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Title: Histoire de France - Tirée de Ducoudray
Author: Super, O. B. (Ovando Byron)
Language: French
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*** Start of this LibraryBlog Digital Book "Histoire de France - Tirée de Ducoudray" ***


http://www.pgdpcanada.net



                          HISTOIRE DE FRANCE

                          TIRÉE DE DUCOUDRAY

                                 PAR

                             O. B. SUPER

                   PROFESSEUR AU COLLÈGE DICKINSON

  [Illustration: logo]

                               NEW YORK

                        HENRY HOLT AND COMPANY

                                 1900

[Illustration: FRANCE

A series of maps to illustrate the period between A.D. 900 and A.D.
1871.]



                           Copyright, 1900

                                  BY

                           HENRY HOLT CO.



                               PRÉFACE


Ce livre est tiré des différents cours d'histoire de Ducoudray et peut
être considéré comme un livre de «Lectures Françaises» sur l'histoire
de France plutôt que comme une histoire de France.

Les histoires de France ne manquent pas, mais les unes sont si
élémentaires, quelquefois les faits y sont présentés sous une
forme si enfantine qu'elles ne peuvent guère intéresser que les
enfants--auxquels, du reste, elles sont destinées--les autres sont
si volumineuses que nous ne saurions nous en servir dans nos classes
élémentaires. Aussi ai-je cherché à éviter l'un et l'autre de ces
extrêmes et à faire, sous une forme abrégée, un livre qui réponde
réellement à nos besoins et que nous puissions mettre entre les mains
de nos élèves de première ou de deuxième année.

Je dois des remerciments à Messieurs Fabregou et Bergeron, professeurs
au collège de la ville de New York.

                                                              O. B. S.

  COLLÈGE DICKINSON,
       août 1900.



                          TABLE DES MATIÈRES


                              CHAPITRE I

                       LA GAULE ET LES GAULOIS

  Les Gaulois et les Romains; Conquête de la Gaule par
  Jules César                                                        1


                             CHAPITRE II

                              LES FRANCS

  L’Invasion barbare; Clovis et ses Fils; Décadence des
  Mérovingiens; Pépin le Bref                                        9


                             CHAPITRE III

                             CHARLEMAGNE

  Guerres en Espagne contre les Arabes; Guerres contre les
  Saxons                                                            23


                             CHAPITRE IV

                   LOUIS LE DÉBONNAIRE ET SES FILS

  Traité de Verdun; Charles le Chauve; Les Normands;
  Charles le Gros; Les Ducs des Francs                              32


                              CHAPITRE V

                             LA FÉODALITÉ

  Les Seigneurs et les Fiefs; Le Château                            41


                             CHAPITRE VI

                     LES CROISADES; LA CHEVALERIE

  Les premiers Capétiens; Conquête de l'Angleterre par les
  Normands; La première Croisade; Philippe Auguste
  et Richard Cœur de Lion; Louis IX et la dernière
  Croisade                                                          45


                             CHAPITRE VII

           PHILIPPE LE BEL ET SES FILS; GUERRE DE CENT ANS

  Bataille de Crécy; Prise de Calais; Bertrand du Guesclin          61


                            CHAPITRE VIII

                              CHARLES VI

  Minorité de Charles VI; Bataille d'Azincourt                      71


                             CHAPITRE IX

                      CHARLES VII; JEANNE D'ARC

  La France en 1429; Exploits de Jeanne d'Arc                       75


                              CHAPITRE X

                               LOUIS XI                             81


                             CHAPITRE XI

                CHARLES VIII; LOUIS XII; FRANÇOIS Ier

  Bataille de Marignan; Bataille de Pavie; François Ier et
  Charles Quint                                                     87


                             CHAPITRE XII

                       LES GUERRES DE RELIGION

  Henri II; La Réforme; Catherine de Médicis; La Sainte-Barthélemy;
  Henri III; Henri IV                                               99


                            CHAPITRE XIII

                              LOUIS XIII

  Régence de Marie de Médicis; Ministère de Richelieu              111


                             CHAPITRE XIV

                              LOUIS XIV

  Mazarin; Turenne; Colbert; Vauban; Guerre de la Succession
  d'Espagne                                                        119


                             CHAPITRE XV

                               LOUIS XV

  La Régence; Guerre de Sept Ans; Le Canada                        142


                             CHAPITRE XVI

                       LOUIS XVI; LA RÉVOLUTION

  Guerre d'Amérique; Les États Généraux; Prise de la Bastille;
  Fuite de Varennes                                                151


                            CHAPITRE XVII

                       LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

  La Convention; Mort de Louis XVI; La Terreur; Le
  Directoire; Le Général Bonaparte                                 164


                            CHAPITRE XVIII

                             LE CONSULAT

  Bataille de Marengo; Organisation de la Société nouvelle         174


                             CHAPITRE XIX

                               L’EMPIRE

  Napoléon Ier; Bataille d'Austerlitz; Campagne de Russie;
  Bataille de Waterloo; Napoléon à Sainte Hélène                   178


                             CHAPITRE XX

                        LA FRANCE DEPUIS 1815

  La Restauration; Louis XVIII; Charles X; Louis Philippe
  Ier; République de 1848; Napoléon III; Guerre
  de 1870-71; Troisième République                                 194



                          HISTOIRE DE FRANCE



                              CHAPITRE I

                             LES GAULOIS


De la plus haute cime des monts d'Auvergne, au centre de la France, on
verrait, si l'œil était assez perçant, comme limites de notre pays, au
midi la chaîne des Pyrénées qui se dresse entre lui et l'Espagne; une
vaste nappe d'eau, la Méditerranée qui peut nous conduire en Afrique
et en Orient; les Alpes, les plus hautes montagnes de l'Europe, notre
barrière contre l'Italie. A l'est, les Alpes prolongeraient leurs
sommets couverts de neige jusqu'à une autre muraille, le Jura qui
nous sépare de la Suisse; le large fleuve du Rhin laisserait, au delà
de ses rives, distinguer l'Allemagne; c'est lui qui autrefois nous
servait de limite dans tout son cours et protégeait notre pays au nord
aussi bien qu'à l'est. A l'ouest, au delà du bras de mer qu'on appelle
la Manche, on apercevrait, à demi-cachée dans la brume, une grande
île, l'Angleterre; enfin, le soleil couchant offrirait un spectacle
magnifique en éteignant ses dernières clartés dans l'océan Atlantique.
A nos pieds nous verrions de larges fleuves quelquefois terribles,
de nombreuses et belles rivières dont quelques-unes sont paresseuses;
un pays âpre et montueux au centre et au midi, uni vers le nord, mais
partout fertile, ni trop humide ni trop aride, assez bien fermé pour
la défense, néanmoins ouvert au commerce et, à l'intérieur, plus
ouvert encore aux échanges mutuels entre les habitants de chaque
région.

La France, dans les temps anciens, s'appelait la Gaule. Elle ne
présentait qu'une suite de vastes forêts, entremêlées de marécages.
Les chênes, les hêtres, les érables, les bouleaux remplissaient les
vallées et couronnaient les montagnes. Ces arbres formaient une voûte
de feuillage que pouvaient à peine percer les rayons du soleil.

Dans ces bois presque continus abondaient les loups, les ours, les
sangliers et des troupeaux de porcs aussi dangereux que les sangliers.
L'aurochs, taureau sauvage, aux cornes longues et terribles, et dont
l'espèce a presque disparu de l'Europe, était le plus fort de ces
animaux et le roi des forêts de la Gaule.

Toujours en lutte contre les bêtes féroces, les peuples primitifs
savaient les pousser dans certaines parties des bois et les faire
tomber dans des filets tendus aux arbres ou dans des fosses cachées
sous le feuillage. Là, à coups de flèches et de piques, ils les
tuaient plus aisément. Souvent aussi ils les attaquaient en face. Dans
leurs villages, de nombreuses têtes de loups et d'aurochs suspendues
aux portes des cabanes indiquaient la demeure des plus intrépides
chasseurs. Ils avaient pour armes défensives des boucliers aussi
hauts qu'un homme, et que chacun ornait à sa manière: quelques-uns
y faisaient graver des figures d'airain en bosse et travaillées avec
beaucoup d'art. Leurs casques d'airain avaient de grandes saillies
et donnaient à ceux qui les portaient un aspect tout fantastique. A
ces casques étaient fixées des cornes, des figures d'oiseaux ou de
quadrupèdes. Ils avaient des trompettes barbares, d'une construction
particulière, qui rendaient un son rauque et approprié au tumulte
guerrier. Les uns portaient des cuirasses de mailles de fer, les
autres combattaient nus; au lieu d'épées, ils avaient des espadons
suspendus à leur flanc droit par des chaînes de fer ou d'airain.

Le courage avec lequel ils se servaient de ces armes et affrontaient
la mort sous tous ses aspects, provenait aussi bien d'un de leurs
dogmes religieux que de leur naturel hardi. Les Gaulois possédaient
«la croyance la plus ferme et la plus claire de l'immortalité de
l'âme: toutes leurs coutumes étranges ou naïves, touchantes ou
cruelles, s'expliquent par cette foi.»

Une des principales fêtes de la religion gauloise était la récolte du
gui, en l'honneur du dieu Hésus.

Le gui, plante parasite qui croît sur des arbres comme le pommier,
mais rare sur le chêne, possédait, selon la croyance des druides, la
vertu de guérir tous les maux. Chaque année, à la fin de l'hiver,
les druides le cherchaient. Sitôt qu'ils l'avaient trouvé, le peuple
accourait en foule. Le chef des druides, armé d'une faucille d'or,
s'approchait de l'arbre chéri des dieux et coupait le gui sacré. On
immolait deux taureaux sans tache, et la fête se terminait par de
bruyants banquets.

Malheureusement, les animaux n'étaient pas toujours les seules
victimes offertes en sacrifice. Les druides croyaient devoir, pour
apaiser les dieux, leur immoler des hommes. Dans quelques tribus,
dit-on, on remplissait d'hommes vivants de grands mannequins d'osier,
on y mettait le feu, et les victimes, innocentes ou coupables,
périssaient enveloppées par les flammes.

Peu de peuples furent aussi remuants que les populations gauloises.
Les révolutions de leur pays les rejetaient toujours sur les contrées
voisines, et leur humeur aventureuse les entraînait plus loin. Le
soleil et les richesses de l'Italie les attirèrent dès l'année 400
avant Jésus-Christ. Vers l'an 390, une de leurs tribus, les Sénons,
s'avancent jusqu'à Clusium en Étrurie; ils réclament des terres;
une députation part de Rome pour jouer le rôle d'arbitre, mais elle
oublie bien vite cette haute mission et combat au lieu de négocier.
Un chef gaulois est même tué par un des députés: on demande à Rome
réparation; le crédit dont jouit la famille du coupable empêche de
faire droit à cette juste demande. Les Barbares marchent alors sur
Rome et rencontrent l'armée romaine à une demi-journée de la ville,
sur les bords de l'Allia. Frappés d'une terreur panique à la vue de
ces sauvages ennemis, les Romains se débandent et courent se réfugier,
partie dans la ville, partie dans les villes alliées. Bientôt les
Gaulois arrivent: ils ne trouvent dans la cité que de vieux magistrats
qui, ne voulant pas fuir et ne pouvant combattre, ont refusé de
s'enfermer dans la forteresse du Capitole. Un des Barbares ayant
touché la barbe du vieux Papirius, celui-ci le frappe de son bâton;
le Gaulois irrité le tue, et dès lors commence le massacre; bientôt
l'incendie le suit et dévore une cité déjà grande qui comptait plus de
trois siècles d'existence.

La citadelle, où tous les hommes qui savent tenir une épée ont accouru
pour défendre la patrie, est assiégée; un jour même, sans le cri des
oies consacrées à la déesse Junon, qui réveillent le brave Manlius
et quelques amis, le Capitole était pris. Les Romains parviennent à
repousser cette attaque, mais épuisés, sans vivres, ils se rendent.
Pour peser la rançon de mille livres d'or, les vainqueurs apportèrent
de faux poids, et leur chef ne répondit aux réclamations qu'en
jetant encore dans la balance sa lourde épée, puis son baudrier, et
en répétant le mot qui retentit souvent dans l'antiquité, où l'on
ne connaissait guère la pitié: «Malheur aux vaincus!» (390 avant
Jésus-Christ). Un vaillant chef, Camille, accourut de l'exil, fit
honte aux Romains de leur lâcheté, rompit tout traité et mit en fuite
l'armée gauloise. C'est du moins le récit de l'historien de Rome,
Tite Live, qui a voulu, adoptant la tradition populaire, couvrir une
défaite réelle par une victoire tardive et douteuse.

Longtemps encore les Gaulois furent la terreur de Rome, et cette
fameuse république n'acheva que deux siècles plus tard la soumission
de ceux qui occupaient le nord de l'Italie. Les Romains passèrent
ensuite les Alpes, formèrent d'abord une province en Gaule, et à
partir de l'année 125, y fondèrent deux villes, Aix et Narbonne.

Puis, un grand capitaine, Jules César, soumit presque tous les peuples
gaulois, de 58 à 52 avant Jésus-Christ. Dans la dernière année
seulement, les Gaulois comprirent la nécessité de l'union et, conduits
par Vercingétorix, essayèrent de repousser l'ennemi commun. Mais,
après une année de lutte, ils essuyèrent, sous les murs d'Alésia, une
défaite irrémédiable.

Les Gaulois, inférieurs aux Romains en discipline, en science
militaire, ne surent pas en outre s'entendre pour leur résister. Jules
César battit les différents peuples les uns après les autres, et en 53
avait à peu près soumis la Gaule.

Mais un peuple qui, de l'aveu de ses ennemis, s'était placé au-dessus
de tous les autres par sa vertu guerrière, ne pouvait, sans une
vive douleur, subir le joug des Romains. Au fond des bois, les plus
importants personnages des cités se réunissent; ils jurent sur les
enseignes militaires de combattre et de mourir plutôt que de perdre la
gloire et la liberté qu'ils ont reçues de leurs pères. Les Carnutes
(habitants de Chartres) doivent donner le signal, et la révolte
éclate, à la fin de l'année 53, par le massacre des Romains établis
dans la ville de Genabum (Gien ou Orléans), sur les bords de la Loire.

En un jour la nouvelle de ce massacre arrive, transmise par des cris
dans les campagnes, jusqu'aux monts d'Auvergne, à Gergovie (près de la
ville actuelle de Clermont).

Là vivait un jeune homme d'une noble et puissante famille,
Vercingétorix. Son père avait tenu le premier rang dans la Gaule,
et ses concitoyens l'avaient fait mourir parce qu'il aspirait à la
royauté. Le fils n'en avait pas moins gardé une foule d'amis et
de clients, qu'il enflamma de son amour de la patrie et à la tête
desquels il se rendit maître de Gergovie. Puis il envoya des députés
pour déterminer les peuples de la Gaule à se soulever: presque tous
répondirent a son appel.

Nommé seul chef des peuples gaulois, Vercingétorix tint tête une année
entière aux armées romaines. César même fut battu sous les murs de la
ville de Gergovie dont il avait essayé de s'emparer. Mais le général
romain reprit l'avantage et força enfin Vercingétorix à se réfugier
dans la ville d'Alésia ou Alise.

Située sur une colline, la cité d'Alise ne pouvait guère être enlevée
d'assaut. César résolut de la prendre par la famine. Les soldats
romains, exercés aux plus durs travaux, creusèrent autour de la
colline d'Alise des fossés et construisirent un retranchement protégé
en avant par de grands rameaux fourchus. En outre, vingt-trois tours
placées de distance en distance le défendaient.

Vercingétorix appela à lui tous les peuples de la Gaule. Deux cent
quarante mille guerriers accoururent pour le délivrer. Mais César
avait prévu cette attaque. De même qu'il avait creusé des fossés
du côté de la ville, il en avait fait creuser aussi du côté de la
campagne et se trouvait garanti en avant et en arrière. Vainement
les Gaulois d'Alise descendirent de leur colline pour combattre
les Romains, tandis que l'armée gauloise du dehors les attaquait.
Assaillis de toute part, mais bien abrités, les Romains résistèrent de
toute part. Après une bataille qui se prolongea trois jours, la grande
armée gauloise fut vaincue, presque anéantie.

Désormais sans espoir, épuisés par la famine, les défenseurs d'Alise
se rendirent à César. Alors un cavalier, paré comme pour la bataille,
sortit de la ville. Il alla droit à un tertre de gazon où s'élevait le
tribunal de César, en fit le tour, s'arrêta devant le vainqueur, jeta
ses armes à ses pieds et garda le silence. C'était Vercingétorix, qui
se livrait aux Romains pour qu'on épargnât la ville. Les principaux
chefs gaulois le suivaient (52 avant Jésus-Christ). Sans se laisser
toucher par une si grande infortune, César les fit tous enchaîner et
jeter en prison. Il emmena plus tard à Rome Vercingétorix, le promena
en triomphe et le fit décapiter.

La résistance ayant cessé, César se montra moins rigoureux: il ménagea
les Gaulois pour les tributs (près de 8 millions de francs seulement),
et encore ce tribut fut déguisé sous le nom de solde militaire. Il
engagea à tout prix leurs meilleurs guerriers dans ses légions; il en
composa une tout entière dont les soldats portaient sur leurs casques
une alouette, d'où son nom, légion de l'Alouette. On ne peut dire s'il
eût mieux valu pour la Gaule garder sa propre civilisation et son
indépendance; mais sous la domination de Rome, elle s'initia bien vite
aux arts, à la riche culture, à l'esprit, au raffinement des Grecs et
des Romains.

Les Romains avaient, à côté des cirques, construit des écoles où les
jeunes Gaulois se pressaient aux leçons de maîtres célèbres. Les
Gaulois d'ailleurs rivalisèrent bientôt avec leurs maîtres dans les
sciences et dans les arts: ils ne parlèrent plus que la langue latine,
qui, persistant à travers les siècles, a contribué à former la langue
française.



                             CHAPITRE II

                              LES FRANCS


Quatre siècles après la conquête, à voir les forêts défrichées, des
routes ouvertes, des villes opulentes, des monuments magnifiques dont
il reste de magnifiques débris, un peuple actif, enrichi, policé,
parlant latin et rivalisant d'esprit, comme d'élégance, avec ses
maîtres, on n'aurait pu reconnaître la Gaule. La religion même avait
changé; vainqueurs et vaincus se rapprochaient, pour la plupart, dans
le culte du vrai Dieu; la foi chrétienne, grâce à l'héroïsme des
martyrs, avait fait reculer et le culte farouche des druides et le
culte honteux des idoles païennes. Mais l'invasion barbare ne tarda
pas, facilitée par les divisions de l'empire et l'affaiblissement des
populations corrompues, à replonger notre pays dans les combats, les
souffrances, la misère et l'ignorance. Des nuées de Germains, venus
du centre de l'Europe, envahissent la Gaule, comme les autres parties
de l'empire, et, à plusieurs reprises, la ravagent en tous sens. Au
cinquième siècle après Jésus-Christ, la domination romaine a presque
disparu dans notre pays. Les Francs dominent au nord; les Burgondes à
l'est; les Wisigoths, venus par le midi, au midi. Puis une nouvelle
invasion, plus terrible encore, menace ces barbares qui commencent
à se fixer, c'est celle des Huns, sortis des steppes de l'Asie. Ils
sont conduits au pillage du monde par un chef terrible, Attila, qui
s'intitule lui-même le _fléau de Dieu_, et foule tellement la terre,
«que l'herbe ne croît plus où son cheval a passé.» Vingt villes de la
Gaule sont détruites. Mais Romains, Francs, Burgondes, Wisigoths, tous
réunis contre l'ennemi de tous, arrivent, repoussent Attila et lui
font essuyer un sanglant désastre dans les plaines de Méry-sur-Seine
(451).

Les Huns vaincus s'enfermèrent dans leur camp derrière leurs nombreux
chariots. Attila se tenait près d'un bûcher autour duquel les Huns
se rangèrent, une torche à la main, prêts à mettre le feu si le camp
était forcé. Mais les coalisés ne commencèrent point l'attaque. Attila
partit, emmenant avec lui comme otage l'évêque de Troyes.

Deux ans après, le roi des Huns mourait, et ce peuple cessa d'être
redoutable.

Parmi les peuples qui avaient combattu les Huns, on avait remarqué
les Francs sous les ordres de Mérovée, chef de la tribu des Saliens,
et qui seul de toute sa tribu portait une longue chevelure, signe
distinctif de la royauté.

Les guerriers francs relevaient leurs cheveux sur le sommet du front
en forme d'aigrette; leur visage était entièrement rasé, à l'exception
de deux longues moustaches qui leur tombaient de chaque côté de la
bouche. Grands, vigoureux, serrés dans leurs habits de toile, ils
ressemblaient par leur visage et leur caractère aux anciens Gaulois,
surtout à ceux des pays du Nord. Ils lançaient avec adresse leur
francisque (hache à deux tranchants) et manquaient rarement l'endroit
qu'ils avaient mesuré de l'œil; ils se servaient aussi d'une pique,
armée de plusieurs crochets recourbés comme des hameçons.

Idolâtres comme les anciens Gaulois, les Francs se faisaient des
images des arbres, des oiseaux, des bêtes sauvages, et les adoraient.
Ils croyaient que les braves allaient dans les palais de leur grand
dieu Odin goûter les joies d'un éternel banquet, et cette croyance les
poussait à braver la mort avec une audace extraordinaire.

=Clovis (481-511).=--Clovis, fils de Childéric, fut, à l'âge de quinze
ans, promené sur un bouclier suivant la coutume des Francs et proclamé
roi (481). Animé d'une ardeur guerrière, il entraîna son peuple à la
conquête de la Gaule. Il attaqua les troupes romaines qui occupaient
encore une partie de la Gaule et les défit avec leur général Syagrius,
près de Soissons (486). Cette ville devint des lors sa capitale.

Clovis n'était guère le maître de ses soldats que pendant le combat.
Les Francs ayant pillé une église de la ville de Reims et emporté un
vase très précieux, l'évêque Remi fit réclamer ce vase. «Suivez-moi
jusqu'à Soissons, dit Clovis aux envoyés, parce que là sera partagé
tout ce qui a été gagné; lorsque ce vase sera tombé dans mon lot, je
remplirai le désir de l'évêque.»

Tout le butin étant réuni, Clovis dit: «Je vous prie, mes braves
guerriers, de ne pas me refuser ce vase en dehors de ma part.»

Les soldats consentaient, lorsque l'un d'eux, plus envieux, refusa et
frappa le vase avec sa hache en disant: «Tu n'auras rien, ô roi, que
ce que le sort t'accordera.» Clovis garda le silence et ne manifesta
point sa colère.

L'année suivante, il passait une revue de ses guerriers et examinait
leurs armes. Lorsqu'il arriva devant le soldat qui avait brisé le
vase: «Nul, lui dit-il, n'a ici des armes aussi mal entretenues que
les tiennes.» Puis, lui prenant sa hache, il la jeta par terre, et
comme le soldat se baissait pour la ramasser, Clovis leva sa propre
hache et lui fendit la tête, en s’écriant: «Qu'il te soit fait ainsi
que tu as fait au vase, l'an passé, dans Soissons!» Il inspira ainsi
une grande crainte.

Clovis épousa en 493 Clotilde, nièce de Gondebaud, roi des Burgondes.
Or Clotilde était chrétienne. Elle s'appliqua à convertir à sa
religion son époux, encore païen.

Clovis avait déjà, grâce à ce mariage, gagné plusieurs villes, entre
autres Paris. Une victoire sur les Alamans le rendit encore plus
docile aux exhortations de la reine et de l'évêque saint Remi. Les
Alamans passaient le Rhin en grand nombre pour prendre aussi leur part
de cette Gaule que les Francs semblaient vouloir s'attribuer tout
entière. Toutes les tribus franques accoururent autour de Clovis, et
la bataille s'engagea à Tolbiac, près de Cologne (496). Les Francs
plient un instant. Clovis, qui avait laissé baptiser deux de ses
enfants, invoque, dit-on, le Dieu de Clotilde et promet de se faire
chrétien s'il est vainqueur. La victoire lui revient et les Alamans
sont rejetés au delà du Rhin. Clovis alors se fit baptiser par saint
Remi, avec 3000 de ses soldats.

Tous les évêques de la Gaule félicitèrent le nouveau converti, et
tout le pays entre la Seine et la Loire se soumit au prince que
l'Église appelait déjà «sa colonne de fer.» Clovis, excité par la
reine Clotilde, toujours préoccupée de venger sa famille détruite
par le cruel Gondebaud, battit ce roi près de Dijon et lui imposa un
tribut. Des lors il domina sur les bords de la Saône.

Restaient les Wisigoths. Les évêques du Midi, que persécutait ce
peuple, appelaient Clovis. Celui-ci réunit ses farouches guerriers et
leur dit: «Je supporte avec grand chagrin que ces impies possèdent
une partie des Gaules. Marchons avec l'aide de Dieu, et, après les
avoir vaincus, réduisons leur pays en notre pouvoir.» Cette nouvelle
expédition plut singulièrement aux guerriers francs: ils approuvèrent;
on passa la Loire. Clovis avait surtout défendu de piller le
territoire de Tours, placé sous la protection spéciale de saint
Martin, alors vénéré comme le plus grand apôtre des Gaules. «Où sera
l'espoir de la victoire si nous offensons saint Martin?» disait Clovis
avec cette dévotion intéressée qui pouvait seule avoir action sur
des barbares. Un soldat, ayant arraché une botte de foin à un pauvre
homme, fut mis à mort. Les heureux augures, les merveilles même se
multiplièrent, si l'on en croit la légende, sur les pas de celui qui
se confiait en la protection de saint Martin.

Pour atteindre l'armée d’Alaric, Clovis remontait la rivière de Vienne
et cherchait un gué: «une biche d'une merveilleuse grandeur» le lui
montre en passant elle-même la rivière. Encore aujourd'hui cet endroit
porte le nom populaire de _Gué de la Biche_. Lorsqu'elle approcha
de Poitiers, l'armée des Francs vit un globe de feu qui paraissait
sortir de l'église d'un autre saint célèbre, Hilaire de Poitiers,
«sans doute, dit le chroniqueur, afin qu'aidés par la lumière du bien
heureux confesseur, ils assaillissent plus hardiment les bataillons de
ces hérétiques contre lesquels le saint évêque avait souvent combattu
pour la foi.» Alaric, roi des Wisigoths, hésitait à engager l'action
contre les Francs; il temporisait, espérant un prompt secours d'autres
barbares d’Italie, les Ostrogoths; mais les chefs n'étaient point
maîtres de leurs armées: «Nous valons bien les Francs en force et en
courage!» s'écrièrent les soldats d’Alaric, et la bataille s'engagea
a Voulon (4 lieues de Poitiers). Alaric était prudent, mais non
lâche; il le prouva en demeurant sur le champ de bataille même après
que ses lignes eurent été enfoncées. Il fut tué de la main même de
Clovis. Celui-ci toutefois courut un grand danger: deux soldats Goths
le frappèrent ensemble de leurs lances; mais les lances ne purent
entamer la cuirasse du chef des Francs qui fut sauvé. En quelques
heures la victoire fut complète et le carnage affreux. «Les cadavres,
dit le chroniqueur, étaient amoncelés en tel nombre, qu'on eût dit
des montagnes de morts.» Tout le midi de la Gaule, avec ses opulentes
cités, tomba au pouvoir des Francs qui, pendant plusieurs mois, ne
cessèrent de ravager le pays.

Les Francs dominèrent alors jusqu'aux Pyrénées. Cependant toutes les
tribus franques ne reconnaissaient pas l'autorité de Clovis. Toujours
rusé et cruel, il se délivra de leurs rois, qu'il fit tuer en secret
les uns après les autres. Il devint ainsi le seul chef des Francs.

Clovis avait fondé un État qui est le plus ancien de tous les États
de l'Europe, et fait de la Gaule la France. Il mourut en l'année 511,
dans la cité de Lutèce, qu'on appelait déjà Paris, et dont il avait
fait sa capitale.

=Les fils de Clovis; partage de la Gaule.=--L’égalité des partages
entre les enfants étant la règle des successions chez les Francs,
les quatre fils de Clovis se divisèrent toutes ses conquêtes comme
un simple butin. Chacun eut sa part de territoire et de trésors, de
villes et d'étoffes précieuses. Il y eut un roi de Paris, Childebert;
un roi de Soissons, Clotaire; un roi d'Orléans, Clodomir; un roi
de Metz, Thierry. Et, de même que Clovis, en vrai barbare, avait
dépouillé ses parents, de même ses fils cherchèrent à se dépouiller
les uns les autres. Les enfants de Clodomir furent massacrés par leurs
oncles Clotaire et Childebert.

Quelques années plus tard, Clotaire et Childebert reprirent contre la
Bourgogne la guerre et soumirent ce royaume (533-534).

=Clotaire I^{er} (558-561).=--Clotaire, d'abord roi de Soissons, puis
de Paris, survécut à ses frères et se trouva en 558 seul possesseur
des pays soumis par les Francs. Cruel, il n'hésita pas à faire périr
son fils Chramne qui s'était révolté contre lui avec l'aide du roi
des Bretons. Chramne, vaincu, fut brûlé dans une cabane où il s'était
réfugié. Clotaire mourut lui-même en 561.

Quatre fils lui restaient. Après sa mort il y eut encore quatre
royaumes. Caribert eut le royaume de Paris; Sigebert, celui de Metz;
Chilpéric, celui de Soissons; Gontran, le royaume de Bourgogne. Plus
violents encore que les fils de Clovis, ces princes, réduits bientôt
à trois par la mort de Caribert (567), se firent bientôt des guerres
acharnées. Au milieu de cette confusion on distingua surtout la
rivalité des deux royaumes de Chilpéric et de Sigebert.

=La Neustrie et l'Austrasie.=--Les Francs du royaume de Chilpéric
(Soissons) et tous ceux qui habitaient de la Somme à la Loire se
mêlaient de plus en plus avec les populations gallo-romaines,
prenaient leurs mœurs et leurs usages. Ils devenaient ainsi de jour en
jour plus différents des Francs du royaume de Sigebert (Metz), de ceux
qui habitaient les pays de l'est, les bords de la Meuse, de la Moselle
et du Rhin. Ceux-ci furent désignés sous le nom d’Austrasiens, les
autres sous le nom de Neustriens. L'animosité de ces deux peuples se
manifesta d'abord par la guerre qu'excita la rivalité de deux femmes
tristement célèbres, Brunehaut, femme de Sigebert, et Frédégonde,
femme de Chilpéric.

Brunehaut, fille d'un roi des Wisigoths et élevée en Espagne dans des
idées toutes romaines, avait voulu imposer ces idées aux guerriers
francs de l'Austrasie. Elle voulait faire disparaître les coutumes
barbares, réparait les voies que les Romains avaient construites et
qu'on laissait tomber en ruine. Mais elle était emportée, avide.
Elle faisait mettre à mort sans jugement les _leudes_[1] dont
elle convoitait les trésors. Elle persécutait les évêques qui lui
reprochaient ses violences. Elle arma même l'un contre l'autre ses
deux petits-fils, Thierry II, roi de Bourgogne, et Théodebert II, roi
d'Austrasie. Théodebert fut saisi et peu après mis à mort. Thierry
II régna alors avec Brunehaut sur l'Austrasie et sur la Bourgogne.
Mais Thierry, que Brunehaut avait laissé s'énerver dans les plaisirs,
mourut tout à coup en 613, et Brunehaut demeura seule avec quatre
arrière-petits-enfants en bas âge. Les leudes pensèrent alors que le
moment était venu de se venger de cette femme ambitieuse et altière.
De son côté, le fils de la cruelle Frédégonde, Clotaire II, trouva le
moment favorable pour attaquer Brunehaut. Celle-ci fut abandonnée par
son armée et bientôt livrée à Clotaire II.

Le roi de Neustrie se montra le digne fils de Frédégonde par le
supplice auquel il soumit la reine vaincue. Pendant trois jours elle
fut exposée aux insultes des soldats, promenée honteusement sur un
chameau, puis attachée à la queue d'un cheval fougueux qui lui brisa
le crane et traîna son cadavre mutilé sur les pierres des chemins. Ce
fut ainsi que mourut, en 613, Brunehaut, fille de roi, épouse de roi,
mère de roi, aïeule et bisaïeule de rois.

=Clotaire II (586-628).=--Le roi de Neustrie, Clotaire II, le fils
de Frédégonde, réunit sous son autorité les deux royaumes et régna
jusqu'en 628, seul maître de toute la Gaule comme l'avaient été
Clotaire I^{er} et Clovis.

=Dagobert I^{er} (628-638); grandeur du royaume franc.=--Son fils,
Dagobert I^{er}, le plus puissant des rois de la famille ou dynastie
de Mérovée, ne fut nullement le prince débonnaire que nous représente
la légende: il avait au contraire forcé les grands à l'obéissance et
se montrait terrible aux méchants. A peine prenait-il le temps de
manger et de dormir, tant le zèle de la justice l'animait. Il était
maître d'un vaste empire qui débordait bien au delà du Rhin. Il
recevait en effet tribut des Alamans, des Thuringiens, des Bavarois et
porta ses armes jusque dans la vallée du Danube où il eut à soutenir
de rudes guerres.

C'était dans sa villa de Clichy, près de Paris, que Dagobert aimait
à résider et à déployer ses richesses. Assis sur un trône d'or, la
couronne sur la tête, il donnait audience comme un véritable empereur.

=Décadence des Mérovingiens; les rois fainéants.=--A la mort de
Dagobert les partages se renouvelèrent ainsi que les guerres civiles.
La famille de Mérovée alla sans cesse en dégénérant, et alors commença
la série des souverains appelés _rois fainéants_: reproche injuste,
car beaucoup n’arrivèrent pas à l'âge d'hommes, et ceux qui y
arrivaient étaient relégués dans quelque villa au fond des forêts. De
loin en loin un chariot traîné par des bœufs les amenait à l'assemblée
générale des guerriers, puis, lorsqu'on leur avait rendu de vains
honneurs, on les renvoyait à leurs chasses et a leurs plaisirs. Les
maires du palais gouvernaient à leur place.

Les maires du palais avaient d'abord été de simples officiers du roi,
juges des querelles qui éclataient dans les villas royales ou entre
les compagnons du roi. Élus par les leudes qu'ils conduisaient aux
combats, ils devinrent les tuteurs des rois enfants, puis les maîtres
de ceux qu'ils avaient élevés. Il y avait un maire du palais dans
chaque royaume. Et les maires combattirent entre eux comme avaient
combattu les rois.

Les maires du palais prenaient si bien la place des rois qu'il n'y
avait même déjà plus, depuis l'année 679, de rois en Austrasie. La
famille de Pépin de Landen, dans laquelle depuis longtemps les leudes
choisissaient les maires du palais, commandait seule aux Austrasiens.
Sous la conduite de guerriers remarquables sortis de cette vaillante
famille, les Austrasiens devinrent de jour en jour plus forts. Une
victoire décisive de leur chef Pépin d'Héristal, remportée à Testry
(en 687), sur les Neustriens, assura aux Austrasiens la domination de
la Gaule.

Il y eut sans doute encore des fantômes de rois en Neustrie, mais de
fait la famille de Pépin d'Héristal remplaçait déjà celle de Clovis.

De cette famille, en réalité maîtresse de la Gaule, sortit le fameux
Charles Martel, l'un des plus grands guerriers de l'époque, qui
renouvela les exploits de Clovis et annonçait ceux de Charlemagne.

Du fond de l'Arabie, péninsule qui tient à l'Asie et à l'Afrique,
un peuple ardent se précipitait à la conquête du monde, poussé par
le fanatisme et la volonté d'imposer partout la religion de son
prophète Mahomet. Celui-ci avait prêché et combattu de 622 à 632;
il avait rompu avec le culte des idoles païennes, mais ne voyait
en Jésus-Christ qu'un grand prophète et dans les Chrétiens que des
infidèles adorant plusieurs dieux. Avec la Bible, l’Évangile, les
poésies arabes, ses propres maximes et des préceptes matériels dictés
par l'intelligence du climat de l'Orient, il avait composé un livre
pour ses disciples, le Coran, où ceux-ci lurent surtout la doctrine
du fatalisme, c'est-à-dire la résignation complète à tout ce qui
peut arriver. Le zèle qui leur était recommandé pour la propagation
de la croyance au vrai Dieu et a son prophète Mahomet, transportait
les Arabes d'un enthousiasme qui excitait encore leur nature mobile
et impétueuse. En moins d'un siècle, ils s'étaient emparés de la
Syrie et de la Perse en Asie; de l'Égypte, de toutes les côtes de
l'Afrique le long de la Méditerranée, enfin de l'Espagne (711).
Bientôt ils convoitèrent la Gaule. Déjà, en 721, ils avaient attaqué
l'Aquitaine et assailli Toulouse. Le duc Eudes, avec les Aquitains et
les Gascons levés en masse, avait défendu sa capitale et gagné une
sanglante bataille. En 732, une invasion plus redoutable se prépare
sous un chef vaillant, Abdérame. Bientôt Abdérame s'empare de Bordeaux
qu'il saccage. Le duc Eudes, qui jusqu'alors n'avait pas voulu faire
soumission au duc des Francs, voyant ce torrent dévastateur se
répandre par toute l'Aquitaine, et ses sujets épouvantés en présence
de ces cavaliers rapides qu'on trouvait partout à la fois, implora le
secours de Charles.

Charles arriva avec les Francs du nord. Les Arabes se trouvaient
en face du dernier rempart de la chrétienté. Cette armée, qu'un
chroniqueur appelle avec raison «l’armée des Européens,» une fois
détruite, la religion de Mahomet (ou autrement l'islamisme), dominera
sur la terre.

=Bataille de Poitiers (732).=--Les Francs n'abordèrent pas sans
étonnement les Arabes, ces ennemis nouveaux, au teint basané, qui,
enveloppés dans des burnous blancs, montaient des chevaux vifs
et ardents. Les cavaliers arabes soulevaient des tourbillons de
poussière, paraissaient et disparaissaient, se repliaient, se
reformaient, pour revenir, avec la rapidité de l'ouragan, frapper
en courant avec leurs cimeterres ou sabres recourbés. Les Arabes, à
leur tour, s'étonnèrent de voir ces hommes du Nord, blonds, grands,
protégés par des casques et des cottes de mailles ou des casaques de
peaux, munis de longues épées, de piques, maniant habilement la hache
et la lançant au loin. Les Francs demeuraient unis, disciplinés,
présentant une forêt de piques comme un mur de fer, et résistaient,
inébranlables, à tous les assauts.

Une habile diversion organisée par Charles contre le camp arabe,
décida le succès de la journée en faveur des Chrétiens. Ne songeant
plus qu'à leurs richesses, les Arabes quittèrent leurs rangs. La nuit
empêcha les Francs de poursuivre leur avantage.

Le lendemain matin, ceux-ci revirent à la même place les tentes
arabes et craignaient une nouvelle bataille; mais les ennemis avaient
disparu; les Francs purent se jeter en toute liberté sur le prodigieux
butin que les ennemis avaient abandonné.

Charles avait frappé si fort qu'il reçut le surnom de Martel
(marteau). A son retour à Paris, il fut accueilli avec enthousiasme
et fit une entrée vraiment triomphale. Les Francs venaient de décider
une grande querelle: ils avaient sauvé la chrétienté et la vraie
civilisation, bien que les vainqueurs parussent moins civilisés et
plus grossiers que les vaincus.

=Pépin le Bref (741-768).=--Charles Martel laissa deux fils, Pépin et
Carloman, qui commandèrent d'abord ensemble aux Francs. Carloman, en
747, se fit moine et Pépin gouverna seul. Il se trouva bientôt assez
puissant pour écarter le fantôme de roi mérovingien que sa famille
avait maintenu. Il fit couper la chevelure du dernier Mérovingien,
Childéric III, qui fut tonsuré comme un clerc et relégué dans un
monastère à Saint-Omer (752 après Jésus-Christ).

Proclamé roi à Soissons, Pépin se fit sacrer par Boniface, archevêque
de Mayence. Il se fit même couronner une seconde fois, à Saint-Denis,
par le pape Étienne II.

Or les Lombards menaçaient Rome. Pépin, reconnaissant de l'appui
que lui avait donné le pape, marcha à son secours et triompha des
Lombards. Il concéda au Saint-Siège la province de Ravenne, et
le pape eut alors une puissance temporelle. Pépin ensuite soumit
définitivement la grande province du Midi, l'Aquitaine. La Gaule
entière obéit dès lors aux Francs.

Pépin était surnommé le Bref à cause de sa petite taille. Mais il
prouva que la force et le courage ne dépendaient pas de la taille.
Un jour il assistait, dans un cirque, avec ses leudes à un combat
d'animaux: un taureau se défendait contre un lion; mais le lion sauta
au cou du taureau et allait le déchirer. Pépin demanda si quelqu'un
oserait porter secours au taureau. Personne n'ayant répondu, Pépin
s’élança dans l'arène et, d'un coup d’épée, abattit la tête du lion.
Les leudes admirèrent la vigueur de leur chef, et nul ne fut mieux
obéi, malgré sa petite taille.



                             CHAPITRE III

                        CHARLEMAGNE (768-814)


Bien qu'il eût lui-même rétabli l'unité de commandement, Pépin le
Bref, avant de mourir, céda encore aux coutumes des Francs, car il
partagea la Gaule entre ses fils Charles et Carloman. Les deux frères
ne vécurent pas en bonne intelligence, mais la mort de Carloman (771)
permit bientôt de rétablir l'unité. Charles écarta les enfants de
Carloman et se fit reconnaître seul chef des Francs. C'est lui qui
devait porter au plus haut degré la gloire de sa famille et mériter
d'être appelé le _Grand_ ou _Charlemagne_.[2]

Charlemagne était né dans un des domaines de Pépin le Bref, sur les
bords du Rhin.

Il fut élevé, comme tous les rois de ce temps, non dans des palais
(il n'y en avait plus), mais dans des fermes établies au milieu des
forêts. Gros, robuste, d'une taille très haute, presque un géant,
il avait dans toute sa personne un air de grandeur et de dignité.
Intrépide et infatigable, toujours en chasse ou en guerre, il ne
quittait presque jamais le cheval et jamais l'épée.

La renommée avait tellement exalté la puissance de Charlemagne que
son aspect seul inspirait la plus vive frayeur, si nous en croyons un
vieux récit.

Sous la conduite de Charlemagne, les Francs sortirent de la Gaule de
tous côtés et soumirent tous les peuples qui occupaient le centre et
le midi de l'Europe.

Afin de délivrer Rome et le pape du danger qui les menaçait sans
cesse, Charlemagne détruisit le royaume des Lombards (774-776). Il
prit alors le titre de roi d’Italie. Il vint à Rome et confirma au
pape Adrien la possession des vastes domaines que Pépin avait accordés
en 756 au pape Étienne II.

