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Title: Chronique du crime et de l'innocence, t. 1-8 - Recueil des événements les plus tragiques;.. Author: Champagnac, J.-B. J. (Jean-Baptiste Joseph) Language: French As this book started as an ASCII text book there are no pictures available. *** Start of this LibraryBlog Digital Book "Chronique du crime et de l'innocence, t. 1-8 - Recueil des événements les plus tragiques;.." *** Au lecteur: Voir les Note de Transcription et Table des Matières en fin de livre. CHRONIQUE DU CRIME ET DE L'INNOCENCE. IMPRIMERIE DE MOQUET ET Cie, rue de la Harpe, n. 90. CHRONIQUE DU CRIME ET DE L'INNOCENCE; Recueil des Événemens les plus tragiques, Empoisonnemens, Assassinats, Massacres, Parricides, et autres Forfaits, commis en France, depuis le commencement de la monarchie jusqu'à nos jours, disposés dans l'ordre chronologique, et extraits des anciennes Chroniques, de l'Histoire générale de France, de l'Histoire particulière de chaque province, des différentes Collections des Causes célèbres, de la Gazette des Tribunaux, et autres feuilles judiciaires. PAR J.-B. J. CHAMPAGNAC. Tout ce qui me fait peur m'amuse au dernier point. C. DELAVIGNE. _Ecole des Vieillards._ Tome Huitième. Paris. CHEZ MÉNARD, LIBRAIRE, PLACE SORBONNE, N. 3. 1833 ULBACH, OU LA BERGÈRE D'IVRY. Ulbach, après avoir perdu sa mère à l'âge de douze ans, après avoir passé quelque temps à l'hospice des Orphelins à Paris, après avoir été condamné, comme vagabond, à rester pendant dix-huit mois dans une maison de correction, était entré au service du sieur Aury, marchand de vins traiteur aux _Nouveaux-Deux-Moulins_. Là, il avait eu occasion de connaître une jeune fille d'environ dix-neuf ans, qui était domestique chez la veuve Detrouville, rentière, demeurant avenue et commune d'Ivry. Cette fille, nommée Aimée Millot, venait, plusieurs fois par semaine, apporter des œufs chez le sieur Aury, et gardait habituellement des chèvres sur le boulevard extérieur, du côté de sa maison. Ulbach avait conçu pour elle une passion violente; et ils avaient de fréquentes entrevues. Mais au mois de janvier 1827, la veuve Detrouville s'étant aperçue de cette intrigue, fit de sages représentations à la jeune Millot, en lui signifiant qu'elle ne la garderait pas chez elle, si elle ne rompait toute relation avec Ulbach. Aimée promit à sa maîtresse de lui obéir, et s'engagea même à rendre à Ulbach plusieurs petits cadeaux qu'elle avait reçus de lui. Fidèle à sa promesse, elle déclara à ce jeune homme qu'il fallait absolument qu'ils cessassent de se voir. Ulbach était naturellement jaloux; cette déclaration de celle qu'il aimait ne fit qu'exciter davantage encore sa jalousie. Il refusa de prendre les objets qu'Aimée voulait lui restituer. Son humeur devint triste et sombre; il négligeait son service; tout ce qui avait trait à des procès criminels, et particulièrement à des assassinats, faisait sur lui la plus vive impression; il lisait avidement tous les journaux où se trouvaient les détails de crimes venus à sa connaissance. Son agitation, après ces lectures, était extrême; et plusieurs fois, il lui arriva de dire à Herbelin, son camarade: «C'est un grand malheur! on ne sait pas ce que Dieu nous garde: je crois que je finirai sur l'échafaud.» Puis, avec le maintien et le ton des crieurs publics, il prononçait lui-même son arrêt de mort. Souvent les accès d'une gaîté extraordinaire succédaient à ces sombres pressentimens; puis bientôt Ulbach redevenait taciturne et versait des larmes en abondance. Le vendredi 25 mai 1827, Aimée Millot ayant été envoyée par sa maîtresse, sur les trois heures après-midi, chez une grainetière établie dans l'avenue d'Ivry, Ulbach l'aborde, l'air hagard, la figure toute décomposée; mais la jeune fille lui dit très-expressément qu'elle ne peut lui parler: de là, elle se rend sur le boulevard des Gobelins, où l'avait devancée Julienne Saumon, qui souvent gardait les chèvres avec elle. Bientôt après, toutes deux sont accostées par Ulbach, qui lie conversation avec Aimée et chemine quelque temps avec elle. Julienne Saumon, voyant alors qu'un orage allait éclater, et entendant même déjà les roulemens lointains de la foudre, appelle sa compagne et l'engage à rentrer au logis. _Elle ne s'en ira pas!_ répond Ulbach, et en même temps il assène à Aimée Millot plusieurs coups de poing dans le dos et la renverse par terre; puis, tirant de sa poche un couteau, il lui en porte plusieurs coups. La jeune Saumon, seule témoin de cet attentat, ne put que crier: _A la garde!_ Elle vit alors Ulbach prendre la fuite à toutes jambes; puis, s'étant approchée de son amie, elle aperçut l'infortunée baignant dans son sang, et qui ne put que lui adresser ces paroles: _Ma petite Julienne, je suis morte! va chercher madame._ Ce meurtre fut commis dans la rue Croulebarbe. Aussitôt l'autorité fut avertie de cet événement tragique. Des hommes de l'art furent appelés; le couteau, qui avait servi d'instrument au crime fut trouvé dans une blessure faite au bas de l'épaule gauche: il y était resté enfoncé jusqu'au manche. La malheureuse victime expira au bout d'une heure; l'autopsie du cadavre fit connaître que la mort avait été le résultat de trois blessures qui, traversant la poitrine, avait attaqué les poumons. Cependant, immédiatement après son crime, Ulbach s'était rendu chez la femme Champenois, marchande de mottes, rue des Lyonnais. Il y était arrivé pâle, défait, tout trempé par la pluie qui tombait par torrens. Il avait dit qu'il venait de la barrière du Maine, et qu'il avait tant couru, qu'il en avait un point de côté. Les deux fils de cette femme et un troisième individu se trouvaient là. «Si on te donnait, dit Ulbach à l'un deux, un coup de couteau entre les épaules, crois-tu que cela te ferait mourir?» Le nommé Bergeron à qui il adressait cette question lui répondit affirmativement, et lui demanda s'il avait l'intention de faire un mauvais coup. Ulbach eut l'air de sourire, et s'éloigna. Il écrivit ensuite une lettre à la fille Aimée Millot, et mit dans cette lettre un anneau qui lui venait d'elle; puis, l'ayant cachetée avec de la cire noire, il alla lui-même la porter à la poste. Cette lettre, qui fut reproduite au procès, était conçue en ces termes: «Mademoiselle, je vous envoie deux mots pour vous remettre l'anneau que vous m'avez demandé dans la lettre précédente. Je vous l'envoie, mais c'est après vous avoir donné la mort. Je n'ai qu'un regret, c'est de vous avoir manquée. Adieu, perfide! l'échafaud m'attend, mais je meurs content de t'avoir punie de ton crime. «Tout à toi, «_Ulbach_. «Mort! haine et vengeance!...» Ulbach écrivit ensuite à la femme Champenois qu'il s'était rendu coupable du plus grand des crimes; qu'il avait assassiné une fille aussi innocente qu'il était criminel; qu'une jalousie féroce l'avait poussé à commettre ce forfait et qu'il l'expiait bien par ses remords. Le surlendemain, Ulbach écrivit aussi à la veuve Detrouville une lettre ainsi conçue: «Madame, c'est à vous que je dois l'excès où je me suis livré; oui, c'est à vous à qui je dois la perte d'une épouse toujours chère à mon cœur. Plusieurs fois, ces mots s'étaient échappés de notre bouche, et nous étions heureux. Mais vous, femme acariâtre, vous seule vous mettiez entrave à notre félicité. Ce fer vous était réservé; mais songez que vous ne l'échapperez pas, si vous ne faites ce que je vous prescris. Puisque je ne puis rendre les derniers devoirs à mon épouse, faites-le pour moi; songez bien de faire ce que je vous prescris de faire. Je vous envoie cinq francs; rendez-vous de suite à l'église d'Ivry, et faites-lui dire une messe en l'honneur de ses malheurs et des miens. Je demande vos égards, car je suis plus à plaindre qu'à blâmer. Toutes vos recherches seront infructueuses. Le moment où vous recevrez ma lettre, je serai pour jamais englouti dans le néant. «Signé _Ulbach_. «P. S. Que cette lettre reste secrète entre vous et moi: voilà la seule grâce que je vous demande. Le remords me déchire..... Je ne peux vivre davantage sans crime.» Cependant on faisait les recherches les plus actives pour découvrir la retraite d'Ulbach. Le 3 juin, un jeune homme se présenta chez le commissaire de police du quartier du Marché-aux-Chevaux. Il avait l'air égaré, et demanda, d'une voix entrecoupée, des renseignements sur l'assassinat de la jeune bergère d'Ivry. Comme on lui demanda quels étaient ses motifs pour faire de semblables questions, il répondit: _C'est que c'est moi qui suis l'auteur de cet assassinat!_ Il ajouta qu'il avait acheté le couteau, instrument de son crime, chez un ferrailleur de la rue Descartes; qu'il ne s'était nullement caché après son forfait; que, le jour, il errait de côté et d'autre, et passait la nuit dans des maisons garnies près du Palais-Royal. «J'ai lu, dit-il ensuite, dans un journal, qu'un jeune homme avait été arrêté. Je ne veux pas avoir à me reprocher la mort ignominieuse d'un innocent; cela l'emporte sur l'instinct de ma conservation, et, pour garantir celui-là du sort dont il est menacé, je suis venu me livrer entre vos mains.» Ulbach réitéra plusieurs fois ses aveux dans l'instruction; il déclara qu'il avait eu également des projets d'homicide sur la veuve Detrouville, et qu'il regrettait de ne les avoir pas mis à exécution, parce que c'était elle qui avait imposé à Aimée Millot le sacrifice de ses liaisons avec lui. Ulbach comparut devant la Cour d'assises de la Seine le 27 juillet. Une affluence considérable de spectateurs de tous les rangs et de toutes les classes de la société attestait l'intérêt universel qu'inspirait cette déplorable affaire. Tous les regards étaient avides de voir l'accusé. C'était un jeune homme d'une constitution frêle, pâle et abattu, qui paraissait à peine sortir de l'enfance, quoiqu'il fût âgé de vingt ans. Pendant la lecture de l'acte d'accusation, Ulbach demeura constamment la tête basse, le sourcil froncé, l'œil fixe; ses deux mains étaient appuyées sur ses genoux. A son immobilité parfaite, on l'eût pris pour une statue de cire, si quelques soupirs convulsifs, qu'il cherchait à étouffer, n'eussent trahi, par instans, les cruelles émotions de son ame. L'interrogatoire d'Ulbach fut long et pénible pour le président. L'accusé ne faisait pas de réponse à la plupart de ses questions, ou niait un assez grand nombre de faits qu'il avait avoués dans l'instruction. Il convenait bien de son crime; mais ses réponses tendaient à écarter toute idée de préméditation. Il disait qu'il avait frappé Aimée Millot à la suite d'une vive discussion qu'il avait eue avec elle. Dans l'instruction, il avait dit que son forfait était le résultat de la violente jalousie que lui avait inspirée un jeune homme qui, tous les dimanches, allait se promener avec Aimée; et maintenant il affirmait qu'il n'avait été nullement jaloux. On lui rappela l'expression atroce dont il s'était servi lorsqu'on l'avait interrogé sur le motif qui lui avait fait demander au nommé Bergeron _si un coup de couteau donné entre les deux épaules pouvait donner la mort_? «J'ai tenu ce propos, répondit l'accusé, pour savoir si dans mes trois coups, _il y en avait un de bon_.» Le président donna ensuite lecture des lettres, écrites par Ulbach à la fille Aimée Millot et à la dame veuve Detrouville; le lecteur les connaît déjà. En voici une troisième qui fut également lue à l'audience. L'accusé l'avait adressée au fils de la femme Champenois, le lendemain de son crime. Elle était conçue en ces termes: «Mon ami, le malheur ne m'a jamais abandonné depuis ma naissance. J'ai toujours été la cause du malheur de mes parens. J'étais destiné à porter ma tête sur l'échafaud..... Ce moment fatal est arrivé. Je me suis rendu coupable du plus grand des crimes. J'ai tué une fille innocente. La jalousie farouche m'a poussé à accomplir ce fatal dessein..... Je ne suis pas encore arrêté..... J'expie mon crime par les remords..... Je suis anéanti..... Je ne puis plus me supporter moi-même. Je n'ai pas le courage de me donner la mort..... J'attends avec impatience mon arrêt. Ah! je suis plus à plaindre qu'à blâmer. Ayez compassion de votre malheureux ami; mais je ne mérite plus ce titre. «Je vous embrasse pour la vie. Souhaitez bien le bonjour de ma part à votre mère..... ne m'oubliez pas..... «_Ulbach_, pour la vie. «_P. S._ Ah! que le criminel est à plaindre! Je ne puis plus me supporter. Je suis anéanti à tous les regards de tout le monde.» Pendant la lecture de ces diverses lettres, Ulbach fut constamment préoccupé d'une idée autre que celle du crime dont on l'accusait; ses regards erraient avec une attention marquée sur l'auditoire; il semblait y chercher quelqu'un. On eût dit, à voir ses sourcils froncés, ses traits contractés, qu'il tâchait de découvrir celle qu'il regardait comme la cause des refus de sa victime, ou que, dans la partie la plus reculée de l'auditoire, il espérait rencontrer son rival. Tantôt il se penchait, tantôt il se haussait sur les pieds, et paraissait étranger à tout ce qui se passait autour de lui. Durant toute la déposition de la dame Detrouville, Ulbach lança sur elle les plus sinistres regards; ses mains tremblaient; il pouvait à peine contenir sa rage; et dans un moment, serrant ses deux mains et grinçant les dents, il dit d'une voix étouffée: _Ah! si je te tenais!_ Le ministère public soutint l'accusation avec une énergie qui excita plusieurs fois une vive émotion dans l'auditoire. La tâche du défenseur de l'accusé était difficile. Le crime était avéré et avoué. L'achat d'un couteau à gaîne pour le commettre, attestait la préméditation. Aussi l'avocat s'attacha-t-il surtout à établir qu'Ulbach, possédé par une passion, n'avait plus été maître de sa raison, et que son crime n'avait été que l'état momentané d'un accès de jalousie. Tandis que le jury délibérait sur son sort, Ulbach se fit servir à dîner, et mangea avec l'appétit d'un prévenu qui aurait entendu prononcer son acquittement. Après une heure de délibération, le jury fit connaître sa réponse qui était affirmative sur l'homicide comme sur la préméditation. Ulbach entendit la déclaration des jurés et son arrêt de mort, sans manifester la moindre émotion; ses yeux avaient même perdu quelque chose de leur expression sinistre. Il paraissait étranger aux sentimens de terreur et de pitié qui agitaient l'auditoire et les juges eux-mêmes. Quand le président lui dit qu'il avait trois jours pour se pourvoir en cassation, Ulbach se levant et faisant un geste impératif et dédaigneux, s'écria: _Je n'en rappelle pas!_ et se retira d'un pas ferme et rapide. Immédiatement après sa condamnation, Ulbach fut, selon l'usage, mis au cachot et revêtu de la camisole des condamnés. Pendant cette opération, qui produit ordinairement une impression profonde sur ces malheureux, il ricanait et affectait la plus froide indifférence. Plusieurs personnes vinrent le visiter pour l'exhorter à former son pourvoi; mais toutes leurs instances étaient infructueuses. Ulbach les accueillait avec une complète insensibilité et se contentait de répondre: «Je veux mourir tout de suite..... Me pourvoir serait une lâcheté.... J'ai du courage, et je le prouverai.» Son défenseur seul, M. Charles Duez, parvint, après beaucoup d'efforts, à le faire changer de résolution. S'étant aperçu que cette résistance opiniâtre provenait d'un sentiment de fanfaronnade, bien concevable d'ailleurs de la part d'un jeune homme de vingt ans, il donna un autre tour à ses conseils, et prit Ulbach par sa propre faiblesse. Il s'efforça de lui persuader qu'il montrerait beaucoup plus de courage et de force d'âme en attendant l'instant fatal pendant trente ou quarante jours sans se démentir, qu'en ayant l'air de se laisser aller à un premier mouvement de désespoir, et de vouloir courir à la mort, comme pour n'avoir pas le temps d'y réfléchir. Ulbach, ébranlé par ces considérations, consentit enfin à se pourvoir. Un dernier trait prouva que l'avocat avait bien lu dans le cœur de son client. «Mais surtout, dit Ulbach à son défenseur, dites bien à tout le monde, et faites publier dans les journaux, que si je me suis pourvu, ce n'est pas par crainte de la mort.» Le 24 août, la Cour de cassation rejeta le pourvoi d'Ulbach, et le jugement fut exécuté le 10 septembre 1827. La position sociale d'Ulbach dont la naissance était enveloppée d'une mystérieuse obscurité, le triste abandon de son enfance, son extrême jeunesse, la violence de sa passion, devaient exciter quelque intérêt. Ses derniers momens, auxquels présidèrent le repentir et la religion, furent aussi de nature à atténuer l'horreur de son crime. Ce fut à Bicêtre, et quelques jours avant de monter sur l'échafaud, qu'il fit sa première communion. Ramené dès-lors à des idées plus saines, à de plus louables sentimens, il écrivit deux lettres touchantes, l'une à son ancien maître, l'autre à la maîtresse de sa victime, à celle-là même à laquelle, pendant les débats, il lançait des regards pleins de haine et de vengeance. Dans un entretien qu'il eut avec son défenseur, il lui disait: «Dès mon enfance, je sentais déjà du dégoût pour la vie. Je voyais les autres jouir des caresses de leurs parens, et je n'avais ni père, ni mère... Je m'étais attaché à cette Aimée.... Elle était tout pour moi; je ne tenais qu'à elle dans le monde. Puisqu'elle n'est plus, je mourrai sans regret.» Avant de terminer, nous paierons aussi notre tribut à la mémoire de la malheureuse victime du malheureux Ulbach. Aimée était une jeune fille de dix-huit ans, d'un caractère excellent, douée des plus heureuses qualités, ayant toujours eu une conduite irréprochable. Sa maîtresse fit son éloge et la pleura en présence des juges de son assassin; et sa vertu fut consacrée par un monument populaire, qui fut élevé sur le lieu même où elle reçut le coup mortel de la main de son amant. REINE ORCEL, PRÉCIPITÉE DANS L'ISÈRE PAR SON AMANT. Sur la fin de 1826, les rivages de l'Isère, tout récemment ensanglantés par l'horrible attentat de Mingrat, furent souillés de nouveau par un meurtre dont plusieurs circonstances rappelèrent à tous les esprits le souvenir de la catastrophe épouvantable de Marie Charnalet. Joseph Vincendon, du village de Plau, âgé de vingt-six ans, était instituteur primaire à Beaucroissant, à cinq lieues de Grenoble. Doué d'un physique agréable, il employait ce funeste avantage à séduire les jeunes filles de sa commune. Le maire et le curé, avertis du désordre de sa conduite, avaient arrêté que ce misérable serait renvoyé aussitôt après l'hiver dans lequel on allait entrer. Reine Orcel, parente éloignée de Vincendon, fut une des victimes de sa lubricité. Cette fille, par la douceur de son caractère, s'était concilié l'amitié de tous les habitans de son village; jusque-là sa conduite avait été irréprochable; elle avait même des habitudes pieuses. Mais elle fut assez faible pour ajouter foi à une promesse de mariage que lui fit son parent, et sa crédulité eut bientôt des suites qu'un prompt hymen aurait pu seul réparer. Toutefois Vincendon parvint à persuader à cette pauvre fille que l'intérêt de son avancement le forçait de retarder l'accomplissement de l'union sur la foi de laquelle Reine Orcel s'était livrée à ses désirs. Il se servit de l'entremise d'une nommée Sophie Douillet, établie au faubourg Très-Cloîtres, à Grenoble, pour placer sa cousine chez la femme Morel, sage-femme dans cette ville. Reine, sous le prétexte d'entrer en service, quitta sa famille, qui ignorait sa grossesse, et partit au commencement de novembre 1826, malgré toutes les sollicitations qu'on lui adressa pour l'en détourner. Elle venait de réaliser quelque argent qui lui était dû; son petit pécule se montait à trois cents francs environ. Mais Vincendon se fit remettre cette somme, en disant à Reine: «Tu vas vivre à Grenoble au milieu d'un monde que tu ne connais pas, tu n'as pas besoin de tout cet argent; je t'en enverrai quand tu voudras.» Les parjures coûtaient peu à Vincendon. Après le départ de Reine Orcel, il entretint en même temps à Beaucroissant plusieurs intrigues qui finirent par causer des scènes scandaleuses. Cependant Reine Orcel, cachée à tous les yeux dans Grenoble, se plaisait à entretenir de sa fâcheuse position les deux seules personnes qui fussent dans la confidence de son secret, Sophie Douillet et la femme Morel. Elle leur parlait souvent de ses projets, de son mariage renvoyé à deux années, de la somme qu'elle avait amassée, disait-elle, pour l'éducation de son enfant; de Vincendon, qu'elle aimait uniquement, s'inquiétant plus des reproches dont il pourrait être l'objet, que de ceux qu'on pourrait lui faire à elle-même. Elle écrivait souvent à cet homme, le pressant de venir la voir. Le 21 décembre, Vincendon annonça à Beaucroissant qu'il allait se promener à Rives, village voisin; et au lieu de cela, il se rendit à Grenoble. Il arriva à cinq heures, nuit close, chez Sophie Douillet, qu'il pria de le conduire chez la sage-femme où était logée Reine Orcel, en déclarant qu'il n'avait pas le temps de s'arrêter, et qu'il devait repartir le soir même par la diligence. Sophie Douillet remarqua qu'il était très-pâle, qu'il paraissait inquiet et agité. Il resta à la porte de la femme Morel, sans vouloir monter, pendant que Sophie Douillet alla avertir Reine, qui arriva aussitôt. Mais Vincendon, toujours préoccupé, ne répondit qu'avec froideur aux caresses empressées de sa maîtresse; ce qui frappa d'étonnement Sophie Douillet. Tous trois ils allèrent souper dans un cabaret, sur la place des Cordeliers, près du bord de l'Isère et du quai dit _de Bordeaux_. Pendant la conversation, Vincendon qui savait sans doute que quelque temps auparavant, une sentinelle avait été postée sur ce quai solitaire pour empêcher toute communication des passans avec deux criminels condamnés à mort, dont les cachots prenaient jour de ce côté, demanda à Sophie Douillet si cette sentinelle y était toujours; mais cette fille ne put lui faire une réponse positive. Au sortir du cabaret, on se dirigea vers le logis de la femme Morel; il n'était pas encore huit heures. Vincendon fit à Sophie Douillet l'observation qu'il serait prudent qu'elle se retirât au faubourg où elle demeurait, parce que les portes de la ville allaient bientôt se fermer. La clôture des portes n'avait lieu qu'à neuf heures; Sophie avait donc largement le temps de rentrer: mais, par discrétion, elle jugea convenable de se retirer. Reine lui recommanda, en lui disant adieu, de ne pas oublier de venir la chercher le dimanche suivant pour aller à la messe. Sophie Douillet le lui promit. Dès ce moment, les ténèbres les plus épaisses couvrirent toutes les circonstances relatives à Reine Orcel. Elle ne reparut pas chez la femme Morel, et le lendemain matin, un inconnu, qui ne voulut point de salaire, disant qu'il était payé, vint remettre au domicile de Sophie Douillet une lettre signée _Reine Orcel_, et sans date. Dans cette lettre, Reine annonçait que, d'après ce que lui avait dit _la personne qu'on savait_, elle allait partir avec _lui_, pour être placée chez des amis à qui elle ne paierait rien. Elle chargeait Sophie de retirer huit francs qui se trouvaient dans sa commode, et de faire un paquet de ses effets, pour remettre le tout, lorsqu'elle le ferait demander. Cette détermination subite, si peu en accord avec la conversation de la veille, le mystère empreint sur la teneur de cette lettre, parurent à Sophie Douillet cacher quelque chose d'inexplicable. Bientôt des soupçons succédèrent à la surprise, quand on vit que les recherches dans la chambre et dans la commode de Reine ne se rapportaient pas exactement avec les indications contenues dans la lettre. Il fut décidé que Sophie Douillet se rendrait au village de Plau, et en même temps la femme Morel écrivit à Vincendon, à Beaucroissant, en termes énergiques, que Reine Orcel, laissée seule avec lui, ayant disparu, elle le rendait responsable du sort de cette malheureuse fille, et le dénoncerait s'il n'en donnait promptement des nouvelles. Vincendon reçut cette lettre à Beaucroissant, et la perdit presque aussitôt; elle fut ramassée par des enfans, qui la montrèrent à plusieurs personnes. Vincendon, à qui on demanda comment il avait pu avoir si peu de soin d'une lettre qui contenait des choses aussi graves, prétendit, en pâlissant, que c'était un de ses écoliers qui s'était amusé à l'écrire... Mais le timbre de la poste?... «Ce même écolier, dit-il plus tremblant encore, l'a fait sans doute avec un morceau de bois.» Cependant Sophie Douillet arrivait à Plau; le hasard lui fit rencontrer Vincendon, qui changea de couleur à son aspect. A ses questions, il répondit que le 21 décembre, à minuit, il se trouvait avec Reine Orcel sur le pont de pierre de Grenoble, lorsque quatre jeunes gens les avaient arrêtés, lui avaient pris dix francs, avaient arraché à Reine Orcel sa croix d'or, et qu'il croyait qu'on avait ensuite précipité cette fille dans l'Isère. Mais en même temps il recommanda avec anxiété à Sophie Douillet de taire ces circonstances aux parens de Reine, et de leur annoncer qu'elle jouissait d'une parfaite santé. Il ajoutait que, si cet événement se déclarait, il était un homme perdu, et qu'il se brûlerait la cervelle; puis, qu'il espérait que la femme Morel, quand elle serait payée de ce qui lui était dû, garderait le silence; qu'il lui enverrait pour cela son frère qui retirerait les effets de Reine Orcel et les jetterait dans l'Isère. Il terminait ses divagations incohérentes, en proposant à Sophie Douillet de le suivre, au moyen de papiers qu'il se procurerait, en pays étranger, où il l'emmènerait avec lui. Mais Sophie Douillet le quitta pour aller rendre compte à la famille de Reine Orcel de la disparition de cette jeune fille. Dès ce moment, une clameur générale signala Vincendon comme l'assassin de Reine Orcel. Dès-lors aussi, les terreurs du châtiment s'emparèrent de cet homme, et ne lui laissèrent plus un seul instant de repos. Il devint sombre, et l'on remarquait que sa figure était toute décomposée. Le 31 décembre, son frère vint le trouver à Beaucroissant, et le mena dîner à l'auberge avec deux autres personnes de Plau; ils demandèrent une chambre, où on les entendit pleurer. L'aubergiste voulut questionner Vincendon; mais celui-ci ne pouvant répondre, se jeta sur un lit, en lui faisant signe d'interroger son frère. Alors ce dernier raconta la mort tragique de Reine Orcel par la main de trois brigands... Le même jour, Vincendon se rendit à Plau dans sa famille. Mais les esprits y étaient déjà fortement prévenus contre lui: le mari de la femme Morel y était arrivé le matin; il venait de Grenoble faire part à la famille Orcel de ses soupçons sur Vincendon. Effrayé à la nouvelle de cette accusation, celui-ci retourna à Beaucroissant le lendemain de très-bonne heure. Ce jour-là (1er janvier 1827), il le passa tout entier chez la femme Goubet qui habitait la même maison que lui. Le récit de cette femme offre des traits remarquables. Revenant de la messe, elle trouva Vincendon chez elle, assis auprès du feu. Il était pâle et défait; elle lui en demanda la cause. «—J'ai tant entendu pleurer hier soir, répondit-il, que cela m'a tué. «—Comment! Est-ce que votre mère serait morte? «—Non, mais cela la tuera bien. «—Mais, mon Vincendon, qu'est-il donc arrivé? «—Vous vous souvenez sans doute du jour, où j'allai me promener à Rives? Eh bien, je partis pour Grenoble, afin de rendre un service à un cousin-germain, ce qui m'a toujours porté malheur, parce que je suis trop bon. Il m'avait chargé de remettre à une fille de mon pays, enceinte de lui, une somme de cinquante fr.» Alors Vincendon raconta qu'il avait remis les cinquante fr. à Reine Orcel, dans un café, en présence de trois jeunes gens qui, au sortir du café, les suivirent sans être aperçus, les assaillirent sur le pont de pierre, et après les avoir volés, précipitèrent Reine par-dessus le parapet dans l'Isère. «Plût à Dieu, ajoutait-il, que j'eusse été précipité avec elle!—Mais n'avez-vous pas appelé _à la garde!_ crié _au secours!_—Je n'avais point vu de factionnaire sur le pont, et d'ailleurs je fus si troublé, que je n'osai rien dire. Je me rendis à la diligence de Lyon, où je me fis enregistrer sous un autre nom que le mien, et j'arrivai à trois heures du matin à Beaucroissant, sans qu'on se fût aperçu de mon absence.» Tout le reste de cette journée-là, Vincendon resta chez la femme Goubet. Il pleurait sans relâche, dit-elle, et paraissait cruellement tourmenté, ne voulant prendre aucune nourriture. Malgré le soupçon que la dernière circonstance du récit avait fait naître dans son esprit, la femme Goubet lui adressait de temps en temps la parole en lui disant: _Enfin, mon pauvre Vincendon, si vous n'êtes pas coupable, la Providence vous protégera_. Mais à ces paroles de consolation, Vincendon ne cessait de répondre par des expressions de désespoir: _Je sais bien d'avance comment cela ira_, disait-il; _je suis un homme perdu!_ Sur les huit heures du soir, son frère vint le chercher. En sortant de la maison, Vincendon s'écria à plusieurs reprises, en pleurant: _Adieu! Beaucroissant, adieu!_ Vincendon, pendant les jours qui suivirent, se tint caché dans les environs, se faisant passer pour un déserteur et changeant d'asile quand il craignait d'être arrêté; sa famille eut soin de répandre le bruit qu'il s'était donné la mort. Enfin, il s'entendit avec un de ses voisins nommé Jean Caillat, jeune soldat appelé sous les drapeaux; il se présenta à sa place, prit sa feuille de route, et fut dirigé sur le dix-septième régiment d'infanterie légère, en garnison à Dunkerque; mais son brevet de capacité pour l'enseignement primaire, trouvé sur lui, le trahit. Il fut arrêté; il avoua qu'il avait été poursuivi à l'occasion d'une jeune fille appelée Reine Orcel, mais qu'il ne savait de quel crime il était accusé. Pendant qu'on le conduisait à Grenoble, ayant couché dans la prison de Tournus avec un autre soldat prévenu d'assassinat, et un autre détenu, il raconta à ses compagnons qu'il avait assassiné une fille avec laquelle il avait eu des relations; qu'après lui avoir mis un genou sur le ventre et un pied sur le cou, il lui avait arraché sa croix d'or, et pris en outre une somme de 300 francs; que, bien qu'il n'y eût pas de témoins, il voyait bien qu'il était perdu s'il ne parvenait pas à s'évader, et que dans tous les cas, il se procurerait du poison pour se faire mourir. Pendant la nuit, il essaya de couper un des barreaux de la fenêtre avec le ressort de sa montre qu'il avait démontée; mais ce ressort se cassa. Il arriva à Grenoble dans le courant de mars 1827. Cependant le cadavre de Reine Orcel avait été retrouvé pour la condamnation de son assassin. Le 25 février, un corps mort avait été vu sur les graviers de l'Isère, à une lieue de Grenoble; dans la nuit qui suivit cette découverte, des loups attaquèrent ce cadavre, en dévorèrent le ventre, les cuisses et les bras. Les vêtemens qui le couvraient, quoique horriblement souillés, comparés au signalement de la victime fourni par la justice, la firent reconnaître. Sophie Douillet, la femme Morel et son mari, mis en présence de ces tristes restes, défigurés par la putréfaction et par l'opération de l'autopsie, hésitèrent un moment; mais, à la vue des lambeaux de vêtemens, ils fondirent en larmes, et déclarèrent que c'étaient bien ceux que portait la malheureuse Reine Orcel, le jour de sa disparition. Traduit en présence des divers magistrats chargés de l'interroger, Vincendon nia une foule de circonstances, varia sur beaucoup d'autres, et persista toujours à soutenir que Reine Orcel avait dû la mort à l'attaque de plusieurs jeunes gens réunis pour la voler. Vincendon comparut, dans la première quinzaine de juillet, devant la Cour d'assises de l'Isère. Là, ses réponses donnèrent une nouvelle face à l'affaire. Il déclara que Reine Orcel, désespérée de ce qu'il ne voulait pas lui promettre de l'épouser bientôt, s'était précipitée elle-même dans les flots de l'Isère. Ce nouveau système de défense provoqua de la part du président une série de questions qui devaient embarrasser l'accusé. Pourquoi n'avait-il pas cherché à la sauver? Pourquoi n'avait-il pas appelé au secours? Pourquoi, si Reine s'était noyée elle-même, avait-il dit d'abord qu'elle avait été précipitée par des voleurs? Vincendon ne pouvait répondre à ces questions d'une manière satisfaisante; aussi plusieurs fois garda-t-il le silence. Il avoua néanmoins qu'il était l'auteur de la lettre signée _Reine Orcel_, que la fille Sophie Douillet avait reçue le lendemain du crime. M. Guernon-Ranville, alors procureur-général, soutint l'accusation avec une énergie puissante. Il montra que la nouvelle version adoptée par Vincendon était plus périlleuse pour lui qu'un aveu franc et loyal; qu'elle renforçait l'accusation et ôtait tout crédit à la défense: «Ainsi, dit-il, ce n'était pas assez pour cet homme d'avoir couvert de honte une famille estimable, et de l'avoir plongée dans une éternelle douleur; il fallait encore qu'il souillât la tombe de sa victime d'une odieuse accusation de suicide! Et il n'a pas frémi de ce nouveau genre d'attentat! Si l'explication de Vincendon était vraie, il faudrait le plaindre de ne pouvoir sauver sa tête qu'en flétrissant la mémoire d'une infortunée à laquelle il devait consacrer sa vie, et que sa perfidie a réduite à cette affreuse extrémité. «Mais le suicide est une lâche calomnie et une imposture ajoutée à tant d'autres. «Le suicide est en lui-même un acte d'aveugle frénésie, ou une action qui suppose l'oubli de tous les principes; or, ni l'un ni l'autre ne peuvent être admis dans la cause.» Ce magistrat combattit ensuite la supposition du suicide par l'invraisemblance des circonstances matérielles; et, après avoir montré que toutes les circonstances ultérieures se réunissaient pour confondre et accabler de plus en plus l'accusé, le procureur-général termina en réunissant les faits qui lui paraissaient établir la préméditation. Après une longue délibération, le jury fit la déclaration suivante: _Oui, Vincendon est coupable du meurtre de Reine Orcel, mais sans préméditation_. En conséquence, Vincendon fut condamné aux travaux forcés à perpétuité. Le coupable entendit son arrêt avec calme. Les débats de ce procès avaient duré trois jours. Vincendon ne se pourvut pas en cassation dans les trois jours fixés par la loi, et le quatrième, il fut flétri sur la place publique de Grenoble. Il subit cette opération infamante avec un air d'indifférence qui frappa de surprise tous les spectateurs. LE PARRICIDE DES LANDES. Jean Dauba père possédait dans la commune de Lugant deux domaines nommés Bacqué et Poncheton, distans l'un de l'autre d'environ un quart de lieue. Il demeurait dans le dernier avec son fils, sa bru et ses petits-enfans; celui de Bacqué était habité par une femme Jeanne Halibert, avec laquelle Dauba père paraissait entretenir des liaisons suspectes. Il se rendait presque tous les jours au Petit-Bacqué; il en travaillait lui-même les terres, y passait souvent la nuit, et quand il rentrait dans son domicile, il n'y arrivait jamais qu'à une heure avancée de la soirée. Ces liaisons de Dauba père avec sa locataire avaient été le sujet de fréquens reproches de la part de son fils, qui se plaignait que la maison paternelle s'appauvrissait de jour en jour au profit de la femme Halibert. D'un autre côté, Dauba père était querelleur, tracassier, et d'une probité douteuse. Il avait comparu trois fois en police correctionnelle pour voies de faits, et deux fois pour vol. Ces procès nombreux l'avaient forcé de vendre successivement différentes pièces de terre, et pour éteindre les mauvaises affaires qu'il s'était suscitées, il était sur le point d'aliéner aussi l'un de ses domaines. Dauba fils voyait de mauvais œil l'inconduite de son père, et se plaignait fréquemment de ce qu'elle exposait ses enfans à une misère prochaine. Ces causes diverses d'exaspération étaient dans toute leur force, lorsque le 15 décembre 1826, Dauba père, revenant le soir, selon sa coutume, fut atteint d'un coup de fusil tiré presque à bout portant. Quarante plombs le frappèrent à la tête; mais cette blessure n'occasiona qu'une maladie de huit jours. Une plainte fut portée par Dauba père, mais elle n'eut pas de suites; toutefois, ce coup de fusil fut imputé à Fiton, surnommé _Courroc_. Peu de jours après cette première tentative, Dauba père faisait le soir son voyage accoutumé, accompagné d'un petit chien roux, lorsque cet animal s'arrêta tout-à-coup devant un buisson contre lequel il aboya d'abord; mais il ne tarda pas à se taire, et fit succéder à ses aboiemens des mouvemens de joie, comme s'il eût aperçu quelqu'un de la maison. Et en effet, l'homme caché dans le buisson était Dauba fils, à qui son père reprocha sévèrement ce guet-à-pens. Dauba fils se retira, et comme son père fit à plusieurs personnes confidence du danger qu'il avait couru, ce fils dénaturé disait: _Mon père a eu bien peur ce soir-là. Il avait bien raison: nous étions deux lurons qui ne l'aurions pas lâché aisément._ Il dit même en parlant de cette circonstance: _Oui, j'y suis allé et j'y reviendrai s'il le faut._ Pendant l'intervalle du 15 décembre au 31 janvier, Dauba fils tint une foule de propos menaçans qui furent attestés par de nombreux témoins; il fit même à plusieurs individus des propositions de complicité. Il s'agissait toujours de _tuer_ ou _d'empoisonner_ son père. Dans la soirée du 31 janvier 1827, les nommés Garrabos et Lespez étaient assis au coin de leur feu. Tout-à-coup la détonation d'une arme à feu se fait entendre..... Ils prêtent l'oreille.... La voix d'un homme, qu'ils reconnaissent pour celle de Dauba père, parvient jusqu'à eux; un petit chien aboyait, et les chiens de leurs maisons répondaient à ses aboiemens. Ils distinguent même le bruit de coups violens portés sur le corps d'un homme. Dauba injuriait ses meurtriers; puis, il leur demandait grâce de la vie; et bientôt on n'entendit plus rien. Curieux d'éclaircir leurs soupçons, Garabos et Lespez s'acheminèrent vers la maison de Dauba, située à peu de distance de la leur, et n'y trouvèrent ni le père ni le fils; il était environ huit heures du soir. Trois heures après, Dauba fils se rendit chez un sabotier de la commune. Il était pâle, troublé, tout tremblant; et sans que l'on provoquât en rien ses confidences, il se mit à dire: «J'ai entendu un coup de fusil, beaucoup de bruit et de tapage du côté de Bacqué. Je crois qu'on a tué mon père.... oui, je crois bien qu'on l'a tué.... Vous serez peut-être ainsi que moi appelé en témoignage; dites que je suis venu ici entre six et sept heures: je vous donnerai quelque chose.» Le lendemain, 1er février, le chien de Dauba père allait et revenait sans cesse, poussant des hurlemens plaintifs, du lieu où gisait le cadavre de son maître au domaine de Bacqué, Dauba fils, qui s'y rendit dans la matinée, passa sur le lieu du crime, et le chien aboya de même quand il l'aperçut, mais il ne le suivit pas. Dans l'après-midi du même jour, le corps inanimé du malheureux Dauba fut trouvé à côté du chemin qu'il avait dû suivre pour revenir la veille, de Bacqué à sa maison. Il avait été traîné dans un fossé plein d'eau; il tenait encore dans ses mains quelques touffes des bruyères auxquelles il avait sans doute essayé de s'accrocher: le sol, fortement foulé, indiquait une lutte longue et pénible. On voyait suspendus aux broussailles une grande quantité de cheveux gris de la victime. Le cadavre portait les marques de douze blessures, dont sept à la tête. Un grand nombre de personnes se rendirent sur le lieu du crime; il fallut à plusieurs reprises presser Dauba fils d'y venir aussi. Il refusa d'aller lui-même instruire le maire de la commune de cet événement, et ce ne fut qu'après beaucoup de difficultés qu'il consentit à passer la nuit auprès du cadavre avec les autres habitans du village, en attendant l'arrivée de l'autorité. Il s'y décida enfin; et, chose incroyable, il dormit paisiblement à côté des restes sanglans de sa victime! Le lendemain, Dauba fils s'égayait au cabaret, buvait, faisait du bruit comme de coutume, et quelqu'un lui ayant dit qu'il pourrait bien être arrêté à l'occasion du meurtre de son père; il répondit: _Vous voulez peut-être dire que je l'ai tué?... Bah! mon père est sous terre, et mon père y restera!_ Dauba fut en effet arrêté; et des indices graves provoquèrent aussi l'arrestation de Fiton que le coup de fusil du 15 décembre et sa haine bien connue contre Dauba père avaient compromis. Dauba se retrancha d'abord dans un système de dénégation absolue. Mais bientôt, de lui-même, il fit appeler le procureur et le juge d'instruction et leur fit spontanément l'aveu détaillé de son crime; seulement, il soutint qu'il n'avait pas prémédité le meurtre de son père, et dénia formellement tous les discours et tous les actes qui pouvaient concourir à la preuve contraire. Ce misérable semblait croire, dans son ignorance, que l'absence de la préméditation pouvait beaucoup adoucir sa peine et que le nombre de ses enfans, avec la franchise de ses aveux, la ferait réduire à un emprisonnement plus ou moins long. Nous allons donner en substance les révélations de l'accusé. «Les liaisons de mon père, dit-il, avec Jeanne Halibert, pour laquelle ainsi que pour sa fille, il dépouillait notre maison, sont la cause première du désordre de ses affaires, de nos discussions et de mon malheur. Le soir de 31 décembre, et lorsque je sortis de chez moi, je ne pensais pas à tuer mon père. Je suivais le chemin qui conduit au Petit-Bacqué, mais pour aller à un cabaret du voisinage; je trouvai sur le bord de la route Duluc armé d'un fusil. Il me dit qu'il attendait mon père pour le tuer. Je ne lui fis ni observations ni reproches, et m'éloignai de lui de quelques pas. Trois ou quatre minutes après, mon père vint à passer; Duluc lâcha sur lui un coup de fusil qui ne l'atteignit que faiblement ou peut-être ne l'atteignit pas du tout. Mon père alors s'écria: _Je vous connais! vous allez avoir affaire à moi._ Et m'apercevant, il courut sur moi, et nous nous saisîmes aux cheveux. Pendant cette lutte, Duluc, se servant de son fusil comme d'une massue, en porta plusieurs coups à mon père qui fut renversé. Quand il fut par terre, je lui portai moi-même plusieurs coups d'une fourche de fer que je n'avais pas prise pour cet usage, et Duluc, et moi nous l'achevâmes. Le petit chien de mon père aboyait constamment. Lorsque nous crûmes que mon père était bien mort, nous le traînâmes dans un fossé plein d'eau, et nous nous séparâmes. Pour moi, dans le premier moment, je n'osai pas rentrer dans ma maison; je ne revins que fort tard, et je cachai ma fourche dans le couvert en paille d'une cabane, où depuis on l'a trouvée.» Duluc, après son arrestation, fut confronté avec Dauba qui persista dans sa déclaration. Il ajouta même que, quatre mois avant le crime, Duluc lui avait offert de le débarrasser de son père, moyennant une somme de 600 francs. Ce qui rendait la complicité de Duluc encore plus probable, c'est que Dauba père était d'une force prodigieuse, et que son fils seul n'aurait pas même osé l'attaquer. Toutefois, les débats ne produisirent aucune charge contre Duluc. Le parricide répéta devant les jurés ses effrayans aveux, avec un sang-froid inconcevable; il répéta du ton de la plus complète indifférence les détails les plus minutieux de la mort violente de son père. Sa physionomie ne changea pas une seule fois; sa voix ne fut pas un seul instant altérée. Les débats se prolongèrent pendant quatre jours. Quarante témoins furent entendus. L'accusation n'avait pas de grands efforts à faire contre Dauba; elle fut soutenue avec force contre Duluc et faiblement contre Fiton. Me Laurence, défenseur de Dauba, avait une tâche impossible à remplir; il se borna à déclarer son impuissance, et le fit avec une éloquente franchise. «Si, comme les débats le laissent voir, dit l'avocat en terminant, ce profond abrutissement fut dû à l'indifférence coupable de son père, aux déplorables exemples qu'il lui donna pendant presque toute sa vie, hélas! ce père a été bien cruellement puni. Si la stupidité grossière de l'accusé ouvrit seule et si facilement son cœur à la pensée du forfait que sa main consomma, vous le plaindrez peut-être, messieurs, sans lui pouvoir pardonner, et comme nous, vous appellerez de tous vos vœux le temps où l'instruction pourra pénétrer dans nos campagnes jusque dans la plus misérable chaumière, et en rendre les habitans meilleurs, en les éclairant.» La réponse du jury fut affirmative sur la culpabilité de Dauba, et négative quant aux deux autres accusés qui furent sur-le-champ mis en liberté. Dauba, interpellé sur ce qu'il avait à dire sur l'application de la peine, répondit qu'il suppliait la Cour d'avoir compassion de lui, à cause de ses quatre enfans, que sa femme ne pourrait pas nourrir; prière étrange dans la bouche d'un parricide! D'ailleurs il entendit son arrêt avec calme, et sans donner aucun signe visible d'émotion. INCENDIAIRE PAR JALOUSIE. Marie-Anne Jamoneau demeurait à la Foie-de-Pers, commune de Caulnay (Deux-Sèvres). Séraphin Massé, son mari, était domestique de M. de Larchenault, propriétaire, domicilié également à la Foie. Dans plusieurs circonstances, la femme Massé avait témoigné de l'animosité contre la dame de Larchenault, parce que cette dernière se plaignait de ce que Marie Jamoneau faisait aller ses chèvres dans ses propriétés. La femme Massé avait même exprimé l'intention de faire quelque chose dont les habitans de la Foie et sa propre famille pourraient se ressentir. Notamment le 27 mars 1827, sur les huit heures du soir, elle dit devant deux personnes, que le sang lui bouillait, qu'elle avait un mauvais coup à faire. Elle paraissait dans un état d'exaltation difficile à dépeindre. Environ deux heures plus tard, M. de Larchenault s'aperçut que le feu était à une petite loge, couverte en paille, qui touchait aux écuries de sa maison; il était aisé de reconnaître que cet incendie n'était pas le résultat d'un accident, mais qu'il fallait l'attribuer à la malveillance. On n'avait point porté de lumière dans ce bâtiment, et le feu avait commencé à prendre par la charpente ou la couverture. Tous les efforts que l'on fit pour l'éteindre furent inutiles; l'incendie fit des progrès et consuma entièrement la loge, deux écuries et deux granges. Pendant qu'on s'occupait à donner des secours, on vit la femme Massé, fort calme, assise sur du chaume, à peu de distance des bâtimens en proie aux flammes dévorantes. Quelques jours après, la petite de cette femme, âgée de quatre ans, dit, devant plusieurs personnes et à différentes fois, en tournant les yeux du côté des décombres incendiés: _C'est maman qui a fait brûler la grange à la dame!_ Les menaces, faites antérieurement par la femme Massé, donnèrent quelque crédit aux paroles de sa petite fille. On recueillit d'autres témoignages; et, mise en état d'accusation, cette malheureuse comparut devant la Cour d'assises des Deux-Sèvres, en juillet 1827. Six témoins furent entendus. On remarqua la déposition de madame de Larchenault, qui, après avoir rapporté les circonstances de l'événement, ajouta: «Quelques heures après la manifestation de l'incendie, la femme Brun me dit qu'il ne fallait point soupçonner d'autres personnes que la femme Massé, parce qu'elle l'avait vue dans la soirée même; qu'elle paraissait fort en colère, et qu'elle lui avait dit _que le cœur lui brûlait, que c'était fini_, qu'_elle avait un mauvais coup à faire_, et que _la maison de la Foie en dépendrait_. J'ai vu cette femme à mes côtés auprès de l'incendie; elle était dans un état impassible, immobile comme une statue. Alors je m'écriai: _Je dépaverais plutôt la France que de ne pas connaître mon ennemi!_ Plusieurs autres fois aussi, et antérieurement, j'ai vu cette femme dans un état de colère contre son mari et contre les personnes de ma maison. Elle disait qu'elle était malheureuse par notre faute, et déclarait qu'il arriverait malheur à la Foie. Ces excès ne m'ont jamais paru fondés et semblent tenir à une fâcheuse organisation d'idées.» Pendant cette déposition, l'accusée était violemment agitée: «Ah! madame, s'écriait-elle par intervalles, votre conscience est plus chargée que la mienne.» L'accusation fut soutenue avec beaucoup de force par le procureur du roi. Ce magistrat trouva surtout les motifs de l'incendie dans la jalousie continuelle de la femme Massé, lorsque son mari couchait chez madame Larchenault. C'est ainsi qu'un matin, voyant qu'un pain qui lui était envoyé de la maison de la Foie, n'était pas apporté par son mari, elle alla dire à une voisine: «_Je ne veux pas de ce pain; mon sang bouillonne, j'enrage; la Foie s'en ressentira!_» Après une heure de délibération, le jury déclara l'accusée coupable, à la majorité de sept contre cinq, et la majorité de la Cour s'étant réunie à celle des jurés, la femme Massé fut condamnée à la peine de mort. Mais une horreur profonde remplit tous les cœurs, quand on sut que le mari de la femme Massé se trouvait dans l'enceinte du tribunal au moment où le président avait prononcé la terrible sentence. CRIME ET SUICIDE DE BERTET. MM. Ador et Bonnaire tenaient, à Vaugirard, une fabrique de produits chimiques. Il est d'usage que l'administration des douanes place dans les fabriques de soude deux employés, chargés de surveiller la décomposition du sel que ces fabriques obtiennent en franchise de droits. M. Bertet avait été placé, en cette qualité, depuis trois ans environ, dans la fabrique de Vaugirard. Cet homme, d'un caractère fort difficile, et paraissant dévoré par une sombre mélancolie, exerçait ses fonctions avec une excessive sévérité, et vivait dans un complet isolement. Les chefs de la fabrique avaient adressé fréquemment des plaintes verbales à M. de Rougemont, directeur des douanes, et avaient sollicité le changement de ce contrôleur; malheureusement, ils n'avaient pu l'obtenir. Le 2 août 1827, M. Ador était arrivé à sa fabrique vers sept heures, et se disposait à se rendre, selon son habitude, chez son père, domicilié à Issy. Il se trouvait dans une des cours de l'établissement, causant très-gaîment avec le contre-maître et quelques autres ouvriers, lorsque Bertet vint à lui, et le pria de lui donner quelques signatures pour ses registres de douane: «Bien volontiers», lui répondit M. Ador, et aussitôt il monta avec lui dans la chambre de l'employé, où se trouvaient les registres. M. Ador s'assied, appose une première signature; mais au moment où il allait en apposer une seconde, il est frappé dans le dos d'un coup de pistolet dont la balle lui traverse le corps. La détonation et les cris de la victime attirent aussitôt vers ce lieu les ouvriers qui étaient dans la cour. Ils enfoncent la porte que Bertet avait fermée derrière lui, selon son habitude constante. Un des ouvriers entre le premier; il aperçoit son maître se débattant encore avec l'assassin qui tenait un pistolet dirigé sur sa victime; l'ouvrier se précipite sur Bertet, fait sauter son arme en lui donnant un vigoureux coup sur le bras et le terrasse. Plusieurs autres personnes entrent dans la chambre. On s'empresse autour de M. Ador qui respirait encore. On veut ouvrir la fenêtre pour lui donner de l'air; on découvre qu'elle avait été clouée d'avance. Toute l'attention se porte sur cet infortuné; on espère le rendre à la vie. Pendant cette scène douloureuse, Bertet, toujours étendu sur le carreau, contemplait d'un œil sec, et avec un imperturbable sang-froid, tout ce qui se passait devant lui. —Misérable! lui dit un des ouvriers qui était très-attaché à M. Ador, tu nous ôtes notre pain! —Tant pis! répond froidement Bertet. —La justice va venir, lui dit-on encore; elle nous vengera. —C'est égal; je ne la crains pas. Mais tout-à-coup, quelques instans après, et pendant que l'on était occupé à prodiguer des soins au blessé, un nouveau coup de pistolet se fait entendre; c'était Bertet qui venait de se faire sauter le crâne. Profitant du désordre qui régnait dans la chambre, il s'était traîné sur les mains et sans être aperçu, jusqu'au bas d'un buffet, où il avait pris un autre pistolet qu'il avait aussitôt dirigé sur son front. Dans ce moment même, sa malheureuse victime venait de rendre le dernier soupir. Le commissaire de police arriva bientôt, puis un maréchal-des-logis de gendarmerie, et l'on procéda aux perquisitions d'usage. Dans le buffet auprès duquel Bertet s'était donné la mort, on trouva quatre autres pistolets à deux coups, tous chargés à balles; on trouva aussi dans la chambre un fusil chargé et une assez grande quantité de poudre et de balles. Parmi beaucoup de papiers qui furent saisis, on remarqua trente-deux pièces qui étaient placées ensemble sur une planche, et qui contenaient les choses les plus étranges. Elles étaient adressées à M. le procureur-général, toutes cotés et paraphées avec ordre et portant des titres bizarres, tels que _mes dernières réflexions_, _mes derniers soupirs_, etc., etc. Bertet y déclarait que, s'étant cru empoisonné il y avait quelques années, il n'avait cessé depuis ce temps de faire des remèdes dont il donnait le plus minutieux détail; il affirmait qu'on aurait tort de croire que sa tête était exaltée; qu'il était de sang-froid. Dans d'autres de ces pièces, il annonçait qu'il lui fallait quatre victimes, et il les nommait. C'étaient les deux chefs de l'établissement, une femme qui habitait la fabrique et son ancienne femme de ménage; il ajoutait, toutefois que dans le cas où il se contenterait d'une seule victime, il abandonnait à la justice le soin de faire le reste. Dans quelques-unes de ces pièces, on lisait: _Aujourd'hui mes douleurs sont moins vives... Je me sens mieux... Ma vengeance est retardée..._ Dans d'autres au contraire: _Mes douleurs renaissent et, avec elles, mes idées de vengeance._ Dans l'une de ces pièces, il faisait lui-même la description du monument funèbre à élever à l'une de ses victimes. C'était une espèce de potence, empreinte des instrumens du supplice. Dans une autre, il décrivait son convoi funéraire. Il voulait que les quatre coins du poêle fussent portés par les deux chefs de l'établissement et les deux femmes ci-dessus indiquées, dans le cas où il n'aurait pas pu les immoler; que M. le procureur du roi suivît le cortége; qu'arrivé au cimetière, on le jetât le premier dans une large fosse creusée exprès, et que les quatre personnes tenant le poêle y fussent jetées après lui. Enfin, dans une autre de ces pièces, il disait qu'il destinait à chacune de ses victimes deux balles dorées, emblèmes de leur ambition, de leur soif de l'or, et qu'il mêlait à la poudre des cantharides, image des tourmens qu'il souffrait. Le jour même de l'assassinat, il avait placé sur cette liasse de pièces un papier sur lequel étaient écrits ces mots: _Ce 2 août, à M. le procureur général._ La manière de vivre de Bertet, et surtout son effroyable attentat, faisaient présumer chez cet individu un funeste dérangement des facultés intellectuelles. Il remplissait avec zèle tous ses devoirs de piété. Quand il entrait dans une église, il se prosternait jusqu'à terre, de manière à être remarqué de tous les assistans, et très-souvent, lorsqu'on le rencontrait, on l'entendait réciter une prière. Les murs de sa chambre étaient placardés d'images de saints et autres objets de dévotion. Le lendemain même de son crime, le perruquier qui rasait Bertet se présenta chez le commissaire de police et lui déclara que, quelques jours auparavant, pendant qu'il faisait la barbe à Bertet, celui-ci avait dit: «Quand vous rasez quelqu'un, est-ce qu'il ne vous prend pas envie de lui couper la gorge? Çà ne vous ferait-il pas plaisir.» Voilà, ce semble, un de ces crimes, qui sont absolument inexpliquables, si l'on refuse d'admettre comme cause déterminante, comme cause unique, une de ces monomanies si fréquemment invoquées depuis quelques années. Bertet n'avait aucun motif de haine ou de vengeance contre les quatre personnes qu'il avait projeté d'assassiner. Il n'avait pas lieu d'être mécontent de son sort comme employé des douanes. Il venait d'obtenir une destination plus avantageuse. A dater du 1er août, ses appointemens étaient augmentés de 400 francs. Il avait fait à cette occasion une visite à M. de Rougemont, pour le remercier de ses bontés. Et pourtant, chose étrangement monstrueuse! dans les pièces trouvées dans sa chambre, Bertet déclarait lui-même, et à plusieurs reprises, qu'il ne s'était rendu chez M. de Rougemont que pour l'assassiner, mais qu'y ayant rencontré plusieurs personnes, il s'était vu forcé d'ajourner son projet. Il faut supposer que, lorsque Bertet écrivait les pièces trouvées chez lui au nombre de trente-deux, pièces qu'il cachait à tous les yeux avec le plus grand soin, il était dominé par son idée fixe, celle d'un empoisonnement imaginaire commis sur sa personne, et qu'alors il s'abandonnait à ses projets de vengeance. Au reste, une circonstance qui semble annoncer une préméditation incontestable, c'est que sous les aisselles du cadavre de Bertet, on trouva un double de son testament qui faisait aussi partie des pièces, et dans lequel il déclarait que son instant était venu, mais que, du moins, il entraînerait dans sa tombe une de ses victimes, et que Dieu ferait le reste. ASSASSIN STIPENDIÉ PAR LE GENDRE DE SA VICTIME. Le dimanche 2 juillet 1827, vers quatre heures du matin, le sieur Drouot, fermier à Jubercy (Marne), envoya Jules Devauversin, âgé de quatorze ans, son domestique, conduire ses trois chevaux en pâturage dans la réserve de la commune d'Oger. Une demi-heure après, il s'y rendit lui-même, accompagné de son chien, et se coucha au pied d'un chêne. Devauversin demanda à son maître et obtint de lui la permission de s'éloigner un peu, pour aller cueillir des fraises. Drouot, resté seul, commença à sommeiller. Au bout de quelque temps, les aboiemens du chien déterminèrent Devauversin à revenir pour surveiller les chevaux. Il marchait lentement à cause des ronces: parvenu à cinq ou six pas du chêne au pied duquel son maître s'était endormi, il remarqua un individu qui, paraissant venir de cet endroit, semblait agité par quelque dessein. Cet individu, nommé Martin Coutier, le remarqua également, et craignant sans doute qu'il n'eût vu ce qui venait de se passer, il se retourna sans s'arrêter et lui dit, en lui montrant le poing: _Si tu as le malheur de dire quelque chose, je t'en ferai autant._ Coutier continua à s'éloigner rapidement, tandis que le petit domestique approchait de son maître. Il le trouva couché sur le ventre, le visage appuyé sur ses deux mains qui étaient enveloppées de son mouchoir et son sarrau relevé. En vain le jeune homme appela-t-il son maître à plusieurs reprises; le malheureux Drouot avait cessé d'exister: il venait d'être frappé d'un coup mortel à la tête. Arrivée près du cadavre de son mari, la femme Drouot s'écrie en gémissant: «Mon pauvre homme est mort, il a été assassiné; les gueux qui voulaient le faire mourir avaient promis cent écus pour le tuer; et ces gueux-là, je sais bien...» Vers deux heures et demie de l'après-midi, Remi Chiquet, gendre de Drouot, arriva aussi: «C'est bien malheureux! dit-il en haussant les épaules: Qui est-ce qui a pu commettre un crime comme celui-là? On va penser sur nous, et ce n'est pas nous qui l'avons fait; nous allons nous trouver dans la peine.—Mon pauvre Chiquet, lui répondit une des personnes présentes, je ne voudrais pas être dans ta peau; tu as menacé ton beau-père.—Je ne crains rien, répliqua Remi Chiquet, je ne suis pas sorti de la matinée.» Mais, malheureusement pour lui, sa belle-mère ajouta: «Si seulement vous n'aviez pas fait la proposition à Martin Coutier!» Elle n'acheva pas, voyant qu'on faisait attention à ses paroles; mais un sieur Boulé, garde-forestier, avait entendu auparavant la femme Drouot s'écrier: «Mon mari m'a dit hier au soir en se couchant, qu'on avait promis cent écus pour le tuer; sûrement que les malheureux ont versé les cent écus! voilà mon mari tué!» L'adjoint du maire d'Oger adressa à Remi Chiquet diverses interpellations en présence du cadavre de son beau-père. Chiquet répondit: _C'est un coquin de moins, mais je ne l'ai pas assassiné._ Remi Chiquet avait épousé le 10 avril 1826, Emilie-Arsène, fille unique de Drouot, alors âgée de seize ans et quelques mois. Tous deux devaient partager les travaux de la ferme et y être logés et nourris; mais bientôt l'intérêt vint diviser la famille. Chiquet éprouvait un vif désir de succéder à son beau-père qui, de son côté, ne paraissait pas disposé à se retirer. Dès ce moment, le mécontentement éclata, et ne tarda pas à être accompagné d'outrages et de menaces. Chiquet annonça hautement l'intention de donner la mort à son beau-père, et fit plusieurs tentatives dans cet abominable but. Un jour que Drouot, étant couché, lui reprochait ses menaces, le gendre se saisit d'une hache pour l'en frapper: «Malheureux, lui cria Drouot, si tu me tues, le petit domestique qui est là à côté sera ton juge; car il connaîtra l'assassin.