONSONBY (lord), 1770-1855. Beau-frère de lord Grey, il fut
    ambassadeur à Constantinople de 1822 à 1827.

  PORCHESTER (lord), 1800-1849. Henry-John-Charles, comte de
    Carnarvon; il épousa en 1830 la fille de lord Molyneux.

  POTOCKI (le comte Stanislas), 1757-1821. Il combattit contre la
    Russie en 1792, quitta la Pologne en 1793, devint, lors de la
    création du grand-duché de Varsovie par Napoléon Ier, sénateur
    palatin et chef du conseil d'État. Maintenu aux affaires par
    l'empereur Alexandre Ier, lors de la formation du nouveau royaume de
    Pologne, le comte Potocki fut nommé ministre des Cultes et de
    l'Instruction publique, puis président du conseil d'État.

  POZZO DI BORGO (le comte), 1764-1842. Originaire de Corse, il servit
    différentes puissances, et, en dernier lieu, la Russie. Il fut un
    des représentants de l'empereur de Russie au Congrès de Vienne, et
    plus tard, ambassadeur.

  PRINCE NOIR (LE), 1330-1376. Édouard, Prince de Galles, surnommé le
    Prince Noir pour la couleur de son armure; il était fils d'Édouard
    III et de Philippa de Hainaut, et s'immortalisa par ses exploits. Il
    mourut avant son père, mais un de ses fils monta sur le trône sous
    le nom de Richard II.

  PROTÉE. Dieu marin qui changeait de forme à volonté.

  PRUDHON (Pierre), 1760-1822. Peintre français; il passa plusieurs
    années à Rome où il se lia avec Canova; ce fut lui que choisit
    Napoléon Ier pour donner des leçons à l'impératrice Marie-Louise.

  PRUSSE (le prince Louis DE), 1773-1796. Frère du Roi
    Frédéric-Guillaume III, il avait épousé la princesse Frédérique de
    Mecklembourg-Strélitz, sœur de la reine Louise de Prusse.


Q

  QUÉLEN (le comte DE), 1778-1839. D'une famille de Bretagne, il
    entra de bonne heure dans les ordres; le cardinal Fesch le
    distingua, se l'attacha comme secrétaire; devenu sous la
    Restauration coadjuteur du cardinal de Talleyrand-Périgord, il lui
    succéda en 1821, comme archevêque de Paris. En 1831, une
    insurrection saccagea l'archevêché. Lors du choléra de 1832, Mgr de
    Quélen montra le plus admirable dévouement. Ses mandements et
    plusieurs oraisons funèbres, écrites avec élégance, lui valurent
    l'entrée de l'Académie française.


R

  RADNOR (lord William), 1779-1869. Membre du Parlement anglais et
    ami de lord Brougham. Il se maria trois fois; en 1814 avec la fille
    du duc de Montrose, en 1837 avec Émily Bagot et enfin avec Fanny
    Royd-Rice.

  RAMBUTEAU (Claude-Philibert Barthelot, comte DE), 1781-1869.
    Chambellan de Napoléon Ier en 1809, pair de France en 1835, membre
    de l'académie des Beaux-Arts en 1843. En 1833, Louis-Philippe
    l'avait nommé préfet de la Seine et il conserva ce poste durant
    quinze ans.

  RAMBUTEAU (la comtesse DE). Fille du comte Louis de Narbonne, elle
    épousa, en 1809, le comte de Rambuteau.

  RAPHAEL SANZIO, 1483-1520. Célèbre peintre de l'École romaine de la
    Renaissance.

  RAULLIN (M.). Fils d'un employé au ministère des Affaires
    étrangères que le prince de Talleyrand estimait. Il fut conseiller
    d'État.

  RAYNEVAL (Maximilien DE), 1778-1836. Diplomate français. Secrétaire
    d'ambassade à Lisbonne, puis à Saint-Pétersbourg, il fut nommé,
    sous la Restauration, consul général à Londres, puis,
    successivement, sous-secrétaire d'État aux Affaires étrangères,
    ambassadeur à Berlin, en Suisse, à Vienne, à Madrid, et partout il
    rendit d'éminents services qui lui valurent le titre de comte et la
    Pairie.

  RÉAL (le comte), 1765-1834. Procureur au Châtelet avant la
    Révolution, conseiller d'État après le 18 Brumaire, préfet de
    police durant les Cent-Jours, il fut proscrit par la seconde
    Restauration et ne revint en France qu'en 1818. En 1830, il eut une
    fonction auprès du préfet de police, puis vécut dans la retraite.

  RÉCAMIER (Mme), 1777-1849. Julie Bernard épousa à seize ans un
    riche banquier de Paris, M. Récamier. Spirituelle et bonne, elle
    sut réunir dans son salon, sous le Consulat et l'Empire, une foule
    de personnages distingués. Exilée de Paris, elle y rentra après la
    chute de Napoléon Ier. Mme Récamier se retira en 1819 à
    l'Abbaye-aux-Bois, où elle continua à recevoir toutes les
    célébrités de l'époque.

  RÉGENT (LE), Philippe d'Orléans, 1674-1723; il gouverna la France
    pendant la minorité du Roi Louis XV.

  RÉMUSAT (le comte Charles DE), 1797-1875. Écrivain et homme
    politique français, membre de l'Institut, ancien ministre.

