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Title: L'Illustration, No. 3736, 10 Oct 1914
Author: Various
Language: French
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*** Start of this LibraryBlog Digital Book "L'Illustration, No. 3736, 10 Oct 1914" ***


  Au lecteur

  Cette version numérisée reproduit dans son intégralité la version
  originale.

  La ponctuation n'a pas été modifiée hormis quelques corrections
  mineures.

  L'orthographe a été conservée. Seuls quelques mots ont été modifiés.
  La liste des modifications se trouve à la fin du texte.



  Nº 3736.--72e Année.                                   Prix du Numéro:
  _10 Octobre 1914_                                          _Un Franc_


                              L'ILLUSTRATION

                             JOURNAL UNIVERSEL
                               HEBDOMADAIRE

                       R. BASCHET, Directeur-Gérant

                         _13, Rue Saint-Georges_
                                 _PARIS_



[Illustration: SIX NOUVEAUX DRAPEAUX ALLEMANDS AUX INVALIDES

Trophées des derniers combats, qui avaient été envoyés à Bordeaux, et
que le président de la République a rapportés à Paris.

_Voir l'article, page 259._]



LES GRANDES HEURES


UNE AUTRE VIE

Impropres au service militaire et demeurés dans les villes, tous, tant
que nous sommes, même ceux qui n'ont rien modifié à leurs habitudes,
nous menons cependant depuis deux mois «une autre vie».

A la première minute du réveil cela commence. Nous ouvrons des yeux
mal assurés. L'esprit remonte à la surface, avec une anxiété assoupie
encore.--«Qu'y a-t-il donc? Il y a quelque chose...» Et, tout de suite,
le mot... le mot redoutable tombe dans le jour indifférent qui naît,
comme une lourde pierre dans l'eau d'un lac: la guerre...

La guerre! Voilà ce qui prend, étreint, opprime, obsède, poursuit
sans relâche. C'est l'idée _dominante_ qui préside à tout ce que nous
faisons, à nos travaux accomplis dans la fièvre, comme à nos amers
et rares loisirs pris à regret. La guerre!... Pensée de Nessus qui
brûle et dévore! S'y arrêter nous terrifie, nous ensanglante et nous
martyrise. S'en écarter nous coûte et nous est un reproche affreux
d'égoïsme, de lâcheté, presque un remords. Ainsi nous allons d'un parti
à l'autre, jamais soulagés, toujours mécontents de nous-mêmes. Le calme
du voisin--que nous ne savons pas observer--nous étonne et parfois nous
irrite, surtout quand nous ne le comprenons pas... et avec la même
injustice nous condamnons l'excitation, la nervosité, les transports,
tous les mouvements, même généreux, des irréfléchis et des désordonnés.
Presque tous, nous pouvons même dire tous, nous sommes dédoublés, et
souvent plusieurs fois... Tous nous avons un fils, ou un frère, ou un
parent, ou un ami, ou beaucoup d'amis qui sont au peuple des armées.
Le plus obscur, le plus humble des Français, sans relations, ne peut
même pas, à cette heure, entreprendre le compte de ceux qu'il connaît,
auxquels il est attaché et qui luttent sous les drapeaux... parce que
cela serait trop long et que ce calcul le plongerait dans un inutile et
coupable découragement.

Malgré tout il faut vivre. Nous vivons donc. Nous vivons cette _autre
vie_, cette vie brusque et nouvelle. Mais dans quelles conditions?
Nous la vivons dans autrui, dans ces «nôtres». dans ces «meilleurs
de nous» qui nous sont si précieux et si chers. Nous la vivons par
eux, à travers eux, pour eux... Ils sont là, visibles et présents,
aux avant-postes de nos craintes, montant la garde au seuil de nos
espoirs, sentinelles de nos desseins, comme nous--par l'esprit, par le
cœur, les souhaits, le vœu, l'invocation, l'élan de l'âme et la prière
interrompue, même aux instants où elle n'est plus formulée--nous sommes
leurs éclaireurs, leur renfort, le soutien de leur flanc... Toutes nos
besognes et nos occupations, par choc en retour, se rapportent aux
leurs. Quand nous mangeons nous pensons à leur nourriture, ou à leur
diète; quand nous nous étendons dans nos draps... au lit de terre sur
lequel ils couchent. Notre sommeil se passionne à leur repos. Jusqu'en
dormant nous suivons un par un les chemins creux de leur insomnie. Nous
ne pouvons nous empêcher de nous les figurer tels qu'ils sont, eux
aussi, dans leur _autre vie_, sous les loques de leur autre et glorieux
costume, avec des visages défaits mais parfaits, avec des yeux embrasés
qui portent plus haut et plus loin, avec des mains désaccoutumées de
tout et consacrées uniquement aux armes. Soixante fois par minute
notre tendresse instantanée les photographie sous ce tragique aspect,
dans mille poses de péril et de combat. Ils sont l'éternel objet des
questions auxquelles nul ne peut répondre. Nous nous demandons: «Où
sont-_ils_ en ce moment? Que font-_ils_?» Tout ce dont nous sommes
sûrs c'est qu'ils pensent à nous à l'instant où nous les évoquons. A
moins qu'ils ne se battent! Car alors ils ne _s'appartiennent plus_.
La guerre, et tout ce qui gravite autour d'elle, se localise en ces
représentants, en ces avantageux «remplaçants» de nous-mêmes, et dès
que l'on prononce son nom de Bellone, son grand nom de famille, c'est
leur petit à eux, leur nom d'intime appellation qui frappe nos oreilles
et devient par excellence leur nom de baptême, de baptême du feu, ce
sacrement nouveau de l'_autre vie_.

Qu'ils nous semblent depuis longtemps partis, les soldats! Que leur
retour paraît lointain! Ils nous font l'effet de ne vivre cette _autre
vie_, actuelle et précaire, que par un miracle incessamment accordé,
un bail providentiel renouvelé tous les soirs, que par une grâce
extraordinaire de durée courte et fragile, inconcevable! Nous ne nous
expliquons pas comment ils vivent, comment ils font pour s'en tirer.
Leur vie a l'air d'un défi, d'une bravade, d'un tour de force, d'un
paradoxe, d'un problème. Chaque lettre d'eux, si brève, tracée toujours
en hâte comme un post-scriptum, et qui nous renseigne si peu, contient
cependant l'essentiel de la félicité pour nous quand y éclatent ces
trois mots: «Je vais bien.» L'écriture, que nous reconnaissons, elle
aussi a changé. Elle a pris plus de caractère. Les termes employés sont
bien les mêmes qu'auparavant, mais ils veulent dire autre chose... Tout
a aujourd'hui un sens différent, soudain, conquis et prodigieux, qui
donne une commotion, le coup de fouet de la balle.