—Eh bien! répliqua Chiquet, je commencerai par lui.» Il courut aussitôt, armé d'un couteau, à l'écurie pour égorger Devauversin; mais ce jeune homme, qui avait tout entendu, s'était dérobé à sa rage en prenant la fuite. La haine profonde de Chiquet à l'égard de Drouot était partagée par sa femme qui, malgré son jeune âge, ne parlait de son père qu'en proférant contre lui de grossières injures. Elle allait jusqu'à exprimer publiquement le vœu impie que quelqu'un le tuât. Vers la fin de juillet 1827, Chiquet et sa femme avaient quitté la ferme de Jubercy, après avoir forcé l'armoire de Drouot, et y avoir pris une somme de 270 francs et des effets d'habillement à l'usage de la femme Drouot. Drouot, quelques jours après, ayant rencontré sa fille revêtue des effets qui avaient été volés à sa femme, lui adressa des reproches; une dispute s'éleva; la femme Chiquet, mettant le poing sous le nez de son père, lui dit: _Va, grand gueux, tu auras de mes nouvelles avant dimanche._ Le lendemain, à la suite d'une autre altercation, elle finit par lui dire: _Va, tu te souviendras de cela, dans trois jours tu auras sauté le pas._ Et trois jours après le parricide était consommé. Des poursuites furent dirigées d'abord contre la femme de Remi Chiquet; mais l'ordonnance qui la mettait en prévention fut annulée. Martin Coutier, Remi Chiquet et Magloire Chiquet, son frère, furent traduits devant la Cour d'assises de la Marne, le 6 août 1827. Le premier, comme prévenu d'avoir commis, volontairement et avec préméditation, un homicide sur la personne de Drouot; les deux autres, comme s'étant rendus complices de ce crime, en excitant par promesses Martin Coutier à le commettre, et en lui donnant des instructions à cet effet. Remi Chiquet avait déjà comparu en Cour d'assises comme accusé d'un vol qualifié; mais il avait été acquitté, faute de preuves suffisantes. Quant à Martin Coutier, il était connu pour un maraudeur, ne vivant que de rapines, et capable de tout pour se procurer de l'argent. Coutier avoua la proposition que lui avait faite Remi Chiquet: mais il soutint qu'il l'avait rejetée. Chiquet, de son côté, prétendit n'avoir fait aucune proposition. Coutier, en outre, invoquait un _alibi_ qu'il ne put justifier. L'accusation fut soutenue avec force contre Coutier et Remi Chiquet; mais le ministère public l'abandonna contre l'autre Chiquet. Après trois jours de débats, sur la réponse affirmative du jury, les deux principaux accusés furent déclarés coupables et condamnés à la peine capitale. Pendant le prononcé de l'arrêt, Coutier jeta plusieurs fois les yeux sur son complice, qui cachait sa figure sous son mouchoir. En se retirant, Coutier, s'écria: _Ah! Seigneur!_ et Chiquet laissa échapper cette atroce naïveté: _Peut-on donner une punition comme çà!_ SOURD-MUET, ASSASSIN. Le nommé Étienne Petit, pauvre et honnête cultivateur auvergnat, domicilié dans le département du Cantal, s'était endormi, le 23 juin 1827, dans un champ, où, après le labour du matin, il avait mené paître deux vaches. Une de ses filles, qui vint le chercher, l'aperçut couché contre un mur à l'abri du vent du nord. Parvenue auprès de lui, elle l'appela vainement; le malheureux n'existait plus! La jeune fille, éperdue, courut au hameau, demandant du secours; on vint à ses cris. Une blessure profonde, au-dessus de la clavicule droite, apprit bientôt que la mort de Petit était le résultat d'un crime, et tous les soupçons se réunirent aussitôt sur Pierre Sauron, sourd-muet de naissance qui, depuis quelques années, avait accompagné sa famille, et s'était fixé avec elle au village de Lascon. Pierre Sauron s'était épris d'une passion violente pour l'une des filles de Petit. Celle-ci répondait à son amour; elle était devenue enceinte, et pour faire cesser le scandale de leurs relations, le père avait contraint sa fille à s'éloigner du pays. Dès lors, Pierre Sauron conçut contre Étienne Petit une inimitié profonde. Il nourrissait dans son cœur des sentimens de vengeance, et ces sentimens, il les manifestait très-fréquemment par des menaces atroces, qui s'exprimaient tantôt par une pantomime d'une énergie effrayante, tantôt par les actions les plus odieuses. Irrité de l'excellente réputation dont jouissait Petit, et voulant lui susciter des ennemis, il prenait dans des meules de pailles, appartenant à ses voisins, une certaine quantité de bottes qu'il portait dans la grange de celui à qui il avait voué une haine implacable, et il avait soin de laisser après lui une longue traînée afin de faire passer Petit pour le voleur, et de le perdre plus sûrement dans l'opinion publique. Un jour, s'étant affublé d'une espèce de couronne de laquelle pendaient quelques touffes de crins, dans l'intention d'imiter la chevelure d'un aliéné qui était originaire du même lieu; il se rendit, pendant l'obscurité, devant la maison de Petit, tout nu et armé d'un gros bâton,et faisant beaucoup de bruit pour attirer son ennemi et l'assaillir. Cette tentative étant restée sans succès, Sauron imagina d'ouvrir la porte mal fermée de l'étable où se trouvaient quelques bêtes à laine appartenant à Petit; bien convaincu que ce dernier accourrait pour les faire rentrer au bercail. Cette fois, le stratagème réussit; Petit eut le malheur de sortir. Sauron se précipita sur lui et lui asséna un violent coup de bâton. Il allait redoubler, lorsque Petit esquivant le coup, essaya de le saisir aux cheveux; mais la chevelure postiche, dont l'agresseur s'était affublé, lui demeura entre les mains; les gens de la maison accoururent aux cris de Petit, et Sauron prit la fuite. Ce fait donna lieu contre le sourd-muet à une plainte en police correctionnelle. Un mandat d'arrêt fut lancé par le juge d'instruction. La gendarmerie fit long-temps des perquisitions inutiles. Enfin une audience eut lieu par défaut, et le prévenu fut absous, faute de preuves suffisantes. Quelques mois s'étaient à peine écoulés depuis ce funeste acquittement, lorsque le malheureux Petit fut assassiné. Sauron était resté chez lui; il prit la fuite à la vue des gendarmes; il fut poursuivi et arrêté. Ses menaces antérieures contre Petit, les présomptions qui déjà s'étaient élevées contre lui, sa haine bien connue pour la victime avaient incontinent appelé tous les soupçons sur Sauron. Amené sur le lieu où gisait encore le cadavre de Petit, il leva les yeux au ciel, fit quelques signes de pitié, et bientôt demeura immobile. A l'autopsie du cadavre, les hommes de l'art constatèrent que Petit avait été atteint d'un coup d'arme à feu, tiré presqu'à bout portant, et qui avait été chargé avec des morceaux d'une sonnette brisée; ils trouvèrent une assez grande quantité de cette espèce de mitraille dans les poumons et dans le cœur, et déclarèrent que la mort avait été instantanée; que la victime avait été atteinte, dans l'attitude d'un homme assis, appuyé contre le mur de son pacage, probablement endormi, et que le coup avait été tiré de haut en bas. Sauron était un adroit chasseur: il avait un fusil depuis quelque temps; cependant ses voisins ne lui en avaient point vu. Quand il fut arrêté, on lui fit demander, par les personnes les plus habituées à converser avec lui, ce qu'il avait fait de son fusil. Il donna à comprendre qu'il n'en avait point, et que celui dont il se servait autrefois n'était pas à lui, qu'il l'avait rendu à la personne qui le lui avait prêté; et tout-à-coup, après bien des recherches, le fusil fut découvert chez Sauron, industrieusement caché entre deux poutres de l'écurie. On s'était servi de cette arme tout récemment, le bassinet était encore humide; le canon exhalait une odeur de poudre. Sauron, interrogé sur ces diverses circonstances, ne répondit que par des signes de dénégation. On fouilla les poches du gilet qu'il avait sur lui, et l'on trouva des morceaux de sonnette absolument semblables à ceux que les médecins avaient découverts dans la blessure de Petit; on les rapprocha les uns des autres; ils s'adaptaient parfaitement; on reconnut que tous avaient fait partie du même tout. Alors Sauron rougit, se déconcerta, et l'abattement le plus complet succéda à la froide indifférence qu'il avait manifestée jusqu'à ce moment. Par suite des faits que nous venons d'exposer, Sauron fut traduit devant la Cour d'assises du Cantal, séant à Saint-Flour, le 17 août 1827. Des témoins furent entendus; aucun n'avait vu commettre le crime; deux ou trois seulement avaient entendu l'explosion. Tous déposaient de la haine de Sauron contre Petit, des causes de cette haine, de ses menaces, de l'acte de violence qui avait donné lieu au premier procès, des vols de paille simulés. Plusieurs racontaient que Petit avait un funeste pressentiment de ce qui devait lui arriver. «Le muet me tuera quelque jour, avait-il dit souvent; il faut que je vende le peu de biens que j'ai, et que j'aille joindre mon fils à Paris.» Il avait ajourné ce voyage à l'automne. Dans la crainte de l'événement, il s'attachait chaque jour à mettre sa conscience en paix; il se confessait souvent et s'approchait fréquemment de la sainte table; il voulait être toujours prêt à paraître devant Dieu: tels sont les principaux détails contenus dans l'acte d'accusation et qui ont été entièrement confirmés par les débats. On avait désigné pour servir d'interprète à l'accusé M. Toussaint Sicard, élève de prédilection de l'illustre abbé Sicard, héritier de son nom et de ses connaissances. Cet homme habile accourut de Mont-Salvi, petite ville du Cantal où sa bienfaisance entretient une école déjà renommée, et il amena avec lui six jeunes sourds-muets, plus ou moins avancés dans leur éducation, afin de leur donner une grande leçon, en les rendant témoins du terrible exemple qui se préparait. Arrivé plusieurs jours avant le jour de l'audience, M. Sicard essaya de se mettre en rapport avec Pierre Sauron; toutefois, avant le tirage au sort des jurés, il déclara qu'il ne saurait ni transmettre ses idées à l'accusé, ni traduire les siennes; qu'il n'avait point eu assez de temps pour parvenir à lui faire connaître le langage des signes; que l'intelligence de Sauron lui avait paru des plus bornées; il ajouta qu'il serait grandement à désirer que la cause fût remise à une prochaine session pour que l'on pût donner à l'accusé quelques notions élémentaires; enfin il déclara que, dans une affaire aussi importante, aussi grave, il lui était absolument impossible d'accepter, sans cette précaution préalable, les fonctions d'interprète qui lui étaient déférées, et de prêter, en cette qualité, le serment requis par la loi. Sur cette réponse de M. Sicard, on manda pour le remplacer un sourd-muet, déjà instruit, sachant écrire et lire, et qui, depuis plusieurs années, s'était fixé à Saint-Flour. Celui-ci accepta les fonctions qu'on lui proposait et prêta serment. La physionomie de Pierre Sauron était calme et presque stupide. Il ne manifesta aucune émotion quand on déposa sur le bureau les pièces de conviction, le fusil et les morceaux de sonnette. L'avocat du prévenu, se fondant sur les mêmes motifs que M. Sicard, et déclarant n'avoir aucune confiance dans l'interprète choisi, sollicita vivement la remise de la cause, en alléguant que la défense était impossible; mais la Cour, sur les conclusions du ministère public, décida qu'il serait passé outre aux débats. Les dépositions des témoins confirmèrent les faits déjà connus; après la lecture du procès-verbal dressé sur les lieux, Pierre Sauron subit une espèce d'interrogatoire; mais les expressions manquent pour peindre la multiplicité de tableaux que retraçait cette intéressante pantomime. Le ministère public, après avoir développé les charges de l'accusation, demanda avec force la condamnation du prévenu, et n'eut pas de peine à montrer que la préméditation était incontestable. Ce grand crime a été commis, s'écriait le magistrat chargé des intérêts de la société; un grand exemple est nécessaire. Toute la contrée est en émoi; il n'est pas un témoin qui ne tremble pour son existence, si l'accusé est relaxé; et sa condamnation n'admet aucun tempérament. La défense de Sauron, présentée avec talent par Me Dessauret, produisit de fréquentes et vives émotions dans l'auditoire; elle n'obtint pourtant qu'un demi-succès. Reconnu coupable, mais sans préméditation, l'accusé fut condamné aux travaux forcés à perpétuité. Ce malheureux n'avait pas compris l'arrêt qu'on venait de prononcer; plus tard, dans la prison, M. Sicard, qui avait consenti à aider de tout son pouvoir l'interprète assermenté, parvint à lui expliquer sa sentence de condamnation. Alors le désespoir de Sauron éclata violemment, et il fit entendre qu'il eût préféré la mort. ROCH, VOLEUR-ASSASSIN. Raget, ancien militaire, était établi, depuis plusieurs années, marchand de vin à Saint-Ouen, à l'enseigne du _Canonnier français_. Il était lié d'amitié avec le nommé Thibout, cuisinier de M. Ternaux, qui lui avait, en maintes occasions, prêté de l'argent et rendu d'autres services. Le 21 janvier 1828, Raget vint à Paris pour emprunter 500 francs à son ami Thibout, et acheter en même temps une dinde qui devait être mangée le lendemain dans une fête à Saint-Ouen. Thibout n'ayant pas sous la main la somme demandée, donna rendez-vous à Raget chez un marchand de vin, où il la lui compta; ils burent ensemble, sortirent bientôt, et, après une nouvelle séance dans un café, ils se séparèrent à deux heures et demie environ. A huit heures, Raget arriva à Clignancourt chez un sieur Osmond, logeur et marchand de vin. Il se fit d'abord servir à manger, puis demanda à boire, et invita quatre individus présens parmi lesquels se trouvait Roch, qui logeait depuis quelques mois chez le sieur Osmond, sous le nom de Petit-Jean. Roch, né à Belle-Isle en mer, s'était engagé volontairement dans le 1er bataillon colonial. Il renouvela son engagement en 1822 et entra dans le 3me régiment d'infanterie de la garde royale. Son inconduite l'en fit bientôt chasser; et au mois de novembre, il fut incorporé dans une compagnie de discipline à Arras; quelques mois après, il déserta. Repris, il fut condamné par le conseil de guerre, pour sa désertion, à trois ans de travaux publics. Par décision du 4 octobre 1826, il obtint la remise de cette peine et fut renvoyé dans la compagnie à laquelle il appartenait avant sa condamnation. Il déserta de nouveau en 1827, et vint se réfugier à Paris sous le nom de _Petit-Jean_. Il logeait, depuis le mois de décembre, chez le sieur Osmond, et avait été employé successivement à l'enlèvement des boues de Paris et aux travaux du château de Saint-Ouen. Ses moyens d'existence étaient précaires, et sa position très-gênée. Un de ses camarades lui avait entendu répéter plusieurs fois que, si M. Osmond ne consentait pas à le garder, il ne lui restait plus qu'à se pendre ou à se jeter à l'eau; que, s'il trouvait un camarade, _il irait à la forêt de Bondy_. Roch, ainsi que nous l'avons dit plus haut, était un des quatre individus que Raget avait invités à boire avec lui. Il avait accepté. A dix heures environ, Raget se leva, tira de sa poche, pour payer Osmond, un mouchoir contenant les 500 francs qu'il rapportait de Paris. Il le déposa sans défiance sur la table, en présence des quatre convives. Il demanda à Osmond un bâton pour porter plus facilement la dinde qu'il avait enveloppée d'un torchon. Ce fut Roch qui, sans en avoir été prié, alla prendre dans un tas de fagots un fort bâton dont il enleva l'écorce, pour qu'il ne blessât pas la main par ses aspérités. Raget, s'adressant alors aux personnes qui l'entouraient: _Qui de vous, dit-il, veut m'accompagner à Saint-Ouen?_ Et, sans attendre de réponse, il se tourna vers Roch, et lui dit: _Tu as une bonne figure, tu n'as qu'à venir avec moi._ Roch accepta sur-le-champ la proposition, mais à condition qu'il coucherait chez Raget à Saint-Ouen; celui-ci le lui promit, et ils partirent. Quelques minutes s'étaient à peine écoulées, lorsque Osmond fut étonné de les voir revenir. Raget paraissait en colère et disait à Roch: «Tu veux me faire des couleurs ou me voler; tu as voulu me jeter dans la boue; mais j'y vois clair, et je ne veux plus que tu viennes avec moi.» Roch ne chercha pas à repousser cette imputation; il se contenta de répondre: «Si je vous accompagne, c'est pour vous; je ne demande pas mieux que de rester.» Raget demanda à boire; comme il avait déjà trop bu, Osmond et sa femme refusèrent de le servir. Il insista, et se borna à demander _une tournée_, c'est-à-dire un petit verre de liqueur pour chacune des personnes qui se trouvaient présentes. Osmond y consentit, sous la promesse qu'il s'en irait immédiatement après. Raget le promit; il demanda une lanterne, et, s'approchant de Roch pour la seconde fois, il lui frappa sur l'épaule en lui disant: «Tu es un bon garçon, tu m'as l'air d'une bonne personne: viens avec moi.» Il était onze heures et demie environ lorsqu'ils sortirent. Roch portait la dinde, le bâton auquel elle était suspendue, et la lanterne; Raget lui donnait le bras: ce fut ainsi qu'ils traversèrent Clignancourt. Le lendemain, Raget fut trouvé assassiné. Il avait reçu à la tête dix blessures, faites, les unes avec un instrument tranchant, les autres avec un instrument contondant; deux de ces blessures avaient fracturé le crâne et avaient dû occasioner aussitôt la mort; la tête, placée entre deux sillons, était entrée de deux pouces dans la terre et nageait dans le sang. A quelques pas de là, on trouva la lanterne, dont la chandelle avait été retirée. Le lendemain matin, Roch n'était pas rentré chez Osmond. A la vue du cadavre, de violens soupçons s'élevèrent contre lui; son signalement fut envoyé à la gendarmerie, et le surlendemain, 23 janvier, il fut arrêté chez un marchand de vin, aux Batignolles, où il faisait une orgie avec une fille publique. Dans son interrogatoire, Roch soutint qu'il n'était pas le coupable; qu'il ne s'était éloigné de Raget qu'après l'avoir vu tomber et avoir vainement essayé de le relever. Conduit à Saint Ouen et mis en présence du cadavre de Raget que l'on avait exhumé, il ne montra pas la moindre émotion, le regarda d'un œil sec, et demanda même à manger pendant l'autopsie cadavérique. On découvrit ensuite que Roch, dans la nuit et quelques heures après son crime, s'était fait conduire par un fiacre, rue Pierre-Lescaut, chez un sieur Labruyère, logeur, et qu'il y avait soupé avec la fille Justier. Celle-ci remarqua que les mains et les vêtemens de Roch _étaient extrêmement sales, et qu'il les regardait fréquemment_. Le lendemain matin, il se fit servir la dinde qu'il avait apportée la veille, et déjeûna avec cette fille et le cocher Chalmet, dont il avait retenu le fiacre pour toute la journée. Le bâton auquel la dinde était suspendue, laissé par lui dans la cuisine, fut examiné par Kowaski, garçon de l'hôtel, qui déclara y avoir remarqué quelques gouttes de sang; mais ayant été brûlé par la cuisinière, il ne put être représenté parmi les pièces de conviction. Le premier soin de Roch avait été de se dépouiller de ses vêtemens, de les déchirer et de les jeter par la fenêtre dans la rue: Kowaski les ramassa, mais il les trouva si mauvais, qu'il ne conserva qu'une demi blouse; Roch ne tarda pas à la lui redemander. Comme il restait sans habits, il s'enveloppa du carrick du cocher et se fit conduire au marché Saint-Jacques, où il acheta des vêtemens neufs pour 70 à 80 fr. Il acheta aussi chez une femme Anet une paire de souliers et lui laissa ceux qu'il portait, et sur lesquels on voyait des taches de sang. Ces souliers, ainsi que la demi-blouse et les vêtemens abandonnés par Roch et retrouvés, furent soumis à une analyse chimique qui fit découvrir de nombreuses taches de sang. Roch, pour expliquer ces taches, répondit d'abord qu'elles provenaient de tabac chiqué. Après le rapport de MM. Barruel et Vauquelin, il les attribua au sang que la dinde avait pu répandre; mais en contradiction avec la femme Labruyère, qui avait déposé que la dinde, tuée depuis au moins deux jours, _et dont la saignée même était un peu sèche_, n'avait pu répandre de sang, il recourut à un autre système devant la Cour d'assises de la Seine. Il prétendit que, dans ses nombreuses chutes et dans ses efforts pour relever Raget, il avait pu se faire quelques contusions ou saigner du nez. L'interrogatoire de Roch devant le jury, dans l'audience du 30 avril 1828, n'offrit aucun détail intéressant; il nia opiniâtrément qu'il fût l'auteur de l'assassinat; mais il ne put expliquer plusieurs des circonstances dont il a été rendu compte un peu plus haut. Après les plaidoieries, le jury entra en délibération, et au bout d'une heure et demie, il rendit une réponse affirmative sur chacune des questions de meurtre et de vol; et en conséquence, la Cour condamna Roch à la peine de mort. Cet arrêt ne produisit aucune impression sensible sur le condamné. Il se retourna vers l'un des gendarmes, en lui disant: _J'ai encore quarante-un jour à vivre!_ Roch se pourvut en cassation, mais son pourvoi fut rejeté, et le 27 juin fut le jour fixé pour son exécution; il reçut cette nouvelle avec une froide indifférence, et monta tranquillement dans la cariole qui devait le transporter de Bicêtre à Paris, en disant: _C'est donc enfin mon dernier jour!_ Arrivé à la Conciergerie, il manifesta le désir d'avoir un entretien avec M. Appert. Roch avait connu ce généreux et zélé philanthrope, dans le temps qu'il était militaire. M. Appert se rendit sur-le-champ auprès du condamné, dans le double but d'adoucir ses derniers instans et de tâcher d'en obtenir des aveux. Quand Roch l'aperçut: «Ah! vous voilà donc enfin! s'écria-t-il. Vous êtes un homme de parole. J'aurais été désolé de mourir sans vous avoir vu: nous sommes, vous le savez, de vieilles connaissances. Je me rappelle toujours vos conseils d'Arras, en 1821; si je les avais suivis, vous ne me trouveriez pas là.» Toutefois, il fut impossible à M. Appert d'en arracher le moindre aveu. «Je suis innocent du crime d'assassinat, répéta-t-il plusieurs fois: j'ai volé, il est vrai; je n'ai pas tué. Je n'en veux pas toutefois à mes juges: à leur place, j'aurais condamné; toutes les _chances_ étaient contre moi.» Cependant, au milieu des dénégations de Roch, on remarquait qu'il éludait toutes les questions qui se rapportaient à sa victime. Il répondait à tout avec précision, avec complaisance; mais, à l'égard de son crime, il ne donnait que des réponses évasives. Roch entra surtout dans de grands détails sur les causes de son malheur, et nous en rapporterons quelques-uns, parce que c'est là surtout que gît la moralité de nos tristes récits. «Ce qui m'a perdu, disait-il, c'est d'avoir aimé la boisson et les filles publiques. C'est aussi le jeu; car je perdais beaucoup d'argent aux jeux de hasard, sur les boulevards. Mais surtout j'étais entraîné par de mauvaises connaissances; et plusieurs étaient de la police, car on ne les arrêtait jamais, tandis qu'on arrêtait les autres... Mes parens sont bien coupables de ne m'avoir pas mieux surveillé dans ma jeunesse. Ma tante m'avait prédit que je mourrais sur l'échafaud: je m'en suis toujours souvenu chaque fois que j'ai fait une mauvaise action; mais il me semblait que je ne pouvais pas l'éviter... Je ne sais ce que j'ai dans la tête: souvent il m'est arrivé, en me réveillant après avoir bu, de croire que j'étais fou... J'allais où je ne voulais pas aller; je ne sais quoi m'entraînait à la débauche.» Nous passons sur d'autres détails qui n'ont, rien de particulier à Roch. M. Appert resta avec ce malheureux jusqu'au moment où l'arrivée de la fatale charrette lui imposa l'obligation de se retirer. Roch conserva une inaltérable intrépidité jusque sous le fer du bourreau; car, dans ce moment suprême, on l'entendit deux fois s'écrier: _Adieu, citoyens, adieu!_ Jamais condamné ne montra une résolution plus réelle, plus inébranlable; sa présence d'esprit ne l'avait pas abandonné un seul instant. TENTATIVE D'ASSASSINAT COMMISE PAR UNE MÈRE SUR SON ENFANT AGÉ DE SIX ANS. Le crime que l'on appelle infanticide n'est malheureusement que trop commun. Plusieurs fois nous avons eu l'occasion d'examiner les causes de ces fréquentes atrocités. On a vu que des préjugés, qui ont depuis long-temps pris racine dans notre état de société, exercent, à cet égard, une funeste influence. On conçoit, tout en le déplorant, qu'une fille, devenue mère par suite d'une coupable faiblesse, fasse tous ses efforts pour cacher la preuve vivante de sa honte; qu'elle aille même jusqu'à étouffer le sentiment le plus naturel au cœur de la femme, pour anéantir l'être innocent dont la naissance la couvre de déshonneur. Il n'y a que cette raison qui puisse expliquer cette monstrueuse anomalie qui résulte de l'infanticide. Mais une mère qui tue son enfant uniquement pour s'en débarrasser, afin de se livrer plus librement à une passion désordonnée, voilà un phénomène criminel dont l'explication serait plus difficile, pour ne pas dire impossible. C'est pourtant ce qui ressort des faits que nous allons mettre sous les yeux de nos lecteurs. Le 5 février 1828, entre huit et neuf heures du soir, plusieurs ouvriers qui travaillaient à laver du coton dans un bateau placé sur la Seine, à Rouen, au bas de la chaussée des Curandiers, entendirent, à une distance d'environ deux cents pas, la voix d'un enfant qui criait: _Non! non! non!_ et crurent aussi distinguer ces paroles: _Ma petite Désirée, je ne te vois plus!_ Deux ou trois minutes après, ils virent passer sur la chaussée une femme d'une taille ordinaire, dont ils ne purent distinguer les traits, et dont ils ne remarquèrent qu'imparfaitement le costume; ils lui demandèrent si elle n'avait pas vu quelqu'un dans la Seine; elle répondit d'un ton d'indifférence: _Je ne sais ce que vous voulez me dire; je n'ai rien entendu.—Mais ne venez-vous pas de par en bas?—Non, je sors de là._ En prononçant ces dernières paroles, elle n'indiquait pas l'endroit d'où elle sortait, et elle s'éloigna. Bientôt de nouveaux cris vinrent frapper l'oreille des ouvriers et attirèrent également l'attention d'un jeune domestique, qui sortait de la maison de son maître. On se porta vers l'endroit d'où ils partaient, et on aperçut un enfant qui se débattait, dans la rivière, contre le courant qui l'entraînait. De la voix, on encourageait ses efforts, et on lui indiquait le point vers lequel il devait se diriger; mais ses forces commençaient à l'abandonner, et il allait infailliblement périr, lorsque deux pêcheurs qui descendaient la rivière dans leur bateau, accoururent au bruit, aperçurent le malheureux enfant, et parvinrent à l'arracher à une mort certaine. C'était un jeune garçon de six à sept ans. Quand on le retira de l'eau, il avait déjà entièrement perdu connaissance; on le porta dans la maison d'un sieur Delahaye, où il fut entouré des soins les plus charitables et les plus empressés: il ne reprit ses sens qu'au bout de deux heures. Aussitôt qu'il fut en état de et répondre aux questions, on voulut connaître la cause de l'accident qui venait de l'exposer à un péril si imminent. De quelle triste et douloureuse impression ne fut on pas frappé, quand on entendit cet enfant raconter qu'il avait été précipité dans la rivière par sa propre mère! Ce crime pouvait à peine se comprendre; mais, de la part d'un enfant aussi jeune, le mensonge eût été plus incompréhensible encore: ce qu'il avait répondu d'abord aux premières questions qui lui furent adressées, il le répéta depuis, devant le commissaire de police et le juge d'instruction. Voici la substance de son récit: le 5 février, entre sept et huit heures du matin, sa mère, la femme Dubord, dite Henry, l'avait fait lever et l'avait envoyé travailler chez un sieur Morel, fileur. L'enfant ne s'y était pas rendu, et avait passé la journée à jouer avec des enfans de son âge; le soir, sa mère l'avait trouvé sur la place Saint-Sever; elle l'avait pris par la main, et sans lui rien dire, l'avait amené le long du rivage de la Seine, vers la petite chaussée de Quevilly jusque vis-à-vis la maison d'un sieur Alexandre. Ce fut à peu-près dans cet endroit, que, le saisissant par le bras gauche, elle l'avait précipité dans la rivière. Il était parvenu d'abord à se relever, et s'attachant aux vêtemens de sa mère, il essaya une trop faible résistance; mais celle-ci le prit par la tête et le repoussa dans l'eau, en employant toute sa force: «Alors, dit-il, j'ai dérivé en buvant de l'eau, jusqu'au moment où l'on m'a repêché.» La femme Dubord était veuve depuis le 15 janvier 1828, et avait trois enfans. Le jeune Joseph qu'elle avait voulu noyer, était le seul qui habitait avec sa mère. Cette femme avait déjà subi une année d'emprisonnement pour vol. Son mari, plus jeune qu'elle, avait à peine fermé les yeux, que la veuve avait déjà formé une liaison criminelle avec un homme marié, nommé Ballières; elle recevait cet homme dans le lit où couchait aussi son enfant. Pendant les premiers interrogatoires, la femme Dubord se retrancha dans de constantes dénégations. Mais, quand on eut donné l'ordre de la mettre au secret, quand elle apprit d'une manière positive que son fils vivait, elle sentit que toute dénégation était inutile, et demanda à être ramenée devant le juge d'instruction, en présence de qui elle fit l'aveu de son horrible attentat. On se demande avec effroi quels pouvaient être les motifs d'un si grand forfait: on reste confondu, pétrifié, anéanti, quand on songe que le désir seul de se débarrasser du jeune Joseph avait été le principal motif de la femme Dubord. De ses deux autres enfans, l'un était chez sa mère, l'autre chez son beau-frère: il fallait qu'elle se défît du troisième, et l'on a vu comment s'y prit ce monstre féminin! Le jeune Joseph Dubord déclara qu'il était à peine âgé de trois ans, lorsque sa mère voulut le faire périr en le noyant, et en fut empêchée par le père. Peu de temps avant le crime, l'enfant avait été placé à l'hospice, et n'avait été rendu à sa mère que quinze jours avant le 5 février; enfin elle s'était plainte au commissaire de police de la conduite de son fils, qui, disait-elle, refusait de travailler, et elle avait parlé d'aller trouver le commissaire de la marine pour le faire embarquer. L'hospice le lui avait rendu; la marine le trouvait trop jeune pour le placer à bord d'un bâtiment. Mais la Seine pouvait l'engloutir; et si son cadavre, retrouvé, trahissait le genre de sa mort, on pouvait croire facilement qu'elle avait été le résultat d'un accident. Qui eût osé accuser une mère? La femme Dubord voyait dans son fils un obstacle à ses débauches avec Ballières, parce que, d'après ses propres aveux, ce Ballières lui avait dit qu'il ne pouvait pas les nourrir tous les deux. La femme Dubord comparut le 23 mai devant la Cour d'assises de la Seine-Inférieure. La figure de l'accusée était régulière et même agréable; elle paraissait accablée, et cherchait à cacher son visage avec son mouchoir. La veuve Dubord était âgée de 31 ans. Les dépositions de nombreux témoins confirmèrent toutes les circonstances de l'accusation. Le nommé Ballières, ouvrier fileur, âgé de 28 ans, déposa qu'il avait ignoré le crime; qu'il avait plus d'une fois protégé l'enfant contre sa mère, lorsque celle-ci voulait le maltraiter. Dans la soirée du 5 février, vers onze heures, il demanda à l'accusée où était son petit garçon? elle répondit: «Je n'en sais rien; je crois qu'il est parti à Gisors.» Il lui répondit que cela n'était pas possible; qu'un enfant de six ans ne pouvait pas faire la route; qu'il était sans doute arrêté dans quelque corps-de-garde, et qu'on le lui ramènerait le lendemain. Du reste, il protesta qu'il n'avait jamais conseillé à la femme Dubord de faire périr son enfant; qu'il lui avait dit de le placer soit à l'hospice, soit dans la marine, mais non pas de le jeter à l'eau. L'accusée dit en pleurant que, sans Ballières, elle ne serait pas dans la malheureuse position où elle se trouvait; qu'elle s'était attachée à lui; qu'elle lui avait demandé, dans le cas où elle n'aurait pas d'enfans, s'il consentirait à vivre avec elle; qu'il lui avait répondu: «Il faut placer ton enfant à l'hospice ou dans la marine.» Qu'alors, ne sachant où le mettre, elle l'avait précipité à la rivière; qu'à la vérité, Ballières ne lui avait pas donné ce conseil. L'avocat-général, M. Petit, après avoir démontré le danger des passions, lorsque la raison, l'honneur et la religion n'y apportent aucun frein, passa en revue tous les faits de la cause et établit les circonstances de la préméditation; l'avocat chargé d'office de la défense de la femme Dubord présenta avec talent les moyens qui pouvaient faire écarter la préméditation. Malgré ses louables efforts, la réponse du jury aux questions, posées par le président de la Cour, fut affirmative de tous points. En conséquence, la femme Dubord fut condamnée à la peine de mort. La femme Dubord se pourvut en cassation et en grâce; mais l'un et l'autre pourvoi furent rejetés, et l'arrêt de mort fut exécuté le 31 juillet 1828, sur la place du Vieux-Marché, à Rouen. ARSÈNE ET JULIEN, OU TENTATIVE D'ASSASSINAT PAR SUITE DE DÉSESPOIR AMOUREUX. Le 26 octobre 1827, le passage du _Cheval-Rouge_, situé près de la rue Saint-Martin, fut le théâtre d'un événement, qui jeta pendant quelques instans l'effroi dans le quartier. Il était huit heures du matin; une jeune personne se rendant à sa journée, parut à l'extrémité du passage. Un jeune homme s'approcha d'elle, et, après avoir échangé quelques paroles, tira de sa poche un couteau à ressort, tout ouvert, et en frappa violemment la jeune personne. L'infortunée se sauva, en poussant des cris, dans la boutique d'un marchand de charbon. _Donnez-lui des secours_, disait-elle, _il va se tuer!_ Effectivement, après avoir assouvi sa fureur sur sa victime, le jeune homme s'était frappé lui-même avec son couteau; il était tombé par terre: il se releva et se porta un second coup qui le renversa de nouveau. On accourut de toutes parts; des groupes se formèrent autour du jeune homme; on ramassa l'arme dont il cherchait encore à se frapper; lorsqu'on le transporta au corps-de-garde, il voulut s'emparer encore de son couteau. Il était atteint de deux blessures, dont l'une au bas-ventre. Quel était ce jeune homme? quelle était cette jeune fille? quels motifs avaient pu déterminer l'action violente de l'un sur l'autre? Telles étaient les questions que faisait la curiosité générale. Les vagues circonstances que l'on avait pu saisir au moment du crime, la jeunesse et l'extérieur des deux individus, l'heure et le lieu choisis pour la catastrophe; tout portait à croire que cette tentative de meurtre, suivie immédiatement d'une tentative de suicide, n'était point un de ces crimes qu'enfantent ordinairement la scélératesse et la cupidité; et, si l'on s'intéressait à la victime, on ne pouvait s'empêcher de plaindre celui qui avait failli être son bourreau. Voici ce qu'apprit l'enquête judiciaire, faite sur cet événement tragique. Vers le mois de juin 1827, le nommé Julien travaillait à Rouen chez un maître tailleur, en qualité d'ouvrier; il jouissait d'une bonne réputation, et sa conduite était régulière. Dans la même maison, était établi un autre maître tailleur nommé Leduc, chez lequel venait tous les jours travailler depuis plusieurs mois Arsène Chevalier, jeune fille âgée de dix-neuf ans, d'une figure agréable et de mœurs irréprochables. Julien eut occasion de la rencontrer; il conçut pour elle une inclination fort vive, et il s'empressait de la reconduire tous les soirs chez sa mère, qui, mariée en secondes noces au sieur Guilmet, ouvrier charron, demeurait dans un quartier fort éloigné. Il l'entretenait de son amour et du désir de la demander en mariage. La plus grande réserve régnait dans leurs relations, quoiqu'elles fussent ignorées des parents de la jeune personne. Arsène, entraînée par les protestations d'attachement de Julien, qui lui disait que, si elle le rebutait, il se donnerait la mort, se montra sensible à ses vœux, et lui déclara que, si ses parens consentaient à son union, elle n'y mettrait pas d'obstacle; mais elle l'engagea à ne faire la demande de sa main que, lorsque sa famille serait établie à Paris, où elle allait se rendre. Ce ne fut donc qu'à Paris que les sieur et dame Guilmet furent informés par hasard du projet de mariage dont on vient de parler. Vers le milieu de septembre 1827, Arsène arriva effectivement à Paris. Dix ou douze jours après, Julien, muni des papiers nécessaires à la célébration du mariage, alla prendre congé de la dame Leduc, à qui, avant son départ, la jeune personne avait confié qu'elle aimait Julien, et qu'elle n'aurait jamais d'autre époux. Le 30 septembre, Julien arriva à Paris et se rendit sur-le-champ dans un hôtel garni, rue de la Bibliothèque, où demeuraient provisoirement les époux Guilmet et leur fille. Il fit aussitôt près de la mère d'Arsène, qu'il n'avait pas encore vue, de vives instances pour qu'elle lui accordât la main de sa fille. La dame Guilmet lui répondit que, son mari étant absent pour quelques jours, elle ne pouvait pas lui donner de réponse; et elle ajouta que jusque-là leur intention avait été de ne marier Arsène que deux ans plus tard: Julien répliqua que, s'il le fallait, il attendrait. Dès le lendemain, la femme Guilmet occupa un logement rue Saint-Martin, et Arsène allait journellement travailler, comme ouvrière, chez la femme Cabaret, marchande mercière, sa cousine, demeurant passage du Ponceau. Julien, qui connaissait leur changement de domicile, se rendait tous les matins dans le quartier, pour accompagner Arsène lorsqu'elle allait à son travail, ou lorsqu'elle en revenait, et chaque fois, il l'entretenait de ses projets d'union. Le sieur Guilmet étant de retour à Paris, fut abordé par Julien, le 12 octobre. Celui-ci lui témoigna le désir le plus ardent d'obtenir la main de sa belle-fille. Le sieur Guilmet, qui voyait Julien pour la première fois, voulut d'abord s'assurer s'il était agréé par celle qu'il recherchait, et il le conduisit sur-le-champ dans la boutique de la dame Cabaret, où travaillait Arsène. Celle-ci ayant été obligée de s'expliquer, répondit que, si Julien convenait à ses parens, elle consentait à l'épouser. Guilmet alors donna un rendez-vous à Julien pour le dimanche 14 octobre; il lui promit pour ce jour-là une réponse définitive. Mais, comme ce jeune homme avait déplu à la mère et au beau-père, ceux-ci déterminèrent par leurs conseils la jeune Arsène à ne pas l'accepter pour mari et à renoncer entièrement à lui: alors Guilmet, pour éviter une explication, s'absenta avec toute sa famille, le dimanche fixé pour la réponse, pensant que cette absence affectée serait regardée comme un refus formel par le jeune homme. Mais Julien, vivement blessé de ce procédé, n'était pas homme à se contenter d'un pareil _ultimatum_. Il erra toute la journée dans le quartier de sa prétendue, et attendit le retour de la famille Guilmet, qui n'eut lieu que vers sept heures et demie. Arsène, aussitôt qu'elle l'aperçut, s'éloigna; son beau-père aborda Julien, et lui déclara qu'il ne devait plus songer à elle, qu'elle ne l'aimait pas: Julien se retira fort déconcerté, mais sans manifester toutefois de ressentiment. Le mardi suivant 16 octobre, vers neuf heures du matin, lorsque la jeune fille se rendait à son ouvrage, elle fut accostée par Julien, qui lui demanda quels étaient ses sentimens à son égard. Elle lui répondit que, d'après ce qu'avaient déclaré ses parens, elle ne pouvait plus songer à être sa femme. A ces mots, il la saisit par le bras; mais elle lui échappa en criant, et entendit qu'il s'écriait: _Adieu pour jamais!_ Cependant, il la rejoignit bientôt dans la boutique de la mercière, et voyant qu'elle persistait dans son refus, il l'appela parjure, ingrate, perfide. La dame Cabaret ayant mis fin à l'explication, il se retira, pâle et agité, en s'écriant: _Malheur à celui qui s'opposera à mon bonheur!_ La semaine s'écoula sans qu'on entendît parler de Julien. Il n'avait pourtant pas renoncé à son projet. Il se rapprocha de la demeure de celle qu'il recherchait, et alla demeurer rue Guérin-Boisseau dans une maison garnie. Le mardi 23, vers neuf heures du soir, il aborda encore Arsène dans la rue en lui prenant le bras, et tint les mêmes discours: «Si elle ne voulait pas de lui, disait-il, il était perdu; elle ne voudrait pas avoir à se reprocher la mort d'un homme.» Arsène, voyant le désespoir auquel il était en proie, essaya de le calmer, en lui disant que si, dans deux ans, ses parens y consentaient, elle l'épouserait. Le lendemain 24, à la même heure, il la rencontra encore, lui tint le même langage, et ajouta qu'il allait quitter Paris et s'établir dans les environs. Le jeudi 25 octobre, vers sept heures du matin, il rencontra le sieur Guilmet qui lui réitéra son refus. Enfin le beau-père, sans vouloir prendre d'engagement positif, et pour se débarrasser de ses instances, finit par lui dire que, dans deux ans, si sa belle fille témoignait quelque affection pour lui, il pourrait peut-être consentir à leur mariage. Julien, du reste, ne proféra aucune menace, et annonça le projet de partir pour la Belgique. Le soir du même jour, il ne put parvenir à rencontrer Arsène. Il avait passé la nuit du mercredi, ainsi qu'il le déclara lui-même, dans une maison de prostitution. Le 25, en se couchant dans la chambre qu'il occupait avec cinq autres ouvriers, il pria l'un d'eux, nommé Fleury, de le réveiller le lendemain matin à six heures. Le 26, dès qu'il fut levé, il se rendit vers six heures et demie dans la rue du Ponceau, et resta quelque temps au coin du passage du _Cheval-Rouge_, portant ses regards de côté et d'autre, et ayant le dos appuyé contre la grille de la boutique du marchand de vin. Il entra ensuite dans ce cabaret, où les deux jours précédens, il était déjà venu boire seul, et était resté depuis quatre heures et demie jusqu'à la nuit; son air préoccupé, son agitation qui le portait à se promener et à regarder de temps en temps à la porte et à la fenêtre, les mots vagues et insignifians qui erraient sur ses lèvres, l'avaient fait remarquer. Le vendredi 26, il n'y resta que peu de temps, y but seulement deux verres de vin, fit cirer ses souliers à la porte de la boutique, puis entra dans le passage du _Cheval-Rouge_. Il était alors huit heures du matin. En ce moment, Arsène, qu'il attendait si impatiemment, parut à l'extrémité du passage, se rendant à son travail. Julien s'approcha d'elle, en fut reçu très-froidement, à cause de quelques propos choquants qu'il avait tenus la veille à Guilmet. Il lui demanda qu'elle était la résolution de son père; elle répondit qu'il devait la connaître, et le pria de la laisser passer; elle était sur le point de descendre dans la rue du Ponceau, lorsqu'il la fit rentrer dans le passage, et ayant vainement insisté pour savoir ce que Guilmet avait dit, il s'écria: _Je vois bien qu'il veut nous détourner l'un de l'autre._ Au même instant, il la saisit violemment de la main gauche en la repoussant, et, de la main droite, il tira de la poche de sa redingote un couteau à ressort, tout ouvert, dont il la frappa. La jeune personne voyant l'arme se diriger vers sa poitrine, porta les mains en avant, et reçut quelques blessures aux doigts; puis, le couteau pénétra dans l'aîne droite, et produisit une plaie de six à sept pouces d'étendue, par laquelle sortirent les intestins. Julien voulut se percer lui-même plusieurs fois de son couteau, comme on l'a vu plus haut. Il se fit deux blessures, dont l'une au bas-ventre; mais ces blessures n'eurent aucune suite, et au bout de dix jours, il était presque entièrement guéri. Il n'en était pas de même de la victime: les plaies qu'elle avait à chaque main étaient légères, mais la blessure de l'aîne mit long-temps sa vie en danger. Julien, conduit devant les magistrats chargés de l'instruction, déclara que, voyant qu'il n'y avait plus d'espoir d'épouser Arsène, il avait tiré tout-à-coup de la poche de sa redingote un couteau acheté depuis douze jours; qu'il l'avait ouvert à deux mains pour se frapper devant elle; mais que, changeant subitement de résolution, il l'avait frappée d'abord et ne lui avait porté qu'un seul coup, qui avait glissé sur son ventre; qu'alors, il avait cherché à se tuer. Il prétendit qu'il n'avait pas l'intention de donner la mort à Arsène. Cependant le couteau était neuf; le tablier d'Arsène avait été percé en cinq endroits; malgré la résistance de la jeune fille, le coup porté dans l'aîne avait été si violent, qu'après avoir percé le tablier, la robe, une jupe de dessous double et la chemise, il avait fait une blessure profonde. En conséquence, Jean-François Julien, accusé d'avoir commis volontairement, avec préméditation et guet-à-pens, une tentative d'homicide sur la personne d'Arsène Chevalier, laquelle tentative avait manqué son effet par des circonstances indépendantes de la volonté de l'assassin, comparut, le 30 janvier 1828, devant la Cour d'assises de la Seine. L'interrogatoire de Julien ne présenta aucune nouvelle circonstance: il persista dans ses premières déclarations, qui tendaient à faire écarter toute espèce de préméditation. Julien avait la tête haute, mais les yeux baissés; sa stature était élevée; son extérieur présentait un air de distinction; on remarquait une grande régularité dans les traits de sa figure, quelque chose de froid et de sévère dans toute sa personne. C'était en vain, toutefois, qu'on cherchait dans cet ensemble de physionomie l'homme emporté, bouillant, qu'une fougueuse passion, un désespoir amoureux, avaient entraîné à l'assassinat et au suicide. L'interrogatoire d'Arsène, appelée comme témoin, souleva, à plusieurs reprises, de vives émotions dans l'assemblée. A la seule vue de l'accusé, et même au seul son de sa voix, Arsène fut plusieurs fois saisie de mouvemens convulsifs; elle poussait des cris d'horreur, portait les deux mains devant ses yeux pour ne pas voir Julien, et perdait entièrement connaissance. Cette scène déchirante, renouvelée plusieurs fois, fit suspendre la séance. Au milieu de l'émotion universelle, Julien, presque flegmatique, tenait ses regards attachés à la terre. Nous allons faire connaître aux lecteurs quelques fragmens de l'interrogatoire. Le président ayant demandé à la jeune Arsène pourquoi elle avait changé de résolution à l'égard de Julien, celle-ci lui répondit qu'il ne plaisait point à ses parens, et que leurs conseils lui avaient fait changer d'avis. _D._ Aviez-vous de l'attachement pour Julien? _R._ (Avec naïveté.) Il paraît que non; je croyais l'aimer, mais.... Je lui ai dit que mes parens ne voulaient pas me marier en ce moment, et que je ne voulais pas leur désobéir. Il me dit alors que je serais cause de la mort d'un homme. _D._ C'était probablement de lui qu'il voulait parler? _R._ Oh! oui, monsieur. Il m'a prise à part et m'a dit: _Adieu pour jamais!_ Après l'audition de tous les témoins, Arsène fut rappelée de nouveau pour montrer aux jurés les blessures qu'elle avait reçues aux mains. On lui demanda si elle avait reçu ces blessures avant ou après que Julien l'eût frappée à l'abdomen. —C'est après, répondit Arsène; il m'a d'abord frappée au bas-ventre. Je me suis défendue contre les autres coups qu'il dirigeait contre moi, et je les ai reçus aux mains. —Êtes-vous bien certaine que le premier coup que Julien vous ait porté soit celui du bas ventre? —Oui, monsieur, très-certaine. —Je suis bien sûr, s'écria alors Julien, qu'elle ne parle pas selon sa conscience: je ne lui ai donné qu'un seul coup. Arsène persistant dans sa déclaration: «Comment, reprit Julien d'une voix émue, comment pouvez-vous soutenir cela? grand Dieu! Après m'avoir réduit à ce triste et déplorable état, vous voulez encore me perdre par de faux témoignages! Ne devrait-il pas vous suffire de m'avoir rendu si malheureux?» En ce moment, l'accusé versa pour la première fois des larmes, et cacha son visage avec ses mains. Le ministère public soutint que l'homicide volontaire était constant; mais il fut d'avis que la circonstance de la préméditation devait être écartée. Son réquisitoire produisit une impression si profonde, que le défenseur de l'accusé ne put prendre immédiatement la parole. La défense achevée, le président ayant demandé à Julien s'il avait quelque chose à y ajouter: «Non, monsieur, répondit Julien en se levant; tout a été contre moi dans les débats. Les témoins ont dit ce qui était à ma charge, et n'ont pas dit ce qui était en ma faveur: pour moi, je ne sais pas m'exprimer.» Après une demi-heure de délibération, les jurés étant rentrés en séance, le chef du jury lut la décision qui déclarait Julien coupable d'une tentative d'homicide volontaire, mais sans préméditation. Julien conserva son impassibilité en entendant prononcer l'arrêt qui le condamnait aux travaux forcés à perpétuité et à la flétrissure, et se retira sans proférer un seul mot. LA FILLE PARRICIDE. Angélique-Catherine Darcy, âgée de trente-six ans, avait été long-temps domestique chez divers particuliers; partout, elle avait donné des preuves d'intelligence et de probité, mais partout aussi elle s'était fait remarquer par son caractère intéressé et son penchant à l'avarice. Sa mère, avancée en âge, l'avait décidée à venir habiter avec elle, en lui promettant, pour la déterminer, de lui acheter une vache dont tout le profit serait pour elle. Angélique Darcy et sa mère vivaient ensemble depuis neuf ans, à Breuil, canton de Limay, près Mantes; mais elles étaient loin d'être toujours d'accord: presque tous les jours, les voisins entendaient de violentes querelles s'élever entre la mère et la fille, querelles qui étaient presque toujours occasionées par quelque motif d'intérêt, et dans lesquelles la fille Darcy ne cédait jamais. Le vendredi 9 mai 1828, vers dix heures du soir, le sieur Choisnel entendit la fille Darcy et sa mère se disputer dans un petit jardin dépendant de leur propriété. Dans la même soirée, vers dix heures du soir, un sieur Dupuis les entendit se disputer violemment; accoutumé à ces querelles, il n'y fit qu'une légère attention. Le samedi 10 mai, vers les quatre heures du matin, la fille Darcy vint annoncer à son oncle, le sieur Bourgeois, garde champêtre à Breuil, que sa pauvre mère était morte, la nuit, dans ses bras; elle lui dit que sa mère avait eu la veille une indisposition, qu'elle lui avait fait boire beaucoup d'eau sucrée, et que, vers deux heures du matin, elle avait rendu le dernier soupir. Bourgeois se rendit sur-le-champ dans la maison de sa belle-sœur; il trouva le cadavre étendu sur le lit qu'elle occupait habituellement; elle avait pour tout vêtement une chemise et un corset; le cou était entouré d'un mouchoir attaché avec une épingle. Bourgeois alla avertir le maire de cet événement, et revint bientôt après avec deux voisins, Choisnel et sa femme. Tous trois s'occupèrent à retirer le matelas de dessous le cadavre, et apercevant des meurtrissures à la mâchoire droite, ils en manifestèrent leur surprise à la fille Darcy. Celle-ci déclara que sa mère avait reçu, quelque temps auparavant, un coup de corne de la vache, pendant qu'elle la pansait; elle répéta de nouveau que sa mère était morte d'une indigestion. La nouvelle d'une mort aussi prompte causa un étonnement général dans le pays et fit naître d'étranges soupçons. On se rappela que, peu de temps avant l'événement, et sous les plus frivoles prétextes, la fille Darcy avait prodigué à sa mère les plus criantes injures, et même lui avait porté des coups. Ces soupçons devinrent bientôt d'une plus grande gravité et semblèrent se confirmer. Le samedi 10 mai, le sieur Giard, docteur en médecine, procéda à l'examen du cadavre. Il le trouva couvert de meurtrissures sur toutes les parties du corps; il remarqua de plus sur le cou, un sillon circulaire, large et profond; alors il déclara que la femme Darcy était morte par strangulation, et par suite de violences exercées sur sa personne. La fille Darcy soutint d'abord, avec une tranquillité apparente, que sa mère était morte d'indigestion et dans son lit; mais bientôt, oubliant ses premières déclarations, elle déclara que sa mère était morte dans l'étable, que la vache lui avait donné des coups de corne. Interrogée par le juge d'instruction, elle persista dans ses dernières révélations. Avertie, par le magistrat, de la contradiction que présentait cette version avec celle qu'elle avait donnée d'abord, la fille Darcy se tut tout-à-coup, s'agenouilla, demanda des vêtemens de deuil, et sembla réciter quelques prières; mais elle ne répondit plus à aucune interpellation. Cependant, on découvrit peu après derrière l'étable à vaches, une corde d'environ six lignes de diamètre sur plusieurs pieds de longueur. Cette corde était à nœud coulant, et tachée de sang. La fille Darcy déclara d'abord que cette corde servait à attacher la vache, et qu'elle avait été tachée de sang lorsque cet animal avait foulé aux pieds sa malheureuse mère. Néanmoins, pressée de questions, elle avoua qu'elle s'était _servie_ de ce lien meurtrier pour donner la mort à sa mère; mais aussitôt, comme effrayée de cet aveu et de l'horreur qu'il inspirait, elle se rétracta et soutint, comme auparavant, que c'était la vache qui avait tué sa mère. Les magistrats et les experts, chargés de l'instruction, rapprochèrent cette corde du cadavre de la femme Darcy, et reconnurent qu'elle s'adaptait parfaitement à la lésion circulaire remarquée autour du cou. Puis on procéda à l'autopsie; et cette opération confirma l'opinion qu'on avait que la femme Darcy avait été accablée de coups, et étranglée à l'aide de la corde retrouvée. Vaincue par ces charges accablantes, et cherchant inutilement à garder le silence sur un crime dont ces diverses observations venaient de révéler toute l'atrocité, Catherine Darcy se détermina de nouveau à faire des aveux. «J'étais, dit-elle, dans notre étable avec ma mère; nous y étions venues pour panser la vache. Je lui dis: Pourquoi ne pas la vendre, elle est malade! le temps est bon pour la vendre. Ma mère me répondit: Je ne suis pas pressée; je veux voir d'autres marchands. Je lui répondis: Il en sera de celle-là comme de la mienne, qui a péri... Disputant ainsi avec elle... je n'ai plus eu la tête à moi, j'avais le diable au corps en faisant un pareil ouvrage.—Qu'avez-vous fait? lui demanda le juge d'instruction, épouvanté.—Eh bien!... _je m'y suis prise de manière à ce qu'elle ne m'aboie plus_... J'ai eu la méchanceté de la jeter par terre... _J'ai fait du mieux que j'ai pu pour quelle n'en revienne pas..._» La fille Darcy, entrant alors dans de plus grands détails, convint qu'elle avait renversé sa mère, l'avait traînée sur le pavé pendant qu'elle demandait grâce et lui promettait cent francs de ses gages. Mais bientôt elle revint encore à son système de rétractation. La fille Darcy comparut devant la Cour d'assises de Seine-et-Oise, le 8 août 1828. Là, pendant la lecture de l'acte d'accusation, dont nous venons de donner un extrait, et qui, plus d'une fois, excita une profonde horreur dans l'assemblée, l'accusée parut sortir de sa brute insensibilité et interrompit à plusieurs reprises le greffier, en opposant des dénégations aux faits dont il donnait lecture. Dans son interrogatoire, la fille Darcy fit preuve d'une insolence et d'une effronterie révoltantes. Elle soutint encore que c'était la vache qui avait _trépigné_ sa mère, et lui avait donné la mort. Quand on lui objecta ses précédens aveux, elle persista à dire qu'elle n'avait rien dit de tout ce qu'on lui attribuait. «On met tout ce qu'on veut sur le papier, s'écria-t-elle; je n'ai pas dit cela... Je n'ai pas _fait une affaire comme cela_...» L'accusée interrompit aussi, avec beaucoup de violence, plusieurs des témoins à charge dont les dépositions confirmaient les faits que nous avons relatés plus haut. Pendant ces longs débats, la contenance ferme et imperturbable de la fille Darcy ne se démentit pas un seul instant. Tous les spectateurs étaient étonnés de tant d'assurance et d'impassibilité. Le ministère public soutint l'accusation avec force; il établit, avec les dépositions si claires, si concluantes des médecins, que la veuve Darcy était morte victime d'un assassinat. Il rappela ensuite les aveux circonstanciés, réitérés de l'accusée; aveux concordans avec les faits, prouvés jusqu'à la dernière évidence, dès les premiers momens de l'instruction, par la découverte du licol ensanglanté, par les traces des meurtrissures faites à la victime en la traînant expirante sur le pavé de l'étable. Du reste, le magistrat, allant au-devant des moyens laissés à la défense, prouva, à l'aide de tous les documens de l'instruction, que la fille Darcy n'était ni idiote ni imbécille, et qu'elle jouissait au contraire du plein exercice de ses facultés intellectuelles. Pendant ce réquisitoire, l'attention de l'accusée sembla se réveiller, et, malgré la défense réitérée du président de la Cour, elle interrompit souvent le procureur du roi, en murmurant des dénégations mal assurées, mais sans donner la moindre marque d'abattement. Que pouvait la défense dans une cause si désespérée? En vain l'avocat nommé d'office s'empara-t-il habilement de toutes les circonstances pour présenter la fille Darcy comme atteinte d'aliénation mentale, le jury rendit une déclaration affirmative sur la culpabilité. L'accusée entendit cette décision sans changer de visage. Le président Brisson, dont l'émotion étouffait la voix, prononça l'arrêt, qui condamnait la fille Darcy, comme parricide, à être conduite sur le lieu de l'exécution du supplice, en chemise, nu-pieds, la tête couverte d'un voile noir; à être exposée sur l'échafaud pendant qu'un huissier ferait lecture au peuple de l'arrêt de condamnation; à avoir le poing droit coupé et la tête tranchée. La fille Darcy, en entendant sa sentence, jeta les yeux sur la Cour, déboutonna paisiblement sa manchette noire, et se frotta le poignet droit. Puis elle se leva, et traversa, sans mot dire, toute la salle d'audience, pour rentrer dans sa prison. La fille Darcy, après les courtes émotions des débats auxquels elle avait été soumise, retomba dans la stupeur de l'abrutissement; uniquement occupée de satisfaire ses besoins, elle vivait du temps présent, comme si le plus redoutable avenir n'eût pas existé pour elle. Le jour de l'exécution, quand on vint lui annoncer le rejet de son pourvoi et l'ordre d'exécuter la sentence, cette nouvelle la fit à peine sortir de son impassibilité: immobile, l'œil sec et fixé à terre, elle paraissait étrangère à tout ce qui se passait autour d'elle. L'exécution de la fille Darcy eut lieu à Versailles, le 28 octobre, en même temps que celle de la femme Pitra, condamnée à la peine capitale pour avoir empoisonné son mari. «La fille Darcy, dit la _Gazette des Tribunaux_, livrée aux exécuteurs, ne proféra pas une seule parole. Aux émotions déchirantes qu'excitaient dans tous les cœurs les plaintes et les larmes de l'autre condamnée, son impassible immobilité fit succéder l'abattement pénible qu'on éprouve à la vue d'une victime à laquelle on ne peut s'intéresser encore. On ne pleurait plus comme aux apprêts du supplice de la femme Pitra; on eût dit que la froide stupeur de la parricide avait gagné tous les cœurs, et que son apparente indifférence, au moment fatal, éloignait d'elle l'intérêt, en rappelant la circonstance épouvantable du forfait qu'elle allait expier. Un long silence régna pendant les préparatifs assez longs de son supplice. Un sourd gémissement, un sanglot réprimé aussitôt que poussé, interrompirent un instant ce silence au moment où l'exécuteur fit à la patiente une forte ligature au poignet droit, que l'arrêt la condamnait à perdre avant d'avoir la tête tranchée. «La tête couverte d'un voile noir, revêtue par-dessus ses habits, d'un peignoir blanc, la condamnée marcha d'un pas ferme jusqu'à la charrette. «Peu d'instans après, des hurlemens épouvantables se firent entendre sur la place. Le silence de l'horreur lui succéda bientôt et annonça que le double supplice de l'infortunée était accompli. On eût dit que, véritable brute, la fille Darcy n'avait pu, pendant cet instant terrible, être sensible qu'à la douleur physique.» LA FEMME PITRA CONVAINCUE D'AVOIR EMPOISONNÉ SON MARI. Jacques Pitra était resté long-temps en Angleterre, où il avait acquis quelque aisance en donnant des leçons de langue française. Son avoir s'accrut encore de l'héritage d'une sœur avec laquelle il demeurait à Londres, où elle exerçait la profession de chapelière; mais de retour en France, il fit de mauvais placemens et de fausses spéculations qui causèrent sa ruine. Il avait pris chez lui, à titre de femme de confiance, Rosalie-Gabrielle Jallaquier, alors couturière, et peu de temps après, il lui proposa de l'épouser. Ce mariage eut lieu le 1er mai 1824, mais il ne fut pas heureux: la femme était d'un caractère bouillant, emporté; le mari s'était adonné au vice de l'ivrognerie; il s'enivrait très-fréquemment, et toutes les fois qu'il rentrait dans cet état, des querelles très-violentes éclataient entre les deux époux. Ces scènes aigrissaient l'humeur de Pitra et lui inspiraient le dégoût de la vie. Il dit un jour à un de ses amis qu'il était si malheureux avec sa femme, _qu'il lui prenait souvent des tentations de se tirer un coup de fusil_. Le 1er mai 1828, il rentra chez lui vers trois heures, pour prendre son dîner qui se composait d'une soupe aux poireaux et d'un bouilli accommodé avec des pommes de terre. Quand la servante sortit de la cuisine pour venir servir cette soupe au mari, la femme Pitra la suivit par-derrière, en disant: _Versez tout! versez tout!