  RETZ (le cardinal DE), 1614-1679, Jean-François-Paul de Gondi, joua
    un rôle célèbre dans les troubles de la Fronde, qui le força à
    s'exiler jusqu'à la mort de Mazarin. Il a laissé des _Mémoires_ qui
    sont un des chefs-d'œuvre de la langue française.

  RICHMOND (le duc DE), 1799-1860. Charles Lennox; officier anglais,
    lord-lieutenant du comté de Sussex; dans le ministère réformiste de
    1830, il devint directeur général des postes. Il avait épousé lady
    Paget, fille du marquis d'Anglesea.

  RIGNY (Henri-Gauthier, comte DE), 1783-1835. Entré dans la marine en
    1798, il prit part aux campagnes du premier Empire, fut fait
    contre-amiral sous la Restauration, et en 1827 se conduisit
    brillamment à Navarin; il reçut alors, avec le titre de comte, la
    préfecture maritime de Toulon; il devint ministre de la Marine en
    1831, puis ministre des Affaires étrangères et ensuite ambassadeur à
    Naples.

  RIPON (lord), 1781-1859. Il fut chancelier de l'Échiquier en 1833.
    Il appartenait au parti tory, mais passa plus tard aux whigs.

  ROBESPIERRE (Maximilien), 1758-1794. Avocat et conventionnel; il
    régna par la terreur, au moyen du Comité du salut public, mais la
    réaction le fit périr sur l'échafaud.

  ROBSART (Amy), 1532-1560. Elle épousa, en 1550, Robert Dudley, comte
    de Leicester, et s'en sépara bientôt. Un jour, elle fut trouvée
    morte, sans qu'on pût savoir si elle avait elle-même mis fin à ses
    jours, ou si Leicester l'avait fait périr dans l'espoir d'épouser la
    Reine Élisabeth. Amy Robsart est l'héroïne du roman de Walter Scott,
    _le Château de Kenilworth_.

  RODIL (le marquis DE), 1789-1853. Don José Ronion Rodil s'engagea
    dans le bataillon nommé _des cadets littéraires_ en 1808 au moment
    de l'invasion française en Espagne. En 1816 il s'embarqua pour les
    colonies insurgées de l'Amérique du Sud, et acquit de la renommée
    dans la défense de Callao. Il rentra en Espagne en 1825, et, en
    1833, vint en aide, en Portugal, au roi dom Pedro, contre dom Miguel
    et don Carlos. En 1836, il fut, pour peu de mois, ministre de la
    Guerre. De 1840 à 1843, sous la régence d'Espartero, il fut
    président du Conseil du dernier ministère.

  ROGERS (Samuel), 1763-1855. Poète anglais. Il avait des habitudes de
    sarcasme qui n'épargnaient personne, malgré de la générosité et de
    la bouté.

  ROLAND (Mme), 1754-1793. Manon Phlipon, femme d'une haute
    intelligence et épouse d'un conventionnel. Elle mourut sur
    l'échafaud.

  ROMERO-ALPUENDE. Député espagnol. Il était un libéral outré, une
    tête exaltée; son rôle fut peu important.

  ROSS (sir John), 1777-1856. Fils du Rév. André Ross et capitaine de
    la marine royale anglaise, il se rendit célèbre par deux expéditions
    dans les mers polaires arctiques qu'il fit avec sir Edward Parry en
    1818 et 1819. Sir John Ross fit sa seconde expédition à ses frais,
    trouva le pôle magnétique boréal, perdit son navire, et ce ne fut
    que le quatrième hiver qu'un vaisseau de Hull vint le délivrer et le
    ramena en Angleterre.

  ROTHSCHILD (Nathan), 1777-1826. Troisième fils de Mayer-Anselme
    Rothschild, fondateur de la célèbre maison de banque, il était chef
    de la maison de Londres.

  ROTHSCHILD (Mme Salomon DE), 1774-1855, épouse de Mayer-Anselme
    Rothschild, qui fonda à Vienne une succursale et partagea avec son
    frère Anselme les affaires d'Allemagne. Vers 1835, ayant abandonné à
    son fils la direction des affaires de Vienne, Salomon de Rothschild
    vint, avec sa femme, rejoindre à Paris son frère James.

  ROUSSIN (l'amiral), 1781-1854. Capitaine de vaisseau en 1814, il
    rectifia les cartes des côtes de l'Afrique et du Brésil;
    contre-amiral en 1822, il fit partie en 1824 du conseil d'amirauté;
    en 1831, il commanda l'escadre chargée d'exiger du Portugal la
    réparation des insultes faites aux résidents français, il força
    l'entrée du Tage, réputée inexpugnable et obtint tout ce qu'il
    demandait. A la suite de cette glorieuse expédition, Louis-Philippe
    l'éleva à la Pairie avec le titre de baron, en 1832.

  ROYER-COLLARD (Pierre-Paul), 1763-1845. Philosophe et homme d'État
    français; il fut avocat, député au conseil des Cinq-Cents en 1797.
    Sous le premier Empire, il renonça à la politique, pour ne s'occuper
    que de ses études philosophiques et il fut reçu à l'Académie
    française en 1827. M. Royer-Collard habitait Châteauvieux, près de
    Valençay, et était très lié avec le prince de Talleyrand et la
    duchesse de Dino.

  RUBINI (Jean-Baptiste), 1795-1854. Célèbre chanteur italien. Les
    opéras de Bellini lui doivent une grande part de leurs succès.