Le roi des Francs marchait contre Didier, roi des Lombards, qui avait
recueilli plusieurs de ses ennemis, et parmi eux un ancien officier
de Charles, le comte Oger. Lorsqu'on annonça l'approche des Francs,
Didier monta, avec Oger, sur une des plus hautes tours de la ville de
Pavie: Il aperçut d'abord les bagages et les machines et dit à Oger:
«Est-ce que Charles est dans cette armée?--Non, répondit le comte, pas
encore!»

On vit ensuite l'armée même, la foule des peuples rassemblés des
contrées les plus lointaines. «Vraiment, dit le roi, Charles doit
être au milieu de ces troupes.--Mais non, répondit le comte, pas
encore! pas encore!» Et voici, comme il parlait, qu'on aperçut ceux
qui formaient la garde de Charles et qui ne connaissaient pas le
repos. «Est-ce Charles? s’écrie Didier étonné.--Non, dit Oger, pas
encore. Quand tu verras, ajouta-t-il, la moisson frémir d'horreur dans
les champs et le fleuve refléter la couleur du fer, alors tu pourras
croire à l'arrivée de Charles.»

Il n'avait pas encore fini de parler qu'on crut apercevoir un nuage
ténébreux. Charles approchait et de ses armés sortait un éclat
sinistre. Il apparut enfin, couvert de fer, avec son casque de fer,
portant de sa main gauche une lance de fer et sa main droite appuyée
sur son invincible épée. Tous ceux qui marchaient devant lui, à ses
côtés, derrière lui, avaient le même aspect terrible.

«Le voici! le voici! celui que tu demandais!» s'écria Oger, et tous
deux tombèrent évanouis.

Charlemagne enveloppa de son armée la ville de Pavie. La famine et la
maladie décimèrent les défenseurs de la cité, qui fut obligée de se
rendre.

Didier vint lui-même se livrer à Charlemagne, qui le fit enfermer pour
le reste de ses jours dans un cloître, ainsi qu'Oger.

=Guerres en Espagne contre les Arabes.=--Charlemagne franchit les
Pyrénées et refoula au delà de l'Èbre les Arabes d'Espagne (778).
Mais, au retour, son arrière-garde fut écrasée dans la vallée de
Roncevaux par les Basques ou Vascons qui occupaient les montagnes et
firent rouler sur les Francs d'énormes quartiers de rocs. Là périt le
neveu de Charlemagne, Roland, que les poètes célébrèrent beaucoup et
vantèrent comme le modèle des guerriers.

Selon les légendes, un traître, Ganelon, aurait indiqué aux ennemis la
route que le neveu de Charles devait prendre, et ceux-ci l'attaquèrent
au passage de Roncevaux. De tous côtés les traits pleuvaient, des
arbres entiers déracines, des quartiers de roches étaient précipités
sur les Francs entassés dans l'étroite vallée. Roland, qui combattait
vaillamment, sonna de son cor pour avertir Charlemagne. Le bruit en
arriva jusqu'aux oreilles de Charles: «C'est mon neveu qui m'appelle,
dit-il avec inquiétude.--Non, dit Ganelon qui l'accompagnait, votre
neveu chasse à travers la montagne.» Et le roi continua sa route.

Roland sonna si fort que les veines de son cou se rompirent. Sur le
point de mourir, il ne voulait pas que sa terrible épée, sa Durandal,
comme on l'appelait, tombât entre les mains des ennemis; il chercha un
rocher pour la briser; ce fut, disent les poètes, l’épée qui fendit le
rocher. Ne pouvant briser Durandal, Roland la jeta dans une fontaine
où elle doit rester, toujours d'après la légende, jusqu'à la fin des
temps.

Charlemagne avait fini par comprendre les sons désespérés du cor de
Roland; il était revenu en toute hâte sur ses pas, mais trop tard, et
ne put que venger la mort de son neveu.

=Guerres contre les Saxons.=--Mais la guerre la plus longue, la plus
acharnée que Charlemagne eut à soutenir, fut la guerre contre les
Saxons. A dix-huit reprises différentes, dans l'espace de trente-trois
ans, il pénétra dans le pays compris entre le Rhin et l’Elbe.

Charles s'appliqua surtout à convertir les Saxons à la religion
chrétienne. Il détruisit leurs bois sacrés, renversa leurs idoles,
entre autres l’Irminsul, tronc d'arbre énorme et sculpté en forme de
statue.

Un chef surtout avait excité les Saxons à la résistance, Witikind.
Ardent, infatigable, habile, Witikind se dérobait à toutes les
recherches: quand il ne pouvait plus lutter, il se retirait chez les
Danois et reparaissait dès que Charlemagne s'éloignait.

Le bruit du désastre de Roncevaux étant parvenu jusque dans la Saxe,
Witikind souleva toute la Germanie et osa se montrer sur les bords du
Rhin (778). Charles fut obligé de recommencer la conquête du pays.
Il y resta trois années pour y fonder des monastères, y bâtir des
châteaux forts, y créer des évêchés.

Charles alors croit pouvoir s’éloigner. Mais Witikind reparait et
détruit une armée franque. Charles aussitôt revient au milieu des
Saxons en ennemi irrité et inflexible. Witikind lui échappe encore,
mais quatre mille cinq cents prisonniers sont décapités en un seul
jour à Verden (782).

Ce terrible massacre fut le signal d'une nouvelle guerre sans merci.
Les Saxons, épuisés, à la fin se soumirent. Witikind, ne trouvant plus
de soldats, fatigué lui-même et apprenant que Charles lui ferait grâce
s'il voulait se convertir, vint reconnaître l'autorité de Charlemagne
et recevoir le baptême à la villa royale d’Attigny sur Aisne (785).

La soumission de Witikind termina la grande guerre de Saxe. Plusieurs
tribus se révoltèrent encore plus d'une fois jusqu'en l'année 804, et
Charlemagne, las de vaincre et de punir «cette race au cœur de fer,»
dut transplanter des milliers de familles en d'autres régions et
changer les habitants de la Saxe. C'est ainsi que le redoutable roi
des Francs créa le pays qu'on a depuis appelé l'Allemagne.

Le roi des Francs se trouvait à Rome au moment ou l'on célébrait le
huit centième anniversaire de la naissance du Christ, et c'était
précisément le premier jour de l'an 800, car on comptait alors les
années à partir de Noël. Pendant la messe, comme Charles priait
agenouillé dans l'église de Saint-Pierre et Saint-Paul, le pape
Léon III, tenant une couronne d'or, alla tout à coup la lui placer
sur la tête en disant: «A Charles très pieux, auguste, couronné de
Dieu, grand et pacifique empereur des Romains, vie et victoire!» Les
guerriers francs, flattés dans leur orgueil, s'unirent aux Romains
pour répéter avec enthousiasme: «A Charles, empereur des Romains, vie
et victoire!»

Le pape se prosterna devant le nouvel empereur d'Occident, qui revêtit
un costume magnifique: tunique ornée de broderies, manteau fleuri de
rameaux d'or, brodequins étincelants de pierres précieuses. Et toute
la ville de Rome fut en joie: elle se croyait rappelée à son antique
splendeur.

Cette pompe toutefois, cette magnificence plaisaient peu au redoutable
guerrier. En dehors des cérémonies, Charles conserva ses habitudes
simples et le grossier costume des soldats francs. Ses compagnons
aimaient au contraire à se parer des riches vêtements qu'ils avaient
trouvés en abondance dans les villes d'Italie.

Or, un dimanche, après la messe, Charles dit à ses compagnons: «Sans
entrer au logis, vêtus comme nous le sommes, partons pour la chasse.»
Il tombait une pluie fine et froide. Tout le jour on courut sous la
pluie, dans les broussailles, au milieu des bois; les vêtements fins
et délicats furent trempés, déchirés. Charles ordonna à ses compagnons
de reparaître le lendemain devant lui avec le même costume. Ils
se présentèrent tout honteux de leur triste équipage, et Charles
plaisanta ses compagnons sur leurs somptueuses guenilles.

Charles n'aurait point mérité le surnom de Grand, s'il n'eût effacé la
barbarie du conquérant par la sagesse du législateur; il s'appliqua
à faire régner dans son vaste empire l'ordre et la justice. «Une
chronique raconte qu'il avait fait suspendre une cloche à la porte
de son palais; tous ceux qui voulaient former appel à sa justice,
sonnaient cette cloche et le roi, suffisamment averti, leur donnait
audience tous les jours. La nuit même, car il avait l'habitude de se
lever et de s'habiller plusieurs fois durant la nuit, Charles faisait
introduire dans sa chambre des plaideurs de toutes conditions, les
priait d'exposer leurs griefs mutuels et se prononçait comme en plein
tribunal sur la question en litige.»

Il établit dans les provinces, des comtes, des vicaires, des juges.
Il avait l'œil et la main partout. Des envoyés royaux devaient, à
chaque saison de l'année, parcourir les provinces et réprimer les
excès des officiers. Au printemps et à l'automne, à la veille ou au
retour de ces expéditions, l'empereur tenait les assemblées ordinaires
chez les Francs; c'est là qu'il publiait ses _capitulaires_, lois
diverses qui réglaient la police de l'État ou l'administration de
ses fermes. Charles n'avait d'autres revenus que ceux de ses vastes
domaines; aussi le voit-on s'occuper, en même temps que de l'ordre de
la société, de la vente de ses bœufs et de ses porcs, des œufs de ses
basses-cours, des poissons de ses étangs, des foins de ses prairies,
même du superflu des légumes de son jardin. «Un père de famille,
a-t-on dit avec raison, pourrait apprendre dans ses lois à gouverner
sa maison.»

Ce guerrier redoutable connaissait le prix de la science. Il étudia
sa langue maternelle, il apprit le latin; sa rude main, si habituée à
manier l'épée, s'exerçait à conduire le stylet sur les tablettes et à
tracer d'informes caractères. Il s'entoura de savants qui formaient
dans son palais comme une Académie.

Charlemagne avait établi une école dans son palais même pour les
enfants de ses leudes et des serviteurs de son palais. Il la visitait
souvent. Les enfants les plus pauvres étudiaient avec ardeur. Charles
leur dit un jour: «Je vous loue beaucoup, mes enfants, de votre zèle à
remplir mes intentions et à rechercher de tous vos moyens votre propre
bien. Maintenant, efforcez-vous d'atteindre à la perfection, alors je
vous donnerai de riches évêchés, de magnifiques abbayes.» Puis il se
tourna vers les enfants des grands, et d'une voix terrible il s'écria:
«Quant à vous, fils des principaux de la nation qui, vous reposant sur
votre naissance et votre fortune, avez négligé mes ordres et le soin
de votre propre gloire dans vos études, si vous ne vous hâtez pas de
réparer par une constante application votre négligence passée, vous
n'obtiendrez jamais rien de Charles!»

La renommée du puissant empereur s'était répandue au loin. Le monarque
le plus puissant de l'Asie, le chef du grand empire arabe, le calife
Haroun-al-Raschid (Haroun le Juste), lui envoya plusieurs fois des
ambassades et des présents d'une merveilleuse richesse. Parmi ces
présents, ce qui étonna le plus les Francs, ce fut un éléphant, animal
qu'ils n'avaient jamais vu, et une horloge mécanique avec des figures
qui se mettaient en mouvement pour sonner les heures.

Charles mourut en 814 à Aix-la-Chapelle, ville qu'il aimait à cause de
ses sources d'eau chaude, et où il avait élevé une grande église. On
déposa son corps dans la crypte de cette église et on l'enferma dans
un caveau, assis sur un trône de marbre, la couronne d'or sur la tête,
un sceptre d'or entre ses mains.



                             CHAPITRE IV

 LOUIS LE PIEUX--LE TRAITÉ DE VERDUN--CHARLES LE CHAUVE--LES NORMANDS


=Louis le Pieux ou le Débonnaire.=--La famille de Charlemagne déclina
plus vite encore qu'elle n'avait grandi. L'empire qu'il avait formé
était trop vaste et se démembra dès le règne même de son fils, Louis
le Débonnaire (814-840). Louis était si faible qu'il ne sut pas même
maintenir son autorité dans sa famille. Incapable de porter seul
le fardeau que lui avait légué son père, il partagea tout de suite
l'empire entre ses trois fils, Lothaire, Pépin et Louis. Un de ses
neveux, Bernard d'Italie, protesta contre ce partage, les armes à
la main. Vaincu, il eut les yeux crevés par ordre de l'empereur et
succomba aux suites de cet horrible supplice (818). Pour expier cette
cruauté, Louis se soumit à une pénitence publique à Attigny, s'humilia
devant les évêques et commença à avilir aux yeux des peuples la
dignité impériale.

Louis le Débonnaire, ayant eu d'un second mariage un quatrième fils,
Charles, voulut aussi lui donner un royaume. Les autres fils alors se
révoltèrent en 830, et déposèrent l'empereur.

En l'an 833, a si peu de distance de la mort de Charlemagne, l'église
de Saint-Médard de Soissons fut le théâtre d'une cérémonie bien
différente de celle qui avait eu lieu à Rome en l'an 800. Louis le
Débonnaire, détrôné une première fois en 830, venait d'être renversé
une seconde fois par ses fils. Lothaire, auquel l'empereur, abandonné
de son armée, s'était rendu, se montra sans pitié pour son père.
Voulant le rendre incapable de régner, il l'obligea de faire, dans
l'église de Saint-Médard de Soissons, une confession publique de ses
fautes. On lui enleva tous les insignes de la dignité impériale, même
le baudrier et les armes du guerrier. Louis dut revêtir le costume de
pénitent et demeurer dans le cloître (833).

Les peuples, encore pleins du souvenir de Charlemagne, protestèrent
contre cette humiliation infligée à l'empereur et contre cet outrage
fait à un père par ses enfants. Louis le Germanique et Pépin
comprirent bientôt qu'ils n'avaient travaillé que pour leur aîné et
ne voulurent point reconnaître son autorité. Ils délivrèrent Louis le
Débonnaire, le ramenèrent à Saint-Denis, et le revêtirent de nouveau
des ornements impériaux (834). Cependant les guerres recommencèrent.
L'empereur mourut en combattant son fils Louis le Germanique. «Je lui
pardonne, disait-il tristement, mais qu'il sache qu'il me fait mourir.»

=Les fils de Louis le Débonnaire (840-843).=--Des fils qui avaient
outrage l'autorité paternelle ne pouvaient se respecter les uns les
autres. Ils luttèrent entre eux comme ils avaient lutté contre leur
père.

Pépin était mort, mais Louis le Germanique, Charles et Lothaire se
disputèrent les provinces de l'empire. Charles et Louis se liguèrent
contre leur aîné, Lothaire, qui seul portait le titre d'empereur. Ils
le battirent à la journée de Fontanet (841), près d'Auxerre. Dans
chaque camp il y avait des hommes de même nation, et on vit ainsi
se battre frères contre frères, Francs contre Francs, Saxons contre
Saxons. Charles et Louis demeurèrent vainqueurs.

Les deux frères resserrèrent leur union par un serment mutuel qu'ils
prononcèrent devant leurs armées, à Strasbourg, l'un en langue
germanique, l'autre en langue romane (ou romaine) (842). Lothaire
consentit alors à un partage définitif, à Verdun, en 843. Louis le
Germanique conserva tous les pays au delà du Rhin (Saxe et Bavière) et
qui devaient former l'Allemagne.

Charles garda les pays qu'il gouvernait, c'est-à-dire la Gaule, mais
non dans toute son étendue. Lothaire conservait l’Italie et recevait,
en outre, les pays compris entre la Meuse et le Rhin, entre la Saône
et le Jura, entre le Rhône et les Alpes (Belgique, Lorraine, Alsace,
comté de Bourgogne, Dauphiné et Provence).

Ce partage de famille, semblable à tous ceux qui s'étaient faits
jusqu'alors, eut cependant les plus déplorables conséquences. Les
pays qui formaient la part de Lothaire n'étant rattachés ni à la
Gaule, ni à la Germanie, et trop divers pour devenir eux-mêmes un
État, devaient être la cause de guerres sans fin. La Bourgogne, le
Dauphiné, la Provence firent plus tard retour à la Gaule comme la
nature l'indiquait; mais le territoire entre la Meuse et le Rhin, la
riante vallée de la Moselle, la pittoresque et riche vallée du Rhin,
restèrent un éternel sujet de discorde entre la France qui réclame et
l'Allemagne qui détient aujourd'hui ces pays jadis gaulois, romains et
francs.

=Charles le Chauve (843-877).=--Prince faible, Charles le Chauve, qui
avait reçu la Gaule mutilée, ne pouvait même y exercer son autorité.
Les ducs et les comtes établis dans les provinces s'y déclaraient
souverains. La France allait se décomposant en petits États. Pour
comble de malheur, arrivaient de nouveaux barbares, les Normands.

=Les Normands.=--Nommés ainsi parce qu'ils venaient des pays du nord,
de la Scandinavie, les Normands étaient d'intrépides marins, habiles
à manier la rame et la voile. Leurs chants ordinaires suffisent à
les peindre: «Que le pirate dorme sur son bouclier, le ciel bleu lui
sert de tente.--Quand le vent souffle avec furie, hisse ta voile
jusqu'au haut du mât. Les vagues bouleversées repoussent le pirate;
laisse aller; qui amène sa voile est un lâche: mieux vaut mourir.--Si
le marchand passe, protège son navire, mais qu'il ne refuse pas
le tribut. Tu es le roi sur les vagues, il est l'esclave de son
gain.--Les blessures honorent le pirate; elles parent l'homme quand
elles se trouvent sur sa poitrine ou sur son front.»

Ces rois de la mer, montés sur leurs barques grossièrement construites
et ornées à l'avant de figures de serpents et de chevaux, arrivent à
l'embouchure des fleuves: ils se saisissent d'un îlot ou d'un poste de
difficile accès qui leur sert de cantonnement, de retraite en cas de
besoin. Le jour, ils restent immobiles dans des baies solitaires ou
cachés dans les forêts du rivage; la nuit, ils abordent, escaladent
couvents et châteaux forts, pillent le pays, organisent une sorte de
cavalerie avec les chevaux qu'ils rencontrent et courent en tous sens
jusqu'à trente ou quarante lieues de leur flotille. A la vue de ces
guerriers couverts d'un tissu de lames de fer disposées en écailles,
armés d'une lourde hache, d'une épée à deux tranchants ou d'une longue
lance, l'effroi des populations est indicible; les prières de l'époque
l'attestent: «De la fureur des Normands délivrez-nous, Seigneur!»
s'écriaient-elles dans leur terreur.

Cette faiblesse les enhardissait: Paris, Orléans, Toulouse furent
pillés; les Normands perdent même l'habitude de retourner dans leur
pays pendant l'hiver. Une seule famille se distingue par son courage
contre ces ravageurs, celle de Robert le Fort, comte d'Anjou. Robert
acquit une grande renommée en repoussant les pirates, mais il périt au
combat de Brissarthe (865) près d'Angers.

=L'empereur Charles le Gros (884-888).=--Le fils de Charles le Chauve,
Louis le Bègue, ses petits-fils Louis III et Carloman ne firent que
passer sur le trône. La Gaule tomba sous l'autorité d'un descendant de
Louis le Germanique, l'empereur Charles le Gros, qui reconstitua, en
884, l'empire entier de Charlemagne. Mais ce prince qui méritait bien
son surnom était aussi faible en Germanie qu'en Gaule.

Dans l'été de 885, une nombreuse flottille normande conduite par deux
redoutables chefs, Godefried et Siegfried, remonta le cours de la
Seine. Elle comptait plus de trois mille barques longues et plates
qu'ornaient de grossières figures de serpents ou de dragons. Instruits
par les malheurs précédents, les Parisiens avaient protégé, par des
tours, sur chaque rive du fleuve, les deux ponts qui mettaient leur
île en communication avec le pays. Deux cents seigneurs, avec leurs
hommes, avaient répondu à l'appel du comte de Paris Eudes, digne fils
de Robert le Fort, et s'étaient enfermés dans la ville. Aussi le roi
des pirates, Siegfried, essaya-t-il de négocier: il ne demandait que
le passage pour aller en Bourgogne. Mais l'évêque de Paris, Gozlin,
lui répondit: «L'empereur Charles nous a donné Paris à garder; si par
hasard la défense de ses murs eût été confiée à ta foi, ferais-tu pour
nous ce que tu demandes pour toi?--Si je le faisais, s'écria fièrement
le barbare, ma tête devrait tomber sous la hache et être jetée aux
chiens.» Les Normands commencèrent le siège (novembre 885).

Un an entier les Parisiens repoussèrent les assauts des pirates.
Une crue subite de la Seine emporta une partie du Petit-Pont, et
douze guerriers restèrent isolés dans la tour construite sur la rive
gauche: un jour entier ils tinrent tête à l'armée des barbares qui
finirent par incendier la tour. Les douze Parisiens se retirèrent sur
les débris du pont et continuèrent à combattre: sur la foi qu'ils
auraient la vie sauve, ils se rendirent; mais ils furent massacrés, et
l'un d'eux, Hérivée, qu'on voulait épargner, refusa noblement de se
racheter par une rançon.

Cependant la misère de Paris croissait, car la famine était venue,
et la peste. L'évêque Gozlin, qui soutenait les combattants par ses
prières et son exemple, mourut. Alors le comte Eudes s'échappa pour
aller solliciter le secours de l'empereur Charles le Gros. Eudes
parvint ensuite à rentrer dans la ville, malgré les Normands. Enfin,
au mois d'octobre (886), sur les hauteurs de Montmartre, parut l'armée
de Charles lui-même: les Parisiens s'attendaient à voir exterminer
leurs ennemis. Charles, au lieu de combattre, acheta la retraite des
Normands au prix de sept cents livres d'argent.

Charles le Gros montrait partout la même lâcheté. Aussi les grands de
tous les pays l'abandonnèrent et le déposèrent à la diète de Tribur en
Allemagne (887). On ne lui nomma pas de successeur comme empereur, et
chaque nation se choisit un chef particulier: l'empire de Charlemagne
était à jamais détruit. La Gaule donna la couronne au vaillant
défenseur de Paris, le duc des Francs, Eudes. L’Italie se partagea
entre plusieurs princes. Tout le monde d'ailleurs voulait devenir
roi: il y avait des rois de Bourgogne, de Provence, de Lorraine, de
Navarre, etc., mais en réalité trois grandes nations sortirent seules
de ce démembrement de l'empire carolingien: la nation française, la
nation italienne, la nation allemande.

Eudes, proclamé roi des Francs en 887, régna jusqu'en 898. Mais s'il
commençait dans la Gaule devenue la France, une nouvelle famille
de rois, les descendants de Charlemagne conservaient encore des
partisans: un petit-fils de Charles le Chauve, Charles le Simple,
succéda au roi Eudes.

=Charles le Simple (898-922).=--Ce prince qui méritait bien son
surnom, car il était naïf et simple d'esprit, mit fin pourtant, en 912
par le traité de Saint-Clair-sur-Epte, aux incursions des Normands:
il concéda à leur chef Rollon, qui se fit baptiser et épousa la fille
de Charles, les rives verdoyantes et fertiles de la basse Seine: ce
pays forma dès lors le duché de Normandie.

Grâce à la sévérité de Rollon, les Normands perdirent leurs habitudes
de pillage, la sécurité revint et les anciennes populations, soumises
à leur autorité, travaillèrent avec une telle ardeur que la Normandie
devint rapidement une des plus riches provinces.

Charles le Simple, comme ses prédécesseurs, affaiblissait par ses
libéralités le domaine royal, sans pour cela empêcher les grands de
se révolter contre lui. Il fut renversé du trône en 922 et mourut, au
château de Péronne, captif d'Héribert, comte de Vermandois.

=La famille d'Eudes; les ducs des Francs.=--La famille d'Eudes,
au sein de laquelle s'était maintenu le titre de duc des Francs,
l'emporta de nouveau jusqu'en 936 avec Robert I^{er} (922-923), Raoul
de Bourgogne (923-936). Mais le petit-fils d'Eudes, Hugues, comte de
Paris, duc des Francs, et connu dans l'histoire sous le nom de Hugues
le Grand, ne jugea pas encore venu le moment de déposséder tout à fait
la famille de Charlemagne. Il rappela lui-même d'Angleterre où on
l'avait emmené, le jeune fils de Charles le Simple, Louis IV, surnommé
pour cette raison d'Outre-mer (936). Toutefois il entendait bien
gouverner comme avaient fait jadis les maires du palais.

A la mort de Louis IV, Hugues ne chercha pas non plus à prendre une
couronne qui ne pouvait tarder à échoir à sa famille; il reconnut
Lothaire, fils de Louis. Il mourut lui-même en 956, laissant trois
fils, dont l'aîné, Hugues Capet, recueillit, avec le comté de Paris,
le titre de duc des Francs. Lothaire (954-986) était un prince actif
qui ne put cependant secouer la tutelle de Hugues Capet. Il mourut en
986.

Hugues Capet fit reconnaître le jeune Louis V. Mais Louis V mourut, au
bout d'un an, à la suite d'un accident de chasse. Les seigneurs alors,
rejetant les prétentions de son oncle, Charles de Lorraine, élurent
pour roi Hugues Capet comte de Paris et duc des Francs. Ce fut le chef
d'une famille qui devait régner durant huit siècles.



                              CHAPITRE V

                             LA FÉODALITÉ


=Les seigneurs et les fiefs.=--Hugues Capet proclamé roi, en 987,
n'avait reçu qu'un vain titre: il n'était rien, car tous les seigneurs
étaient rois. Les seigneurs, c'étaient les anciens compagnons, les
anciens leudes du prince. Les rois francs avaient donné à leurs
compagnons, pour les récompenser de leurs services, des chevaux, des
armes, puis des terres, des forêts, de vastes domaines. Ceux qui
étaient ainsi récompensés devaient engager leur fidélité au roi,
leur _foi_. Les terres données ainsi s'appelèrent les _fiefs_, et du
mot _féod_ nous avons fait féodal. La société fut appelée _société
féodale_, et nous nommons ce régime _la féodalité_.

Celui qui recevait un fief s'agenouillait devant son seigneur. Il
jurait d'être son _homme_. Quelques-uns, trop fiers ou trop puissants,
restaient debout en prêtant serment. Le seigneur, à son tour,
remettait à son homme une motte de gazon, un rameau d'arbre comme
symbole de la terre que l'autre reconnaissait devoir à sa générosité.
S'il s'agissait d'un grand fief, duché ou comte, le symbole était un
étendard. Le vassal était obligé de suivre son suzerain à la guerre,
de contribuer à sa rançon s'il tombait aux mains de l'ennemi, de
l'assister quand il rendait la justice. Le suzerain, en retour, devait
protection à son vassal et à sa famille.

=Le château.=--Les seigneurs étaient cantonnés dans des châteaux; ces
forteresses ne furent d'abord que des palissades entourées d'un fossé
destiné à défendre le pays contre les Normands. Aux palissades les
seigneurs substituèrent des murs en pierre d'une épaisseur énorme. Les
murs furent flanqués de tours crénelées, et enveloppèrent souvent une
vaste étendue de terrain, de vastes magasins, une ferme, quelquefois
même un bourg entier. Le seigneur se sentait fort dans son château.
Au sommet de la plus haute tour veillait sans cesse le _guetteur_.
Sitôt qu'il apercevait au loin une troupe suspecte, il sonnait une
cloche. Les cors retentissants remplissaient de bruit les cours et les
salles. Les guerriers se revêtaient de leurs lourdes armures de fer.
Les archers se plaçaient derrière les créneaux; le pont-levis était
relevé, la herse abaissée.

Si l'ennemi n'était pas en grand nombre, le seigneur sortait à son
tour avec ses hommes: il repoussait ceux qui venaient envahir son
domaine et pénétrait dans celui de son ennemi, brûlant, pillant,
rendant ravage pour ravage.

L'hiver, il fallait vaincre l'ennui. C'est alors que la châtelaine
organisait des fêtes, des jeux, appelait des musiciens, ou
_ménestrels_. Un nain ou un être difforme, nommé le fou, avait mission
d'exciter le rire par ses grimaces et ses bons mots. On se réjouissait
surtout lorsque arrivait au château un de ces poètes appelés
_trouvères_[3] qui s'en allaient chantant les exploits de Charlemagne
et de Roland.

Au pied des châteaux se groupèrent les maisons des hommes dépendant
du seigneur et cultivant les terres. Ces maisons formèrent les bourgs
quand elles étaient pressées les unes contre les autres et enceintes
d'une palissade ou d'un mur, et les villages, quand elles étaient
éparses dans la campagne.

Le seigneur possédait non seulement la terre, mais les gens qui
travaillaient la terre. Les vilains devaient moissonner ses blés,
rentrer ses foins, bâtir sa demeure, réparer ses chemins sans la
moindre rétribution: c'était la corvée.

Seul le seigneur pouvait chasser en tout temps sans souci des
récoltes: c'était le droit de chasse.

Seul il avait le privilège d'avoir des pigeons qui vivaient aux dépens
des champs d'alentour: c'était le droit de colombier.

Dans ses voyages, il se faisait héberger ou il voulait: c'était le
droit de gîte.

Les vilains ou roturiers, en acquittant ces droits, ces corvées,
gardaient une certaine liberté. Ils pouvaient avoir une cabane, une
terre, s'enrichir même s'ils avaient affaire à des seigneurs doux et
pacifiques.

Au-dessous d'eux, les serfs, plus malheureux, rappelaient les esclaves
antiques. C'étaient les descendants de prisonniers de guerre ou
d'hommes réduits en servitude pour certains crimes, parce qu'ils
n'avaient pu payer l'amende, ou de pauvres gens qui s'étaient livrés
corps et biens, à cause de l'affreuse misère. D'autres, par piété ou
par repentir, s'étaient déclarés serfs des églises, des abbayes.

Le serf était comme la terre qu'il cultivait, la propriété absolue de
son maître qui pouvait le donner, l'échanger ou le vendre, comme bon
lui semblait. Les enfants d'un serf devenaient serfs en naissant. Si
un homme libre épousait une femme serve, il tombait en servitude. Le
seigneur pouvait séparer le serf de sa femme, de ses enfants, échanger
ces malheureux comme un vil bétail.



                             CHAPITRE VI

                     LES CROISADES--LA CHEVALERIE


=Les premiers Capétiens (987-1108).=--Les premiers Capétiens ne purent
remédier au désordre de la société. C'est à peine s'ils étaient égaux
aux autres seigneurs. Hugues Capet (987-996) écrivait à Adelbert,
comte de Périgord, qui refusait d'obéir. «Qui t'a fait comte?» L'autre
répondit insolemment «Qui t'a fait roi?»

Son fils Robert eut la piété d'un moine, non la fermeté d'un roi.
Les guerres devinrent si nombreuses, les famines si affreuses, qu'on
crut à une prédiction qui annonçait la fin du monde pour l'an 1000.
Cette terreur augmenta la puissance et la richesse de l'Église à
laquelle les seigneurs, pour obtenir le pardon de leurs fautes,
firent de grandes générosités. L’Église, du reste, chercha à remédier
au désordre affreux de la société. Sous le règne de Henri I^{er}
(1031-1060), elle publia la _Trêve de Dieu_ (1041). La guerre était
interdite du mercredi soir au lundi matin de chaque semaine, durant
le carême et l'avent. Après Henri I^{er} règne Philippe I^{er}
(1060-1108), qui demeure presque toujours renfermé dans ses châteaux
ou occupé à combattre les vassaux de son domaine.

=Conquête de l'Angleterre par les Normands.=--Guillaume, duc
de Normandie, était le parent d'un roi saxon qui régnait sur
l'Angleterre: il prétendit à son héritage. En 1066 il réunit autour
de lui ses vassaux et appela une foule d'aventuriers, leur promettant
argent et domaines. Avec une flotte nombreuse, il traversa la Manche
et aborda sur la côte méridionale de la grande île. Le duc ne vint à
terre que le dernier de tous, il fit un faux pas et tomba sur la face.
Un murmure s'éleva; des voix crièrent: «Dieu nous garde! C'est mauvais
signe.» Mais Guillaume, se relevant, dit aussitôt: «Qu'avez-vous?
Quelle chose vous étonne? J'ai saisi cette terre de mes mains et, par
la splendeur de Dieu, tant qu'il y en a, elle est à vous.»

Les Saxons avaient élu pour roi Harald auquel on conseillait d'éviter
le combat et de faire retraite vers Londres en ravageant tout le pays
pour affamer les étrangers. «Moi, répondit Harald, que je ravage le
pays qui m'a été donné en garde! Par ma foi, ce serait trahison et je
dois plutôt tenter les chances de la bataille avec le peu d'hommes que
j'ai, mon courage et ma bonne cause.»

L'armée de Guillaume se trouva bientôt, à Hastings, en vue du camp
saxon qui était assis sur une longue chaîne de collines et fortifié
par un rempart de pieux et de claies d'osier. Un Normand, appelé
Taillefer, poussa son cheval en avant du front de bataille et entonna
le chant, fameux dans toute la Gaule, de Charlemagne et de Roland. En
chantant, il jouait avec son épée, la lançait en l'air avec force et
la recevait dans sa main droite. Les Normands répétaient ses refrains
et criaient: «Dieu aide! Dieu aide!»

La bataille fut vive et acharnée, mais les Saxons, ayant commis
l'imprudence de quitter leurs retranchements, furent vaincus. Harald
périt au milieu de la mêlée; beaucoup de Saxons ne voulurent point
survivre à ce désastre et se défendirent jusqu'à la mort. Guillaume,
maître du pays, y fixa les Normands et partagea les terres entre ses
soldats. La langue française se parla au delà de la Manche, et la
langue anglaise en a retenu quantité de mots et d'expressions.

=La première croisade (1095-1099).=--On vit bientôt des expéditions
autrement grandes et fameuses. La Palestine avec Jérusalem était
devenue la proie des Arabes musulmans, puis des Turcomans,[4] bien
plus farouches.

Or les chrétiens allaient en grand nombre visiter Jérusalem et les
lieux saints. C'était le pèlerinage, comme on disait. Les chrétiens
qui accomplissaient ce pèlerinage furent exposés à de violents
outrages. Un pèlerin français, Pierre l'Ermite, vint raconter aux
peuples de l'Europe ces persécutions, les excitant à la guerre
sainte. Pierre l'Ermite s'appelait de son vrai nom Pierre d'Achères
(des environs d'Amiens). Il avait été guerrier, puis s'était fait
ermite, d'où son surnom de Pierre l'Ermite. Ayant fait le pèlerinage
de la Terre Sainte, il fut vivement ému des souffrances des chrétiens
d'Orient et vint les raconter au pape Urbain II. Encouragé par lui,
Pierre l'Ermite traversa l’Italie, puis la France. Monté sur une
mule, un crucifix à la main, les pieds nus, portant une pauvre
robe attachée par une grosse corde, il prêcha la guerre contre les
infidèles et appela les chrétiens à la délivrance du tombeau du Christ.

Le pape Urbain II, Français de naissance, convoqua à Clermont en
Auvergne un concile où, avec les prélats, affluèrent les seigneurs
et une multitude de peuple. Pierre l'Ermite raconta de nouveau les
malheurs des chrétiens de la Palestine. Le pape exhorta les Francs
à cesser leurs guerres et à mettre leur bravoure au service de la
religion. Tous répondirent par un même cri: «Dieu le veut! Dieu le
veut!» (1095). Nobles et vilains firent vœu de partir pour la guerre
sainte; comme signe de ce vœu, ils attachèrent à leur épaule une
croix d'étoffe rouge: ce qui leur fit donner le nom de _Croisés_, et
à l'expédition le nom de _Croisade_. Tout le monde voulait partir
pour la croisade. Les pauvres gens entassaient dans des charrettes
tout ce qu'ils avaient. Les premiers prêts, ils se mirent en route
sous la conduite de Pierre l'Ermite et de Gauthier sans Avoir. A la
vue de chaque ville nouvelle, les femmes et les enfants, dans leur
simplicité, demandaient: «Est-ce donc là Jérusalem?» Cette foule
traversa l'Allemagne en pillant pour vivre et arriva décimée en Asie,
où elle fut exterminée.

L'armée des seigneurs ne s'ébranla qu'après de longs préparatifs. Elle
formait une masse de cent mille chevaliers, six cent mille fantassins
(1096), et avait à sa tête des chefs expérimentés à la tête desquels
on distinguait Godefroy de Bouillon, Raymond de Toulouse, Hugues de
France, Étienne de Blois, le Normand Bohémond, prince de Tarente (en
Italie) et son cousin Tancrède.

Après deux batailles sanglantes, les Turcs se contentèrent de harceler
par leur cavalerie légère les lourds chevaliers; ils laissèrent
combattre pour eux la faim, la misère, l'intempérie des vents,
l'ardeur brûlante du soleil. Jusqu'en Syrie, chaque pas fut marqué
par des cadavres. Là se trouvait la puissante et riche Antioche. Les
croisés, épuisés et quoique réduits de moitié, étaient encore au
nombre de 300,000 hommes. Il fut impossible de nourrir ces masses
pendant un siège qui dura sept mois: la famine était affreuse. Les
intrigues de l'habile Normand Bohémond parvinrent cependant à rendre
les chrétiens maîtres de la ville, où ils trouvèrent, après une
abondance de quelques jours, la disette et l'épidémie.

Pour comble de maux, arrivait une grande armée turque. Un instant le
découragement fut extrême. Tout à coup l'enthousiasme succède à cette
torpeur: le bruit s'est répandu qu'un prêtre de Marseille vient de
trouver en terre la lance qui avait percé le côté du Christ; alors ces
malheureux, qui n'attendaient plus que la mort, maintenant pleins de
force et de courage, se précipitent sur les Turcs, qu'ils mettent en
pleine déroute (1098).

D’Antioche, l'armée s'avance lentement sur Jérusalem. Tout à coup,
au revers d'une colline de sable rougeâtre et sans verdure, elle
s'arrête. A quelque distance s'élevait une ligne de remparts, des
portes, des tours, des temples, des édifices. Le même cri Jérusalem!
sortit de toutes les bouches poussé par soixante mille personnes qui
seules survivaient à ces trois années d'épreuves (1099). Les croisés
ne purent maîtriser leur enthousiasme et marchèrent à l'assaut, mais
ils furent repoussés et durent se résigner à faire un siège régulier.
Au bout de cinq semaines ils étaient en mesure de tenter une attaque
mieux concertée. Ils firent rouler au pied des murailles de hautes
tours surmontées de ponts-levis qui s'abattaient sur les parapets.
Pendant deux jours on combattit avec une égale fureur. Vers le milieu
de la seconde journée (un vendredi, le 14 juillet 1099) les croisés
réussirent à pénétrer dans la ville, et un horrible carnage suivit la
victoire.

Les croisés s'accordèrent à choisir, pour garder et gouverner le
nouveau royaume chrétien, Godefroy de Bouillon, qui, loin de s'en
montrer plus fier, n'en fut que plus humble. Il ne voulut pas prendre
le titre de roi, mais celui de _défenseur du saint sépulcre_. Il dit:
«qu'il ne voulait pas porter une couronne d'or là où le roi des rois
avait porté une couronne d'épines.» Les députés d'une peuplade étant
venus lui parler le trouvèrent assis sur un sac de paille; ils s'en
étonnèrent. «La terre, leur dit-il, doit être le siège des hommes
pendant leur vie, puisqu'elle leur sert de sépulture après leur mort.»

=Louis VI.=--La croisade avait amené l'éloignement et la mort d'un
grand nombre de seigneurs; les efforts des villes qui cherchaient
à obtenir des chartes de commune, embarrassaient les autres. Cet
affaiblissement des seigneurs profita au roi de France qui n'avait pas
bougé de ses châteaux.

Le fils de Philippe I^{er}, Louis VI (1108-1137), surnommé le Gros,
mais plus justement appelé l’Éveillé, releva l'autorité royale. Modèle
des chevaliers, toujours prêt à défendre le pauvre et l'orphelin, il
fit, durant son règne de vingt-neuf ans, une guerre sans merci aux
seigneurs pillards que les auteurs du temps comparent à des loups
dévorants.

=Louis VII (1137-1180).=--Le roi Louis VII fut un prince moins habile
que son père. Il fit une guerre contre le comte de Champagne. Dans
cette guerre, l'église de Vitry fut brûlée et treize cents personnes
périrent (1142). Louis VII, alors plein de repentir, voulut diriger
une expédition en Terre Sainte. Ce fut la deuxième croisade, que
prêcha saint Bernard, mais elle n'eut pas de brillants résultats.

Louis VII avait épousé une riche héritière, Eléonore d'Aquitaine.
Mais, après la croisade, il la répudia. Le roi perdit ainsi la dot que
la reine lui avait apportée, les plus belles provinces du Centre et du
Midi, plus de treize de nos départements.

Eléonore épousa Henri Plantagenet,[5] comte d'Anjou, héritier de la
Normandie et, quelques années après, roi d'Angleterre, sous le nom de
Henri II. Une grande partie de la France (équivalant à vingt et un de
nos départements) appartint alors aux rois anglais.

=Philippe Auguste (1180-1223).=--Le fils que Louis VII, après son
divorce avec Eléonore, avait eu d'un autre mariage, Philippe, devait
mériter le surnom d'Auguste. Arrivé au trône à l'âge de quinze
ans (en 1180), il sut résister aux barons indociles comme au roi
d'Angleterre, organiser ses domaines, et il compte parmi les plus
grands rois. Philippe fit la guerre au roi d'Angleterre, Henri II, et
soutint ses fils révoltés contre lui. L'un d'eux, Richard, était même
devenu l'ami de Philippe, mangeait à sa table et combattait avec lui
contre le roi Henri. Celui-ci étant mort en 1189, Richard lui succéda.
D'abord rien ne parut changé. Philippe et Richard restèrent amis.

Le royaume de Jérusalem venait d'être détruit. La ville sainte avait
dû se rendre au sultan Saladin (1187). Guillaume, archevêque de Tyr,
vint raconter en Europe les malheurs de la Palestine. Philippe Auguste
partit pour la troisième croisade et Richard promit de le suivre
(1190). En Palestine, les croisés assiégèrent et prirent Ptolémaïs.
Mais les deux amis se brouillèrent. Richard, querelleur, hautain, ne
tarda pas à blesser Philippe, plus calme, plus avisé. Philippe, en
prince prudent, se hâta de revenir dans son royaume (1192).

=Richard Cœur de Lion.=--Richard était demeuré longtemps en Asie à
batailler contre les Sarrasins. Il revenait toujours de la mêlée
hérissé de flèches, «semblable à une pelote couverte d'aiguilles.»
Longtemps les musulmans parlèrent de ses exploits. Lorsqu'un cheval,
effrayé par quelque buisson, se cabrait, son maître lui disait:
«Crois-tu donc que ce soit l'ombre du roi Richard?» Le roi anglais
ne put néanmoins reprendre Jérusalem. Il quitta la Terre Sainte
après avoir conclu un traité avec Saladin. Richard, au retour de la
Palestine, fut obligé de traverser le duché d'Autriche, dont il
avait, à la croisade, insulté le souverain. Reconnu, arrêté, livré à
l'empereur d'Allemagne, Henri VI, il subit quatorze mois de captivité.