_ puis elle se retira, et Pitra en mangea seul avec beaucoup d'appétit. Quelque temps après, il éprouva des vomissemens qui s'accrurent bientôt d'une manière alarmante. On proposa d'envoyer chercher un médecin; la femme Pitra s'y opposa, en disant que ce n'était qu'une indigestion. Les deux époux habitaient le village de Boissy, canton de Gonesse. Un domestique de ce village s'approcha du lit de Pitra, et lui demanda depuis combien de temps il souffrait: «_Mon enfant_, lui répondit-il, _c'est depuis que j'ai mangé ma soupe; je suis empoisonné_. La femme Pitra, qui était présente, se contenta de lui dire: «_A quoi penses-tu, monsieur Pitra, de dire des choses comme cela?_» Il demanda ensuite à sa servante qui avait fait la soupe? elle répondit que c'était elle. _Mais ne l'avez-vous pas quittée?_ ajouta-t-il. Celle-ci lui ayant alors expliqué que c'était sa femme qui l'avait fait réchauffer: «_C'est assez, la bonne_, dit-il aussitôt, _c'est assez; c'est bientôt filé!_» A six heures du soir, la veuve Pincemaille arriva. Pitra, dès qu'il l'aperçut, lui dit en présence même de sa femme: «_Ma chère madame Pincemaille, il faut nous séparer; elle m'a empoisonné! c'est fini!_» Quand sa femme lui adressait la parole, il ne lui répondait pas. Une seule fois, il s'écria en la regardant: _Malheureuse! malheureuse!_ Ce fut à sa servante qu'il recommanda d'avoir soin de son enfant, lorsqu'il aurait cessé d'exister. Vers les dix heures, la femme Pitra sortit de la chambre, et la servante étant venue lui dire que son mari ne passerait certainement pas la nuit: «_Je n'aurai pas_, répondit-elle, _tant de bonheur qu'il crève!_» Et cependant quelques instans auparavant, elle avait feint de vouloir se coucher auprès de lui. Le mal avait constamment empiré, et le malheureux Pitra rendait le dernier soupir; la servante accourut vers sa maîtresse et lui dit, les larmes aux yeux, que son mari était mort. «_C'est-il bien vrai?_ répondit celle-ci. _Il n'est pas encore tout-à-fait mort_, répondit la servante; _si vous voulez le voir, montez bien vite_.» Mais la femme Pitra ne monta pas. La servante et la veuve Pincemaille restèrent seules auprès du cadavre; la maîtresse de la maison ne reparut plus dans la chambre. Cette femme ne fut pas plus affectée après la mort de son mari qu'elle ne l'avait été pendant son agonie. Elle demanda qu'il fût enseveli sur-le-champ et que l'inhumation eût lieu le lendemain; puis elle s'empressa de montrer un testament olographe du 23 avril 1826, par lequel Pitra l'instituait sa légataire universelle. Mais on lui fit observer que la naissance de son fils étant postérieure, le testament n'était plus valable, et qu'il était possible que le défunt eût fait d'autres dispositions testamentaires. Dès lors seulement, elle manifesta quelque inquiétude, versa quelques larmes, et sembla vouloir faire oublier par de bruyans regrets, l'indifférence et la dureté de cœur qu'elle avait manifestées aux derniers momens de son mari. Ainsi le 5 mars, elle se mit au lit et fit appeler le docteur Bural, devant lequel elle déplora son sort et fit l'éloge de son mari. On ne tarda pas toutefois à acquérir la certitude que Pitra était mort victime d'un empoisonnement; bientôt la justice fit arrêter sa veuve. Avant son arrestation, elle faisait tous ses efforts pour savoir ce que les témoins, appelés devant le juge d'instruction, avaient déposé. Elle s'était adressée à un jeune apprenti nommé Lacroix, et dans une de ses conversations, elle lui avait dit en parlant de son mari: «Il est bien heureux dans son trou, le gros cochon; il ne pense plus à ses affaires. Quand je l'aurais empoisonné, le gros cochon, il me faisait assez enrager. Au reste, ajouta-t-elle, quand je serais reconnue coupable, on ne pourrait me faire que ce que l'on a fait à cette dame qui a empoisonné son mari, qui était marchand épicier à Paris. Elle n'a été jugée qu'à un an et un jour de prison. Ne l'avouant pas, on ne pourrait toujours m'en faire qu'autant.» A toutes ces présomptions de la plus haute gravité, on peut ajouter la preuve que l'accusée avait eu en sa possession de l'arsenic, qu'elle s'était procuré par des voies détournées. Le 19 août, la femme Pitra comparut devant la Cour d'assises de Seine-et-Oise, et sur la réponse affirmative du jury, fut condamnée à la peine de mort. Pendant les débats, elle ne cessa de montrer beaucoup de sang-froid et de présence d'esprit. Cette malheureuse subit son arrêt le 28 octobre, le même jour que la fille Darcy, sur la place du marché, à Versailles. Ses derniers instans contrastèrent avec la cruelle impassibilité qu'elle avait montrée immédiatement après son crime, pendant l'instruction judiciaire et la procédure. Quand elle s'était vue dans la prison, après le jugement, elle s'était abandonnée au plus violent désespoir. A la vue des exécuteurs, elle tomba dans d'horribles convulsions: «C'en est donc fait! s'écriait-elle, ma dernière heure a sonné. Si la justice de Dieu n'est pas plus juste que celle des hommes, à quoi dois-je m'attendre? Je suis une pauvre femme, bien malheureuse et bien innocente!» Elle ne cessait de se plaindre amèrement du jugement qui l'envoyait à la mort: «Condamner, disait-elle, une femme sur de simples soupçons!... Voilà la justice des hommes!» —Ayez confiance en celle de Dieu, lui dit en lui présentant un crucifix une dame pieuse et charitable qui l'accompagnait. —Sa justice, répondit la femme Pitra, me vengera-t-elle de celle des hommes?... Et les faux témoins entendus contre moi, ils doivent sentir bien des remords! Venir à mon âge pour mourir... pour mourir sur un échafaud!» Pendant ses plaintes et ses cris qui se renouvelaient sans cesse, on remarqua que le nom de son mari ne s'était pas présenté une seule fois sur ses lèvres. Déjà attachée à la machine fatale, elle s'écria encore d'une voix forte: «Je meurs innocente! La justice divine me vengera de la justice humaine... Dites-le tous à mon fils.» ASSASSINAT COMMIS PAR MÉPRISE. Dominique Etchegoyen, de Barcus, revenait de la foire d'Oloron, le 1er mai 1827, dans la soirée, lorsque arrivé vers dix heures, à un petit pont peu éloigné de sa maison d'habitation, il aperçut une lueur rapide semblable à celle que produit l'amorce d'un arme à feu, et se sentit presqu'aussitôt frappé. Il fit encore quelques pas, et distingua un homme qui prenait la fuite; mais bientôt ses forces l'abandonnant, il tomba baigné dans son sang. Ses cris plaintifs ayant été entendus dans le voisinage, plusieurs personnes accoururent, et, après avoir prodigué au blessé les plus prompts secours, lui demandèrent quel était son assassin. Etchegoyen répondit que l'obscurité ne lui avait pas permis de le reconnaître. Il fit la même réponse devant le maire de sa commune et devant le juge de paix. La justice ne savait sur qui arrêter ses soupçons; Etchegoyen, de mœurs douces et paisibles, passait pour n'avoir pas d'ennemis. Un voisin, un ami intime d'Etchegoyen ne se présenta pas chez lui pour le visiter à l'occasion de cet événement. On connaissait son caractère violent et emporté; dès que l'on eut fait cette remarque, des conjectures ne tardèrent pas à se former. Ce voisin se nommait Etchehon; doué d'une ame ardente et d'une susceptibilité excessive, sa jeunesse avait été orageuse, et l'âge même semblait n'avoir pu amortir ses fougueuses ardeurs. Déjà il avait été condamné correctionnellement à deux années de prison pour avoir asséné un coup de hache sur un homme qui se disputait avec lui; de plus, il avait été en butte à une accusation d'émission de fausse monnaie. Sa violence le rendait formidable à tous ses voisins, et par suite de son caractère, il était brouillé avec tous ses parens; marié à une femme qu'il avait long-temps aimée, le sentiment de la jalousie s'était emparé de son cœur et l'agitait par moment d'une sorte de frénésie. Cet homme s'était imaginé que sa femme était infidèle, et qu'un de ses enfans avait été le fruit de cette infidélité. Un homme, nommé Eguiapal, était celui qu'il regardait comme son rival; il lui avait voué une haine invétérée, et depuis long-temps la vengeance couvait dans son sein. Un de ses métayers, interrogé par la justice, déclara qu'Etchehon lui avait proposé, à plusieurs reprises, non-seulement de se défaire d'Eguiapal, mais encore de neuf autres personnes dont il croyait avoir à se plaindre. Enfin le jour où Etchegoyen avait été frappé, on se rappela qu'Etchehon s'était informé si Eguiapal ne devait pas aller à la foire d'Oloron; de plus, on l'avait vu se diriger du côté où le crime avait été commis. Une autre circonstance plus grave, c'est que le même jour, on l'avait vu fondre de petits carrelets d'étain, et une certaine quantité de semblables carrelets avaient été extraits des blessures d'Etchegoyen. L'habitation d'Eguiapal était située à peu de distance du pont où Etchegoyen avait été atteint; aussi tout le monde, à Barcus, fut-il convaincu que le coup dont Etchegoyen avait failli être victime, était destiné à Eguiapal. La disparition d'Etchehon vint accréditer et corroborer ces graves soupçons. Il erra pendant quelque jours dans la campagne, et alla ensuite chercher un refuge dans les montagnes de Larreau où un vieux berger lui donna l'hospitalité. Dans cette solitude, les idées qui l'avaient conduit à commettre un crime, fermentent dans sa tête avec encore plus de violence. Il songe en frémissant à l'ami qu'il a frappé et à la tranquillité triomphante de son odieux rival. Les peines qui l'abreuvent débordent son cœur; il a besoin de les épancher; il fait à ses hôtes le récit de ses malheurs. Bien plus, pour soulager son ame brûlante des tortures qu'elle éprouve, il compose dans son idiôme basque un chant lugubre sur les malheureux événemens qui ont causé sa fuite. Voici une traduction littérale de cette élégie d'un nouveau genre, remarquable par une peinture où l'énergie le dispute à la naïveté. «Les animaux des déserts se dérobent dans leurs courses vagabondes aux regards de l'homme par la crainte qu'il leur inspire; et moi, malheureux et pleurant, je les imite pour conserver ma triste existence. «J'ai passé dix ans dans l'esclavage, la moitié dans les prisons, et l'autre moitié dans un état plus déplorable; c'est la jalousie qui a lassé ma patience et qui en a été la cause. «Le jour qui compléta mes vingt-deux ans, je pris femme pour mon tourment, et je puis dire qu'elle me porta sous sa cotte la corde pour me pendre. * * * * * «Mon ennemi, tu avais une femme, et tu n'avais pas besoin d'abuser de la mienne; un autre a reçu le coup qui t'était destiné, mais tu pourras recouvrer ce qui t'est dû. «Tu peux te vanter que ta vie scandaleuse a perdu deux galans hommes, et qu'elle a entaché trois honnêtes lignées. «Épouse faible et chère, séduite par un libertin, vous m'avez ruiné et perdu, et vous avez plongé la famille entière dans le malheur. «_Cher époux! oui, j'ai failli._ «Vous m'avez donné des peines et des soucis pendant dix ans, et fait retenir cinq ans dans les cachots, privé par vous de tout secours. Vous vouliez me faire périr de misère. Qui pourrait souffrir une telle compagne? «Vous avez, dites-vous, souffert pendant dix années; mon oncle en fut la cause; et, si ma faute ne s'était manifestée, vous auriez passé vos jours en prison. «Jeunes gens, fixez vos regards sur ma triste destinée; si l'hymen a pour vous des charmes, essayez du moins d'éviter les amertumes de cet esclavage: mieux vaut être prêtre ou soldat, que d'avoir une compagne semblable à la mienne. «J'ai beaucoup parlé contre mes ennemis; cependant je n'ai rien déguisé; de mon côté, je ne suis pas exempt de reproches. Que Dieu veuille nous pardonner! * * * * * «Les malheureux sont nombreux dans ce monde; nul ne l'est pourtant autant que moi: j'ai été banni de mes foyers pour avoir voulu être maître dans ma maison. * * * * * «Vous qui poursuivez Etchehon, ne le cherchez pas à Barcus; il compose des chansons à Eguiton, le meilleur des pâturages des Pyrénées, fréquentés par les bergers de la Soule.» Cependant le bouillant et vindicatif Etchehon ne put s'accommoder long-temps de cette vie pastorale et contemplative; le souvenir de sa femme, celui d'Eguiapal le poursuivaient sans cesse. Alors bravant tous les dangers qui le menaçaient, il revient à Barcus; son retour est signalé par l'incendie d'une maison appartenant à Eguiapal. Aucune circonstance ne pouvait faire accuser Etchehon de ce nouveau crime, mais la prévention, si prompte à juger, le lui attribua. Enfin Etchehon fut arrêté. Par un hasard singulier, comme on le conduisait en prison, Etchegoyen se rencontra sur son passage. _Ah! Etchehon_, s'écria ce dernier, _tu ne portes pas aujourd'hui les vêtemens que tu avais, lorsque tu m'as si fort maltraité_. Etchehon s'attendrit et répondit: _Tu sais bien que ce n'était pas à toi que j'en voulais_; et, après avoir accepté un verre de vin qui lui était offert par son ancien ami, il continua sa route avec les gendarmes. Etchegoyen avait en effet prétendu, à son quatrième interrogatoire, qu'il avait reconnu son meurtrier, et que c'était Etchehon. Quand on lui demanda pourquoi il n'avait pas fait cette déclaration dans les premiers momens, il avait répondu que c'était parce que, se croyant dans un état désespéré, il avait voulu se faire un mérite du pardon, et d'_un malheur ne pas en faire deux_. Etchehon, devant la Cour d'assises des Basses-Pyrénées, répondit avec précision à toutes les questions qui lui furent adressées. Peu familiarisé avec la langue française , il fit usage de circonlocutions et d'images hardies empruntées à son idiôme naturel, ce qui communiqua plus d'une fois à son langage quelque chose d'original et d'expressif. Il raconta avec simplicité les malheurs de sa vie. La fortune de son père, riche laboureur de la Soule, semblait lui assurer un heureux avenir. Son mariage fut le commencement de ses infortunes. Il avait cru trouver en sa femme une compagne qui, s'associant à ses plaisirs comme à ses peines, lui rendrait moins pesant le fardeau de la vie: il se berçait d'une perfide espérance. Sa femme entretenait des liaisons criminelles avec un débauché, avec Eguiapal. Ses conseils furent méprisés; il était importun, on voulut se défaire de lui: on le calomnia, on le brouilla avec ses parens, avec ses meilleurs amis. Etchehon expliqua, d'une manière qui lui était favorable, le coup de hache qui l'avait fait tenir deux années en prison, et l'émission de fausse monnaie dont il avait été accusé; et il présenta ces deux faits comme l'œuvre calomnieuse des personnes intéressées à le perdre. Enfin passant à l'accusation pour laquelle il était traduit devant la Cour, il adopta un système de défense, qui semblait satisfaire à la fois son intérêt personnel et sa soif de vengeance. Il prétendit que, dévoré par la jalousie, bourrelé d'inquiétude, il avait voulu mettre enfin un terme à ses maux, en faisant prononcer une séparation juridique. C'est dans cet objet, disait-il, qu'il s'était caché près du pont voisin de l'habitation d'Eguiapal, pour être témoin d'un rendez-vous qu'il savait devoir avoir lieu entre ce dernier et sa femme. Il était depuis quelques instans dans cet endroit, lorsqu'il aperçut Eguiapal qui se dirigeait de son côté, armé d'un fusil, et qui ajustait un individu qu'il sut depuis être Etchegoyen. Eguiapal en voulait-il à sa vie? Etchegoyen fut-il la victime d'une méprise? Il l'ignorait. Mais à cette vue, un trouble subit s'empara de ses sens et il se hâta de fuir. Quant à la déposition d'Etchegoyen, l'accusé demandait quelle confiance pouvait mériter un malheureux, qui ne s'était décidé à l'accuser qu'après trois auditions successives, et cela, par le ressentiment provenant de ce qu'il avait refusé de lui donner sa fille. Etchehon repoussa ainsi les charges qui lui étaient opposées, et combattit les dépositions des témoins avec une force de logique extrêmement remarquable dans un homme sans culture. Dans cette défense singulière, il se montra tour-à-tour plein d'une fougueuse véhémence, animé d'une gaîté paisible et presque enfantine. Ainsi, lorsque le nommé Ibart, métayer, qui lui avait été imposé par sa femme, et avec qui il avait eu antérieurement de fréquentes disputes, venait déposer avec l'accent de la haine, qu'Etchehon lui avait proposé de tuer _dix personnes_ pour une trentaine d'écus, et qu'il s'efforçait de les nommer: _Vous en oubliez une_, lui dit froidement l'accusé.—_Laquelle?_ s'écria le témoin.—_Eh! mais c'est vous_, répliqua Etchehon en riant aux éclats. Quand Eguiapal, appelé comme témoin, parut dans la salle, un tressaillement sembla s'emparer d'Etchehon, et sa figure prit une expression extraordinaire. «Scélérat! s'écria-t-il emporté par son indignation, tu es la cause de ma perte et de celle de ma famille; tu as profité de la faiblesse de ma femme: tu couchais dans mes linceuls, et moi, j'étais gisant sur la paille des cachots où vous vouliez me faire périr; tu buvais mon vin et tu mangeais mes jambons, tandis que je n'avais que de l'eau et un pain que j'arrosais de mes larmes. Tu n'es pas satisfait cependant encore!... Scélérat! tu devrais être à ma place!» En proférant ces mots, la voix d'Etchehon était tremblante de colère, ses yeux lançaient des éclairs; son rival était confondu. Un incident, inouï peut-être dans les annales judiciaires, vint donner un grand poids aux allégations par lesquelles Etchehon se plaignait d'être victime d'un complot. Un témoin, après sa déposition, remit au procureur-général une pétition dans laquelle plusieurs habitans de Barcus, tout en accusant Etchehon du crime le plus affreux, demandaient à la Cour, si elle ne pouvait prononcer sa condamnation, du moins de ne pas le remettre en liberté. Les débats se prolongèrent pendant deux jours. Les charges les plus graves de l'accusation s'y trouvèrent singulièrement affaiblies; et quant au crime d'assassinat, il fut impossible d'établir que l'accusé eût jamais eu un fusil à sa disposition. Etchehon, déclaré non coupable par le jury, fut acquitté, à la vive satisfaction de la foule nombreuse qui remplissait l'auditoire. PARRICIDE CAUSÉ PAR LA MONOMANIE DU MEURTRE. Jean Fort vivait avec sa mère au village des Cossardières, canton de Larochefoucault. Dès son enfance, ce jeune homme avait montré un caractère sombre et taciturne. Cette malheureuse disposition d'esprit avait sans doute pris sa source dans une infirmité grave dont il était affligé. Son visage s'était couvert d'une lèpre envenimée, qui, faisant chaque jour de nouveaux progrès, avait fini par devenir un ulcère dégoûtant et horrible. Son nez, rongé par le mal, avait entièrement disparu; ses lèvres, à moitié dévorées, ne lui permettaient plus de fermer la bouche; et ses traits étaient tellement défigurés, qu'il était difficile d'imaginer rien de plus hideux. A mesure que ce mal étendait ses ravages, Jean Fort devint querelleur, emporté, furieux. Le maire de sa commune le fit placer à l'hospice de Larochefoucault; mais Jean Fort se fit bientôt chasser, à raison de sa mauvaise conduite. Un jour, s'étant approché du lit d'une mourante, il fit à cette malheureuse d'infâmes propositions. Les pauvres, la supérieure et les dames de l'établissement étaient l'objet de ses insultes journalières. Ayant été forcé, par suite de cette expulsion, de rentrer à la maison paternelle, Jean Fort, peu touché des soins que sa mère lui prodiguait, se livra à son égard aux emportemens les plus condamnables. Vers le commencement de juin 1828, on le vit, la prenant à la gorge d'une main, la frapper de l'autre avec un bâton; et dans le moment où l'on s'empressait d'arrêter les effets de sa frénésie, Fort fit entendre ces horribles paroles: _Si je ne te tue pas aujourd'hui, je te tuerai demain._ Vers le même temps, plusieurs personnes le virent s'avancer vers un enfant à qui il disait: _Je te tuerai, coquin, parce que lorsque tu serais grand, tu te moquerais de moi._ Ces preuves de violence et d'abrutissement étaient d'un bien sinistre augure; pourtant on était loin d'en prévoir les épouvantables conséquences. Le 18 juin, la veuve Fort disparut tout-à-coup de son domicile; la veille encore, ses voisins l'y avait aperçue. Le même jour, Fort quitte la maison et va dans les campagnes voisines, pour demander l'aumône, suivant son habitude. Il rencontre la femme Touchet qui, après lui avoir donné un morceau de pain, lui dit: «Eh bien! mon pauvre Jean, vous ne guérissez donc pas?—Je guérirai bien, dit-il, car je veux tuer tous les limousins, et tous les gens de chez Querroy.—Et pourquoi voulez-vous tuer tant de monde?—Je veux tuer les gens de chez Querroy, parce qu'ils sont trop épais et qu'il faut les éclaircir; les autres, parce qu'ils sont trop honnêtes, et qu'ils sont cause que j'ai tué ma mère.—Vous avez tué votre mère? malheureux! et comment?—Je l'ai tuée avec un poing. Mais je m'en vais; je la placerai sur de la bruyère bien sèche, je la mettrai dans une bière et je l'enterrerai.» Le 19 juin, à deux heures de l'après-midi, la femme Blanchier, l'une des voisines de la veuve Fort, vit le fils de cette femme entrer dans son jardin, avec une bêche et une pelle de bois; il se mit à tracer une fosse, et bientôt commença à la creuser. «Que veux-tu faire? lui demanda la femme Blanchier.—C'est une fosse pour enterrer ma mère.—Comment! ajoute la voisine, ta mère est morte?—Oui, je l'ai tuée; et si vous ne voulez pas le croire, allez la voir.» La femme ne prit pas d'abord ces propos au sérieux; elle s'imagina que la veuve Fort travaillait à la journée pour quelques propriétaires du voisinage. Cependant, préoccupée des étranges paroles de Fort, elle en parla le soir à son mari; celui-ci en conçut quelque inquiétude et les fit partager à sa femme; ils se couchèrent, mais il leur fut impossible de fermer l'œil. Ils se levèrent alors et allèrent avertir d'autres voisins. Jean Fort était toujours occupé à creuser la fosse. La femme Blanchier ne put plus y tenir; glacée d'effroi, vers minuit, elle lui cria: «_Eh! va donc te coucher!_ Fort répondit froidement: _Allez vous coucher vous-même; je ne travaille pas sur votre propriété._» Quand le jour parut, tout le village était en émoi. Le maire arriva bientôt sur les lieux; il s'approcha de la fosse, et vit, non sans un grand étonnement, Fort étendu dans le trou qu'il avait creusé, et plongé dans un profond sommeil. Le maire continua son enquête; il entra dans la maison; d'abord il fut arrêté par une odeur fétide qui le suffoquait, et bientôt un horrible spectacle s'offrit à ses regards: c'était le cadavre de la veuve Fort, placé sur une chaise; son visage et ses vêtemens étaient couverts d'un sang noir; sa coiffe, qui était à ses pieds, laissait apercevoir sur le crâne des mutilations si graves, que des parcelles de la cervelle étaient sorties de leur enveloppe. Après avoir rédigé son procès-verbal, le maire revint dans le jardin. Fort avait repris sa bêche et continuait son travail. —Eh! que fais-tu là? lui dit-il. —Je creuse votre fosse, répondit Fort. —Mais, malheureux, je ne suis pas mort. —C'est égal, monsieur le maire, vous avez pris soin de mon enfance, il faut bien que je fasse quelque chose pour vous. —Où est ta mère? —Elle est morte. —Qui l'a tuée? —C'est moi. —Et comment? —Avec cette tranche. Et en même temps, l'insensé soulevait et montrait l'instrument encore ensanglanté. Lors de l'autopsie du cadavre, on remarqua que le crâne avait été brisé par un instrument tranchant avec lequel six coups avaient été portés: on voyait, de plus, sur le sein de la victime deux plaies profondes, faites à l'aide d'un couteau qui avait dû y être plongé deux fois, alors que le corps était déjà inanimé. Le maire fit sortir Jean Fort de la fosse; il en constata la dimension, puis rentra dans la chambre, et vit cet homme qui était occupé à passer des bas blancs dans les jambes de sa mère, raidies par la mort. Cependant les gendarmes venaient de cerner la maison; l'un d'eux y étant entré, Fort le regarda sans effroi, et continua de vêtir la victime. —Et que faites-vous là? dit le gendarme. —Ne voyez-vous pas, répondit Fort, que je l'ensevelis? Le gendarme revint plusieurs fois et trouva toujours Fort livré à la même occupation; il était enfin parvenu à coudre un drap blanc autour du cadavre de sa mère. Jean Fort fut arrêté, et la procédure s'instruisit devant le tribunal d'Angoulême. Dans ses premiers interrogatoires, le prévenu nia que la veuve Fort fût sa mère; mais plus tard, il en convint et prétendit que ce n'était pas lui qui l'avait assassinée; que ses voisins l'avaient sans doute tuée; il ajouta qu'il avait quitté sa demeure dès le 16 juin, et qu'il n'y était revenu que le 19 dans la journée. Enfin, dans un dernier interrogatoire, il tint un langage incohérent, et finit par dire, en jurant, au juge d'instruction _qu'il se moquait de la vie, et qu'on ne le tuerait pas deux fois_. Les habitans des Cossardières n'avaient jamais remarqué chez Jean Fort des signes d'aliénation mentale. Il était, suivant leurs expressions, _plus méchant que fou_. Le maire l'avait eu à son service depuis l'âge de douze ans jusqu'à treize, et loin d'apercevoir en lui le moindre signe de démence, il lui avait reconnu une rare intelligence dans la manière dont il s'acquittait des commissions qui lui étaient confiées. Le médecin de l'hospice avait bien remarqué dans ses traits un égarement qu'il croyait devoir attribuer à la violence de son mal, mais jamais il n'avait pensé que cet air égaré provînt d'un dérangement d'esprit. Jean Fort fut traduit dans la première quinzaine d'août devant la Cour d'assises de la Charente. Son interrogatoire fut de nature à corroborer les soupçons d'aliénation mentale. Nous allons en transcrire quelques fragmens. _Le président_: Jean Fort, vous êtes accusé d'un crime épouvantable: dites, est-ce vous qui avez tué votre mère? _L'accusé_, sans se lever: Non. _Le président_: Vous l'avez cependant dit à plusieurs témoins; levez-vous et répondez. _L'accusé_, se levant tout-à-coup et faisant entendre une voix effrayante: Oui, je l'ai dit.... _Le président._ Vous l'avez donc frappée d'une manière horrible? _L'accusé_: Qu'on me le prouve! (Puis il murmura des blasphèmes.) _Le président._ Et pourquoi avez-vous tué votre mère? _L'accusé_, avec l'accent de la colère Pourquoi me faisait-elle _enrager_? si ce n'était pas fait, je le ferais encore. (Mouvement d'horreur dans l'assemblée.) Après cet interrogatoire, on procéda à l'audition des témoins dont les dépositions confirmèrent tous les faits que nous avons relatés. L'accusation fut soutenue avec véhémence par le ministère public, qui crut devoir repousser la question d'aliénation mentale. Le défenseur de Jean Fort, M. Aubin Durand, s'attacha au contraire à établir le fait de démence et le fit d'une manière remarquable. Sa chaleureuse improvisation trouva de vives sympathies parmi les membres du jury; car, après une demi-heure de délibération, il rendit une décision ainsi conçue: _Non, l'accusé n'est pas coupable, parce qu'il était en état de démence au moment de l'action._ Malgré ce verdict d'acquittement, Fort fut reconduit en prison, sur la réquisition du ministère public, qui dut s'occuper des moyens de faire prononcer l'interdiction de ce malheureux. ASSASSINAT DE DEUX ÉPOUX COMMIS PAR HOCQUAU, FORÇAT LIBÉRÉ. Les époux Houot, rentiers, étaient domiciliés à Vasancourt, département des Vosges; le mari était plus que septuagénaire. Ils avaient pour voisin le menuisier Camus, chez lequel avait travaillé quelque temps le nommé Hocquau, forçat libéré. Cet homme, âgé de trente-cinq ans, comptait déjà quinze années de travaux forcés; il était revenu à Moreville, depuis le 2 avril 1828. Hocquau, signalé depuis long-temps à cause de sa profonde perversité, au lieu de profiter du travail que Camus lui avait offert, quitta bientôt son atelier, et absorba en peu de jours les cinquante-quatre francs qui, produit de sa masse durant sa captivité, lui avaient été payés par le maire de Moreville. Hocquau s'introduisit chez les époux Houot, sous le prétexte d'y changer une pièce de deux francs. On présuma depuis que, dans cette occasion, il avait pu remarquer que les sieur et dame Houot avaient dans leur armoire une somme d'argent plus ou moins considérable, et que cette remarque avait suffi pour lui donner l'idée de commettre un crime horrible. Hocquau avait quitté la commune de Vasancourt depuis qu'il n'y travaillait plus. Il y revint dans la nuit du 4 au 5 avril, et s'introduisit, par une croisée laissée ouverte, dans la maison des époux Houot. Pour être plus à l'aise dans l'exécution de son projet criminel, il avait laissé, à quelque distance, une partie de ses vêtemens, et s'était rendu dans la maison de son ancien maître, le menuisier Camus; là, il s'était saisi d'une hache à main qui devait servir d'auxiliaire à sa scélératesse. Revenu près de la maison des époux Houot, il s'y introduit, s'avance, au milieu de l'obscurité, vers un lit qu'il avait remarqué, et cherche à tâtons s'il ne rencontrera pas quelque victime à frapper. Les lits étaient vides; Hocquau passe à la cuisine, trouve dans le buffet un jambon qu'il déchire de trois ou quatre coups de dents et qu'il jette après l'avoir ainsi rongé; puis, il entre dans la pièce voisine qui était la chambre à coucher des époux Houot; il va droit au lit et assène un premier coup qui traverse la couverture et effleure la peau du vieillard. Houot se débattit entre les mains de son assassin; mais bientôt six autres coups, portés avec force, le privèrent de connaissance, et Hocquau le traîna au milieu de la chambre. La dame Houot était beaucoup plus jeune que son mari. Mais que pouvait-elle faire seule, sans armes, contre un furieux qui d'un seul coup pouvait l'étendre à ses pieds? d'ailleurs, en ce moment elle était plongée dans un profond sommeil. Cette femme est elle-même atteinte d'un premier coup mal assuré; elle se réveille en sursaut et, croyant que son mari est agité par quelque rêve pénible, elle s'écrie: _Mais que faites-vous, Houot? vous me frappez!_ Mais elle ne tarda pas à être détrompée; le bras qu'elle avait étendu pour retenir son mari fut atteint par un nouveau coup de hache qui en sépara presque entièrement le poignet, et dix autres coups, portés avec la même violence, l'eurent aussi bientôt privée de sentiment. Ainsi, en quelques instans, Hocquau avait déchargé dix-neuf coups de hache sur ses victimes. Cependant, au milieu de cette scène tragique, et par un heureux hasard, le sieur Houot avait en ce moment chez lui son petit-fils, l'abbé Clause, clerc tonsuré du séminaire de Verdun. Ce jeune homme couchait dans une chambre voisine de celle des époux Houot, et dans laquelle il y avait une porte de communication. Il entend du bruit, des cris; il se lève, se précipite dans la chambre de ses parens, et voit un homme s'y livrer sur eux aux violences les plus horribles: alors, et sans hésiter, il s'élança sur l'assassin, et engagea avec lui une lutte inégale autant que dangereuse. Vainqueur et vaincu tour-à-tour, le jeune abbé ne perdit pas courage; quoique blessé légèrement de deux coups de hache, que lui avait portés son adversaire, il conservait toute sa force. Vainement l'assassin, contraint d'abandonner sa hache, avait saisi le jeune homme aux parties sexuelles; vainement il déchirait avec ses dents le bras du jeune Clause; celui-ci, loin de lâcher prise, parvint à traîner Hocquau près de la fenêtre, appelant à grands cris du secours. Enfin, il renversa et contint Hocquau sur le lit même où les époux reposaient avant qu'il les en arrachât. Bientôt des voisins accoururent de toutes parts, et l'on vit le sieur Houot étendu sur le carreau, et ne donnant aucun signe de vie; sa femme horriblement mutilée, et également sans mouvement; la chambre dans le plus grand désordre, et toute inondée de sang. L'assassin, toujours contenu par l'intrépide jeune homme qui l'avait terrassé, écumait de colère et de rage. A la vue de tant de témoins de sa criminelle tentative, Hocquau déclara qu'il se rendait; on le lia fortement au pied du lit même de ses victimes, et l'on courut avertir l'autorité, qui ne tarda pas à le remettre entre les mains de la justice. L'instruction de cette affaire ne présentait aucunes ambages, aucune difficulté. Hocquau avait été pris en flagrant délit: il lui était impossible de recourir à un système de dénégation; aussi ne le fit-il pas; il prétendit seulement qu'il n'était entré dans la maison que pour y voler, et qu'il n'avait frappé que parce qu'il avait senti le bras du vieillard prêt à l'arrêter. Les débats qui eurent lieu devant la Cour d'assises des Vosges, en septembre 1828, ne présentèrent aucune nouvelle circonstance; l'accusé persista dans sa première déclaration; on apprit seulement qu'il avait dit, lors de son arrestation, que s'il avait su que l'abbé Clause fût chez son aïeul, il eût commencé par lui, ou ne fût point entré dans la maison. Par suite de leurs graves et nombreuses blessures, les époux Houot ne purent comparaître devant la Cour. Leur petit-fils, appelé comme témoin, reçut des principaux magistrats de la Cour les éloges dus à son intrépidité; non-seulement le courage de ce jeune ecclésiastique avait servi à préserver ses parens d'une mort qui semblait inévitable, il avait encore garanti la justice de l'erreur funeste dans laquelle elle eût pu être entraînée, si le véritable coupable n'eût pas été arrêté, en trouvant sur le lieu du crime la hache du menuisier Camus. Hocquau, demeuré impassible pendant toute la durée des débats, fut déclaré coupable par suite de la décision unanime du jury, et condamné en conséquence à la peine de mort. Sa sentence lui fit pourtant verser quelques larmes, larmes qui prenaient plutôt leur source dans le regret d'avoir manqué son crime que dans le repentir de l'avoir entrepris. MARIE LOMBARD, ASSASSINÉE PAR SON FIANCÉ. Marie Lombard, jeune fille aussi sage que belle, habitait la commune de Chefhaute, dans les Vosges. Elle était l'unique soutien de sa mère, et sa conduite lui avait mérité l'estime de tous ses voisins. Le nommé Mathieu lui faisait une cour assidue, et quoique la mère de la jeune fille ne fût pas très-satisfaite de cette alliance projetée, elle avait néanmoins accordé son consentement. Les bans étaient publiés, le mariage allait être célébré; une irrégularité dans l'acte de naissance de la future retarda la cérémonie. La mère profita de ce retard pour éloigner sa fille d'une union qu'elle voyait avec chagrin. Marie Lombard, ébranlée par les raisons de sa mère, et réfléchissant d'ailleurs au caractère violent de Mathieu et à ses mauvaises habitudes, renonça tout-à-coup à ce mariage. Cette nouvelle inattendue alluma la rage dans le cœur de Mathieu. Dès ce moment, il ne respira plus que la vengeance, et ses menaces comprirent également la fille et la mère. Son ressentiment s'exhalait dans tous ses propos. Des témoins rapportèrent les atroces paroles qu'il avait prononcées en plusieurs circonstances: _Marie Lombard_, disait-il, _passera par mes mains; elle ne mourra que par moi, je la tuerai avec un kolbau_ (espèce de hoyau). Malheureusement Mathieu ne s'en tint pas à de vaines et coupables menaces. Le 6 juin 1828, ayant aperçu, sur les onze heures du matin, Marie Lombard se dirigeant vers le champ de sa mère, au moment où il revenait lui-même chez son maître pour y dîner; il mangea à la hâte, refusa d'achever son repas, et, malgré une pluie abondante, s'obstina à retourner aux champs; mais au lieu de se rendre à son travail, il suivit la route qu'avait tenue Marie Lombard, et la rejoignit bientôt, au moment où cette infortunée s'occupait à sarcler. Là, il renouvela à la jeune fille ses propositions de mariage; mais voyant qu'elle persistait dans son refus, il changea alors tout-à-coup de langage et de conduite, et appela la violence à son secours. Marie Lombard voulut fuir, mais elle tomba atteinte par un premier coup porté entre les deux épaules; elle se releva; trois autres coups, assénés sur la tête, l'abattirent de nouveau, et son amant, devenu son assassin, l'acheva malgré ses larmes et ses prières. Après cet horrible meurtre, Mathieu alla froidement laver son couteau dans un ruisseau voisin, puis il erra dans la campagne. Toutefois sa rage n'était pas encore satisfaite; sa passion et sa haine survivaient encore dans toute leur force; elles le ramenèrent auprès de sa victime. Près de deux heures s'étaient écoulées; il ne retrouva plus qu'un cadavre presque froid. Une stupide fureur s'empare de ses sens; il traîne le cadavre à vingt pas de là; il arrache les vêtemens qui le couvrent; il repaît ses yeux de ce spectacle; puis, aidé de son couteau et de son kolbau, il éventre entièrement et du bas en haut, sa victime; il lui déchire le sein; il semble vouloir lui arracher les entrailles, et, par une blessure profonde et circulaire à la cuisse, il indique le projet de découper le cadavre par morceaux. Gorgé de sang, il va laver encore dans le ruisseau, et ses mains, et les instrumens qui lui ont servi à commettre son épouvantable forfait; puis il erre de nouveau dans la campagne. La vieille mère de Marie Lombard ne voyant pas rentrer sa fille, conçut de vives inquiétudes. Elle apprit, non sans effroi, que Mathieu s'était dirigé vers le champ où travaillait sa fille; un funeste pressentiment s'empara de son imagination; elle n'hésita pas à crier: _Ma pauvre fille est perdue!_ Cette présomption, suggérée par la crainte, n'était que trop bien fondée. Le lendemain, dès le point du jour, le cadavre de Marie Lombard fut trouvé sur le lieu du crime. Quant à Mathieu, il avait déjà été arrêté; les propos et les menaces qu'il avait sans cesse à la bouche, avaient éveillé l'attention de l'autorité locale; et, à la première nouvelle de la disparition de Marie Lombard, on n'avait pas hésité à faire planer des soupçons sur Mathieu. On l'arrêta donc provisoirement au moment où, après avoir passé la nuit dans son lit, il demandait son compte à son maître pour rejoindre à Nancy un postillon de ses amis, qui l'eût conduit à Paris, où il espérait se soustraire aux poursuites de la justice. Mathieu rapporta lui-même tous les détails que vient de lire le lecteur, relativement à la consommation du crime. Il montra le mouchoir qu'il avait arraché à sa victime, et que, tout ensanglanté encore, il avait ceint autour de ses reins sous sa chemise. Il n'avait été vu de personne dans l'accomplissement de son attentat; seulement on l'avait aperçu s'approchant de la fille Lombard: puis quelque temps après, on l'avait vu parler à un jeune homme avec lequel il s'était arrêté. Il disait à ce jeune homme qu'il avait rencontré sa maîtresse, et l'invitait à venir voir comment il l'_avait arrangée_. L'instruction ne put parvenir à expliquer cette démarche: Mathieu voulait-il se faire passer pour fou, ou était-il véritablement en démence, ou bien avait-il résolu de détruire, par un nouveau crime, un homme dont il pouvait redouter le témoignage? Mais, par un heureux hasard, le jeune homme n'avait pas cédé à l'invitation de Mathieu. Le coupable comparut devant la Cour d'assises des Vosges, le 5 septembre 1828. Là, il répéta ses aveux. «J'aurais voulu pouvoir, disait ce furieux, couper Marie Lombard par morceaux pour assouvir ma vengeance. Au surplus, si je l'ai frappée, c'est qu'elle voulait résister à mes désirs, et m'a porté un premier coup pour se défendre.» Sur la réponse affirmative du jury, Mathieu fut condamné à la peine capitale. Ce féroce assassin entendit le fatal arrêt sans que la moindre émotion eût paru sur ses traits. SUZANNE DUSSAUT, ACCUSÉE D'AVOIR ASSASSINÉ SON MARI. Les emportemens de la violence ont souvent des résultats bien funestes. Par eux, l'homme, habituellement bon et généreux, devient momentanément un maniaque redoutable; par eux, l'homme le plus moral, le plus probe, se trouve métamorphosé tout-à-coup en assassin. Le 13 août 1828, Gassies sortit de chez lui pour aller faire la provision du dîner de sa famille; son absence fut plus longue que de coutume. Pendant ce temps, Suzanne Dussaut, sa femme, s'occupait des travaux du ménage. Lors du retour de Gassies, qui s'était fait long-temps attendre, elle avait dans les mains un long couteau qui servait ordinairement aux apprêts de la cuisine. Elle adressa à son mari quelques reproches très-vifs sur sa lenteur extraordinaire. Gassies lui répondit avec dureté; de sorte que la querelle devenant de plus en plus violente, le mari hors de lui, lança contre sa femme une bouteille, qu'elle eut le bonheur d'esquiver. Cet acte d'hostilité acheva d'irriter les deux époux l'un contre l'autre. Gassies s'avança vers Suzanne et lui donna un soufflet. Au même instant, celle-ci, chancelante, tomba sur un meuble, tandis que Gassies roulait à ses pieds percé d'un coup mortel. Le couteau que sa femme tenait à la main lui avait traversé le cœur; il ne tarda pas à rendre le dernier soupir. Suzanne, saisie d'horreur, se précipita vainement sur ce corps que la vie venait d'abandonner; vainement elle cherchait à le ranimer: Gassies avait reçu le coup de la mort. Dans son désespoir, cette malheureuse femme courut se remettre entre les mains de la justice; elle se jeta aux pieds du procureur du roi, raconta toute la scène qui venait de se passer, et ajouta que, frappée du soufflet, elle avait aussitôt lancé le couteau contre Gassies, et qu'elle avait été foudroyée, quand elle l'avait vu défaillir. Le magistrat donna aussitôt des ordres pour que l'on procédât sur-le-champ à une instruction, et prescrivit à Suzanne de se constituer prisonnière dans la maison d'arrêt. Suzanne, éplorée, raconta aux gendarmes qui l'accompagnaient les circonstances du funeste événement; elle répéta, dans ce récit, qu'elle avait tué son mari, que frappée par lui, elle lui avait porté un coup de couteau. Bientôt l'instruction commença. Anne Gervais, domestique des époux Gassies, seule témoin oculaire du déplorable fait dont la justice avait à s'occuper, raconta bien la querelle des deux époux telle que sa maîtresse l'avait elle-même racontée, mais elle en présenta le funeste dénouement d'une manière différente. Suivant sa déposition, au moment où Suzanne, renversée sur le meuble, se relevait, Gassies s'élançant sur sa femme pour lui arracher le couteau, s'était percé lui-même dans sa précipitation. L'accusée, interrogée de nouveau, revint sur sa première déclaration, modifia ses précédens aveux, et fit un récit dans le sens de la déposition de sa domestique. Mais sa première version subsistait; il fallait donc qu'elle se justifiât de l'accusation qui pesait sur elle. Suzanne Dussaut fut en conséquence traduite devant la Cour d'assises de la Gironde. Cette femme était mère de huit enfans; sa réputation avait été toujours intacte: aussi sa pénible situation inspirait-elle un intérêt général. Suzanne Dussaut comparut devant ses juges le 13 septembre 1828. Là, de nombreux témoins vinrent attester le bon accord, la douceur naturelle et l'intégrité reconnue de Gassies et de sa femme. Du reste, les explications du médecin appelé, la déclaration invariable de la domestique, étaient autant de présomptions victorieuses en faveur de l'accusée. M. Ravez fils, premier avocat général, chargé de soutenir l'accusation, remit avec confiance le sort de l'infortunée Suzanne entre les mains des jurés. Toutefois, ce jeune magistrat ne laissa pas échapper l'occasion de puiser dans cette cause un grand enseignement; il la présenta comme un exemple des incalculables malheurs, où peut entraîner l'impulsion désordonnée des mouvemens violens ou passionnés. Le défenseur de Suzanne avait peu d'efforts à faire pour écarter de sa cliente toute idée de culpabilité. Mais il avait surtout à cœur de dissiper complètement tous les nuages qui pouvaient obscurcir encore son innocence. Il fit donc connaître les antécédens de Suzanne Dussaut, et rappela avec détail une scène de gaîté qui avait eu lieu entre les deux époux, le matin même du jour du fatal événement. Il démontra ensuite par la situation des lieux, par l'état de la blessure et par les récits des témoins, que réellement, il ne fallait attribuer la mort de Gassies qu'à sa propre imprudence. On conçoit sans peine qu'après de pareils débats, l'innocence de Suzanne Dussaut fut proclamée sur la question de meurtre volontaire qui avait été posée au jury. LOUIS DAIGREMONT, EMPOISONNÉ PAR SA FEMME. Louis Daigremont, cultivateur à Saint-Aignan-sur-Roë, arrondissement de Château-Gontier, avait épousé, depuis dix-huit mois, Louise Bruchet plus jeune que lui de dix années. Cette jeune fille n'avait consenti à ce mariage que par contrainte; aussi cette union fut-elle continuellement troublée par des chagrins sans cesse renaissans. Louise Bruchet était d'un caractère sombre et d'une humeur triste; sa figure n'avait rien d'agréable; un coup-d'œil plein de force et de pénétration attestait toutefois la présence de passions intérieures, et démentait l'opinion qui la représentait comme stupide. De plus, elle avait aimé avant son mariage un nommé Coiset, et il paraît que cette première inclination avait conservé toute sa force. Daigremont était connu pour sa bonté, sa générosité: tous ses voisins l'aimaient, mais les défauts du caractère de sa femme finirent par aigrir le sien. Il en vint à lui faire des menaces et quelquefois même à la frapper. Ces procédés ne firent qu'accroître la haine que lui portait sa femme; bientôt, ayant donné le jour à un enfant, elle lui voua toute la haine qu'elle portait à son père. Le vendredi 30 mai 1828, une querelle assez vive éclata entre les deux époux, par suite de la négligence continuelle que le mari reprochait à sa femme. Daigremont sortit à deux heures pour aller travailler aux champs, et revint à huit heures du soir pour le repas ordinaire de la famille. A peine eut-il commencé à manger la soupe qui lui était destinée, qu'il se plaignit du mauvais goût qu'elle avait; il continua cependant à la manger, et voyant qu'il y avait au fond de la soupière quelque chose de singulier, et pareil à des grumeaux qui n'auraient pas été dissous, il dit à sa femme: _Ah! mon Dieu! qu'as-tu donc mis dans ma soupe? Je n'y trouve que du lait_ fâché (lait caillé), _ce ne sont que des_ moches (des grumeaux) _au fond de mon écuelle_. Elle répondit: _Ce n'est rien, ce sont deux ou trois gouttes de bouillie, qui sont tombées du poëlon dans votre écuelle; vous aimez toujours à_ daronner (gronder). Daigremont, plus rassuré, acheva ce qui restait de sa soupe, et prit ensuite un œuf; à peine put-il y goûter qu'il se plaignit d'un grand mal de cœur, de douleurs aiguës. Des vomissemens pénibles vinrent de plus en plus aggraver sa position; ses membres se raidirent et se contractèrent; à minuit, une sueur froide glaçait déjà ses pieds et ses mains. Sentant son état empirer de moment en moment, le malheureux Daigremont demanda le curé de la commune pour se confesser; il fit aussi appeler ses voisins pour leur faire ses adieux. Tout le monde crut d'abord que les douleurs du malade provenaient d'une grande quantité d'eau très-fraîche qu'il avait bue, vers cinq heures, pour étancher la soif que lui avaient occasionée un travail pénible et la chaleur du jour. Daigremont, en proie aux souffrances les plus aiguës, n'éprouva quelque soulagement que, lorsque la prostration totale de ses forces l'eut réduit à un anéantissement complet. Vers quatre heures, on lui fit prendre un peu de vin chaud pour le ranimer; mais la défaillance générale augmenta, les efforts et les gémissemens cessèrent, et à onze heures, il avait cessé d'exister. Une mort aussi subite, aussi extraordinaire devait faire naître des soupçons. Une sorte d'effroi se répandit dans toute la commune, plusieurs poules des voisins périrent dans la même matinée; pressées par une soif inextinguible, elles moururent dans une espèce de convulsion. Le chien d'un habitant du village fut atteint tout-à-coup de vomissemens; et l'on fit la remarque que ces animaux avaient mangé une partie des matières rejetées par Daigremont. Les crêtes des poules étaient toutes noires, et firent penser que la mort avait été causée par le poison. Cette opinion s'accrédita, mais elle fut combattue avec force par une foule de gens qui avaient été dupes de l'hypocrisie de la femme Daigremont. Dix-huit jours se passèrent dans cette alternative; enfin la vérité triompha de toutes les présomptions qui tendaient à l'étouffer, et ce ne fut, qu'après ce long intervalle, que le juge d'instruction fut informé de ce qui était arrivé et ordonna l'exhumation du corps. L'autopsie constata que les organes de la digestion avaient été gravement altérés: la bouche, l'œsophage, et surtout l'estomac étaient sillonnés par de nombreuses érosions dont plusieurs étaient très-profondes. Quelques parties, jetées sur des charbons ardens, exhalèrent une forte odeur d'ail. Plusieurs expériences chimiques attestèrent la présence de l'arsénic dans le liquide que l'on trouva encore dans l'estomac. L'indifférence incroyable de la femme Daigremont pendant les agonies successives de son mari, l'éloignement dans lequel elle se tenait toujours de son lit, l'obscurité qu'elle avait entretenue dans la chambre de son mari, son empressement à balayer elle-même les matières vomies et desséchées par la cendre rouge qu'elle jetait dessus, enfin le soin tout particulier qu'elle avait mis à faire disparaître les poules qui étaient mortes subitement, et ses efforts pour empêcher d'aller prévenir les amis et le médecin que Daigremont mourant demandait, furent rappelés à la charge de la femme de cet infortuné. A ces premières données vinrent se joindre les révélations de la domestique de la maison. Le cœur navré de tout ce qui s'était passé sous ses yeux, elle dit que la veille de la mort de son mari, la dame Daigremont, après la querelle du matin, avait toujours conservé un visage sévère; que son air taciturne et son silence continuel contrastaient péniblement avec la gaîté du mari qui avait déjà tout oublié. Le soir, l'accusée tailla la soupe, et contre son ordinaire, superposa la tranche de pain destinée à l'écuelle de Daigremont avec un soin tout-à-fait inaccoutumé. Elle eut ensuite la précaution de faire tremper la soupe par la domestique; mais auparavant l'écuelle du mari avait été enfermée dans le tiroir, et personne que la femme Daigremont n'avait pu y toucher. Elle pressa son mari de manger; au moment où l'âcreté de la soupe occasionnait ses plaintes, et quand des douleurs aiguës vinrent signaler l'activité dévorante du poison, cette femme, insensible à tant de souffrances, n'opposait aux cris déchirans de sa victime que ces mots prononcés avec dureté: _Ne huchez_ (gémissez) _donc pas si fort; cela ne sert à rien!_ Le mari s'écriait souvent, par une réminiscence douloureuse: _Ah! bouillie! bouillie!_ et ces mots qui devaient rappeler à la coupable épouse toute l'horreur de son crime, ne provoquaient de sa part aucune réponse et lui donnaient encore plus d'éloignement pour administrer des secours à son mari. Pendant que celui-ci luttait contre les convulsions de la mort, elle se tenait presque constamment dans une autre pièce où sa présence était tout-à-fait inutile. On rapprocha de toutes ces remarques celles que l'on avait faites sur la conduite de la femme Daigremont à l'égard de son enfant. Le jour même qu'elle lui avait donné le jour, elle avait dit plusieurs fois à la sage-femme qui le rapportait du baptême: «_Pourquoi ramener ce moas gars-là_ (ce mauvais garçon-là)? _il fallait le jeter dans le ruisseau des Hallandières_; je m'en serais bien passé!» Depuis lors elle refusait ses soins à cette innocente créature, disant qu'elle _avait à filer_. La réunion de tous ces faits donnait lieu à des présomptions d'une nature grave; mais il n'y eut plus le moindre doute, quand on apprit que la femme Daigremont avait à sa disposition une grande quantité d'arsénic, et qu'elle avait même engagé son mari à en faire l'emplète pour détruire les rats qui, disait-elle, infestaient la maison: or, il demeura constant, par suite de la déclaration de la domestique, qu'il n'y avait point de rats chez eux. On découvrit qu'elle avait cherché à se procurer d'autres poisons; son beau-frère avait refusé constamment d'aller demander l'autorisation d'en acheter, et lors de l'arrestation de l'accusée, on saisit un permis qu'elle avait arraché au maire de sa commune, au nom de son mari. Louise Bruchet, arrêtée dix-neuf jours après son crime, perdit un peu de sa tranquillité. Néanmoins, pendant l'autopsie du cadavre de son mari, elle but un verre d'eau-de-vie, sur la même table, où étaient ces restes putréfiés. Les signes qu'elle faisait à sa domestique pendant l'interrogatoire, les prières instantes qu'elle lui avait adressées pour qu'elle gardât le plus profond silence, ses indiscrètes questions au gendarme qui l'escortait, tout décelait que cet être endurci dans le crime, était incapable de connaître le remords, et n'avait qu'une seule crainte, celle du châtiment. Enfin elle mit le comble à sa scélératesse, en accusant sa domestique d'avoir commis le crime, et d'avoir ensuite tenté de l'empoisonner elle-même. La veuve Daigremont parut le 10 octobre 1828 devant la Cour d'assises de la Mayenne. Son maintien annonçait une froide impassibilité, qui ne se démentit pas un seul instant; elle répondit négativement sur tous les faits de l'accusation. Mais la manière embarrassée avec laquelle elle répondit à plusieurs questions, sa voix affaiblie, ses paroles inachevées, trahissaient son audacieuse effronterie. Voici quelques fragmens de cet interrogatoire. _D._ Persistez-vous à dire que c'est votre domestique qui a empoisonné votre mari? _R._ (A demi-voix.) Je n'en sais rien. _D._ Vous disiez n'avoir pas d'argent; quel est donc celui qui a été trouvé dans un endroit secret de votre armoire? _R._ Je ne suis pas cause si le juge de paix l'y a mis pour me perdre. _D._ N'avez-vous pas donné un soufflet à votre mari qui s'approchait de vous? _R._ Jamais à personne. _D._ Pourquoi ne donniez-vous pas de soins à votre enfant? _R._ Parce que je filais. _D._ Dites-nous le motif qui vous porta, quinze jours après la mort de votre mari, à fouler et déchirer vos coiffes de noce? _R._ Parce que je n'avais pas été heureuse. _D._ Votre mari était donc méchant envers vous? _R._ (Silence.) _D._ Votre mari n'était-il pas aimé de tous ses voisins? _R._ (Même silence.) L'audition des témoins ne fit qu'apporter une nouvelle confirmation des faits et des propos déjà connus du lecteur. Le gendarme Quentin, appelé comme témoin, déclara avoir dit à l'accusée qui pleurait: _Attendez; il faut des preuves pour vous condamner._ A quoi la femme Daigremont répondit: _Ah! s'il faut des preuves, qu'ils courent après._ Elle avait demandé aussi plusieurs fois à ce même gendarme si on avait trouvé de l'arsénic dans l'estomac du cadavre, et sur l'affirmative, elle s'était écriée en pleurant: _Ah! mon Dieu! il me feront donc mourir!_ L'accusée entreprit de démentir plusieurs des déclarations des témoins; mais ceux-ci la confondirent et la réduisirent au silence. Toutefois, pendant toute la durée de ces pénibles débats, elle conserva le même calme et la même assurance. Le talent du défenseur nommé d'office ne pouvait triompher de tant de circonstances graves qui établissaient la culpabilité de la femme Daigremont. La déclaration du jury, rendue à la majorité de sept contre cinq, fut confirmée à l'unanimité par la cour. L'accusée, en entendant prononcer l'arrêt de mort, ne perdit rien de son inconcevable tranquillité. PIERRE LAMUR, DIT DOUMAIRON. Il y a quelquefois des réflexions utiles, sinon consolantes, à tirer de la relation des derniers instans d'un criminel. Le moraliste y cherche l'occasion de rencontrer quelques nouvelles vues qui puissent l'aider à sonder les mystérieux abîmes du cœur humain. Le repentir accompagne souvent à l'échafaud ceux que la justice a condamnés à mort; mais il en est d'autres aussi qui, obstinément étrangers à toute espèce de remords, non seulement protestent effrontément de leur innocence, mais encore semblent braver par d'étranges plaisanteries la peine terrible qui doit les retrancher de cette vie. Quelque affligeant que soit un pareil spectacle, auquel une foule grossière et stupide assiste de gaîté de cœur, et tout simplement pour voir tomber la tête d'un homme, il est bon cependant de ne pas trop en détourner ses regards; l'honnête homme qui veut se donner la peine de réfléchir, peut faire son profit des choses les plus mauvaises. Il n'est pas inutile qu'il puisse juger par lui-même de la scélératesse presque incroyable qui se développe dans certains individus, nés pour être le fléau de la société. Cette connaissance pourra peut-être le mettre en garde contre des dangers qui alors lui paraîtront possibles. Il en résultera pour lui, non une triste et insociable misanthropie, mais une sage défiance qui fera dans une foule de circonstances, sa force et sa sécurité. Abordons le récit des faits qui ont donné lieu à ces réflexions. Le sieur Pomié, commissionnaire en vins, domicilié à Nissan (Hérault), avait expédié quelques barriques de vin à Béziers, et un chargement était prêt pour partir le lendemain. Pierre Lamur se lève, ce jour-là, vers six heures du matin, s'informe auprès du charretier de la qualité des barriques de vin, que Pomié avait expédié la veille, et de celles qu'il doit faire partir le jour même. Après avoir recueilli ces renseignemens, il forma un horrible projet, et se disposa aussitôt à le mettre à exécution. Il feignit de partir pour aller à la chasse, prit son havresac, ses munitions, et alla se poster dans une vigne, située près de la grande route, d'où sa vue pouvait s'étendre fort loin tout autour de lui. Il s'assit, s'entoura de quelques sarmens pour se cacher aux regards des passans, et prépara son arme. Il poussa même la précaution, jusqu'à y mettre une charge de poudre qu'il tira en l'air pour nettoyer le fusil. Vers les deux heures de l'après-midi, il aperçoit Pomié: c'était la proie qu'il attendait. Aussitôt il descend un petit sentier rocailleux qui conduisait au grand chemin; là, il se cache derrière quelques broussailles, et dès qu'il voit la voiture, il s'élance sur le chemin, tire un coup de fusil, et étend le malheureux Pomié par terre. Lamur s'approche, et, voyant que Pomié respire encore, il lui assène des coups de fusil sur la tête, la brise et la défigure à tel point, que, lorsqu'on eut découvert le cadavre, personne ne pouvait le reconnaître. Pomié était tombé sur le côté de la poche où il avait son sac d'argent; l'assassin le retourne, enlève le sac et se dirige sur Nissan. Arrivé chez lui, il quitte son pantalon qui était couvert de sang, et recommande très-expressément, à sa femme d'employer les moyens les plus efficaces pour en faire disparaître les taches, puis il se rend sur la place publique, où était réunie une foule d'habitans. On venait de découvrir le cadavre de Pomié, on s'entretenait du crime que cette découverte dénonçait; mais, comme on n'avait pas encore reconnu la victime de cet attentat, on supposait dans les groupes que c'était quelque compagnon, qui avait été tué par d'autres compagnons d'un _devoir contraire_. On sait qu'il est certains corps de métiers où les ouvriers forment entr'eux une sorte de maçonnerie qui a sa langue, ses signes, ses statuts; c'est ce qu'ils nomment le _devoir_. Quand ils ont des différens avec des ouvriers d'un autre devoir, il en résulte assez fréquemment des rixes sanglantes, des combats à mort: c'est pourquoi tous les esprits étaient préoccupés par l'idée d'un événement de ce genre. Lamur donna froidement son avis; il ne s'apercevait pas que sa veste était teinte de sang.... Le sang déposait violemment contre lui; et sa moralité plus que suspecte ne pouvait que fortifier les soupçons: chacun vit en lui l'assassin. Il fut arrêté portant encore cette même veste de velours de couleur olive, toute dégoûtante du sang de sa victime, et il parut, sous ce même vêtement, devant le juge d'instruction. Lamur fut condamné à la peine capitale par la Cour d'assises de l'Hérault, le 4 août 1828. Il entendit l'arrêt de mort d'un air consterné, s'écria d'un ton désespéré: _A la mort!