  RUSSELL (lord William), 1799-1846. Diplomate anglais; il fut,
    pendant quelques années, ambassadeur à Berlin; il avait épousé
    Élisabeth Rawdon, nièce du marquis de Hastings.

  RUSSELL (lord John), 1792-1878. Homme d'État anglais, troisième fils
    du duc de Bedford; il fut un des auteurs du célèbre Bill de réforme;
    en 1831 il fut ministre de l'Intérieur, des Colonies; chef du
    cabinet whig, ministre des Affaires étrangères en 1859, et, de
    nouveau, chef du cabinet après la mort de lord Palmerston.

  RUSSIE (l'Empereur DE), voir Nicolas 1er.


S

  SACKFIELD. Nom de famille des ducs de Dorset.


  SAINTE-ALDEGONDE (la comtesse DE), 1793-1869. Elle était née de
    Chavagnes. Créole d'origine, elle épousa Augereau, duc de
    Castiglione, qui mourut en 1816. En 1817, elle se remaria avec le
    comte de Sainte-Aldegonde; elle eut deux filles, dont la seconde
    épousa Alexandre de Périgord, duc de Dino.

  SAINTE-AULAIRE (le comte Louis Beaupoil DE), 1778-1854. Il fut
    chambellan de Napoléon Ier, préfet sous Louis XVIII et député; après
    1830, il fut un des plus habiles appuis de la monarchie de Juillet.
    Il fut, successivement, ambassadeur à Rome, à Vienne et à Londres,
    et fut élevé à la Pairie.

  SAINTE THÉRÈSE, 1515-1582. D'une riche et noble famille d'Avila,
    dans la Vieille Castille, Thérèse réforma l'ordre des Carmélites,
    et, inspiré par elle, saint Jean de la Croix réforma celui des
    Carmes. Elle fut canonisée en 1621. Ses nombreux écrits la firent
    appeler par les papes Grégoire XV et Urbain VIII un docteur de
    l'Église.

  SAINT LEU ou saint Loup, 573-623. Archevêque de Sens depuis 609, il
    se distingua par sa charité. Le roi Clotaire II, trompé par de faux
    rapports, l'exila en Picardie en 613, mais mieux instruit, il le
    rappela l'année suivante et le combla d'honneurs.

  SAINT-LEU (la duchesse DE), voir à BEAUHARNAIS (Hortense DE).

  SAINT-PAUL (Vergibier DE), général français; il commandait les
    troupes de l'Indre en 1834.

  SAINT-PRIEST (le comte Alexis DE), 1805-1851. Fils du comte de
    Saint-Priest, gouverneur d'Odessa et d'une princesse Galitzin. Il ne
    vint en France qu'en 1822, et s'y fit beaucoup remarquer par son
    goût pour les lettres; très lié avec le duc d'Orléans, il entra dans
    la diplomatie en 1833 et devint ministre de France au Brésil, à
    Lisbonne, à Copenhague. Il fut nommé pair de France en 1841 et
    membre de l'Académie française en 1849. Il avait épousé Mlle de La
    Guiche.

  SALISBURY (la marquise DE), 1750-1835. Marie-Amélie, fille du
    marquis de Devonshire. Elle s'était mariée en 1773 et fut brûlée
    dans l'incendie de Hatfield-House.

  SALVANDY (le comte DE), 1795-1856. Il fit, comme militaire, les
    campagnes de 1813 et 1814, et se retira du service sous la
    Restauration, pendant laquelle il occupa plusieurs fonctions auprès
    de Louis XVIII; il démissionna en 1823 et se tourna vers la
    littérature. Nommé député après 1830, il devint ministre de
    l'Instruction publique de 1837 à 1839, ambassadeur à Madrid en 1841,
    à Turin en 1843, et, en 1845, de nouveau ministre de l'Instruction
    publique jusqu'en 1848. Il était membre de l'Académie française
    depuis 1835.

  SAMPAÏO (Antonio-Rodriguez), 1806-1882. Journaliste et homme d'État
  portugais qui défendit toujours les idées libérales.

  SAND (George), 1804-1876. Aurore Dupin, baronne Dudevant, fut, sous
    le pseudonyme de George Sand, un des meilleurs écrivains du
    dix-neuvième siècle.

  SARAÏVA (Antonio-Ribeira), 1800-1890. Diplomate portugais. Pendant
    la régence de dom Miguel, il fut envoyé en mission secrète en
    Espagne et en Angleterre. Partisan fanatique du pouvoir absolu, il
    ne retourna plus en Portugal après la chute du prétendant, et
    demeura à Londres jusqu'à sa mort.

  SARMENTO (M. DE). Diplomate portugais, représentant de dom Pedro à
    Londres lors des conférences après 1830.

  SAUZET (Paul), 1800-1877. Avocat au barreau de Lyon, il fut élu
    député en 1834, et deux ans plus tard, nommé ministre de la Justice
    dans le ministère Thiers.

  SAXE (Maurice, comte DE), 1695-1750. Maréchal de France, il se
    couvrit de gloire pendant la guerre de la succession d'Autriche, et,
    en récompense de ses services, le roi Louis XV lui donna le château
    de Chambord et 40,000 livres de rente. Il était le fils naturel
    d'Auguste II, électeur de Saxe, et de la comtesse Aurore de
    Kœnigsmark.