Selon la légende, un fidèle trouvère, Blondel, découvrit sa prison en
chantant près de sa tour ses airs favoris. Les barons et le peuple
anglais rachetèrent leur roi au prix de 150.000 marcs d'argent (1194).
Devenue libre, Richard voulut se venger du roi de France. Une guerre
de cinq ans n'aboutit qu'à d'inutiles ravages. Incapable de repos et
toujours avide de gain, Richard courut dans le Limousin assiéger le
château de Chalus, dont le seigneur, disait-on, cachait un trésor: il
périt frappé d'une flèche (1199), et son frère Jean se fit reconnaître
roi d'Angleterre.

Jean, homme à la fois lâche et cruel, poignarde son neveu Arthur
qu'on voulait lui opposer. Philippe profite de l'indignation soulevée
par ce crime pour citer son vassal homicide devant les seigneurs de
sa cour (1203). Jean se garde bien de paraître. La cour prononce la
confiscation des provinces qu'il tenait, en fief, du roi de France, et
Philippe a bientôt mis la main sur la Normandie, l'Anjou, la Touraine,
le Poitou. Jean ne voulut pas même se déranger d'une partie d'échecs
pour répondre aux habitants de Rouen qui venaient le prier de les
secourir. Puis regrettant ses belles provinces, il appela l'empereur
d'Allemagne, Otton IV, pour l'aider à reprendre les pays qu'il n'avait
pas su défendre. Les comtes de Flandre et de Boulogne entrèrent dans
la ligue, voulant arrêter les progrès de la royauté française qui
cherchait à ressaisir, à réunir ses domaines épars. Mais le plus
grand nombre des seigneurs, avec les milices communales, se réunirent
autour de Philippe Auguste qui marcha au-devant de l'armée ennemie,
composée de Flamands, d'Allemands et d'Anglais.

=La bataille de Bouvines.=--A mi-chemin de Tournai à Lille, en
Flandre, se trouve le village de Bouvines. La petite rivière de la
Marque coule près de là et on la franchissait sur un pont rustique.
Philippe faisait passer cette rivière à ses troupes; une partie des
milices communales l'avait déjà franchie; le roi fatigué et accablé
par la chaleur (c'était le 27 juillet 1214), se reposait sous l'ombre
d'un frêne, près d'une chapelle, lorsque l'on annonça que l'ennemi
approchait. Aussitôt le roi se leva, entra dans l'église et, après une
courte prière, il se fit armer et monta à cheval d'un air tout joyeux
comme s'il eût été convié à une noce ou à quelque fête. On criait
de toutes parts dans la plaine: Aux armes, barons! aux armes! les
trompettes sonnaient et les corps de bataille qui avaient déjà passé
le pont retournaient en arrière.

A midi on vit déboucher toute l'armée des coalisés. L'empereur
Otton avec le comte de Flandre, Fernand, et le comte de Boulogne
commandaient les principaux corps des alliés: au centre de leur armée
on voyait un char traîné par quatre chevaux où se dressaient les armes
impériales; «l'aigle d'or tenait dans sa serre un énorme dragon dont
la gueule béante, tournée vers les Français, paraissait vouloir tout
avaler,» dit un chroniqueur. Pour Philippe, il était venu se placer
au premier rang et n'avait pas même, dans son impatience; attendu
l'_oriflamme_, bannière que les rois de France partant en guerre
allaient prendre à l'abbaye de Saint-Denis.

Le combat fut d'abord acharné du côté des Flamands. Mais le comte
de Flandre, Fernand, est blessé et pris; de ce côté, la victoire
est bientôt assurée. Au centre, Philippe Auguste avait couru un
grand danger. Les Allemands avaient pénétré jusqu'à lui et l'avaient
renversé de cheval au moyen de leurs hallebardes. Un seigneur est
presque seul à le protéger, frappant d'une main et élevant de l'autre
la bannière royale en signe de détresse. Les chevaliers accourent.
Philippe est délivré. Otton, enveloppé à son tour, faillit bien aussi
être pris ou tué. Son cheval est blessé, se cabre, se dégage et dégage
en même temps son maître, qui s'enfuit au plus vite hors de la mêlée.
Le char impérial d'Otton fut brisé en mille pièces. Les Anglais furent
les derniers rompus, mais le comte de Boulogne, qui les commandait,
fut pris. De toutes parts la victoire était complète.

Le retour de Philippe Auguste fut un vrai triomphe. A Paris, les
bourgeois et la multitude des écoliers firent une fête sans égale;
le jour ne suffisant pas, ils festoyèrent la nuit avec de nombreuses
lumières. Le peuple sentait l'importance de cette victoire sur les
étrangers: c'était la première victoire nationale.

=Saint Louis.=--Philippe Auguste mourut en 1223, laissant un royaume
agrandi et surtout bien administré, car il fut un prince législateur
aussi bien que guerrier. Son fils Louis VIII, prince brave et surnommé
Cœur de Lion, régna peu, mais réussit à pacifier le Midi, où les
seigneurs du Nord avaient fait contre les Albigeois, qu'on accusait
d'hérésie, une croisade terrible et sanglante. La royauté recueillit
les fruits de cette sinistre expédition sans s'y compromettre, et
le Languedoc fut dès lors rattaché aux domaines de la couronne.
Louis VIII laissa plusieurs enfants dont l'aîné n'avait que douze
ans (1226). La reine Blanche de Castille prit en mains la régence;
pieuse et charitable, Blanche n'en était pas moins d'une rare fermeté;
elle conjura tous les périls, triompha d'une ligue que les seigneurs
avaient formée contre la royauté, et livra un pouvoir affermi à
son fils Louis IX que ses belles leçons avaient orné de toutes les
qualités et de toutes les vertus.

Blanche de Castille avait surtout rendu le plus grand service à son
fils en veillant avec une extrême sollicitude à son éducation. Elle
l'élevait comme un enfant appelé à gouverner un grand royaume et le
nourrit dans les sentiments de la plus austère piété, lui mettant
devant les yeux bons exemples et bons enseignements. Louis rappelait
plus tard que sa mère lui avait fait entendre qu'elle aimerait mieux
le voir mort que le voir commettre un seul péché mortel.

Même quand il allait, pour se récréer, en bois ou en rivière, il était
toujours accompagné de son maître, qui ne cessait de l'instruire.
Aussi devint-il un prince savant pour son temps, et, comme il
inclinait naturellement aux vertus que sa mère s'appliquait à lui
faire aimer, il ne cessa de les pratiquer sur le trône.

=La croisade d’Égypte.=--Louis IX, en 1244, tomba gravement malade.
Il fit vœu alors, s'il guérissait, d'aller en Terre Sainte. Ce fut
la septième croisade. L'expédition fut dirigée contre l'Égypte, parce
que le sultan de ce pays s'était emparé de Jérusalem. L'armée débarqua
devant Damiette en Égypte (1249). Louis IX, impatient, se jeta, l’épée
au poing, dans la mer pour aller attaquer les Sarrasins rangés sur le
rivage. Les Sarrasins s'enfuirent; la ville fut prise.

L'année suivante, la peste envahit l'armée, et il fallut songer à la
retraite. Mais les musulmans enveloppèrent les Français, qui furent
obligés de se rendre.

Les malheurs de ces expéditions mirent dans tout son relief la fermeté
et la patience de Louis IX. Malade lui-même et pouvant à peine se
soutenir, il avait voulu néanmoins demeurer à l'arrière-garde.
Prisonnier, il montra une sérénité inaltérable.

Le sultan demanda, pour la rançon de Louis IX, Damiette et un million
de pièces d'or. Louis répondit qu'il rendrait Damiette pour sa rançon
et payerait pour celle de ses gens le million de pièces: car «un roi
de France, dit-il, ne devait point se racheter à prix d'argent.» Mais
quelques jours après, le sultan était égorgé par les émirs. Louis IX
fut en péril. Un émir furieux se présenta à lui, tenant à la main un
glaive ensanglanté: «Que me donneras-tu, dit-il, pour avoir tué ton
ennemi qui t'eût fait mourir s'il eût vécu?» Louis ne répondit point.
On dit même que les émirs, pleins d'admiration pour sa noblesse d'âme,
songèrent un moment à le prendre pour roi. Enfin ils le délivrèrent,
lui et l'armée. Un seigneur vint dire joyeusement qu'en pesant l'or de
la rançon on avait fait tort aux Sarrasisn de dix mille livres. Le
roi se fâcha et ordonna de les rendre.

Louis ne veut pas encore rentrer en Europe; il va en Syrie
fortifier les derniers boulevards des chrétiens, Césarée, Ascalon,
Saint-Jean-d'Acre. Il y resta même près de deux ans après la mort de
sa mère Blanche de Castille, dont l'administration vigilante avait
conservé la paix au royaume. Un épisode du retour achève de faire
connaître saint Louis. En vue de Chypre, son vaisseau qui a heurté un
écueil est sur le point de sombrer; on supplie instamment le roi de
passer sur un autre vaisseau, avec sa femme Marguerite de Provence,
qui l'a suivi dans sa terrible expédition. «Non, dit le roi, si je
quitte ce navire le pilote en prendra moins de soin, et cinq cents
personnes qui aiment autant leur vie que moi la mienne, périront;
j'aime mieux mettre mon corps, ma femme et mes enfants en la main de
Dieu que de faire si grand dommage à tant de gens.»

Louis IX était la charité même. Comme les seigneurs murmuraient de
voir tant d'argent employé en charités, le roi dit: «J'aime mieux
que l'excès de mes dépenses soit fait en aumônes pour l'amour de
Dieu, qu'en luxe ou en vaine gloire de ce monde.» On le voyait réunir
deux cents, trois cents pauvres autour de lui et leur distribuer de
l'argent. Une fois, à l'entrée d'une ville, une pauvre vieille femme
qui était à la porte de sa maisonnette, dit au roi en lui montrant un
pain qu'elle tenait en sa main: «Bon roi, de ce pain qui est de ton
aumône est soutenu mon mari qui est malade.» Alors le roi prit le pain
en sa main, et dit: «C'est d'assez dur pain.» et il entra dans la
maison pour visiter le malade.

Un jour, on le vit, à Compiègne, servir cent trente-quatre malades
de sa personne. Il ne craignait pas d'approcher des lépreux, et de
les secourir, de leur donner lui-même à manger. Le pieux roi fonda
la maison des aveugles de Paris, appelée les _Quinze-Vingts_, parce
qu'elle était destinée à trois cents aveugles (quinze fois vingt).

=La huitième croisade.=--Louis IX ne pouvait se consoler de l'issue
malheureuse de sa première croisade. Affaibli par l'âge et les
austérités, il voulut en entreprendre une nouvelle: ce fut la huitième
et dernière croisade.

La flotte française se dirigea du côté de l'Afrique. A peine débarqué
sur le rivage de Tunis, près de l'ancienne Carthage, Louis IX fut
atteint avec une grande partie de ses soldats par la peste. Il voulut,
sentant sa dernière heure approcher, et pour donner encore un exemple
d'humilité, qu'on le couchât sur un lit de cendres. Les dernières
paroles qu'il adressa à son fils sont le plus beau testament royal:
«Beau fils, dit-il, aie le cœur doux et compatissant aux pauvres:
ne mets pas de trop grands impôts sur ton peuple, si ce n'est par
nécessité, pour ton royaume défendre. Fais justice et droiture à
chacun, tant au pauvre qu'au riche.»

Le pieux roi montrait la plus sereine résignation au milieu de
ses souffrances. Il rendit l'âme le 25 août 1270 au milieu de la
désolation générale. Au même moment, on entendit le son de joyeuses
trompettes. C'était le frère de saint Louis, Charles d'Anjou, roi de
Naples et de Sicile, qui annonçait son arrivée. Charles ne put que
recueillir et ramener les débris de l'armée.

Aujourd'hui le drapeau français flotte sur cette plage de Tunis
illustrée par la mort de saint Louis.

=Philippe le Hardi (1270-1285).=--Le fils de saint Louis, Philippe le
Hardi, fut un prince sage et pieux, mais ne justifia nullement durant
son règne de quinze ans le surnom de Hardi qu'on lui avait donné sur
la plage de Tunis. Le seul résultat important de son règne fut la
réunion du comte de Toulouse à la couronne après la mort d'Alphonse
de Poitiers, comte de Toulouse (1270), oncle de Philippe, qui avait
épousé l’héritière de cette riche province. Cette réunion, accomplie
en exécution du traité de Meaux de 1229, achevait de joindre la France
du midi à celle du nord.

Un frère de saint Louis, Charles d'Anjou, était devenu roi de Naples
et de Sicile. Mais la tyrannie des Français amena un soulèvement
en Sicile et un affreux massacre des Français, à Palerme, le lundi
de Pâques 1282, à l'heure des vêpres. De là, le nom de _vêpres
siciliennes_ donné à ce massacre que Philippe le Hardi voulut venger
en faisant la guerre au roi d'Aragon, qui avait soutenu les Siciliens.
Cette expédition (1248) fut stérile et Philippe mourut au retour
(1285), à Perpignan.



                             CHAPITRE VII

     PHILIPPE LE BEL ET SES FILS--LES VALOIS--GUERRE DE CENT ANS


=Philippe le Bel (1285-1314).=--Philippe le Bel fut en tout l'opposé
de son aïeul saint Louis. Autant l'un avait aimé la justice et la
paix; autant l'autre chercha le succès par une politique déloyale et
guerrière. Tous deux poursuivaient le même but; fortifier l'autorité
royale. Saint Louis y réussit naturellement, par la sagesse de son
administration et le prestige de ses vertus. Philippe le Bel se vit
sur le point d'échouer par suite de ses violences.

Philippe avait d'abord enlevé la Guyenne à Édouard I^{er}
d'Angleterre; mais il fut forcé de la lui rendre en 1299 et crut bien
faire en mariant sa fille Isabelle au fils d'Édouard. Ce mariage
devait être plus tard la cause des prétentions des rois d'Angleterre à
la couronne de France.

Toujours à court d'argent, Philippe le Bel ne cessait d'en demander au
clergé et le pape protestait. Boniface VIII, d'ailleurs, renouvelant
les traditions de plusieurs papes célèbres, surtout de Grégoire
VII, prétendait régenter les rois. La querelle devint si vive que
Boniface appela le clergé français à Rome afin de travailler avec lui
à la correction du roi et du gouvernement de la France. Philippe
chercha contre le pape un appui dans la nation. Il convoqua, pour la
première fois, avec les nobles et le clergé, les députés des villes
qui formaient ainsi le troisième ordre ou tiers état. C'est ce qu'on
appelle la réunion des _Trois États_ ou _États généraux_. La lutte
devint si vive que le pape voulait déposer le roi. Mais Philippe
envoya un de ses légistes en Italie, Guillaume de Nogaret, qui se
rendit maître de la personne du pape. Boniface VIII, outragé, mourut
de douleur (1303), et Philippe fit arriver au trône pontifical Clément
V, qui transporta le Saint-Siège à Avignon en France.

=Les fils de Philippe le Bel (1314-1328).=--Les trois fils de Philippe
le Bel régnèrent et moururent l'un après l'autre dans l'espace de
quatorze ans (1314-1328). Louis X le Hutin ou le Querelleur sacrifia
d'abord aux vengeances des seigneurs un des ministres de son père,
Enguerrand de Marigny. Puis il affranchit les serfs du domaine royal.
Il ne laissait point de fils et, en vertu de la loi salique, Philippe,
frère de Louis X, lui succéda. Philippe V (1316-1322) rendit de sages
ordonnances, mais lui-même n'eut que des filles, qui furent écartées
du trône. Le frère de Philippe, Charles IV, mourut également sans
laisser de fils, et la ligne des Capétiens directs s'éteignit (1328).

=Philippe VI de Valois (1328-1350); la guerre de Cent Ans.=--Le roi
d'Angleterre, Édouard III, petit-fils de Philippe le Bel par sa
mère Isabelle, réclamait la couronne de France. Mais on avait déjà
appliqué deux fois la loi salique, et les barons français ne voulaient
point y renoncer au moment où elle devenait une garantie pour la
nationalité française. Ils ne voulaient point d'un roi anglais.
Aussi choisirent-ils pour roi un prince français, Philippe de Valois,
qui descendait de Charles de Valois, frère de Philippe le Bel. Cette
famille était donc une branche collatérale des Capétiens. L'avènement
de Philippe de Valois, ravivant l'ancienne rivalité de la France et de
l'Angleterre, fut la cause d'une guerre acharnée qui, sauf quelques
intervalles, devait durer cent ans.

=Bataille de Crécy.=--En 1346, Édouard III envahit et pilla la
Normandie. Les barons de France accoururent en si grand nombre sous
la bannière de Philippe, que les Anglais, forcés de se replier,
se trouvèrent dans une situation dangereuse. Édouard III, avec le
sang-froid qui caractérisait déjà les Anglais, s'arrêta près du
village de Crécy, prit position sur une colline et fit faire un grand
parc avec les charrettes de l'armée. Ses archers se placèrent, les uns
sur les chariots, les autres dessous, cherchant à se bien couvrir.

Cependant, le roi de France, parti d'Abbeville, chevauchait, bannières
déployées, au milieu d'une foule de seigneurs montés sur de beaux
chevaux et richement parés. Ils arrivaient confusément, pleins
d'orgueil, se disputant à qui le premier verrait l'ennemi. Les archers
génois placés en avant se plaignent de ne pouvoir se servir de leurs
arcs dont les cordes sont humides; Philippe ordonne à ses gens d'armes
de tuer cette canaille qui lui barre le chemin; le désordre se met
dans l'armée française; les archers anglais, qui ont abrité leurs
arcs, tirent à coup sûr dans cette mêlée.

Tout à coup un bruit terrible éclate, on eût cru entendre le
tonnerre: c’était l'artillerie, dont les Anglais se servaient pour la
première fois dans une bataille et qui fit plus de peur que de mal.
Édouard, du haut d'un moulin qu'on montre encore à Crécy, voyait les
seigneurs français arriver tout désordonnés, entremêlés, s’étouffer
les uns les autres ou périr sous les flèches de ses archers, sous les
coups des haches et des épées de ses hommes d'armes.

Plus de 30,000 soldats, 1200 chevaliers, 80 seigneurs, 11 princes et
un roi restèrent sur le champ de bataille. C'était le vieux roi de
Bohême Jean de Luxembourg, qui, aveugle, avait lié son cheval à celui
de deux chevaliers et était allé périr au plus épais de la mêlée en
donnant un dernier coup de lance. On eût pu dire que tous dans cette
armée allaient en aveugles comme le roi Jean, liés les uns aux autres
par un faux point d'honneur.

C'était le 26 août 1346. Le soir, un petit groupe de chevaliers
harassés se présente devant le château de Broye. Les ponts étaient
déjà relevés, les portes fermées. «Qui êtes-vous? demanda le
châtelain.--Ouvrez, ouvrez, répondit le chef de la troupe, c'est
l'infortuné roi de France.» C'était Philippe, en effet, qu'on avait
difficilement éloigné du champ de bataille; quelques seigneurs à peine
l'accompagnaient, restes de la brillante noblesse qui l'entourait le
matin.

=Prise de Calais; dévouement d'Eustache de Saint-Pierre.=--Le
vainqueur alla aussitôt mettre le siège devant Calais; il y fut retenu
plus de dix mois, mais il détestait les habitants de cette ville, qui
par leurs courses sur mer avaient causé de grands dommages au commerce
anglais. Pour montrer sa ferme résolution de s'emparer de la place,
il traça autour d'elle, non plus seulement un camp, mais une véritable
ville. Philippe VI essaya en vain de secourir Calais; il ne put
approcher, et l'héroïque gouverneur Jean de Vienne dut enfin capituler
(1347).

Édouard III voulait d'abord que la ville se rendît à discrétion; il
exigea ensuite que six bourgeois vinssent lui apporter les clefs de
la place. La désolation fut grande dans Calais. Alors Eustache de
Saint-Pierre se dévoua avec cinq autres bourgeois; ils allèrent pieds
nus, la corde au cou, présenter au roi anglais les clefs de la ville.
Celui-ci ordonna aussitôt de faire venir le bourreau. Les seigneurs
intercédaient inutilement en faveur de ces malheureux. Le roi n'écouta
rien et répéta son ordre cruel. La reine alla se jeter aux pieds
d'Édouard, le suppliant d'avoir pitié de ces hommes. Le roi attendit
un peu, dit l'historien du temps, Froissart, et regarda la bonne dame
sa femme qui pleurait à genoux; le cœur lui mollit et il dit: «Vous
me priez tant que je ne vous ose refuser, et quoique je le fasse avec
peine, je vous les donne.» La reine fit lever les six bourgeois, les
fit revêtir et donner à dîner et reconduire dans la ville.

Édouard chassa tous les habitants de Calais et repeupla la ville avec
des familles anglaises.

=Jean II le Bon (1350-1364).=--Le fils de Philippe, Jean, qui lui
succéda en 1350, et que bien à tort on a surnommé le Bon, était
un prince violent, téméraire et prodigue. Il recommença la guerre
contre les Anglais et s'attira une défaite plus honteuse encore, plus
désastreuse que la défaite de Crécy. En 1356, le prince de Galles,
fils d'Édouard III, et surnommé le _prince Noir_, à cause de son
armure, descendit en Guyenne, ravagea le riche Languedoc, le Limousin,
le Berry, et s'avança sur la Loire.

Le roi Jean marcha contre lui, le dépassa et lui coupa la retraite. Le
prince de Galles se trouva presque bloqué près de Poitiers. Il s'était
retranché, comme son père à Crécy, sur une colline; mais pressé par la
famine, il négociait. Les chevaliers français demandèrent le combat,
et la bataille s'engagea précipitamment. Le premier corps s'élança,
sans être soutenu, dans un chemin creux, seule route qui menât aux
Anglais; les archers, postés à droite et à gauche, le criblèrent de
flèches et le mirent en déroute. Le second corps arriva trop tard et
fut culbuté à son tour. «La bataille est à nous,» dit un des meilleurs
capitaines anglais, Jean Chandos, au prince de Galles; et fondant à
bride abattue, avec toutes les forces anglaises, sur le troisième
corps français, il le dispersa.

Restait la division du roi Jean. Celui-ci, croyant bien faire en
imitant mal les Anglais, commanda à ses chevaliers de mettre pied
à terre: autour de lui se forme un bataillon carré qui reçoit
vigoureusement les charges de la cavalerie ennemie. Mais ces lourds
chevaliers, revêtus d'armures de fer, n'étaient pas hommes à soutenir
longtemps un combat à pied: l'infanterie anglaise, plus agile, arriva
à son tour. Les Français furent rompus. Le roi Jean avait à côté
de lui son plus jeune fils, Philippe, il veut l'éloigner. L'enfant
obéit d'abord et monte à cheval; mais il revient presque aussitôt,
et, ne pouvant frapper comme son père, il s'abritait derrière lui en
criant: «Père, gardez-vous à droite! père, gardez-vous à gauche!» Ce
combat héroïque ne pouvait durer. Jean, blessé, entouré d'un cercle
d'ennemis, fut obligé de se rendre. Une foule de comtes et de barons
furent, avec lui, emmenés prisonniers en Angleterre.

Le roi Jean fut délivré moyennant une rançon de trois millions d'écus
d'or qui vaudraient aujourd'hui deux cent cinquante millions de
notre monnaie. Il donna comme otages deux de ses fils et plusieurs
seigneurs. Un de ses fils, le duc d'Anjou, quitta Londres et refusa
d'y retourner. Le roi Jean, qui n'avait pu encore payer sa rançon
entière, irrité de ce manque de foi, retourna se constituer lui-même
prisonnier et mourut à Londres en 1364.

=Charles V le Sage (1364-1380).=--Le fils de Jean le Bon, Charles,
instruit par le malheur et qui a mérité le beau nom de Sage,
s'appliqua, par d'habiles mesures, à ramener l'ordre, la sécurité. Il
n'aimait point les batailles, comme Jean et Philippe VI: on n'avait
pas encore vu de prince aussi éloigné du goût des armes, aussi content
de demeurer enfermé dans ses châteaux avec de prudents conseillers et
de savants livres. Mais il ne cessait de veiller sur le royaume, de
préparer les moyens de le délivrer et sut choisir un vaillant guerrier
qui fut son bras droit, Bertrand Du Guesclin.

=Bertrand Du Guesclin.=--C'était un chevalier breton né en 1321. Il
avait conquis une grande renommée dans la guerre qui se prolongeait en
Bretagne entre les partisans de Jean de Montfort et ceux de Charles de
Blois.

Ce qui le distinguait des anciens chevaliers, c'est qu'à la bravoure
il unissait l'intelligence et la ruse: il s'empara du château de
Fougeray en y arrivant avec quelques hommes déguisés en bûcherons; aux
sièges de Rennes, de Dinan, il se fit remarquer par son habileté à
tendre des pièges aux ennemis, à les surprendre. C'est le commencement
de l'art de la guerre; cet art, Du Guesclin le développa de plus en
plus quand il fut passé au service du roi de France.

Le royaume regorgeait de gens de guerre qui allaient, par compagnies,
ravageant et pillant. C'était une foule d'hommes de toutes nations,
Allemands, Anglais, Flamands: sans patrie et sans famille, ces hommes,
habitués à vivre de rapines, étaient devenus les maîtres du pays
qu'ils foulaient horriblement. Bertrand offrit au roi d'emmener toutes
ces compagnies en Espagne faire la guerre au roi don Pèdre le Cruel,
qui venait de se souiller d'un crime abominable, le meurtre de sa
femme, Blanche de Bourbon, sœur de la reine de France.

Mais don Pèdre appela les Anglais à son secours: le prince Noir
arriva. Les Français perdirent la bataille de Navarette, engagée
malgré les avis de Du Guesclin, qui s'y conduisit avec son intrépidité
habituelle et fut encore fait prisonnier. Le prince Noir le garda
longtemps et ne consentit qu'à grand'peine à le mettre à rançon (1367).

Aussitôt qu'il fut libre, Du Guesclin reparut en Espagne, battit à
Montiel l'armée de don Pèdre que les Anglais avaient abandonné, et
fit le prince prisonnier. Henri et don Pèdre ne se furent pas plus
tôt aperçus qu'ils se précipitèrent l'un contre l'autre; tous deux
roulèrent à terre. Henri parvint à égorger son frère et régna sans
crainte comme sans remords. Henri demeura du moins un allié fidèle à
la France (1369).

Charles V, ayant remis de l'ordre dans ses finances, jugea le moment
venu de recommencer la guerre, et provoqua le roi Édouard qui envahit
de nouveau notre pays. Charles donna à Bertrand l'épée de _connétable_
que celui-ci se défendait d'accepter: «Cher sire, disait-il, je suis
pauvre chevalier d'humble origine, et l'office de connétable est si
haut qu'il faut commander avec autorité et même plutôt aux grands
qu'aux petits. Or, voici mes seigneurs vos frères, vos neveux, vos
cousins: comment oserai-je leur commander?» Le roi l'y obligea,
détruisant ses objections par ces paroles: «Messire Bertrand, je n'ai
ni frère, ni cousin, ni comte, ni baron en mon royaume qui ne vous
obéisse.»

Les Anglais n'obtenaient plus les succès d'autrefois, Charles V
avait adopté un nouveau système de guerre. Toutes les villes étaient
fermées; les Anglais tenaient la campagne, ravageant, brûlant, sans
émouvoir les Français.

Du Guesclin de son côté formait des camps retranchés, simulait des
retraites, raffermissait la discipline. Inventif en ruses de guerre,
actif, infatigable, il portait des coups imprévus aux Anglais: à
Pontvallain, par une nuit de tempête, il vint fondre sur une de leurs
armées et la dispersa.

Trois fois encore, en 1370, en 1373, en 1376 les Anglais
recommencèrent leurs invasions sans plus de succès. Obligés de
repasser dans les pays qu'ils avaient déjà ravagés, ils trouvaient
devant eux toujours les mêmes villes bien gardées; derrière eux,
sur leurs flancs, se tenaient les troupes de Du Guesclin, promptes à
profiter des occasions pour frapper un bon coup et à disparaître. Les
armées anglaises finirent par se retirer, semblables à ces inondations
qui ravagent les campagnes, puis les rendent aux laboureurs dont le
travail répare les pertes.

Du Guesclin fut surpris par la maladie au moment où il assiégeait
Châteauneuf-Randon. Le gouverneur avait promis de rendre la place s'il
n'était pas secouru dans six jours. Le délai passé, le gouverneur,
quoiqu'il eût appris le péril de Du Guesclin, n'en voulut pas moins
faire honneur à sa parole. Il vint présenter au héros mourant les
clefs de la place: «Voici, dit-il, les clefs de la ville dont le
roi d'Angleterre m'a confié la défense; je les rends au plus preux
chevalier qui ait vécu depuis cent ans passés.»

Charles V voulut que Du Guesclin fût enterré à Saint-Denis, dans les
tombeaux des rois de France où lui-même ne tarda pas à le rejoindre
(1380).

Charles V avait délivré et pacifié le royaume. Il organisa les
finances et augmenta l'autorité du Parlement.

Prince ami des livres, il fonda au Louvre la première bibliothèque
royale, qui ne se composait que de 950 manuscrits, car l'imprimerie
n'était pas encore inventée. Il avait aussi reculé l'enceinte de Paris
et fait édifier la bastille Saint-Antoine, forteresse destinée à
devenir célèbre.

A cette époque vivait Froissart (1333-1410), le chroniqueur naïf et
pittoresque qui nous a laissé des récits animés des combats de la
guerre de Cent ans.



                            CHAPITRE VIII

                              CHARLES VI


=Minorité de Charles VI (1380-1388).=--A un prince qui avait mérité
le surnom de Sage, succéda un enfant de douze ans, Charles VI, qui, à
peine arrivé à l'âge d'homme, fut atteint de folie.

Les oncles du roi, les ducs d'Anjou, de Berri, de Bourgogne, se
disputèrent la régence pendant la minorité du jeune prince, et, par
leurs exactions, leurs pillages, soulevèrent dans les grandes villes
des insurrections.

En Flandre, les Gantois s'étaient soulevés contre leur comte et
avaient pris pour chef Philippe Artevelde. Les oncles de Charles VI
emmenèrent le jeune roi contre les Flamands, qui furent vaincus à la
journée de Roosebecque. Fiers de leur victoire sur les Flamands, les
princes se vengèrent cruellement des Parisiens qui avaient désiré le
triomphe des Gantois.

Quelques années seulement, de 1388 à 1392, le jeune roi, qui avait
épousé une princesse allemande, Isabeau de Bavière, gouverna par
lui-même et reprit les prudents ministres de son père.

En 1392, Charles, malade de corps et déjà d'esprit, car les excès
l'avaient usé avant l'âge, partait en guerre contre le duc de
Bretagne. Le 5 août, par une brûlante journée on traversa la forêt du
Mans: tout à coup, un homme, la tête nue, vêtu d'une pauvre cotte de
bure blanc, s'élança, prit le cheval du roi par la bride et s'écria
«Arrête, noble roi, tu es trahi!» Charles tressaillit, mais passa
outre. On sortit des bois, on entra dans une plaine sablonneuse. Le
soleil était beau, clair, resplendissant à grands rayons, d'une force
dangereuse. Un des pages s'endort et laisse tomber sa lance sur le
casque d'un autre page: à ce bruit de fer qu'il entend, le roi se
trouble, se croit trahi, tire son épée, s'écrie: «en avant! en avant!
sus aux traîtres!» blesse, tue plusieurs hommes de sa suite, se
précipite même contre son frère le duc d'Orléans, s'épuise en courses
furieuses, et, lorsqu'on parvient à le désarmer, à l'étendre sur le
sol, il reste sans connaissance, les yeux hagards: il était fou.

Le royaume fut replongé dans l'anarchie. En 1407, le frère du roi,
le duc d'Orléans, prince aimable et spirituel mais débauché, périt
assassiné, un soir, à Paris. C'était le duc de Bourgogne, Jean sans
Peur, rival et cousin du duc, qui avait dressé ce guet-apens. Alors
se forment deux partis, celui des Bourguignons, celui des Armagnacs,
dirigé par le comte d'Armagnac, beau-père d'un fils de la victime.
Paris que se disputent tour à tour les deux factions, est inondé de
sang. Les Anglais profitent de ces discordes pour envahir de nouveau
la France (1415).

=La bataille d'Azincourt.=--Les chefs du parti armagnac, maîtres
du roi et du gouvernement, s'étaient décidés à marcher contre les
Anglais. A leur appel la noblesse accourut, mais insouciante et
indisciplinée comme aux jours de Crécy et de Poitiers. Fiers de leur
nombre imposant, car ils avaient réuni plus de cent mille hommes, les
Français se croyaient certains d'écraser la petite armée des Anglais
qui battait en retraite, cherchant à gagner Calais. Le pays que
ceux-ci avaient à traverser se soulevait, et les Picards barrèrent
le chemin à l'armée de Henri V près d'Azincourt. L'armée française,
commandée par le connétable d'Albret, arriva, et le 25 octobre 1415 le
combat s'engagea sur un terrain détrempé par les pluies d'automne.

Selon leur habitude les Anglais se postèrent derrière leurs archers.
Une nuée de flèches s'abattit sur les rangs des chevaliers français,
obligés de baisser la tête pour que les traits n'entrassent point
dans la visière de leurs casques. Les Français s'étaient rangés en
escadrons si serrés qu'ils ne pouvaient lever leurs bras pour frapper
sur leurs ennemis. Leurs lourds chevaux enfonçaient dans les terres
fraîchement labourées, et les chevaliers ne pouvaient atteindre leurs
ennemis avec leurs lances, qu'ils avaient coupées par le milieu afin
de pouvoir s'approcher plus près des Anglais. L'avant-garde rompue mit
le désordre dans le corps de bataille. Ce que voyant, les Anglais,
jetant bas leurs arcs, prirent leurs épées, leurs haches, leurs
maillets, se jetèrent au milieu des Français, frappant, abattant tout
ce qui se trouvait devant eux. Beaucoup de seigneurs se rendirent.

Or voici qu'une troupe française, faisant un détour, attaque les
bagages des Anglais. Le roi Henri V effrayé ordonne de ne plus
faire de prisonniers et de massacrer tous ceux qui s'étaient rendus.
Lorsqu'il fut revenu de l'émotion causée par cette alerte, il commanda
de cesser le massacre, mais une foule de seigneurs avaient péri. Sur
le champ de bataille, le roi anglais, pour relever encore sa victoire,
s'écria «qu'il avait été l'instrument de Dieu choisi pour punir les
péchés des Français.»

Un crime des Armagnacs vint achever le triomphe du roi anglais. Les
Armagnacs étaient maîtres du jeune fils de Charles VI, le dauphin.
Ils feignirent vouloir se réconcilier avec les Bourguignons, et
attirèrent Jean sans Peur à une entrevue avec le dauphin, sur le pont
de Montereau. Jean s'y rendit et y périt égorgé sous les yeux mêmes du
jeune prince (1419).

Ce meurtre jeta tout à fait les Bourgignons dans les bras des Anglais.
Philippe le Bon, fils de Jean sans Peur, maître du roi Charles VI,
et la reine Isabeau, qui renia son fils, signèrent avec Henri V le
honteux traité de Troyes (1420). Ce traité déshéritait le dauphin
Charles, accordait à Henri V la main de la fille de Charles VI et
assurait la couronne de France à ses descendants. Henri V se trouvait
maître du pays.



                             CHAPITRE IX

                      CHARLES VII--JEANNE D'ARC


=Charles VII; la France en 1429; Jeanne d'Arc.=--En 1422, Henri V
et Charles VI moururent tous deux à quelques mois l'un de l'autre.
Suivant le traité de Troyes, Henri VI, fils de Catherine de France
et de Henri V d'Angleterre, fut proclamé à Paris roi de France
et d'Angleterre. Plusieurs seigneurs restés fidèles à l'héritier
légitime, au représentant de la nationalité française, proclamèrent
Charles VII. Il y eut ainsi deux rois, l'un anglais, l'autre français;
deux Frances, la France anglaise et la vraie France. D'ailleurs
Charles VII paraissait avoir peu de chances et même nulle volonté
de recouvrer sa couronne; ses ennemis l'appelaient par dérision le
_roi de Bourges_. Le découragement gagnait les meilleurs capitaines.
Toujours battus, ils ne pouvaient arrêter les Anglais qui s'emparaient
successivement de toutes les cités et en 1428 vinrent mettre le siège
devant Orléans. Le pays semblait perdu quand Jeanne d'Arc parut.

=Jeanne d'Arc.=--Jeanne était Lorraine. Le village de Domrémy, où elle
est née, est situé sur la rive gauche de la Meuse et l'on y montre la
maison où s'écoula son enfance. Son père, Jacques d'Arc, et sa mère,
Isabelle Romée, vivaient, comme de laborieux paysans, du travail des
champs et avaient élevé cinq enfants, trois garçons et deux filles.
Jeanne, ou comme on disait dans le village, Jeannette, était l'aînée
des deux filles: simple et douce, elle s'occupait des soins du ménage
et ne savait rien de plus que ses parents et ses compagnes, dans ces
temps de profonde ignorance. Sa piété faisait l'admiration de tous.
Charitable envers les pauvres et les malades, Jeanne était d'ailleurs
si bonne pour tous que tous l'aimaient.

Un jour d'été, dans le jardin de son père, qui touchait à l'église,
elle vit, à midi, ainsi qu'elle le raconta, une grande lumière; elle
entendit une voix céleste qui lui disait de se bien conduire, d'être
toujours douce et pieuse, et qu'elle était appelée à aller au secours
du roi. Jusqu'à l'âge de dix-sept ans, Jeanne ne cessa d'avoir des
visions et de s'entretenir avec ses voix qui la guidaient et lui
racontaient «la grande pitié du royaume de France.»

Elle la connaissait bien d'ailleurs cette misère: car son pays même
avait ressenti les maux de la guerre civile et de la guerre étrangère.
Malgré ses parents, qui ne comprenaient rien à sa résolution, elle
vint à Vaucouleurs trouver le capitaine Robert de Baudricourt, auquel
elle expliqua sa mission, demandant qu'on la conduisît vers le roi.
«Et certes, disait-elle, j'aimeras mieux filer auprès de ma pauvre
mère, mais il faut que j'aille; mon seigneur le veut.--Et qui est
votre seigneur? dit-on.--C'est Dieu,» répondit-elle. Robert riait
d’abord, mais le peuple de Vaucouleurs crut en la jeune fille, et le
seigneur de Baudricourt, ému lui-même, donna à Jeanne une escorte.

Après un long et périlleux voyage à travers un pays occupé par les
Anglais, Jeanne arriva à Chinon, équipée comme un guerrier, mais
toujours simple et pure comme une jeune fille. Le roi, afin de
l'éprouver, se confondit dans la foule des seigneurs. Jeanne, bien
qu'elle ne l'eût jamais vu, alla droit à lui, s'agenouilla, lui
promettant, s'il lui donnait une armée, de délivrer Orléans, puis de
le mener lui-même à Reims recevoir la couronne.

Les évêques, les plus éminents docteurs interrogèrent cette fille des
champs, qui les étonna par ses réponses: «Si c'est le plaisir de Dieu,
lui disait-on, que les Anglais s'en aillent en leur pays, il n'est pas
besoin de gens d'armes.--Les gens d'armes batailleront, répondit-elle,
et Dieu donnera la victoire.»

Jeanne put enfin, malgré les Anglais, entrer dans la ville d'Orléans
avec quelques vaillants capitaines. Accueillie avec enthousiasme, elle
réveillait partout l'esprit de foi, de discipline, de patriotisme:
tous ceux qui l'approchaient devenaient meilleurs et sinon plus
braves, du moins plus confiants. Sans autre arme que son étendard,
Jeanne marchait à la tête des combattants, et tous la suivaient. Les
Anglais, ne comprenant rien au courage indomptable de cette jeune
fille, se troublaient, lâchaient pied; les plus importantes bastilles
qu'ils avaient élevées pour bloquer Orléans furent prises. Jeanne,
blessée dans une attaque, fit aussitôt panser sa blessure et reparut
au milieu des combattants: «Tout est vôtre, criait-elle aux Français,
tout est vôtre!» La plus importante des bastilles qui commandait
le pont de la Loire, fut enlevée. Les Anglais se virent obligés
d'abandonner le siège le 8 mai 1429, date célèbre que les Orléanais
reconnaissants fêtent encore aujourd'hui.

La fortune, dès ce moment, tourna. Le pays fut rapidement délivré. Les
Français, toujours conduits par Jeanne d'Arc, reprirent les villes des
bords de la Loire qui restaient aux Anglais, et gagnèrent sur eux la
bataille de Patay (18 juin). Malgré tant de succès, les conseillers du
roi hésitaient encore. Jeanne les entraîna au voyage de Reims, et le
17 juillet Charles VII était sacré en grande pompe dans la cathédrale
où se faisaient couronner ses prédécesseurs. Jeanne se tenait debout
aux côtés du roi, son étendard à la main, et comme plus tard, dans son
procès, on lui en faisait un reproche, elle répondit avec une légitime
fierté: «Il avait été à la peine, il méritait bien d'être à l'honneur.»

Jeanne avait le pressentiment d'un malheur, mais elle n'en continuait
pas moins de combattre, allant partout où on l'appelait, car sa
présence valait une armée.

En 1430 elle se jeta dans la ville de Compiègne, serrée de près par
les troupes du duc de Bourgogne. Dans une sortie, il fallut battre
en retraite. Elle resta, comme toujours, la dernière. Les défenseurs
de Compiègne, craignant de voir entrer les ennemis avec les fuyards,
fermèrent trop tôt les barrières du pont. Jeanne demeura isolée avec
quelques cavaliers et, accablée par le nombre, fut prise par l'écuyer
d'un seigneur du parti bourguignon.

Vendue aux Anglais, Jeanne fut conduite à Rouen. Les Anglais lui
firent son procès comme à une sorcière, à une hérétique; mais souvent
la sagesse de ses réponses déconcerta ses juges. Comme elle parlait
des voix qui l'avaient inspirée, les juges lui demandèrent: «Sainte
Catherine et sainte Marguerite haïssent-elles les Anglais?--Elles
aiment ce que Notre-Seigneur aime, et haïssent ce qu'il hait.--Dieu
hait-il les Anglais?--De l'amour ou de la haine que Dieu a pour les
Anglais, je n'en sais rien: mais je sais bien qu'ils seront mis
hors de France, sauf ceux qui périront.» Le procès n'avait rien
prouvé, mais on fit signer à Jeanne, sous la menace d'être brûlée,
une abjuration de ses prétendues erreurs, et on la condamna à la
prison perpétuelle. Plus tard elle désavoua l'abjuration qu'on lui
avait surprise et maintint la vérité de sa mission. «Si je disais,
répondit-elle, que Dieu ne m'a pas envoyée, je me damnerais; la vérité
est que Dieu m'a envoyée.» Les juges d'Église alors l'abandonnèrent au
bras séculier, c'est-à-dire à la justice civile, et le 30 mai (1431)
on la conduisit au bûcher sur la place du _Vieux-Marché_.

