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Title: Avis au peuple sur sa santé - ou traité des maladies les plus fréquentes Author: Tissot, S. A. D. (Samuel Auguste David) Language: French As this book started as an ASCII text book there are no pictures available. *** Start of this LibraryBlog Digital Book "Avis au peuple sur sa santé - ou traité des maladies les plus fréquentes" *** produced from images generously made available by the Bibliothèque interuniversitaire de Santé at https://www.biusante.parisdescartes.fr) AVIS AU PEUPLE SUR SA SANTÉ, OU TRAITÉ DES MALADIES LES PLUS FRÉQUENTES, _Par M. TISSOT, Médecin, Membre des Sociétés de Londres & de Bâle_. NOUVELLE ÉDITION, augmentée de la Description & de la Cure de plusieurs Maladies, & principalement de celles qui demandent de prompts secours. OUVRAGE composé en faveur des Habitans de la Campagne, du Peuple des Villes, & de tous ceux qui ne peuvent avoir facilement les conseils des Médecins. A PARIS, AUX DÉPENS DE P. F. DIDOT LE JEUNE, Quai des Augustins, à S. Augustin. M. DCC. LXII. _Avec Approbation, & Privilege du Roi._ Se vend à Bordeaux, chez Louis-Guillaume LABOTTIERE, Libraire, ruë St. Pierre, vis-à-vis le Puits de la Samaritaine. A MONSIEUR LE MARQUIS DE MIRABEAU, L'AMI DES HOMMES. _MONSIEUR_, _Le motif qui vous a fait publier tant de vues & de réflexions sages & utiles sur la population (l'amour pour l'humanité) a engagé M. Tissot à composer cet Ouvrage, afin de diminuer l'effet d'une des principales causes de la dépopulation, qui est le mauvais traitement des maladies du Peuple. Le desir que j'ai que mes Compatriotes participent à la grande utilité de ce Livre, connu par plusieurs éditions & traductions en différens Pays, m'a porté à en conseiller la réimpression, & à y faire les changemens & additions nécessaires, pour qu'il soit d'un usage plus général. Je vous en fais hommage, MONSIEUR, & je vous prie de recevoir ce témoignage du profond respect que j'ai pour l'Ami des Hommes._ _J'ai l'honneur d'être_, _MONSIEUR_, Votre très humble serviteur, ***. A MONSIEUR TISSOT. _MONSIEUR_, _Dès le moment de ma naissance, chacun de mes jours a été marqué par les bienfaits du meilleur des Peres, & m'a donné lieu de benir la Providence, qui m'a fait votre fils, & celui de la plus tendre des Meres._ _Je ne dois point mettre de bornes à ma reconnoissance, pour qu'elle soit proportionnée aux obligations que je vous ai. Celle à laquelle je suis le plus sensible est le soin confiant que vous avez pris de m'inculquer des principes vertueux de conduite, dans un tems où ils commençoient déja à ne plus entrer dans le plan de l'éducation._ _S'il en est un dont je sois pénétré autant que je dois l'être, c'est celui de cette bénéficence générale, dont vous m'avez donné l'exemple, plus encore que le précepte qui vous intéresse si vivement au bonheur de tous les hommes, & qui vous a, à juste titre, concilié le respect & l'estime de tous ceux qui vous connoissent._ _Je ne vous appartiendrois pas, si je n'aimois pas mes semblables, de quelque ordre qu'ils soient, & si l'envie de leur être utile n'étoit pas ma principale affaire. C'est ce sentiment qui a dicté cet ouvrage, & qui vous le fera recevoir avec plaisir. Vous partagerez ma joie, si vous apprenez qu'il soit utile; & vous me rappellerez, si je pouvois l'oublier, cette vérité qu'il seroit si dangereux de perdre de vue, que s'il en résulte du bien, je n'en suis que l'instrument._ _J'ai l'honneur d'être avec le plus respectueux & le plus tendre attachement,_ _MONSIEUR_, Votre très humble & très obéissant Fils, TISSOT. A Lausanne, le 1 Août 1761. _AVIS._ Cet Ouvrage étoit presque entierement composé au mois d'Avril 1760; mais en le retouchant, avant que de l'envoyer à l'Imprimeur, j'ai fait plusieurs changemens, dont je n'ai point pu parler dans l'Introduction, parcequ'elle étoit imprimée avant que ces changemens se fissent. Ils portent sur deux objets principaux; les observations, & quelques explications des causes des maladies. Je n'avois mis d'abord aucune observation particuliere, & je n'avois donné aucune théorie: l'ouvrage étoit plus court; mais il étoit extrêmement sec. J'ai senti que quelques observations, non point détaillées, ce qui auroit trop allongé, mais simplement indiquées, seroient utiles; ce sont des exemples parlans, qui servent à inculquer les préceptes. Par rapport aux explications de théorie, il m'a paru que l'on suivroit plus volontiers une pratique, quand on connoîtroit les raisons sur lesquelles elle est fondée. Cette espérance m'a déterminé à donner ces raisons, toutes les fois que j'ai pû le faire, sans sortir du plan de simplicité, que la nature de cet ouvrage m'imposoit: & je suis persuadé qu'il n'y a pas une phrase qui soit hors de la portée des principaux Lecteurs auxquels cet ouvrage est destiné. Mais l'augmentation qui vient de ces deux articles, est peu considérable; & ce qui a allongé l'ouvrage, un tiers peut-être au-delà de sa premiere étendue, c'est l'addition de cinq ou six chapitres, qui n'entroient point dans ma premiere distribution, & qui me paroissent aujourd'hui aussi nécessaires que les autres. Je crains cependant que l'ensemble ne paroisse trop long, & je voudrois avoir eu les conseils de ceux qui le trouveront tel, pour déterminer les retranchemens que je devois faire. Il y a un article important; c'est le style, sur lequel je dois me justifier devant ceux de mes Lecteurs qui peuvent en juger, & qui le trouveront mauvais. Ce défaut vient de plusieurs causes; la premiere, & peut être la principale, est inhérente à l'Auteur. Les autres sont, 1. les interruptions fréquentes de la composition, occasionnées par les occupations plus pressantes de la pratique. 2. Les additions dont je viens de parler. 3. Le peu de tems que j'ai pû donner à la révision de la copie, avant que de l'envoyer à l'Imprimeur. 4. J'ai volontairement employé plusieurs répétitions de phrases & de mots, & même plusieurs phrases très communes parmi la plus grande partie des Habitans de ce pays, mais qui ne sont point autorisées par les regles, toutes les fois, que j'ai cru ces négligences nécessaires pour me faire entendre aux Lecteurs d'un certain ordre. Dans un ouvrage comme celui-ci, la clarté est le premier mérite du style. L'on trouvera, sans doute, que dans quelques endroits il y a des directions dont le Peuple a peu besoin, & quelques conseils dont l'exécution seroit difficile pour lui. Je n'en disconviens point; mais je crois avoir averti, que je n'ai pas exclu du plan de cet ouvrage, les personnes riches, qui vivent toute l'année dans des campagnes éloignées du séjour des Médecins. Les endroits marqués par des guillemets «», ou des crochets [], sont pris, mot à mot, dans quelque Auteur estimé. Le Chapitre XXIX, n'est presque que l'extrait d'un long ouvrage sur cette matiere. Je déclare très expressément que les prix indiqués sont, il est vrai, ceux auxquels les Apoticaires peuvent donner les remedes au paysan pauvre, sans y perdre, mais que ce n'est point ceux auxquels tout le monde est en droit de les exiger d'eux. Il n'y a point de taxe dans ce Pays. J'avertis, en finissant, que je n'ai donné aucun conseil, & aucun remede, dont je n'aie vérifié l'efficacité moi-même; & j'ose espérer qu'ils réussiront, toutes les fois qu'on les emploiera dans les circonstances & avec les précautions que j'indique, si la maladie n'est pas incurable; mais j'ajoute en même-tems, que les remedes les plus simples, donnés dans des circonstances différentes, ou sans précautions, peuvent occasionner des maux affreux. Je serois vivement affligé, si ce malheur arrivoit. Je me trouverai heureux, si cet Ouvrage peut faire, au moins, une partie du bien que je desire. AVERTISSEMENT _Sur la présente Edition_. Il n'est pas de Médecin sensible au plaisir de faire du bien aux hommes, qui ne voulût être Auteur d'un Ouvrage comme celui-ci, qui tend au soulagement & à la conservation du Peuple. Dès qu'il a paru, on a été frappé de son utilité, & de la nécessité de le multiplier; c'est ce qui en a fait publier en moins d'un an plusieurs éditions & traductions en diverses Langues: ainsi M. Tissot devient le bienfaiteur du Peuple des campagnes, cette partie la plus nombreuse & la plus utile de l'humanité. J'ai souhaité que ma Patrie profitât du travail de cet habile Praticien; mais il falloit pour cela faire à son Ouvrage quelques changemens que la différence des Pays rendoit nécessaires. Ces changemens se réduisent aux mesures, au prix des drogues & à quelques termes particuliers au Pays de l'Auteur. Du reste, l'ouvrage de M. Tissot est tel qu'il l'a donné. Pour ne rien laisser à desirer dans ce Livre, j'ai cru devoir y faire quelques additions, en me conformant au Plan de l'Auteur. Elles sont de deux especes: 1º. Il m'a paru qu'il y avoit quelques maladies fréquentes à la campagne parmi le Peuple, & dont M. Tissot n'a point parlé; c'est sans doute parcequ'elles ne le sont point autant dans son Pays; mais il devenoit indispensable de les ajouter à une Edition faite pour ce Pays-ci. Ces maladies sont les hydropisies générales & du bas ventre, les aphtes, la coqueluche, la suette, l'ergot, les engelures, le carreau, les écrouelles, &c. 2º. On trouvera encore dans cette nouvelle édition des additions d'un second genre, qui, sans sortir du plan de l'Auteur, augmentent l'utilité de cet Ouvrage, & qui sont nécessaires à ceux qui se serviront de ce Livre. Dans le grand nombre de maladies dont M. Tissot n'a point parlé, soit parcequ'elles ne sont pas fréquentes à la campagne, soit parcequ'elles exigent absolument les soins d'un Médecin; il y en a quelques-unes, qui, lorsqu'elles se présentent, demandent des secours très prompts, qu'il seroit dangereux de différer jusqu'à l'arrivée du Médecin, lorsqu'il lui faut plusieurs heures pour venir. Du nombre de ces maladies sont les accès d'asthme, les attaques d'épilepsie, le catharre suffocant, les hémorrhagies, l'étouffement ou suffocation, les accidens produits par la goutte remontée, les éruptions rentrées, la suppression, les hémorrhagies, les poisons, &c. TABLE DES CHAPITRES ET DES PRINCIPAUX ARTICLES. INTRODUCTION, pag. xxiv _Première cause de dépopulation._ Les émigrations, ibid. _Seconde cause._ Le Luxe & la Débauche, xxvij _Troisieme cause._ L'Agriculture négligée, xxx _Quatrieme cause._ Mauvais traitement des maladies, xxxij Moyens de rendre ce Livre utile, xxxv Définition de quelques termes, xlij CHAPITRE I. Causes des maladies les plus fréquentes parmi le Peuple, pag. 1 _Premiere cause._ Excès du travail, ibid. _Seconde cause._ Air froid quand on a chaud, 2 _Troisieme cause._ Boisson froide, quand on a chaud, 4 _Quatrieme cause._ Inconstance des tems, 5 _Cinquieme cause._ L'emplacement des fumiers & des Mares, 7 _Sixieme cause._ L'ivrognerie, 9 _Septieme cause._ Les alimens, 10 _Huitieme cause._ La boisson, 12 _Neuvieme cause._ L'emplacement des maisons, 13 CHAPITRE II. Causes qui augmentent les maladies du Peuple. Attentions générales, 16 _Premiere cause._ Les soins qu'on prend pour faire suer, & les moyens qu'on emploie pour cela, 17 Danger des chambres chaudes, 18 Danger des choses échauffantes, ibid. _Seconde cause._ La quantité & la qualité des alimens qu'on donne, 23 _Troisieme cause._ Les émétiques & les purgatifs au commencement de la maladie, 27 CHAPITRE III. Ce qu'il faut faire dans les commencemens des maladies. Diette des maladies aigües, 32 Signes qui annoncent les maladies. Moyens de les prévenir, 33 Régime des malades, 36 Utilité des fruits, 39 Soins dans la convalescence, 43 CHAPITRE IV. Inflammation de poitrine, Symptômes de la maladie, 51 Usage de la saignée, 52 Signes d'amandement, 55 Crises, symptômes qui les précedent, ibid. Danger des émétiques, des purgatifs, des anodins, 58 Suppression des crachats, moyens d'y remédier, 59 Formation des abcès dans le poumon, ou vomiques, 60 Danger des remedes balsamiques, 73 Inutilité de l'antihectique, 75 L'Empyeme, 76 Gangrene du poumon, 77 Squirrhe, 77 CHAPITRE V. De la pleurésie, 79 Danger des remedes chauds, 83 Pleurésies habituelles, 86 Le sang de bouquetin, la suie, le Genipi, 88 CHAPITRE VI. Des maux de gorge, 90 Traitement qu'on doit employer, 94 Formation de l'abcès, 98 Les ourles ou oreillons, 102 Epidémie des maux de gorge putrides, qui a regné à Lausanne, 103 CHAPITRE VII. Des rhumes, 110 Différens préjugés sur les rhumes, ibid. Danger des boissons échauffantes, 117 Moyens de guérir les personnes catharreuses ou fluxionnaires, 118 CHAPITRE VIII. Des maux de dents, 121 CHAPITRE IX. De l'Apoplexie, 129 Apoplexie sanguine, coup de sang, 130 Apoplexie séreuse, 133 Moyens de prévenir les rechutes, 134 CHAPITRE X. Coups de Soleil, 137 CHAPITRE XI. Du Rhumatisme, 146 Rhumatisme aigu, ou avec fievre, ibid. Rhumatisme chronique, sans fievre, 155 Danger des remedes spiritueux & gras, 160 CHAPITRE XII. De la rage, 163 CHAPITRE XIII. De la petite vérole, 174 Symptômes de cette maladie, 175 Danger des remedes sudorifiques, 184 Traitement de la petite vérole benigne, 188 Usage de la saignée, 188 Fievre de suppuration, 189 Nécessité d'ouvrir les boutons, 191 Danger des remedes qui font dormir, 193 CHAPITRE XIV. De la rougeole, 195 Moyens de remédier aux suites qu'elle laisse, 201 CHAPITRE XV. De la fievre ardente ou chaude, 203 CHAPITRE XVI. Des fievres putrides, 207 CHAPITRE XVII. Des fievres malignes, 216 Danger de l'application des animaux vivans, 228 CHAPITRE XVIII. Des fievres d'accès, 228 Fievres de Printems, & Fievres d'Automne, 230 Moyens de guérir par le Quinquina, 233 Façon de conduire pendant l'accès, 238 Remedes fébrifuges différens du Quinquina, 240 Traitement des Fievres invétérées, 241 Fievres pernicieuses, 242 Maux périodiques, qui sont des Fievres déguisées, ibid. Préservatif dans les airs mal-sains, 244 CHAPITRE XIX. Des Erésipelles, 245 Erésipelles habituelles, 252 Piquûres d'Animaux, 253 CHAPITRE XX. Des inflammations de poitrine, & des pleurésies fausses & bilieuses, 255 Fausse inflammation de poitrine, 256 Fausse pleuresie, 260 CHAPITRE XXI. Des coliques, 263 Colique inflammatoire, 264 Colique bilieuse, 269 Colique d'indigestion, 273 Colique venteuse, 274 Coliques après le froid, 276 CHAPITRE XXII. Du _Miserere_ & du _cholera morbus_, 278 _Miserere_, ou passion iliaque, ibid. _Cholera morbus_, ou trousse-galant, 283 CHAPITRE XXIII. De la Diarhée, 288 CHAPITRE XXIV. De la Dyssenterie, ou Flux de sang, 291 Symptômes de la maladie, 293 Remedes, 294 Usage des fruits, 297 Danger de plusieurs remedes, 300 CHAPITRE XXV. De la Galle, 303 CHAPITRE XXVI. Avis pour les Femmes, 308 Les regles, ibid. Les pâles-couleurs, ibid. Suppression des regles, 312 Cessation des regles, ibid. Grossesse, 317 Accidens dans la grossesse, 318 Couches, 319 Suite de Couches, 322 Pertes, 323 Inflammation de matrice, ibid. Suppression des lochies, 324 Fievre de lait, ibid. Lait répandu, ibid. Maladies du sein. Poil. Cancer, 326 CHAPITRE XXVII. Avis pour les Enfans, 326 _Premiere cause de leurs maux._ Le Meconium, 328 _Seconde cause._ Le lait aigri, 329 Danger de l'huile, 329 Dérangemens de la transpiration. Moyens de l'entretenir. Lavage à l'eau froide, 332 _Troisieme cause._ La sortie des dents, 335 _Quatrieme cause._ Les vers, 336 Convulsions, 341 Soins nécessaires pour les rendre robustes, 342 CHAPITRE XXVIII. Secours pour les noyés, 346 CHAPITRE XXIX. Des corps arrêtés entre la bouche & l'estomac, 355 CHAPITRE XXX. Maladies chirurgicales, 378 Des Brûlures, 379 Des Plaies, 380 Des meurtrissures, 386 Des chûtes, 393 Des entorses ou foulures, 395 Des Ulceres, 397 Des Membres gelés, 401 Des Hernies, 406 Des Furoncles ou Clous, 410 Des Panaris, 412 Des verrues, 417 Des cors, 419 ADDITIONS, 420 Anasarque, Bouffissure, ou Hydropisie générale, 420 Aphtes, 428 Ascite, ou Hydropisie du bas ventre, 434 Accès d'Asthme, 437 Carreau, 443 Catharre suffocant, 446 Colique néphretique & inflammation des reins, 448 Coqueluche, 450 Dartres & maladies de la peau, 453 Ecrouelles, ou humeurs froides, 455 Enflure des jambes, des mains, 461 Engelure, 464 Epilepsie, ou Mal-caduc, 466 Epreintes ou Tenesme, 471 Eruptions rentrées. Ecoulemens supprimés, 472 Etouffement. Suffocation, 475 Goutte remontée, 476 Hémorrhagies en général, 478 Crachement de sang, 481 Hemorrhoïdes fluentes & non fluentes, 482 Pissement de sang, 484 Saignement de nez, ibid. Vomissement de sang, 485 Hémorrhagies supprimées, 486 Jaunisse, 487 Inflammation en général, 489 Incontinence d'urine. Diabete, 492 Maladies épidémiques, 493 Suette, 493 Ergot, 495 Ophtalmie. Inflammation des yeux, 498 Poisons. Coliques, 499 Vomissement, 503 DES REMEDES de Précaution, 504 De la Saignée, 505 Des Purgations, 513 Remarques sur quelques autres remedes, 520 Des Charlatans & des Maîges, 523 QUESTIONS auxquelles il est absolument nécessaire de savoir répondre, quand on va consulter un Médecin, 543 Questions communes, 544 Questions relatives aux Femmes, 545 Questions relatives aux Enfans, 546 TABLE des Remedes, avec des Notes pour se servir du Remede auquel elles se rapportent, 548 PRIX des Drogues recommandées dans cet Ouvrage, 569 Fin de la Table des Chapitres. FAUTES D'IMPRESSION _Qu'il est nécessaire de corriger avant de se servir de l'Ouvrage._ Page 122, ligne 25: mettez un _point_ après _quelquefois_, & effacez celui qui est avant. Page 128, ligne 20: _j'en ai_: mettez _j'ai_. Page 163, ligne 20: _quoiqu'il n'ait_, mettez _quand il n'a_. Page 178, ligne 18: _& qui_, effacez _&_. Page 213, ligne 27: _Nº. 8_, mettez _Nº. 10_. Page 277, ligne 2: _troisieme_, ajoutez _jour_. Page 439, ligne 19: _fluide,_ effacez la _virgule_, & mettez-la après _agité_. Page 441, ligne 9: _Nº. 9_, mettez _Nº. 11_. Page 455, ligne 8: _d'iris_, mettez _de ris_. Page 464, ligne 25: _sur la peau_, mettez _la surpeau_. Page 479, ligne 21: _Nº. 5_, effacez _5_. Page 500, ligne 5: _Nº. 20_, mettez _Nº. 22_. INTRODUCTION. La diminution du nombre des habitans dans la plûpart des Etats de l'Europe, est une vérité de fait, qui frappe tout le monde, dont on se plaint par-tout, & que les dénombremens démontrent. Cette dépopulation se remarque principalement dans les campagnes. Elle a plusieurs causes; je me croirois heureux, si je pouvois contribuer à remédier à une des principales, qui est la mauvaise méthode employée dans les campagnes pour traiter les malades; c'est-là mon unique objet: mais l'on me permettra d'indiquer les autres causes concourantes. On peut les réduire à deux classes générales. Il sort plus de monde des campagnes qu'autrefois, & l'on peuple moins par-tout. Il y a plusieurs especes d'émigration: l'on sort pour se mettre dans les troupes de terre & de mer, ou pour prendre différens états hors de son pays; on se fait domestique, commerçant, &c. Le service, tant de terre que de mer, nuit à la population, de plusieurs façons. Premierement il ne rentre pas autant d'hommes qu'il en sort; les combats, les dangers & les fatigues de la guerre, les affaires particulieres, les mauvaises nourritures, les excès dans le boire & le manger, la débauche & les maladies qui en sont les suites, le mal du pays; les maladies épidémiques pestilentielles ou contagieuses, causées par l'air pernicieux de Flandres, de Hollande, d'Italie, de Hongrie, les longues croisieres, les voyages aux Indes Orientales & Occidentales, en Guinée, &c. en emportent un grand nombre. La désertion d'ailleurs, dont ils craignent les suites en rentrant chez eux, en oblige plusieurs à s'expatrier pour toujours. D'autres, au sortir du service, embrassent des établissemens, dont le service leur a fourni l'occasion, & qui les éloignent de tout retour. En second lieu, en supposant même qu'ils revinssent tous, le pays souffriroit également de leur absence, parcequ'ils sont absens dans le tems de la plus grande aptitude à la population; parceque, quand ils reviennent, ils ont perdu cette aptitude par l'âge, les infirmités, les débauches; parceque souvent, s'ils se marient, leurs enfans, victimes des déréglemens paternels, sont foibles, languissans, maladifs, meurent jeunes, ou vivent incapables d'être utiles à la société; enfin, parceque le goût du libertinage qu'ils ont contracté en empêche plusieurs de se marier. Mais quoique ces inconveniens soient réels & très connus, cependant, comme le nombre de ceux qui peuvent sortir de cette façon est borné, qu'il est même peu considérable, relativement au nombre des habitans que le pays devroit avoir, que cette expatriation a peut-être été nécessaire dans un tems, & pourroit le redevenir si les autres causes de dépeuplement finissoient, c'est, sans doute, la moins fâcheuse, & la derniere qui demandera quelque considération. L'expatriation, qui a pour objet le changement d'état, est encore plus considérable ou plus nombreuse; elle a ses inconvéniens particuliers qui sont en grand nombre, & malheureusement c'est une épidémie, dont les ravages vont en croissant; par une raison simple: c'est que le succès d'un seul en détermine cent à aller courir les mêmes hazards, & que peut-être quatre-vingt-dix-huit échoueront. L'on est frappé du bien, l'on ignore le mal. Je suppose qu'il soit parti, il y a dix ans, cent personnes pour aller ce qu'on appelle _chercher fortune_; au bout de six mois ils étoient tous oubliés, excepté de leurs parents: qu'il en soit revenu un cette année avec quelques biens au-dessus de son patrimoine, ou qu'il y en ait un qui ait une place où il y ait peu à travailler, tout le pays en est instruit, & s'en occupe; une foule de jeunes gens sont séduits & partent, parceque personne ne pense que des quatre-vingt-dix-neuf, qui étoient partis avec lui, la moitié a péri; une partie est misérable, & le reste est de retour, sans avoir gagné autre chose que l'incapacité de s'occuper utilement dans son pays & dans sa premiere vocation: & ayant privé le pays d'un grand nombre de cultivateurs, qui, en faisant valoir les terres, y auroient attiré beaucoup d'argent & l'aisance. Le petit nombre qui réussit est publié; la foule qui échoue reste dans un profond oubli. Le mal est très grand & très réel. Quel pourroit en être le remede? Il suffiroit peut-être de faire connoître le danger, & le moyen est aisé: il n'y auroit qu'à tenir annuellement un registre exact de ceux qui sortent, & au bout de six, huit, dix ans, en publier la liste avec le succès de leur voyage. Je suis trompé, ou, au bout d'un certain nombre d'années, l'on ne verroit pas autant de gens quitter leur lieu natal, dans lequel ils peuvent vivre heureux en travaillant, pour aller dans les pays étrangers chercher des établissemens, dont les listes que je propose leur démontreroient l'incertitude, & combien l'état qu'ils auroient eu dans leur patrie est préférable à celui qu'ils ont eu. L'on ne partiroit qu'avec des avantages presque sûrs; il sortiroit beaucoup moins de gens; trouvant moins de concurrens, ils réussiroient mieux; trouvant moins de leurs compatriotes hors de chez eux, ils y reviendroient plus souvent; par-là même il resteroit plus d'habitans au pays, il en rentreroit davantage, & ils y rapporteroient plus d'argent. Le pays seroit plus peuplé, plus riche & plus heureux, parceque le bonheur d'un peuple, qui vit sur un sol fertile, dépend beaucoup de la population, & un peu des richesses pécuniaires. Non-seulement l'on sort beaucoup du pays, & par-là même il y a moins de gens pour le peupler; mais ceux qui y restent, peuplent, à nombre égal, moins qu'autrefois; ou, ce qui revient au même, parmi le même nombre de personnes, il y a moins de mariages; & le même nombre de mariages fournit moins de baptêmes. Je n'entre point dans le détail des preuves; il ne faut que regarder autour de soi pour en être convaincu. Quelles en sont les causes? Il y en a deux principales; le luxe & la débauche, qui nuisent à la population par plusieurs endroits. Le luxe oblige le riche qui veut figurer, & l'homme à revenus médiocres, mais son égal au moins à tout autre égard, & qui veut l'imiter, à craindre une nombreuse famille, dont l'éducation consumeroit des revenus consacrés aux dépenses d'apparat; & d'ailleurs s'il falloit partager son bien entre plusieurs enfans, ils en auroient tous très peu, & seroient hors d'état de soutenir le train des peres. Quand le mérite est apprécié par la dépense extérieure, l'on doit nécessairement tâcher de se mettre, & de laisser ses enfans, dans une situation propre à soutenir cette dépense. De-là peu de mariages quand on n'est pas riche; peu d'enfans quand on est marié. Le luxe nuit d'une autre façon. La vie déréglée qu'il a introduite, affoiblit la santé, ruine le tempérament, & la propagation s'en ressent nécessairement. La génération qui passe, compte des familles de plus de vingt enfans; celle qui vit, ne compte pas vingt germains: malheureusement ce raisonnement contraire à la population, se fait jusques dans les villages; & on n'y est plus convaincu, que le nombre des enfans fait la richesse du cultivateur, celle qui vient ne connoîtra plus les freres. Un troisieme inconvénient du luxe; c'est que le riche se retire des campagnes pour vivre en ville, & qu'il augmente son domestique, en le tirant de la campagne; cette augmentation de domestiques est préjudiciable aux campagnes qu'elle prive de cultivateurs, & à la population: ces domestiques n'étant pas à l'ordinaire, occupés suffisamment, ils prennent le goût de la vie oisive; ils deviennent incapables de reprendre le labeur de la campagne, pour lequel ils étoient nés; étant privés de cette ressource, ils ne se marient pas, soit parcequ'ils craignent d'avoir des enfans, soit par libertinage, & parceque beaucoup de maîtres ne veulent pas de gens mariés; ou ils se marient tard, ainsi il nait moins de citoyens. L'oisiveté les affoiblit par elle-même, & les conduit à la débauche, qui les affoiblit encore davantage; ils n'auront jamais que peu d'enfans mal sains, qui ne seront point en état de fournir des bras aux terres; ou qui, élevés dans les villes, ne voudront pas aller à la campagne. Ceux qui se conduisent le plus sagement, qui conservent des moeurs, qui font quelques épargnes, accoutumés à la vie de la ville, & craignant la peine de celle des champs, dont ils ignorent d'ailleurs la conduite, veulent devenir petits marchands ou artisans, & c'est une perte pour le peuplement, parcequ'un nombre de laboureurs crée plus d'enfans qu'un nombre égal de citadins, & que, sur un nombre donné, il meurt plus d'enfans à la ville qu'à la campagne. Les mêmes maux ont lieu pour les domestiques du sexe. Après dix ou douze ans de service, les servantes de la ville ne peuvent pas redevenir de bonnes campagnardes; & celles qui embrassent cet état, succombent bientôt à ce travail, pour lequel elles ne sont plus faites. Si l'on revoit une femme mariée à la campagne, un an après qu'elle a quitté la ville, il est aisé de remarquer combien ce genre de vie l'a vieillie; souvent la premiere couche, dans laquelle elles n'ont pas tous les soins que leur délicatesse exigeroit, est l'écueil de leur santé; elles restent dans un état de langueur, de foiblesse, de dépérissement; elles n'ont plus d'enfans; elles deviennent, & elles rendent leurs maris des membres inutiles à l'augmentation du peuple. Les avortemens, les enfans dépaysés après une grossesse cachée, l'impossibilité de trouver des épouseurs, sont souvent les effets de leur libertinage. Il est à craindre que ces maux n'aillent en croissant depuis que, manque de sujets, ou par des vues d'oeconomie, on commence à prendre pour domestiques des enfans, dont les moeurs & le tempérament ne sont point formés, & se ruinent d'un pas égal par le séjour de la ville, la fainéantise, le mauvais exemple & les mauvaises compagnies. Il resteroit, sans doute, bien des choses à dire sur ces importans objets; mais outre que je ne veux point trop allonger cet ouvrage, & que beaucoup d'autres occupations ne me laissent point de tems pour tout ce qui n'est pas Médecine, je craindrois de sortir de mon sujet: tout ce que j'ai dit jusqu'à présent en fait partie, puisqu'en donnant au peuple des avis sur sa santé, il falloit lui indiquer les causes qui la corrompent; mais ce que je pourrois dire de plus, paroîtroit peut-être étranger. Je n'ajoute qu'un mot. Ne pourroit-on pas, pour remédier à des maux qu'il est impossible de prévenir, choisir quelque canton du pays, dans lequel on chercheroit, par des récompenses, 1º. à arrêter tous ses habitans; 2º. à les encourager par d'autres récompenses, à une population plus abondante. Ils n'en sortiroient point; ainsi ils n'iroient pas s'exposer à tous les maux dont j'ai parlé; on ne s'y marieroit point à des étrangers qui pourroient y apporter le désordre; ainsi vraisemblablement ce quartier, au bout d'un certain tems, seroit trop peuplé, & pourroit fournir des colonies pour les autres. Une cause plus puissante que celles que l'on a rapportées, a produit jusqu'à ce moment en France, la dépopulation; c'est la décadence de l'agriculture, les habitans de la campagne fuyant la milice: les corvées, les impôts, & attirés à la ville par l'intérêt, la paresse & le libertinage, ont laissé les campagnes presque désertes. Ceux qui y sont restés, n'étant point encouragés au travail, ou ne suffisant pas pour ce qu'il y a à faire, se sont contentés de cultiver ce qu'il leur falloit absolument pour subsister; ils ont gardé le célibat, ou se sont mariés tard; ou, à l'exemple des habitans des villes, ils ont refusé à l'Etat, à leur femme, à la nature, ce qu'ils leur devoient. La terre privée de cultivateurs par cette expatriation & cette inaction, n'a point rapporté, & la dépopulation des campagnes a augmenté tous les jours, parceque la mesure de la subsistance est celle de la population, & que l'agriculture peut seule multiplier les subsistances. Une seule comparaison fera sentir l'importance & la vérité de ces principes, à ceux qui n'en ont pas vu le développement & la démonstration dans les ouvrages de l'ami des hommes. «Un ancien Romain, toujours prêt à retourner labourer son champ, vivoit lui & sa famille d'un arpent de terre: un sauvage qui ne seme ni ne laboure, consume seul le gibier que cinquante arpens de terre peuvent nourrir; conséquemment Tullus Hostilius avec mille arpens de terre, pouvoit avoir cinq mille sujets; tandis qu'un chef de Sauvage, borné au même territoire, auroit à peine vingt hommes: telle est la disproportion immense que l'agriculture peut établir dans la population; c'en sont ici les deux extrémités. Un Etat se dépeuple en proportion de ce qu'il s'éloigne de l'une & se rapproche de l'autre.» On voit évidemment, que s'il y a quelque part augmentation de subsistances, il y aura bientôt augmentation de population, qui, à son tour, facilitera encore l'augmentation de la subsistance. Dans un tel pays, il y aura abondance d'hommes, qui, après avoir fourni le nombre nécessaire au service des armes, au commerce, à la Religion, aux arts, & aux professions de toute espece, &c. donnera encore des colonies qui iront porter au loin le nom & le bonheur de leur Nation: il y aura abondance de choses, dont le supperflu sera transporté chez l'étranger, pour en avoir d'autres que le pays ne fournit point; & l'excédent de l'échange, donné en argent, rendra la Nation riche, & par-là redoutable à ses voisins & heureuse. L'agriculture en vigueur peut produire tant d'avantages, & ce siecle aura la gloire de l'avoir renouvellée en favorisant les Agriculteurs, en les encourageant, & en établissant les sociétés d'agriculture. Je passe enfin à la quatrieme cause de dépopulation; c'est la façon dont le peuple est conduit dans les campagnes quand il est malade. J'en ai été pénétré de douleur plusieurs fois. J'ai été témoin, que des maladies qui auroient été très legeres, devenoient mortelles par le traitement: & je suis convaincu, que cette cause fait seule autant de ravages que les précédentes; elle mérite bien, sans doute, toute l'attention des Médecins, dont la vocation est de travailler à la conservation de l'humanité. Pendant que nous donnons nos soins à sa partie la plus brillante dans les villes, sa moitié la plus nombreuse & la plus utile périt misérablement dans les campagnes, ou par des maux particuliers, ou par des épidémies générales, qui, depuis quelques années, paroissent dans différens villages, & y font des ravages considérables. Cette réflexion affligeante m'a déterminé à donner ce petit Ouvrage, qui est uniquement destiné pour ceux que leur éloignement des Médecins met dans le cas d'être privés de leurs secours. Je ne détaillerai point ici mon plan, qui est fort simple; je me contente de dire, que j'ai donné tous mes soins à le rendre le plus utile qu'il m'a été possible; & j'ose espérer que, si je n'ai pas montré tout le bien qu'on peut faire, au moins j'ai fait connoître les traitemens pernicieux qu'il faut éviter. Je suis intimement convaincu qu'on peut faire mieux que moi; mais ceux qui seroient en état, ne l'entreprennent pas: j'ai plus de courage, & j'espere que les gens qui pensent, me sauront quelque gré d'avoir donné un Ouvrage, dont la composition est rebutante par sa facilité même, par les détails minutieux qu'il exige, par la nécessité de ne dire que les choses les plus connues, & par l'impossibilité d'y traiter aucune matiere à fond, ou d'y développer aucune vue nouvelle & utile; c'est le travail d'un Pasteur, qui écriroit un catéchisme pour de petits enfans. Je n'ignore pas cependant, que l'on a déja quelques ouvrages destinés pour les malades de la campagne, qui sont privés de secours; mais les uns, quoique faits dans un bon but, produisent un mauvais effet: de cette espece sont tous les recueils de remedes, sans description de maladie, & par-là même sans aucune regle sûre pour l'application; tels, par exemple, que le fameux recueil de Madame FOUQUET, & quelques autres dans le même goût. Les autres se rapprochent du plan du mien; mais plusieurs ont embrassé trop de maladies, & par-là même sont devenus trop volumineux; d'autres ont été trop courts sur chaque article: d'ailleurs ils n'ont point insisté assez sur les causes des maladies, sur le régime général, les mauvais traitemens & les signes des maladies; leurs recettes ne sont point généralement aussi simples & aussi aisées à préparer qu'elles doivent l'être; enfin ils paroissent la plûpart s'être ennuyés de cet ouvrage vraiment triste, & l'avoir expédié trop promptement. Il n'y en a que deux, que je dois nommer avec respect, & qui, s'étant proposé un plan fort semblable au mien, l'ont rempli avec une supériorité qui mérite toute la reconnoissance du public. L'un est M. ROSEN, premier Médecin du Royaume de Suede, qui, depuis quelques années, s'est servi de son crédit pour faire le plus grand bien aux peuples. Il a fait retrancher dans les almanachs, ces contes ridicules, ces avantures extraordinaires, ces conseils d'astrologie pernicieux, qui, en Suede, comme ici, ne servent qu'à entretenir l'ignorance, la crédulité, la superstition, & les préjugés les plus faux sur la santé, les maladies & les remedes; & il a pris la peine de composer sur les maladies populaires des traités simples, qu'il a substitués à ces tas de sottises: mais ces petits ouvrages, qui paroissent annuellement dans chaque almanach, n'ont point encore été traduits du Suedois, & par-là même, je n'ai pu en tirer aucun parti. L'autre est M. le Baron de SWIETEN, premier Médecin de Leurs Majestés Impériales, qui a bien voulu se donner les soins de faire, il y a deux ans, pour les armées, ce que je fais aujourd'hui pour les campagnes. Quoique mon ouvrage fût en grande partie composé quand le sien m'est parvenu, j'en ai pris différens morceaux; & si nos vues eussent été précisément les mêmes, j'aurois cru rendre un plus grand service en cherchant à répandre son livre, qu'en en publiant un nouveau; mais comme il n'a rien dit sur plusieurs articles que je traite fort au long, qu'il a traité de plusieurs maladies qui n'entrent pas dans mon plan; qu'il ne dit rien de quelques autres, dont je suis obligé de traiter: nos deux ouvrages, sans parler de la supériorité du sien, sont très différens relativement au fond des maladies; mais dans les maladies que nous examinons l'un & l'autre, je me fais une gloire d'être presque toujours dans ses principes. Cet Ouvrage n'est point fait pour les vrais Médecins; mais peut être, outre mes amis, quelques-uns le liront. Je leur demande une grace, c'est de vouloir bien entrer dans l'esprit de l'Auteur, & ne point le juger comme Médecin d'après ce livre: je les avertis même ici, qu'ils feront mieux d'en quitter la lecture, qui ne doit rien leur apprendre. Ceux qui lisent pour critiquer, trouveront un plus vaste champ dans les autres brochures que j'ai publiées. Il n'est pas juste qu'un Ouvrage, qui n'a de but que l'utilité de mes compatriottes, me procure du désagrément: l'on doit être exempt de la critique, quand on a eu le courage d'entreprendre un travail qui ne peut mériter aucun éloge. Après ces généralités, je dois entrer dans quelques détails sur les moyens qui me paroissent les plus propres à faciliter les bons effets que j'espere de mes soins. Je donnerai ensuite l'explication de quelques termes dont j'ai été obligé de me servir, & qui ne sont peut-être pas généralement connus. Le titre _d'avis au peuple_, n'est point l'effet d'une illusion qui me persuade que ce livre va devenir une piece de ménage dans la maison de chaque paysan. Les dix-neuf vingtiemes ne sauront, sans doute, jamais qu'il existe; plusieurs ne sauroient pas le lire; un plus grand nombre, quelque simple qu'il soit, ne le comprendroit pas: mais je le destine aux personnes intelligentes & charitables qui vivent dans les campagnes, & qui, par une espece de vocation de la Providence, sont appellées à aider de leurs conseils tout le peuple qui les environne. L'on sent aisément que j'ai en vue premierement, Messieurs les Curés: il n'y a point de village, de hameau, de maison foraine dans tout le pays, qui n'ait droit à la bienfaisance d'un d'entr'eux; & je sais qu'il en est un grand nombre, qui, touchés du triste sort de leurs ouailles malades, & effrayés des horreurs de leur situation, ont desiré cent fois d'être à même de pouvoir leur donner des soins pour le corps, dans le tems même qu'ils les disposent à se préparer à la mort, ou à tirer parti de la maladie, pour vivre dans la suite plus saintement. Je me féliciterai si ces Ecclésiastiques respectables trouvent ici quelques secours, qui puissent leur aider à satisfaire leurs intentions bienfaisantes. Le respect, l'amour de leur troupeau, leur vocation à de fréquentes visites dans les maisons, le devoir qui leur est imposé de détruire les préjugés fâcheux & la superstition, leur charité, leurs lumieres, la facilité que leurs connoissances physiques leur donnent à saisir toutes les vérités de ce petit Ouvrage, sont autant de raisons qui me persuadent qu'ils auront toute l'influence possible sur la réforme qu'il est à souhaiter de faire dans la Médecine du peuple. J'ose en second lieu, compter sur les Seigneurs de Paroisse, dont les conseils, extrêmement respectés par leurs paroissiens, sont si propres à décréditer une mauvaise méthode, & à en accréditer une nouvelle, dont ils saisiront aisément tous les avantages. Les fréquents exemples que j'ai vu de la facilité avec laquelle ils entroient dans le plan d'un Curé, l'empressement qu'ils ont à faire soulager les malades de leurs villages, la générosité avec laquelle ils pourvoient à leurs besoins, me font espérer, en jugeant de ceux que je ne connois point, par ceux que je connois, qu'ils saisiront avec empressement un nouveau moyen de faire du bien dans leur voisinage. La vraie charité sent, que, manque de lumieres, elle peut nuire, & cette crainte la tient en suspens; mais elle saisit avidemment toutes les lueurs qui peuvent la diriger. En troisieme lieu, les personnes riches ou au moins aisées, que leur goût, leurs emplois, ou la nature de leurs fonds fixent à la campagne, où elles se réjouissent en faisant du bien, seront charmées d'avoir quelques directions dans l'emploi de leurs soins charitables. Dans tous les villages où il y a quelques membres des trois classes que je viens d'indiquer, ils sont presque toujours informés très promptement des maladies du lieu, parcequ'on s'adresse à eux pour du bouillon, de la thériaque, du vin, des biscuits, en un mot pour tout ce dont on croit que les malades ont besoin. A l'aide de quelques questions aux assistans, ou d'une visite au malade, ils jugeront au moins du genre de la maladie; & par une sage direction, ils préviendront une foule de malheurs. Ils donneront du nitre, au lieu de thériaque; de l'orge ou du petit lait, au lieu de bouillon; ils ordonneront des lavemens ou des bains de pied, au lieu de vin; & des grus à l'eau, au lieu de biscuits. L'on ne croira qu'au bout de quelques années le bien qui peut résulter de ces attentions si aisées & souvent répétées. L'on aura d'abord un peu de peine à changer une vieille habitude; mais quand elle sera détruite, la bonne s'enracinera tout aussi fortement, & j'espere que personne ne fera d'efforts pour la détruire. Il est inutile de dire que je fonde plus d'espérance sur les soins des dames, que sur ceux de leurs époux, de leurs peres, ou de leurs freres: une charité plus active; une patience plus soutenue; une vie moins ambulante; une sagacité que j'ai admirée chez plusieurs à la ville & à la campagne, & qui fait qu'elles observent avec une grande exactitude, & qu'elles démêlent les causes cachées des symptomes, avec une facilité qui feroit honneur aux meilleurs Praticiens; enfin un don marqué pour s'attirer la confiance du malade, sont autant de caracteres, qui établissent leur vocation; & il y en a un grand nombre, qui la remplissent avec un zele digne des plus grands éloges, & qui devroient servir de modeles. Les Maîtres d'école doivent encore être tous supposés avoir un degré d'intelligence suffisant, pour tirer parti de cet ouvrage; & je suis persuadé qu'ils pourroient faire un très grand bien. Je voudrois que, non seulement ils cherchassent à connoître la maladie, c'est la seule chose un peu difficile, & je crois l'avoir applanie autant qu'on le peut; mais encore qu'ils apprissent à appliquer les remedes. Un très grand nombre rasent: j'en ai vu qui saignoient, & qui donnoient des lavemens avec beaucoup d'adresse; tous apprendroient aisément à le faire, & il ne seroit peut-être pas hors de place d'introduire l'usage d'exiger, dans leurs examens, qu'ils sussent saigner. Ces talens, celui de juger du degré de la fievre, d'appliquer les vésicatoires & de les panser, seroient du plus grand usage dans les lieux où ils demeurent. Leurs écoles, souvent peu nombreuses, ne les occupent qu'un petit nombre d'heures par jour, la plûpart n'ont point de domaines à cultiver; quel meilleur usage pourroient-ils faire de leur loisir, que de l'employer au soulagement des malades? Leurs opérations pourroient être taxées à un prix assez modique, pour n'incommoder personne; & ce petit revenant bon rendroit leur situation encore plus douce: outre que cette distraction les préserveroit d'être entraînés quelquefois, par facilité & par désoeuvrement, à prendre le goût de la boisson. Il y auroit encore un avantage à les accoutumer à cette espece de pratique, c'est que, soignant les malades, & ayant l'habitude d'écrire, ils seroient à même, dans les cas graves, de consulter ceux dont on croiroit avoir besoin. Je ne doute point que parmi les laboureurs mêmes, il ne s'en trouve plusieurs tels que j'en connois, qui, remplis de sens, de jugement, & de bonne volonté, liront avec plaisir ce livre, le saisiront & en répandront avec empressement les maximes. Enfin, j'espere que plusieurs Chirurgiens, répandus dans les campagnes, & qui exercent la Médecine dans leur voisinage, voudront le lire, entreront dans les principes que j'y établis, & en adopteront les conseils, quoiqu'un peu différens peut-être de ceux qu'ils ont suivis jusqu'à présent. Ils sentiront qu'on peut apprendre à tout âge, & de tout le monde; & ils ne se feront pas de peine de réformer quelques-unes de leurs idées, dans une science, qui, proprement, n'est pas la leur, & à l'étude de laquelle ils ne se sont jamais livrés, sur celles d'un homme qui s'en est uniquement occupé, & qui a eu plusieurs secours qui leur manquent. Les sages-femmes pourront aussi rendre leurs soins plus efficaces, dès qu'elles voudront bien s'éclairer. Il seroit à souhaiter que généralement elles le fussent davantage, sur l'art même qu'elles exercent: les exemples de maux qu'on auroit évités avec plus d'habileté, sont assez fréquens pour faire desirer qu'on pût les prévenir; & cela ne seroit pas impossible: rien ne l'est, quand ceux qui ont l'autorité, veulent fortement; mais il faudroit qu'ils fussent instruits du mal, & il est très pressant. J'ai donné les recettes des remedes les plus simples, & j'ai indiqué la façon de les préparer, avec assez de détail pour espérer que personne ne sera embarrassé à cet égard; mais qu'on ne croie point que cette simplicité nuit à l'utilité, & qu'ils sont moins efficaces: je déclare que ce sont les mêmes dont je me sers dans la ville, pour les malades les plus opulens. Cette simplicité est fondée en nature: le mêlange d'un grand nombre de drogues est ridicule. Si elles ont les mêmes vertus, pourquoi les mêler? Il vaut bien mieux se borner à celle qui est la plus efficace. Si elles ont des vertus différentes, l'effet de l'une détruit l'effet de l'autre, & le remede devient inutile. Je n'ai donné aucun conseil, dont l'exécution ne fût aisée & très pratiquable. L'on trouvera cependant, que quelques-uns sont peu faits pour le gros du peuple, & je n'en disconviens pas; mais je les ai mis, parceque je n'ai point perdu de vue les personnes, qui, sans être peuple, vivent à la campagne, & qui ne peuvent pas toujours se procurer un Médecin, aussi-tot, aussi souvent, ou aussi long-tems qu'elles le voudroient. Un grand nombre des remedes se tire uniquement de la campagne, & peut s'y préparer; mais il y en a cependant qui doivent se prendre chez les Apoticaires. J'ai marqué les prix auxquels je suis persuadé que tous les Apoticaires du pays les donneront au paysan peu riche; &, en les marquant, je ne l'ai point fait pour éviter qu'on ne les lui fît payer trop cher; je n'avois point cette crainte, mais pour que, voyant la modicité du prix, il ne craignît point d'aller à l'emplette. Il aura presque toujours la dose de remede nécessaire à chaque maladie, pour moins d'argent qu'il n'en mettoit à acheter de la viande, du vin, des biscuits, & d'autres choses qui le tuoient. Si le prix des remedes, tout modique qu'il est, excédoit ses facultés, sans doute les bourses des communes & des pauvres y suppléeroient; enfin il y a dans beaucoup de pays des maisons de Seigneurs, de particuliers qui font annuellement une certaine dépense charitable en remedes; sans l'augmenter, je ne leur demanderai que d'en changer l'objet, & de vouloir bien distribuer les remedes indiqués ici, au lieu de ceux qu'ils distribuoient auparavant. L'on objectera encore, que la plûpart des campagnes sont très éloignées des villes, & que le paysan n'est pas à portée, par-là même, de se procurer d'abord ce dont il a besoin. Je réponds, qu'il y a effectivement plusieurs villages très éloignés des villes où il y a des Apoticaires; mais si l'on en excepte certains endroits des montagnes, il y en a peu qui soient à plus de trois ou quatre lieues de quelque petite ville, où il se trouve toujours quelque Chirurgien, ou quelque Marchand qui vend des drogues. Ce n'a peut-être pas été, jusques à présent, celles que j'indique; mais ils s'en fourniront dès qu'ils pourront en espérer le débit; & ce sera pour eux une nouvelle branche de commerce. J'ai eu soin d'indiquer le tems que chaque remede pouvoit se garder sans risque. Il y en a d'un usage très fréquent, dont les Maîtres d'école pourroient eux-mêmes avoir une certaine provision. Je suppose aussi, s'ils veulent bien entrer dans mes vues, qu'ils seront munis des instrumens nécessaires aux soins qu'ils rendront. S'il s'en trouve pour qui des lancettes, un instrument propre à ventouser, une seringue, (qui peut être remplacée par des vessies,) fussent une emplette trop considérable, les communes pourroient la faire, & les instrumens passeroient au successeur. Il ne faut pas espérer que tous puissent ou veuillent apprendre à en faire usage; mais un seul peut suffire aux besoins de quelques villages voisins, sans que ses devoirs en souffrent. L'exemple journalier de gens qui viennent me consulter du-dehors, sans pouvoir répondre aux questions que je leur fais, & les plaintes de plusieurs Médecins à cet égard, m'ont engagé à donner le dernier chapitre. Je finirai celui-ci par quelques remarques, propres à faciliter l'intelligence de quelques termes qu'il a fallu employer dans l'ouvrage. Le pouls bat ordinairement chez une personne bien portante, depuis l'âge de dix-huit ou vingt ans, jusques à soixante-dix, entre soixante & soixante-dix fois par minutes: il se rallentit un peu quelquefois, chez les vieillards; & chez les enfans, il bat plus vite: jusques à trois ou quatre ans, cette différence va au moins à un tiers; elle diminue ensuite peu-à-peu. Une personne intelligente, qui aura touché souvent son pouls, & souvent celui des autres, jugera assez exactement du degré de fievre d'un malade. Si le pouls n'est que d'un tiers plus vite, elle n'est pas extrêmement forte: elle est forte quand cette augmentation est d'une moitié; très dangereuse, l'on peut presque dire mortelle, quand on est parvenu au point d'avoir deux battemens au lieu d'un. Il ne faut pas juger du pouls seulement par la vitesse, mais encore par la force ou la foiblesse, la dureté ou la molesse, la régularité ou l'irrégularité. Il n'y a pas besoin de définir le pouls fort & le pouls foible: le fort est presque toujours d'un bon augure; &, s'il l'est trop, on peut l'affoiblir: le foible est souvent fâcheux. Si le pouls, en frappant le doigt, fait sentir un coup sec, comme si l'artere étoit de bois ou de quelque métal, on l'appelle dur; l'opposé s'appelle mou; le dernier vaut généralement mieux. Si le pouls est fort & mou, encore qu'il soit vite, on doit conserver beaucoup d'espérances. S'il est fort & dur, cela indique ordinairement une inflammation, & demande la saignée & le régime rafraichissant. S'il est petit, vite & dur, le danger est très grand. L'on appelle pouls régulier, celui dont tous les battemens sont à des distances égales, dont il ne manque point de battemens, (s'il en manque il est intermittent,) & dont tous les battemens se ressemblent, de façon qu'il n'y en a pas alternativement un fort & un foible. Tant que le pouls est bon, que la respiration n'est pas embarrassée, que le cerveau ne paroît pas fortement attaqué, que le malade prend les remedes, qu'ils produisent l'effet qu'on en attend, qu'il conserve des forces, qu'il sent son état, l'on doit espérer de le guérir: quand tous, ou le plus grand nombre de ces caracteres manquent, il est dans un pressant danger. Il est souvent question de la transpiration arrêtée. L'on appelle transpiration, cette humeur qui sort continuellement par les pores de la peau, & qui, quoiqu'elle soit peu visible, est cependant très considérable; puisque, si une personne bien portante a mangé ou bu huit liv. dans un jour, il n'en sort pas quatre par les selles ou par les urines, & que le reste se dissipe par la transpiration insensible. L'on sent aisément, que si une telle évacuation vient à s'arrêter, & si cette humeur, qui devoit sortir par la peau, se jette sur quelque partie intérieure, il peut en résulter des maux fâcheux: c'est une des causes les plus fréquentes des maladies. Je n'ajoute qu'un mot; toutes ces directions sont destinées uniquement pour ceux qui ne peuvent point avoir de Médecin. Je suis bien éloigné de croire, qu'elles puissent en tenir lieu, même dans les maladies que j'ai traitées le plus au long, & au moment où il arrive, elles doivent être mises de côté. La confiance doit être nulle ou entiere; sur elle sont fondés les succès: c'est au Médecin à juger du mal, & à choisir les remedes; & l'on doit sentir le peu de convenance qu'il y a, à lui proposer d'en employer quelques autres préférablement à ceux qu'il conseille, uniquement parcequ'ils ont réussi chez un autre malade, dans un cas qu'on croit à peu près semblable: c'est proposer à un cordonnier de faire un soulier pour un pied, sur le modele d'un autre, plutôt que sur la mesure qu'il a prise. AVIS AU PEUPLE SUR SA SANTÉ. CHAPITRE PREMIER. _Causes communes des Maladies du Peuple._ §. 1. Les causes des maladies les plus fréquentes parmi les gens de la campagne sont 1º. l'excès du travail pendant long-tems. Quelquefois ils tombent tout d'un coup dans l'épuisement, & dans un état de langueur, dont ils se guérissent rarement: plus souvent ils sont attaqués de quelque maladie inflammatoire, comme esquinancie, pleurésie, inflammation de poitrine. Il y a deux moyens de prévenir ces maladies; l'un est, d'éviter la cause qui les produit, mais souvent il est impossible: l'autre, est, lorsqu'on est obligé à ces excès, de diminuer leurs effets par un grand usage de quelque boisson rafraichissante, & surtout par du petit lait, ou du lait de beure (de la battue), ou par de l'eau, dans chaque pinte de laquelle on met un verre de vinaigre, ou même de jus de raisins encore verds, de groseilles, de cerises: cette boisson salutaire & agréable rafraichit & soutient les forces. Si on n'a pas pris ces précautions, ou qu'elles n'aient point été suffisantes pour empêcher l'effet des excès, il en résulte ou des maladies inflammatoires ou l'épuisement qui ayant, dans ce cas là, pour cause un dessechement général des parties solides du corps & un épaississement du sang, se rapproche par là des maladies inflammatoires. Les symptomes ni la cure ne sont cependant pas les mêmes; j'ai vu guerir l'épuisement par l'usage du petit lait, ensuite des bains tiedes, & enfin du lait de vache. Dans ce cas, les remedes échauffans, & les nourritures trop succulentes tuent. §. 2. Une seconde cause très ordinaire de maladie, c'est de se reposer dans un endroit froid, ayant extrêmement chaud, ou de se coucher sur la terre humide & même sur celle qui paroît seche dont il s'éleve continuellement une humidité froide: l'on arrête, tout à coup, la transpiration; & cette humeur, se rejettant sur quelque partie intérieure, occasionne plusieurs maladies très violentes; surtout des esquinancies, des Rhumatismes, des inflammations de poitrine, des pleurésies & des coliques inflammatoires[1]. L'on est toujours maître de prévenir le mal en évitant la cause, qui est une de celles qui tuent le plus de gens: mais quand il est fait, dès qu'on commence à sentir les premiers symptomes de maladie, ce qui n'arrive quelquefois qu'au bout de plusieurs jours, il faut sur-le-champ se faire saigner, mettre les jambes dans de l'eau médiocrement chaude, se frotter près du feu avec des linges secs & chauds, & boire abondamment de l'infusion tiede Nº. 1. Ces secours préviennent souvent la maladie, qui devient au contraire plus facheuse, si l'on cherche à se faire suer par des choses chaudes. [1] Il arrive aussi que le sang, qui dans de grandes chaleurs & pendant de violens travaux du corps est poussé dans de petits vaisseaux, où il ne pénetre pas quand la circulation n'est pas très accélerée, s'y trouve arrêté par l'effet du froid, & donne lieu à des inflammations dans ces parties. §. 3. Une troisieme cause; c'est l'eau froide, qu'on boit quand on a fort chaud: cette cause agit comme la précédente; mais ses suites facheuses sont ordinairement plus promptes & plus violentes. J'en ai vu les plus terribles exemples; des esquinancies, des inflammations de poitrine les plus fortes, des coliques, des inflammations du foie, & de toutes les parties contenues dans le ventre, avec un gonflement prodigieux, des vomissemens, des suppressions d'urine & des angoisses inexprimables. Les meilleurs remedes sont, une ample saignée dès le commencement du mal, une abondance d'eau tiede, à laquelle on joint une cinquieme partie de lait, ou la tisane Nº. 2, ou les laits d'amandes Nº. 4, le tout bu tiede; des fomentations d'eau tiede, sur la gorge, la poitrine, le ventre; des lavemens d'eau tiede & d'un peu de lait. Dans ce cas, & dans le précédent, un demi bain tiede, après la saignée, a quelquefois soulagé très promptement. §. 4. Il est bien étonnant, que les laboureurs se livrent si souvent à cette mauvaise coutume, dont ils connoissent le danger, même pour leurs bêtes. Il n'y en a point, qui n'empêche ses chevaux de boire quand ils ont chaud, surtout s'ils doivent se reposer: il sait que, s'il les laissoit boire, peut-être ils en creveroient; mais il ne craint point de s'exposer au même danger. Ce n'est pas, au reste, le seul exemple, dans lequel il paroisse faire plus de cas de la santé de ses bêtes que de la sienne. §. 