  SAXE-MEININGEN (Bernard, duc DE), 1800-1882. Frère de la reine
    Adélaïde d'Angleterre. En 1866, il abdiqua en faveur de son fils, le
    duc Georges II.

  SCHEFFER (Ary), 1785-1858. Peintre français, d'une famille
    originaire d'Allemagne. Il était très protégé par le Roi
    Louis-Philippe et sa famille.

  SÉBASTIANI DE LA PORTA (le maréchal), 1775-1851. Originaire de la
    Corse, il se distingua à l'armée d'Italie. En 1806, envoyé comme
    ambassadeur à Constantinople, il décida le sultan Selim à déclarer
    la guerre aux Russes et dirigea les opérations qui contraignirent la
    flotte anglaise à repasser les Dardanelles. Après Waterloo, il fut
    un des commissaires désignés pour traiter la paix. Sous
    Louis-Philippe, il fut ministre des Affaires étrangères, puis
    ambassadeur à Naples et à Londres. Il avait épousé Fanny de Coigny,
    qui mourut en 1807 en donnant le jour à une fille, qui épousa le duc
    de Praslin.

  SEFTON (lord), 1772-1838. Créé pair et baron en 1831. Il avait
    épousé une fille de lord Craven.

  SEFTON (lady), morte en 1851. Marie-Marguerite, fille de lord
    Craven, épousa en 1791 lord William Sefton.

  SÉGUIER (le comte), 1768-1848. Émigré pendant la Révolution, il
    rentra en 1800 et, grâce à Cambacérès, se fit une belle carrière
    dans la magistrature sous l'Empire. En 1815, Louis XVIII le fit pair
    de France et le chargea d'instruire le procès du maréchal Ney. Il se
    rallia à Louis-Philippe en 1830.

  SÉGUR (Louis-Philippe, comte DE), 1753-1833. Il prit part à la
    guerre d'Amérique en 1781, fut ambassadeur à Saint-Pétersbourg,
    vécut de sa plume pendant la Révolution, fut appelé ensuite au Corps
    législatif par le Premier Consul et devint grand maître des
    cérémonies de la cour impériale. Depuis 1803, il était membre de
    l'Académie française, et Louis XVIII l'avait fait pair.

  SÉMONVILLE (le marquis DE), 1754-1839. Il fut chargé d'abord de
    plusieurs missions à l'étranger. Pair de France en 1814, il reçut le
    premier le titre de grand référendaire de la Cour des Pairs et ne se
    démit de ses fonctions que sous Louis-Philippe en 1834.

  SÉVIGNÉ (la marquise DE), 1626-1696. Marie de Rabutin-Chantal, une
    des femmes les plus distinguées du dix-septième siècle, célèbre par
    les lettres qu'elle écrivait à sa fille, Mme de Grignan. Elle avait
    été mariée en 1644 au marquis de Sévigné, qui, tué en duel, la
    laissa veuve à vingt-cinq ans.

  SGRICCI (Thomas), 1788-1836. Célèbre improvisateur italien et grand
    érudit. Il révéla sa prodigieuse facilité de versification à un bal
    masqué, où, costumé en Pythonisse, il rendit ses oracles en vers,
    avec une promptitude et une aisance admirables.

  SHAFTSBURY (Cropley-Ashley), 1768-1851, membre de la Chambre des
    lords, il épousa Anne, fille du duc de Marlborough.

  SIDNEY (lord, John-Robert), né en 1805. Il était lord-chambellan, et
    épousa en 1832, Emily-Caroline, fille du marquis d'Anglesey.

  SIDNEY (lady Sophie), morte en 1837. Lady Fitzclarence, fille
    naturelle du roi Guillaume IV d'Angleterre, épousa en 1825
    Philippe-Charles Sidney, baron de l'Isle et de Dudley.

  SIEYÈS (l'abbé), 1748-1836. Il fut vicaire général de Chartres, et
    l'un des grands politiques de son temps. Il fit comprendre la
    puissance du Tiers, et amena plusieurs des mesures les plus
    importantes de la Révolution. Il fit partie du conseil des
    Cinq-Cents, fut fait sénateur et comte par Napoléon.

  SOBIESKI (Jean III), Roi de Pologne, 1629-1696. Un des héros
    nationaux de son pays; il vainquit les Turcs et délivra Vienne
    assiégée par Kara-Mustapha.

  SOMERSET (le ducDE), 1773-1855. Édouard Saint-Maur, baron Seymour;
    il avait épousé lady Hamilton.

  SOPHIE D'ANGLETERRE (la princesse), 1777-1848. Une des filles du roi
    George III d'Angleterre; elle ne se maria jamais.

  SOULT (Nicolas-Jean de Dieu) 1769-1852. Il fit toutes les campagnes
    de la Révolution et de l'Empire: la prise de Kœnigsberg lui valut
    le titre de duc de Dalmatie; exilé sous la seconde Restauration, il
    s'attacha au gouvernement de 1830 et prit à deux reprises le
    ministère de la Guerre et la présidence du Conseil.

  SPRING-RICE (sir Thomas), 1790-1866. Il fut élevé à la pairie en
    1839 sous le titre de lord Monteagle de Brandon. Il fut
    sous-secrétaire à l'Intérieur en 1827, puis secrétaire de la
    Trésorerie, et, en 1834, secrétaire des Colonies. En 1835, il devint
    chancelier de l'Échiquier. Il était membre de la Société royale et
    de la Société astronomique.