                                    *
                                   * *

Car en dehors des hommes, la nature, le ciel, la terre, et aussi les
objets inanimés, tout ce qui saute aux yeux, tout ce qui retient la
pensée s'est métamorphosé pour offrir la signification générale d'un
mystère qui se dévoile. Cette vie nouvelle est comme un rêve tour
à tour affreux, superbe, entrecoupé d'inquiétudes et d'espérances,
peuplé de fantômes de gloire et d'horribles visions, décoré de
mirages... comme un rêve très long, sans fin... qui n'a rien des petits
rêves d'ici-bas, d'une heure ou d'une nuit, un rêve étrange, voulu,
formidable, supérieur, marqué des signes successifs de la sanction et
de la récompense, un rêve que l'on fait debout, éveillé, aux confins
du vertige et se demandant à toute minute si l'on n'est pas le jouet
d'un délire sans exemple... Il y a une voix, une persistante et pauvre
voix étouffée, bâillonnée au fond de nous, qui au milieu de tout ce
que nous traversons haletants, s'écrie à chaque souffle: «Est-ce
vrai? Est-ce bien vrai? Tout ce qui arrive: ces batailles, ce sang...
ces fracas, ces incendies, ces morts, ces héroïsmes, ces sacrifices,
ces confiances, ces résolutions, cette certitude ailée?... cet état
inouï dans lequel nous sommes en plein, sans désemparer,... cet océan
d'émotions, de souffrances, de désirs fous sur les flots duquel nous
sommes balancés, secoués, tantôt emportés à des sommets et tantôt
amenés sur la pente d'abîmes, comme à la crête et au vallon de la
vague... tout cela, est-ce vrai, Seigneur? Est-ce vrai? Dites-moi que
non!» Et l'écho de notre clameur nous répond seul: «C'est vrai. C'est
bien vrai. _Cela est. Cela se passe_, et pendant que tu es vivant...
Tu assistes à ces choses, tu les touches, tu les vois, et un jour
viendra où, les ayant de tes yeux vues, sans y croire encore même après
beaucoup d'années, tu les raconteras, comme les stupéfiants souvenirs
d'une existence antérieure.» Quelle situation! Et que nous sommes
malheureux!

Eh bien non! Voilà ce qu'il faut, en se relevant d'un bond, conclure et
reconnaître en face, et proclamer avec la joie de nos cœurs percés des
glaives qui les couronnent... Cette vie nouvelle, cette _autre vie_,
elle est--pour les soldats comme pour nous-mêmes--la plus méritoire, la
plus féconde et la plus admirable!

Oui!... ne tenant qu'à un fil, jouée et risquée, renoncée, quittée
d'avance, offerte à chaque pas, prise ou refusée, prodiguée, gaspillée,
comme dans une fête, une fête nationale... la plus grande de toutes,
par la multitude de nos enfants entraînés au sublime, cette _autre vie_
est une splendeur que rien n'atteint, n'égale, ne dépasse, au bas de
laquelle végètent en rampant toutes les façons de gâcher le temps sur
la terre.

Et pour nous cette suite d'alarmes, de soupirs, ces attentes, ces
pleurs refoulés, ces fièvres, ces saintes angoisses, ces supplices de
la lenteur et de la résignation, ces ravages de l'espérance, cette
manière surprenante et indicible de constamment mourir «qui n'est pas
une vie»... tout ce nouvel état est de qualité magnifique et nous
hausse en ces jours de flamme au pinacle de nous-mêmes. Nous sentons,
nous savons de source certaine, que nous sommes en valeur, dépouillés
de nos scories, remontés de nos boues, gradés par la souffrance, et
que cette épreuve purificatrice est d'ailleurs temporaire, que nous en
sortirons avec un métal plus resserré, lancés plus droit dans l'avenir
comme le boulet jaillit plus direct et plus fier des flancs étroits du
canon rayé qui le pressaient. Tout compte fait, de toutes celles que
nous aurons vécues, ces heures sombres seront les plus lumineuses. Plus
tard elles nous apparaîtront, en arrière, ce qu'elles étaient vraiment
sous leurs nuages de pourpre et leurs ténèbres en train d'enfanter la
clarté: une aube!... éblouissante, aveuglante de bonheur, celle d'un
âge d'or, salué par des tonnerres, comme à sa venue au monde un enfant
royal, un enfant de France dont le règne attendu sera plus durable et
plus beau que celui de tous les empereurs et de tous les rois.

  HENRI LAVEDAN.



LA NEUTRALITÉ HOLLANDAISE


Le jour même où paraissait notre dernier numéro, nous recevions de
M. le chevalier de Stuers, ministre plénipotentiaire des Pays-Bas en
France, une lettre que nous nous empressons d'insérer:

  Bordeaux, le 29 septembre 1914.

  Monsieur le directeur,

  A de nombreuses reprises des rumeurs peu bienveillantes ont été
  répandues dans le public, surtout en France, d'après lesquelles
  l'intégrité du territoire du royaume des Pays-Bas et par conséquent
  sa neutralité auraient été violées par des troupes allemandes qui, en
  investissant la Belgique, auraient traversé l'extrémité méridionale
  du Limbourg.

  Sur les ordres de mon gouvernement, j'ai non seulement opposé
  itérativement par la voie de la presse le démenti le plus absolu
  à cette fausse représentation des faits, mais encore transmis une
  protestation officielle au gouvernement de la République française.

  Nonobstant ces démarches, _L'Illustration_ a publié dans son numéro
  du 8 août, page 108, un article avec une carte, avançant de nouveau
  «que l'armée allemande pénétra sur le territoire belge et trouvant
  des ponts coupés, qui retardaient sa marche, écorna le territoire du
  Limbourg hollandais, franchit la Meuse à Eysden et arriva à Visé».

  Je renouvelle donc ici la rectification déjà donnée, que le
  territoire néerlandais n'a pas été traversé par l'armée allemande.

  Ce qui aura probablement donné lieu à cette erreur, c'est que
  quelques soldats allemands et belges, égarés sur le territoire
  hollandais aux environs d'Eysden, y ont été arrêtés et désarmés, et
  internés ensuite à Alkmaar.

  D'ailleurs, dans le discours du trône que la reine des Pays-Bas
  prononça récemment lors de l'ouverture du Parlement, Sa Majesté
  déclara qu'à sa grande satisfaction la neutralité absolue, que la
  Hollande observe et maintient de toutes ses forces, n'a d'aucune
  façon été violée jusqu'ici.

  L'armée néerlandaise, mise sur pied de guerre et comptant plus de
  300.000 hommes, veille sur le territoire du royaume et saura au
  besoin bravement le défendre.

  Je vous serais très obligé, monsieur le directeur, si vous vouliez
  bien donner à ces lignes une place dans le prochain numéro de votre
  beau journal.

  Agréez, monsieur le directeur, l'assurance de ma considération la
  plus distinguée.