Jeanne, qui n'avait encore que vingt ans, pleurait en disant: «O
Rouen, dois-je donc mourir ici!» Elle demanda une croix: on lui en
fit une avec un bâton, mais elle obtint qu'on lui apportât celle de
la paroisse voisine. Enfin, les Anglais s'impatientant, deux sergents
la saisirent et la livrèrent au bourreau. Le feu fut allumé. Jeanne
s'oublia pour ne penser qu'au frère Isambart qui l'exhortait toujours,
et lui dit de descendre, mais de tenir haut la croix, qu'elle ne
voulait pas perdre de vue. Toute la foule pleurait. Quelques Anglais
essayaient de rire. Un d'eux, des plus furieux, avait juré de mettre
un fagot au bûcher; Jeanne expirait au moment où il le jeta et il
s'évanouit: «J'ai vu, disait-il hors de lui-même, j'ai vu de sa bouche
s'envoler une colombe.» Un seigneur anglais disait tout haut en
revenant: «Nous sommes perdus, nous avons brûlé une sainte.»

Les Anglais redoutèrent Jeanne même après sa mort, et, de peur que
ses cendres ne devinssent des reliques pour le peuple, ils les firent
jeter dans la Seine. Mais l'impulsion était donnée; le pays, réveillé,
repoussait partout l'étranger, et en 1453 les Anglais avaient perdu
toutes leurs conquêtes en France. Les malheurs de ces invasions
avaient eu au moins pour résultat de faire naître chez tous les
habitants de la France le sentiment de l'amour de la patrie.



                              CHAPITRE X

                         LOUIS XI (1461-1483)


Charles VII mourut en 1461 et eut pour successeur son fils, Louis XI.

A cette époque des changements importants ont lieu en Europe et
dans le monde. Un peuple nouveau s'établit à l'orient de l'Europe,
les Turcs qui se sont emparés de Constantinople (1453). Les peuples
chrétiens ne se sont point soulevés à cette nouvelle: le temps des
expéditions religieuses, des croisades est bien fini. Les nations
ne songent qu'à se constituer, à s'organiser, malheureusement aussi
à s'entre-déchirer, et l'époque des grandes ligues, des guerres
européennes va s'ouvrir. Ce qui valait mieux, les Portugais et les
Espagnols indiquaient de nouvelles routes au commerce et découvraient
de nouvelles terres. Les premiers avaient achevé, en 1497, sous la
conduite de Vasco de Gama, de faire, par mer, le tour de l'Afrique et
montraient la route des Indes. Christophe Colomb, savant navigateur
génois, avec trois navires que lui avaient donnés les souverains de
l'Espagne, Ferdinand et Isabelle, découvrit en 1492 un nouveau monde
auquel on a injustement donné le nom d'un autre navigateur florentin,
Amerigo Vespucci, l'Amérique.

Il semblait que Dieu, par une seconde création, eût doublé l'étendue
du monde habitable. On se précipitait vers ces contrées parées d'une
végétation brillante, riches de bois précieux et de mines d'or et
d'argent. Le commerce prit un rapide essor, la condition des fortunes
changea, car jusqu'alors la terre avait été la seule richesse.

La science se développait en même temps, grâce à la découverte de
l'imprimerie. Gutenberg, né à Mayence, mais qui travailla le plus
souvent à Strasbourg, était parvenu (de 1440 à 1446) à graver en
métal des lettres mobiles qu'il assemblait ou séparait à volonté;
il composait ainsi des mots, des phrases, des pages entières; puis
pressant ces pages imbibées d'encre sur du papier, il les reproduisait
autant de fois qu'il voulait. Un copiste ne pouvait écrire à la fois
qu'un seul livre. Grâce à l'imprimerie, dès que le livre était composé
avec des lettres en métal, on pouvait le reproduire, en peu de temps,
par milliers d'exemplaires.

Le premier livre sorti des presses de Gutenberg était une Bible datée
de 1456. L'imprimerie devait être l'instrument le plus puissant pour
le progrès de la science humaine. Des temps nouveaux commençaient:
les _temps modernes_, ceux qui durent encore aujourd'hui. Les progrès
dont nous sommes témoins ont pour point de départ ces importants
changements qui se produisirent au quinzième siècle et qui rendirent
l'homme plus libre de sa raison, plus hardi dans ses pensées comme
dans ses entreprises, plus soucieux du bien-être et de l'équité. La
science étendait son esprit, doublait ses moyens d'action et allait
lui permettre de rendre moins misérable sa condition terrestre.

La politique aussi allait changer. Le premier roi des temps modernes
est Louis XI, de sombre renommée, mais qui, malgré ses fourberies et
ses cruautés, avança singulièrement l'unité politique de la France.

=Louis XI.=--Louis XI est le premier type, quoique peu flatteur, du
roi moderne; il se fie à l'intelligence plus qu'à la force corporelle.
Il est tout l'opposé des chevaliers. Ayant grandi au milieu des
trahisons et des révoltes, il ne crut qu'à une seule force, celle
de la ruse. Dépourvu de conscience, mais superstitieux à l'excès,
il attachait à son chapeau des images de la Vierge et des saints en
plomb ou en étain: il les prenait ou les baisait, quelque part qu'il
se trouvât, si soudainement quelquefois qu'on l'aurait pris pour un
insensé. Il se faisait petit, s'entourait de petites gens, s'habillait
pauvrement et s'affranchissait de tout cérémonial.

Louis XI (c'est là ce qui le relève de ses faiblesses et de ses
perfidies) prenait au sérieux son métier de roi: actif, infatigable,
il travailla sans cesse à étendre, à organiser son royaume, se fit
craindre comme personne avant lui.

Dès les premières années, les nobles, mécontents de voir Louis XI, qui
les avait flattés dans sa jeunesse, se tourner contre eux dès qu'il
fut roi, commencèrent la guerre dite du _Bien public_ (1465). Une
bataille indécise se livra entre les coalisés que commandait Charles,
fils du duc de Bourgogne, comte de Charolais, et l'armée royale à
Montlhéry (près de Paris). Des deux côtés on se crut vainqueur, et
des deux côtés il y eut des fuyards. Louis XI se hâta de négocier
et promit à tous, et à chacun en particulier, provinces, honneurs,
pensions. Les traités de Conflans et de Saint-Maur (près Paris), qui
terminèrent cette campagne dérisoire, furent de honteux marchés.

Une première fois détruite, la féodalité avait été reformée par les
rois eux-mêmes, qui avaient distribué à leurs enfants, aux princes
de leurs maisons, de magnifiques seigneuries, des apanages. Ainsi
s'étaient constituées les maisons de Bourbon, d'Anjou, d'Orléans, etc.
Mais le grand danger pour les rois, c'était la puissance de la maison
de Bourgogne. Le duc Philippe le Bon, mourut en 1467, et son fils,
Charles le Téméraire, était l'orgueil même.

Charles se regardait comme supérieur à son cousin le roi de France,
Louis XI, auquel il ne voulait pas rendre hommage. Autant celui-ci
dédaignait le faste et les grandeurs, autant le duc de Bourgogne
aimait à étaler son luxe et sa puissance. Ambitieux comme Louis XI,
il n'avait ni sa patience ni sa souplesse, et plus sa témérité lui
faisait éprouver de revers, plus il s'obstinait.

Louis XI pourtant commit bien des fautes. La guerre ayant recommencé
entre lui et le duc de Bourgogne, il voulut négocier au lieu de
combattre et, pour mieux gagner son ennemi, alla se mettre entre ses
mains à Péronne où il demeura prisonnier et ne fut relâché qu'à de
dures conditions (1468).

La guerre recommença. Le duc de Bourgogne courut aussitôt à Beauvais,
espérant enlever la ville par surprise. Mais les habitants sont sur
les remparts et se défendent: les femmes mêmes les aident. Déjà
cependant des soldats bourguignons avaient escaladé la muraille et
y plantaient leur étendard. Une jeune fille, Jeanne Laisné (on la
nomma depuis Jeanne Hachette), s'élance, une hache à la main, saisit
l'étendard et l'emporte en triomphe. Cet exemple héroïque ranime
le courage des habitants, qui repoussent avec succès toutes les
attaques. Charles se vit obligé d'entreprendre un siège régulier,
puis, à l'arrivée des troupes royales, de se retirer. Loin d'abattre
le puissant duc, les échecs ne font que piquer son orgueil. Il ne
renonce pas à ses projets; au contraire, il les veut tous poursuivre
à la fois: il rêve la conquête de la Lorraine, de l'Alsace, de la
Suisse, afin de se faire ainsi un royaume. En même temps il rappelle
les Anglais en France pour renverser Louis XI. Celui-ci, fidèle à son
système d'éviter les batailles, achète la paix du roi d'Angleterre
Édouard IV. Dès ce moment il n'a plus qu'à regarder son rival se
heurter contre l'Allemagne, puis contre les montagnes de la Suisse.
Charles est vaincu à Granson et à Morat (1476).

Après ces sanglantes défaites, Charles devient fou de fureur: il
laisse croître sa barbe comme un sauvage, il s'enferme dans sa tente.
Il apprend que la Lorraine s'est soulevée et que le duc René a
repris sa capitale, Nancy. Il y court, malgré l'hiver, et périt dans
un combat. On retrouva son corps à demi enfoncé dans la glace d'un
ruisseau (1477).

Craint de tout le monde, Louis XI craignait lui-même tout le monde
et s'enfermait dans son château de Plessis-lez-Tours, où des
arbalétriers veillaient nuit et jour près des fossés avec ordre de
tirer sur tout homme suspect qui approchait. Il semblait plutôt mort
que vif, tant il était maigre; il faisait d'âpres punitions pour
inspirer la terreur et de peur de perdre l'obéissance. Il avait
soupçon de tout le monde, de son fils qu'il faisait étroitement
garder, de sa fille, de son gendre. Il comblait de présents son
médecin Coictier pour qu'il allongeât sa vie; il avait recours aux
personnages renommés pour leur sainteté et fit venir d'Italie un
ermite, saint François de Paule: il lui demandait la santé du corps
plutôt que le repos de l'âme. «Le tout n'y fit rien, ajoute son
historien Commines; il fallait qu'il passât par où les autres sont
passés.»

Louis XI mourut en 1483, après avoir, dans ses dernières années,
recueilli le riche héritage de la maison d'Anjou, c'est-à-dire le
Maine, l'Anjou et la Provence.

Si Louis XI a laissé une sombre mémoire, il est juste de lui tenir
compte de l'agrandissement du royaume, et surtout de la sécurité qu'il
y rétablit. La sécurité ranima le commerce et Louis XI le facilita en
améliorant les routes. Pour étendre son action sur les provinces les
plus éloignées, il organisa les postes, d'abord des courriers qui ne
servirent qu'à transmettre ses ordres, mais qui plus tard furent d'une
grande utilité aux particuliers.



                             CHAPITRE XI

               CHARLES VIII--LOUIS XII--FRANÇOIS I^{er}


=Charles VIII (1483-1498).=--Le fils de Louis XI était encore un
enfant et les seigneurs crurent pouvoir profiter d'une minorité pour
reprendre tout ce qu'ils avaient perdu. Une main de femme les contint.
Mme de Beaujeu, fille de Louis XI, et qui avait ses qualités sans
ses vices, mit à la raison les seigneurs déjà plus turbulents que
redoutables; elle força à la soumission Louis, duc d'Orléans, le chef
des mécontents, puis fit épouser à son jeune frère l'héritière d'un
beau duché, Anne de Bretagne, et prépara ainsi la réunion à la France
d'une grande province.

Nourri de romans de chevalerie, Charles VIII ne fut pas plus tôt le
maître qu'il voulut monter à cheval, s'armer de la lance et imiter les
fabuleux exploits des paladins de Charlemagne. Il résolut de faire
valoir sur le royaume de Naples des droits qu'il tenait de la maison
d'Anjou. Il partit en 1494 avec une belle armée, mais sans argent: il
lui fallut emprunter aux petits princes italiens qui l'avaient appelé
et lui facilitaient le passage.

L'épouvante que répandait chez des populations amollies l'arrivée
des rudes guerriers du Nord, facilita singulièrement la route. Les
Français passèrent les Alpes avec un attirail tout nouveau de canons.
Arrivés en Italie, ils traversèrent sans combat les villes magnifiques
de Florence et de Rome. Charles gagna Naples à petites journées, y
entra sans effort et s'y montra avec tout l'appareil d'un empereur.
Puis il ne pensa plus qu'aux fêtes et distribua héritières et
héritages à ses barons.

Pendant qu'il s'amusait aux tournois, Maximilien d'Autriche, le roi
d'Espagne Ferdinand le Catholique, Henri VII d'Angleterre, jaloux
de la puissance française, se liguaient avec les princes du nord de
l'Italie. Charles courait le risque d'être enfermé dans sa conquête.
Averti à temps, il dut se hâter, reprit le même chemin, retraça
presque les mêmes pas, et trouva la route barrée par les Milanais et
les Vénitiens, à Fornoue, sur les bords de la rivière le Taro. Une
bataille sérieuse s'offrait à lui; aussi attaqua-t-il avec ardeur et
força le passage (juillet 1495).

Il n'eut pas le temps de recommencer cette expédition comme il le
voulait, car trois ans après, s'étant heurté la tête contre une voûte
au château d'Amboise, il mourut (1498).

=Louis XII (1498-1515).=--Louis XII, cousin et successeur de Charles
VIII, se montra plus prudent, surtout dans sa politique intérieure,
et épousa la veuve de Charles VIII pour retenir attaché au domaine
royal le beau duché de Bretagne. Mais à l'extérieur, il montra la même
légèreté que Charles VIII et n'eut d'yeux que pour l'Italie.

Afin d'obtenir plus sûrement le royaume de Naples, Louis XII le
partagea avec le roi d'Espagne, Ferdinand le Catholique. Celui-ci,
dès qu'il eut sa part, voulut prendre l'autre, et trompa honteusement
Louis XII. Le roi, lorsqu'il apprit la trahison, avait chez lui le
gendre de Ferdinand, Philippe le Beau; celui-ci pouvait craindre
d'être gardé prisonnier. «Ne craignez rien, lui dit Louis XII, j'aime
mieux perdre un royaume qu'on peut regagner, que l'honneur dont la
perte est irréparable.»

Louis XII ne put regagner le royaume perdu, mais ces guerres d'Italie
mirent en relief un grand nombre de vaillants capitaines: le plus
illustre fut sans contredit le chevalier Bayard.

Le jeune Bayard n'avait pas dix-sept ans qu'il se mesura dans un
tournoi avec un des plus redoutables chevaliers et sortit de cette
épreuve à son honneur. A la bataille de Fornoue, il eut deux chevaux
tués sous lui et rapporta une enseigne ennemie. Ce qui le faisait
surtout aimer, c'est qu'on n'eût pu trouver de plus libéral ni
gracieux combattant; s'il avait un écu, chacun en avait sa part.

Bayard prit part à toutes les guerres d'Italie et se signala par
les exploits les plus hardis. Comme l'armée se tenait derrière une
rivière, le Garigliano, les Espagnols paraissent tout à coup et
cherchent à s'emparer d'un pont mal gardé. Bayard s'arme au premier
tumulte; il voit une troupe de deux cents cavaliers qui venaient
surprendre le pont, il se jette au-devant, tout seul, en disant à ses
compagnons d'aller chercher du secours. Semblable à un lion furieux,
Bayard met sa lance en arrêt et attaque la troupe qui était déjà sur
le pont: plusieurs chancelèrent, deux hommes tombèrent dans l'eau.
Néanmoins il fut assailli si rudement que sans sa grande bravoure
il n'eût pu résister. Comme un tigre échauffé, il s'accula à la
barrière du pont, de peur qu'on ne l'attaquât par derrière, et avec
son épée il se défendit si bien que les Espagnols ne croyaient point
que ce fût un homme. Les secours eurent le temps d'arriver. Bayard
poursuivit l'ennemi, mais celui-ci reçut des renforts. Il fallut
battre en retraite, et le vaillant chevalier, toujours le dernier,
fut pris. Il se garda bien de se nommer: ses compagnons, s'apercevant
de son absence, retournèrent le délivrer. N'ayant pas été désarmé, il
sauta sur un cheval et se remit à l'œuvre en criant: «France! France!
Bayard! Bayard que vous avez laissé aller!» Ce nom terrifia les
Espagnols, qui s'enfuirent. Les Français s'en retournèrent tout joyeux
d'avoir recouvré celui qu'ils appelaient «leur vrai guidon d'honneur.»

Malgré ses fautes et ses malheurs, Louis XII est un des rois dont la
France a gardé la mémoire. En 1506 les États généraux de Tours lui
avaient donné le beau nom de _Père du peuple_.

Les guerres d'Italie en effet se passaient au loin et occupaient
surtout la noblesse. Le pays demeurait tranquille et prospère. Économe
des deniers de ses sujets, le roi s'appliquait à alléger les impôts.
«J'aime mieux, disait-il, voir les courtisans rire de mon avarice que
le peuple pleurer de mes dépenses.» Ami de la justice qu'il s'étudia
à réformer, il se montra le rigoureux ennemi de tous les pillards,
grands ou petits: aussi, depuis ses justes sévérités, «nul, dit un
écrivain du temps, n'eût rien osé prendre sans payer, et les poules
couraient aux champs sans péril et sans risques.»

=François I^{er} (1515-1547).=--La couronne échut encore à une
autre branche de la famille des Valois, à François I^{er}, comte
d'Angoulême, cousin et gendre de Louis XII. Jeune, ardent, grand et
fort,[6] il était habile à tous les exercices du corps, et en même
temps intelligent, fin, spirituel, ami des études et des beaux-arts,
dont les Français avaient pris le goût dans les opulentes cités de
l'Italie.

François I^{er} avait vingt et un ans lorsqu'il fut reconnu roi. Il
voulut réparer les malheurs de Louis XII et reconquérir l'Italie. Il
la ressaisit à la fameuse journée de Marignan (1515).

=Bataille de Marignan.=--Vingt mille Suisses gardaient solidement les
passages des Alpes; François I^{er} résolut d'escalader ces montagnes,
les plus hautes de l'Europe. On traça une route à l'armée en faisant
sauter, à force de poudre, des blocs énormes, en jetant des ponts avec
des sapins sur les abîmes. On traîna les canons avec des cordages et
on finit, au bout de six jours d'un travail prodigieux, par triompher
des plus grands obstacles que la nature eût opposés à une armée.

Le général ennemi, quand on lui annonça l'arrivée des Français, n'y
voulut pas croire. «Ont-ils volé par-dessus les montagnes?» disait-il
en raillant. C'était pourtant la vérité, car une heure après, Bayard
et le sire de la Palisse, un autre de nos grands capitaines, le
faisaient prisonnier pendant son dîner.

Les Suisses se replièrent sur la capitale de la Lombardie, Milan.
Les Français les y suivirent et une bataille acharnée s'engagea à
quelque distance de cette ville, près du village de Marignan. Commencé
dans l'après-midi, le combat se prolongea une partie de la nuit, à
la clarté d'une lune parfois voilée de nuages. Le succès fut dû à la
supériorité de l'artillerie française: les Suisses, avec un courage
admirable, s'avançaient en masses serrées, avec leurs longues piques;
des files entières tombaient, ils avançaient toujours. Le roi chargea
avec toute sa cavalerie et entra si loin dans la mêlée que sa visière
fut percée d'un coup de pique. Vers minuit, la lune se déroba tout à
fait et on s'arrêta. Les deux armées étaient confondues l'une dans
l'autre et le roi se coucha sur l'affût d'un canon, à deux pas des
ennemis.

Le lendemain, au point du jour, la bataille recommença aussi acharnée
que la veille. Mais les Vénitiens, alliés des Français, arrivèrent, et
les Suisses, craignant d'être enveloppés, se retirèrent (14 septembre
1515). François I^{er}, vainqueur, voulut être armé chevalier par
Bayard; c'était l'honneur le plus insigne que le roi pût faire au
vaillant capitaine.

Bayard ne cessa de s'illustrer dans les guerres de François I^{er}.
Envoyé en Italie où les troupes françaises avaient été battues à
la Bicoque (1522), il n'y parut que pour assister à la défaite de
Bonnivet à Biagrasso et pour y mourir. Bayard ne commandait pas en
chef; recevant les ordres de courtisans jaloux, il périt victime
de leur fautes. Bonnivet blessé lui confia le soin de diriger la
retraite; Bayard la dirigea, comme on pouvait l'attendre de lui,
faisant toujours face à l'ennemi. Après le passage de la Sésia, comme
il rejoignait, vainqueur, sa troupe d'hommes d'armes, une pierre
lancée par une arquebuse le frappa dans les reins et lui brisa l'épine
dorsale. On l'assit au pied d'un arbre. Le bon Chevalier, se sentant
mourir, planta son épée devant lui et en baisa la poignée qui figurait
une croix. Les ennemis accoururent et parurent aussi attristés que les
compagnons de Bayard.

Parmi les chefs ennemis se trouvait alors un prince français, le
connétable de Bourbon, qui, mécontant, s'était jeté dans le parti
de Charles-Quint: il survint et plaignit le bon Chevalier, qui lui
répondit ces belles paroles: «Il n'y a point de pitié à avoir de moi,
car je meurs en homme de bien: mais j'ai pitié de vous qui servez
contre votre prince, votre patrie et votre serment.» Quelques heures
après, expirait le dernier modèle du parfait chevalier (30 avril 1524).

=Bataille de Pavie.=--Les Impériaux, conduits par le connétable
de Bourbon, poursuivirent l'armée française et envahirent la
Provence. Bourbon attaqua Marseille, mais les habitants résistèrent
héroïquement. François I^{er} accourut. Les Impériaux se retirèrent
en toute hâte. François les poursuivit au delà des Alpes, s'empara
facilement de Milan et mit le siège devant Pavie. La résistance de
cette ville, prolongée quatre mois, donna à Bourbon le temps d'aller
en Allemagne chercher des troupes.

François commit la faute de s'affaiblir en détachant un corps d'armée
vers Naples, et bientôt il se trouva enfermé entre la ville de Pavie
et les troupes espagnoles et italiennes. On propose à François I^{er}
de se replier. L'orgueil le pousse à suivre le conseil de Bonnivet
qui parle au contraire de combattre. La bataille s'engage (24 février
1525). Genouillac avec son artillerie fit d'abord merveille; il ouvrit
coup sur coup des brèches dans les bataillons ennemis, «de sorte que
vous n'eussiez vu que bras et têtes voler.» François I^{er} croit
déjà l'ennemi en fuite et s'élance avec ses gens d'armes. Les ennemis
reformèrent leur ligne. Le roi, comme à Marignan, fit des prodiges
de valeur lorsqu'on lui en aurait demandé de sagesse. Mais les rangs
de l'ennemi se reformaient toujours; les meilleurs capitaines, dont
on avait négligé les conseils, sentaient bien que la victoire était
impossible et tombaient tous frappés les uns après les autres autour
du roi, qu'ils ne voulaient pas abandonner. François ne tarda pas à
être entouré d'ennemis.

«Après avoir, dit Brantôme, bien combattu tant qu'il n'en pouvait
plus, son cheval fort blessé tomba par terre et lui dessous.» François
I^{er} se vit obligé de se rendre et demanda qu'on appelât Charles de
Lannoi. Celui-ci arriva, le fit dégager et l'aida à se lever.

Le soir, François I^{er} écrivit à sa mère une longue lettre dans
laquelle il disait: «De toutes choses ne m'est demeuré que l'honneur
et la vie qui est sauve.» On en a fait le mot célèbre: «Tout est
perdu, fors [hors] l'honneur.»

Après un séjour de plusieurs mois dans une forteresse d'Italie,
François I^{er} fut conduit en Espagne, où Charles-Quint le fit
renfermer dans l'Alcazar, à Madrid.

Le donjon où il devait passer tant de mois dans les tristesses de
la prison, les accablements de la maladie, les angoisses d'une
négociation agitée et interminable, était haut, étroit et sombre. La
chambre disposée pour le roi prisonnier n'était pas très spacieuse;
on y arrivait par une seule entrée, et l'unique fenêtre qui y
laissait pénétrer la lumière s'ouvrait du côté du midi à environ cent
pieds du sol. Les concessions que Charles-Quint voulait arracher à
son prisonnier étaient exorbitantes et n'allaient rien moins qu'à
démembrer le royaume de France. Désespérant d'ébranler son vainqueur,
François I^{er} résolut un moment d'abdiquer en faveur de son fils
et de ne plus laisser entre les mains de Charles qu'un prisonnier
ordinaire. Ce prisonnier faillit même échapper à l'inflexible
empereur, car François tomba gravement malade; on désespéra de sa vie.
Le roi fut pourtant sauvé, mais non relâché, et n'obtint sa délivrance
qu'en accordant tout ce qu'on lui demandait, se promettant bien de ne
pas tout remplir. Il protesta en secret contre la violence qui lui
était faite et signa le traité de Madrid (6 janvier 1526).

On le conduisit à la frontière et, sur la Bidassoa,[7] on l'échangea
contre ses deux fils, qu'on devait garder comme otages. Lorsqu'on
l'eut ramené sur la rive française, il s'élança vivement sur son
cheval et s'écria: «Maintenant je suis roi, je suis roi encore!»

La puissance de Charles-Quint effraya les autres princes, naguère si
jaloux du vainqueur de Marignan. Le roi d'Angleterre Henri VIII, le
pape Clément VII, la république de Venise, les Suisses s'unirent à
François I^{er} qui, délivré, avait rompu le traité de Madrid.

Encore étourdi du désastre de Pavie, François ne sut point cependant
profiter des secours qui s'offraient à lui, et donna le temps aux
généraux de Charles-Quint d'écraser ses alliés d'Italie. Le connétable
de Bourbon, à la tête de bandes allemandes, se précipita sur Rome
(1527). Il fut tué en montant à l'assaut, mais les soldats prirent la
ville, et pendant neuf mois y vécurent en maîtres sauvages, se livrant
à tous les excès et aux plus odieuses profanations. L'approche tardive
d'une armée française amena seule la retraite des brigands, qui se
retirèrent dans le royaume de Naples. Les Français les y poursuivirent
et soumirent rapidement ce pays, mais échouèrent au siège de Naples.
François I^{er} se trouva heureux de conclure la paix de Cambrai
(1529).

Charles-Quint ne s'était hâté de signer la paix de Cambrai que pour
aller combattre les Turcs qui menaçaient Vienne. Les Turcs, en effet,
maîtres de Constantinople, étendaient leurs conquêtes en Europe. La
Hongrie seule put les arrêter. Charles-Quint soutenait les Hongrois
dans cette lutte acharnée. On vit alors combien l'esprit des temps
était changé. Le souverain du pays qui avait pris une part si
glorieuse aux croisades, François I^{er}, s'alliait avec les Turcs, ne
regardant que l'intérêt politique et ne voyant en eux que des ennemis
de Charles-Quint.

Tandis que les Turcs renouvelaient leurs invasions dans la vallée
du Danube, François I^{er} recommençait la guerre et s'emparait de
la Savoie (1535). En 1536, Charles, irrité, envahit à son tour la
Provence.

Mais la guerre traînait, car les grandes batailles étaient interdites
aux généraux. Cependant un jeune prince, le duc d'Enghien, commandait
en Italie et brûlait de se battre avec les Espagnols qui, confiants,
lui offraient de belles occasions de succès. Il envoya un de ses bons
capitaines, Montluc, demander au roi la permission de livrer bataille,
et le roi, entraîné par l'ardeur du vaillant guerrier, s'écria,
après s'être recueilli: «Qu'il combatte!» Le duc d'Enghien gagna une
brillante victoire à Cérisoles (avril 1544), en enfonçant une armée
espagnole bien supérieure en nombre. La paix de Crespy (Crépy) (1544)
termina les longues guerres du règne de François I^{er}.

Celui-ci mourut en 1547, sans avoir rien perdu, malgré tant de revers.
Il avait 52 ans.

François I^{er} ne fut pas seulement un roi batailleur; ce qui lui a
valu sa renommée et ce qui lui a fait pardonner ses fautes, c'est la
générosité avec laquelle il protégea les lettres et les arts, les arts
surtout. C'est la belle époque de la Renaissance, de laquelle datent
plusieurs des beaux palais et châteaux de la France.

«Entre autres belles vertus que le roi eut,» dit Brantôme, «c'est
qu'il fut fort amateur des bonnes lettres et des gens savants de son
royaume: il les entretenait toujours de discours grands et savants,
leur en donnant la plupart du temps les sujets et les thèmes.»

«De telle façon la table du roi était une vraie école, car là il s'y
traitait de toutes matières, autant de la guerre que des sciences
hautes et basses. Il fut appelé père et le vrai restaurateur des arts
et des lettres, car, avant lui, l'ignorance régnait quelque peu en
France.»

L'imprimerie multipliait les livres. François I^{er}, qui se piquait
quelquefois de poésie, protégea les poètes comme les artistes, mais
favorisa surtout les savants, les érudits, qui commençaient à battre
en brèche l'ignorance si longtemps souveraine. Il fonda en 1530 un
collège d'un genre tout nouveau, appelé le _Collège de France_, et
destiné à rendre la science accessible à tous.



                             CHAPITRE XII

                       LES GUERRES DE RELIGION


Le successeur de François I^{er} fut Henri II. Profitant des guerres
religieuses qui avaient éclaté en Allemagne, Henri II s'allia avec
les princes protestants ennemis de Charles-Quint et occupa les trois
villes anciennes de Metz, Toul, Verdun.

Charles-Quint, irrité, vint mettre le siège devant Metz, que le duc
François de Guise défendit avec énergie (1552). Vaincu de nouveau à
Renty (1554), Charles-Quint signa une trêve (1556) et abdiqua la même
année, renonçant à toutes ses couronnes.

=Henri II (1547-1559).=--Le fils de Charles-Quint, Philippe II,
demeurait aussi redoutable pour la France, quoiqu'il ne dominât
plus ni l'Autriche ni l'Allemagne. Il avait épousé Marie Tudor,
reine d'Angleterre, et les Anglais l'aidèrent dans les guerres qu'il
recommença contre la France. Son général, le duc de Savoie Philibert
Emmanuel, envahit la Picardie et se porta sur Saint-Quentin. Le
connétable de Montmorency accourut avec une armée. Mais il se laissa
envelopper par l'armée espagnole, éprouva une sanglante défaite et
fut obligé de se rendre (1557). Pour réparer ce désastre, le duc
de Guise alla surprendre Calais, la dernière ville que les Anglais
eussent en France, et la reine Marie Tudor en mourut de chagrin (1558).

La paix de Cateau-Cambrésis (1559) termina les guerres d'Italie.
Pendant les fêtes qui célébrèrent la paix et les mariages princiers
par lesquels on la consacra, Henri II, luttant dans un tournoi contre
son capitaine des gardes, Montgommery, fut grièvement blessé d'un
éclat de lance qui pénétra dans sa tête, et mourut quelques jours
après (1559).

=La réforme; François II (1559-1560); Charles IX (1560-1574).=--Une
réforme religieuse commencée en Allemagne par Luther amena le
déchirement de l'unité chrétienne et bouleversa l'Europe.

En France la doctrine de Calvin, plus hardie encore que celle de
Luther, se répandit. La division se mit dans tout le royaume, partagé
entre les _catholiques_ et les _réformés_, qu'on appelait généralement
les _protestants_ ou les _huguenots_.

Les progrès du calvinisme étaient déjà grands lorsque Henri II mourut.
Ce prince laissait quatre fils, dont trois devaient régner, de 1559 à
1589: François II, Charles IX, Henri III.

L'aîné, François II, d'une santé débile, ne régna qu'un an
(1559-1560). Encore le vrai maître était-il le duc François de
Guise, dont la nièce, Marie Stuart, avait épousé le roi François II.
Les protestants, soutenus par la famille des Bourbons, essayèrent
d'enlever le jeune roi à la famille des Guises et ourdirent la
conjuration d'Amboise. Elle échoua et un grand nombre de protestants
furent saisis, pendus ou décapités. Mais les guerres de religion ne
commencèrent que sous Charles IX, qui, à peine âgé de dix ans et demi
en 1560, régna d'abord sous la tutelle de sa mère Catherine de Médicis.

=Catherine de Médicis.=--Catherine de Médicis, princesse italienne,
avait épousé le fils de François I^{er}, Henri II, mais ce prince
l'avait tenue à l'écart du gouvernement. Elle eut encore à souffrir de
cet isolement sous le règne de son premier-né, François II. C'était
la belle et gracieuse Marie Stuart qui dominait à la cour et assurait
la réalité du pouvoir à son oncle François de Guise. Mais en 1560
François II mourut, et Catherine de Médicis se vit appelée à prendre
la régence au nom de son second fils, Charles IX.

Sa passion de régner fut alors satisfaite. Mais Catherine avait à
se défendre contre l'influence de deux grandes familles rivales,
les Guises et les Bourbons, et à pacifier le royaume, déjà troublé
par les guerres religieuses. Astucieuse et perfide, Catherine de
Médicis s'appliqua à opposer les Bourbons aux Guises, et à tenir la
balance égale entre les catholiques et les protestants. «Chacun, dit
un contemporain, d'Aubigné, admirait de voir une femme étrangère se
jouer d'un tel royaume et d'un tel peuple que les Français, mener à
la chaîne de si grands princes.» Sa politique double ne contribua pas
peu à exciter les divisions et à déchaîner les guerres religieuses
dont elle put voir les tristes résultats, car ces guerres amenèrent la
ruine de la famille des Valois. Catherine de Médicis vit disparaître
avant elle ses enfants, et, au moment où elle mourut, en 1589, son
dernier fils, Henri III, était presque détrôné.

=La Saint-Barthélemy.=--Parmi les protestants, l'homme qui mérita le
plus de respect et eut la fin la plus tragique, ce fut Coligny, dont
l'illustration comme celle de Guise datait des guerres de Henri II.
Le parti protestant n'avait pu être accablé. Il rétablissait toujours
ses affaires, grâce aux talents de Coligny, qui recueillait les débris
de l'armée, défendait les villes, soutenait le courage, et ramenait
quelquefois la victoire. La guerre n'aboutissait à rien.

En 1570, Catherine de Médicis fit aux réformés des concessions trop
larges pour être sincères. Les chefs protestants furent attirés
à la cour de Charles IX pour le mariage du jeune Henri de Béarn,
leur chef, avec Marguerite de Valois, sœur du roi. Charles IX se
prit même d'amitié pour l'amiral Coligny. Celui-ci donnait au roi
les plus sages conseils et lui proposait de détourner contre les
étrangers l'exaltation guerrière de la noblesse. Mais les catholiques
s'indignaient de la puissance des protestants. Excités par eux, la
cour organisa en secret le plus odieux guet-apens.

Quelques jours après les fêtes du mariage de Henri de Béarn, le 24
août 1572, fête de saint Barthélemy, à deux heures du matin, la cloche
de Saint-Germain l'Auxerrois sonne, et le tocsin des autres églises
lui répond. Des bandes armées s'élancent dans les rues aux cris de:
Mort aux huguenots! Un affreux massacre souille Paris. Le duc Henri
de Guise et le duc d'Aumale, qui ont arraché au roi l'arrêt de mort
de Coligny, se dirigent vers la demeure de l'amiral, tout près du
Louvre. Un assassin à leurs gages lui avait déjà tiré, quelques
jours auparavant, un coup d'arquebuse et l'avait blessé à la main.
Coligny reposait sous la protection d'une compagnie des gardes du
roi. Les ducs signifient au capitaine la volonté de Charles IX. On
monte, cinq Suisses se tenaient au haut de l'escalier. Ils résistent,
se barricadent; le bruit de la lutte réveille Coligny, qui se met
en prière. Ses serviteurs sont tués ou dispersés. Les arquebusiers
arrivent à la chambre de l'amiral, dont l'aspect grave et vénérable
les saisit. Mais l'un d'eux, Bême, plus féroce que les autres,
s'approche: «N'es-tu pas l'amiral?» dit-il. «Je le suis, jeune homme,
répondit Coligny, respecte ma vieillesse et ma faiblesse.» Bême le
frappe, le renverse; Coligny est percé de coups, puis jeté par la
fenêtre.

Le massacre de Paris fut imité dans les provinces. Quelques
gouverneurs cependant refusèrent d'ordonner ces affreuses exécutions.
«Je n'ai que des soldats et pas un bourreau,» répondit l'un d'eux.
Un moment frappés de stupeur, les protestants ne tardèrent pas à se
lever en masse; l'armée royale ne put prendre la Rochelle, qui était
devenue la citadelle du parti, et Charles IX fut obligé de signer la
paix (1573). L'année suivante, il mourait au milieu des plus violentes
convulsions; dans son délire, souvent troublé par de sombres visions,
il n'apercevait, si l'on en croit la tradition, que des meurtres et du
sang (1574).

=Henri III (1574-1589).=--Le frère de Charles IX, Henri III, qui lui
succéda, était un prince frivole. Il se composa une cour de seigneurs
dissolus. Il aimait à s'entourer de petits chiens, de perroquets, de
singes, et se fardait le visage comme une femme.

Le parti protestant s'était relevé, et Henri III s'était vu obligé
de lui faire d'importantes concessions. Les catholiques, exaltés,
formèrent entre eux une vaste association, appelée sainte Ligue
(1576). Le chef en était Henri de Guise, fils de François de Guise,
que les catholiques rêvaient déjà de placer sur le trône.

En effet la famille des Valois semblait près de s'éteindre. Henri
III n'avait point de fils qui pût lui succéder; son frère, le duc
d'Alençon, mourut sans enfants en 1584. Il y avait pourtant un
héritier légitime, Henri de Bourbon, prince de Béarn et roi de
Navarre; mais il était protestant, et les ligueurs n'en voulaient à
aucun prix. Henri de Guise, soutenu par le roi d'Espagne Philippe II,
brava Henri III et souleva Paris.

Henri III dut se jeter dans les bras des protestants et vint avec
Henri de Navarre assiéger la capitale; mais il fut poignardé à
Saint-Cloud par un fanatique, Jacques Clément (1589).

A la mort de Henri III, Henri de Navarre fut salué roi seulement par
les protestants et une petite partie des fidèles de Henri III.

=Henri IV (1589-1610).=--Henri IV était fils d'Antoine de Bourbon,
prince de Béarn et roi de Navarre, mais roi sans royaume, car la
Navarre était aux mains des Espagnols. Il était né au château de
Pau en 1553. Sa mère, Jeanne d'Albret, ordonna de le nourrir sans
délicatesse, de ne point l'habiller richement, de ne point le flatter
du titre de prince, et de ne le distinguer en rien des enfants du
pays. On vit donc Henri, tout jeune, aller tête nue, pieds nus, se
battant avec les autres enfants, escaladant, sous le soleil ou la
pluie, les rochers des Pyrénées. On l'habituait à coucher sur la
dure; on le forçait à de longues courses matinales et à des chasses
fatigantes. Il acquit ainsi santé, force, agilité, et il avait une
gaieté franche et naturelle qui lui gagnait tous les cœurs.

Jeanne d'Albret, cependant, très instruite, ne voulut pas que les
buissons et les bois fussent la seule école de son fils. Pour qu'il ne
devînt pas, comme elle le disait, un illustre ignorant, elle lui mit
les meilleurs livres entre les mains. Elle le confia à un précepteur
et lui recommanda d'obéir à son maître comme à elle-même: «Je ne vous
ai donné que la vie, disait-elle à Henri, mais il vous apprendra à
bien vivre, ce qui est préférable.»

Henri III, en mourant, avait commandé à tous ses officiers de
reconnaître pour son successeur Henri de Navarre. Beaucoup de
seigneurs catholiques, «enfonçant leurs chapeaux ou les jetant par
terre, fermant le poing, murmurent qu'ils se rendront à toutes sortes
de personnes plutôt que de souffrir un roi huguenot.» Ils viennent
le sommer de se faire catholique. En vain Henri répond que «c'est le
prendre à la gorge, ne pas l'estimer de croire qu'il peut à ce point
faire violence à l'âme et au cœur à l'entrée de la royauté.» Il en
appelle à eux-mêmes, sûr d'avoir pour lui «tous les catholiques qui
aiment la France et l'honneur.» En vain le brave Givry déclare tout
haut que Henri «est le roi des braves et qu'il ne sera abandonné que
des poltrons;» en vain Henri déclare être prêt à se faire instruire:
un grand nombre de seigneurs l'abandonnent.

Henri se trouvait dans une situation presque désespérée: peu de
soldats et point d'argent, mais une petite armée anglaise envoyée
par la reine Élisabeth, alliée de Henri IV, débarqua fort à propos à
Dieppe, et Henri put reprendre l'offensive (1589).

L'année suivante, une bataille tourna encore à l'avantage de Henri,
à Ivry. En face d'une armée ennemie bien plus nombreuse on parlait
au roi d'assurer sa retraite: «Point d'autre retraite, dit-il, que
le champ de bataille.» Puis, après une courte prière, mettant son
casque en tête, il accompagna d'un sourire ces paroles: «Compagnons,
Dieu est pour nous; voici ses ennemis et les nôtres; voici votre
roi! Si vos cornettes vous manquent, ralliez-vous à mon panache
blanc: vous le trouverez au chemin de la victoire et de l'honneur.»
Le combat fut rude; un instant ses troupes cédèrent; Henri courut en
avant: «Tournez visage, leur crie-t-il; si vous ne voulez combattre,
regardez-moi mourir;» et il se précipita au plus épais des ennemis.
Enfin la victoire est remportée: alors ce «bon Français,» qui appelait
la guerre civile «un mal bien douloureux,» s'écria: «Quartier aux
Français; mais mort aux étrangers!»

Depuis quelques années, Paris était en proie au plus affreux désordre.
Les Espagnols avaient dévoilé leurs desseins, et les plus acharnés
d'entre les ligueurs les soutenaient seuls. Le bon sens ne triomphait
pas encore des passions, mais parlait déjà avec hardiesse. Henri
de Navarre résolut enfin d'aider le parti royaliste en supprimant
l'objection qu'on lui faisait toujours de sa religion. Les plus
fidèles de ses conseillers huguenots l'encourageaient à faire le
sacrifice que lui demandait le peuple. Le 25 juillet 1593, Henri
abjura solennellement à Saint-Denis la religion protestante et fut
sacré à Chartres le 27 février 1594.