5. Une quatrieme cause, qui influe sur tout le monde, mais plus cependant sur le laboureur, c'est l'inconstance des tems. Nous passons tout-à-coup, quelquefois plusieurs fois par jour, du chaud au froid, & du froid au chaud, d'une façon plus marquée & plus prompte que dans le plus grand nombre des autres pays. C'est là ce qui rend les maladies catharales & rhumatismales si fréquentes. La grande précaution qu'on doit avoir, c'est d'être ordinairement un peu plus vêtu que la saison ne l'exige, de prendre les habits d'hiver de bonne heure en automme, & de ne pas se presser de les quitter au printems. Les ouvriers prudens, qui se déshabillent pendant le tems du travail, ont soin de remettre leurs habits le soir en se retirant[2]. Ceux qui, par négligence, se contentent de les remporter perchés sur leurs outils, s'en trouvent quelquefois très mal[3]. [2] Les variations dans la température de l'air, ou les changemens du chaud au froid & à l'humide, qui sont très fréquens & subits dans ce pays-ci, doivent faire suivre aux Ouvriers de tout genre le conseil que l'on donne ici sur les habillemens: cela est encore plus important dans les lieux où des rivieres, des bois, des montagnes entretiennent une humidité considérable, & où les soirées sont froides & humides en tout tems. [3] Il y a beaucoup d'endroits dans ce royaume où l'air est très mal sain, soit parcequ'il y a beaucoup d'eau qui étant sans mouvement, se corrompt, & infecte l'air d'exhalaisons putrides; soit parceque des montagnes ou des bois y entretiennent l'humidité, empêchent que l'air ne se renouvelle, & mettent ces lieux à l'abri des vents salutaires du Nord & de l'Est, qui pourroient dissiper les exhalaisons & l'humidité. §. 6. Ces variations promptes amenent souvent des ondées de pluie, & même de pluie froide, au milieu du jour le plus chaud; & l'ouvrier, baigné dans une sueur chaude, est tout à coup trempé dans l'eau fraiche; ce qui occasionne les mêmes maux, que le passage prompt du chaud au froid, & exige les mêmes remedes. Si le soleil, ou un air chaud, revient d'abord, il n'y a pas un grand mal; si le froid dure, souvent plusieurs en sont incommodés. Un voyageur est quelquefois mouillé en route, sans pouvoir l'empêcher; le mal n'est pas fort grand, moyennant, qu'en arrivant, il quitte ses habits: mais j'ai vû des pleurésies mortelles, pour avoir négligé cette précaution. Quand on a eu le corps ou les jambes mouillés, il n'y a rien de plus utile, que de se laver avec de l'eau tiede, ou du moins de se frotter devant le feu avec des linges secs & fort chauds. Quand il n'y a eu que les jambes mouillées un bain tiede de jambes est très utile. J'ai gueri radicalement des personnes sujettes à avoir des coliques violentes, toutes les fois qu'elles avoient eu les pieds mouillés, en leur donnant ce conseil. Le bain est encore plus efficace, si l'on fait fondre dans l'eau un peu de savon. §. 7. La cinquieme cause à laquelle on ne pense gueres, & qui produit en effet des accidens moins violens, mais qui nuit cependant très réellement, c'est l'usage ordinaire, dans presque tous les villages, d'avoir les courtines ou fumiers précisément dessous les fenêtres; il s'en exhale continuellement des vapeurs corrompues, qui, à la longue, ne peuvent que nuire & contribuer à produire des maladies putrides. Ceux qui sont accoutumés à cette odeur, ne s'en apperçoivent plus; mais la cause n'en agit pas moins: & ceux qui n'y sont pas accoutumés, jugent de toute la force de l'impression. §. 8. Il y a des villages dans lesquels, après que les courtines ou fumiers sont enlevées, on conserve des mares dans la même place. L'effet en est encore plus dangereux; parceque cette eau pourrie, qui croupit pendant toutes les chaleurs, laisse exhaler ses vapeurs avec plus de facilité, & plus abondamment que les fumiers. Etant allé à _Pully le grand_ en 1759, à l'occasion d'une fievre putride épidémique, qui y faisoit des ravages, je sentois, en traversant le village, l'infection de ces mares, & je ne pus pas douter qu'elles ne fussent la principale cause de cette maladie, & d'une semblable, qui y avoit regné cinq ans auparavant. Le village est d'ailleurs dans une exposition saine. Il seroit à souhaiter qu'on prévînt ces accidens en renonçant aux mares, ou du moins en les éloignant, ainsi que les fumiers, le plus qu'il est possible du lieu que l'on habite & où l'on couche. L'on peut joindre à cette cause, le peu de soin que le paysan a d'airer sa chambre. L'on sait qu'un air trop renfermé, occasionne les fievres malignes les plus facheuses; & le paysan ne respire jamais chez lui, qu'un air de cette espece. Il y a de très petites chambres, qui renferment jour & nuit, le pere, la mere, sept ou huit enfans & quelques animaux, qui ne s'ouvrent jamais pendant six mois de l'année, & très rarement pendant les six autres. J'ai trouvé l'air si mauvais, dans plusieurs de ces chambres, que je suis persuadé, que si ceux qui les habitent n'alloient pas souvent au grand air, ils périroient tous en peu de tems: on y voit presque partout de la moisissure qui est un indice de corruption. Il est aisé de prévenir les maux que cette cause produit, en faisant deux croisées opposées, ou une seule, mais qui se trouvât vis-à-vis la porte, & en ouvrant journellement les fenêtres. Cette précaution, si simple, auroit les plus heureux effets. §. 9. Je mets, pour sixieme cause, l'ivrognerie, qui ne produit pas les épidémies, mais qui tue, dans tous les tems, & partout. Les misérables qui s'y livrent sont sujets à de fréquentes inflammations de poitrine, & pleurésies, qui souvent les emportent à la fleur de l'âge: s'ils réchappent quelquefois de ces maladies violentes, ils tombent long-tems avant l'âge de la vieillesse, dans toutes ses infirmités, & surtout dans l'asthme, qui les conduit à l'hydropisie de poitrine. Leurs corps, usés par les excès, ne répondent point à l'action des remedes, & les maladies de langueur qui dépendent de cette cause sont presque toujours incurables. Heureusement la société ne perd rien, en perdant ces sujets qui la déshonorent, & dont l'ame abrutie est, en quelque façon, morte long-tems avant leur corps. §. 10. Les alimens sont aussi souvent une cause de maladie pour le peuple; cela arrive, 1º. quand les grains, mal mûrs, ou recueillis encore humides dans les étés facheux, ont acquis une mauvaise qualité: heureusement cela est rare, & l'on peut diminuer le danger par quelques précautions, telles que celles de laver & de secher exactement la graine, de mêler un peu de vin à la pâte en la pêtrissant, de la laisser lever un peu plus long-tems, & de faire cuire davantage le pain. 2º. Les graines les plus belles & les mieux recueillies, s'alterent très souvent dans la maison du paysan, ou parcequ'il ne se donne pas les soins qu'il devroit se donner, ou parcequ'il n'a pas d'endroit propre à les conserver, même d'un été à l'autre. Il m'est très souvent arrivé, en entrant dans quelqu'une de ces maisons, d'être frappé d'une odeur de graine mal conservée. Il y a des moyens aisés & connus de parer à cela avec un peu de soin; mais je n'entrerai là-dessus dans aucun détail, il suffit de faire sentir, que la graine étant notre principale nourriture, la santé souffre nécessairement, quand elle n'est pas bonne. 3º. Avec de bonne graine, on fait souvent de mauvais pain, en ne le laissant pas assez lever, en le cuisant trop peu, & en le gardant trop longtems dans des lieux humides. Tous ces défauts ont des suites facheuses, pour tous ceux qui en mangent, mais d'une façon plus marquée chez les enfans & les gens qui sont malades, sujets à l'être, ou qui sont convalescens[4]. [4] On a vu plusieurs fois dans quelques Provinces de France des maladies Epidémiques accompagnées des symptomes les plus terribles causées par l'usage du seigle ergoté; voyez le supplément à l'article des maladies Epidémiques, ou à la table le mot _Ergot_. Il y a quelques autres causes de maladies, tirées des alimens, mais moins facheuses ou moins générales, & dans lesquelles il est impossible d'entrer[5]. Je finirai par cette remarque générale; c'est que l'attention que le paysan a de manger lentement, & de mâcher avec beaucoup de soin, diminue infiniment les dangers d'un mauvais régime; & je suis convaincu, que c'est une des plus grandes causes de la santé dont il jouit. Il faut y ajouter l'exercice qu'il prend; le long séjour qu'il fait au grand air, où il passe les trois quarts de sa vie, &, ce qui est aussi un avantage très considérable, l'heureuse habitude de se coucher de très bonne heure, & de se lever de grand matin. Il seroit à souhaiter, qu'à tous ces égards, & peut-être à bien d'autres, les gens de la campagne servissent de modele à ceux des villes. [5] La mauvaise qualité de l'eau est encore une cause ordinaire des maladies dans les campagnes, où les eaux sont mauvaises par le terrein dans lequel elles se trouvent, comme lorsqu'elles coulent & reposent sur des bancs de coquilles, ou elles le deviennent par le voisinage ou l'égout des fumiers & des mares. Lorsque l'on a de l'eau trouble, il suffit le plus souvent de la laisser en repos pour qu'elle s'éclaircisse en déposant; si cela n'arrive pas, ou si on a de l'eau limoneuse, bourbeuse, il n'y a qu'à la jetter dans un vaisseau rempli à moitié de sable fin, ou, à son défaut, de craie, & l'y agiter & remuer violemment pendant quelques minutes. Quand l'agitation sera cessée, le sable en retombant au fond du vaisseau y entraînera les saletés que l'eau tient suspendues: ou ce qui est encore mieux & très facile, on peut approcher deux tonneaux, dont l'un sera beaucoup plus élevé que l'autre, le plus élevé sera rempli de sable à moitié, on y mettra l'eau trouble, bourbeuse, limoneuse, elle se filtrera à travers ce sable, sortira claire par une ouverture pratiquée au fond du tonneau, & tombera dans celui qui est plus bas, & qui servira de réservoir. Lorsque l'on a de l'eau seleniteuse, c'est ce qu'on nomme ordinairement de l'eau dure, parceque le savon s'y fond difficilement, & que les semences farineuses & les legumes y deviennent dures au lieu de s'amollir, il faut exposer cette eau au soleil, ou la faire bouillir, & y mettre quelques légumes ou du pain grillé ou non grillé. Quand on a de l'eau corrompue, on peut la garder jusqu'à ce qu'elle ait repris son état naturel qui succedera à la putréfaction; si on ne peut attendre, on y fera fondre un peu de sel marin, on y mêlera du vinaigre, ou on y fera cuire quelque plante aromatique. Il arrive fort souvent que les eaux des puits publics sont infectées par un limon qui est au fond, & par des animaux qui y tombent & s'y putrefient. Il faut éviter de boire l'eau de neige aussitôt qu'elle est tombée, il paroît que c'est cette eau qui cause les goitres aux Habitans de quelques montagnes, & des coliques à beaucoup de personnes. L'eau étant d'un usage si fréquent, on doit être attentif à en avoir de bonne: la mauvaise est, après l'air, la cause la plus commune des maladies, & celle qui en produit davantage & de plus facheuses, elle cause souvent des Epidémies. §. 11. L'on ne doit point omettre, dans le dénombrement des causes des maladies du peuple, la construction de leurs maisons, dont un grand nombre sont, ou appuyées contre un terrein élevé, ou un peu creusées en terre. L'une ou l'autre de ces situations les rend humides; ceux qui les habitent en sont incommodés, & s'ils ont quelques provisions, elles se gâtent & deviennent une nouvelle source de maladies. Le Manoeuvre robuste ne sent pas d'abord les influences de cette habitation marecageuse; mais elles agissent à la longue, & j'en ai vu surtout les mauvais effets les plus sensibles sur les femmes en couche & les enfans. Il seroit fort aisé de remedier à cet inconvénient, en élevant le sol de la maison de quelques pouces au-dessus du niveau du voisinage, par une couche de sable, de petits cailloux, de brique pilée, de charbon, ou d'autres choses semblables, & en évitant de bâtir contre un terrain plus élevé. Cet objet mériteroit peut-être l'attention de la police; & j'exhorte fortement tous ceux qui bâtissent à prendre les précautions nécessaires à cet égard. Une autre attention, qui couteroit encore moins, c'est de tourner leur maison au midi oriental, c'est l'exposition, toutes choses d'ailleurs égales, la plus salutaire & la plus avantageuse: cependant je l'ai vue très souvent négligée, sans qu'on pût assigner la moindre raison pour ne l'avoir pas choisie. Ces conseils paroîtront peu importans aux trois quarts du public. J'avertis qu'ils sont plus de conséquence qu'on ne pense, & tant de causes contribuent à détruire les hommes, qu'il ne faut négliger aucun des moyens qui peuvent contribuer à leur conservation[6]. [6] Le fréquent usage que le peuple fait du vin, de la bierre, du cidre, doit faire regarder ces différentes boissons comme des causes communes des maladies, lorsque ces liqueurs deviennent nuisibles au corps humain par des qualités qu'elles ont reçues de la nature ou de l'art; mais souvent il ne peut les connoître, d'autres fois son gout est plus fort que sa raison: ainsi c'est à la Police générale à empêcher la vente du vin, de la bierre, du cidre, lorsqu'ils peuvent causer des maladies. CHAPITRE II. _Causes qui augmentent les Maladies du Peuple. Attentions générales à avoir._ §. 12. Les causes, que j'ai détaillées dans le premier chapitre, produisent les maladies; & le mauvais régime, que le peuple observe quand il en est attaqué, les rend beaucoup plus facheuses, & beaucoup plus souvent mortelles. Il est imbu d'un préjugé, qui coute toutes les années la vie, dans ce pays, à beaucoup de ceux qui sont attaqués de maladies aigües, & qui n'ont point de Medecin; c'est que toutes les maladies se guérissent par la sueur, & que, pour procurer la sueur, il faut prendre beaucoup de choses chaudes & échauffantes, se tenir dans un endroit très chaud, & être excessivement couvert. Ce sont des erreurs funestes à la population de l'état; & l'on ne peut trop inculquer aux gens de la campagne, qu'en cherchant à se faire suer au commencement de la maladie, ils se tuent. J'ai vu des cas dans lesquels les soins qu'on s'étoit donnés pour forcer cette sueur, avoient procuré la mort du malade, aussi évidemment que si on lui avoit cassé la tête d'un coup de pistolet. La sueur emmene ce qu'il y a de plus liquide dans le sang; elle le laisse plus sec, plus épais, plus inflammatoire; & comme dans toutes les maladies aigües, excepté un très petit nombre qui sont très rares, il est déja trop épais, la sueur augmente évidemment le mal. Bien loin d'ôter l'eau du sang, l'on doit chercher à lui en donner. Il n'y a point de paysan, qui ne dise, quand il a une pleurésie, ou une inflammation de poitrine, que son sang est trop épais, & qu'il ne peut pas circuler. En le voyant dans le vase, il le trouve noir, sec, brulé. Comment le sens commun ne lui dit-il pas, que, bien loin de faire sortir l'eau d'un tel sang par les sueurs, il faut y en ajouter? §. 13. Mais quand il seroit aussi vrai, qu'il l'est peu, que la sueur est utile au commencement des maladies, les moyens qu'on emploie pour la procurer, n'en seroient pas moins mortels. Ces moyens sont, 1º. d'étouffer le malade par la chaleur de l'air & des couvertures. L'on redouble de soins, pour empêcher qu'il n'entre de l'air, qui, par là même, est bientôt extrêmement corrompu; & l'on procure une telle chaleur, par le poids des couvertures, que ces deux causes seules sont capables de produire, dans un homme sain, la fievre la plus ardente, & une inflammation de poitrine. Plus d'une fois je me suis senti saisi en entrant dans ces chambres, d'une difficulté de respirer, que je dissipois en faisant ouvrir. Les gens instruits devroient se faire un plaisir de faire comprendre au peuple, dans les fréquentes occasions qui s'en présentent, que l'air nous étant plus nécessaire, que l'eau ne l'est au poisson, dès qu'il cesse d'être pur, notre santé souffre nécessairement; & rien ne le corrompt plus promptement, que les vapeurs qui sortent du corps de plusieurs personnes, renfermées dans une petite chambre qu'on n'aire point. Il n'y a qu'à vouloir ouvrir les yeux, pour sentir le danger de cette conduite. Si l'on donne de l'air frais à ces pauvres malades, & qu'on les découvre, on voit sur-le-champ la fievre, l'oppression, l'angoisse, les rêveries, diminuer. §. 14. 2º. On ne leur donne que des choses chaudes, & surtout de la thériaque, du vin, du faltran ou des vulneraires de suisse (dont la plupart des herbes ou fleurs sont dangereuses dès qu'il y a de la fievre) & du safran, qui est encore plus dangereux. Dans toutes les maladies fievreuses, il faut rafraichir & tenir le ventre libre. Tous ces remedes échauffent & resserrent: l'on peut juger quel mauvais effet ils produisent. Un homme bien portant, tomberoit infailliblement dans une fievre inflammatoire, s'il prenoit la quantité de vin, de thériaque, de faltran, que le paysan prend quelquefois, lorsqu'il est déja attaqué d'une de ces maladies. Comment pourroit-il n'en pas mourir? Aussi il en meurt, & quelquefois avec une promptitude étonnante. Malheureusement, chacun peut en voir autour de soi de terribles & fréquens exemples. §. 15. L'on me dira peut-être, que souvent les maladies se guerissent par la sueur, & que l'expérience doit guider. Je réponds, que la sueur guerit, il est vrai, quelques maladies dès le commencement, comme ces points qu'on appelle fausses pleurésies, quelques douleurs de rhumatisme, quelques fluxions: mais c'est seulement quand ces maladies dépendent d'une transpiration arrêtée, que la douleur se déclare tout de suite, & que, sur-le-champ, avant que la fievre ait épaissi les humeurs & enflammé quelque partie, on donne quelque boisson chaude, comme du faltran & du miel, qui, en rétablissant la transpiration, enleve la cause du mal[7]. La sueur est aussi utile dans les maladies, quand à force de boire, on en a détruit les causes: elle sert à entraîner avec elle, une partie des humeurs qui causent les maladies, après que les plus grossieres ont passé par les selles & par les urines, & à emmener cette quantité d'eau qu'on avoit été obligé de mettre dans le sang, & qui y est devenue superflue. Il est, à cette époque extrêmement important, de ne pas l'empêcher volontairement ou par imprudence; il y auroit souvent autant de danger à le faire, qu'il y en a à vouloir faire suer dans les commencemens; & cette sueur, si on l'arrête, se rejettant sur quelque partie intérieure produit souvent une nouvelle maladie plus dangereuse que la premiere. Il faut donc être aussi attentif à ne pas arrêter imprudemment la sueur, qui vient naturellement à la fin des maladies, qu'à ne pas l'exciter au commencement: celle-là est presque toujours utile; celle-ci presque toujours dangereuse. D'ailleurs, si elle étoit nécessaire, on s'y prendroit très mal pour la faire venir, puisqu'en échauffant si fort les malades, on allume une fievre prodigieuse; on les met en feu, & la peau reste extrêmement seche. L'eau tiede est le meilleur des sudorifiques. Si les malades suent abondamment & par un effort de la nature seule pendant un ou deux jours, cela leur procure un soulagement de quelques heures: bientôt ces sueurs finissent, on croit alors reconnoître la nécessité de l'exciter de nouveau pour augmenter le soulagement, on réitere les mêmes remedes sans qu'ils rappellent les sueurs. On double les doses, on augmente l'inflammation; le malade meurt dans des angoisses horribles, & avec une inflammation générale. L'on attribue la mort à ce qu'il n'a pas sué assez, pendant qu'elle dépend réellement de ce qu'il a trop sué au commencement, & de ce qu'il a pris des remedes sudorifiques & du vin. Il y a long-tems qu'un habile Medecin Suisse a averti ses compatriotes, que le vin leur étoit mortel dans les fievres. Je le réitere; mais je crains fort que ce ne soit avec aussi peu de succès. Le paysan, qui naturellement n'aime pas le vin rouge, le boit en maladie par préférence; & c'est un grand mal, parceque le vin rouge empêche les selles plus que le vin blanc, n'aide pas autant les urines, & augmente l'épaississement du sang, qui est déja trop considérable. [7] Alors même, il faut éviter de produire un trop grand mouvement dans le sang, qui empêcheroit plus qu'il n'aideroit la sueur. §. 16. L'on augmente encore leurs maux, par les alimens qu'on donne trop tôt ou en trop grande quantité, ou de mauvaise nature. La maladie affoiblit nécessairement, & la folle crainte, que l'on a que le malade ne meure de foiblesse, porte à lui donner des alimens, qui, en augmentant sa maladie, le tuent en augmentant ou en redonnant la fievre. Cette crainte que l'on a que ce défaut de nourriture ne donne la mort, est absolument chimerique; jamais cette cause n'a tué aucun fievreux. Ils peuvent être plusieurs semaines à l'eau, & n'en sont que plus forts au bout de ce terme; au lieu qu'en cherchant à les nourrir, bien loin de les fortifier, la nourriture augmente la maladie, & par-là-même le malade est plus foible. §. 17. Dès qu'il y a de la fievre, l'estomac ne digere plus; tout ce qu'on avale se corrompt, & devient une source de pourriture, qui n'ajoute rien aux forces du malade, mais qui augmente beaucoup celles de la maladie; ainsi, tout ce qu'on prend devient un vrai poison, qui détruit les forces: mille exemples le prouvent. On voit ces pauvres malheureux, qu'on oblige à prendre de la nourriture, perdre leurs forces, & tomber dans l'angoisse & dans les rêveries, à mesure qu'ils avalent. §. 18. On leur fait du mal, non-seulement par la quantité de la nourriture, mais aussi par sa qualité. On leur fait avaller des bouillons de viande les plus forts, des oeufs, des biscuits, & de la viande, s'il leur reste la force de la mâcher. Il faut absolument que les malades succombent sous le poids de ces choses données mal-à-propos. Si l'on donne à un homme sain de la viande corrompue, des oeufs pourris, du bouillon gâté, il est attaqué par des accidens violens, comme s'il avoit pris du poison, & c'en est réellement; il a des vomissemens, des angoisses, une diarrhée horrible, de la fievre, du délire, le pourpre. Quand on donne ces alimens en bon état à un fiévreux, la chaleur & les matieres corrompues qui sont déja dans son estomac, les ont bien-tôt pourris, & au bout de quelques heures ils produisent tous les effets dont je viens de parler. Qu'on juge s'ils peuvent convenir. §. 19. C'est une vérité établie par le plus grand Médecin, il y a plus de deux mille ans, & constatée par ses successeurs, que tant qu'un malade a de mauvais levains dans l'estomac, plus on lui donne d'alimens, plus on l'affoiblit. Ces alimens, gâtés par les matieres infectes qu'ils trouvent, sont incapables de nourrir, & deviennent un nouveau germe de maladie: aussi ceux qui savent observer, remarquent constamment, que quand un fiévreux a pris ce qu'on appelle un bon bouillon, il a plus de fievre, & il est par-là même plus foible. Donner un bouillon à la viande bien frais, à un homme qui a beaucoup de fievre ou des matieres corrompues dans l'estomac, c'est précisément lui rendre le même service que si on lui donnoit deux ou trois heures plûtard un bouillon corrompu. §. 20. Je dois le dire: ce préjugé mortel, qu'il faut soutenir les malades par de la nourriture, est encore trop répandu parmi les personnes même que leurs talens & leur éducation devroient soustraire à des erreurs aussi grossieres que celles-là. Il seroit bienheureux pour le genre humain, & le terme de ses jours seroit en général bien plus long, si l'on pouvoit lui persuader cette vérité si bien démontrée en médecine; c'est que les seules choses qui puissent fortifier un malade, sont celles qui peuvent affoiblir la maladie. Mais l'opiniâtreté est inconcevable à cet égard; elle est un second fléau attaché à la maladie, & plus fâcheux qu'elle. De vingt malades qui périssent dans les campagnes, il y en a souvent plus des deux tiers qui auroient guéri, si, mis simplement dans un endroit où ils fussent à l'abri des injures de l'air, ils eussent eu de l'eau fraîche en abondance; mais les soins mal entendus dont je viens de parler, n'en laissent réchaper aucun. §. 21. Ce qu'il y a de plus horrible dans cet acharnement à échauffer, dessecher & nourrir les malades, c'est qu'il est totalement opposé à ce que la nature indique. Le feu, l'ardeur dont ils se plaignent, la sécheresse de la peau, des lévres, de la langue, de la gorge; la rougeur des urines, l'ardeur qu'ils ont pour les choses rafraîchissantes, le plaisir, le bien que leur fait l'air frais, sont des signes qui nous crient à haute voix, que nous devons les rafraîchir par toutes sortes de moyens. Leur langue sale, qui prouve que l'estomac est dans le même état, leur dégoût, leur envie de vomir, leur horreur pour les alimens, & surtout pour la viande, la puanteur de leur haleine, celle des vents qu'ils rendent par haut & par bas, souvent celle de leurs selles, prouvent que tout leur intérieur est plein de matieres corrompues, qui corromproient tous les alimens qu'on y mettroit; & que tout ce qu'il y a à faire, c'est de délayer ces matieres par des torrens de boissons rafraîchissantes, qui les disposent à être évacuées aisément. Je le redis, & je souhaite qu'on y fasse attention, tant qu'on a un goût d'amertume ou de pourriture, qu'on a du dégoût, ou que l'haleine est mauvaise, qu'on a de la chaleur & de la fievre, que les selles sont puantes & les urines rouges, la viande, le bouillon à la viande, les oeufs, tout ce dans quoi l'une ou l'autre de ces choses entrent, la thériaque, le vin pur, toutes les choses chaudes, sont de vrais poisons. §. 22. Je paroîtrai peut-être outré au public, & à quelques Médecins; mais les Médecins éclairés, les vrais Médecins, ceux qui observent les effets de chaque chose, trouveront au contraire que bien loin d'outrer, j'expose foiblement leur sentiment, qui est celui de tous les bons Médecins depuis plus de deux mille ans; celui que la raison approuve, & que l'expérience confirme tous les jours. Les erreurs que je viens de combattre coûtent des millions d'hommes à l'Europe. §. 23. Il ne faut pas omettre que, lors même que le malade a le bonheur de ne pas mourir, malgré tout ce qu'il a fait pour cela, le mal n'est pas fini, & les effets des alimens & des remedes échauffans sont de lui laisser le germe de quelque maladie de langueur, qui, se fortifiant peu à peu, éclate au bout de quelque tems, & lui fait acheter, par de longues souffrances, la mort qu'il desire. §. 24. Je dois encore montrer le danger d'une autre pratique; c'est de purger un malade, ou de lui donner l'émétique dès les commencemens de la maladie. L'on fait par-là des maux infinis. Il y a des cas dans lesquels les évacuans, au commencement du mal, conviennent; ils seront indiqués dans d'autres chapitres: mais tant qu'on ne les connoît pas, il faut établir comme une regle générale, que ces remedes sont nuisibles; ce qui est vrai le plus souvent, & toujours quand les maladies sont inflammatoires. §. 25. L'on espere, par leurs secours d'enlever les embarras de l'estomac, la cause des envies de vomir, de la mauvaise bouche, de la soif, du mal-aise, & de diminuer le levain de la fievre. L'on se trompe le plus souvent; parceque les causes de ces accidens ne sont point ordinairement de nature à céder à ces évacuations. La tenacité des ordures qui sont sur la langue, doit nous faire juger de celles qui tapissent l'estomac & les intestins. L'on a beau la laver, la gargariser, la racler; tout est inutile: ce n'est qu'après avoir fait boire le malade pendant plusieurs jours, & avoir diminué la chaleur, la fievre, & la viscosité des humeurs, qu'on peut enlever ce sédiment, qui se détache même peu à peu de lui-même; le mauvais goût se dissipe, la langue redevient belle, la soif cesse. L'histoire de l'estomac, est la même que celle de la langue; aucun secours ne peut le nettoyer dans les commencemens. En donnant beaucoup de remedes délayans & rafraichissans, il se nettoie lui-même; & les envies de vomir, les rapports, l'inquiétude passent naturellement & sans purgatif. §. 26. Non-seulement on ne fait point de bien par ces remedes, mais on fait un mal très considérable, en appliquant des remedes acres & irritans, qui augmentent la douleur & l'inflammation; qui attirent les humeurs sur ces parties, où il y en a déja trop; qui n'évacuent point la cause de la maladie, parcequ'elle n'est pas prête à être évacuée, qu'elle n'est pas mûre; mais qui évacuent ce qu'il y a de plus liquide dans le sang qui par-là même reste plus épais; qui évacuent la partie utile, & laissent la nuisible. §. 27. L'émétique, surtout donné dans une maladie inflammatoire, & même inconsidérément dans toutes les maladies aigües, avant que d'avoir diminué les humeurs par la saignée, & les avoir délayées par d'abondantes boissons, produit les plus grands maux; les inflammations de l'estomac, des poulmons, du foie; les suffocations, les phrénésies. Les purgatifs occasionnent quelquefois une inflammation générale des boyaux, qui conduit à la mort. Il n'y a point de ces cas dont l'étourderie, l'imprudence & l'ignorance ne m'aient fait voir quelques exemples. L'effet de ces remedes, dans ces circonstances, est le même que celui du sel & du poivre, qu'on mettroit sur une langue séche, enflammée & sale, pour l'humecter & la nettoyer. §. 28. Il n'y a personne qui, avec du bon sens, ne soit en état de sentir la vérité de tout ce que j'ai dit dans ce chapitre; & il y auroit de la prudence, pour ceux mêmes qui ne sentiroient pas la solidité de ces avis, à ne pas les braver, & à ne pas les heurter trop hardiment. Il s'agit d'un objet important; & dans une matiere qui leur est étrangere, ils doivent, sans doute, quelque déférence aux avis des gens qui en ont fait l'étude de toute leur vie. Ce n'est pas moi que je veux qu'on écoute, ce sont les plus grands Médecins, dont je ne suis dans ce cas que le foible organe. Quel intérêt avons-nous tous à défendre aux malades de manger, de s'étouffer, & de boire des choses chaudes qui enflamment leur fievre? Quel avantage peut-il nous en revenir, de nous opposer au fatal torrent qui les entraîne? Quelle raison peut persuader que des milliers de gens, pleins de génie, de savoir, d'expérience, qui passent leur vie au milieu des malades, uniquement occupés à les soigner & à observer tout ce qui leur arrive, se font illusion & se trompent sur l'effet des alimens, du régime, des remedes? Peut-il entrer dans des têtes sensées, qu'une garde qui conseille un bouillon, un oeuf, un biscuit, mérite plus d'être crue, qu'un Médecin qui les défend? Il n'y a rien de plus désagréable pour celui-ci, que d'être obligé de disputer continuellement pour ces miseres, & de craindre toujours que des soins mortellement officieux ne détruisent, par des alimens qui augmentent toutes les causes du mal, l'effet de tous les remedes qu'il emploie pour les combattre, & n'enveniment la plaie à mesure qu'il la panse. Plus on aime un malade, plus on veut le faire manger; c'est l'assassiner par tendresse. CHAPITRE III. _Ce qu'il faut faire dans les commencemens des maladies. Diete des maladies aiguës._ §. 29. J'ai fait voir les dangers du régime, & des principaux remedes qu'on emploie généralement parmi le peuple. Je dois indiquer actuellement ce qu'on peut faire, sans aucun risque, dans les commencemens des maladies aigües quelconques, & le régime général qui convient à toutes. Ceux qui auront envie de tirer quelque fruit de ce Traité, doivent faire attention à ce chapitre, parceque dans le reste de l'ouvrage, pour éviter les répétitions, je ne parlerai du régime, que quand la maladie en exigera un différent de celui que je détaillerai actuellement; & quand je dirai qu'il faut mettre un malade au régime, cela signifiera qu'il faut le traiter de la façon prescrite dans ce chapitre; & l'on fera ce que je vais indiquer relativement à l'air, aux alimens, à la boisson, aux lavemens, excepté quand je prescrirai expressément autre chose, comme d'autres ptisanes, ou d'autres lavemens. §. 30. La plûpart des maladies (j'entens toujours aigües ou fiévreuses) s'annoncent souvent, quelques semaines, ordinairement quelques jours à l'avance, par quelques dérangemens dans la santé, comme un leger engourdissement, un peu moins d'agilité, moins d'appétit, un peu de pesanteur d'estomac, plus de facilité à se fatiguer, quelques embarras de tête, un sommeil plus pesant, mais moins tranquille, & qui ne répare pas les forces comme auparavant, moins de gaieté, quelquefois un peu d'embarras dans la poitrine, un pouls moins régulier, une disposition au froid, plus de facilité à suer, quelquefois la cessation des sueurs ordinaires. L'on peut à cette époque prévenir ou, au moins, diminuer considérablement les maux les plus fâcheux, par des attentions aisées, que je réduis à quatre. 1º. Renoncer à tout travail violent; mais continuer cependant un exercice très doux. 2º. Se réduire à très peu, ou à point d'alimens solides; renoncer surtout entiérement à la viande, au bouillon, aux oeufs & au vin. 3º. Boire abondamment, c'est-à-dire, une couple de pintes par jour, par petits verres, de demi-heure en demi-heure, de la ptisane (Nº. 1, ou 2.), & même de l'eau tiede, sur chaque pinte de laquelle on mettra un demi verre de vinaigre. Il n'y a personne à qui ce secours puisse manquer. Si l'on n'avoit pas de vinaigre, on boiroit l'eau tiede pure, & l'on mettroit sur chaque pinte quinze ou vingt grains de sel de cuisine. Ceux qui auroient du miel, feroient très bien d'en mettre deux ou trois cuillerées dans l'eau. L'on pourroit aussi employer avec succès une infusion de fleurs de sureau ou de tilleul. Le petit lait bien clair, peut également servir. 4º. Prendre des lavemens. En suivant cette méthode, on a souvent coupé racine aux maladies les plus graves; & lorsqu'on ne peut pas les empêcher de paroître, au moins on les rend plus douces, & l'on diminue beaucoup le danger. §. 31. Malheureusement l'on suit une méthode toute contraire; & quand on sent ces dérangemens, l'on se borne à ne manger que de la viande, des oeufs, du bouillon, l'on renonce aux légumes & aux fruits, qui seroient si utiles; & l'on boit, pour se fortifier l'estomac & chasser les vents, du vin ou quelques liqueurs, qui ne fortifient que la fievre, & ne chassent que les restes de la santé. L'on empêche par-là toutes les évacuations; l'on ne détrempe point les matieres qui occasionnent la maladie; on ne les rend point propres à être évacuées; au contraire, elles deviennent plus acres & plus difficiles à être emmenées; au lieu que la quantité d'une boisson délayante & rafraîchissante, détrempe & détache toutes les matieres étrangeres; elle délaie le sang; & au bout de quelques jours, tout ce qu'il y avoit de nuisible s'évacue par les selles, par les urines, ou par la sueur. §. 32. Quand la maladie a fait de plus grands progrès, & que le malade est déja saisi par ce froid plus ou moins violent, qui précede presque toutes les maladies, & qui est ordinairement accompagné d'un accablement total & de douleurs dans tout l'extérieur du corps, il faut ou le mettre au lit, s'il ne peut pas rester debout; ou qu'il se tienne tranquillement assis un peu plus couvert que de coutume, & qu'il boive tous les quarts-d'heure un petit verre chaud, de la boisson (Nº. 1, 2); ou si elle manque, de quelqu'une de celle dont je viens de parler. §. 33. Les malades veulent qu'on les couvre beaucoup pendant le froid; il faut être extrêmement attentif à les découvrir dès qu'il diminue, afin que quand la chaleur commence, ils n'aient rien de plus que les couvertures ordinaires; il seroit même à souhaiter qu'ils en eussent moins. Les paysans couchent sur un lit de plume, & sous des couvertures de laine qui sont ordinairement d'un poids immense. La chaleur que donne la plume est très fâcheuse pour les fiévreux; cependant comme ils y sont accoûtumés, on peut tolérer cette coutume pendant une partie de l'année; mais pendant les chaleurs, ou toutes les fois que la fievre est extrêmement forte, ils doivent coucher sur la paillasse, ils en seront infiniment mieux, & rejetter les couvertures de laine trop épaisses, pour ne se couvrir que de draps, de couvertures de laine moins lourdes, ou même de quelqu'autre chose moins chaude. L'on ne peut croire, comme moi, que quand l'on en a été témoin combien l'on soulage le malade en lui ôtant son lit de plumes; le mal prend sur le champ une nouvelle face. §. 34. Dès que la chaleur est venue, & que la fievre est bien déclarée, l'on doit pourvoir au régime du malade. 1º. Il faut avoir soin que l'air de la chambre ne s'échauffe pas trop; qu'il y ait le moins de monde, & qu'on y fasse le moins de bruit possible; que personne ne parle au malade sans nécessité. Il n'y a rien qui augmente plus la fievre & fasse plus rêver, que la multitude des gens qui sont au tour du malade, & qui font du bruit. Il faut, quand il a été à la selle ou qu'il a uriné, emporter ces excrémens le plutôt possible. Il faut nécessairement ouvrir les fenêtres soir & matin, au moins un quart-d'heure chaque fois, & ouvrir en même-tems une porte, afin que l'air se renouvelle. Mais, comme il ne faut pas qu'il y ait un courant d'air sur le malade, on tirera, dans le même-tems, les rideaux de son lit; & s'il n'en avoit point, on en fait dans le moment, en mettant au tour de lui des chaises, avec quelques habits qui le garantissent. Si la saison est extrêmement rigoureuse, il suffit de l'ouvrir une fois le jour. Il est aussi très utile de brûler du genievre ou autre bois aromatique; ou bien, on jettera un peu de vinaigre sur une pelle rouge; cette fumée corrige la putridité de l'air. Dans les grandes chaleurs, quand l'air de la chambre est brûlant, & que le malade en est fort incommodé, on peut arroser de tems en tems le plancher, & mettre dans la chambre quelques grosses branches de saule, ou d'aulne, ou de fresne, qui trempent dans des seaux d'eau. §. 35. 2º. Par rapport à la nourriture du malade, il ne prendra rien du tout de solide; mais on peut lui préparer, par tout & en tout tems, la nourriture suivante, qui est une des plus saines, &, sans contredit, la plus simple. Prenez une demi-livre de pain, la grosseur d'une noisette de beurre, ou même point, & un pot d'eau; faites cuire le tout jusqu'à ce que le pain soit presque entierement défait: on le passe, & l'on en donne un demi-septier au malade, de trois en trois, ou de quatre en quatre heures, et même plus rarement, si la fievre étoit extrêmement forte. Ceux qui ont des gruaux, de l'orge, des pois, des feves, de l'aveine, du ris peuvent en prendre, cuits de la même façon, avec quelques grains de sel[8]. [8] On donne, ici, des bouillons de viande: on ne peut trop recommander de les faire legers avec le veau, le poulet; mais il seroit encore mieux d'user de ce que l'on prescrit dans ce livre. §. 36. L'on peut aussi leur permettre, au lieu de ces especes de soupe, des fruits d'été cruds, & en hiver des pommes cuites, ou des prunes & des cerises sechées que l'on fera cuire. Les gens instruits ne seront pas surpris de voir ordonner les fruits dans les maladies aigües; ils en voient les succès tous les jours. Ce conseil ne révoltera que ceux qui sont encore trop imbus des anciens préjugés; mais, en réflechissant, ils sentiront que ces fruits, qui desalterent, rafraîchissent, abbattent la fievre, corrigent la bile corrompue & échauffée, entretiennent la liberté du ventre, font couler les urines, & sont l'aliment le plus convenable pour les fievreux. Aussi ils les desirent ardemment; & j'en ai vu plusieurs qui ne s'étoient guéris, qu'en mangeant en cachette une grande quantité de ces fruits qu'ils desiroient ardemment, & qu'on leur refusoit. Ceux qui ne sentiront pas ces raisons, peuvent au moins hazarder un essai sur ma parole; leur propre expérience les convaincra bientôt de l'utilité de cette espece d'aliment. L'on peut donc hardiment donner, dans toutes les fievres continues, des cerises, des griottes, des fraises, des raisins de mars, des framboises, des mûres; mais il faut que tous ces fruits soient très mûrs. Les pommes, les poires, les prunes sont moins fondantes, moins remplies de jus, & conviennent moins. Il y a cependant quelques especes de poires, extrêmement aqueuses, qu'on peut employer[9]: on peut aussi prendre un peu de jus de prunes bien mûres, avec de l'eau. J'ai vu cette boisson désaltérer un malade, mieux qu'aucune autre. L'attention qu'on doit avoir, c'est de n'en pas prendre une grosse quantité à la fois, sans quoi l'estomac seroit surchargé, & le malade souffriroit; mais si l'on en prend souvent & peu, il n'y a rien de plus salutaire. Ceux que leur situation met à même d'avoir des oranges douces ou des citrons, peuvent également en manger les coeurs avec succès; il faut rejetter l'écorce qui échauffe. [9] Comme les différentes especes de beurré, de bon-chrétien, le doyenné, le S. Germain, la virgouleuse, la royale d'été, la bergamote, l'angleterre. §. 37. 3º. Il faut faire usage d'une boisson qui desaltere, abatte la fiévre, délaie, relâche & aide les évacuations par les selles, les urines & la transpiration. Toutes celles dont j'ai parlé, réunissent toutes ces qualités. L'on peut aussi mettre un verre, ou un verre & demi, du jus des fruits dont je viens de parler, dans une pinte d'eau. §. 38. Les malades doivent beaucoup boire. Il seroit à souhaiter qu'ils bussent au moins deux ou trois pintes par jour, souvent & peu à la fois; c'est-à-dire un verre à chaque quart d'heure. Il faut que la boisson ait perdu le grand froid. §. 39. 4º. Si le malade ne va pas tous les jours deux fois à la selle, si les urines ne sont pas abondantes, ou si elles sont rouges, si le malade rêve, si la fievre est forte, le mal de tête & de reins considérable, le ventre douloureux, les envies de dormir fréquentes, il faut donner un lavement (Nº. 5.), au moins une fois par jour. Le peuple n'aime pas ce remede; il n'y en a cependant point de plus utile dans les maladies violentes, surtout dans les cas que je viens d'indiquer; & un lavement soulage ordinairement plus, que si on buvoit sept ou huit fois la même quantité de liqueur. L'usage des lavemens dans les différentes maladies, sera déterminé en parlant de chacune. Mais il ne faut jamais les donner dans le moment où le malade a une sueur qui le soulage. §. 40. 5º. Tant que le malade en aura la force, il faut qu'il se tienne tous les jours hors du lit une heure, & plus s'il peut; mais au moins une demi-heure: cela diminue la fievre, le mal de tête, les rêveries. Il faut éviter de lever le malade pendant qu'il auroit une sueur de nature à le soulager; mais ces sueurs ne viennent jamais que sur la fin des maux, & après que le malade a eu beaucoup d'autres évacuations. §. 41. 6º. On lui raccommodera son lit tous les jours, pendant qu'il sera levé, & l'on changera les linges, tant du lit que du malade, le plus souvent qu'on le pourra. Un préjugé pernicieux établit une pratique contraire, qui est très dangereuse. On craint de sortir le malade du lit, on le laisse dans des linges pourris, chargés de corruption, & qui par-là non-seulement entretiennent la maladie, mais peuvent même lui donner un caractere de malignité. Je le réitere, rien n'entretient la fievre & les rêveries, comme de ne point sortir du lit & de ne point changer de linge; & j'ai fait cesser, par ce double moyen & sans autre secours, des rêveries qui duroient depuis douze jours sans interruption. L'on dit que le malade est trop foible, c'est une mauvaise raison: il faut qu'un malade soit presque mourant pour ne pas soutenir cette opération, qui, lors même qu'il l'éprouve pour le moment, augmente ses forces & diminue aussi-tôt ses maux. Un avantage que les malades retirent du séjour hors du lit, c'est que les urines coulent plus abondamment & avec facilité. L'on en voit quelquefois qui n'urinent point du tout, si on ne les sort pas du lit. Il y a un grand nombre de maladies aigües que ce seul régime guérit radicalement, & il les adoucit toutes. Si on ne l'emploie pas, les remedes sont le plus souvent inutiles. Il seroit à souhaiter que le peuple sût que l'on ne peut pas brusquer les maladies; que chacune doit avoir un certain cours, & que l'usage des remedes violens qu'il aime à employer, peut bien les abreger en tuant le malade: mais cet usage ne guérit jamais plus vîte, & au contraire il rend la maladie plus fâcheuse, plus longue, plus opiniâtre, & laisse souvent des suites qui font languir toute sa vie celui qui a été traité avec des remedes violens. §. 42. Ce n'est pas assez de bien conduire la maladie, il faut encore soigner la convalescence, qui est toujours un état de foiblesse, & par-là même de langueur. Le même préjugé qui tue les malades en les forçant à manger, s'étend sur la convalescence, & la rend fâcheuse & longue: on produit des rechûtes quelquefois mortelles, souvent des maux chroniques, en faisant manger les convalescens trop, ou trop tôt. A mesure que la fievre diminue, on peut insensiblement augmenter la quantité de nourriture; mais tant qu'il en reste, il convient de s'en tenir aux alimens que j'ai indiqués. Dès qu'elle est finie, on peut passer à des alimens différens, & prendre un peu de viande, mais il faut qu'elle soit tendre, du poisson, un peu de bouillon, quelques oeufs, du vin avec de l'eau, du pain trempé dans le vin: ces alimens sont utiles, & servent à réparer les forces quand on en use modérément. Ils retardent la guérison dès qu'on en prend un peu trop; parceque l'estomac extrêmement affoibli par la maladie & par les remedes, n'est capable que d'une très petite digestion, & si on lui donne au-delà de ses forces, tout ce qu'on prend ne se digere point, mais se corrompt. Il survient de fréquens retours de fievre, un abattement continuel, des maux de tête, un assoupissement sans pouvoir dormir, des douleurs & des chaleurs dans les bras & dans les jambes, de l'inquiétude, de la mauvaise humeur, des vomissemens, des diarrhées, des obstructions. §. 43. L'on prévient tous ces maux en se contentant de très peu d'alimens. Je le réitere, si l'on veut fortifier un convalescent, il faut lui donner peu: ce n'est pas ce qu'on avale qui nourrit, ce n'est que ce qu'on digere. Le convalescent qui avale peu, le digere & est nourri; celui qui avale beaucoup ne le digere pas, & bien loin d'être nourri & fortifié, il périt peu à peu. §. 44. Il faut, 1º. que les convalescens, comme les malades, prennent très peu d'alimens à la fois, & fréquemment. 2º. Qu'ils ne prennent jamais qu'une sorte d'aliment dans un repas, & qu'ils n'en changent pas trop souvent. 3º. Qu'ils mâchent avec beaucoup de soin tout ce qu'ils prennent de solide. 4º. Qu'ils diminuent la quantité de boisson: la meilleure, pour le général, est de l'eau avec un quart ou un tiers de vin blanc. 5º. Qu'ils se promenent le plus souvent qu'ils pourront à pied, en voiture, à cheval: ils auront attention, surtout les premieres sorties, de faire leur promenade dans des endroits qui soient à l'abri du vent & qui ne soient pas humides. Ce dernier exercice est le plus salutaire de tous. Les trois quarts des gens de la campagne sont à même de se procurer cet avantage sans qu'il leur en coûte rien; ils ont grand tort de le négliger. Ceux qui voudront en user, doivent le faire avant leur plus grand repas, qui doit être celui du milieu du jour, & jamais après. L'exercice pris avant le repas, fortifie les organes de la digestion, qui ensuite se fait mieux: si on le prend après, il la trouble. 6º. Comme ordinairement les convalescens sont moins bien le soir, ils doivent rentrer chez eux avant le coucher du soleil, & lorsqu'il s'éleve un vent froid ou humide. Il faut qu'à ces heures ils prennent très peu d'alimens: leur sommeil en sera plus tranquille, & les reparera mieux. 7º. Ils ne doivent rester au lit que sept ou huit heures. 8º. L'enflure des jambes qui survient presque à tous, n'est pas dangereuse, & se dissipe d'elle-même quand ils sont sobres & qu'ils prennent du mouvement. 9º. Il n'est pas nécessaire qu'ils aillent tous les jours à la selle; mais il ne faut pas qu'ils soient resserrés plus de deux ou trois jours; & si cela arrivoit, il faudroit leur donner un lavement le troisieme jour, & même plutôt si l'on voyoit que la constipation leur occasionnât de la chaleur, des gonflemens, de l'inquiétude, des maux de tête. 10º. S'il leur reste beaucoup de foiblesse, si l'estomac est dérangé, s'ils ont de tems en tems un peu de fievre, ils prendront trois prises par jour du remede (Nº. 14.) qui rétablit les digestions, rappelle les forces & chasse la fievre. 11º. Il ne faut pas qu'ils reprennent trop tôt le travail; cette mauvaise coutume empêche journellement plusieurs paysans de se remettre jamais parfaitement bien, & de reprendre leurs premieres forces: pour n'avoir pas su se reposer pendant quelques jours, ils ne redeviendront jamais aussi robustes ouvriers qu'ils l'étoient auparavant, & ce travail précoce leur fera perdre dans la suite, chaque semaine de leur vie, plus de tems qu'ils n'en ont gagné une seule fois. Je vois tous les jours des laboureurs, des vignerons, des manoeuvres languissans; presque tous datent le commencement de leur langueur depuis quelque maladie aigüe, qui, par le manque de ménagement dans la convalescence, n'a pas été bien guérie: un repos de sept ou huit jours de plus leur auroit épargné toutes ces infirmités; mais c'est ce qu'on a peine à leur faire comprendre. Le peuple, dans ce cas & dans beaucoup d'autres, ne sait calculer que pour le jour, & n'étend point ses vues au lendemain; il ne sait faire aucun sacrifice à l'avenir; il en faut cependant pour se le rendre favorable. CHAPITRE IV. _Inflammation de Poitrine._ §. 45. L'inflammation de poitrine, ou Peripneumonie, ou Fluxion de poitrine, est une inflammation du poulmon, & plus ordinairement d'un seul de ses côtés. Les signes qui la font connoître sont, un frisson plus ou moins long, pendant lequel le malade est quelquefois fort inquiet & angoissé, symptome essentiel, & qui m'a servi plus d'une fois à distinguer cette maladie à coup sûr, dès son premier moment; la chaleur qui suit le frisson, & qui, pendant quelques heures, est souvent mêlée de retour de froid; le pouls est vite, assez fort, médiocrement plein, dur, & reglé quand le mal est médiocre; petit, mol, irrégulier quand la maladie est très grave; un sentiment legerement douloureux dans l'un des côtés de la poitrine; quelquefois, une espece de serrement sur le coeur; quelquefois, des douleurs dans tout le corps, surtout le long des reins; de l'oppression, au moins le plus souvent, car quelquefois il y en a peu; la nécessité d'être presque toujours couché sur le dos, ne pouvant l'être que très rarement sur les côtés; une toux, quelquefois seche, & alors elle est plus douloureuse, d'autres fois accompagnée de crachats plus ou moins pleins de sang, souvent de sang pur; une douleur ou au moins une pesanteur de tête, souvent des rêveries, presque toujours le visage rouge; d'autres fois de la pâleur & un air étonné dès le commencement, ce qui est d'un facheux présage; les levres, la langue, le palais, la peau seches; l'haleine chaude, les urines peu abondantes & rouges dans les commencemens, plus abondantes moins rouges & déposant beaucoup de sediment dans la suite; fréquemment de l'altération; quelquefois des envies de vomir, dans le commencement, qui, en en imposant à gens peu instruits, ont souvent porté à donner un émétique, qui est mortel, surtout à cette époque; une chaleur universelle, un redoublement presque tous les soirs, pendant lequel la toux est plus aigre, & les crachats moins abondans. Les meilleurs crachats sont ceux qui ne sont ni trop liquides ni trop durs; mais d'une consistance médiocre, ressemblant à ce qu'on crache sur la fin d'un rhume, mais plus jaunes, & mêlés d'un peu de sang, qui diminue peu à peu, & disparoît ordinairement avant le septieme jour. Quelquefois l'inflammation monte le long de la trachée artére, & occasionne au malade une suffocation & un sentiment douloureux, quand il avale, qui lui persuade qu'il a un mal de gorge. §. 46. Quand le mal est très violent, ou quand il le devient; le malade ne peut respirer qu'assis. Le pouls devient très petit & très vite; le visage devient livide, la langue noire, les yeux s'égarent, le malade a une angoisse inexprimable, il s'agite continuellement dans son lit; quelquefois un bras est dans une espece de paralysie; les réveries ne le quittent point, il ne peut ni veiller ni dormir; la peau de la poitrine & du col se couvrent quelquefois, surtout quand l'air est étouffé & le mal extrême & violent, de taches livides, plus ou moins considérables; les forces s'épuisent, la difficulté de respirer augmente d'un moment à l'autre; le malade tombe dans une léthargie, & meurt bientôt, d'une mort affreuse & assez commune dans les campagnes par l'effet des remedes échauffans, qu'on emploie dans ce cas. L'on a vu l'usage de ces remedes augmenter la maladie à un tel point, que le coeur se fendoit, comme l'ouverture du cadavre l'a prouvé. Si la maladie attaque tout-à-coup & avec violence, si le froid dure plusieurs heures, & s'il est suivi d'une chaleur brulante, si le cerveau s'embarrasse dès le commencement, si le malade a une petite diarrhée avec tenesme, s'il craint le lit, s'il sue trop, ou s'il a la peau extrêmement aride, si son caractere paroît changé, s'il a beaucoup de peine à cracher, la maladie est très dangereuse. §. 47. Il faut d'abord mettre le malade au régime, & avoir soin qu'il ne boive jamais trop froid. Sa boisson doit être la ptisane d'orge Nº. 2, ou le lait d'amande Nº. 4, ou celle Nº. 7. Les jus d'herbes, qui entrent dans cette derniere, sont un excellent remede dans ce cas; parcequ'ils fondent puissamment ce sang épais qui forme l'inflammation. Pendant que la fievre est extrêmement violente, que le malade ne crache pas suffisamment, qu'il rêve, qu'il a très mal à la tête, ou qu'il crache le sang pur, il faut donner le lavement Nº. 5, trois fois, ou au moins deux fois dans vingt-quatre heures. Mais le remede principal c'est la saignée. Dès que le froid a fini, il faut tirer tout à la fois douze onces de sang du bras, & même, si le malade est jeune & robuste, quatorze ou seize. Cette forte saignée soulage plus, que si on tiroit vingt-quatre onces en trois fois. §. 48. Quand la maladie est telle qu'elle est décrite §. 45, cette saignée soulage considérablement le malade, pendant quelques heures; mais le mal revient, & pour prévenir cela, il faut, à moins que tout n'aille extrêmement bien, réiterer la saignée au bout de quatre heures, & tirer encore douze onces de sang. Souvent cela suffit. Mais si au bout de huit ou dix heures, la maladie paroissoit se ranimer, il faudroit réiterer une troisieme, même une quatrieme fois. Mais en employant les autres secours nécessaires, j'ai rarement eu besoin de cette quatrieme saignée, & fréquemment je m'en tiens aux deux premieres. S'il y a plusieurs jours que la maladie a commencé, si la fievre est encore forte, la respiration difficile, si le malade ne crache pas, ou s'il crache trop de sang, il faut, sans s'embarrasser du jour, faire une saignée, fût-ce le dixieme. Le sang dans cette maladie, & dans toutes les autres maladies inflammatoires, est extrêmement épais; &, presque d'abord qu'on l'a tiré, il se forme dessus, cette peau blanche, coriace, que chacun connoît, & qu'on appelle _croute pleurétique_. L'on regarde comme un bien, lorsque dans chaque saignée, elle devient moins dure & moins épaisse que dans les précédentes. Cela est généralement vrai, si en même tems le malade se trouve mieux; mais si l'on ne faisoit attention qu'au sang seul, on se tromperoit souvent. Il arrive même, que dans l'inflammation de poitrine la plus violente, cette croute ne se forme point; ce qu'on regarde comme un signe très dangereux. Il y a d'ailleurs, à cet égard plusieurs bisarreries, qui dépendent des plus petites circonstances: ainsi il ne faut point se fonder uniquement sur cette croute, pour regler les saignées; &, en général, il ne faut pas trop croire que l'état du sang dans la palette, puisse nous faire juger avec certitude de son véritable état dans le corps. §. 49. Quand le malade est dans l'état décrit (§. 46.) non seulement la saignée ne sert à rien; mais quelquefois même elle est nuisible, par le prompt affoiblissement dans lequel elle jette; &, en général, dans ce cas, tous les remedes sont inutiles; & c'est toujours une très mauvaise marque, dans cette maladie, quand la saignée ne soulage pas, ou quand il y a des circonstances qui obligent à la menager. §. 50. Tous les jours l'on mettra les jambes, une demi heure, dans un bain d'eau tiede, en envelopant exactement le malade, afin que le froid n'arrête pas la transpiration que le bain favorise. §. 51. De deux en deux heures, il prendra une tasse de la potion Nº. 8, qui facilite toutes les évacuations, & principalement les crachats. §. 52. Quand l'oppression est considérable, & la toux seche, l'on fait respirer au malade la vapeur de l'eau bouillante, dans laquelle on a mis un peu de vinaigre. Pour cela on s'y prend de deux façons; ou en mettant sous le visage du malade, qui doit être assis, un vase rempli de cette eau chaude, & en envelopant la tête du malade, & le vase avec un linge qui retient la vapeur; ou en lui tenant devant la bouche, une éponge trempée dans cette même liqueur bouillante. La seconde méthode est moins efficace, mais elle fatigue moins le malade. Quand le mal est très pressant, on emploie au lieu d'eau, le vinaigre pur; & souvent cette vapeur a sauvé des malades, qui paroissoient au bord du tombeau: mais il faut qu'elle soit continuée pendant plusieurs heures. §. 53. L'on applique aussi avec succès, sur la gorge & sur la poitrine, les remedes Nº. 9. §. 54. Quand la fievre est extrêmement forte, il faut donner toutes les heures, une cuillerée de la potion Nº. 10; mais sans que cela fasse rien diminuer de la quantité des autres boissons qu'on peut prendre immédiatement après, ou auxquelles on peut la mêler. §. 55. Tant que le mal empire, ou reste dans le même état, il faut continuer les mêmes secours; mais si le troisieme (ce qui est rare), le quatrieme, le cinquieme jour, le mal prend une tournure plus favorable, si les redoublemens sont moins violens, la toux moins forte, les crachats moins sanglans, la respiration plus aisée, la tête plus dégagée, la langue un peu moins seche, les urines moins rouges, & plus abondantes; il suffit alors de se tenir au regime, & de prendre un lavement tous les soirs. Souvent le redoublement du quatrieme jour est le plus fort. §. 