  Le ministre des Pays-Bas,

  A. DE STUERS.

Nous avons déjà, la semaine dernière, fait accueil à des protestations
qui venaient de nous être adressées directement de Hollande, par des
particuliers, sur le même sujet. La date tardive de ces diverses
demandes de rectification nous avait d'abord paru inexplicable:
mais nous avons appris que nos numéros du mois d'août n'ont pu être
distribués ou mis en vente dans les Pays-Bas que tout récemment.
De là l'émotion causée à la fin de septembre par une phrase et une
carte publiées près de deux mois auparavant, et qui n'avaient fait
que reproduire, sans insister, sans incriminer le moins du monde le
gouvernement des Pays-Bas, les premières informations données par la
presse sur l'invasion de la Belgique par les troupes allemandes.

Nous avons été heureux d'apprendre depuis que la neutralité
néerlandaise avait été mieux respectée par l'Allemagne que les
neutralités luxembourgeoise et belge. Nous le sommes encore plus
aujourd'hui de constater avec quelle énergie nos lecteurs de Hollande,
et le représentant lui-même de S. M. la reine Wilhelmine, déclarent
que leur pays entend observer et maintenir une neutralité absolue, que
saurait au besoin faire respecter l'armée néerlandaise, mise sur le
pied de guerre et forte de plus de 300.000 hommes.



M. POINCARÉ AUX ARMÉES


M. Poincaré a accompli cette semaine l'un des plus solennels devoirs
de sa charge. Accompagné de M. Viviani, président du Conseil, et de M.
Millerand, ministre de la Guerre, il a quitté Bordeaux en automobile
et s'est rendu au quartier général des armées françaises, où il s'est
entretenu durant plusieurs heures avec le général Joffre. Il s'est
ensuite fait conduire au quartier général anglais où l'a reçu le
maréchal French. Enfin, le président de la République a visité deux
de nos armées combattantes et le lendemain, avec M. Millerand et le
général Galliéni, le camp retranché de Paris, plusieurs hôpitaux
militaires et le cimetière de Bagneux.

Le chef de l'Etat, voulant exprimer publiquement la satisfaction que
lui avait causée sa visite aux armées anglaises et françaises, a
adressé au roi George V d'Angleterre un télégramme de félicitations en
le priant de bien vouloir en faire donner connaissance aux vaillantes
troupes britanniques. M. Poincaré a aussi félicité le ministre de la
Guerre français dans une lettre éloquente, en l'invitant à transmettre
ses félicitations au général Joffre et au général Galliéni. Ces
lettres, qui seront lues aux troupes, leur apporteront le témoignage de
l'admiration et de la reconnaissance de la nation tout entière.

[Illustration: Le président de la République, se rendant aux armées,
part en automobile de sa résidence provisoire de Bordeaux, rue
Vital-Carles: sur le seuil, Mme Raymond Poincaré.--_Phot. E. Jacques._]

En quittant Bordeaux, M. Poincaré avait emporté avec lui les six
étendards allemands pris récemment à l'ennemi et les avait fait déposer
à l'Elysée. Mercredi dernier, ils ont été transportés par une compagnie
de la garde républicaine à l'Hôtel des Invalides. Chaque drapeau
allemand était porté sur l'épaule, l'étoffe pendant vers le sol, par
un sous-officier. Dans la cour d'honneur, le général Niox, commandant
des Invalides, reçut les trophées, qui, remis aux vieux soldats aux
moustaches blanches, furent transportés par eux dans la chapelle.

[Illustration: Le général Niox et les Invalides prennent livraison de
six drapeaux enlevés aux régiments allemands, rapportés de Bordeaux par
M. Poincaré.]


[Illustration: QUAND NOS TROUPES FONT DES PRISONNIERS ALLEMANDS.

On les nourrit d'abord, s'ils se plaignent d'être affamés.]

[Illustration: ... On les interroge ensuite.

_Photographies prises à la frontière d'Alsace._]


[Illustration: LES OPÉRATIONS VICTORIEUSES DE L'ARMÉE SERBE

Entrée de l'armée serbe à Semlin, la ville hongroise au confluent du
Danube et de la Save, en face de Belgrade, capitale de la Serbie, dont
les armées austro-hongroises n'ont jamais réussi à s'emparer.]

[Illustration: Devant Belgrade: bateau autrichien capturé.]

[Illustration: Le prince Georges blessé.]

[Illustration: Passage de la Save par l'artillerie.

_Photographies de notre correspondant spécial, Samson Tchernof._]


[Illustration: LES CONTINGENTS ALGÉRIENS ET TUNISIENS DE LA FRANCE

La commission de recrutement qui fonctionna à Tunis pour l'inscription,
devant le Caïd, des tirailleurs tunisiens volontaires; neuf mille se
sont présentés en une seule journée.--_Phot. Samama Chikli._]

[Illustration: L'arrivée, à Mostaganem, de deux cents Arabes, retraités
militaires, convoqués par une affiche de mobilisation et qui ont rallié
leur corps dans le plus grand enthousiasme.--_Phot. P. Souffron._]


[Illustration: LES CONTINGENTS INDIENS DE L'ANGLETERRE

L'armée de l'Inde en France: à leur arrivée à Marseille, avant de
rejoindre le corps expéditionnaire du général French, les soldats
hindous ont campé quelques jours au parc Borély.--_Phot. Costa._]

[Illustration: Un défilé, à Marseille, de l'infanterie indigène de
l'Inde, vêtue de khaki comme toute l'armée britannique, mais coiffée du
traditionnel turban.]


[Illustration: APRÈS LE PASSAGE DES ALLEMANDS

L'école de Cuvergnon, dans l'Oise, que les Allemands avaient
transformée en dortoir, et d'où ils furent chassés par notre
artillerie.--_Phot. A. Tétart._ ]

[Illustration: Un obus allemand de 77 millimètres qui a pénétré
profondément, sans éclater, dans le tronc d'un poirier.

_Phot. A. Tétart._]

[Illustration: La salle à manger du château de Semp, près de Malines,
en Belgique, évacuée brusquement par les Allemands qui y festoyaient.]


[Illustration:DEUX TOMBES ÉMOUVANTES

Tombe de quatre cuirassiers et de treize zouaves, à Joche, sur un des
champs de bataille entre la Marne et l'Aisne: des casques ont été
pieusement disposés devant la croix.]

[Illustration: Tombe d'un soldat anglais, enseveli au lieu dit «Les
Bondons» par un ami français qui traça sur un écriteau une touchante et
simple épitaphe.

_Phot. C. Belval._]


[Illustration: LES RAVAGES DU BOMBARDEMENT DANS LES DIFFÉRENTS QUARTIERS
DE REIMS

L'énorme plaie d'un obus sur la façade d'une maison du faubourg de
Cérès.]