_ L'arrêt portait que l'exécution aurait lieu à Béziers sur là grande place du marché. Lamur se pourvut en cassation; mais le pourvoi ayant été rejeté, on transféra le coupable à Béziers. Pendant ce lugubre voyage qui dura trois jours, Doumairon, placé sur une mauvaise charrette, chargé de fers, escorté d'une brigade de gendarmerie et de cinquante soldats, conserva le plus grand sang-froid et affecta même une sorte de gaîté. De temps en temps il fumait un cigare. Une affluence considérable d'habitans du pays l'attendait sur la route ou dans les rues de la ville. Arrivé le 15 octobre à Béziers, il fut conduit dans la maison d'arrêt, et déposé dans la chapelle, où on avait mis pour lui une paillasse. Ayant aperçu le gendarme qui l'avait arrêté, il s'écria: «Retire-toi, monstre, tu as servi de faux témoin, et tu oses te présenter devant moi!» Au moment où le concierge entra dans la chapelle: «Eh bien! lui dit-il, je ne croyais pas être obligé de revenir ici, et surtout de la manière que vous voyez. Les faux témoins m'ont perdu. Je souhaite que Dieu leur rende autant que j'en endure. C'est aussi le maire, ajouta-t-il, qui a contribué à ma condamnation; il m'en voulait, parce que j'avais fait une chanson contre lui.» A une heure, entendant l'horloge sonner, Doumairon demanda à quelle heure on devait l'exécuter, et sur la réponse évasive du gendarme: «Allons, lui dit-il, vous pouvez parler sans crainte; je n'ignore pas mon sort, j'y suis résigné, et vous verrez que je sais mourir!» Quelques instans après, on lui fit lecture de l'arrêt. Lorsque l'huissier prononça ces mots: _Et aux frais, liquidés à 1,945 francs_: «Allons, dit le condamné, j'ai fait là une fameuse journée; je dois 2,500 francs à la caisse hypothécaire, et 1,945 de frais. Je vois bien que mes pauvres enfans n'auront rien; c'est eux seuls que je regrette!» Doumairon persista à se dire innocent. Comme le prêtre des condamnés le pressait de faire l'aveu de son crime, il répondit: «Il n'y a que moi et le bon Dieu qui sachions ce qui en est.» A deux heures, il fut livré aux exécuteurs, qui procédèrent aux derniers préparatifs. Dans cet affreux moment, Doumairon conservait encore tout son sang-froid et même son humeur joviale: «Vous me soulagez là d'un grand poids!» s'écria-t-il, lorsqu'on lui ôta ses fers. A l'instant même où les exécuteurs lui passaient une ficelle entre les jambes, on lui entendit dire en riant: «Voilà, par exemple, deux bien gentils cordonniers!» Conduit à pied jusqu'au lieu du supplice, Doumairon montra constamment une imperturbable assurance; il affectait même d'observer le pas militaire, et de marcher au son du tambour qui battait en tête de la troupe. On remarqua qu'il saluait en souriant les habitans de Nissan qu'il apercevait dans la foule. L'ecclésiastique, placé à ses côtés, l'ayant exhorté de nouveau à mourir en chrétien: «Tout cela est bon et beau, lui répondit ce misérable; mais ça ne vaut pas une bonne bouteille de liqueur.» Arrivé au pied de l'échafaud, il y monta d'un pas ferme, se livra avec calme aux exécuteurs; et ce ne fut pas sans une horreur marquée de surprise qu'on le vit faire de lui-même un mouvement pour placer sa tête sous la hache fatale! JEAN-ANTOINE DUCHON ASSASSIN DE MADELEINE PIOT. Madeleine Piot, jeune fille d'un naturel timide et sans défiance, avait été séduite par Jean-Antoine Duchon, âgé de trente ans, jeune homme d'une conduite fort déréglée, qui déjà avait eu des liaisons intimes avec plusieurs jeunes filles des environs de Besançon, qu'il avait délaissées, après les avoir cruellement abusées. Madeleine avait servi pendant une année, comme domestique, chez la mère de Duchon. Elle était belle et d'un caractère facile et enjoué. Duchon, le Lovelace du canton, lui fit la cour, la séduisit, et quand il l'eut rendue mère, et qu'elle ne lui parut plus propre à servir ses brutales passions, il crut pouvoir s'en débarrasser, comme il avait déjà fait de tant d'autres, par des menaces et par la défense expresse de reparaître devant lui. Mais la malheureuse Madeleine était sans asile et dans la misère; elle ne put exécuter l'ordre, que lui avait donné Duchon, d'aller faire ses couches à Arbois, parce que, sur le point de se rendre à cette destination, elle avait été contrainte, par la gendarmerie, de retourner sur ses pas. Elle revint donc auprès de Duchon pour qu'il disposât de son sort; car elle avait été tellement fascinée par cet homme, qu'elle était l'esclave de toutes ses volontés. Il lui enjoignit de nouveau de s'éloigner, lui promit de la placer chez un de ses amis pour y faire ses couches, et lui donna, le 29 mars 1828, un rendez-vous à Besançon, où elle ne manqua pas de se trouver. Duchon y vint aussi, et sortit de la ville, le soir, avec elle. Dès ce moment, on perdit de vue Madeleine Piot. Malgré toutes les investigations de la justice, on ne put découvrir où elle avait passé la nuit. On soupçonne que Duchon, qui avait le plus grand ascendant sur elle, l'avait déposée dans une maison à peu de distance du lieu où le crime fut commis, et qu'afin de se ménager au besoin un _alibi_, il se retira chez lui pour pouvoir se montrer le lendemain au soir, à l'heure où les gens des campagnes vont se coucher, et poursuivre ensuite sans danger l'exécution de ses projets. En effet, l'heure du rendez-vous était donnée pour dix heures du soir, à une lieue du domicile de Duchon, sur la route de Palente; et ce fut à ce rendez-vous que le jeune homme et la jeune fille réunis firent ensemble, et en se donnant le bras, un court trajet pour arriver de la route à la rivière; ce qui fut prouvé par leurs pas qui demeurèrent empreints sur le pré. Ce fut là que Duchon assassina lâchement celle qui était venue sans défiance à ce fatal rendez-vous, et qui ne pouvait lui opposer d'autre défense que ses larmes. Duchon était armé de son fusil, comme s'il fût sorti pour une partie de chasse. Il s'en servit pour consommer l'attentat qu'il avait médité. Un premier coup de feu, tiré à bout portant, enleva la mâchoire et une partie des joues à la malheureuse victime; un second coup lui fit sauter la partie supérieure du crâne et une partie des doigts de la main droite, qui probablement avait été dirigés par l'instinct naturel pour parer la tête. Aussitôt après la décharge de ces deux coups de feu, l'assassin précipita le cadavre dans les flots, espérant qu'ils emporteraient toutes les preuves de son crime. Mais le lendemain, des pêcheurs retrouvèrent le cadavre non loin de l'endroit où il avait été jeté dans la rivière. Au premier bruit de cette découverte, la justice se transporta sur les lieux, prit l'empreinte des pas remarqués sur la terre, recueillit les bourres du fusil, et fit extraire de la tête du cadavre quelques grains de fonte qui s'y étaient enfoncés. Les soupçons ne tardèrent pas à s'élever contre Duchon, et bientôt la rumeur publique le dénonça. Quatre jours après, il fut arrêté; on saisit son fusil et son sac de chasse; un armurier fut requis pour décharger l'arme en présence de Duchon; on en tira deux bourres de même papier que celles qui avaient été trouvées sur le lieu du crime. En les comparant, on reconnut qu'elles avaient appartenu à la même feuille de papier qui provenait d'un mémoire imprimé, et comme ces bourres réunies ne formaient pas encore la totalité de la feuille, on chercha dans le sac de chasse, et l'on y découvrit la partie qui manquait: de la fonte semblable à celle qui avait été extraite de la tête du cadavre, fut aussi trouvée dans ce même sac, et au même instant, on aperçut des traces de sang sur le pantalon que portait le prévenu. On le lui fit ôter, et on lui demanda d'où provenaient ces taches; il soutint alors que ce n'était point du sang, mais des taches de boue noire. L'analyse chimique démontra que c'était bien réellement du sang; et Duchon, pressé de répondre, dit qu'il était possible que ce fût le sang d'une alouette qu'il avait tuée quelques jours auparavant. Mais on compta les taches, il y en avait trente-huit bien espacées. On en conclut qu'elles provenaient d'un jet de sang, occasioné par la rupture d'un des vaisseaux sanguins de la victime. D'ailleurs, l'alouette, encore trouvée dans le sac de Duchon, n'avait qu'une légère blessure à l'aile. L'autopsie du cadavre démontra que l'infortunée Madeleine était enceinte de six mois, et que le même crime avait ôté, d'un seul coup, la vie à la mère et à l'enfant. Devant la Cour d'assises du Doubs, Jean Antoine Duchon se renferma dans un système de dénégation complète. Sa mise annonçait un jeune homme au-dessus d'un simple villageois: de longs favoris noirs descendaient de ses cheveux à son menton; ses yeux bleus, mais sans éclat, étaient enfoncés sous d'épais sourcils également noirs et bien arqués; sa physionomie n'avait aucune expression; sa voix faible et presque timide, avait de la peine à se faire entendre; et sa tranquillité apparente décélait une profonde dissimulation. Les parens de la jeune victime, présens à l'audience, versaient des larmes abondantes, et Duchon, qui les voyait, restait impassible. Ses réponses au long interrogatoire qu'on lui fit subir, se bornèrent presque constamment à un _non_, quelquefois répété, sans autres explications. En voici quelques fragmens: _D._ La veille de la mort de Madeleine Piot, ne lui avez-vous pas donné rendez-vous à Besançon où elle est venue? _R._ Non. _D._ N'êtes-vous pas venu vous-même au rendez-vous; avec votre fusil de chasse et votre sac? _R._ Pas plus. _D._ Le 2 mars, lendemain de l'assassinat, n'étiez-vous pas encore venu à Besançon pour recueillir les bruits publics sur le crime qui venait de se commettre? _R._ J'y suis venu pour tout autre objet. _D._ Est-ce vous qui êtes l'auteur de l'assassinat? _R._ Non. _D._ Pourquoi, le jour de l'assassinat, avez-vous pris votre fusil chez votre mère? _R._ J'avais le projet d'aller le soir attendre la bécasse, ce que je n'ai point fait. Ce système de défense ne pouvait prévaloir contre les dépositions de témoins nombreux, contre les bourres accusatrices, trouvées dans le fusil de Duchon, et les taches de sang remarquées sur ses vêtemens, et contre plusieurs autres circonstances accessoires qui établissaient la culpabilité. Aussi le prévenu, déclaré coupable, par le jury, d'assassinat avec préméditation, fut condamné à la peine de mort. Pendant la lecture de la déclaration du jury et la prononciation du jugement, Duchon montra la même tranquillité que pendant les débats. Dans le trajet de la salle d'audience à la prison, il dit très-paisiblement aux gendarmes, en levant une de ses mains, qu'il était innocent, et qu'il ne savait pas comment on pouvait l'avoir condamné. ASSASSINAT D'UN JEUNE BERGER PAR LE FRÈRE DE SA MAITRESSE. La petite commune de Saint-Paul-de-Valmalle, près de Montpellier, fut le théâtre d'un crime horrible, le 17 avril 1828. Un habitant du village, étant sorti de grand matin, aperçut à quelques pas du chemin le cadavre d'un homme cruellement défiguré: bientôt tous les autres villageois accoururent pour voir ce spectacle. On reconnut alors le jeune berger Guyraud, gisant auprès de sa cabane mobile, à demi détruite, non loin du lieu où, la veille, il avait parqué son troupeau. La terre fortement foulée autour de la cabane, attestait qu'il y avait eu longue et violente lutte entre l'assassin et sa victime; on vit aussi de longues traces de sang; tout annonçait que Guyraud avait été surpris pendant son sommeil. Son chien était couché à ses pieds. Ce spectacle émut vivement tous les habitans de la commune de Saint-Paul. Guyraud n'était pas du pays; il était du village de Caïlas; il était venu conduire, dans les pâturages de Saint-Paul, les troupeaux de son maître, et il se disposait à retourner dans son pays au moment de l'assassinat. Pendant le peu de temps qu'il avait passé à Saint-Paul, il s'était fait aimer de tout le monde par ses mœurs douces et son caractère aimable. Aussi d'un cri unanime, on s'excita à rechercher son meurtrier. Le maire de la commune, accouru des premiers, présuma que, dans la longue lutte qui devait avoir eu lieu entre la victime et son assassin, celui-ci devait avoir reçu quelque coup qui pouvait le faire découvrir. En conséquence, il prescrivit une visite sur tous les hommes du village. Pendant qu'ils se rendaient à la file à la mairie: «_Que me regardes-tu?_ dit l'un des derniers à son voisin.—Je ne te regarde pas, répondit celui-ci, mais bien trois taches de sang que je vois à ta chemise.—Si je les eusses vues, répondit le premier, j'en aurais changé ce matin.» Et quand il se présenta au maire, il dit que ce sang pouvait provenir de celui _d'un agneau qu'il avait tué la veille_. L'homme qui tenait ce langage était Pierre Gingibre, l'un des jeunes gens du pays, qui, dès ce moment, devint l'objet de l'attention générale. On avait remarqué que, seul du village, il n'était pas venu le matin sur le lieu du crime, et que cependant, au retour, il avait écouté avidement et en silence toutes les conversations, toutes les conjectures, toutes les suppositions auxquelles cet événement donnait lieu. On fit une seconde épreuve; le maire appela de nouveau tout le monde sur les lieux, pour mesurer l'empreinte des pas que l'assassin avait laissée sur la terre humide. Gingibre se rendit à cette autre épreuve seul et par un autre chemin; mais l'empreinte se trouva un peu plus longue que ses souliers. On avait trouvé, à peu de distance du cadavre, la tige d'un jeune mûrier toute ensanglantée, qui paraissait avoir été un des instrumens du crime. Cette fois on découvrit au bord d'un champ le tronc du jeune mûrier, et ce champ était sur la ligne droite qui conduisait de la cabane de Gingibre à celle du malheureux Guyraud. Le caractère à la fois atroce et lâche de Gingibre vint fortifier ce premier indice. A peine âgé de vingt-six ans, il avait déjà plusieurs fois manifesté la férocité et la perfidie de son ame. Une fois, de son autorité privée, il entassait son fumier dans la cour d'un de ses voisins; la femme de celui-ci, en l'absence de son mari, voulait s'y opposer; il la menaça de la fourche de fer dont il se servait. Le mari étant revenu des champs, demanda des explications à Gingibre: «Si tu n'étais qu'un jeune homme comme moi, s'écria celui-ci, ta part serait bientôt faite.» Une autre fois, ayant aperçu seul et dans un lieu écarté un homme de qui il croyait avoir à se plaindre, il s'approcha furtivement; l'homme fuyait devant lui, et parvenus tous deux dans un lieu découvert, Gingibre, en lui montrant la faux qu'il tenait cachée sous sa veste, s'écria: «Tu es heureux de m'avoir vu, mais tu ne le manqueras pas.» Ses parens eux-mêmes, malgré leur condescendance pour ses volontés, étaient souvent en butte à ses violences; et tout le village de Saint-Paul l'avait vu naguère poursuivant dans les rues, un fusil à la main, sa malheureuse mère, qui fuyait devant lui. Enfin, on connaissait la haine de Gingibre contre Guyraud; on en connaissait aussi la cause. Le jeune berger avait eu le malheur de plaire à une des sœurs de Gingibre; des liaisons intimes s'étaient formées entre eux; mais Guyraud avait paru sourd à toutes les paroles de mariage que la famille Gingibre lui avait adressées. Guyraud lui-même ne se dissimula pas tous les dangers qu'il courait en prolongeant son séjour à Saint-Paul. Il connaissait le caractère de Gingibre fils; il connaissait ses menaces, ses projets de vengeance, et témoignant à quelques amis tout ce qu'il avait à craindre de sa perfidie, il s'écriait quelquefois: _Ah! s'il ne m'attaquait que de jour..._ Le lendemain du crime, le procureur du roi, sur la première nouvelle de l'événement, se rendit sur les lieux, recueillit tous les indices et en acquit de plus convaincans encore. En examinant de plus près les vêtemens de Gingibre, il vit au haut de son pantalon et faisant corps avec lui, un petit lambeau de chair dans lequel étaient implantés des cheveux. Gingibre, ainsi que nous l'avons vu, avait donné des explications sur les taches de sang qu'on avait vues à sa chemise: la vue de ce lambeau de chair le déconcerta; il ne pouvait, disait-il, le _concevoir ni l'expliquer_. Cependant un homme de l'art, le docteur Bertrand, ayant vérifié l'état du cadavre, avait remarqué au visage des blessures profondes, et décrit la forme de l'instrument au moyen duquel on les avait faites; dans la bergerie où couchait Gingibre, s'était trouvé un instrument de la forme indiquée, qui s'adaptait parfaitement à l'une des blessures, et qui était encore ensanglanté légèrement. Le médecin examina à son tour le lambeau de chair recueilli sur le pantalon de Gingibre; il le compara à un lambeau de cuir chevelu qu'il prit sur la tête du cadavre, et il y trouva une parfaite ressemblance. Ce fut sous le poids de toutes ces présomptions que Pierre Gingibre comparut devant la Cour d'assises de Montpellier. Là, ses dénégations continuelles et ses explications incohérentes, ne firent qu'aggraver sa position. Les débats de cette affaire, commencés le 9 décembre 1828, se prolongèrent jusqu'au 12. L'accusation fut soutenue avec force et talent; le ministère public porta par degrés dans tous les cœurs la conviction la plus intime. Aussi, Pierre Gingibre, déclaré coupable par le jury, fut condamné à la peine de mort. EMPOISONNEMENT DE LA FAMILLE DE SAINT-CHAMANS, COMMIS PAR UNE FEMME-DE-CHAMBRE, ACCUSÉE AUSSI D'INFANTICIDE. Madame la comtesse de Saint-Chamans se trouvait au château de Rasay, chez M. le comte Louis de Saint-Chamans, avec mesdames de Marray et de Tourette, ses deux filles. Henri et Ernest de Tourette y avaient accompagné leur mère. Le 6 septembre 1828, à dix heures du matin, une panade fut servie pour le déjeûner de ces dames; elle fut placée sur la table par Ferrand, valet-de-chambre. Avant la fin du déjeûner, madame de Saint-Chamans éprouva un violent mal de cœur; mais, ne voulant pas donner d'inquiétude à sa famille, elle se retira dans son appartement. A peine y était-elle, qu'elle fut saisie par un vomissement considérable; il se trouva même du sang parmi ses déjections. Effrayée par des symptômes aussi extraordinaires, et présumant que la cause devait en être attribuée à des substances malsaines, introduites dans la soupe, elle descendit dans la salle à manger pour interrompre le repas de ses enfans; mais déjà ceux-ci éprouvaient de graves accidens. Aussitôt un médecin fut appelé; celui-ci pensa tout d'abord que la famille de Saint-Chamans avait été empoisonnée, et il administra aux malades du carbone de soude; on en fit prendre au jeune Henri, fils aîné de madame de Tourette; Ernest, le second fils de cette dame, dormait en ce moment, et le médecin défendit de le réveiller. La santé de ces dames fut bientôt rétablie; mais il n'en fut pas de même du jeune Ernest, que l'on n'avait pas voulu réveiller. Dans la nuit, il fut en proie aux souffrances les plus effrayantes, et le lendemain soir, il avait cessé d'exister. On examina attentivement les casserolles dont on se servait habituellement; on n'y aperçut aucune trace de vert-de-gris. Une foule de circonstances appelèrent les soupçons sur la fille Marie Plessé, femme-de-chambre de madame de Marray, et connue au château de Rasay sous le nom de Julie. Cette fille devait se marier très-prochainement avec Gambier, valet-de-chambre de M. Louis de Saint-Chamans; mais, après leur mariage, leurs maîtres ne voulaient pas les garder à leur service; ils devaient donc se trouver sans place, et se disposaient en conséquence à partir pour le département du Nord, pays natal de Gambier. Julie désirait rester au service de M. le comte Louis de Saint-Chamans, comme cuisinière. Il fallait, pour cela, faire congédier la veuve Bordier qui avait cet emploi dans la maison, et indisposer les maîtres contre cette femme; aussi entendait-on Julie se plaindre souvent de la malpropreté de la veuve Bordier, et ses plaintes avaient une apparence de fondement. Le jour de l'empoisonnement, la fille Plessé disait avec affectation à madame de Marray: «Je suis bien sûre que l'empoisonnement provient de la malpropreté de la cuisinière. M. Louis ne la gardera pas: elle lui conviendrait cependant, car elle est lingère.» Le lendemain, elle chercha à consoler la cuisinière en lui disant: «Je lèverai la main que ce n'est pas votre casserole qui est la cause de l'accident.» On remarqua que, le jour de l'empoisonnement, elle n'était pas venue déjeûner avec les autres domestiques. Elle descendit à la cuisine plus tard que de coutume, et elle se tint près des fourneaux où chauffait la panade. La cuisinière sortit et rentra plusieurs fois, et on supposa que Julie avait choisi un de ces instans favorables pour jeter dans la casserole les substances vénéneuses. Ces soupçons, qui planaient sur la Plessé, dûrent nécessairement motiver son arrestation. Interrogée dans ce premier moment, elle nia d'abord toute participation au crime d'empoisonnement. Mais elle finit par déclarer que, depuis long-temps, elle était l'objet des poursuites amoureuses de Ferrand; que, pour se venger de ses assiduités importunes, elle avait détaché d'un bougeoir de cuivre une petite partie de suif vert-de-grisé, et qu'elle l'avait jetée dans la panade qu'elle croyait destinée à Ferrand, dans le but de lui occasioner seulement une légère indisposition. Sur cette déclaration, on soumit à un examen très-attentif le bougeoir en question, et les médecins auxquels il fut présenté, affirmèrent qu'il résultait de leurs expériences que le suif jeté dans la casserole ne pouvait pas contenir plus d'un cinquième de grain de vert-de-gris; or on ne pouvait penser qu'une quantité aussi minime eût pu occasioner l'indisposition de madame de Saint-Chamans et la mort du jeune de Tourette. Une autre circonstance donna lieu de penser qu'on avait injecté dans la soupe une plus grande quantité de poison; car la cuisinière avait pris trois cuillerées de bouillon, et cela avait suffi pour qu'elle éprouvât des coliques et un violent mal de tête. Du reste, l'ouverture du corps du jeune de Tourette ne présentait aucun signe certain d'empoisonnement. On ne put acquérir la preuve que Marie Plessé se fût procuré d'autres substances délétères que celle qu'elle disait avoir jetée dans la soupe. Mais M. de Saint-Chamans avait fait acheter par Gambier de l'arsénic qu'il avait mélangé avec de la farine, et placé dans le grenier à blé pour détruire les rats. Il en était resté une assez grande quantité qu'il gardait dans son secrétaire; ce meuble ne fermait pas à clef, et il était facile à tous les gens de la maison de mettre la main à l'endroit où l'arsénic était déposé. Marie Plessé était entrée au service de madame de Marray, le 1er septembre 1827; elle était venue au château de Rasay avec sa maîtresse, au mois d'avril, et à cette époque, elle était fortement soupçonnée d'être enceinte. En se rendant de Paris à Rasay, lors de son passage à Blois, elle avait prié madame de Tourette de lui acheter chez un jardinier de l'herbe-aux-Sabines, qui, selon l'opinion vulgaire, a la propriété de faire avorter; elle prétendait que cette herbe la guérirait d'une autre indisposition. Cependant les symptômes de grossesse augmentaient chaque jour. Madame de Saint-Chamans et madame de Marray avaient voulu la faire visiter; mais Marie Plessé s'y était obstinément refusée, malgré les instances et les observations de sa maîtresse. Vers la fin de mai 1828, cette fille avait été gravement indisposée. On avait remarqué sur le carreau de la chambre des traces de sang qui avaient été essuyées dans le courant de la journée; des taches semblables furent remarquées sur les vêtemens et sur les draps de Marie Plessé; mais elle donna, à cette occasion, des explications qui parurent satisfaisantes, et auxquelles on n'eut sans doute pas donné de suite, sans l'empoisonnement de la famille de Saint-Chamans, qui appela les investigations de la justice au château de Rasay. Tous les indices de grossesse et d'accouchement qui furent recueillis alors, déterminèrent le procureur du roi à faire faire des perquisitions dans les fosses d'aisance. Alors l'accusée convint qu'elle avait été enceinte des œuvres de Gambier; que sa grossesse remontait aux fêtes du carnaval de 1828; que, le 27 mai suivant, elle s'était blessée, en montant un baquet au premier; qu'elle avait ressenti aussitôt des douleurs, et que, bientôt après, elle était accouchée d'un enfant mort. Elle ajouta qu'elle avait gardé son enfant dans sa chambre depuis le mardi jusqu'au dimanche, et que s'étant trouvée seule, elle l'avait jeté dans les lieux d'aisance. Effectivement, le cadavre de l'enfant y fut trouvé dans un état de putréfaction complète. Il fut constaté que l'enfant était venu à terme: ce qui se trouvait en contradiction avec la déclaration de l'accusée. Mais d'affreux antécédens déposaient encore contre la moralité de la fille Plessé. Avant d'entrer chez madame de Marray, elle avait servi chez M. Noris, à Tours. Elle paraissait active et laborieuse, et ne semblait aller en ville que pour les affaires de la maison; cependant, il n'en était rien. Les voisins s'étaient aperçus qu'elle sortait la nuit, et qu'elle avait des intrigues au dehors. Plusieurs fois, on avait cru s'apercevoir qu'elle était enceinte; mais Marie Plessé éloignait toujours ces soupçons par divers prétextes. Depuis, l'accusée convint qu'elle avait été deux fois enceinte chez M. Noris; mais elle prétendit avoir fait de fausses couches. On se rappela aussi, lors de l'instruction, que mademoiselle Noris, qui était d'une bonne santé, fut atteinte tout-à-coup de vomissemens fréquens, de coliques violentes et de défaillances; ces accidens furent attribués au _choléra-morbus_, et elle succomba le quatrième jour; six mois après, madame Noris, qui était accouchée fort heureusement, éprouva les mêmes accidens que sa fille, et mourut trois heures après avoir pris une médecine ordonnée par son médecin. Quelques personnes, témoins de ces faits, conjecturèrent que madame Noris et sa fille étaient mortes victimes d'un empoisonnement. Marie Plessé fut traduite le 22 décembre 1828, devant la Cour d'assises d'Indre-et-Loire. Elle avait d'abord une attitude calme et assurée; mais, pendant les débats qui occupèrent trois séances consécutives, elle resta dans un état de syncope presque permanent. L'audition des témoins n'apprit aucun fait nouveau, et ne fit que confirmer la plus grande partie des faits que nous venons d'exposer. Enfin, le 24 décembre, sur la déclaration du jury, l'accusée fut proclamée non coupable, sur le fait d'infanticide, et coupable sur celui d'empoisonnement. Quand on la fit rentrer, pour lui faire connaître le résultat de la délibération, elle tomba évanouie, et ne parut pas entendre l'arrêt de mort. ASSASSINAT DE ROSALIE DUSSER, PAR ANTOINE GOUY, SON COUSIN. Une jeune fille, nommée Rosalie Dusser, était au service des époux Baudy, propriétaires d'une métairie située sur le territoire de la commune de Nozières (Ardèche). Un cousin de cette jeune fille, Antoine Gouy, était domestique dans la même maison. Tous deux semblaient devoir vivre en bonne intelligence, à raison de l'étroite parenté qui les unissait; mais l'amour, ou plutôt une passion grossière et brutale, vint semer la division entre eux. Gouy fit de libertines propositions à sa cousine qui les repoussa; et, dès ce moment, celle-ci eut de graves sujets de se plaindre de son parent à ses maîtres. Les indécentes libertés qu'il prenait sur elle, les violences répréhensibles auxquelles il avait recours n'étaient pas de nature à le faire aimer de Rosalie. Il alla même plusieurs fois jusqu'à lui adresser des menaces. On l'entendit un jour dire à sa cousine d'une voix effrayante: _Tu me fuis, mais tôt ou tard, tu me le paieras!_ Par suite de l'effroi que lui causaient ces menaces réitérées, Rosalie se vit forcée d'informer ses maîtres de la conduite d'Antoine, et déclara que s'ils le gardaient chez eux, elle se verrait dans la nécessité de quitter leur service. Les époux Baudy, qui n'avaient qu'à se louer de la manière d'être et du travail de Rosalie, n'hésitèrent pas à congédier Gouy dont ils étaient d'ailleurs fort mécontens, et ne lui laissèrent pas ignorer la cause de cette mesure de rigueur. Antoine Gouy chercha à se placer dans différentes maisons; mais sa mauvaise réputation l'empêcha de réussir dans ses démarches pour cet objet. Il revint auprès des époux Baudy, les conjurant de le reprendre. Ceux-ci n'y consentirent qu'après beaucoup de difficultés et par pure compassion; mais ils lui firent promettre formellement qu'il ne persécuterait plus sa cousine comme par le passé. Dès ce moment, Gouy n'eut plus pour Rosalie que des regards de haine et de ressentiment. Déjà, sans doute, il méditait des projets de vengeance, comme il est permis de le croire par les faits dont nous allons parler. Quelques jours avant le 27 juillet 1828, Antoine Gouy chercha à se procurer de la poudre et du plomb pour charger son fusil. Il s'adressa à un voisin, nommé Romain Betton, et le pria de lui donner deux coups de plomb, en échange d'une petite quantité de poudre, qu'il lui offrit. Betton y consentit. Quelques jours après, Gouy alla de nouveau trouver Betton et lui demanda deux onces de poudre, en lui disant qu'il avait l'intention d'aller à la chasse, qu'il avait sept travers de doigt de charge. Pendant la journée du dimanche 27 juillet, il entra dans le grenier à foin de Betton; celui-ci, qui s'y trouvait, lui demanda s'il avait été à la chasse, et s'il avait tué quelque chose. Gouy lui répondit qu'il n'avait pas tiré, n'ayant vu que de petits oiseaux qui ne valaient pas le coup. Cependant, ce même dimanche, Rosalie Dusser était partie pour aller garder les bestiaux dans le bois de Chambasse; elle les ramenait habituellement à la ferme à huit heures du soir. Mais cette heure était déjà passée qu'elle n'avait pas reparu. Ses maîtres l'attendirent quelque temps, sans concevoir d'abord la moindre inquiétude sur ce retard inaccoutumé. Enfin, ne la voyant pas revenir, ils se dirigèrent vers le bois de Chambasse; ils ne tardèrent pas à concevoir de tristes pressentimens. Les vaches, cédant à leur instinct et à leur habitude journalière, avaient senti qu'il était l'heure de la retraite, et reprenaient seules le chemin de l'étable; plus loin, gisait sur l'herbe le cadavre de l'infortunée Rosalie; ses membres conservaient encore un reste de chaleur; les époux Baudy espérèrent un moment qu'ils pourraient la rappeler à la vie; mais tous leurs efforts furent inutiles; la mort avait irrévocablement marqué sa victime. Les époux Baudy instruisirent aussitôt de cet horrible événement toutes les personnes qu'ils rencontrèrent sur leur passage. Romain Betton l'apprit un des premiers; et, se rappelant avoir entendu sur les huit heures ou huit heures et demie du soir, tirer deux coups de fusil dans la direction qu'on lui indiquait, il courut au bois de Chambasse, et reconnut, à quelques pas du cadavre de Rosalie Dusser, le fusil de Gouy, brisé et séparé en plusieurs morceaux. Déjà, sans que l'on connût cette dernière circonstance, des soupçons planaient sur Antoine Gouy, et les époux Baudy le regardaient comme l'auteur du crime. Les magistrats et les médecins, appelés sur les lieux, constatèrent que Rosalie Dusser avait été tuée de deux coups de feu, dont l'un avait pénétré dans une épaule et fracturé l'omoplate, et l'autre brisé l'épine dorsale, en pénétrant par le dos. De fortes contusions, que l'on remarqua sur la tête et sur plusieurs parties du corps de la victime, attestaient que l'assassin lui avait porté plusieurs coups avec la crosse de son fusil, dont on retrouva les fragmens à dix pas du cadavre, et sur laquelle on vit des cheveux et du sang. Gouy fut arrêté, et avoua immédiatement toute l'horrible vérité. Il convint qu'il avait passé toute la soirée du dimanche dans le bois de Chambasse, et même qu'il s'y était rendu avec de très-mauvais desseins. Il déclara «qu'il en voulait depuis long-temps à Rosalie, soit parce qu'elle refusait d'écouter ses propositions, soit parce qu'elle lui reprochait d'avoir l'intention de la mettre dans l'embarras, comme il l'avait sans doute fait à l'égard de bien d'autres.» Il ajouta «qu'il l'avait rencontrée au bois, qu'il avait voulu mettre à exécution le projet qu'il avait formé depuis plusieurs jours, de la blesser d'un coup de fusil pour lui faire peur; qu'il lui dit, en la rencontrant, de faire le signe de la croix, et que, Rosalie s'étant mise à pleurer, il lui tira, à quelques pas de distance, un premier coup de fusil qui ne la renversa pas; qu'alors elle se mit à courir en lui disant qu'_on lui ferait faire la même fin qu'il lui faisait faire à elle-même_; que, réfléchissant aux conséquences que pourrait avoir pour lui la déclaration de cette fille, il se décida à lui tirer un second coup qui la renversa; qu'il lui porta encore un coup de la crosse de son arme sur la tête, jeta ensuite cette même arme sur le corps de Rosalie qui ne faisait alors aucun mouvement, et s'enfuit.» Gouy persista dans ses aveux pendant tout le cours de l'instruction. Devant la Cour d'assises de l'Ardèche, où il fut traduit en janvier 1829, il montra d'abord beaucoup d'hésitation et de frayeur; il promenait des yeux égarés et stupides sur tout l'auditoire. Cependant, il répondit bientôt avec plus d'assurance; il reconnut pour vrai tout ce qui avait été rapporté par les témoins, et confirma, par de nouveaux détails, tout ce que relatait l'acte d'accusation. La défense ne pouvait rien tenter en faveur d'un semblable prévenu. Aussi l'avocat crut-il devoir s'en rapporter pleinement à la sagesse des jurés. Déclaré coupable, après une courte délibération, Gouy fut condamné à la peine de mort, et la Cour ordonna que l'exécution aurait lieu sur la scène même du crime. Antoine Gouy ne manifesta aucune émotion, en entendant la fatale condamnation. L'arrêt de mort fut exécuté peu de jours après, car le condamné avait refusé de se pourvoir en cassation. JULIEN CHEVRIER, FRATRICIDE. Julien Chevrier, âgé de trente-trois ans, vivait depuis long-temps en mauvaise intelligence avec sa sœur, la femme Lebossé. Plusieurs procès, pour intérêts de famille et de voisinage, avaient fait naître entre eux une déplorable animosité, telle que Chevrier s'était porté dans diverses circonstances, à des voies de fait envers sa sœur, qui l'avaient fait condamner à 182 fr. d'amende correctionnelle par le tribunal de Domfront. Dans le cours de l'été de 1828, la femme Lebossé redevint l'objet de ses mauvais traitemens; notamment, Chevrier lui jeta un seau d'eau sur le corps: mais ces excès, déjà si condamnables, n'étaient que le prélude d'actions autrement criminelles. Le jeudi 30 juillet 1828, Chevrier se rendait à la maison, portant sa faucille. Jean Lebossé, beau-père de sa sœur, se présenta à lui comme il sortait. Ils s'entretinrent ensemble de quelques réparations qu'il y avait alors à faire au puits et à la cour qu'ils possédaient en commun. Lebossé consent volontiers à contribuer pour sa part aux frais de ces réparations; il ajoute même qu'il se chargera seul de celles du puits, pourvu que Chevrier voulût promettre de ne plus jeter à l'avenir d'eau sur sa sœur. A ce propos, Chevrier entre en fureur; il se répand en invectives contre Lebossé, qui lui répond sur le même ton; la querelle devient de plus en plus animée. Chevrier, le cœur rempli de rage, grattait la terre avec sa faucille, et, renversant la barrière du jardin commun, il entre dans le jardin en disant à Lebossé qu'il le forcerait bien aussi à réparer la barrière. Dans ce moment, la femme Lebossé, sa sœur, travaillait paisiblement dans ce jardin; il l'aperçoit, s'avance sur elle, et encore tout bouillant de fureur, il la frappe de sa faucille. Lebossé voit le coup, vole au secours de sa bru, armé d'un bâton; mais Chevrier donne un nouveau coup de faucille à sa sœur. La malheureuse tombe aussitôt en s'écriant _Ah! je suis morte!_ Le sang coulait abondamment de sa tête; elle ne pouvait marcher; on la porta dans son lit; le médecin fut appelé; mais, malgré tous les soins qui lui furent prodigués, la femme Lebossé succomba le 11 août suivant. La faucille de Julien Chevrier était entrée dans l'intérieur du cerveau à une profondeur de quatre à cinq lignes, et les gens de l'art constatèrent, après l'autopsie, que la blessure avait été _nécessairement_ mortelle. Cependant Chevrier, insensible au malheur que sa violence lui avait fait commettre, avait pris la fuite; ce ne fut que quelque temps après que la justice parvint à l'arrêter. Il se reconnut l'auteur des coups portés à sa sœur; toutefois, il prétendit que c'était en se défendant lui-même contre Lebossé, qu'il avait frappé involontairement sa sœur, qui était, disait-il, venue s'interposer entre eux, pour les séparer. Julien Chevrier comparut devant la cour de l'Orne, le 29 janvier 1829. L'accusation qualifiait son crime de meurtre volontaire: le jury, malgré les généreux efforts du défenseur, répondit affirmativement à la question de _volonté_, sans s'arrêter à la question subsidiaire _d'imprudence_ et de _maladresse_. En conséquence, Chevrier fut condamné aux travaux forcés à perpétuité. Pendant tout le cours des débats, le public remarqua, avec un sentiment pénible, que le prévenu ne donnait pas le moindre signe de douleur et de repentir au souvenir de sa malheureuse sœur. ACCUSATION DE PARRICIDE COMMIS PAR UNE FEMME SOUS LES VÊTEMENS DE SON MARI. Sébastien Perrin, propriétaire cultivateur, au hameau de Bellecombe, commune de Belleydoux, arrondissement de Nantua, était parvenu à sa soixante-dixième année, lorsqu'un horrible forfait mit fin à son existence. Il avait eu de son mariage avec Françoise Chapelu, trois enfans, Marie-Rose, Marie-Pierrette et un fils, âgé de quinze ans à l'époque de la catastrophe. Marie-Rose était restée dans la maison de son père, jusqu'à l'âge de vingt-huit ans: elle ne jouissait pas d'une bonne réputation. Elle avait même commis différens vols au préjudice de plusieurs voisins. Sa mère lui faisait de sévères réprimandes sur ce coupable penchant; il en résultait des querelles fréquentes entre cette fille et ses parens. Le nommé Louis Mathieu, dit Jolet, habitant du hameau d'Orvoz, dans la commune de Belleydoux, demanda, en 1825, Marie-Rose Perrin en mariage. Il était propriétaire d'un petit domaine et peigneur de chanvre. Quoiqu'il fût veuf et père de deux enfans, la fille Perrin accepta sa demande, et ses parens ne la rejetèrent pas. Mathieu passait à juste titre pour un honnête homme. Bientôt le mariage fut célébré. Marie-Rose alla habiter avec son mari au hameau d'Orvoz. Elle eut deux enfans de son mariage. Cependant elle ne se conduisit pas mieux chez son mari que dans la maison paternelle; elle fut accusée d'une série de vols, qui furent commis dans son voisinage, et qui firent dire d'elle qu'elle avait les _doigts longs_. Le père et la mère de cette mauvaise créature, gens honnêtes et sans reproche, étaient péniblement affectés du récit qu'on leur faisait de tant d'actions répréhensibles. Ils dûrent en manifester leur mécontentement à leur fille. Celle-ci crut que l'intention de ses parens était de la priver, autant qu'ils le pourraient, de la part de son patrimoine, pour avantager leur fils. Ses soupçons à ce sujet n'étaient peut-être pas dénués de fondement. Elle s'en irrita; elle abreuva de chagrins ses malheureux parens, et leur donna bientôt des sujets d'inquiétude et de crainte pour leur propre sûreté. Elle ne négligea rien pour faire naître la jalousie dans le cœur de sa jeune sœur, Marie Pierrette; elle lui dit que leur père et leur mère n'avaient point d'affection pour elle; qu'ils n'aimaient que leur fils, auquel ils voulaient faire passer toute leur fortune. Après l'avoir ainsi préparée pour l'accomplissement de ses desseins, elle lui remit une poudre de couleur grise, enveloppée d'un morceau de papier recouvert d'un chiffon de mousseline. Elle lui dit que cette poudre avait une vertu particulière; qu'il fallait en mettre, le soir, sur la soupe de son père, de sa mère et de son frère; que cette poudre produirait l'effet de les faire aimer toutes deux de leurs parens et de faire haïr leur frère. Marie Pierrette, fille d'une grande simplicité, ne soupçonna pas d'abord tout ce qu'il y avait de criminel dans les projets de sa sœur; elle crut, comme celle-ci voulait le lui faire croire, qu'une sorte de charme était attachée au paquet mystérieux. Mais elle était pieuse, et la crainte de tremper dans une superstition la faisait hésiter. Marie-Rose lui dit que _s'il y avait du mal, elle le prenait sur elle_; et, pour achever de la déterminer, elle ajouta que, si elle faisait ce qu'elle lui conseillait, Mathieu, son mari, lui donnerait une robe et un tablier. Alors Marie Pierrette consentit à recevoir le paquet de poudre, le mit dans sa poche et s'en alla. Heureusement, il y a du hameau d'Orvoz à celui de Bellecombe, un trajet de vingt-cinq minutes, et en marchant, elle réfléchissait sur la commission dont elle venait d'être chargée; elle finit par rester convaincue qu'il serait mal à elle de faire ce que sa sœur exigeait; elle garda le paquet dans sa poche sans en faire aucun usage; puis, elle le jeta dans un champ, sur la pensée qu'il renfermait peut-être du poison. Quelque temps après elle revit sa sœur; elles eurent une violente altercation, et de retour auprès de sa mère, Marie Pierrette lui raconta tout ce qui s'était passé. La femme Perrin en parla à son mari et à son fils; le paquet fut cherché, retrouvé. Le père et le fils examinèrent la poudre qu'il renfermait; ils reconnurent que cette poudre était un poison, et la jetèrent au feu. Au mois de mars 1828, Marie-Rose se rendit dans la maison paternelle, où elle chercha querelle à sa mère. Celle-ci, irritée, lui dit: _Coquine! que voulais-tu faire du paquet que tu as donné à ma fille? Tu voulais nous empoisonner. Il te dure bien de tout avoir!_ A ces mots, Marie-Rose s'élance sur sa mère, la saisit aux cheveux, en l'invectivant. Si le cordon de la coiffe de cette pauvre femme, ne s'était pas cassé, elle l'aurait étranglée. Le père accourut aux cris de sa femme, et Marie-Rose prit la fuite. Plusieurs propos, tenus par Marie Rose, en diverses circonstances, ne laissaient aucun doute sur la haine que cette femme portait à ses parens. Depuis plusieurs années, Sébastien Perrin avait parlé du projet de vendre son bien pour s'éloigner. Un jour, il eut avec Humbert Barlet une conversation, dans laquelle il lui fit une révélation fort importante, qui prouve que sa fille l'avait déjà menacé du sort qu'elle devait lui faire éprouver. Perrin disait à cet homme qu'il était si mécontent de sa fille, que, s'il pouvait la déshériter, il le ferait. En tenant ce langage, Perrin appuyait sa tête sur son banc, et il ajouta en pleurant: «Cette malheureuse veut m'en faire une que je ne peux pas dire.» Dans la nuit du dimanche 7 au lundi 8 décembre 1828, Sébastien Perrin, père, sa femme et Marie Pierrette, leur fille, étaient couchés dans la même chambre; le père seul, la mère et la fille dans le même lit. Perrin fils était, depuis plusieurs années dans la Lorraine, occupé à peigner le chanvre. Quelqu'un vint, à minuit, agiter fortement le loquet de la porte de la cuisine. La mère, de son lit, demande qui est là? L'individu qui était à la porte, reconnaissant que c'est de la chambre que part la voix, fait le tour de la maison et va se placer sous la fenêtre de la chambre, et fait cette réponse: «Je viens dire au père Perrin, de la part de Liodoz, qu'il faut qu'il vienne porter une charge de tabac jusqu'au hameau des Gobets.» La pluie tombait par torrens; cependant Perrin n'hésite pas; il se lève, sa femme le suit; ils vont ouvrir la porte, et ils voient, dans l'obscurité, un homme d'une taille ordinaire, couvert d'une blouse bleue, qu'ils ne connaissent pas. Ils lui demandent qui il est; il répond qu'il est le domestique de Piroz Liodoz, de la commune d'Évouaix. Ils l'engagent à entrer; il répond que, pendant que Perrin s'habillera, il va dire à Liodoz qui est resté auprès des charges de tabac, de prendre patience et qu'il reviendra aussitôt. Il revient en effet un instant après, chercher Perrin qui le suit. Perrin, homme tranquille et aisé, ne se mêlait point de contrebande; pour comprendre comment il avait pu suivre aussi facilement un homme qui venait au milieu d'une nuit pluvieuse, lui proposer de prendre part à un fait de contrebande, il faut savoir que celui au nom duquel on venait l'y inviter était Claude-Marie Poncet, son plus intime ami, que l'on nommait _Liodoz_ par sobriquet, et dont l'inconnu se disait le domestique. Cet inconnu, en parlant à Perrin, s'était constamment servi du patois d'Évouaix, qui est complètement différent de Belleydoux. Il était certain qu'un piége avait été tendu au malheureux Perrin pour l'attirer hors de sa maison, car Poncet n'avait pas de tabac à faire porter aux Gobets. La femme Perrin se rappela depuis que l'inconnu avait parlé d'une voix faible et mal assurée; elle avait fait d'abord peu d'attention à cette circonstance. Cependant la nuit s'écoula, et Perrin ne rentra pas. Sa femme éprouvait les plus vives inquiétudes. Le lendemain 8 décembre, jour de la fête de la Conception, Marie Pierrette étant sortie entre sept et huit heures du matin pour aller à la messe, vit, dans un champ, à une portée de fusil, un cadavre tout souillé de boue et de sang; il était presque méconnaissable; elle approche, le regarde.... elle ne se trompe pas; c'est celui de son père! Saisie de douleur et d'effroi, elle retourne sur ses pas, en poussant de grands cris. Aussitôt le bruit d'un assassinat se répand; le maire est averti; il fait garder le cadavre, et donne les ordres les plus formels pour que les choses restent dans leur premier état. Des procès-verbaux, dressés sur les lieux, il résulta que Perrin avait dû, en sortant de chez lui, traverser un pré établi sur une pente; qu'arrivé au sentier qui conduit aux Gobets, il l'avait suivi jusqu'au point appelé le _Gros-Pommier_; que là, son bonnet, trouvé dans le sentier, prouvait qu'il avait reçu un premier coup. On conjecturait aussi que ce premier coup l'avait précipité hors du sentier; de plus, on pouvait remarquer une trace tachée de sang qui indiquait que le corps de Perrin avait été traîné sur une étendue de cent vingt pas. Au champ du _Gros-Pommier_, un long amas de sang, et une pierre grosse comme les deux poings, ensanglantée et couverte de quelques-uns des cheveux de la victime, démontraient que c'était là que l'assassin avait achevé de lui ôter la vie, et qu'il l'avait porté à dix pas du sentier où il lui avait porté les premiers coups, à l'endroit même où il fut retrouvé. Le médecin, qui visita le cadavre, constata qu'il y avait trois coups à la partie postérieure et supérieure de la tête, du côté gauche, trois autres à la partie supérieure et latérale droite de la tête, lesquels avaient tous causé des contusions aux deux lobes du cerveau, deux contusions aux deux bras, une autre sur la hanche gauche, une autre à la face interne du genou droit. Le médecin déclara que tous ces coups avaient été portés à l'aide d'un instrument contondant, et qu'ils avaient causé la mort. L'agonie de ce malheureux avait dû être longue; il avait dû pousser des cris; l'assassinat avait été commis à deux cents pas de la maison de Nicolas Perrin, son frère; mais, au milieu d'une nuit pluvieuse, ses cris n'avaient pas été entendus; seulement, au moment du crime, le chien de Nicolas Perrin avait beaucoup aboyé!.... Sur le premier moment, chacun se demandait quel pouvait être l'assassin. Tout annonçait que l'individu à blouse bleue, qui était venu appeler Perrin, était l'auteur du crime. La femme Perrin et Marie Pierrette affirmaient qu'elles avaient reconnu la voix d'un homme; cet homme paraissait être de la commune d'Évouaix, éloignée de deux lieues; cependant, malgré des indices aussi positifs, la mère et la fille, interrogées relativement à l'individu qu'elles croient capable d'avoir commis ce crime, n'hésitent pas, et disent que _leurs soupçons portent contre Marie Rose_. «Hé! disait la mère, qui voulez-vous qui ait tué mon mari? Ce ne peut être que ma fille!» Vainement on leur fait observer qu'il est bien plus vraisemblable que ce soit l'homme qui a appelé Perrin dans la nuit. _Alors_, répond Marie Pierrette, _ce sera elle, assistée de cet homme_. Dans la journée du 8, Marie-Rose vient chez sa mère, en évitant de s'arrêter près du cadavre, qui était sur son passage; et imitant un langage qui rappelle la mort du premier homme, elle a l'audace de dire: _Ma mère, qu'avez-vous fait de mon père?_—_Coquine!_ lui répond sa mère, _tu sais mieux où il est que moi_. Le lendemain, 9 décembre, Marie-Rose revient vers sa mère, et lui dit: «Mère, il faut porter à manger aux personnes qui gardent le corps....—Porte-leur toi-même, répond la mère, puisque c'est toi qui en es cause.» Mais, durant ces deux premières journées, et tandis que tous les habitans de la commune vont voir le cadavre étendu sur la place, on découvre deux circonstances qui viennent fortifier les soupçons élevés contre Marie-Rose. La maison qu'elle habitait était située sur le revers d'une montagne appelée le Finage d'Orvoz, à vingt-cinq minutes de la maison de son père: plusieurs témoins déclarèrent avoir vu, le lundi matin, en allant à la messe, ou lorsqu'ils en revenaient, l'empreinte des pas alongés d'une personne qui aurait fui, sans souliers, par le chemin le plus court, et traversant les terres dans la direction du lieu du crime au Finage d'Orvoz. Ces empreintes cessaient d'être visibles sur les terrains rocailleux; elles reparaissaient sur les terres fraîchement remuées, et on les retrouvait à peu de distance de la maison de Marie-Rose Perrin. Le même jour, lundi 8, à huit heures du matin, en allant à la messe, Humblot Barlet avait passé devant la maison de Marie-Rose; il avait vu celle-ci à la porte de son écurie, occupée à chiffonner un linge, et aussitôt qu'elle avait aperçu cet homme, elle était rentrée dans l'écurie et en avait brusquement fermé la porte, pour se soustraire à sa vue. Enfin l'assassin avait dû se faire quelque mal en frappant, en traînant, en portant le malheureux Perrin, et l'on sut que Marie-Rose était allée se faire remettre un bras qu'elle s'était foulé; on remarqua aussi qu'elle avait une égratignure près de l'œil. Le bruit de ces faits accusateurs causa dans la commune une véritable clameur publique; et le 10, on arrêta Marie-Rose. Les gendarmes, en procédant à son arrestation, avaient fait chez elle, en présence du maire, une perquisition, qui n'avait produit aucun résultat; mais, le lendemain, le maire de la commune, jugeant, sans doute, que cette première perquisition avait été faite trop précipitamment, en ordonna une seconde qui procura d'horribles renseignemens. On trouva, au fond de l'écurie, entre le mur et un tas de bûches, un pantalon de toile bleue ensanglanté, couvert en plusieurs endroits de terre fraîche, et l'on vit collés dans le sang, sur ce pantalon, plusieurs cheveux qu'à leur couleur on reconnut pour être des cheveux de Sébastien Perrin. Il y avait du sang jusque dans les goussets du pantalon, ce qui semblait indiquer qu'on s'y était essuyé les mains; au bas de ce pantalon, s'étaient aussi attachés quelques brins de chaume en paille sèche, ce qui rappela que le champ du _Gros-Pommier_, où l'assassinat avait été consommé, était couvert de chaume; toujours dans la même écurie, on découvrit au fond d'un vieux tonneau, une blouse bleue ensanglantée dans plusieurs parties et jusqu'au collet; il y avait aussi quelques cheveux collés dans le sang au bout d'une des manches. Le pantalon et la blouse furent reconnus pour appartenir à Louis Mathieu, époux de Marie-Rose. Ces divers objets furent saisis, mis sous le cachet et envoyés à Nantua. Le premier soupçon, à la vue de ces vêtemens, qui avaient évidemment servi à l'assassin, au moment du crime, fut que Mathieu qui, depuis quatre mois, était dans la Lorraine, occupé à peigner le chanvre, serait revenu secrètement pour assassiner son beau-père; on interrogea Marie-Rose sur les vêtemens ensanglantés trouvés dans l'écurie et sur l'absence de Louis Mathieu. Les réponses de cette femme et surtout son hésitation peignirent tout le trouble de son ame perverse, en voyant que la justice avait découvert des choses qu'elle croyait bien cachées. Cependant il fallut cesser de soupçonner Louis Mathieu, car il fut bien reconnu qu'il n'était pas revenu de la Lorraine. On pensa alors que Marie-Rose avait bien pu, en son absence, former des liaisons coupables avec quelque mauvais sujet qui avait pu l'assister dans l'exécution du crime. Mais la nouvelle information, qui eut lieu à ce sujet, ne produisit aucune preuve de cette conjecture. Enfin le juge d'instruction et le procureur du roi visitèrent de nouveau l'écurie, se proposant d'apporter dans cette perquisition l'attention la plus minutieuse. La vérité était sur le point de paraître au grand jour; on trouva dans l'écurie une chemise de femme en très-mauvais état, tachée de sang vers la poitrine et aux manches; on découvrit encore disséminés et soigneusement cachés, une paire de souliers de femme, une paire de bas de laine blanche et un mauvais corset de drap bleu. Tous ces objets étaient ensanglantés: sous les souliers, on remarqua de la terre, du sang, quelques brins de chaume semblables à ceux qui avaient été trouvés au bas du pantalon. Au bout d'une des manches du corset, on vit aussi des cheveux. Tous ces objets, reconnus pour appartenir à Marie-Rose, furent saisis et envoyés à Nantua. On fit subir à l'accusée un nouvel interrogatoire; on lui demanda si elle pouvait fournir des éclaircissemens relativement à la blouse et au pantalon; elle répondit que c'était sans doute dans des vues de vengeance qu'ils avaient été cachés chez elle: on lui demanda si elle avait des ennemis; elle répondit qu'elle n'en avait pas d'autres que sa mère, qui lui voulait beaucoup de mal. On lui représenta le corset de drap bleu; elle reconnut qu'il était bien à elle, mais elle soutint que, depuis le 27 novembre précédent, il lui avait été volé, et que c'était, dans la vue de la compromettre, qu'on l'avait mis dans l'état où on l'avait retrouvé. Quant à la chemise, elle soutint qu'elle ne lui appartenait pas. Les souliers étaient bien les siens, mais elle ne s'en était servie que lorsqu'elle avait arraché des pommes de terre. On lui fit remarquer qu'ils étaient ensanglantés; elle répondit que les souliers d'une _femme_ pouvaient bien être couverts de quelques taches de sang. On ajouta qu'il y avait du sang sous la semelle; elle répondit qu'elle avait bien pu marcher sur son propre sang. Ces réponses ne manquaient pas d'une certaine apparence de justesse; mais les suites de l'information la détruisirent. Il fut prouvé que le corset de drap bleu ne lui avait pas été dérobé depuis le 27 novembre, puisqu'elle le portait encore dans les jours qui avaient précédé l'assassinat et notamment l'avant-veille. Il fut également constaté que les bas de laine, qui ne lui appartenaient pas, étaient en sa possession au moment du crime, puisqu'elle les avait empruntés, quelques jours auparavant, d'une de ses voisines, pour aller à Cerdon. Il ne resta de ses réponses que la preuve qu'elle avait voulu tromper la justice. Il faut maintenant rapprocher de tous ces faits un autre fait qui fut avoué ingénuement par Gabriel Mathieu, fils du mari de l'accusée; on lui avait demandé si, dans la nuit du 7 au 8 décembre, il avait entendu quelque bruit dans la maison; il avait répondu qu'il n'en avait point entendu, mais que, cette nuit là même, sa belle-mère, qui gardait ordinairement dans sa chambre le jeune enfant qu'elle allaitait, l'avait pris dans son berceau, et le lui avait apporté à l'écurie où il couchait, l'avait placé dans son lit à côté de lui, en lui recommandant d'en avoir soin. Il était donc évident que Marie Rose était sortie de sa maison dans la nuit du 7 au 8; et que, par suite des autres renseignemens déjà obtenus, elle avait eu une part active au meurtre de son père. Ajoutons aussi, d'après l'acte d'accusation, que le lendemain de l'assassinat, plusieurs personnes avaient aperçu du sang autour des ongles de sa main droite. La culpabilité de Marie-Rose n'était pas douteuse; mais il restait à savoir quel était l'homme, son complice, qui, revêtu du pantalon et de la blouse de Louis Mathieu, avait attiré par un mensonge le malheureux Perrin hors de sa maison. Les magistrats de Nantua, après s'être assurés que Marie-Rose n'avait de liaisons avec aucun homme, eurent la pensée que c'était peut-être elle-même qui, sous les habits de son mari, était allée appeler son père, en contrefaisant sa voix et son langage. Plusieurs épreuves, plusieurs essais furent faits pour constater cette déplorable identité. Parmi les cheveux trouvés au bas du pantalon, il y en avait plusieurs qui étaient de la couleur de ceux de l'accusée. Tous les voisins déclarèrent qu'elle imitait parfaitement bien et le patois et la voix des hommes d'Évouaix, et qu'elle s'y était plusieurs fois exercée en leur présence. A la fin de l'information, une dernière preuve vint se joindre aux preuves déjà si nombreuses qui s'élevaient contre Marie-Rose. La femme qui était dépositaire de la clef de l'accusée vint déclarer qu'une pelle et un trident, auxquels on n'avait pas fait attention lors des visites, étaient dans l'écurie, et qu'elle avait remarqué que les manches de ces deux outils étaient tachés de sang. Ces deux instrumens appartenaient à Sébastien Perrin; ils avaient été oubliés par lui, à la porte de sa maison dans la journée du 7, et le lendemain 8, on ne les y avait plus retrouvés. Il était vraisemblable qu'allant dans la nuit appeler son père, Marie-Rose s'était emparée de ces instrumens, s'était servie de l'un d'eux pour porter le premier coup à son père, et les avait ensuite emportés chez elle dans ses mains ensanglantées. Ce fut sous ces charges accablantes, que Marie-Rose Perrin comparut devant la Cour d'assises de l'Ain, le 19 février 1829. L'accusée était d'une taille ordinaire, mais d'une constitution vigoureuse. Elle ne montra aucune émotion pendant son interrogatoire, qui dura plus de deux heures, et pendant les débats qui se prolongèrent jusqu'au 20. Elle répondit avec présence d'esprit et sang-froid, opposant à la plupart des faits des dénégations, en expliquant d'autres avec adresse. Quand on lui fit le récit de la mort de son père, elle se borna à dire qu'elle _était bien innocente_. L'accusation fut soutenue avec force par le ministère public. Après trois quarts d'heure de délibération, le jury prononça la culpabilité de Marie-Rose Perrin. Le président ayant demandé à la prévenue si elle avait quelque chose à dire pour sa défense, celle-ci se leva, et sans changer de voix ni de visage, répondit: _Que puis-je dire? Je suis innocente._ Alors le président prononça d'une voix émue l'arrêt qui ordonnait, conformément à la loi, que Marie-Rose Perrin aurait la tête tranchée, qu'elle serait conduite à l'échafaud, nu-pieds, la tête couverte d'un voile noir; qu'elle aurait le poing coupé et serait immédiatement exécutée à mort. La Cour ordonna en outre que l'exécution aurait lieu à Nantua. En entendant ce terrible arrêt, l'impassibilité de Marie-Rose Perrin ne parut pas troublée un seul instant. L'arrêt fut exécuté le 23 mai 1829. TENTATIVE D'INFANTICIDE, PAR SUITE D'INDIGENCE. Joséphine Martin, née à Dansery (Marne), âgée de vingt-huit ans, couturière, avait été condamnée pour vol domestique à cinq années de réclusion, par la Cour d'assises de la Seine, le 18 février 1825. Le roi avait commué cette peine en celle de trois années d'emprisonnement; mais Joséphine Martin, restée sous la surveillance de la haute-police, avait reçu l'injonction de fixer sa résidence à Epernay. Joséphine Martin avait une fille naturelle, âgée de six ans et demi, nommée Réoline. La mère et la fille occupaient dans la maison d'un tonnelier d'Epernay un cabinet garni, au second étage, dans le grenier et sous une mansarde. Ce cabinet n'avait que six pieds de large, autant de hauteur, et dix ou douze de longueur. Le nommé Michaudet, ouvrier bonnetier, logeait dans un cabinet voisin et prenait ses repas chez Joséphine, dont la conduite paraissait régulière. Depuis trois ou quatre mois, cette dernière avait exactement payé son loyer qui était de sept francs par mois. Ce loyer devait échoir le 5 janvier 1829. Dès le 4, cette malheureuse femme fut harcelée durement par son propriétaire, qui la menaça de la congédier, si elle ne le payait pas le lendemain. Joséphine n'avait point d'argent, et il lui était impossible de se procurer la somme qui lui était nécessaire. Que devenir? Une mauvaise pensée, une pensée de désespoir vint s'emparer de son esprit. Déjà elle connaissait, par expérience, les effets de la vapeur du charbon. Elle avait failli être asphyxiée, peu de temps auparavant, en faisant sa petite cuisine dans son cabinet; la vapeur délétère du charbon l'avait saisie; elle était tombée sans connaissance sur le plancher, et sans de prompts secours, elle eût perdu la vie. Le 5 janvier, Joséphine, apprenant que son cabinet vient d'être loué, et se voyant dénuée de ressources et sans asile, se fortifie de plus en plus dans la fatale résolution qu'elle a prise la veille. Elle envoie chercher du charbon par Réoline, et le soir arrivé, tandis que le propriétaire est allé tirer les rois avec sa famille, elle fait les sinistres préparatifs de l'exécution de son dessein. D'abord, elle n'avait songé qu'à se débarrasser seule du fardeau de l'existence. Mais quel serait le sort de sa fille, si celle-ci lui survivait? Cette considération avait fixé son hésitation. Comme il n'y avait point de cheminée dans son cabinet, l'air n'y pouvait pénétrer que par la fenêtre qui était fermée bien hermétiquement, et par la porte qui était vitrée. Derrière les carreaux était un rideau de mousseline par-dessus lequel Joséphine mit un tablier. Vers onze heures, Michaudet, qui rentrait chez lui, sent une forte odeur de charbon; il entend des gémissemens qui paraissaient venir de la chambre de la fille Martin. Il frappe à la porte, il appelle; des gémissemens seuls lui répondent. Il casse un carreau de la porte vitrée, passe sa main, ouvre la porte qui ne fermait intérieurement que par un crochet, s'avance dans la chambre. Quel spectacle!.... Joséphine et sa fille, couchées dans le même lit, pâles, sans mouvement semblent ne plus respirer. Michaudet les croit mortes: la frayeur s'empare de lui; son flambeau lui tombe des mains; il sort tout effaré en criant au secours. Une seconde fois, Joséphine et sa fille sont sauvées, mais il était évident que cette mère infortunée avait voulu mettre fin à son existence et à celle de son enfant. Dans le premier moment, elle déclara que c'était la misère qui l'avait poussée à cet acte de désespoir. On avait remarqué qu'elle avait, contre son usage, placé sa fille sur le devant du lit. On lui en demanda la raison; elle répondit qu'elle avait voulu s'assurer _que son enfant périrait avant elle_; sans doute, elle ne prévoyait pas les conséquences de son action, sous le rapport de la vindicte publique. Lors de son interrogatoire par le procureur du roi, elle ne nia pas sa coupable intention; mais quelques jours après, lorsqu'elle comparut devant le juge d'instruction, elle rétracta ses aveux, les attribuant à son trouble. Elle allégua qu'elle avait allumé du feu pour faire cuire son souper; que, surprise, lorsqu'elle était couchée, par la vapeur du charbon, elle s'était levée pour l'éteindre, mais qu'elle n'avait pas trouvé une goutte d'eau; qu'elle avait senti que le froid dissipait son mal; qu'elle n'avait pas voulu répondre à Michaudet. Cependant à ses aveux vainement rétractés se joignaient les circonstances du fait et quelques antécédens qui achevaient de démontrer un dessein criminel. On rappela qu'un jour qu'il était question en sa présence du suicide d'un homme d'Épernay qui s'était pendu, Joséphine avait fait la réflexion qu'il avait mal choisi _le moyen de se détruire, et qu'il aurait mieux fait d'employer la vapeur du charbon_. Joséphine Martin fut donc accusée d'avoir volontairement et avec préméditation, tenté de donner la mort à sa fille, tentative qui, manifestée par des actes extérieurs, et suivie d'un commencement d'exécution, avait manqué son effet, seulement par des circonstances indépendantes de sa volonté. Dans la situation particulière où elle se trouvait, Joséphine encourait la peine capitale. Elle fut traduite devant la Cour d'assises de la Marne, le 14 février 1829. Répondant aux questions du président, elle dit: «Je n'avais pas le crime dans le cœur; c'est la misère qui m'a fait agir. Mon loyer était échu; j'étais sans pain, sans feu, sans argent. L'idée de me voir sur le pavé avec mon enfant m'a portée à cet acte de désespoir: je n'avais plus la tête à moi. J'ai beaucoup de regret de ce que j'ai fait; j'ai eu des remords avant que d'être secourue.» Après avoir prononcé ces mots, Joséphine, cachant sa figure dans ses mains, versa des larmes en abondance. Cette scène produisit une vive émotion dans l'auditoire. On ne pouvait se défendre d'un vif intérêt pour cette malheureuse mère, sur la tête de laquelle pesait une accusation d'infanticide d'un genre aussi extraordinaire. En effet, son crime n'était l'effet ni d'un vil calcul ni d'une horrible méchanceté; il prenait sa source, comme le disait le procureur du roi, dans le sentiment le plus doux, le plus tendre de la nature, l'amour maternel. «C'est le cœur d'une mère, disait ce magistrat, qui, dans la vue du propre intérêt de son enfant, a conçu le funeste projet de lui ôter la vie, ne pouvant plus elle-même la supporter. Tel est le contraste que présente le crime dénoncé à la justice avec le motif qui l'aurait fait commettre.» Comme on le voit, le ministère public, chargé de l'accusation, concourait aussi à la défense de l'accusée. Aussi le jury déclara-t-il que Joséphine Martin n'était pas coupable, et par une collecte faite en faveur de cette femme, voulut lui assurer quelques moyens d'existence en lui rendant la liberté. LE FRATRICIDE DE JURANÇON. La famille Dutouyàa exerçait à Jurançon la profession de boulanger: elle était composée de la mère, de deux garçons et d'une fille; le père était mort depuis long-temps. La direction des affaires de la maison devint entre les deux frères le sujet d'une aversion ardente et de querelles violentes et réitérées. Le fils aîné, d'un caractère sombre et apathique, abruti par l'usage immodéré du vin et des liqueurs fortes, ne put voir, sans en être profondément ulcéré, que, dans toutes les circonstances, le reste de la famille se déclarait en faveur de son frère cadet. Il ne put concentrer la rage que lui causait cette prédilection; il en résulta, dit-on, de terribles menaces et d'atroces propos. La mère, pour prévenir un malheur qu'elle redoutait vivement, prit la précaution de faire serrer soigneusement tous les couteaux. Dutouyàa cadet, appréhendant aussi quelque méchante tentative de la part de son frère, découcha plusieurs fois, à la suite de diverses querelles, en disant _qu'il ne redoutait pas son frère; qu'il ne craignait de lui que quelque coup de lâcheté_. Cependant toutes ces précautions devinrent inutiles, et le malheureux jeune homme ne tarda pas à périr sous les coups qu'il avait vainement cherché à éviter. Le 19 janvier 1829, la famille Dutouyàa réunie se disposait à souper: le fils cadet et la mère étaient assis à table; Dutouyàa aîné se trouvait à très-peu de distance auprès du feu; la fille de la maison et la servante vaquaient à quelques occupations. Déjà une légère altercation avait eu lieu entre les deux frères sur le degré de cuisson d'une pièce de rôti. Dutouyàa cadet l'avait retirée du feu, malgré l'opposition de son frère, et à ce sujet, il lui avait reproché avec amertume sa conduite passée. Celui-ci, exaspéré par l'outrage qu'il prétend avoir reçu, apostrophe son frère, et la main armée d'un couteau, il le menace de l'en frapper, s'il continue. _Frappe!