56. La maladie acheve de se dissiper par les crachats; souvent par les urines, qui, le sept, ou le neuf, ou le onzieme jour, quelquefois dans les jours intermediaires, commencent à déposer un sédiment d'un blanc roux très abondant, quelquefois un vrai pus. Ensuite il survient des sueurs, qui alors sont favorables autant qu'elles étoient nuisibles au commencement. Quelques heures avant que les évacuations dont je parle viennent, il survient quelquefois différens accidens très effrayans, comme de l'angoisse, des palpitations, de l'irrégularité dans le pouls, plus d'oppression, des mouvemens convulsifs, (c'est ce qu'on appelle l'état critique); mais ils ne sont pas dangereux, moyennant qu'on ne fasse rien mal-à-propos. Ces accidens dépendent de l'humeur purulente qui se déplace, circule dans les humeurs, & irrite différentes parties, jusqu'à ce que l'évacuation ait commencé; alors tous les accidens finissent, & ordinairement le sommeil revient. Mais je dois insister sur la nécessité de la prudence dans ces circonstances. Quelquefois c'est la foiblesse, d'autres fois les convulsions, ou quelques autres accidens, qui effraient. Si l'on fait, comme il arrive tous les jours, la sottise d'ordonner des remedes particuliers pour ces accidens, comme des cordiaux spiritueux, de la thériaque, des confections, du castor, de la rue, l'on trouble la nature dans ses opérations; la crise ne se fait point; la matiere qui devoit s'évacuer, ou par les selles, ou par les urines, ou par la sueur, ne s'évacue point; mais elle se dépose sur quelque partie interne ou externe. Si c'est sur une partie interne, le malade meurt d'abord, ou il se forme une nouvelle maladie plus facheuse, & moins guerissable que la premiere. Si c'est sur l'extérieur du corps, le malheur est moins grand, & il faut, dès qu'on s'en apperçoit, mettre sur cette partie des cataplasmes émolliens, qui l'amenent à maturité, & l'ouvrir dès qu'on le peut. §. 57. Pour prévenir ces accidens, il faut quand les symptomes effrayans, dont j'ai parlé surviennent, ne rien changer du tout au traitement, excepté qu'on doit donner le lavement émollient Nº. 5, & appliquer de deux en deux heures, une flannelle trempée dans l'eau tiede, qui couvre tout le ventre, & fasse presque tout le tour du corps, derriere les reins. L'on peut aussi augmenter un peu la quantité de la boisson, & diminuer celle de la nourriture pendant tout le tems que cet état violent dure. §. 58. Je n'ai point parlé d'émétique, ni de purgatifs; parcequ'ils sont tout-à-fait contraires dans cette maladie. Les anodins, ou remedes propres à faire dormir, sont aussi généralement mauvais. Il y a quelques cas cependant, dans lesquels ils peuvent être utiles; mais ils sont si difficiles à connoître, qu'on ne doit jamais se les permettre, quand on n'a pas un Medecin. J'ai vu plusieurs malades, que ces remedes pris mal-à-propos, ont jettés dans une étisie incurable. Lorsque tout a bien été, ordinairement le malade est très bien le quatorzieme jour; & alors on peut, s'il a appetit, le mettre au regime des convalescens §. 42. S'il a encore du dégoût, la bouche mauvaise, la tête pesante, on doit le purger avec la potion Nº. 11. §. 59. Il survient quelquefois des saignemens de nez, même après plusieurs saignées, qui sont très favorables, & soulagent ordinairement beaucoup plus que les saignées. On doit s'attendre à ces saignemens, lorsqu'après les saignées, le malade est mieux à plusieurs égards, & qu'il reste encore un grand mal de tête, avec les yeux vifs & le nez rouge. Il ne faut rien faire pour les arrêter; ce qui seroit très dangereux. Ils s'arrêtent d'eux-mêmes. D'autres fois, mais plus rarement, la maladie se dissipe par une diarrhée, legerement douloureuse, de matieres bilieuses. §. 60. Si les crachats se suppriment tout-à-coup sans qu'il survienne aucune autre évacuation, l'oppression & l'angoisse reviennent d'abord, & le danger est pressant. Si la maladie n'est pas fort avancée, si le malade est robuste, s'il n'a pas été beaucoup saigné, s'il y avoit encore du sang dans les crachats, si le pouls est fort ou dur, il faut sur-le-champ saigner, faire respirer continuellement la vapeur d'eau chaude & de vinaigre, & faire boire beaucoup de la ptisane Nº. 2, plus chaude qu'à l'ordinaire. Si les circonstances sont opposées; au lieu de la saignée, il faut appliquer deux vesicatoires aux jambes, & faire boire beaucoup de la ptisane Nº. 12. Les causes qui produisent le plus souvent cette suppression des crachats, sont 1. un refroidissement subit; 2. l'air trop chaud; 3. les remedes trop échauffans; 4. les sueurs trop abondantes; 5. un purgatif pris mal à propos; 6. quelque passion trop vive. §. 61. Quand on n'a pas saigné suffisamment, ou assez tôt, quelquefois même, comme je l'ai vu, quand on a si fort affoibli le malade, par trop de saignées, que les évacuations par les selles, les urines, les crachats, la transpiration, ne sont pas bien faites; quand ces évacuations ont été dérangées par quelqu'autre cause, ou que la maladie n'a pas été bien traitée, les vaisseaux enflammés ne se débarrassent pas de l'humeur qui les engorge; mais il arrive, dans le poulmon, ce que chacun voit arriver tous les jours sur la peau. Si une tumeur inflammatoire ne se résout pas, si elle ne se dissipe pas insensiblement, elle devient abcès. Il en est de même du poulmon; si l'inflammation ne se dissipe pas, elle se change en abcès, qu'on appelle vomique; & cet abcès, comme ceux qu'on voit à l'extérieur, reste souvent enfermé long-tems dans son sac, sans que ce sac se creve & que le pus s'épanche. §. 62. Si l'inflammation n'étoit pas extrêmement profonde dans le poulmon, & qu'elle s'étendît jusques à sa surface, c'est-à-dire près des côtes, le sac creve à l'extérieur du poulmon, & le pus se répand dans la cavité de la poitrine, entre le poulmon, les côtes & le diaphragme (c'est cette membrane qui sépare la poitrine du ventre). Quand l'inflammation est plus profonde, alors l'abcès se creve dans l'intérieur même du poulmon. Si l'ouverture est petite, de façon qu'il ne puisse sortir que peu de pus à la fois, si la quantité totale du pus n'est pas considérable, si le malade est encore fort, il crache ce pus & se trouve soulagé. Mais si la vomique est considérable, ou si l'ouverture est grande, & qu'il se répande une grande quantité de pus à la fois, ou si le malade est très foible, il meurt dans le moment où la vomique s'ouvre, & cela quelquefois lorsqu'on s'y attend le moins. J'ai vu un malade mourir, en portant une cuilleree de soupe à sa bouche; un autre en se mouchant. Il n'y avoit aucun symptome, qui pût faire croire leur mort plus prochaine dans ce moment que quelques heures auparavant. Le pus sort ordinairement par la bouche, après la mort; & les cadavres sont très promptement corrompus. L'on appelle _vomique couverte_, celle qui n'a pas percé; _ouverte_ celle qui est rompue. Il est important de traiter exactement cette matiere, parceque ces vomiques tuent beaucoup de gens dans les campagnes, sans qu'on soupçonne même dequoi ils meurent. J'en ai eu un exemple, il n'y a que quelques jours, chez un Regent de village. Il avoit une vomique couverte, très considérable dans le poulmon gauche, qui étoit la suite d'une inflammation de poitrine mal conduite dans les commencemens. Il me parut qu'il ne pouvoit pas vivre vingt-quatre heures; & il mourut en effet dans des angoisses inexprimables. J'ai lieu de croire, qu'il mourut quand la vomique creva; il sortit beaucoup de pus de sa bouche après sa mort. §. 63. L'on ne peut ni voir, ni toucher, ce qu'il y a dans la poitrine; c'est ce qui fait que souvent l'on n'a pas connu les vomiques. Les signes suivans font présumer qu'elles se forment. Les évacuations qui sont nécessaires pour la guerison n'ont pas eu lieu dans les quatorze premiers jours. Au bout de ces quatorze jours, le malade n'est pas gueri, ni même considérablement soulagé; mais au contraire, la fievre continue d'être assez forte, avec un pouls toujours vite, ordinairement mol & foible, quelquefois cependant assez dur, souvent ondoyant; la respiration est encore gênée, avec de petits frissons de tems en tems, un redoublement de fievre le soir, les joues rouges, les levres seches, de l'altération. L'augmentation de ces mêmes symptomes, annonce que le pus est tout formé; la toux est plus continue; elle redouble au moindre mouvement, ou dès que le malade a pris quelque nourriture; il ne peut se coucher que du côté malade, souvent il ne peut point se coucher du tout; mais il est obligé d'être tout le jour assis, quelquefois même sans oser s'appuyer sur les reins, crainte d'augmenter la toux & l'oppression; il ne peut point dormir; il a une fievre continue, & souvent des intermittences dans le pouls. Non-seulement la fievre augmente tous les soirs; mais la plus petite dose d'alimens, le plus leger mouvement, un peu de toux, une legere agitation de l'ame, un peu de chaleur dans la chambre, un bouillon un peu trop fort ou un peu trop salé, augmentent dans le moment la vitesse du pouls. Le malade est inquiet, il a des momens d'angoisse terribles, accompagnés & suivis de sueurs sur la poitrine, & surtout au visage. Il sue pendant la nuit; ses urines sont rougeâtres, quelquefois écumeuses, d'autres fois huileuses. Il lui monte tout à coup des feux au visage; il a ordinairement un gout horrible dans la bouche, chez les uns, de vieux fromage, chez les autres, d'oeufs pourris ou de viande corrompue: ils maigrissent considérablement. Il y en a que rien ne désaltere, ils ont la bouche & la langue seches, la voix foible & rauque, les yeux enfoncés, souvent quelque chose d'un peu égaré dans la vue; ils ont un dégout général; & s'ils desirent certains alimens avant que de les voir, ils les rebutent dès qu'on les leur offre; les forces se perdent. Outre ces symptomes, l'on remarque quelquefois, du côté malade, une très legere enflure, & un changement de couleur presqu'insensible. Si la vomique est placée tout à fait au bas du poulmon, dans la partie intérieure, c'est-à-dire, près du milieu de la poitrine, on peut sentir, dans quelques sujets, du gonflement, en pressant le creux de l'estomac, surtout quand le malade tousse. §. 64. Quand une vomique est formée, tant qu'elle ne se vuide pas, tous les accidens que j'ai détaillés augmentent, & la vomique s'étend; tout le côté du poulmon malade devient quelquefois un sac de pus; le côté sain est comprimé; le malade meurt suffoqué, après des angoisses terribles, avec le poulmon plein de pus, sans en avoir jamais craché. Il est important, pour éviter ces malheurs, de procurer la rupture de la vomique, dès que l'on est sûr qu'elle existe; & comme il vaut mieux qu'elle se rompe dans le poulmon, parcequ'alors on peut la cracher, que dans la cavité de la poitrine, par les raisons que je détaillerai plus bas, il faut faire en sorte que cette rupture se fasse intérieurement. §. 65. Les moyens les plus efficaces pour cela, sont 1. de faire respirer continuellement au malade la vapeur d'eau chaude. 2. Quand on a, par ce moyen, ramolli la partie du sac de l'abcès, où l'on souhaite que la rupture se fasse, on donne au malade une grande quantité de liquide, & d'un liquide fort émollient; comme ptisane d'orge, lait d'amande, bouillon gras, eau & lait. Par là on tient l'estomac toujours plein, & la résistance au poulmon étant considérable de ce côté, les matieres se portent naturellement du côté de la trachée artère, ou conduit de l'air, où il y a moins de résistance. D'ailleurs, cette plénitude de l'estomac contribue à exciter la toux; ce qui est un bien. 3. On cherche à faire tousser le malade, en lui faisant flairer du vinaigre chaud, ou en injectant, dans la gorge, au moyen d'une petite seringue, telle que les enfans en font partout avec du sureau, un peu d'eau ou de vinaigre. 4. On le fait crier, lire, rire; tous ces moyens contribuent à faire rompre l'abcès, aussi bien que le suivant. 5. On le met dans une voiture qui le secoue, mais après avoir eu le soin de lui faire prendre beaucoup des boissons que je viens d'indiquer. Les secousses décident quelquefois tout-à-coup cette rupture. §. 66. J'ai vu, il y a quelques années, une servante de campagne, qui après une inflammation de poitrine, restoit languissante, sans qu'on soupçonnât son mal; s'étant mise sur une charrette, qui alloit chercher du foin, la roue heurta violemment contre un arbre; elle s'évanouit, & au même instant, rendit beaucoup de pus. Elle continuoit à en cracher; c'est alors que je fus instruit de son mal, & de ce qui lui étoit arrivé. Elle guerit très bien. Un Officier de ce pays, servant en Piemont, languissoit depuis quelques mois, & venoit chez lui pour essayer de se remettre, sans l'esperer beaucoup. En entrant au pays, par la route de S. Bernard, étant obligé de faire quelques pas à pied, il fit une chute, resta évanoui pendant plus d'un quart d'heure, rendit une grande quantité de pus, & se trouva dans le moment même extrêmement soulagé. Je lui ordonnai un regime, & des remedes, il se rétablit parfaitement, & dut peut-être la vie à cet accident. 6. On fait prendre de deux en deux heures une cuillerée à soupe de la potion Nº. 8. §. 67. Plusieurs malades ont un évanouissement au moment où la vomique s'ouvre. On peut leur faire flairer un peu de vinaigre. §. 68. Si le malade n'étoit pas trop affoibli avant la rupture de l'abcès, si le pus est blanc, bien conditionné, si la fievre diminue, si l'angoisse, l'oppression, les sueurs finissent, si la toux est moins violente, si le malade a plus d'aisance dans sa situation, s'il recouvre le sommeil, & l'appetit, si ses forces reviennent, si la quantité des crachats diminue journellement par degrés, si les urines redeviennent meilleures; l'on doit espérer, qu'en employant les secours que je vais prescrire, le malade se guerira radicalement. §. 69. Mais, au contraire, quand les forces sont épuisées avant la rupture, que la matiere est trop claire, brune, verte, jaune, sanglante, puante; que le pouls reste vîte & foible; que l'appétit, les forces, le sommeil ne reviennent pas, l'on ne doit point espérer de guérison, & les meilleurs remedes sont inutiles: l'on doit cependant les tenter. §. 70. Ces remedes sont: 1º. Si la matiere paroit épaisse, gluante, qu'elle ait de la peine à se détacher, il faut donner de deux en deux heures, une cuillerée à soupe de la potion Nº. 8, & boire entre deux, de demi-heure en demi-heure, une tasse de la boisson Nº. 13. L'on prend de quatre heures en quatre heures, un peu de crême d'orge, ou de ris. 2º. Quand la matiere n'a pas besoin de ces remedes pour être évacuée, on ne les emploie pas, mais on continue la même nourriture qu'on mêle avec parties égales de lait, ou à laquelle, ce qui est beaucoup plus efficace, on substitue la même quantité de lait fraîchement tiré d'une bonne vache, qui dans ce cas fait la seule nourriture du malade. 3º. On lui donne quatre fois par jour, de deux en deux heures, en commençant de bon matin, une prise de la poudre Nº. 14, délayée dans un peu d'eau, ou réduite en bol avec un peu de syrop ou de miel. Sa boisson ordinaire est, ou un lait d'amande, ou une ptisane d'orge, ou de l'eau avec un quart de lait. 4º. Il faut se promener tous les jours à cheval, en voiture, en charrette, suivant que les forces & les circonstances le permettent. Mais de tous ces exercices, celui du trot du cheval est sans comparaison le plus utile & le plus à la portée de tout le monde. §. 71. Le peuple, peu instruit, ne regarde comme reméde, que ce qu'on avale. Il a peu de foi au régime & aux autres secours diététiques; il regardera l'exercice du cheval comme inutile. C'est une erreur dangereuse, dont je voudrois le désabuser. Ce secours est le plus efficace de tous; celui sans lequel on ne doit point espérer de guérir ce mal, quand il est grave; celui qui peut presque le guérir seul, moyennant qu'on ne prenne point d'alimens contraires; enfin on l'a regardé, avec raison, comme le vrai spécifique de cette maladie. §. 72. 5º. Les influences de l'air sont plus considérables dans cette maladie que dans aucune autre; ainsi l'on doit chercher à le rendre bon dans la chambre du malade. Pour cela il faut l'airer très souvent, la parfumer de tems en tems, mais très legerement, avec un peu de vinaigre, & y mettre dans la saison le plus d'herbes, de fleurs, de fruits qu'il sera possible. Si l'on a le malheur d'être dans un air mal-sain, il y a peu d'espoir de guérir, à moins qu'on n'en change. §. 73. Il y a des malades qui se sont guéris de ces maladies, les uns en ne prenant quoi que ce soit que du petit lait de beure, (de la battue); les autres, des melons & des concombres, ou des fruits d'été de toute espece. Mais je conseille de s'en tenir à la méthode que je viens d'indiquer, comme la plus sûre. §. 74. Il suffit que le malade aille à la selle de deux, ou même de trois jours l'un: ainsi il ne faut pas prodiguer les lavemens, ils pourroient procurer une diarrhée qui seroit très à craindre. Quand le pus diminue, & que le malade se trouve mieux à tous égards, c'est une preuve que la plaie se nettoie & se cicatrise peu à peu. Si la suppuration continue à être abondante, si le pus paroît moins beau, si la fievre revient tous les soirs, il est à craindre que la plaie, au lieu de se cicatriser, ne dégénere en ulcere; ce qui est très fâcheux. Le malade tombe alors dans l'étisie confirmée, & meurt au bout de quelques mois. §. 75. Je ne connois point de meilleur remede, dans ce cas, que la continuation des mêmes §. 70. & sur-tout le cheval. On peut, dans quelque cas, employer les parfums d'eau chaude avec les herbes vulnéraires & un peu d'huile de térébenthine Nº. 15. Je les ai vu réussir; mais le plus sûr est de consulter un Médecin, qui examine s'il n'y a point quelque complication qui met obstacle à la guérison. Si la toux empêche le malade de dormir, on peut lui donner le soir deux ou trois cuillerées à soupe du remede Nº. 16, dans un verre de lait d'amande ou de ptisane d'orge. §. 76. Les mêmes causes qui suppriment tout-à-coup les crachats dans l'inflammation de poitrine, peuvent aussi arrêter l'expectoration commencée d'une vomique; alors le malade tombe dans l'oppression, l'angoisse, la fievre, la foiblesse. Il faut remédier sur le champ à cet état par la vapeur de l'eau chaude, une cuillerée de la potion Nº. 8, toutes les heures; une grande quantité de ptisane Nº. 12, & de l'exercice. Dès que l'expectoration revient, la fievre & les autres accidens cessent. J'ai vu cette suppression, chez des sujets robustes, occasionner promptement une inflammation au tour de la vomique, qui m'obligeoit à faire une saignée, après laquelle le crachement revenoit d'abord. §. 77. Il arrive souvent que la vomique se nettoie entierement; les crachats tarissent presque tout à fait, le malade est bien, il se croit guéri; bien-tôt le mal-aise, l'oppression, la toux, la fievre recommencent; il vuide une nouvelle vomique, crache pendant quelques jours, & se remet. Au bout de quelque tems la même scene reparoit, & cette alternative de bien & de mal dure souvent pendant des mois & des années: ce cas a lieu quand la vomique se nettoie peu à peu & que ses parois se rapprochent sans se cicatriser, alors il suinte insensiblement une nouvelle matiere. Pendant quelques jours, le malade n'en est point incommodé; mais dès qu'il y en a une certaine quantité, il est mal jusqu'à ce que l'évacuation soit faite. L'on voit des gens, avec ce mal, jouir en apparence d'une assez bonne santé. On peut le regarder comme une espece de cautere intérieur qui se nettoie de lui-même de tems en tems, chez les uns souvent, chez les autres rarement, & avec lequel on peut vivre assez long-tems. Quand il a duré un certain tems, il est incurable. Dans les commencemens il cede au lait, à l'exercice du cheval, & à l'usage du remede Nº. 14. §. 78. L'on sera surpris que je ne parle point, dans le traitement d'un abcès au poulmon, & de l'étisie ou phtysie qui en est la suite, des remedes qu'on appelle balsamiques, qu'on emploie si fréquemment, comme la térébenthine, le baume du Pérou, celui de la Mecque, l'encens, le mastic, la myrrhe, le storax, le baume de soufre. J'en dirai un mot, parcequ'il est autant de mon objet de détruire les préjugés favorables aux mauvais remedes, que d'accréditer les bons. Je dis donc que si je n'ai point employé ces remedes, c'est que je suis convaincu que les effets en sont généralement fâcheux dans ces cas; que je vois tous les jours qu'ils font un mal très réel; qu'ils retardent la guérison, & que souvent ils rendent mortelle une maladie très guérissable. Ils ne se digerent point; ils obstruent les petits vaisseaux du poulmon, qu'il faudroit désobstruer; ils occasionnent évidemment, à moins que la dose ne soit extrêmement petite, de la chaleur & de l'oppression. J'ai vu plusieurs fois, aussi clairement qu'il étoit possible, que des pilules dans lesquelles entroient la myrrhe, la térébenthine & le baume du Pérou, occasionnoient, au bout d'une heure, de l'agitation dans le pouls, de la rougeur, de l'altération & de l'oppression. Enfin l'on pourroit démontrer à toute personne non prévenue, que ces remedes sont réellement nuisibles dans ce cas; & je souhaite ardemment qu'on se désabuse sur leur compte, & qu'ils perdent cette réputation qu'ils ont malheureusement usurpée. Je sais qu'un grand nombre de très habiles gens les emploient journellement dans ces maladies; mais ils les quitteront dès qu'ils se donneront la peine d'observer leurs effets, indépendamment de ceux des autres remedes auxquels ils les mêlent, & qui en corrigent le danger. J'ai vu un malade qu'un Chirurgien étranger, qui demeuroit à Orbe, avoit voulu guérir d'une étisie, en lui faisant prendre du lard fondu, qui avoit augmenté le mal. Ce conseil paroît absurde, & il l'est: cependant les balsamiques qu'on ordonne ne se digerent peut-être gueres mieux que le lard. La poudre Nº. 14 tient tout ce que les balsamiques promettent; elle n'a aucun de leurs inconvéniens, & elle a toutes les qualités qu'on leur prête; mais il ne faut pas la donner dans le tems qu'il y a encore inflammation, ou qu'elle survient de nouveau, & il ne faut mêler aucun autre aliment au lait. Ce fameux remede nommé l'antihectique, n'a point non-plus, dans ces cas, les vertus qu'on lui suppose. Je m'en sers très souvent dans quelques toux opiniâtres des enfans avec le lait, & alors il est très utile: mais j'en ai rarement vu des effets sensibles chez les grandes personnes, & dans ces cas je craindrois qu'il ne fît du mal. §. 79. Si au lieu de créver intérieurement, la vomique creve extérieurement, le pus s'épanche dans la poitrine. L'on connoît que cela est arrivé par le sentiment du malade, qui s'apperçoit d'un mouvement singulier, accompagné assez ordinairement d'une défaillance; l'oppression & l'angoisse finissent sur le champ, la fievre diminue; la toux continue cependant ordinairement, mais moins violente & sans aucune expectoration. L'amandement ne dure pas long-tems, parceque le pus augmentant tous les jours & devenant plus âcre, le poulmon se trouve gêné, irrité, rongé; la difficulté de respirer, la fievre, la chaleur, la soif, l'insomnie, le dégoût, la maigreur reviennent avec plusieurs autres accidens qu'il est inutile de détailler ici, & sur-tout de fréquentes foiblesses. Le malade doit être au régime, qui retarde le progrès du mal aussi long-tems qu'il est possible, mais il n'y a point de remede, que d'ouvrir la poitrine entre deux côtes, pour évacuer par ce moyen ce pus, & arrêter les desordres qu'il occasionne, c'est ce qu'on appelle l'opération de l'Empyeme. Je n'en parlerai pas, parcequ'elle ne doit être faite que par d'habiles gens, & ce n'est pas pour eux que j'écris. J'avertis seulement qu'elle est moins douloureuse qu'effrayante, & que si l'on attend trop long-tems à la faire, elle devient inutile, & le malade meurt misérablement. §. 80. L'on voit tous les jours que les inflammations extérieures se gangrennent. La même chose arrive au poulmon, quand la fievre est excessive, l'inflammation naturellement très violente, ou qu'on l'augmente par des remedes chauds. Une angoisse insoutenable, une très grande foiblesse, des défaillances fréquentes, le froid des extrémités, une eau livide & puante, qui sort au lieu de crachat, quelquefois des plaques noirâtres sur la poitrine, font connoître ce triste état. J'ai vu dans un cas de cette espece, chez un homme qui avoit été attaqué de cette maladie après une marche forcée à pied, & à qui l'on avoit donné un vin avec des aromates pour le faire suer, l'haleine si horriblement puante, que sa femme eut plusieurs foiblesses en le servant; je ne trouvai plus de pouls ni de raison, & je ne lui ordonnai rien. Il mourut une heure après, au commencement du troisieme jour. §. 81. L'Inflammation peut aussi se durcir, & il se forme alors ce qu'on appelle un squirrhe; c'est une tumeur fort dure, qui ne fait pas de douleur. On connoît que cela arrive, quand la maladie ne se termine d'aucune des façons dont j'ai parlé; que cependant la fievre & les autres accidens se dissipent; mais que la respiration reste toujours un peu gênée; que cependant le malade conserve un sentiment incommode dans un côté de la poitrine, & qu'il a de tems en tems une toux séche qui augmente après l'exercice & après le repas. Ce mal ne se guérit que bien rarement; mais on voit des gens qui en sont atteints & qui vivent longues années, sans de grands maux. Ils doivent éviter toutes les occasions d'échauffement qui pourroient aisément procurer une nouvelle inflammation au tour de cette tumeur, & les suites en seroient très dangereuses. §. 82. Les remedes les plus propres à détruire ce mal, & dont j'ai vu quelques bons effets, sont le petit lait Nº. 17, & les pilules Nº. 18. L'on prend vingt pilules, & une pinte de petit lait tous les matins pendant long-tems, & l'on respire de tems en tems la vapeur de l'eau chaude. §. 83. Le poulmon, dans l'état naturel de parfaite santé, touche la membrane qui tapisse l'intérieur de la poitrine, mais qui ne lui est pas attachée. Il arrive souvent, après l'inflammation de poitrine, la pleurésie, & dans d'autres cas, que ces deux parties se colent l'une à l'autre, & ne se détachent jamais; mais c'est à peine un mal. On l'ignore ordinairement, parceque la santé n'en est point dérangée, & l'on ne fait jamais rien pour y remédier. J'ai vu cependant quelques cas dans lesquels cette adhérence nuisoit évidemment. CHAPITRE V. _De la Pleurésie._ §. 84. La pleurésie, qu'on reconnoît principalement à ces quatre caracteres; une forte fiévre, de la peine à respirer, de la toux, & une vive douleur dans l'enceinte de la poitrine; la pleurésie, dis-je, n'est point une maladie différente de la péripneumonie dont je viens de parler; ainsi je n'ai presque rien à en dire de particulier. §. 85. La cause en est, tout comme de la premiere, une inflammation du poulmon; mais une inflammation peut-être plus extérieure. La seule différence considérable dans les symptômes, c'est que la pleurésie est accompagnée d'une douleur très vive que l'on sent sur les côtes, & que l'on appelle ordinairement _point_. Cette douleur se fait sentir indifféremment sur toutes les parties de la poitrine, mais plus ordinairement sur les côtes sous les mammelles, & peut-être plus souvent du côté droit. La douleur redouble quand on tousse & quand on inspire, c'est-à-dire, quand on tire l'air; & la crainte de l'augmenter, fait que quelques malades s'empêchant machinalement, autant qu'ils le peuvent, de tousser & de respirer, empirent leur état en arrêtant le sang dans le poulmon, qui bien-tôt en est rempli; l'inflammation devient générale, le sang se porte à la tête, le visage devient livide, le malade suffoque & tombe dans l'état décrit §. 46. Quelquefois la douleur est si violente, que si la toux est forte en même-tems, & que les malades ne puissent pas l'arrêter, ils ont des convulsions. Je l'ai vu plusieurs fois; mais presque toujours chez des femmes qui sont d'ailleurs beaucoup moins sujettes que les hommes à cette maladie & à tous les maux inflammatoires. Je dois avertir ici que si elles en sont attaquées dans le tems de leurs regles, cela ne doit ni empêcher les saignées réitérées, ni rien changer du tout au traitement. L'on voit par-là que la pleurésie n'est qu'une inflammation de poitrine, accompagnée d'une vive douleur. §. 86. Je sais que quelquefois l'inflammation du poulmon se communique à cette membrane qui tapisse intérieurement la poitrine, & qu'on appelle la pleure, & de-là aux muscles ou chairs qui sont sur les côtes; mais cela n'est pas ordinaire. §. 87. Le printems est la saison qui produit le plus de pleurésies[10]. Le mal commence par un frisson ordinairement très fort, suivi de chaleur, de toux, d'oppression, quelquefois d'un sentiment de resserrement dans toute la poitrine, de mal de tête, de rougeur de joues, d'envies de vomir. Le point ne se fait pas toujours sentir d'abord; souvent ce n'est qu'après plusieurs heures, quelquefois le second & même le troisieme jour. Le malade sent quelquefois deux points; mais il est rare qu'ils soient également forts, & le plus leger disparoit bien-tôt: d'autrefois le point change de place; ce qui est un bien si le premier se dissipe parfaitement, un mal s'ils subsistent tous deux. Le pouls est ordinairement très dur dans cette maladie; mais dans le cas fâcheux du §. 85, il devient mol & petit. Il vient souvent des crachats tels que dans l'inflammation de poitrine, dès les commencemens, d'autrefois il n'en vient point du tout: c'est ce qu'on appelle pleurésie séche, qui n'est pas rare. Quelquefois le malade tousse peu ou point: il se couche souvent plus aisément sur le côté malade que sur le sain. La marche de la maladie est la même que dans la maladie précédente. Comment seroit-elle différente, & les moyens de guérison les mêmes? Il survient souvent des saignemens de nez très considérables, & qui soulagent beaucoup; mais il en survient quelquefois d'une espece de sang corrompu, quand le malade est très mal, qui annoncent la mort. [10] Ces Pleurésies sont très communes ici lorsque les vents de Nord, d'Est, de Nord-Est regnent long-tems de suite dans l'hiver, & les vents de Sud, d'Est, de Sud-Est dans l'été. §. 88. Cette maladie est fréquemment produite par la boisson froide, que l'on prend ayant fort chaud, & alors elle est quelquefois si violente, qu'on l'a vue tuer le malade en trois heures. Un jeune homme mourut au pied de la fontaine même où il s'étoit désaltéré. Il n'est pas rare que les pleurésies tuent en trois jours. Le point disparoît quelquefois, & le malade se plaint moins; mais en même-tems son visage change & devient pâle & triste, ses yeux se troublent, le pouls s'affoiblit, c'est un transport de l'humeur au cerveau; ce cas est presque toujours mortel. Il n'y a point de maladie dans laquelle les symptômes critiques soient plus violens & plus marqués que dans celle-ci: il est bon d'en être averti pour ne pas trop s'effrayer. La guérison survient souvent au moment où l'on attendoit la mort. §. 89. Cette maladie est une des plus fréquentes & des plus meurtrieres, tant par elle-même, que dans nos campagnes par le mauvais traitement. Le préjugé qui veut que toutes les maladies se guérissent par les sueurs, regle tout le traitement de la pleurésie; & dès qu'un malade a un point, sur-le-champ on met en oeuvre tous les remedes chauds. Cette funeste erreur tue plus de gens que la poudre à canon, & elle est d'autant plus fâcheuse, que la maladie est plus violente. Dans celle-ci il n'y a pas un moment à perdre, tout dépend des premieres heures. §. 90. Le traitement est précisément le même, à tous égards, que dans la péripneumonie, parceque, je le répete, c'est la même maladie; ainsi les saignées, les boissons émollientes & délayantes, les vapeurs, les lavemens, la potion Nº. 8, les cataplasmes émolliens & les autres topiques Nº. 9, sont les vrais remedes; peut-être ces derniers sont-ils encore plus efficaces dans ce cas, & l'on doit en appliquer continuellement sur l'endroit où le point se fait sentir. La premiere saignée, surtout si elle est considérable, diminue presque toujours le point, & souvent le dissipe entierement; mais il revient ordinairement au bout de quelques heures, ou dans le même endroit, ou quelquefois ailleurs, ce qui est assez favorable, surtout si la douleur qui se faisoit d'abord sentir sous la mammelle, se jette aux épaules, au dos, à l'omoplate, à la nuque. Quand la douleur ne diminue point, ou peu; ou, si après avoir diminué, elle revient aussi violente que la premiere, surtout si elle revient dans le même endroit, & si la violence des autres symptômes dure, il faut réitérer la saignée; mais si la diminution du point subsiste, s'il ne revient que foiblement, de tems en tems, ou dans les parties dont je viens de parler; si la fréquence ou la dureté du pouls & tous les autres symptômes ont diminué, on peut quelquefois s'en passer. Il est cependant plus prudent, dans un sujet fort & robuste, de la faire; elle ne peut point faire de mal, & on court de grands risques en l'omettant. Dans les cas graves, on la réitere fréquemment, à moins qu'on ne trouve quelque obstacle dans la constitution du malade, ou dans son âge, ou dans quelques autres circonstances. Si dès le commencement, le pouls n'est que peu fréquent & peu dur, s'il n'est pas extrêmement fort, si le mal de tête & le point sont supportables, si la toux n'est pas trop violente, & si le malade crache, on peut se passer de la saignée. L'usage des autres remedes est précisément le même que dans le chapitre précédent, qu'il faut consulter depuis §. 50 jusqu'au §. 62. §. 91. Quand le mal n'est pas fort grave, j'ai guéri souvent en peu de jours par une seule saignée & une grande quantité d'infusion de fleurs de sureau préparée comme du thé, à laquelle on ajoutoit du miel. C'est dans des cas de cette espece qu'on a vu réussir quelquefois le faltran, ou les vulneraires de Suisse infusés comme du thé dans de l'eau, avec du miel & même de l'huile; mais la boisson précédente que j'indique est fort à préferer. La boisson qu'on fait avec parties égales d'eau & de vin, & à laquelle on ajoute beaucoup de thériaque, du poivre, de la canelle &c. tue toutes les années plusieurs paysans. §. 92. Dans les pleurésies seches, dans lesquelles le point, la fievre, le mal de tête sont très forts, le pouls très dur, très plein, avec une secheresse prodigieuse de la peau, & de la langue; il faut faire les saignées très près les unes des autres. Elles emportent souvent la maladie sans aucune autre évacuation. §. 93. La pleurésie se termine, tout comme l'inflammation plus profonde, par quelque évacuation, par un abcès, par la gangrene, ou par un endurcissement; & elle laisse très fréquemment des adhérences. La gangrene se manifeste quelquefois dès le troisieme jour, sans avoir été précédée par de grandes douleurs. Le cadavre, dans ce cas, noircit souvent beaucoup, surtout dans le voisinage du mal; & le peuple superstitieux attribue la maladie à quelque cause surnaturelle, ou en tire quelque présage facheux pour les restans. Ce cas est un effet tout naturel, tout simple, & ne peut pas être autrement. Le traitement chaud produit ordinairement ce malheur. Je l'ai vu chez un homme à la fleur de l'âge, qui avoit pris de la thériaque avec de l'eau de cerise, & du faltran au vin. §. 94. Il se forme des vomiques, mais leur situation leur donne plus de facilité à s'ouvrir en dehors, & de là résulte plus souvent l'empyeme, §. 79. Pour prévenir cet accident, «il est très bien de placer, dès le commencement de la maladie, à l'endroit le plus douloureux, une petite emplâtre, qui tienne exactement, parceque si la pleurésie dégénere en abcès, l'amas du pus se fera de ce côté-là. «Lors donc que l'on connoîtra qu'il se forme un abcès, (voyez §. 63) on rongera, par un caustique leger, l'endroit qu'on aura marqué, & dès qu'il sera ouvert, on aura soin d'y entretenir la suppuration. On peut alors avoir un espoir fondé, que l'amas du pus prendra son cours par cet endroit où il trouvera moins de resistance, & qu'il sortira; car l'amas de matiere s'arrête souvent entre la pleure, & les parties qui y sont adhérentes.» Il n'y a à dire, de l'endurcissement ou squirrhe & de l'adhérence, que ce que j'en ai dit §. 81, 82. §. 95. L'on remarque que quelques personnes, qui ont eu une attaque de cette maladie, ont souvent des rechûtes, surtout les ivrognes. J'en ai vu un qui les comptoit par douzaines. Quelques saignées, de tems en tems, pourroient prévenir ces retours fréquens, qui, joints à l'ivrognerie, les rendent languissans & stupides à la fleur de l'âge. Ils tombent dans une espece d'asthme, & de-là dans l'hydropisie; triste fin, digne de leur vie. Ceux qui peuvent s'astreindre à quelques soins, peuvent aussi les prévenir sans saignées, par un regime raffraichissant, en se privant de tems en tems de viande & de vin; en buvant du petit lait, ou d'une des boissons Nº. 1, 2, 4, & en prenant quelques bains de pied tiedes, surtout dans les saisons dans lesquelles ces maux ont accoutumé de revenir. §. 96. Il y a des remedes très usités dans cette maladie parmi le paysan, & vantés par quelques Medecins; le sang de bouquetin, & la suie dans un oeuf[11]. Je ne nie point, que bien des gens n'aient été gueris après l'usage de ces remedes; mais il n'en est pas moins vrai, qu'ils sont dangereux; ainsi il est prudent de ne jamais les employer, puisqu'il y a beaucoup de probabilité qu'ils feront un peu de mal, & une certitude qu'ils ne peuvent point faire de bien. On doit penser de même du genipi, ou absinthe des Alpes, qui s'est aussi acquis beaucoup de réputation. Il est aisé d'en déterminer l'usage. Le genipi, est puissamment amer; il échauffe & fait suer. L'on ne doit donc jamais l'employer dans une pleurésie, tant que les vaisseaux sont pleins, le pouls dur, la fievre forte, le sang enflammé. Dans tous ces cas il augmenteroit le mal; mais sur la fin de la maladie, quand les vaisseaux sont désemplis, le sang délayé, la fievre diminuée, alors on peut s'en servir, en se souvenant toujours qu'il est chaud, & qu'il faut l'employer sobrement. [11] Les fientes ou excrémens de cheval, de mulet, de poule, de coq. Le poivre & les autres épices & aromates dans de l'eau ou du vin. CHAPITRE VI. _Des maux de gorge, ou Esquinancies._ §. 97. La gorge est sujette à plusieurs maladies. L'une des plus fréquentes & des plus dangereuses, c'est l'inflammation, qu'on appelle ordinairement Esquinancie; qui est la même maladie, que l'inflammation de poitrine; mais dans une partie différente; ce qui fait que les symptomes sont fort différens. Ils varient même suivant les différentes parties de la gorge qui sont enflammées. §. 98. Les symptomes généraux de l'inflammation à la gorge sont, le frisson, la chaleur, la fievre, le mal de tête, les urines rouges, la difficulté, & quelquefois l'impossibilité d'avaler quoi que ce soit. Mais si les parties les plus voisines de la glotte, c'est-à-dire, de l'entrée du canal de la respiration, sont attaquées, il est très difficile de respirer. Le malade sent de l'angoisse, des suffocations; le mal gagne quelquefois la glotte, la trachée-artere, le poulmon, & la maladie est promptement mortelle. L'inflammation des autres parties est moins dangereuse, & elle l'est d'autant moins, que le mal est plus extérieur. Quand l'inflammation est générale, & qu'elle occupe toutes ces parties, & de plus, les amigdales, la luette, la base de la langue; c'est une des maladies les plus dangereuses, & les plus horribles. Le visage est enflé & enflammé; tout l'intérieur de la gorge l'est également; le malade n'avale quoi que ce soit; il respire avec une peine & une angoisse, qui, jointes à l'engorgement du cerveau, le jettent dans une espece de délire furieux; la langue enfle & sort de la bouche; les narines sont dilatées pour respirer; tout le col, jusques au-dessus de la poitrine, est d'un gonflement prodigieux; le pouls est fréquent & très foible, & souvent intermittent; le malade n'a point de forces, & meurt ordinairement le second ou le troisieme jour. §. 99. Quelquefois le mal quitte les parties intérieures, & se jette à l'extérieur; la peau du col & de la poitrine rougit & devient douloureuse, & le malade se sent mieux. D'autres fois le mal quitte la gorge, mais c'est pour se porter au cerveau, ou sur le poulmon. L'un & l'autre de ces deux derniers cas sont mortels, quand on n'a pas sur-le-champ de très bons secours, qui sont même très souvent inutiles. §. 100. L'espece la plus fréquente est celle qui attaque les amigdales & la luette. Le mal commence ordinairement par une des amigdales, qui devient grosse, rouge, douloureuse, & ne permet d'avaler qu'avec une très grande peine. Quelquefois le mal se borne à un seul côté; mais plus ordinairement il passe à la luette, & de là, à l'autre amigdale. Si le mal n'est pas grave, la premiere est ordinairement mieux, quand la seconde est attaquée. Lorsqu'elles le sont toutes deux ensemble, la douleur & le malaise sont très considérables, le malade ne peut avaler qu'avec la plus grande peine; & la sensibilité est si grande, que j'ai vu des femmes avoir des convulsions. L'on est même quelquefois plusieurs heures sans pouvoir rien prendre; tout le dessus de la bouche, le fonds du palais, un peu de la base de la langue sont legerement rouges. Plusieurs malades avalent le liquide plus difficilement que le solide, parceque le liquide a besoin de plus d'action de la part des muscles pour être dirigé. La salive est encore plus pénible que les autres liquides; parcequ'elle est un peu visqueuse, & coule moins aisément. Cette difficulté à l'avaler, jointe à la quantité qu'il s'en forme, produit ce crachement presque continuel, qui incommode beaucoup quelques malades; d'autant plus que l'intérieur des joues, les côtés & le bout de la langue, & les levres s'écorchent souvent. Cela les empêche aussi de dormir; mais ce n'est pas un mal; le sommeil est peu utile dans les maladies fievreuses. J'ai vu souvent que ceux qui avoient cru leur gorge presqu'entierement guerie le soir, y avoient très mal après quelques heures de sommeil. La fievre, dans cette espece, est quelquefois très forte, & le frisson dure souvent plusieurs heures; il est suivi d'une chaleur considérable, & d'un violent mal de tête, accompagné quelquefois d'assoupissement. Il y a ordinairement assez de fievre le soir; mais quelquefois très peu, & même point le matin. Un leger commencement de mal de gorge précede souvent le frisson; mais plus ordinairement, il ne se manifeste qu'après, en même tems que la chaleur. Le col est quelquefois un peu enflé, & plusieurs malades se plaignent d'une douleur assez vive dans l'oreille, du côté le plus malade. J'ai rarement vu qu'on en eût dans les deux. §. 101. Ou l'inflammation se dissipe peu à peu, ou il se forme un abcès dans la partie qui étoit la plus attaquée. Il n'est jamais arrivé, au moins je l'ignore, que cette espece bien conduite se terminât par la gangrene, ou par le durcissement; mais j'ai été témoin, que l'un & l'autre arrivent, quand on veut forcer les sueurs dans le commencement par des remedes chauds. Il est aussi très rare qu'il se fasse ces transports facheux sur le poulmon, comme dans l'espece des §. 98, 99. Il est vrai qu'il n'arrive pas fréquemment non plus que le mal se jette au-dehors, comme dans la même espece. §. 102. Le traitement de l'esquinancie est, aussi bien que celui de toutes les autres maladies inflammatoires, le même que celui de l'inflammation de poitrine. L'on met d'abord au regime §. 29; & dans l'espece (§. 98) il faut faire quatre ou cinq saignées dans peu d'heures, & quelquefois on est obligé d'y revenir. Quand elle est au degré le plus considérable, tous les remedes sont le plus souvent inutiles; mais il faut les tenter. L'on doit donner autant qu'il est possible, des boissons Nº. 2 & 4. Mais comme souvent la quantité qu'ils en peuvent avaler, est très petite, il faut donner des lavemens Nº. 5, de trois en trois heures, & mettre trois fois par jour, pendant une demi heure, les jambes dans l'eau tiede. §. 103. Les ventouses scarifiées, appliquées autour du col, après deux ou trois saignées, sont souvent extrêmement utiles. Dans des cas presque désespérés, quand le col est extrêmement gonflé, une ou deux incisions profondes, faites avec un rasoir, sur cette enflure extérieure, ont sauvé le malade. §. 104. Dans l'espece (§. 100) il faut très souvent en venir à la saignée; & il ne faut jamais l'omettre quand on trouve le pouls dur & plein. Il est très important de la faire d'abord; c'est le seul moyen de prévenir l'abcès, qui se forme avec une grande facilité, si l'on la différe seulement de quelques heures. Quelquefois il faut la réiterer. Il est rarement nécessaire d'en faire trois. Souvent le mal est assez leger pour pouvoir guérir sans saignées, moyennant beaucoup de menagement; mais ceux qui ne sont ni maîtres de leurs tems, ni en situation d'être soignés, doivent, sans hésiter, faire d'abord une saignée, qui emporte souvent le mal; surtout, si après l'avoir faite, le malade boit beaucoup d'infusion Nº. 2. Il suffit, dans cette espece, de prendre un bain de jambes, & un lavement par jour. On prend l'un le matin, & l'autre le soir. Outre les remedes généraux de l'inflammation, on en applique de particuliers sur le mal, dans l'une & l'autre espece. Les meilleurs sont, 1. des cataplasmes émolliens Nº. 9. sur tout le col. L'on vante beaucoup le cataplasme de nid d'hirondelles. Je ne le blâme pas; mais il est certainement moins efficace que tous ceux que j'indique. 2. Des gargarismes Nº. 19. L'on peut en faire plusieurs, qui ont à-peu-près les mêmes propriétés, & la même efficace. Ceux que j'indique, sont ceux qui m'ont le mieux réussi; & ils sont très simples. 3. La vapeur de l'eau chaude, comme dans le §. 52; l'on doit réiterer la vapeur, cinq ou six fois jour; avoir toujours un cataplasme, & se gargariser très souvent. Il y a des personnes, sans parler des enfans, qui ne savent pas se gargariser; la douleur rend même la chose difficile. Alors, au lieu de gargarismes, on peut injecter la même liqueur Nº. 19, avec une petite seringue. L'injection va bien plus avant que le gargarisme, & elle fait souvent cracher une quantité considérable de matieres glaireuses, épaissies au fond de la gorge; ce qui soulage sensiblement le malade. Il faut les réitérer souvent. L'on peut commodément employer à cet usage, une de ces petites seringues de sureau, que tous les enfans de village savent faire. §. 105. Quand le mal peut se guerir sans suppuration, la fievre, le mal de tête, la chaleur dans la gorge, la douleur en avalant, commencent à diminuer dès le quatrieme jour; quelquefois déja le troisieme, souvent seulement le cinquieme, & cette diminution augmente à grands pas; & au bout de deux, trois ou quatre jours, le malade est très bien. Il y en a cependant quelques-uns, qui conservent une très legere douleur, seulement d'un côté, pendant quatre ou cinq jours, mais sans fievre, & sans mal-aise. §. 106. Quelquefois la fievre, & ses accidens diminuent après la saignée & les autres remedes, sans qu'il survienne d'amandement dans la gorge, ni de signes de suppuration. Dans ces cas, il faut insister principalement sur les gargarismes & les vapeurs §. 104; & si l'on peut avoir un Chirurgien un peu adroit, il faut qu'il fasse une scarification sur les amigdales malades. Il en sort une certaine quantité de sang, & ce remede soulage très promptement presque tous ceux qui l'emploient. §. 107. Si l'inflammation ne se résout pas, mais qu'il se forme un abcès, ce qui arrive presque toujours si l'on a négligé les commencemens du mal; alors les accidens de la fievre continuent, quoiqu'un peu moins fortement après le quatrieme jour; la gorge reste rouge, mais cependant d'un rouge un peu moins vif; l'on conserve une douleur, mais plus sourde & accompagnée quelquefois de pulsations; d'autres fois il n'y en a point, ce dont il est bon d'être averti; le pouls devient ordinairement un peu plus mol, & le cinquieme ou le sixieme jour, quelquefois plutôt, l'abcès est prêt à s'ouvrir. On le connoît par une petite tumeur blanche & molle, quand on ouvre la bouche, qui paroit ordinairement au centre de l'inflammation. L'abcès se creve de lui-même, ou s'il ne s'ouvre pas, il faut l'ouvrir; ce qu'on fait en assujettissant fortement une lancette au bout d'un petit bâton, & l'enveloppant toute, excepté la pointe de la longueur d'un quart ou d'un tiers de pouce, avec un linge doux. L'on perce l'abcès avec la pointe de cette lancette. Au moment où l'abcès s'ouvre, la bouche est inondée d'un pus d'un gout & d'une odeur insoutenables. Il faut se gargariser avec le gargarisme détersif Nº. 19. L'on est quelquefois surpris de la quantité de pus qui sort de l'abcès. Il ne s'en forme ordinairement qu'un: j'en ai cependant vu quelquefois deux. §. 108. Il arrive, & ce cas n'est même pas rare, que le pus ne s'amasse pas précisément dans l'endroit où paroissoit la forte inflammation, mais dans quelque partie plus cachée; de façon que la facilité d'avaler revient presqu'entierement, la fievre diminue, le malade dort. L'on se persuade que l'on est gueri, & qu'il ne reste que les incommodités de la convalescence. Quand on n'est pas Medecin ou Chirurgien, il est aisé de s'y tromper. Voici les signes qui peuvent faire juger qu'il y a un abcès. Une inquiétude, & un mal-aise général, une douleur dans toute la bouche, quelques frissons de tems en tems, souvent des chaleurs vives & passageres, un pouls assez mou sans être naturel, un sentiment d'épaisseur & de pesanteur dans la langue, de petits boutons blancs sur les gencives, sur l'intérieur des joues, sur l'intérieur & l'extérieur des levres, un gout & une odeur désagréables. §. 109. Dans ces cas, il faut tenir souvent dans la bouche du lait, ou de l'eau, tiedes; recevoir la vapeur d'eau chaude, mettre autour du col des émolliens; tous ces secours disposent l'abcès à s'ouvrir. Il faut aussi chercher avec le doigt l'endroit où il est; & alors le Chirurgien peut aisément l'ouvrir. Il m'est arrivé une fois qu'il s'en perça un sous mon doigt, sans que je fisse aucun effort pour cela. On peut injecter de l'eau tiede par la bouche, ou par les narines, un peu fortement; cela occasionne quelquefois une espece de toux, ou des efforts qui le font ouvrir. J'en ai vu s'ouvrir en riant. L'on ne doit au reste point être inquiet de l'évenement. Je ne sache point d'exemple, qu'on soit mort d'une esquinancie, dès que la suppuration est formée, ni peut-être même, dès qu'elle a commencé à se former. §. 110. Les glaires, dont la gorge est remplie, & l'inflammation même de cette partie, qui, en irritant, produit le même effet que quand on porte le doigt, ou quelqu'autre corps, au fond de la gorge, font que le malade se plaint d'envies continuelles de vomir. Il faut être sur ses gardes, & ne pas croire que ce mal de coeur vienne d'embarras d'estomac, & exige un émétique. Ce seroit une grande faute, souvent, que d'en donner un; il peut, quand l'inflammation est forte, la rendre mortelle; ou l'on est obligé de faire une saignée pendant qu'il agit, pour diminuer sa violence; & cette imprudence laisse souvent le malade, lors même qu'il guerit, dans un état de langueur pendant long-tems. Il y a cependant quelques maux de gorge avec fievre, dans lesquels on peut faire vomir; mais c'est quand il n'y a point d'inflammation, ou quand on l'a dissipée, & qu'il reste des matieres putrides dans les premieres voies. J'en parlerai. §. 111. L'on voit souvent, dans ce pays, une maladie différente des maux de gorge dont je viens de parler, mais qui, comme eux, fait qu'on avalle difficilement. On l'appelle en françois les _oreillons_, & assez généralement, les _ourles_. C'est un engorgement des glandes qui servent à former la salive, & surtout des deux grosses, qui sont entre l'oreille & la machoire, qu'on appelle _parotides_, & des deux qui sont dessous la machoire, qu'on appelle _maxillaires_: elles se gonflent considérablement, & empêchent non-seulement d'avaler, mais même d'ouvrir la bouche; parceque les mouvemens sont très douloureux. Les enfans y sont beaucoup plus exposés que les grandes personnes. Comme ordinairement il n'y a pas de fievre, il ne faut point de remede. Il suffit de tenir les parties malades à l'abri du grand air, & d'y appliquer, si l'on veut, quelque cataplasme; de diminuer beaucoup la quantité de ses alimens, de se priver de viande & de vin, & de faire un usage abondant de quelque liqueur chaude, qui délaie les humeurs & rétablisse la transpiration. Je me gueris de ce mal, il y a sept ans, en ne buvant, pendant quatre jours, que du thé de melisse, auquel je joignis un quart de lait, & très peu de pain. Le même regime m'a gueri souvent de legers maux de gorge. §. 112. Il y a eu ici, ce printems, une quantité étonnante de maux de gorge, de deux especes. Les uns, dont je ne dirai rien, étoient des maux de gorge ordinaires, tels que je les ai décrits. Sans avoir rien de particulier, ils ont été fréquens parmi les adultes, & ont très bien gueri par la méthode que j'ai proposée. Les autres, dont je dirai quelque chose, parceque je sais qu'ils ont regné dans quelques villages, & qu'ils y ont fait du ravage, attaquoient aussi les adultes, mais surtout les enfans, depuis l'âge d'un an, même au dessous, jusques à douze ou treize. Les premiers symptomes étoient, comme dans les maux ordinaires, le frisson, la chaleur, l'abbattement, le mal de tête, le mal de gorge: mais ce qui les distinguoit; c'est 1. que, souvent les malades avoient de la toux, & un peu d'oppression. 2. Le pouls étoit plus vite, mais moins dur & moins fort, qu'il ne l'est ordinairement dans les maux de gorge. 3. Ils avoient une chaleur acre, seche, & une grande inquiétude. 4. Ils crachoient moins qu'on ne crache ordinairement dans le mal de gorge, & avoient la langue très seche. 5. Quoiqu'ils eussent de la peine à avaler, cependant ce n'est pas ce qui les incommodoit le plus, & ils pouvoient boire suffisamment. 6. Le gonflement & la rougeur des amigdales, de la luette, & du fond du palais, n'étant que peu considérables, mais les glandes parotides & maxillaires, & surtout les premieres, étant extrêmement gonflées, & enflammées, la douleur dont ils se plaignoient le plus, étoit cette douleur extérieure. 7. Quand le mal étoit grave, tout le col se gonfloit; & quelquefois même les vaisseaux qui rapportent le sang du cerveau étant gênés, les malades avoient de l'assoupissement & du délire. 8. Les redoublemens de la fievre étoient assez irreguliers. 9. Les urines n'étoient pas aussi enflammées que dans les autres maux de gorge. 10. La saignée & les autres remedes ne les soulageoient pas aussi promptement, & le mal étoit plus long. 11. Il ne venoit pas à suppuration, comme les autres especes, mais quelquefois les amigdales s'ulceroient. 12. Presque tous les enfans, & un très grand nombre d'adultes poussoient, ou dès le premier jour, ou seulement les jours suivans, jusques au sixieme, une ébullition, qui, chez quelques-uns, ressembloit assez à la rougeole; mais d'une couleur moins vive, & sans aucune élevation. Elle commençoit au visage, au bras, de-là aux jambes, aux cuisses, au corps, & se retiroit peu-à-peu, au bout de deux ou trois jours, dans le même ordre qu'elle avoit observé en poussant. D'autres, en très petit nombre (je n'en ai vu que cinq), éprouvoient tous des accidens plus graves avant l'éruption, & poussoient le vrai pourpre ou milliaire blanc. 13. Quand ces ébullitions avoient poussé, ils se trouvoient ordinairement mieux. La derniere duroit quatre, cinq, ou six jours, & se terminoit souvent par des sueurs. Ceux qui ne les ont pas eues, & c'est le cas de plusieurs adultes, n'ont pu se guerir que par des sueurs abondantes sur la fin: car au commencement elles étoient inutiles, & même nuisibles. 14. J'ai vu quelques personnes, chez lesquelles le mal de gorge s'est dissipé entierement, sans qu'il eût rien poussé, & sans suer; mais qui restoient dans une inquiétude & dans une angoisse très fortes, avec un pouls vite & petit. Je leur ordonnois une boisson sudorifique: alors l'éruption, ou les sueurs venant, elles se trouvoient bien. 15. Soit qu'elles aient eu l'ébullition ou qu'ils ne l'aient pas eue, tous ont perdu la premiere peau par grandes écailles, dans tout le corps; tant ce venin, qui devoit s'évacuer par la peau, avoit d'âcreté. 16. Un grand nombre éprouvoient un changement singulier dans la voix, différent de celui des maux de gorge ordinaires; l'intérieur des narines étoit extrêmement sec. L'on a eu plus de peine à se remettre qu'après les maux de gorge ordinaires; & si l'on se négligeoit dans la convalescence, surtout si l'on s'exposoit trop tôt au froid, il survenoit une rechûte, ou différens accidens, tels que de l'oppression, un gonflement de ventre, différentes enflures, de la langueur, du dégout, des écoulemens derriere les oreilles, de la toux, de l'enroueüre. 17. J'ai été appellé pour des enfans, & même quelques jeunes gens, qui, au bout de quelques semaines étoient tombés dans une enflure générale de tout le corps, avec une forte oppression, & une diminution considérable dans les urines, qui étoient rouges & troubles; ils étoient aussi dans un état singulier d'indifférence pour tout. Je les ai tous gueris avec des vesicatoires, & la poudre Nº. 24. Ce remede commençoit par les faire vomir; il survenoit ensuite des urines, & surtout des sueurs abondantes, qui les guerissoient. Deux seuls, d'un mauvais temperamment, & un peu rachitiques ou noués, après avoir été rétablis pendant quelques jours, sont retombés, & ont péri. §. 