  STAËL (Mme DE), 1766-1817. Née Necker. Célèbre par ses talents et
  son exil.

  STAËL (la baronne de), Adélaïde Vernet, petite-fille du professeur
    suisse Pictet, épousa, en 1826, le baron Auguste de Staël, fils de
    la célèbre Mme de Staël.

  STANLEY (Édouard-Geoffroy), 1799-1869. Homme d'État anglais, plus
    connu sous le nom de _comte de Derby_ qu'il prit en 1831. Il fut
    sous-secrétaire d'État aux Colonies en 1827, puis premier secrétaire
    pour l'Irlande de 1830 à 1833, ministre des Colonies en 1833; il fit
    passer le bill de l'émancipation des esclaves. En 1858, il pacifia
    les Indes et en réorganisa l'administration. Il avait épousé, en
    1825, la seconde fille de lord Skelmersdale.

  STANLEY (Édouard-Jules, baron), 1801-1869. Membre du Parlement
    anglais depuis 1831, il fut sous-secrétaire d'État, sous-secrétaire
    aux Affaires étrangères et maître général des Postes. Il avait
    épousé en 1826 la fille du vicomte Dillon.

  STEVENS (Catherine), 1794-1872. Cantatrice anglaise très admirée,
    qui se fit entendre à Covent-Garden, puis à Drury Lane. Elle rentra
    dans la vie privée en 1815 et épousa, en 1838, le comte d'Essex.

  STRATFORT CANNING (sir), 1788-1880. Cousin du célèbre Canning et
    diplomate anglais. Il fut ministre plénipotentiaire en Suisse,
    assista au Congrès de Vienne en 1815, fut élu ambassadeur auprès de
    la Porte ottomane en 1851, jusqu'à 1858, époque de sa retraite. La
    Reine l'avait nommé vicomte de Redcliffe.

  STUART DE ROTHESAY (lady), 1789-1867. Fille de lord Hardwick, elle
    s'était mariée en 1816.

  SURREY (le comte DE), 1815-1860. Fils aîné du duc de Norfolk, il fut
    député au Parlement en 1837 et se posa en catholique zélé. En 1839
    il épousa une fille de lord Lyons, et, en 1856, à la mort de son
    père, il prit le titre de duc de Norfolk.

  SUSSEX (Auguste-Frédéric, duc DE), 1773-1843. Un des fils du Roi
    George III d'Angleterre. Il fut grand maître de la Maçonnerie dans
    ce pays.

  SUCHET (Marie), 1820-1835. Fille du maréchal Suchet, duc d'Albuféra.
    Amie intime de Mlle Pauline de Périgord, elle mourut prématurément.

  SUTHERLAND (la duchesse DE), morte en 1868. Fille de lord Carlisle,
    elle épousa, en 1823, le duc de Sutherland. La duchesse fut
    _mistress of the robes_ de la Reine Victoria.


T

  TAHMASP-KOULI-KHAN. Nadir-Shah, roi de Perse, 1688-1747. Conducteur
    de chameaux, puis brigand, il entra au service de Tahmasp II, mit
    les affaires du Prince dans l'état le plus florissant et battit les
    Turcs, puis il fit déposer Tahmasp et se fit, après une régence,
    proclamer schah de Perse. Il marcha contre les  Afghans rebelles et
    attaqua l'empire du Grand Mogol; la Perse, opprimée, le détestait et
    il fut tué par ses propres généraux.

  TALLEYRAND-PÉRIGORD (le cardinal DE), 1636-1821.
    Alexandre-Angélique, second fils de Daniel de Talleyrand-Périgord et
    de Marie de Chamillart, dame du palais de la Reine, embrassa l'état
    ecclésiastique, fut nommé aumônier du Roi, grand-vicaire à Verdun,
    et, en 1766, coadjuteur de l'archevêque de Reims auquel il succéda
    en 1777. Député aux États-Généraux de 1789, il lutta contre les
    innovations et émigra. Conseiller de Louis XVIII à Mittau, Mgr de
    Périgord devint, en 1808 son grand aumônier, fut inscrit le premier
    sur la liste des pairs en 1814, et obtint en 1817 le chapeau de
    cardinal et l'archevêché de Paris.

  TALLEYRAND (le prince DE), 1754-1838. Charles-Maurice de
    Talleyrand-Périgord, prince de Bénévent, duc de Dino, pair, grand
    chambellan de France, membre de l'Institut. Boiteux par accident de
    naissance, il fut destiné à l'Église quoique l'aîné de sa famille.
    Elève de Saint-Sulpice, il y fit ses études ecclésiastiques et fut
    d'abord connu sous le nom d'abbé de Périgord; en 1788, il fut évêque
    d'Autun; en 1789, membre des États généraux; il fut plus tard obligé
    de se réfugier en Amérique; de retour en 1797 il fut nommé ministre
    des Affaires étrangères par le Directoire, et, pendant huit ans,
    dirigea la politique extérieure de la France. En qualité de
    vice-grand-électeur de l'Empire, il put, en 1814, convoquer le Sénat
    et faire proclamer la déchéance de l'Empereur. Il représenta Louis
    XVIII au Congrès de Vienne. En 1830, Louis-Philippe le nomma
    ambassadeur à Londres. Son dernier acte politique fut la conclusion
    de la Quadruple Alliance entre la France, l'Angleterre, l'Espagne et
    le Portugal.