_ s'écrie Dutouyàa cadet, en lui présentant une fourchette. Dutouyàa aîné s'élance sur son frère, qui se lève aussitôt, et cherche à saisir les mains de son agresseur. Une lutte s'engage; aux cris de la sœur qui sort précipitamment et tombe évanouie, des voisins accourent. Les deux frères se tenaient encore. _Ce n'est rien!_ répond Dutouyàa aîné aux observations qui lui sont adressées, tandis que son frère chancelle, va s'appuyer contre le mur et tombe. _Malheureux!_ s'écrie la mère, _tu viens de tuer ton frère!_ Cependant on s'empresse autour de Dutouyàa cadet; on pousse l'aîné qui résiste et soutient _qu'il n'a rien fait_; on l'engage à sortir, et la mère s'écrie encore: _Prenez garde! arrêtez-le: il tient le couteau qui lui a servi à tuer son frère!_ On transporte le frère cadet sur un lit, et l'on reconnaît qu'il a reçu une profonde blessure au-dessus de la mamelle gauche. On ignore la gravité de sa position; l'anxiété de la famille ne saurait s'exprimer. Quelques instans s'écoulent dans cette horrible incertitude; le blessé essaie de répondre d'une voix très-affaiblie aux diverses questions qu'on lui adresse; il fait d'inutiles efforts pour vomir, et ne tarde pas à expirer. Pendant cette scène épouvantable, le meurtrier était resté les bras croisés, sur la porte; rentré chez lui, il se coucha et dormit. Mais le soir même, on vint l'arrêter. Cette mesure ne lui causa aucune émotion; il répondit qu'il était innocent; qu'il n'avait pas porté de coup, et que c'était son frère qui s'était frappé. La Cour d'assises des Basses-Pyrénées s'occupa de cette déplorable affaire, dans sa seconde session, de février 1829. Plusieurs témoins furent entendus, notamment l'individu qui était accouru le premier aux cris de la sœur des deux Dutouyàa. Une loi humaine écartait la mère de ces douloureux débats. La jeune servante de la maison pouvait seule fournir des renseignemens circonstanciés sur la scène de l'assassinat. Sa déposition, dans les premiers instans, fut accablante pour l'accusé; elle rapporta qu'il avait saisi un couteau et s'était élancé sur son frère. Aux débats, elle montra moins d'assurance, et déclara qu'elle n'était pas sûre qu'il eût pris le couteau. Quoi qu'il en soit, aucun témoin n'avait vu ce couteau, et malgré toutes les recherches, on ne put le retrouver. L'accusation d'homicide volontaire fut soutenue avec force par le ministère public. L'accusé, quoique défendu avec un talent remarquable par M. Lacaze, fut déclaré coupable par le jury, et en conséquence, condamné aux travaux forcés à perpétuité. En entendant prononcer cet arrêt, Dutouyàa ne manifesta pas la moindre émotion. ASSASSINAT COMMIS PAR LA FEMME LEBARON SUR SON MARI, DE COMPLICITÉ AVEC UN AUTRE INDIVIDU. Cécile Leboucher, de la commune d'Hébécrivon, arrondissement de Saint-Lô, avait épousé, à l'âge de dix-sept ans, le sieur Charles Lebaron; elle avait, dit-on, été contrainte à ce mariage par sa mère: quoi qu'il en soit, cette union ne fut pas heureuse. Cécile Leboucher haïssait son mari, et ne le dissimulait en aucune circonstance. L'ayant fait citer en police correctionnelle, à l'occasion d'une querelle qu'ils avaient eue ensemble, elle s'était égratigné elle-même la figure pour le faire condamner comme auteur de ces blessures. Par suite de cette affaire, une demande en séparation avait été formée, mais la famille était parvenue à les réunir. Toutefois cette réconciliation ne fut que de peu de durée, et bientôt les scènes les plus violentes éclatèrent de nouveau. Voyageant un jour avec une voisine, Cécile lui dit que _son mari lui avait donné sa tâche et l'avait disputée le matin_; elle ajouta: _Ah! si nous en étions défaits!_ Puis, sur les représentations de cette femme, elle dit: «Ne dites rien; car s'il lui arrivait quelque chose!..... il est toujours en charriage; il n'aurait, étant ivre, qu'à se trouver pris sous une voiture...» Une autre fois, s'entretenant avec un journalier, nommé Vaultier, des torts de son mari à son égard: _Si j'en avais un comme celui-là_, lui dit Vaultier, _je l'étoufferais_.—_Le feriez-vous bien?_ repartit vivement la femme Lebaron. Enfin, dans une autre circonstance, elle proposa au nommé Clément Leroy, alors son domestique, de l'aider à empoisonner son mari, l'assurant qu'il ne lui en arriverait rien, et qu'ensuite il l'épouserait. Cécile Leboucher s'était adonnée à l'ivrognerie et à la débauche. On citait plusieurs individus avec lesquels elle entretenait des liaisons coupables, notamment Vaultier qui travaillait habituellement chez elle. Cet homme était marié, et père de quatre enfans. Le 16 décembre 1828, le procureur du roi de Saint-Lô fut informé que Lebaron avait été, le matin même, trouvé mort dans son écurie, derrière ses chevaux. On put juger d'abord, par la position du cadavre, que cet homme n'avait pu être tué par ses chevaux; et bientôt un examen plus attentif ne laissa plus de doute sur son genre de mort. On eut lieu de penser que Lebaron avait été victime d'un assassinat, et que cet assassinat avait été commis dans un moment où il était nu ou en chemise. En effet, il n'y avait aucun désordre dans ses vêtemens; on ne découvrit aucune trace de sang. Les genoux et les cuisses étaient couverts de boue, et le pantalon n'était ni percé ni gâté aux endroits correspondans; le bas de la chemise, introduit dans le pantalon, était marqué d'une empreinte de doigts ensanglantés. On ne fit d'abord que d'infructueuses recherches pour découvrir l'auteur de ce crime; mais diverses circonstances firent soupçonner Vaultier, qui fut aussitôt arrêté. Dans un premier interrogatoire, cet homme ne put résister à la véhémence des présomptions qui déposaient contre lui, et dans un second, il finit par s'avouer l'auteur de l'assassinat. Il donna ensuite des détails sur les circonstances du forfait. Il résultait de ses aveux qu'il n'était que le complice de Cécile Leboucher, femme de Lebaron. «Depuis long-temps, dit-il, elle me sollicitait de la débarrasser de son mari; elle m'avait même dit qu'elle me l'enverrait pendant la nuit m'apporter du glu, afin que je pusse m'en défaire plus facilement; Lebaron vint en effet chez moi le samedi qui précéda sa mort, mais je ne voulus pas commettre le crime. Le lundi, jour de l'assassinat, Cécile Leboucher vint à plusieurs reprises me trouver chez Leboucher, où je travaillais, et renouvela ses instances, en promettant que je ne manquerais pas d'argent. «L'occasion est favorable, me dit-elle; mon mari est à faire du froment chez un voisin. Il reviendra fatigué et s'endormira promptement; je me coucherai avec lui et ma petite fille, ayant soin de laisser la porte ouverte; au moment où vous entrerez, je me lèverai, je porterai mon enfant dans le cabinet voisin, et reviendrai ensuite vous aider. «Ce qui fut exécuté ponctuellement. «Étant sorti de chez Leboucher, où j'avais passé la soirée, j'attendis dans la cour que tout le monde fut couché; j'entrai ensuite chez Lebaron, que je trouvai endormi à la rive, c'est-à-dire du côté de la porte. Je lui donnai sur la tête un violent coup d'un gros morceau de bois dont j'étais armé; il tomba sur la chaise qui était au-devant du lit, et contre le jambage de la cheminée; je lui portai plusieurs autres coups et le saisis à la gorge. Pendant ce temps, Cécile sortit du cabinet où elle était allée porter sa fille, et donna plusieurs coups de sabot à son mari. «Lorsqu'il fut sans vie, nous l'habillâmes; la femme Lebaron lui passa elle-même son pantalon; nous lui entourâmes la tête de deux mouchoirs pour empêcher qu'on ne suivît la trace du sang, et le portâmes dans l'écurie, afin que l'on crût qu'il avait été tué par ses chevaux. Rentrés dans la maison, nous avons semé beaucoup de cendre sur le plancher, au lieu où le sang avait été répandu. La femme gratta cet endroit avec les ongles et jeta la terre derrière le foyer. Nous portâmes ensuite à la chambre la chaise sur laquelle Lebaron était tombé, parce qu'elle était teinte de sang, et cachâmes sous la paillasse d'un lit dans cette même chambre, les mouchoirs qui avaient entouré la tête de ce malheureux.» A tous ces horribles détails, Vaultier ajouta qu'ils burent, pour se remettre les esprits, de l'eau-de-vie, qu'il avait achetée le samedi précédent avec de l'argent que la femme Lebaron lui avait remis à cet effet, et que, dans la conversation qui eut lieu entre eux, cette femme lui dit: «_Ce qui me gêne le plus, c'est la crainte de ne pouvoir pleurer demain._ Au reste, je me lèverai de grand matin, j'irai chez Leboucher chercher du feu, et lui dirai que je suis bien inquiète, parce que Lebaron est parti hier soir, et n'est pas encore de retour.» La femme Lebaron, interrogée à son tour, prétendit que son mari, après être revenu de son travail, était parti sur sa jument pour aller parler à sa mère qui l'avait demandé la veille; qu'elle s'était couchée comme à son ordinaire, et que, ne le voyant pas revenir, elle était allée sur les cinq heures du matin chez le sieur Pierre Leboucher, lui faire part de son inquiétude, et s'en était revenue faire de la soupe, qu'elle mangeait avec sa fille lorsqu'on était venu lui apprendre que son mari avait été trouvé mort dans l'écurie. Elle nia formellement toutes les circonstances contenues dans le récit de Vaultier. Ce dernier, confronté avec la femme Lebaron, persista avec assurance dans sa première déclaration. Les mouchoirs, désignés par Vaultier, furent retrouvés dans les poches de la femme Lebaron, qui les avait fait reprendre sous la paillasse de la chambre. On remarqua que le jambage de la cheminée, contre lequel portait la tête du lit de Lebaron était couvert de petites taches de sang très-nombreuses: la femme Lebaron prétendit que ces taches provenaient d'un saignement de nez qu'avait eu son mari. On remarqua en outre plusieurs mares de sang, tant sous la grande porte de la cour, que dans le chemin qui conduit de cette porte à l'écurie. Les indices de culpabilité ne manquaient pas; Vaultier et la femme Lebaron furent arrêtés et conduits dans les prisons de Saint-Lô. Dès le lendemain, Cécile Leboucher démentit tout ce qu'elle avait dit précédemment, et convint que son mari était couché dans son lit, lorsqu'il avait été assassiné; qu'elle y était également couchée avec sa petite fille. Elle désigna Vaultier comme l'assassin, et raconta cette scène de manière à éviter la peine de complicité. Selon elle, Vaultier la poursuivait, et l'excitait depuis long-temps à tuer son mari, en lui disant qu'il la battait et la laissait sans les provisions les plus nécessaires; qu'après sa mort, elle jouirait de son bien; qu'il viendrait domestique chez elle, et ne la laisserait manquer de rien; que le soir de l'assassinat, Vaultier s'était posté sur le lit, en lui disant: _Si tu ne le tues pas, je te tue, toi et ta fille_; qu'elle s'était enfuie dans un cabinet derrière la cuisine, et qu'aussitôt Vaultier avait assené sur la tête de son mari un violent coup d'un morceau de bois qu'il tenait; qu'elle avait voulu sortir pour lui porter secours, mais que l'assassin l'avait repoussée dans le cabinet, d'où il l'avait fait sortir ensuite pour la contraindre à l'aider à porter le cadavre dans l'écurie. Vaultier, dans tous ses interrogatoires postérieurs, ne varia pas sur les détails de la scène sanglante du 16 décembre; il ajouta seulement plusieurs autres circonstances qui tendaient plus ou moins à établir la vérité. La justice entendit aussi plusieurs dépositions importantes. Un individu déclara avoir vu et reconnu Vaultier et la femme Lebaron, la nuit de l'assassinat, sous la grande porte de la ferme, portant un fardeau chacun par un bout; la femme ayant laissé tomber le bout qu'elle portait, avait été gourmandée à ce sujet par Vaultier, qui lui avait dit qu'ils allaient être pris, qu'il y avait du monde. La peur les fit rentrer d'abord dans la ferme d'où ils se rendirent ensuite dans l'écurie. Ils regardaient avec inquiétude autour d'eux pour voir s'ils ne pouvaient être découverts. Les deux coaccusés comparurent devant la Cour d'assises de la Manche, dans la seconde session de mars 1829. La femme Lebaron était alors âgée de vingt-deux ans. Sa tête était petite, sa physionomie commune. Elle se tint constamment la tête baissée et les yeux fixés sur ses genoux. Pendant la lecture de l'acte d'accusation, quand le greffier rapporta les horribles circonstances de l'assassinat, Vaultier sembla un moment agité, et Cécile Leboucher fut saisie d'un tremblement qui dura assez long-temps, sans que sa figure, toutefois, annonçât autant d'agitation que les mouvemens de son corps. Quand le président de la Cour demanda à Vaultier si c'était lui qui avait donné la mort, Vaultier, en regardant la femme Lebaron, répondit: _C'étaient nous deux!_ La femme Lebaron, de son côté, persista à vouloir assumer sur la tête de Vaultier tout l'horrible du meurtre de son mari. Les médecins qui avaient été chargés de l'examen du cadavre révélèrent une foule de particularités qui annonçaient un assassinat exécuté avec une affreuse barbarie. Ils avaient trouvé, dirent-ils, les os du crâne en bouillie, la gorge portant encore l'empreinte des doigts qui l'avaient serrée, la figure ensanglantée et meurtrie de coups; ils ajoutèrent d'autres détails que nous tairons par pudeur, et qui firent frémir l'auditoire. Sur la déclaration du jury, les deux accusés furent déclarés coupables et condamnés à la peine de mort. Cette terrible décision fut accueillie dans l'auditoire avec des applaudissemens, et des cris de joie; de fréquentes rumeurs avaient déjà plusieurs fois interrompu les plaidoieries. Le président de la Cour réprima avec une sorte d'indignation ces démonstrations révoltantes. Les condamnés entendirent leur arrêt avec une apparence de sang-froid. Au sortir de l'audience, comme la foule se ruait sur leur passage, on les reconduisit à la prison par un chemin autre que celui que l'on prend ordinairement, afin de les soustraire à l'avide curiosité et aux clameurs furieuses qui les avaient poursuivis le matin jusqu'à leur arrivée au tribunal. ADRIEN LAFARGUE. Le 19 mars 1829, Adrien Lafargue, ébéniste, âgé de vingt-cinq ans, comparut devant la Cour d'assises des Hautes-Pyrénées (Tarbes), comme prévenu d'assassinat sur la personne de Thérèse Castagnère, femme Loncan, avec laquelle il avait eu des relations intimes. La nature du crime et l'intérêt général que l'accusé sut appeler sur lui par le récit vraiment remarquable qu'il fit devant toute l'audience, produisirent une vive impression non seulement sur tous les spectateurs, mais encore sur les nombreux lecteurs de la _Gazette des Tribunaux_, qui rendit un compte fidèle, intéressant et détaillé de cette affaire extraordinaire. Le jeune Adrien Lafargue était doué d'une physionomie heureuse. A des traits réguliers, fins et délicats, à des cheveux arrangés avec grâce, il joignait une mise soignée et des manières distinguées, même pour une condition supérieure à la sienne. Il s'exprimait avec facilité et avec une sorte d'élégance. Sa parole était lente, réfléchie, ses gestes mesurés, son air calme; et cependant on remarquait de temps en temps dans ses idées une exaltation concentrée, et son regard, habituellement doux, prenait un caractère sinistre, quand il venait à se fixer et que ses sourcils se rapprochaient. Le président de la Cour lui ayant adressé quelques questions relatives à des faits particuliers antérieurs au crime, Lafargue répondit sans hésiter et entra dans de longs détails. Mais tout-à-coup s'interrompant: «Est-ce ma déclaration tout entière que vous voulez? dit-il. Permettez-moi alors de vous exposer ma vie avec ordre, et telle que je l'ai sentie; ce que vous me demandez y trouvera place.» Sur l'invitation du président, l'accusé s'exprima en ces termes: «Si je suis criminel, ce n'est pas la faute de ma famille, surtout celle d'un frère qui a été plein de sollicitude pour ma jeunesse, et qui n'a cessé, par sa correspondance, de me donner des conseils d'honneur et de vertu. J'ai été vertueux et pur jusqu'à l'âge de vingt-quatre ans, époque de mon arrivée à Bagnères. J'y connus d'abord une dame, une demoiselle, pardon, _une personne_, car je ne dois rien dire qui puisse la désigner. Elle me racontait ses chagrins; je suis sensible; j'entrai dans ses peines, et bientôt nous fûmes faibles ensemble. Cela ne dura pas long-temps; je voulus changer de logement; le destin me conduisit sur le boulevard de la poste; je cherchais une habitation modeste, je m'arrêtai devant une maison qui n'avait pas une apparence seigneuriale. J'entrai; plusieurs femmes étaient réunies dans une chambre; je demandai si l'on pourrait me loger; l'une d'elles se leva, vint à moi d'un air gracieux: c'était Thérèse. Elle me dit que sa mère était absente, mais qu'elle pensait bien qu'elle pourrait bien me recevoir. Elle m'engagea à repasser le lendemain. Je n'y manquai pas. Thérèse et sa mère me conduisirent dans une chambre, hélas! celle de la catastrophe. Elle me convint, et malheureusement encore mes propositions furent agréées: l'on devait me nourrir. «Thérèse était enjouée, complaisante. Le premier soir, elle m'éclaira jusque dans ma chambre, à l'heure du coucher, et se borna à me souhaiter une bonne nuit; le second soir, même attention, mais en me quittant, elle me serra la main à deux reprises. J'en fus surpris et agréablement affecté; le troisième soir, elle m'accompagna encore. A peine entré, je tirai ma veste, croyant que Thérèse allait sortir... Quel fut mon étonnement, lorsqu'elle me sauta au cou et m'embrassa, puis elle se hâta de fuir! Je passai ma main sur mes yeux en me demandant si je rêvais; c'était bien réel: jamais semblable chose ne m'était arrivée; je ne pouvais comprendre qu'une fille dût agir ainsi. Je me promis de lui demander le lendemain _raison_ de ce baiser. Le hasard fit que nous fûmes seuls à table. «Il faut, lui dis-je, que vous m'estimiez beaucoup pour m'avoir embrassé hier au soir?—Oui, me répondit-elle, je vous estime et je vous aime, et ne le méritez-vous pas?—Qu'ai-je fait pour le mériter? et comment m'aimez-vous?—Je vous aime parce que vous en êtes digne, puis quand j'aime, j'aime tout-à-fait.» «Le même soir, Thérèse me pria de l'accompagner chez un voisin. Je l'avais toujours appelée mademoiselle: «Je dois vous désabuser, me dit-elle; je ne suis point demoiselle, je suis mariée. Mon mari m'a rendue très-malheureuse, il m'a quittée.—Oh! ne m'aimez pas, lui dis-je, revenez à votre mari!» Je la pressai de suivre mon conseil. Elle me répondit que cela lui était impossible, qu'elle ne pouvait plus entendre parler de cet homme, et elle se mit à pleurer; j'étais attendri. Le lendemain au soir, nous allâmes nous promener. Voulant l'empêcher de s'attacher à moi, je me décidai à lui confier que j'étais destiné à une jeune personne vertueuse, fille d'un ami de mon père. Thérèse ne me répondit que par des pleurs; nous rentrâmes très-émus l'un et l'autre. Quelques jours s'écoulèrent. Un matin je fus témoin des tendres soins qu'elle prodiguait à un enfant; j'en fus touché: «Vous êtes bonne, Thérèse, lui dis-je, vous méritez qu'on vous estime.—Non, non, vous ne m'estimez pas! s'écria-t-elle, en éclatant en pleurs et en fuyant vers le haut de la maison.» Ces larmes, ce mouvement me bouleversèrent: _je fus vaincu_. J'ai reconnu plus tard que ce n'était que de l'artifice et de la séduction. «Le même soir, je lui dis: _Eh bien! Thérèse, je suis à vous._ Je lui confiai ma première intrigue à Bagnères, la seule de ma vie. Elle m'en avoua une semblable, rompue depuis un an. Nous nous jurâmes une fidélité inviolable jusqu'à mon mariage avec la fille de l'ami de mon père, et dès ce moment, nous fûmes comme mari et femme. Un mois après environ, je lui annonçai que j'allais partir pour Bayonne et me marier; mais que j'emploierais tous mes moyens pour finir mes jours _et laisser mes ossemens_ à Bagnères. Thérèse me répondit avec douceur qu'elle faisait et ferait toujours des vœux pour que je fusse heureux avec mon épouse. «L'habitude des ouvriers est de se lever avec le jour. J'allais de grand matin au travail, et je ne rentrais qu'aux heures des repas. Un jour, je n'avais fait qu'aller chercher mes outils; j'en revenais chargé; il n'était que sept heures; je voulus ouvrir la porte, elle était fermée. Thérèse ne s'attendait pas à mon retour, elle me croyait au travail. Je lui criai d'ouvrir; elle vint. Je remarquai que sa figure n'était pas celle du sommeil; elle était enflammée; un soupçon me saisit. Je remarquai un tablier de travail, enduit de peinture de diverses couleurs.—D'où vient ce tablier, Thérèse?—C'est celui de mon oncle, qui, comme vous le savez, broie de l'indigo chez M. Pécautet.—Si c'était celui de votre oncle, il n'y aurait que de la teinture; à celui-ci, il y a de la peinture.» Je portai mes regards vers le lit et j'aperçus la forme d'un homme qui s'était enveloppé, et qui se serrait _sottement_ dans un des rideaux. Tous mes membres tremblaient; j'avais bonne envie de les _rosser l'un et l'autre de coups_, de faire un exemple. Thérèse me conjura de sortir; j'étais alors capable de prudence; la raison m'y invitait; car j'ai suivi la raison chaque fois que j'ai pu la connaître: je sortis. «Quelques minutes après, je me croisai sur l'escalier avec ce peintre qui était venu travailler dans la maison. J'eus le courage de ne lui rien dire. Dès que je pus être seul avec Thérèse, je lui demandai l'explication de cette conduite. Elle n'essaya point de nier, et, au milieu des supplications les plus vives et des larmes les plus abondantes, elle m'avoua que cet homme avait été autrefois son amant; qu'il était entré dans sa chambre sans qu'elle s'y attendît; qu'il l'avait pressée; qu'elle avait résisté d'abord en pensant à moi, mais qu'il lui avait rappelé leurs anciennes relations, et qu'alors elle avait cédé; elle me demanda mille fois pardon avec les accens du désespoir; elle se roulait par terre, échevelée. «Dieu, lui dis-je, pardonne toujours une première faute; je te pardonne aussi.» A ces mots, Thérèse se relève, et, à genoux devant moi, elle découvre son sein et s'écrie: «Si jamais je te suis infidèle, tu vois mon sein, prends un poignard, plonge-l'y tout entier: je te pardonnerai!» Ce que je dis est vrai, Dieu en a été témoin, cela me suffit. «L'union se rétablit entre Thérèse et moi. A la suite d'une discussion avec son oncle, cédant à de sages conseils, j'avais quitté la maison Castagnère; je continuais de voir Thérèse à des rendez-vous marqués. Un soir, elle ne vint pas; le lendemain, je lui en fis des reproches, et comme elle ne me donnait aucune bonne raison, je conviens que je la poussai et que je la fis tomber dans la boue; mais je m'empressai de l'essuyer avec mon mouchoir. Elle venait souvent me voir dans ma boutique; dans une circonstance, elle me pria de lui prêter trois francs; je ne les avais pas, elle parut mécontente de mon refus; peu à peu elle me négligea. Son indifférence m'affligeait et m'irritait. Je lui fis demander une entrevue; sa réponse fut qu'elle ne voulait plus me parler. Alors je fus hors de moi, et sentant que je pourrais me porter à quelque extrémité: «Prévenez Thérèse, dis-je à la personne qui me transmettait sa réponse, qu'elle évite de se tenir sur sa porte durant quelques jours, parce que je pourrais faire un malheur; qu'elle m'accorde cette grâce.... Je voulus m'assurer si elle m'avait obéi; je passai devant sa maison; elle était sur le seuil à travailler avec d'autres femmes, et elle me regarda avec impudence. Rentré chez moi, je fis un retour sur le passé; je me rappelai ses caresses, ses sermens, ses larmes; ce souvenir m'indignait et me rendait sa conduite inexplicable. Je rôdais autour de son domicile pour tâcher de lui parler. «Un soir, vers dix heures, j'aperçus le contrevent de sa chambre entr'ouvert; quelqu'un était à la fenêtre; je crus que c'était elle; je conviens que je la menaçai du bâton que je portais ordinairement, en disant: _Tu me le paieras!_ Je pourrais nier cette circonstance, puisqu'il n'y avait que moi, Dieu et la personne qui m'a vu. Bientôt après je fus appelé devant le commissaire de police qui m'envoya chez le substitut du procureur du roi; ce magistrat me reprocha ma conduite, me défendit de chercher à voir Thérèse et d'entrer dans sa maison; il me prévint que la police aurait toujours l'œil sur moi. Moi, sous la surveillance humiliante de la police! moi, dénoncé par Thérèse! J'étais désolé; cette idée me poursuivait partout et ne me laissait aucun repos. La femme de l'auberge _Bonsoir_ qui fut témoin de ma douleur, me conseilla de faire dire une messe pour me calmer. «Oh! non, lui dis-je, une messe ne pourra y rien faire, je suis trop tourmenté. «Dès ce moment, je ne me connus plus. Le jour, j'étais seul dans ma boutique, ne pouvant souffrir la compagnie de personne. Malheureusement je fus trop seul! Mes nuits étaient sans sommeil et cruellement agitées. Quoi! me disais-je à moi-même, elle t'abandonne, après tous ses sermens! C'est un mauvais sujet; elle tendra des piéges à d'autres, et ils y tomberont. Il faut qu'elle meure; c'est une justice: du moins, elle ne fera pas d'autres dupes; toi-même tu es trop sincère pour vivre ici-bas; et je résolus ma mort avec la sienne dans une de ces nuits. En songeant aux moyens que je pourrais employer, je fis choix de l'arme à feu. Le lendemain matin, j'allai chez un armurier; il me loua une paire de pistolets que je promis de lui rapporter le jour suivant. Sur ma demande où je trouverais de la poudre et des balles, il m'indiqua le magasin de M. Graciette, et me donna une balle de calibre pour servir de modèle; je n'achetai que deux charges de poudre et deux balles; je ne prévoyais pas que moi, qui ne manque pas le but à trente pas, je manquerais Thérèse à bout portant. Si j'avais pu le penser, certainement j'aurais pris plutôt six charges que deux. «Je revins chez l'armurier pour le prier de charger mes pistolets, parce que je crus qu'il le ferait mieux que moi; il y consentit. Il ne faut pas, lui dis-je, que cela manque. J'allai les déposer ensuite sous le chevet de mon lit, et je cherchai à parler à Thérèse pour essayer de la ramener à moi; je ne pus la voir. Alors je pris mes pistolets, et je les mis dans mes poches; comme ils étaient trop longs, je coupai le bas de mes poches, afin qu'ils entrassent mieux; de plus, j'y tins les mains pour que la poignée ne parût pas: _ce n'était pas ridicule, c'était en hiver_. Je priai un de mes amis d'engager Thérèse à se rendre chez lui; il n'y réussit pas; la nuit arriva, j'entrai dans l'auberge _Bonsoir_. Je ne pouvais pas m'asseoir avec les pistolets dans les poches; je les mis secrètement sous une porte qui donne dans le corridor. Quand je voulus les reprendre en sortant, je ne les trouvai plus; j'imaginai qu'ils devaient avoir été ramassés par la femme qui sert dans l'auberge; je les lui réclamai: elle refusa d'abord de me les remettre, en me disant: «Je sais ce que vous en voulez faire.... Malheureux, renoncez à ce projet.» Je lui répondis que j'y renoncerais peut-être, si elle me rendait les pistolets, que rien n'était encore décidé, que tout serait réparé si Thérèse revenait à moi; mais que si elle s'obstinait à retenir mes armes, j'irais sur-le-champ en prendre d'autres chez un armurier, et brûler la cervelle à Thérèse, au coin du feu, de quelques personnes qu'elle fût entourée; que la balle pourrait peut-être atteindre quelqu'un de plus, et que le sang retomberait sur elle. Je la trompai aussi sur le nom de l'armurier, afin qu'elle ne pût pas m'empêcher d'avoir des armes de celui auquel je m'étais adressé. Elle se décida enfin à me rendre mes pistolets. «Il était tard; j'allai me coucher. Il est impossible, sans l'avoir éprouvé, de se figurer la nuit que je passai: j'avais des mouvemens convulsifs; les images les plus horribles m'assiégeaient; je voyais Thérèse noyée dans son sang, et moi, étendu près d'elle. Il me tardait que le jour parût; je sortis de bonne heure pour aller la trouver; j'entrai dans le cabaret _Bonsoir_, où j'invitai à boire deux personnes de ma connaissance, en épiant l'instant où Thérèse sortirait de sa maison. Sur ces entrefaites, elle vint à passer d'un air soldatesque; elle semblait me narguer. Je la suivis; mais, au même instant, j'aperçus sa mère, je feignis de prendre une autre direction, et je rentrai au cabaret _Bonsoir_. «Thérèse y arriva bientôt après, et me demanda ce qu'enfin je voulais d'elle; je lui dis que c'étaient des choses qu'entre amans, on ne se disait qu'en particulier; qu'elle voulût sortir un instant seule avec moi: elle s'y refusa en disant que je pouvais m'expliquer devant tout le monde. Alors je lui demandai si elle voulait consentir à me revoir.—«Non.—Pourquoi?—J'ai mes raisons.—Tu feras le malheur de deux personnes.—Je me moque de toi comme de cela, et elle cracha avec un signe de mépris.... Va, va, le procureur du roi..... Elle venait de quitter la chambre où nous étions quand elle prononça ces dernières paroles. Je la suivis, et la priai de consentir à me voir, ne fût-ce que deux minutes tous les huit jours. «Tu veux donc m'obliger à t'aimer par force? me dit-elle.—Pourquoi m'as-tu aimé déjà? lui répondis-je; je ne t'y ai pas forcée; je ne t'ai pas non plus forcée à me l'attester par mille sermens.» Elle persista dans son refus. «J'étais arrivé avec elle sur le seuil de sa porte; j'allais entrer, quand sa mère parut et m'ordonna de me retirer. J'obéis en lui disant: _Il n'est pas encore nuit!..._ Je revins au cabaret _Bonsoir_, et presque aussitôt je vis la mère sortir; elle marchait à grands pas; je crus qu'elle allait chez le procureur du roi. L'occasion était favorable; je m'élance dans la maison de Thérèse; à moitié escalier, j'arme un des pistolets, et le cache derrière le dos pour ne pas l'effrayer. J'entre précipitamment dans la chambre; je veux la fermer en dedans; il n'y avait pas de clé et la targette était en désordre. Je réitère à Thérèse mes prières, j'offre de me mettre à ses pieds; elle refuse, et s'approche de la croisée comme pour appeler. Alors je lui tire un coup de pistolet et la manque; je la saisis par le bras et lui dis: _Retourne-toi!_ En même temps, je lui tire mon second coup; elle tombe, et le mouchoir de sa tête lui couvre les yeux. Je veux me détruire; mais je n'ai pas de quoi recharger mon pistolet. J'ai la pensée de me précipiter du haut du grenier; je sors de la chambre dans cette intention; Dieu m'y ramène, parce que, sans doute, il voulait sauver mon ame. Un morceau de fer tel qu'un clou sans tête, disposé en tire-bouchon, s'offre à ma vue; je m'en empare et je charge avec un de mes pistolets. Cependant, avant de tirer, _j'observe_ qu'il n'y a pas de sang près du corps de Thérèse; je me dis à moi-même: Ne serait-elle qu'étourdie? Je pose le pistolet, d'où alors le morceau de fer, que j'y avais mis, dut tomber. Je relève le mouchoir qui couvrait les yeux de Thérèse; _ils étaient ouverts!_..... Oh! je suis perdu maintenant, et toi, tu me survivrais pour te rire de ma mort! Non, ce n'est pas juste. Je l'avouerai, je prends mon couteau, l'arme du lâche, je n'en avais pas d'autre, _et je lui coupe le cou_. Je me faisais horreur à moi-même; je lui couvris la figure pour ne pas la voir; les témoins vous diront qu'on lui a trouvé la figure couverte par son mouchoir. Ensuite, _par un sentiment naturel d'ordre et de propreté_, j'essuie mon couteau, le referme et le remets dans ma poche; puis je me tire dans la bouche le coup de pistolet qui, à mon insu, n'était chargé qu'à poudre; je tombai sans connaissance. «Je ne sais ce qui s'est passé pendant plusieurs heures; mon nom, qui frappa mon oreille, me fit revenir à moi. Quand je suis endormi, un coup de canon ne me réveillerait pas, tandis que mon nom, prononcé même très-doucement, me réveille tout de suite. Je me trouvai dans un lit, à l'hôpital; j'étais au désespoir de n'avoir pas succombé; je remarquai, avec satisfaction que j'avais à la bouche un trou où ma langue entrait; je remarquai encore que j'avais été saigné des deux bras, et j'eus l'espérance de pouvoir mourir en faisant couler mon sang; je parvins à défaire les ligatures. Que je fus heureux en sentant mes doigts se mouiller et mes forces défaillir! Je recommandai mon ame à Dieu, et j'aurais expiré si l'on ne se fût, à temps, aperçu de mon état. Voilà la vérité tout entière, je n'ai rien déguisé, Dieu le sait! J'ai mérité la mort, puisque je l'ai donnée. Le jour où je la recevrai sera le plus doux, le plus beau de ma vie. J'attends l'échafaud fatal; j'espère que j'y monterai sans crainte, et que je courberai la tête avec courage!» Adrien Lafargue fit ce récit d'un ton calme, jusqu'au moment où, ayant manqué le premier coup, il dit à Thérèse: «_Retourne-toi!_» Alors sa voix fut vivement émue; quelques larmes roulèrent dans ses yeux sans franchir ses paupières. Mais, presque aussitôt il reprit sa tranquillité apparente, et il continua avec un sang-froid et une présence d'esprit qui ne l'abandonnèrent pas un seul instant, pendant tout le cours des débats. Cette narration vraiment extraordinaire, cette sorte de révélation intime qui produisit des impressions diverses sur l'auditoire, et qui en général inspira un vif intérêt en faveur de l'accusé, fut confirmée, presque dans toutes ses parties importantes, par les dépositions des témoins. Plusieurs témoins à décharge déposèrent de la bonne conduite antérieure d'Adrien Lafargue, de sa vie retirée, de son humeur mélancolique. On passa ensuite aux plaidoieries. Le ministère public soutint avec énergie l'accusation d'homicide volontaire avec préméditation. Me Dubois, défenseur de l'accusé, chercha à établir que le meurtre commis par son client, lequel meurtre devait être suivi d'un suicide, était moins un crime que de la fureur. Il démontra donc qu'Adrien Lafargue était en démence, lorsqu'il avait conçu et exécuté le projet de sa mort et de celle de Thérèse. A l'appui de son assertion, il cita un passage d'un manuscrit que l'accusé avait rédigé dans la prison pour servir de renseignemens à son défenseur. Dans ce fragment curieux, Lafargue s'adressait à Thérèse en ces termes: «Le voile est levé maintenant, mais, hélas! un peu tard. Que vois-je? Toi, avec dix-neuf faces! Sur la première, j'aperçois un sourire forcé pour rendre ton abord agréable; sur la seconde, je lis que tu finis d'écouter avec un vif intérêt la personne qui te parle; sur la troisième, je lis que tu l'approuveras en tout, serait-ce même contre la bienséance; sur la quatrième, je lis que tu cherches à découvrir sur ladite personne si elle ne serait pas un peu l'amie de la fortune; sur la cinquième, je lis que tu as découvert en effet qu'elle n'en était pas tout-à-fait l'ennemie; ce qui fait qu'on aperçoit un peu tes dents qu'un sourire d'espoir te force à découvrir; sur la sixième, je lis que tu t'étudies à la regarder d'un bon œil; sur la septième, je lis que tu feins d'avoir pour elle de l'amitié; sur la huitième, je lis que tu lui fais la figure du bon dieu de pitié, et que tu t'efforces à lâcher un soupir; sur la neuvième, je lis que tu lui témoignes ce que tu n'as jamais senti, c'est-à-dire de l'amitié; sur la dixième, je lis que tu t'efforces à lui persuader que tu as pour elle ce que tu n'as jamais eu pour personne, je veux dire de l'amour; sur la onzième, je lis que ta joie éclate d'avoir réussi dans ton infâme projet, et d'avoir encore rencontré une dupe; sur la douzième, je lis que tu prêtes un serment que tu empruntais ordinairement à Beelzébud pour convaincre celui qui aurait la bonté de t'écouter, d'une fidélité à toute épreuve; sur la treizième, je lis que tu lui as prodigué tes fausses caresses, et j'en juge par tes yeux caves et mâchés, et ta mine livide; sur la quatorzième, je lis que tu l'as déjà dupé et l'espérance de le duper encore; sur la quinzième, je lis que tu t'es aperçue que la fortune ne lui tend pas aussi souvent la main, et ce contraste me fait apercevoir que ton air est devenu pensif et sérieux; sur la seizième, qu'il est impossible qu'il t'approche, car ton air infernal te force à froncer le sourcil, et le mépris éclate dans tes yeux: j'aperçois aussi que ta bouche est ouverte, ce qui me prouve qu'elle a prononcé son irrévocable congé; sur la dix-septième, je vois qu'elle est toute de travers, ce qui me porte à croire que le pauvre Urbain a fait une dernière tentative, et que, pour toute réponse, tu lui as tourné le dos; sur la dix-huitième, je lis la médisance; et, enfin, sur la dix-neuvième, je lis la calomnie. Sur cette dernière, il ne faut pas être physionomiste pour en être persuadé; car les serpens qui sortent de ta bouche me prouvent bien que je ne me suis pas mépris. D'un autre côté, j'aperçois ton cœur, je le considère, et je n'y vois aucune cicatrice, ce qui me prouve qu'aucun trait n'a pu le percer à cause de sa dureté; si j'y avais aperçu une seule cicatrice, je pourrais croire que ton mari en serait l'auteur; mais le pauvre homme! tu l'aimais comme les autres.» La plaidoirie de Me Dubois dura trois heures, et produisit beaucoup d'effet. Après lui, un autre avocat, Me Laporte, demanda à payer à l'accusé, par quelques réflexions rapides, le tribut de son zèle et de l'intérêt qu'il lui avait inspiré. Le 21 mars, après le résumé des débats par le président de la Cour, il y eut quelque discussion sur la position de la question. La Cour ordonna qu'on poserait la question d'homicide volontaire, sans préméditation et provoqué par des violences graves. Le jury résolut affirmativement et à l'unanimité, cette double question. Enfin, la Cour prononça contre Adrien Lafargue une condamnation à cinq ans d'emprisonnement, à dix années de surveillance de la haute-police, et aux frais de la procédure. En entendant cet arrêt, le jeune homme demeura toujours impassible. Le président de la Cour lui adressa une courte exhortation. Lafargue s'inclina en signe de remercîment; puis se tournant avec vivacité vers l'auditoire, il s'écria: «Braves et estimables habitans de cette ville, le tendre intérêt, que vous m'avez témoigné m'est connu; vous vivrez dans mon cœur!» Des larmes éteignirent sa voix; des applaudissemens lui répondirent, et la foule se précipita sur ses pas. CRIME DE CASTRATION COMMIS PAR UNE MARATRE SUR UN ENFANT DE SON MARI. Les fastes de notre jurisprudence criminelle, ainsi que le disait le défenseur de l'accusée dans cette cause, offrent peu d'exemples du crime qui fait l'objet de cette accusation, et l'on peut dire avec certitude que l'amour et la jalousie ont toujours égaré ceux qui ont pu se rendre coupables d'un pareil forfait. Dans la déplorable circonstance dont nous allons rapporter les détails, ce furent la méchanceté, la barbarie, la perversité qui conduisirent des mains faites pour le crime. Vers la fin d'octobre 1828, la clameur publique annonça au maire d'Hautefort (Dordogne), qu'un crime horrible avait été commis par Catherine Migot sur Aubin Javaneau, à peine âgé de trois ans, enfant d'un premier mariage de Jean Javaneau, son mari. Cette Catherine Migot, dont la jeunesse avait été souillée par une honteuse dépravation de mœurs, était d'un naturel violent et cruel. Elle était capable de se livrer à toutes sortes d'excès; tout son voisinage la redoutait, son mari même tremblait de devenir sa victime. Toute la contrée savait que cette méchante créature abhorrait les enfans de son mari, qu'elle les maltraitait sans relâche et à tout propos, et que le plus jeune était particulièrement l'objet de sa haine et de ses cruautés. Pouvant à peine bégayer quelques mots, ce malheureux enfant était privé de la faculté de se plaindre des mauvais traitemens qu'on lui faisait endurer. Aussi sa marâtre crut-elle pouvoir, avec l'espérance de l'impunité, consommer sur lui le plus abominable des forfaits. Le maire d'Hautefort, déterminé par toutes ces circonstances, se transporta, assisté des gens de l'art, au domicile de Jean Javaneau, et demanda à voir le plus jeune de ses enfans. Catherine Migot eut l'inconcevable audace de le conduire dans une petite cabane séparée de la maison. Là, on trouva le jeune Aubin, seul, couvert d'ordures, transi de froid et étendu presque sans vie sur quelques planches à peine recouvertes d'une paille infecte. Les médecins visitèrent ce pauvre enfant, et acquirent bientôt la triste certitude du crime affreux dont Catherine Migot était accusée par la clameur publique. Une cicatrice de cinq lignes de longueur, très-large, paraissant être le résultat d'une plaie faite par un instrument tranchant qui coupait mal; des traces bien marquées de compression et de ligature attestaient avec quelle recherche de barbarie on avait mutilé le jeune Aubin Javaneau. Les médecins ne balancèrent pas à déclarer que l'état désespéré, où se trouvait cet enfant, pouvait provenir de l'opération cruelle qu'on lui avait fait subir. L'infortuné Aubin Javaneau expira quelques heures après. Aussitôt une instruction judiciaire eut lieu. Des témoins nombreux accusèrent Catherine Migot, et racontèrent des circonstances épouvantables, qui annonçaient une cruauté froidement calculée, occupée incessamment à inventer de nouveaux tourmens pour le malheureux Aubin Javaneau. Cette misérable refusait à ce pauvre enfant la nourriture nécessaire à ses besoins: pendant l'absence de son mari, elle le chassait de la maison, au moment des repas. Elle lui mettait des excrémens dans la bouche, et prétendait le forcer à les manger. Un jour, Marie Mortier, témoin de cette action infâme, voulut donner à l'enfant un morceau de pain qu'elle avait dans sa poche; la marâtre s'en empara, le présenta à Aubin, qui, pressé par la faim, allait le prendre, mais, au lieu de le lui laisser, elle lui appliqua sur la main un violent coup de houssine. Tous les jours, elle le rouait de coups; dehors, elle le fouettait avec des orties, le jetait dans les ronces et contre les murs; dans sa maison, elle le frappait avec un bâton; et, quoiqu'elle demeurât à une assez grande distance du village, on entendait le bruit des coups qu'elle lui portait et les pleurs du jeune Javaneau. Habituellement, son corps était couvert de meurtrissures noires, bleuâtres ou jaunes. Ce malheureux enfant couchait sur des planches qui reposaient sur quatre pieux. Si, la nuit, il était pressé par quelques besoins, ne pouvant se lever et n'ayant personne auprès de lui, il était souvent obligé de céder à la nature. Chaque fois que cela arrivait, Catherine Migot le prenait dans son lit, le traînait vers la mare la plus infecte et la plus bourbeuse du village, où elle le plongeait et replongeait, quelle que fût la rigueur de la saison. Puis elle laissait sur lui ses haillons tout mouillés, en lui disant qu'il serait bien frais toute la journée, et elle le conduisait à l'ombre d'un noyer où il demeurait abandonné, sans doute parce qu'elle pensait, d'après une tradition populaire, que l'ombre de cet arbre pouvait donner la mort. Le père, un jour, ne put contenir son indignation et la frappa. Quelques jours après, une nouvelle rixe ayant eu lieu à la même occasion, Catherine Migot s'écria: «Tu m'as déjà battue à cause de ta famille; mais je te préviens que, si tu y reviens encore, je mettrai tes enfans sous mes pieds.» Elle dit à Anne Constantin, une de ses voisines, à laquelle elle se plaignit d'avoir été frappée par son mari: «S'il y revient, il s'en repentira, car si je ne pouvais pas en venir à bout autrement, je ferais bouillir de l'huile et la lui verserais dans la bouche, lorsqu'il serait endormi...» La Cour d'assises de la Dordogne s'occupa de cette affaire dans ses audiences des 8 et 9 avril 1829. Catherine Migot persista dans le système de dénégation dans lequel elle s'était renfermée devant le juge d'instruction. Elle adressa de fréquentes et violentes interpellations à ceux qui déposaient contre elle, en leur lançant des regards furieux. Mais toutes ses dénégations furent démenties par les témoins qui venaient certifier les sévices exercées par Catherine Migot sur le jeune Aubin; les aveux mêmes qui étaient échappés à l'accusée dans les prisons, étaient là pour la confondre. Des prisonniers rapportaient qu'elle avait dit: «Ah! si je puis sortir d'ici, je me vengerai sur les deux autres, ou le diable me mangera. Si je ne puis m'y prendre autrement, je ferai bouillir de l'eau et je les plongerai dedans.» Elle avait dit en parlant de la mort d'Aubin: «Oui, je l'ai fait; et si je ne l'avais pas fait, je le ferais encore! Les chirurgiens et le maire ont mis une fausseté dans leurs procès-verbaux. Ils parlent de deux ligatures; il n'y en avait qu'une. Ils disent que l'opération a été faite avec des ciseaux; je ne me suis pas servie d'un pareil instrument; d'ailleurs, quand je l'ai fait, personne ne m'a vue.» Après une demi-heure de délibération, les jurés répondirent affirmativement, seulement sur la question de tentative, manifestée par des actes extérieurs, suivie d'un commencement d'exécution, et n'ayant manqué son effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de l'accusée. Sur les conclusions du ministère public, la Cour condamna Catherine Migot aux travaux forcés à perpétuité. La condamnée se rongeait les poings en écoutant son arrêt. Après le prononcé, elle jeta ses regards vers le ciel en protestant de son innocence; mais aucune émotion ne se peignait sur ses traits. Un moment, elle feignit de s'évanouir; mais, voyant que l'auditoire paraissait insensible, elle se leva et suivit les gendarmes, en se lamentant sur sa destinée, et vomissant des imprécations et des blasphèmes contre ceux qu'elle accusait d'avoir voulu la perdre. MEURTRE COMMIS PAR VENGEANCE. Depuis plusieurs années, Jean Barsac cultivait, à titre de colon partiaire, un _pignada_ ou lieu semé de pins, appartenant à madame la baronne Ismert, et situé dans la commune d'Arengosse. Il paraît que cette dame voulut résilier arbitrairement le bail qui avait été consenti à Barsac; car le 1er janvier 1829, qui n'est point l'époque où, d'après les usages du pays, les propriétaires donnent congé à leurs colons, elle enjoignit à Barsac de ne plus travailler son pignada et elle lui donna un remplaçant nommé Labedade. Barsac, furieux, répondit à madame Ismert qu'il n'avait que faire de l'ordre qu'elle venait de lui donner, et dit hautement qu'il tirerait un coup de fusil sur quiconque se présenterait pour travailler le pignada. Le 5 mars suivant, Barsac ayant appris que Labedade et son domestique Darmayan étaient occupés à tailler les pins dans son pignada, se saisit aussitôt de son fusil qui était chargé à plomb, y introduisit une balle, et se rendit sur les lieux, malgré les prières et les instances d'un de ses ouvriers. Labedade et Darmayan venaient de se retirer pour prendre leur repas; mais Barsac les attendit, et ayant trouvé dans le bois la jeune fille Marie, il lui fit part de son dessein; il mit même en sa présence une seconde balle dans son fusil. Bientôt Labedade et Darmayan qu'il attendait, se présentèrent. Voici en quels termes le domestique raconta la scène horrible dont il fut témoin. «Nous nous étions pourvus chacun d'un petit fusil de chasse pour tirer à la palombe. L'accusé, en nous accostant, nous demanda de quel droit nous travaillions ses pins; Labedade répondit que c'était en vertu des ordres donnés par madame Ismert. Barsac nous menaça alors de faire usage de son fusil, si nous ne nous retirions à l'instant; et comme mon maître, en continuant son travail, répondit qu'il ne le croyait pas capable de se porter à cette extrémité, il prit une balle qu'il mit dans le canon de son fusil, et tira à six pas de distance sur Labedade qui tomba en s'écriant: _Ah! tu m'as tué!_ Effrayé, j'allai prendre mon fusil au pied d'un pin, et je m'enfuis à toutes jambes pour aller chercher des secours. Labedade expira presque sur-le-champ.» Après ce coup, Barsac reprit tranquillement le chemin de sa métairie; il racontait froidement aux personnes qui se trouvaient sur son chemin comment il avait été obligé de tuer Labedade. Il rentra chez lui, fit le même récit à sa femme, et, après l'avoir embrassée tendrement, il la quitta en lui disant: _Adieu! de long-temps nous ne nous reverrons!_ En effet, il se rendit aussitôt à Mont-de-Marsan, chez le procureur du roi qui le fit arrêter. Après l'instruction qui eut lieu à l'occasion du meurtre de Labedade, Barsac fut traduit devant la Cour d'assises des Landes, en avril 1829. Cet homme manifesta, durant les débats, une violence de caractère, qui frappa vivement l'auditoire. Quoique d'une petite corpulence, il paraissait doué d'une grande force de corps; son œil était étincelant, son teint basané; tous ses traits, tous ses gestes décélaient un homme à passions vives et énergiques. A l'ouverture de l'audience, il s'était approché de son défenseur, et lui avait dit: «Tenez bon! tout ou rien: surtout pas de galères; j'aime mieux la mort.» Ses réponses aux questions du président de la Cour furent empreintes de franchise. Il avoua le crime et les menaces qu'il avait proférées avant de le commettre. Son récit contenait cependant quelques circonstances importantes dont ne parlait pas le témoin oculaire Darmayan. Il prétendait qu'après avoir ordonné à ce dernier et à Labedade de quitter le pignada, des propos outrageans avaient été échangés entr'eux; qu'alors Darmayan s'était saisi de son fusil, l'avait armé, et s'était tenu jusqu'à la fin de la scène dans une posture menaçante pour lui, Barsac; qu'enfin Labedade s'étant écrié: _Bah! je me f... de toi et de ton arme!_ et s'étant disposé à prendre son fusil qui était à quelques pas de là, Barsac s'était décidé à le prévenir en tirant sur lui. Plusieurs voisins de l'accusé rapportèrent des faits qui tendaient tous à prouver la violence de Barsac. Le sieur Jean Lacoste, officier de santé à Arengosse, après avoir rendu compte de l'autopsie qu'il avait faite du cadavre du malheureux Labedade, raconta que, le lendemain du crime, il avait été entraîné par un sentiment soit de curiosité, soit de _bienveillance_, à aller voir l'accusé dans la maison d'arrêt de Mont-de-Marsan, et qu'après une assez longue conversation, celui-ci avait dit: «Je ne suis pas fâché d'avoir fait ce que j'ai fait, et si j'étais à y revenir, je le ferais encore.» Cet officier de santé ajouta encore qu'il avait _ouï-dire_, qu'assigné devant un juge-de-paix, en paiement d'une certaine somme, et au moment où la sentence allait être prononcée, Barsac s'était écrié: «Prenez garde, monsieur le juge! si vous me condamnez, vous n'en condamnerez pas d'autres;» et que ce magistrat s'abstint de prononcer, invitant les parties à se concilier à l'amiable. Barsac nia tous ces propos, et prétendit qu'il existait des motifs d'inimitié entre ce témoin et lui. «Point du tout, répondit l'officier de santé; je ne suis point l'ennemi de l'accusé. J'ai même à vous révéler deux autres faits à sa charge, et les voici: j'ai été, il y a environ un an, appelé à donner des soins à la fille de Barsac; je remarquai sur ses bras quelques contusions, et elle m'apprit que c'était son père qui l'avait ainsi maltraitée, en l'attachant par derrière à la queue d'un cheval _qui avait l'habitude de ruer_; que le père commençait à exciter l'animal à l'aide d'un aiguillon, lorsqu'un voisin accourut et mit fin à son supplice, en coupant les courroies qui la tenaient suspendue au cheval.—Autre fait: j'ai également ouï-dire que, dans une autre occasion, l'accusé avait failli étrangler volontairement la même jeune fille; et celle-ci m'a dit, il y a peu de jours: «_Si l'on veut m'appeler au tribunal, j'irai moi-même déposer contre mon père._» (Mouvement d'horreur dans l'auditoire.) L'accusé nia formellement ce dernier fait. Quant au premier, il en donna l'explication en ces termes: «Ma fille mène une vie désordonnée. Ne pouvant la décider à rentrer sous le toit paternel, j'allai un jour la chercher dans une maison qu'elle habitait, et pour qu'elle ne m'échappât point avant mon départ, je l'attachai par les bras sur une chaise où elle était assise.» L'accusation fut soutenue avec beaucoup de force par le procureur du roi. Le défenseur de Barsac ne put que s'en rapporter à la prudence du jury sur le fait d'homicide volontaire; mais il combattit habilement la circonstance aggravante et capitale de la préméditation. Sur la réponse du jury, Barsac fut déclaré coupable d'homicide volontaire. La circonstance de la préméditation fut écartée. En conséquence, Barsac fut condamné aux travaux forcés à perpétuité. Ce malheureux entendit l'arrêt avec la même fermeté qu'il n'avait cessé de montrer pendant les débats, et il supplia la Cour de le condamner à la peine de mort. Il annonçait cependant qu'il se pourvoirait en cassation. DOUBLE MEURTRE COMMIS PAR DEBACKER. Philippe-François Debacker, natif de Malines, après avoir servi dans l'artillerie de la marine, se retira à Brest, où il se maria en 1806. Il eut douze enfans de cette union, et tous vivaient encore au moment du crime de leur père. En 1814, il quitta Brest, et vint, avec sa famille à Nantes, où il fonda un établissement de marchand tailleur, qui prospéra de manière à lui faire concevoir l'espérance d'un heureux avenir. Mais une malheureuse passion vint à la traverse de ses plans de fortune et de bonheur. Mariette Villain, jeune et jolie personne à peine âgée de seize ans, fut admise chez lui en qualité de fille de boutique. Il ne tarda pas à éprouver pour elle un amour violent, et trois années n'étaient pas révolues, que, dominé par sa passion désordonnée Debacker quitta sa femme et ses enfans pour s'attacher aux pas de sa jeune maîtresse. Tous deux vinrent s'établir dans la capitale; Mariette passait pour la femme de Debacker. Pendant ce temps, l'épouse légitime était dans la misère, manquant même du plus strict nécessaire pour elle et pour ses enfans. Réduite au désespoir, cette malheureuse femme prit la résolution de mettre fin à ses souffrances, et se donna la mort en se précipitant dans un puits. Après la mort de cette pauvre femme, Mariette sollicita d'une manière pressante Debacker de réaliser la promesse de mariage qu'il lui avait faite; Debacker répondait toujours par des ajournemens. Enfin, fatiguée de ses refus, Mariette lui déclara, le 2 janvier 1829, qu'elle se séparait pour jamais de lui; elle quitta sa demeure et alla se loger rue Croix-des-Petits-Champs, no 21, partageant avec Geneviève Lougueux, dite Maria, son amie, une petite et modeste chambre au cinquième étage. Debacker fut très-sensible à cette séparation; ce premier chagrin fut bientôt aggravé par la jalousie; il ne tarda pas à apprendre que la jeune fille à laquelle il avait tout sacrifié, l'avait abandonné, trahi, et entretenait des liaisons avec un tailleur nommé Mocloury. Il n'avait d'abord que des soupçons vagues; ces soupçons devinrent dans peu une horrible certitude. Un jour, il rencontra Mariette et son rival dans le passage Véro-Dodat. Après quelques explications, ne pouvant plus maîtriser les transports de sa jalousie, il frappa son ancienne maîtresse au visage, avec tant de violence, qu'elle fut à l'instant même couverte de sang. Le 26 février suivant, Debacker vint, vers six heures du matin, frapper à la porte de la fille Durand qui occupait, rue Croix-des-Petits-Champs, no 21, une petite chambre sur le même carré que celle de Mariette Villain: il lui demanda où était la chambre de Geneviève Lougueux. La fille Geneviève n'ignorant pas les motifs du ressentiment qui animait Debacker contre Mariette, lui répondit que cette fille était à la campagne. Debacker ne se paya pas de cette réponse; il descendit auprès du portier, le pressa de questions, et apprit de lui que Mariette Villain avait changé de chambre, qu'elle était au no 17. Debacker remonta, et le portier ne le vit plus. Quelques instans après, vers onze heures un quart, le sieur Thuilard, qui se trouvait dans la même maison, au cinquième étage, entendit des cris de désespoir: _Au secours! à l'assassin!