113. Chez les adultes, j'ai employé la saignée, & les rafraichissans, tant qu'il y avoit inflammation; ensuite il falloit évacuer les premieres voies, & après cela faire suer doucement. Les poudres Nº. 24 ont souvent produit, avec grand succès, l'un & l'autre effet. Dans d'autres cas, j'ai employé l'ipécacuana Nº. 34. Dans quelques sujets, il n'y avoit pas de symptomes inflammatoires, & le mal dépendoit uniquement d'embarras putrides dans les premieres voies; quelques malades même rendoient des vers: alors je n'ai point fait de saignées; mais le remede vomitif produisoit, dans le commencement, un excellent effet, & tous les symptomes diminuoient sensiblement; la sueur survenoit naturellement, & le malade guerissoit au bout de quelques jours. Il y a eu quelques endroits, dans lesquels il n'y avoit aucun caractere d'inflammation, & où il ne falloit aucune saignée; celles qu'on faisoit réussissoient mal. Je n'ai point fait saigner d'enfans. Les vesicatoires, après l'évacuation des premieres voies, & beaucoup de délayans, étoient leurs remedes. Une simple infusion de sureau & de tilleul a fait beaucoup de bien à ceux qui en ont bû abondamment. Je sais qu'il est mort, dans quelques villages, un grand nombre de malades, avec une enflure de col prodigieuse. Il en est aussi mort quelques uns en ville; entr'autres une fille de vingt ans, qui n'avoit pris que des sudorifiques chauds, & du vin rouge, & qui mourut dès le quatrieme jour, avec des suffocations violentes, & perdant beaucoup de sang par le nez. Du grand nombre que j'ai vû, il n'en est mort que deux. L'un étoit une petite fille de dix mois; elle avoit eu l'ébullition qui rentra tout-à-coup. Ce fut alors qu'on m'appella. Il s'étoit fait un dépôt sur la poitrine; rien ne put la sauver. L'autre étoit un garçon robuste, de dix-sept à dix-huit ans, chez lequel la maladie s'annonça d'abord assez violemment. Elle se calma cependant; & la fievre étant presque entierement finie, les sueurs qui commençoient à venir, l'auroient gueri; mais il ne voulut jamais les soutenir, & se mettoit à chaque instant nud. Il se fit tout-à-coup un dépôt sur le poulmon, qui l'emporta trente heures après. Je n'ai jamais vu mourir avec une peau aussi seche. Le vomitif chez lui n'avoit fait que peu d'effet, & avoit procuré une diarrhée. Sa mauvaise façon de se conduire paroit avoir été la cause de sa mort. C'est un exemple. §. 114. Je me suis étendu sur cette maladie, parcequ'il pourroit arriver qu'elle se répandît dans d'autres endroits[12]; & il est utile qu'on soit prévenu de ses caracteres, & du traitement, qui a autant de rapport avec celui des fievres putrides, dont je parlerai plus bas, qu'avec celui des maladies inflammatoires, dont j'ai parlé. Dans quelques personnes, le mal de gorge a été un symptome de fievre putride, plutôt que la maladie principale. [12] Cette description convient à la maladie connue en France & en Angleterre, où elle a été épidémique, sous le nom de mal de gorge malin, ulceré ou gangreneux: Huxham qui l'a si bien décrite, la regarde comme une fievre maligne & pestilentielle. §. 115. Les maux de gorge sont, pour bien des personnes, une maladie habituelle, qui revient toutes les années, & même plus souvent. On les prévient par les mêmes moyens que j'ai indiqués §. 95, pour prévenir les pleurésies habituelles[13]. [13] Et en garantissant du froid le cou & la tête pendant le jour & surtout la nuit. CHAPITRE VII. _Des Rhumes._ §. 116. Il regne plusieurs préjugés sur les rhumes, qui tous peuvent avoir des conséquences facheuses. Le premier c'est qu'un rhume n'est jamais dangereux. Cette erreur coûte tous les jours la vie à plusieurs personnes. Je m'en suis déja plaint il y a sept ans; & j'ai vu dès-lors une foule de nouveaux exemples, qui n'ont que trop justifié mes plaintes. L'on ne meurt effectivement pas d'un rhume, tant qu'il n'est que rhume; mais quand on le néglige, il jette dans des maladies de poitrine, qui tuent. _Les rhumes emportent plus de gens que la peste_, répondit un très habile Medecin, qui avoit beaucoup vu, à un de ses amis qui lui disoit, je me porte bien, je n'ai qu'un rhume. Un second préjugé, c'est que les rhumes ne veulent point de remedes, & que plus on en fait, plus ils durent. Cela peut être vrai, vu la mauvaise façon dont on les traite; mais c'est un principe faux en soi. Les rhumes ont leurs remedes tout comme les autres maux, & se guerissent avec plus ou moins de facilité, suivant qu'ils sont mieux ou moins bien conduits. §. 117. Une troisieme erreur; c'est que, non-seulement on ne les regarde pas comme dangereux, mais on les croit même salutaires. Il vaut mieux, sans doute, avoir un rhume, qu'une maladie plus facheuse; mais il vaudroit beaucoup mieux n'en avoir aucune. Tout ce qu'on peut raisonnablement dire; c'est que quand une transpiration arrêtée devient cause de maladie, il est heureux qu'elle produise un rhume, plutôt que quelque maladie très grave, comme il arrive souvent; mais il seroit à préférer, que ni la cause, ni l'effet, n'eussent existé. Un rhume prouve toujours un dérangement dans les fonctions de notre corps, une cause de maladie; il est une maladie réelle, qui, quand elle est violente, porte une atteinte sensible à toute la machine. Les rhumes affoiblissent considérablement la poitrine; & la santé en est tôt ou tard altérée. Les personnes souvent enrhumées, ne sont jamais robustes, & tombent souvent dans la langueur. Et la facilité à s'enrhumer est une preuve de la facilité avec laquelle la transpiration se dérange, & le poulmon s'engorge, ce qui est toujours dangereux. §. 118. L'on conviendra de la fausseté de ces préjugés, en examinant la nature des rhumes, qui ne sont autre chose que les maladies que je viens de décrire, mais dans un degré fort leger. Un rhume est véritablement presque toujours, une maladie inflammatoire; c'est une legere inflammation du poulmon, ou de la gorge, ou d'une membrane qui garnit intérieurement les narines & l'intérieur de quelques cavités qui se trouvent dans les os de la joue & du front; cavités, qui toutes communiquent avec le nez; de façon que quand l'inflammation a attaqué une partie de cette membrane, elle se communique aisément aux autres. §. 119. Il est presque inutile de décrire les symptomes du rhume; il suffira de faire remarquer 1. que la principale cause des rhumes est la même que celle qui produit le plus ordinairement les maladies dont j'ai parlé; c'est-à-dire, la transpiration arrêtée. 2. Que quand ces maladies regnent, il y a en même-tems beaucoup de rhumes. 3. Que les symptômes qui annoncent un rhume violent, ressemblent beaucoup à ceux qui précedent ces maladies. L'on a rarement de gros rhumes sans frisson & sans fievre, quelquefois même elle dure plusieurs jours. L'on tousse, la toux reste seche pendant quelque tems, ensuite il vient des crachats qui diminuent la toux, & l'oppression. C'est alors qu'on peut dire que le rhume est mûr. L'on a souvent de legers points, mais passagers, & un peu de mal de gorge. Quand les narines sont le siege du mal, ce qu'on appelle fort mal à propos rhume de cerveau, on a souvent un mal de tête très violent. Le mal de tête dépend souvent de l'irritation de la membrane qui tapisse les cavités de l'os du front, ou _Sinus maxillaires_. L'on ne mouche, dans les commencemens, qu'une eau fort claire, & fort âcre; ensuite, à mesure que l'inflammation diminue, elle s'épaissit, & l'on mouche une matiere semblable à celle qu'on crache. L'on perd ordinairement l'odorat, le gout, l'appetit. §. 120. Les rhumes n'ont point de durée fixe. Ceux de cerveau durent ordinairement très peu de jours; ceux de poitrine sont plus longs. Il y en a cependant beaucoup qui se dissipent au bout de quatre à cinq jours. S'ils durent trop long tems, ils nuisent; 1. parceque la toux violente dérange toute la machine, & surtout qu'elle porte le sang à la tête. 2. En privant du sommeil, qui est presque toujours diminué par un rhume. 3. En ôtant l'appetit, & en troublant la digestion; ce qui affoiblit nécessairement. 4. En affoiblissant le poulmon même, par les secousses continuelles qu'il reçoit; de façon que, peu à peu, toutes les humeurs s'y jettant, comme sur la partie la plus foible, il reste une toux continuelle; il est toujours surchargé d'humeurs, qui, s'y épaississant, gênent la respiration, oppressent & donnent une fievre lente; le corps ne se nourrit pas; le malade tombe dans la foiblesse, le déperissement, l'insomnie, l'angoisse, & meurt souvent assez promptement. §. 121. Puisque le rhume est une maladie de la même espece que les esquinancies, les peripneumonies, les inflammations de poitrine; le traitement doit être de la même espece. Si le rhume est fort, il faut faire une saignée au bras, ce qui l'abrege beaucoup; & elle est convenable toutes les fois que le malade est sanguin, qu'il a une forte toux, & un grand mal de tête. L'on doit faire un usage abondant des ptisanes Nº. 1, 2, 4. Il est utile de prendre tous les soirs, des bains de pied en se couchant. En un mot, si l'_on met le malade au régime_ §. 29, on le guerit très promptement. §. 122. Mais souvent le mal est si leger, qu'on ne croit pas devoir y faire des remedes; & sans remede, on guerit aisément, en se privant pendant quelques jours de viande, d'oeufs, de bouillon, de vin, de tout ce qui est acre, gras ou pesant; en vivant de pain, de legume, & d'eau, & surtout en soupant peu ou point, & en buvant, si l'on est altéré, une simple ptisane d'orge, ou une infusion de sureau, à laquelle on peut joindre un quart ou un tiers de lait. Les bains de pied, & la poudre Nº. 20, contribuent à faire dormir. L'on peut aussi, sans danger, prendre quelques tasses d'infusion de fleurs de coquelicot ou pavot rouge, faite comme du thé. Quand il n'y a plus de fievre, de chaleur, d'inflammation; que le malade a été à la diete pendant quelques jours, & qu'il s'est bien délayé; si la toux & l'insomnie continuent, on peut donner le soir une pilule de stirax, ou une prise de thériaque, avec un peu d'infusion de fleurs de sureau, en sortant d'un bain de pied; alors ces remedes, en calmant la toux, & en rétablissant la transpiration, guerissent souvent dans une nuit: mais j'en ai vu de mauvais effets, quand on les donnoit trop tôt, & il faut toujours, quand on les prend, n'avoir que très peu soupé, & que le soupé soit digéré. §. 123. Il y a un très grand nombre de remedes vantés pour les rhumes, des ptisanes de pommes, de reglisse, de figues, de raisins secs, de bourache, de lierre terrestre, de veronique, d'hysope, d'orties. Je ne veux rien leur ôter de leur prix: elles peuvent toutes avoir été utiles; & ceux qui en ont vû réussir une dans un cas, la croient la plus excellente de toutes. C'est une erreur. Ce n'est point sur un seul cas qu'on doit décider; c'est à ceux qui en voient journellement un grand nombre, & qui observent attentivement l'effet des différens remedes, à juger de ceux qui conviennent le plus généralement; & ce sont ceux que j'ai indiqués. Je sais qu'un thé de queues de cerises, qui est une boisson assez agréable, a guéri un rhume fort invétéré. Dans les rhumes de cerveau, la vapeur de l'eau chaude toute simple, ou dans laquelle on a mis des fleurs de sureau, ou quelques autres herbes un peu aromatiques, procurent ordinairement un soulagement très prompt. Elle fait aussi du bien dans les rhumes de poitrine (_voyez_ §. 52). L'on étoit fort en usage d'employer le blanc de baleine; mais c'est une huile très indigeste; & les huiles ne conviennent que très rarement dans les rhumes. D'ailleurs le blanc de baleine est presque toujours rance; ainsi il vaut mieux le bannir. §. 124. Ceux qui ne diminuent point la quantité des alimens, & qui boivent de grandes quantités d'eau chaude, ruinent leur santé. Ils ne font plus de digestion, la toux devient stomachale sans cesser d'être pectorale; & ils courent risque de tomber dans l'état décrit §. 120, Nº. 4. Les eaux-de-vie brûlées, les vins aromatisés, font les plus grands maux pris dans les commencemens, & l'on feroit mieux de n'en jamais prendre. Si l'on en a vu quelques bons effets, ce n'est que sur la fin, quand la maladie étoit entretenue uniquement par la foiblesse des organes. Dans ce cas, il faut quitter les relachans, prendre tous les jours quelques prises de la poudre Nº. 14, avec un peu de vin, & si les humeurs paroissoient se jetter trop sur le poulmon, appliquer des vesicatoires aux gras des jambes. §. 125. Les liqueurs conviennent si peu, que souvent une très petite quantité ranime un rhume qui finissoit. Il y a même des personnes qui n'en boivent jamais sans s'enrhumer, & cela n'est point étonnant. Elles occasionnent une très legere inflammation de poitrine, qui est un rhume. Il ne faut pas, dans cette maladie, s'exposer sans nécessité à un grand froid; mais il faut également se garder de trop de chaleur. Ceux qui s'enferment dans des chambres fort chaudes, ne guérissent point: & comment y guérir? ces chambres, indépendamment du danger qu'on court en les quittant, enrhument comme les liqueurs, en produisant une legere inflammation de poitrine. §. 126. Les personnes sujettes aux fréquens rhumes, celles qu'on appelle catharreuses, croient devoir se tenir fort au chaud. C'est une erreur qui acheve de ruiner leur santé. Cette disposition vient de deux causes; ou de ce que la transpiration se dérange aisément, ou quelquefois de la foiblesse d'estomac, ou de celle du poulmon, qui demandent des remedes particuliers. Quand le mal vient de ce que la transpiration se dérange aisément, plus elles se tiennent au chaud, plus elles se font suer, & plus le mal augmente. Cet air continuellement tiede, affoiblit tout le corps, & sur-tout le poulmon; les humeurs s'y jettent toujours plus. La peau sans cesse baignée par une petite sueur, se relâche, s'amollit, devient incapable de faire ses fonctions; la moindre chose arrête alors toute transpiration, & il naît une foule de maux de langueurs. Ils redoublent de précaution pour se préserver de l'air froid, & tous leurs soins sont autant de moyens efficaces pour rendre leur santé plus foible; & cela d'autant plus surement, que la crainte de l'air assujettit nécessairement à une vie sédentaire qui augmente tous leurs maux, auxquels les boissons chaudes, dont ils font usage, mettent le comble. Ils n'ont qu'un moyen de guérir; c'est de se familiariser avec l'air, de fuir les chambres chaudes, de diminuer peu à peu leurs vêtemens, de coucher au froid, de ne rien manger & de ne rien boire qui ne soit froid, les boissons même à la glace leur sont salutaires; de prendre beaucoup d'exercice; & enfin si le mal est invétéré, de faire usage pendant long-tems de la poudre Nº. 14, & des bains froids. Cette méthode réussit aussi très bien pour ceux chez qui le mal dépend primitivement d'une foiblesse d'estomac ou de poulmon, & au bout d'un certain tems ces trois causes se réunissent toujours. §. 127. L'on est plus en usage, il est vrai, à la ville qu'à la campagne, de tenir souvent à la bouche différentes tablettes, pâtes, &c. Je n'en exclus point l'usage; mais il n'y a rien d'aussi efficace que le jus de réglisse, & moyennant qu'on le prenne à dose suffisante, il procure un vrai soulagement. J'en ai pris moi-même une once & demie dans un jour, & j'en ressentis les bons effets d'une façon marquée. CHAPITRE VIII. _Des maux de Dents._ §. 128. Les maux de dents qui sont quelquefois si longs & si violens, qu'ils occasionnent des insomnies opiniâtres, beaucoup de fievre, des rêveries, des inflammations, des abcès, des ulceres, des caries, des convulsions, des syncopes, dépendent de trois causes principales. 1º. De la carie des dents. 2º. De l'inflammation du nerf des dents, ou de la membrane qui les enveloppe; ce qui entraîne celle de la gencive. 3º. D'une humeur catharrale, froide, qui se jette sur ces parties. §. 129. Dans le premier cas, la carie ayant mis le nerf à nud, l'air, les alimens, les boissons, l'humeur même de la carie l'irritent, & cette irritation produit des douleurs plus ou moins violentes. Quand la dent est extrêmement gâtée, il n'y a point de remede que de l'arracher, sans quoi les douleurs continuent, l'haleine devient puante, la gencive se perd, les autres dents, & souvent même la machoire se carient: d'ailleurs elle empêche l'usage des dents voisines, qui se couvrent de tartre, & périssent. Quand le mal est moins considérable, on peut quelquefois en arrêter les progrès en brûlant la dent avec un fer chaud, ou en la plombant si elle en est susceptible. L'on se sert aussi de différentes liqueurs, & même d'eau forte & d'esprit de vitriol; mais ces remedes sont extrêmement dangereux & doivent être bannis. Si l'on craint les opérations que je viens d'indiquer, on peut se servir d'essence de gérofle, dans laquelle on trempe un coton qu'on applique sur la carie; ce qui soulage souvent pour assez longtems. L'on emploie aussi une teinture d'opium appliquée de la même façon. On peut mêler ces deux remedes ensemble à doses égales. J'ai réussi plusieurs fois avec la liqueur minérale anodine d'Hoffman; elle paroît pendant quelques instans augmenter la douleur; mais le soulagement vient ordinairement après qu'on a craché quelquefois. Un gargarisme fait avec l'argentine bouillie dans de l'eau, soulage souvent les douleurs qui viennent de carie, & plusieurs personnes dans ce cas se sont bien trouvées d'en faire un usage habituel. Ce remede ne peut point nuire; il est même utile pour les gencives. D'autres se soulagent en frottant tout le visage avec du miel. §. 130. La seconde cause, c'est l'inflammation du nerf dans l'intérieur, ou de la membrane à l'extérieur de la dent; on la connoît par le tempéramment, l'âge, le genre de vie du malade. Ceux qui sont jeunes, sanguins, qui s'échauffent beaucoup, ou par le travail, ou par les alimens & les boissons, ou par les veilles, ou par d'autres excès, ceux qui étoient accoûtumés à quelques hémorragies, ou naturelles, ou artificielles, & qui ne les ont plus, y sont très exposés. La douleur vient ordinairement promptement, & souvent après quelque cause d'échauffement. Le pouls est fort & plein, le visage assez rouge, la bouche extrêmement chaude; l'on a souvent beaucoup de fievre & un violent mal de tête, la gencive s'enflamme, se gonfle, & quelquefois il s'y forme un abcès, d'autrefois il arrive que l'humeur se jette à l'extérieur, la joue enfle & la douleur diminue. Quand la joue enfle, mais sans que la douleur diminue, c'est alors une augmentation, & non pas un changement de mal. Dans cette espece, il faut employer le traitement des maladies inflammatoires, & recourir à la saignée, qui ordinairement soulage sur-le-champ. Après la saignée, on emploie le régime rafraîchissant, les bains de pied, les lavemens; on se gargarise avec l'eau d'orge, l'eau & le lait; on applique sur la joue des cataplasmes émolliens. S'il survient un abcès, on le fait meurir en tenant presque continuellement dans la bouche du lait chaud, ou des figues cuites dans du lait; & dès qu'il paroît mûr, on le fait ouvrir, ce qui est aisé & point douloureux. Quelquefois le mal, quoiqu'il dépende de cette cause, n'est pas si violent; mais il dure fort long-tems, & revient dès qu'on s'est échauffé, dès qu'on est au lit, dès qu'on prend quelque mets échauffant, quelque liqueur, du vin, du caffé. Il faut dans ces cas faire une saignée, sans laquelle les autres remedes sont inutiles, & prendre quelques soirs de suite des bains de pied tiedes, & une prise de la poudre Nº. 20. La privation totale de vin & celle de viande, surtout le soir, ont guéri plusieurs personnes qui avoient des maux de dents très opiniâtres. Tous les remedes chauds dans cette espece sont pernicieux, & souvent l'opium, la thériaque, les pilules de styrax, bien loin de produire l'effet qu'on en attend, ont empiré les douleurs. §. 131. Quand le mal dépend d'une transpiration arrêtée, qui se jette sur les mêmes parties, le mal est ordinairement, quoiqu'aussi douloureux, accompagné de symptômes moins violens. Le pouls n'est ni fort, ni plein, ni fréquent, la bouche est moins chaude, l'on enfle moins. Dans ces cas il faut purger avec la poudre Nº. 21; ce qui guérit quelquefois radicalement des maux très invétérés. Ensuite on peut faire usage de la ptisane des bois Nº. 71; elle a guéri des maux de dents qui avoient résisté à d'autres cures pendant plusieurs années; mais elle seroit pernicieuse dans l'autre espece. Les vesicatoires à la nuque ou ailleurs, il n'importe trop où, ont fait souvent un très bon effet, en détournant l'humeur & en rétablissant la transpiration. Enfin l'on peut employer avec le plus grand succès dans cette espece, surtout après la purgation, les pilules de styrax, l'opium, la thériaque. Les remedes âcres, comme le tabac ficelé ou en corde, la racine de piretre en faisant saliver, évacuent une partie de l'humeur qui cause la maladie & diminuent la douleur. La fumée de tabac guérit aussi quelquefois dans cette espece, soit en faisant cracher, soit parcequ'elle a quelque chose d'anodin qui participe des vertus de l'opium. §. 132. Comme cette cause est souvent l'effet d'une foiblesse d'estomac, il arrive tous les jours qu'on voit des personnes dont le mal augmente à mesure qu'elles prennent des rafraîchissans. L'augmentation du mal fait qu'elles doublent la dose du remede, & les douleurs croissent à proportion. Il faut nécessairement quitter cette méthode, & employer les remedes stomachiques & propres à rétablir la transpiration. La poudre Nº. 14 a produit souvent d'excellens effets, quand je l'ai ordonnée dans ces cas, & elle ne manque jamais d'emporter très promptement les maux de dents, qui reviennent périodiquement à certains jours & à certaines heures. J'ai guéri quelques personnes en leur conseillant l'usage du vin, dont elles ne buvoient point. §. 133. Outre les maux de dents qui dépendent des trois causes principales que j'ai indiquées, & qui sont les plus fréquens: il y en a de très longs & de très cruels, qui sont occasionnés par une acreté générale de la masse du sang, & qui ne se guérissent que par les remedes propres à corriger cette âcreté. Quand elle est de nature scorbutique, le raifort sauvage, (la poivrée), le cresson, le beccabunga, (la fava), l'oseille, l'alleluya la détruisent. Si elle est d'une nature différente, elle demande d'autres remedes; mais le plan de cet ouvrage ne permet point d'entrer dans ces détails. Comme le mal est long, il donne le tems d'aller consulter. La goutte & le rhumatisme se jettent quelquefois sur les dents, & occasionnent les douleurs les plus cruelles, qu'il faut traiter comme les maladies dont elles dépendent. §. 134. L'on comprend par ce qu'on vient de dire, ce que c'est que cette bisarrerie imaginaire qu'on attribue aux maux de dents, parcequ'un remede qui a soulagé l'un, ne soulage pas l'autre. Cela vient de ce que ces remedes sont toujours ordonnés sans connoissance de cause, qu'on ne fait point attention à la nature du mal; qu'on traite une douleur de carie, comme une douleur d'inflammation; celle-ci comme une douleur de fluxion froide, & cette derniere comme une douleur causée par l'âcreté scorbutique. Ainsi il n'est point étonnant que l'on échoue. Les Médecins eux-mêmes ne donnent peut-être pas toujours assez d'attention à la nature du mal, & lorsqu'ils la connoissent, ils se bornent trop à des remedes foibles & incapables de produire l'effet nécessaire. Si le mal est de nature inflammatoire, rien ne peut le soulager que la saignée. Il en est des maux de dents comme de tous les autres, ils dépendent de plusieurs causes, & si l'on ne combat pas cette cause par les remedes, bien loin de guérir, l'on augmente le mal. J'ai guéri de violens maux de dents de la machoire inférieure, en appliquant une emplâtre composée de farine, de blanc d'oeuf, d'eau-de-vie & de mastic, à l'angle de cette machoire, dans l'endroit où l'on sent battre l'artere. J'ai aussi soulagé des maux de tête extrêmement violens, en appliquant la même emplâtre sur l'artere des tempes. CHAPITRE IX. _De l'Apoplexie._ §. 135. Tout le monde connoît l'apoplexie, qui est une perte subite de tous les sens, & de tous les mouvemens volontaires, pendant laquelle le pouls se conserve, & la respiration est gênée. Je m'étendrai peu sur cette maladie, qui n'est pas fréquente dans les campagnes, & dont j'ai parlé fort au long dans une lettre à Monsieur de HALLER, qui vient de paroître. §. 136. L'on en distingue ordinairement deux especes; l'apoplexie sanguine, & l'apoplexie séreuse. Elles dépendent l'une & l'autre, de ce que les vaisseaux du cerveau s'engorgent, & qu'alors ils empêchent les fonctions des nerfs. Toute la différence qu'il y a entre l'une & l'autre, c'est que la premiere a lieu chez les personnes qui sont fortes, robustes, qui ont un vrai sang, pesant, épais, inflammatoire, & qui en ont beaucoup: c'est alors une vraie maladie inflammatoire. L'autre attaque les personnes moins robustes, dont le sang est plus aqueux, plutôt visqueux que dense ou épais, dont les vaisseaux sont lâches, qui ont beaucoup d'humeurs. §. 137. Quand la premiere est à son plus haut degré; c'est ce qu'on appelle coup de sang, ou apoplexie foudroyante, elle tue dans la minute. Ce cas n'est pas susceptible de remede. Quand le mal est moins violent, & qu'on trouve le malade avec un pouls fort, plein, élevé, le visage rouge, & enflé, le col gonflé, la respiration gênée & bruyante, ne sentant rien, n'ayant d'autre mouvement, que quelques efforts pour vomir, il n'y en a même pas toujours, il faut sur-le-champ, 1. découvrir entierement la tête du malade, lui couvrir très peu le reste du corps, lui procurer un air très frais, & lui desserrer entierement le col. 2. Le mettre autant qu'il est possible; la tête haute & les pieds pendans. 3. Lui faire une saignée au bras, par une très grosse ouverture, de douze à seize onces, suivant la force avec laquelle le sang vient. On la réiterera jusques à trois & quatre fois, si les circonstances le demandent, ou au bras ou au pied. 4. Donner un lavement avec la décoction des premieres herbes émollientes qui se présenteront, quatre cuillerées d'huile, & une cuillerée de sel. On le réiterera de trois en trois heures. 5. S'il est possible, lui faire avaler beaucoup d'eau, sur chaque pot de laquelle on auroit mis trois dragmes de nitre. 6. Dès que la violence du pouls a diminué, que la respiration est moins embarrassée, & le visage moins enflammé, il faut faire prendre la décoction Nº. 22; ou, si l'on ne pouvoit pas l'avoir à tems, trois quarts d'once, ou une once de crême de tartre, & beaucoup de petit lait; remede qui m'a très bien réussi dans un cas, où je n'en avois point d'autre. 7. Eviter toute liqueur spiritueuse, vin, eaux distillées, soit en boisson, en application, ou même en senteur. L'on ne doit toucher, irriter, remuer le malade, que le moins qu'il est possible; en un mot on doit éviter, tout ce qui peut agiter. Ce conseil est absolument contraire aux usages communs; mais il est cependant fondé en raison, confirmé par l'expérience, & absolument nécessaire. En effet tout le mal vient de ce que le sang se porte en trop grande quantité, & avec trop de force au cerveau, qui étant comprimé empêche tout mouvement des nerfs. Pour rétablir ces mouvemens, il faut donc débarrasser le cerveau, en diminuant la force du sang; mais les liqueurs, les vins, les esprits, les sels volatils, l'agitation, les frictions l'augmentent, & par-là même, elles augmentent l'embarras du cerveau & la maladie; au lieu que tout ce qui calme la circulation, contribue à rappeller plutôt le mouvement. 8. On doit lier fortement les cuisses sous le jarret; par-là on empêche le sang de revenir des jambes, & il s'en porte moins à la tête. Si le malade paroît peu à peu, & à mesure qu'il prend des remedes, passer dans un état moins violent, l'on peut espérer. Si après les premieres évacuations générales, son état empire; il est tout-à-fait mal. §. 138. Quand il se guérit, l'usage des sens revient; mais il reste souvent un peu de délire pendant quelque tems, & presque toujours une paralysie sur la langue, un bras, une jambe, & les muscles du même côté du visage. Cette paralysie se guerit quelquefois peu à peu, par des purgations rafraichissantes de tems en tems, & une diete très peu nourrissante. Tous les remedes chauds sont extrêmement nuisibles, & peuvent occasionner une nouvelle attaque. L'émetique pourroit être mortel, & l'a été plus d'une fois. L'on doit absolument l'éviter; il ne faut pas même aider, par de l'eau tiede, les efforts que le malade fait pour vomir. Ils ne dépendent point des matieres qui sont dans l'estomac, mais de l'embarras du cerveau; & plus ils sont considérables, plus cet embarras augmente; parceque, pendant qu'ils ont lieu, le sang ne peut pas revenir de la tête, & par-là-même le cerveau en est surchargé. §. 139. L'autre espece a les mêmes symptomes; excepté que le pouls n'est ni si élevé, ni si fort; que le visage est moins rouge, quelquefois même pâle; la respiration paroit moins gênée, & il y a quelquefois plus de facilité & plus d'abondance dans les vomissemens. Comme elle attaque des personnes moins sanguines, moins fortes, moins échauffées, la saignée n'est souvent point nécessaire. Il n'est au moins jamais nécessaire de la réitérer; & si le pouls est peu plein & point dur, elle pourroit être nuisible. Il faut au reste 1. situer le malade comme dans l'autre espece, quoique cela soit un peu moins nécessaire. 2. Lui donner un lavement; mais sans huile, avec le double de sel, & la grosseur d'un petit oeuf de savon; ou avec quatre ou cinq tiges de gratiole, ou herbe au pauvre homme. 3. On purge avec la poudre Nº. 21. 4. L'on peut, pour boisson, donner une forte infusion de melisse, & réitérer deux fois par jour le lavement. 5. Purger derechef le troisieme jour. 6. Appliquer d'abord au gras des jambes des vesicatoires. 7. Si la nature paroit vouloir se dégager par les sueurs, on doit l'aider; & j'ai vu souvent qu'un thé de chardon bénit produisoit très bien cet effet. Si l'on prend ce parti, il faut soutenir la sueur, sans bouger s'il est possible pendant plusieurs jours: il est arrivé alors qu'au bout de neuf jours, le malade étoit délivré de toute paralysie, qui survient ordinairement après cette apoplexie tout comme après l'autre. §. 140. Les apoplexies sont sujettes à des rechûtes; & chaque nouvelle attaque est plus dangereuse que la précédente, ainsi il est extrêmement important de chercher à les prévenir. On prévient l'une & l'autre espece par une diete severe, & en retranchant beaucoup de la quantité ordinaire des alimens; & la précaution la plus essentielle, pour quiconque a eu une attaque, c'est de renoncer au souper. Ceux qui ont eu une attaque de la premiere espece, doivent être encore plus exacts que les autres; ils doivent se priver de tout ce qui est succulent, aromatique, âcre; du vin, des liqueurs, du caffé. Ils doivent faire un grand usage des jardinages, des fruits, des acides; manger peu de viande, & point de noire; prendre toutes les semaines deux ou trois prises de la poudre Nº. 23, le matin à jeun, dans un verre d'eau; se purger deux ou trois fois par an, avec la potion Nº. 22; prendre journellement de l'exercice; éviter les chambres trop chaudes, & l'ardeur du soleil; se coucher de bonheur, se lever matin; n'être jamais plus de huit heures au lit; & si l'on remarque qu'il se forme beaucoup de sang, & qu'il se porte à la tête, il faut sans hésiter, faire une saignée, & se mettre perdant quelques jours, à une diete totale, sans aucun aliment solide. Les bains chauds sont pernicieux dans ces cas. Dans l'autre espece, §. 139, au lieu de se purger avec le remede Nº. 22, il faut se purger avec le Nº. 21. §. 141. Les mêmes secours propres à prévenir une rechûte, peuvent empêcher une premiere attaque, si on les emploie à tems; car quoique l'attaque d'apoplexie soit très prompte, cependant la maladie s'annonce plusieurs semaines, quelquefois plusieurs mois, même des années, à l'avance; par des vertiges, des pesanteurs de tête, de legers embarras de langue, des paralysies momentanées, tantôt d'une partie, tantôt d'une autre; quelquefois des dégoûts & des envies de vomir, sans qu'on puisse soupçonner aucun embarras dans les premieres voies, ou aucune autre cause dans l'estomac ou dans le voisinage; un changement difficile à décrire, dans la physionomie; des douleurs vives & passageres près du coeur; une diminution dans les forces, sans cause sensible; & quelques autres signes, qui marquent que les humeurs se portent trop à la tête, & que les fonctions du cerveau sont gênées. Il y a des personnes qui sont sujettes à des attaques, qui dépendent de la même cause que l'apoplexie, & qu'on peut regarder comme de très legeres apoplexies, dont on soutient plusieurs attaques, & qui ne dérangent que très peu la santé. Tout-à-coup le sang se porte à la tête, le malade est étourdi, il perd toutes ses forces, il a quelquefois des nausées, sans cependant que la connoissance, le sentiment & le mouvement se perdent tout-à-fait. La tranquillité, une saignée, des lavemens dissipent l'accès: on en prévient les retours par le régime ordonné §. 140. & sur-tout par un usage abondant de la poudre Nº. 23. A la fin, un de ces accès dégénere en apoplexie mortelle; mais on peut la retarder très long-tems, par un régime exact, & en évitant toutes les passions fortes, & sur tout la colere. CHAPITRE X. _Des coups de Soleil._ §. 142. L'on appelle _coup de Soleil_, les maux qui résultent d'une trop forte action du soleil sur la tête: c'est la même chose que _insolation_. Si l'on fait attention que le bois, la pierre, les métaux, exposés à l'action du soleil, s'échauffent, même dans les climats tempérés, au point qu'on ne peut pas les toucher sans se brûler, on comprendra tout le danger qu'on court, si la tête est exposée à une telle chaleur. Les vaisseaux se desséchent, le sang s'épaissit; il se forme une véritable inflammation, qui quelquefois, tue en très peu de tems. C'est un coup de soleil qui tua _Manassés, mari de Judith; car comme il étoit auprès de ceux qui lioient les gerbes aux champs, la chaleur lui donna sur la tête, & il tomba malade, & il se mit au lit, & il mourut_. Les signes qui caractérisent un coup de soleil, sont le séjour dans un endroit où il donnoit fortement; un violent mal de tête, avec la peau chaude, & extrêmement séche; les yeux rouges & secs, ne pouvant ni rester ouverts, ni soutenir la lumiere; quelquefois un mouvement continuel dans la paupiere, du soulagement par l'application de quelque liqueur fraiche; souvent une impossibilité de dormir; d'autres fois un grand assoupissement, mais accompagné de réveils violens: une fiévre très forte; un abbatement & un dégoût total; quelquefois beaucoup d'altération, d'autres fois point; la peau du visage est souvent brûlée. §. 143. L'on est exposé aux coups de soleil dans deux saisons de l'année, ou au printems, ou dans les grandes chaleurs; mais ils sont bien différens dans leurs effets. Au printems, les gens de la campagne, les ouvriers, y sont peu sujets; ce sont les gens de la ville, les personnes délicates, qui ont pris peu de mouvement pendant l'hiver, & qui ont acquis beaucoup d'humeurs. Si dans ces circonstances elles vont au soleil, comme il a déja une certaine force; que par le genre de vie qu'elles ont mené, les humeurs sont déja plus disposées à se porter à la tête; que le fraicheur du terrein, sur-tout quand il a plû, fait qu'on ne se réchauffe pas aussi aisément les pieds, il agit sur leur tête comme un vésicatoire, & il détermine une plus grande quantité d'humeur; ce qui procure de violens maux de tête, accompagnés souvent d'élancemens vifs & fréquens, & de douleur dans les yeux; mais ce mal est rarement dangereux. Les gens de la campagne, les personnes de la ville, qui n'ont point discontinué l'exercice pendant l'hiver, ne craignent point ces soleils de printems. Les coups de soleil en été sont bien plus fâcheux, & ils attaquent les ouvriers ou les voyageurs, qui sont long-tems exposés à l'ardeur: c'est alors que le mal est porté à son plus haut dégré, & que les malades meurent souvent sur la place. Dans les pays chauds, cette cause tue plusieurs personnes dans les rues, & fait de grands ravages dans les armées en marche. L'on en voit, dans les pays tempérés, de tristes effets. Après avoir marché tout le jour au soleil, un homme tomba en léthargie, & au bout de quelques heures mourut avec des symptomes de rage. J'ai vu un couvreur, un jour très chaud, se plaindre à son camarade d'un violent mal de tête, qui augmentoit de minute en minute. Au moment où il voulut se retirer, il tomba mort, & fut précipité. Cette cause produit très fréquemment dans les campagnes, des phrénésies très dangereuses, que le peuple appelle fiévres chaudes. L'on en voit plusieurs toutes les années. §. 144. L'effet du soleil est encore plus dangereux, si l'on y est exposé pendant le sommeil. Deux faucheurs s'endormirent sur un tas de foin la tête nue; ayant été réveillés par les autres, ils chancelerent, prononcerent quelques mots qui n'avoient point de bon sens, & moururent. Quand l'effet du vin & celui du soleil se réunissent, ils tuent très promptement, & il n'y a pas d'années, qu'on ne trouve morts dans les chemins des paysans, qui, étant ivres, vont tomber dans quelques coins, où ils périssent par une apoplexie vineuse & solaire. Ceux qui réchappent, conservent souvent toute leur vie des maux de tête, & même quelque léger dérangement dans les idées. J'ai vu qu'après quelques jours de violens maux de tête, le mal se jettoit sur les paupieres, qui restoient longtems rouges & fort tendues, sans qu'on pût les ouvrir. L'on a vu des personnes, chez lesquelles un coup de soleil occasionnoit un délire continuel, sans fiévre, & sans qu'ils se plaignissent d'un mal de tête. Quelquefois la goutte sereine en a été la suite; & il est fort commun de voir des personnes, chez lesquelles un long séjour au soleil, laisse une impression dans l'oeil qui leur fait appercevoir différens corps voltigeants en l'air, & qui troublent la vision. §. 145. Chez les enfans fort jeunes, qui ne sont jamais exposés si long-tems à une si violente ardeur, mais sur lesquels une petite cause agit, le mal se manifeste, ou par un assoupissement profond, qui dure plusieurs jours, ou par des réveries continuelles, mêlées de fureur & de frayeur, presque comme quand ils ont eu quelque violente peur, par des mouvemens convulsifs, par des maux de tête qui redoublent par accès, & leur font pousser de hauts cris, par des vomissemens continuels. J'ai vu des enfans qui, après un coup de soleil, ont conservé long-tems une petite toux. §. 146. Les vieillards qui s'exposent souvent imprudemment au soleil, ne savent pas tout le danger qu'ils courent. On a vu un homme qui, s'étant tenu à dessein fort long-tems au soleil, le jour libre d'une fiévre tierce, eût une attaque d'apoplexie qui l'emporta le lendemain. Lors même que le mal n'est pas prompt, cependant cette habitude dispose certainement à l'apoplexie & aux maux de tête. Un des plus légers effets du soleil sur la tête, c'est de procurer un rhume de cerveau, un mal de gorge, un enroument, un gonflement des glandes du col, une sécheresse dans les yeux, qui se fait quelquefois sentir long-tems. §. 147. L'effet de la trop violente chaleur du feu, est le même que celui du soleil. Un homme s'étant endormi la tête contre le feu, mourut apoplectique dans ce sommeil. §. 148. L'action d'un soleil trop fort ne nuit pas seulement lorsqu'elle tombe sur la tête, mais elle nuit aussi aux autres parties; & ceux qui y restent exposés en préservant la tête, essuient des douleurs violentes, un sentiment de chaleur, & une roideur considérable dans ces parties qui ont été desséchées, comme aux jambes, aux genoux, aux cuisses, aux reins, aux bras; quelquefois il leur survient de la fiévre. §. 149. En examinant une personne malade d'un coup de soleil, il faut faire attention s'il n'y a point d'autres causes concourantes. Un voyageur, un manoeuvre, sont souvent autant affectés par la fatigue de la route ou du travail, que par le soleil. §. 150. Il est très important de traiter d'abord les coups de soleil. Si on les néglige, ceux mêmes qui auroient été aisés à guérir, deviennent très fâcheux. On les traite, comme toutes les maladies précédentes, par les saignées & les rafraichissans de toute espece, en boissons, en lavemens, en applications, en bains. Si le mal est pressant, il faut commencer par une très forte saignée, & la réitérer. Il fallut saigner neuf fois Louis XIV, pour le sauver en 1658, après un coup de soleil qu'il reçut à la chasse. Après la saignée, on met les jambes dans l'eau tiéde; c'est un des remedes qui soulagent le plus promptement, & j'ai vu le mal de tête se dissiper & revenir, à proportion du nombre & de la longueur des bains de jambes. Il faut quand le mal est grave, en venir au demi-bain, & même au bain entier; mais il ne doit être que tiéde, non plus que les bains de pied, l'eau chaude seroit très nuisible. Les lavemens faits avec une décoction d'herbes émollientes quelconques, produisent aussi un très bon effet. Il faut boire abondamment du lait d'amande Nº. 4, de la limonade faite avec le jus de citron dans de l'eau, (c'est la meilleure boisson dans ce cas) ou de l'eau & du vinaigre, qui supplée très bien à la limonade; & ce qui est encore plus efficace, du petit lait très clair, avec un peu de vinaigre. Toutes ces boissons peuvent être bûes fraiches; le remede Nº. 31 est très efficace, on en prend cinq ou six verres par jour. L'on applique sur le front, sur les tempes, sur toute la tête même, des linges trempés dans l'eau fraiche, & un peu de vinaigre rosat; ce qui peut tenir lieu de tous les autres remedes employés dans ce cas. Ceux qu'on vante le plus, sont les jus de pourpier, de laitue, d'artichaud sauvage, & de verveine. §. 151. Les bains froids ont quelquefois guéri des cas presque désespérés. Un homme de vingt ans, ayant été fort long-tems exposé à un soleil brûlant, rêvoit violemment sans fiévre, & étoit véritablement maniaque. Après plusieurs saignées, on le jetta dans un bain froid, qu'on réitéra souvent, & en même tems on lui jettoit de l'eau froide sur la tête: ces secours le guérirent peu à peu. Un Officier qui avoit couru la poste pendant plusieurs jours de suite par les grandes chaleurs, eut, en descendant de cheval, un évanouissement qui résista à tous les remedes ordinaires. On le sauva en le faisant plonger dans un bain d'eau glacée. L'on ne doit jamais employer le bain froid dans ces cas, qu'après les saignées. §. 152. Il est certain, que si l'on est tranquille, on recevra plus aisément un coup de soleil, qu'en se donnant du mouvement; & l'usage des chapeaux blancs, ou de quelques feuilles de papier sous un chapeau noir, contribue sensiblement à prévenir les mauvais effets d'un soleil médiocre; mais il est inutile contre un très fort. CHAPITRE XI. _Du Rhumatisme._ §. 153. Le Rhumatisme est, ou avec fiévre, ou sans fiévre. Le premier est une maladie de la même espece que celles dont j'ai parlé; une inflammation qui est annoncée par une fiévre violente, avec frisson, chaleur, pouls dur, mal de tête: l'on sent même quelquefois un froid extraordinaire, avec un mal-aise général, plusieurs jours avant que la fiévre se déclare. Le second jour, le troisiéme, quelquefois même le premier, le malade est saisi par une douleur violente dans quelques parties du corps, sur tout aux articulations qui en empêche absolument le mouvement, & qui est bientôt accompagnée de chaleur, de rougeur, & de gonflement dans la partie. Le genou est souvent la premiere partie attaquée; quelquefois tous deux le sont ensemble. Il arrive souvent que la fiévre diminue, quand la douleur est fixée; d'autres fois elle persiste plusieurs jours, & redouble tous les soirs. La douleur diminue au bout de quelques jours dans une partie, & en attaque une autre. Du genou elle va au pied, à la hanche, aux reins, aux épaules, au coude, au poignet, à la nuque, & souvent dans les parties moyennes. Quelquefois une partie se dégage tout-à-fait, quand l'autre est attaquée; d'autrefois plusieurs, & même, comme je l'ai vu, toutes les articulations sont attaquées en même tems, & alors l'état du malade est affreux; il est incapable d'aucun mouvement, & il craint le secours de tous ceux qui voudroient l'aider, parcequ'on ne peut pas le toucher sans le faire souffrir. Il ne peut pas soutenir le poids des couvertures, qu'on est obligé d'appuyer sur des cerceaux; & le mouvement qu'on imprime au plancher en marchant dans la chambre, redouble ses douleurs. Les endroits où les douleurs sont ordinairement les plus cruelles & les plus opiniâtres, sont les reins, les hanches & la nuque. §. 154. Le mal se jette aussi souvent sur la peau de la tête, & les douleurs sont excessives. Je l'ai vu attaquer les paupieres & les dents avec une violence qu'on ne peut pas décrire. Tant que le mal est extérieur, quelque douloureux qu'il soit, si le malade est bien conduit, il n'y a pas un grand danger; mais si par quelque accident, par quelque faute, ou par quelque cause cachée, le mal se jette sur quelque partie intérieure, il est extrêmement dangereux. S'il attaque le cerveau, il occasionne un délire phrénétique; en se jettant sur le poulmon, il suffoque; & s'il attaque l'estomac ou les entrailles, il produit des douleurs inouies, occasionnées par l'inflammation de ces parties, qui, si elle est forte, tue promptement. Je vis il y a deux ans un homme robuste, qui, quand on m'appella, avoit déja la gangrene dans les boyaux, dont le mal avoit commencé par un rhumatisme aux bras & à un genou. On avoit voulu le dissiper en le faisant suer avec des choses chaudes; il avoit effectivement beaucoup sué, mais l'humeur inflammatoire se jetta sur les intestins; l'inflammation dégénéra en gangrene, après trente six heures de douleurs les plus aiguës, & il mourut deux heures après que je l'eus vu. §. 155. Souvent le mal est moins violent, la fievre est peu forte; elle cesse entierement dès que les douleurs commencent, & les douleurs n'attaquent qu'une ou deux parties. §. 156. Si le mal reste long-tems fixé sur une articulation, le mouvement en reste gêné pour toute la vie. J'ai vu une personne à qui un rhumatisme à la nuque, a laissé un torticolis qu'elle garde depuis vingt ans, & un pauvre jeune homme qui avoit perdu le mouvement d'une hanche & des deux genoux: il ne pouvoit être ni debout, ni assis, & il n'avoit que peu d'attitudes possibles dans le lit. §. 157. La cause la plus ordinaire du rhumatisme, c'est la transpiration arrêtée. Il est lui-même une maladie inflammatoire, & il veut être traité comme tel. §. 158. Dès que le mal est déclaré, l'on donne un lavement Nº. 5; & une heure après, on fait une saignée de douze onces au bras. L'on se met au régime, & l'on boit abondamment de la ptisane Nº. 2, & du lait d'amande Nº. 4. Dans les campagnes, où les laits d'amande sont trop couteux pour le peuple, on peut leur donner du petit lait extrêmement clair, adouci avec un peu de miel. J'ai vu un rhumatisme très grave, guéri après deux saignées, sans autre remede ni aliment, pendant treize jours. Le petit lait peut aussi servir avec succès pour les lavemens. §. 159. Si le mal ne diminue pas considérablement après la premiere saignée, il faut la réitérer au bout de quelques heures. J'en ai fait faire quatre dans les deux premiers jours, & quelques jours après une cinquiéme; mais ordinairement après la seconde, la dureté du pouls diminue, & lors même que les douleurs continuent également fortes, le malade est cependant moins inquiet. Il faut réitérer tous les jours le lavement, même deux fois, si chaque lavement n'évacue que peu, & si le malade souffre de grands maux de tête. Dans les cas excessivement douloureux, le malade ne peut pas se mettre dans l'attitude nécessaire pour les prendre; alors il faut rendre les boissons aussi relâchantes qu'il est possible, & lui donner soir & matin une prise de crême de tartre Nº. 23. Ce remede joint au petit lait, & pris pendant long-tems, a guéri deux personnes, à qui je l'avois conseillé, de douleurs de rhumatisme, qui, depuis plusieurs années, revenoient très fréquemment avec un peu de fievre. Les pommes & les pruneaux cuits, les fruits d'été bien mûrs, sont les meilleurs alimens. L'on épargne beaucoup de douleurs aux malades, en tenant toujours une alaise sous leur dos, & une autre sous leurs cuisses, qui servent à les remuer. Quand ils ont les mains libres, une corde attachée au ciel du lit, & terminée par un morceau de bois qui est attaché en travers, ou par quelque autre poignée, leur est extrêmement utile pour s'aider eux-mêmes. §. 160. Quand il n'y a plus de fievre, & que le pouls n'a plus de dureté, je purge avec succès, avec la potion Nº. 22; & si elle procure au malade cinq ou six selles, il se trouve ordinairement très soulagé: l'on réitere avec succès le surlendemain, & quelques jours après. Quand les douleurs sont excessives, elles ne souffrent aucune application; mais on peut employer les bains de vapeurs, qui, moyennant qu'on les fasse souvent & long-tems, soulagent très efficacement. Quand il est possible, il faut employer continuellement quelqu'une des applications émollientes Nº. 9. Un demi-bain ou un bain entier tiede, dans lequel le malade reste une heure, après les saignées suffisantes & plusieurs lavemens, soulage infiniment. J'ai vu un malade y entrer avec les douleurs les plus aiguës, des hanches & d'un genou; il souffrit encore cruellement dans le bain & en le quittant; une heure après être rentré au lit, il sua pendant trente-six heures, plus qu'on ne peut le croire, & fut guéri. Mais le bain ne doit jamais précéder les saignées, ou au moins quelqu'autre évacuation, il augmenteroit le mal. Les douleurs redoublent ordinairement pendant la nuit, & l'on donne des remedes pour faire dormir, mais fort mal-à-propos. Ils augmentent très réellement la cause du mal, & détruisent l'effet des remedes; souvent même ils augmentent la douleur, bien loin de la calmer. Ils conviennent si peu, que le sommeil même, qui vient naturellement dans les commencemens de cette maladie, est à charge aux malades. Ils ont au moment où ils s'endorment, de violens tressaillemens ou soubresaults qui les réveillent douloureusement; ou s'ils dorment quelques momens, les douleurs sont plus fortes au réveil. §. 161. Le rhumatisme se termine, ou par les selles, ou par des urines troubles, épaisses, & qui déposent abondamment un sédiment jaunâtre, ou par des sueurs, & il est rare que cette derniere évacuation n'ait pas lieu sur la fin de la maladie. On l'aide en buvant de l'infusion de fleurs de sureau. Mais dans les commencemens les sueurs sont pernicieuses. Il arrive aussi, mais plus rarement, que les rhumatismes se terminent par le dépôt d'une matiere acre sur les jambes, où elle forme d'abord des vessies qui s'ouvrent et dégénerent en ulceres, & si on les ferme trop tôt, les douleurs reviennent. D'autrefois il se forme un abcès dans la partie même malade, ou dans le voisinage. J'ai vu un vigneron chez qui, après de violens maux de reins, il se forma un abcès au haut de la cuisse, qu'il laissa empirer. Quand je le vis, l'abcès étoit monstrueux. Je le fis ouvrir, il en sortit tout à la fois plus de trois pots de pus; mais il mourut au bout de quelque tems. Une autre crise de rhumatisme, c'est une espece de galle qui survient dans le voisinage des parties souffrantes. Dès que l'éruption est faite, les douleurs se dissipent; mais les boutons durent quelquefois plusieurs semaines. §. 162. Je n'ai jamais vu que les douleurs durassent avec quelque violence plus de quatorze jours dans cette espece de rhumatisme; mais il reste dans les parties, de la foiblesse, de l'engourdissement, de l'enflure, & il faut plusieurs semaines, quelquefois des mois, surtout si la maladie a attaqué en Automne, avant que le malade reprenne toutes ses forces. J'en ai vu qui après un rhumatisme très douloureux, conservoient un sentiment de lassitude très incommode, qui ne cessa qu'après une éruption abondante, sur toute la peau, de petites vessies pleines d'eau dont plusieurs s'ouvrirent, quelques-unes se sécherent. §. 163. L'on peut hâter le retour des forces dans les parties affoiblies, par des frictions qu'on fait soir & matin avec un morceau de flanelle, ou de quelqu'autre étoffe de laine, en prenant de l'exercice & en se conformant exactement aux conseils donnés à l'article de la convalescence. On prévient cette maladie par les moyens que j'ai indiqués au §. 95, en parlant des pleurésies. §. 164. Quelquefois le rhumatisme avec fievre attaque des personnes qui ne sont pas aussi sanguines, ou dont le sang n'est pas aussi disposé à l'inflammation, dont les chairs sont plus molles & qui ont plus d'âcreté dans les humeurs que d'épaississement. La saignée est moins nécessaire pour eux, quoique la fievre soit très forte, mais il faut des purgatifs, & après qu'ils sont évacués, des vésicatoires qui soulagent souvent dès qu'ils commencent à agir, mais qu'il ne faut jamais employer quand la maladie est accompagnée d'un pouls dur. La poudre Nº. 24, réussit aussi très bien dans ce cas. §. 165. Il y a une autre espece de rhumatisme, qu'on appelle chronique. Il a quelques caracteres qui le distinguent. 1. Il est ordinairement sans fievre. 2. Il dure très long-tems. 3. Il n'attaque pas ordinairement autant de parties à la fois que l'autre. Souvent l'on n'apperçoit aucun changement dans la partie malade, qui n'est ni plus chaude, ni plus rouge, ni plus enflée; quelquefois l'un ou l'autre de ces accidens a lieu. Le premier rhumatisme attaque des personnes fortes, robustes, vigoureuses; cette espece attaque plutôt les personnes d'un certain âge, ou les personnes languissantes. La douleur abandonnée à elle-même, ou mal conduite, dure quelquefois plusieurs mois, & même des années. Elle est surtout extrêmement opiniâtre quand elle se jette à la tête, aux reins, (les paysans dans ce cas l'appellent _Maclet_), ou à la hanche & le long de la cuisse; c'est ce qu'on appelle _Sciatique_. Il n'y a point de partie que cette douleur n'attaque. Quelquefois elle se fixe sur une très petite partie, comme dans un coin de la tête, à l'angle de la machoire, sur l'extrémité d'un doigt, à un genou, sur une côte, sur un sein où elle occasionne assez fréquemment des douleurs, qui font craindre à la malade un cancer. Elle se jette aussi sur les parties intérieures: sur le poulmon, elle occasionne des toux très opiniâtres, qui enfin dégénerent en des maux de poitrine très graves: sur l'estomac & les boyaux, des douleurs de coliques horribles: sur la vessie, des maux si semblables à ceux que produit la pierre, que des gens qui ne manquoient ni de connoissance, ni d'expérience, y ont été trompés plus d'une fois. §. 166. Le traitement est un peu différent du précédent: cependant si la douleur est très violente, & que le malade soit robuste, une saignée dès le commencement fait un très bon effet. On délaie le malade en lui faisant boire une ptisane très forte de racine de bardane Nº. 25. On le purge, & on peut employer avec succès la poudre Nº. 21. C'est dans cette espece qu'on a employé quelquefois utilement un remede qui a acquis quelque réputation, surtout dans les campagnes. On le tire de Geneve, je ne sais pourquoi, sous le nom d'opiate pour le rhumatisme; ce n'est autre chose que _l'électuaire caryocostin_, tel qu'on le trouve chez tous les Apotiquaires. Mais j'avertis qu'il a fait du mal quand on s'en est servi dans la premiere espece, & même dans celle-ci, quand on l'a employé pour des personnes foibles, maigres, échauffées, & sans avoir fait précéder les délayans, ou quand on l'a employé trop long-tems. Il laisse dans une foiblesse dont on ne peut pas se délivrer: il est composé d'aromates très chauds & de purgatifs âcres. §. 167. Quand on a essayé les remedes généraux, si le mal subsiste, il faut faire usage, pendant long-tems, des remedes propres à rétablir la transpiration. Les pilules Nº. 18, & une forte infusion de sureau ont souvent réussi; & quand on a long-tems délayé, qu'il n'y a point de fievre, que l'estomac fait bien ses fonctions, que le malade n'est point resserré, qu'il n'est pas d'un tempéramment sec, que la partie malade n'est pas enflammée, l'on peut donner hardiment la poudre Nº. 24, le soir en se couchant, avec une tasse ou deux de thé de feuilles de chardon bénit, & la grosseur d'une noisette de thériaque; ce remede jette dans des sueurs abondantes, qui emportent souvent le mal. On peut le rendre plus efficace, en enveloppant toute la partie dans une flanelle trempée dans la décoction Nº. 26. §. 168. De toutes les douleurs, la sciatique est une des plus opiniâtres. J'ai vu les plus grands effets de l'application de sept ou huit ventouses sur la partie souffrante, & j'ai guéri par ce seul secours, en peu d'heures, des sciatiques qui avoient résisté à plusieurs années de remede. Les vésicatoires, ou les emplâtres quelconques qui occasionnent une suppuration dans cette partie, contribuent aussi souvent à la guérison, mais moins efficacement que les ventouses. Il faut les réitérer plusieurs fois. L'application d'une toile ou d'un taffetas cirés verts sur la partie malade, la fait transpirer abondamment, & évacuent par-là l'humeur âcre qui occasionnoit la douleur. Quelquefois même l'une & l'autre de ces applications, mais surtout le taffetas qui s'applique plus exactement, & dont le cirage est différent, font lever des vessies comme les vésicatoires. Une emplâtre de chaux vive & de miel pêtris ensemble, a guéri des sciatiques opiniâtres. L'huile d'oeuf, qui n'est point une vraie huile, a guéri quelques personnes en en frottant fortement la partie malade. Souvent les seules frictions soulagent. L'on fait avec succès un seton au bas de la cuisse. Enfin des douleurs qui n'avoient cédé à aucun de ces remedes, ont été guéries par une brûlure artificielle. §. 