  TALLEYRAND (la princesse DE), 1762-1835. Fille du capitaine de
    vaisseau Werlée et de Laurence Allany, elle était née dans les Indes
    sur la côte de Coromandel; à quinze ans, elle épousa, à Calcutta, un
    employé civil, George Grant, mais divorça un an après. Vers 1780,
    Mme Grant s'embarqua pour l'Europe, s'établit à Paris, et épousa le
    prince de Talleyrand en 1802. Après sa séparation d'avec son mari,
    elle se retira à Auteuil. Elle mourut en 1835 et fut enterrée à
    Montparnasse, avec cette inscription: _Veuve de M. Grant, plus tard
    civilement mariée avec le prince de Talleyrand_.

  TALLEYRAND-PÉRIGORD (la baronne DE), 1800-1873.
    Charlotte-Alix-Sarah, épouse du baron Alexandre-Daniel de
    Talleyrand, conseiller d'État, dont elle eut trois enfants.

  TALLEYRAND-PÉRIGORD (le comte Edmond DE), 1787-1872. Duc de Dino
    depuis 1817 et duc de Talleyrand depuis la mort de son père en 1838.
    Il épousa, en 1809, la princesse Dorothée de Courlande.  Brave
    officier, bon camarade, cité avec éloges parmi les aides de camp du
    major-général Berthier, il fit les campagnes de la Grande-Armée. Il
    était commandeur de l'ordre de Saint-Louis, grand-officier de la
    Légion d'honneur, grand-croix de l'ordre de Saint-Ferdinand
    d'Espagne. Il passa les quarante dernières années de sa vie à
    Florence, où il mourut.

  TALMA (François-Joseph), 1766-1826. Célèbre tragédien. Napoléon
    l'aimait beaucoup et paya plusieurs fois ses dettes.

  TANKERVILLE (lady), morte en 1865. Fille du duc Antoine de Gramont,
    elle épousa en 1806 lord Tankerville.

  TAYLOR (sir Herbert), 1775-1839. D'abord officier, il devint
    secrétaire particulier du duc d'York, dont il était l'ami, et passa
    en cette même qualité auprès du roi George III; il fut chargé de
    plusieurs missions délicates en Suède et en Hollande. Il avait
    épousé la fille d'Edouard Disbrowe.

  TERCEIRE (le duc DE). Marquis de Villaflor, 1790-1860, général
    portugais; il s'était mis à la tête des partisans de dom Pedro,
    l'aida à chasser dom Miguel. Il avait épousé, en deuxièmes noces, la
    fille du marquis de Loulé.

  TESTE (Jean-Baptiste), 1780-1852. Jurisconsulte français. Député en
    1831, il fit partie des libéraux. En 1839, il devint ministre de la
    Justice, en 1840 des Travaux publics. En 1843, il fut nommé pair de
    France et président de la Cour de cassation, mais la fin de sa vie
    fut attristée par un lamentable procès dans lequel il fut compromis.

  THIARD DE BUSSY (le comte DE), 1772-1852. Général français.
    Chambellan de Napoléon en 1884, il le suivit comme aide de camp dans
    les campagnes de 1805 à 1807, mais démissionna ensuite. Louis XVIII
    le nomma maréchal de camp. Devenu député en 1815, il siégea presque
    sans interruption jusqu'en 1848, puis fut, pendant une année,
    ministre en Suisse.

  THIERS (Adolphe), 1797-1877. Homme d'État et historien français. Il
    débuta à Paris dans le journalisme, fonda le _National_ en 1830,
    devint ministre en 1832 et président du Conseil en 1836 et 1840.
    Comme député, il s'opposa vainement à la guerre de 1870. Président
    de la République en 1871, il attacha son nom à la libération du
    territoire.

  THIERS (Mme), 1815-1880. Élise Dosne n'avait que seize ans
    lorsqu'elle épousa M. Thiers, auquel elle apporta une grosse
    fortune.

  THORWALDSEN (Barthélemy), 1769-1844. Célèbre sculpteur danois. Fils
    d'un pauvre marin de Copenhague, il fit de longs séjours en Italie
    où il travailla beaucoup. Il a fondé, à Copenhague, un musée et a
    laissé son immense fortune à cet établissement.

  TORENO (le comte José DE), 1786-1843. Homme d'État espagnol, député
    aux Cortès depuis 1811, il provoqua l'abolition de l'Inquisition. En
    1834, il fut nommé ministre des Finances, puis président  du
    Conseil avec le portefeuille des Affaires étrangères; il se retira
    de la vie publique en 1835.

  TRAJAN (l'empereur), né en Espagne en 52, il fut empereur à Rome de
    98 à 117. Il fut vainqueur des Daces et des Parthes, et excellent
    administrateur.

  TRÉVISE (duc DE), voir à MORTIER.

  TULLEMARE (lady), morte et 1848, elle s'était mariée en 1821.
    C'était la sœur du duc d'Argyll.

  TYSZKIEWICZ (la princesse), 1765-1834. Marie-Thérèse, fille du prince
    André Poniatowski, second frère du Roi; elle épousa le comte Vincent
    Tyszkiewicz, mais garda son titre de princesse. Son mari était
    référendaire du grand-duché de Lithuanie. La Princesse était très
    liée avec le prince de Talleyrand. Elle habita presque toujours la
    France et est enterrée à Valençay.