[Illustration: Une pâtisserie de la place Royale: derrière la façade,
il n'y a plus rien que des ruines.]

[Illustration: La maison des Musiciens (au second plan), seulement
ébranlée par le projectile tombé sur la maison voisine.]


[Illustration: LE PRINCE DE GALLES PORTE-DRAPEAU DES GRENADIERS DE LA
GARDE

Le prince de Galles.

Dès l'entrée en guerre de la Grande-Bretagne, le prince de Galles,
qui avait déjà accompli une période d'instruction militaire, fut
incorporé comme lieutenant dans les Grenadier-Guards. Pendant plusieurs
semaines, il fut donné aux Londoniens de voir passer dans les rues de
la capitale, à la tête de sa section, leur futur souverain, portant
élégamment et martialement l'uniforme des grenadiers. Mais ces
exercices quotidiens ne suffisaient pas à l'ardeur du jeune prince,
qui sollicita l'honneur de se rendre en France pour y combattre dans
les rangs de l'armée expéditionnaire. Lord Kitchener, ému de recevoir
cette requête du fils de son roi, a promis, dit-on, de lui donner
bientôt satisfaction. En attendant, l'héritier de la couronne a eu la
joie d'être promu au rang de _standard bearer_: il porte le drapeau de
son régiment aux heures où les grenadiers de la garde font la relève
au Palais-Royal de Buckingham. Rien de charmant comme la juvénile
silhouette du _crown-prince_,--dont la physionomie offre le plus
heureux contraste avec celle de ce soudard orgueilleux, insolent et
brutal, le _kronprinz_. Rien qui exprime mieux aussi le contraste des
deux races, des deux éducations, des deux cultures. Le prince anglais
garde sur son visage ombragé par la casquette militaire le reflet de
la grâce de sa jeunesse et de ses sentiments; tandis que l'autre avoue
par tous les traits de sa physionomie trop connue qu'il n'a reçu qu'un
enseignement de haine sournoise et d'orgueil inhumain.]


[Illustration: LA VEILLÉE

_Cette chambre d'une quiète maison de province environnée d'ordinaire
de silence est devenue mortuaire et glorieuse. Dans la ville bombardée,
la mitraille fait ses ravages. Les vitres ont éclaté; mais la maison
est encore debout. On a transporté là le général, qu'un obus vient de
blesser à mort, tout près. Il a expiré sur le vieux lit aux rideaux
épais._

_Hâtivement on lui a rendu le dernier hommage: ses yeux fermés par son
officier d'ordonnance, on a rejeté sur lui son manteau de campagne.
Pour cierges, deux bougies dans les simples chandeliers familiaux, et,
sur la poitrine du vaillant soldat, l'or et l'émail de la croix de la
Légion d'honneur s'éveillent aux lueurs vacillantes des deux minces
flammes._

_Un cavalier au visage grave, le sabre au poing, veille seul le corps du
chef. Au dehors, le fracas de la bataille continue._

  _Dessin de GEORGES SCOTT._]


[Illustration: L'INCENDIE DE LA CATHÉDRALE DE REIMS

Le clocher à l'Ange et la toiture du chevet en feu.]

[Illustration: La chute de l'échafaudage embrasé de la tour Nord-Ouest.

_Photographies instantanées de M. T. Holden Waterhouse._]


[Illustration: UN ÉMOUVANT DOCUMENT PHOTOGRAPHIQUE: LA CATHÉDRALE DE
REIMS EN FLAMMES

Vue prise du Nord: la flamme dévore, à l'Est, le clocheton du chevet,
dit clocher à l'Ange, et, à l'autre bout de la basilique, la tour
Nord-Ouest; la couverture de plomb de la toiture a déjà fondu et on
voit le jour à travers la charpente qui brûle mais n'est pas encore
effondrée.

_Collection Madouthi; reproduction interdite._

_Phot. Jules Matot, Reims._]

[Illustration: Reims pendant l'occupation allemande: à gauche de la
façade de la cathédrale, l'échafaudage qui fut ensuite incendié par les
obus.--_Phot. J. Matot; reprod. interdite._]



LE CRIME DE REIMS

UN TÉMOIGNAGE SUR LE BOMBARDEMENT ET L'INCENDIE DE LA CATHÉDRALE


M. l'abbé Thinot (et non Chinot), maître de chapelle à la cathédrale de
Reims, après avoir lu, dans _L'Illustration_ du 26 septembre, l'article
de M. Ashmead Bartlett, a bien voulu nous fournir quelques précisions
et des détails complémentaires.

Lors du bombardement du 4 septembre, non seulement la cathédrale fut
visée, puisque la ligne des rues et des édifices frappés s'étend,
droite, en avant et en arrière de la basilique, non seulement deux obus
qui ont éclaté à proximité endommagèrent, l'un d'admirables statues au
grand portail, l'autre les vitraux de la basse nef Nord, mais encore
un projectile est tombé directement sur le socle du pignon du transept
Nord, saccageant l'architecture et les toits.

Le projecteur électrique qui avait été installé par nos officiers sur
la tour Nord ne l'a été qu'une seule nuit durant, comme un essai qui
n'eut aucune suite, et, en tout cas, bien avant l'entrée en contact
avec l'ennemi.

C'est le jeudi 17 que des blessés allemands--de 70 à 80--furent amenés
à Notre-Dame. Les Allemands, le matin du jour qui vit leur retraite (12
septembre), avaient exigé un aménagement de la cathédrale permettant
d'y installer 3.000 de leurs blessés, mais ils n'eurent pas le loisir
d'en amener un seul. C'est l'autorité française qui fit utiliser,
pour les blessés abandonnés à Reims par l'ennemi, la paille et les
couvertures qui avaient été accumulées dans l'édifice. Le général
Franchet d'Espérey prenait ainsi, pensait-il, alors que la ville
souffrait, depuis trois jours déjà du bombardement, les garanties les
meilleures pour la protection du monument.

Le vendredi 18 cependant, et le samedi 19, la cathédrale fut très
nettement et impitoyablement visée. Un _minimum_ de 35 à 40 obus,
presque tous du plus fort calibre, se sont abattus sur le vaisseau,
n'en épargnant aucune partie, depuis les puissantes assises des
contre-forts jusqu'au sommet des tours, en passant par la dentelle
de pierre qui couronne les combles, depuis l'abside jusqu'à la
merveilleuse façade où, sur des échafaudages, devait tomber le premier
projectile incendiaire. De ces affirmations notre interlocuteur peut
témoigner; nous savons qu'en compagnie de l'archiprêtre il n'a pas
quitté Notre-Dame pendant ces journées douloureuses. Nous laissons
d'ailleurs ici la parole à M. l'abbé Thinot:

  «C'est le vendredi 18, dans la matinée, que des débris d'architecture
  projetés par un obus ont tué, dans la basse nef Sud, deux des blessés
  étendus. La mitraille en atteignit bien d'autres.