169. Les bains chauds de Bourbonne, de Plombieres, d'Aix, & plusieurs autres sont souvent d'une très grande efficacité. Je suis pourtant persuadé qu'il n'y a point de douleur de rhumatisme qu'on ne puisse guérir sans leurs secours. Le peuple leur substitue le bain de marc, qui guérit quelques personnes en faisant beaucoup suer. Les bains froids sont le meilleur reméde pour en préserver; mais on ne peut pas toujours les prendre. Plusieurs circonstances en rendent l'usage absolument impossible pour quelques personnes. Celles qui sont sujettes à cette espece de rhumatisme, feront très bien de se frotter tous les matins, tout le corps s'ils peuvent, mais sur-tout les parties souffrantes, avec une flanelle. Ce secours entretient la transpiration mieux qu'aucun autre; quelquefois même il l'augmente trop. Il est aussi très utile d'avoir toute la peau couverte pendant l'hiver, immédiatement avec de la laine. Après un rhumatisme violent, on doit éviter, pendant long-tems, l'air froid & humide, qui occasionneroit une rechûte. §. 170. L'on emploie souvent pour le rhumatisme des remedes très nuisibles & qui font tous les jours de très grands maux; tels sont les remedes spiritueux, l'eau-de-vie, l'eau d'arquebusade: ou ils rendent la douleur plus opiniâtre & plus fixe en durcissant la peau, ou ils obligent l'humeur à se jetter sur quelqu'autre partie, & l'on a des exemples de gens morts promptement pour avoir appliqué de l'esprit de vin sur des douleurs de rhumatisme. D'autrefois l'humeur n'ayant point d'issue par la peau, se jette sur l'os & l'artere. Il est arrivé ici un fait singulier dont on pourroit profiter. Une femme frottoit le soir son mari, qui avoit un rhumatisme très douloureux au bras, avec de l'esprit de vin. Un heureux accident détruisit le mal qu'elle lui auroit fait. En approchant la chandelle, le feu prit à l'esprit de vin; la partie malade fut brulée. On pansa la brulure; les douleurs de rhumatisme finirent entierement. Les onguens âcres & gras produisent aussi de très mauvais effets, & sont égalemens dangereux. L'on a vu des caries, après l'usage d'un remede connu sous le nom de _baume de térebenthine_ soufré. En 1750, je fus consulté, trois jours avant sa mort, pour une femme, qui souffroit depuis longtems des douleurs aigües. On lui avoit fait différens remedes, & entr'autres elle avoit pris beaucoup d'une ptisane, dans laquelle entroit l'antimoine avec quelques purgatifs, & on l'avoit frottée avec un baume gras & spiritueux. La fievre, les douleurs, le dessechement avoient augmenté; les os des cuisses & des bras s'étoient cariés; & dans les mouvemens nécessaires pour la secourir, elle s'étoit cassé, sans sortir de son lit, les deux cuisses, & un bras. Un exemple aussi effrayant doit faire sentir le danger des remedes administrés inconsidérément, même dans les maux qui paroissent les moins graves par eux-mêmes. Je dois encore avertir, qu'il y a des douleurs de rhumatismes, qui ne veulent aucune application, & que presque tous les remedes irritent. L'on doit se contenter de garantir la partie, des impressions de l'air. §. 171. «Si la durée de la douleur, fixée dans le même endroit, occasionne un commencement de roideur à l'article qui en est affecté, il faut deux fois le jour exposer la partie à la vapeur d'eau chaude; la bien essuyer après avec des linges chauffés; la frotter legerement, & l'enduire ensuite d'onguent d'althea». La douche jointe à cette vapeur, augmente beaucoup son efficacité. J'ai fait faire, pour un cas de cette espece, une machine de fer blanc, très simple, & qui réunit la vapeur & la douche. §. 172. Les enfans sont sujets à des douleurs si violentes & si générales qu'on ne peut les toucher, dans aucun endroit, sans leur faire jetter des cris violens. Il ne faut pas s'y méprendre, ni traiter ce mal comme rhumatisme; il dépend des vers, & se dissipe quand ils ont rendu. CHAPITRE XII. _De la Rage._ §. 173. Les hommes peuvent devenir enragés sans aucune morsure; mais ce cas est extrêmement rare. Il arrive souvent que la rage se déclare dans un chien, il en mord d'autres; plusieurs deviennent enragés. Les autres animaux, & les hommes eux-mêmes sont mordus; & cette morsure produit quelquefois la rage; car il ne faut point croire que cela arrive toujours. §. 174. Si un chien, gai auparavant, est en même tems triste & hargneux, s'il a du dégoût, quelque chose d'extraordinaire dans les yeux, une inquiétude qui se manifeste par ses démarches, on doit craindre qu'il ne devienne enragé; & l'on doit, dès cet instant, l'attacher; & le tuer, dès que le mal sera tout-à-fait déclaré. Il seroit même plus prudent de le tuer d'abord, quand il n'a mordu personne. Bientôt les symptomes augmentent. Son aversion pour les alimens, surtout liquides, devient plus forte; il ne connoît plus son maître, sa voix se change, il ne veut plus qu'on l'aborde, & mord ceux qui veulent le faire, il s'éloigne de sa demeure, marchant la tête & la queue baissées, la langue à demi pendante, & chargée d'écume, (ce qui arrive au reste assez ordinairement à tous les chiens). Les autres le fuient. Quelquefois il se contente de mordre ce qui se trouve près de lui; d'autres fois plus furieux, il se jette à droite & à gauche sur tous les hommes & les animaux qu'il apperçoit. Il fuit avec horreur toutes les eaux qu'il rencontre. Enfin il tombe par épuisement; quelquefois il se releve, se traine encore quelques instans, & périt ordinairement le troisieme, ou au plus tard, le quatrieme jour de son évasion. §. 175. Quand quelqu'un a été mordu, la plaie se referme aussi aisément que si elle n'étoit point vénimeuse; mais au bout de quelque tems, plus ou moins, depuis trois semaines, jusques à trois mois, le plus souvent six semaines; on commence à sentir, dans l'endroit où étoit la plaie, une douleur sourde. La cicatrice se gonfle, rougit, se r'ouvre, & laisse couler une humeur âcre, puante, rougeâtre. Dans le même tems le malade sent de la tristesse, de la nonchalance, un engourdissement général, un froid presque continuel, de la peine à respirer, une angoisse qui ne le quitte point, des douleurs dans les boyaux; le pouls est foible & irrégulier; le sommeil agité, inquiet, troublé par des rêves, des sursauts, des frayeurs. Les selles sont souvent dérangées; il survient d'un moment à l'autre, de petites sueurs froides; l'on éprouve quelquefois une legere douleur dans la gorge. C'est-là le premier degré de la rage; ce que quelques Medecins appellent la _rage mue_. §. 176. Le second degré, la rage confirmée, ou _rage blanche_, est accompagné des symptomes suivans. Le malade est pressé par une soif ardente, & il souffre en buvant. Bientôt il hait la boisson, particulierement l'eau; & quelques heures après, il l'abhore; & cette horreur est si forte, que l'approche de l'eau près de ses levres, sa vue, son nom même, ou celui de toute autre boisson; la vue des choses qui par leur transparence ont quelque rapport avec l'eau, comme la lumiere, lui occasionne une angoisse extrême, & quelquefois des convulsions. Ils avalent cependant, mais violemment, un peu de viande ou de pain, quelquefois de la soupe; plusieurs même, les boissons qu'on leur offre, comme remede, moyennant que ce ne soit pas de l'eau, ou qu'en même tems on ne leur parle pas d'eau. L'urine s'épaissit & s'enflamme; quelquefois elle se supprime. La voix devient rauque, ou ils la perdent presqu'entierement; mais ce qu'on dit de leurs aboiemens, semblables à ceux des chiens, sont des contes ridicules, superstitieux, & dénués de tout fondement, aussi bien que plusieurs autres fables, dont on a chargé l'histoire de cette maladie. L'aboiement des chiens leur fait peine. Ils ont des momens de délire, mêlés quelquefois de fureur. C'est dans ces momens qu'ils crachent autour d'eux, qu'ils cherchent même à mordre, & qu'ils ont mordu quelquefois. Le regard est fixe & un peu furieux; le visage souvent rouge. Ordinairement ces infortunés sentent venir l'accès, & conjurent les assistans d'être sur leur garde. Plusieurs n'ont jamais cette envie de mordre. Les angoisses & les douleurs qu'ils ressentent sont inconcevables. Ils desirent ardemment la mort: quelques-uns se sont tués eux-mêmes, quand ils en ont eu les moyens. §. 177. C'est à la salive, et à la salive seule, que le venin s'allie. Voilà ce qui fait, 1. que si les plaies sont faites au travers des habits, elles sont moins dangereuses que celles qui ont atteint immédiatement la peau. 2. Que les animaux, qui ont beaucoup de laine, ou de poil épais, sont souvent préservés du venin; parceque, dans ces deux cas, les habits, le poil, la laine ont essuyé les dents. 3. Les plaies que fait un animal, d'abord après en avoir déja mordu beaucoup d'autres, sont moins dangereuses que les premieres; parceque sa salive est épuisée. 4. S'il mord le visage, ou le col, le danger est plus grand, & le mal se développe plus promptement; parceque la salive est plutôt infectée. Dans des cas de cette espece, on a vu la rage se déclarer le troisieme jour. 5. Plus la rage est avancée, plus les morsures sont dangereuses. L'on comprend, par ce que je viens de dire, pourquoi de plusieurs personnes, qui ont été mordues par le même animal, les unes deviennent enragées & non pas les autres. §. 178. L'on vante une foule de remedes pour la rage; & sur-tout dans ce pays, la racine d'églantier ou rosier sauvage, cueillie dans certains tems, sous des aspects de la lune favorables, & sechée avec plusieurs précautions. Ailleurs c'est la poudre de _Paulmier_, celle des coquilles d'oeufs calcinées, celle d'hépatique terrestre mêlée avec un tiers de poivre, remede long-tems vanté en Angleterre; celle d'écaille d'huitre, de verveine, d'origan, le bain de mer, la clef de S. Hubert. La mort d'une foule d'enragés, qui les avoient presque tous pris, & la certitude qu'ils n'ont jamais guéri qui que ce soit, quand la rage étoit manifestée, en ont démontré l'inutilité à toute l'Europe. Il est certain, qu'avant l'an 1730, il n'étoit réchapé aucun malade, de ceux chez qui la maladie avoit commencé à se déclarer, & que tous les remedes leur étoient inutiles. Quand on leur donnoit les remedes avant le mal, les uns enrageoient, les autres n'enrageoient pas. Il en étoit de même de ceux qui ne prenoient point de remedes. Ainsi les remedes ne servoient à rien. Depuis cette époque, on a eu le bonheur d'en découvrir un sûr, qui est le Mercure & quelques autres. §. 179. Il faut détruire le venin, & le Mercure produit cet effet; il en est le contrepoison. Le venin occasionne une irritation générale des nerfs. On la calme par des antispasmodiques; ainsi le Mercure & les antispasmodiques, font tout ce qu'il y a à faire dans cette maladie. L'on a actuellement plusieurs exemples de gens véritablement enragés, guéris par ces heureux secours; & ceux qui ont le malheur d'être mordus doivent être persuadés qu'en prenant les précautions nécessaires ils sont entierement à l'abri de la maladie. Ceux même chez qui elle s'est déja manifestée doivent employer ces mêmes secours avec une entiere confiance. D'abord après la morsure, si elle est dans les chairs, & si l'on peut le faire sans danger, il faut couper tout ce qui a été touché. Anciennement on la brûloit avec un fer rouge, car les scarifications sont assez inutiles. L'on doit laver long-tems la plaie avec de l'eau tiede, légérement salée; ensuite on en frotte les bords & les environs, à deux pouces de distance, avec un demi-quart d'once de l'onguent Nº. 27, & on la panse deux fois par jour avec un onguent fort doux comme Nº. 28, pour former une suppuration; mais l'on ne se sert de l'onguent Nº. 27, qu'une fois par jour. Par rapport au régime, il faut diminuer la quantité des alimens, & sur-tout de la viande, se sévrer de vin, de liqueurs, d'épiceries, de choses chaudes quelconques; ne boire qu'une ptisane d'orge & de fleurs de tilleul; se tenir le ventre libre; mettre tous les jours les jambes dans l'eau tiede. L'on peut prendre, de trois en trois jours, une prise du remede Nº. 29, qui est tout à la fois composé de Mercure, qui détruit le venin, & de Musc, qui empêche les spasmes. J'avoue cependant que je compte peu sur le Mercure donné sous cette forme: les frictions sont bien plus efficaces; elles suffiront toujours, j'espere, pour prévenir le mal. Mais s'il étoit déja déclaré, que le malade fût robuste & sanguin, il faudroit ordonner 1. une très ample saignée, qu'on réitere jusques à deux, trois, quatre fois, si les circonstances paroissent le demander. 2. Un bain tiede, s'il est possible d'y faire entrer le malade, & le réitérer une, & même deux fois par jour. 3. Lui donner tous les jours deux, ou même trois lavemens émolliens Nº. 5. 4. Frotter la plaie r'ouverte & ses environs avec la pomade Nº. 27, deux fois par jour. 5. Frotter d'huile tout le membre mordu, & le laisser enveloppé d'une flanelle huilée. 6. Prendre, de trois en trois heures, une prise du remede Nº. 29, avec quelques tasses d'infusions de tilleul & de sureau. 7. Prendre tous les soirs le remede Nº. 30, & même le réitérer le matin, si le malade n'est pas tranquille, & boire par-dessus de la même infusion. 8. S'il y a des grands soulévemens de coeur, de l'amertume dans la bouche, on peut donner la poudre Nº. 34, qui fait rendre beaucoup de glaires & de bile. 9. Il est fort peu question de la nourriture du malade. S'il en veut, on peut lui donner des pannades, du bouillon, du pain, des soupes farineuses, du lait. §. 180. En faisant usage de ces remedes, on verra tous les symptomes disparoître peu-à-peu, & enfin la santé se rétablir tout-à-fait; mais si le malade reste long-tems foible & craintif, l'on fera usage de la poudre Nº. 14, trois fois par jour. §. 181. L'on a vu un garçon, chez lequel la rage avoit commencé à se manifester, être très bien guéri, en frottant le voisinage de la plaie avec de l'huile d'olive, dans laquelle on avoit dissous du camphre & de l'opium, en lui faisant faire quelques frictions avec la pommade Nº. 27, & en lui faisant avaler de l'_eau de Luce_ (c'est une liqueur spiritueuse & antispasmodique) avec un peu de vin. Ce remede, dont on peut prendre une cuillerée à caffé de quatre en quatre heures, calme l'agitation, occasionne une sueur abondante, & fait disparoître tous les symptomes. §. 182. On guérit les chiens en les frottant avec des doses de pommade triples de celles qu'on emploie pour les hommes, & en leur donnant le bol Nº. 32; mais il faut employer ces remedes dès qu'ils sont mordus. Quand la rage est déclarée, il y auroit trop de danger, & il faut incessamment les tuer: l'on peut tenter cependant, si, en leur jettant le bol, ils l'avaleront. Dès qu'ils sont mordus, il faut les tenir enfermés, & ne les relâcher qu'au bout de trois ou quatre mois. §. 183. L'on a sur la morsure des chiens, un préjugé dangereux & faux, c'est que, si un chien qui a mordu quelqu'un sans être enragé, le devient une fois, la personne mordue le deviendra en même tems. Une telle idée est aussi ridicule, que si l'on disoit que quand deux personnes ont couché dans le même lit, si l'une prend au bout de dix ou douze ans, la gale ou la petite vérole, ou quelque autre maladie contagieuse, l'autre la prendra aussi. De deux choses l'une: ou le chien qui mord, est dans un commencement de rage; dans ce cas, elle sera manifeste au bout de quelques jours, & l'on doit dire qu'on a été mordu par un chien enragé: ou il n'en a absolument aucun principe; dans ce second cas, je demande à tout homme sensé, s'il peut la donner? Personne ne donne ce qu'il n'a pas. Cette idée baroque fait faire une action dangereuse à ceux qui en sont imbus; ils se servent du droit que la loi leur accorde de faire tuer le chien, & par-là ils restent dans l'incertitude sur son état & sur leur sort; incertitude effrayante, & qui peut avoir des suites fâcheuses, indépendantes de tout venin. Le parti qu'on doit prendre, c'est de faire enfermer le chien sous ses yeux, afin de s'assurer s'il est enragé, ou s'il ne l'est pas. §. 184. Il n'est plus nécessaire aujourd'hui de montrer l'horreur, la barbarie & le crime de cette méthode, qui étouffoit, il n'y a pas si long-tems, les malades entre les couvertures. Elle est prohibée dans plusieurs pays, & sans doute, elle seroit punie, au moins elle devroit l'être, dans ceux même où elle ne l'est pas encore. Une autre barbarie, dont il faut espérer aussi qu'on ne verra plus d'exemples, c'est l'abandon de ces misérables, sans aucun secours: abandon odieux, lors même qu'on n'auroit pas d'espérance de les sauver, & qui seroit criminel aujourd'hui, qu'on peut leur donner des secours efficaces. Je le réitere, les malades n'ont très souvent aucune envie de mordre: lors même qu'ils sont portés à cela, ils craignent de le faire, & avertissent qu'on s'éloigne d'eux; ainsi il n'y a aucun danger à courir, ou lorsqu'il y en a, il est très aisé de le prévenir par quelques précautions. CHAPITRE XIII. _De la petite Vérole._ §. 185. La petite vérole est la plus générale de toutes les maladies, puisque de cent personnes il n'y en a que quatre ou cinq qui en soient exemptes. Il est vrai, que si elle attaque tout le monde, elle n'attaque qu'une fois; & quand on l'a eue, on en est à l'abri pour toujours: c'est en même tems une des plus meurtrieres; & si elle est souvent la plus douce des maladies, elle est d'autres fois la plus horrible après la peste. Il est démontré, qu'en combinant les ravages des mauvaises & des bénignes, cette maladie tue la septiéme partie de ceux qu'elle attaque. §. 186. On l'a ordinairement étant encore jeune. Il est rare qu'elle n'attaque qu'une personne dans un endroit. Le plus souvent elle est épidémique, & saisit une grande partie de ceux qui ne l'ont pas eue. Elle finit au bout de quelques semaines ou de quelques mois, & ne reparoît dans le même endroit, qu'au bout de quatre, cinq, ou six ans. §. 187. Le mal s'annonce souvent, trois ou quatre jours avant la fievre, par un léger abattement, moins de vivacité, de gaieté; une facilité à suer, moins d'apétit, le visage un peu changé, les yeux battus. Cependant chez les enfans d'un tempéramment lent & phlégmatique, j'ai vu qu'une légere agitation dans le sang, avant que le frisson eût paru, leur donnoit une vivacité, une gaieté, & un coloris qu'ils n'avoient jamais eu. Il survient des alternatives de froid & de chaud, & enfin un frisson bien marqué, qui dure une, deux, trois, quatre heures, & qui est suivi d'une chaleur très forte, accompagnée de maux de tête, de maux de reins, & de vomissemens, ou au moins d'envie de vomir. Cet état dure pendant quelques heures; la fievre diminue un peu, par une sueur qui est quelquefois très abondante; le malade se trouve mieux, mais cependant accablé, engourdi, très dégoûté, avec mal de tête & de reins, & un penchant au sommeil, sur-tout s'il est jeune. La fievre ne finit pas entierement; & au bout de quelques heures, ordinairement sur le soir, elle reparoît avec tous ses accidens, & se termine de la même façon. Cet état dure trois ou quatre jours; au bout de ce tems, rarement plus tard, les premiers boutons paroissent parmi la sueur qui termine le redoublement. J'ai ordinairement vu les premiers au visage, ensuite aux mains, à l'avant-bras, au col, au haut de la poitrine. Dès que cette éruption est commencée, la fievre finit presqu'entierement. L'on continue à transpirer; le nombre des boutons augmente, & il en vient au dos, aux flancs, au ventre, aux cuisses, aux jambes & aux pieds; quelquefois même il en pousse abondamment sous la plante des pieds, où, en grossissant, ils occasionnent fréquemment de très grandes douleurs, à cause de la dureté de la surpeau dans cette partie. Souvent le premier & le second jour de l'éruption, il y a encore un très leger mouvement de fievre sur le soir, vers la fin duquel il sort beaucoup de boutons. Quand la fiévre finit entierement après la premiere éruption, l'on ne doit pas attendre une petite vérole abondante; car si l'éruption est ou doit être très abondante, la fievre ne cesse pas tout-à-fait, mais il en reste toujours un peu, & elle redouble tous les soirs. Les boutons naissans sont une très petite tache rouge assez ressemblante à la morsure d'une puce, mais marquée au milieu d'un petit point blanc élevé, qui grossit peu à peu, & la rougeur s'étend au tour. Ils deviennent plus blancs à mesure qu'ils grossissent, & ordinairement le sixieme jour après leur sortie ils sont à leur plus haut point de grandeur, & remplis de pus. Il y en a qui sont aussi gros qu'un pois, & même plus; mais ce n'est pas le plus grand nombre. Dès ce moment ils commencent à jaunir, séchent & tombent en écailles brunes dix ou onze jours après leur sortie. Comme ils sont venus en différens tems, ils mûrissent, séchent & tombent inégalement. Le visage est quelquefois net pendant qu'il y a encore des boutons qui ne sont pas mûrs aux jambes; ceux surtout de la plante des pieds durent très long-tems. §. 188. La peau est nécessairement tendue par les boutons, & dès qu'il y en une certaine quantité, tous les intervalles sont rouges, luisans, & la peau très enflée. Le visage est la premiere partie qui enfle, parceque c'est celle où les boutons sont parvenus le plutôt à leur grosseur, & l'enflure est quelquefois si considérable qu'il est monstrueux, aussi-bien que le col & les yeux, qui sont absolument fermés. Le visage désenfle à proportion que le desséchement se fait, & alors les mains enflent prodigieusement, ensuite les jambes, parceque le gonflement est la suite du plus haut dégré de la grosseur des boutons, & que ce degré a lieu successivement dans ces différentes parties. §. 189. Quand on a beaucoup de boutons, la fiévre se releve dans le tems de la suppuration, & cela n'est point étonnant, un seul furoncle ou clou donne la fievre; comment des centaines ou des milliers de ces petits abcès ne la donneroient-ils pas? Et cette fiévre est le période le plus dangereux de la maladie, ce qui tombe entre le neuvieme & le treizieme jour; car plusieurs circonstances varient le tems de la maturité. Le malade à cette époque a de la chaleur, de la soif, des douleurs, de la peine à trouver une attitude favorable. Si le mal est considérable, il ne dort point, il a des rêveries, de l'oppression, de l'assoupissement; & quand il meurt, il meurt suffoqué ou léthargique, souvent tous les deux à la fois. Le pouls, dans cette fiévre, est quelquefois d'une vîtesse étonnante, & l'enflûre des poignets fait qu'il paroît dans quelques sujets très petit. Le tems du plus grand danger, c'est quand le visage, la tête, le col sont extrêmement enflés. Dès que ces parties commencent à désenfler, que les croûtes du visage commencent à sécher, & que la peau se flétrit, le pouls devient un peu moins fréquent, & le danger diminue. Quand il n'y a que très peu de boutons, cette seconde fiévre est si legere, qu'il faut être attentif pour s'en appercevoir, & elle n'est pas dangereuse. §. 190. Outre tous ces symptômes, il y en a quelques autres qui demandent aussi beaucoup d'attention. L'un, c'est le mal de gorge, dont plusieurs malades sont atteints dès que la fiévre est un peu forte. Il dure deux ou trois jours, & gène quand on veut avaler; & même quand la maladie est extrêmement grave, il en empêche absolument. On l'attribue ordinairement aux boutons qui poussent dans la gorge. C'est une erreur, & ces boutons sont presque toujours une chimere. Il naît le plus souvent avant le temps de l'éruption. Si le mal est leger, il finit quand elle est faite; & quand il reparoît dans le courant de la maladie, il est toujours proportionné au dégré de la fiévre; ainsi il ne dépend point des boutons, mais de l'inflammation, & s'il est de durée, il est presque toujours suivi du second symptôme, qui est la salivation, c'est-à-dire le crachement d'une grande quantité de salive. Elle a rarement lieu, quand la maladie est très legere, ou le malade très jeune; elle manque rarement quand la maladie est considérable, & que le malade a plus de sept ou huit ans. Elle est prodigieuse quand la petite vérole est très abondante & le malade adulte. Dans ce cas elle est continuelle, elle ne laisse aucun repos au malade & l'incommode à l'excès, d'autant plus qu'au bout de quelques jours les lévres, l'intérieur des joues, la langue, le palais sont entiérement écorchés. Quelqu'incommode que soit cette évacuation, elle est très salutaire. Les petits enfans y sont moins sujets, quelques-uns en échange ont la diarrhée; mais j'ai vu que cette évacuation est beaucoup plus rare chez eux, que la salivation chez les adultes. Les enfans jusqu'à l'âge de cinq ou six ans, sont sujets aux convulsions avant la sortie des boutons; elles ne sont point dangereuses, à moins qu'elles ne soient accompagnées d'autres symptômes violens & fâcheux. Celles qui surviennent, ou quand l'éruption déja faite rentre tout-à-coup, ou dans le tems de la fievre de suppuration, sont beaucoup plus à craindre. Il survient souvent des saignemens de nez, les premiers jours de la maladie, qui sont extrêmement utiles, & qui diminuent ordinairement le mal de tête. Les petits enfans y sont moins sujets; ils en ont cependant quelquefois, & j'ai vû des assoupissemens considérables finir d'abord après le saignement. §. 191. L'on distingue ordinairement la petite vérole en deux especes, la confluente & la discrette, & cette division est dans la nature. Mais comme le traitement de l'une, est le même que celui de l'autre, & qu'il ne faut que proportionner la dose des remedes au danger, pour ne pas entrer dans des détails trop longs & trop difficiles à saisir pour la plûpart des lecteurs, aussi bien que tout ce qui regarde les petites véroles malignes; je me bornerai à la description que j'ai donnée, qui contient les symptômes essentiels communs à l'une & à l'autre espece. Je me contente d'ajouter que l'on doit s'attendre à une petite vérole très abondante, si dès le commencement le malade est attaqué brusquement par plusieurs symptômes violens, sur-tout si les yeux sont extrêmement vifs, les vomissemens continus, les maux de reins forts, & s'il a en même-tems beaucoup d'angoisse & d'inquiétudes, si les enfans ont beaucoup d'assoupissement, si l'éruption se fait dès le troisieme jour, quelquefois même dès le second; car plus l'éruption est prompte dans cette maladie, plus la maladie est dangereuse. Au contraire, plus l'éruption est tardive & mieux c'est, à moins que ce retard ne fût causé par une très grande foiblesse. §. 192. La maladie est quelquefois si legere, que l'éruption se fait presque sans qu'on ait soupçonné que l'enfant fût malade, & la suite répond au commencement. Les boutons passent, grossissent, suppurent & mûrissent sans que le malade garde le lit, dorme moins, & ait moins d'appétit. Il est très commun dans les campagnes de voir des enfans, & ce n'est presque que les enfans qui l'ont si legere, passer en plein air tout le tems de leur maladie, courant & mangeant comme en santé. Ceux mêmes qui l'ont eue un peu plus grave, sortent ordinairement dès que l'éruption est entierement finie, & se livrent sans ménagement à la voracité de leur appétit. Nonobstant ce peu de soin, plusieurs se guérissent parfaitement; mais ce n'est cependant point un exemple qu'on doive suivre, parcequ'un grand nombre éprouve des suites très fâcheuses, & l'on m'a amené une foule de ces enfans, qui, après avoir eu de ces petites véroles heureuses mais mal soignées, étoient tombés dans des infirmités de différentes especes, qu'il est très difficile de détruire. §. 193. C'est encore ici une de ces maladies dont le mauvais traitement, & sur-tout l'envie de faire suer, a augmenté le danger pendant long-tems, & l'augmente encore parmi le peuple, sur-tout dans les campagnes. L'on voit que l'éruption se fait pendant que le malade sue, & qu'il se trouve mieux quand l'éruption est faite; l'on conclut qu'en hâtant cette éruption, l'on contribue au soulagement du malade, & l'on imagine qu'en augmentant la quantité de la sueur & des boutons, le sang se dépure mieux de tout le venin. Ce sont des erreurs funestes dont de tristes exemples prouvent tous les jours le danger. Quand le venin a passé dans le sang, il faut un certain tems pour qu'il produise son effet; alors le sang étant gâté par le venin qui y est entré & par celui qui s'est formé, la nature fait effort pour s'en débarrasser, et le jetter à la peau, précisément dans le moment où tout est disposé pour cela. Ordinairement cet effort est suffisant, & fort souvent même très violent, très rarement trop foible. L'on voit par-là, que quand l'effort est suffisant, il ne faut point l'augmenter par des remedes chauds, qui le rendroient trop violent & dangereux. Quand il est déja trop violent, l'augmenter, c'est le rendre mortel. Les cas où il est trop foible sont très rares, surtout dans les campagnes, & très difficiles à juger; aussi il faut être très réservé sur l'usage des remedes chauds, qui sont meurtriers dans cette maladie. Le vin, la thériaque, la confection, l'air chaud, les couvertures pesantes, font périr annuellement des milliers d'enfans, qui auroient été guéris si on ne leur avoit donné que de l'eau tiede; & toutes les personnes qui s'intéressent à la conservation de ceux qui sont atteints de cette maladie, doivent soigneusement empêcher qu'ils ne fassent aucun usage de ces drogues, qui, lors même qu'elles ne rendent pas la maladie mortelle, la rendent cruelle & accompagnée des suites les plus funestes. Le préjugé est enraciné, il se détruira difficilement; mais je ne souhaite que de faire ouvrir les yeux sur le succès de la méthode chaude, & sur celui de celle que je vais proposer; le jugement alors ne restera pas long-tems suspendu. Je dois même dire, que j'ai trouvé parmi le peuple de la ville plus de docilité à cet égard, surtout dans la derniere épidémie, que je n'aurois osé l'espérer. Non-seulement ceux qui me consultoient dès le commencement, observoient avec assez d'exactitude le régime rafraichissant que je leur conseillois; mais même leurs voisins l'employoient, quand leurs enfans étoient attaqués, & ayant été souvent appellé après plusieurs jours de maladie, j'ai vu avec plaisir, dans plusieurs maisons, qu'on n'avoit donné aucun remede chaud, & qu'on avoit eu grand soin de rafraichir l'air. J'ai lieu d'espérer que cette méthode sera bientôt générale ici; & ce qui l'accreditera, c'est que cette épidémie, quoiqu'aussi nombreuse, a été moins meurtriere que les précédentes. §. 194. Dès que la maladie commence, ce qu'on soupçonne si l'on trouve les signes que j'ai décrits plus haut, si le malade ne l'a pas eue, & si elle est actuellement dans le lieu, on le met très exactement au régime, §. 29-42, & on lui donne soir & matin un bain de jambes tiede; c'est le remede le plus propre à diminuer le nombre des boutons à la tête, & à faciliter l'éruption dans le reste du corps. Les lavemens contribuent aussi beaucoup à abattre le mal de tête, & à diminuer les envies de vomir & les vomissemens, qui incommodent beaucoup le malade, mais qu'on cherche très mal-à-propos à arrêter par la confection ou la thériaque; & dont il est plus dangereux encore de vouloir emporter la cause, avec un émétique ou un purgatif, qui sont des remedes pernicieux dans les commencemens de cette maladie. Si la fievre est legere, les bains de pieds du premier jour, & le premier lavement suffisent; alors on se contente du régime, & l'on peut même au lieu des ptisanes Nº. 1, 2, 4, ne donner à l'enfant que du lait coupé avec les deux tiers, ou la moitié, de thé de sureau, ou de tilleul, ou même, s'il n'a point du tout de fievre, de melisse; enfin, s'ils craignent tous ces gouts, avec de l'eau de fontaine. On peut joindre à cela quelques pommes cuites, & s'ils ont faim, quelques tranches de pain; mais il ne leur faut ni viande, ni bouillon à la viande, ni oeufs, ni vin; parcequ'une observation réitérée a prouvé que les enfans, qui avoient pris de ces nourritures, étoient plus mal & se remettoient plus lentement que les autres. L'on peut aussi à cette époque, leur donner pour toute boisson du petit lait, dont j'ai vu souvent de très bons effets; ou de la battue. Quand la maladie n'est pas forte, elle se guérit parfaitement sans aucun autre secours & sans aucun autre remede. Il faut seulement avoir soin de purger, dès que les boutons du visage sont en partie secs, avec le remede Nº. 11, & de réitérer la même purgation six jours après. Ils ne doivent manger de la viande, qu'après cette derniere purgation, mais après la premiere on peut leur donner des legumes ou jardinages, & du pain assez pour qu'ils ne souffrent pas de la faim. §. 195. Quand la fievre est forte, le pouls dur, le mal de tête & de reins violens, il faut sur-le-champ faire une saignée au bras; donner deux heures après un lavement, & si la fievre continue, réitérer la saignée. J'en ai fait faire jusques à quatre les deux premiers jours, à des gens qui n'avoient pas dix-huit ans. La saignée est surtout nécessaire, quand avec un pouls dur & plein, il y a assoupissement ou rêveries. L'on donne, tant que la fievre est trop forte, deux, trois, & même quatre lavemens par jour, & deux bains de pieds. On sort le malade du lit, & on le tient sur une chaise aussi long-tems que l'on peut. On change souvent l'air de la chambre; & s'il est trop chaud, comme cela arrive souvent en été, on emploie pour le rafraichir, les moyens décrits (§. 34). Le malade ne boit que des ptisanes Nº. 2, ou 4; & si cela ne modére pas suffisamment la fievre, on donne la potion Nº. 10. Après l'éruption, la fievre étant moins forte, on diminue la quantité des secours, & même si elle cessoit entierement, on se conduiroit comme §. 194. §. 196. Quand après quelques jours de calme, la suppuration renouvelle la fievre, il faut, à la saignée & aux bains de pieds près, se conduire comme dans le §. précédent. L'on doit surtout avoir soin d'entretenir le ventre très libre; pour cela, on peut mettre dans les lavemens une once de catholicon, ou simplement les faire de petit lait, avec du miel, de l'huile & du sel. Donner trois fois par jour dans la matinée, à deux heures de distance l'un de l'autre, trois verres de la ptisane Nº. 31. Purger de deux jours l'un avec la potion Nº. 22: mais ce jour-là on ne prendra pas celle Nº. 31. Prodiguer, si le mal est violent, le remede Nº. 10. Sortir le malade du lit, & le tenir levé, dans une chambre bien airée, jour & nuit jusques à ce que la fievre ait baissé. Plusieurs personnes s'étonneront de ce conseil; cependant c'est celui qui m'a paru souvent le plus efficace, & sans lequel les autres sont inutiles. Comment dormira le malade, dira-t-on? Il n'est pas nécessaire qu'il dorme à cette époque; au contraire, le sommeil lui nuiroit: d'ailleurs il ne peut pas dormir; la salivation qui est continuelle l'en empêche, & il est très important de l'entretenir; on la facilite en injectant souvent dans la gorge de l'eau miellée. Il est aussi très utile d'en injecter dans les narines, & de les nétoyer souvent des croutes qui s'y amassent. Ces attentions diminuent non-seulement le mal-aise du malade, mais elles contribuent même très efficacement à la guérison. Si le visage & le col sont fort enflés, on met des cataplasmes émolliens à la plante des pieds; & si cela ne suffit pas, l'on y applique des sinapismes Nº. 35. Ils occasionnent quelquefois des douleurs excessives à la plante des pieds; mais à mesure que ces douleurs augmentent, la tête & le col se dégagent. §. 197. Les paupieres s'enflent, quand la maladie est grave, au point de couvrir les yeux qui restent fermés pendant plusieurs jours. Il ne faut rien faire que de les arroser souvent avec un peu de lait & d'eau tiede. Ces précautions qu'on prend de les frotter avec du safran, une piece d'or, de l'eau rose, sont aussi inutiles que puériles. Ce qui contribue le plus à prévenir la rougeur des yeux, après la maladie, & en général toutes les autres suites, c'est de se contenter, pendant long tems, de très peu d'alimens, & surtout de ne prendre ni viande ni vin. Dans les petites véroles mauvaises, & chez les petits enfans, les yeux se ferment dès le commencement de l'éruption. §. 198. Un secours extrêmement efficace, & qui n'avoit été employé pendant long-tems que comme un moyen de conserver le visage, mais qui a les plus grandes influences sur la conservation de la vie, c'est d'ouvrir les boutons, non-seulement au visage, mais par tout le corps. En les ouvrant très soigneusement au visage, premierement, on prévient le séjour du pus, & par là on empêche qu'il ne ronge, & ne laisse des cicatrices, des creux profonds, ou d'autres défigurations de cette espece; en second lieu, en donnant ainsi issue au venin, l'on empêche qu'il ne repasse dans le sang, & par-là on enleve une des grandes causes du danger, & l'on détend la peau; l'enflure du visage, celle du col, diminuent à mesure qu'on ouvre, & l'on facilite ainsi le retour du sang du cerveau; ce qui est un avantage très grand. Il faut ouvrir successivement par tout, à mesure que les boutons sont mûrs. Le moment de le faire, c'est quand ils sont tout-à-fait blancs, qu'ils commencent à jaunir tant soit peu, & que le cercle rouge qui les entoure a entierement pâli. On ouvre avec des ciseaux très pointus, ce qui n'est absolument point douloureux pour le malade; & quand on en a coupé une certaine quantité, on applique plusieurs fois une éponge trempée dans l'eau tiede, pour enlever ce pus qui se forme aisément en croutes. Mais comme les boutons vuidés se remplissent aisément, il faut réitérer l'ouverture au bout de quelques heures, & y revenir quelquefois cinq ou six fois de suite. Ces soins paroîtront minutieux, & ne deviendront sans doute jamais une pratique générale, mais je répete qu'ils sont beaucoup plus importans qu'on ne l'imagine, & que dans une fievre de suppuration fort grave, une ouverture générale, exacte, & réitérée, est le remede le plus efficace, parcequ'elle ôte les deux causes du danger, qui sont le pus & la tension de la peau. §. 199. Je n'ai point parlé, dans le traitement, des remedes anodins ou propres à faire dormir, qu'on emploie généralement, mais que je n'emploie presque jamais, & dont j'ai prouvé tout le danger, dans cette même lettre à M. HALLER, dont j'ai déja parlé: ainsi par-tout où l'on n'a point de Médecin, on doit éviter avec le plus grand soin, la thériaque, le laudanum, le syrop de pavot blanc, celui même de pavot rouge, celui de karabé, les pilules de styrax ou de cynoglosse, en un mot tout ce qui peut faire dormir. On doit sur-tout les bannir absolument dans le tems de la seconde fievre, pendant laquelle le sommeil même naturel est dangereux. Un cas dans lequel il est permis quelquefois de les employer, c'est pour les enfans foibles ou sujets aux convulsions, chez lesquels l'éruption se fait avec peine; mais, je le répete, il faut être circonspect dans l'usage de ces remedes, qui sont mortels, quand les vaisseaux sont pleins, quand il y a de l'inflammation, de la fievre, quand la peau est tendue, quand le malade a des rêveries, ou de l'oppression, & quand il convient que le ventre soit libre, que les urines coulent abondamment, & qu'on salive beaucoup. §. 200. Si l'éruption commencée rentroit tout-à-coup, il faudroit bien se garder de donner des remedes sudorifiques, chauds, spiritueux, volatils; mais il faut donner beaucoup du remede Nº. 12, qu'on boira chaudement, et appliquer des vésicatoires aux gras des jambes. Ce cas est fâcheux, & les différentes circonstances qui l'accompagnent, peuvent exiger quelques secours, dans le détail desquels je ne puis pas entrer ici. Quelquefois une saignée fait reparoître l'éruption sur le champ. §. 201. La meilleure préparation, pour disposer les enfans à avoir heureuse cette maladie, c'est d'empêcher qu'ils ne mangent trop, & sur-tout de ne leur donner que peu de viande, point de salé, & point de vin. §. 202. Le seul moyen sûr d'en éloigner tout le danger, c'est de l'inoculer: mais ce moyen salutaire, qu'on doit regarder comme une grace particuliere de la Providence, ne peut être à l'usage du peuple, que dans les pays où l'on a fondé des hôpitaux pour l'inoculation. CHAPITRE XIV. _De la Rougeole._ §. 203. La rougeole, à laquelle les hommes sont aussi généralement assujetis qu'à la petite vérole, est une maladie à-peu-près de la même espece, mais moins meurtriere, quoique dans quelques pays elle fasse d'assez grands ravages. Dans celui-ci, l'on meurt plus rarement de la maladie, que de ses suites. Quelquefois il y a en même tems épidémie de petite vérole & de rougeole dans le même endroit; plus souvent cependant, j'ai vu qu'elles régnoient dans des années différentes. Il arrive aussi, que les deux maladies se mêlent, & l'une survient à l'autre avant qu'elle soit finie; ce qui est dangereux. §. 204. Chez quelques malades, le mal s'annonce plusieurs jours à l'avance, par une petite toux fréquente & seche, sans aucun autre mal. Plus ordinairement elle s'annonce par un mal-aise général, des alternatives de frissons & de chaleur, un mal de tête violent chez les adultes, un assoupissement chez les enfans, un mal de gorge très fort, &, ce qui caractérise la maladie, une rougeur & une chaleur considérables dans les yeux, accompagnées d'un gonflement des paupieres, d'un écoulement de larmes extrêmement âcres, & d'une si grande sensibilité, qu'ils ne peuvent pas soutenir la lumiere; des éternûmens très fréquens, & un écoulement par le nez, de la même matiere qui coule des yeux. La chaleur & la fievre augmentent, le malade a de la toux, de l'oppression, de l'angoisse, des envies de vomir continuelles, de violentes douleurs dans les reins; quelquefois la diarrhée, & alors les vomissemens sont moins considérables. D'autres fois un peu de sueur, mais moins abondamment que dans la petite vérole; la langue est blanche, la soif est souvent ardente; les accidens sont généralement plus violens, qu'avant les petites véroles bénignes. Enfin le quatriéme, ou le cinquiéme jour, quelquefois sur la fin du troisiéme, l'éruption se fait très promptement, & très abondamment sur tout le visage, qui, dans peu d'heures, est couvert de taches, donc chacune ressemble à une morsure de puce, mais d'un rouge plus foncé, & dont plusieurs se réunissant, forment des plaques rouges, plus ou moins larges; & qui enflammant la peau, produisent une enflûre sensible au visage, quelquefois même les yeux sont fermés. Chaque petite tache est un peu élevée, sur tout au visage, où l'on s'en apperçoit à l'oeil & au doigt. Dans le reste du corps, cette élévation n'est presque sensible que par la rudesse qu'elle donne à la peau. Après avoir commencé par le visage, l'éruption se continue sur la poitrine, le dos, les bras, les cuisses, les jambes. Elle est ordinairement très abondante sur la poitrine & sur le dos; il arrive même quelquefois, qu'on trouve des plaques rouges sur la poitrine, avant qu'il se soit fait aucune éruption sur le visage. Le malade a souvent, comme dans les petites véroles, des saignemens de nez abondans, qui emportent le mal de tête, d'yeux & de gorge. Quand la maladie est fort douce, presque tous les accidens diminuent après l'éruption, comme dans la petite vérole; mais ordinairement le changement en bien, n'est pas aussi sensible que dans cette premiere maladie. Les vomissemens cessent, il est vrai, presqu'entierement, mais la fievre, la toux, le mal de tête continuent; & j'ai vu quelquefois, qu'un vomissement de matieres bilieuses, un ou deux jours après l'éruption, soulageoit beaucoup plus que l'éruption même. Le troisiéme ou le quatriéme jour de l'éruption, la rougeur diminue, les taches ou boutons se desséchent, & tombent en petites écailles; la peau même intermédiaire tombe de la même maniere, & se trouve remplacée par une nouvelle, qui s'est formée dessous. Le neuviéme jour, quand la maladie est allée vite; le onziéme, quand elle a été fort lente, il ne reste aucun vestige de rougeur, & la peau est d'abord très bien racommodée. §. 205. Mais le malade n'est pas guéri, à moins que pendant le tems de la maladie, ou d'abord après, il n'ait eu quelqu'évacuation considérable, comme les vomissemens dont j'ai parlé tout à l'heure, ou une diarrhée bilieuse, ou des urines, ou des sueurs abondantes; car, quand il survient quelqu'une de ces évacuations, la fievre disparoît, le malade reprend des forces, & se guérit entierement. Quelquefois aussi, sans aucune de ces évacuations, la transpiration insensible dissipe les restes du venin, & le malade se porte très bien; mais d'autres fois, ce venin, s'il ne s'évacue pas entierement, se jette sur le poulmon, y produit une légere inflammation; l'oppression, la toux, l'angoisse, la fievre reviennent, & le malade est dans un grand danger. Souvent l'orage est moins violent; mais il est long, & il reste des toux très opiniâtres, qui ont plusieurs caracteres de coqueluches. En 1758, il y eut ici une épidémie de rougeoles extrêmement nombreuse: presque tous ceux qui l'eurent, & qui ne furent pas extrêmement bien soignés, eurent aussi cette toux, qui étoit très forte & très rebelle. §. 206. Quoique ce soit-là la marche de la maladie abandonnée à elle-même, ou mal soignée, & sur-tout traitée par un régime chaud; quand on a soin de modérer la fievre dans les commencemens, de délayer, & d'entretenir les évacuations, ces mauvaises suites sont extrêmement rares. §. 207. La façon de traiter cette maladie est la même que pour la petite vérole. 1. Si la fievre est forte, le pouls dur, l'oppression violente, tous les symptomes graves, on fait une ou deux saignées. 2. L'on donne des lavemens & des bains de jambes; la violence du mal en regle la quantité. 3. Les ptisanes Nº. 2 ou 4, ou un thé de sureau ou de tilleul, auquel on mêle une cinquiéme partie de lait. 4. Les parfums d'eau chaude. 5. Dès que les rougeurs commencent à pâlir, on purge avec la potion Nº. 22. 6. On tient le malade au régime, après cette purgation, encore une couple de jours, & ensuite on le met à celui des convalescens. 7. S'il survient, dans le tems que l'éruption doit se faire, des accidens semblables à ceux qui surviennent dans la petite vérole, on y remédie de la même maniere. §. 208. Quand on n'a pas suivi cette méthode, & que les accidens décrits §. 205 surviennent, il faut traiter la maladie comme une inflammation commençante, & faire tout ce qui vient d'être dit §. 207. Si le mal n'est pas violent, l'on peut se passer de la saignée. S'il y a long-tems qu'il dure dans des enfans gras, chargés d'humeurs, lents, pâles, il faut joindre aux mêmes secours, sans saignées, la potion Nº. 8, & les vésicatoires aux jambes. §. 209. Il arrive souvent que l'éloignement des secours les fait négliger, & il se forme une véritable suppuration dans le poulmon, avec une fievre lente. J'ai vu plusieurs enfans dans des villages, périr de cette façon. Alors cet état est de la même nature que celui décrit §. 63 & 77, & finit de même, souvent par une diarrhée très peu douloureuse, & quelquefois puante, qui emmene la malade. Dans ces cas il faut employer tous les secours prescrits §. 70, art. 2, 3, 4, la poudre Nº. 14, le lait & l'exercice. Mais il est si difficile de faire prendre la poudre aux enfans, qu'il faut quelquefois se borner au lait, & j'ai vu souvent que dans ces cas il opéroit seul des guérisons très difficiles. J'avertis que jamais il n'opere aussi efficacement que quand on le prend seul sans aucun autre aliment, & qu'il est très important de ne lui en associer aucun qui ait le plus petit dégré d'aigreur. Les personnes aisées peuvent prendre en même-tems avec succès pour leur boisson, les eaux de Passy, de Forges, de Selter, ou quelques autres très legeres, & qui n'ont que très peu de minéral. On les emploie également avec succès dans tous les cas dans lesquels la cure dont je parle est nécessaire. §. 210. Quelquefois il reste une toux fort séche, avec beaucoup de chaleur dans la poitrine & dans tout le corps, de l'altération, la langue séche & la peau aussi extrêmement séche. J'ai guéri cet état, en faisant respirer la vapeur d'eau chaude, en faisant prendre des bains tiedes, & en ne donnant, pendant plusieurs jours, que de l'eau & du lait. Je réitére, avant que de finir, que le venin de la rougeole est extrêmement âcre. Il paroît avoir quelque rapport avec l'humeur bilieuse, qui produit les érésipelles, & par-là même cette maladie demande des soins, sans quoi il est à craindre qu'elle n'ait des suites fâcheuses. J'ai vu depuis peu une jeune fille qui avoit un peu langui depuis une rougeole essuyée il y a trois ans, & chez laquelle il avoit enfin formé une ulcération au col; le lait coupé avec la salse pareille l'a rétablie. §. 211. L'on a inoculé la rougeole dans les païs où elle est très mauvaise, & cette méthode auroit aussi de grands avantages dans celui-ci; mais il en est comme de l'inoculation de la petite vérole, elle ne peut être utile au peuple qu'au moyen d'un hôpital. CHAPITRE XV. _De la Fiévre ardente, ou chaude._ §. 212. Presque toutes les maladies dont j'ai parlé jusqu'à présent, sont produites par l'inflammation du sang, jointe à l'inflammation particuliere de quelque partie, ou à quelque venin qui doit s'évacuer. Quand le sang s'enflamme sans qu'il y ait aucune partie particulierement attaquée, il produit cette fiévre, qu'on appelle fiévre ardente ou chaude. §. 213. Les signes qui la font connoître sont la dureté du pouls & sa plénitude plus considérables dans cette maladie que dans aucune autre, une chaleur très forte, une grande soif, une sécheresse extraordinaire des yeux, des narines, des lévres, de la langue, de la gorge, un violent mal de tête, & quelquefois des rêveries dans le tems du redoublement, qui est considérable tous les soirs; la respiration un peu gênée, sur-tout dans le tems du redoublement, avec une toux de tems en tems, sans point dans la poitrine & sans crachats, le ventre resserré, les urines rouges chaudes, peu abondantes; quelques tressaillemens ou soubresauts, surtout quand le malade s'endort, peu ou point de bon sommeil, mais presque toujours une espece d'assoupissement qui rend les malades assez peu sensibles à ce qui se passe au tour d'eux & à leur propre état; quelquefois un peu de sueur, mais à l'ordinaire la peau très séche; de la foiblesse; peu ou point de goût & d'odorat. §. 214. Cette maladie est produite comme toutes les maladies inflammatoires par les causes qui épaississent le sang & en augmentent le mouvement, comme l'excès du travail, la trop grande chaleur, les veilles, l'abus du vin ou des liqueurs, un air trop long-tems sec, des excès en tout genre, des alimens échauffans. §. 215. L'on doit mettre d'abord le malade au régime §. 29, & même ne donner des alimens que de huit en huit heures, & quelquefois même seulement deux fois par jour. L'on pourroit dans les cas graves s'en passer tout-à-fait. L'on réitere les saignées jusqu'à ce que le pouls s'amollisse. La premiere doit être considérable. On en fait une seconde quatre heures après. Si le pouls s'amollit, on peut suspendre & n'y revenir que quand il prendroit assez de dureté pour faire craindre de nouveau le danger; mais s'il continue à être fort & dur, on fait dans le même jour la troisieme saignée, qui souvent est la derniere. On donne deux & même trois lavemens par jour Nº. 5. On baigne deux fois par jour les jambes dans l'eau tiéde; on lave en même-tems les mains avec la même eau; on met des linges ou des flanelles trempées dedans, sur la poitrine & sur le ventre, & l'on fait boire très réguliérement le lait d'amande Nº. 4, & la ptisane Nº. 7; le pauvre peut se tenir à cette derniere, mais il faut en boire prodigieusement. Après les saignées, l'air frais & la quantité de boisson font le salut du malade. Si après les saignées, la fiévre continuoit à être très forte, il faut l'abattre en donnant de la potion Nº. 10, une tasse toutes les heures, jusqu'à ce qu'elle ait diminué, & ensuite de trois en trois heures, jusqu'à ce qu'elle soit très modérée. §. 216. Il survient souvent dans cette maladie des saignemens de nez, qui sont très salutaires. Les premiers signes d'amandement sont l'amollissement du pouls, qui ne perd cependant tout-à-fait sa dureté, que quand la maladie est entiérement terminée; la diminution du mal de tête, l'augmentation des urines, la diminution dans leur rougeur, un commencement d'humidité sur la langue. Tous ces signes favorables vont en augmentant, & entre le neuf & le quatorze il survient ordinairement souvent après quelques heures d'orages, des selles beaucoup plus abondantes, une grande quantité d'urine qui dépose un sédiment d'un blanc roux au-dessus duquel l'urine reste très claire & d'une couleur naturelle, & des sueurs plus ou moins abondantes. En même-tems les narines & la bouche s'humectent; cette croûte séche & brune qui couvroit la langue & que rien ne pouvoit enlever, se dissipe d'elle même. Le goût revient, la soif diminue, la clarté des idées renaît, l'assoupissement se dissipe, le sommeil & les forces reviennent. A cette époque il faut donner la potion Nº. 22, & mettre le malade au régime des convalescens. On peut au bout de huit ou dix jours redonner la même potion. Chez quelques malades, les urines ne déposent jamais; mais ils guérissent très bien sans cela. §. 217. On juge que le mal empire, si le pouls reste dur & perd sa force, si le cerveau est plus embarrassé, la respiration plus gênée; les yeux, le nez, les lévres, la langue plus secs, la voix plus changée. Si à ces symptômes se joignent le gonflement du ventre, la diminution des urines, un délire continuel, l'angoisse, l'égarement des yeux, le mal est presque desespéré, le malade n'a plus que quelques heures à vivre, quand ses mains & ses doigts sont continuellement en mouvement, comme pour chercher quelque chose sur ses draps; c'est ce qu'on appelle _chasser aux mouches_. CHAPITRE XVI. _Des Fiévres putrides._ §. 218. Après avoir parlé des maladies fiévreuses qui dépendent de l'inflammation du sang, je parlerai de celles que produisent les matieres corrompues qui croupissent dans l'estomac, dans les boyaux, dans les visceres du bas ventre, ou qui ont déja passé dans le sang, & qu'on appelle fiévres putrides, ou quelquefois fiévres bilieuses, quand la bile paroît avoir le plus de part à la maladie. §. 219. Cette maladie s'annonce souvent plusieurs jours à l'avance par un grand abattement, une pesanteur de tête, des douleurs de reins & de genoux, la bouche mauvaise le matin, peu d'appétit, un sommeil inquiet; quelquefois un mal de tête excessif pendant plusieurs jours, sans aucun autre symptôme. Ensuite il survient un frisson suivi d'une chaleur âcre & séche, le pouls qui est petit & vîte pendant le frisson, s'éleve pendant la chaleur, & est souvent très fort, mais il n'a pas la même dureté que dans les maladies précédentes, à moins que la fiévre putride ne soit compliquée avec une fiévre inflammatoire; ce qui arrive quelquefois. Pendant ce tems-là le mal de tête est ordinairement très violent, le malade a presque toujours des nausées, & même quelquefois des vomissemens; de l'altération, des rapports désagréables, la bouche amere; il urine peu. Cette chaleur dure plusieurs heures, souvent toute la nuit; elle diminue un peu le matin; & le pouls, toujours fiévreux, l'est alors un peu moins; le malade souffre moins; mais il est très abattu. La langue est blanche, sale, les dents se salissent, l'haleine a une mauvaise odeur. La couleur, la qualité, & la consistence des urines varient beaucoup. Quelques malades sont resserrés, d'autres font fréquemment de petites selles, qui ne les soulagent point. La peau est quelquefois seche, d'autres fois il y a de sa transpiration, mais qui ne fait aucun bien. La fievre redouble tous les jours, & souvent à des heures irrégulieres. Outre le grand redoublement qu'on observe chez tous les malades, il y en a souvent des petits chez quelques-uns. §. 220. Quand le mal est abandonné à lui-même, ou mal soigné, ou plus fort que les remedes, ce qui n'est pas rare, la fievre augmente, les redoublemens deviennent plus longs, plus fréquens, irréguliers; il n'y a point de bons momens; le ventre se tend comme un ballon, ce qu'on appelle metéorisme; les rêveries surviennent; le malade ne sent plus ses besoins, & se salit dans son lit; il refuse les secours, parle continuellement, il a le pouls vite, petit, irregulier. Il paroît quelquefois de petites taches, d'un brun livide, sur la peau, surtout du col, du dos, & de la poitrine. Toutes les matieres qui sortent du corps du malade, ont une odeur très puante; il survient des mouvemens convulsifs, surtout au visage; il ne se couche que sur le dos, & tombe insensiblement vers les pieds du lit; _il chasse aux mouches_. Le pouls devient si petit & si vite, qu'on ne peut qu'à peine le sentir, & point le compter. L'angoisse paroît inexprimable; il coule une sueur de détresse; la poitrine s'emplit, & l'on meurt misérablement. §. 221. Quand la maladie est moins violente, ou qu'elle est bien traitée, & que les remedes réussissent; le mal reste quelques jours dans l'état décrit (§. 219) sans empirer & sans diminuer; alors il ne survient aucun des symptomes (§. 220); mais au contraire tous les symptomes diminuent. Les redoublemens sont moins longs, & moins violens; le mal de tête plus supportable; les selles sont moins fréquentes, plus abondantes & soulagent; les urines coulent abondamment, quoiqu'elles continuent à varier; il revient un peu de sommeil, & il est plus tranquille; la langue se nétoie, & chaque jour la santé revient. §. 