V

  VALENÇAY (le duc DE), 1811-1898. Louis de Talleyrand-Périgord, duc
    de Talleyrand et de Valençay, duc de Sagan après la mort de sa
    mère. Fils du duc Edmond de Talleyrand et de la princesse Dorothée
    de Courlande; chevalier de la Toison d'or d'Espagne et de l'Aigle
    noir de Prusse. Il épousa d'abord, en 1829, Alix, fille du duc de
    Montmorency, puis la comtesse de Hatzfeld, fille du maréchal de
    Castellane. Le duc de Valençay était le fils aîné de la duchesse de
    Dino.

  VALENÇAY (la duchesse DE), 1810-1858. Alix, fille du duc de
    Montmorency et de Caroline de Matignon.

  VALOIS (les), famille issue des Capétiens, qui monta sur le trône
    de France en 1328 avec Philippe VI, pour finir avec Henri III en
    1576.

  VAN DYCK (Antoine), 1599-1641. Peintre flamand, élève de Rubens; il
    voyagea en Italie, en Hollande, en France, en Angleterre où il fut
    appelé par le roi Charles Ier et se fixa.

  VANTADOUR (la duchesse DE), 1799-1863. Fille du comte d'Aubusson la
    Feuillade et de son premier mariage avec Mlle de Refouville, elle
    épousa le duc de Lévis et de Vantadour.

  VAUDÉMONT (la princesse DE), 1763-1832. Elise-Marie-Colette de
    Montmorency-Lognÿ, épousa en 1778 le prince Joseph de Vaudémont, de
    la maison de Lorraine, dont elle devint veuve en 1812. Amie intime
    de M. de Talleyrand, elle était bonne, très recherchée, et l'on
    retrouvait, chez elle, les habitudes de l'ancien régime.

  VICTORIA Ire (la Reine), 1819-1901. Fille du quatrième fils du roi
    d'Angleterre George III, le duc de Kent, qui mourut en 1820. Elle
    monta sur le trône en 1837, à la mort de son oncle Guillaume IV. En
    1840, la jeune Reine épousa son cousin germain, le prince Albert de
    Saxe-Cobourg-Gotha, qui fut déclaré prince Consort en 1857.

  VIENNET (Jean-Guillaume), 1777-1868.
    Littérateur français; il entra à l'Académie en 1830.

  VILLEMAIN (Abel-François), 1790-1870. Professeur, écrivain et homme
    politique français, membre de l'Académie française depuis 1822, pair
    de France; il fut, à deux reprises, ministre de l'Instruction
    publique et, depuis 1835, secrétaire perpétuel de l'Académie.

  VISCONTI-AYMI (la marquise), morte en 1831 à Paris. Née Carcano,
    elle avait appartenu à la société la plus élégante de Milan à
    l'époque de la vice-royauté d'Eugène de Beauharnais. En premières
    noces elle avait épousé le comte Sopranzi, dont elle eut un fils,
    qui fut aide de camp du maréchal Berthier, avec qui elle était très
    liée.

  VITROLLES (Eugène d'Arnaud, baron DE), 1774-1854. Il servit dans
    l'armée de Condé, fut nommé ministre d'État en 1814, mais se montra
    si violent que Louis XVIII le priva de ses fonctions. A son
    avènement, Charles X le nomma ambassadeur à Turin. Il avait épousé,
    en 1795, Mlle de Folleville.

  VIVONNE (Louis-Victor de Rochechouart, comte DE), 1636-1688; plus
    tard duc de Mortemart et maréchal de France; la faveur de sa sœur,
    Mme de Montespan, lui valut un avancement rapide; il était connu
    pour son esprit, ses bons mots et son embonpoint.

  VOGÜÉ (le comte Charles DE), marié à Mlle de Béranger. Il était
    frère du marquis de Vogüé.

  VOLTAIRE (M. DE). 1694-1778. François-Marie-Arouet de Voltaire, fils
    d'un trésorier de la Chambre des comptes; il exerça une immense
    influence sur le dix-huitième siècle littéraire et philosophique.


W

  WABURTON. Aubergiste anglais du _Ship_ à Douvres.

  WALTER SCOTT, 1771-1832. Poète et romancier écossais.

  WARD (sir Henry-George), 1798-1860. Gendre de lord Grey. Il entra
    dans la diplomatie anglaise en 1816, comme attaché d'ambassade à
    Stockolm, puis à La Haye et à Madrid. Il entra au Parlement en
    1832, fut nommé commissaire des îles Ioniennes en 1849. De 1856
    jusqu'à sa mort il fut gouverneur de Ceylan.

  WARWICK (Guy, comte DE), mort en 1471, surnommé le _Faiseur de
    rois_. Beau-frère de Richard d'York, il le poussa à revendiquer le
    trône d'Angleterre, puis fit proclamer Edouard IV, ce qui ne
    l'empêcha pas plus tard de faire rétablir Henri VI sur le trône et
    de se faire nommer gouverneur du royaume.

  WARWICK (lord), 1779-1853. Henri Richard Greville, comte de Brooke,
    descendant, par les femmes, des anciens Beauchamp.

  WARWICK (lady), morte en 1851. Sarah, fille de lord Mexborough,
    épousa, en premières noces, lord Monson, et, en deuxièmes noces,
    lord Warwick.