  »Deux fois ce jour-là, pendant la terrible rafale, et une fois le
  lendemain samedi, nous mîmes ces malheureux, à l'abri dans l'escalier
  de la tour Nord. Je ne fis, dans cette opération qu'aider M.
  l'archiprêtre,--et non Mgr le cardinal, comme on l'a dit par erreur,
  puisque Son Eminence, de retour du conclave, ne put rallier sa ville
  épiscopale que quatre jours après le sinistre.

  »Et c'est encore M. l'abbé Landrieux, curé-archiprêtre de la
  cathédrale, dont je n'avais qu'à admirer le sang-froid et à suivre
  le calme courage pendant ces jours et particulièrement ces heures
  tragiques, qui, au moment où les blessés cherchaient à sortir de
  l'édifice en flammes, prévint les plus terribles excès: il releva
  le canon des fusils que le scrupule de la consigne abaissait, il
  raisonna l'exaspération d'un peuple que le forfait des ennemis
  ne justifiait que trop, il empêcha, en un mot, des faits que le
  lendemain nous eussions très amèrement déplorés.»

Pendant que nous prenions congé de lui, M. l'abbé Thinot nous montre
les formidables éclats d'un des trois obus de siège que, cinq jours
après leur crime, les Allemands jetèrent encore sur la cathédrale.



Mme MACHEREZ, «MAIRE» DE SOISSONS


C'est une figure bien française que celle de Mme Macherez qui ne
craignit pas de s'improviser maire de Soissons pour recevoir les
Allemands et défendre contre eux la vie et les intérêts de ses
concitoyens. A l'approche de l'ennemi, en l'absence du maire élu et
de presque tout le conseil municipal, Mme Macherez, femme de l'ancien
sénateur de l'Aisne, prit l'initiative de grouper autour d'elle, pour
assumer de lourdes responsabilités, quelques autres personnalités
énergiques: Mgr Péchenard, évêque de Soissons; M. Blamoutier, notaire,
et un conseiller municipal demeuré à son poste, M. Musard.

[Illustration: Une femme héroïque: Mme Macherez.]

Ce petit comité, auquel s'était joint M. Arfeuille, pharmacien, eut le
noble rôle de tenir tête aux exigences de l'envahisseur qui, durant
plus d'un mois, défila dans la malheureuse ville sur laquelle ne
cessaient de pleuvoir les plus fantastiques réquisitions, et, entre
temps, les obus. Par son sang-froid, par son énergie hautaine, parfois
ironique, Mme Macherez réussit à en imposer aux officiers allemands.
Plus heureuse que son voisin, l'héroïque maire de Senlis, la vaillante
femme épargna à ses concitoyens les horreurs du pillage et des
fusillades; la ville de Soissons, qui, sans elle, eût sans doute été
réduite en cendres, n'a souffert que des obus lancés par les Allemands
au commencement de leur retraite.

[Illustration: LES PRISONNIERS DE GUERRE ALLEMANDS.--Un millier de
soldats de toutes armes, capturés par les Anglais.]

[Illustration: LES BONS MOMENTS DE NOS BLESSÉS.--La lecture du journal,
par une infirmière, dans le jardin de l'hôpital de Saint-Maixent.]

[Illustration: ÉPISODE DE BATAILLE

Sous les murs du château de Mondement: infanterie française contre
garde prussienne.

M. Frédéric Villiers, artiste correspondant de guerre de notre
confrère anglais _The Illustrated London News_, a pu noter sur place
un des épisodes les plus dramatiques de la bataille de la Marne. A
10 kilomètres de Sézanne, l'antique château de Mondement se dresse
fièrement sur un mamelon d'où l'on domine les marais de Saint-Gond et
la vaste plaine fermée au loin par la silhouette indécise de l'Argonne.
L'importance stratégique de cette position était telle qu'au cours
de la journée où s'effectua la retraite définitive des Allemands les
deux armées se la disputèrent avec un acharnement extraordinaire. Nos
troupes, qui l'occupaient d'abord, en furent délogées deux fois;
fortement appuyées par l'artillerie, elles livrèrent un dernier assaut
à la baïonnette, et, entrant par les fenêtres, trouvèrent le dîner
servi pour les officiers allemands qui n'avaient point prévu ce retour
offensif. Dans sa traduction exacte de ce que dut être la lutte, notre
dessin fait revivre une de ces mêlées sauvages, héroïques, qui se
livraient sous les donjons du moyen âge. L'incendie, les trous d'obus
semblent peu de chose à côté d'un si terrible corps à corps, et cet
épisode de la grande bataille est d'autant plus glorieux pour nos armes
qu'on y vit la garde prussienne enfoncée par deux régiments de ligne,
dont un de l'armée de réserve.

_Dessin de M. H. W. Koekkoek, d'après un croquis de M. Frédéric
Villiers._]


[Illustration: LA GUERRE, COMME ILS LA FONT

Le chef-d'œuvre de la dévastation allemande: une rue de la petite ville
d'Albert, dans la Somme.]

[Illustration: Un salon du château d'Acy, dans l'Aisne où ils ont
couché.]

[Illustration: Sous-officier allemand tué au fond de sa tranchée
individuelle, à Vincy-Manœuvre.

_Photo prise de haut en bas, du bord de la tranchée._]

[Illustration: Le coffre-fort du maire d'Acy, dynamité par les
Allemands.]

[Illustration: Ce qu'ils ont fait de la ferme d'Hozel, près de
Cléry-sur-Somme, sur la route de Péronne.]



LA DIXIÈME SEMAINE DE GUERRE


La semaine qui s'achève, la dixième de la guerre, aura été la plus
mouvementée par la rapidité des changements dans les théâtres de
batailles. En ces quelques jours on a vu la bataille de l'Aisne devenir
bataille de l'Oise, puis de la Somme, ensuite de l'Ancre et de la
Scarpe. Aux dernières nouvelles, on signalait l'apparition d'une forte
cavalerie ennemie sur la Lys, entre Armentières et Tourcoing, ville
voisine de cette rivière, à moins de deux lieues de Lille, puisque l'on
était aux prises vers Lens et la Bassée.


ENTRE L'OISE ET LA SOMME

Les Allemands ont brusquement transporté les opérations sur une ligne
que l'on peut jalonner ainsi du Sud au Nord: environs de Montdidier,
Rosières-en-Santerre, Albert, Arras et, maintenant, Lille. Ces renforts
n'auraient pas été obtenus à l'aide de forces nouvelles tirées
d'Allemagne, mais par des prélèvements parfois énormes sur les armées
qui s'étendent de l'Argonne à la Suippe et, au long de cette rivière,
jusqu'à l'Aisne, puis jusqu'à la forêt de Laigue, située dans la
presqu'île formée par la jonction de l'Aisne et de l'Oise.