222. Cette maladie n'a pas de terme fixe, ni pour guérir ni pour tuer. Quand elle est très violente, ou mal conduite, elle tue quelquefois le neuvieme jour. Souvent l'on en meurt du dix-huitieme au vingtieme; quelquefois seulement environ le quarantieme, après avoir eu des alternatives de mieux & de pire. La maladie, quand elle est legere, est quelquefois guérie au bout de peu de jours, après les premieres évacuations. Il y a des malades qui ne sont hors de danger qu'au bout de six semaines, & même plûtard; mais il est vrai que ces maladies si longues, dépendent souvent, en grande partie, du traitement; & qu'ordinairement le cours en doit être décidé entre le quatorzieme & le trentieme jour. §. 223. Pour guérir les fievres de cette espece, 1. S'il y a inflammation, ce qu'on connoît par la force & la dureté du pouls & par le temperamment du malade, s'il est fort & robuste, ou s'il est échauffé par quelqu'une des causes marquées (§. 214), il faut faire une saignée, & même, s'il est nécessaire, une seconde quelques heures après. Mais j'avertis que très souvent il n'y a point d'inflammation, & qu'alors la saignée seroit nuisible. 2. On _met le malade au régime_ (§. 29-42), & quoiqu'il ait le ventre libre, quelquefois même un peu de diarrhée, il faut également donner tous les jours un lavement. La boisson ordinaire est de la limonade, ou la ptisane Nº. 3. 3. Quand il a bu, deux jours, abondamment de cette ptisane, s'il a encore la bouche très mauvaise & de fortes envies de vomir, on lui donne la poudre Nº. 33, délayée dans un demi pot d'eau tiede, dont il boit un verre tous les demi quarts-d'heure. Mais comme ce remede fait vomir, il ne faut le prendre que quand on est sûr qu'il n'y a aucune circonstance qui doive en empêcher l'usage; ces circonstances seront indiquées dans le chapitre des remedes de précaution §. 441 & suiv. Si, dès les premiers verres, le malade commençoit à vomir abondamment, on ne lui en donneroit plus & l'on se contenteroit de lui faire boire, une très grande quantité d'eau tiede. S'il ne vomit pas, ou s'il ne vomit que peu, on continue. Ceux qui craindroient ce remede, qui est ce qu'on appelle ordinairement l'émétique, pourroient prendre celui Nº. 34 en buvant aussi beaucoup d'eau tiede, quand il opéreroit; mais le premier est à préférer dans les cas graves. L'on ne doit au reste jamais employer ni l'un ni l'autre quand il y a inflammation; ce seroit alors donner un vrai poison; & même si la fievre est très forte, quoique sans inflammation, l'on ne doit pas s'en servir. Le moment de les placer, c'est après le redoublement, quand la fiévre a beaucoup baissé. Ordinairement après avoir fait vomir, le reméde Nº. 33 purge; le Nº. 34 opére plus rarement cet effet. Dès que les vomissemens ont fini, on recommence la ptisane, & il faut bien se garder de donner du bouillon au malade, sous prétexte qu'il est purgé. Les jours suivans on continue comme les premiers; mais comme il est important de tenir le ventre libre, il faut prendre tous les jours la ptisane Nº. 31. Ceux pour qui elle seroit trop dispendieuse, y suppléeront en mettant tous les jours le quart de la poudre Nº. 33, dans cinq ou six tasses d'eau, dont ils prendroient une tasse toutes les deux heures, en commençant de grand matin. Mais si la fiévre étoit très forte, le Nº. 31 doit être préféré. 4. Après l'effet de l'émétique, si la fiévre continue, si les selles restent puantes, si le ventre est un peu tendu, si les urines ne coulent pas abondamment, il faut donner, de deux en deux heures, une tasse de la potion Nº. 10, qui arrête la putridité & abbat la fiévre. Quand le mal est très pressant, on peut en donner toutes les heures. 5. Quand malgré ces secours, la fiévre continue, & que le cerveau n'est pas net, que le malade a de violens maux de tête ou de l'inquiétude, il faut mettre au gras des jambes les emplâtres vésicatoires Nº. 35, & les laisser suppurer le plus long-tems qu'il sera possible. 6. Quand la fiévre est très forte, il faut absolument retrancher toute nourriture. 7. Quand on ne peut pas donner l'émétique, l'on doit donner le matin, deux jours de suite, trois prises de la poudre Nº. 23, à une heure de distance l'une de l'autre: ce remede procure quelques selles bilieuses qui abbattent beaucoup la fiévre & diminuent considérablement la violence de tout le reste de la maladie. On l'emploie avec succès dans les cas où la fiévre trop forte empêche l'émétique, & l'on doit se borner à ce remede toutes les fois qu'on est incertain si les circonstances du mal permettent le vomissement, dont on peut d'ailleurs se passer dans un très grand nombre de cas. 8. Quand le mal a beaucoup diminué, que les redoublemens sont foibles & que le malade est quelques heures sans fiévre, on doit discontinuer l'usage journalier des boissons purgatives; mais l'on continue celui de la ptisane, & l'on fait très bien de donner, de deux en deux jours, deux prises de la poudre Nº. 23 qui prévient très bien toutes les suites facheuses de la maladie. 9. Si la fievre a fini pendant la plus grande partie du jour, si la langue est bonne, si le malade a été bien purgé, & qu'il reste cependant un accès de fievre tous les jours, il faut donner la poudre Nº. 14 quatre prises entre la fin d'un accès & le commencement d'un autre: l'on continue quelques jours sur ce pied. Ceux qui ne seroient pas en état de se procurer ce remede, pourroient y suppléer par la boisson amere Nº. 36; dont ils prendroient quatre verres à distances égales entre les accès. 10. Comme les organes qui servent à la digestion, ont été extrêmement fatigués dans cette maladie, il est très important de se menager long tems, pour la quantité & la qualité des alimens; & de prendre de l'exercice dès que les forces le permettent, sans quoi, l'on pourroit tomber dans quelque maladie de langueur. CHAPITRE XVII. _Des Fievres malignes._ §. 224. L'on appelle fiévres malignes, celles dans lesquelles le danger est plus grand que les symptomes ne sont effrayans. Elles font du mal sans qu'on les croie dangereuses. C'est, comme on l'a fort bien dit, un chien qui mord sans aboyer. §. 225. Le caractere distinctif des fievres malignes, c'est la perte totale des forces dès le commencement. Elles dépendent d'une corruption des humeurs, qui est pernicieuse au principe des forces, dont la destruction est précisément la cause du peu de violence des accidens; parcequ'aucun organe n'est plus en état de faire une défense vigoureuse, contre la cause de la maladie. Si au moment où deux armées vont se battre, on enleve à l'une presque toutes ses armes, le combat sera peu violent, peu bruyant, horriblement meurtrier. Le spectateur, qui, sans s'appercevoir de ce désarmement, ne jugeroit du carnage qui se fait que par le bruit, seroit extrêmement trompé. Le nombre des morts sera prodigieux: il l'eut été beaucoup moins, & le bruit plus grand, si les combattans avoient été armés de part & d'autre. §. 226. Les causes de cette maladie sont: un long usage des viandes, sans légumes, sans fruits, sans acides; des alimens mal conditionnés, comme le pain fait avec de mauvaises graines; des viandes corrompues (huit personnes mangerent du poisson gâté; elles furent toutes attaquées d'une fievre maligne, & il en périt cinq, malgré les soins des plus habiles Médecins); la disette; un air trop chaud & trop humide, un air surtout qui réunit ces deux qualités; aussi ces maladies sont fréquentes dans les années chaudes, au bord des étangs & des marais: un air enfermé, surtout s'il est habité par plusieurs personnes; un principe singulier de corruption dans l'air; les chagrins. §. 227. Les symptomes des fievres malignes sont, je l'ai déja dit, une perte totale des forces, sans aucune cause précédente sensible, qui ait pu les détruire; en même tems un abbattement de l'ame, qui devient presqu'insensible à tout, & même à la maladie; un changement prompt dans le visage, & sur-tout dans les yeux; de petits frissons qui, en vingt-quatre heures, se renouvellent plusieurs fois, avec de petits accès de chaleur; quelquefois un grand mal de tête & de reins, d'autrefois il n'y a point de douleur. Des especes de défaillance, dès le commencement du mal, ce qui est toujours fâcheux; point de bon sommeil, souvent un demi-assoupissement; une rêverie légere & sourde, qui se manifeste sur-tout par l'air extraordinaire & étonné du malade, qui paroît s'occuper profondément de quelque chose, & qui ne pense à rien. Quelques malades ont cependant des rêveries violentes. Un sentiment de pesanteur, d'autrefois de serrement dans le voisinage du creux de l'estomac. Le malade paroît avoir beaucoup d'angoisse. Il a quelquefois de légers mouvemens convulsifs, dans le visage, dans les mains, & même dans les bras & les jambes; les sens paroissent s'engourdir. J'ai vu plusieurs malades perdre les cinq sens; & quelques-uns ont guéri. La voix s'altere, s'affoiblit; quelquefois elle se perd entierement. Il n'est point rare de voir des malades, qui ne voient, n'entendent, ni ne parlent. Quelques-uns ont une douleur fixe dans quelque partie du bas-ventre. Elle dépend d'un engorgement, qui finit souvent par la gangrene; aussi ce symptome est très fâcheux. La langue est quelquefois très peu changée; d'autrefois, chargée d'un sédiment d'un jaune brun; plus rarement seche que dans les autres especes de fievre; quelquefois cependant elle ressemble exactement à une langue long-tems fumée. Le ventre reste quelquefois très mol; d'autrefois il est tendu. Le pouls est foible; quelquefois assez régulier; toujours plus vite que dans l'état naturel; quelquefois même très vite; & je l'ai toujours trouvé tel, quand le ventre étoit tendu. La peau n'est souvent, ni froide, ni chaude, ni seche, ni humide; elle se couvre souvent de taches pétéchiales, (ce sont de petites taches d'un rouge livide) sur tout au col, autour des épaules, au dos; d'autrefois ce sont de plus grandes taches brunes, comme après des coups de bâton. Les urines sont presque toujours crues, c'est-à-dire, moins colorées qu'à l'ordinaire. J'en ai vu qu'on ne pouvoit point à l'oeil distinguer du lait. Il y a quelquefois une diarrhée noire & fétide, qui est mortelle, si elle ne soulage pas. Il se forme chez quelques malades, des ulceres livides, dans l'intérieur de la bouche & dans le palais; d'autrefois il se fait des dépôts, dans les glandes qui sont aux aines, sous les aisselles, entre les oreilles & la machoire; ou il se forme une gangrene dans quelque partie, aux pieds, aux mains, au dos. Les forces se perdent entierement; le cerveau s'embarrasse tout-à-fait. Le malade étendu sur son dos, meurt souvent avec des convulsions, une sueur prodigieuse, & la poitrine embarrassée. Quelquefois ce sont des hémorragies qui tuent: elles sont presque toujours mortelles dans cette maladie. Il y a dans cette fievre, comme dans toutes les autres, un redoublement le soir. §. 228. Le terme de ces maladies est, comme celui des fievres putrides, très irrégulier. L'on meurt quelquefois le septiéme ou le huitiéme jour; plus ordinairement entre le douziéme & le quinziéme; souvent au bout de cinq ou six semaines: cela dépend de la force de la maladie. Il y en a dont les commencemens sont tout-à-fait lents, & pendant les premiers jours, le malade, avec beaucoup de foiblesse, & un air très changé, se croit à peine malade. Il en est du terme de la guérison, comme de celui de la mort. Il y a des malades hors de danger au bout de quinze jours, & même plutôt, d'autres seulement au bout de quelques semaines. Les signes qui annoncent une guérison sont: un peu plus de force dans le poulx; des urines plus cuites, moins d'abbattement & de découragement, le cerveau plus net, une chaleur égale, une sueur chaude, médiocrement abondante, sans angoisse, le retour des sens perdus pendant la maladie, quoique ce ne soit point un mal quand le malade devient sourd, si en même-tems les autres symptômes s'amandent. Cette maladie laisse ordinairement beaucoup de foiblesse, & il faut long-tems, avant que les malades aient repris entiérement leurs forces. §. 229. Il est plus important, dans cette maladie, soit pour le malade, soit pour les assistans, que dans aucune autre, de rafraîchir & de purifier l'air. Il faut souvent bruler du vinaigre dans la chambre, & avoir presque toujours une fenêtre ouverte. La diette doit être legere & aigre. On peut donner du jus d'oseille; mettre du jus de citron dans les farineux; manger des fruits aigres, comme griottes, groseilles, merises, & pour ceux qui sont en état, citrons, oranges, grenades. L'on doit aussi changer les linges le plus souvent possible. La saignée est rarement nécessaire, & les exceptions ne peuvent être déterminées sûrement qu'en voyant le malade. Les lavemens sont souvent très peu nécessaires, quelquefois dangereux. La boisson ordinaire doit être une ptisane d'orge rendue aigre avec l'esprit acide Nº. 10, dont on met deux gros sur une pinte, ou de la limonade. Il est important d'évacuer les premieres voies, où il y a ordinairement une quantité de matieres corrompues. Pour cela l'on donne la poudre Nº. 34, & ordinairement, après son effet, le malade est mieux au moins pendant quelques heures. Il est très important de donner ce remede dans les commencemens; mais quand on l'a négligé, on peut le donner plus tard, moyennant qu'il ne soit point survenu d'inflammation particuliere, & qu'il reste encore un peu de force au malade. Je l'ai donné, & avec un succès marqué, le vingtieme jour. Après avoir enlevé par ce reméde une grande partie des matieres qui contribuent à entretenir la fiévre, l'on fait prendre, de deux jours l'un, tant que la maladie dure, quelquefois même tous les jours, une prise de crême de tartre & de rhubarbe Nº. 37. Ce remede évacue les matieres corrompues, prévient la corruption des autres, chasse les vers qui sont très fréquens dans ces maladies, que le malade rend quelquefois par en haut & par en bas, & qui ont souvent beaucoup de part aux accidens bisarres qu'on observe: enfin il fortifie les intestins; & sans arrêter les évacuations nécessaires, il modere la diarrhée quand elle est nuisible. Si avec la diarrhée la peau est séche, & qu'en arrêtant la diarrhée on veuille aider la transpiration, on peut, au lieu de rhubarbe, mêler à la crême de tartre de l'ipecacuana Nº. 38, qui, donné à petites doses & fréquemment, arrête la diarrhée & chasse le venin à la peau. Les remedes Nº. 37 & 38 se prennent le matin; deux heures après il faut commencer la potion Nº. 39, & la continuer réguliérement de trois en trois heures, jusqu'à ce qu'on l'interrompe pour redonner l'un des remedes Nº. 37 ou 38, & on la recommence ensuite jusqu'à ce que le malade soit beaucoup mieux. Si les forces étoient extrêmement abattues, & que le malade eut des foiblesses fréquentes & des angoisses, il faudroit donner avec chaque prise de potion un bol Nº. 40. Si la diarrhée étoit très forte, on joindroit une ou deux fois par jour à ce bol, vingt grains, ou la grosseur d'une petite féve de _diascordium_; ou, si l'on n'en avoit point, de _thériaque_. Quand, malgré ces secours, le malade reste dans son état de foiblesse & d'insensibilité, il faut appliquer de grands vésicatoires au gras des jambes ou à la nuque: quelquefois même, quand il y a beaucoup d'assoupissement ou d'embarras de cerveau, on les met avec grand succès sur toute la tête. On les fait suppurer abondamment; & s'ils se séchent au bout de quelques jours, on en remet d'autres. Il faut entretenir long-tems un écoulement. Dès que le mal est assez amandé, pour que le malade soit quelques heures avec très peu ou point de fiévre, il faut profiter de cet intervalle pour donner six, ou au moins cinq prises du reméde Nº. 14, & réitérer la même dose le lendemain, ce qui arrête les accès. On continue ensuite à en donner deux doses pendant quelques jours. Dès qu'il n'y a plus de fiévre, on met le malade au régime des convalescens §. 42; & si les forces ne reviennent pas, on lui donne avec succès pour les rétablir plus vîte, deux prises par jour, une à jeun, & l'autre douze heures après, de la thériaque des pauvres Nº. 41, qu'il seroit à souhaiter qu'on introduisît dans toutes les apoticaireries, comme un excellent stomachique fort à préférer à cet égard à l'autre thériaque, qui est une composition ridicule, chere & souvent dangereuse. Il est vrai que celle des pauvres ne fait pas dormir; mais quand on veut procurer du sommeil, il y a beaucoup d'autres remédes qui valent mieux que la thériaque. Ceux qui ne craindront pas la dépense, au lieu du reméde Nº. 41, continueront à prendre tous les jours, pendant quelques semaines, trois prises du Nº. 14. §. 230. L'on a dans les campagnes, sur le traitement de ces fiévres, un préjugé qu'il faut détruire, non-seulement parcequ'il est faux & ridicule, mais encore parcequ'il est dangereux. L'on imagine que des animaux peuvent attirer le venin; pour cela on met ou des poules, ou des pigeons, ou des chats, ou des cochons de lait aux pieds ou sur la tête du malade, après les avoir ouverts en vie. On les retire quelques heures après corrompus & répandans une odeur horrible; on se persuade que c'est le venin dont ils sont chargés. C'est une erreur, ils puent non point parcequ'ils ont tiré le venin, mais parcequ'ils se sont pourris par l'humidité & par la chaleur, & ils n'ont que l'odeur qu'ils auroient si on les avoit mis dans tout autre endroit que le corps du malade, également chaud & humide. Bien loin d'ôter le venin, ils augmentent la corruption, & il n'y auroit qu'à appliquer plusieurs de ces animaux sur un corps sain, dans le lit, & le laisser long-tems dans cet air, pour lui donner une fiévre maligne. Dans le même but, on attache un mouton au pied du lit pendant plusieurs heures; ce qui n'est pas aussi dangereux, quoique ce soit toujours un mal, parceque plus il y a d'animaux dans la chambre, plutôt l'air est corrompu, mais cela est tout aussi peu sensé. Il est bien certain que les animaux qui environnent le malade, respirent le venin qui sort de son corps; mais ils n'en font pas sortir: au contraire, en contribuant aussi à corrompre l'air, ils augmentent la maladie. Du faux principe, on tire une fausse conséquence; l'on dit que si le mouton meurt, le malade guérira: ordinairement le mouton ne meurt pas, & quelquefois cependant le malade guérit, d'autrefois ils meurent tous les deux. §. 231. Souvent la cause qui produit les fiévres malignes, s'allie avec d'autres maladies, & en augmente extrêmement le danger: elle se mêle, par exemple, avec le venin de la petite vérole & celui de la rougeole. On le connoît par la réunion des accidens qui caractérisent la malignité avec les symptômes de ces maladies. Ces cas sont extrêmement dangereux; ils demandent toute l'attention d'un Médecin, & il n'est pas possible d'en prescrire ici le traitement, qui dépend, en général, de la combinaison du traitement des deux maladies; mais la malignité demande ordinairement le plus d'attention. CHAPITRE XVIII. _Des Fiévres d'accès._ §. 232. Les fiévres d'accès, que le peuple appelle fiévres tremblantes, «sont celles qui, après un accès de quelques heures, diminuent sensiblement ainsi que les symptômes, & cessent enfin absolument, de façon cependant que l'accès revient ensuite». Il y en a toujours beaucoup dans tous les lieux où l'on respire un air marécageux. §. 233. Il y en a de plusieurs especes. Elles tirent leurs noms de l'ordre dans lequel les accès reviennent. Si l'accès revient tous les jours, c'est ou une vraie quotidienne, ou une double tierce. On peut les distinguer l'une de l'autre, en ce que dans la quotidienne les accès sont longs & se ressemblent tous. Elle n'est pas fréquente. Dans la double tierce ils sont moins longs, & il y en a alternativement un plus leger & un plus fort. Dans la fiévre tierce, les accès reviennent de deux jours l'un. Dans la quarte, seulement le quatrieme jour, & le malade a deux jours de bons. Les autres especes sont très rares. J'ai vu une véritable quinte; & une véritable septimane, qui revenoit tous les dimanches. §. 234. Le premier accès de fiévre intermittente, attaque souvent dans le tems qu'on se croit le mieux portant. D'autres fois, il est précédé par un sentiment de froid & d'engourdissement, qui dure quelques jours avant que l'accès se déclare. Il commence par des bâillemens, des lassitudes, une foiblesse, des froids, des frissons, des tremblemens; par la pâleur des extrémités, par des nausées, & quelquefois par un vomissement. Le pouls est vîte, foible & petit, & la soif assez grande. Au bout d'une heure ou deux, rarement trois ou quatre, il survient une chaleur qui augmente insensiblement, & devient extrême. Alors le corps devient rouge, l'anxiété diminue, le pouls est plus fort & plus grand, la soif est excessive, le malade se plaint d'un mal de tête violent & d'une douleur dans tous les membres, enfin l'on tombe dans une sueur générale de quelques heures. Tous les symptômes, dont on vient de parler, diminuent, & souvent le sommeil survient. Après ce sommeil, le malade se réveille souvent sans fiévre; il ne lui reste alors qu'une lassitude & de la foiblesse. Quelquefois le pouls, entre les accès, est dans son état naturel, souvent il reste un peu plus vîte qu'en santé, & ne reprend sa premiere lenteur que quelques jours après le dernier accès. Un des symptômes qui caractérise le plus particulierement les fiévres d'accès, c'est la nature des urines que le malade rend sur la fin de l'accès. Elles sont rougeâtres, & elles déposent un sédiment qui ressemble exactement à de la brique pilée. Quelquefois elles sont écumeuses, & il se forme au-dessus une pellicule qui s'attache aux côtés du verre. §. 235. La durée de chaque accès n'est point fixe, elle varie suivant l'espece de la fiévre & plusieurs autres circonstances. L'accès revient quelquefois précisément à la même heure; d'autre fois chaque accès avance d'une, deux, trois heures; quelquefois ils retardent d'autant. L'on a cru remarquer que les fiévres dont les accès anticipoient, se terminoient plutôt que les autres; mais ce n'est point une régle générale. §. 236. L'on distingue les fiévres d'accès, en fiévres de printems ou d'automne. L'on appelle fiévres de printems, celles qui régnent depuis le mois de Février jusqu'à la fin de Juin; fiévres d'automne, celles qui régnent depuis le mois de Juillet jusqu'au mois de Janvier. Leurs caracteres essentiels sont les mêmes. Ce ne sont point proprement des maladies différentes; mais les circonstances qui les accompagnent méritent quelqu'attention. Les circonstances dépendent de la saison & de la constitution des corps dans ces saisons. Les fiévres de printems sont quelquefois jointes à une disposition inflammatoire; parceque c'est la disposition des corps dans ce tems là; & comme tous les jours la saison devient plus favorable, elles sont ordinairement assez courtes. Celles d'automne sont souvent mêlées d'un principe de putridité, & comme la saison devient fâcheuse, elles sont plus opiniâtres. §. 237. Les fiévres d'automne commencent très rarement en Juillet, beaucoup plus souvent en Août, & leur longueur a répandu cette frayeur qu'on a des fiévres qui commencent dans ce mois; mais le préjugé a cru que leur danger venoit des influences du mois d'Août: c'est une misérable erreur, il vaut mieux qu'elles commencent en Août que dans les mois suivans, parcequ'elles sont d'autant plus opiniâtres, qu'elles paroissent plûtard. Ces fiévres s'annoncent quelquefois comme des fiévres putrides, & ce n'est qu'au bout de quelques jours qu'elles se réglent en fiévres d'accès; mais il n'y a pas de danger à s'y tromper, & à employer le traitement marqué pour les fiévres putrides. Le sédiment couleur de brique, & sur-tout la pellicule au-dessus des urines, sont ordinaires dans les fiévres d'automne, & manquent souvent dans celles de printems. «Dans celles-ci les urines sont d'ordinaire moins rouges, & tirent plutôt sur le jaune; il se forme dans le milieu une espece de nuage. Elles déposent un sédiment blanc, qui est d'un bon augure». §. 238. Ordinairement les fiévres d'accès ne sont pas mortelles. Celles de printems se dissipent même souvent sans aucun remede après quelques accès. Il n'en est pas de même de celles d'automne, qui durent très long-tems, & même quelquefois jusqu'au printems, si on les laisse sans remede, ou si on ne les traite pas bien. Les fiévres quartes sont toujours plus rebelles que les tierces; ce sont celles que les malades gardent quelquefois pendant des années. Dans les pays marécageux, quand on a la fiévre, non-seulement elle est très longue, mais elle a de fréquentes récidives. §. 239. Quelques accès de fievre ne sont pas extrêmement nuisibles. Il arrive même quelquefois, qu'ils produisent quelque changement favorable dans la santé, & détruisent quelques maladies de langueur. Mais on se trompe en les regardant généralement comme salutaires. S'ils durent long-tems, s'ils sont longs & violens, ils affoiblissent tout le corps, ils dérangent toutes les fonctions, & surtout les digestions; ils rendent les humeurs âcres, & jettent dans plusieurs maladies chroniques, entre autres la jaunisse, l'hydropisie, l'asthme, & les fiévres lentes. Quelquefois les vieillards et les gens très foibles meurent dans l'accès; & c'est toujours dans le tems du froid. §. 240. L'on a un remede immanquable pour la guerison de ces fiévres; c'est le _Kina_ ou _Kinkina_; ainsi l'on est toujours sûr de les dissiper, & il n'y a de difficulté que celle de savoir, s'il n'y a point d'autre cause de maladie compliquée avec la fievre. S'il y en a, il faut les détruire par leurs remedes particuliers. §. 241. Dans les fiévres de printems, si les accès ne sont pas violens, si le malade est bien entre les accès, que son appétit, ses forces, son sommeil, ne se perdent pas, il ne faut rien faire du tout, que mettre le malade _au régime des convalescens_. §. 42, 45. C'est celui qui convient dans toutes les fievres d'accès; parceque si on les mettoit au régime des maladies aigües, on les affoibliroit inutilement; & si l'on ne retranchoit rien de leurs alimens, comme il ne se fait point de digestion pendant tout le tems de l'accès, & que l'estomac est toujours un peu affoibli, il se formeroit des crudités qui entretiendroient la fiévre. L'on doit ne point prendre d'alimens solides au moins deux heures avant l'accès. Si la fiévre revient, après le sixieme ou le septieme, & que le malade ne paroisse avoir aucun besoin de purger, ce qu'on apprendra à connoître dans le chapitre des remedes de précaution §. 416, on lui donne le quinquina, qui est la poudre Nº. 14. Si la fiévre est quotidienne, ou double tierce, on en donne trois quarts d'once, ou six prises, entre deux accès; & comme l'on n'a que dix ou douze, tout au plus quatorze ou quinze heures, il ne faut mettre qu'une heure & demie d'intervalle entre chaque prise. On peut placer un seul bouillon, dans tout ce tems-là, entre deux prises. Quand la fiévre est tierce, il faut en donner une once, ou huit prises. On en prend une de trois en trois heures. Quand elle est quarte, j'en donne une once & demie de la même façon. Il est inutile de vouloir arrêter les accès avec de moindres doses. C'est en les donnant trop petites qu'on échoue si souvent, & l'on croit le remede inutile; au lieu qu'il ne l'est que par la faute de ceux qui l'emploient. Il faut que la derniere prise soit donnée deux heures avant l'accès. Souvent après ces doses de kina, l'accès manque; mais soit qu'il manque, ou qu'il revienne, il faut après que son tems est passé, en redonner la même quantité, qui emporte certainement le second accès. On continue ensuite, pendant six jours, de donner la moitié de cette dose, entre le tems qu'auroient rempli ces accès, s'ils étoient venus; & pendant tout ce tems-là le malade prend le plus d'exercice qu'il peut. §. 242. Si les accès sont très forts, le mal de tête très violent, le visage rouge, le pouls plein & dur; s'il y a de la toux; si lors même que l'accès est passé, le pouls conserve de la dureté; si les urines sont ardentes, la langue fort seche, il faut saigner & faire boire beaucoup de ptisane d'orge Nº. 3. Ces deux remedes mettent ordinairement dans l'état décrit §. 241. L'on peut donner, dans un jour libre, trois ou quatre prises de la poudre Nº. 23. & ensuite l'on abandonne la maladie pendant quelques accès. Si elle ne finit pas, on vient au quinquina. Si le malade, hors même des accès, avoit la bouche mauvaise, du dégoût, des maux de reins, des douleurs de genou; on pourroit le purger, avant que de lui donner le quinquina, avec la poudre Nº. 21 ou la potion Nº. 22. §. 243. Dans les fiévres d'automne, si elles s'annoncent continues à-peu-près comme les fiévres putrides, on fait prendre abondamment de la ptisane d'orge Nº. 3; & au bout de deux ou trois jours, si les signes d'embarras dans l'estomac continuent, on donne le remede Nº. 33 ou celui Nº. 34[14]. Après ce remede si les signes de putridité continuent encore, on purge avec plusieurs prises de la poudre Nº. 23, ou, les gens robustes, avec celle Nº. 21; & quand la fiévre est tout-à-fait reglée, on donne le quinquina comme §. 241. Mais comme les fiévres d'automne sont plus opiniâtres, après l'avoir discontinué huit jours, quoiqu'il ne soit revenu aucun accès, il faut le redonner encore pendant huit autres jours, trois prises par jour; surtout si la fiévre étoit quarte; & même dans cette espece, je l'ai souvent fait prendre six fois, de huit en huit jours. Le peuple aura de la peine à se soumettre à cette cure, qui est couteuse par le prix du quinquina; mais je n'ai pas cru que cela dût m'empêcher de l'indiquer comme la seule qui soit certaine, car rien ne peut remplacer le quinquina; c'est le seul remede sûr, c'est le seul innocent dans tous les cas. L'on a été imbu pendant long-tems de préjugés contraires. L'on croyoit qu'il gâtoit l'estomac; & pour prévenir cela, on donnoit à manger une heure après. Bien loin de gâter l'estomac, c'est le remede du monde qui le fortifie & le rétablit le mieux; & c'est une coutume nuisible, quand on est obligé de le donner souvent, que de manger une heure après. L'on croyoit qu'il laissoit des obstructions, & qu'il conduisoit à l'hydropisie. Ce qui obstrue & conduit à l'hydropisie, c'est la longueur de la fiévre. Non-seulement le quinquina empêche ce malheur, mais lorsqu'il est arrivé, parcequ'on ne s'en est pas servi, son usage guérit cette maladie. En un mot, s'il y a quelque maladie jointe à la fiévre, quelquefois cela empêche l'effet du quinquina sans le rendre nuisible. Mais quand la fievre est seule, il a toujours fait, & fera toujours, tout le bien possible. Je parlerai ailleurs des moyens qui peuvent y suppléer quoiqu'imparfaitement. [14] Voyez, §. 223, les cas dans lesquels on doit employer ce second remede, préférablement au premier. §. 244. Dès qu'on a commencé le quinquina, il faut bien se garder de se purger, la purgation redonneroit la fiévre. §. 245. La saignée n'est jamais, ou presque jamais, nécessaire dans la fiévre quarte, qui attaque en automne plutôt qu'au printems; & avec des symptômes de putridité, plutôt que d'inflammation. §. 246. Le malade doit, une couple d'heures avant que l'accès commence, boire tous les quarts d'heures, un petit verre tiede, de thé de sureau, adouci avec du miel, & se promener doucement; cela le dispose à un peu de moiteur, qui rend le froid, & par là même, tout l'accès plus doux. Il continue la même boisson pendant tout le tems du froid; & quand la chaleur est venue, il peut, ou la continuer, ou lui substituer celle Nº. 2, qui est plus rafraichissante; mais il n'est plus nécessaire de boire tiede; il suffit de ne pas boire trop froid. Quand la sueur est finie, on essuie bien le malade, & il peut se lever. Si l'accès étoit fort long, on pourroit donner, pendant la sueur, un peu de gruau, ou quelque autre aliment semblable §. 35. §. 247. Quelquefois la premiere dose, & même les premieres doses de quinquina purgent. Ce n'est pas un mal; mais, pendant qu'il purge, il n'arrête ordinairement pas la fiévre; ainsi il faut regarder ces doses comme perdues à cet égard, & en redonner d'autres, qui cessent de purger, & arrêtent les accès. Si la diarrhée continuoit, on le suspendroit un jour, pour donner un demi quart d'once de rhubarbe; ensuite on le recommenceroit; & si la diarrhée persistoit, on mêleroit à chaque prise de quinquina, quinze grains de thiéraque. Mais ce n'est que dans ce cas qu'on doit le mêler; toutes les autres choses auxquelles on l'associe affoiblissent sa vertu. §. 248. Avant que l'on connût l'usage du quinquina, l'on se servoit des autres amers, qui ont aussi beaucoup de qualités. L'on trouvera Nº. 42, trois remedes de cette espece, qui sont très bons, & dont j'ai souvent éprouvé l'efficacité; mais d'autres fois, j'ai été obligé de les abandonner pour venir au quinquina. La limaille de fer, qui entre dans la composition Nº. 42, est très febrifuge dans certains cas. J'ai guéri avec ce remede, au milieu de l'hiver 1753, d'une fiévre quarte, un malade que je n'avois pas pû déterminer à prendre du quinquina. Il est vrai qu'il étoit extrêmement docile pour le régime; & au plus fort de l'hiver, il montoit tous les jours à cheval, & prenoit d'autres exercices en plein air, jusques à ce qu'il commençât à transpirer abondamment. §. 249. Un autre moyen aisé dont je me suis servi souvent, avec un succès entier, contre les fiévres tierces; mais qui ne m'a réussi que deux fois dans les quartes; c'est de faire suer abondamment le malade, dans le tems que l'accès doit venir. Pour cela il boit, trois ou quatre heures avant l'accès, l'infusion de sureau mielée, & une heure avant le moment du frisson il se met au lit, & on lui donne, aussi chaud qu'il peut le boire, le remede Nº. 43. J'en ai aussi guéri quelques-unes, & tierces & quartes, en 1751 & 1752, en donnant de quatre en quatre heures entre les accès, la poudre Nº. 44; mais outre qu'elle m'a manqué plusieurs fois, & qu'elle ne guérissoit point aussi promptement, elle affoiblissoit les malades; elle leur dérangeoit l'estomac; & deux fois, quoiqu'elle eût guéri la fiévre, je fus obligé de recourir au quinquina, pour rétablir entiérement la santé. Mais comme ces moyens sont peu coûteux & réussissent souvent, j'ai cru devoir les indiquer. §. 250. L'on vante une quantité d'autres remédes pour les fiévres. Aucun n'est aussi efficace que ceux que je viens d'indiquer. Plusieurs sont dangereux; ainsi il est prudent de ne pas s'en servir. Un quinquina choisi & fraichement préparé, est fort à préférer. §. 251. J'ai vu souvent des paysans qui avoient une fiévre d'accès depuis plusieurs mois, & qui avoient employé beaucoup de mauvais remedes, & n'avoient observé aucun régime. Je me suis très bien trouvé de leur donner le remede Nº. 33 ou 34; & ensuite, pendant quelques jours, celui Nº. 37; après cela on leur donne le quinquina (voyez §. 241); ou les autres fébrifuges (voyez §. 248, 249), après quoi on les met, pendant quelque tems, à l'usage de la thériaque des pauvres (voyez §. 229), afin de rétablir les digestions qui sont tout-à-fait dérangées. §. 252. Il y a quelques fiévres d'accès, qu'on appelle _pernicieuses_, dont chaque accès est accompagné des plus violens symptômes: le pouls est petit & irrégulier; le malade excessivement abattu, s'évanouissant fréquemment, ayant des angoisses inexprimables, des convulsions, un assoupissement profond, un délire continuel, des envies d'aller à la selle ou d'uriner, continues & inutiles. Le mal est très pressant; le malade peut mourir dès le troisieme accès, & passe rarement le sixieme, s'il n'est pas bien conduit. Il n'y a pas un moment à perdre; & il n'y a qu'un parti à prendre, c'est de lui donner incessamment le quinquina, comme §. 241, afin de supprimer les accès suivans. §. 253. La même cause qui produit ces fiévres d'accès, occasionne souvent des maladies qui reviennent périodiquement à la même heure, sans frisson, sans chaleur, & souvent sans vitesse dans le pouls: ces maux suivent presque toujours l'ordre des fiévres quotidiennes, ou tierces; plus rarement celui des quartes. J'ai vu des vomissemens & des envies de vomir très violentes avec une angoisse inexprimable, des oppressions très fortes, des coliques les plus cruelles, des palpitations effrayantes, des maux de dents excessifs, des maux de tête, & très fréquemment des douleurs inouies sur un oeil, la paupiere, le sourcil & la temple du même côté, avec une rougeur de l'oeil & un larmoiement continuel. J'ai même vu deux fois un gonflement si prodigieux, que l'oeil sortoit de plus d'un pouce de la tête couvert par la paupiere, qui elle-même étoit extrêmement enflée. Tous ces maux commencent très réguliérement à une certaine heure, durent à peu près le tems d'un accès, & finissent sans aucune évacuation sensible, pour revenir précisément à pareille heure le lendemain ou le surlendemain. Il n'y a qu'un remede; c'est le quinquina donné comme §. 241. Rien ne soulage pendant l'accès, & tous les remedes, excepté le quinquina, n'arrêtent point le mal. J'ai guéri avec ce remede, de ces maux, & sur-tout de ceux des yeux qui sont très frequens, qui duroient depuis plusieurs semaines, & pour lesquels on avoit employé inutilement saignées, purgatifs, bains, eaux & une foule d'autres remedes. Si l'on donne une dose suffisante, le premier accès est très leger; le second manque, & je n'ai point vu de rechute comme quand il y a eu de la fiévre. §. 254. Dans les endroits où la nature de l'air rend ces fiévres fréquentes, l'on doit brûler souvent dans les chambres, sur-tout dans celles où l'on couche, quelques herbes ou quelques bois aromatiques, mâcher tous les jours des grains de geniévre, & employer pour boisson une infusion fermentée de cette même graine. Ces deux remedes sont d'une très grande efficacité pour raccommoder les estomacs les plus foibles, pour prévenir les obstructions, & pour entretenir la transpiration; & comme ce sont-là les causes qui entretiennent le plus opiniâtrement ces fiévres, rien n'en préservera plus sûrement que ces secours, qui sont si faciles. CHAPITRE XIX. _Des Erésipelles. Piquures d'Animaux._ §. 255. L'érésipelle, que le peuple appelle _le violet_, est quelquefois une maladie très legere, qui paroît sur la peau, sans que le malade ait eu aucune indisposition. Elle attaque ordinairement le visage, ou les jambes. La peau se tend, devient rude & rouge; mais la rougeur disparoît, si l'on presse avec le doigt, & reparoît dès qu'on le retire. Le malade sent dans la partie une chaleur brûlante qui l'inquiette, & quelquefois l'empêche de dormir. Le mal augmente pendant deux ou trois jours, reste dans son plus haut période un jour ou deux, & diminue. La peau malade tombe en grosses écailles, & tout est fini. §. 256. D'autrefois c'est une maladie plus grave, qui commence par un frisson très fort, suivi d'une chaleur brûlante, d'un mal de tête violent, de maux de coeur ou envies de vomir, qui ne cessent que quand l'érésipelle paroît, ce qui n'arrive quelquefois que le second, ou même le troisieme jour. Alors la fiévre diminue & les maux de coeur finissent, mais souvent il reste un peu de fiévre & du dégoût pendant tout le tems que l'érésipelle augmente. Quand elle attaque le visage, le mal de tête continue, jusqu'à ce qu'elle soit sur son déclin, la paupiere se gonfle, l'oeil se ferme, le malade n'a aucun moment de tranquillité. Souvent le mal passe d'une joue à l'autre, & se répand successivement sur le front, le col, la nuque; alors la maladie dure plus long-tems qu'à l'ordinaire. Souvent même, si la maladie est forte, la fiévre subsiste, le cerveau s'engorge, le malade rêve, son état est très dangereux, et quelquefois s'il n'est pas très bien secouru il succombe, sur-tout quand l'âge se joint à la maladie. Une érésipelle très forte sur le col, occasionne une esquinancie qui peut être très fâcheuse. Quand elle attaque la jambe, toute la jambe enfle, & l'irritation se communique même à la cuisse. Dès que l'érésipelle est un peu forte, elle est couverte de petites pustules, pleines d'une eau claire, comme celles qui surviennent à une brûlure, qui ensuite séchent & s'écaillent. J'ai vu quelquefois, sur-tout quand l'érésipelle attaquoit le visage, que l'humeur qui sortoit de ces pustules, étoit extrêmement visqueuse & formoit des croûtes épaisses qui ressembloient presque aux croûtes de lait des petits enfans, & restoient plusieurs jours avant que de tomber. Quand l'érésipelle est violente, elle dure quelquefois huit, dix, douze jours dans le même état, & enfin elle se dissipe par une sueur abondante, qui est quelquefois annoncée par un mal-aise accompagné de frisson & d'un peu d'angoisse qui dure quelques heures. Pendant tout le tems de la maladie, toute la peau est très séche, & même l'intérieur de la bouche. §. 257. Il est rare que l'érésipelle suppure. Quand cela arrive, c'est toujours une mauvaise suppuration qui dégénere en ulcere; mais il y a quelquefois des épidémies d'érésipelles malignes qui se gangrennent aisément. §. 258. L'érésipelle change souvent de place; elle se retire tout-à-coup: le malade est mal à son aise; il a des envies de vomir, de l'angoisse; l'érésipelle reparoît ailleurs, & il est gueri. Mais si au lieu de reparoître sur une autre partie de la peau, l'humeur se jette sur le cerveau ou la poitrine; le malade périt en peu d'heures, & ces changemens funestes arrivent quelquefois sans qu'il soit possible de l'attribuer à aucune erreur du malade ou du Médecin. Quand le transport se fait sur le cerveau, le malade tombe d'abord dans les rêveries avec un visage allumé & des yeux très vifs; il devient bien-tôt phrénétique, & meurt léthargique. Si le poulmon est attaqué, l'oppression, l'angoisse, la chaleur sont inexprimables. L'humeur se jette aussi sur la gorge, & produit une esquinancie promptement mortelle. §. 259. Il y a des personnes pour qui l'érésipelle est une maladie habituelle. Si elle attaque souvent le visage, c'est ordinairement le même côté, & l'oeil en est à la fin considérablement affoibli. §. 260. L'érésipelle dépend de deux causes; d'une humeur âcre & ordinairement bilieuse, répandue dans le sang, & de ce que cette humeur ne s'évacue pas bien par la transpiration. §. 261. Quand le mal est léger, tel qu'il est décrit §. 255, il suffit d'entretenir une transpiration abondante, sans échauffer. Il n'y a rien de tel dans ces cas-là, que le régime & un usage abondant de nitre & de sureau. Ainsi l'on se prive de viande, d'oeufs & de vin; l'on vit d'un peu de légumes & de fruits; l'on boit beaucoup d'infusion de sureau, & l'on prend, de trois en trois heures, demi gros de nitre; ou, ce qui revient au même, on en mêle trois gros à la quantité d'infusion de sureau qu'on peut boire dans un jour. L'on peut aussi mettre le nitre en bol, avec de la conserve de sureau. Ces remedes entretiennent la liberté du ventre, & augmentent les urines & la transpiration. §. 262. Quand le mal est plus grave, si la fiévre est très forte, & le pouls en même-tems fort ou dur, il faut faire une saignée; mais dans cette maladie, il ne faut jamais la faire abondante; il vaut mieux, supposé qu'on n'ait pas tiré assez de sang, en faire ensuite une seconde. Après la saignée, _on met au régime_ §. 29; on donne des lavemens jusqu'à ce que la fiévre ait diminué sensiblement, & l'on fait boire abondamment de la ptisane Nº. 3. Quand la fiévre a un peu diminué, on purge avec le remede Nº. 22; ou en donnant tous les matins quelques prises de crême de tartre Nº. 23. Il faut absolument purger pour évacuer la bile croupissante, qui est ordinairement la cause premiere de ces érésipelles violentes. L'on est même quelquefois obligé, si le mal est long, le dégoût opiniâtre, la bouche mauvaise, la langue sale, s'il n'y a que peu de fiévre, & point de crainte d'inflammation, de donner les remedes Nº. 33 ou 34, qui, par les secousses qu'ils occasionnent, dissipent ces embarras mieux que les purgatifs. Après ces évacuations, ordinairement le mal diminue, mais il faut quelquefois y revenir le lendemain, ou le surlendemain, sur-tout si le mal est à la tête. Les purgatifs sont le vrai remede de cette maladie, quand elle occupe cette partie; en emportant la cause du mal, ils le diminuent, & ils en préviennent les suites fâcheuses. Il est très utile, quand le mal est à la tête, de baigner souvent les jambes dans l'eau tiede. L'on peut même appliquer à la plante des pieds des sinapismes. J'ai vu ce remede attirer sur les jambes, au bout de quatre heures, une érésipelle qui couvroit le nez & les yeux. Quand le mal commence à se dissiper par la sueur, il faut l'aider par le thé de sureau & le nitre (voyez §. 261). Il est utile d'entretenir la transpiration pendant quelques jours. §. 263. Les meilleures applications qu'on puisse employer sont, 1. l'herbe à robert (_geranium robertianum_), ou le cerfeuil, ou le persil, ou la fleur de sureau. Souvent même, si le mal est leger, il suffit d'y mettre un linge fort doux, que quelques personnes poudrent de farine séchée. 2. Des flanelles trempées dans une forte décoction de sureau, & appliquées tiédes, sont très utiles dans les grandes inflammations, si on les renouvelle souvent. J'ai soulagé promptement par ce remede, il n'y a que peu de semaines, les douleurs horribles d'un _feu saint Antoine_, qui est une espece d'érésipelle, mais cruelle, & qui a des caracteres singuliers. 3. L'on emploie aussi, avec grand succès, l'emplâtre d'émail Nº. 45, & la poudre d'émail indiquée dans le même Nº. Les farines, cette poudre, les autres poudres vantées dans cette maladie, conviennent surtout quand il suinte, des petites vessies, une eau qu'il est bon d'absorber par l'application de ces poudres, sans quoi elle pourroit écorcher, & même ulcérer la partie. Toutes les emplâtres dans lesquelles il entre des graisses ou résines, sont très dangereuses. Elles ont souvent produit la rentrée de l'érésipelle, son ulcération, la gangrenne. Si les personnes sujettes à cette maladie, appliquent quelque emplâtre de cette espece sur la peau, lors même qu'elle est la plus saine, il survient d'abord une érésipelle. §. 264. Quand l'humeur d'érésipelle rentre, & se jette sur le cerveau, sur la gorge, sur le poulmon, il faut faire une saignée, appliquer des vésicatoires aux jambes, & faire boire abondamment du thé de sureau nitré. §. 265. Les personnes sujettes aux érésipelles habituelles qui reviennent souvent, doivent s'imposer la loi d'éviter le lait, la crême, tous les alimens gras & visqueux, les pâtes, les viandes noires, les aromates, les vins épais & fumeux; la vie sédentaire, les passions vives, & sur-tout la colere; &, s'il est possible, le chagrin. Elles doivent vivre principalement d'herbages, de fruits, de choses un peu aigres & qui tiennent le ventre libre; boire de l'eau & quelques vins blancs legers, & sur-tout faire usage souvent de la crême de tartre. Ces attentions sont importantes, parcequ'outre le danger de ces fréquentes érésipelles, elles dénotent un leger vice dans le foie & dans la vésicule du fiel, qui, si on le néglige, devient enfin très grave. Des eaux legerement purgatives leur sont très utiles, aussi-bien que le jus des plantes chicoracées, & une pinte de petit lait bien clair, dont ils feront très bien de boire tous les matins pendant cinq ou six mois de l'été. Il est encore plus efficace, s'ils prennent en même-tems de la crême de tartre, & s'ils y mettent du miel. _Piquûres d'Animaux._ §. 266. Comme les piquûres d'Animaux produisent souvent une espece d'érésipelle, j'en dirai un mot. Nous n'avons de serpens venimeux dans ce pays, que les viperes. Nous n'avons point de scorpions, qui sont peu venimeux. Les crapauds ne le sont pas. Ainsi les seules piquûres auxquelles on soit exposé, sont celles d'abeilles, de guêpes, de frelons, de cousins, de demoiselles, qui quelquefois procurent beaucoup de douleurs; une enflûre & une rougeur érésipellateuses très considérable, qui, si elle est au visage, ferme quelquefois absolument les yeux; de la fiévre, des maux de tête, des insomnies, des maux de coeur; & si les douleurs sont violentes, des évanouissemens & des convulsions, sans que jamais ces accidens aient des suites funestes. Ils passent au bout de quelques jours sans aucun secours. Mais on peut les prévenir; ou au moins les diminuer & les abréger, 1. en retirant d'abord l'aiguillon de l'animal, s'il est resté. 2. En appliquant continuellement quelqu'une des applications indiquées §. 263, surtout l'infusion de sureau, dans laquelle on délaie un peu de thériaque; ou en appliquant un cataplasme de mie de pain, de lait & de miel. 3. En faisant prendre quelques bains de pied. 4. En diminuant les alimens, sur-tout le soir, & en buvant de l'infusion de fleur de sureau nitrée. L'huile appliquée d'abord, empêche quelquefois l'enflure de paroître, & par-là prévient le mal. CHAPITRE XX. _Des inflammations de Poitrine, & des Pleurésies fausses & bilieuses._ §. 267. L'inflammation de poitrine & la pleurésie qu'on appelle bilieuses, sont la même maladie. C'est proprement une fiévre putride, avec un engorgement du poulmon, qui est, ou sans douleur, alors on l'appelle peripneumonie putride ou bilieuse; ou avec cette douleur de côté qu'on nomme _point_, & on l'appelle pleurésie. §. 268. Les signes qui distinguent ces maladies, des maladies inflammatoires du même nom, que j'ai décrites Chap. IV & V, sont un pouls moins dur, moins fort, plus vite, sans qu'il y ait les symptomes qui le rendent tel même dans les maladies inflammatoires (voyez §. 46 & 85). La bouche est mauvaise & amere, la chaleur âcre & seche; le malade a un sentiment de pesanteur & de malaise, dans les environs de l'estomac; il a le teint moins rouge, mais un peu jaune; il a l'air défait, les urines ressemblent à celles des fiévres putrides, & non point à celles des fiévres inflammatoires. Il y a très souvent une petite diarrhée bilieuse & très fétide. La peau est ordinairement très seche; les crachats moins épais, moins rouges, mais plus jaunes, que dans l'espece inflammatoire. §. 269. Le traitement est le même que celui des fiévres putrides §. 212. S'il paroit y avoir un peu d'inflammation, on la détruit par une saignée. On donne la ptisane d'orge Nº. 3, & des lavemens; & dès qu'il n'y a plus d'inflammation, la potion émétique & purgative Nº. 33. Ensuite on peut repurger au bout de quelques jours, avec le remede Nº. 22. La poudre Nº. 24 réussit aussi très bien comme vomitif. Et si la fiévre devient très forte, il faut donner beaucoup de la potion Nº. 10. Ces maladies sont souvent épidémiques, comme les fiévres putrides simples. Il y en eut une nombreuse épidémie ici en 1753; & le traitement que je viens de proposer réussit très bien. Les vésicatoires aux jambes sont très utiles, quand l'oppression ne diminue pas après les évacuations générales. §. 270. La _fausse inflammation de poitrine_ est un engorgement du poulmon, produit par des matieres extrêmement tenaces, glaireuses, adhérentes, & non point par un vrai sang inflammatoire, ou par une humeur putride & bilieuse. §. 271. Cette maladie attaque plus au printems que dans une autre saison. Les vieillards, les enfans foibles & mal constitués, les femmes languissantes, les hommes foibles & particulierement ceux qui sont usés par la boisson, sont les personnes qui en sont très fréquemment attaquées; surtout si elles ont pris peu de mouvement, pendant l'hyver; si elles ont vécu d'alimens visqueux, farineux, gras; comme pâtes, chataignes bouillies, fromages. Toutes leurs humeurs ont pris un caractere d'épaississement visqueux; elles circulent avec peine; & quand au printems, la chaleur ou l'exercice augmente le mouvement tout-à-coup, les humeurs qui trouvent un engorgement dans le poulmon l'augmentent. Cette partie se remplit, & le malade meurt. §. 272. L'on reconnoît cette maladie, 1. quand les circonstances, dont j'ai parlé, ont précedé. 2. Par les symptomes qui la précedent. Le malade, plusieurs jours à l'avance, a un peu de toux, une legere oppression quand il se donne du mouvement, un peu d'inquiétude, quelquefois un peu de mauvaise humeur; le visage est plus rouge qu'il ne devroit être, il a du penchant au sommeil, & dort mal. 3. Quand cet état a duré quelques jours, il survient un frisson plus long que violent; ensuite une chaleur peu forte, mais accompagnée de beaucoup d'inquiétude & d'oppression. Le malade ne peut pas tenir au lit; il va & vient dans la chambre quoique très abattu; le pouls est foible & assez vite; les urines ne sont quelquefois que peu changées; d'autres fois en petite quantité & assez rouges; il ne tousse pas beaucoup, & ne crache qu'avec peine. Le visage est ordinairement très rouge & même livide, il ne peut ni veiller ni dormir; il a des momens de rêveries; dans d'autre l'esprit est libre. Quelquefois, surtout chez les vieillards, cet état finit tout-à-coup par un évanouissement mortel. D'autres fois l'oppression & l'angoisse augmentent; le malade ne peut respirer qu'assis, & avec un travail cruel; le cerveau s'embarrasse tout-à-fait, le pouls est très vite & très petit. Cet état dure quelques heures, & finit aussi tout-à-coup. §. 273. Cette maladie est très dangereuse; premierement, parcequ'elle attaque des sujets dont le tempéramment n'a pas de ressources: en second lieu, parcequ'elle est prompte; car on meurt quelquefois dès le troisieme jour, & on passe rarement le septieme: pendant que la cause du mal demanderoit de longs secours. D'ailleurs, s'il y a des raisons pour employer un remede, il y en a souvent d'autres qui l'empêchent, & tout ce qu'on peut faire se réduit à ceci: 1. Si le malade a encore beaucoup de vigueur, s'il n'est pas d'un âge trop avancé, si le pouls a de la dureté, & en même tems de la force, si le tems est sec, & que le vent du nord domine, on doit faire une saignée raisonnable; mais si la plûpart de ces circonstances manquoient, elle seroit très nuisible. S'il falloit faire une regle générale, il vaudroit mieux bannir la saignée que de l'employer. 2. L'on débarrasse l'estomac & les intestins, des matieres glaireuses qu'ils contiennent; & les remedes qui réussissent le mieux, sont le remede Nº. 34, quand il y a des symptomes qui indiquent un grand besoin de vomir, ou celui Nº. 24, qui, après avoir fait vomir, purge par les selles, fait uriner, brise les glaires qui causent la maladie, & augmente la transpiration. Quand on craint le vomissement on donne la potion Nº. 11. Il faut être circonspect avec les vieillards; ils peuvent mourir pendant que le remede agit. 3. L'on fait boire, dès le commencement du mal, beaucoup de ptisane Nº. 25, qui est la meilleure boisson dans cette maladie, ou de celle Nº. 12, à chaque livre de laquelle on ajoute une demi dragme de nitre. 4. On donne de deux en deux heures, une tasse de la potion Nº. 8. 5º. L'on applique des vésicatoires aux gras des jambes. Quand on n'est pas sûr de sa marche, il faut s'en tenir à ces trois derniers remedes, qui ont souvent suffi dans des cas assez graves, & qui ne peuvent point nuire. §. 274. Quand cette maladie attaque les vieillards, quoiqu'ils guérissent en partie, cependant ils ne se remettent pas toujours entierement; & si l'on ne prend pas des précautions, ils tombent aisément dans l'hydropisie de poitrine. §. 275. La _fausse pleurésie_ est une maladie qui n'intéresse point le poulmon, mais seulement la peau & les muscles qui couvrent les côtes. C'est une humeur rhumatismale, qui se jette sur ces parties, & qui, y produisant des douleurs très vives, qui ressemblent à celle qu'on appelle _point_; a fait donner ce nom à la maladie. On croit ordinairement parmi le peuple, & même parmi beaucoup de gens d'un autre ordre, qu'une fausse pleurésie est plus dangereuse qu'une véritable; c'est une erreur. Elle est souvent précédée d'un frisson, & presque toujours accompagnée d'un peu de fiévre, d'une petite toux, & d'une legere difficulté de respirer, qui nait, aussi bien que la toux, de ce que le malade, souffrant dans les mouvemens de la respiration, les diminue autant qu'il peut; ce qui fait qu'il s'amasse un peu trop de sang dans le poulmon. Mais il n'a ni l'angoisse, ni les autres symptomes des vraies pleurésies. La douleur s'étend chez quelques malades, presque sur toute la poitrine, & jusques à la nuque. L'on ne peut pas se coucher sur le côté malade. Cette maladie n'a pas plus de danger qu'un rhumatisme, excepté dans deux cas. 1. Quand la douleur est si forte, que le malade fait des efforts pour ne pas respirer; ce qui produit un engorgement dans le poulmon. 2. Quand cette humeur, comme toute autre humeur rhumatismale, se jette sur quelque partie intérieure. §. 276. Il faut la traiter tout comme le rhumatisme (voyez §. 157, 158, 159). Après la saignée, ou les saignées, un vésicatoire sur l'endroit malade produit souvent un très bon effet: c'est véritablement l'espece de pleurésie dans laquelle il convient. §. 277. Ce mal cede quelquefois à la premiere saignée, souvent il se termine le troisieme, le quatrieme, ou le cinquieme jour, par une sueur abondante: rarement il passe le septieme. Quelquefois il naît tout-à-coup, après une transpiration arrêtée; si dès ce moment & avant que la fiévre ait paru, & ait eu le tems d'enflammer le sang; on donne une infusion de faltran ou vulnéraires de Suisse, il guérit très promptement, en rétablissant la transpiration. Ce sont des cas semblables, ou celui §. 91, qui ont acquis à ce remede la réputation qu'il a contre cette maladie; réputation funeste, toutes les années, à plusieurs paysans, qui trompés par une fausse ressemblance, emploient hardiment ce remede dans les vraies inflammations. CHAPITRE XXI. _Des Coliques._ §. 