Sully trouva de l'argent, tout en murmurant, pour acheter les
gouverneurs des villes. «S'il fallait les prendre par la force, disait
le roi, elles nous coûteraient dix fois autant.» Brissac, après avoir
fait ses conditions, livra Paris (mars 1594), où Henri IV entra
salué avec une allégresse sincère, car ce n'était pas l'homme mais
l'hérétique qu'on avait combattu en lui. Le jour même, la garnison
espagnole se retira avec les honneurs de la guerre. Henri la regarda
partir, et, saluant les chefs, leur dit: «Messieurs, recommandez-moi
à votre maître, mais n'y revenez plus.» Il promet de tout oublier,
mais il n'oublie pas qu'il a été obligé d'acheter sa capitale et les
plus grandes villes de son royaume. «Que dites-vous de me voir ainsi à
Paris?» demande-t-il à son secrétaire.--Je dis qu'on a rendu à César
ce qui appartient à César, comme il faut rendre à Dieu ce qui est à
Dieu.--Dame, répondit le roi, on ne m'a pas fait comme à César: car
on ne me l'a pas rendu, on me l'a bien vendu.» Et cela était dit en
présence de Brissac et d'autres vendeurs. Toutefois il n'a aucune
pensée de vengeance. Il accepte, il recherche les services de ceux qui
l'ont combattu.

En 1598 les Espagnols quittent la France. Henri IV a terminé la guerre
étrangère en signant avec Philippe II la paix de Vervins.

=L’Édit de Nantes.=--Il a déjà enlevé tout prétexte aux discordes
civiles en accordant aux protestants l'exercice de leur culte et même
de grandes garanties. C'est l'Édit de Nantes (1598). Henri ne voulait
plus de partis. «Je couperai, disait-il, les racines de toutes ces
factions. Je ne détruirai pas la religion réformée, ajoutait-il, mais
la faction huguenote si elle se mutine. Il ne faut plus faire de
distinction de catholiques et de huguenots: il faut que tous soient
bons Français.»

Un grand ministre aida Henri IV dans la tâche immense qu'il avait
entreprise de réparer les désastres de quarante ans de guerre civile.
C'était le baron de Rosny, plus tard duc de Sully, né au château
de Rosny, près de Mantes, en 1560. Tout jeune il avait échappé au
massacre de la Saint-Barthélemy par une présence d'esprit rare chez
un enfant de douze ans: ayant pris sous son bras un gros missel,
il avait traversé les rues pleines de bandes furieuses et avait
couru se réfugier à son collège, dont le principal le cacha. Il
resta toujours attaché au parti protestant, servant d'abord dans
l'infanterie, pour apprendre le métier des armes,--ce qui répugnait
fort aux gentilshommes;--il combattit avec beaucoup de courage pour sa
religion, fut souvent blessé, et particulièrement à Ivry, où Henri,
qui le croyait presque mort lorsqu'on l'emporta, l'embrassa avec joie.

Sully remit l'ordre dans les finances: ce qui n'était pas chose
facile dans un siècle où ceux qui maniaient l'argent de l'État le
prenaient pour eux, puis tourna son attention vers l'agriculture. Des
routes furent percées et plantées d'arbres. Le commerce se ranima.
Sully permit de vendre des grains à l'étranger: ce qui stimula
énergiquement les paysans à produire du blé.

La plus grande entente ne cessait d'exister entre le maître et le
serviteur. «Je suis plus fort en mon conseil, quand je sais que vous y
êtes,» écrivait un jour Henri pour hâter le retour de Sully.

Henri aidait son ministre dans toutes ses améliorations; il aimait
les petites gens. Quand il allait par le pays, il s'arrêtait pour
parler au peuple, s'informait des passants d'où ils venaient, où ils
allaient, quelles denrées ils portaient, quel était le prix de chaque
chose, et, remarquant qu'il semblait à plusieurs que cette facilité
populaire offensait la gravité royale, il disait: «Les rois tenaient à
déshonneur de savoir combien valait un écu, et moi je voudrais savoir
ce que vaut un liard, combien de peines ont ces pauvres gens pour
l'acquérir, afin qu'ils ne soient chargés que selon leur portée.» Dans
les campagnes on aimait à répéter des mots de lui qui couraient: «Si
l'on ruine le peuple, qui soutiendra les charges de l'État?»

Le 14 mai, 1610, Henri IV était agité: il ne pouvait ni s'occuper ni
dormir. «Votre Majesté devrait sortir, dit un garde, et prendre l'air:
cela la réjouirait.--Tu as raison: qu'on apprête mon carrosse.» Comme
le temps était beau et chaud, on prit un carrosse tout ouvert. Henri y
monta avec les ducs d'Épernon et Montbazon et cinq autres seigneurs,
sans escorte: seulement quelques gentilshommes à cheval et valets de
pied suivirent. On se dirigea vers l'Arsenal, où le roi voulait voir
Sully malade. En passant de la rue Saint-Honoré dans la rue de la
Ferronnerie, un embarras de voitures arrêta le carrosse. François
Ravaillac l'avait suivi depuis le Louvre; il monta sur une borne, et
comme le roi était attentif à écouter une lettre que le duc d'Épernon
lisait, le misérable s'élança et frappa Henri IV de deux coups de
couteau dans la région du cœur. Pendant que les archers arrêtaient
l'assassin et l'emmenaient prisonnier dans un hôtel voisin pour le
soustraire à la fureur de la foule, les seigneurs couvrirent Henri
IV d'un manteau et firent retourner le carrosse vers le Louvre. Ils
répandaient le bruit que le roi n'était que blessé, mais Henri IV
était mort sur-le-champ, et, quand le peuple connut la vérité, ce fut
un deuil universel, car aucun roi n'avait été, comme Henri IV, à la
fois grand et bon.



                            CHAPITRE XIII

      LOUIS XIII (1610-1643)--MINISTÈRE DU CARDINAL DE RICHELIEU


=Régence de Marie de Médicis.=--La mort prématurée de Henri IV rejeta
le royaume dans la confusion. Son fils, Louis XIII, n'avait pas neuf
ans, et la régente, Marie de Médicis, princesse étrangère, d'un
caractère faible, n'était point femme à continuer la sage et ferme
politique de Henri IV. Elle combla de dignités et des plus hautes
charges de la cour un Italien, Concini, et, en quatre ans, son faible
et funeste gouvernement avait dissipé les millions amassés par Henri.

Les seigneurs se révoltaient pour se faire acheter leur soumission
par de grosses pensions. Voulant paraître faire quelque chose pour
le bien public, ils demandèrent la convocation des _États généraux_
(1614). Dans cette réunion on vit commencer entre les trois Ordres
la lutte qui, un siècle plus tard, devait déchirer la France. Le
président du tiers état dit que les trois Ordres étaient trois frères,
enfants de leur mère commune, la France. La noblesse protesta contre
cette comparaison qui tendait à établir l'égalité des seigneurs et du
peuple. Elle chercha à humilier les députés du tiers, et la querelle
devint si vive que la cour, dès qu'elle eut obtenu les subsides
demandés, se hâta de renvoyer les États. Ce furent les derniers avant
ceux de 1789.

=Concini et de Luynes.=--La faveur insolente de Concini, devenu
marquis d'Ancre et maréchal de France, ne put durer. Louis XIII,
écarté des affaires et livré aux amusements les plus puérils, écouta
les conseils d'un gentilhomme, Albert de Luynes, qu'il affectionnait
beaucoup à cause de son habileté à dresser des pièges aux oiseaux. De
Luynes persuada au jeune prince de ressaisir l'autorité par un coup
hardi. Le maréchal d'Ancre fut tué un matin qu'il entrait au Louvre
(1617). La reine mère dut se retirer à Blois, et Louis XIII crut enfin
régner, lorsque le vrai maître c'était de Luynes.

Au favori de la reine mère succéda le favori du roi, et le vainqueur
montra même avidité, même incapacité. Albert de Luynes fut fait
connétable sans avoir jamais commandé un régiment, puis chancelier.
Aussi a-t-on dit de lui «qu'il était aussi propre à faire un magistrat
en temps de guerre qu'un général en temps de paix.» Albert de Luynes
montra cependant quelque énergie contre le parti protestant qui
reprenait les armes, et mourut enlevé par une épidémie au siège de
Montauban (1621). Au règne des favoris qui peuvent à peine distraire
un roi ennuyé, succède enfin le règne d'un vrai ministre.

=Le ministère de Richelieu.=--En 1624 arriva au pouvoir Armand du
Plessis de Richelieu. Richelieu était le troisième fils d'un capitaine
des gardes de Henri IV. Suivant l'usage, l'aîné suivit la carrière
des armes, le second embrassa l'état ecclésiastique, mais bientôt se
confina dans un cloître, et le troisième le remplaça dans les dignités
ecclésiastiques et devint évêque de Luçon. Aumônier de la reine Marie
de Médicis, protégé par elle, il partagea sa mauvaise fortune après
la chute de Concini, puis s'entremit avec zèle pour réconcilier la
mère et le fils. Après la mort de Luynes, l'évêque de Luçon qui avait
déjà donné bien des preuves de sa haute intelligence, reçut le chapeau
de cardinal; le roi refusait cependant de l'admettre au conseil.
«Cet homme, disait-il à la reine mère, je le connais mieux que vous,
madame; il est d'une ambition démesurée.» L'habileté et la patience du
cardinal, la volonté de Marie de Médicis triomphèrent des hésitations
du roi, et, dès que Richelieu fut au conseil (1624), il y fut bientôt
le maître.

Richelieu, une fois au pouvoir, jugea nettement la situation. Il
inaugura une politique nouvelle, hardie à l'intérieur comme à
l'extérieur. «Le roi a changé de conseil et le ministère de maximes,»
écrivait-il dans une de ses plus fières dépêches.

Ayant résolu d'abord d'en finir avec les protestants qui remuaient
toujours, il conduisit le roi au siège de la Rochelle, «ce nid d'où
avaient coutume d'éclore les desseins de révolte.» C'était la grande
forteresse du parti protestant et les seigneurs catholiques ne se
dissimulaient pas qu'elle leur était utile en embarrassant la royauté.
Le cardinal de Richelieu anime tout de son âme; le mot d'ordre est:
«passer ou mourir.» Enfin on parvient, malgré la flotte anglaise,
à jeter dans l'île 6000 soldats; les Anglais, vaincus dans une
bataille sanglante, sont obligés de se retirer et d'abandonner la
Rochelle à ses seules ressources. Mais la ville était forte. L'énergie
des habitants s'exalta, soutenue par les ardentes prédications du
ministre Salbert, par le courage viril de la vieille duchesse de
Rohan, et surtout par son maire, le rude marin Guiton. En acceptant
cette charge, Guiton déclara qu'il poignarderait de sa propre main
quiconque parlerait de se rendre; pour rappeler cette menace, il
plaçait son poignard sur la table du conseil. Le ministre cependant
se montrait général, intendant des vivres, ingénieur; pour affamer
la ville, il eut recours à une digue de 700 toises; du côté de la
terre une circonvallation s'étendait sur plus de trois lieues, garnie
de treize forts. Enfin la famine est dans la Rochelle; Guiton reste
inébranlable, attendant les secours de la flotte anglaise qui deux
fois apparaît à la vue de la ville assiégée et deux fois recule
devant la marine improvisée de Richelieu. On montre à Guiton des
habitants expirant de faim: «Il faudra bien que nous en venions tous
là,» se contente-t-il de répondre. «Mais bientôt la ville n'aura plus
d'habitants.--C'est assez qu'il en reste un pour fermer les portes.»
Enfin la révolte se met dans la ville, il a fallu exécuter plusieurs
des malheureux qui demandent du pain ou la capitulation. Les rues sont
parcourues par des «ombres d'hommes vivants» et encombrées de cadavres
qu'on n'a plus le courage d'ensevelir. Il faut finir par se rendre au
cardinal qui entre dans la ville précédé d'un grand convoi de vivres,
«marchant seul devant le roi,» comme pour bien montrer qu'il était la
seconde personne de France (1628).

Au dehors, Richelieu défendait les intérêts de la France. «Jusqu'où
allait la Gaule, disait-il, jusque-là doit aller la France.» Ce ne
fut pas sa faute s'il ne réalisa pas cette parole: il en fut bien
près. Il prit surtout part à la grande lutte qui armait alors une
moitié de l'Europe contre l'autre, et connue dans l'histoire sous le
nom de _guerre de Trente Ans_ (1618-1648), lutte qui avait pour but
d'empêcher l'Allemagne de devenir la proie de la maison d'Autriche.

Celle-ci avait déjà écrasé deux adversaires. Richelieu va en chercher
un troisième au fond du Nord, le roi de Suède Gustave-Adolphe, un
des plus grands capitaines de l'époque, «un soleil levant,» comme
on l'appelait. Gustave-Adolphe se lance sur l'Allemagne, «fait une
guerre à coups de foudre,» mais tombe bientôt enseveli dans un dernier
triomphe à Lutzen (1632).

Mais dès la seconde campagne la France est envahie. La ville de Corbie
est prise; l'effroi règne dans Paris. Déjà les bourgeois s'imaginaient
voir arriver les Impériaux. Quelques-uns, collant l'oreille contre
terre, prétendaient entendre le canon ennemi. Richelieu lui-même
désespère. Son fidèle conseiller, le capucin Père Joseph, ranime son
courage et l'engage à se montrer. Richelieu sort: il va à l'Hôtel de
ville pour réclamer l'appui du peuple. Le patriotisme éclate. Les
volontaires affluent et le maréchal de la Force reçoit leurs noms sur
le perron de l'Hôtel de ville. L'armée marche sur Corbie, qui est
repris aux Espagnols.

Même pendant qu'il épuisait sa vie à la poursuite de ces grands
desseins, Richelieu avait encore à se défendre contre les intrigues
et les complots. Il avait dû réprimer une révolte du comte de Soissons
qui périt au combat de la Marfée (1641). Il lui fallut, aussi en 1642,
donner encore un terrible exemple par le supplice d'un jeune seigneur,
Cinq-Mars, qui avait conspiré et traité avec l'Espagne. Cinq-Mars fut
décapité, à Lyon, avec son ami, le jeune de Thou, accusé seulement de
ne pas l'avoir dénoncé et dont le sort inspira une juste pitié (12
septembre 1642).

Richelieu était déjà atteint de la maladie qui devait l'enlever
quelques mois après. Il voyageait tantôt sur un bateau, tantôt, quand
on ne pouvait naviguer, dans une vaste litière portée sur les épaules
de ses gardes: cette litière était si vaste et si haute qu'on abattait
devant elle des pans de murailles, les portes des villes et des
édifices étant trop étroites pour lui donner passage; il arriva ainsi
à Paris le 17 octobre, au milieu de la foule étonnée et terrifiée en
présence d'un pareil triomphateur.

Cependant sa santé, minée par les travaux, par les soucis du pouvoir,
faisait prévoir une fin prochaine. Louis XIII vint lui rendre visite
et essaya de lui donner quelques consolations. «Sire, lui dit le
cardinal, voici le dernier adieu. En prenant congé de Votre Majesté,
j'ai la consolation de laisser son royaume plus puissant qu'il n'a
jamais été et vos ennemis abattus.» Aux derniers moments, Richelieu,
qui ne voulait plus être flatté, fit signe à celui des médecins en qui
il avait le plus de confiance: «Parlez-moi, dit-il, à cœur ouvert,
non en médecin, mais en ami.--Monseigneur, dans vingt-quatre heures
vous serez mort ou guéri.--C'est parler, cela, dit Richelieu, je vous
entends.» Et il se recueillit pour mourir. «Voilà mon juge qui doit
bientôt prononcer mon arrêt, dit-il: je le supplie de me condamner si
pendant mon ministère j'ai eu d'autre objet que le bien de l'État,
le service de mon souverain, la gloire de Dieu et les avantages
de la religion.» En entendant ces dernières paroles, l'évêque de
Lisieux ne put s'empêcher de dire tout bas: «Voilà une assurance qui
m'épouvante.» Richelieu expira le 4 décembre 1642.

=Pierre Corneille (1606-1684.)=--L'époque de Louis XIII est celle
où la nation française est vraiment constituée. Dès ce jour aussi
sa langue est formée et sa littérature arrive au plus haut point de
la perfection avec le philosophe René Descartes et le poète Pierre
Corneille.

Corneille était né à Rouen le 6 juin 1606; son père était avocat
du roi au parlement de Normandie. L'aîné de sept enfants, Pierre
fut placé de bonne heure au collège des Jésuites de la ville, et il
fut reçu avocat comme son père. Mais sa vocation le portait vers la
poésie et le théâtre. Sa tragédie, _le Cid_, fut accueilli avec un
enthousiasme sans précédent. On ne pouvait se lasser de voir cette
pièce; chacun en savait quelque partie par cœur; on la faisait
apprendre aux enfants, et il était passé en proverbe de dire: _Cela
est beau comme le Cid_.

En 1639 et 1640, Corneille écrivit encore _Horace_, _Cinna_,
_Polyeucte_, trois chefs-d'œuvre. Sa vie, vouée tout entière à la
culture des lettres, fut sans agitation extérieure, et ses dernières
années s'écoulèrent dans la gêne et dans la tristesse. Il mourut à
Paris, en 1684.

La popularité du grand poète a survécu et s'est même augmentée avec
le temps. Selon l'expression d'un éminent critique, elle honore notre
pays. «Elle y est l'effet de cet amour pour les grandes choses et de
cette passion pour les grands hommes qui sont un des traits de notre
caractère national. Le jour où Corneille cesserait d'être populaire
sur notre théâtre, nous aurions cessé d'être une grande nation.»

Il ne faut pas non plus oublier les services rendus aux lettres par
Richelieu, qui aimait les poètes jusqu'à en être jaloux; les pensions
accordées aux écrivains; la création de la presse périodique, par le
privilège de la _Gazette de France_, accordé au médecin Renaudot; et
surtout l'institution de l'_Académie française_ (1635).



                             CHAPITRE XIV

                    LOUIS XIV (1643-1715)--MAZARIN


=Bataille de Rocroy.=--Richelieu n'avait pas eu le temps d'achever la
longue guerre dans laquelle nous étions engagés. Louis XIII le suivit
quelques mois après au tombeau (mai 1643). Cette double mort releva
le courage des Espagnols; le trône passait à un enfant de cinq ans,
la régence à une femme. Les ennemis avaient repris l'offensive du
côté de la Champagne et assiégeaient Rocroy. Le jeune duc d'Enghien,
fils du prince de Condé, commandait de ce côté: il avait reçu comme
dot de son mariage avec une nièce de Richelieu la direction d'une
armée, et il en était digne. Ayant la ressemblance il a aussi l'audace
de l'aigle. Cinq jours après la mort du roi, malgré l'avis de ses
plus vieux officiers, il ose attaquer une armée presque double de la
sienne et composée en grande partie de ces vieilles bandes espagnoles
dont, depuis Pavie, la réputation était si grande. Les Espagnols,
suffisamment couverts par les marais et les bois dont Rocroy est
entouré, pressaient vivement le siège. On se canonna d'abord jusqu'à
la nuit, et le lendemain (19 mai 1643) on s'ébranle pour un choc
décisif. Le duc d'Enghien avec Gassion, enfonce l'aile gauche des
Espagnols; les deux chefs, manœuvrant habilement, se séparent: Gassion
poursuit les fuyards, Enghien se jette sur le centre ennemi. Or, à
ce moment l'aile droite des Espagnols, victorieuse, écrasait les
Français dont les chefs étaient mis hors de combat. Enghien voit le
danger et le prévient. Il passe avec sa cavalerie derrière les lignes
ennemies et court attaquer l'aile droite espagnole qui se croyait
maîtresse du champ de bataille. Cette manœuvre, dont on n'avait point
eu d'exemple, décida du succès; il fallait le compléter. Restaient
au milieu de la plaine les gros bataillons de l'infanterie espagnole
jusque-là invincibles: ils se forment en carrés; dès que les nôtres
approchent, les carrés s'ouvrent, démasquant dix-huit pièces de canon,
qui vomissent la mort de toutes parts. Mais les bandes espagnoles sont
entourées; Gassion a rejoint le duc d'Enghien. Toute l'armée française
se précipite contre les quatre mille vieux soldats qui résistent avec
la plus admirable intrépidité. Enfin, pour éviter un carnage inutile,
des officiers espagnols demandent quartier. Enghien s'avance pour
les écouter; soit erreur, soit exaltation, les soldats espagnols
continuent le feu. Alors nos troupes indignées se précipitent de
nouveau avec fureur et cette glorieuse journée se termina par le
carnage le plus affreux. Sept mille ennemis jonchaient le champ de
bataille; deux cents étendards étaient le trophée de cette victoire
d'un général de vingt-deux ans.

La réputation que venaient de gagner et nos troupes et Condé fut
soutenue l'année suivante à Fribourg (grand-duché de Bade), où, de
concert avec un autre illustre capitaine, le vicomte de Turenne, il
vainquit, après plusieurs attaques meurtrières, l'habile général
bavarois Merci (1644).

=Turenne.=--Tout jeune, Turenne avait manifesté un vif amour des
combats. Par une froide soirée d'hiver, il s'échappa du château. Sa
mère, saisie d'une inquiétude mortelle, envoya à sa recherche. Son
père, le duc de Bouillon, averti, s'écria: «Je gage qu'il est sur les
remparts, dans quelque bivouac, à se faire raconter des histoires de
guerre.» Le duc de Bouillon alla donc de bivouac en bivouac et bientôt
rencontra son fils qui, de lassitude, dormait sur l'affût d'un canon.
«L'ennemi, l'ennemi!» lui cria son père. Turenne s'éveilla aussitôt
et se mettait dans l'attitude du combat, lorsque son père l'entoura
dans ses bras en lui disant: «Prisonnier! prisonnier!» Fort grondé,
Turenne s'excusa en répondant: «Je voulais, mon père, en me couchant
sur la dure par cette nuit glacée, m'essayer aux fatigues de la guerre
et voir si je serais capable de faire bientôt mes premières armes sous
vos ordres.»

=Mazarin.=--A Paris heureusement règne, sous le nom de la régente
Anne d'Autriche, un ministre qui s'entend à recueillir le fruit de
ces victoires et continue la politique de Richelieu; c'est Mazarin.
Né à Rome en 1602, d'une famille sicilienne assez obscure, Mazarin
avait d'abord étudié chez les jésuites: il se distingua de bonne
heure, aux représentations du collège, par cet art de comédien qu'il
déploya plus tard sur le théâtre de la politique. Ami des plaisirs
et du jeu, on le vit s'attacher à une grande famille, celle des
Colonna, accompagner un jeune prince de cette maison aux universités
d'Espagne, jouer à Madrid comme à Rome, mais étudier néanmoins. Il
laissa bientôt les livres pour l'épée et partit capitaine dans un
régiment. Puis il débuta dans la diplomatie comme attaché de légation,
et, du premier coup, effaça ses maîtres. Il arrêta deux armées, dont
l'une était l'armée française, prêtes à engager une grande bataille
(1630 à 1631). Richelieu l'apprécia, l'attira en France et obtint pour
lui en 1640 le chapeau de cardinal bien qu'il ne fût pas prêtre. Si
Mazarin était étranger, il avait le cœur français et le prouva dès
qu'Anne d'Autriche lui eut confié le pouvoir. Mazarin donna toute
son attention à la grande lutte contre l'Empire et contre l'Espagne,
et, lorsque de nouvelles victoires de Condé à Nordlingen (1645) et à
Lens (en Artois) (1648) eurent enfin déterminé l'Empire à signer la
paix, l'habile ministre conclut le traité de Westphalie qui modifiait
ou plutôt rétablissait l'équilibre de l'Europe. La France y gagnait
l'Alsace. L’Espagne continua la guerre, mais onze ans plus tard elle
céda à son tour; Mazarin eut encore la gloire de négocier et de
signer le traité des Pyrénées, qui nous abandonnait l'Artois et le
Roussillon. La France avançait ainsi de plus en plus vers ses limites
naturelles.

=La Fronde.=--Le ministre était moins heureux à l'intérieur. Mazarin
ne ressemblait en rien à Richelieu. Doué de beaucoup d'esprit, actif,
il était surtout souple et patient; il savait courber la tête devant
l'orage, pour surnager ensuite «comme le liège qui revient sur l'eau.»
Son titre d'étranger avait obligé Mazarin, comme la reine, à beaucoup
donner au commencement de son ministère; la guerre vint encore ajouter
à la pénurie du trésor épuisé.

Au mois de janvier 1649, la régente s'enfuit de Paris à Saint-Germain,
où la cour coucha presque sur la paille, en plein hiver. Une guerre
peu sérieuse commença, à laquelle on donna le nom d'un jeu d'enfants,
la Fronde: Les Parisiens sortaient en campagne ornés de plumes et
de rubans. Ils fuyaient dès qu'ils rencontraient deux cents hommes
de l'armée royale. Tout se tournait en raillerie. Les troupes
parisiennes, qui revenaient toujours battues, étaient reçues avec des
huées et des éclats de rire... Les cabarets étaient les tentes où
l'on tenait les conseils de guerre, au milieu des plaisanteries, des
chansons et de la gaieté la plus dissolue.

On lisait autrefois l'histoire de la Fronde en riant, il faut en
réalité la lire en pleurant. En plein dix-septième siècle, on peut se
croire revenu aux guerres des Anglais ou aux luttes des Bourguignons
et des Armagnacs.[8] Les terres sont tombées en friche sur beaucoup
de points du royaume et des villages entiers abandonnés de leurs
habitants; les routes couvertes de milliers de malheureux expirant
de faim, l'infection répandue partout dans les campagnes par des
cadavres sans sépulture. Dans les campagnes on ne laboure plus, ou
on s'attroupe pour aller à la charrue en armes à cause des bandes
de pillards et de soldats errants; en Picardie, des populations
entières vivent dans des grottes ou dans des carrières; les loups se
multiplient et prennent possession des villages déserts.

=Saint Vincent de Paul.=--Les misères que causa la guerre folle de
la Fronde mirent en relief les vertus de saint Vincent de Paul qui
avait voué sa vie aux œuvres de charité. Il avait déjà, sous le
règne de Louis XIII, fondé la confrérie des _Prêtres de la Mission_
pour évangéliser les campagnes, et institué la congrégation des
_Filles ou Sœurs de la Charité_. Ému de compassion pour les nombreux
enfants qu'on abandonnait, il les avait recueillis. Faisant appel à
la générosité des puissantes familles qui le secondaient, il vit les
plus grandes dames lui apporter leurs bijoux, leurs bracelets, leurs
colliers et fonda l'Œuvre des _Enfants-Trouvés_ (1638).

Mazarin mourut en 1661 après avoir apaisé les troubles au dedans et
terminé les guerres au dehors. Il laissa à Louis XIV une autorité
tellement absolue que jamais souverain en France n'en avait eu de
semblable. Noblesse, Parlement, peuple, tout était aux pieds du roi.

=Louis XIV et sa cour.=--Louis XIV ne voulut plus de premier ministre.
Quand on vint lui demander, à la mort de Mazarin, à qui il fallait
s'adresser pour les affaires: «A moi,» répondit-il, et il commença,
dès ce jour, à gouverner par lui-même.

Son éducation pourtant avait été fort négligée, mais il y suppléa par
un esprit naturel. D'ailleurs sa taille, son port, son grand air,
l'adresse et la grâce majestueuse de toute sa personne le faisaient
distinguer au milieu de tous les autres hommes, selon une heureuse
expression, comme le roi des abeilles. Il aima l'ordre et la règle.
Il aima la gloire et la magnificence. Mais il imposa l'ordre et la
règle jusqu'à la tyrannie; son amour de la gloire dégénéra en une
ambition immodérée et son goût de la magnificence alla jusqu'à la
profusion. La flatterie l'enivra à un tel point que sans la crainte du
diable, dit dans ses _Mémoires_ le duc de Saint-Simon, il se serait
fait adorer.

Il réduisit les nobles à servir d'ornements à sa cour. Pour lui
plaire, ils se jetèrent en des dépenses excessives en habits, en
équipages, en bâtiments, si bien qu'il leur fallait, pour soutenir ce
luxe, recourir à ses libéralités.

Afin de piquer l'émulation des seigneurs, Louis XIV multipliait les
distinctions. Les uns avaient le droit d'entrer dans sa chambre dès
son réveil et pendant qu'il s'habillait. Les autres n'entraient que
plus tard. Le soir, quand il se couchait, il donnait le bougeoir à
tenir à l'un des plus titrés et c'était une faveur; il fallait lui
demander la permission de l'accompagner dans ses voyages. Il vivait
ainsi au milieu de sa noblesse comme jadis les rois francs au milieu
de leurs guerriers, avec cette différence que la politesse la plus
raffinée avait remplacé la grossièreté barbare. Les courtisans
épiaient jusqu'aux paroles, jusqu'au sourire du roi et se trouvaient
honorés d'un regard.

=Ministres et grands hommes.=--Louis eut le bonheur de rencontrer et
le mérite d'apprécier des ministres d'un rare génie. Colbert rétablit
les finances, développa notre industrie et notre commerce. Louvois
organisa l'armée. Vauban fortifia les places et perfectionna l'art
de prendre les villes. Turenne, Condé ne demandaient qu'à gagner de
nouvelles victoires.

=Colbert (1619-1683).=--Colbert fut, si l'on peut ainsi parler, le
ministre de la paix. Fils d'un marchand de drap de Reims, il entra
au service de Le Tellier, puis à celui de Mazarin. Avant de mourir,
Mazarin dit à Louis XIV: «Sire, je vous dois tout, mais je crois
m'acquitter en quelque manière en vous donnant Colbert.» Ce fut en
effet le ministre le plus sage comme le plus utile de Louis XIV.
Parvenu à la plus haute fortune, il ne l'oublia point et écrivait dans
ses instructions à son fils: «Mon fils doit souvent faire réflexion
sur ce que sa naissance l'aurait fait être si Dieu n'avait pas béni
mon travail et si ce travail n'avait pas été extrême.»

Ce financier austère et dur, «cet homme de marbre» avait des
sentiments élevés et généreux. «Il faut, écrivait-il à Louis XIV,
épargner cinq sous aux choses non nécessaires et jeter les millions
quand il s'agit de notre gloire. Un repas inutile de 3000 livres me
fait une peine incroyable, et lorsqu'il est question de millions d'or
pour l'affaire de Pologne, je vendrais tout mon bien, j'engagerais ma
femme et mes enfants, et j'irais à pied toute ma vie pour y fournir.»
«Je voudrais, disait-il dans une autre circonstance, que mes projets
eussent une fin heureuse, que l'abondance régnât dans le royaume,
que tout le monde y fût content, et que, sans emploi, sans dignité,
éloigné de la cour et des affaires, l'herbe crût dans ma cour.»

Colbert encouragea l'agriculture, exempta de la taille les familles
nombreuses et, comme Sully, interdit la saisie des instruments de
labour, mais il chercha surtout à développer l'industrie. Il voulut
que la France n'achetât plus au dehors les étoffes dont elle avait
besoin, attira d'habiles ouvriers et leva, aux frontières, de droits
considérables sur les produits des manufactures étrangères. Bientôt
à Sedan, à Louviers, à Abbeville, à Elbeuf, on fabriqua des draps
recherchés; à Lyon, des étoffes de soie mêlées d'or et d'argent; aux
Gobelins, à Paris, de plus belles tapisseries que celles de Flandre.

Afin de faciliter le commerce, il supprima quelques-unes des douanes
qui existaient entre les provinces, agrandit les ports, répara les
routes. Il fit déclarer que le commerce de mer ne dérogeait point à
la noblesse; racheta plusieurs des îles des Antilles et développa
les colonies en Amérique et en Asie. La marine marchande devint
bientôt florissante, et Louis XIV eut à Brest une flotte militaire de
cinquante vaisseaux.

Malgré tant de services et bien d'autres que nous ne pouvons énumérer,
Colbert, qui cherchait en vain à arrêter Louis XIV sur la voie des
funestes et ruineuses entreprises, mourut presque disgracié du roi
pour la gloire duquel il avait tant travaillé. «Si j'avais fait pour
Dieu ce que j'ai fait pour cet homme, disait-il, je serais sauvé dix
fois.» Il refusa de lire une lettre que le roi lui adressait. Le
peuple même, mécontent des derniers édits financiers dont Colbert
n'était certes point coupable, voulait outrager les restes de ce grand
ministre, trop dur et trop inflexible à la vérité pour être populaire.
«Le roi fut ingrat, le peuple fut ingrat, la postérité seule, dit
Augustin Thierry, a été juste.»

=Louvois (1641-1691).=--Louvois organisa le système militaire qui
devait se maintenir jusqu'en 1789. Fils de Michel Le Tellier,
secrétaire d'État de la guerre, il fut désigné, dès l'âge de quinze
ans, pour obtenir la charge de son père. Il fut en quelque sorte
élevé pour les fonctions qu'il allait remplir. Serviteur parfois
désagréable, trop souvent complaisant, toujours associé à la pensée
de son maître, il était intègre, soucieux des intérêts du soldat; il
établit un ordre sévère dans l'administration, les subsistances de
l'armée, ce qui ne l'empêchait pas de faire ravager d'une manière
horrible les pays ennemis.

Louvois obligea les propriétaires de régiments (car les régiments
étaient alors une propriété) à les tenir complets, à veiller à
leur subsistance, à leur habillement, qui fut uniforme dans chaque
régiment; de là l'origine de l'uniforme.

La discipline militaire s'exerça à tous les rangs de la hiérarchie
militaire, des reproches atteignirent les officiers négligents. Mme
de Sévigné nous a conservé un curieux dialogue entre un colonel de
bonne famille et le rude ministre. «M. de Louvois dit l'autre jour
tout haut à M. de Nogaret: «Monsieur, votre compagnie est en fort
mauvais état.--Monsieur, je ne le savais pas.--Il faut le savoir,
dit M. de Louvois; l'avez-vous vue?--Non, monsieur, dit Nogaret.--Il
faudrait l'avoir vue, monsieur.--Monsieur, j'y donnerai ordre.--Il
faudrait l'avoir donné; car enfin il faut prendre parti, monsieur, ou
se déclarer courtisan, ou faire son devoir quand on est officier.»
Les officiers généraux avancèrent selon la durée des services.
Louvois remplaça la pique par le fusil armé de la baïonnette. Il
créa des magasins de vivres pour l'approvisionnement des armées en
campagne, des hôpitaux militaires, et, sur les conseils de Louis XIV,
fit construire le magnifique _Hôtel des Invalides_. Mais Louvois
poussa trop Louis XIV à la guerre et mourut en 1691, au moment où ses
funestes inspirations engageaient le roi dans les luttes les plus
acharnées contre l'Europe.

=Vauban (1633-1707).=--«Né le plus pauvre gentilhomme du royaume,»
comme il le disait lui-même, Sébastien Le Prestre, seigneur de Vauban,
n'avait qu'une chaumière de paysan: une seule chambre, une grange et
une écurie; on la montre encore dans le Morvan bourguignon, et elle
fut longtemps au dix-huitième siècle occupée par un sabotier. Orphelin
à l'âge de dix ans, il reçut quelques leçons du pauvre curé de son
village, pour lequel il travaillait en échange de l'abri qu'il avait
reçu chez lui. A dix-sept ans, il s'engage dans les troupes de Condé
pendant la Fronde, se distingue, est fait prisonnier. Mazarin, qui
a entendu dire que le jeune soldat s'entend en fortifications, le
convertit facilement à la cause royale. On l'attache comme aide à un
homme médiocre qui passait pour le premier ingénieur du temps. Vauban
eut bientôt dépassé son maître, qui mourut à temps pour lui laisser sa
place; dès 1677 il fut nommé commissaire général des fortifications du
royaume.

Sa vie militaire est des mieux remplies: «il a fait réparer 300 places
fortes anciennes, en a fait construire 33 neuves; il a conduit 53
sièges et s'est trouvé en personne à 143 engagements de vigueur.» Il
porte l'art de la défense au degré de perfection où il avait aussi
porté l'art de l'attaque, de sorte que dans l'armée il y avait deux
dictons militaires: «Ville assiégée par Vauban, ville prise; ville
fortifiée par Vauban, ville imprenable.»

Vauban, pour lui-même hardi jusqu'à la témérité, se montra toujours
ménager au plus haut degré du sang des autres; à ce point de vue,
l'homme de guerre est digne de vénération. «Il ne faut jamais, a-t-il
écrit quelque part, faire à découvert ni par force ce qu'on peut faire
par industrie. La précipitation ne hâte point la prise des places...
Il vaut mieux brûler plus de poudre et verser moins de sang.»--«Sire,
disait-il à Louis XIV, j'aime mieux conserver 100 soldats à Votre
Majesté que d'en tuer 3000 aux ennemis;» et une autre fois: «Vous
gagnerez un jour, mais vous perdrez 1000 hommes: ne le faites pas;»
ou: «Vous perdrez tel homme qui vaut mieux que le fort: n'attaquez
pas.»--C'était, nous dit Saint-Simon qui n'a pas habitude de flatter,
«le plus honnête homme et le plus vertueux homme de son siècle, le
plus simple, le plus vrai, le plus modeste.» C'était aussi un grand
citoyen, pour lequel ce sévère Saint-Simon créa le nom de _patriote_.

Jeune, ardent, ambitieux, Louis XIV voulut encore agrandir la
France. Dans une campagne qui sembla le voyage d'une cour (1667),
il fit la conquête de la Flandre et gagna la possession de la forte
place de Lille, conquête précieuse qui fut confirmée par le traité
d'Aix-la-Chapelle (1668). En 1672, il envahit la Hollande et s'en
fût rendu maître si les Hollandais, désespérés, n'eussent rompu les
digues qui retenaient la mer, et inondé une partie de leur pays.

Ils furent soutenus par une coalition des principales puissances de
l'Europe. Mais les armées de Louis XIV tinrent tête aux Hollandais,
aux Allemands, aux Espagnols. Condé gagna sur Guillaume d'Orange, chef
ou _stathouder_ de la Hollande, la sanglante bataille de Senef (1674).
Turenne délivra l'Alsace, envahie par les Impériaux, et les poursuivit
en Allemagne (1675). Malheureusement l'armée se vit tout à coup privée
de ce grand général, qui fut tué par un boulet. Les Français battirent
en retraite. Il fallut envoyer le prince de Condé pour prendre le
commandement; mais ce fut là aussi sa dernière campagne. Son âge et
ses infirmités le condamnaient au repos.

Bien que privé de ces deux fameux capitaines, Louis XIV continua la
guerre, prit les villes de Valenciennes, de Cambrai, de Gand, et signa
les traités de Nimègue (1678) qui lui assuraient la possession de la
Flandre et celle de la Franche-Comté.

=Mort de Turenne.=--La plus belle de toutes ces campagnes fut celle
de Turenne, qui, en plein hiver, délivra l'Alsace, occupée par les
Impériaux. Malheureusement c'était sa dernière. Au mois de juillet
1675, Turenne, qui était allé chercher les Impériaux au delà du Rhin,
avait en face de lui un adversaire redoutable, Montecuculli. Tous
deux, en généraux habiles, semblaient faire, avec leurs manœuvres
savantes, une vraie partie d'échecs. La partie était sur le point de
se terminer, et Turenne allait la gagner. Il avait choisi pour livrer
bataille d'admirables positions. Il n'avait pu, lui d'ordinaire
si modeste, s'empêcher de s'écrier en voyant les ennemis: «Je les
tiens!» Le 27 juillet 1675, la veille de la bataille, Turenne achève
ses dernières dispositions. Dans le milieu de la journée, près d'un
bouquet de vieux arbres, il s'assied sur le gazon pour déjeuner
tranquillement. Vis-à-vis se trouvait une batterie ennemie, dont les
décharges ne troublèrent point le repas frugal du héros. Cependant
le lieutenant général Saint-Hilaire était soucieux. Cette batterie
suspecte lui paraissait avoir pour but de détourner l'attention d'un
mouvement que faisaient les troupes ennemies. Il alla en observation
et se confirma dans son opinion. Aussitôt il en fait part à Turenne.
Turenne monte à cheval pour aller reconnaître le point faible où
l'ennemi se proposait de porter ses efforts, et l'emplacement d'une
batterie que Saint-Hilaire voulait y établir. «Oui, dit Turenne
en arrivant au lieu désigné, oui, Saint-Hilaire, le conseil est
bon: dressez une batterie ici.» Au même moment, un boulet casse le
bras de Saint-Hilaire et vient frapper Turenne au cœur. Le fils de
Saint-Hilaire, voyant son père blessé, se jette sur lui en pleurant:
«Ce n'est pas moi, mon fils, répond le blessé en montrant le cadavre
de Turenne, c'est ce grand homme qu'il faut pleurer.»

Ce fut, en effet, une perte irréparable et un deuil universel. Le
secret de la bataille du lendemain périt avec Turenne. L'armée fut
saisie d'une vraie panique; il fallut battre en retraite, et les
soldats, répétant «qu'ils avaient perdu leur père,» repassèrent le
Rhin. Louis XIV fit rendre les plus grands honneurs à Turenne et
voulut qu'il fût enterré dans les caveaux de Saint-Denis; depuis on
l'a transporté aux Invalides.

Il fallut, pour rétablir les affaires, une campagne de Condé. Mais ce
fut, à lui aussi, sa dernière campagne. Ses infirmités l'obligèrent
à se retirer dans son domaine de Chantilly. Il y passa le reste de
sa vie, qui se prolongea jusqu'en 1686, se consolant de ses douleurs
dans la conversation des hommes de génie en tout genre dont la France
était alors remplie. Une foule de poètes, de savants, d'orateurs,
d'artistes, rehaussait et glorifiait par des chefs-d'œuvre immortels
ce règne si brillant.

Louis XIV est alors au comble de la puissance. Il n'y avait qu'une
autorité en France, celle du roi. Louis XIV ne voulut plus qu'une foi
religieuse. Cependant les protestants, paisibles, ne formaient plus
un parti politique; mais Louis XIV voulut les forcer à se convertir.
Enfin il révoqua l’_Édit de Nantes_ (1685). L'exercice du culte
protestant fut interdit, ses ministres furent bannis du royaume;
trois cent mille réformés les suivirent malgré la surveillance
rigoureuse exercée pour empêcher l'émigration et les supplices qui
la punissaient. Cette persécution dépeupla un quart du royaume. Elle
arrêta les progrès de l'industrie, qui presque tout entière était
entre les mains des protestants. Elle fit passer les secrets de nos
manufactures aux étrangers et fit fleurir leurs États aux dépens du
nôtre.

Louvois, pour hâter le succès des missions organisées pour la
conversion des protestants, imagina d'y mêler du militaire. Il logea
des gens de guerre chez les calvinistes. Ces soldats commirent les
plus grands excès, et, comme les dragons se distinguèrent surtout par
les violences, on appela cette exécution les _Dragonnades_.

L'intendant de Béarn écrivait dans son journal: «Il s'est converti
six cents personnes dans cinq villes ou bourgs sur le simple avis
que les compagnies étaient en marche. De quatre mille religionnaires
qu'il y avait à Orthez, il s'en convertit deux mille avant l'arrivée
des troupes, en sorte que, pendant le séjour que j'y fis avec des
missionnaires, ils se convertirent tous, à la réserve de vingt
familles opiniâtres.» Les nouvelles de conversions ainsi arrachées
arrivaient par milliers à la cour. Louvois écrivait à son père, le
chancelier Le Tellier: «Il s'est fait 60,000 conversions dans la
généralité de Bordeaux et 20,000 dans celle de Montauban. La rapidité
dont cela va est telle qu'il ne restera pas 10,000 religionnaires dans
toute la généralité de Bordeaux, où il y en avait 150,000 le 15 du
mois passé.»