Ce mouvement, dont il convient de signaler la rapidité d'exécution,
correspond du reste à la manœuvre que nous paraissions nous-mêmes
exécuter en nous élevant vers le Nord. La menace était grave, aussi
l'état-major allemand a-t-il tenté de percer nos lignes par une de ces
attaques en masse qui sont le fond de sa tactique. Il a fait passer ses
corps d'armée sur la rive droite de l'Oise en franchissant la rivière
sans doute vers Noyon, Chauny et la Fère. Nous occupions alors des
positions depuis Lassigny et Roye jusqu'à la Somme; d'autres troupes
françaises étaient sur les plateaux au Nord du petit fleuve, entre
Albert et Combles.

L'ennemi a dirigé contre nous, depuis les derniers jours de septembre,
des attaques acharnées que nous avons repoussées dans une série de
combats de jour et de nuit d'une extrême violence; sur certains points,
nous avons parfois reculé, mais, en somme, les Allemands n'ont pu
réussir leur manœuvre; nulle part ils n'ont percé les lignes que nous
leur opposons à l'Est d'Amiens, loin de cette grande ville. A la date
du 6, ils n'avaient même pu forcer nos positions de Lassigny, contre
lesquelles ils dirigeaient une attaque importante.


AU NORD DE LA SOMME

Pendant que ces luttes ardentes avaient lieu entre la Somme et
l'Oise, d'autres, sur lesquelles on ne nous a donné jusqu'ici aucun
renseignement précis, se produisaient entre la Somme et son affluent,
l'Ancre, et vers la petite ville historique de Bapaume. Albert était
détruite à distance par des obus allemands sans que la bataille
paraisse s'être étendue jusqu'à elle.

En même temps qu'on nous laissait deviner ces efforts dans la direction
d'Amiens, nous apprenions que d'autres rencontres avaient lieu au Sud
d'Arras, puis que des détachements français, sortis de cette ville et
se portant dans une direction qui nous est encore inconnue, avaient
été obligés de se replier vers l'Est et le Nord, c'est-à-dire dans la
vallée de la Scarpe et dans la direction de Lens. Ces événements nous
étaient signalés vers le 3 octobre; depuis lors on passait sous silence
les faits de guerre qui ont pu se produire à ces confins de l'Artois et
de la Flandre. Le communiqué du 6 signalait une nouvelle extension des
opérations allemandes par l'apparition de masses de cavalerie sur la
Lys, depuis Armentières jusqu'aux campagnes de Tourcoing, c'est-à-dire
vers les villes jumelles de Menin et d'Halluin, dans le voisinage
immédiat de Lille. Le 7 on apprenait que nous étions aux prises vers
Lens et la Bassée.

On voit combien a été prompt le changement de front des Allemands; il
ne l'a d'ailleurs pas été davantage que le mouvement de nos armées
s'élevant rapidement au long d'une ligne que l'on peut tracer par le
chemin de fer d'Amiens à Arras et à Lille.

Brusquement la physionomie de la campagne s'est donc modifiée;
le silence s'est fait un moment sur les plateaux du Soissonnais,
leurs carrières transformées en retranchements et constituant une
série de cavernes aménagées en batteries invisibles. Toutefois nous
n'abandonnons pas la partie de ce côté. Français et Anglais, passés
maîtres dans la recherche de ces terriers qui rappellent la chasse au
renard avec le danger en plus, parviennent à découvrir ces gîtes, à
les tourner, pour y pénétrer à la baïonnette, si nos obus n'y ont pas
d'abord produit leurs terrifiants effets.


DE REIMS A LA WOËVRE

Au centre, c'est-à-dire dans la Champagne pouilleuse, étendue de Reims
à l'Argonne, le calme parut un moment se faire. Les Allemands, ayant
envoyé la plus grande partie de leurs troupes entre l'Oise, la Somme et
la Scarpe, se bornent à occuper les lignes de retranchements qu'ils ont
entaillées dans la craie. Nous ne les en délogeons que peu à peu. Ainsi
progressions-nous mercredi vers Berry-au-Bac, c'est-à-dire au pied des
hauteurs de Craonne et du Laonnais.

Plus importants sont les événements du côté de l'Argonne, et par
Argonne il faut entendre non seulement la forêt de ce nom, mais tout
le pays étendu depuis la plaine champenoise jusqu'à la Meuse. L'armée
du kronprinz apparut comme bloquée entre le fleuve et la région
forestière; un de ses éléments les plus importants, le 16e corps,
effectuant un mouvement malaisé à comprendre, a subi un grave échec.
Engagé dans la partie de la forêt d'Argonne comprise entre Varennes et
la vallée inférieure de la Biesme, vers Vienne-le-Château, partie de la
grande sylve que l'on appelle bois de la Gruerie, il a été rejeté sur
la route de Varennes à Vienne-le-Château qui parcourt un de ces plis
ou _échavées_ dont la forêt est sillonnée. C'est ce que l'on appelait
jadis le défilé de la Chalade.

Sur la Meuse, des événements imparfaitement connus se sont produits;
des forces allemandes venues de Metz ont voulu tendre la main à
l'armée du kronprinz. Grâce à leur nombre, sans doute, à leur tactique
de ruée furibonde, sans compter avec les pertes, les ennemis ont pu
forcer les Hauts de Meuse dans leur partie la plus étroite et arriver
à Saint-Mihiel, pour y tenter le passage de la Meuse. Ces efforts ont
échoué, les ponts jetés par l'ennemi furent détruits, aucun élément
n'a pu prendre pied sur la rive gauche. Pendant ce temps, des troupes
françaises venaient du Sud, c'est-à-dire de la région de Toul et de
Nancy, tandis que d'autres accouraient probablement des parages de
Verdun, et la colonne allemande allongée entre Apremont-de-Woëvre et
Saint-Mihiel se trouvait menacée.

Nos forces montant du Sud à travers la plaine de Woëvre ont refoulé les
éléments ennemis qui l'occupaient jusqu'au delà d'une ligne formée par
la route de Commercy à Pont-à-Mousson; les avant-gardes atteignaient
bientôt le village de Seicheprey, au cœur de la Woëvre; puis nos
troupes descendaient dans la vallée du Rupt de Mad. Depuis lors, elles
n'ont pas cessé d'avancer, assez lentement toutefois.

Quant à l'extrême aile droite de nos armées, région de Nancy,
Lunéville, Saint-Dié et chaîne des Vosges, le plus grand mystère règne
sur ce qui s'y passe. Situation inchangée, se bornent à dire les
communiqués, mais nous ne savons rien de la situation à laquelle fait
allusion ce mot _inchangée_.