278. L'on donne ordinairement le nom de colique à toutes les douleurs qu'on sent dans le ventre. Je n'entens ici, par ce mot, que les douleurs qui attaquent l'estomac ou les boyaux. Elles peuvent dépendre d'un très grand nombre de causes: & la plûpart sont des maladies chroniques: plus fréquentes parmi les gens désoeuvrés des villes, ou les artisans sédentaires, que parmi le peuple des campagnes. Ainsi je ne parlerai que du petit nombre d'especes, qui sont les plus communes dans les villages. J'ai prouvé plus haut, que, dans quelques maladies, on tuoit en cherchant à faire suer. On tue dans les coliques, en voulant toujours chasser les vents, avec des liqueurs spiritueuses. _Colique inflammatoire._ §. 279. L'espece de colique la plus violente, & la plus dangereuse, c'est celle qui dépend de l'inflammation de l'estomac, ou des intestins. Elle commence le plus souvent, sans frisson, par une douleur violente dans le ventre: la douleur augmente par degrés; le pouls devient vîte & dur, le malade sent une chaleur brulante dans tout le ventre; quelquefois il a une diarrhée aqueuse, d'autre fois il est plutôt resserré, avec des vomissemens, ce qui est très facheux; le visage devient rouge, le ventre se tend, on ne peut pas le toucher sans augmenter cruellement les douleurs du malade, qui a, outre les douleurs, une inquiétude extrême. L'altération est très grande, & la boisson n'étanche point la soif. La douleur s'étend souvent jusques aux reins, où elle est très vive. Le malade urine peu; les urines sont brulantes & rouges: il n'a pas un instant de sommeil, quelquefois il a des momens de rêveries. Si l'on n'arrête pas le mal, après que les douleurs sont parvenues au plus haut point, le malade commence à se plaindre moins; le pouls moins fort, moins dur; mais plus vîte; le visage perd de sa rougeur; bientôt il pâlit, & le tour des yeux devient livide; le malade tombe dans une rêverie sourde; il perd entierement ses forces; le visage, les mains, les pieds, tout le corps, excepté le ventre, se refroidissent; la peau du ventre devient bleuâtre, il survient des foiblesses, & le malade périt. Quand le mal attaque l'estomac, les symptômes sont les mêmes; mais la douleur se fait sentir plus haut, au creux de l'estomac; l'on vomit presque tout ce qu'on prend, l'angoisse est horrible, les rêveries viennent promptement. Cette maladie tue en très peu de jours. §. 280. La seule façon de la guérir, c'est 1. de faire une très grande saignée du bras; elle diminue presque sur-le-champ la férocité des douleurs, & elle calme les vomissemens; elle rend d'ailleurs les autres remedes beaucoup plus efficaces. Souvent il faut la réitérer deux heures après. 2. On donne toutes les deux heures, soit qu'il y ait diarrhée, soit qu'il n'y en ait point, un lavement fait avec une décoction de mauve & de l'huile, ou avec une décoction d'orge & de l'huile. 3. On fait boire au malade beaucoup de lait d'amande Nº. 4, ou d'une ptisane de fleurs de mauve ou de celle d'orge. 4. L'on tient continuellement sur le ventre des flanelles trempées dans de l'eau tiede, & on les change toutes les heures, & même plus souvent; elles sont séches presque d'abord. 5. Si le mal s'opiniâtre, on met le malade dans un bain tiéde, dont j'ai vu les plus grands effets. §. 281. Cette maladie est quelquefois l'effet d'une inflammation générale du sang, & elle est produite, comme les autres maladies inflammatoires, par des travaux forcés, une grande chaleur, des alimens ou des boissons échauffantes; mais souvent aussi elle est la suite des autres coliques mal traitées, qui n'auroient point été inflammatoires, mais qui le deviennent, & j'ai vu nombre de fois ces coliques naître après les remedes chauds (voyez-en un exemple §. 154). §. 282. Il n'y a que quelques semaines, que j'avois guéri une femme d'une colique assez forte. Dix jours après, les douleurs revinrent violemment dans la nuit: elle crut que ce n'étoit que des vents, & prit beaucoup d'eau de noix. Les douleurs devinrent inouies, elle me demanda de grand matin; le pouls étoit fort, vite, dur; le ventre tendu, les reins souffroient beaucoup, les urines étoient presque entierement supprimées; elle n'en rendoit que quelques gouttes qui étoient ardentes, avec des douleurs très fortes; elle alloit très souvent sur la chaise, presque pour rien. L'angoisse, la chaleur, l'altération, la sécheresse de la langue étoient effrayantes; & son état, qui étoit l'effet de la liqueur qu'elle avoit prise, me fit craindre pour elle. Une saignée de quatorze onces calma un peu toutes les douleurs; elle prit plusieurs lavemens, & elle but quelques pots d'orgeat en peu d'heures. Ces secours adoucirent un peu le mal; en continuant la boisson & les lavemens, la diarrhée diminua, le mal de reins finit, & il vint beaucoup d'urines qui se troublerent, déposerent; & elle guerit. Je suis persuadé que si la saignée avoit été faite deux heures plus tard, la liqueur lui auroit coûté la vie. Pendant que le mal dure, il ne faut donner aucun aliment, & l'on ne doit jamais négliger les restes de douleurs, crainte qu'il ne se forme une dureté ou squirrhe, qui occasionneroit les maux chroniques les plus fâcheux. §. 283. On doit croire qu'il se forme un abcès dans la partie enflammée, quand la violence des douleurs diminue, & qu'il reste une douleur sourde, un mal-aise général, peu d'appétit, des frissons fréquens, & que le malade ne reprend pas les forces. L'on ne doit donner, dans ce cas; que les boissons indiquées dans ce chapitre, & quelques bouillons farineux. La rupture de l'abcès est quelquefois indiquée par une petite défaillance, suivie d'une cessation de pesanteur dans la partie malade, & quand le pus s'épanche dans l'intestin, le malade a quelquefois des envies de vomir, un peu de vertige, & le pus paroît dans les premieres selles. Il reste alors un ulcere dans l'intérieur du boyau, qui peut conduire à une fiévre lente & à la mort, & que j'ai guéri en faisant vivre uniquement de lait écrêmé, coupé avec un tiers d'eau, & en donnant, de deux jours l'un, un lavement avec parties égales d'eau & de lait, & un peu de miel. Quand l'abcès creve en dehors de l'intestin, & que le pus s'épanche dans le ventre, c'est un cas très grave, qui demande des secours que je ne puis pas détailler ici. _Colique bilieuse._ §. 284. La colique bilieuse se manifeste par des douleurs très aigües; mais elle est assez rarement accompagnée de fiévre, à moins qu'elle n'ait déja duré un jour ou deux. Lors même qu'il y en a, le pouls, quoique vîte, n'est pas fort, ni très dur; le ventre n'est ni tendu, ni brûlant, comme dans la colique précédente; les urines coulent mieux, & sont moins rouges; la chaleur intérieure & la soif sont assez pressantes; la bouche est amere; les vomissemens ou la diarrhée, quand l'un ou l'autre existent, évacuent des matieres jaunes; souvent la tête tourne. §. 285. On guérit 1. par des lavemens de petit lait & de miel; ou, si l'on n'a pas de petit lait, par celui du Nº. 5. 2. En faisant boire de grandes quantités de ce même petit lait, ou d'une ptisane faite avec la racine de chiendent & un peu de jus de citron; ou, si l'on n'en a point, un peu de vinaigre & de miel. 3. En donnant d'heure en heure une tasse du remede Nº. 31; ou, si on ne l'a pas, une demi-dragme de crême de tartre. 4. Les fomentations d'eau tiéde & le demi bain, sont aussi très favorables. 5. Si dans un sujet fort & robuste, les douleurs étoient aigües & le pouls fort tendu, il faudroit saigner, pour prévenir l'inflammation. 6. L'on ne donnera de nourriture que quelques bouillons d'herbes, surtout d'oseille. 7. Après avoir beaucoup délayé, si la fiévre ne survient pas, si la douleur continue, si les évacuations ne sont pas considérables, il faut donner un purgatif. Celui Nº. 46, est très convenable. §. 286. Cette colique est habituelle pour plusieurs personnes; on la prévient par l'usage habituel de la poudre Nº. 23, en évitant le grand usage des viandes, les choses chaudes, les graisses & le lait. _Coliques d'Indigestion. Indigestions._ §. 287. J'appelle de ce nom toutes les coliques qui sont produites ou par trop d'alimens pris à la fois, ou par des amas faits à la longue chez les personnes qui ne digerent pas parfaitement, ou par des mélanges nuisibles, comme des aigres & du lait, ou par des alimens malsains en eux-mêmes, ou mal conditionnés. On connoît cette espece, par ce qui a précédé, par des douleurs qui sont accompagnées de beaucoup de mal-aises qui viennent peu-à-peu, qui ne sont pas aussi fixes que dans les especes précédentes, qui sont sans fiévre, sans chaleur, sans altération, mais accompagnées de vertiges ou étourdissemens, d'efforts pour vomir, de pâleur plutôt que de rougeur. §. 288. Elles ne sont jamais dangereuses, à moins qu'on ne les rende telles par beaucoup de soins mal entendus. Il n'y a qu'une seule chose à faire; c'est d'aider les évacuations par beaucoup de boisson tiéde. Il y en a plusieurs également bonnes; l'eau tiéde, ou pure, ou un peu sucrée, ou un peu salée, du thé de fleurs de camomille peu chargé, celui de sureau, de mélisse, du thé ordinaire; il importe peu lequel, pourvu qu'on boive beaucoup. Alors les matieres s'évacuent ou par les vomissemens, ou par une diarrhée abondante. Plus ces évacuations sont promptes ou copieuses, plutôt le malade est soulagé. Si le ventre est fort rempli, & qu'il ne se fasse pas de débouchement, il faut donner des lavemens avec de l'eau tiede & du sel. L'on aide aussi le dégagement des matieres, en faisant frotter fortement le ventre avec des linges chauds. Quelquefois les matieres nuisent moins par leur quantité que par leur qualité; alors le mal se dissipe sans évacuation, quand cette matiere irritante est noyée dans beaucoup d'eau. Si les douleurs commencent par l'estomac, elles deviennent moins vives, & le malade est moins angoissé, dès que les matieres ont passé dans les boyaux, qui sont moins sensibles. Après les évacuations abondantes & la cessation des douleurs, il reste souvent à la bouche un goût d'oeufs pourris; il faut donner quelques prises de poudre Nº. 23, & beaucoup d'eau fraîche. L'essentiel, c'est de ne prendre aucune nourriture, qu'on ne soit parfaitement bien. §. 289. L'on a la fureur de donner d'abord de la confection, de la thériaque, de l'eau d'anis, de celle de genievre, du vin rouge pour arrêter les évacuations. Il n'y a pas de pratique plus détestable. Ces évacuations sont la seule chose qui peut guérir le malade; les arrêter, c'est ôter la planche à celui qui se noie; & si l'on réussit, on le jette dans quelque fiévre putride, ou dans quelque maladie de langueur, à moins que la nature plus sage, ne surmonte les obstacles qu'on lui oppose, & ne renouvelle les évacuations au bout de quelques jours. §. 290. Quelquefois l'on a une indigestion, sans douleur de colique bien marquée, mais avec de violens efforts pour vomir, une angoisse inexprimable, des défaillances, des sueurs froides. Souvent même le mal ne s'annonce que par une défaillance qui saisit le malade tout-à-coup: il perd l'usage de tous ses sens; le visage est pâle, défait; il a quelques hoquets plutôt que des efforts pour vomir; ce qui, joint à la petitesse du pouls, à ce que la respiration n'est pas embarrassée, à ce que le mal a attaqué après un repas, à ce que l'on sent l'estomac tendu, fait distinguer ce mal d'une véritable apoplexie. S'il est parvenu à ce degré, il tue quelquefois en peu d'heures. Il faut commencer par donner un lavement âcre, avec du sel & du savon; on fait avaler, autant qu'il est possible, d'eau salée; & si cela est inutile, on fait fondre la poudre Nº. 33, dans trois tasses d'eau. On en donne d'abord la moitié; si au bout d'un quart-d'heure elle n'opere pas, on donne le reste. Ordinairement la connoissance commence à revenir d'abord que le malade a commencé à vomir. _Colique venteuse._ §. 291. Tous nos alimens & toutes nos boissons contiennent beaucoup d'air, plus cependant les uns que les autres; s'ils ne se digerent pas assez vîte, ou si la digestion en est mauvaise; ce qui fait qu'il se développe plus de cet air; s'ils en contiennent une très grande quantité, ou si les intestins se serrant dans quelque point de leur longueur, empêchent que cet air ne se distribue également; ce qui fait qu'il s'en amasse beaucoup dans quelques endroits; alors l'estomac & les boyaux sont tendus par ces vents, & cette tension produit des douleurs qu'on appelle colique venteuse. Cette espece se trouve assez rarement seule; mais elle se joint souvent aux autres especes dont elle est l'effet, & sur-tout à la précédente, & elle contribue beaucoup à en augmenter les symptômes. On la connoît par les causes qui ont précédé; parcequ'il n'y a ni fiévre, ni chaleur, ni altération; parceque le ventre est gros sans dureté, qu'il est inégalement gros, parcequ'il se forme des poches de vents, tantôt dans un endroit, tantôt dans un autre; parcequ'en frottant le ventre du malade, on fait remuer les vents, ce qui le soulage, & que quand il en rend par en haut ou par en bas, il est encore plus soulagé. §. 292. Quand elle est jointe à une autre, elle ne demande point de traitement particulier; elle se dissipe par les remedes qui dissipent la colique principale. Quelquefois elle est seule, & elle dépend d'alimens ou de boissons pleines d'air, comme le moût ou vin muté ou prompt, la biere, quelques fruits, quelques légumes. On la guérit par un lavement, en frottant le ventre avec des linges chauds, & en buvant quelque boisson un peu aromatique, & surtout du thé de camomille, auquel on peut joindre un peu de confection stomachique, ou même de thériaque. Quand les douleurs ont presque fini, si l'on n'a ni chaleur ni fiévre, & si l'on sent l'estomac affoibli, on peut alors (mais c'est presque le seul cas de colique où on le puisse); donner un peu de vin aromatique, ou un peu de quelque liqueur stomachique. §. 293. Quand on est sujet à de fréquentes douleurs de coliques; c'est une preuve que les digestions ne se font pas bien, & l'on doit y remédier, sans quoi la santé se dérange, & l'on tombe dans des maux fâcheux. _Coliques après le froid._ §. 294. Quand on a eu très froid, surtout aux pieds, l'on est quelquefois attaqué, peu d'heures après, de violentes coliques dans lesquelles les remedes chauds & spiritueux sont très nuisibles, mais qui se guérissent aisément en frottant les jambes avec des linges chauds, en les trempant ensuite dans l'eau tiéde pendant long tems, & en faisant boire beaucoup de thé léger de camomille ou de sureau. La guérison sera encore plus prompte, si le malade se met au lit, & peut un peu suer, sur-tout aux jambes. Si les douleurs étoient très fortes, on donneroit des lavemens. Une femme s'étant trempée les jambes dans une source assez fraîche, après avoir marché pendant un tems fort chaud, fut d'abord attaquée d'une colique très violente. On lui donna des choses chaudes, le mal empira; on la purgea, le mal empira; on m'appelle le troisieme jour, peu d'heures avant sa mort. Il faut dans ces cas-là, si la douleur est excessive, saigner, donner un lavement d'eau tiéde, tenir les jambes plusieurs heures d'abord à la vapeur de l'eau chaude, ensuite de l'eau tiéde; faire boire abondamment d'une infusion de fleurs de tilleul avec un peu de lait, donner ensuite un grain d'opium; & si le mal ne cédoit pas, mettre aux jambes des vésicatoires dont j'ai vu de grands effets. §. 295. On voit, par ce chapitre, qu'il faut être extrêmement en garde contre les choses chaudes & spiritueuses dans les coliques; que ces remedes peuvent non-seulement les empirer, mais même les rendre mortelles. L'on doit donc n'en jamais donner; & quand on ne sait pas démêler la cause de la colique, je conseille de s'en tenir à ces trois secours qui ne peuvent nuire à aucune espece, & peuvent guérir toutes celles qui ne sont pas extrêmement fortes: 1. Des lavemens réitérés. 2. Une grande quantité d'eau tiéde, ou du thé de sureau en boisson. 3. Des fomentations sur le bas ventre; celles d'eau tiéde sont à préférer à toutes les autres. §. 296. Je n'ai rien dit des huiles, parcequ'elles ne conviennent que dans très peu d'especes de coliques, & point du tout dans celles dont j'ai parlé; ainsi j'en déconseille tout-à-fait l'usage, qui peut nuire à plusieurs égards. CHAPITRE XXII. _Du Miserere, ou passion iliaque, & du Cholera morbus, ou trousse galant._ §. 297. Ces maladies emportent plusieurs personnes dans les campagnes, sans qu'on sache de quoi elles sont mortes; & la superstition attribue la mort aux _poisons_ donnés, ou aux sortileges. §. 298. Le _Miserere_ est la maladie la plus cruelle. Si les intestins se ferment dans quelqu'endroit par quelque cause que ce soit, tous les alimens sont arrêtés; il arrive alors que le mouvement continuel qu'on remarque dans les boyaux, pour pousser tout vers le fondement, se fait dans un sens contraire, & pousse tout vers la bouche. Le mal commence quelquefois après quelques jours de constipation; d'autrefois, sans qu'elle ait précédé, par des douleurs dans quelque partie du ventre, surtout autour du nombril, qui augmentant peu à peu, deviennent enfin très violentes: en même-tems le malade est angoissé: l'on sent, chez quelques-uns, une tumeur dure, qui fait le tour du ventre comme une corde; on entend des vents, il en sort quelques-uns par en haut, ils sont suivis d'envie de vomir; bientôt il survient quelques vomissemens, qui vont en augmentant, jusques à ce que le malade rende tout ce qu'il prend, avec un surcroit de douleurs inouies. Il ne rend d'abord que les derniers alimens, quelques matieres jaunes, les boissons qu'il prend: ensuite les matieres deviennent puantes, fétides. Quand le mal est très avancé, elles ont une odeur qu'on appelle d'excrémens, mais qui ressemble plutôt à celle de cadavre corrompu. Quelquefois aussi, si l'on a pris des lavemens qui eussent une odeur forte, on la retrouve dans ce qui est vomi; mais je n'ai jamais vu vomir ni de vrais excrémens, ni la matiere des lavemens, ni moins encore, des suppositoires introduits par le fondement. S'il faut croire que cela est arrivé il est bien difficile de comprendre comment. Pendant tout ce tems-là il n'y a pas une seule selle; le ventre se tend, les urines quelquefois sont supprimées, d'autre fois sont troubles & puantes. Le pouls, d'abord assez dur, devient vîte & petit; les forces se perdent entierement; les malades rêvent, le hocquet survient, & quelquefois ensuite des convulsions. Les extrêmités se refroidissent, le malade meurt très promptement. §. 299. Comme cette maladie est accompagnée du plus grand danger, l'on doit, sans attendre un moment, commencer les remedes dès qu'on soupçonne le mal. La plus petite faute est mortelle; & l'on a vu les liqueurs chaudes tuer au bout de peu d'heures. J'ai été appellé le second jour de la maladie, pour une jeune personne, qui avoit pris beaucoup de thériaque, rien ne put même la soulager. Elle mourut au commencement du troisieme jour. Le mal doit être traité précisément comme les coliques inflammatoires; & surtout, l'on doit débuter par une très forte saignée. Il faut multiplier les bains, & la seule différence qu'il y a entre cette maladie & la colique inflammatoire, c'est que, dans ce cas, il n'y a point de selles, mais des vomissemens continuels. Il faut 1. faire une forte saignée. 2. Donner des lavemens laxatifs (on les fait avec une décoction d'orge & l'on y ajoute cinq ou six onces d'huile): 3. Chercher à modérer les efforts des vomissemens, en donnant de deux en deux heures, une cuillerée de la potion Nº. 47. 4. Rendre les boissons un peu purgatives; il n'y a rien de mieux que le petit lait Nº. 48, si on peut l'avoir d'abord; si-non, on donne le petit lait pur avec du miel, & les boissons marquées §. 280. 5. Après la saignée, les bains, beaucoup de lavemens, les fomentations, on peut, si rien n'a réussi, donner un lavement de fumée de tabac. Il en sera reparlé en traitant des noyés. §. 366. J'ai guéri un homme en le faisant entrer dans le bain, immédiatement après la saignée, & en lui donnant un purgatif en entrant au bain. §. 300. Si les douleurs diminuent avant que le malade ait entierement perdu ses forces: si en même-tems le pouls va mieux; s'il vomit moins, si les matieres paroissent moins corrompues; si le malade sent quelque remuement dans son ventre, s'il rend quelques matieres par les selles, si en même tems il se trouve plus fort, on peut compter sur sa guérison: mais sans cela il meurt bien vîte. Souvent, une heure avant la mort, les douleurs paroissent se calmer; il survient une évacuation prodigieuse par les selles, de matieres extrêmement fétides; le malade a des foiblesses, une sueur froide, & meurt. §. 301. C'est cette maladie, que le peuple attribue à ce que les boyaux sont noués, & dans laquelle il fait avaler des bales de plomb, ou de grosses quantités de mercure. Ce noeud des intestins, est une chimere impossible. Cette maladie dépend d'un grand nombre de causes, qu'on a découvertes, en ouvrant les cadavres de ceux qui en sont morts: sage méthode, extrêmement propre à enrichir la Medecine, & qu'il seroit à propos qu'on pratiquât plus généralement, & dont, bien loin de se faire une peine, on devroit se faire un devoir: parceque c'en est un, que de contribuer à perfectionner une science à laquelle le bonheur des hommes est attaché. Je ne détaillerai point ces causes: mais quelles qu'elles soient, l'usage d'avaler des bales & du mercure, est toujours pernicieux; il aggrave la maladie, & met un obstacle insurmontable à la guérison. Il y a un miséréré qui est un accident des hernies, j'en parlerai ailleurs. _Trousse galant._ §. 302. Le _trousse galant_ ou _cholera morbus_ est une évacuation prompte, abondante, & douloureuse, par les vomissemens & par les selles. Il commence par des vents, des gonflemens, de legeres douleurs dans le bas ventre, un grand abattement; ensuite il survient des évacuations abondantes, ou par les selles, ou par les vomissemens; & quand une de ces évacuations a commencé, l'autre suit de bien près. Les matieres sont jaunes, vertes, brunes, blanches, noires: les douleurs fortes dans le bas ventre, le pouls presque toujours fiévreux est quelquefois fort dans le commencement, mais il ne tarde pas à s'affoiblir, par la prodigieuse évacuation qui se fait. Il y a des malades, qui ont jusques à cent selles dans quelques heures. Le malade maigrit à vue; & au bout de trois ou quatre heures, si le mal est violent, il est méconnoissable. Dès qu'il y a eu beaucoup d'évacuations, il est fatigué par des crampes dans les jambes, dans les cuisses, dans les bras, qui sont aussi douloureuses que le mal de ventre. Quand le mal ne peut point être adouci, le hoquet, les convulsions, le froid des extrêmités surviennent; les défaillances se succedent continuellement, une tue le malade, ou il meurt dans les convulsions. §. 303. Cette maladie, qui dépend toujours d'une bile devenue excessivement âcre, a lieu ordinairement à la fin du mois de Juillet & dans le mois d'Août, surtout s'il a fait de grandes chaleurs & s'il n'y a pas eu des fruits d'été. §. 304. Quelque violente que soit cette maladie, elle est moins dangereuse, & même moins cruelle que la précédente; beaucoup de gens en guérissent. L'on doit 1. chercher à noyer cette bile âcre, par des torrens de la boisson la plus adoucissante, parceque l'irritation est si grande, que tout ce qui a la plus petite âcreté nuiroit. Ainsi on donnera continuellement au malade, en boisson & en lavement, ou de l'eau d'orge, ou des laits d'amandes, ou de l'eau avec une huitieme partie de lait, remede qui m'a très bien réussi, ou une très legere ptisane de pain, qui se fait, en cuisant une livre de pain roti, avec trois ou quatre pots d'eau, pendant une demi heure. L'on préfére le pain d'aveine. L'on grille aussi avec succès du bled, qu'on pile, & dont on fait une legere ptisane. Un bouillon fait avec un poulet, ou une livre de chair maigre de veau, cuits pendant une heure, avec trois pots d'eau, est très bon dans ce cas. L'on emploie avec succès le petit lait, & dans les endroits où l'on peut en avoir, le petit lait de beurre (la battue) est la meilleure de toutes les boissons. Mais il faut nécessairement en donner une grande quantité: & les lavemens doivent être donnés de deux en deux heures. 2. Si le malade étoit robuste & sanguin, que le pouls fût fort dans les commencemens, & les douleurs extrêmement violentes, une ou deux saignées faites d'abord, diminuent la violence du mal, & donnent plus de loisir pour les autres remedes. J'ai vu les vomissemens finir, presqu'entierement, après la premiere saignée. 3. La furie du mal s'arrête un peu, au bout de cinq ou six heures; mais il ne faut point, pendant ce calme, se relâcher pour les remedes: car il revient bientôt après avec beaucoup de force. Ce retour ne change rien au traitement. Ordinairement le bain tiede soulage pendant qu'on est dedans; mais quoique les douleurs reviennent bientôt après, ce n'est point une raison pour le négliger, d'autant plus, que quelquefois, il procure un soulagement plus long. On doit y tenir le malade long-tems, & profiter de ce tems pour lui faire prendre sept ou huit verres du remede Nº. 31, ce qui m'a réussi très bien: les vomissemens s'arrêterent, & au sortir du bain, le malade eut plusieurs selles prodigieuses, qui diminuerent considérablement la force du mal. 4. Si l'on se laisse effrayer par la quantité des évacuations, & qu'on veuille les arrêter trop-tôt, par la thériaque, de l'eau de menthe, du syrop de pavot blanc, de l'opium, du mithridate; il arrive de deux choses l'une, ou l'on aigrit le mal, comme je l'ai vu arriver; ou si l'on réussit à arrêter les évacuations, on jette le malade dans un état plus dangereux. J'ai été obligé de donner un purgatif, qui rappella le _cholera_, à un homme, qu'un remede composé de thériaque, de mithridate, & d'huile avoit jetté dans une fiévre violente accompagnée d'un délire furieux. L'on ne doit employer ces remedes, que quand la petitesse du pouls, l'affoiblissement considérable, les crampes violentes & continues, & la foiblesse même des efforts pour vomir, font craindre que le malade ne succombe. Dans ces cas, il faut donner, tous les demi quarts d'heures, une cuillerée du remede Nº. 49 en continuant les délayans. Après la premiere heure, l'on n'en donne plus, que d'heure en heure, encore huit prises. Mais je réitére qu'on ne doit point venir trop-tôt à ce remede. §. 305. Si le malade doit guérir, peu-à-peu les douleurs & les évacuations diminuent, l'altération est moindre, le pouls reste très vîte, mais il devient régulier; il y a des instans d'assoupissemens, car le bon sommeil se fait attendre long tems. Il faut persister dans les mêmes secours, mais un peu moins fréquemment. On peut venir à donner quelques bouillons farineux; & quand les évacuations sont finies, qu'il ne reste plus de douleurs, mais une grande foiblesse, & beaucoup de sensibilité, on peut donner des oeufs frais, peu ou point cuits, pendant quelques jours, & les mêmes bouillons; ensuite on met au régime des convalescens; & l'usage de la poudre Nº. 14, hâte beaucoup la convalescence. CHAPITRE XXIII. _De la Diarrhée._ §. 306. Chacun connoît la _diarrhée_, que le peuple appelle dévoiement, cours de ventre, & même souvent colique. Il y en a de longues & invéterées, qui dépendent de quelque vice essentiel, dans la constitution. Je n'en parlerai pas. Celles qui attaquent tout-à-coup, sans aucun mal précédent, si ce n'est quelquefois un peu de dégoût, & de pesanteur dans les reins & dans les genoux; qui ne sont accompagnées ni de douleurs fortes, ni de fiévres, (souvent même il n'y a point de douleur du tout), sont plutôt un bien qu'un mal. Elles évacuent des matieres amassées dès long-tems, & corrompues, qui, si elles ne s'évacuoient pas, produiroient quelque maladie. Bien loin d'affoiblir, ces diarrhées rendent plus fort, plus leger, plus dispos. §. 307. Il faut bien se garder de les arrêter; elles finissent ordinairement d'elles-mêmes, quand toutes les matieres nuisibles sont évacuées. Elles ne demandent aucun remede, il faut seulement diminuer considérablement la quantité des alimens, se priver de viande, d'oeufs, de vin; ne vivre que de quelques soupes, de quelques legumes, ou d'un peu de fruit, crud ou cuit; & boire plus qu'à l'ordinaire. Une ptisane de capillaire est très suffisante dans ce cas. Il ne faut ni thériaque, ni confection, ni autres drogues de cette espece. §. 308. S'il arrive qu'après cinq ou six jours, le mal dure encore, qu'il affoiblisse le malade, que les douleurs deviennent un peu trop fortes, & surtout si les envies d'aller à la selle devenoient plus fréquentes, alors il faudroit l'arrêter. Pour cela on mettroit le malade tout-à-fait au régime; & si la diarrhée étoit accompagnée d'un grand dégoût, de soulevemens de coeur, d'ordures sur la langue, de mauvais goût à la bouche, on lui donneroit la poudre Nº. 34. Si ces accidens ne se trouvoient pas, on lui donneroit celle Nº. 50: & pendant trois heures, on lui feroit prendre toutes les demi heures, une tasse de bouillon foible. Si la diarrhée, arrêtée par ce remede, revenoit au bout de quelques jours; ce seroit une preuve qu'il y a quelque matiere tenace, qui n'a pas encore été évacuée. Il faudroit en ce cas, purger avec un des remedes Nº. 21, 22, 46, & ensuite donner à jeun, pendant deux matins, la moitié de la poudre Nº. 50. Le soir du jour que le malade a pris le remede Nº. 34, ou celui Nº. 50, ou qu'il a été purgé, on peut lui donner une prise de thériaque. §. 309. Souvent on néglige les diarrhées pendant long-tems, sans observer même aucun régime; elles se perpétuent & affoiblissent entierement le malade. Il faut, dans ces cas là, commencer par le remede Nº. 34; ensuite, on donne de deux jours l'un, quatre fois de suite, celui Nº. 50: & pendant tout ce tems-là, le malade ne vit que de panades (voyez §. 35), ou de ris cuit au bouillon. L'on met avec succès, sur l'estomac, une emplâtre stomachique, ou une flanelle, souvent trempée dans une décoction d'herbes fortes, cuites avec du vin. Il faut éviter le froid & l'humidité. CHAPITRE XXIV. _De la Dyssenterie._ §. 310. La dyssenterie est un flux de ventre, accompagné d'un mal-aise général, de fortes tranchées, & d'envies fréquentes d'aller à la selle. Ordinairement il y a un peu de sang dans les selles; mais cela n'arrive pas toujours, & n'est point nécessaire pour constituer la dyssenterie: celle où il n'y en a point, n'est pas moins dangereuse que l'autre. §. 311. La dyssenterie est ordinairement épidémique; elle commence quelquefois à la fin de Juillet, plus souvent au mois d'Août, & finit quand les gelées commencent. Les grandes chaleurs rendent le sang & la bile âcres; tant qu'elles durent, la transpiration se fait; mais dès qu'elles diminuent, surtout le soir & le matin, elle se fait moins bien, d'autant plus que les humeurs ont acquis de l'épaississement; alors cette humeur âcre arrêtée se rejette sur les intestins, & les irrite; les douleurs & les évacuations surviennent. Cette dyssenterie est de tous les tems & de tous les païs. Si à cette cause il s'en joint d'autres, & sur-tout la réunion d'un grand nombre de gens dans un endroit trop serré, tel que les hôpitaux, les camps, les prisons, cela porte dans les humeurs un principe de malignité, qui, s'alliant à la cause de la dyssenterie, rend cette maladie plus fâcheuse. §. 312. Le mal commence par un froid général qui dure quelques heures, plutôt que par un frisson; le malade s'affoiblit, il souffre des douleurs vives dans le ventre, qui quelquefois durent plusieurs heures avant que les évacuations viennent. L'on a des vertiges, des envies de vomir; l'on pâlit; le pouls n'est cependant que peu ou point fiévreux; mais ordinairement petit. Enfin les selles surviennent, les premieres ne sont souvent que des matieres liquides & jaunâtres; mais bientôt elles ne sont mêlées que de glaires, & ces glaires souvent teintes de sang. Leurs couleurs varient, elles sont brunes, vertes, noires, plus ou moins liquides, foetides. Les douleurs augmentent avant chaque selle, & les selles deviennent très fréquentes. L'on en a jusqu'à huit, dix, douze, quinze par heures; alors le fondement s'irrite, le tenesme (qui est une envie d'aller à la selle, quoiqu'il n'y ait point de matiere), se joint à la dyssenterie, & occasionne une chûte du fondement. L'état du malade est très cruel. L'on rend quelquefois des vers, des glaires épaissies qui ressemblent à des morceaux d'intestins, quelquefois des grumeaux de sang. Si le mal devient très fâcheux, les boyaux s'enflamment; il se forme des suppurations, des gangrennes; l'on rend du pus, des eaux noires & puantes; le hoquet survient, le malade rêve, son pouls s'affoiblit; il tombe dans des sueurs froides & dans des défaillances qui finissent par la mort. Quelquefois il survient une espece de phrénésie ou délire violent, avant le dernier moment. J'ai vu chez deux sujets, un symptôme assez rare; c'est une impossibilité d'avaler, trois jours avant la mort. Mais le mal n'est pas ordinairement de cette violence; les selles ne sont pas si fréquentes; cela va de vingt-cinq à quarante dans le jour. Les matieres sont mêlées de moins de choses étrangeres, & de peu de sang. Le malade conserve quelques forces; peu-à-peu les selles diminuent, le sang disparoît, les matieres s'épaississent, l'appétit & le sommeil reviennent, le malade se remet. Il y a beaucoup de malades qui n'ont point de fiévre & point d'altération, qui est peut-être moins ordinaire dans cette maladie, que dans une diarrhée ordinaire. Les urines sont quelquefois peu abondantes, & plusieurs malades ont des envies d'uriner inutiles. §. 313. Le grand remede de cette maladie, c'est l'émétique. Le remede Nº. 33, quand il n'y a point de raison de ne pas l'employer, pris dès les commencemens, emporte souvent le mal d'abord, & toujours l'abrége beaucoup. Le remede Nº. 34, n'est pas moins efficace dans cette maladie; il en a été regardé long tems comme le spécifique. Il ne l'est pas, mais il est très utile. Si après qu'ils ont produit leur effet, les selles sont moins fréquentes, c'est une très bonne marque. Si elles ne diminuent point, il est à craindre que la maladie ne soit longue & opiniâtre. L'on met le malade au régime, & l'on évite avec grand soin surtout toute viande, jusqu'à l'entiere guérison de la maladie. La ptisane Nº. 3, est la meilleure boisson. Le lendemain de l'émétique, on lui donne le remede Nº. 50, en deux prises. On le laisse un jour sans autre remede que la ptisane; on réitere la rhubarbe; alors ordinairement la force du mal est passée; on continue la diette pendant quelques jours, & l'on met le malade au régime des convalescens. §. 314. Quelquefois la dyssenterie s'annonce avec une fiévre inflammatoire, un pouls fiévreux, dur, plein, un violent mal de tête & de reins, le ventre tendu. Dans ces cas, il faut faire une saignée, donner tous les jours trois, & même quatre lavemens Nº. 6, ou plus, & boire beaucoup de la ptisane Nº. 3. Quand toute crainte d'inflammation est absolument passée, on vient au traitement marqué dans le paragraphe précédent. J'ai guéri plusieurs dyssenteriques, en ne leur ordonnant pour tout remede, qu'une tasse d'eau tiede tous les quarts-d'heure; & il vaudroit mieux s'en tenir à ce remede, qui ne peut être qu'utile, que d'en employer d'autres dont on ignore les effets, & qui en produisent souvent de très dangereux. §. 315. Il arrive aussi que la dyssenterie se joint à une fiévre putride; ce qui oblige à donner, après l'émétique, les purgatifs Nº. 22 ou 46, & plusieurs doses du Nº. 23, avant que d'en venir à la rhubarbe. Le Nº. 31 est excellent dans ce cas. En 1755, il y eut ici, en automne, quand l'épidémie nombreuse de fiévres putrides commença à cesser, un grand nombre de dyssenteries, qui avoient beaucoup de rapport avec ces fiévres. Je commençai par le remede Nº. 33, & ensuite je donnai le Nº. 31. Je ne fis prendre la rhubarbe qu'à très peu de malades sur la fin de la maladie. Presque tous furent guéris au bout de quatre ou cinq jours. Un petit nombre, à qui je n'avois pas pû donner l'émétique, ou qui avoient quelque complication, languirent assez long temps; mais sans danger. §. 316. Quand la dyssenterie est compliquée avec des symptômes de malignité (voyez §. 227.), l'on emploie, avec succès, après le remede Nº. 34, ceux Nº. 37 & 39. §. 317. Quand le mal a déja duré plusieurs jours, sans remede ou avec de mauvais remedes, il faut se conduire tout comme s'il commençoit, à moins qu'il ne fût survenu des accidens étrangers à la maladie. §. 318. Cette maladie a quelquefois des rechûtes au bout de quelques jours; elles sont presque toutes occasionnées ou par le manque de diette, ou par l'air froid, ou par l'échauffement. On les prévient en évitant ces causes; on les guérit en se mettant au régime & en prenant une prise du remede Nº. 50. Si sans aucune cause sensible, le mal revenoit, & s'annonçoit comme une nouvelle maladie, il faudrait la traiter comme telle. §. 319. Quelquefois elle est compliquée avec une fiévre d'accès; il faut guérir premierement la dyssenterie, et ensuite la fiévre. Si cependant les accès de fiévre étoient violens, on donneroit le quinquina (voyez §. 241). §. 320. Un préjugé pernicieux, dont l'on est encore généralement imbu, c'est que les fruits sont nuisibles dans la dyssenterie, qu'ils la procurent, & qu'ils l'augmentent. Il n'y a peut-être point de préjugé plus faux. Les mauvais fruits, les fruits mal mûrs dans les mauvaises années, peuvent occasionner des coliques, quelquefois des diarrhées, plus souvent des constipations, des maladies des nerfs & de la peau; jamais la dyssenterie épidémique. Les fruits mûrs de quelques especes qu'ils soient, & surtout ceux d'été, sont le vrai préservatif de cette maladie. Le plus grand mal qu'ils puissent faire, c'est, en fondant les humeurs, & sur-tout la bile épaissie s'il y en a, dont ils sont le vrai dissolvant, d'occasionner une diarrhée; mais cette diarrhée même mettroit à l'abri de cette dyssenterie. L'année derniere & la précédente ont été extrêmement abondantes en fruits; point de dyssenterie. On croit même remarquer qu'elle est plus rare & moins fâcheuse qu'autrefois; & l'on ne peut assurément l'attribuer, si le fait est vrai, qu'aux nombreuses plantations d'arbres, qui ont rendu les fruits extrêmement communs. Toutes les fois que j'ai vu des dyssenteries, j'ai mangé moins de viande & beaucoup de fruits; je n'en ai jamais eu la plus legere attaque. Plusieurs Médecins suivent la même méthode. J'ai vu onze malades dans une maison; neuf furent dociles, & mangerent des fruits; ils guérirent. La grand'-mere & un enfant, qu'elle aimoit mieux que les autres, périrent. Elle conduisit d'abord l'enfant à sa mode, avec du vin brûlé, de l'huile, quelques aromates & point de fruit; il mourut. Elle se conduisit de la même façon, & eut le même sort. Dans une campagne près de Berne, en 1750, dans le tems que la dyssenterie faisoit beaucoup de ravages, & que l'on défendoit sévérement les fruits; de onze personnes qui composoient la maison, dix mangerent beaucoup de prunes, & ne furent point attaquées. Le cocher, seul docile au préjugé, s'en abstint soigneusement, & eut une dyssenterie terrible. Cette maladie détruisoit un régiment Suisse, qui se trouvoit en garnison dans les Provinces méridionales de France; les Capitaines acheterent le fruit de plusieurs arpens de vignes: l'on y portoit les soldats malades; l'on cueilloit du raisin pour ceux qui ne pouvoient pas être portés; les sains ne mangeoient rien autre chose. Il n'en mourut pas un seul, & il n'y en eut plus d'attaqués. Un Ministre étoit attaqué d'une dyssenterie, que les remedes qu'il prenoit ne guérissoient point; il vit par hasard des groseilles rouges; il en eut envie, il en mangea trois livres depuis sept heures du matin jusqu'à neuf: il fut déja mieux ce jour-là, & entiérement guéri le lendemain. Je pourrois accumuler un grand nombre de faits pareils: ceux-là suffiront pour convaincre les plus incrédules, & il m'a paru important de le faire. Loin de s'interdire les fruits quand la dyssenterie régne, l'on peut en manger davantage. Les Directeurs de la Police, loin de les prohiber, doivent en faire fournir les marchés; c'est une vérité que les gens instruits ne révoquent plus en doute nulle part. L'expérience la démontre, & elle est fondée en raison, puisque les fruits remédient à toutes les causes des dyssenteries. §. 321. Il est extrêmement important que les malades aillent à la selle dans des endroits à part, parceque les excrémens sont très contagieux; & s'ils vont sur des bassins, on doit les sortir très promptement de la chambre, dans laquelle on doit renouveller continuellement l'air, & brûler beaucoup de vinaigre. Il est aussi très nécessaire de changer souvent les linges; sans ces précautions, la maladie devient plus mauvaise, & elle attaque ceux qui habitent la même maison. Il seroit fort à souhaiter qu'on pût convaincre le peuple de ces vérités. Monsieur BOERHAAVE conseilloit, quand la dyssenterie étoit épidémique, de mettre de l'eau-de-vie dans toute l'eau qu'on boit. §. 322. Je ne sais par quelle fatalité il n'y a point de maladie pour laquelle on conseille un plus grand nombre de remedes différens; il n'y a personne qui ne vante le sien, qui ne l'éleve au-dessus des autres, & qui ne promette hardiment de guérir en quelques heures une maladie longue, dont il n'a aucune idée juste, avec un remede dont il ignore parfaitement les effets. Le malade souffrant, inquiet, impatient, prend de toutes mains, & s'empoisonne par peur, par ennui, ou par complaisance. De ces différens remedes, il y en a qui ne sont qu'indifférens, d'autres sont pernicieux. Je n'entreprendrai point de rapporter ceux-mêmes que je connois; mais après avoir réitéré que la seule véritable méthode est celle que j'ai indiquée, & qui a pour but d'évacuer les matieres; & que celles qui ne vont pas à ce but, sont mauvaises, je me borne à avertir que la pire de tous, c'est celle qui est la plus généralement suivie, & qui consiste à arrêter les évacuations par des remedes adstringens, ou ceux qu'on tire de l'opium; méthode mortelle, qui tue, toutes les années, un grand nombre de personnes, & qui en jette d'autres dans des maux incurables. En empêchant l'évacuation de ces matieres, en renfermant le loup dans la bergerie, il arrive ou que cette matiere irrite les intestins, les enflamme, & de l'inflammation naissent les douleurs horribles, la vraie colique inflammatoire, & ensuite ou la gangrenne & la mort, ou un squirrhe, qui dégénere en cancer (j'ai vu ce cas horrible); ou un abcès, la suppuration, un ulcere; ou elle se jette ailleurs, produit des squirrhes au foie, des asthmes, l'apoplexie, l'épilepsie ou mal-caduc, des douleurs de rhumatismes horribles, des maux d'yeux & des maux de peau incurables. Telles sont les suites de tous les remedes adstringens, & de ceux qu'on donne pour faire dormir; thériaque, mithridate, diascordium, quand on les donne trop tôt. J'ai été appellé pour un rhumatisme cruel, qui avoit succedé immédiatement à un mélange de thériaque & d'eau de plantain donné le second jour d'une dyssenterie. Ceux qui ordonnent ces remedes, en ignorent sans doute les conséquences; il suffira j'espere de les leur avoir fait connoitre. §. 323. L'abus des purgatifs a aussi ses dangers. L'on détermine toutes les humeurs à se jetter sur les parties malades; le corps s'épuise, les digestions ne se font plus, les boyaux s'affoiblissent; quelquefois même il s'y fait de legeres ulcerations; il nait des diarrhées presqu'incurables, & qui tuent après plusieurs années de souffrances. §. 324. Si les évacuations sont excessives, & le mal long, on tombe dans l'hydropisie; mais en l'attaquant d'abord, on peut la dissiper. CHAPITRE XXV. _La Galle._ §. 325. La galle est une maladie contagieuse par l'attouchement de la personne, ou des habits; mais non point par l'air; ainsi en évitant ces moyens d'infection, on peut être sûr de ne pas la prendre. «Quoique toutes les parties du corps puissent en être attaquées, la galle se montre d'ordinaire, d'abord aux mains, & principalement entre les doigts. Il paroit au commencement, une ou deux pustules, qui sont remplies d'une espece d'eau claire, & qui donnent des démangeaisons très incommodes. Si on perce ces pustules en les grattant, l'eau qui en découle, communique le mal aux parties voisines. Dans le commencement, on ne peut gueres distinguer la galle, à moins qu'on ne soit bien au fait de ce mal; mais dans son progrès, les pustules augmentent en nombre, & en grandeur. Lorsqu'on les ouvre en les grattant, il s'y forme des croutes dégoûtantes, & le mal gagne toute la superficie du corps. Si elles durent long-tems, elles forment de petits ulceres, & elles sont en même-tems très contagieuses.» §. 326. Le mauvais régime, surtout l'abus du salé & des fruits mal mûrs; & la malpropreté occasionnent cette maladie. Quand elle paroit chez une personne, sans qu'on puisse soupçonner qu'elle l'a gagnée par contagion, il faut commencer par lui retrancher absolument le salé, & les choses aigres, les graisses, & les épiceries. On lui fait boire une ptisane de racine de chicorée amere, ou celle Nº. 25, dont on prend cinq ou six verres par jour; & on purge avec le Nº. 21, ou avec une once de sel de Sedlitz. On continue le régime: on repurge au bout de six ou sept jours; & ensuite on frotte toutes les parties malades, & les environs, le matin à jeun, avec le quart de l'onguent Nº. 51. Le lendemain, le surlendemain, & le quatrieme jour, on frotte de nouveau: & ensuite on emploie une seconde dose d'onguent, en frottant seulement de deux jours l'un. Il est rare que ces remedes n'emportent pas le mal; mais quelquefois, il revient. Il faut repurger, & revenir à l'onguent, dont j'ai éprouvé, & dont j'éprouve tous les jours les bons effets. Si le mal est gagné par contagion, l'on peut hardiment employer l'onguent dès qu'on s'en apperçoit, sans l'avoir fait préceder d'aucun purgatif. Mais au contraire, quand on a négligé long-tems le mal, & qu'il est parvenu à un degré considérable, il faut que le malade ait été long-tems au régime que j'ai indiqué, & qu'il ait été purgé avant que d'en venir à l'onguent; & dans ces cas, j'ai toujours commencé par l'onguent Nº. 27, dont on emploie le demi quart tous les matins. Souvent même je n'emploie point l'autre, & j'ai toujours trouvé ce dernier tout aussi sûr, mais un peu plus lent. §. 327. Pendant qu'on prend des remedes, il faut éviter le froid & l'humidité, sur-tout quand on fait usage du remede Nº. 27, dans lequel il entre du mercure, qui pourroit, si l'on négligeoit ces précautions, occasionner de l'enflure à la gorge, & aux gencives, & même une salivation. Cet onguent a un avantage sur l'autre, c'est qu'il n'a point d'odeur, & qu'on peut même lui donner une odeur agréable; mais il est très difficile de déguiser celle de l'autre. Il faut aussi changer souvent de linge; mais il faut éviter de changer d'habit; parceque, les habits s'infectant, ceux qu'on a porté pourroient redonner la galle, quand on les reprendroit après être guéri. «Il faut parfumer de soufre les chemises, culotes, bas, avant qu'on les mette; mais cette fumigation doit se faire en plein air.» §. 328. Quand cette maladie dure très long-tems, elle épuise le malade par l'insomnie, l'inquiétude, des démangeaisons, & quelquefois la fiévre. Le malade maigrit extrêmement. Dans ces cas, il faut, après un purgatif doux, ordonner quelques bains tiedes. On met le malade au régime des convalescens, & en même-tems on lui fait prendre, soir & matin, la poudre Nº. 52, pendant quinze jours. Souvent la maladie est rebelle, & il faut varier les remedes suivant les circonstances; détail dans lequel je ne puis pas entrer. §. 329. Après quelques purgatifs, des bains soufrés, tels que ceux d'Yverdun, guérissent très souvent. Et les simples bains froids de rivieres ou de lac, ont emporté des galles très rebelles. Il n'y a rien qui entretienne plus long-tems la galle, que l'abus des eaux chaudes. §. 330. Je réitére, qu'on ne doit jamais employer étourdiment l'onguent Nº. 51, ou les autres remedes qui font disparoître la galle. Il n'y a point de maux qu'on n'ait vu suivre la trop prompte guérison de cette maladie par des remedes extérieurs, employés avant que d'avoir évacué & un peu diminué l'âcreté des humeurs. CHAPITRE XXVI. _Avis pour les Femmes._ §. 331. Les femmes sont sujettes à toutes les maladies que je viens de décrire, & leur sexe les expose à quelques autres qui dépendent de quatre causes principales; les regles, les grossesses, les couches, & les suites de couches. Je ne pense point à traiter ici de toutes ces maladies; elles exigeroient un volume plus gros que celui-ci, & je suis obligé de me borner à des avis généraux, sur ces quatre objets. §. 332. La nature, qui destinoit les femmes à élever le genre humain dans leur sein, les a assujetties à un écoulement de sang périodique, qui est la source d'où l'enfant tirera un jour sa subsistance. Cette évacuation commence généralement dans ce pays entre quatorze & seize ans. Souvent, avant qu'elle paroisse, les jeunes filles sont pendant long-tems dans un état de langueur, qu'on appelle _chlorose_, _oppilation_, _pâles couleurs_; & quand elle tarde trop à venir, elles tombent dans des maladies très graves, & fort souvent mortelles. Mais on attribue cependant, fort mal-à-propos, à cette cause, tous les maux auxquels le sexe est sujet; ils dépendent d'une autre, dont les oppilations mêmes ne sont souvent que l'effet; c'est la foiblesse qui lui est naturelle & nécessaire. Les fibres des femmes, destinées à ceder, quand elles seront tendues par tout le volume de l'enfant, & de ses accompagnemens, volume souvent très considerable, devoient être moins roides, moins fortes, plus lâches que celles des hommes; par-là-même la circulation se fait chez elles avec moins de force; le sang est moins épais, plus aqueux; les humeurs ont plus de panchant à croupir dans les visceres, & à former des engorgemens. L'on préviendroit les maux auxquels cette constitution peut conduire, en aidant la foiblesse des mouvemens naturels, par les mouvemens étrangers, que fournit l'exercice: mais ce secours, qui seroit plus nécessaire aux femmes qu'aux hommes, leur manque: on les applique aux ouvrages du menage, qui exercent beaucoup moins que ceux auxquels la vocation des hommes les appelle. Elles se donnent peu de mouvement; la disposition naturelle s'accroit, & elle devient alors maladive: le sang ne circule pas; il perd ses qualités; les humeurs croupissent par tout; aucune fonction ne se fait bien. Elles commencent à languir, quelquefois très jeunes, & plusieurs années avant qu'il soit question des regles. La langueur les rend paresseuses; le mouvement les fatigue un peu, elles n'en prennent point. Il seroit le remede de ce mal commençant; mais le remede est un peu difficile à prendre, elles le rejettent, & le mal augmente. L'appétit se dérange comme les autres fonctions: elles en ont peu; les alimens ordinaires ne le reveillent point, elles se livrent à des fantaisies, qui achevent de ruiner l'estomac, les digestions, & la santé. Quelques années s'écoulent, le tems des regles approche, & elles ne paroissent point: premierement, parceque la santé est trop affoiblie pour établir cette nouvelle fonction, dans le tems que toutes les autres languissent: secondement, parcequ'elles ne sont point nécessaires. Elles sont destinées à évacuer, hors de la grossesse, le sang superflu que la femme est destinée à produire, afin qu'elle ne fournisse pas de son nécessaire à l'enfant; il se passe bien du tems avant que ce sang superflu existe chez les filles languissantes. Cependant le mal augmente, parceque toute maladie, qui ne guérit pas, fait des progrès journaliers: on l'attribue à la suppression; on se trompe: la maladie ne vient point toujours de la suppression; la suppression vient de la maladie. Cela est si vrai, que lors même que cette évacuation arrive, si la foiblesse subsiste, les malades n'en sont pas mieux, au contraire; & souvent l'on voit de jeunes garçons, qui ayant reçu de la nature une constitution, & de leurs parens une éducation féminines, ont les mêmes maux que les jeunes filles oppilées. Les filles de la campagne, qui menent souvent le genre de vie des hommes, sont moins sujettes à ce mal que celles de la ville. §. 333. Qu'on ne s'y trompe donc point: tous les maux des jeunes filles ne viennent point du manque des regles; mais il y en a, qui en viennent réellement. C'est quand une jeune fille forte, robuste, bien portante, à qui il reste peu à croître, qui a beaucoup de sang, n'a point cette évacuation dans l'âge marqué; alors ce superflu de sang occasionne mille maux, & beaucoup plus violens que ceux qui dépendent de la cause précédente. Les filles de la campagne sont plus sujettes à cette espece d'oppilation, que celles de la ville; & c'est ce qui procure ces maladies singulieres qui paroissent surnaturelles au peuple; & que, par là-même, il attribue aux sortileges. §. 334. Les regles venues, elles se suppriment souvent, il n'y a aucune maladie quelconque, que cette suppression n'ait produite. Elles se suppriment souvent, dans le cas du §. 332, par la continuation de la maladie, qui avoit mis obstacle à leur arrivée; & très souvent par d'autres causes, telles que le froid, l'humidité, une passion trop forte, une peur violente, des alimens trop froids, ou indigestes, ou trop chauds, un exercice porté trop loin, les veilles. Les accidens que ces suppressions occasionnent, sont quelquefois plus violens, que ceux qui précedent la premiere venue. §. 335. Ces mêmes regles peuvent être trop abondantes, & elles jettent dans des maladies très graves; mais je n'en parlerai pas. §. 336. Enfin, lors mêmes qu'elles sont les plus régulieres, après avoir duré un certain nombre d'années (il est rare que cela aille à trente-cinq), elles finissent naturellement & nécessairement entre quarante cinq & cinquante ans, quelquefois même plutôt, & rarement plûtard, & l'époque de cette cessation est ordinairement fâcheuse pour les femmes qui ont eu ou qui ont des maladies dépendantes du dérangement des regles. §. 337. Jusqu'à présent l'on ne voit que les maux que cette évacuation procure. Il n'en est pas moins vrai que quand elle se fait bien & régulierement, elle contribue beaucoup à la santé du sexe, dont l'objet principal doit donc être de l'entretenir dans un bon ordre. L'on prévient les maux §. 332, en évitant les causes qui les produisent, & 1. en faisant prendre beaucoup de mouvement aux jeunes filles, surtout dès que l'on remarque la plus legere atteinte du mal. 2. En ayant l'oeil sur elles, pour qu'elles ne mangent point de choses contraires, non-seulement en alimens, mais en toutes autres choses, puisqu'il y a peu de corps dans la nature qui n'aient été l'objet de leur bisarre fantaisie. Les alimens gras, pâteux, farineux, aigres, aqueux, leur sont nuisibles. Les thés d'herbes qu'on leur fait souvent boire pour les guérir, suffiroient pour leur procurer la maladie. Si on veut leur faire boire des infusions de quelques herbes, qu'elles boivent froid. La meilleure boisson pour elles, c'est l'eau de Forges & l'eau minerale ferrugineuse. 3. Il faut éviter les remedes chauds, âcres, & destinés uniquement à forcer les regles. Ils font quelquefois des maux affreux, & ne font jamais de bien. Ils sont surtout d'autant plus pernicieux, que la malade est plus jeune. 4. Si cependant le mal empire, il faut leur ordonner quelques remedes, non point des purgatifs, des délayans, des bouillons d'herbes, des sels, & je ne sais combien d'autres choses nuisibles; mais la limaille de fer, qui est le vrai remede de ces maux. Il faut prendre la limaille de vrai fer, & non point celle d'acier, & faire attention qu'elle ne soit point rouillée; dès qu'elle l'est, elle n'a presque plus aucune efficacité. Dans les commencemens du mal, & pour les jeunes filles, il suffit d'en donner quinze ou vingt grains par jour, en y joignant l'exercice & une diette convenable. Quand le mal est plus grave & la malade moins jeune, on peut aller hardiment jusqu'à un quart d'once. On fait bien de joindre à la limaille quelques amers, ou quelques aromates; voyez les recettes Nº. 53, 54, 56. Quand on se propose de déterminer les régles, on peut employer le Nº. 54, qui réussit ordinairement. §. 338. Pendant que l'on prend ce remede, il ne faut prendre aucune des choses que j'ai défendues dans les §§. précédens, & l'on doit en aider l'effet par le mouvement. Celui des voitures un peu rudes & qui secouent, est très salutaire: celui de la danse l'est aussi beaucoup, moyennant qu'il ne soit pas porté jusqu'à l'excès. §. 339. Quand le mal a des rechutes, on se conduit tout comme si c'étoit une premiere attaque. Mais le cas du §. 327, demande une conduite très différente. La saignée, qui est pernicieuse dans la premiere espece, & dont l'usage jette plusieurs jeunes filles dans une langueur incurable, a souvent emporté cette espece dans le moment. Les bains de pied tiedes, les poudres Nº. 20, le petit lait, ont souvent réussi; mais il faut souvent des soins appropriés à chaque cas particulier: c'est pourquoi on doit consulter un Médecin. §. 340. Quand les régles cessent par l'âge (§. 