Ces conversions apparentes firent illusion à Louis XIV et lui
persuadèrent qu'il n'avait plus qu'à signer la révocation de l'Édit de
Nantes pour que le protestantisme fût détruit. Ce fut le commencement
de ses fautes et de ses malheurs.

Cette persécution des protestants contribua à rendre plus hostiles les
nations protestantes, auxquelles se joignirent les nations catholiques
effrayées déjà de l'ambition de Louis XIV. La ligue d'Augsbourg se
forma (1686). Louis XIV engagea la lutte (1688) et bientôt compliqua
cette nouvelle guerre en voulant rétablir sur le trône d'Angleterre le
roi Jacques II, renversé par ses sujets, qu'il avait voulu ramener au
catholicisme.

Les vaisseaux français, conduits par l'amiral Tourville, portèrent
Jacques II et une armée en Irlande (1690). Mais la cause de ce roi
incapable était désespérée. Louis XIV ne s'en obstina pas moins.
Tourville soutint un combat glorieux sur mer contre des forces
supérieures, mais une partie de ses vaisseaux vint échouer dans la
rade de la Hougue, où leurs équipages les brûlèrent pour ne pas les
laisser prendre par l'ennemi (1692).

On ne livra plus dès lors de grands combats sur mer, mais de hardis
marins, Jean Bart, Duguay-Trouin et une foule d'autres, dans leurs
courses audacieuses, infatigables, causent beaucoup de mal au commerce
ennemi.

Jean Bart et Duguay-Trouin étaient les fils d'armateurs, l'un de
Dunkerque, l'autre de Saint-Malo. Jean Bart tout enfant avait révélé
sa vocation; il se plaisait surtout, dans les longues veillées, à
construire de petits navires. Jean Bart entre comme lieutenant dans
la marine royale en 1679. Duguay-Trouin, plus jeune, n'y entre qu'à
la fin de la guerre de la ligue d'Augsbourg. Leurs noms toutefois
retentissent ensemble pendant cette guerre.

Jean Bart, fait prisonnier par trahison, menace de mettre le feu aux
poudres du bâtiment sur lequel on l'a attiré si on ne le délivre
aussitôt.

Duguay-Trouin, avec son navire, soutient seul un combat acharné
pendant douze heures contre six navires anglais. Jean Bart s'en va
chercher, dans le Nord, un convoi de blé vivement attendu de la
France affamée; il le rencontre, mais déjà pris et escorté de huit
vaisseaux de guerre hollandais; avec six frégates, il attaque les
huit vaisseaux, les bat, en prend trois et rentre triomphant avec le
convoi de blé (1694). En 1696, quatorze vaisseaux bloquent Dunkerque
pour empêcher Jean Bart de sortir: il sort néanmoins; il rencontre une
flotte marchande hollandaise bien escortée: il prend cinq vaisseaux
et vingt-cinq bâtiments marchands. Survient une flotte hollandaise:
Jean Bart renvoie ses prisonniers sur les cinq vaisseaux dont il s'est
rendu maître, et brûle les autres navires en présence des ennemis
stupéfaits. Duguay-Trouin, non plus que lui, ne compte ses adversaires
et, comme lui, marque chaque année par des prises nombreuses qui
ruinent bien plus encore l'ennemi qu'elles n'enrichissent les
armateurs. Duguay-Trouin, luttant contre six vaisseaux anglais, force,
l'épée à la main, ses matelots à retourner à un combat dont ils ne
veulent plus. Un officier se plaignait d'avoir été mal secondé par
son équipage. «Mon cher, lui répondit Duguay-Trouin, c'est que vous
n'aviez pas de courage pour eux tous.» Jean Bart transportait le
prince de Conti en Pologne; on rencontra des forces ennemies bien
supérieures, mais on leur échappa. «C'est bien heureux, dit le prince,
car nous étions pris.--Non, répondit Jean Bart.--Comment auriez-vous
fait?--Plutôt que de me rendre, dit froidement le capitaine, j'aurais
fait mettre le feu au vaisseau: nous aurions sauté, mais ils ne nous
auraient pas pris.» Le prince frémit à cette révélation: «Le remède
est pire que le mal, dit-il; je vous défends de vous en servir tant
que je serai sur votre vaisseau.»

Jean Bart meurt en 1702 prématurément, car il n'avait que cinquante
ans. Duguay-Trouin lui survit et fournit une brillante carrière
pendant la nouvelle lutte que Louis XIV soutient de 1702 à 1714 contre
l'Europe coalisée.

=Guerre de la Succession d'Espagne.=--Les guerres nombreuses avaient
déjà épuisé le royaume quand, en 1700, mourut le roi d'Espagne,
Charles II, frère de la reine de France. Louis XIV prétendait à la
succession pour ses enfants. D'ailleurs, par un testament qu'on avait
su obtenir de lui, Charles II avait légué à un petit-fils de Louis XIV
la monarchie espagnole, qui comprenait l'Espagne, les Pays-Bas, le
royaume de Naples et le Milanais. Louis, présentant son petit-fils à
sa cour, dit simplement: «Messieurs, voilà le roi d'Espagne.» Puis se
tournant vers son petit-fils, il lui dit: «Seulement n'oubliez pas que
vous êtes fils de France.» L'ambassadeur d'Espagne fit observer que le
passage allait devenir aisé, «que les Pyrénées étaient fondues.» On a
fait de cette remarque le mot célèbre: «Il n'y a plus de Pyrénées.»

L’Europe s'effraya de la puissance que cet avènement d'un prince
français au trône d'Espagne donnait à notre pays. Elle craignit que
l'Espagne, l'Italie, les Pays-Bas fussent un jour réunis à la France,
et Louis XIV commit la faute de laisser voir qu'il espérait cette
réunion. La France eût alors constitué une puissance beaucoup plus
redoutable que celle de Charles-Quint. Dès lors ce fut de la part de
l'Europe une haine violente et une guerre acharnée qui se prolongea
treize ans.

Les premières années, Louis XIV soutint la lutte avec avantage,
mais il confiait trop souvent ses armées à des favoris et prétendait
les diriger de Versailles. Il fallut sortir de l'Allemagne, puis de
l'Italie après la bataille de Turin (1706). Les défaites de Ramillies
(1706), d'Oudenarde (1708), nous forcèrent à abandonner les Pays-Bas.
La France fut envahie. Malgré l'héroïque défense du maréchal de
Boufflers, la ville de Lille dut capituler (1708). Des cavaliers
ennemis coururent jusqu'à Versailles et enlevèrent sur le pont de
Sèvres un officier de la maison du roi qu'ils prirent pour le dauphin.

L'hiver de 1709 fut horrible. «Une gelée, qui dura près de deux mois
de la même force, avait, dès ses premiers jours, rendu les rivières
solides jusqu'à leur embouchure et les bords de la mer capables de
porter des charrettes. Les arbres fruitiers périrent, il ne resta plus
ni noyers, ni oliviers, ni pommiers, ni vignes; les autres arbres
moururent en très grand nombre; les jardins périrent et tous les
grains dans la terre. On ne peut comprendre la désolation de cette
ruine générale.»

Louis XIV, courbant son orgueil devant tant de malheurs, demanda la
paix. Les coalisés, le croyant réduit à toute extrémité n'en devinrent
que plus acharnés: ils voulurent le forcer à chasser lui-même
Philippe V d'Espagne. «Mieux vaut faire la guerre à mes ennemis qu'à
mes enfants,» répondit-il, et il releva la tête; il écrivit à tous
les gouverneurs, aux évêques, une lettre noble et patriotique. Le
sentiment national éclata et fit oublier toutes les souffrances.
«Les soldats de Villars n'avaient point de pain et ils étaient
gais.»--«Quand des brigades marchent, écrivait Villars, il faut que
les brigades qui ne marchent pas jeûnent. On s'accoutume à tout. Je
crois cependant que l'habitude de ne pas manger n'est pas bien facile
à prendre.» Attaqués à Malplaquet (septembre 1709), les soldats
jetèrent le pain qu'on venait de leur distribuer, pour courir plus
légèrement au combat. Ils furent vaincus, mais causèrent à l'ennemi
plus de mal qu'ils n'en reçurent. L'espoir revint à la France.

En Espagne, Vendôme gagna la bataille de Villaviciosa et dit à
Philippe V fatigué: «Je vais vous faire donner le plus beau lit sur
lequel un roi ait couché.» Il fit apporter les étendards et les
drapeaux pris à l'ennemi.

Des malheurs domestiques vinrent, en même temps que les malheurs
de l'État, accabler Louis XIV vieillissant. Le dauphin mourut en
1711; le fils du dauphin, le duc de Bourgogne, mourut avec sa femme
en 1712. Louis XIV se trouva presque isolé; il n'avait plus pour
héritier qu'un arrière-petit-fils âgé de cinq ans. Et à ce moment la
France était menacée d'une invasion. Louis XIV confia à Villars sa
dernière armée, il lui dit d'un ton pénétré: «Vous voyez mon état,
monsieur le maréchal; il y a bien peu d'exemples de ce qui m'arrive
et que l'on perde, dans la même semaine, son petit-fils, sa petite
belle-fille, et leur fils, tous de très grande espérance et très
tendrement aimés. Dieu me punit: je l'ai bien mérité,» puis il ajouta:
«La confiance que j'ai en vous est bien marquée, puisque je vous
remets les forces et le salut de l'État. Je connais votre zèle et la
valeur de mes troupes, mais enfin la fortune peut vous être contraire:
s'il arrivait ce malheur à l'armée que vous commandez, quel serait
votre sentiment sur le parti que j'aurais à prendre?» Villars n'osait
répondre, balbutiait. Le roi reprit: «Je compterais aller à Péronne ou
à Saint-Quentin y ramasser tout ce que j'aurais de troupes, faire un
dernier effort avec vous et périr ensemble ou sauver l'État.» Noble
parole qui en fait oublier d'autres, trop égoïstes; il n'eut pas
besoin de la tenir.

Villars, avec une habile et heureuse audace, enleva un camp retranché
à Denain (1712). Ce fut une victoire complète, que suivit la conquête
des places surprises par les ennemis. La France était sauvée.

=Louis XIV et les lettres.=--La France, à cette époque,
s'enorgueillissait de ses écrivains et de ses artistes, que Louis
XIV encourageait. Aussi a-ton reconnu cette protection royale en
réunissant autour de son nom tous les hommes de génie du siècle.

Le roi combla de faveurs Racine, qui nous a laissé des tragédies aussi
nobles que touchantes; Boileau, qui par ses préceptes et ses exemples
donna dans ses vers les règles de l'art d'écrire; Molière, dont les
comédies spirituelles tournaient en ridicule les vices et les défauts
de la société. Apprenant qu'à sa cour Molière subissait des avanies
parce qu'il était comédien, Louis XIV le fit un jour asseoir à sa
table: «Vous me voyez, dit-il aux seigneurs, occupé à faire manger
Molière, que mes officiers ne trouvent pas d'assez bonne compagnie
pour eux.»

Boileau, dont les satires étaient mordantes, avait cependant le
caractère le plus généreux. Apprenant que des nécessités financières
avaient fait supprimer la pension du vieux Corneille,[9] il écrivait
aussitôt au roi et offrit le sacrifice de sa propre pension. Louis XIV
n'accepta pas ce sacrifice, maintint la pension de Corneille et lui
envoya en outre deux cents louis d'or.

Mais le charmant fabuliste La Fontaine déplaisait au roi, qui ne
comprenait pas le génie du Bonhomme aujourd'hui tant aimé de l'enfance.

En 1715 Louis mourait, à l'âge de 77 ans, laissant la France plus
grande qu'il ne l'avait reçue, mais meurtrie et épuisée.



                             CHAPITRE XV

                         LOUIS XV (1715-1774)


=Louis XV; la Régence.=--Une joie inconvenante accompagna les
funérailles du grand roi. La Régence commença, temps resté fameux par
la licence à laquelle s'abandonnèrent la cour et la noblesse, invitées
au plaisir par le régent lui-même, le duc d'Orléans, neveu de Louis
XIV, qui se dégrada au milieu des débauches avec ses amis.

La grande difficulté était de trouver de l'argent pour payer les
dettes de l'État et aussi celles des seigneurs. Le duc d'Orléans
accorda sa confiance à un Écossais Law. Celui-ci voulait répandre
l'usage du papier comme monnaie. Il créa une banque qui émettait des
billets très utiles pour les grandes transactions. Il fonda aussi une
_Compagnie des Indes_, destinée, selon lui, à réaliser d'immenses
bénéfices; tout le monde voulait s'associer à une entreprise qui
promettait d'être si fructueuse et on acheta en foule des _actions_
de la compagnie. Toutes les têtes étaient tournées. Le prix de
ces _actions_ s'élevant sans cesse, avec une rapidité incroyable,
on n'avait qu'à revendre aussitôt pour faire des gains énormes:
des artisans, des laquais devinrent millionaires. Pour satisfaire
l'avidité du public, on multiplia outre mesure les billets de la
banque, réunie à la Compagnie. La confiance s'ébranla; on voulut de
l'argent, la banque ne put en donner: tous les porteurs de billets
se trouvèrent n'avoir que du papier. Ce fut une ruine immense. Law
s'enfuit (1720). Mais s'il avait échoué, il avait révélé la puissance
du crédit.

Louis XV était à peine reconnu majeur, en 1723, que le régent mourut;
son ministre trop peu scrupuleux, le cardinal Dubois, l'avait précédé
au tombeau. Le duc de Bourbon, homme avide et sans mœurs, prit la
place de premier ministre. Le roi de Pologne détrôné, Stanislas
Leczinski, vivait en France où on l'avait accueilli. Un jour il entre
dans la chambre où étaient sa femme et sa fille. «Mettons-nous à
genoux, dit-il, et remercions Dieu.--Seriez-vous rappelé au trône
de Pologne? lui dit sa fille.--C'est bien mieux, vous êtes reine
de France!» La pieuse et douce Marie Leczinska devint, en effet,
la femme de Louis XV, qui, à l'exemple de son aïeul, ne tarda pas
à la délaisser, poussant le scandale bien plus loin que Louis XIV.
En 1733, le cardinal Fleury, ancien précepteur de Louis XV, et qui
avait succédé au duc de Bourbon, fut obligé, malgré son amour de la
paix et de l'économie, de prendre part à une guerre presque générale
et dite de la _succession de Pologne_. Cette guerre, qui aurait pu
avoir de grands résultats, si elle avait été énergiquement conduite,
releva cependant, par quelques victoires, le prestige de nos armes,
et la France parut au traité de Vienne (1738) l'arbitre de l'Europe.
Stanislas n'eut point le trône de Pologne, mais garda le titre de roi,
si désiré pour l'honneur de son gendre: on lui céda la Lorraine;
après sa mort, cette province, importante comme frontière, devait
retourner à la France. Ce retour eut lieu en 1766.

=Bataille de Fontenoy (1745).=--Le cardinal Fleury, plus
qu'octogénaire et peu belliqueux, vit encore, malgré lui, commencer
une guerre générale à l'occasion de la succession au trône d'Autriche
(1740-1748). Plusieurs compétiteurs disputaient à la fois les États
autrichiens à Marie-Thérèse et la couronne impériale à François de
Lorraine. Cette guerre ne profita qu'au roi de Prusse, le célèbre
Frédéric II, qui se porta avec trop peu de loyauté tantôt d'un côté,
tantôt de l'autre. La France se rangea parmi les ennemis de l'Autriche.

Notre armée, mal payée, mal nourrie par le trop économe Fleury, se
disperse, après de faciles succès, partout où elle peut vivre. En
1744, Louis XV, jusque-là inerte, fit un effort. Il entre dans les
Pays-Bas avec Maurice de Saxe qui s'empare de plusieurs villes. On mit
le siège devant Tournai. Les Anglais et les Hollandais vinrent pour
défendre cette place et il fallut se battre à Fontenoy (1745).

Les Français étaient retranchés dans d'excellentes positions et
appuyés au village de Fontenoy. On s'aborda. Un régiment des gardes
anglaises parut le premier. A cinquante pas de distance, les
officiers anglais saluèrent les Français en ôtant leurs chapeaux.
Les officiers des gardes-françaises leur rendirent leur salut. Lord
Charles Hay, capitaine aux gardes-anglaises, cria: «Messieurs des
gardes-françaises, tirez.» Le comte d'Auteroche leur dit à voix haute:
«Messieurs, nous ne tirons jamais les premiers; tirez vous-mêmes.»
Les Anglais firent un feu roulant. Dix-neuf officiers des gardes
tombèrent blessés à cette seule décharge, 95 soldats demeurèrent sur
la place, 215 furent blessés, sans compter les ravages faits dans
les régiments suisses. Le premier rang abattu, les autres terrifiés
se dispersèrent. Les Anglais, formant une colonne longue et épaisse,
avançaient à pas lents, comme faisant l'exercice. Le maréchal de Saxe,
qui voyait de sang-froid combien l'affaire était périlleuse, fit dire
au roi qu'il le conjurait de se retirer avec le dauphin. «Oh! je suis
bien sûr qu'il fera ce qu'il faudra, répondit le roi, mais je resterai
où je suis.» Le maréchal de Saxe tente une dernière attaque: on braque
des pièces de canon qui font de larges trouées dans l'épaisse colonne
anglaise; tous les régiments l'enveloppent: la colonne s'entr'ouvre,
est mise en pièces et la bataille est gagnée.

Cette victoire eut d'importants résultats; elle nous donna tous
les Pays-Bas, et les ennemis se décidèrent enfin à signer la paix
d'Aix-la-Chapelle (1748). Mais à cause de quelques défaites en Italie
et sur mer, Louis XV «qui traitait en roi et non en marchand,» ne sut
rien demander pour nous. Nous tenions les Pays-Bas; il les rendit. «La
France en rendant ses conquêtes, dit le maréchal de Saxe, s'est fait
la guerre à elle-même. Les ennemis ont conservé leur même puissance;
elle seule s'est affaiblie.»

=Guerre de sept ans (1756-1763).=--Huit ans après, l'Angleterre,
jalouse de notre prospérité renaissante, nous déclarait de nouveau la
guerre.

=Dupleix aux Indes.=--Tout le fort de cette guerre se passa dans
les Indes et en Amérique, car l'Angleterre était principalement
jalouse de nos colonies qui n'avaient jamais connu une si grande
prospérité. Aux Indes, nous aurions conquis un immense empire si le
gouvernement avait soutenu les entreprises intelligentes et hardies
de Dupleix. Fils d'une famille de financiers et d'administrateurs,
Dupleix devint, par l'influence de son père, un des directeurs de la
Compagnie. Nommé gouverneur général des possessions françaises en
1741, il avait conçu, pour établir notre puissance dans ces contrées,
le projet de s'immiscer dans les querelles des souverains de l'Inde.
Dupleix était surtout aidé par sa femme, Jeanne Albert, fille d'un
médecin de Paris et d'une créole portugaise, célèbre dans l'Inde sous
le nom de princesse Jeanne; familière avec tous les dialectes du pays,
elle entretint, pour le compte de son mari, une vaste correspondance
diplomatique. Dupleix, intervenant dans les guerres que se faisaient
les gouverneurs des provinces, acquit deux cents lieux de côtes. Mais
il n'obtenait pas de renforts; il éprouva quelques échecs. Enfin le
ministère anglais se plaignit impérieusement du génie ambitieux de
cet homme qui troublait toute l'Asie; le déplorable gouvernement de
Louis XV rappela Dupleix (1755). Avec lui disparut son œuvre; un jeune
commis de la compagnie anglaise, devenu le général Clive, suivit ses
traces, et, mieux compris, donna à sa patrie un vaste empire qui
aurait pu être le nôtre.

=Montcalm au Canada.=--Même désastre au Canada. Pour sauver le Canada
il eût suffi de cinq ou six mille soldats, et de quelques millions
d'argent; on ne jugea pas à Versailles que la Nouvelle-France, si
digne de ce nom par son dévouement à la mère patrie, méritait ce
sacrifice. «Ces déserts glacés,» comme on disait, coûtaient trop cher
à défendre.

«Nous combattrons, écrivait Montcalm au ministre qui l'abandonnait, et
nous nous ensevelirons, s'il le faut, sous les ruines de la colonie.»
La population canadienne était digne d'un pareil chef. On décida que
tous ceux qui pouvaient porter un fusil iraient à la guerre, et qu'on
laisserait les travaux des champs aux femmes, aux moines, aux enfants,
aux vieillards.

Mais Montcalm et ses braves troupes ne pouvaient être partout sur la
ligne immense des opérations. L'ennemi parut enfin devant Québec;
Montcalm prend avec lui ce qu'il a de troupes disponibles, court aux
Anglais pour ne point leur laisser le temps de rendre leur position
inexpugnable, et se trouve avec 4500 hommes en face de 8000, rangés
en carré et décidés à se bien battre, car, en cas de défaite, la
retraite leur est impossible; Bougainville, le fameux navigateur,
alors colonel, n'était pas loin de là avec 3000 hommes. Montcalm ne
l'attend pas; il ne se donne même pas le temps de ranger son armée
en deux lignes; il n'établit pas de réserve; il oublie toute sa
science au moment où il fallait surtout s'en souvenir. Le général
anglais Wolfe avait donné l'ordre de ne tirer qu'à vingt pas, et avait
fait mettre deux balles dans les fusils. Ce feu meurtrier causa du
désordre dans les rangs français. Les Canadiens, excellents comme
tirailleurs, valaient moins en ligne, ils se replièrent pour se battre
à leur manière, isolément, derrière les arbres. Wolfe déploya alors
ses colonnes et chargea à son tour. Déjà blessé au poignet, il se
mit à la tête de ses grenadiers: une balle l'atteignit encore et lui
traversa la poitrine; on l'emporta sur les derrières de l'armée,
tandis que les siens poursuivaient leurs succès. «Ils fuient!» s'écrie
un de ceux qui accompagnaient le général mourant. Cette parole le
ranime. «Qui? demande-t-il.--Les Français, lui répond-on.--Alors je
meurs content.»

Montcalm tombait au même moment. Malgré deux blessures, il dirigeait
la retraite, lorsqu'un coup de feu dans les reins le jeta à bas de son
cheval. «Au moins, dit-il, je ne verrai pas les Anglais dans Québec.»
Il mourut le lendemain. Ses soldats l'enterrèrent dans un trou fait
par une bombe. Trois jours après, Québec capitula.

Un habile ministre, le duc de Choiseul, essaya de relever le royaume
en rétablissant la marine et en réformant l'armée; à la mort de
Stanislas (1766), il réunit à la France la Lorraine, et puis en 1768
acheta l'île de Corse aux Génois.

Choiseul tendait aussi une main amie à la Pologne que menaçaient
la Prusse, la Russie et l'Autriche. Mais la grande politique ne
convenait pas aux courtisans de Louis XV. Choiseul s'était fait de
puissants ennemis en bannissant les jésuites (1762), il ne voulut
pas s'humilier devant une nouvelle favorite, la cynique Mme du Barry
et il fut disgracié (1770). Le chevalier Meaupou et l'abbé Terray,
contrôleur des finances, prirent le pouvoir: ils entrèrent en lutte
contre les parlements. La magistrature élevait en effet la voix contre
ce gouvernement qui patronnait l'association dite _Pacte de famine_
pour l'accaparement des grains; qui laissait démembrer la Pologne
(1773) et creusait chaque jour le gouffre du déficit. Les colères
s'amassaient. Louis XV disait «Ceci durera bien autant que moi, mon
successeur s'en tirera comme il pourra.» Et la favorite répétait avec
lui: «Après nous le déluge.»

Le mouvement intellectuel était immense; jamais on n'avait mieux
compris le vice des institutions et les abus qu'au moment où le
pouvoir cherchait à les maintenir sans compensation. Le gouvernement
demeurait absolu. Louis XV n'était pas homme à oublier les leçons
qu'il avait reçues. Lorsqu'il était jeune, la multitude, le jour de
la fête de Saint-Louis, encombra le jardin des Tuileries, pour le
voir. Le maréchal de Villeroy, son gouverneur, lui fit remarquer
cette multitude prodigieuse qui venait pour le saluer: «Voyez, lui
disait-il, cette affluence, ce peuple; tout cela est à vous, vous en
êtes le maître,» et sans cesse lui répétait cette leçon pour la lui
bien inculquer.

_Les lettres de cachet_ (ordres d'emprisonnement) se donnaient avec
une facilité incroyable. A la mort de Louis XIV «il y eut, dit
Saint-Simon, des histoires fort étranges. Parmi les prisonniers de la
Bastille,[10] il s'en trouva un arrêté depuis trente-cinq ans, le jour
qu'il arriva à Paris, d'Italie d'où il était, et qui venait voyager.
On n'a jamais su pourquoi, et sans qu'il eût jamais été interrogé,
ainsi que la plupart des autres. Quand on lui annonça sa liberté,
il demanda tristement ce qu'on prétendait qu'il en pût faire. Il
dit qu'il n'avait pas un sou, qu'il ne connaissait personne à Paris,
pas même une seule rue, que ses parents d'Italie étaient apparemment
morts. Il demanda de rester à la Bastille le reste de ses jours avec
la nourriture et le logement.» Devant les tribunaux point de défenseur
pour l'accusé, procédure toujours secrète, la question ou la torture
pour arracher des aveux, et comme sanction de lois inégales et
cruelles, des supplices plus cruels encore.

Les crimes, du reste, étaient nombreux, parce que la misère était
profonde. D'Argenson écrivait, pour l'année 1739: «En pleine paix,
avec les apparences d'une récolte, sinon abondante, du moins passable,
les hommes meurent tout autour de nous, comme des mouches, de
pauvreté, et broutent l'herbe. Le cri sinistre: «Du pain! Du pain!»
sera le premier cri des émeutes terribles de la Révolution. Cette
Révolution est prochaine.»



                             CHAPITRE XVI

                 LOUIS XVI--LA RÉVOLUTION (1774-1793)


=Louis XVI.=--Le fils de Louis XV, le Dauphin, était mort avant lui,
en 1765, laissant trois fils qui, comme les trois fils de Philippe
le Bel, et comme les trois derniers Valois, devaient tous monter sur
le trône, mais aussi être les derniers rois de la maison de Bourbon.
A l'avènement de l'aîné, Louis XVI (1774), qui avait vingt ans, on
espéra un changement complet de l'État. On trouva un matin sur le
piédestal de la statue de Henri IV, au Pont-Neuf, cette inscription:
«Il est ressuscité.»

Louis XVI comprenait peu les progrès politiques à réaliser, mais
il avait un désir sincère d'améliorer la condition du peuple: il
encouragea toutes les inventions, toutes les découvertes utiles. Il
fut un des premiers à comprendre l'utilité de la vaccine et à la
défendre contre les préjugés. Il encouragea et seconda Parmentier qui
s'efforçait de répandre l'usage de la pomme de terre; pour vaincre le
dédain des courtisans, il fit servir sur sa table ce mets aujourd'hui
populaire et porta à sa boutonnière la fleur de cette plante méprisée.

Louis XVI, pour éviter de grands malheurs, n'aurait eu qu'à soutenir
de son autorité les deux hommes de bien qu'il avait d'abord fait
entrer au ministère, Malesherbes et Turgot. Malesherbes voulait
réformer la justice, donner des défenseurs aux accusés, rendre aux
protestants la liberté de conscience et à tous les Français la sûreté
de leur personne par la suppression des lettres de cachet.

Turgot, déjà renommé par l'habileté qu'il avait déployée dans
l'administration du Limousin, voulait proclamer la liberté du commerce
et de l'industrie alors gênés par une foule d'entraves. Afin de
prévenir les famines trop nombreuses dans le cours du dix-huitième
siècle, il rendit libre le commerce des grains et améliora la
navigation intérieure. Mais ces réformes soulevaient contre lui tous
les privilégiés qu'elles blessaient.

Malesherbes, le premier, donna sa démission au roi, qui lui dit: «Vous
êtes plus heureux que moi, vous pouvez abdiquer.» Turgot attendit
d'être renvoyé. Louis XVI eut la faiblesse de congédier un ministre
dont il avait dit: «Il n'y a que Turgot et moi qui aimons le peuple.»

=Guerre d'Amérique (1778-1783).=--La guerre d'Amérique vint un
moment faire diversion aux difficultés intérieures. Les colonies,
que l'Angleterre avait fondées au delà de l'Atlantique, s'étaient
soulevées et avaient, en 1776, proclamé leur indépendance.

Un planteur devenu général, Washington, dirigeait les armées.
Franklin, autre grand citoyen, homme aussi savant que vertueux, qui
a inventé le paratonnerre et travaillé à la délivrance de sa patrie,
vint solliciter les secours de la France. Le jeune marquis de La
Fayette alla le premier offrir son épée à Washington. Louis XVI envoya
8000 hommes sous la conduite de Rochambeau, un des brillants élèves
du maréchal de Saxe (1778). A cette troupe vinrent se joindre en
volontaires bon nombre de gentilshommes. Une lettre de La Fayette à
sa femme, qui désirait le voir revenir (6 janvier 1778), montre qu'à
côté de l'exaltation du jeune marquis, il y avait une haute raison:
«L'abaissement de l'Angleterre, écrit-il, l'avantage de ma patrie, le
bonheur de l'humanité, qui est intéressée à ce qu'il y ait dans le
monde un peuple entièrement libre, tout m'engage à ne pas quitter.»

La France, dont la marine s'était relevée, ouvrit glorieusement
les hostilités. Un combat naval indécis près d'Ouessant étonna
l'Angleterre; une tempête seule empêcha notre flotte, unie à une
escadre espagnole, de débarquer à Plymouth et d'attaquer l'Angleterre
jusque dans son île. Les flottes françaises avec d'Estaing et le
comte de Grasse, dont ses matelots disaient: «Il a six pieds, et
six pieds un pouce les jours de bataille,» dominèrent dans les mers
des Antilles. L'amiral de Grasse vint concourir au plan formé par
Washington, Rochambeau et La Fayette, de cerner l'armée anglaise de
lord Cornwallis dans York-Town. Conduite par La Fayette avec une
prudence et une fermeté qu'on n'eût pas attendues d'un jeune général
de vingt-quatre ans; secondée par la bravoure des soldats d'un fameux
régiment commandé par Rochambeau, l'entreprise réussit complètement et
l'armée anglaise se rendit (1781). Ce fut le salut des Américains.

=Les États généraux (5 mai 1789).=--La guerre d'Amérique, entreprise
pour la liberté d'un peuple, avait, en France, excité les désirs de
liberté; de plus elle avait coûté cher et accru le déficit dans les
finances. Pour sortir des embarras financiers, Louis XVI rappela
Necker, habile banquier genevois. Necker cependant ne pouvait rétablir
l'équilibre entre les recettes et les dépenses sans remédier aux abus,
sans demander des réformes politiques. Il voulut porter la lumière
dans l'administration en publiant le budget. Il se rendit impopulaire
et fut disgracié. Sa retraite mécontenta l'opinion déjà toute
puissante.

La reine Marie-Antoinette, qui était Autrichienne et qui gardait à la
cour de France la fierté de sa maison, était déjà regardée comme l'âme
du parti qui s'opposait aux réformes. Elle fit donner le contrôle des
finances à un dissipateur, Calonne, qui, pour faire croire l'État plus
riche, dépensait beaucoup. Le moment vint enfin où il fallut avouer
qu'on ne pouvait aller plus loin.

Calonne céda la place à Loménie de Brienne, qui se montra encore moins
capable de remédier au mal, et il fut lui-même obligé de proposer au
roi la convocation des États-Généraux.

Les élections faites au commencement de l'année 1789, firent
comprendre que la nation était déterminée à soutenir ses députés. La
Révolution commençait, et, avec elle, un nouvel âge de la France et du
monde.

La première séance des États (5 mai) fut un jour de joie et
d'espérance. Le roi prononça un discours plein d'excellentes
intentions et de promesses; il recommanda l'accord, mais dès les
premiers jours, les défiances s'éveillèrent, les haines se montrèrent.

On y voyait trois nations, représentées par les trois Ordres:
noblesse, clergé, tiers état. Mais les députés du Tiers voulurent tout
d'abord qu'on supprimât cette distinction des trois Ordres. En nombre
double des deux premiers Ordres, les députés du Tiers n'étaient rien
si l'on votait par ordre. Ils étaient tout si l'on votait par tête.

Les ordres privilégiés refusèrent de délibérer avec le tiers état.
Celui-ci passa outre. Il considéra qu'à lui seul il représentait
la masse la plus nombreuse de la nation et, le 17 juin, se déclara
_Assemblée nationale_ (plus tard la _Constituante_).

=Le serment du Jeu de paume (20 juin 1789).=--La cour, irritée de la
résistance du tiers état, qui demandait la réunion des trois Ordres,
décide le roi à tenir un séance solennelle pour imposer le maintien
des trois Ordres. On ferme la salle sous un prétexte frivole. C'était
le samedi 20 juin. Les députés, auxquels on refuse l'entrée de la
salle, s'assemblent par groupes, les uns demandant à délibérer en
plein air, d'autres sous les fenêtres mêmes du roi. Le président
Bailly, leur propose de se réunir dans une salle de jeu de paume,--ce
jeu était alors fort à la mode;--ils s'y rendent. Là, dans cette salle
sombre et nue, un bureau est improvisé avec un établi de menuisier,
quelques planches et quelques banquettes. Tous debout répètent
avec enthousiasme la formule d'un serment mémorable par lequel ils
s'engagent «à ne point se séparer jusqu'à ce que la Constitution du
royaume soit affermie sur des fondements solides.»

Le comte d'Artois, frère du roi, s'imagine déconcerter les députés
en louant la salle pour y jouer à la paume. Les députés, auxquels se
joint la majorité des députés du clergé, siègent alors dans l'église
Saint-Louis.

=La séance du 23 juin.=--Le 23 juin, se tint la séance royale, et les
députés du tiers état pour ce jour-là rentrèrent dans leur salle.
Louis XVI vint, avec un cortège solennel, faire entendre des paroles
sévères et casser les décisions prises par les députés. Il ordonnait
que les États délibérassent suivant les anciennes formes, par Ordres.

Après le discours du roi la séance fut levée. Les députés du tiers
état ne bougèrent pas de leur place. Le grand maître des cérémonies
vint dire aux députés de se séparer comme l'avait ordonné le roi.
Alors le comte de Mirabeau, député du tiers état, et qui déjà avait
une haute réputation d'éloquence, répondit: «Allez dire à votre
maître que nous sommes ici par la volonté du peuple et qu'on ne nous
en arrachera que par la force des baïonnettes.» Louis XVI céda. A
quelques jours de là il engageait lui-même les nobles à se joindre aux
députés du tiers état.

=La prise de la Bastille.=--Louis XVI n'avait cédé que pour gagner du
temps. Il appelait autour de Paris de nombreux régiments, la plupart
étrangers, puis renvoya l'habile ministre Necker, qui conseillait de
marcher d'accord avec l'Assemblée. Le renvoi de Necker alarme les
Parisiens, mécontents déjà d'être entourés de troupes. Des groupes
nombreux se forment au Palais-Royal. Un jeune avocat au Parlement,
Camille Desmoulins, monte sur une table, un pistolet à la main, et
ameute la foule; des rixes avec la troupe font des victimes. Le peuple
veut des armes, envahit l'Hôtel des Invalides, où il prend des canons
et des fusils. Enfin, le 14 juillet, un cri général entraîne la
population parisienne: A la Bastille!

Comme un torrent furieux, la foule, au milieu de laquelle on
remarquait beaucoup de gardes-françaises et que conduisaient deux
soldats, Élie et Hullin, se précipite contre la redoutable forteresse,
à peine défendue alors par quelques Suisses et des invalides. Les
portes sont enfoncées à coups de canon, et, après quelques heures de
résistance, la garnison capitule. Cette première victoire populaire
fut malheureusement souillée par des vengeances, le meurtre du
gouverneur de Launay, de plusieurs officiers, du prévôt des marchands,
Flesselles.

Louis XVI, apprenant la prise de la Bastille, s'écria: «C'est donc
une révolte?--Dites une révolution, sire,» lui répondit-on. Comptant
encore sur le prestige de la royauté, il se rendit à Paris. Il y fut
bien accueilli, mais par une population en armes. Bailly, nommé maire
de Paris, lui présenta les clefs de la ville, offertes jadis à Henri
IV. «Ce bon roi, dit-il, avait conquis son peuple; c'est aujourd'hui
le peuple qui a reconquis son roi.» Louis XVI confirma la nomination
de Bailly comme maire et du marquis de La Fayette comme chef de
la milice bourgeoise ou garde nationale. Il mit à son chapeau la
cocarde bleue et rouge des Parisiens. La Fayette y ajouta ensuite le
blanc, couleur de la royauté: ce furent désormais les trois couleurs
nationales, la cocarde tricolore. «Prenez-la, sire, disait-il à Louis
XVI: voilà une cocarde qui fera le tour du monde.» Il disait vrai.

Tous ces événements excitèrent une vive agitation dans les provinces.
Les paysans, las du régime féodal, se précipitèrent sur les châteaux,
les abbayes, qui étaient leurs bastilles. Alors l'Assemblée résolut de
calmer cette effervescence par des décisions promptes et hardies. A la
séance de nuit du 4 août, le comte de Noailles déclare que le grand
moyen, c'est de donner satisfaction au peuple en abolissant le régime
féodal. Aussitôt seigneurs, évêques, députés des villes se succèdent à
la tribune et viennent tous, au milieu des applaudissements, renoncer
à leurs privilèges. On décréta en quelques heures la destruction du
régime féodal qui durait depuis tant de siècles. On rivalisait de
générosité. On s'embrassait au milieu de la joie universelle. Il
semblait qu'une France nouvelle fût née en cette nuit mémorable du 4
août, qui est restée la plus belle date de la Révolution.

=Les journées des 5 et 6 octobre.=--Au mois d'octobre, des
démonstrations imprudentes de la cour et la famine amènent un nouveau
soulèvement de la capitale.

La population de Paris marche le 5 octobre sur Versailles, les
femmes en tête, portant des armes et criant: «Du pain! du pain!» Le
roi accueille une députation et promet de prendre les mesures qu'on
lui demande. Bientôt la nuit, la pluie, la fatigue dispersent les
attroupements. La Fayette cependant, qui n'avait pu arrêter cette
invasion, la suivait pour la contenir avec la garde nationale. Il
n'arriva à Versailles que pendant la nuit, et eut bien de la peine
à parler à Louis XVI, car dans ces moments de danger on respectait
encore les lois de l'étiquette. Vers le matin, voyant la foule
réfugiée dans les abris qu'elle avait pu rencontrer, et tranquille, il
se retire, épuisé de fatigue. Il commençait à peine à reposer qu'on
vint lui dire que le palais était forcé.

Le 6 octobre, vers les sept heures du matin, les bandes d'hommes et
de femmes qui rôdaient depuis la veille autour du château, trouvèrent
enfin le moyen de s'introduire, non seulement dans les cours, mais
dans les appartements. Des gardes qui cherchaient à les arrêter sont
massacrés. Tremblante, la reine se réfugie auprès du roi. Les gardes
défendent vaillamment sa chambre et se font tuer. Le plus affreux
pillage commençait, et les scènes les plus sanglantes allaient avoir
lieu, quand La Fayette, averti, accourt. Il pénètre dans le château et
fait évacuer les appartements. Mais la foule rassemblée dans la cour
demandait que le roi vînt à Paris. Il fallut que Louis XVI se montrât
et promît d'y aller. La famille royale se dirigea vers Paris au milieu
de cette foule qui témoignait par les cris les plus grossiers de sa
joie farouche. Le roi fut dès lors comme prisonnier dans sa capitale
et se trouva à la merci des émeutes. L'Assemblée vint à son tour se
fixer à Paris et s'installa dans la salle du Manège, près du jardin
des Tuileries. Déjà elle avait fixé les principes sur lesquels elle
entendait établir le gouvernement, dans une _Déclaration_ célèbre dite
_des droits de l'homme_. Ces principes, ou vérités premières, appelés
les principes de 1789, établissaient la _souveraineté du peuple_,
l'_égalité_, la _liberté_ de tous les citoyens.

=Mirabeau (1749-1791).=--L'Assemblée, dans ses travaux, avait été
souvent dominée par la grande voix de Mirabeau, l'orateur le plus
éloquent qu'on eût encore vu à la tribune. Dès les premières séances
des États généraux il se fit remarquer par son rare talent d'orateur.
Il prit une part active et décisive aux grandes discussions de
l'Assemblée constituante. Toutefois la marche rapide de la Révolution
l'effraya. Dans l'hiver de 1790 à 1791 il guida la cour et s'efforça
de raffermir le trône que sa voix puissante avait ébranlé. Sa
popularité en reçut de vives atteintes, et des publications hostiles
le dénonçaient comme traître. L'orateur n'en parut point affecté et à
la tribune accabla de son mépris ses accusateurs.

Bientôt cependant Mirabeau, vieux avant l'âge (il avait quarante-deux
ans), épuisé par les excès de deux années d'un travail prodigieux,
sentit son corps défaillir et plier sous le poids de son âme
énergique. Il mourut le 2 avril 1791.

=La fuite de Varennes.=--Louis XVI, privé des conseils et de
l'appui de Mirabeau, ne compta plus que sur la force pour arrêter
la Révolution: il voulut aller rejoindre une petite armée qu'on lui
préparait dans le Nord, et tout fut disposé pour la fuite. Le 20 juin
1791, à minuit, le roi, la reine, la sœur du roi, Madame Élisabeth,
sortent, les uns après les autres et déguisés, par une porte dérobée
du palais des Tuileries. Ils se réunissent ensuite, non sans peine, et
parviennent à sortir de Paris. Une berline à six chevaux les entraîna
rapidement sur la route de Châlons, où les fugitifs arrivèrent
heureusement. Ils continuèrent leur route vers Montmédy, où les
attendait une petite armée commandée par le marquis de Bouillé.

Mais à Sainte-Menehould le roi, qui commettait l'imprudence de
mettre trop souvent la tête à la portière, fut reconnu, tandis qu'on
changeait les chevaux, par le fils du maître de poste, Drouet. N'ayant
point le temps de le faire arrêter, Drouet saute sur un cheval et
court à Varennes prévenir les autorités. Quand la voiture arrive, au
milieu de la nuit, on demande le passeport: il faut descendre. Les
gardes nationales averties arrivèrent; on força le roi à remonter dans
la voiture, qui reprit le chemin de Paris. A ce moment les dragons de
Bouillé apparaissaient auprès de Varennes, mais il était trop tard.

Le retour dura huit jours; la voiture marchait au pas, au milieu des
gardes nationales qui l'escortaient et par une chaleur accablante.
Trois députés, envoyés par l'Assemblée, accompagnaient la famille
royale, pour la surveiller. L'entrée à Paris fut morne et silencieuse,
le roi fut plus que jamais captif aux Tuileries.