_ Il courut à la chambre de la fille Mariette, d'où partaient ces cris; la porte était fermée; le sieur Thuilard n'hésita pas à l'enfoncer. Derrière cette porte était un homme étendu; cet homme se relève aussitôt; Thuilard s'empare de lui. Dans l'autre partie de la chambre, étaient deux femmes échevelées, couvertes de sang; l'une était gisante sur le carreau, l'autre assise et penchée sur une chaise; c'étaient Mariette Villain et Geneviève Lougueux. D'autres témoins, attirés également par les cris, arrivèrent, et les secours les plus prompts furent administrés à ces deux infortunées; mais ces soins furent inutiles. Déjà Geneviève, percée de plusieurs coups mortels, avait cessé d'exister; Mariette respirait encore. Debacker, debout, l'œil sombre et fixe, contemplait sa victime: «Je ne suis pas encore satisfait, disait-il, car celle à qui j'en voulais vit encore.» Mais Mariette ne tarda pas à rendre le dernier soupir, et Debacker aussitôt tirant de sa poche et avec la rapidité de l'éclair, le couteau dont il avait frappé ces deux malheureuses, s'en donna plusieurs coups dans la poitrine avec une fureur frénétique. Quand le commissaire de police et le juge d'instruction arrivèrent, ils firent donner à Debacker tous les secours que sa position exigeait, et l'on procéda devant lui à l'autopsie des deux cadavres. Geneviève Lougueux avait été blessée en quatre endroits, dans la partie supérieure du sein gauche, dans la partie inférieure de la région cervicale, dans la partie supérieure et postérieure du cou, et enfin dans les régions lombaires; ces blessures, ayant atteint les lobes du poumon gauche et la moelle épinière, avaient causé un épanchement considérable. Mariette Villain avait reçu six blessures, les unes sur les bras, les autres sur la figure et dans le sein gauche. Quant aux blessures de l'assassin, quoique dangereuses, elles n'étaient pas mortelles; et lorsqu'il fut en état de pouvoir parler, il fut interrogé par le commissaire de police. Debacker déclara qu'il était l'auteur du double crime qui venait d'être commis; que le désespoir et la jalousie avaient armé son bras contre Mariette; que Geneviève Lougueux ayant voulu défendre son amie, il l'avait frappée aussi sans savoir ce qu'il faisait. Il reconnut pour lui appartenir le couteau ensanglanté qu'on lui représenta, et ajouta qu'il l'avait fait aiguiser des deux côtés, parce qu'il voulait en finir. Debacker, en conséquence de ces faits, fut traduit devant la Cour d'assises de la Seine, le 6 juin 1829. Il entendit la lecture de l'acte d'accusation avec tout le découragement du désespoir. Son front était couvert de sueur; sa physionomie était abattue; son visage changeait souvent de couleur, suivant la nature des émotions qu'il éprouvait; tantôt il pleurait, tantôt il s'appuyait le front sur ses deux mains. Dans d'autres momens, on l'eût cru étranger au drame sanglant qui se déroulait devant lui, tant sa physionomie était immobile! tant ses regards étaient fixes et atones! Dans l'interrogatoire qu'il subit devant la Cour, Debacker attribua son crime au désespoir, dit qu'il avait la tête perdue quand il l'avait commis, et repoussa toute idée de préméditation. Suivant lui, en entrant dans la chambre de Mariette, il l'avait vue occupée à travailler, et lui ayant demandé de qui elle tenait l'ouvrage, elle lui avait répondu en riant que c'était de Mocloury, son ami; qu'alors ces paroles l'avaient rendu furieux, et il n'avait plus su ce qu'il faisait. Debacker nia plusieurs propos énoncés par quelques témoins, entre autres celui qui tendait à prouver que, dans le premier moment, il avait exprimé le regret de n'avoir pu donner la mort à Mariette. Quand Mocloury fut introduit, l'accusé fit un mouvement, sa figure s'anima et son regard devint sombre; tous les muscles de son visage furent en contraction, et il murmura, les dents serrées et d'une voix qu'il semblait tirer du fond de sa poitrine: _Monstre! tu as tout fait! Monstre! c'est toi qui m'as perdu!..... ah! malheureux!_ A ces derniers mots, Debacker dont les mains étaient appuyées sur le banc, les laissa tomber sur ses genoux et des larmes s'échappèrent de ses yeux. Après deux heures de délibération, les jurés répondirent affirmativement sur la question de meurtre et sur celle de préméditation. Leur réponse fut également affirmative à l'égard du meurtre de Geneviève Lougueux; mais ils déclarèrent que Debacker avait agi sans volonté. En conséquence, l'accusé fut condamné à la peine de mort. Il entendit son arrêt sans manifester la moindre émotion. LE BERGER DE CHÈVREVILLE. «Cette affaire était, dit la _Gazette des Tribunaux_, depuis l'ouverture de la session, le sujet de tous les entretiens; l'opinion publique désignait déjà l'accusé comme un monstre indigne de rester parmi les hommes, comme un tigre qu'une soif de sang dévorait, dont la rage n'ayant pu s'assouvir sur trois personnes qu'il avait vainement poursuivies, avait cherché dans le sang de sept chevaux, un affreux dédommagement, et qui, non satisfait encore par cet acte de barbarie, avait donné la mort à un vieillard contre lequel il n'avait aucun motif de ressentiment. On racontait aussi, comme un nouveau témoignage du caractère atroce de l'accusé, sa conduite dans les prisons de Beauvais. Lui parlait-on de remords en lui retraçant ses crimes, il répondait _qu'il ne savait pas ce qu'on voulait dire_. Il ne cessait de jouer aux cartes ou à d'autres jeux, et s'endormait profondément après avoir raconté lui-même tous les faits qui lui était imputés.» Nous allons faire connaître, d'une manière plus détaillée cet individu et les crimes qui l'amenèrent devant la Cour d'assises de l'Oise, le 20 juin 1829. Étienne Aubry était, depuis cinq ans, berger du sieur Benoît, cultivateur à Chèvreville; son maître n'avait jamais eu de reproches à lui faire; seulement, quoique marié, Aubry entretenait, depuis dix-huit mois, des liaisons avec Élise Charles, qui servait aussi chez le sieur Benoît: on avait remarqué, en outre, que depuis quelque temps, il fréquentait les cabarets. Le 2 mai 1829, Aubry eut à se plaindre d'Élise, qui refusait de passer la nuit avec lui dans sa cabane. Une occasion le conduisit au cabaret avec d'autres camarades; il but, pour sa part, quatre bouteilles de vin blanc et un verre d'eau-de-vie. Revenu à son troupeau, il n'en prit aucun soin, et laissa ses moutons se mêler avec ceux de plusieurs voisins. Le sieur Benoît survint, et adressa à Aubry quelques légers reproches. Le berger, qui était couché dans sa cabane, se leva et lui dit: «Vous avez dans votre ferme deux yeux qui me perdent.» Benoît supposant qu'il voulait lui parler d'Élise, répondit qu'il les chasserait, elle et lui, s'ils se conduisaient mal. Alors Aubry saisit la bride du cheval de son maître, et tirant de sa poche un couteau dont il ouvrit les deux lames: _En voilà_, dit-il au sieur Benoît, _une pour vous et une pour moi!_ Benoît effrayé descend de cheval; il adresse quelques exhortations à Aubry; celui-ci se calme et lui dit: _Pour vous prouver que je ne voulais pas vous faire de mal, prenez le couteau_; et il le lui remet en effet. Benoît fait quelques pas, mais il s'est à peine éloigné, qu'Aubry revient vers lui et demande son couteau. Sur le refus de son maître, il entre dans une violente fureur et s'arme d'une serpette qu'il tire de sa poche, en menaçant le sieur Benoît de l'éventrer. Celui-ci parvient à lui saisir les bras par derrière; il reçoit dans la lutte une blessure à la main. Deux charretiers accourent; Aubry dit à l'un: _Toi qui es le premier, tu vas être éventré!_ et à l'autre: _Te voilà aussi, je vais faire ton affaire._ Cependant la présence de ces deux hommes l'arrête dans ses violences à l'égard de son maître; mais sa rage, qui paraissait refrénée, ne faisait que prendre une autre direction et chercher de nouvelles victimes. Il s'élance vivement sur le cheval de son maître qui était à quelque distance, en criant: _Je n'ai pu te tuer, Charles Benoît, mais en arrivant chez toi, tu ne trouveras plus ta femme!_ et aussitôt il part en poussant le cheval au galop. Qu'on juge de l'effroi de Benoît. Il est atterré par cette menace; déjà il se figure sa femme égorgée! Que faire cependant? Comment atteindre, à pied, ce misérable qui fuit de toute la vitesse de son cheval? L'un des charretiers se détache, et gagne la ferme à toutes jambes; mais Aubry, qui l'a aperçu, le force de retourner sur ses pas, en le menaçant de le tuer. Bientôt l'assassin a disparu aux regards de Benoît; tout espoir semble perdu: mais avant d'arriver à la ferme, Aubry trouve que la serpette dont il est armé, ne suffit pas pour l'exécution de son projet. Il se rend dans la maison de sa femme; il y saisit un couteau sur la cheminée; on fait des efforts pour le retenir. _C'est aujourd'hui_, dit-il en quittant la maison, _que je meurs pour la patrie! adieu pour la vie!_ et il se dirige au galop vers la ferme. C'en était fait de la femme Benoît, si, par un des plus heureux hasards, la demoiselle Hortense Lemaire n'eût passé en ce moment sur la route avec un cheval. On lui raconte brièvement ce qui vient d'avoir lieu; elle offre sa monture; un domestique s'élance dessus, il part avec la rapidité de l'éclair: il arrive; l'émotion, la fatigue, l'empêchent de parler; Aubry arrivait en même temps que lui. Cependant un mot a pu avertir le jardinier du danger qui menace sa maîtresse. _Où est Élise?_ s'écrie Aubry un couteau à la main, _il faut qu'elle y passe!_ Par une heureuse présence d'esprit, le jardinier répond qu'Élise est au fond du jardin; Aubry y court comme un forcené, et aussitôt l'on ferme toutes les portes de la maison. En ce moment, le sieur Benoît arrivait avec ses domestiques; l'un d'eux se détache pour aller chercher la gendarmerie; Aubry le poursuit, mais ne peut l'atteindre. Plus furieux encore, en voyant que tout le monde échappe à ses coups, il va droit aux chevaux que les charretiers avaient laissé errer en liberté dans la plaine; il en trouve sept qu'il frappe de huit coups de couteau. Le plus âgé des domestiques de Benoît, le sieur Courteau, veut sortir de la maison pour vaquer aux affaires de son service. Il rencontre Aubry: «_Où vas-tu?_ lui dit celui-ci.—_Je vais chercher les chevaux._—_Il n'est plus temps_, répliqua Aubry; _je viens de faire leur affaire, et je vais faire la tienne_.» Courteau lui adresse quelques observations: Aubry paraît se calmer; ils marchent quelques temps ensemble. Le vieillard a le malheur de mêler quelques reproches à ses conseils. «_Tu trouves donc que j'ai eu tort?_ reprend Aubry.—_Oui_, répond le vieux Courteau, _tu es un bon enfant, mais tu as eu tort_.—_Eh bien! adieu!_» reprend Aubry, en lui plongeant, au-dessus du sein gauche, le couteau qu'il n'a pas cessé de tenir à la main. Courteau, frappé au cœur, ne peut que proférer ces paroles: _Ah! Aubry, je n'aurais pas pensé cela de toi!_ et il tomba expirant. Aubry s'éloigne et rencontre le garde-champêtre: _Passe_, lui dit-il, _ou je t'enfile! va ramasser Courteau, il est là!_ La nuit arrive; les recherches que l'on fait pour arrêter ce furieux sont infructueuses. Le lendemain 3 mai, il rencontre le jardinier de Benoît. «Tu m'as trompé hier, lui dit-il; Élise n'était pas au jardin; sans cela, son affaire était faite, et la mienne aussi.» Deux individus ayant visité le champ où les chevaux avaient été tués, ils y trouvèrent Aubry, et comme les cloches du village se faisaient entendre, il leur dit: _Est-ce donc pour la mort de Courteau que l'on sonne les cloches?_ Saisis de frayeur, ils ne répondirent pas. «Oui, je le sais, ajoute Aubry, c'est pour Courteau: dans trois quarts d'heure, je serai dans ma cabane; on pourra venir m'y arrêter.» Un gendarme s'y rendit en effet; à sa vue, Aubry ôta sa veste, son gilet, se porta trois coups de couteau et tomba en disant: «_Je suis mort._—_Non, tu n'es pas mort_, répondit le gendarme, _puisque tu parles_.» Aubry, blessé et désarmé, se laissa conduire. «La force m'a manqué pour me tuer, disait-il, je ne suis pas content; il me fallait trois victimes de plus, Benoît, Élise, et le troisième coup me regarde.» Arrivant ensuite au lieu où il avait rencontré Courteau: «Tiens, dit-il au gendarme, c'est là que je voulais l'assassiner, mais il m'a calmé; il a voulu répéter plusieurs fois que j'avais eu tort, je l'ai frappé.» Telles étaient les charges accablantes qui pesaient sur Aubry. Deux chefs d'accusation s'élevaient contre lui devant la Cour d'assises; d'abord la tentative de meurtre sur la personne de Benoît; puis le meurtre consommé volontairement sur la personne du sieur Courteau. Aubry suivit constamment les débats avec la plus grande attention. Quand les témoins parlaient un peu bas, il tenait sa tête avancée pour mieux entendre. Pendant la déposition d'Élise Charles, il ne cessa de fixer sur elle ses regards avec l'expression du regret. Comme elle déclarait que souvent Aubry l'avait menacée du couteau: «Ce n'est pas assez pour elle, s'écria-t-il, de m'avoir plongé dans le malheur, elle veut l'augmenter encore.» Du reste, quand on vit cette Élise, cause innocente des crimes d'Aubry, tout le monde se demandait comment une fille si maigre, si petite et si laide avait pu causer une si vive passion. Le défenseur d'Aubry s'efforça de faire considérer les attentats de l'accusé comme des actes de démence; mais le jury n'en résolut pas moins affirmativement les deux questions qui lui furent posées; et Aubry fut condamné aux travaux forcés à perpétuité. Il entendit sa condamnation avec la plus profonde indifférence. LE MEURTRE DE LA RUE CHARONNE, A PARIS. Le sieur Antoine Berger, concierge de l'hôtel Vaucanson, rue Charonne, no 47, jouissait d'environ 3,000 francs de revenu; et son extrême économie laissait supposer qu'il avait de l'argent chez lui. Antoine Berger avait un neveu nommé Chandelet, mauvais sujet, qui avait subi une condamnation d'un mois de prison et cinq ans de travaux forcés. Au mois de mars 1829, Chandelet passa huit jours auprès de son oncle, et eut toute la facilité de se mettre au fait des êtres des deux pavillons situés de chaque côté de la porte cochère, lesquels étaient habités l'un par Berger, l'autre par sa domestique. Le 31 mars, la servante vit son maître remonter dans sa chambre vers huit heures du soir; il emportait sa montre et son argenterie. Les portes étaient fermées depuis sept heures; les grosses clefs avaient été déposées à leur place ordinaire. Vers une heure et demie du matin, la femme Domas entendit des gémissemens; elle en fit part à son mari qui pensa que ce pouvait être le résultat de quelque dispute de vidangeurs, et n'y porta aucune attention. A trois heures du matin, un des nombreux ouvriers travaillant dans la maison, fut étonné de trouver la grande porte ouverte, ainsi que la porte de la loge. Il vit dans la cour une blouse et une bougie dite rat-de-cave, le tout couvert de taches de sang. Cet ouvrier fit part de son étonnement à plusieurs personnes: sans plus attendre, on pénétra dans la loge au rez-de-chaussée. On y remarqua peu de désordre; les clés de la porte cochère avaient disparu; elles furent retrouvées bientôt après dans la cour; des restes d'alimens prouvaient que pendant la nuit, on était venu y manger et y boire. Au premier étage, la porte était ouverte; derrière elle, gisait le cadavre du malheureux Berger, baigné dans son sang et couvert d'un grand nombre de blessures; l'artère carotide du côté gauche était ouverte, ainsi que la veine jugulaire du même côté, et tous les muscles adjacens avaient été tellement meurtris, qu'il existait en cet endroit une cavité assez considérable pour y loger le poing. Un gendarme, en relevant le cadavre, trouva un couteau cassé en deux et taché de sang, qui appartenait à la victime, et avait servi à commettre le crime. La chambre était dans le plus grand désordre; la paillasse du lit avait été retournée et fouillée; des traces de sang étaient empreintes sur du linge et des papiers laissés dans une armoire; l'argenterie, la montre et l'argent avaient été volés. Plusieurs échelles qui, ordinairement, étaient attachées ensemble avec un cadenas, avaient été séparées, et l'une d'elles avait servi à escalader la fenêtre de la chambre où l'assassinat avait été commis. On présuma que l'un des auteurs du crime s'était introduit dans la maison avant la fermeture des portes, et que, pendant la nuit, il avait introduit ses complices. Ces présomptions furent bientôt confirmées, quand on apprit que Chandelet était parent de Berger. Ce fut donc sur ce forçat libéré que les premiers soupçons tombèrent. On l'arrêta le 1er avril; il avait des habits tout neufs; on le fouilla; il avait sur lui plusieurs sommes d'or et d'argent; le poignet de sa chemise était déchiré, et l'on y remarquait, en plusieurs endroits, des taches qui semblaient provenir de sang; il était légèrement blessé à la lèvre supérieure et à l'avant-bras droit, et la première de ces plaies était tout-à-fait récente. Chandelet, pressé par les indices qui s'élevaient contre lui, avoua son crime, et désigna comme ses complices, Guérin, forçat libéré, Bardou, qui avait été condamné à trois ans de prison, et la fille Lahouille, dite _la mère des forçats_, qui elle-même avait paru trois fois en justice. Cette dernière fut arrêtée, les deux autres prirent la fuite et se rendirent à Lyon, où ils furent saisis au moment où ils cherchaient à vendre l'argenterie de Berger. D'abord, ils nièrent tout; puis, à l'exemple de Chandelet, ils finirent par tout avouer. Ils varièrent seulement sur diverses circonstances. Ainsi Chandelet faisait le guet, tandis que les deux autres assassinaient Berger; Guérin et Bardou disaient au contraire que c'était Chandelet qui avait tué son oncle, mais cette dernière version était peu vraisemblable, car Berger était assez fort pour se défendre contre un seul homme. La fille Lahouille niait qu'elle eût participé au vol et à l'assassinat. Les quatre prévenus furent amenés devant la Cour d'assises de la Seine, le 29 novembre. Là, Bardou et Guérin-Merville rétractèrent leurs premiers aveux, soutinrent qu'ils n'avaient participé qu'au vol, et que Chandelet seul avait commis l'assassinat. Une vive altercation s'éleva à ce sujet entre Guérin-Merville et Chandelet. Après trois jours de débats, le jury déclara Chandelet, Guérin et Bardou coupables de complicité dans l'assassinat. En conséquence, ils furent condamnés à la peine de mort; la fille Lahouille, pour avoir donné asile aux malfaiteurs, fut condamnée à dix ans de travaux forcés. En entendant l'arrêt fatal, Chandelet fut accablé; un rire convulsif et effrayant contracta tous les muscles de son visage. Guérin essuyait son front couvert de sueur, et tenait ses yeux levés vers le ciel. Quant à Bardou, il demeura calme et impassible, comme dans le cours des débats. Les trois condamnés à mort subirent leur peine le 27 janvier 1830. Chandelet montra jusqu'au dernier moment la plus audacieuse effronterie. Il adressait à ses compagnons et aux personnes qui l'entouraient, des plaisanteries assaisonnées d'argot. Quand il fut dans la fatale charrette, il se mit à entonner son chant de mort. Il chantait encore au pied de l'échafaud, en contemplant d'un œil éteint, d'un air égaré, le supplice de Guérin et de Bardou: ce dernier était presque sans connaissance quand on le mit sous le fer du bourreau. ASSASSINAT DE PSAUME, AVOCAT ET HOMME DE LETTRES. Étienne Psaume, avocat et homme de lettres, était né à Commercy. Cet écrivain modeste et consciencieux s'était beaucoup occupé de bibliographie. Il a laissé sur cette science des livres un dictionnaire, que l'on consulte souvent avec fruit, même après ceux de Barbier, de Brunet, de Fournier et autres experts en cette matière. Psaume était généralement cité pour sa probité, sa franchise et son obligeance. Il avait épousé en premières noces Jeanne Picquot, dont il avait eu trois filles: Stéphanie-Cornélie, décédée femme de Pierre-Charles Simon, Catherine-Sophie, femme de Paul-Gabriel Ranxin, pharmacien à Versailles, et Victoire, mariée à Pierre François, propriétaire à Boucq. Psaume eut le malheur d'épouser en secondes noces Jeanne Lemoussu, dont il eut Élisabeth-Stéphanie, qui fut mariée avec Étienne-Adolphe Cabouat. Jeanne Lemoussu troubla le bonheur domestique de son mari; elle le quitta, et alla demeurer chez Jean-Claude Cabouat, débitant de tabac à Pierrefitte, beau-père de sa fille. Deux ans après cette séparation, elle eut un fils, que Psaume considéra comme n'étant pas de lui; aussi son intention était-elle d'arranger ses affaires de manière à ce que cet enfant n'eût rien dans sa succession. L'inconduite de Jeanne Lemoussu avait, disait-on, causé déjà plus d'un malheur; on assurait que, lors de sa dernière grossesse, son père et sa mère s'étaient tous deux noyés de désespoir. Psaume, de son côté, témoigna toujours pour cette femme de l'aversion et du mépris. Les chagrins toujours croissans qu'il éprouvait dans sa famille, le déterminèrent à quitter le séjour de Commercy, et il vint fixer son domicile à Nancy, dans les premiers jours de l'année 1828. Il possédait à Boucq un vendangeoir, dont le produit se partageait entre lui et Pierre-Charles Simon, son gendre; et il se rendit de Nancy à Boucq, dans le mois d'octobre 1828, pour ses vendanges qui s'ouvrirent le 20 du même mois. Il logea chez Charles-Joseph Merdier, aubergiste et buraliste en cette commune. Psaume, ayant terminé ses vendanges, se disposa à retourner à Boucq, le lundi 27 octobre, avec François Fert, son fermier, qui devait lui conduire un tonneau de vin, un tonneau vide et sa malle. Effectivement, le 27, François Fert vint chez Merdier, à six heures du matin, demander si Psaume était prêt. La servante lui dit de partir toujours, et qu'elle allait avertir Psaume qui n'était pas encore levé, et qui ne tarderait pas à le rejoindre. Psaume, s'étant levé aussitôt, témoigna le plus grand empressement de rejoindre son fermier, et ne finit par accepter une tasse de café que sur les instances de Merdier qui lui fit observer que d'ailleurs, en prenant la petite côte, il aurait bientôt atteint la voiture, qui devait suivre le grand chemin. Enfin Psaume quitta Merdier vers six heures et demie; il monta la petite côte qui rejoint la route de Commercy, tandis que le voiturier avait suivi ce dernier chemin. Merdier et sa servante remarquèrent que Psaume avait une montre. François Fert, parvenu vers le milieu de la côte qui s'élève à la sortie de Boucq, éprouva un retard; sa voiture s'était arrêtée dans une ornière, de sorte qu'il fut obligé de se faire aider par des passans pour pouvoir continuer à marcher. Ce fut dans ce moment qu'il aperçut Psaume à cent quinze mètres environ devant lui. Mais quand sa voiture fut tout-à-fait dégagée, au bout d'environ une demi-heure, il ne le vit plus, et en fit l'observation à l'une des personnes qui venaient de l'aider. Pendant cette matinée, une femme, qui se trouvait dans ce canton, aperçut à quatre-vingt-dix-sept mètres de distance, un homme marchant d'un bon pas, qu'elle crut être Psaume, et qu'elle suivit des yeux malgré le brouillard qui régnait alors. Plus d'un quart d'heure après, cette femme vit un voiturier arriver au haut de la côte, s'arrêter quelques instans, puis s'avancer dans la même direction que Psaume; et alors elle entendit sonner _sept heures_. Ainsi Psaume se trouvait en avance de plus d'un quart d'heure. Suivant la déposition d'un vieillard, Psaume l'avait atteint au haut de la côte et l'avait devancé, après lui avoir souhaité le bonjour en passant. Ce vieillard ajoutait qu'il n'avait pas tardé à le perdre de vue, à cause de l'épaisseur du brouillard; mais que Psaume devait être parvenu dans le bois du _Hazois_, qui est traversé par le chemin de Boucq à Sorcy et à Commercy, lorsque le témoin, frappé de cris soudains, s'arrêta et entendit, à plusieurs reprises, demander _pardon_, et répondre: _Pas de pardon!_ Alors il entra dans le taillis, pénétra dans un fond, en marchant sur ses mains et sur ses genoux jusqu'à une tranchée, d'où il revint à Boucq, craignant qu'on ne le tuât, parce que, selon ses expressions, _on touchait comme sur un bœuf_. Il indiqua sur le terrain les différens points où la scène s'était passée; il vérifia et constata qu'une émission de voix ordinaire s'entendait très-distinctement d'un lieu à l'autre. Le même jour, une autre personne passant vers dix heures du matin dans le bois du Hazois, et étant parvenue au tournant du chemin de Commercy, remarqua, malgré le brouillard, des traces de sang qu'elle prit pour celui d'un lièvre tué en cet endroit. Quant au voiturier François Fert, il ne vit plus Psaume. Il s'informa de lui sur la route, mais ses questions n'obtinrent point de réponses satisfaisantes; enfin il arriva, vers onze heures du matin, à Commercy, sans avoir retrouvé Psaume. D'après certaines circonstances qui l'avaient frappé, cette disparition éveilla à l'instant même dans son esprit des soupçons qu'il manifesta, et qui ne tardèrent pas à appeler l'attention de la justice sur ses deux gendres. Plusieurs recherches furent d'abord infructueuses. Mais enfin, le 15 novembre, une battue générale ayant eu lieu, le cadavre de Psaume fut trouvé dans le bois du Hazois, territoire de Boucq, à 2,434 mètres de la maison de Merdier, ce qui faisait environ une demi-lieue. Le cadavre était à dix-sept mètres du chemin de Boucq à Commercy, derrière des haies épaisses de charmes. Il était couché sur le dos; sa capote et le gilet refoulés sous la partie supérieure du corps, et le bas du pantalon retroussé aux deux genoux, et au-dessus, on remarquait au pantalon plusieurs taches de boue. Le pied gauche était seul chaussé d'un soulier. La montre n'était plus dans le gousset; mais, du reste, le cadavre n'avait pas été dépouillé, car on retrouva dans ses poches entre autres objets, soixante centimes en monnaie de billon, des besicles avec leur étui, un _souvenir_, une bourse, un bonnet, un mouchoir, un livre, deux clefs, le passavant délivré à Boucq et une lettre de la femme Ranxin à l'adresse de Psaume. Près du cadavre étaient le second soulier, un chapeau rond, une canne et un parapluie. Puis le 23 novembre, Jean-Christophe Delacroix, se trouvant dans le même endroit avec Louis Thomas, rencontra avec son pied, à peu de distance du lieu où l'on avait trouvé le cadavre, et sur le sentier qui conduit directement à Sorcy, un autre gros bâton de charme, caché sous des feuilles, et au gros bout duquel tenait encore un cheveu qu'on dit être noir, et plusieurs cheveux gris ou blancs. Ces deux bâtons furent saisis comme pièces de conviction. Il est nécessaire de remarquer ici que Pierre-Charles Simon exploitait, avec d'autres adjudicataires, une coupe dans le quart en réserve de la commune de Sorcy, faisant partie du bois du Hazois, et il paraît que cette coupe était la seule dans les environs où l'on façonnât alors du bois de charbon. Le cadavre fut soumis, le 15 et le 16 novembre, à trois visites de cinq docteurs en médecine ou officiers de santé. L'autopsie du cadavre fut faite par trois d'entre eux, en présence d'un quatrième, et trois procès-verbaux séparés furent dressés à cet effet. Il résulta de cet examen que la peau et la chair du bout du nez étaient excoriées, en sorte que l'on n'en apercevait que les cartilages, et que le ventre était légèrement météorisé et d'une couleur verdâtre, indice d'un commencement de putréfaction, concordant parfaitement avec l'espace de temps écoulé depuis la disparition de Psaume. La tête, fracassée d'une manière horrible, présentait de nombreuses lésions; une hémorrhagie des deux oreilles avait rempli les cheveux de sang coagulé. Le corps du délit se trouvant une fois constaté, les recherches de la justice devinrent plus actives et moins incertaines. Comme on l'a déjà vu, Psaume éprouvait de cuisans chagrins dans l'intérieur de sa famille, et son cœur, trop sensible, en était profondément ulcéré: «Je suis né pour être le plus malheureux des hommes, écrivait-il, le 8 janvier 1828, à la femme Ranxin, sa fille. Ce n'est pas assez que des étrangers m'aient accablé des plus horribles préventions, il faut encore que des enfans se joignent impitoyablement à eux pour empoisonner mon existence par les chagrins les plus cuisans.» Ces plaintes sur sa malheureuse destinée se reproduisaient à chaque page de sa longue correspondance. Plusieurs fois, il dit à un de ses amis: «C'est un malheur d'avoir donné mes filles à des gendres tels que ceux que j'ai. Ils ne leur convenaient pas, ni à moi non plus; ils n'ont ni talens ni éducation.» Et un jour, il dit d'un ton de mécontentement et même de désespoir: «J'ai quatre gendres que j'ai eus malgré moi.» Le mariage de sa fille Victoire avec Pierre François causa à Psaume des peines plus poignantes encore. Cette union se fit malgré lui, après un acte respectueux, et les mauvais procédés de Victoire et de son mari irritèrent au dernier degré ce malheureux père; on trouve dans sa correspondance des traces amères et énergiques de son mécontentement. Mais les deux gendres dont Psaume avait le plus à se plaindre, étaient Simon et Cabouat. Simon avait séduit Stéphanie-Cornélie Psaume, pour parvenir à l'épouser. Cette jeune femme réunissait les plus rares qualités; son père l'aimait jusqu'à l'idolâtrie. Elle ne trouva pas le bonheur auprès de son mari, et mourut le 28 mai 1824, laissant trois enfans en bas âge. Psaume attribua sa mort à la conduite et aux mauvais traitemens de son mari. Stéphanie-Cornélie, seize jours avant sa mort, avait fait un testament olographe, par lequel elle donnait et léguait à son père l'usufruit de tout son bien mobilier et immobilier pour en jouir sa vie durant, et lui recommandait en même temps, de la manière la plus touchante, ses chers enfans. Simon, au lieu de respecter les dernières intentions de sa femme et l'affliction de son beau-père, n'écouta qu'un sordide intérêt, et ne se montra sensible qu'aux pertes que le testament lui imposait. Il abreuva donc son beau-père d'outrages et de chagrins. Il refusa de lui laisser la tutelle, exigea ses enfans qui étaient restés chez leur grand-père, dont ils étaient la seule consolation, et accusa calomnieusement Psaume de les laisser dans un dénuement absolu. Ces prétentions donnèrent lieu, en 1825, à plusieurs procès. La mésintelligence ne fit que s'accroître. Des scènes affligeantes eurent lieu entre le beau-père et le gendre. Psaume ayant des vendanges en commun avec Simon, par suite des dispositions testamentaires de Stéphanie-Cornélie, il s'élevait, chaque année, entr'eux, à ce sujet, de vives contestations et de fortes querelles. Cette animosité se manifesta particulièrement pendant les vendanges de l'année 1828 auxquelles Simon s'était aussi rendu. Simon appela son beau-père _polisson_, _canaille_, _voleur de testament_, et lui dit: «Tu mériterais d'être enfoncé à cent pieds sous terre; il y a long-temps que tu me mènes, et tu ne me mèneras plus.» De son côté, Psaume répondit à son gendre: «Si ta femme a fait un testament, elle avait des motifs pour cela; c'est pour qu'il fût donné de l'éducation à ses enfans. Tu es un scélérat! tu l'as fait mourir de chagrin, tu l'as souffletée au lit de la mort. Tais-toi! tu es un Simon, c'est assez t'en dire que de te nommer: tous les Simons sont connus pour de la canaille et des gueux. Si j'avais voulu, je vous aurais fait condamner aux galères.» Des démêlés aussi déplorables avaient eu également lieu entre Psaume et Cabouat, mari d'Élisabeth-Stéphanie, sa fille du second lit. Ce mariage s'était fait contre le gré de Psaume; il avait été le résultat d'une intrigue ourdie par Jeanne Lemoussu et par la famille de Cabouat. On avait abusé de l'extrême jeunesse d'Élisa; on l'avait presque entraînée à l'autel, en l'absence de son père. Une union contractée sous de pareils auspices, ne promettait pas d'heureux jours. Élisa détestait son mari; elle le quitta, et se retira chez son père. Des différends d'intérêt vinrent encore aggraver cette fâcheuse circonstance; il en résulta des menaces, des scènes de violence, une haine envenimée. Cabouat fils écrivit le 23 septembre à son beau-père: «Je suis bien surpris que vous vous permettiez de tenir des propos comme vous faites sur mon compte, _et que je ne souffrirai pas long-temps_.» On voit, par tous ces faits, que Simon et Cabouat étaient également portés par leur haine violente et par leur intérêt, à se défaire de leur beau-père. Déjà même Cabouat, secondé par sa famille, avait fait une tentative dans ce but. Entre la fenaison et la moisson de 1828, un témoin ayant été acheter du tabac chez Cabouat père, Etienne-Adolphe Cabouat, qui le pesa, lui dit en le lui remettant: «Il y a deux cents francs, voulez-vous les gagner? M. Psaume va à Boucq chercher des levées de vigne, il ne suit jamais son voiturier; il passe par un sentier, et c'est-là qu'on peut faire le coup.» Et alors, il indiqua par un geste un coup à la poitrine; puis continuant, il ajouta: «D'ailleurs il a la vue basse, il ne voit pas clair, et il ne revient jamais que la nuit; il faut lui f..... de bons coups... (faisant entendre qu'il fallait le tuer). Au reste, quelqu'un vous en parlera.» Cabouat père aurait dit aussi: «Tu ne risques rien; il ne voit pas clair.» Il fut encore dit que Psaume devait venir à Pierrefitte, mais que le coup serait plus aisé à faire sur le chemin de Boucq. Enfin la femme Cabouat la mère, qui était dans la cuisine, s'écria: «Taisez-vous! on vous entend!» Le témoin indigné sortit sans répondre. Ce qu'il importe de remarquer, c'est qu'avant l'assassinat de Psaume, le témoin fit part à une autre personne de la proposition qui lui avait été faite; cette personne en parla à d'autres, de sorte que, passant de bouche en bouche, il n'était pas étonnant que le récit eût subi quelques modifications. Psaume connaissait les dispositions de ses gendres à son égard; plusieurs fois il avait exprimé ses appréhensions et ses sinistres pressentimens. Lors des vendanges de 1828, il avait dit à son fermier: «Papa Lionville, je crois qu'on attente à ma vie.» Et le 26 octobre, veille de sa mort, il dit à un autre témoin: «On dit qu'ils ont la maison des capucins à vendre; en ce cas-là, mes jours ne seront pas longs.» Après avoir donné tous ces détails, l'acte d'accusation analysait les déclarations des témoins qui avaient déposé sur la réunion des deux accusés avant le crime; sur l'identité de Cabouat, qui s'était rendu à Boucq sous un faux nom; sur un _alibi_ tenté par cet accusé, et sur les précautions prises pour le préparer; sur les démarches des deux accusés avant le jour de l'assassinat, et sur leur conduite postérieurement au crime, pour détourner d'eux les recherches et les soupçons. Immédiatement après la découverte du cadavre, Simon et Cabouat, d'après les indices violens qui déposaient contre eux, avaient été placés sous la main de la justice; c'est-à-dire Simon, le même jour 15 novembre, vers midi, dans sa demeure appelée _Moskou_ à Sorcy-Saint-Martin, et Cabouat le lendemain 16, à quatre heures du matin, chez son père, à Pierrefitte. D'abord, Simon prétendit que l'on n'avait eu intention que de donner une bonne correction à son beau-père, mais qu'il ne s'en était pas mêlé; qu'il s'était tenu à une distance de vingt-cinq pas de Psaume, dans le bois, et que Cabouat avait tout fait. Pierre-Charles Simon et Étienne-Adolphe Cabouat furent traduits tous deux devant la Cour d'assises de la Meuse, séant à Saint-Mihiel, accusés d'avoir assassiné leur beau-père, avec préméditation et guet-à-pens. Les débats de cette intéressante, mais déplorable affaire s'ouvrirent le 8 juillet 1829. Cent quatre-vingts témoins dont soixante à décharge, avaient été assignés, tant à la requête du ministère public qu'à celle des accusés. Pierre-Charles Simon était âgé de trente-cinq ans, Adolphe Cabouat, de vingt-trois ans. Les deux accusés montraient d'abord dans leur attitude et sur leur physionomie une parfaite tranquillité. Pendant la lecture de l'acte d'accusation, Simon se leva tout-à-coup, en s'écriant: «J'ai une révélation à faire. Écoutez, messieurs et mesdames! J'ai une révélation à vous faire. Depuis quinze jours, j'ai le cœur navré de douleur: vous allez entendre une révélation terrible..... Le jeudi qui précéda l'affaire, Cabouat, que je ne connaissais pas, se présenta à moi sous le nom de Marchal; il me dit à voix basse: «_Je suis Cabouat, je suis votre beau-frère: je ne veux pas me faire connaître; taisez mon nom, je suis Cabouat. J'ai quelque chose à vous communiquer._» On nous dérangea, il ne me dit rien. Le dimanche, Cabouat vint à Boucq; il me dit: «_Il faut donner une roulée à notre beau-père._ «Je ne le ferai pas, lui répondis-je; ce n'est pas dans mon caractère.» Je résistai toujours... «Le lendemain, nous nous sommes levés à six heures; Cabouat alla chez Merdier, voir si M. Psaume était parti; nous prîmes chacun un sentier. Je suivis le chemin de Commercy, Cabouat prit l'autre. Une réflexion me vint... Le malheureux! que va-t-il faire? Je me dirige vers lui... J'arrive... Le malheureux arrive sur moi: _C'est fini_, me dit-il d'une voix terrible, _il n'est plus du monde... il est f..._ (Mouvement d'horreur dans l'auditoire. Cabouat impassible ne fait pas un geste.) «Malheureux! qu'as-tu fait? Nous sommes perdus! lui dis-je. Tu devais lui donner une simple roulée, et tu l'as tué! (Simon sanglote.) Il me semblait avoir du plomb dans les veines. Je voyais mon pauvre beau-père expirant à mes yeux!... J'ai traîné le cadavre avec Cabouat dans une haie. Là, il m'a dit sur le cadavre: _Jure que tu n'en diras rien; si tu le dis, je dirai que tu as frappé avec moi!..._ Je l'ai promis, je l'ai juré, qu'il me démente!... Quand on a procédé à l'autopsie du cadavre de mon beau-père, je voulais tout révéler; mais j'avais fait une promesse à Cabouat, à ce malheureux (il regarde Cabouat) mon beau frère... Mais l'état dans lequel je me suis trouvé, m'a empêché...» A cette accusation formelle, Cabouat répondit: «Mon beau-frère m'accuse à faux; je dois être aussi cru que lui; il ment.» Cabouat soutient qu'il n'est jamais allé à Boucq. Simon ajoute, avec larmes et sanglots: «Je dois le déclarer ici, il fallait cacher les traces du crime, il fallait donner le change; j'ai eu la faiblesse de m'y prêter; j'ai été prendre la montre d'or et l'ai jetée dans l'eau.» On procéda ensuite à l'audition des témoins, dont les dépositions confirmèrent une grande partie des faits déjà connus. Celle du témoin Remy Bresseaux, bûcheron à Saint-Hilaire, produisit une vive sensation. C'était lui à qui les Cabouat, suivant lui du moins, avaient offert 200 francs pour assassiner M. Psaume. Mais Cabouat opposait à toutes ces charges un système complet de dénégation, et se retranchait toujours dans son _alibi_. Simon, depuis sa révélation, paraissait soulagé d'un grand poids. La famille Tabutiaux, qui rétracta ses premières déclarations pour déposer dans le sens de la révélation de Simon, en augmentant l'incertitude des juges, vint ajouter encore à l'intérêt dramatique qui dominait toute cette affaire. A chaque instant, on tremblait de rencontrer des coupables ailleurs que sur le banc des accusés. Le ministère public soutint l'accusation avec force. Il fit remarquer toutes les précautions prises par Simon pour cacher le crime dont il prétendait n'être pas coupable, et donna très-clairement à entendre qu'il existait des complices de ce crime, qui avaient conservé leur liberté. Enfin, le 11 juillet, après trois jours de débats, le jury rendit sa déclaration portant que Cabouat était l'auteur de l'assassinat de son beau-père, et que Simon en était le complice. On ramena alors les deux accusés devant la Cour. Cabouat était pâle et tremblant; Simon, plus maître de lui, plus rempli d'espérance peut-être, paraissait plus ferme. Le greffier donna lecture aux accusés de la déclaration du jury. Le jeune Cabouat était comme anéanti en entendant requérir contre lui et contre son complice la peine capitale. Il ne répondit que par des pleurs. Simon ne prononça que ces paroles: _Je suis pourtant innocent!_ Cabouat dit: _Je ne veux pas me pourvoir._ Simon et Cabouat ne laissèrent pas de se pourvoir en cassation; mais, peu confians sans doute dans ce pourvoi, ils manifestèrent l'intention de recourir à la clémence royale, sollicitant, pour toute grâce, la commutation de la peine de mort en celle des travaux forcés à perpétuité. Le mercredi 15 juillet, ils firent prier le président des assises de venir les trouver en prison. Ce magistrat s'y rendit. A peine l'aperçurent-ils que tous deux, gémissant et fondant en larmes, se précipitèrent à ses pieds et implorèrent son intervention en faveur de la demande en grâce qu'ils se proposaient de former; en même temps, ils annoncèrent qu'ils étaient disposés à faire des révélations qui devaient incriminer et Cabouat père et la femme Psaume. Dans une déclaration faite une heure plus tard, Simon dit qu'il avait été, depuis cinq ans, excité au crime par la femme Psaume; il se reconnut coupable, ajoutant toutefois qu'il n'avait pas porté de coups, et qu'il n'avait fait qu'aider Cabouat à traîner le cadavre dans la forêt. Il prétendait en outre que les coups avaient été portés par Cabouat, avec une pierre et non pas avec un bâton. Simon était épileptique. Il avait eu plusieurs attaques de cette terrible maladie pendant le cours de son procès: après avoir fait cette dernière révélation, il tomba aux genoux du président, terrassé par un nouvel accès. Cabouat, interrogé à son tour, eut une violente attaque de nerfs qui l'empêcha long-temps de proférer une seule parole. Enfin, quand il eut repris ses sens, il se reconnut coupable d'avoir porté les premiers coups à son beau-père; il ajouta que Simon survint après les premiers coups donnés, et que, porteur de l'un des bâtons trouvés sur le lieu du crime, il en frappa l'infortuné Psaume qui respirait encore. Tous deux, au surplus, s'accordèrent à déclarer que, depuis long-temps, la femme Psaume n'avait cessé de les exciter à commettre le crime, et de leur donner des instructions pour y parvenir. Simon, de son côté, accusait aussi Cabouat, et le désignait comme une des causes de son malheur. L'arrêt de la Cour de cassation qui rejetait le pourvoi de Simon, et de Cabouat, parvint à Saint-Mihiel le dimanche 13 septembre, et l'exécution des deux coupables eut lieu le lendemain. Avant d'être conduits à l'échafaud, ils rétractèrent les révélations par suite desquelles, le sieur Cabouat, père de l'un des accusés, et la dame Élisa Psaume, épouse en secondes noces de la victime, avaient été mis en arrestation. Cabouat protesta de l'innocence de ces deux personnes, et déclara qu'il n'y avait eu dans cette affaire d'autre instigateur que Simon. Ces deux malheureux reçurent la mort avec une extrême faiblesse. Simon fut porté sur l'échafaud à demi mort. Quant à Cabouat, il ne cessait de pousser des cris déchirans. Il fallut le porter aussi sur la planche fatale, et on lui entendit prononcer ces mots: «Pauvres jeunes gens! plaignez mon sort! prenez exemple sur moi!» Au moment où sa tête était placée sous le fer, on l'entendit s'écrier: «Oh! ma pauvre.....» mais le fatal couteau l'empêcha de prononcer le nom de sa malheureuse mère. ASSASSINS DE LA VALLÉE DE MONTMORENCY. Prudhomme et Marie Duru, sa femme, mariés tout récemment, tenaient un cabaret dans une maison isolée dite _la Croix-Verte_, commune d'Attainville, arrondissement de Pontoise. Prudhomme était âgé de vingt-cinq ans; sa femme en comptait à peine seize. Le 24 janvier 1829, ils étaient restés seuls avec deux individus qui devaient coucher dans le cabaret; la nuit se passa et couvrît de ses ombres un horrible forfait. Le lendemain 25, Duru, beau-père de Prudhomme, plâtrier à Mont-Sonil, vint à la Croix-Verte, pour y prendre un chapeau qu'un de ses gendres avait laissé chez ses enfans. Il trouva tout fermé; les portes furent enfoncées, et l'infortuné vieillard vit sa fille et son gendre renversés près d'un poêle et horriblement mutilés. Tous deux avaient le crâne fracassé. Une hache engagée sous le cou de la femme, avait servi aux assassins; il y avait encore après le fer ensanglanté quelques cheveux bruns et blonds des deux victimes. On avait brisé et déchiqueté le doigt annulaire de la main gauche de la femme, pour lui arracher son alliance. Tous les meubles avaient été fouillés; et l'on avait enlevé de l'argent, une montre et un habillement noir complet. Les soupçons s'arrêtèrent sur deux individus; c'étaient Jean-Baptiste Robert, dit Saint-Clair, dit Guibert, dit Fremol, dit Oudot, né à Chantilly (Oise), forçat évadé, et Victor-Alphonse Daumas-Dupin, né à Paris, autre forçat évadé. Le premier fut vainement recherché; on ne put saisir sa trace que long-temps après: le second avait fui au-delà des Alpes; il était à Milan. Bientôt on obtint quelques données sur sa résidence; la police apprit que de l'argent était envoyé à Milan par les mêmes personnes, mais adressé à quatre noms différens. Un jour qu'un dépôt venait de s'effectuer, on fit suspendre l'envoi de quatre jours; un agent de police intelligent prit la poste et arriva à Milan. Le jour de la réception, Daumas-Dupin ne tarda pas à s'y présenter: «Avez-vous reçu de l'argent pour M...? dit-il.—Non.—Pour M....?—Non.—Et pour M....?—Oui.—Eh bien! c'est moi.—Non, ce ne pas vous! dit alors l'agent de police; c'est moi qui ai ce nom.—Vous êtes un menteur! s'écria Daumas.—Et vous aussi! répondit l'agent de police.» Tous deux furent arrêtés, car l'un des deux devait être un fripon. On déclara qu'ils seraient renvoyés en France. L'agent de police fut bientôt relaxé, comme on le pense bien, et Daumas fut conduit en France. Daumas-Dupin comparut devant la Cour d'assises de la Seine, le 31 octobre. Le regard de l'accusé était immobile; la même immobilité régnait sur toute sa physionomie. Son teint était jaune et presque cadavéreux: pourtant sa contenance était calme. Dans son interrogatoire, il ne nia aucun des faits, mais il chercha à les faire retomber à la charge de son complice absent. A l'entendre, c'était Saint-Clair qui avait tout fait; c'était lui qui avait _anéanti_ l'homme, puis la femme; lui, Daumas-Dupin, au contraire, aurait été irrité contre Saint-Clair, et voulait l'_anéantir_ aussi. Les détails que donna l'accusé sur l'assassinat firent plusieurs fois frissonner d'horreur tout l'auditoire. «Il a suffi, disait-il, d'une seconde pour _anéantir_ le mari qui dormait, et puis la femme; ils étaient si petits tous deux!.... c'étaient des enfans!» Du reste, c'était Saint-Clair qui avait tout emporté; Daumas-Dupin n'avait pris qu'une veste de chasse couleur bronze et un chapeau pour se déguiser. Après cet interrogatoire, dans lequel l'accusé montra une étonnante habileté et un sang-froid imperturbable, on procéda à l'audition des témoins. La présence de Duru père, appelé comme témoin, excita un vif mouvement d'intérêt dans l'assemblée. Ce vieillard s'avança, en détournant ses regards du banc où était assis l'accusé. Il fut saisi d'un mouvement d'horreur, quand il vit sur le bureau les pièces de conviction, la hache énorme encore teinte de sang, les vêtemens ensanglantés.... Ce malheureux père raconta dans quel état il avait trouvé les cadavres de ses enfans; les dépositions des autres témoins furent dans le même sens. L'accusé prit la parole après son défenseur, et prononça, d'une voix lente et ferme, un factum écrit, qui était rédigé avec autant d'adresse que de perversité. Toutefois l'éloquence de Daumas-Dupin ne porta qu'une seule conviction dans l'esprit de ses juges, celle de sa culpabilité. Le jury résolut affirmativement les questions qui lui furent posées, et Daumas fut condamné à la peine capitale. Daumas-Dupin s'étant pourvu en cassation, un vice de forme fit casser, le 17 novembre, le jugement rendu par la Cour d'assises de la Seine; et, par arrêt de la Cour suprême, la procédure fut portée devant la Cour d'assises de Seine-et-Oise, séant à Versailles. Les débats eurent la même couleur, offrirent les mêmes détails que ceux qui avaient eu lieu à Paris. Daumas-Dupin y prononça un nouveau plaidoyer qui attestait les ressources de son esprit et la facilité de son élocution, pleine d'ailleurs d'adresse et de convenance: «Quelle que soit votre décision, disait-il aux jurés en terminant, elle ne peut être que juste; je m'y résigne d'avance; et quel que puisse en être le résultat, rappelez-vous toujours que je n'ai d'autre partage qu'un tombeau!» Après une heure et demie de délibération le jury résolut affirmativement toutes les questions d'homicide, de préméditation, de vol, qui lui avaient été soumises; Daumas entendit son arrêt de mort sans froncer le sourcil. Cet homme, qui venait d'être condamné comme un féroce assassin, était entré au service fort jeune; à seize ans, il avait combattu à Austerlitz; à vingt-quatre, il portait l'épaulette; il était payeur au 144e régiment d'infanterie de ligne et chevalier de la Légion-d'Honneur, avant sa première condamnation. Pour s'évader du bagne de Rochefort, il lui avait fallu franchir un rempart de la hauteur de quarante pieds. Ses égaremens commencèrent en 1814, au moment de la chute du gouvernement impérial, époque à laquelle il avait été chargé de la caisse et de la comptabilité de son régiment. Ses dépenses inconsidérées l'avaient amené insensiblement à faire des faux pour lesquels il avait été successivement condamné par les Cours royales de Paris et de Douai. Daumas-Dupin fut exécuté à Paris, le 3 décembre 1829. Pendant les tristes préparatifs de la toilette, il ne proféra pas une seule parole. Au départ pour le lieu de l'exécution, il était tellement maître de lui, qu'il eut l'attention de fixer l'échelle qui allait lui servir à monter sur la charrette. Arrivé au pied de l'échafaud, il s'agenouilla, et se releva bientôt, en disant: _Mon Dieu, sauvez mon ame!_ puis il se livra à l'exécuteur. Daumas-Dupin n'avoua pas positivement son crime, mais quand on lui adressait des questions à ce sujet, il disait aussitôt: _Ne parlons pas de cela.... oublions le passé!_ Quant au fameux Robert Saint-Clair, complice de Daumas-Dupin, les poursuites les plus actives furent long-temps infructueuses à son sujet. On apprit qu'il avait traversé le Piémont, puis la Suisse, puis l'Allemagne et s'était arrêté sur les frontières de la Turquie. Là, on sut qu'il avait été incorporé dans un régiment destiné à protéger les deux empires. Au bout de quelque temps, des rapports positifs et officiels apprirent que, dans un combat soutenu contre les hordes de pillards qui infestent ces contrées, ce misérable, après avoir fait des prodiges de valeur, était mort sur le champ de bataille. Mais, pour compléter ce récit, nous allons extraire de la _Gazette des Tribunaux_ une anecdote fort piquante que ce journal a publiée récemment. «En 1830, par une belle journée d'automne, une nombreuse société était réunie dans la grande salle du principal hôtel de Valence dans le Dauphiné. A Valence comme dans toutes les villes du Midi, il n'existe pas d'autres restaurans que les hôtels garnis et d'autre table que la table d'hôte. Ces riantes contrées sont toujours parcourues, à cette époque de l'année, par de nombreux voyageurs; aussi comme je viens de le dire, une société nombreuse se pressait, ce jour-là, autour de la table d'hôte de l'hôtel de l'Europe, à Valence. * * * * * «Celui qui remplissait ce rôle (celui d'orateur) était un homme de moyen âge, qui, si on en excepte la facilité de son élocution, et l'ascendant avec lequel il se faisait écouter, n'avait rien qui le distinguât, si ce n'est peut-être que, malgré la chaleur de la saison, il était vêtu de noir des pieds à la tête, comme le sont encore les médecins, les avocats et les savans dans toutes les villes de l'Europe. «La conversation était tombée sur le système de Lavater et sur les nouvelles doctrines phrénologiques. Le _monsieur noir_, c'est ainsi que les convives se le désignaient entre eux, disait que Lavater, malgré le charlatanisme de sa doctrine, avait fait une multitude d'observations pleines de justesse et d'intérêt; il soutenait que les principaux faits qui affectent notre vie, laissaient des traces profondes sur le visage des hommes, cet infaillible miroir de l'ame; que le retour des mêmes pensées, que l'obsession des remords ou des passions fortes contractaient d'une manière constamment uniforme les traits de la figure. Il ajoutait que ces traces, jointes aux observations phrénologiques désormais irrévocablement acquises à la science par les travaux de Gall et de Spurzheim, suffisaient pour révéler à l'observateur les penchans que la nature ou l'habitude avait donnés à chaque homme, et les actions auxquelles il avait dû se laisser entraîner. «Quant à moi, dit-il en terminant, je ne m'y suis jamais trompé.» «On comprend qu'à ces mots plus d'une voix s'éleva tout-à-coup pour sommer le _monsieur noir_ de donner des preuves de sa science. Il fit sur plusieurs convives l'expérience de son art devinatoire. Les graves pièces de procédure où je puise tous ces détails ne disent pas si quelques-uns eurent à s'en repentir, si plus d'une jolie voyageuse ne sentit pas son front rougir aux réponses qu'avaient provoquées ses questions indiscrètes. Tout ce que j'ai pu savoir, c'est que la conviction fut complète, et que la science du _monsieur noir_ ne trouva pas d'incrédule. «Je me trompe pourtant: un des convives refusa nettement de se rendre; c'était un homme, qui jusqu'à ce moment, n'avait pris aucune part à la conversation générale, et n'avait encore été remarqué de personne. «Je soutiens, dit-il en jetant sur l'auditoire un indéfinissable regard, que tout est faux dans ce système; que les pensées de l'homme ne se lisent pas plus sur son visage que ses penchans ne se casent dans sa cervelle en bosselant la boîte osseuse de son crâne. Peu d'existences furent plus agitées que la mienne, ajoutait-il avec un sourire amer; peu de pensées ont dû laisser des traces plus profondes que les miennes, et je vous porte le défi de dire qui je suis.» «Pendant que l'inconnu parlait, le _monsieur noir_ avait constamment les yeux attachés sur cet étrange interlocuteur, et il paraissait agité d'une émotion pénible. Il garde le silence; alors de toutes parts on l'excite à répondre, et l'inconnu surtout répétait avec un accent de colère et d'insulte: «Je vous défie de dire qui je suis!