EN BELGIQUE

En Belgique, les opérations militaires se résument presque entièrement
dans les attaques contre Anvers. Les Allemands déploient devant cette
place un acharnement qui s'explique par le caractère de réduit suprême
offert à la principale armée belge par le camp retranché. Ils n'ont
peut-être ni les hommes ni le matériel nécessaires pour un siège
régulier précédé d'un investissement. Le rayon défendu par les forts
détachés les plus éloignés représente en effet un circuit de 100
kilomètres; il faudrait plusieurs armées pour opérer l'investissement.
Aussi les Allemands s'efforcent-ils d'enlever un ou deux des forts
extérieurs, de façon à atteindre la seconde ligne formée par les forts
du général Brialmont.

[Illustration: Le camp retranché d'Anvers.]

Anvers, on le sait, est sur l'Escaut; ce fleuve reçoit, au Sud de
la ville, le Rupel, formé par la Dyle et la Nèthe. Le fleuve et les
rivières affluentes constituent un fossé précieux pour la défense de la
région fortifiée. En amont de la jonction du Rupel, le territoire, au
Nord de l'Escaut, jusqu'à la frontière des Pays-Bas, est très étroit;
en outre, il est encore rétréci par la zone de terrains inondables
étendus au Nord de Saint-Nicolas. Cette bande de terrain est la ligne
de retraite de l'armée belge vers l'Ouest, dans le cas où elle voudrait
évacuer Anvers pour aller tenir campagne dans les deux provinces de
Flandre ou en France; aussi les Allemands ont-ils tenté des efforts
inouïs pour franchir l'Escaut et faire du côté de l'Ouest le blocus
de la place. De là leur acharnement contre Termonde, qui possède les
derniers ponts fixes sur le fleuve, et l'incendie de cette pauvre
ville, coupable d'avoir empêché tous les mouvements de l'ennemi.

[Illustration: Les Hauts de Meuse et la Woëvre.]

La ligne de l'Escaut a pu être préservée jusqu'ici; en ce moment c'est
celle de la Nèthe qui est l'objet des attaques; mais, pour aborder la
rivière, il faut d'abord s'emparer des forts de sa rive gauche; de là
ces attaques furibondes contre les forts de Wawre, de Waelhem et de
Koningshoyekt. Jusqu'à présent, il ne semble pas qu'elles aient été
couronnées de succès; au contraire, soit les forts, soit les sorties de
la garnison, ont causé des pertes terribles aux Allemands. Mais ceux-ci
ne sont pas avares du sang de leurs soldats: des milliers d'hommes
peuvent tomber, des milliers d'autres sont amenés sous le feu des
canons.

A cela se bornent les renseignements sur la Belgique, mais de grands
mouvements de troupes ennemies ont dû avoir lieu dans le Sud des
Flandres, puisque les Allemands ont franchi la frontière belge en
traversant la Lys.


LES ARMÉES RUSSES

En Russie, les événements se sont précipités. On pouvait croire
que les Allemands n'allaient pas tarder à atteindre le cœur de la
Pologne; ils avaient pénétré jusqu'aux abords du Niémen et menaçaient
d'atteindre Kovno, au Nord, Grodno, au Sud, puis, près de la Narèw,
Bielostok. Vilna paraissait le but; plus au Sud c'était Varsovie.
A suivre sur la carte la marche allemande, on pouvait craindre le
refoulement des Russes vers l'intérieur; déjà, les Allemands avaient
amené l'artillerie de siège autour de la place forte d'Ossowetz, sur la
rivière Bobr, dont la prise pouvait les rendre maîtres des chemins de
fer conduisant au cœur de la Pologne.

Tout à coup, tout a changé, les généraux russes qui attendaient sur
les bords du Niémen, bousculent les têtes de colonnes allemandes,
rompent à coups de canon les ponts jetés sur le fleuve, puis, prenant
l'offensive, chassent les armées qui se croyaient déjà victorieuses des
villes où elles étaient parvenues. Ainsi fut dégagée Mariampol, ainsi
fut reprise Souvalki; un autre chef-lieu de province, Augustovo, où
paraît s'être fait le plus grand déploiement allemand, fut le théâtre
d'une sanglante bataille qui dura près d'une semaine. Mais la victoire
a été complète, l'armée allemande, coupée en deux tronçons, a été
écrasée; autour d'Augustovo, l'un d'eux aurait perdu 60.000 hommes.
Ce fut alors une véritable déroute, les Allemands ont dû repasser la
frontière et pénétrer en désordre dans la région lacustre de la Mazurie
(Mazurenland) où, une première fois, ils avaient été battus.

D'autres succès ont marqué l'offensive russe au Sud de la Pologne,
dans ces régions de Lodz et de Kielce que l'invasion allemande avait
atteintes, et l'on pressent que des masses formidables, descendant de
Varsovie, vont refouler les envahisseurs sur Cracovie où se prépare une
rencontre peut-être décisive.

Les Russes, tout en poursuivant le siège de la grande forteresse de
Przemysl, s'avancent en même temps vers Cracovie par la route de l'Est;
on calcule que deux millions d'hommes se heurteront bientôt à ces
confins de la Galicie et de la Silésie.

Nos alliés n'ont pas ce seul objectif, ils ont franchi les Karpathes
sur plusieurs points, atteint quelques villes importantes des pays
slaves--Ruthènes--opprimés par les Hongrois, et se préparent à marcher
sur Budapest.


DANS LES BALKANS

Les Serbes et les Monténégrins ne restent pas inactifs. En même temps
que les Autrichiens, contenus sur le Danube et la Save, en arrivent à
abandonner leur grotesque bombardement de Belgrade, les deux petits
royaumes alliés pénètrent hardiment en Bosnie et Herzégovine, leur
domaine de demain. Sarajevo, capitale de la Bosnie, entourée par eux,
ne tardera pas à tomber.

La place nous manque pour parler des événements de l'Adriatique, nous
y reviendrons bientôt. Disons seulement que le blocus de cette mer est
effectif et que l'occupation des bouches de Cattaro paraît imminente.

  ARDOUIN-DUMAZET.



LE COMTE ALBERT DE MUN


Le comte Albert de Mun, membre de l'Académie française, député du
Finistère, l'un de nos plus grands orateurs, l'un de nos meilleurs
écrivains, est mort subitement à Bordeaux dans la nuit de lundi à
mardi dernier. Celui qu'on avait nommé le «Cuirassier blanc» n'avait
guère changé depuis les jours où, jeune lieutenant de chasseurs, il
défendait Metz contre l'armée prussienne, jusqu'à hier où, condamné au
repos laborieux par ses soixante-treize ans, il ne défendait plus notre
patrie que par la plume.

Quand le mal eut éteint sa voix, il continua d'accomplir son devoir
en écrivant, et c'était la même éloquence, la même force, la même
opiniâtreté. Ses convictions illuminaient sa prose comme elles avaient
enflammé ses discours.