L'Autriche et la Prusse, excitées par les émigrés, déclaraient vouloir
rétablir le roi dans son autorité absolue, et la guerre étrangère
s'ajouta à la guerre civile. La France fut envahie par les Prussiens.
L'Assemblée décrète aussitôt que la patrie est en danger, et le 22
juillet 1792 la proclamation en est faite avec un appareil imposant.
D'heure en heure le canon tonnait en signe d'alarme; un cortège
militaire, portant des bannières avec des inscriptions, parcourut
la ville de Paris, s'arrêtant sur les places pour lire le décret de
l'Assemblée. Huit amphithéâtres avaient été dressés sur différents
points: une table posée sur deux caisses de tambour y servait de
bureau aux officiers municipaux pour inscrire les noms des citoyens
qui demandaient à rejoindre les armées. Les volontaires affluaient
et se faisaient inscrire au milieu des applaudissements. On compta
cinq mille enrôlements en deux jours. Ces soldats improvisés,
indisciplinés, causèrent d'abord beaucoup d'embarras; mais, encadrés
dans les vieux régiments, ils ne tardèrent pas à montrer une grande
solidité.

Mais bientôt le péril grandit. Les Prussiens s'emparaient de Longwy,
de Verdun. Alors les ministres décrètent la formation de plusieurs
camps, on convertit les cloches en canons, les fers des grilles
en piques; on arrête en masse toutes les personnes suspectes,
c'est-à-dire soupçonnées de rester attachées à la royauté; les prisons
se remplissent de nobles, de prêtres. Puis des bandes organisées et
payées par quelques chefs, sans que les ministres cherchent à s'y
opposer, se précipitent dans les prisons et égorgent en foule les
prisonniers de tout âge et de tout rang (3, 4, 5 et 6 septembre).

=Victoire de Valmy.=--Des massacres ne sauvent pas un pays. Ce qui
le délivra, ce fut l'ardeur des volontaires qui, joints aux vieux
régiments, arrêtèrent l'ennemi. Les Prussiens avaient surpris les
défilés des montagnes de l'Argonne et se préparaient à envahir la
Champagne. Dumouriez essaya encore une fois de les arrêter: il
se posta près de Sainte-Menehould et occupa les hauteurs où l'on
remarquait le moulin de Valmy. Il garnit ces hauteurs d'artillerie et
attendit de pied ferme les Prussiens qui, commandés par le duc de
Brunswick, tentèrent de les escalader. Immobiles dans leurs lignes,
les Français accueillirent l'ennemi par un feu terrible, aux cris
de Vive la nation! Les Prussiens reculèrent et attendirent un corps
autrichien qui arrivait: les alliés donnèrent un nouvel assaut vers le
soir; ils se heurtèrent à la même résistance et battirent en retraite
(20 septembre 1792). La Champagne ou plutôt la France entière était
délivrée. Le canon, qui annonçait cette victoire, annonçait en même
temps l'ouverture de la _Convention_.



                            CHAPITRE XVII

                       LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE


=La Convention.=--La Convention, la troisième Assemblée depuis 1789,
se réunit le 21 septembre 1792. Elle abolit la royauté, proclama la
République, mais en réalité concentra en elle-même tous les pouvoirs.
Ses membres faisaient les lois, et, divisés en comités, s'étaient
partagé l'administration.

Deux grands partis s'étaient tout de suite dessinés au sein de la
Convention: les Girondins et les Montagnards. Les Girondins, ainsi
nommés, parce qu'ils avaient pour chefs plusieurs députés de la
Gironde,[11] Brissot, Pétion, Vergniaud, Guadet, etc., croyaient la
Révolution terminée et prêchaient la modération. Les Montagnards,
ainsi appelés parce qu'ils étaient groupés sur les bancs les plus
élevés, avaient pour chefs les députés de Paris, Robespierre, Danton,
Marat, etc. Ils voulaient, au contraire, pousser plus loin les
changements et demandaient des mesures terribles pour effrayer les
ennemis de la Révolution.

=Procès et mort de Louis XVI.=--La découverte d'une armoire de fer
cachée dans un mur des Tuileries venait de révéler les correspondances
de la cour avec l'émigration et l'étranger. Les Montagnards
demandèrent la mise en accusation de Louis XVI et disaient qu'il
fallait «jeter en défi aux souverains une tête de roi.» La Convention
instruisit le procès du roi. Malesherbes, âgé de 72 ans, s'offrit pour
servir de conseil au prince qu'il avait servi et aida les avocats
Tronchet et de Sèze. Louis XVI, touché de ce dévouement, lui dit:
«Votre sacrifice est d'autant plus généreux que vous exposez votre
vie et que vous ne sauverez pas la mienne.» Héritier malheureux de
haines accumulées depuis un siècle, Louis XVI fut condamné à mort,
malgré l'éloquente défense de l'avocat de Sèze. «Je cherche en
vous des juges, s'écria-t-il avec véhémence, et je ne vois que des
accusateurs!» La majorité de la Convention se prononça pour la mort.

Le roi, qui dans sa prison du Temple avait gardé la plus sereine
résignation, monta avec calme et dignité sur l'échafaud dressé sur la
place Louis XV devenue place de la Révolution, et aujourd'hui place
de la Concorde (21 janvier 1793). «Je meurs innocent, s'écria-t-il,
de tous les crimes qu'on m'impute. Je pardonne aux auteurs de ma mort
et je prie Dieu que le sang que vous allez répandre ne retombe jamais
sur la France.» Il allait en dire davantage lorsqu'un roulement de
tambours couvrit la voix de Louis XVI qui se livra aux exécuteurs.

=La Terreur.=--Maîtres du pouvoir, les Montagnards déployèrent contre
les ennemis de l'intérieur et de l'extérieur une énergie farouche.
Le pouvoir se trouva bientôt concentré entre les mains du _Comité de
salut public_. Maximilien Robespierre ne tarda pas à devenir l'âme
de ce comité redoutable qui, pendant quatorze mois, fit planer sur
la France une terreur profonde. Le Tribunal révolutionnaire devint
impitoyable. Le général Custine, pour avoir été malheureux, fût traîné
à l'échafaud. La reine Marie-Antoinette refusa de se défendre contre
d'infâmes calomnies. Condamnée à mort dans la nuit du 16 octobre 1793,
après une séance de vingt heures et le matin même, elle fut conduite
au supplice dans la charette ordinaire sous le feu des insultes.
Vingt-deux Girondins, parmi lesquels des orateurs du plus grand
talent, périrent ensuite, soutenant mutuellement leur courage par des
chants patriotiques. Mme Roland, femme d'un ancien ministre, et du
parti de la Gironde, s'écria sur l'échafaud, en saluant une statue de
la liberté: «O liberté, que de crimes on commet en ton nom!» Le duc
Philippe d'Orléans, qui s'était rallié à la Révolution et avait voté
la mort de Louis XVI, n'échappa point lui-même au supplice, ainsi que
Bailly, un des savants renommés du temps, le vénérable président de
l'Assemblée constituante, le premier maire de Paris.

=Le 9 thermidor.=[12]--La terreur n'avait cessé d'aller en croissant
dans les premiers mois de l'année 1794. Chaque jour des charrettes
emmenaient des victimes vers la barrière du Trône, où l'échafaud
était en permanence. Ces cruautés firent horreur, d'autant plus qu'à
ce moment les périls extérieurs disparaissaient, grâce aux victoires
des armées.

Robespierre devint l'objet de l'animadversion générale, et, le 9
thermidor, les députés de la Convention, secouant le joug de la peur,
l'attaquèrent en face. Épuisé par les efforts qu'il faisait pour
parler au milieu des clameurs, Robespierre pouvait à peine respirer.
La Convention enfin le fit arrêter avec son frère et ses collègues,
Couthon, Lebas, Saint-Just.

Robespierre toutefois ne tarda pas à être délivré par ses partisans
les chefs de la Commune de Paris. Il se rendit à l'Hôtel de ville pour
préparer une insurrection. Mais la Convention appela à elle la garde
nationale: des bataillons fidèles se dirigèrent pendant la nuit sur
l'Hôtel de ville, qui bientôt se trouva cerné. Robespierre se tira un
coup de pistolet qui lui brisa la mâchoire. Après avoir passé toute
la matinée du 10 étendu sur une table, il fut porté tout meurtri à
l'échafaud avec vingt-deux de ses amis. Le lendemain, on exécuta
encore soixante-dix de ses partisans, et cette sanglante hécatombe fut
une digne fin de la Terreur.

=Le Directoire (27 octobre 1795-9 novembre 1799).=--La Convention
avait organisé un nouveau gouvernement républicain qui se composait
de deux Chambres distinctes, le _Conseil des Anciens_ et le _Conseil
des Cinq-Cents_. Le pouvoir exécutif était composé de cinq membres
qui formaient le Directoire. Divisé, mal obéi, le Directoire s'épuisa
en luttes incessantes contre les partis, il ne put se soutenir qu'en
ayant recours à des coups d'État et devait périr lui-même victime d'un
coup d'État.

Cette époque eut un caractère particulier de licence qui s'explique
par les terribles épreuves qu'on avait subies. La société
s'abandonnait au luxe, aux fêtes avec une liberté que ne gênait plus
l'ancienne distinction des classes et qui rappelait celle de la
Régence.[13]

=Le général Bonaparte.=--Mais l'intérêt de l'histoire se porte au
dehors; les armées françaises passent de tous les côtés les frontières
pour triompher de l'Autriche toujours en armes et toujours soutenue
par l'Angleterre. Le général Bonaparte étonne alors le monde par ses
victoires et cherchera bientôt à le dominer.

Né à Ajaccio le 15 août 1769, il était le second de huit enfants. A
l'âge de dix ans, son père le fit admettre à l'école de Brienne, où
les jeunes gentilshommes recevaient les principes d'une éducation
militaire. Bientôt il se fit remarquer par son ardeur pour l'étude et
surtout par son goût pour les mathématiques. Son amour-propre était
vif. Condamné un jour à dîner à genoux au réfectoire, avec la robe de
bure, il s'évanouit. On raconte aussi que manifestant un goût précoce
pour les combats, il faisait élever des retranchements de neige par
ses camarades.

Au bout de cinq ans, il passa à l'école militaire de Paris. Réservé,
taciturne, absorbé dans ses études ou ses lectures, il étonna bientôt
ses maîtres: «Corse de nation et de caractère, disait son professeur
d'histoire, il ira loin si les circonstances le favorisent.» Il sortit
de l'école lieutenant dans un régiment d'artillerie; dès les premiers
jours de la Révolution il se montra favorable aux idées nouvelles.
Mais sa carrière militaire ne commença qu'au siège de Toulon.

C'était en 1793, au milieu des plus grands périls de la France. Les
généraux envoyés par la Convention s'efforçaient en vain de reprendre
Toulon, tombé au pouvoir des Anglais. Le commandement de l'artillerie
est donné à Bonaparte, qui n'avait encore que vingt-quatre ans.
Lorsqu'il arriva, le général Carteaux lui dit: «C'était bien inutile:
nous n'avons plus besoin de rien pour reprendre Toulon. Cependant
soyez le bienvenu; vous partagerez la gloire de le brûler demain sans
en avoir eu la fatigue.» Puis il le conduisit vers les travaux. Le
commandant d'artillerie aperçoit alors quelques pièces de canon, mais
elles se trouvaient à une distance beaucoup trop éloignée. Survient
le représentant du peuple, commissaire de la Convention. Bonaparte se
redresse, l'interpelle, lui démontre l'ignorance inouïe de tous ceux
qui l'entourent, et le somme de lui faire donner la direction absolue
de sa besogne. De ce jour il eut en réalité la direction du siège, et
Toulon ne tarda pas à être enlevé. Ce brillant fait d'armes attira
sur lui les regards, et le général Dugommier apprécia le mérite de
Bonaparte. «Récompensez ce jeune homme, disait-il, car si l'on était
ingrat envers lui, il s'avancerait de lui-même.»

La révolution du 9 thermidor vint pourtant arrêter sa carrière. Un
moment il fut emprisonné, on le mit bientôt en liberté, mais on le
priva de son commandement. Alors il vint à Paris, où il reclamait
en vain, dans les bureaux de la guerre, la place qui lui était due.
Aubry, membre du comité, la lui refusait. «Vous êtes trop jeune.--On
vieillit vite sur le champ de bataille, répliqua Bonaparte, et j'en
arrive.» Il resta quelque temps à Paris presque sans resources. Dévoré
d'un immense besoin d'activité, Bonaparte sollicita la faveur d'aller
en Turquie, comptant régénérer l'Orient. Il allait partir lorsque,
le 13 vendémiaire (5 octobre 1795), la Convention, attaquée par les
royalistes, l'appela pour la défendre sous les ordres de Barras.
Bonaparte prit des mesures énergiques, d'habiles dispositions et
triompha de l'insurrection. On lui donna le commandement de l'armée de
l'intérieur.

Un jeune enfant de douze ans vint un jour, lorsqu'on avait ordonné le
désarmement, réclamer l'épée de son père, le général de Beauharnais,
mort sur l'échafaud. On la lui rendit; l'enfant pleura à la vue de
cette épée. Bonaparte, touché de ce sentiment, le combla de caresses.
Sur le récit qu'il fit à sa mère de l'accueil qu'il avait reçu, Mme
de Beauharnais, Joséphine Tascher de La Pagerie, encore dans tout
l'éclat de la jeunesse, alla remercier Bonaparte. A quelque temps de
là leur mariage fut conclu; mais le général courut vite prendre le
commandement, vivement désiré, de l'armée d'Italie.

=La campagne d'Italie (1796-1797).=--Bonaparte, en arrivant à
l'armée d'Italie, ranime tout de suite les soldats par une énergique
proclamation: «Soldats, leur dit-il, vous êtes mal nourris et presque
nus; votre patience et votre courage vous honorent, mais ne vous
procurent ni gloire ni avantage; je vais vous conduire dans les plus
fertiles plaines du monde; vous y trouverez de grandes villes, de
riches provinces; vous y trouverez honneur, gloire et richesses.
Soldats d'Italie, manqueriez-vous de courage?»

Il franchit les Alpes au point où elles sont le plus bas; puis de
victoire en victoire, à Montenotte, Mondovi, Lodi il s'avance dans les
belles plaines de la Lombardie. Il triomphe encore des Autrichiens à
Castiglione, puis à la célèbre bataille d'Arcole.

Les Autrichiens cependant n'abandonnent pas l'Italie. Bonaparte les
bat encore à la fameuse journée de Rivoli (14 janvier 1797), s'avance
toujours plus loin et se dirige vers les Alpes pour entrer en Autriche.

Il franchit de nouveau les Alpes, à leur autre extrémité, à l'est, par
le col de Tarwis, et menace la capitale de l'Autriche. Les Autrichiens
l'arrêtent alors en acceptant la paix de Campo-Formio.

Les armées d'Allemagne avaient été moins heureuses. Mais, en 1796, le
général Moreau s'était distingué par une retraite demeurée justement
célèbre. Il avait traversé l'Allemagne pour rentrer en France sans
perdre ni un drapeau, ni un canon, ni une voiture. Cette armée se
prépara à recommencer la campagne avec une autre qui fut confiée au
général Hoche, l'un des hommes qui ont laissé la renommée la plus pure.

=Hoche et Marceau.=--Hoche, né à Versailles, en 1768, était sergent
au moment où éclata la Révolution. Il avança rapidement; à 25 ans,
il commandait en chef l'armée de la Moselle, et délivra l'Alsace.
Le plus brillant avenir s'ouvrait devant lui. Il comptait traverser
l'Allemagne pour joindre Bonaparte sous les murs de Vienne. Il débuta
par de brillants succès au commencement de l'année 1797; mais,
quelques mois après il mourait prématurément à l'âge de 29 ans.

Son émule et son ami, Marceau, né à Chartres, s'était distingué et
était mort l'année précédente, plus jeune encore. Soldat à seize ans,
général à 22 ans, il vainquit dans les champs de Fleurus, sur les
bords de la Moselle et du Rhin, et, à 27 ans, il tombait frappé d'une
balle ennemie. Les Autrichiens, qui l'estimaient, lui rendirent les
honneurs funèbres dans leur camp et renvoyèrent solennellement son
corps à l'armée française désolée. Sur le monument qu'on lui a élevé à
Coblentz on lit encore: «Qui que tu sois, ami ou ennemi, de ce jeune
héros respecte les cendres.»

=Expédition d'Égypte (1798-1799).=--Restait à dompter l'Angleterre.
Bonaparte, pour la frapper dans son commerce, fit décider l'expédition
d'Égypte, par laquelle il menaçait la route des Indes. Le jeune
général part avec trente mille hommes pour conquérir un vaste et riche
pays. Il débarque à Alexandrie (1^{er} juillet 1798), traverse le
désert et paraît devant les Pyramides, les plus grands et les plus
anciens monuments qui soient sortis de la main des hommes. «Songez,
s'écria Bonaparte, en les montrant à ses soldats, songez que du haut
de ces pyramides quarante siècles vous contemplent!» Une brillante
victoire disperse la redoutable cavalerie des Mameluks. Bonaparte
entre au Caire et ne tarde pas à rester maître de l'Égypte.

Il gouverne alors et administre sa conquête. Il envoie de tous côtés
des savants qu'il a amenés avec lui pour étudier les monuments
mystérieux de cette terre, jadis si renommée. Puis il s'en va
au-devant des Turcs qui arrivent par la Syrie: il les bat à la journée
du Mont-Thabor. Mais il échoue au siège de Saint-Jean-d'Acre, car la
flotte anglaise protège cette ville. La flotte française qui l'avait
amené, avait été détruite par les Anglais dans la rade d'Aboukir.
Bonaparte n'a plus aucune communication avec la France. Les Anglais
débarquent une nouvelle armée turque à la pointe d'Aboukir. Bonaparte
n'attend point qu'elle attaque: il va au-devant d'elle, la jette à
la mer et la détruit (25 juillet 1799). Bonaparte ayant appris les
revers de nos armées et l'agitation du pays, laissa son armée à l'un
de ses plus habiles lieutenants, Kléber, et quitta l'Égypte seul. Il
échappa aux croisières anglaises, débarqua à Fréjus, arriva à Paris
où il ne tarda pas à renverser le Directoire et à se rendre maître
du gouvernement par le coup d'État du 18 et du 19 brumaire (9 et 10
novembre 1799).



                            CHAPITRE XVIII

                       LE CONSULAT (1799-1804)


Bonaparte organisa un nouveau gouvernement: le _Consulat_. Trois
_consuls_ devaient exercer le pouvoir, mais Bonaparte, nommé
_Premier Consul_, concentra en lui toute l'autorité. En quelques
mois l'administration fut réorganisée, les finances, l'armée, tout
fut remis en ordre sous l'impulsion vigoureuse de Bonaparte, qui
s'entendait à tout, aux lois comme à la politique, aux chiffres comme
aux batailles.

=La seconde campagne d'Italie.=--Le Premier Consul ne perd point de
temps pour relever au dehors la France, menacée de perdre toutes
ses conquêtes. Les Autrichiens, en Italie, pressaient dans Gênes
l'intrépide Masséna qui soutenait une lutte héroïque. La famine
désolait la ville. Masséna régla tellement les rations, recourut à
tant d'expédients, qu'on vécut là où d'autres seraient morts. «Il
nous fera manger jusqu'à nos bottes,» disaient les soldats. Bonaparte
se porte à son secours, et pour surprendre l'ennemi, tente de
franchir les Alpes sur un point imprévu. Il choisit la route, à peine
praticable, du Grand Saint-Bernard (entre la Suisse et l'Italie). Les
troupes commencèrent à monter dans la nuit du 14 au 15 mai (1800).
Les vivres, les munitions passèrent à la suite des régiments; mais
l'obstacle c'était l'artillerie. On imagina de partager par le milieu
des troncs de sapins, de les creuser, d'envelopper avec ces deux
demi-troncs une pièce d'artillerie et de la traîner ainsi enveloppée
le long des ravins. Des mulets furent attelés à ce singulier fardeau;
mais bientôt les mulets manquèrent; les soldats s'attelèrent alors
aux pièces et les traînèrent. La musique jouait des airs animés dans
les passages difficiles et encourageait les troupes à vaincre ces
obstacles d'une nature si nouvelle. Au sommet, l'armée trouva des
vivres préparés par les religieux du Saint-Bernard et après quelque
repos commença la descente, qui ne présentait pas moins de difficultés
que l'ascension.

=Bataille de Marengo.=--En quelques jours, le Premier Consul avait
jeté au delà des Alpes quarante mille Français. Vingt mille autres
venaient les rejoindre par d'autres passages. Toutefois il y avait eu
des retards qui amenèrent la chute de Gênes où la famine était devenue
extrême. Masséna obtint les conditions les plus honorables. «Je serai
de retour dans quinze jours,» dit-il en rendant la place. Bonaparte
assura l'exécution de cette parole.

Le 14 juin 1800 il rencontra l'armée autrichienne près de Marengo.

Obligé de disperser son monde dans la crainte de voir l'ennemi lui
échapper, le Premier Consul ne put d'abord opposer que des forces
inférieures aux troupes autrichiennes. Jusqu'à trois heures il
perdait la bataille, mais il tient bon et ne recule que pas à pas.
Heureusement le général Desaix, récemment arrivé d'Égypte, avait
été la veille détaché avec sa division, dans une autre direction.
Il entend le bruit du canon; il descend de cheval, et approche son
oreille de la terre. Nul doute, une bataille est engagée; son devoir
est d'y courir; il y court avec ses six mille hommes. Lorsqu'il
arrive, les généraux l'entourent. Bonaparte, qui persiste, malgré
l'avis de ses lieutenants, à poursuivre la lutte, demande l'avis
de Desaix. Celui-ci regarde le champ de bataille: «La bataille est
perdue, répond-il, mais nous avons encore le temps d'en gagner
une.» Bonaparte ravi donne ses ordres. «Enfants, cria-t-il, nous
avons fait trop de pas en arrière; le moment est venu de marcher en
avant! Rappelez-vous que mon habitude est de coucher sur le champ de
bataille.»

Le général autrichien, M. de Mélas, ne se doutait point du désastre
qui le menaçait. Il était rentré dans Alexandrie et expédiait à son
souverain des courriers lui annonçant son triomphe. La division
Desaix s'avance et arrête les colonnes autrichiennes sur la route.
Le général lui-même s'élance à la tête d'un régiment, mais dès les
premières décharges il tombe frappé à mort. Les soldats désespérés
se précipitent avec une véritable fureur sur les masses profondes
des Autrichiens que des charges de cavalerie achèvent de mettre en
déroute. L'armée tout entière pleura Desaix et Napoléon le regretta
plus d'une fois dans le cours de ses longues guerres.

Une autre victoire du général Moreau, en Allemagne, força l'Autriche
à signer la paix qui fut conclue à Lunéville (1801). L'Angleterre
elle-même, l'ennemie la plus acharnée qu'ait eue notre Révolution,
signa la paix d'Amiens (1802).

=Organisation de la société nouvelle.=--Le Premier Consul, dès qu'il
put donner ses soins au gouvernement intérieur, organisa la société
nouvelle. Il créa un système régulier d'administration, qui dure
encore. Il fit constituer la Banque de France, qui est encore la plus
importante de nos institutions de crédit. Il régla la distribution
de la justice et fit rédiger le Code civil, recueil des lois qui
protègent encore aujourd'hui la famille et la propriété des citoyens.
Il signa, en 1802, avec le Pape, un traité, le Concordat, qui décida
le rétablissement en France du culte catholique et d'après lequel sont
encore fixés les rapports de l'Église et de l'État.

Les anciens ordres de chevalerie supprimés furent remplacés par
l'Ordre de la _Légion d'honneur_ auquel tout le monde pouvait
prétendre sans distinction de naissance ou de fortune. La croix
d'honneur brilla sur la poitrine du simple soldat comme sur celle du
général et signalait les services civils aussi bien que les services
militaires. Elle portait une simple et noble devise: _Honneur et
Patrie_.

En même temps, il encourageait l'agriculture, l'industrie, le
commerce, que tant d'années de troubles avaient ruinés, et le pays,
rassuré, oublia ses divisions pour se remettre avec ardeur au travail
qui ramena la prospérité.

L'Angleterre, jalouse de voir la France s'agrandir, relever sa marine
et ses colonies, nous déclara de nouveau la guerre en faisant saisir
douze cents navires français.



                             CHAPITRE XIX

                         L'EMPIRE (1804-1815)


=Napoléon I^{er}.=--Les complots sans cesse renaissants favorisèrent
d'ailleurs l'ambition du Premier Consul. Déjà nommé consul à vie, il
obtint le rétablissement de la monarchie déclarée héréditaire dans sa
famille, et le Sénat renouvela pour lui le titre romain d'empereur (18
mai 1804). Le général Bonaparte était devenu Napoléon I^{er}.

Napoléon cependant, pour attaquer l'Angleterre, rassemble une armée
à Boulogne et prépare tous les moyens de la transporter en quelques
heures au delà de la Manche. Pour être maître de la mer pendant
quelques heures, il fallait l'arrivée d'une flotte supérieure à celle
des Anglais. Napoléon apprit bientôt que sa flotte était retardée.
De plus l'Angleterre détourna le péril en soulevant de nouveau le
confinent et en déterminant l'Autriche et la Russie à former une
coalition. Obligé d'abandonner son projet, Napoléon se retourna avec
l'ardeur de la colère contre les ennemis qu'il pouvait saisir. Il
frappa des coups décisifs.

Tandis que notre flotte essuyait un désastre sur les côtes d'Espagne
près du cap Trafalgar, l'empereur transportait avec une rapidité
merveilleuse sa grande armée du camp de Boulogne en Allemagne. Il
marcha sur Vienne où il entra sans résistance. L'armée autrichienne
s'était retirée en Moravie pour se joindre à l'armée russe.

=Bataille d'Austerlitz.=--Napoléon, sans perdre de temps, était allé
au-devant des deux armées russe et autrichienne. Il se dirigea sur
Brünn et arriva en face de l'ennemi, non loin du village d'Austerlitz.
Ses forces étaient inférieures à celles des deux empereurs d'Autriche
et de Russie qui cherchaient à lui couper la retraite. Napoléon
devinait leur plan comme s'il eût assisté à leurs conseils. Il les
encouragea, en feignant d'avoir peur, à poursuivre les mouvements
qu'ils avaient ordonnés de manière à amener leurs troupes sur le champ
de bataille qu'il avait choisi.

Le 1^{er} décembre 1805, au soir, voyant les Russes quitter en masses
serrées les hauteurs dont lui-même convoitait la possession, il ne put
s'empêcher de s'écrier: «Cette armée est à moi!» Comme il parcourait
son camp, les soldats allumèrent des milliers de torches, le saluant
de leurs vivats et lui promettant pour le lendemain, anniversaire de
son couronnement, une belle victoire. Ils tinrent parole.

Le 2 décembre, un soleil brillant qui avait dissipé les brouillards du
matin, éclaira un terrain affermi par la gelée. La bataille s'engagea
et ne fut qu'une série de manœuvres précises par lesquelles l'armée
alliée fut coupée en plusieurs tronçons. Les Français s'établirent
en maîtres sur les hauteurs que les Russes avaient abandonnées et
plusieurs divisions russes se trouvèrent enveloppées dans une étroite
vallée que fermaient des étangs. Les Russes cherchèrent à s'échapper
par ces étangs recouverts de glace: les boulets brisèrent la glace et
un grand nombre de fuyards périrent. Les armées russe et autrichienne
étaient tellement défaites que l'empereur d'Autriche se hâta de
demander une entrevue au vainquer, aux avant-postes.

Un armistice fut conclu; l'armée russe eut la liberté de se retirer et
la paix de Presbourg termina la guerre (26 décembre 1805).

=Guerre contre la Prusse et la Russie.=--La Prusse qui n'avait pas osé
se joindre aux coalisés, engagea seule, l'année suivante, la lutte
contre Napoléon. Tandis que les Prussiens se dirigeaient vers le Rhin,
l'empereur, les trompant, se dirigea vers l'Elbe pour leur couper la
retraite. L'armée prussienne revint en toute hâte sur ses pas, divisée
en deux corps. Napoléon écrasa un de ces corps d'armée à la fameuse
journée d'Iéna (14 octobre 1806), tandis que l'autre corps d'armée
était défait, le même jour par le maréchal Davout, près du village
d'Auerstaedt. L'armée prussienne, complètement dispersée, n'existait
plus. Cependant les Russes arrivaient au secours des Prussiens.
Napoléon alla au-devant d'eux. Les Russes voulurent le surprendre
pendant l'hiver; il les repoussa et leur livra dans un pays couvert
de neige (8 février 1807) la sanglante bataille d'Eylau. Un de nos
corps d'armée s'égara, aveuglé par la neige qui tombait en abondance
et se fit écraser, ce qui causa un moment un grand désordre et faillit
compromettre le succès.

La campagne d'été fut courte et brillante. Les Russes avaient reformé
une nouvelle armée et revenaient conduits par l'empereur Alexandre
lui-même. Ils furent écrasés à Friedland (14 juin 1807).

Alexandre, bien vaincu cette fois, demanda la paix et l'obtint à
l'entrevue de Tilsitt sur un radeau construit au milieu du Niémen.
Il renonçait à une partie de la Pologne et s'engageait à fermer ses
ports aux Anglais. Napoléon rendit au roi de Prusse son royaume, mais
mutilé. Des provinces du Rhin, il forma pour son frère Jérôme le
royaume de Westphalie. Un des frères de l'empereur, Joseph, occupait
déjà le trône de Naples; les autres membres de sa famille avaient des
principautés et il en donnait à ses plus habiles ministres, formant
ainsi à l'Empire une ceinture de monarchies vassales.

L'Empire s'agrandit encore de la Hollande, qu'un des frères de
Napoléon, Louis, gouvernait en qualité de roi, mais où il refusait
d'appliquer des mesures rigoureuses qui ruinaient le commerce du
pays. L'empereur ne souffrait plus d'obstacle à sa volonté: il réunit
la Hollande à la France (juillet 1810). L'empire français compta
alors 130 départements. Un des maréchaux de Napoléon, Bernadotte,
était désigné comme prince héritier de la Suède. La Prusse, mutilée,
n'existait que parce qu'il l'avait bien voulu; il s'attachait
l'Autriche par une alliance de famille.

=Mariage de Napoléon avec Marie-Louise d'Autriche.=--De son mariage
avec Joséphine de Beauharnais, Napoléon n'avait pas d'enfant; malgré
son affection pour Eugène Beauharnais, qu'il avait adopté et créé
vice-roi d'Italie, il ne voulait pas le déclarer son héritier. Il fit
annuler son mariage avec Joséphine, divorce qu'on n'approuva point
et qui parut un divorce avec le bonheur. Il demanda à l'empereur
d'Autriche la main de l'archiduchesse Marie-Louise (1810) et fit
asseoir sur son trône, à ses côtés, une fille des Césars. Un fils lui
étant né le 20 mars 1811, l'empereur le décora du nom de roi de Rome.

Napoléon était alors à l'apogée de la puissance et de la gloire. Rien
ne résistait plus à ses volontés. Les grands corps de l'État restaient
muets ou ne parlaient que pour applaudir aux vastes projets du maître
et exalter ses succès. L'empereur s'efforçait de se faire pardonner
ce gouvernement arbitraire en développant toutes les ressources de la
prospérité publique. Il perfectionnait le système financier, la Banque
de France, promulguait le _Code de Commerce_.

Il entreprenait de grands travaux d'art ou d'utilité générale en
France et dans les pays annexés: la colonne Vendôme, l'arc de triomphe
de l'Étoile, l'achèvement du Louvre et des Tuileries, des fontaines,
des canaux, des routes, etc. Il encouragea aussi l'industrie et
créa le Conseil général des fabriques et manufactures. Le blocus
continental, qui écartait du continent les produits de l'industrie
anglaise, fit naître des industries nouvelles. Par un décret du 15
janvier 1812, Napoléon destina cent mille hectares de terrain à la
culture des betteraves, pour la fabrication du sucre indigène, qui
devait remplacer le sucre des colonies.

Napoléon favorisa surtout l'application des sciences utiles à
l'industrie. Il honora et récompensa les savants aussi bien que les
manufacturiers.

On vit naître deux sciences nouvelles: la géologie, ou histoire
naturelle de la terre, et la paléontologie, science qui traite
d'animaux et végétaux disparus, dont les débris sont enfouis dans la
terre. La littérature et les arts pourtant, ne brillèrent pas du même
éclat à cette époque.

=Campagne de Russie.=--La France, malgré cette prospérité, avait
besoin de repos et d'un gouvernement moins despotique. Mais Napoléon,
résolu à dominer l'Europe entière, rompit avec la Russie et voulut
aller à Moscou. Cette témérité le perdit.

La Russie n'exécutait qu'à moitié le blocus ordonné contre les
Anglais. Napoléon lui déclara la guerre tandis que ses meilleurs
soldats étaient encore occupés à soumettre l'Espagne. Il marcha vers
le Niémen à la tête de six cent quarante mille hommes de toute nation:
il entraînait pour ainsi dire toute l'Europe à sa suite (1812).

Il franchit le Niémen, le 24 juin, entra à Wilna, où il s'arrêta trop
longtemps, s'empara de Smolensk, après un combat acharné (17 août).

Les Russes reculaient toujours, dévastant le pays. Cependant le
général Kutusoff décida à livrer une bataille sur les bords de la
Moskowa, à Borodino (7 septembre 1812). Ce fut un des plus terribles
chocs des temps modernes. L'action dura toute la journée, mais les
Russes se retirèrent horriblement maltraités.

=Les Français à Moscou.=--Cette victoire, bien qu'elle eût coûté
cher, ouvrait la route de Moscou; l'armée se dirigea vers cette
fameuse capitale. Le 14 septembre elle dépassa la dernière hauteur qui
lui dérobait la vieille cité russe. Les soldats, émus au spectacle
grandiose qui se déroulait devant leurs yeux, s'arrêtèrent en criant:
«Moscou! Moscou!» Moitié européenne, moitié asiatique, demi-orientale
et demi-grecque, Moscou, ville immense, sur la limite de la
civilisation et de la barbarie, offrait le mélange le plus singulier
de palais, d'églises, de dômes dorés étincelant aux rayons d'un soleil
d'automne, de jardins, de bosquets, de maisons aux toits brillant de
couleurs variées, et de pauvres cabanes tartares. Bien des soldats
avaient vu le Caire, les Pyramides, Milan, Vienne, Berlin, Madrid:
Moscou surprenait ces hommes déshabitués de l'étonnement. L'armée
défila, ivre d'enthousiasme, et entra dans la cité sainte des Russes.

La joie fut courte. La ville était déserte et morne: toute la
population avait fui à la suite de l'armée russe. Dans la nuit du 15
au 16 septembre, un immense incendie éclata, allumé par les bandits
qu'avait laissés le gouverneur Rostopchine. Un vent furieux vint aider
les incendiaires, et, changeant presque chaque jour, porta tour à tour
les flammes dans les différents quartiers de la ville. Trois jours
et trois nuits, Moscou présenta l'aspect d'un horrible brasier, dont
l'armée eut beaucoup de peine à sortir; les flammes ne s'arrêtèrent
qu'après avoir dévoré les quatre cinquièmes de cette opulente cité
où les soldats espéraient trouver, sinon la paix, du moins le repos
pendant l'hiver. Cet acte sauvage indiquait assez à quelle nation on
faisait la guerre. Napoléon néanmoins engagea des négociations. Il
perdit un temps précieux, croyant toujours que l'empereur Alexandre
traiterait. Mais Alexandre ne pensait qu'à le jouer, comptant pour
nous chasser sur son allié favori, l'hiver.

=La retraite de Russie.=--Cet allié fut plus fidèle encore qu'à
l'ordinaire et plus énergique. Napoléon se décida enfin à partir le
15 octobre. Dès le 23 le mauvais temps commença. Le 9 novembre le
ciel, sur lequel on avait tant compté, se déclara contre nous. La
neige tomba. Tout alors est confondu et méconnaissable; on marche
sans savoir où l'on est, sans apercevoir son but; les flocons de
neige, poussés par le tempête, s'amoncellent et s'arrêtent dans
toutes les cavités; la surface cache des profondeurs inconnues qui
s'ouvrent perfidement sous nos pas. Là le soldat s'engouffre, et les
plus faibles s'abandonnant y restent souvent ensevelis. L'hiver russe
attaque les soldats de toutes parts; il pénètre au travers de leurs
légers vêtements et de leur chaussure déchirée; leurs habits mouillés
se gèlent sur eux; devant eux, autour d'eux, tout est neige; c'est
comme un grand linceul dont la nature enveloppe l'armée! Les seuls
objets qui se voient, ce sont de sombres sapins avec leur funèbre
verdure, et la gigantesque immobilité de leurs tiges noires, et leur
grande tristesse qui complète cet aspect désolé d'un deuil général,
d'une nature sauvage et d'une armée mourante au milieu d'une nature
morte.

A Smolensk, on ne trouva ni les vivres ni les secours espérés. Tout
était pillé. On ne put s'y arrêter. Il fallut poursuivre cette
retraite, de plus en plus désastreuse à mesure que le froid devenait
plus rigoureux et que l'ennemi se rapprochait. Il fallait acheter
par des combats une route couverte de neige. Ney à l'arrière-garde
protégeait de son solide courage toute l'armée. Des lignes de cadavres
marquaient les bivouacs. Depuis longtemps on laissait les canons
faute de chevaux, et, ce qui est plus triste, les blessés. Presque
toute la cavalerie était à pied. Les rangs étaient abandonnés, et une
foule désarmée, souffrante, suivait les régiments qui conservaient
encore quelque organisation et quelque discipline. Ce fut cette foule
accrue des marchands et des vivandiers qui occasionna l'encombrement
des ponts au passage de la Bérésina, et fut en partie sacrifiée pour
le salut de l'armée, car on se vit obligé de rompre les ponts à
l'arrivée de l'ennemi. Des scènes douloureuses se produisirent alors
(28 novembre) et sont restées célèbres sous le titre de passage de la
Bérésina.

A Smorgoni, Napoléon quitta l'armée pour prévenir à Paris la nouvelle
de son désastre. Il traversa l'Allemagne incognito et arriva aux
Tuileries, lorsqu'on commençait seulement à connaître quelque chose
de l'horrible vérité. Après son départ, la retraite devint plus
désastreuse. Le froid redoubla. Le 9 décembre on arriva à Wilna, mais
sans pouvoir s'y arrêter. Il fallut reculer jusqu'au Niémen, et c'est
à peine si une poignée de soldats, débris d'une armée de 400,000
hommes, repassa ce fleuve.

=Campagnes d'Allemagne et de France.=--Ce désastre porta un coup
mortel à la puissance de Napoléon. Dès qu'on vit son armée détruite
par le froid, les défections commencèrent. La Prusse d'abord se
souleva. Même le prince de Suède, un maréchal de l'Empire, Bernadotte,
entra dans la coalition. Napoléon, cependant, réussit à recomposer une
armée de deux cent mille hommes avec les troupes laissées en Allemagne
et les conscrits de France.

Trois armées, prussienne, russe, autrichienne, se dirigent sur
Dresde. Napoléon leur fait face. Le 26 et le 27 août, il livre une
grande bataille à Dresde et remporte une sanglante victoire. Mais les
lieutenants de Napoléon se laissent battre, et bientôt l'empereur
voit trois cent mille coalisés se réunir contre lui près de Leipzig.
Pendant trois jours Napoléon arrête, tour à tour, chacune des armées
ennemies. Malgré l'héroïsme de ses soldats il ne peut continuer cette
lutte inégale. Il fallut reculer encore et reculer jusqu'en France.

La France à son tour fut envahie. Trois masses énormes formant un
total de quatre cent mille hommes arrivent par la Hollande et la
Belgique, par la Moselle, par la Bourgogne, et convergent vers
Paris. Devant ce danger Napoléon retrouve son activité d'Italie: il
déploie dans cette lutte suprême un génie qui excite l'admiration.
Avec une poignée de soldats aguerris, trois mois il tient tête à
la coalition et frappe des coups énergiques. Les alliés négocient;
mais ils n'offrent à l'empereur que les limites de 1789. Napoléon
s'indigne: «Voulez-vous que j'abandonne les conquêtes qui ont été
faites avant moi, s'écrie-t-il, que je laisse la France plus petite
que je l'ai trouvée! jamais!» Nouveaux combats et nouveaux succès,
mais les armées alliées se réunissent toujours et, après la bataille
indécise d'Arcis-sur-Aube (20 et 21 mars), marchent sur la capitale.
D'héroïques soldats résistent, autant qu'ils peuvent, aux 180,000
hommes qui les attaquent; ils sont écrasés par le nombre. Paris
capitule (31 mars), et on demanda à l'empereur son abdication.
Abandonné de ses généraux, il la signa enfin, plein de douleur (6
avril). Un traité lui assurait la souveraineté dérisoire de l'île
d'Elbe. Avant de partir, Napoléon composa un bataillon d'hommes et
d'officiers de différents corps de la garde, bataillon qui devait
l'accompagner; puis, dans la cour du palais de Fontainebleau, il fit
aux régiments qui demeuraient de touchants adieux. Puis il partit,
accompagné de quelques serviteurs fidèles, pour un exil qui, dans sa
pensée, n'était point définitif.

=Première restauration des Bourbons.=--Les Bourbons revinrent dans
cette France entièrement renouvelée à laquelle ils parurent des
étrangers. Louis XVIII regardait comme nul tout ce qui s'était fait
en son absence et appelait 1814 la dix-neuvième année de son règne.
L'arrogance des émigrés, leur prétention de détruire toutes les
conquêtes de 1789, excitèrent de vifs mécontentements. On regarda
du côté de l'île d'Elbe, où avait été relégué le puissant empereur.
Napoléon comprit qu'on l'appelait. Il arriva.

Échappant à la vigilance des croisières anglaises, il débarque le
1^{er} mars 1815 avec son bataillon de grenadiers de la garde, au
golfe Jouan, près de Cannes, et arrive à Grenoble, où le colonel
Labédoyère se rallia à lui. Il poursuivit sa marche triomphale de
Grenoble à Lyon, de Lyon à Paris. Le 20 mars 1815 Napoléon rentrait
aux Tuileries, que Louis XVIII avait quittées pour s'enfuir en
Belgique.

Instruit par le malheur, Napoléon déclara qu'il allait satisfaire les
désirs de liberté qu'il avait trop méconnus. Mais Napoléon remontant
sur le trône fut un sujet d'effroi pour l'Europe. Les souverains
resserrèrent leur alliance et mirent en mouvement leurs armées.