  WEIMAR (le duc Charles-Bernard DE), 1792-1862. Général au service
    des Pays-Bas; il avait épousé, en 1815, la princesse Ida de
    Saxe-Meiningen. Son fils, le prince Édouard de Weimar, entra au
    service de l'Angleterre.

  WEIMAR (la duchesse Bernard DE), 1794-1852, née princesse de
    Saxe-Meiningen et sœur de la reine Adélaïde d'Angleterre.

  WELLESLEY (le marquis DE), 1760-1842. Richard, comte de Mornington,
    frère aîné du duc de Wellington; gouverneur des Indes en 1797, il
    devint, en 1810, ministre des Affaires étrangères, en 1822
    lord-lieutenant d'Irlande et, en 1833, vice-roi de ce pays.

  WELLINGTON (le duc DE), 1769-1852. Troisième fils du vicomte
    Wellesley, il servit en 1797 dans l'armée des Indes, revint en
    Angleterre en 1805; il dirigea l'armée anglaise en Portugal, en
    Espagne, et fut le vainqueur de Napoléon à Waterloo. Il fit partie
    de plusieurs ministères.

  WERTHER (le baron Wilhelm DE), 1772-1859. Diplomate prussien; il fut
    ministre à Paris de 1824 à 1837, et de 1837 à 1841 ministre des
    Affaires étrangères à Berlin.

  WERTHER (la baronne DE), 1778-1853. La comtesse Sophie Sandizell,
    Bavaroise, épouse du baron de Werther.

  WESSENBERG-AMPRINGEN (le baron), 1773-1858. Diplomate autrichien; il
    assista, en 1830, aux conférences de Londres, et fut en 1848,
    pendant peu de temps, ministre des Affaires étrangères.

  WEYER (Sylvan VAN DE), 1803-1874. Homme d'Etat et littérateur belge.
    Chargé d'une importante mission à Londres, il réussit par faire
    agréer la proposition d'y réunir une conférence pour consolider la
    nouvelle constitution belge; il parvint à faire accepter le prince
    Léopold de Cobourg comme roi des Belges. En 1845, il fut rappelé
    pour prendre la tête du cabinet, puis, en 1846, reprit ses fonctions
    d'ambassadeur à Londres jusqu'en 1867, lorsqu'il se retira des
    affaires.

  WILLOUGHBY-COTTON (sir Henry), 1796-1865. Député à la Chambre des
    communes.

  WINCHELSEA (lord), 1791-1858. George-William Hatton. Sa première
    femme était une fille du duc de Montrose. En 1829, il eut un duel
    célèbre avec le duc de Wellington; le duc de Wellington manqua son
    adversaire, lord Winchelsea tira en l'air.

  WORONZOFF (la comtesse), morte en 1832 à Londres; Catherine Siniavin,
    épouse du général Woronzoff.

  WURTEMBERG (le roi DE), 1781-1864. Guillaume Ier; il monta sur le
    trône en 1816. Il avait épousé en premières noces la grande-duchesse
    Catherine de Russie, et, en deuxièmes noces, sa cousine, la duchesse
    Pauline de Würtemberg.

  WURTEMBERG (la princesse Marie DE), 1816-1863. Fille du roi Guillaume
    Ier, elle épousa, en 1840, le major-général comte de Neipperg.

  WURTEMBERG (la princesse Sophie DE), 1818-1877. Sœur de la
    précédente; elle épousa, en 1839, Guillaume III, Roi des Pays-Bas.


Y

  YARBOROUGH (lord), 1812-1851. Frère de lord Garbowy, et, en 1831,
    capitaine dans la maison royale d'Angleterre.

  YORK (le duc d'), 1763-1827. Frère des rois George IV et Guillaume IV
    d'Angleterre; il épousa la princesse Frédérique de Prusse.


Z

  ZEA-BERMEDEZ (don Francisco), 1772-1850. Diplomate espagnol. De 1809
    à 1820, il fut chargé d'affaires auprès de l'empereur Alexandre Ier,
    puis ambassadeur à Constantinople. En 1824, il fut nommé ministre
    des Affaires étrangères, puis en 1825, il fut ambassadeur à Dresde;
    de 1828 à 1833, ambassadeur à Londres. Depuis 1834, il habita
    presque toujours Paris où il mourut.

  ZEA-BERMEDEZ (Mme), femme du ministre. Elle était très recherchée
    dans la société par sa distinction et son amabilité. Sa ville natale
    était Malaga.

  ZUMALACARREGUY (Thomas), 1789-1835. Général espagnol, commandant la
    garde royale à la mort de Ferdinand VII. Il se démit de ses
    fonctions pour suivre don Carlos, et fit une terrible guerre aux
    Christinos.

  ZUYLEN VAN NIJEVELT (le baron Hugo DE), 1781-1853. Homme d'Etat
    hollandais; il prit une part active aux efforts qui furent faits
    dans son pays pour secouer le joug de Napoléon Ier. Il fut
    ambassadeur à Paris, à Madrid, à Stockolm, à Constantinople, revint
    à La Haye en 1829 et déploya une rare activité lors de la révolution
    belge en 1830. Il fut ensuite envoyé, avec Falk, à la conférence de
    Londres. De 1833 à 1848, il reçut plusieurs portefeuilles, puis
    rentra dans la vie privée.


    PARIS
    TYPOGRAPHIE PLON-NOURRIT ET Cie
    Rue Garancière, 8





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