Il avait la stature héroïque et martiale des cavaliers intrépides. Il
avait l'esprit ardent, la parole harmonieuse mais vibrante. C'était
un combattant, toujours, même dans sa foi de catholique fervent, même
dans sa générosité, sa charité, sa pitié. Ses adversaires l'estimaient
sincèrement; d'aucuns durent l'aimer. Quand il reprit sa place à la
Chambre, d'où la maladie l'avait momentanément éloigné, il fut salué
par toute l'assemblée émue et Jean Jaurès, dressé à son banc, lui
adressa de la voix et du geste un sonore témoignage d'admiration et de
respect.

[Illustration: Le comte Albert de Mun.--_Phot. Nadar._]

Les condoléances que reçoit Mme la comtesse de Mun disent assez quelles
étaient les vertus du Français que le pays vient de perdre. Le Pape, le
cardinal Amette, le président de la République et même le rédacteur en
chef de l'_Humanité_ se rencontrent ou se suivent dans l'expression de
cet hommage. Ses amis, ses confrères de l'Académie viennent aussi sur
sa tombe témoigner de leur regret pieux. M. Frédéric Masson salue le
«grand chrétien». M. Paul Bourget lui rend les derniers devoirs dans
un article qui est aussi émouvant par son ton de sincérité que par
l'élégance de sa forme: «Les qualités de l'artiste en parole, dit-il,
étaient incomparables chez de Mun. Il n'était pas besoin de la tribune
pour qu'il les déployât. Que de fois, dans nos séances de l'Académie,
j'ai admiré en lui cette puissance du verbe animé à l'occasion d'un
débat auquel il prenait part!» Et sur l'homme même: «Chez Albert de
Mun, la sérénité d'une existence vécue pleinement se reconnaissait à
la bonne grâce, à l'aménité qu'il savait conserver à travers tous les
désaccords.» Et pourtant, le sort ne le comblait point de ses faveurs:
«Il est dur, il est cruel d'appartenir à une cause toujours vaincue,
lorsqu'on sent que l'on porte en soi un homme d'Etat qui n'aura pas
son heure. Quel ambassadeur eût fait un Albert de Mun, avec les dons
de finesse qu'il avait aussi, avec ses façons de grand seigneur aimable
et sa séduction faite de grâce, de tact et de fermeté.»

Il continuait son apostolat patriotique avec une virile énergie. Ses
trois fils, qu'il avait formés à son exemple, combattaient aux armées.
Lui, dans sa retraite, écrivait chaque jour une page éloquente que
l'_Echo de Paris_ publiait et où le public haletant trouvait à calmer
son angoisse, à raffermir sa volonté. Il est mort pour ainsi dire
sur le champ de bataille même, face à face avec ces ennemis qu'il
avait affrontés déjà quand il avait trente ans. Sa mort met en deuil
non seulement tous ceux qu'animent sa foi religieuse et ses espoirs
politiques, mais tous les Français. Car en ces jours de guerre, tous
les sentiments et toutes les idées se confondent, la foi avec le
courage, le spiritualisme avec le patriotisme.



OBUS ET SHRAPNELLS ALLEMANDS


Le dernier rapport du général French nous a fourni des détails
pittoresques sur les effets de l'artillerie allemande, et,
principalement, sur ceux des howitzers lourds de campagne, qui lancent
des obus d'un diamètre de 21 centimètres. Ces énormes projectiles font
plus de bruit que de mal, dit le rapport. Ils ne sont dangereux que
pour les êtres ou les objets placés dans leur «sphère de contact». Ils
explosent, en touchant le sol, avec un fracas terrifiant, et creusent
une sorte de cratère assez vaste pour qu'on puisse y enterrer cinq
chevaux. Mais leurs éclats font gerbe en une seule direction, au lieu
d'être projetés en tous sens comme ceux de notre obus de 75, si bien
que des officiers français ont pu conter que ces projectiles, tombant à
moins de deux mètres de distance, n'avaient eu d'autres résultats que
de les recouvrir de poussière. Au moment de l'explosion, le projectile
dégage une épaisse fumée noire qui affecte la forme d'une colonne ou
d'un bouquet, d'où les sobriquets que lui ont décernés les troupiers
anglais: _coal-boxe_ (boîte à charbon) _Jack-Johnson_ (en souvenir du
champion nègre), _Black-Maria_ (la Marie-Noire).

Comme le constate le général French, les Allemands semblaient compter
sur l'impression démoralisante que ces gros projectiles devaient
produire sur nos troupes, autant par le fracas de l'explosion que par
les sifflements sinistres qui accompagnent leur trajectoire. Leurs obus
de 210 auront eu ce résultat d'enrichir l'argot de «Tommy Atkins».

La seconde de nos photographies, prise le 4 octobre, au moment où
les Allemands bombardaient les forts d'Anvers avec un redoublement
d'énergie, montre le flocon de fumée grise, curieusement déchiqueté,
que produisent les shrapnells alors qu'ils explosent à 50 ou 100 mètres
au-dessus du sol en projetant en cône, comme une pomme d'arrosoir,
une pluie de balles sphériques qui rappellent, par leur grosseur, les
billes des écoliers.

[Illustration: LA FUMÉE D'ÉCLATEMENT DES PROJECTILES ALLEMANDS

Colonnes de fumée noire d'un obus d'artillerie lourde de 210.]

[Illustration: Bombes de fumée grise des shrapnels de 77 ou de 105.]



  TABLE

                                                                PAGES.

  LES GRANDES HEURES                                               258

    Une autre vie                                                  258

  LA NEUTRALITÉ HOLLANDAISE                                        258

  M. POINCARÉ AUX ARMÉES                                           259

  LE CRIME DE REIMS                                                270

    Un témoignage sur le bombardement et l'incendie de la          270
      cathédrale

  Mme MACHEREZ, «MAIRE» DE SOISSONS                                270

  LA DIXIÈME SEMAINE DE GUERRE                                     274

    Entre l'Oise et la Somme                                       274

    Au nord de la Somme                                            274

    De Reims à la Woëvre                                           274

    En Belgique                                                    274

    Les armées russes                                              275

    Dans les Balkans                                               276

  LE COMTE ALBERT DE MUN                                           276

  OBUS ET SHRAPNELLS ALLEMANDS                                     276


                   *       *       *       *       *


  Liste des modifications:

  Page 268: «Watherouse» par «Waterhouse» (M. T. Holden Waterhouse)
  Page 270: «réquisisitions» remplacé par «réquisitions» (les plus
              fantastiques réquisitions)
  Page 276: «leurs» par «leur» (leur grotesque bombardement de Belgrade)
  Page 276: «Atkin» par «Atkins» (l'argot de «Tommy Atkins».)





*** End of this LibraryBlog Digital Book "L'Illustration, No. 3736, 10 Oct 1914" ***

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