—Eh bien! dit enfin le _monsieur noir_, toujours plus agité, et comme dominé par une pensée impérieuse et puissante qui le faisait parler malgré lui, vous avez raison, cette science n'est pas infaillible, et vous êtes heureux qu'on puisse le dire, car si elle l'était, vous seriez un des plus grands scélérats que la terre ait portés: vous avez en vous tous les signes auxquels on reconnaît l'assassin....» «A ces mots, prononcés d'une voix altérée, il se fit dans la salle une sourde rumeur, puis un profond silence. «L'inconnu se leva avec une impétuosité terrible: sa figure était bouleversée par l'indignation et la colère; dans ce moment, il était affreux à voir. Tous les assistans pâlirent; tout-à-coup une grande rumeur se fit entendre au dehors; le maître de l'hôtel entra tout effaré dans la salle, et annonça qu'un vol d'argenterie avait été commis dans un village voisin; que l'homme soupçonné du crime était au milieu d'eux, et que les agens de la justice venaient faire perquisition. «Tous les regards se portèrent vers l'inconnu, dont la colère, à cette nouvelle, parut soudain se glacer. Les objets volés furent trouvés dans sa malle; on l'arrêta. Après quelques jours d'un obstiné silence, il fit des aveux horribles. Cet homme, c'était Robert Saint-Clair, le complice de Daumas-Dupin, l'assassin de Montmorency. «Il n'était pas mort, comme on l'avait cru; mais, après bien des vicissitudes, poussé par une irrésistible fatalité, il était revenu apporter dans sa patrie sa tête promise à l'échafaud.» VOLS, FRATRICIDES ET PARRICIDE, COMMIS PAR FRANÇOISE TRENQUE. Françoise Trenque, après avoir volé quelques chiffons dans un couvent où elle était domestique, rentra dans la maison paternelle, où elle conçut l'infernal projet de se défaire de tous ses parens par le poison. Sa première tentative d'empoisonnement remonte au 20 juin de l'année 1828. Ce jour-là, Trenque le père, charpentier de son état, était allé, avec son fils aîné et l'un de ses ouvriers, exécuter quelques travaux dans la maison du maire de la commune d'Arrouède (Gers). Pendant les trois jours que ces individus passèrent en cet endroit, ils ne cessèrent d'éprouver les souffrances les plus aiguës au ventre et à l'estomac. Au mois d'octobre suivant, Trenque étant retourné à ce chantier avec ses deux fils et un garçon charpentier, ils y tombèrent tous malades dès le premier jour: altération des traits, douleurs d'estomac et d'entrailles, vomissemens, soif inextinguible, ardeur brûlante au gosier: tels furent les symptômes qui se manifestèrent dans ces étranges indispositions. C'était Françoise Trenque qui apportait les subsistances à Arrouède. Le même jour, la femme Trenque et Mariette, sa plus jeune fille, éprouvèrent aussi des douleurs d'entrailles, suivies de vomissemens; Françoise Trenque fut la seule personne de la famille qui fut préservée de ces accidens, à l'exception toutefois de sa sœur aînée qui travaillait au dehors. Cependant Trenque le père, ses deux fils et le garçon charpentier, malgré leurs souffrances, continuaient à travailler. Mais le huitième jour, leurs douleurs devinrent tellement intolérables, que ces pauvres gens furent forcés de quitter pour la seconde fois ces travaux. Bernarde Trenque, sœur aînée de Françoise, étant nourrie dans les maisons où elle allait en journée, avait été jusque-là à l'abri du sort commun. Mais, étant venue au secours de ses parens dont l'état fâcheux réclamait ses soins, elle eut aussi le malheur de boire à la coupe empoisonnée et se vit obligée de prendre le lit. Les médecins ayant prescrit des frictions d'huile, ce fut avec de l'eau forte que Françoise exécuta cette ordonnance: aussi les souffrances de Bernarde devinrent-elles encore plus violentes. Le 21 février 1829, les accidens se renouvelèrent d'une manière plus effrayante sur toute la famille Trenque; le 28, ils reparurent avec un caractère de gravité qu'ils n'avaient pas encore eu jusque-là. Il paraît, qu'à dater de ce jour, le poison fut administré à hautes doses. D'ailleurs les remèdes étaient préparés et servis par Françoise, qui mêlait le poison au bouillon et à la tisane. Le 12 mars, les deux frères Trenque, Joseph et François, expirèrent dans d'affreuses convulsions. Sous prétexte de procurer à ce dernier du soulagement, elle lui avait mis dans la bouche une prune sèche: «Suce-la, mon ami, lui avait-elle dit; ne la mange pas, il n'en faut prendre que le jus...» Cette prune était saupoudrée d'arsénic. Pendant la nuit du 12 au 13 mars, Trenque le père, à l'agonie, en présence des cadavres de ses deux fils, fit son testament en faveur de Bernarde, sa fille aînée, et à son défaut, il institua Françoise son héritière. Dans les tortures les plus atroces, cet infortuné s'écriait: «Je suis dans l'enfer! Je brûle! donnez-moi quelque chose à boire!» Françoise s'empressa de lui présenter de la tisane empoisonnée. Quelques instans après, ce malheureux père rendit le dernier soupir; la mère expira le 14 mars. Des morts aussi extraordinaires, aussi promptes, aussi identiques par leurs symptômes, devaient nécessairement éveiller des soupçons d'empoisonnement. L'autopsie des cadavres produisit, à cet égard, des preuves irréfragables. L'arsénic et l'acide nitrique communément appelé _eau forte_, avaient été employés pour commettre tous ces crimes. La justice fit des perquisitions. On trouva du poison dans l'armoire de Françoise Trenque et dans les alimens préparés par elle. Elle fut arrêtée; l'instruction qui eut lieu fit peser sur elle la terrible culpabilité d'avoir empoisonné son père, sa mère, ses deux frères, et d'avoir attenté à la vie de plusieurs autres personnes par le poison. Françoise Trenque fut conduite à Auch, et comparut devant la Cour d'assises du Gers le 9 juillet 1829. Cette nouvelle Brinvilliers était âgée de vingt-quatre ans; c'était une fille d'un teint frais, d'un maintien modeste, d'une taille ordinaire, d'une mise simple mais élégante pour sa condition; elle portait des habits de deuil. Chacun fut étonné de la douceur de sa voix, du naturel de son attitude, du sourire gracieux et froid dont elle accompagnait ses paroles. Elle écouta l'acte d'accusation, sans que la moindre altération se manifestât sur ses traits. Les débats durèrent trois jours; cinquante témoins furent entendus. Françoise lutta avec une habileté très-remarquable contre tous les témoignages qui l'accablaient. Pour toute défense, elle se borna à dire qu'à la vérité, des propositions lui avaient été faites par une voisine, mais qu'elle les avait rejetées; que c'était cette voisine qui avait mis les poisons dans son armoire, et qui avait empoisonné ses parens; que quant à elle, son innocence était certaine. Des dénégations de ce genre ne pouvaient triompher de la conviction des juges et des jurés, conviction qui ne pouvait qu'être encore fortifiée par le calme et la présence d'esprit de l'accusée: car, il est à remarquer qu'elle seule peut-être se montra insensible au récit des horreurs contenues dans l'accusation. Le jury, à l'unanimité, déclara Françoise Trenque coupable de vol, d'empoisonnement et de parricide. La coupable entendit, sans être émue, sa condamnation et les détails de l'épouvantable supplice des parricides. Malgré les preuves accablantes qui s'élevaient contre Françoise Trenque, son apparente candeur, ses mœurs exemplaires et sa dévotion étaient si généralement connues dans la contrée qu'elle habitait, qu'elles laissaient dans une foule d'esprits des présomptions favorables à son innocence. Ses propres aveux vinrent dissiper tous les nuages. Françoise Trenque s'était pourvue en cassation; son pourvoi fut rejeté; et le 16 septembre, son confesseur vint lui annoncer qu'il ne lui restait plus d'espérance. «J'aurais dû m'en douter ce matin, dit-elle, à la mine allongée de mon défenseur. Le pauvre homme n'a pas osé me le dire; qu'on le prie de venir; je veux lui faire mes reproches.» Me Allen Rousseau, son avocat, se rendit aussitôt auprès d'elle. «C'est bien _joli_ de votre part, dit la fille Trenque, de m'avoir caché mon sort; vous saviez certainement ce matin ce que vient de me _conter_ monsieur l'abbé! Au reste, vous êtes bien bon: vous avez cru que cela me ferait du mal; vous vous êtes trompé. _J'ai repassé mon chapelet_ vingt fois, pour demander à Dieu le maintien de mon jugement, me voilà contente; d'ailleurs, vous le savez, il est juste que je meure. Quand on me couperait en morceaux, je ne souffrirais jamais assez pour la justice; je n'éprouverais pas les souffrances que j'ai fait endurer à mes pauvres parens; que Dieu ait pitié de leur ame! ils ont bien mérité d'aller au ciel, car ce sont des martyrs. Je suis seule auteur de ce crime, ajouta-t-elle, et ce que j'ai voulu vous faire croire à vous-même, sur les conseils et la complicité d'une voisine, était autant de faussetés que j'ai imaginées pour sauver ma tête.» Dans le courant de la conversation, Françoise Trenque avoua que c'était une misérable cupidité qui l'avait poussée à cette série de crimes; quelques arpens de terre et une chétive maison avaient armé sa main dénaturée contre toute sa famille. Elle répéta ses aveux devant tout le monde, et disculpa la personne qu'elle avait si calomnieusement accusée. Comme on l'exhortait à prendre du courage: «Ne craignez rien, dit-elle, je saurai porter sur l'échafaud les forces qui m'ont servi à commettre de si grands crimes.» En effet, elle voulut faire elle-même sa _toilette_, se revêtit de la chemise des parricides, et couverte d'un voile noir, marcha à l'échafaud avec un horrible sang-froid. ASSASSINAT DE PAUL-LOUIS COURIER. Le nom de Courier, qui sut être à la fois un profond helléniste et un écrivain plein de naturel et d'originalité, a répandu une triste célébrité sur sa fin tragique, qui fut un véritable deuil pour la littérature française. Cette triste célébrité s'est encore accrue par suite des circonstances mystérieuses dont s'enveloppèrent ses assassins, circonstances qui seraient elles-mêmes de nature à exciter le plus puissant intérêt, indépendamment de l'éclat attaché au nom de la victime. Deux procès eurent lieu à l'occasion de ce triste événement, l'un immédiatement après le crime, l'autre à une époque beaucoup plus rapprochée de l'époque actuelle. Nous allons tâcher de faire connaître à nos lecteurs toutes les phases de cette bizarre procédure, la position singulière de plusieurs des accusés, et les révélations étranges qui surgirent au sujet du crime et de ses auteurs, après un laps de près de sept années. Paul-Louis Courier de Méré sortit, le dimanche 10 avril 1825, de sa maison de campagne, pour aller faire une petite tournée dans ses propriétés. Il avait dirigé sa promenade dans les bois de Larçay qui lui appartenaient. N'étant pas rentré le soir, son absence donna de vives inquiétudes. Le maire de Véretz fit faire le lendemain des perquisitions dans les environs, et, vers dix heures du matin, on trouva le cadavre de Courier dans les bois de Larçay, à trois quarts de lieue de son domicile. Aussitôt que la nouvelle de cet événement fut parvenue à Tours, la justice et la gendarmerie se transportèrent sur les lieux. On procéda à l'autopsie cadavérique, et il fut constaté que Courier avait été tué d'un coup de fusil ou de pistolet tiré dans le bas des reins à droite; deux petites balles étaient sorties vers les régions supérieures, et une balle était restée dans le corps, ainsi que la bourre de l'arme à feu. Une partie des vêtemens brûlés faisait croire que le coup avait été tiré à bout portant. On ne trouva près du corps aucune arme à feu. Les soupçons se portèrent sur plusieurs personnes. Louis Frémont, l'un des domestiques de Courier, fut arrêté; il ne pouvait rendre compte de l'emploi de sa journée. On trouva dans sa chambre un tuyau de plomb dont une partie avait été coupée. Les lingots extraits du corps de Courier furent pesés; et l'on établit que la quantité de plomb manquant au tuyau était égale au poids des lingots. On avait aussi extrait de sa plaie des fragmens de papier restant de la bourre du fusil; on les reconnut pour des morceaux du journal le _Feuilleton littéraire_ que Courier recevait. M. le général Haxo, ancien compagnon d'armes et ami de la victime, se chargea de s'assurer, par des recherches faites à Paris, de la date du numéro du journal auquel appartenaient ces fragmens. On reconnut que c'était le numéro du 13 août 1824, qui contenait un compte rendu des _Œuvres de M. Jouy_. On trouva dans la chambre de Louis Frémont les numéros de ce journal des 12, 14 et 15 août, celui du 13 manquait. D'autres présomptions, un propos menaçant tenu par Frémont à un témoin, le matin même de l'assassinat, motivèrent la mise en jugement par suite de laquelle Frémont fut traduit devant la Cour d'assises d'Indre-et-Loire. Parmi les témoins entendus dans les trois audiences qui furent consacrées à cette déplorable affaire, parut madame veuve Courier, âgée de vingt-deux ans. La voix de cette dame était faible d'abord; mais son émotion, bien naturelle sans doute, se dissipa par degrés. Suivant sa déposition, elle était absente au moment de l'assassinat, et n'arriva que le surlendemain: ses soupçons se portèrent sur-le-champ sur Louis Frémont, domestique, quoiqu'elle eût en lui une grande confiance. Frémont, au lieu de venir au-devant d'elle, comme c'était sa coutume, paraissait l'éviter au moment de son arrivée à la Chavonnière. Courier était depuis long-temps fort mécontent du garde Frémont; il voulait le chasser, et plus d'une fois, il n'avait dû la conservation de sa place qu'à la bienveillante protection de madame Courier. Frémont s'enivrait fréquemment, il était d'un naturel extrêmement violent; et son maître, décidé à le renvoyer, avait pris des arrangemens pour faire gérer ses biens par un fermier, qu'il eût investi de sa confiance. Frémont connaissait les intentions de son maître à cet égard: madame Courier ajouta qu'elle avait éprouvé une vive douleur lorsque, dans un serviteur fidèle depuis six ans, elle avait été forcée de reconnaître l'assassin de son mari. Une autre déposition qui excita l'attention et la curiosité du public, fut celle de Pierre Dubois, ancien charretier de Courier. Cet homme et son frère Symphorien avaient été l'objet de violens soupçons, dans les premiers momens de la découverte du crime; mais ils avaient recouvré leur liberté, après avoir justifié leur _alibi_, et prouvé que, pendant la journée du 10 avril, ils n'avaient pas quitté la maison de leur père. Les motifs des soupçons élevés particulièrement contre Pierre Dubois résultaient de ce que ce domestique avait été chassé de la Chavonnière, parce qu'il passait dans le pays pour entretenir un commerce illégitime avec la maîtresse de la maison. Le jour même de l'expulsion de ce domestique, la fille Jeanne avait entendu une altercation très-vive entre son maître et lui: «Quoi! malheureux! s'écriait M. Courier, tu me menaces dans ma maison! Sors! tu mériterais que je te misse entre les mains de la gendarmerie.» Pierre Dubois cependant ne quitta pas le pays; son frère Symphorien resta au service de Courier. Une nuit, à onze heures, Pierre sortant du cabaret avec quelques journaliers, accompagna jusqu'à la Chavonnière l'accusé Louis Frémont. Celui-ci ayant dit à son maître que Pierre l'avait reconduit, Courier s'arma d'un fusil et descendit dans sa cour: il ne rencontra pas Pierre, mais il trouva près de l'écurie sa femme à demi vêtue. Madame Courier demanda à M. le président de la Cour à s'expliquer sur cette scène nocturne: «J'avais, dit-elle, l'habitude d'attendre le retour de nos domestiques; je vis Pierre avec qui je m'entretins environ dix minutes à la porte de l'écurie. M. Courier descendit alors; nous passâmes près l'un de l'autre dans le corridor; M. Courier put me reconnaître à la clarté de la lune; mais il ne m'adressa pas la parole.» Cette dame persista au surplus à déclarer que ses soupçons ne portaient que contre Frémont. L'accusé, interpellé sur les motifs de haine qui pouvaient animer madame Courier à déposer contre lui, répondit que son maître lui avait enjoint de surveiller la conduite de madame; que madame avait des fréquentations avec Pierre Dubois; que lorsque monsieur eut chassé ce charretier, il craignait que madame ne se sauvât de la maison pour courir après Pierre, et que, chargé de la garder à vue, il s'était peut-être attiré sa haine. Un journalier, nommé Martin Brisson, déposa ensuite avoir rencontré dans la forêt de Véretz, six jours avant l'assassinat, un homme brun, vêtu d'une blouse blanche, et paraissant âgé de quarante ans. Cet homme lui dit, en parlant de M. Courier: «C'est un scélérat; il mériterait qu'on mît le feu à la forêt, et qu'on lui brûlât la cervelle.» En cet endroit, madame Courier, invitée par le président de dire si elle n'avait pas quelque indice sur le personnage qu'avait rencontré Martin Brisson, répondit que des soupçons s'étaient élevés contre des personnages si éminens, qu'il n'était pas à croire qu'ils eussent choisi Frémont pour instrument. Pour expliquer cette partie de la déposition, le ministère public apprit aux jurés que, dans ses premiers interrogatoires, madame Courier avait déclaré que, partageant l'opinion de la Bourse de Paris, elle avait pensé que l'assassinat avait été commis à l'instigation des jésuites. Deux autres témoins dirent avoir vu, le jour du crime, un homme vêtu de bleu entrer dans le bois, armé d'un fusil; cet homme était plus grand que Frémont, qui ne fut pas reconnu par les témoins. Les dépositions terminées, le procureur du roi soutint l'accusation dans un discours qui laissait pourtant beaucoup de vague dans la question: «Un crime horrible est commis, dit ce magistrat; la justice se transporte sur les lieux où M. Courier a été frappé; tous les domestiques gardent un silence obstiné; les causes d'une déplorable mésintelligence, qui existaient entre madame Courier et son mari, sont cachées par eux à la justice, tandis qu'ils ne craignaient pas d'en répandre le bruit dans les villages environnans.» Le procureur du roi soutint ensuite, avec autant d'impartialité que de méthode, les diverses charges énoncées dans l'acte d'accusation; il discuta la question de préméditation qu'il sembla abandonner; puis, s'adressant aux jurés: «Ne craignez pas, dit-il, que la justice cesse d'avoir les yeux ouverts et discontinue ses investigations, et soyez persuadés que, quelle que soit votre décision, le crime qui a été commis sur la personne de M. Courier ne restera pas impuni.» L'avocat chargé de la défense de Frémont prit ensuite la parole. Il combattit avec force toutes les allégations sur lesquelles étaient fondée l'accusation. Il présenta Louis Frémont comme un homme d'un esprit faible, totalement dépourvu de mémoire, et qui n'avait d'ailleurs aucun intérêt à commettre un crime qui le privait d'un maître qui avait en lui une grande confiance. Il discuta ensuite les dépositions des témoins, notamment celle de madame Courier, dont il chercha à s'expliquer les motifs. «Si madame Courier, dit-il, étant épouse ou mère, les regards de la justice s'étaient d'abord fixés sur son fils ou sur son mari, on concevrait cette chaleur inconsidérée, qu'un sentiment honorable pourrait excuser; on pourrait penser qu'elle aurait dirigé les soupçons sur la tête d'un étranger, de peur qu'ils ne vinssent se fixer sur une tête plus chère. Mais ici, nous ne pourrions trouver l'intérêt qu'en nous rappelant cette surveillance à laquelle l'avait soumise M. Courier, si pénible pour l'accusé, et si injurieuse pour elle.» Enfin, en terminant l'examen de cette déposition, il s'écria: «Madame, vous savez quelle confiance vous pouvez inspirer à la justice. Songez que le repentir pourrait exister encore après l'acquittement de l'accusé, et les résultats du jugement ne suffiraient pas peut-être pour assurer le repos de votre conscience. S'il vous faut un exemple, songez à votre illustre père (M. Clavier), juge du général Moreau. Le pouvoir d'alors demandait sa tête; on promettait la grâce au nom du consul: «Eh! qui nous donnera la nôtre, si nous condamnons l'innocent?» répondit-il avec l'accent d'une vertueuse indignation. Il en est temps encore, madame; rentrez dans cette enceinte: les débats peut-être vous ont éclairée, venez démentir cette funeste conviction. «M. Courier a laissé un nom cher aux lettres, et dont la célébrité ne sera plus contestée, lorsque le temps aura fait taire la malveillance de l'esprit de parti et les passions de la politique. M. Courier est un de ces Français qui, pendant vingt ans, ont promené des rivages du Tibre aux bords du Rhin, la gloire et les drapeaux de la France. Il cultivait les lettres dans les loisirs que procurait une prompte victoire; et dans l'intervalle de deux combats, il ravissait aux bibliothèques du Vatican les fragmens inconnus d'un poème de l'antiquité, pour en enrichir plus tard les trésors de la littérature nationale. «La restauration le rendit à cette vie simple et modeste qui avait pour lui tant de charmes. C'est là que, par suite d'une erreur peut-être, mais que bien des gens partagent, croyant le ministère engagé dans de fausses routes, il le poursuivait, sans fiel et sans amertume, dans ces compositions si originales, où l'on retrouve tour-à-tour la spirituelle ironie de Voltaire, la verve de Pascal, et la simplicité d'Amyot réunie à la naïveté de Lafontaine. «Cet homme, si recommandable par sa vie privée, a succombé sous le fer d'un assassin. Puisse le ministère public saisir un jour le vrai coupable! Puisse le ciel me préserver du malheur de lui prêter le secours de ma toge! Mais puisse la justice humaine ne pas indigner les mânes de la victime, en faisant couler sur sa tombe le sang innocent!» Après le résumé des débats, le jury ayant résolu négativement la question de culpabilité, qui lui avait été posée, le président de la Cour prononça l'acquittement de Frémont qui entendit cette décision avec la même impassibilité qu'il avait montrée pendant tout le cours de la procédure. Ce jugement fut prononcé le 3 septembre 1825. Les charges qui s'étaient d'abord élevées contre Pierre et Symphorien Dubois, ayant été jugées insuffisantes, _quant à présent_, ces deux hommes avaient été mis en liberté. Mais suivant la promesse du ministère public, la justice tint constamment l'œil ouvert sur les individus que des soupçons lui avaient désignés. Le 6 décembre 1829, de nouvelles charges furent produites contre le garde Frémont, Pierre et Symphorien Dubois. Un témoin accusa, en outre, François Arrault et Martin Boutet, contre lesquels aucune plainte n'avait encore été rendue. Mais Frémont, ayant été acquitté par la Cour d'assises, ne pouvait être repris. Quant à Symphorien Dubois, il était mort le 19 août 1827. Un témoin était présent à l'assassinat de Courier: il avait vu tout ce qui s'était passé dans cet horrible moment. Il avait gardé le silence lors du premier procès, et tout porte à croire qu'il eût continué à se taire, sans un événement, peu important en apparence, qui lui fit faire, presque sans réflexion, les révélations qui formèrent la base d'une seconde procédure. Ce témoin était une fille, et voici sa déposition: «Pendant la vendange dernière, j'étais en journée au lieu des Tartres, commune de Véretz. Mon maître m'envoya chercher du seigle au Chêne-Pendu; j'étais à cheval; en passant près du monument qui fut élevé sur la place où M. Courier a été assassiné, mon cheval eut peur, fit un écart, et si je ne m'étais pas bien tenue, je serais tombée. En rentrant chez mon maître, je dis sans y penser: _Mon cheval a eu grand' peur; il a eu aussi grand' peur que moi quand on a tué M. Courier._ Mon maître me demanda des explications; voici ce que je lui ai dit: «Le 10 avril 1825, jour de la Quasimodo, j'étais en service dans le village du Guêts; revenant de l'assemblée de Véretz, j'entrai avec un jeune homme dans la forêt de Larçay. Le bois était fort jeune, mais la bruyère était haute; nous étions couchés; nous ne pouvions pas être aperçus. Depuis une demi-heure, nous restions au même lieu, lorsque nous entendons un bruit de personnes qui disputaient entre elles; bientôt nous voyons M. Courier arrivant à l'endroit où il a été tué; il était accompagné de Symphorien Dubois, de Frémont qui portait un fusil: Symphorien Dubois saisit M. Courier par la jambe et le renversa sur le ventre. M. Courier s'écria: _Je suis un homme perdu!_ Le garde Frémont lui lâche à bout portant un coup de fusil, dans le côté droit et le tue. Symphorien le retourne sur le dos; Frémont le fouille. Presqu'au même instant, nous voyons arriver dans différentes directions, sur le lieu où le crime venait d'être commis, Pierre Dubois, armé d'un sabre nu, François Arrault, Martin Boutet, et un autre individu que je n'ai pas reconnu; ils se réunirent à Frémont et à Symphorien Dubois, et Frémont leur dit: _Il est bien mort; allons-nous-en, ne disons rien, et sauvons-nous bien vite._ Aussitôt ils se sont dispersés les uns du côté du grand chemin, les autres du côté des Tartres.» La justice fit des recherches pour trouver le témoin qui accompagnait la fille dont on vient de lire la déposition; mais elle ne put parvenir à le découvrir. L'un des hommes assignés fut parfaitement reconnu par la jeune fille, mais il nia constamment le fait. Cette déclaration en amena une autre non moins importante, ce fut celle du garde Frémont. Cet homme, après bien des tergiversations, convint que c'était lui qui avait tiré le coup de fusil à M. Courier, mais qu'il ne l'avait fait que pour ne pas être tué lui-même par Symphorien et Pierre Dubois, qui l'en avaient menacé. Frémont déclara que la déposition de la fille était exacte dans plusieurs points, mais il nia s'être réuni à Pierre Dubois, à François Arrault, et à Pierre Boutet. Cette fille persista dans sa déclaration, et ajouta qu'elle avait vu Pierre Dubois, Arrault et Boutet, faire le guet avant que le crime ne fût commis. Pierre Dubois, confronté avec Frémont, nia tous les faits qui lui étaient relatifs, et assura avoir passé la journée du 10 avril 1825 avec son père et son frère. Confronté aussi avec la fille, qui avait été témoin de l'assassinat, celle-ci le reconnut constamment pour être celui qu'elle avait désigné portant un sabre nu, et qu'elle avait vu arriver sur le lieu du crime aussitôt que le coup de fusil eut été tiré. Boutet et Arrault furent également reconnus par elle. Les débats de cette nouvelle procédure commencèrent le 9 juin 1830 devant la Cour d'assises d'Indre-et-Loire. L'auteur principal de l'assassinat, rendu inviolable par un arrêt d'acquittement, était là pour désigner, pour accuser et confondre ses complices. La fille qui avait été conduite par la débauche sur la scène du crime, et dont la déclaration tardive avait armé de nouveau la justice de son glaive, figurait aussi parmi les témoins. D'abord, madame veuve Courier avait été inculpée par Frémont, l'un des assassins de son mari; mais après l'instruction la plus minutieuse et la plus sévère, cette dame avait été mise hors de Cour, et seulement citée comme témoin; mais se trouvant sur les frontières de la Suisse, au moment où la citation avait été remise à son domicile à Paris, elle ne put assister au procès. La fille Grivault, ce témoin mystérieux, cette nouvelle Manson, qui se trouvait à dix pas des assassins au moment de leur crime, excitait une vive curiosité. Son interrogatoire dura deux heures. Elle persista dans sa première déposition. Une contestation très-vive s'engagea entre cette fille et Honoré Veillaud, qui était le jeune homme qu'elle avait désigné comme s'étant trouvé avec elle, dans le bois, au moment de l'assassinat. Veillaud nia formellement, et traita de menteuse la fille Grivault qui s'emporta alors contre lui. Pendant la dernière partie des débats, Frémont parut dans un anéantissement complet. Le troisième jour, il resta dans une chambre voisine de la Cour d'assises, à demi couché sur une table, la tête dans ses mains, et gardant une immobilité de cadavre. On fut obligé de le soutenir pour le reconduire à son auberge. Sa femme avait déclaré à l'audience qu'il ne mangeait pas depuis plusieurs jours. Toutes les fois que ce misérable était appelé devant la Cour, et il le fut très-fréquemment, pendant les six jours que durèrent les débats, il tremblait de tout son corps et paraissait dans une agitation difficile à décrire. Enfin, après l'audition des témoins, après la brillante plaidoirie de Me Barthe, avocat de la partie civile, après celle des défenseurs des trois accusés, les jurés, après une courte délibération, déclarèrent Pierre Dubois, Arrault et Boutet, non coupables. En conséquence, la Cour prononça leur acquittement, et ordonna qu'ils fussent sur-le-champ mis en liberté. Ce jugement fut prononcé le 14 juin; et le 18 du même mois, Frémont avait cessé de vivre. Son cadavre fut ouvert; on n'y trouva aucune trace de poison. Il était mort d'une apoplexie, résultat d'une fièvre cérébrale. Tout portait à croire que cette maladie avait été déterminée par l'effet moral de l'audience. Par jugement en date du 17 juin, Frémont avait été condamné à payer la somme de 10,000 fr. à titre de dommages-intérêts envers les enfans Courier. LE CHARCUTIER BELLAN, MEURTRIER DE SA FEMME. Peu de procédures criminelles présentent des circonstances aussi extraordinaires que celle dont nous allons donner l'analyse rapide. Bellan, établi comme charcutier à Septeuil près Houdan (Seine-et-Oise), épousa, en 1820, Catherine-Angélique Lepeintre. Il avait été doté de 2,500 francs par sa mère. La fille Lepeintre lui apporta une somme de 2,000 fr. en argent, linge et effets, plus des immeubles à recueillir dans la succession de son père, et dont la valeur s'élevait à plus de 10,000 fr. La jeune femme Bellan était d'une conduite irréprochable et d'une extrême douceur; mais elle était d'un naturel indolent, et tellement bornée qu'elle n'avait jamais pu apprendre à lire et à écrire bien qu'elle eût été élevée dans une maison religieuse; elle ne pouvait même pas se livrer à son commerce; et, suivant l'expression d'un des témoins, elle n'aurait pas même été en état de vendre _deux lapins_ au marché. Cette espèce d'idiotisme de la femme de Bellan était l'unique cause de mésintelligence dans le ménage. On rapporte qu'un jour Bellan, irascible à l'excès, la saisit avec ses dents par le ventre et la traîna dans sa chambre. Au reste, il n'existe point de dépositions sur leurs querelles domestiques: Bellan se contenait en public, et sa femme était tellement soumise à ses ordres, qu'elle n'osait se plaindre. Après avoir quitté Septeuil, Bellan forma sans succès plusieurs établissemens à Paris; il y engloutit la fortune entière de sa femme qu'il forçait de souscrire à des emprunts hypothécaires, et ensuite à des ventes. Domicilié, au commencement de 1828, rue des Récollets, près du canal Saint-Martin, il réalisa la dernière somme de 2,000 francs sur les biens de sa femme, pour louer une boutique rue Saint-Jacques. Il la loua au terme d'avril, mais ne put songer à s'y installer avant le mois de juillet. Le 28 juin, il s'était passé dans le ménage un événement des plus tragiques. Bellan était allé voir à Orvilliers, chez sa belle-mère, son fils aîné dont cette femme s'était chargée; la femme Bellan nourrissait encore un second fils. Suivant son habitude, celle-ci sortit le soir, pour aller se promener sur les bords du canal. Bellan, s'il faut en croire ses déclarations, étant rentré dans Paris par le faubourg du Roule, il suivit les boulevards extérieurs et se rendit à la Villette, où il voulait acheter des ferremens pour sa boutique. Il prétendit qu'il rencontra, par hasard, sa femme sur le bord du canal. Ils allèrent souper dans un cabaret où ils mangèrent un peu de viande et burent un litre de vin; ils cheminèrent tranquillement le long du canal, lorsque, toujours suivant le dire de Bellan, sa femme s'étant embarrassé les jambes dans les chaînes tendues sur les bords du canal, fit un faux pas et tomba dans l'eau. Heureusement l'eau avait alors, en cet endroit, moins de profondeur que de coutume. La femme Bellan jeta de grands cris; trois cochers de cabriolets accoururent et la retirèrent; Bellan arriva de son côté. Les cochers ont soutenu que, dans cet instant, la femme Bellan accusa hautement son mari de l'avoir jetée dans l'eau; mais ils les laissèrent partir ensemble, et eurent la loyauté de refuser une pièce de quarante sous que Bellan leur offrait pour leur peine, disant qu'on ne devait point recevoir d'argent, lorsqu'on remplissait des devoirs commandés par l'humanité. La femme Bellan était rentrée à la maison toute trempée et toute couverte de boue; son état déplorable fut remarqué du portier et de plusieurs autres personnes de la maison. On trouve dans les documens de l'instruction un fait des plus étranges. Bellan, homme profondément pervers et dissimulé, aurait médité depuis long-temps d'attenter aux jours de sa femme, et aurait pris toutes ses mesures, afin de faire passer cet événement pour un suicide. On a vu plus haut que la femme Bellan ne savait point écrire; elle n'avait jamais pu réussir qu'à tracer sur le papier des lettres sans pouvoir les épeler, ni en pénétrer le sens. Bellan, sous prétexte de lui donner des leçons d'écriture, lui aurait fait écrire plusieurs lettres que la femme aurait tracées sans les comprendre, mais qui pouvaient servir un jour à prouver qu'elle avait mis fin à ses jours par un suicide. A la suite de l'événement du 28 juin, la femme Bellan fut assez grièvement malade pour qu'un médecin fût appelé. Bellan montra le 4 juillet au docteur Martin une lettre ainsi conçue: «Je me suis détruite rapport à mes enfans qui n'ont plus de pain. Mon homme a tout vendu; j'ai tout perdu; mes enfans n'ont plus rien. Adieu, mon mari, aie soin de mes enfans. «_Signé_ Catherine-Angélique Lepeintre, Ta femme pour la vie.» La femme Bellan avait été obligée, à cause de sa maladie, d'interrompre la nourriture de son second enfant. Elle le mit en sevrage chez les époux Vasson, laitiers à Belleville. Le samedi soir 9 août, Bellan engagea sa femme à aller voir leur enfant. Elle partit, mais ne revint pas. Bellan parut fort alarmé dans la journée du dimanche; il se rendit à Belleville et demanda des nouvelles de sa femme. Le sieur Vasson ayant appris qu'on venait de trouver dans une des carrières les plus profondes du voisinage le corps d'une femme dont la tête était fracassée et dont les vêtemens répondaient à l'habillement de la femme Bellan, on ne douta point que ce ne fût le corps de cette malheureuse, et Bellan fut le premier à en faire naître l'idée. Le cadavre était effectivement celui de la femme Bellan. Elle avait derrière la tête une plaie large et profonde, qui paraissait avoir été faite avec un instrument semi-contondant. A peu de distance de la carrière, on remarqua des traces de sang; dans un endroit, la terre paraissait avoir été grattée avec les ongles, ce qui semblait prouver qu'il y avait eu lutte entre la victime et son assassin. On découvrit aussi un morceau de bois qui paraissait avoir fait partie du manche d'un marteau, mais ni le fer, ni l'autre extrémité du manche ne purent être retrouvés. Il y avait dans la poche de la victime plusieurs lettres de la main de la femme Bellan; ces lettres étaient adressées à sa mère, à son beau-père, à son frère et à son mari. Dans ces différens écrits, la femme Bellan déclarait qu'elle ne pouvait survivre à l'idée de la perte de toute sa fortune; qu'elle voulait se détruire; qu'elle s'était manquée dans le canal Saint-Martin où elle était fâchée qu'on ne l'eût pas laissée; qu'elle se précipiterait dans la carrière la plus profonde, et qu'elle s'y briserait la tête. C'est ainsi que, par une sinistre prédiction, elle annonçait de point en point l'événement qui venait de se réaliser. Pour donner encore plus de créance au suicide de sa femme, Bellan reproduisit la lettre dont on a déjà vu la teneur et prétendit l'avoir trouvée dans une paillasse, le jour de son déménagement. Mais déjà de graves soupçons planaient sur lui. On fit une perquisition dans son domicile, et l'on y découvrit, outre le modèle du papier écrit, le modèle des dernières lettres. Tout annonçait que Bellan avait lui-même tracé le brouillon de ces écrits, afin d'en dicter plus aisément les lettres à sa trop confiante épouse, sans qu'elle pût deviner qu'elle écrivait en quelque sorte son arrêt de mort. Bellan, interrogé sur ces papiers, dit qu'ayant découvert les lettres écrites par sa femme, il les avait copiées par curiosité; qu'il ne croyait pas qu'elle eût jamais l'intention de mettre ses sinistres projets à exécution. On lui demanda pourquoi il avait conservé ces papiers: il répondit qu'il n'y attachait aucune importance, et qu'il devait s'en servir pour envelopper sa marchandise. Suivant le système de l'accusation, Bellan serait allé au devant de sa femme dans la soirée du 9 août, l'aurait d'abord assommée avec un instrument quelconque, et l'ayant ensuite précipitée dans la carrière, y serait descendu lui-même afin de mettre dans sa poche les lettres qui y avaient été trouvées. D'autres indices tirés des vêtemens ensanglantés que l'on trouva chez Bellan, le firent arrêter et mettre en jugement. En conséquence, il fut traduit, le 15 juin 1829, devant la Cour d'assises de la Seine, prévenu 1o de tentative d'homicide commise, le 28 juin 1828, sur la personne de sa femme, laquelle tentative n'avait manqué son effet que par des circonstances fortuites; 2o d'assassinat consommé, le 9 août suivant, sur la personne de cette infortunée. Interrogé devant les jurés, Bellan reproduisit à peu près ses premières réponses, protestant toujours de son innocence, et disant qu'il rapportait les choses telles qu'elles étaient. Il se présenta plus de soixante témoins à charge; cinq seulement furent entendus à la requête de l'accusé. La femme Gussiaume, mère de la femme Bellan, déposa de l'intelligence excessivement bornée de cette malheureuse, et de l'impossibilité où elle eût été d'écrire elle-même les lettres qui figuraient au procès. Le crâne de la victime était là, déposé sur une table, au milieu des vêtemens ensanglantés de l'assassin. Les chirurgiens, appelés pour constater le caractère de la fracture que l'on remarquait sur ce crâne, y reconnurent des contusions qui ne pouvaient être l'effet d'un suicide. En vain le défenseur voulut prouver l'innocence de son client d'après ses antécédens et la situation de ses affaires, le prévenu, déclaré coupable, fut condamné à mort. Il entendit son arrêt avec calme, et dit encore en sortant, avec une voix forte: «Je ne suis pas coupable; je ne le suis aucunement.... Monsieur le président, ayez la bonté de dire à ma belle-mère qu'elle me fasse venir mes deux petits enfans.... Je le déclare du fond de mon cœur, je ne suis pas coupable. Je mourrai content!» Lorsque les gendarmes l'emmenèrent, il se tourna vers le public, et continua de répéter plusieurs fois: «Je mourrai content, je ne suis pas coupable.» Lors de son exécution, Bellan était âgé de trente-trois ans et demi. LE CURÉ FRILAY. Louis Frilay, né à Rouen, d'une famille pauvre, avait été ordonné prêtre en 1817. Ayant donné lieu à des réprimandes sur sa conduite dans deux paroisses où il avait séduit deux jeunes filles, il fut envoyé comme desservant, au commencement de 1825, dans la paroisse de Saint-Aubin-sur-Scie et Sauqueville. Là, il se lia avec le percepteur des contributions, nommé Saunier, dont il ne tarda pas à séduire la femme. Il y avait plusieurs mois que cette liaison durait, au grand scandale du pays, lorsque le sieur Saunier commença à ouvrir les yeux. Alors il fit naître divers prétextes pour interdire l'entrée de sa maison au prêtre; mais celui-ci ne tint aucun compte de sa défense, et continua ses visites en l'absence du mari. Le 11 janvier 1829, Saunier, après être sorti de sa maison, y rentra. Avant d'en franchir le seuil, il avait entendu parler dans l'intérieur; cependant il trouva sa femme seule. Il lui demanda quelle était la personne qui causait avec elle, il n'y avait qu'un instant. Elle répondit qu'elle était seule. Néanmoins Saunier, certain qu'il ne s'était pas trompé, fit des recherches dans sa maison et découvrit enfin Frilay, caché dans le grenier, derrière quelques bottes de foin. Saunier fut indigné; mais il eut assez d'empire sur lui-même pour se contenir; il exigea seulement du desservant la reconnaissance de l'outrage qu'il lui avait fait, et la promesse de quitter le pays. Il voulut que ses aveux et son engagement fussent consignés par écrit et signés par Frilay, afin de pouvoir le forcer à remplir ses promesses s'il persistait à rester à Saint-Aubin. Le desservant consentit à tout, se réservant par devers lui de violer sans scrupule un engagement qui lui était violemment arraché. Le lundi 23 novembre 1829, le sieur Saunier était allé à Manchouville pour y surveiller quelques ouvriers; il était à cheval, portant une cravache à la main. Il rencontra Frilay, qui était à pied; Saunier s'avança vers lui, en lui disant: _Drôle! puisque je te rencontre, il faut que je te donne quelques coups de cravache._ Aussitôt Frilay frappa sur le dos du cheval avec une canne, dont il sortit un dard, puis il se jeta dans une pièce de blé à huit ou dix pas. Saunier l'y poursuivit; Frilay s'arma d'un pistolet qu'il présenta à son adversaire, en lui demandant ce qu'il avait à lui reprocher: Saunier répondit qu'il lui reprochait de ne pas avoir quitté le pays ainsi qu'il en avait pris l'engagement. Frilay répliqua que Saunier aurait dû demander lui-même son changement. Aussitôt ils se séparèrent, et cette rencontre n'eut pas d'autres suites. Le 22 janvier 1830, Frilay se décida, après quelques hésitations, à envoyer au procureur du roi une lettre dans laquelle, après avoir parlé de la rencontre du 22 novembre, il rapportait, en les exagérant beaucoup, les menaces que lui avait faites Saunier; puis il déclarait que sa sûreté exigeait que désormais il ne marchât plus qu'armé, prévoyant, disait-il, qu'un grand malheur pouvait arriver; mais il protestait en même temps, qu'il ne ferait usage de ses armes qu'à la dernière extrémité. Le 10 décembre précédent, la dame Saunier, qui jusque-là avait été stérile, avait mis au monde un enfant mort-né. Frilay n'avait pas craint d'attribuer à Saunier la mort de cet enfant. Il l'en accusa même, dans une lettre qu'il écrivit le 1er janvier au sieur Fiquet, frère de la dame Saunier, et dans laquelle il accumulait contre le mari de cette femme les plus dégoûtantes injures, exprimées dans le langage le plus cynique. Le jeudi 4 février, vers deux heures après midi, Saunier sortit de sa maison à cheval, ayant à sa main un bâton qu'il portait habituellement: il allait faire sa perception au jour et à l'heure qu'il y consacrait régulièrement, et il suivait le chemin qu'il avait l'usage de parcourir. Arrivé au haut de la côte de Saint-Aubin, il aperçut devant lui Frilay, qui, à sa vue, précipita sa marche; Saunier l'eut bientôt atteint: «Mauvais gueux! lui cria-t-il, as-tu encore le pistolet avec lequel tu as voulu me tuer l'autre jour?» Aussitôt Frilay tira un pistolet de sa poche. Saunier irrité avança sur lui dans l'intention de le frapper avec son bâton; mais Frilay évita les coups à l'aide de sa canne à dard, et presqu'au même instant, il lâcha sur Saunier un coup de pistolet qui ne le toucha pas. Ce premier coup de feu fut suivi immédiatement d'un second qui trompa encore l'espérance de Frilay; la balle alla se loger dans la cuisse du cheval. Saunier l'atteignit alors de son bâton qui, sur le coup se brisa entre ses mains. Aussitôt Frilay serra de près Saunier; il tira de dessous ses vêtemens un poignard dont la lame était longue de douze à quinze pouces; d'une main il saisit fortement le manteau de son adversaire, et de l'autre il le frappa de son poignard à coups redoublés et avec fureur. Saunier n'avait, pour se défendre, qu'une arme impuissante; il ne fut garanti de quelques-unes des attaques de Frilay que par l'épaisseur de ses nombreux vêtemens; mais enfin un violent coup de poignard pénétra dans le flanc gauche, et y fit une profonde blessure. Saunier, se sentant frappé, s'écria: «Malheureux, tu m'as blessé; mais ma perte entraînera la tienne: je vais porter plainte au procureur du roi.» Frilay répondit: «Tant pis pour vous!» En même temps il s'éloigna, et Saunier regagna sa maison. Saunier fit sa déclaration, le 6 février, au procureur du roi de Dieppe; et par suite de l'instruction qui eut lieu à ce sujet, Frilay fut traduit devant la Cour d'assises de la Seine inférieure, le 15 mai suivant. On remarquait quelques légères différences dans les diverses versions du récit de Saunier; cependant elles étaient parfaitement conformes quant aux points essentiels. Les allégations de Frilay tendaient à établir qu'il n'avait fait que céder à la nécessité d'une défense légitime. Aux débats, Frilay se renferma constamment dans ses premières allégations, assurant toujours que Saunier avait été l'agresseur, et que lui, Frilay, ne s'était servi de ses armes que pour défendre sa vie. La dame Saunier, femme de trente-cinq ans, d'un extérieur agréable et décent, pleine de trouble et de confusion, ne nia point sa liaison criminelle avec le prêtre Frilay. Après avoir dit son âge, elle déclara qu'elle ne se rappelait aucune circonstance de l'événement du 4 février, tant elle était troublée quand son mari rentra; elle dit que, depuis long-temps, son mari avait défendu à l'abbé Frilay de fréquenter sa maison, mais qu'il continuait d'y venir. Elle ne put dire si elle lui avait conseillé de monter au grenier le jour qu'il avait été surpris seul avec elle par M. Saunier. Elle assura qu'elle avait fait beaucoup d'efforts pour l'éloigner et ne le plus revoir; mais Frilay la menaçait depuis long-temps, et elle avait cédé à la crainte qu'il lui inspirait. _Le président_: Depuis le 11 janvier, avez-vous reçu Frilay? _La dame Saunier_: Oui. _D._ Ne vous a-t-il pas écrit depuis le 4 février, jour de l'événement? _R._ Oui. _D._ Que vous demandait-il? _R._ Rendez-vous pour le 6 chez Bernier. Il me disait qu'il allait quitter le pays, et qu'il voulait me voir une dernière fois. _D._ Est-ce vous qui avez engagé Frilay à écrire à votre frère? _R._ Non, Monsieur, je l'ai au contraire supplié de ne pas le faire. _D._ Votre mari vous rendait-il malheureuse? _R._ Non, il me faisait des reproches un peu sévères, mais il ne m'a jamais maltraitée. _D._ Frilay prétend que vous étiez malheureuse à tel point que vous vouliez vous jeter à l'eau. _R._ C'est faux. _D._ Il prétend encore que c'était pour vous consoler de vos chagrins domestiques qu'il allait chez vous, qu'il s'y rendait comme pasteur. _R._ Non, il y venait comme un homme du monde. _D._ Est-il vrai que vous lui indiquiez, par différens signes, le moment où il pouvait venir chez vous? _R._ Oui. _D._ On conçoit que ces signaux auraient été tout-à-fait inutiles, si Frilay était venu pour vous consoler, pour remplir quelque acte de son ministère. Ne lui fîtes-vous pas un certain jour des signes à la fenêtre? _R._ Non. _D._ Frilay savait-il d'avance quand votre mari s'absenterait? _R._ Oui. _D._ Est-ce vous qui lui donniez cette connaissance? _R._ Non, il connaissait les jours de recette; cela suffisait. _D._ Bernier vous a-t-il remis souvent des lettres de Frilay? _R._ Quelquefois. _D._ Pourquoi Frilay vous écrivait-il? _R._ Il demandait à me voir. _D._ Se plaisait-il à dire du mal de votre mari devant vous? _R._ Oui. _D._ Avez-vous eu connaissance de l'événement du 23 novembre? _R._ Oui, mon mari m'a dit en rentrant «J'ai manqué d'être assassiné par le curé.» _D._ Avez-vous eu depuis des entretiens avec Frilay? _R._ Oui, mais pas à la maison. _D._ A quelle époque remontent les menaces qu'il vous aurait faites? _R._ A plus de deux ans. _D._ Votre mari portait-il quelquefois des armes? _R._ Jamais. _D._ Puisque Frilay n'est pas revenu chez vous depuis le 23 novembre, a-t-il demandé par lettres à y revenir? _R._ Il me l'a demandé, mais verbalement. _D._ Combien avez-vous eu de rendez-vous chez Bernier? _R._ Trois ou quatre. _D._ Combien depuis votre accouchement? _R._ Un seul. _D._ Depuis que vous connaissiez la scène qui avait eu lieu le 23 novembre, entre votre mari et Frilay, aviez-vous pris une détermination à l'égard de celui-ci, et la lui aviez-vous fait connaître? _R._ Oui, mais il revenait toujours à la charge. _Un juré_: Pourquoi la femme Saunier retournait-elle chez Bernier, puisqu'elle ne voulait plus revoir Frilay? _R._ J'allais lui dire que c'était la dernière fois qu'il me verrait. _D._ Écriviez-vous quelquefois à Frilay, et chargiez-vous Bernier de porter vos lettres? _R._ Oui, quelquefois pour lui dire de venir ou de ne pas venir. _D._ Comment avez-vous pu craindre les menaces de Frilay, lui qui, à raison de son ministère, a besoin d'autant de ménagemens que vous? _R._ Je sais que je n'aurais pas dû avoir peur. _D._ A Frilay: Est-il vrai que vous ayez fait de nouvelles instances auprès de la dame Saunier, après le 23 novembre, pour continuer vos relations? _R._ Je n'en avais pas besoin, madame me faisait tout dire. Après les autres dépositions, qui ajoutèrent peu de chose aux faits déjà connus, le ministère public soutint l'accusation, en prenant sagement beaucoup de précautions pour insinuer à l'auditoire que la honte du châtiment réservé à Frilay ne pouvait en aucun cas, rejaillir sur le saint caractère dont il était revêtu. Frilay fut déclaré coupable de tentative de meurtre, à la majorité de sept voix contre cinq; et la Cour s'étant réunie à la majorité du jury, le criminel fut condamné aux travaux forcés à perpétuité, au carcan et à la marque des lettres T. P. Frilay entendit cet arrêt, comme il avait entendu le réquisitoire de l'avocat-général, sans être ému, sans proférer un seul mot. LA MONOMANIE DU MEURTRE, OU JEANNE DESROCHES, FEMME CORGET, ACCUSÉE DE PARRICIDE ET DE TROIS ASSASSINATS. Nous avons déjà eu l'occasion de faire remarquer que, depuis quelques années surtout, on avait peut-être abusé du mot _monomanie_, dans l'intérêt de la défense de plusieurs accusés. Ce n'est pas, toutefois, que nous ayons prétendu nier l'existence de cette triste maladie, ni les désordres de tout genre auxquels elle peut entraîner les malheureux qui en sont atteints. Il ne nous appartient pas de décider sur des questions aussi importantes et aussi délicates: notre mission à nous, est de narrer des faits, et s'il nous arrive d'adopter telle ou telle opinion sur des matières hors de la portée vulgaire, c'est toujours d'après des autorités compétentes et respectables. Ainsi dans l'événement dont nous allons rendre compte, nous aimons à croire, avec M. Margerand, défenseur de l'accusée, avec tous les médecins qui l'ont visitée dans sa prison, avec le jury lui-même, qui tout en la déclarant coupable, a pris un _mezzo termine_ qui atteste son hésitation; nous aimons à croire qu'il y a eu plutôt malheur que crime, et que Jeanne Desroches était dans une situation plus digne de pitié que d'horreur. On devait la renfermer, par mesure de sûreté et par humanité, mais non par le fait d'une condamnation. Il est reconnu que les fous ont une volonté, une volonté quelquefois irrésistible, mais qu'ils n'ont pas la liberté. C'est dans ce dernier mot que gît toute la doctrine sur la démence. Pour détruire le système de monomanie invoqué dans plusieurs causes criminelles, on a souvent allégué la préméditation qui semblait avoir présidé aux actes des accusés; mais cette allégation n'est elle-même d'aucun poids auprès des hommes de l'art qui ont été le plus à même d'étudier la folie, de juger avec plus de certitude les symptômes qui la caractérisent, les faits qui la démontrent, les signes qui permettent d'en affirmer l'existence. M. Orfila rapporte qu'un jurisconsulte, atteint d'une folie raisonnante, ayant conçu le projet d'obtenir sa sortie de la maison où il était retenu, demanda à faire visite au maître de la maison. Il se rendit dans son cabinet, portant une bûche sous sa redingote, demanda sa sortie d'un ton impérieux, ferma la porte et se disposa à frapper. Heureusement il était le plus faible; en reconduisant le malade à sa chambre, on lui adressa des reproches auxquels il répondit tranquillement: «Eh bien! quand je l'aurais tué, il n'en aurait été que cela, puisqu'on dit que je suis fou.» «Certes, ajoute M. Orfila, ce malade avait bien su user de ruse et d'adresse pour arriver à son but, et, de plus, il avait peut-être bien prévu les suites légales de sa conduite. Et cependant on peut remarquer que ce malade faisait un acte de folie qui amenait tout le contraire de ce qu'il s'imaginait obtenir. Hoffbaner cite l'exemple d'un paysan qui, ayant été mis dans une maison de fous pour avoir fait plusieurs extravagances, s'y montre fort raisonnable, ne laisse voir aucune apparence de folie, ne commet aucun acte de violence; quelque temps après, il trouve moyen de s'évader, arrive dans sa famille et paraît raisonnable: dans la nuit, il tue ses enfans et sa femme, qu'il soupçonnait, mais sans motif, d'infidélité..... Ici la ruse, la dissimulation, le calcul ne sont pas douteux.» Les annales de la médecine et du barreau offrent une foule de faits qui prouvent sans réplique notre assertion. Une femme de Saint-Cloud accouche, tue son enfant de vingt-six coups de ciseaux, l'enveloppe de linges et le jette dans les latrines. On lui demanda son enfant, elle ne sut que répondre; on finit par le trouver. Conduite à Versailles, où on devait la juger, elle ne voulut pas, pendant le trajet, qu'on lui bandât les yeux, pour qu'elle ne vît pas ses compatriotes qui suivaient la voiture. Elle demandait par fois: «On ne me fera pas de mal, n'est-il pas vrai? car je n'ai rien fait.» Conduite au tribunal, elle avoua son crime, ne donna aucun motif pour sa justification, dit qu'elle ignorait pourquoi elle l'avait fait. Les juges la déclarèrent non coupable, le crime ayant été commis dans un dérangement des facultés mentales. Voici un autre fait qui a eu lieu le 18 mai 1829, dans l'arrondissement de Villefranche. Claude Pilon, de Ronno, aperçut, dans le café tenu par Philibert Chevret à Amplepluis, Marguerite Chevret, qu'il ne connaissait pas; scandalisé d'une collerette que porte cette jeune fille, et du soin qu'elle paraît avoir mis à sa frisure, il s'élance dans le café, poursuit l'infortunée Marguerite et la frappe avec un instrument appelé goyarde qu'il tenait à la main. Le coup fut si violent qu'il opéra la décollation presque complète. D'Amplepluis, Pilon retourne à Ronno, il commet une double tentative d'homicide sur les personnes de la veuve et du fils Planus, ses voisins, contre lesquels il n'avait aucun motif de vengeance ni de haine. Arrêté, Pilon est amené dans les prisons de Villefranche; l'information s'achève, et le 5 septembre, le tribunal déclare que le prévenu était en démence au moment de l'action, le relève de toutes plaintes criminelles, et le renvoie à la disposition de l'autorité administrative. Après ces divers exemples, il sera plus facile au lecteur de juger la situation de Jeanne Desroches et les événemens funestes qui ont été le déplorable résultat de sa démence. Passons aux détails. La veuve Desroches, de la commune de Poully-le-Monéal, canton d'Anse, arrondissement de Villefranche (Rhône) avait trois filles; l'une d'elle avait épousé le nommé Champart, dont elle avait deux enfans. Jeanne se maria au commencement du mois de juin 1832, avec le nommé Corget, habitant de la commune de Pommiers qui n'est éloignée que d'environ une lieue de Poully-le-Monéal. Toute la famille Desroches jouissait d'une bonne réputation. Jeanne était connue pour une fille simple, bonne et vertueuse, et elle était parvenue à l'âge de vingt-sept ans sans donner prise non seulement au reproche, mais même au soupçon. Depuis la mort de son père, elle prodiguait les soins les plus tendres à sa mère. Placée chez différens maîtres, la jeune fille s'y était fait estimer et chérir par son zèle et par une conduite exemplaire. Elle était très-pieuse, et lisait souvent des livres de piété. Une femme septuagénaire et pauvre habitait dans le voisinage; Jeanne Desroches s'empressait de lui rendre tous les services qu'il dépendait d'elle de lui offrir. Une autre voisine tomba malade: elle vola à son chevet pour la soigner. Telle fut long-temps la jeune fille que nous allons bientôt voir figurer sur la sellette des parricides et des assassins. D'après une foule de témoignages, il paraît que, depuis un an environ, Jeanne Desroches ne jouissait pas de la plénitude de ses facultés intellectuelles. Ce fut à peu près vers le mois d'août 1831, suivant Marie Desroches, sœur de l'accusée, que se manifestèrent les premiers troubles remarqués dans l'intelligence et dans les affections de cette fille. Vers la même époque survint la suppression partielle ou totale de l'écoulement périodique; son caractère changea, ses habitudes se modifièrent; on la vit se livrer à des lectures presque continuelles, à l'exercice plus fréquent de ses devoirs religieux; elle éprouva du dégoût pour le travail, et se montra, dans ses actions comme dans ses paroles, tout autre qu'elle n'avait été jusqu'à ce moment. Vers les fêtes de Noël, Jeanne se plaignit de ne pouvoir plus dormir; elle parla d'un _bougement dans l'épaule_, qui, disait-elle, la faisait beaucoup souffrir. Elle pria sa sœur de la recevoir dans son lit, espérant qu'elle dormirait mieux; l'insomnie n'en persista pas moins. Des pensées bizarres de damnation se heurtaient dans sa tête avec les idées d'une mort prochaine et d'une maladie de poitrine, surtout quand elle était couchée du côté gauche; elle disait que, quand elle se piquait, son sang tombait en eau. De fréquens soupirs s'échappaient de son sein; le dégoût pour le travail devenait plus marqué; les plaisirs qui avaient eu pour elle le plus de charmes avaient perdu tout leur attrait. «Je suis damnée, disait Jeanne Desroches à la plupart des personnes avec lesquelles ses habitudes journalières la mettaient en rapport; plus je lis et plus je prie, plus je suis tourmentée. J'ai tout fait hors le bien; je suis damnée.» Le même dérangement se montrait dans ses actions. Un jour, sa mère et sa sœur, témoins de la fatigue qu'elle éprouvait, lui proposèrent de faire venir un médecin pour la saigner; elle repoussa cette offre avec colère, disant qu'elles étaient sans doute embarrassées d'elle, et qu'elles seraient bien aises de la voir mourir. Quelques mois avant son mariage, se trouvant aux champs, elle aperçut ou crut apercevoir un chat noir; elle voulut le tuer, prétendant que c'était un esprit infernal. Cette vision avait agi fortement sur son imagination. Rentrée chez sa mère, elle trouva une poule dans la basse-cour, elle la saisit et lui arracha violemment le cou; sa mère, étonnée, lui dit: Tu es donc folle? Jeanne garda le silence. Sa sœur lui demanda à son tour pourquoi elle avait tué une poule qui leur était utile. Pourquoi? lui répondit-elle; la femme de Marcy m'a ordonné du bouillon pour me guérir; nous n'avons ici point de viande, mais il y a des poules: je veux m'en servir.—Es-tu folle? reprit sa sœur.—Ah! répliqua Jeanne, vous avez bientôt fait une folle.—Et sur ce que sa sœur lui dit qu'elle ne voulait pas coucher avec elle, qu'elle pourrait bien la tuer comme la poule: Va! s'écria-t-elle, sois sans crainte; je ne veux pas tuer le monde. Les changemens, survenus en si peu de temps dans l'existence de Jeanne Desroches firent penser que le mariage pourrait lui être favorable, d'autant plus qu'elle exprimait quelquefois des regrets sur ce qu'on ne l'avait pas établie plus tôt. Un parti se présenta; il fut agréé de Jeanne et de sa famille. Cependant, peu de jours avant la bénédiction nuptiale, les raisonnemens de cette fille furent tout-à-fait incohérens et bizarres; et le jour même du contrat de mariage, la veuve Desroches, ne prévoyant pas qu'avant huit jours, elle périrait sous les coups de sa fille, dirait au notaire qui rédigeait l'acte: «Ah! je crains bien que le mariage ne la guérisse pas!» Le mariage fut célébré le samedi 9 juin, et ce fut le 19 du même mois qu'eut lieu l'horrible et sanglante tragédie où périrent en peu d'instans, quatre personnes sous les coups de Jeanne Desroches. Le matin du jour fatal, Corget se leva de très-bonne heure pour se livrer à son travail. Jeanne Desroches, sa femme, se leva aussi et lui annonça qu'elle voulait aller à Poully-le-Monéal voir sa famille. Corget ne s'y opposa nullement: Jeanne Desroches partit, emportant un couteau qui devait bientôt devenir entre ses mains un instrument de mort. Entre les communes de Pommiers et de Poully-le-Monéal, est la maison habitée par la femme Champart, l'une des sœurs de Jeanne Desroches. Cette femme et son mari n'étaient pas chez eux; ils y avaient laissé leurs deux enfans en bas âge sous la surveillance d'une vieille femme, mère de Champart. Les deux enfans étaient couchés dans la même chambre; leur aïeule se tenait dans une chambre voisine; Jeanne Desroches entre dans celle des enfans, et frappe l'un d'eux de son couteau dans la partie inférieure du cou. C'était Claudine Champart, sa nièce, âgée de deux ans: l'enfant ne poussa qu'un seul cri et expira; à ce cri, sa grand'mère accourt, et trouve la jeune Claudine expirante et baignée dans son sang. Jeanne Desroches avait pris la fuite. Après ce premier meurtre, Jeanne va droit à la demeure de sa mère; elle trouve cette pauvre femme dans son écurie, occupée à mettre en état de service deux petites pioches. _Bonjour!_ lui dit Jeanne.—_Bonjour!_ lui répond sa mère, _tu es bien matinale_. La conversation ne fut pas poussée plus loin; la fille saisit sa malheureuse mère, la renversa à terre, la frappa de son couteau, puis s'armant de l'une des deux pioches, elle l'en frappa si violemment sur la tête, que plus tard, lors de la visite du cadavre, on trouva les os du crâne brisés, quelques-uns même complètement détachés et épars, et le cerveau presque entièrement broyé. Jeanne Desroches monta ensuite dans une chambre au premier étage de la maison, brisa des bouteilles, un mortier de bois, une lampe, mit en pièces plusieurs livres contenant des prières et des instructions religieuses, déchira les robes et les hardes de sa sœur, et en entassa les fragmens au milieu de la chambre. Cette malheureuse semblait poussée au meurtre par une puissance irrésistible. Après ces deux égorgemens, il lui faut encore de nouvelles victimes. Elle se rend chez Claudine Brondel, veuve Georges, voisine de sa mère, monte un escalier de bois très-rapide, arrive à la porte de la chambre dans laquelle était cette femme, annonce qu'elle veut lui parler; celle-ci s'approche et la voyant couverte de sang, elle lui dit: _A qui ressembles-tu?_ Aussitôt Jeanne Desroches se précipite sur elle, la frappe de son couteau à la tête et au cou. La veuve Georges, en cherchant à défendre ses jours, reçoit encore aux doigts plusieurs blessures. Jeanne Desroches, pour terminer plus promptement la lutte, la précipite au bas de l'escalier et prend la fuite. En sortant de la maison de la veuve Georges, Jeanne Desroches alla dans celle de la veuve Dorneron. Cette femme était dans une chambre avec son fils, âgé de sept ans. De la porte, Jeanne lui dit: _On crie dans la rue, venez donc voir._ La femme Dorneron sort de sa chambre pour aller dans une chambre voisine dont la fenêtre donne sur la rue; Jeanne Desroches profite de cet instant pour se glisser dans la pièce que celle-ci vient de quitter, se jette sur l'enfant Dorneron, et avec son couteau, lui fait deux blessures, dont l'une, large et profonde, pénètre jusqu'à la moelle épinière et détermine une hémorrhagie abondante et mortelle. Aux cris de l'enfant, la veuve Dorneron était revenue sur ses pas; mais il était trop tard, son enfant avait cessé de vivre. Jeanne Desroches, qui venait de tuer l'enfant, veut encore attenter à la vie de la mère. Jusque-là elle n'avait attaqué que des femmes d'un âge avancé ou des enfans, elle éprouve de la part de la femme Dorneron, âgée seulement de trente ans, une résistance plus sérieuse. Vainement elle lui fait au cou avec son couteau une blessure légère; vainement elle lui fait aux doigts plusieurs morsures; celle-ci se défend avec une telle vigueur, que, voyant qu'elle ne pouvait venir à bout de la terrasser, Jeanne Desroches se retire et s'enfuit dans la maison de sa mère et entre dans la cave. Là, elle pense à cacher le couteau qui vient de commettre tant de crimes, elle enlève le bouchon qui ferme l'ouverture supérieure d'un tonneau. Un nouveau désir de vengeance semble l'animer encore dans cet accès de démence: elle arrache une petite cheville de bois qui tenait le tonneau bouché par le bas, et elle donne ainsi une libre cours au vin qui se répand dans la cave. La femme Dorneron avait vu Jeanne Desroches entrer dans la cave de la maison de sa mère; elle appela à grands cris les secours de ses voisins; des hommes, des femmes surviennent; on cerne la maison dans laquelle Jeanne Desroches s'est cachée; et quand elle tente d'en sortir et de prendre la fuite, elle est arrêtée. Le maire de la commune, le juge de paix d'Anse, le procureur du roi de Villefranche, des médecins, des gendarmes se rendirent sur les lieux. On dressa un procès-verbal, et toutes les formalités, prescrites par la loi, furent remplies exactement. Le procureur du roi interrogea Jeanne Desroches en présence des médecins, car il s'agissait moins de constater une chose trop évidente, que de reconnaître l'état mental d'une femme qui s'était livrée à des crimes si atroces, que leur atrocité même inspirait des craintes sur sa raison. Les médecins déclarèrent que son pouls vibrait fortement, mais ce fut là le seul signe d'agitation qu'on reconnut en elle; car du reste, ses réponses furent claires, et sa mémoire fidèle. Elle avoua tous ses actes, et déclara qu'elle était allée de Pommiers à Poully, avec l'intention de donner la mort à sa mère, mais non avec l'intention de faire un si grand nombre de victimes. Elle donna à ses meurtres deux motifs: _Sa mère avait toujours mieux aimé sa sœur qu'elle, elle voulait s'en venger: ayant toujours lu beaucoup de livres de prières, elle craignait d'être damnée, et cette pensée la tourmentait._ Les médecins ne trouvèrent, ni dans ses dehors physiques, ni dans ses réponses, des preuves d'aliénation mentale, et déclarèrent qu'il convenait de faire sur elle une étude plus longue et plus approfondie. Le juge d'instruction lui fit subir, le 21 juin, un nouvel interrogatoire auquel elle répondit d'une manière aussi étrange que la première fois. Le 19 juin, quand on lui avait demandé si elle était fâchée d'avoir fait ce qu'elle avait fait, si elle recommencerait, si les cris de sa mère ne l'avaient pas touchée; elle avait répondu: Je suis fâchée sans être fâchée; je recommencerais, parce que je suis toujours tourmentée de même; ma mère a crié, cela ne m'a rien fait; je sais bien que ma mère ne méritait pas la mort, mais je ne suis pas fâchée. Le 21 juin, elle versa des larmes en songeant à sa mère, à sa mère qui l'aimait tant! elle dit en parlant du jeune Dorneron: Pauvre enfant! qui était si charmant!... Ah! si c'était à faire..... Le 19, elle avait dit: «J'étais trop tourmentée... je lisais des livres de prières qui m'ont tourmentée... je croyais perdre Dieu... je ne dormais pas... je faisais des rêves dans lesquels je croyais voir toutes sortes de bêtes... J'ai déchiré ces livres, parce qu'ils sont cause de ma perte, en me faisant trop penser que j'étais damnée.» Puis le 21, elle disait: «C'est ce mauvais coup de sang qui m'a fait faire ce que j'ai fait... je ne savais pas ce que je faisais... j'étais si vivement tourmentée! je me sentais depuis long-temps un _bougement dans l'épaule_... je ne savais où j'allais... En lisant, je pensais être damnée... j'étais toujours tourmentée, je me sentais bouger dans l'épaule...» Ces contradictions, ces non-sens dans ses réponses, cette fluctuation dans les sentimens, cette idée fixe de _bougement dans l'épaule et de damnation_, rapprochés de l'état de maladie qui avait précédé le mariage de Jeanne Desroches, attestaient un dérangement notable dans le cerveau de cette infortunée. Que l'on considère d'ailleurs quelles victimes son délire lui avait fait choisir, et l'on aura une preuve de plus de sa démence. La jeune nièce de deux ans qu'elle a frappée, elle _l'aimait comme ses yeux_; sa vieille mère, qui a été sa seconde victime, avait été jusque-là l'objet de ses soins les plus tendres; la veuve Georges qu'elle avait précipitée au bas de l'escalier, était cette femme septuagénaire à laquelle elle rendait volontairement tous les services qui dépendaient d'elle; la femme Dorneron, dont elle avait immolé le fils _si charmant_, et qui elle-même n'avait échappé au même sort que par son courage et sa force physique, était cette voisine qu'elle avait soignée si charitablement pendant une maladie. Depuis quand le crime choisit-il pour victimes les objets de son affection? Trois médecins de Villefranche, chargés de visiter cette Desroches dans sa prison et de faire un rapport sur son état, déclarèrent que _la mélancolie habituelle de Jeanne Desroches avait pu réagir sur le cerveau, amener un trouble dans les fonctions intellectuelles, et lui faire croire quelle était damnée, ce qui caractériserait la monomanie religieuse, ou la démonomanie, et la pousser aux actes qu'elle avait commis, ce qui formerait une autre monomanie_. De nouveaux signes de fureur se firent remarquer dans la personne de Jeanne Desroches, au commencement du mois d'août. Sa conduite, dans la maison d'arrêt de Villefranche, avait été raisonnable et calme, sauf les terreurs nocturnes qui parfois l'arrachaient de son lit. Transférée à Lyon, on la mit dans la prison de Roanne, où pendant le jour, elle pouvait communiquer avec les autres femmes détenues. Tout-à-coup un accès violent la saisit; elle se jette comme une furieuse sur ses compagnes d'infortune et de captivité. Heureusement elle n'a point d'arme qu'elle puisse plonger dans le sein de nouvelles victimes: les gardiens de la prison accourent; ils s'en emparent, et dès ce moment, elle est reléguée dans l'isolement d'un cachot. Là, sa fureur s'exhale en cris impuissans, en longs hurlemens; des prisonniers l'interrogent, elle leur répond. Le silence des nuits n'apporte aucun soulagement à l'agitation qu'elle éprouve; il paraît même que, jetée dans une espèce de désespoir par la vue du cachot, elle se frappait la tête contre la muraille et se faisait de profondes blessures. Elle avait si peu la conscience du bien et du mal, qu'après la tentative d'homicide qu'elle avait faite sur ses compagnes, elle répondait aux reproches que lui adressait son avocat: _J'ai bien plus fait de mal cette fois que la première, n'est-ce pas?