=Bataille de Waterloo.=--Napoléon, en quelques mois, avait aussi
réorganisé son armée et entra en Belgique, à la tête de cent trente
mille hommes. Il battit les Prussiens à Fleurus et à Ligny (16 juin).
Mais il fallait aussi arrêter les Anglais. Il les attaqua le 18 juin
1815 au plateau du Mont-Saint-Jean, près du village de Waterloo. Le
maréchal Grouchy était chargé de poursuivre les Prussiens et de les
empêcher de secourir les Anglais. Ney entraîna par son ardeur la
cavalerie, qui exécuta des charges répétées. Ce furent des scènes
grandioses, telles qu'on n'en avait point vu. Les cuirassiers surtout
firent des prodiges. Napoléon se préparait à soutenir ces belles
charges par son infanterie, lorsque les Prussiens arrivèrent. Bülow
débouchait sur la droite avec 30,000 ennemis, quand, à sa place, on
espérait Grouchy avec 30,000 Français. Il fallut leur faire face.

Toutefois le combat se soutenait, les Prussiens furent refoulés.
Ney entraîne une seconde fois toute la cavalerie sur le plateau du
Mont-Saint-Jean, que Wellington a repris et qu'il veut défendre
jusqu'à la dernière extrémité; il sait qu'il sera secouru. Dix mille
cavaliers se précipitent avec furie sur les bataillons anglais formés
en carrés, les entament, les ouvrent, s'emparent des canons. Déjà les
Anglais se débandent, et Wellington inquiet ne sait si les Prussiens
auront le temps de paraître. Il est sept heures du soir. Ney demande
toujours de l'infanterie; «De l'infanterie! Où voulez-vous que j'en
prenne? Voulez-vous que j'en fasse?» répond Napoléon obligé de tenir
tête aux Prussiens. Toutefois, ceux-ci avaient décidément reculé.
Napoléon forme une colonne de bataillons de la garde, destinée à
enfoncer le centre des Anglais. Elle est à peine organisée que le
reste de l'armée prussienne avec Blücher se montre sur l'extrême
droite: et Grouchy ne vient point! Napoléon ordonne d'attaquer avec
quatre bataillons seulement. Peut-être aura-t-il le temps de percer
les Anglais. Tout cède devant les redoutables bataillons que Ney
dirige avec l'entrain du désespoir. On entoure Wellington, on lui
demande ses instructions, s'il est tué. «Mes instructions, répond-il,
c'est de tenir ici jusqu'au dernier homme.» Il mérita bien, ce
jour-là, par sa froide ténacité, le surnom de _Duc de fer_. Des
soldats de réserve, couchés dans les blés, se lèvent tout à coup,
et leur feu subit, meurtrier, met le désordre dans les rangs des
Français, qui plient.

Il est huit heures. On pourrait renouveler l'attaque avec les huit
bataillons qui restent, mais Blücher arrive et tourne notre aile
droite. La vieille garde n'a plus qu'une mission à remplir: c'est
de jeter sur cet immense désastre un peu de gloire, par son sublime
héroïsme. Elle protège la déroute de l'armée, qui s'enfuit, vivement
poursuivie. Décimés, les bataillons de vétérans se sacrifient pour
le salut de tous. Ils se forment en carrés qui rétrogradent en
combattant: plusieurs sont détruits. «La garde meurt et ne se rend
pas,» noble parole qui fut réellement prononcée et admirablement
tenue. Napoléon, entouré par les débris de sa garde, fut entraîné, la
mort dans l'âme, loin de ce funeste champ de bataille de Waterloo où
venait de s'abîmer sa merveilleuse carrière.

Napoléon se hâta d'accourir à Paris, croyant y trouver un appui. Se
voyant abandonné, il abdiqua en faveur de son fils. Mais les alliés
arrivèrent, rappelèrent Louis XVIII et n'accordèrent la paix qu'aux
conditions les plus onéreuses. Les traités de 1815 ramenèrent la
France, au nord et à l'est, en deçà des limites de 1789. Elle perdait
non seulement les conquêtes de l'Empire, mais encore toutes celles de
la République et même quelques-unes de l'ancienne monarchie.

Hors du continent, la France renonçait à la plupart des colonies que
l'Angleterre avait prises pendant la guerre. L'Angleterre restait
la plus grande puissance maritime. La Russie obtenait presque toute
la Pologne. L'Autriche dominait l'Italie. La Prusse recouvrait ses
anciennes provinces et recevait la rive gauche du Rhin. La Belgique,
réunie à la Hollande, formait un royaume des Pays-Bas, destiné à
servir de barrière contre la France. Partout les alliés de la France,
les faibles, étaient écrasés.

=Napoléon à Sainte-Hélène.=--Napoléon avait demandé à l'Angleterre
l'hospitalité et était passé librement sur un vaisseau anglais: on le
déclara prisonnier et on l'envoya sur un îlot de l'océan Atlantique,
à Sainte-Hélène, dans la zone torride. Là encore on sembla vouloir le
tuer lentement. Au lieu de lui abandonner le château du gouverneur,
situé dans une fraîche vallée, on choisit pour sa demeure un plateau
brûlé par le soleil et désolé par les vents. Une limite fut tracée aux
promenades de celui qui avait l'habitude de parcourir l'Europe. Hors
de ces limites, Napoléon ne pouvait aller à cheval sans être suivi.
Aussi, pour éviter cette gêne odieuse, se livrait-il le moins possible
à l'exercice du cheval, nécessaire à sa santé. Les généraux Bertrand,
Gourgaud et Montholon avec leurs familles faisaient tous leurs efforts
pour adoucir ses peines; ils n'y parvenaient pas. Ne voulant plus
monter à cheval, il se livra à l'exercice du jardinage et éleva des
épaulements en terre pour protéger sa demeure contre les vents. En
costume de planteur, on le voyait avec ses compagnons surveiller la
culture de son jardin, et combattre encore la nature de ce roc stérile
sur lequel on ne lui épargnait pas les humiliations.

En 1821, dans les premiers jours de mai, une maladie qui faisait
souffrir Napoléon depuis plusieurs années et que le climat avait
développée, fit des progrès alarmants. Le 3, le délire commença,
et à travers ses paroles entrecoupées on saisit ces mots: «Mon
fils... l'armée... Desaix...» On eût dit, à une certaine agitation,
qu'il avait une dernière vision de la bataille de Marengo regagnée
par Desaix. Le 4, l'agonie dura sans interruption. Le temps était
horrible; un ouragan des tropiques déchaînait sa fureur sur l'île
et y déracinait quelques-uns des grands arbres. Enfin, le 5 mai on
ne douta plus que le dernier jour de cette existence extraordinaire
ne fût arrivé. Tous les serviteurs de Napoléon, agenouillés autour
de son lit, épiaient les dernières lueurs de la vie. Ce jour-là, le
temps était redevenu calme et serein. Vers cinq heures quarante-cinq
minutes, juste au moment où le soleil se couchait dans des flots de
lumière et où le canon anglais donnait le signal de la retraite, les
nombreux témoins qui observaient le mourant s'aperçurent qu'il ne
respirait plus, et s'écrièrent qu'il était mort.

Napoléon avait alors cinquante-deux ans. On l'enterra dans l'île, près
d'une fontaine qu'il affectionnait. Il avait, dans son testament,
exprimé le désir d'être enterré «sur les bords de la Seine, au milieu
de ce peuple français qu'il avait tant aimé.» Ce dernier vœu fut
réalisé en 1840, et les restes de Napoléon reposent maintenant dans
l'Hôtel des Invalides à Paris.



                             CHAPITRE XX

                        LA FRANCE DEPUIS 1815


=La Restauration; Louis XVIII (1815-1824).=--Une invasion plus funeste
que celle de 1814 se continua pendant plus de trois mois après la
bataille de Waterloo. Les Prussiens occupaient Paris, les Anglais
tenaient les environs de la capitale. Pendant trois ans une partie de
la France resta occupée par les troupes étrangères.

La Chambre des députés voulait rétablir l'ancien régime, et Louis
XVIII se vit obligé lui-même de la dissoudre. Il s'efforçait de
réconcilier les classes divisées par une révolution si profonde: il
comprenait que la royauté devait se rattacher la société nouvelle
et non la combattre. L'assassinat du duc de Berry (13 février
1820), neveu du roi et alors dernier héritier du trône, rejeta le
gouvernement dans les bras des royalistes exaltés. Les rigueurs
recommencèrent et provoquèrent des conspirations qui amenèrent de
nouveaux supplices.

Afin de regagner l'armée et pour défendre au dehors comme au dedans le
principe de l'autorité royale, le gouvernement entreprit l'expédition
d'Espagne pour rétablir sur le trône le roi Ferdinand VII, qui avait
été renversé par son peuple et se trouvait dans une situation analogue
à celle où s'était trouvé Louis XVI. L'armée française, commandée
par les maréchaux et les généraux expérimentés de l'Empire, pacifia
rapidement toute l'Espagne.

L'année suivante, Louis XVIII, qui avait eu à traverser les temps les
plus difficiles, acheva paisiblement son règne.

=Charles X (1824-1830).=--Son frère Charles lui succéda. Charles
X avait alors soixante-sept ans: le duc de Bordeaux était son
petit-fils, et tout semblait l'inviter à continuer, après les
secousses violentes des trente dernières années, la politique de
Louis XVIII. Il n'en fit rien. C'était lui qui, en 1789, avait donné
le signal de l'émigration, et il disait en parlant de La Fayette, un
des principaux chefs du parti libéral et l'un des premiers acteurs
de la Révolution: «Il n'y a que M. de La Fayette et moi qui n'ayons
pas changé depuis 1789.» Un moment il céda à l'opinion en prenant
des ministres modérés, mais il revint presque aussitôt aux vieilles
théories de pouvoir absolu, et se crut assez fort en 1830 pour
déchirer la Charte consentie par Louis XVIII.

Une révolution éclata et une bataille de trois jours s'engagea dans
les rues de Paris, 26, 27 et 28 juillet 1830. Charles X abdiqua en
faveur de son petit-fils le duc de Bordeaux, mais trop tard, et
s'embarqua à Cherbourg, partant pour un dernier et nouvel exil. Les
Chambres donnèrent la couronne à Louis-Philippe d'Orléans. La France
reprit le drapeau tricolore.

=Règne de Louis-Philippe I^{er} (1830-1848).=--Le nouveau roi,
Louis-Philippe I^{er}, rassurait par sa politique libérale la
société, qui ne craignait plus de retour en arrière. Mais les partis
ne désarmaient point, et le règne de Louis-Philippe fut fort troublé
jusqu'en 1840; à plusieurs reprises, des insurrections ensanglantèrent
les rues de Paris et de Lyon. Des attentats sans cesse répétés contre
la vie du roi perpétuaient l'inquiétude.

Louis-Philippe, cependant, parvint à triompher de toutes les
agitations: il maintenait au dehors la paix de l'Europe, mais on lui
reprochait d'acheter cette paix par de trop grandes concessions.
L'industrie et le commerce, qui, depuis le commencement du siècle,
avaient pris un essor rapide, avaient accru l'importance de la
population ouvrière, dont le gouvernement ne se préoccupait pas
assez. Deux maîtres en l'art de la parole et en l'art d'écrire, M.
Thiers et M. Guizot, se disputaient sans cesse le pouvoir, et leur
rivalité fut le grand événement d'un règne où les luttes de la tribune
tinrent la place principale. Tandis que les amis mêmes de la royauté
réclamaient de justes réformes, ses ennemis se préparaient à profiter
de ces divisions. Une émeute commencée aux cris de Vive la réforme!
devint bientôt, le 24 février 1848, une révolution d'où sortit pour
la seconde fois la République. Louis-Philippe n'essaya même pas de
lutter; comme Charles X, il abdiqua en faveur de son petit-fils
le comte de Paris, mais trop tard aussi, et il dut s'enfuir en
Angleterre, où il mourut deux ans après.

=Conquête de l'Algérie.=--La plus grande œuvre et le plus beau
résultat du règne de Louis-Philippe, ce fut la conquête de l'Algérie.
La colonie s'est développée, et la France possède ainsi sur la côte
d'Afrique un vaste territoire très fertile qui compte trois millions
d'habitants.

=République de 1848: le suffrage universel.=--La révolution de
février 1848 assurait le triomphe de la République. Le gouvernement
provisoire, qu'on établit d'abord à l'Hôtel de ville, voulut tout de
suite marquer la portée de la nouvelle révolution par des mesures
libérales. Il abolit la peine de mort en matière politique et, dès
le 2 mars, proclama le suffrage universel. Le 27 avril, il proclama
également l'abolition de l'esclavage dans les colonies.

La Constitution nouvelle donnait le pouvoir à un Président élu pour
quatre ans et à une Assemblée législative. L'Assemblée et le Président
devaient être nommés par le suffrage universel. Cinq millions de
suffrages désignèrent pour la présidence le prince Louis-Napoléon,
dont le nom entraîna les populations des campagnes. Deux fois déjà,
sous le règne de Louis-Philippe, il avait tenté de s'emparer du
pouvoir: deux fois il avait échoué. Devenu président de la République,
il s'appliqua à préparer son avènement à l'Empire.

Louis-Napoléon s'appuya d'abord sur les anciens partis monarchiques,
et commença une véritable réaction contre les doctrines républicaines.
Mais bientôt il se sépara des monarchistes, qui ne voulaient point
l'accepter pour souverain. Afin de se faire réélire, il demanda la
revision de la Constitution, mais tous les partis se réunirent contre
lui et repoussèrent la revision de la Constitution. Alors le Président
songea à recourir à la force.

=Coup d'État du 2 décembre 1851.=--Le 2 décembre 1851, il fit arrêter
les députés les plus influents du parti républicain et des partis
monarchiques, occuper Paris militairement, fermer la salle des séances
de l'Assemblée. Il détruisait lui-même la Constitution, qu'il avait
fait serment et qu'il avait pour mission de maintenir. La résistance
qui s'organisa à Paris, échoua devant l'attitude des troupes dont
le Président s'était assuré le concours. Des transportations sans
jugement éloignèrent les ennemis du nouvel ordre de choses. Sept
millions et demi de suffrages (20 et 21 décembre) confièrent à
Louis-Napoléon la présidence pour dix ans.

Louis-Napoléon se hâta alors de publier une Constitution (14 janvier
1852). L'autorité effective, la pleine puissance était concentrée
entre les mains du Président. Le pouvoir législatif était exercé par
le _Corps législatif_ et le _Sénat_. Louis-Napoléon se fit enfin,
après un nouveau plébiscite,[14] proclamer empereur des Français (2
décembre 1852).

=La guerre d'Orient.=--Bien qu'il eût prononcé, pour rassurer
l'Europe, ces mots fameux: «L'Empire, c'est la paix,» Napoléon III ne
craignit pas d'inaugurer son règne par une grande guerre. Le tsar de
Russie, Nicolas, avait envahi les provinces du Danube, le 3 juillet
1853. Napoléon III s'allia alors avec l'Angleterre pour s'opposer aux
projets ambitieux du tsar.

Une flotte anglo-française alla dans la mer Baltique. Une armée
française fut transportée en Turquie, où les troupes anglaises la
rejoignirent. Les généraux alliés, ne voulant point se lancer à
la poursuite des armées russes au delà du Danube, se décidèrent à
attaquer Sébastopol, son principal arsenal, menace perpétuelle pour
Constantinople. Le 14 septembre 1854, le corps expéditionnaire, dirigé
par le maréchal Saint-Arnaud et lord Raglan, débarqua en Crimée.
Les Russes, retranchés derrière le petit fleuve de l'Alma, sur des
hauteurs hérissées d'artillerie, comptaient nous rejeter dans la mer.
Grâce à l'élan, à l'agilité des soldats français, les hauteurs furent
escaladées, les Russes tournés, refoulés: ce fut une victoire décisive
et brillante (20 septembre 1854).

La victoire de l'Alma ouvrait la route de Sébastopol, dont le siège
commença (octobre 1854) sous les ordres du général Canrobert, puis du
général Pélissier. Il fallut creuser des tranchées dans un terrain
rempli de rochers; les armées opéraient à cinq cents lieues de leur
pays, attendant le plus souvent leur matériel et leurs provisions,
livrés à la merci des vents impétueux qui soufflent dans la mer Noire.

Survint un hiver des plus rigoureux. Dans les tranchées les
souffrances étaient affreuses, et il fallait travailler, combattre. Au
mois de mars 1855 l'empereur Nicolas mourut, mais son fils, Alexandre
II, continua la guerre. Alors les alliés poussèrent le siège avec une
nouvelle vigueur.

Après un bombardement terrible, la tour Malakoff, qui était devenue,
grâce aux travaux des Russes, une citadelle redoutable, fut attaquée
le 8 septembre, tandis que le reste de l'armée s'élançait sur les
bastions voisins. Malgré un feu épouvantable et plusieurs retours
offensifs, la division du général de Mac-Mahon demeura maîtresse de
la tour Malakoff, qui n'était plus qu'un amas de décombres. Le grand
résultat était obtenu: Malakoff pris, Sébastopol tombait au pouvoir
des Français.

Ce magnifique succès termina la guerre. Un congrès se réunit à Paris;
la paix fut signée le 30 mars 1856, et la Russie perdait le fruit de
longues années de travail et d'énormes dépenses.

=Guerre d'Italie (1859).=--Après la Russie, Napoléon voulait abaisser
l'Autriche et délivrer l'Italie, dont le nord appartenait depuis 1815
aux Autrichiens. Le roi de Sardaigne, Victor-Emmanuel, et surtout son
ministre, le comte de Cavour, entraînèrent Napoléon à cette guerre,
qui fut populaire et brillante.

Les Français battirent les Autrichiens à Montebello (20 mai 1859) et
encore au village de Magenta (4 juin).

Les Autrichiens semblèrent alors abandonner la Lombardie, mais, quand
l'armée française approcha des bords du Mincio, elle vit tout à coup
les hauteurs voisines de cette rivière couvertes d'ennemis. Les
Français, sous un soleil ardent, s'élancèrent à l'assaut des hauteurs
de Solferino et de Cavriana (24 juin), et s'en emparèrent après une
lutte acharnée. Un orage qui éclata empêcha les Français de changer en
déroute la défaite des Autrichiens, qui purent se retirer au delà du
Mincio.

On se répétait encore les derniers détails de la journée de Solferino,
lorsque le télégraphe annonça tout à coup la conclusion de la paix.
Une entrevue eut lieu à Villafranca, entre l'empereur d'Autriche
François-Joseph et l'empereur Napoléon III. Les deux souverains
signèrent les préliminaires de la paix: l'empereur d'Autriche cédait
la Lombardie à Napoléon III, qui la remettait au roi Victor-Emmanuel.
L'Italie centrale demanda à s'unir au Piémont et, par une suite de
révolutions, d'invasions successives, le Piémont devint le maître
de la péninsule. Le royaume de Sardaigne se transforma en royaume
d'Italie. L'unité italienne fut faite.

Dès 1860 la France, à raison de ces changements, avait réclamé sa
frontière naturelle des Alpes, perdue en partie lors des traités de
1815. La Savoie et le comté de Nice furent cédés à la France par le
roi Victor-Emmanuel (mars 1860), et les populations, consultées par
la voie du suffrage universel, accueillirent avec joie ce retour à la
patrie française. Le 14 juin, le drapeau français était porté par des
guides hardis sur la plus haute cime du mont Blanc.

=Guerre de 1870.=--La Prusse n'avait été depuis 1815 qu'une puissance
secondaire. Mais sous le roi Guillaume I^{er}, monté sur le trône en
1861, un ministre habile et audacieux, le comte de Bismarck, entreprit
d'assurer à la Prusse l'empire de l'Allemagne. Il s'unit à l'Italie
contre l'Autriche, et l'armée prussienne remporta une victoire
décisive à Sadowa (3 juillet 1866). L'Autriche signa la paix, et les
États allemands se virent obligés de reconnaître la suprématie de la
Prusse. Ce royaume, considérablement agrandi, devenait un dangereux
voisin. Un conflit était dès lors inévitable avec la France. Le
gouvernement impérial s'y prépara d'une manière insuffisante, et la
Prusse, qui connaissait les imperfections de notre armée, eut l'art de
se faire déclarer la guerre qu'elle désirait (15 juillet 1870).

Les Prussiens saisissent l'occasion que leur offrent les mauvaises
positions de l'armée, dispersée sur une ligne trop étendue le long de
nos frontières. Le 4 août, au nombre de quarante mille hommes, ils
écrasent une division française isolée sur les bords de la Lauter, à
Wissembourg. L'ennemi entre en France.

Le maréchal de Mac-Mahon, qui occupait l'Alsace, cherche et trouve une
forte position à Reichshoffen et à Frœschwiller. Mais il avait à peine
trente-cinq mille hommes, et le prince royal de Prusse lui en opposa
cent vingt mille. Le maréchal de Mac-Mahon, pour assurer sa retraite,
dut sacrifier sa magnifique brigade de cuirassiers. Le même jour, à
Forbach, le corps d'armée du général Frossard était repoussé et abîmé
par une autre armée prussienne (6 août 1870).

L'invasion s'étendit dans les départements de l'Est, rapide, terrible,
avec ses exigences, ses réquisitions, ses cruautés même.

L'armée principale, commandée par le maréchal Bazaine, restait sous
la protection de la place de Metz, au lieu de se replier rapidement:
et malgré les glorieux combats de Borny (14 août), de Gravelotte (16
août) et de Saint-Privat (18 août), où les armées prussiennes firent
des pertes énormes, l'armée française fut entourée et resserrée autour
de Metz.

Une nouvelle armée, formée à Châlons, fut témérairement envoyée à
son secours; cette seconde armée, acculée à la frontière du Nord, fut
enveloppée autour de la petite place forte de Sedan. Après deux jours
de combats sanglants, cette armée, privée de son chef, le maréchal
Mac-Mahon, grièvement blessé, se vit refoulée dans la place de Sedan,
où, accablée par l'artillerie allemande, elle ne pouvait ni résister
ni vivre. L'empereur Napoléon III, qui se trouvait avec cette armée,
capitula en se rendant prisonnier de guerre avec quatre-vingt mille
hommes (2 septembre 1870).

Lorsque cette nouvelle arriva à Paris, une révolution éclata (4
septembre); un gouvernement nouveau s'installa à l'Hôtel de ville,
prenant le titre de gouvernement de la _Défense nationale_. Les
principaux membres de ce gouvernement, présidé par le général Trochu,
gouverneur de Paris, étaient MM. Jules Favre, Ernest Picard, Jules
Simon, Crémieux, Gambetta.

Tandis que les armées prussiennes, victorieuses à Sedan, venaient
investir et assiéger Paris, d'autres troupes allemandes s'emparaient
successivement des forteresses.--Strasbourg, boulevard de l'Alsace,
investi le 13 août, se vit, à partir du 15, exposé à un bombardement
qui s'attaquait à la ville même. Tout le centre de la ville fut
dévasté par l'incendie. La cathédrale elle-même fut mutilée. La ville,
à bout de ressources, dut capituler le 28 septembre. Paris cependant,
investi depuis le 19 septembre, tenait à distance les Prussiens,
qui ne se trouvaient pas en mesure de l'attaquer de vive force. Des
troupes se rassemblaient sur les bords de la Loire, et la situation
paraissait s'améliorer. La capitulation du maréchal Bazaine[15] à
Metz (27 octobre) vint changer la face des choses. Investi, enserré
par des lignes de batteries, qu'il n'était pas aisé de franchir, il
n'essaya pas sérieusement, malgré la belle qualité de ses troupes
aguerries, qui constituaient la plus belle armée que la France ait eue
depuis longtemps, de rompre le cercle de fer et de feu tracé autour
de lui. Lorsque les vivres diminuèrent, il négocia. M. de Bismarck
ne voulut plus entendre parler de convention lorsqu'il comprit que
l'armée devait nécessairement se rendre. Le jour fatal arriva en
effet. Le maréchal dut capituler, et livrer prisonniers de guerre les
cent mille hommes qui lui restaient, un matériel énorme, des forts
superbes, un arsenal de premier ordre et une ville qui était un des
plus solides remparts de la France. Verdun, assiégé depuis le 25 août,
capitule le 8 novembre et Belfort se préparait sous la direction du
colonel Denfert à une résistance digne de la réputation de cette
forteresse.

A Paris, le général Trochu se hâta d'accélérer l'organisation de
l'armée, qui déjà avait tenté plusieurs reconnaissances. Apprenant
que l'armée de la Loire comptait s'approcher du côté de la vallée de
la Seine, il prépara une sortie du côté de la Marne. Deux combats
(30 novembre et 2 décembre) furent honorables pour l'armée de Paris,
mais n'eurent aucun résultat. En même temps l'armée de la Loire
avait à lutter contre l'armée prussienne de Frédéric-Charles, que la
capitulation de Metz avait rendue libre. Une série de combats, les
2, 3 et 4 décembre, en avant d'Orléans, se termina par la retraite
des Français et la reprise d'Orléans par les Prussiens. Paris, à bout
de vivres et bombardé depuis le 6 janvier, avait enfin capitulé.
Le gouvernement de la Défense nationale signa un armistice (28
janvier 1871). Une assemblée se réunit le 13 février à Bordeaux,
nomma M. Thiers chef du pouvoir exécutif, et, après une douloureuse
délibération, ratifia, le 1^er mars, les préliminaires de paix. La
France était forcée de payer cinq milliards et d'abandonner aux
Allemands l'Alsace et la partie de la Lorraine qu'ils appellent
allemande.

=La guerre civile; la Commune de Paris.=--Comme si ce n'était pas
assez de tant de malheurs, une affreuse guerre civile suivit la guerre
étrangère. Des ambitieux, exploitant les souffrances et la colère de
la population parisienne, soulevèrent une partie de la garde nationale
(18 mars 1871), et organisèrent la Commune. Le gouvernement légal fut
obligé de se retirer à Versailles, et ne put rentrer à Paris qu'après
un siège de deux mois (avril-mai). Encore, dans la dernière semaine,
Paris faillit-il être anéanti par les incendies qu'allumèrent les
vaincus. Cette lutte sinistre ne finit que le 28 mai.

=Présidence de Thiers (1871-1873).=--Le gouvernement de la Défense
nationale avait déposé ses pouvoirs entre les mains des représentants
de la nation, et ceux-ci, quoique appartenant en majorité à des
opinions monarchiques, n'osèrent pas rétablir la monarchie. Ils
choisirent pour Président du pouvoir exécutif M. Thiers, désigné
d'ailleurs par ses lumières, son expérience et ses efforts, pendant la
guerre, pour intéresser l'Europe aux malheurs de la France.

Chef du pouvoir exécutif et vainqueur de l'insurrection de la Commune,
Thiers, travailleur infatigable, malgré son grand âge, se hâta de
préparer, en devançant les époques de payement de l'indemnité de
guerre, l'évacuation du territoire français. En deux ans l'indemnité
de guerre de cinq milliards était payée, grâce à l'empressement
du public à souscrire aux emprunts destinés à ces payements. Les
Prussiens abandonnèrent toutes les positions qu'ils occupaient sur
le territoire français. En même temps, de concert avec l'Assemblée,
Thiers réorganisait l'armée, l'administration, les finances. Une loi
(27 juillet 1872) déclarait le service militaire obligatoire pour
tous les Français jusqu'à l'âge de quarante ans. Mais Thiers, qui
s'efforçait de faire prévaloir la forme républicaine, tomba sous une
coalition des partis monarchiques et donna sa démission le 24 mai
1873. Quelques mois auparavant (9 janvier) était mort en Angleterre
l'empereur Napoléon III.

=Présidence du maréchal de Mac-Mahon (1873-1879).=--Le maréchal de
Mac-Mahon fut désigné par l'Assemblée pour remplacer Thiers, et
bientôt, comme les efforts pour rétablir la monarchie ne pouvaient
réussir, les pouvoirs du maréchal de Mac-Mahon furent prolongés (20
novembre) pour une durée de sept années. Toutefois il fallait une
Constitution déterminée. Républicains et monarchistes, avec des vues
différentes, s'entendirent pour organiser un gouvernement.

La Constitution du 25 février 1875 établit deux Chambres, le Sénat
et la Chambre des députés. Le Président de la République était élu
pour sept ans par les deux Chambres réunies en Congrès. La République
devint dès lors le gouvernement légal de la France, et l'Assemblée
nationale se sépara à la fin de l'année 1875 pour laisser s'accomplir
les élections nouvelles qui donnèrent dans la Chambre des députés
la majorité au parti républicain, mais en 1879, quand de nouvelles
élections eurent enlevé aux monarchistes la majorité au Sénat,
Mac-Mahon donna sa démission.

=Présidence de Grévy.=--Le Congrès élut pour Président un libéral
éprouvé, Jules Grévy. Toutefois le vrai maître du pouvoir était
Gambetta qui savait rallier les différentes fractions du parti
républicain. Mais Gambetta, contraint d'accepter la présidence du
conseil, voulut trop marquer son autorité, et en quelque sorte dominer
la Chambre des députés. Il ne put la déterminer à changer le mode
de nomination des députés et se retira (janvier 1882). A la fin de
la même année il mourait prématurément, et c'est alors que le parti
républicain mesura l'étendue de sa perte.

Après la mort de Gambetta, Jules Ferry parut le plus capable de
devenir le guide du parti républicain. Il resta deux ans au pouvoir,
fit voter la loi sur l'instruction primaire obligatoire et gratuite
(mars 1882) et surtout s'appliqua à tourner vers les entreprises
extérieures l'activité française. Il fit voter une expédition au
Tonkin qui nécessita de grands sacrifices d'argent et surtout
d'hommes, car le climat malsain en dévorait beaucoup. La conquête du
Tonkin amena une guerre avec la Chine. Mais un échec survenu au Tonkin
produisit à Paris un mécontentement tel que Jules Ferry dut se retirer
(30 mars 1885). Il mourut quelques années plus tard (1893).

Les différentes fractions du parti républicain se combattaient les
uns les autres: l'animosité des discussions politiques n'amena pas
seulement de fréquents changements de ministère; le Président Grévy,
qui pourtant en 1885 avait été réélu et paraissait, quoique âgé, en
état de fournir une nouvelle période de sept ans, se vit forcé de
donner sa démission (2 décembre 1887).

=La présidence de Carnot (1887-1894).=--Grévy fut remplacé par
Sadi-Carnot, petit-fils du conventionnel Carnot et issu d'une vieille
famille républicaine.

A l'occasion du centenaire de la Révolution de 1789, une admirable
Exposition universelle attira, en 1889, à Paris, des étrangers de
toutes les parties du monde. Une tour en fer, de 300 mètres, le plus
haut monument du globe, dressée par l'ingénieur Eiffel, dominait un
ensemble magnifique de palais et couronnait par une merveille de la
science les merveilles accumulées de l'industrie du monde entier.

Tandis que la France paisible et laborieuse ne songeait qu'à
développer les éléments de sa richesse et à multiplier les travaux
qui profitent à tous, un péril grave menaçait la société. Poussant
les idées de liberté jusqu'à l'extrême, des fanatiques prétendaient
supprimer toute autorité et proclamaient comme une doctrine
l'anarchie, qui est la ruine de toute société humaine.

Des attentats répétés contre les souverains, les particuliers,
troublèrent la Russie, l'Allemagne, l'Espagne. La France n'y échappa
point. Des bombes chargées d'une substance explosible terrible, la
dynamite, furent, depuis 1892, jetées dans les maisons de Paris et
firent des victimes. Une bombe fut même lancée, le 9 décembre 1893,
au milieu de la Chambre des députés et en blessa plusieurs. Recrutés
dans tous les pays, ces anarchistes frappèrent enfin, par la main d'un
misérable Italien, à Lyon, le 24 juin 1894, le président Carnot, tué
d'un coup de poignard qui rappela le sinistre coup de Ravaillac.[16]

=La présidence de Casimir-Périer (1894).=--Dès le lendemain de la mort
du président Carnot, les Chambres françaises se préoccupèrent de lui
donner un successeur. Le 27 juin, réunies en Congrès à Versailles,
elles nommèrent M. Casimir-Périer, petit-fils de cet ancien ministre
du roi Louis-Philippe qui avait beaucoup contribué, en 1831, à
raffermir l'ordre profondément troublé. Mais M. Casimir-Périer donna
sa démission au bout de six mois.

=Présidence de M. Félix Faure.=--Le Congrès se réunit encore et son
choix se porta sur M. Félix Faure, député du Havre, ministre de
la marine. La nouvelle présidence fut heureusement inaugurée par
l'expédition de Madagascar qui assurait à la France la possession de
cette grande île (avril-septembre 1895).

En 1896, le tsar Nicolas II vint à Paris avec l'impératrice et
fut reçu (6-8 octobre) avec des démonstrations enthousiastes qui
affirmaient et cimentaient l'union franco-russe. Le Président Félix
Faure alla à son tour rendre au tsar sa visite en Russie où il arriva
par mer. Il débarqua à Cronstadt le 23 août et fut magnifiquement
accueilli au palais de Peterhof. Il visita Saint-Pétersbourg où la
population russe le salua des plus vives acclamations. Dans ce voyage
fut prononcée par les chefs d'État la déclaration précise de l'union
des «deux nations amies et alliées.»

Le 16 février 1899, le Président Félix Faure est mort subitement
et, le 18 février, M. Émile Loubet, président du Sénat, a été élu
Président de la République. Une nouvelle Exposition Universelle a eu
lieu en 1900.



                               LEXIQUE

     (_La prononciation française des mots étrangers est donnée
     dans tous les cas._)


     =Aisne= (_êne_), rivière au nord de la France.

     =Aix= (_èss_ or _èks_), ancienne capitale de la Provence.

     =Ajaccio= (_a-jak-cio_), ville de Corse.

     =Albigeois=, secte religieuse du midi de la France.

     =Allemagne=, empire de l'Europe centrale.

     =Allemand-e=, qui habite l'Allemagne.

     =Allia=, rivière d'Italie près de Rome.

     =Anne d'Autriche=, femme de Louis XIII et mère de Louis
     XIV.

     =Armagnacs= (_ar-ma-nyak_), parti opposé à celui des
     Bourguignons et dont le chef fut Bernard, comte d'Armagnac.

     =Augsbourg= (_oz-bour_), ville d'Allemagne.

     =Autriche=, État de l'Europe (_anglais_ Austria).

     =Autrichien-ne=, qui habite l'Autriche.

     =Auxerre= (_o-cèrr_), ville de France.

     =Auxerrois= (_x_ = _ks_), Saint Germain, l', église à
     Paris.

     =Bailly= (_ba-yi_), Président de l'Assemblée constituante,
     puis maire de Paris.

     =Bavarois=, qui habite la Bavière.

     =Bavière=, pays d'Europe.

     =Belgique=, pays d'Europe au nord de la France.

     =Bicoque= (_la_), village du Milanais.

     =Blücher= (_blu-kèrr_), général prussien.

     =Boufflers= (_bou-flèrr_), maréchal de France.

     =Bourgogne=, ancienne province de France (_anglais_
     Burgundy).

     =Bourguignon-ne=, qui habite, ou qui appartient à la
     Bourgogne: =Les Bourguignons=, parti opposé à celui des
     Armagnacs, et dont le chef fut Jean, duc de Bourgogne.

     =Brest= (_brèstt_), ville de France; vaste port militaire.

     =Bretagne=, ancienne province de France (_anglais_
     Brittany).

     =Breton-ne=, qui habite la Bretagne.

     =Brunswick= (_brons-vik_), général allemand.

     =Chramne= (_ch_ = _k_), fils de Clotaire Ier.

     =Christ= (_cristt_) (mais voyez aussi Jésus-Christ).

     =Chypre= ou =Cypre=, île dans la Méditerranée.

     =Cinq-Mars= (_sain mar_), Marquis de, favori de Louis XIII.

     =Coblence= (_coblance_), ville d'Allemagne au confluent du
     Rhin et de la Moselle.

     =Corse=, île dans la Méditerranée (_anglais_ Corsica); qui
     habite la Corse.

     =Dupleix= (_du-plèkss_), gouverneur des Indes françaises.

     =Desaix= (_de-cè_), général français, tué à Marengo.

     =Èbre=, fleuve d'Espagne qui se jette dans la Méditerranée.

     =Écossais=, qui habite l'Écosse (Scotland).

     =Eiffel= (_è-fel_), ingénieur français, constructeur de la
     tour célèbre à Paris.

     =Enghien= (_an-gain_), duc d', titre du fils aîné du
     prince de Condé.

     =Étrurie=, ancienne contrée du centre de l'Italie.

     =Flamand=, qui habite la Flandre (_anglais_ Fleming).

     =Flandre=, ancienne province des Pays-Bas.

     =Fleurus= (_fleu-rûss_), ville de Belgique.

     =Fréjus= (_fré-jûss_), port de France sur la Méditerranée.

     =Galles=, principauté à l'ouest de l'Angleterre:
     l'héritier de la couronne de la Grande-Bretagne porte le titre
     de Prince de Galles.

     =Gand=, ville de Belgique (_anglais_ Ghent).

     =Gantois=, qui habite Gand.

     =Garigliano= (_ga-ri-lyano_), fleuve d'Italie.

     =Gaulois-e=, qui habite la Gaule.

     =Gênes=, ville d'Italie (_anglais_ Genoa).

     =Génois-e=, qui habite Gênes.

     =Guillaume= (_ghi-iome_), nom de baptême.

     =Guizot= (_gu-i-zo_), historien et homme d'État.

     =Hongrie=, contrée de l'Europe centrale (_anglais_
     Hungary).

     =Hongrois-e=, qui habite la Hongrie.

     =Impériaux=, troupes de l'empereur d'Allemagne.

     =Jérusalem= (_jé-ru-za-lème_), ville de Palestine.

     =Jésus-Christ= (_jé-zu-kri_) (mais voyez aussi Christ).

     =Kléber= (_klé-bèrr_), général français, assassiné en
     Égypte.

     =Leczinski= (_lek-zain-ski_), roi de Pologne, fut détroné
     et reçut en compensation le duché de Lorraine. Sa fille Marie
     Leczinska épousa Louis XV.

     =Leipzig= ou =Leipsick= (_lip-cik_), ville d'Allemagne.

     =Lens= (_lanss_), ville au Nord de la France.

     =Lombard-e=, qui habite la Lombardie.

     =Lombardie=, province d'Italie.

     =Longwy= (_lon-goui_), ville de la France orientale.

     =Lorraine=, ancienne province de la France; habitante de
     la Lorraine.

     =Manche= (=la=), mer qui sépare la France de l'Angleterre
     et qui communique par le pas de Calais avec la mer du Nord.

     =Mahomet= (_ma-o-mè_), fondateur de la religion musulmane.

     =Malesherbes= (_mal-zèrb_), un des défenseurs de Louis XVI.

     =Mameluks=, soldats égyptiens.

     =Marignan= (_ma-ri-nyan_), village d'Italie.

     =Médicis= (_mé-di-ciss_), Catherine et Marie de, reines de
     France.

     =Mélas= (_mé-lass_), général autrichien.

     =Metz= (_mêss_), ville d'Allemagne; autrefois de France.

     =Michel= (toujours _mi-chel_ excepté dans Michel
     [_mi-kel_] Ange), nom de baptême.

     =Milanais=, ancien État d'Italie dont Milan était la
     capitale; aussi, qui habite le Milanais.

     =Morvan=, ancien petit pays de France.

     =Narbonne=, ville de France près de la Méditerranée.

     =Niémen= (_ni-é-mène_), fleuve de la Russie occidentale
     qui se jette dans la mer Baltique.

     =Oger= ou =Ogier=, guerrier célèbre dans les romans de la
     chevalerie.

     =Orthez= (_or-tèss_), ville de la France méridionale.

     =Ouessant=, île française près des côtes du Finisterre.

     =Pays-Bas=, nom donné de 1814 jusqu'à 1830 à la Belgique
     et à la Hollande; depuis 1830 il s'applique à la dernière
     seulement.

     =Picard=, qui habite la Picardie.

     =Picardie=, ancienne province de la France septentrionale.

     =Piémont=, contrée d'Italie; depuis 1860 réuni au royaume
     d'Italie.

     =Pologne=, ancien État de l'Europe maintenant partagé
     entre la Russie, la Prusse et l'Autriche.

     =Reims= (_raince_), ville de France.

     =Saint-Cloud= (_clou_), ville et château près de Paris. Le
     château fut brulé pendant la guerre de 1870-71.

     =Sainte-Menehould= (_me-nou_), village de la France
     orientale.

     =Saint-Just= (_justt_), membre de la Convention et du
     Comité du Salut public.

     =Saint-Siège=, la papauté, la cour de Rome.

     =Sardaigne=, île dans la Méditerranée au sud de la Corse;
     ancien royaume compris aujourd'hui dans le royaume d'Italie.

     =Thiers= (_tièrr_), historien et homme d'État célèbre.

     =Tite-Live=, historien latin.

     =Tonkin=, province de l'empire d'Annam (Asie orientale).

     =Tunis= ou =Tunisie=, État de l'Afrique sous le
     protectorat de la France.

     =Vergniaud= (_ver-nyo_), chef du parti girondin.

     =Versailles= (_ver-sa-i_), ville de France près de Paris.



                              FOOTNOTES:


[1] Principaux chefs, compagnons du roi.

[2] Du latin _Carolus Magnus_.

[3] Ces poètes étaient appelés _trouvères_ dans le Nord et
_troubadours_ dans le Midi.

[4] _Turcomans_, peuple venu de la contrée appelée aujourd'hui le
Turkestan.

[5] _Plantagenet_, appelé ainsi parce que son père portait une branche
de genêt à son chapeau.

[6] On possède encore au musée du Louvre son armure gigantesque.

[7] Petit fleuve qui sépare la France de l'Espagne.

[8] Voir page 72.

[9] Voir page 117.

[10] Forteresse construite à la Porte Saint-Antoine par Charles
V. Cette forteresse tenait la capitale sous son canon, et depuis
longtemps elle servait de prison d'État.

[11] Gironde, département au sud-ouest de la France.

[12] Le calendrier avait été changé pendant la Révolution: l'ère
républicaine votée le 24 novembre 1793 partit non de cette date,
mais du jour de la proclamation de la République, le 22 septembre
1792. L'an I fut donc de septembre 1792 à septembre 1793, l'an II de
septembre 1793 à 1794 et ainsi de suite. Les noms des mois furent
empruntés aux saisons: _Vendémiaire_, vendanges (septembre-octobre);
_brumaire_, brouillards (octobre-novembre); _frimaire_, froids
(novembre-décembre); _nivôse_, neige (décembre-janvier); _pluviôse_,
pluie (janvier-février); _ventôse_, vent (février-mars); _germinal_,
germination des plantes (mars-avril); _floréal_, floraison
(avril-mai); _prairial_, prairies (mai-juin); _messidor_, mois
de la moisson (juin-juillet); _thermidor_, mois de la chaleur
(juillet-août); _fructidor_, mois des fruits (août-septembre). L'ère
républicaine fut en usage jusqu'en 1805.

[13] Voir page 142.

[14] Vote soumis à l'approbation du peuple entier.

[15] Le maréchal Bazaine, traduit en 1873 devant un conseil de guerre,
fut condamné à la peine de mort et à la dégradation militaire. Sa
peine fut commuée en vingt ans de détention; mais Bazaine ne tarda pas
à s'échapper de l'île de Sainte-Marguerite où il était enfermé. Il
mourut à Madrid en 1888.

[16] Voir page 110.





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