_ Me Margerand, avocat à la Cour royale de Lyon, s'était chargé de la défense de l'accusée. Il la visitait fréquemment dans sa prison, lui adressait une foule de questions relatives à ses actes sanguinaires. D'après ces entretiens avec sa cliente, d'après les réponses qu'il en recevait, il avait acquis la triste certitude de sa démence. Le plaidoyer qu'il prononça dans cette cause intéressante, atteste son zèle et ses talens. C'est dans cette pièce remarquable, ainsi que dans l'acte d'accusation, que nous avons puisé les détails de cette malheureuse affaire. L'avocat avait résumé toute sa plaidoirie par ces paroles remarquables d'un homme célèbre: «Lorsqu'un maniaque a causé quelque grand malheur, il est à craindre sans doute; il faut le surveiller, le garrotter, l'enfermer peut-être. Mais il ne faut pas l'envoyer à l'échafaud: ce serait cruauté.» A l'égard de Jeanne Desroches, il ne semblait pas y avoir de milieu entre l'acquittement et l'échafaud. Le jury montra, par sa décision, qu'il était d'une opinion contraire. La réponse fut affirmative sur toutes les questions d'homicide volontaire, même sur celle de préméditation; seulement il déclara, à la majorité de plus de sept voix, qu'il y avait des circonstances atténuantes. En conséquence, Jeanne Desroches fut condamné à dix ans de travaux forcés, sans exposition, et aux frais de la procédure. LES INFORTUNES DE LESURQUE ET DE SA FAMILLE. Déjà près de quarante années se sont écoulées depuis l'exécution de Joseph Lesurque, condamné, par une erreur bien déplorable, comme complice de lâches assassins. Suivant l'ordre chronologique que nous avons adopté, plus d'un lecteur aura cherché sans doute dans nos volumes précédens la fatale catastrophe de l'infortuné Lesurque, et nous aura peut-être reproché, avec quelque apparence de fondement, d'avoir omis dans nos fastes une affaire si éminemment intéressante, une infortune dont la célébrité est toute européenne, et dont l'amer souvenir se réveille, à chacune de nos sessions législatives, comme pour faire le procès à la barbarie de nos codes, et réclamer une justice qui n'a encore été que fort incomplètement obtenue. Nous devons à cet égard une courte explication. Si nous avons différé jusqu'à présent la publication de cet article, c'est que nous avions l'espérance de pouvoir annoncer, au moyen d'un retard de quelques mois, la réhabilitation de la mémoire de Lesurque. Les chambres, le gouvernement, la famille royale, avaient accueilli avec tant de bonté les justes réclamations de la veuve et des enfans de cet infortuné, qu'il y avait tout lieu de croire que ce bienveillant intérêt serait bientôt suivi des plus heureux résultats. Cette espérance n'est pas encore pleinement réalisée; les difficultés juridiques que l'on oppose depuis tant d'années aux larmes du malheur, aux cris de l'opinion publique, ne sont pas encore aplanies. Seulement on a restitué à la famille Lesurque une partie des biens qu'elle possédait à la mort de son chef; on veut lui tenir compte des intérêts qui lui sont dus depuis le moment de la séquestration; indemnité bien modique, bien insuffisante sans doute, quand on songe aux longues années que cette malheureuse famille a traînées dans la misère et le dénuement; enfin on est entré dans une voie de réparation et de justice. Ce progrès est d'un favorable augure, et il est permis de croire que le moment n'est pas éloigné où les héritiers de Lesurque verront enfin réhabiliter son nom, aux applaudissemens unanimes des gens de bien. Il est vraiment inconcevable que, dans un siècle qui se vante à tout propos d'être le siècle des lumières et des perfectionnemens, une veuve et des orphelins aient vainement réclamé la réhabilitation d'une innocence reconnue par la justice elle-même; tandis que, sous nos anciennes cours parlementaires, on peut citer une foule de réhabilitations proclamées solennellement: celles de Calas et de Cahusac à Toulouse, celle de Montbailly à Saint-Omer, celle de Fourré à Rouen, celles de Langlade et de Lebrun à Paris. Nous n'avons pas mission pour approfondir cette question grave; mais, nous en tenant aux faits, nous sommes obligés de reconnaître, que sur ce point-là du moins, notre marche n'a pas toujours été réellement progressive. Passons maintenant au récit des événemens qu'une fatalité persévérante sembla se plaire à lier les uns aux autres pour accabler de tout leur poids une famille qui, par sa position et par ses qualités sociales, réunissait toutes les chances d'un heureux avenir. Le 28 avril 1796 (9 floréal an IV), on apprit à Melun que le courrier de la malle de Lyon avait été assassiné la veille sur la grande route, ainsi que le postillon qui conduisait sa voiture. Cette nouvelle se répandit dans Paris le même jour, et y jeta la consternation. La police se mit aussitôt à la recherche des auteurs de ce crime. Le juge de paix de la commune voisine du lieu où avait été commis l'assassinat, se transporta sur la scène du meurtre, pour y dresser procès-verbal des faits et des circonstances. On y trouva les cadavres du courrier et du postillon. Le premier avait le cou coupé et le corps percé de trois coups de poignard. Le postillon, qui paraissait s'être défendu avec beaucoup de courage, avait une main abattue, le crâne fendu d'un coup de sabre, le corps également percé de trois coups mortels; sur ce champ de carnage étaient une houppelande grise, bordée d'une lisière bleu foncé, un sabre cassé et son fourreau. La lame de ce sabre était ensanglantée, et, par un hasard en quelque sorte dérisoire, portait pour devise d'un côté: _L'honneur me conduit_; de l'autre, _Pour le soutien de ma patrie_. Plus loin, on vit un second sabre, une gaîne de couteau, un éperon argenté à chaînons, la note des effets remis au courrier; les bottes fortes du postillon furent trouvées à quelque distance sur le pont de Pouilly. La malle avait été pillée. Les gendarmes, requis à l'instant par les autorités locales, parcoururent tous les lieux voisins pour recueillir des renseignemens. Ils apprirent bientôt, que, la veille, on avait vu sur la route quatre hommes à cheval, qui paraissaient plutôt se promener que voyager. Ils avaient dîné à Montgeron, chez la dame Évrard, aubergiste; ils avaient pris le café et joué au billard chez la dame Châtelain, limonadière. Ils s'étaient ensuite arrêtés à Lieursaint chez le sieur Champeaux, cabaretier, s'y étaient rafraîchis, et étaient repartis peu après. L'un d'eux était revenu sur ses pas chercher son sabre qu'il avait laissé à l'écurie. Le jour du départ du courrier, un individu, muni d'un passeport sous le nom de Laborde, avait retenu sa place dans la malle et était parti avec le courrier. Il n'avait aucun paquet. On avait remarqué qu'il était vêtu d'une houppelande bordée de peluche de laine noire. A une heure du matin, dans la nuit du 27 au 28 avril, un officier de garde à Villeneuve-Saint-Georges, et la sentinelle, avaient vu passer cinq hommes à cheval, suivant la route de Paris. On remarqua que l'un de ces cinq cavaliers, avait eu beaucoup de peine à faire passer son cheval à la poste de Villeneuve-Saint-Georges où il s'arrêtait obstinément. La police n'était pas moins active à Paris. Elle apprit que l'on avait trouvé sur la place Royale, près des boulevards, un cheval abandonné. On en conclut qu'au moins un des assassins était rentré dans Paris. On poussa les recherches avec plus de zèle, et l'on parvint bientôt à savoir que les cinq meurtriers étaient revenus à Paris, entre quatre et cinq heures du matin, par la barrière de Rambouillet; qu'un homme avait ramené un peu plus tard, quatre chevaux chez le sieur Muiron, rue des Fossés-Saint-Germain-l'Auxerrois, et qu'il était revenu les reprendre avec un de ses camarades, à sept heures environ. On apprit que cet homme se nommait Courriol, qu'il ne portait habituellement que le nom d'Étienne. On parvint encore à savoir qu'il avait logé avant l'époque de l'assassinat, rue du Petit-Reposoir; qu'il n'avait point couché le 27 avril dans son domicile; qu'il était ensuite déménagé et était allé loger, avec Madeleine Bréban, sa maîtresse, rue de la Bûcherie, n° 27, chez un sieur Richard; qu'ils étaient demeurés tous deux dans cette maison jusqu'au 6 mai, et que, parvenus à se procurer un passe-port pour Troyes, ils étaient partis le lendemain pour cette ville; que le sieur Richard, sa femme et un autre individu, nommé Bruer, les avaient accompagnés jusqu'à Bondi; que la voiture de poste dans laquelle ils voyageaient, leur avait été fournie par un sieur Bernard, juif, homme d'une réputation équivoque; qu'ils s'étaient ensuite détournés de la route de Troyes pour se rendre à Château-Thierry, chez le sieur Golier, employé aux transports militaires. Un agent de police se rendit aussitôt à Château-Thierry, et fit arrêter Étienne Courriol et sa femme. Courriol était nanti, tant en espèces d'or et d'argent, qu'en assignats, mandats, rescriptions, bijoux d'or et d'argent, etc., d'une somme formant le cinquième à peu près des objets volés au courrier de Lyon. Ainsi tout annonçait que la justice venait de mettre la main sur l'un des assassins. Il s'agissait de découvrir les autres. On arrêta le sieur Golier, et une autre personne qui s'était trouvée chez lui à Château-Thierry. C'était le sieur Guesno, qui était aussi employé aux transports militaires à Douai. On ramena à Paris Courriol et sa femme, Guesno et Golier; mais ces deux derniers ne furent pas mis en état d'arrestation. On fit perquisition chez Richard; on mit les scellés sur ses papiers et sur ceux de Guesno. Le magistrat chargé de l'instruction de cette affaire à Paris, était M. Daubanton, juge de paix de la section du Pont-Neuf, homme d'une justice aussi active que sévère. Ayant interrogé les prévenus, il n'eut pas de peine à se convaincre de l'innocence de Golier et de Guesno, les renvoya l'un et l'autre, et permit au dernier de revenir prendre ses papiers qu'on avait compris sous le même scellé que ceux de Richard. Le sieur Guesno s'empressa de se rendre au bureau central de la police, au jour indiqué? Il était plein de cette douce sécurité qui ne peut procéder que d'une conscience sans remords! Il rencontra en chemin un de ses amis, nommé Lesurque. La fatale étoile de ce dernier voulut que Guesno l'invitât à l'accompagner. Ils entrèrent l'un et l'autre dans les bureaux de la police. Ici commence pour Lesurque une série de malheurs inexplicables. M. Daubanton avait, ce jour-là, appelé devant lui une partie des témoins de Lieursaint et de Montgeron. Tous ces témoins étaient réunis dans l'antichambre de son cabinet. Les sieurs Guesno et Lesurque y entrent; ils attendent quelque temps avant de pouvoir pénétrer jusqu'au juge de paix. Deux femmes de Montgeron, assises l'une près de l'autre, les regardent avec attention et imaginent qu'ils sont tous les deux du nombre des assassins que la justice poursuit. Bientôt elles croient les reconnaître; elles se communiquent leurs idées, se fortifient dans ces premières impressions, et demandent à parler au juge de paix. Ces deux femmes se nommaient Santon et Grosse-Tête. L'une était servante chez l'aubergiste de Montgeron; l'autre servante chez la limonadière. M. Daubanton les fait introduire dans son cabinet: elles lui font part de leur prétendue découverte. Il y oppose tout ce que la raison peut suggérer en pareil cas à un homme de bon sens. Ces femmes persistent. M. Daubanton, pour n'avoir rien à se reprocher, fait entrer les sieurs Guesno et Lesurque, et recommande aux deux témoins de les bien examiner, en leur faisant observer qu'une méprise de leur part pourrait conduire deux innocens à la mort. Les deux servantes continuent d'assurer qu'elles les reconnaissent très-bien; qu'ils étaient du nombre de ceux qu'elles ont vus à Montgeron. L'étonnement de M. Daubanton redouble: il craint de manquer à la prudence; il avait entre les mains les signalemens qu'on lui avait envoyés de Melun. Il les consulte: deux se trouvent parfaitement applicables aux sieurs Guesno et Lesurque; la taille, l'âge, la couleur des cheveux, les traits du visage, tout s'y trouve conforme. Le magistrat adresse au sieur Lesurque plusieurs questions; il lui demande sa carte de sûreté; Lesurque n'a que celle d'un de ses parens qui porte le même nom que lui. On le requiert d'exhiber ses papiers; on y trouve une carte de sûreté en blanc. Alors les présomptions les plus fortes s'élèvent contre lui. Il est arrêté. Son nom et celui du sieur Guesno vont se trouver accolés à ceux de Courriol, de Richard et des autres prévenus. Dès ce moment, tout prend pour Lesurque, dans cette affaire, une couleur sinistre. Et cependant quel était cet homme que l'on allait charger de l'accusation d'un crime horrible, qui allait être désigné comme le complice d'assassins de grand chemin, et, comme tel, encourir une condamnation capitale? Nous allons l'apprendre à nos lecteurs. Joseph Lesurque avait reçu le jour à Douai, en 1763, de parens recommandables par leur probité. Les premières années de son adolescence s'étaient écoulées dans la carrière militaire. Il servit honorablement dans le régiment d'Auvergne, y obtint le grade de sergent, et quitta le service en 1789. C'était une époque où des routes nouvelles et de nouvelles espérances s'offraient à une jeunesse impatiente et ambitieuse. Toutes les anciennes administrations ayant été renversées par un système nouveau de gouvernement, le jeune Lesurque fut admis, comme chef, dans les bureaux de l'administration du district de Douai, sa ville natale. Il se conduisit dans cet emploi de manière à mériter les suffrages de tous ceux qui le connaissaient, et ne cessa de jouir de la réputation d'homme de bien. Ayant épousé une demoiselle d'une bonne famille, ce mariage accrut son aisance, et, au moyen d'heureuses spéculations, il se vit, au bout de quelques années, possesseur d'une fortune de dix mille livres de rente, revenu considérable dans une ville de province. Lesurque, devenu père de famille, conçut à l'âge de trente-trois ans, le projet de quitter Douai et de venir s'établir à Paris, pour y suivre lui-même l'éducation de ses enfans. Il en avait trois: deux filles et un garçon. Il arriva à Paris en 1795, et logea d'abord chez un de ses parens qui portait le même nom que lui. Il y recevait plusieurs artistes, notamment MM. Hilaire Ledru et Bodard, tous deux peintres. Comme il aimait les arts du dessin, il était tout naturel qu'il se plût dans la société de ceux qui les cultivaient. Il passait habituellement ses matinées chez le sieur Legrand, bijoutier au Palais-Royal, où il se trouvait fréquemment avec le sieur Aldenof, autre bijoutier, d'une probité reconnue. Enfin la vie de Lesurque était celle d'un excellent père de famille; son existence était partagée entre sa femme et ses enfans, d'une part, l'amitié et les arts, de l'autre; et tous les jours, il était rentré à dix heures du soir. Après quelques mois de séjour chez son cousin, il choisit un appartement vaste et commode dans la rue Montmartre, chez M. Maumet, notaire, et se livra au plaisir d'en diriger lui-même les décors et embellissemens. Lesurque se promettait d'y couler des jours heureux: il n'y coucha que deux fois! On sait que les personnes qui viennent de la province à Paris, se trouvant d'abord comme isolées dans cette immense cité, n'ont, dans les premiers momens, d'autres liaisons que celles qu'elles forment avec les gens de leur pays. Lesurque connaissait le sieur Guesno qui tenait une maison de roulage à Douai, et à qui même il avait prêté une somme de 2,000 francs. Guesno vint le voir à Paris, et lui restituer la somme qu'il en avait reçue; il l'invita en outre à venir déjeuner chez lui. Guesno logeait chez Richard dont il a été question plus haut, lequel était aussi natif de Douai. Ce Richard était d'une vie dissipée et d'une conduite peu régulière, circonstance qu'ignorait entièrement Guesno, tout entier occupé de ses affaires. Lesurque n'avait aucune liaison avec Richard, qu'il connaissait peu. La destinée de Lesurque voulut que le déjeuner, donné par Guesno chez Richard, eût lieu quatre jours après l'assassinat du courrier de Lyon, et que Courriol, celui des assassins dont nous avons déjà parlé, s'y trouvât avec Madeleine Bréban, qui passait pour sa femme. Cette circonstance fortuitement malheureuse, dès qu'elle fut connue, devint bien funeste à Lesurque. Maintenant, revenons à la déclaration des deux servantes qui prétendaient reconnaître dans Guesno et Lesurque deux des assassins du courrier de Lyon. Dans une semblable conjoncture, la justice devait se montrer ombrageuse et défiante: M. Daubanton commença à concevoir quelques soupçons. Lesurque et Guesno furent mis en jugement avec Courriol, Bernard qui avait fourni des chevaux aux assassins, Richard, chez qui on avait déposé une partie des effets volés, et le sieur Bruer, qu'un aubergiste de Lieursaint prétendait avoir reconnu, et qui fut bientôt déclaré innocent. L'instruction se poursuivit avec toute l'ardeur qui devait animer les magistrats, dans un temps où les routes étaient infestées de brigands, où les courriers étaient fréquemment arrêtés et les deniers de l'État enlevés à main armée. Dès que la nouvelle de l'arrestation de Lesurque fut répandue, la consternation de ses amis et le désespoir de sa famille furent au comble. Le malheureux prévenu reçut de toutes parts les marques du plus vif intérêt. Tous ceux qui connaissaient Lesurque étaient convaincus de son innocence. En effet, la moindre réflexion suffisait pour faire concevoir qu'un homme qui avait 10,000 francs de revenu, qui, jusqu'à ce jour, avait joui de la réputation la plus honorable, qui venait s'établir à Paris avec sa femme et ses enfans, qui avait loué un appartement de 1,500 francs chez un des notaires les plus connus de Paris, qui avait pris plaisir à décorer cette nouvelle habitation, n'avait pu quitter son pays pour venir assassiner le courrier de Lyon sur la route de Melun. La somme volée au courrier était de 14,000 francs en numéraire, et de 7 millions en assignats, qui, en 1796, pouvaient représenter 5 à 6,000 francs. Le nombre des coupables signalés à la justice était de six, y compris celui qui avait fourni des chevaux; c'était donc pour se procurer environ 3,000 francs qu'on supposait qu'un homme, honnête et riche, s'était subitement transformé en voleur et assassin de grande route. Dans une circonstance aussi délicate, il eût fallu, pour le triomphe de l'innocence faussement accusée, que la justice procédât avec une extrême circonspection, avec une sage lenteur. Tout le contraire arriva. Appelées aux débats, les deux femmes qui prétendaient avoir reconnu Guesno et Lesurque s'obstinèrent dans leur première déclaration. Guesno en détruisit tout l'effet, pour ce qui le concernait, en prouvant jusqu'à l'évidence son _alibi_. De quel poids devenait alors le témoignage de ces deux femmes? Il était évident, par cette première preuve de méprise, qu'elles n'étaient point infaillibles dans leurs attestations. Courriol, interrogé, ne put rendre un compte satisfaisant de sa conduite et des sommes que l'on avait trouvées chez lui. Mais Madeleine Bréban, sa concubine, dévoila tout ce qu'elle savait: elle parla d'un voyage que Courriol avait fait à l'époque de l'assassinat; elle signala leur déménagement subit, lors de son retour, et enfin leur départ pour Troyes. Elle crut reconnaître le sabre trouvé sur le lieu du crime pour être celui de Courriol. Elle ajouta qu'elle avait vu plusieurs fois chez ce dernier, les nommés Bruer et Richard, qu'elle n'y avait vu Guesno que par occasion, et jamais Lesurque. Richard déposa qu'il connaissait fort peu le sieur Lesurque. Bernard et Bruer déclarèrent qu'ils ne le connaissaient pas du tout. Le nommé Bruer, aussi heureux que Guesno, prouva, avec la même évidence, qu'il n'avait eu, ni pu avoir la moindre part au crime dont on poursuivait la vengeance. Lesurque se croyait aussi sûr qu'eux de démontrer son innocence; ce qui serait probablement arrivé si la procédure eût été continuée par M. Daubanton. Mais il semblait écrit dans le livre des destins que la tête de Lesurque était vouée à l'échafaud. Le 22 mai, la procédure de M. Daubanton fut cassée pour cause d'incompétence, et les prévenus se virent renvoyer devant le tribunal criminel de Melun. Devant ce nouveau tribunal, la procédure prit une tournure plus désastreuse. De funestes préventions furent accueillies légèrement; on crut que tous les prévenus indistinctement étaient coupables, et l'on parut chercher tous les moyens de se fortifier dans cet injuste préjugé et de le faire prévaloir. L'acte d'accusation fut dressé sous l'influence de cette fatale préoccupation. Les débats s'ouvrirent le 2 août. Lesurque s'y présenta avec ce calme que donne une conscience sans reproche. Il montra une contenance ferme et assurée, où perçait, par intervalles, l'indignation qu'il éprouvait de se voir confondu avec d'exécrables brigands. A la première nouvelle de son malheur, tout ce qu'il avait d'amis, tant à Douai qu'à Paris, s'étaient réunis spontanément pour venir attester sa probité. Le premier témoin à décharge, qui se présenta, fut le sieur Legrand; c'était l'ami chez lequel Lesurque se rendait le plus souvent. Legrand était de Douai; il tenait au Palais-Royal un riche magasin d'orfévrerie et de bijouterie; sa réputation était sans tache. Le 8 floréal an IV (27 avril 1796), il avait reçu chez lui Lesurque; ils avaient passé ensemble une partie de la matinée. Legrand rattachait à ce souvenir celui d'une fourniture de boucles d'oreilles que lui avait faite le même jour le sieur Aldenof, bijoutier-fabricant, auquel il avait vendu, de son côté, une de ces cuillers d'argent qu'on appelle poches. Plein de l'idée d'avoir inscrit cette affaire sur son livre, il invoque cette circonstance devant le tribunal. O surprise! ô consternation! la date invoquée est surchargée! on reconnaît que d'un 9 on a fait un 8, et la surcharge est si grossière qu'elle frappe tous les yeux. Dès ce moment, les débats ne présentent plus qu'un aspect sinistre. Le témoin Legrand est presque soupçonné d'avoir voulu tromper la justice; les autres témoins qui étaient venus pour déposer dans le même sens sont à peine écoutés; la sentence de condamnation n'est plus douteuse. Le président du tribunal semble s'efforcer d'infirmer, par tous les moyens possibles, les dépositions favorables à l'accusé. Déjà cette tendance malheureuse s'était manifestée lors de l'interrogatoire. Le président ayant interrogé Lesurque sur l'état de ses revenus, et celui-ci ayant répondu qu'ils pouvaient s'élever à douze ou quinze mille francs: «Qu'est-ce que cela? répondit le président: sans doute vous voulez parler d'assignats?—Non, reprit l'accusé; mon revenu est en fermages et en argent.» Alors le président se tournant vers les jurés, dit: «On voudrait faire croire que les crimes n'appartiennent qu'aux pauvres; mais si les petits crimes appartiennent aux pauvres, les grands crimes appartiennent aux riches.» Doctrine monstrueuse, effrayante, subversive; doctrine qui semble être un écho de ces dogmes sanglans que prêchait, trois années auparavant, l'énergumène Marat! «J'ai assisté aux débats, écrivait le rédacteur du _Messager du Soir_, et j'avoue que, loin d'avoir été convaincu par l'assurance des témoins qui déclaraient reconnaître Lesurque pour être le même qu'ils avaient aperçu une seule fois, il y avait trois mois, j'ai vu avec peine que le citoyen G..... qui se laisse quelquefois entraîner par la haine qu'il a si justement vouée aux vrais coupables, cherchait, par un plaidoyer contradictoire, à détruire l'effet qu'aurait pu produire sur les jurés la déclaration de quelques ouvriers, qui affirmaient avoir vu, le jour même de l'assassinat, Lesurque chez lui.» Sur les déclarations du jury, Guesno et Bruer furent acquittés; Richard fut condamné à vingt-quatre années de fers, comme convaincu d'avoir reçu gratuitement des effets qu'il savait provenir d'un crime; Courriol, Lesurque et Bernard entendirent prononcer contre eux un arrêt de mort. Lesurque ne put se défendre d'un mouvement d'effroi, de douleur et de surprise, en entendant cette foudroyante sentence. Une pâleur mortelle se répandit sur son visage. Mais bientôt, recueillant ses forces, et élevant la voix, il dit: «Sans doute le crime, dont on m'accuse, est horrible et mérite la mort; mais s'il est affreux d'assassiner sur une grande route, il ne l'est pas moins d'abuser de la loi pour frapper un innocent. Un moment viendra, où mon innocence sera reconnue, et c'est alors que mon sang rejaillira sur la tête des jurés qui m'ont trop légèrement condamné, et du juge qui les a influencés.» Ce jugement fut rendu le 5 août, à dix heures du soir. La condamnation de Courriol parut juste à tous ceux qui avaient assisté aux débats; mais on ne put s'expliquer celle de Lesurque et de Bernard. Les jurés déclaraient ce dernier convaincu d'avoir participé à main armée à l'assassinat du courrier de Lyon, et cependant Bernard n'avait pas quitté Paris. Il avait, à la vérité, fourni les chevaux, et l'on apprit depuis qu'il avait assisté au partage des effets volés; mais on ne le savait point alors, et s'il méritait une peine, ce ne pouvait être la peine capitale. La condamnation de Lesurque était bien plus étrange encore. Elle frappa tous les esprits d'une profonde consternation; étrange destinée que celle de cet infortuné père de famille! Condamné, comme assassin, par les organes de la justice, il devait être innocenté par les vrais assassins eux-mêmes. Déjà la fille Madeleine Bréban, cette concubine de Courriol, avait déclaré que jamais elle n'avait vu Lesurque chez son criminel amant. Courriol lui-même, entendant la sentence, s'écria: _Lesurque et Bernard sont innocens. Bernard n'a fait que prêter ses chevaux, Lesurque n'a jamais pris aucune part à ce crime._ Plus tard le même coupable, pressé par les remords, fait des révélations entre les mains des magistrats. Il nomme ses complices; il donne des détails circonstanciés sur la part que chacun d'eux a pris à l'assassinat. Cependant les condamnés s'étaient pourvus en cassation; mais leur pourvoi fut rejeté. Lesurque présenta une requête au Directoire qui, frappé des considérations si puissantes et si justes qu'elle contenait, se fit remettre toutes les pièces du procès et les examina avec soin. Il paraît certain qu'on avait recueilli dès-lors à Bicêtre, une conversation qui mettait dans tout son jour l'innocence de Lesurque. Bernard reprochait à Courriol de ne pas le défendre avec le même zèle qu'il défendait Lesurque. «Tu n'as pas assassiné le courrier, lui répondit Courriol, mais tu as profité de l'assassinat. Lesurque n'a ni assassiné, ni profité du vol. Il nous est tout-à-fait étranger; tu le sais aussi bien que moi.» Après un examen approfondi, le Directoire crut devoir adresser un message au conseil des Cinq-Cents, en faveur du malheureux Lesurque. Le conseil des Cinq-Cents ordonna un sursis, et nomma une commission pour lui faire un prompt rapport. Malheureusement les mêmes préventions qui avaient déjà été si fatales à Lesurque, assiégèrent la commission! On supposa que Courriol avait pu être engagé par argent à faire ses tardives révélations; que les détails qu'il donnait sur l'assassinat pouvaient n'être qu'un roman concerté entre lui et son complice; que les coupables, qu'il indiquait, pouvaient n'être que des individus imaginaires; que les preuves, dont on prétendait fortifier la déclaration de Courriol, pouvaient être encore l'ouvrage des amis de Lesurque; et, sur cet échafaudage de possibilités, on proposa l'ordre du jour. Un second message du Directoire n'eut pas plus d'effet que le premier; on ajoutait aux considérations, dont on vient de parler, le respect dû aux décisions du jury, l'inviolabilité de ses jugemens; et, déterminé par un simple _peut être_, le Conseil des Cinq-Cents envoya Lesurque, Bernard et Courriol à la mort. Jusqu'à son dernier moment, Courriol proclama l'innocence de Lesurque; jusqu'à son dernier moment, il continua d'attester qu'il périssait victime d'une fatale ressemblance avec un des assassins, et demanda que l'on recherchât les hommes qu'il avait désignés. Lesurque mourut en pardonnant à ses juges! Sa mort laissait une veuve inconsolable et trois orphelins encore en bas âge! La veille du jour fatal, Lesurque avait coupé lui-même ses cheveux et les avait partagés en tresses pour les envoyer à sa femme et à ses enfans. Avant ses derniers momens, il s'était occupé sans trouble de régler ses affaires, comme s'il fût arrivé au terme naturel de sa vie. Il écrivit à son épouse en proie au désespoir: «Quand tu liras cette lettre, je n'existerai plus; un fer cruel aura tranché le fil de mes jours, que je t'avais consacrés avec tant de plaisir. Mais telle est la destinée; on ne peut la fuir en aucun cas. Je devais être assassiné juridiquement. Ah! j'ai subi mon sort avec une constance et un courage dignes d'un homme tel que moi. Puis-je espérer que tu imiteras mon exemple? Ta vie n'est point à toi; tu la dois tout entière à tes enfans et à ton époux, s'il te fut cher. C'est le seul vœu que je puisse former. On te remettra mes cheveux que tu voudras bien conserver, et, lorsque mes enfans seront grands, tu les leur partageras: c'est le seul héritage que je leur laisse. Je te dis un éternel adieu. Mon dernier soupir sera pour toi et mes malheureux enfans!» Cette lettre était adressée à la citoyenne VEUVE Lesurque. A peine la terre s'était-elle refermée sur la dépouille sanglante de cette victime innocente que déjà le jour de la vérité commençait à luire. M. Daubanton qui, le premier, par une funeste précipitation, avait préparé, sans le vouloir, la fin tragique de Lesurque, faisait, depuis le commencement même de la procédure de Melun, les plus généreux efforts pour réparer son erreur. Mais, quand il vit qu'il n'avait pu sauver l'innocent confondu avec le coupable, pénétré de remords déchirans, dès ce jour, il se dévoua tout entier à cette cause malheureuse, et se livra avec une ardeur extrême à la découverte des vrais coupables. Ses recherches actives et zélées furent récompensées par le succès. Il parvint à faire arrêter les complices de Courriol. Nous allons extraire quelques particularités intéressantes d'un mémoire que ce magistrat présenta, à cette occasion, au grand-juge, en 1806, dans le but de prouver d'une manière invincible, que Lesurque était mort innocent. Les complices désignés par Courriol étaient Rossy, Dubosc, Vidal et Durochat. C'était ce dernier qui, sous le nom de Laborde, avait pris une place dans la malle de Lyon à côté du courrier. M. Daubanton qui avait été chargé de l'instruction contre Courriol, ayant appris que Durochat était en prison à Sainte-Pélagie, pour vol commis récemment, procéda à la reconnaissance de cet individu et quand il fut bien convaincu de l'identité, il se fit livrer le prisonnier et se transporta avec lui à Melun. Durochat fut interrogé, et choisit, pour être jugé, ainsi qu'il en avait alors le droit, le tribunal de Versailles. Aussitôt on repartit de Melun pour se rendre en cette ville. Durochat demanda à déjeuner dans un village près de Gros-Bois. Il exprima à M. Daubanton le désir de l'entretenir un moment tête-à-tête. Les gendarmes craignaient quelque mauvais coup de sa part, et ne voulaient pas sortir. M. Daubanton cependant l'exigea, après avoir pris quelques mesures pour sa sûreté. Resté seul avec Durochat, et près de lui, M. Daubanton prit un couteau, qui se trouvait entre eux deux, pour ouvrir un œuf. Durochat lui dit aussitôt: «Vous avez peur, M. Daubanton?—Et de qui? lui dit l'officier public.—De moi, dit Durochat, vous prenez mon couteau.—Tenez! dit M. Daubanton, coupez-vous du pain.» A ce trait de tranquillité, Durochat ne put s'empêcher de lui dire: «Vous êtes un brave; c'est fait de moi; vous saurez tout.» En effet, il fit à l'égard de Courriol, de Vidal, de Rossy et de Dubosc, les déclarations les plus positives sur leur complicité dans l'assassinat du courrier. Il ne tarda pas à faire légalement les mêmes déclarations. Parmi une foule de détails relatifs à l'assassinat, il revint plusieurs fois sur l'innocence de Lesurque: «_J'ai entendu dire_, ajouta-t-il, _qu'il y avait un particulier, nommé Lesurque, qui avait été condamné. Je dois à la vérité de dire que je n'ai jamais connu ce particulier, ni lors du projet, ni lors de son exécution, ni au partage; je ne le connais pas; je ne l'ai jamais vu._ Le 9 germinal an V, dans une nouvelle déclaration, il ajouta, en parlant de Lesurque: _Ce dernier est innocent de cette affaire, je ne l'ai jamais connu. Lesurque a été arrêté et condamné au lieu de Dubosc._ Le témoignage de ce criminel était d'un grand poids; lui qui s'accusait franchement lui-même, lui qui ne craignait que deux témoins dans l'affaire, lui qu'il aurait été difficile de condamner s'il eût tout nié. Lorsqu'il accusa tous ceux qu'il connaissait pour ses complices, il n'hésita pas plus que la première fois à déclarer qu'il n'avait jamais connu, qu'il n'avait jamais vu Lesurque de sa vie. Il répondit à toutes les observations du juge avec un sang-froid, une tranquillité qui portait au fond de l'ame la conviction que Lesurque avait été condamné et exécuté pour un autre, par erreur de ressemblance. Le magistrat lui observa que cependant Lesurque avait été reconnu pour l'un des voleurs de la malle; qu'il avait à ses bottes des éperons argentés; qu'on l'avait vu en raccommoder un avec du fil, soit à Lieursaint, soit à Montgeron, et que cet éperon avait été trouvé à l'endroit où la malle avait été volée. Durochat répondit: «C'est le nommé Dubosc qui avait des éperons argentés. Le matin même où nous avons partagé le vol, je lui ai entendu dire qu'il avait brisé l'un des chaînons de ses éperons; qu'il l'avait raccommodé avec du fil dans l'endroit où nous avions dîné, et qu'il l'avait perdu dans l'affaire. Je lui ai vu moi-même dans les mains l'autre éperon: il disait qu'il allait le jeter dans les commodités.» Durochat donna ensuite le signalement de Dubosc, et ajouta que, le jour de l'assassinat, il avait une perruque blonde. Lesurque, pris pour Dubosc, était blond. Vidal, l'un des assassins, fut confronté avec Durochat, qui le reconnut. Mais Vidal eut recours à la défense ordinaire des scélérats, il ne reconnut point Durochat. Dubosc fut aussi arrêté et conduit à Versailles pour être jugé avec Vidal. Attendu la déclaration de Durochat, portant que, le jour de l'assassinat, Dubosc avait une perruque blonde; attendu que Courriol et Durochat avaient déclaré que Lesurque avait été pris et reconnu pour Dubosc, le tribunal criminel de Versailles avait ordonné que cet accusé serait coiffé d'une perruque blonde pour être présenté aux témoins; on lui en mit une qui avait été faite exprès. Dans cet état, il fut reconnu par plusieurs témoins, pour avoir été vu à Montgeron, le jour du crime. La femme Alfroy qui, précédemment avait reconnu Lesurque pour être un des quatre individus soupçonnés de l'assassinat, déclara que devant le tribunal de la Seine, elle avait reconnu Lesurque, mais qu'aujourd'hui, sa conscience lui faisait un devoir de dire qu'elle s'était trompée; qu'elle croyait fermement qu'elle n'avait pas vu Lesurque, mais _Dubosc présent_; qu'elle le reconnaissait très-bien; qu'elle l'avait déjà reconnu à Pontoise; qu'elle l'avait dit au directeur du jury. La femme Alfroy, invitée à plusieurs reprises, par le président, à bien examiner encore Dubosc, et après l'avoir long-temps considéré en silence, persista enfin dans sa dernière déclaration. Ce Dubosc était un scélérat redoutable: il avait brisé quatre fois ses chaînes. Un dernier hommage rendu à l'innocence de Lesurque par l'un des auteurs du crime pour lequel il avait été condamné, fut le testament de mort du nommé Rossy, dit encore Ferrary, ou le _grand Italien_, dont le vrai nom était Beroldy. Il avait été découvert à Madrid, et livré sur la réclamation du gouvernement français. Il fut également jugé à Versailles; après avoir nié constamment qu'il eût jamais connu Lesurque, et soutenu que lui, Beroldy, était innocent; il fut néanmoins condamné à mort, par suite des révélations de ses complices. Après l'exécution, M. de Grand-Pré, curé de la paroisse de Notre-Dame de Versailles, qui avait assisté Rossy dans ses derniers momens, certifia au président qu'il avait été autorisé par son pénitent à déclarer que le jugement qui le condamnait avait été bien rendu. Depuis, le même ecclésiastique déposa chez M. Destréman, notaire à Versailles, une déclaration écrite et signée de Beroldy (dit Rossy), mais qui ne devait être publiée que six mois après sa mort. Cette déclaration, que M. Daubanton mit sous les yeux du ministre, portait que Lesurque était innocent. «Je n'ajouterai rien à ces faits, disait cet ancien officier public en terminant sa requête; ils suffisent à la raison et au cœur pour compléter la justification de Lesurque; ils suffisent au moins pour engager le gouvernement à ordonner la révision du procès de cet infortuné. Calas, les Sirven, et tous ceux pour lesquels la justice de nos monarques a ordonné de semblables révisions, n'ont jamais eu en leur faveur tant de présomptions d'innocence. Aucun d'eux n'a eu l'avantage, comme Lesurque, d'intéresser les tribunaux eux-mêmes, presque aussitôt son jugement rendu, et pendant tout le cours des différens autres procès subis par tous les complices de l'assassinat du courrier de Lyon.» Cette réclamation de M. Daubanton fut rejetée après un long examen. On frémit de tous ses membres, quand on songe au trop fatal enchaînement de circonstances qui circonscrivit l'infortuné Lesurque et l'amena sous le fer du bourreau. Et lorsqu'on voit son innocence solennellement proclamée par ceux-là même qui étaient les vrais coupables, on ne peut contenir un sentiment d'indignation contre cette inexplicable politique qui s'est jusqu'ici constamment refusée à apposer le sceau de la légalité à la réhabilitation de cet honnête père de famille, immolé par le glaive de la loi. Certes, la réhabilitation de Lesurque a été, depuis long-temps, prononcée par l'opinion publique; mais cette consolation, bien honorable sans doute, pouvait-elle suffire à une veuve désespérée qui réclamait un époux, à des orphelins qui redemandaient la tendresse, l'appui, l'honneur de leur père! L'honneur! le plus bel héritage qui puisse rester à des enfans! Que fallait-il de plus à la justice pour lui prouver sa sanglante erreur? Les quatre scélérats, désignés par Courriol, avaient subi leur peine. Avait-elle d'autres coupables à rechercher? Elle n'avait que cinq têtes à frapper, elle en avait fait tomber sept! La veuve Lesurque, dévorée par le chagrin, ne s'en est pas moins montrée à la hauteur de la tâche pénible que lui imposaient et l'innocence de son époux, et l'affection vraie qu'elle lui avait vouée. Secondée par sa fille aînée, elle ne cessa de harceler de ses réclamations trop légitimes le gouvernement impérial; mais ses vœux, ses prières furent impitoyablement repoussés. Le retour des Bourbons semblait devoir être plus propice à une si juste cause. Un écrivain d'un caractère noble et généreux, M. Salgues, vint associer ses talens, son zèle et ses lumières aux efforts de la malheureuse famille Lesurque. Mémoires au roi, requêtes, pétitions aux deux chambres, démarches actives et éclairées, sollicitations continuelles et pressantes; rien ne fut épargné par cet homme de lettres, homme de bien. Il s'agissait de laver la mémoire d'un juste; il s'agissait d'améliorer le sort de toute une famille en proie à la détresse, par suite de l'inique confiscation de sa fortune. Les biens de Lesurque, illégalement séquestrés, avaient été assignés au sénat conservateur, et attribués à la sénatorerie du comte Jacqueminot qui les avait noblement refusés, en disant qu'il _respectait trop le champ du malheur, pour recevoir des biens entachés du sang d'un innocent; qu'il fallait les restituer à la famille de la victime_. Le fisc ne comprit point la noblesse de ce sentiment; et ces immeubles, attribués depuis à la légion d'honneur (singulière dotation pour un corps aussi illustre), avaient été vendus au profit du trésor de l'état. En 1821, M. le comte de Valence à la chambre des pairs, M. de Floirac à la chambre des députés, plaidèrent avec chaleur, en qualité de rapporteurs de commissions des pétitions, la cause de la veuve et des enfans de Lesurque et n'eurent pas de peine à exciter de vives sympathies parmi leurs collègues. Les pétitions furent renvoyées au ministre de la justice, et quelques secours provisoires en furent le résultat presque immédiat. Un peu plus tard, les réclamans obtinrent la remise, non pas du produit des biens illégalement confisqués et vendus, mais d'une partie seulement de ce que le trésor avait perçu en sus du montant des condamnations prononcées. Mais, au moment où les héritiers Lesurque allaient recueillir quelques tristes débris de la fortune de leur père, des tribulations nouvelles se préparaient à éprouver leur constance. Des étrangers, déjà gorgés de richesses, vinrent, à l'aide d'un titre que nous ne qualifierons pas, et qui fut apprécié par la science et par la justice, disputer à la veuve et aux enfans de Lesurque, la portion de leurs biens qu'on allait leur rendre. Cet épisode de leur malheureuse histoire exige que nous entrions dans quelques détails. En 1790, Lesurque, employé au district de Douai, avait spéculé, pour le compte d'autrui et pour le sien, sur les propriétés du clergé. Les registres du district constatent qu'il acquit, en seize adjudications, dans les années 1791, 1792 et 1793, pour plus d'un million de biens ecclésiastiques. Trois de ces adjudications furent faites pour le compte de madame de Folleville; aussi les trois procès-verbaux d'adjudication portent-ils, selon le langage du palais, réserve de déclaration de command. A cette époque, madame la marquise de Folleville, propriétaire dans le Berry de dîmes inféodées, déclarées rachetables par les lois d'alors, en employait la valeur en acquisitions nationales: Lesurque achetait et payait pour elle; un compte courant était ouvert entre eux. Le 19 janvier 1792, Lesurque se rendit adjudicataire de la ferme de Ferein, moyennant 180,000 francs. Le procès-verbal de vente ne contenait aucune réserve de déclaration de command. Lesurque avait fait l'acquisition pour lui. Les registres du district de Douai prouvent qu'il en paya _seul_ la valeur. Il lui avait été facile de faire ce paiement; car il avait revendu le tiers de la ferme de Ferein 188,000 francs; et le prix de la totalité n'était que de 180,000 francs. En mai 1792, quelques mois après l'adjudication, madame de Folleville exprima le désir d'avoir la ferme de Ferein; le 22, un écrit fut tracé à ce sujet par Lesurque. C'est cet écrit que l'on reproduisit trente ans plus tard. A cette époque (1792), madame de Folleville pouvait faire cette acquisition; elle comptait sur le remboursement de ses dîmes inféodées et sur une créance due par le gouvernement à M. de Bussy, ancien gouverneur des Indes, dont elle était héritière; mais une loi déclara les dîmes inféodées supprimées sans indemnité, et d'un autre côté, le gouvernement refusa d'acquitter la créance du gouverneur de l'Inde. Peu après, madame de Folleville fut incarcérée à Amiens jusqu'en 1794. Lors de son arrestation, elle devait à Lesurque des sommes considérables; car, en 1795, elle lui fit remettre un à compte de 10,000 francs. Probablement alors un règlement de compte eut lieu. L'acte du 22 mai 1792 fut rendu par madame de Folleville à Lesurque qui lui signa des billets payés depuis. Mais Lesurque, loin de faire une déclaration de command au profit de madame de Folleville, continua à toucher les loyers de la ferme, renouvela les baux, revendit publiquement plusieurs portions de cette propriété, au profit d'un sieur Dumoulin, président du district de Douai, et de deux fermiers de Ferein, lesquels ont attesté qu'ils n'ont connu que Lesurque pour propriétaire. En présence de cette possession, de cette jouissance publique de Lesurque, madame de Folleville garda le silence. Lesurque vint à Paris en 1795, espérant s'y créer une existence heureuse. On connaît l'horrible catastrophe qui le frappa. Sa mort, comme nous l'avons dit, laissa sa veuve et ses enfans dans une affreuse position. Le fisc s'empara de tous les biens du condamné à titre de _séquestre_, et non de _confiscation_ comme on l'a cru long-temps. Ce fut alors qu'un sieur Lemoine, ancien conseiller à la Cour des aides, vint trouver la veuve Lesurque de la part de madame de Folleville. Pour éviter la confiscation, il conseilla à madame Lesurque de confier à madame de Folleville les papiers de son mari et surtout l'acte du 22 mai 1792. Nantie de cet acte, madame de Folleville ne fit aucune démarche pour sauver de la confiscation la ferme de Ferein; madame veuve Lesurque la réclama devant le tribunal d'Amiens. En 1803, madame de Folleville fit lever une expédition de l'acte du 22 mai 1792 dont le dépôt avait été effectué chez un notaire par les agens de la marquise. Déjà cet acte avait été falsifié, altéré. Madame de Folleville présenta cette expédition au préfet du Nord, et demanda à être mise en possession de Ferein. Un avis du directeur des domaines du département intervint, contraire à la réclamation de la dame de Folleville; celle-ci se désista de sa prétention avant la décision du préfet, et ne fit plus aucune poursuite à ce sujet pendant un laps de dix-neuf ans. La propriété de Ferein fut incorporée aux biens de la sénatorerie et vendue par l'état en 1810. Cette vente aurait dû réveiller les prétentions de la dame de Folleville. Il n'en fut rien; elle laissa vendre Ferein qu'elle disait être sa propriété. Mais en 1822, une décision ministérielle ayant fait liquider à 224,000 fr. le montant de l'indemnité due par l'état aux héritiers Lesurque, pour la ferme de Ferein séquestrée, alors les agens de madame de Folleville se mirent en mouvement. On se présenta chez madame veuve Lesurque avec de douces et pacifiques paroles; on proposa de s'arranger avec madame de Folleville, pour _éviter la publication de certains actes qui empêcheraient la réhabilitation de Lesurque_. M. Salgues, l'ami, le défenseur de la famille, ne put entendre de semblables menaces sans en être indigné, et rompit toute conférence avec l'homme de madame de Folleville. Que fit-on alors? on feignit d'ignorer le domicile de la veuve Lesurque; on l'assigna au parquet; on prit des jugemens sur requête; on obtint l'autorisation de mettre opposition sur l'indemnité liquidée par l'état. Un procès s'engagea sur la validité de ces oppositions. C'était en 1826. Madame de Folleville produisit les billets souscrits par Lesurque et _payés_ par lui, et une _expédition_ de l'acte du 22 mai 1792. Cette pièce, qu'on avait déposée chez un notaire, avait été altérée, et avec tant de précipitation que la feuille sur laquelle l'acte de dépôt avait été écrit et qui enveloppait la pièce, portait _les empreinte de l'acide dont cette pièce était imbibée_. Les billets furent déclarés prescrits; mais madame de Folleville fut reconnue propriétaire de la ferme de Ferein. Les héritiers Lesurque qui avaient fait vérifier la _minute_ de l'acte remis après la mort de Lesurque à M. Lemoine, interjetèrent appel de cet arrêt. La Cour royale de Paris, saisie de cette affaire, ordonna que vérification serait faite de l'acte dont il était question par MM. Gay-Lussac, Chevreul et Chevalier. Ces trois experts, éminens dans leur art, tous membres de l'académie des Sciences, procédèrent à un examen minutieux de cet acte, et firent un rapport dont la conclusion portait «qu'il leur était démontré qu'il avait existé sur la pièce qui leur avait été soumise une écriture différente de celle qui en formait actuellement le corps, et que les moyens employés pour faire disparaître la première écriture avaient sans doute déterminé les altérations qu'on remarquait dans le papier.» Ce rapport était du 29 juillet 1829. Déjà MM. Haussmann, Darcet et Thénard avaient donné des certificats rédigés dans le même sens. Cette affaire ne fut plaidée qu'en 1830. Me Mérilhou était le défenseur de la famille Lesurque; il pulvérisa les calomnies que la partie adverse avait appelées à son secours, et secondé par un mémoire chaleureux et détaillé de M. Salgues, il fut assez heureux pour faire solennellement proclamer les droits de ses cliens. L'inscription de faux avait été écartée par la Cour, faute de preuves suffisantes pour l'établir. Mais par jugement en date du 25 février 1830, les héritiers Lesurque, reconnus véritables et légitimes propriétaires de Ferein, furent déchargés des condamnations prononcées précédemment contre eux; et madame la marquise de Folleville se vit condamnée aux dépens. Néanmoins, ce procès avait en effet causé un grand préjudice aux héritiers Lesurque; il avait retardé, ajourné le grand œuvre de toute leur vie, la réhabilitation de la mémoire de leur père, qui, avant cet incident, paraissait devoir être très-prochaine, à en juger par les dispositions favorables des deux chambres législatives. Bientôt la révolution de juillet vint offrir de nouvelles chances de succès à leur religieuse persévérance. Une nouvelle pétition fut présentée à la chambre des pairs, qui renouvela le renvoi qu'elle avait précédemment prononcé; mais, quoiqu'un rapport favorable eût été élaboré dans les bureaux du ministère de la justice, plus de deux années s'écoulèrent, sans que les pétitionnaires eussent obtenu aucune réponse. Enfin le 25 mai 1833, M. Merlin, député de l'Aveyron, fit à la chambre dont il est membre, un rapport lumineux et circonstancié sur une nouvelle pétition de la veuve Lesurque et de ses enfans. Sur ses conclusions justement favorables, cette pétition fut renvoyée aux ministres de la justice et des finances, et déposée au bureau des renseignemens. Cette fois, les réclamations pécuniaires des héritiers Lesurque ne furent plus repoussées. M. Humann s'empressa de donner des ordres pour que la restitution fût la plus complète possible. Quant à la partie de la pétition qui était du domaine du ministre de la justice, aucune décision n'a encore été prise. Mais la vive sympathie des deux chambres, les marques de bienveillance et d'intérêt que la fille aînée de Lesurque a reçues du roi et de son auguste famille, le vœu unanime et si souvent exprimé par toutes les classes de citoyens éclairés, ne permettent pas de douter que la session prochaine se passe sans que la réhabilitation de Lesurque soit prononcée. Espérons, qu'au moyen de l'initiative dont jouit actuellement la chambre des députés, il deviendra possible d'établir une mesure pour la révision des procès criminels dans certains cas non prévus par le code; mesure qui avait été proposée par le comte de Valence et qui fut chaleureusement appuyée par M. de Lally-Tollendal qui termina son opinion par ces paroles touchantes: «J'espère avoir été entendu dans un autre endroit que celui où je parle..... J'espère qu'ici-bas ma voix ira, hors de cette enceinte, jusqu'à la malheureuse famille Lesurque, jusqu'à d'autres infortunés, qui, sous une forme ou sous une autre, m'écrivent sans cesse: _Non ignare mali, miseris succurrere disce!_ Jamais ma voix ne leur manquera, et ses derniers accens seront pour la justice, l'innocence et le malheur!» Oui, espérons que cette amélioration si désirée sera promptement introduite dans nos codes. «Cette amélioration, comme le disait M. Merlin dans son rapport, a été provoquée par les chambres; et si elle ne peut avoir lieu dans la présente session, il faut espérer qu'elle ne sera pas plus long-temps retardée, puisqu'elle est autant dans l'intérêt particulier de la famille Lesurque que dans l'intérêt général de la société. «Quand la notoriété publique et l'évidence, disait aussi cet honorable rapporteur, constatent l'erreur de la condamnation, quand l'innocent a péri, sa mémoire, sa fortune, son honneur ne devraient pas avoir péri avec lui.» FIN DU HUITIÈME ET DERNIER VOLUME. INDEX DES OUVRAGES QUI ONT ÉTÉ CONSULTÉS POUR LA COMPOSITION DE CE RECUEIL. _Histoire de Provence_, par PAPON. _Histoire du Dauphiné_, par CHORIER. _Idem._ par VALBONAYS. _Mémoires sur le Languedoc_, par CATEL. _Abrégé de l'hist. du Languedoc_, par VAISSETTE. _Histoire du Perche et d'Alençon_, par GILLES BRY. _Histoire du Béarn_, par MARCA. _Histoire de Normandie_, par GAB. DUMOULIN. _Chronique de Normandie_, goth. 1558. _Histoire de Rouen_, par un anonyme. _Origines de Caen_, par HUET. _Histoire du Gastinais_, par GUILL. MORIN. _Histoire de Melun_, par ROUILLARD. _Histoire de Bresse_, par GUICHENON. _Antiquités de Paris_, par DUBREUIL. _Théâtre des Antiquités de Paris_, par le même. _Dictionnaire hist. de Paris et de ses environs_, par HURTAUT. _Essai sur Paris_, par SAINT-FOIX. _Histoire de Paris_, par DULAURE. _Anecdotes de France_, par DREUX DU RADIER. _Recherches historiques sur l'Anjou_, par BODIN. _Gaule Poétique_, par MARCHANGY. _Dictionnaire historique_ de BAYLE. _Des Délits et des Peines_, par BECCARIA. _Etudes Historiques_, par M. de CHATEAUBRIAND. _Mémoires de Montluc._ _Mémoires de Castelnau._ _Hist. de France sous le règne de Louis XIV_, par de LARREY. _Histoire de France_, par ANQUETIL. _Lettres de madame de Sévigné._ Les Volumes de VOLTAIRE relatifs à la législation. _Les siècles de Louis XIV et de Louis XV_, par VOLTAIRE. _La Biographie Universelle._ _Journal de Henri IV_, par de l'ESTOILE. _Histoire de la Révolution Française_, par M. THIERS. _Idem._ par M. MIGNET. _Idem._ par M. ROCHE. _Essais sur la révolution Française_, par de BEAULIEU. _Mon Agonie de trente-huit heures_, par JOURNIAC ST.-MÉARD. _Tableaux de la Révolution_, par CHAMPFORT. _Recueil des Causes célébrés_, de GAYOT DE PITAVAL. _Idem._ de DELAVILLE. _Idem._ de RICHER. _Idem._ de DES ESSARTS. _Idem._ de MÈJAN. _Annuaire_ de LESUR. _Causes criminelles célèbres du XIXme siècle._ _Gazette des Tribunaux._ TABLE DU HUITIÈME VOLUME. Ulbach, ou la bergère d'Ivry. Page 1 Reine Orcel, précipitée dans l'Isère par son amant. 17 Le parricide des Landes. 33 Incendiaire par jalousie. 43 Crime et suicide de Bertet. 47 Assassin stipendié par le gendre de sa victime. 55 Sourd-muet, assassin. 62 Roch, voleur assassin. 72 Tentative d'assassinat commise par une mère sur son enfant de six ans. 83 Arsène et Julien, ou tentative d'assassinat par suite de désespoir amoureux. 92 La fille parricide. 107 La femme Pitra convaincue d'avoir empoisonne son mari. 118 Assassinat commis par méprise. 125 Parricide causé par la monomanie du meurtre. 137 Assassinat de deux époux commis par Hocquau, forçat libéré. 146 Marie Lombard, assassinée par son fiancé. 153 Suzanne Dussaut, accusée d'avoir assassiné son mari. 159 Louis Daigremont, empoisonné par sa femme. 164 Pierre Lamur, dit Doumairon. 175 Jean-Antoine Duchon, assassin de Madeleine Piot. 183 Assassinat d'un jeune berger par le frère de sa maîtresse. 191 Empoisonnement de la famille de Saint-Chamans, commis par une femme-de-chambre, accusée aussi d'infanticide. 198 Assassinat de Rosalie Dusser, par Antoine Gouy, son cousin. 207 Julien Chevrier, fratricide. 214 Accusation de parricide commis par une femme sous les vêtemens de son mari. 218 Tentative d'infanticide, par suite d'indigence. 238 Le fratricide de Jurançon. 245 Assassinat commis par la femme Lebaron sur son mari, de complicité avec un autre individu. 250 Adrien Lafargue. 261 Crime de castration commis par une marâtre sur un enfant de son mari. 283 Meurtre commis par vengeance. 287 Double meurtre commis par Debacker. 297 Le berger de Chèvreville. 305 Le meurtre de la rue Charonne, à Paris. 314 Assassinat de Psaume, avocat et homme de lettres. 320 Assassins de la vallée de Montmorency. 342 Vols, fratricides et parricides, commis par Françoise Trenque. 354 Assassinat de Paul-Louis Courier. 362 Le charcutier Bellan, meurtrier de sa femme. 380 Le curé Frilay. 390 La monomanie du meurtre, ou Jeanne Desroches, femme Corget, accusée de parricide et de trois assassinats. 401 Les infortunes de Lesurque et de sa famille. 421 INDEX des ouvrages qui ont été consultés pour la composition de ce recueil. 467 FIN DE LA TABLE DU HUITIÈME ET DERNIER VOLUME. ┌────────────────────────────────────────────────────────────────────┐ │ Note de transcription: │ │ │ │ Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été │ │ corrigées. L'orthographe et la ponctuation d'origine ont été │ │ conservées et n'ont pas été harmonisées. Cependant quelques │ │ erreurs typographiques ont été corrigées. La liste de ces │ │ corrections suit. │ │ │ │ Les mots en italiques sont _soulignés_. │ │ │ │ Corrections: │ │ │ │ p. 13: siinstre remplacé par sinistre (…leur expression sinistre) │ │ p. 15: Ubach → Ulbach (La position sociale d’Ulbach…) │ │ p. 34: surnonmé → surnommé (…Fiton, surnommé Courroc…) │ │ p. 41: Féton → Fiton (…faiblement contre Fiton.) │ │ p. 42: compasson → compassion (…d’avoir compassioned lui…) │ │ p. 56: sarreau → sarrau (…et son sarrau relevé.) │ │ p. 63: implacacable → implacable (…il avait voué une haine │ │ implacable…) │ │ p. 64: Peti → Petit (…accoururent aux cris de Petit…) │ │ p. 129: tellecom pagne → telle compagne (…souffir une telle │ │ compagne?) │ │ p. 132: quel-chose → quelque chose (…quelque chose d’original…) │ │ p. 161: uu → un (…un coup de couteau) │ │ p. 169: occasionait → occasionnait (…la soupe occasionnait │ │ ses plaintes…) │ │ p. 183: Duchot → Duchon (Jean-Antoine Duchon) │ │ p. 191: Guiraud → Guyraud (…Guyraud avait été surprise…) │ │ p. 194: lamain → la main (…un fusil à la main…) │ │ p. 272: la → de la (…de la ramener à moi;) │ │ p. 276: horeur → horreur (Je me faisais horreur à moi-même;) │ │ p. 276: remet → remets (…le remets dans ma poche;) │ │ p. 281: plaidoierie → plaidoirie (La plaidoirie de │ │ Me Dubois dura…) │ │ p. 285: incessamemnt → incessamment (…occupée incessamment │ │ à inventer…) │ │ p. 295: son père qu'il l'avait → qui l'avait (…son père qui │ │ l'avait ainsi maltraitée…) │ │ p. 300: comtemplait → contemplait (…contemplait sa victime…) │ │ p. 303: s'échapèrent → s'échappèrent (…des larmes s'échappèrent │ │ de ses yeux.) │ │ p. 307: dans un → une (…dans une violente fureur…) │ │ p. 307: l'arrrête → l'arrête? (…la presence de ces deux hommes │ │ l’arrête…) │ │ p. 347: question → questions (…toutes les questions d’homicide…) │ │ p. 381: soucrire → souscrire (…forçait de souscrire à │ │ des emprunts…) │ │ p. 402: allegué → allégué (…on a souvent allégué la │ │ premeditation…) │ │ p. 405: Pillon → Pilon (…Arrêté, Pilon est amené dans │ │ les prisons…) │ │ p. 419: homicide → d’homicide (…qu'après la tentative d’homicide) │ │ p. 420: plaidoierie → plaidoirie (L'avocat avait résumé toute sa │ │ plaidoirie…) │ │ p. 420: garotter → garrotter (…il faut le surveiller, │ │ le garrotter, l'enfermer…) │ │ p. 420: l'acquitte → acquittement (…milieu entre l’acquittement │ │ et l’échafaud.) │ │ p. 427: Madelaine → Madeleine (…avec Madeleine Bréban, │ │ sa maitresse…) │ │ p. 429: iudiqué → indiqué (…au jour indiqué.) │ │ p. 440: monstreuse → monstrueuse (Doctrine monstrueuse, │ │ effrayante…) │ │ p. 459: longtemps → long-temps (…comme on l’a cru longtemps.) │ │ p. 464: le → la (…la restitution fût la plus complete possible.) │ │ p. 464: actuellenent → actuellement (…l’initiative dont jouit │ │ actuellement la chambre…) │ │ p. 465: Tolendal → Tollendal (…appuyée par M. de Lally-Tollendal…) │ │ │ │ Variante non-corrigée: │ │ habitan et habitant. │ └────────────────────────────────────────────────────────────────────┘ *** End of this LibraryBlog Digital Book "Chronique du crime et de l'innocence, t. 1-8 - Recueil des événements les plus tragiques;.." *** Copyright 2023 LibraryBlog. 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