336), si elles cessent tout-à-coup, & si elles étoient abondantes auparavant, il faut nécessairement faire une saignée, & la réitérer tous les six, ou même tous les quatre, ou tous les trois mois. Diminuer la quantité des alimens, sur-tout de la viande & du vin; augmenter l'exercice; prendre souvent, le matin à jeun, la poudre Nº. 23, qui est excellente dans ce cas. Si cette cessation est annoncée, ou accompagnée, comme il arrive souvent, de pertes abondantes, la saignée n'est pas aussi nécessaire; mais le régime & la poudre Nº. 23 le sont beaucoup; & il faut y joindre, de tems-en-tems, la purgation Nº. 22. Les remedes adstringens donnés à cette époque, occasionnent des cancers de matrice. Il périt plusieurs femmes à cet âge, parcequ'il est très aisé de leur faire du mal; ce qui doit les rendre très prudentes sur tous les remedes qu'elles font; mais aussi il arrive souvent que leur constitution change à leur avantage; leurs fibres deviennent plus fortes; elles se trouvent plus robustes, plusieurs petites infirmités finissent, & elles jouissent ensuite d'une vieillesse très heureuse. Le régime que je viens d'indiquer, la poudre Nº. 23, la boisson Nº. 31, conviennent beaucoup dans presque toutes les pertes habituelles (je parle des femmes du peuple) à quelqu'âge que ce soit. §. 341. Je finis cet article par un avis général. Si les femmes savoient combien il leur importe de se ménager pendant le tems des régles, il n'y en a pas une qui, dès la premiere fois jusqu'à la derniere, n'observât un régime très scrupuleux; voyez §. 334. Leur conduite à cette époque décide de leur santé, & l'on peut dire de leur bonheur ou de leur malheur, &, souvent de celui des personnes avec qui elles ont à vivre. Plus elles sont jeunes & délicates, plus il leur importe de se ménager. Je sais que la robuste campagnarde se ménage peu, & ne s'en trouve pas toujours mal; mais je pourrois cependant produire une longue liste de celles qui se sont jettées, par leur imprudence, dans les situations les plus tristes. L'importance de la matiere, fait que cet article est d'une longueur disproportionnée à celle de l'ouvrage. _Grossesse._ §. 342. Les grossesses sont généralement beaucoup plus heureuses dans les campagnes qu'à la ville. Les paysanes sont cependant aussi sujettes aux maux de coeur & aux vomissemens le matin, aux maux de tête & aux maux de dents. Ces maux cedent à la saignée, qui est presque le seul remede dont elles aient besoin. §. 343. Quelquefois après avoir porté des fardeaux trop pesans, avoir fait des travaux violens, avoir soutenu des cahotemens trop forts, avoir fait quelque chûte, elles sont attaquées de violentes douleurs de reins, qui se répandent jusques sur les cuisses, & aboutissent tout-à-fait au bas du ventre. Le danger de se blesser est très grand. Il faut pour prévenir cet accident, qu'elles se mettent sur le champ au lit, & qu'elles se couchent sur la paillasse si elles n'ont point de matelas, la plume est très mauvaise dans ce cas; qu'on leur fasse une ample saignée; qu'elles restent plusieurs jours dans cette situation, ne bougeant & ne parlant presque point; ne prenant ni viande, ni bouillon, ni oeufs, mais vivant uniquement de quelques soupes farineuses; prenant, de deux en deux heures, la moitié de la poudre Nº. 20, & ne buvant que de la ptisane Nº. 2. Il y a des femmes robustes, sanguines, qui sont sujettes à se blesser à une certaine époque: elles préviennent cet accident, en se faisant saigner quelques jours avant cette époque, & en observant un régime tel que je viens de l'indiquer. Mais cette méthode ne vaudroit rien pour les femmes délicates de la ville, qui se blessent par une toute autre cause. _Couches._ §. 344. L'on remarque qu'il périt plus de femme à la campagne, dans le tems de l'accouchement, & cela par le manque des bons secours & l'abondance des mauvais; & qu'il en meurt plus en ville, après les couches, par une suite de la mauvaise santé. Le besoin de sages-femmes un peu éclairées, dans la plus grande partie du pays, est un malheur trop prouvé, qui a les suites les plus horribles, & qui demanderoit toute l'attention de la police. Les fautes qui se commettent dans le tems des accouchemens sont sans nombre, & trop souvent sans remede. Il faudroit un livre exprès, comme on en a donné dans quelques pays, pour donner les moyens propres à les prévenir, & il faudroit avoir formé des sages-femmes capables de les comprendre. Tout cela sort du plan que je me suis proposé. J'indiquerai seulement une des causes qui font le plus de mal; c'est l'usage des choses chaudes que l'on donne dès que l'accouchement est pénible ou lent; castor, teinture de castor, safran, sauge, rhue, sabine, huile d'ambre, vin, thériaque, vin brûlé avec des aromates, caffé, eau-de-vie. Toutes ces choses sont de vrais poisons qui, bien loin de hâter l'accouchement, le rendent plus difficile, en enflammant & la matrice qui ne peut plus se contracter, & les parties qui servent de passage, qui par-là même se gonflent, rétrécissent les voies, & ne peuvent plus prêter. D'autrefois il survient une hémorrhagie, qui tue en peu d'heures. §. 345. L'on sauveroit un grand nombre de meres & d'enfans, par une méthode directement contraire. Dès qu'une femme bien portante avant ses couches, robuste, bien faite, se trouveroit en travail, & que le travail paroîtroit douloureux & difficile, bien loin d'encourager la femme à des efforts précoces qui perdent tout, & de les aider par les remedes destructifs dont je viens de parler, il faut leur ordonner une saignée du bras, qui préviendra l'engorgement & l'inflammation, calmera les douleurs, relâchera les parties, & tout se disposera mieux. L'on ne doit pas donner d'autre nourriture, qu'un peu de panade toutes les trois heures, & de l'eau panée autant que la malade en veut. On donne, de quatre en quatre heures, un lavement avec une décoction de mauve & un peu d'huile; dans l'intervalle on fait mettre sur un vase plein d'eau chaude pour recevoir la vapeur; l'on frotte le passage avec un peu de beure, & l'on tient sur le ventre des fomentations d'eau chaude; ce sont les plus efficaces. En suivant cette route, non-seulement les sages-femmes ne font point de mal; mais elles laissent à la nature le tems de faire du bien; un grand nombre d'accouchemens qui paroissoient difficiles, se terminent heureusement, & l'on a au moins le tems d'aller chercher des secours; d'ailleurs les suites des couches sont heureuses. Au lieu qu'en suivant la méthode échauffante, lors même que l'accouchement est fait, la mere & l'enfant ont si cruellement souffert, qu'ils périssent souvent l'un & l'autre. §. 346. Je sais que ces moyens sont insuffisans, lorsque la situation de l'enfant est mauvaise, ou qu'il y a quelque vice de conformation chez la mere; mais au moins ils empêchent l'augmentation du mal; &, comme je l'ai dit, laissent le tems de recourir aux chirurgiens-accoucheurs, ou à quelques sages-femmes un peu moins mal instruites. Je réitere encore que les sages-femmes doivent bien se garder de presser les femmes à faire des efforts qui leur font un mal infini, & qui peuvent rendre fâcheux l'accouchement, qui, avec un peu de patience, eut été le plus heureux. L'on craint la foiblesse dans laquelle les malades paroissent être, on imagine qu'elles n'auront pas la force d'accoucher, & c'est la raison dont on s'autorise pour leur donner des cordiaux; mais cette raison est chimérique. L'on ne perd pas si promptement les forces; les douleurs legeres abattent, mais à mesure qu'elles augmentent, les forces se relevent & ne manquent jamais, quand il n'y a point d'accident étranger. _Suites de Couches._ §. 347. Les suites de couche les plus fréquentes dans les campagnes, sont 1. les pertes excessives. 2. L'inflammation de matrice. 3. La suppression subite des _Lochies_, c'est le nom qu'on donne à l'évacuation de la matrice qui suit ordinairement la couche. 4. Les ravages du lait. Les lochies trop abondantes doivent être traitées par les moyens §. 343; & si la perte est excessive, l'on applique sur le ventre, les reins, les cuisses, des linges trempés dans un mélange de parties égales d'eau & de vinaigre, qu'on change dès qu'ils commencent à être secs, & qu'on quitte dès que la perte commence à diminuer. §. 348. L'inflammation se manifeste par les douleurs dans tout le bas du ventre, la tension de tout le ventre, l'augmentation des douleurs quand on le touche, une espece de tache rouge qui monte au milieu du ventre jusqu'au nombril, & qui, quand le mal empire, devient noire, ce qui est toujours mortel; une foiblesse étonnante, le visage prodigieusement changé, un léger délire, une fiévre continue avec un pouls foible & dur, quelquefois des vomissemens continuels, souvent le hoquet, une perte très peu, abondante d'une eau rousse, puante, âcre, des envies fréquentes d'aller à la selle, des ardeurs, & quelquefois une suppression d'urine. §. 349. Ce mal très grave & souvent mortel, doit être traité comme les maladies inflammatoires. Il faut surtout après la saignée donner fréquemment des lavemens d'eau tiéde, en injecter dans la matrice, en appliquer continuellement sur le ventre, & boire abondamment ou de la ptisane d'orge toute simple, sur chaque pot de laquelle on met un demi-quart d'once de nitre, ou des laits d'amandes Nº. 4. §. 350. La suppression totale des lochies, qui occasionne les maladies les plus violentes, se traite précisément de la même façon. Si l'on donne quelques remedes chauds pour en forcer la sortie, l'on ôte dans le moment toute espérance de guérison. §. 351. Si la fiévre de lait est très forte, la ptisane d'orge §. 349, & les lavemens, avec une diette très legere, uniquement de panade ou de quelqu'autre farineux très clair, la dissipent. §. 352. Les femmes délicates, qui ne sont pas soignées comme il seroit nécessaire, ou celles que la nécessité oblige à travailler trop tôt, sont exposées à plusieurs accidens, qui dépendent souvent de ce que la transpiration & l'évacuation des lochies ne se faisant pas bien, & la séparation du lait dans les mammelles étant troublée, il se forme ce qu'on appelle des dépôts laiteux, qui sont toujours très fâcheux, & surtout quand ils se font sur quelque partie intérieure. Il s'en fait fréquemment sur les cuisses. Dans ce cas, il faut faire usage de la ptisane Nº. 57, & appliquer sur la tumeur les cataplasmes Nº. 58. Ces deux remedes dissipent insensiblement le mal, s'il peut se dissiper sans suppuration. Si cela n'est pas possible, & qu'il se forme du pus, un chirurgien ouvre l'abcès, & le traite comme un autre. §. 353. Si le lait se durcit dans le sein, il est de la plus grande importance de dissiper incessamment cette grosseur, sans quoi elle se durcit & devient squirrhe, & de squirrhe, souvent au bout d'un certain tems, cancer; c'est-à-dire, la plus cruelle des maladies. L'on prévient cet horrible mal, en remédiant à ces petites tumeurs dès le commencement. Il n'y a rien de plus efficace pour cela que les remedes Nº. 57 & 58: mais il est toujours prudent de consulter. Dès qu'il y a une dureté invétérée & exempte de douleur, il ne faut faire aucune application quelconque; toutes sont nuisibles: celles qui sont grasses, irritantes, résineuses, spiritueuses, changent promptement le squirrhe en cancer. Quand le cancer est manifesté, toutes les applications sont aussi également nuisibles, excepté celles Nº. 59. Le cancer a été long-tems incurable. Depuis quelques années, l'on en a guéri quelques-uns avec le remede Nº. 55; mais il n'est pas infaillible. L'on doit cependant toujours l'essayer. §. 354. Les bouts des mammelles des nourrices s'écorchent souvent, & les font cruellement souffrir. Un des meilleurs remedes, c'est la pommade la plus simple, un mélange d'huile & de cire fondus ensemble, ou l'onguent Nº. 65. Et si le mal est opiniâtre, il faut purger, ce qui réussit ordinairement. CHAPITRE XXVII. _Avis pour les enfans._ §. 355. Les maladies des enfans, & tout ce qui regarde leur conduite sont des objets qui ont été généralement trop négligés, par les Medecins; l'on en confioit la direction aux personnes les moins propres à s'en charger. Leur santé est cependant bien importante; il faut les conserver, si l'on veut avoir des hommes; & leur médecine est susceptible d'un assez grand degré de perfection. Elle a un avantage sur celle des adultes, c'est que l'on ne trouve pas des complications de maux aussi fréquentes. L'on dit qu'ils ne savent pas se faire entendre; cela est vrai jusques à un certain point; mais cela ne l'est pas exactement. Il est vrai qu'ils ne parlent pas notre langage; mais ils en ont un, qu'il faut étudier. Chaque maladie a proprement le sien, qu'un Medecin attentif apprend; il doit donner tous ses soins à comprendre celui des enfans, & à en profiter pour perfectionner les moyens de les rendre sains & vigoureux, & de les guérir des différens maux auxquels ils sont exposés. Je ne me propose point de remplir cette tâche actuellement; mais j'indiquerai les principales causes de leurs maux, & la façon générale de les traiter. Je leur épargnerai au moins par-là, une partie du mal qu'on leur fait, & l'épargne des maux artificiels est un des grands buts de cet ouvrage. §. 356. L'estomac & les intestins de l'enfant, sont remplis, quand il vient au monde, d'une matiere noire, médiocrement épaisse & assez gluante, qu'on appelle _meconium_. Il faut que cette matiere sorte, avant que l'enfant prenne du lait; sans quoi elle le corromproit, & devenant elle-même extrêmement âcre, il en résulteroit une double source de maux, auxquels l'enfant ne résisteroit point. La maladie qui les tue à cet âge, c'est les convulsions. Leurs nerfs sont extrêmement sensibles, & dès que quelque chose les irrite, les convulsions naissent. L'on prévient le mal en ôtant la cause. On ne leur donne point de lait les vingt-quatre premieres heures; mais on leur fait boire de l'eau dans laquelle on met un peu de sucre ou de miel; ce qui délaie ce _meconium_, & en facilite l'évacuation; mais pour être plus sûr qu'elle s'opere, il faut leur donner une once de _syrop de chicorée composé_, qu'on délaie avec un peu d'eau, & qu'on leur fait boire dans l'espace de quatre ou cinq heures. Cette pratique a les plus grands avantages, & il est à souhaiter qu'elle devienne générale. Le syrop que j'indique est à préférer de beaucoup à tous les autres, & surtout à l'huile d'amandes douces. S'ils avoient besoin de quelque aliment, il n'y a point d'inconvénient à leur donner un peu de biscuit dans l'eau, comme on fait ordinairement, ou un peu de panade très claire. §. 357. Quoiqu'ils aient été bien évacués d'abord après leur naissance, très souvent le lait s'aigrit, & produit des coliques violentes, des convulsions, la diarrhée, la mort. Il n'y a que deux choses à faire; évacuer ces matieres, & leur donner des absorbans. Le syrop de chicorée est encore dans ce cas, le meilleur remede. On donne ensuite, trois prises par jour de la poudre Nº. 60, & on leur fait boire un thé de mélisse & de tilleul. L'on est dans l'usage de donner aux enfans beaucoup d'huile d'amandes douces dès qu'ils ont quelques tranchées, c'est une habitude pernicieuse, & dont les conséquences sont très dangereuses. Il est vrai que l'huile appaise quelquefois d'abord les douleurs, en envelopant les acides, & en émoussant la sensibilité des nerfs; mais c'est un remede palliatif, qui, loin d'enlever la cause, l'augmente, aussi le mal revient bientôt; & plus on donne d'huile, plus l'enfant devient sujet aux tranchées. J'en ai guéri, sans autre remede, que la privation de l'huile, qui leur affoiblit l'estomac; par là-même, le lait se digere moins bien, moins vîte, & s'aigrit plus aisément. Cet affoiblissement que l'estomac reçoit à cette époque, a quelquefois des influences sur le tempérament de l'enfant pour le reste de ses jours. Il importe aux enfans d'avoir le ventre très libre, & il est certain que très souvent l'huile les resserre, en diminuant les forces des intestins: il n'y a personne qui ne puisse remarquer ces inconvéniens; on continue cependant à l'ordonner, dans un but contraire: telle est la force du préjugé, dans ce cas & dans tant d'autres. On est dans l'idée que tel remede doit produire tel effet; il a beau ne le produire jamais, la prévention subsiste, & l'on attribue son efficacité à de trop petites doses. On les double; le mauvais effet augmente, & ne fait point finir l'aveuglement. L'abus de l'huile dispose aussi à la noueure ou rachitis, & enfin il devient souvent la cause premiere des maladies de peau, qui sont extrêmement difficiles à guérir. Ainsi l'on ne doit l'employer que très rarement, & on l'ordonne toujours très mal à propos, dans les coliques qui viennent d'un principe d'aigreur dans l'estomac, ou les intestins. Les enfans sont ordinairement plus sujets à ces coliques pendant les premiers mois: ensuite elles diminuent, parceque leur estomac se fortifie. On les soulage en leur donnant des lavemens avec une décoction de fleurs de camomille, & la grosseur d'une noisette de savon. Une flanelle trempée dans une décoction de camomille avec un peu de thériaque, appliquée chaude sur l'estomac & le ventre, les soulage aussi beaucoup. Un des plus sûrs moyens de dissiper ces coliques, qui viennent de ce que le lait ne se digere pas, c'est de leur donner autant de mouvement qu'il est possible, vu leur âge. On ne peut pas toujours leur donner des lavemens; cela auroit son danger. Chacun connoit la méthode d'y suppléer par des suppositoires, avec quelques côtes de plantes, ou du savon, ou du miel cuit. §. 358. Tout le corps de l'enfant qui nait, est couvert d'une crasse, qui vient de la liqueur dans laquelle il a vécu. Il est important de le nettoyer d'abord, & il n'y a rien d'aussi bon, que le mélange d'un tiers de vin avec deux tiers d'eau. On peut réitérer quelques jours de suite; mais c'est une très mauvaise coutume, que de continuer à les laver ainsi tiedement. La base de la santé, c'est la régularité avec laquelle se fait la transpiration; pour obtenir cette regularité, il faut fortifier la peau, & les lavages tiedes l'affoiblissent. On augmente encore le mal en y mettant du beurre. Quand la peau a la force nécessaire elle fait toujours ses fonctions, & la transpiration ne se dérange pas à tous les changemens de tems. Pour parvenir à ce point important, il faut laver les enfans, peu de jours après leur naissance, avec de l'eau froide, telle qu'on l'apporte de la fontaine. On se sert d'une éponge, & l'on commence par le visage, les oreilles, le derriere de la tête, (on évite la fontanelle), le col, les reins, tout le corps, les cuisses, les jambes, les bras, en un mot partout. Cette méthode usitée il y a tant de siecles, & pratiquée de nos jours, par plusieurs peuples qui s'en trouvent très bien, paroîtra révoltante à nombre de meres; elles croiront tuer leurs enfans, & elles n'auront point le courage, surtout de résister aux cris qu'ils font souvent pendant les premieres fois qu'on les lave. Mais si elles les aiment véritablement, elles ne peuvent pas leur donner une marque plus réelle de cette tendresse, qu'en surmontant, en leur faveur, cette répugnance. Les enfans les plus foibles sont ceux qui en ont le plus besoin; ceux qui sont très robustes peuvent s'en passer, & l'on ne peut croire, qu'après l'avoir vu souvent, combien cette méthode contribue à leur donner promptement des forces. J'ai le plaisir de voir, depuis que j'ai cherché à l'introduire ici que plusieurs meres, les plus tendres & les plus raisonnables, l'ont employée avec les plus grands succès. Les sages femmes qui en ont été les exécuteurs la répandent, & si elle peut devenir générale, je suis pleinement persuadé, qu'en conservant un très grand nombre d'enfans, elle contribuera à arrêter les progrès de la dépopulation. Il faut les laver très régulierement tous les jours, quelque tems, & quelque saison qu'il fasse; & dans la belle saison, les plonger dans des seaux, dans des bassins de fontaine, dans des ruisseaux, dans des rivieres. Après quelques jours de pleurs, ils s'accoutument tous si bien à cet exercice, qu'il devient un de leurs plaisirs, & qu'ils rient pendant toute l'opération. Le premier avantage de cette méthode, c'est comme je l'ai dit, d'entretenir la transpiration, & de rendre moins sensible aux impressions de l'air, mais de ce premier avantage, il résulte, qu'on les préserve d'un grand nombre de maux, surtout de la noueure, des obstructions, des maladies de la peau, & des convulsions; & on leur assure une santé ferme & robuste. §. 359. Mais il ne faut pas détruire le bien qu'on leur fait en les lavant, par la mauvaise habitude de les tenir trop au chaud; il n'y en a point de plus pernicieuse, & qui tue plus d'enfans, il faut les accoutumer à être très peu habillés, tant le jour que la nuit, à avoir surtout la tête très peu couverte, & point du tout, depuis l'âge de deux ans; éviter qu'ils ne soient dans des chambres trop chaudes, & les faire vivre au grand air, soit l'été soit l'hyver, le plus qu'il est possible. Les enfans élevés au chaud, sont souvent enrhumés, foibles, pâles, languissans, bouffis, tristes, meurent, ou tombent dans la noueure &c. Ceux qu'on éleve, à l'eau froide sont l'opposé. §. 360. Je crois devoir ajouter, que l'enfance n'est pas le seul tems de la vie, dans le quel les bains froids soient utiles. Je les ai employés, avec un succès marqué, pour des personnes de tout âge; & il y a deux especes de maladies, plus fréquentes, il est vrai, à la ville qu'à la campagne, dans lesquelles ils réussissent très bien; c'est dans les foiblesses de nerfs, & quand la transpiration se fait mal, qu'on craint l'air, qu'on est fluxionnaire, foible, languissant. Le bain froid rétablit la transpiration, redonne de la force aux nerfs, & dissipe par là, tous les dérangemens que ces deux causes occasionnoient dans l'oeconomie animale. On doit les prendre avant diner. Mais autant les bains froids sont utiles, autant l'usage habituel des bains chauds est pernicieux; ils disposent à l'apoplexie, à l'hydropisie, aux vapeurs, & l'on voit les villes où l'usage en est fréquent, désolées par toutes ces maladies. §. 361. La sortie des dents coute souvent beaucoup aux enfans, & quelques-uns succombent aux maux qu'elles occasionnent. L'on doit à cette époque, si elle est douloureuse, 1. leur tenir le ventre libre par des lavemens, faits avec une décoction de mauve sans y rien ajouter; mais ils ne sont point nécessaires si l'enfant a en même-tems la diarrhée. 2. Leur diminuer un peu la quantité des alimens; par deux raisons; l'une, c'est que l'estomac est foible; l'autre, c'est qu'il y a quelquefois un peu de fiévre. 3. Leur augmenter un peu la quantité de la boisson; la meilleure pour eux, c'est sans contredit, l'infusion des fleurs de tilleul, qu'on blanchit avec un peu de lait. 4. On leur frotte souvent les gencives, avec un mélange d'autant de miel que de mucilage de pepins de coins, & on leur donne à mâcher une racine d'althea, ou de reglisse. C'est souvent dans le tems de la sortie des dents que les enfans se nouent. §. 362. Le meconium, l'aigreur du lait, & les dents, sont trois grandes causes des maladies des enfans: il y en a une quatrieme, les vers, qui leur fait aussi très souvent du mal; mais qui n'est point cependant, à beaucoup près, la cause générale de leurs maux, comme on est généralement porté à le croire, dès qu'on voit un enfant, de plus de deux ans malade. Il y a un grand nombre de symptomes, qui font juger qu'un enfant a des vers. Il n'y en a qu'un seul, c'est leur sortie par haut ou par bas, qui le démontre évidemment. Il y a d'ailleurs, à cet égard, beaucoup de variétés; quelques enfans ayant beaucoup de vers, sans en être incommodés; d'autres étant réellement malades avec un petit nombre. Les vers nuisent, 1. en obstruant les intestins, & en comprimant les parties voisines par leur volume. 2. En suçant le chile destiné à nourrir le malade, & le privant par-là même de sa subsistance. 3. En irritant les intestins & même en les rongeant. Les signes qui les font connoître sont, de legeres coliques; une abondance de salive à jeun; une odeur désagréable, d'une espece singuliere, dans l'haleine, surtout le matin; des démangeaisons dans les narines, qui font qu'ils les grattent souvent; un appétit très irrégulier, ayant quelquefois un appetit vorace, d'autrefois point du tout; des maux de coeur, des vomissemens; quelquefois de la constipation; plus souvent une diarrhée de matieres mal cuites, le ventre assez gros, le reste du corps maigre. Une soif, que la boisson ne diminue pas; souvent beaucoup de foiblesse; de la tristesse; le visage est assez ordinairement mauvais, & change d'un quart d'heure à l'autre; les yeux sont souvent éteints, & entourés d'un cercle livide: on en voit souvent le blanc pendant le tems du sommeil, qui est quelquefois accompagné de rêves effrayans, de sursauts continuels, de grincemens de dents. Quelques enfans sont dans l'impossibilité d'être un seul moment tranquilles. Les urines sont souvent blanches, je les ai vues comme du lait. Ils ont des palpitations, des évanouissemens, des convulsions, des assoupissemens longs & profonds, des sueurs froides tout-à-coup; des fiévres, qui ont des caracteres de malignité; des pertes de la vue & de la voix, qui durent long-tems. Des paralysies ou des mains, ou des bras, ou des jambes. Les gencives sont en mauvais état, & comme rongées. Ils ont souvent le hoquet, un pouls petit & irrégulier, des rêveries, & ce qui est un des symptomes les moins équivoques, fréquemment une petite toux seche; souvent une espece de mucosité, dans les selles; quelquefois de très longues & violentes coliques, qui se terminent par un abcès à l'extérieur du ventre, dont il sort des vers. §. 363. L'on a une foule de remedes pour les vers. La _grenette_, ou _semen contra_, ou poudre aux vers, qui est un des plus ordinaires, est très bon. L'on se sert aussi, avec succès, de celui Nº. 61. La poudre Nº. 14, est un des meilleurs. La fleur de soufre, le jus de cresson, les acides, l'eau de miel, ont souvent réussi. Mais les trois premiers que j'ai indiqués, suivis d'un purgatif, sont les meilleurs. L'on trouvera Nº. 62, un remede purgatif, qu'on peut faire prendre aisément aux enfans les plus difficiles. Quand malgré ces remedes, les vers subsistent, il convient de consulter quelqu'un pour en employer de plus efficaces; ce qui est très important; puisque, quoique peut-être la moitié des enfans ait des vers, & que plusieurs se portent très bien, il y en a cependant, que les vers tuent très réellement, après leur avoir fait des maux cruels pendant plusieurs années. Cette disposition à avoir des vers, prouve toujours des digestions imparfaites; ainsi, il faut éviter de donner aux enfans, qui sont dans ce cas, des choses difficiles à digérer. Il faut surtout bien se garder de leur donner comme remede, des huiles, qui, supposé même qu'elles détruisissent quelques vers d'abord, augmentent la cause qui en laisse reproduire de nouveaux. Un long usage de limaille de fer, est ce qui détruit le mieux cette disposition vermineuse. §. 364. Les convulsions sont une des maladies les plus fréquentes des enfans. L'on sera surpris que je n'en parle pas particulierement; mais si l'on fait attention, qu'elles dépendent presque toujours, ou du _meconium_, ou des aigres, ou des dents, ou des vers, on comprendra, qu'en traitant ces quatre articles, j'ai traité des convulsions, qu'on ne guérit qu'en combattant la cause qui les produit. La plus fréquente de ces causes, c'est les mauvaises matieres qui irritent l'estomac ou les intestins, & qui sont le produit du trop d'alimens, ou des alimens indigestes, qu'on a donnés aux enfans, dont une grande partie périt par cette cause. Vouloir calmer le mal en les faisant encore manger, c'est jetter de l'huile sur le feu. Il ne faut que les purger doucement; tous les remedes qui ne produisent point cet effet sont nuisibles; & il n'y a rien de si pernicieux, que plusieurs remedes chauds, qu'on emploie indistinctement dans toutes les convulsions, & qui tuent d'autant plus surement les enfans, qu'ils sont plus jeunes; tel est surtout l'huile d'ambre jaune ou d'agathe, qu'on emploie très souvent. La thériaque & les autres préparations de ce genre nuisent aussi au moins aux neuf dixiemes des enfans auxquels on les donne: & en général les remedes tirés de l'opium, qui souvent cependant leur sont d'une absolue nécessité, ne doivent être ordonnés que très sobrement, parcequ'ils détruisent l'estomac, jettent dans la constipation, qui est pernicieuse aux enfans, & émoussant le sentiment, laissent former sourdement des engorgemens, qu'une plus grande sensibilité auroit fait connoître dès leur commencement. Il y en a qui ont reçu une constitution très susceptible de convulsions, & qui en sont attaqués pour la plus legere cause. Cet état demande une très sérieuse attention; & si on le néglige, il peut dégénérer en maladies très fâcheuses. Il est très aisé de l'empirer par des remedes mal indiqués; ainsi l'on doit être circonspect. Les bains froids & la poudre Nº. 14, sont très efficaces. §. 365. Je finirai par cet avis général. L'on peut préserver les enfans d'un très grand nombre de maux, & les rendre sains & robustes, 1º. En évitant de leur donner trop à manger, & les réglant pour les heures du manger; ce qui est possible, même dès leur bas-âge, quand la mere ou la nourrice le veulent. En ne leur donnant pas des nourritures trop fortes pour leur estomac, & surtout en évitant les mélanges. Je ne sais par quelle tendresse pernicieuse & insensée l'on croit que le comble du bonheur pour les enfans, c'est de beaucoup manger. L'on s'imagine que plus ils mangent, plus ils se fortifient: il n'y a point de préjugé qui détruise plus d'enfans. Ces alimens qu'ils ne digerent pas, ruinent leur estomac, produisent des obstructions, les affoiblissent, & les jettent dans une fiévre lente qui les conduit à la mort. Les mélanges ou les alimens indigestes, ont les mêmes inconvéniens. Il faut, dit-on, accoûtumer leur estomac à tout; c'est une sottise. Il faut leur faire l'estomac bon, alors ils supporteront tout, & on ne le rend point bon en leur causant de fréquentes indigestions. Pour rendre un poulain robuste, on le laisse quatre ans sans en exiger aucun travail; & alors il est capable des plus pénibles, sans en être incommodé. Si, pour l'accoûtumer à la fatigue, on l'avoit, dès sa naissance, obligé à porter des fardeaux au-dessus de ses forces, il n'auroit jamais été qu'une rosse incapable d'aucun travail. C'est l'histoire de l'estomac. J'ajouterai une observation très importante; c'est que le travail précoce, auquel l'enfant du paysan est astreint, est un mal réel pour le pays. Par-là même que les familles sont moins nombreuses, & que plusieurs enfans sont tirés très jeunes de la maison paternelle, ceux qui restent sont obligés de travailler, & même à des ouvrages pénibles, dans un âge où ils ne devroient être occupés que des jeux de l'enfance. Ils s'usent avant l'âge; ils ne deviennent pas aussi forts qu'ils auroient pû l'être; leur corps ne se développe pas autant qu'il auroit fait sans ces fatigues prématurées; & l'on voit réunies des physionomies de vingt ans, & des tailles de douze ou treize; souvent même ils succombent à ces travaux forcés, ils tombent dans une espece de consomption & de desséchement qui les tue. 2º. Il faut les laver ou les baigner à l'eau froide. 3º. Leur donner le plus de mouvement qu'il est possible, dès qu'ils ont quelques semaines; car les premiers jours de leur vie paroissent consacrés par la nature à un repos presque total, & le trop de mouvement pourroit avoir, dans cet âge si tendre, des suites funestes. Mais dès que les organes ont pris un peu de consistance, plus on leur donne de mouvement, moyennant qu'on ne prenne rien sur le tems de leur sommeil, qui doit être très long, plus on leur fait de bien; & en allant par dégrés, on les accoûtume très vîte & sans danger à des exercices assez forts. L'exercice qu'ils prennent dans des voitures un peu rudes, ou par le moyen de quelques autres machines destinées à leur usage, leur est plus salutaire que celui qu'ils prennent aux bras, parcequ'ils sont dans une meilleure attitude, & en été on les échauffe moins, ce qui est important, la chaleur & la sueur étant des causes de noueure. 4º. Les faire vivre au grand air. Si les enfans ont le malheur d'avoir été négligés, & qu'ils paroissent foibles, maigres, languissans, obstrués, noués (ce qu'on appelle _rachitique_, ou _être en chartre_), ces quatre secours les tirent souvent de cet état, moyennant qu'on n'attende pas trop tard. 5º. S'ils ont quelque écoulement naturel par la peau, ou quelque éruption, il faut bien se garder de les arrêter par quelques remedes gras ou adstringens. Il n'y a pas d'années qu'on ne voie plusieurs enfans que des imprudences de ce genre tuent, ou jettent dans les maux de langueur les plus cruels. J'ai vu les exemples les plus fâcheux des remedes extérieurs employés pour la rache & les _croûtes de lait_, qui, quelques horribles qu'elles paroissent, ne sont jamais dangereuses, moyennant qu'on n'applique rien dessus sans l'avis d'une personne entendue. CHAPITRE XXVIII. _Secours pour les Noyés_[15]. [15] Le malheur d'un jeune homme noyé en se baignant le premier jour des bains, détermina à publier ce chapitre séparément. Peu de jours après un ouvrier alloit éprouver le même sort; mais il fut heureusement retiré plus vîte que le premier, qui avoit été environ trente minutes sous l'eau, & on le guérit en suivant une partie des conseils indiqués dans cette instruction, dont plusieurs habitans avoient des exemplaires. §. 366. Lorsqu'un noyé a été plus d'un quart-d'heure sous l'eau l'on ne doit pas avoir de grandes espérances de le r'animer; il suffit souvent d'y avoir été deux ou trois minutes, pour être absolument mort. Cependant plusieurs circonstances pouvant avoir prolongé la vie au-delà du terme ordinaire, l'on doit toujours essayer de leur donner les secours les plus efficaces, & il faut dans ce cas ne pas se lasser trop tôt. Ce n'est souvent qu'au bout de deux ou trois heures qu'ils donnent quelques marques non équivoques de vie. §. 367. L'on a trouvé quelquefois de l'eau dans l'estomac des noyés, plus souvent il n'y en a point; d'ailleurs la plus grande quantité qu'on y en ait jamais trouvé, n'excede pas ce qu'on peut en boire sans s'incommoder; ainsi ce n'est point là la cause de la mort. Il n'est pas aisé de dire comment ils peuvent avaler cette eau. Ce qui les tue, c'est l'eau qui passe dans le poulmon, & qui y est portée dans les mouvemens qu'ils font nécessairement & involontairement pour respirer lorsqu'ils sont sous l'eau; car il n'entre absolument point d'eau dans l'estomac ou dans le poulmon de ceux qu'on met sous l'eau après leur mort; ce qui sert à fonder un jugement dans plusieurs cas criminels. Cette eau intimement mêlée avec l'air qui est dans le poulmon, forme une écume visqueuse, sans ressort, qui empêche absolument les fonctions du poulmon; & par-là non-seulement le malade est suffoqué, mais de plus le sang ne pouvant pas revenir de la tête, les vaisseaux du cerveau se remplissent, & l'apoplexie se joint à la suffocation. §. 368. Le but qu'on doit avoir, c'est de dégorger le poulmon & le cerveau, & de ranimer la circulation éteinte. L'on doit 1º. dépouiller le patient de tous ses habits mouillés, le frotter fortement avec un linge sec; le mettre, s'il est possible, dans un lit chaud, & continuer les frictions. 2. Une personne saine & robuste doit souffler dans ses poulmons de l'air chaud, & de la fumée de tabac si l'on peut en avoir, par le moyen de quelque tuyau de pipe, de paille ou d'entonnoir, de chalumeau &c. qu'on introduit dans la bouche. Cet air soufflé avec force, si l'on bouche en même-tems les narines, pénetre dans le poulmon, & raréfie par sa chaleur l'air, qui, mêlé à l'eau, forme l'écume; il se dégage de cette eau, il reprend du ressort, dilate le poulmon, & s'il reste encore un principe de vie, la circulation recommence dans ce moment. 3. Dans le même-tems, si l'on a un Chirurgien un peu adroit, il ouvre la veine jugulaire ou grosse veine du col, & laisse couler huit, dix, douze onces de sang. Cette saignée fait du bien de plusieurs façons: premierement comme saignée, elle rétablit la circulation; parceque c'est l'effet constant de la saignée dans les évanouissemens qui dépendent d'une circulation suffoquée; en second lieu, c'est celle qui, dans ce cas, soulage le plus promptement l'engorgement de la tête & du poulmon; en troisieme lieu, c'est quelquefois la seule qui fournisse du sang; celle du pied n'en donne point, ou presque jamais; celle du bras rarement; celle de la jugulaire en donne presque toujours. 4. On introduit le plus vîte qu'on peut, & en aussi grande quantité possible, de la fumée de tabac dans les intestins par le fondement. L'on a des machines très commodes destinées à cet usage; mais elles sont très rares. On peut y suppléer par plusieurs moyens prompts; l'un, par lequel on a sauvé une femme, consiste «à introduire dans le fondement, le tuyau d'une pipe allumée; on enveloppe le fourneau d'un papier percé de plusieurs trous, on le met dans la bouche, & on souffle de toutes ses forces; à la cinquieme gorgée, on entendit dans le ventre de la femme, un grouillement considérable; elle rendit de l'eau par la bouche, & un moment après la connoissance lui revint». L'on peut aussi allumer deux pipes dont on abbouche les fourneaux; on met le tuyau de l'une dans le fondement, & on souffle par celui de l'autre. L'on peut encore introduire une vapeur quelconque, en mettant une canule ou un autre tuyau dans le fondement; on le lie fortement à une vessie; cette vessie tient par son autre bout à un gros entonnoir de fer blanc, sous lequel brûle le tabac. Ce moyen m'a réussi dans d'autres cas où le besoin me le fit imaginer. 5. L'on fait sentir au malade les eaux fortes les plus volatiles; on lui souffle dans le nez de la poudre de quelque herbe forte, séche, comme de sauge, de romarin, de rhue, de mente, & surtout de marjolaine, ou de tabac très sec, ou quelque fumée des mêmes herbes. Il convient au reste de n'employer ces derniers secours, qu'après la saignée; ils sont plus efficaces & plus sûrs. 6. Tant que le malade ne donne _aucun signe de vie_, il n'avalera pas, & il est inutile & même dangereux de lui mettre dans la bouche beaucoup de liquides; il suffit d'y mettre quelques gouttes de quelque liqueur irritante qui ranime. Mais dès qu'il a repris quelque mouvement, il faut lui donner dans l'espace d'une heure cinq ou six cuillerées à soupe d'oxymel scillitique, délayé avec de l'eau tiéde, ou si l'on n'avoit pas ce remede, on y suppléeroit par une forte infusion de chardon bénit, ou de sauge, ou de camomille adoucie avec du miel. Quelques personnes recommandent les remedes vomitifs; mais ils ne sont pas sans inconvénient. 7. Quoique le malade donne quelques signes de vie, il ne faut pas discontinuer les secours; car quelquefois ils meurent après ces premiers mouvemens. 8. Lors même qu'ils sont entierement rappellés à la vie, il reste de l'oppression, de la toux, de la fiévre, en un mot une maladie. Il faut quelquefois saigner au bras, & ensuite on leur donne beaucoup de ptisane d'orge, ou, si elle manque, du thé de sureau. §. 369. Après avoir indiqué les secours nécessaires, je dirai un mot de quelques autres. On enveloppe dans des peaux de mouton, ou de veau, ou de chiens, qu'on écorche sur-le-champ; ces secours ont quelquefois ranimé la chaleur; mais ils sont plus lents, & ne sont pas plus efficaces que la chaleur d'un lit bien chauffé, parfumé de sucre, & que les frictions avec des flanelles chaudes. La méthode de les rouler dans un tonneau est dangereuse, & fait perdre un tems précieux. Celle de les pendre par les pieds, est aussi accompagnée de danger, & ne peut avoir aucun usage. Cette écume, qui cause la mort, est trop adhérente pour s'évacuer par son propre poids; c'est cependant le seul secours qu'on pourroit retirer de la suspension, qui augmente l'engorgement de la tête & du poulmon. §. 370. Il y a quelques années qu'on sauva une fille de dix huit ans, (on ignore si elle avoit été sous l'eau peu de tems ou quelques heures) «qui étoit sans mouvement, glacée, insensible, les yeux fermés, la bouche béante, le teint livide, le visage bouffi, tout le corps enflé, chargé d'eau,» en étendant sur un lit quatre doigts de cendres, promptement chauffées dans des chaudieres, en la couchant toute nue sur ces cendres, en la couvrant avec d'autres cendres aussi chauffées; en lui mettant sur la tête un bonnet, autour du col un bas qui en étoient remplis; & en mettant par-dessus le tout des couvertures. Au bout de demi heure le pouls revint, elle reprit la voix, & cria: _je gele, je gele_. On lui donna un peu d'eau & on la laissa huit heures ensevelie sous les cendres. Elle en sortit sans aucun autre mal qu'une lassitude, qui se dissipa le troisieme jour. Ce remede doit certainement être efficace, & n'est pas à négliger; mais il ne doit pas faire négliger les autres. Du sable mêlé avec du sel, ou du sel seul auroient la même efficacité. Dans ce moment on vient de ressusciter deux petits canards qui s'étoient noyés, par un bain de cendres chaudes. Celui de fumier peut aussi être utile. Je viens d'apprendre, par un témoin oculaire, très digne de foi, & très éclairé, qu'il contribua efficacement à rappeller à la vie, un homme qui avoit été certainement six heures sous l'eau. §. 371. Je finirai par un article qui se trouve dans un petit ouvrage imprimé à Paris, il y a vingt ans, par ordre du Roi; & auquel il n'y a sans doute aucune personne qui ne souscrive. «Quoique le peuple soit assez généralement porté à la compassion, & quoiqu'il souhaitât de donner des secours aux noyés, souvent il ne le fait pas, parcequ'il ne l'ose. Il s'est imaginé qu'il s'exposeroit aux poursuites de la Justice. Il est donc essentiel qu'on sache, & on ne sauroit trop le redire, pour détruire le préjugé où l'on est, que les Magistrats n'ont jamais prétendu empêcher, qu'on tentât tout ce qui peut être tenté, en faveur des malheureux qui viennent d'être tirés de l'eau. Ce n'est que quand leur mort est très certaine, que des raisons exigent que la Justice s'empare de leurs cadavres.» CHAPITRE XXIX. _Des corps arrêtés entre la bouche & l'estomac._ §. 372. Du fond de la bouche, les alimens passent dans un canal plus étroit, qu'on appelle _l'oesophage_, qui, en suivant l'épine du dos, va aboutir à l'estomac. Il arrive souvent que plusieurs corps sont arrêtés dans ce canal, sans pouvoir ni descendre, ni remonter; soit parcequ'ils sont trop gros, soit parcequ'ils se trouvent avoir quelques pointes, qui, s'enfonçant dans les parois de l'oesophage, les empêchent de faire aucun mouvement. §. 373. Il résulte de cet arrêt, des accidens très graves; qui font, souvent une douleur très vive dans la partie; d'autres fois un sentiment incommode, plutôt que douloureux; quelquefois des soulevemens de coeur inutiles; une angoisse extraordinaire; & si l'arrêt est tel que la _glotte_ soit bouchée, ou la _trachée artére_ comprimée, le malade ne peut pas respirer; il a des suffocations horribles, & le sang ne pouvant pas revenir de la tête, il devient rouge, livide; le visage, le col, se gonflent, l'oppression augmente, & il périt très promptement. Quand la respiration n'est pas arrêtée ou gênée, si le passage n'est pas entierement bouché, & que le malade puisse avaler quelque chose, il vit très bien; & la maladie est alors une maladie particuliere de l'oesophage; mais si le passage est absolument fermé, & qu'on ne puisse point le déboucher pendant plusieurs jours, il en résulte une mort cruelle. §. 374. Le danger ne dépend pas autant de la nature du corps qu'on avale, que de sa grosseur relativement au passage, de l'endroit où il s'arrête, & de la façon dont il s'arrête; & souvent les alimens tuent, pendant que les corps les moins faits pour être avalés, n'occasionnent pas de grands maux. Un enfant de six jours, avala une dragée sucrée qui s'arrêta; il mourut d'abord. Un homme sentoit qu'un morceau de mouton s'étoit arrêté; pour n'effrayer personne, il sortit de table. Un moment après on veut savoir où il est, on le trouve mort. Un second périt par un morceau de gâteau; un troisieme par un morceau de couenne de jambon; un quatrieme par un oeuf, qu'il avaloit par défi. Une chataigne, qu'un enfant avaloit entiere, le tua. Un second périt promptement étouffé (car c'est toujours d'étouffement qu'on périt si vite), par une poire qu'il avoit jettée en l'air, & reçue dans sa bouche. Une poire a aussi tué une femme. Un morceau de tendon, (ce qu'on appelle ordinairement nerf) resta arrêté huit jours, sans que le malade pût rien prendre. Au bout de ce tems, il tomba dans l'estomac, dégagé par la pourriture; mais le malade mourut bientôt après, tué par l'inflammation, la gangrene & la foiblesse. §. 375. Quand un corps est arrêté, il y a deux moyens de le dégager; il faut ou le retirer, ou le pousser. Le plus sûr est toujours de le retirer; mais ce n'est pas toujours le plus aisé; & comme les efforts qu'on fait, fatiguent beaucoup le malade, & ont quelquefois des suites facheuses; que d'ailleurs le mal est souvent extrêmement pressant, il convient de pousser, si cela est plus aisé, & s'il n'y a point d'inconvéniens à faire entrer les corps arrêtés dans l'estomac. Les corps qu'on peut pousser sans risque, sont tous les alimens ordinaires, le pain, les viandes, les gâteaux, les fruits, les legumes, les morceaux de boyaux. L'on peut aussi pousser le cuir. Ce n'est pas que de très gros morceaux de certains alimens, ne soient presque indigestibles; mais il est rare qu'ils soient mortels. §. 376. Les corps qu'on doit chercher à retirer, quoique cela soit beaucoup plus pénible que de les pousser, sont tous ceux dont l'effet pourroit être très dangereux, & même mortel, si on les avaloit. De cette classe sont tous les corps indigestibles: le liege, les paquets de linge, les gros noyaux de fruits; les os, les bois, les verres, les pierres, les métaux; surtout si au danger de l'indigestibilité, se joignent ceux qui résultent de la figure de ces corps. Ainsi l'on doit retirer, principalement, les épingles, les éguilles, les arrêtes, les os pointus, les fragmens de verre, les ciseaux, les canifs, les bagues, les boucles. Il n'y a aucun de ces corps qui n'ait été avalé; & les accidens qui en résultent le plus ordinairement, sont de violentes douleurs dans l'estomac, & les intestins; des inflammations, des suppurations, des abcès, des ulceres, la fiévre lente, la gangrene, des coliques de miseréré, des abcès extérieurs, par lesquels ces corps ressortent, & souvent après beaucoup de maux, une mort cruelle. §. 377. Quand les corps ne sont que peu avancés, & qu'ils se trouvent à l'entrée de l'oesophage, on peut essayer de les retirer avec les doigts, ce qui réussit souvent. S'ils sont plus avancés, il faut se servir de pincettes; les Chirurgiens en ont de plusieurs especes. L'on en a, dont quelques fumeurs se servent, qui seroient très commodes pour cela. L'on peut en faire très promptement avec deux morceaux de bois. Ce moyen est peu utile, si le corps est fort avancé dans l'oesophage, & si c'est un corps flexible, qui soit exactement appliqué, & remplisse tout le canal. §. 378. Mais quand les doigts ou les pincettes échouent, ou ne peuvent pas être employés, il faut se servir des crochets. On en fait dans le moment, avec un fil de fer un peu fort, qu'on courbe par le bout; on l'introduit plat, & pour s'assurer de cette direction, on fait, au bout par lequel on le tient, un autre crochet, ou une anse dans le même sens; ce qui sert en même-tems, à l'assurer à la main par un fil: moyen qu'on devroit employer dans ce cas, pour tous les instrumens, afin d'éviter les malheurs arrivés plus d'une fois, quand ces instrumens échapent. Après que le crochet a passé l'obstacle, ce qui est presque toujours possible, on le retourne, & il accroche le corps qu'on amene en le retirant. Le crochet est aussi très commode, quand un corps un peu flexible, comme une épingle, ou une arrête, se sont mis en travers de l'oesophage; alors ce crochet, les prenant par le milieu, les courbe, & les dégage. S'ils étoient très fragiles, il serviroit à les casser; & alors, si les fragmens ne se dégageoient pas, on pourroit les retirer par quelqu'un des autres moyens. §. 379. Quand ce sont des corps minces, qui n'occupent qu'une partie du passage, & qui pourroient aisément, ou échapper au crochet, ou par leur résistance le redresser, on se sert d'anneaux. On en fait de solides; ou de flexibles. On en fait de solides avec un fil de fer, ou un cordon de quelques fils d'archal très minces. Pour cela on plie ces fils en cercle par le milieu, où on ne les rapproche pas; mais on y laisse un anneau d'un doigt de diametre; on rapproche les branches l'une de l'autre, & on introduit l'anneau dans l'oesophage. On cherche à engager le corps, & alors on le ramene. On en fait aussi de très flexibles avec de la laine, des fils, des soies, de petites ficelles, qu'il convient de cirer, afin qu'ils aient un peu plus de consistance; on les attache fortement à un manche ou de fil de fer, ou de baleine, ou de bois flexible; on les introduit, on cherche à engager le corps, & on le retire. On met souvent plusieurs de ces anneaux de fils, passés l'un dans l'autre, afin d'engager plus surement le corps, qui entrera dans l'un, s'il échappe à l'autre. Cette espece d'anneau a un avantage, c'est que, quand on a engagé le corps, on peut alors, en tournant le manche, le serrer si fortement, dans l'anneau ainsi tordu, qu'on est le maître de le remuer en tout sens; ce qui est un avantage très considérable, dans un grand nombre de cas. §. 380. Un quatrieme moyen, c'est l'éponge. La propriété qu'elle a de se gonfler en s'humectant, fonde son usage dans ce cas. Si un corps est arrêté sans remplir toute la cavité de l'oesophage, on fait passer une éponge, par le vuide qui reste, au-delà de ce corps; elle se gonfle bientôt dans cet endroit humide, & l'on peut même en hâter le gonflement, en faisant avaler quelques gouttes d'eau; alors, en la retirant au moyen du manche qui a servi à l'introduire, comme elle est trop grosse pour ressortir par le même endroit par lequel elle étoit entrée, elle entraine avec elle le corps qui lui fait obstacle, & par-là elle débouche le gosier. Comme l'éponge seche peut se resserrer, on a quelquefois profité de ce moyen pour en faire passer un morceau assez gros par un fort petit espace. On la resserre, en l'entourant fortement, avec un fil ou un ruban, qu'on peut desserrer très aisément, & retirer quand l'éponge a passé. On l'assujettit aussi dans un morceau de baleine, fendu en quatre à un bout, & qui ayant beaucoup de ressort, resserre sur l'éponge; on accommode la baleine de façon qu'elle ne puisse pas blesser; l'éponge est également attachée à un cordon très fort, afin qu'après l'avoir dégagée de la baleine, le Chirurgien puisse la retirer. On s'est aussi servi de l'éponge d'une autre façon. Quand il n'y a pas de place pour la faire passer, parceque le corps remplit tout le canal, & que ce corps n'est point accroché, mais seulement engagé par la petitesse du passage, on introduit un morceau d'éponge un peu gros dans l'oesophage, jusques près du corps avalé; alors cette éponge se gonfle, elle dilate le canal en dessus du corps, on la retire un peu, mais très peu, & le corps étant moins pressé en dessus qu'en dessous, quelquefois le resserrement de la partie inférieure de l'oesophage, peut le faire remonter; & dès qu'un premier dégagement est fait, le reste s'opere aisément. §. 381. Enfin quand tous ces moyens sont inutiles, il en reste un autre, c'est de faire vomir le malade; mais ce remede ne peut gueres être utile que pour les corps engagés. Dans les cas où ils seroient accrochés ou plantés, il pourroit faire du mal. Si l'on peut avaler, on fait vomir en donnant le remede Nº. 8, ou un remede émétique. L'on a dégagé, par ce moyen, un os arrêté depuis vingt-quatre heures. Quand on ne le peut pas, on doit essayer si l'irritation d'une plume promenée dans le fond de la gorge produira cet effet; ce qui n'arrivera pas si le corps comprime fortement tout l'oesophage; & en ce cas, il faut donner un lavement de tabac. Un homme avala un gros morceau de poulmon de veau, qui s'arrêta au milieu de l'oesophage & bouchoit exactement le passage. Un Chirurgien essaya inutilement un très grand nombre de moyens. Un second voyant leur inutilité, & le malade ayant «le visage noir & tuméfié, les yeux pour ainsi dire hors de la tête, tombant dans des syncopes fréquentes avec des mouvemens convulsifs, il lui fit donner en lavement la décoction d'une once de tabac en corde; ce remede procura un vomissement violent, qui fit rejetter le corps étranger, qui alloit causer la mort du malade.» Un sixieme moyen, que je ne crois point qu'on ait employé, mais qui pourroit être très utile dans plusieurs cas, quand les corps avalés ne sont pas trop durs, & qu'ils sont fort gros, ce seroit de fixer un tire-boure solidement à un manche flexible, & à un fil ciré, afin qu'on pût le retirer, supposé qu'il quittât le bâton, il seroit aisé, sur tout si le corps n'étoit pas extrêmement bas, d'y planter le tire boure, & de le retirer par ce moyen. L'on a vu une épine fixée dans la gorge, dégagée & rejettée en riant. §. 382. Dans le cas du §. 375, quand il convient de pousser les corps, on emploie ou des porreaux, qui ont l'avantage de se trouver par-tout, mais qui sont sujets à se casser, ou une bougie huilée & tant soit peu chauffée, afin qu'elle soit flexible, ou une baleine, ou un fil de fer, dont on épaissit dans le moment un des bouts avec du plomb fondu, ce qui est très vite fait. L'on peut employer, avec le même succès, quelques bâtons de bois flexible, comme le bouleau, le coudrier, le frêne, le saule, une sonde flexible, une baguette de plomb. Tous ces corps doivent être très unis & polis, afin qu'ils n'occasionnent point d'irritation. Quelquefois dans cette vue on les enveloppe avec un boyau mince de mouton. L'on attache quelquefois au bout une éponge, qui remplissant tout le canal, entraine tous les obstacles qu'elle rencontre. L'on fait aussi quelquefois dans ces cas, avaler de gros corps, comme de la mie ou de la croute de pain, un navet, une tige de laitue, une bale, dans l'espérance qu'ils entraineront l'obstacle; mais ce sont des moyens bien foibles, & si on les fait avaler sans les avoir assujettis à un fil, il est à craindre que, s'arrêtant eux-mêmes, ils ne doublent le mal. Il est arrivé quelquefois, fort heureusement, que les corps qu'on vouloit pousser s'engageoient dans la bougie, ou dans le porreau dont on se servoit pour les pousser, & ressortoient avec: mais cela n'arrive qu'aux corps pointus. §. 383. S'il est impossible de retirer les corps §. 376, & tous ceux qu'il est dangereux d'avaler, il faut alors, de deux maux choisir le moindre, & courir les risques de les pousser, plutôt que de laisser périr horriblement le malade en peu de momens. L'on doit d'autant moins balancer à prendre ce parti, qu'un grand nombre d'exemples prouvent, que, s'il est arrivé souvent de grands maux, après avoir avalé ces corps, & même une mort cruelle, d'autrefois ils n'ont occasionné que peu ou point d'accidens. §. 384. Il arrive quand ces corps ont été avalés, de quatre choses l'une; ou ils ressortent avec les excrémens au bout de peu de tems, sans avoir occasionné presque aucun mal, ou cette sortie ne se fait que long-tems après, & est précédée par beaucoup de douleurs. L'on a vu ressortir peu de jours après, sans avoir souffert, un os de jambe de poule, un noyau de pêche, un couvercle de boëte de thériaque, des épingles, des aiguilles, des monnoies de toute espece, une petite flûte longue de quatre pouces, elle causa de vives douleurs pendant trois jours, & sortit heureusement; des couteaux, des rasoirs, une boucle de souliers. J'ai vu il n'y a que peu de jours, un enfant de deux ans & demi, qui avala un clou long de plus d'un pouce, & dont la tête avoit plus de trois lignes de largeur; il s'arrêta quelques momens au col, mais il passa pendant qu'on vint me chercher, & ressortit pendant la nuit, avec une selle, sans avoir occasionné aucun accident. Plus récemment encore, un os entier d'aîleron de poulet n'a occasionné qu'un peu de douleur d'estomac pendant trois ou quatre jours. Quelquefois ces corps restent plus long-tems, & ne ressortent qu'au bout de plusieurs mois, & même des années, sans avoir cependant fait aucun mal. §. 385. L'événement n'est pas toujours si heureux; quelquefois ils ressortent naturellement, mais ce n'est qu'après avoir fait souffrir les douleurs les plus vives dans l'estomac & les boyaux. Il arrive quelquefois que ces corps, après avoir parcouru tous les intestins, sont arrêtés au fondement, & occasionnent de fâcheux accidens, mais auxquels un chirurgien adroit peut presque toujours remédier, s'il est possible de les couper, comme des os minces, des machoires de poissons, des épingles, ils sortent alors avec beaucoup de facilité. §. 386. Une seconde terminaison, c'est quand ces corps ne ressortent point, mails occasionnent des accidens fâcheux qui tuent le malade, & il y a beaucoup de ces cas. Une Demoiselle ayant avallé des épingles qu'elle tenoit dans sa bouche, une partie ressortit par les selles; mais l'autre partie perça les intestins, & même le ventre avec des douleurs inouies; la malade périt au bout de trois semaines. Un homme avala une aiguille, elle perça l'estomac, pénétra dans le foie, & fit périr le malade en consomption. L'on mange tous les jours des noyaux, mais on a des exemples de gens chez lesquels il s'en est fait des amas, qui sont devenus cause de mort après beaucoup de douleurs. §. 387. Le troisieme cas, c'est quand ces corps ressortent avec les urines. Ces cas sont rares; l'on en a cependant quelques exemples. Une épingle de moyenne grandeur, ressortit en urinant trois jours après, & l'on a rendu, par la même voie, un petit os, des noyaux de cerises, de prunes, & même un de pêche. §. 388. Enfin le quatrieme cas, c'est quand ils percent l'estomac ou les boyaux, & qu'ils vont jusqu'à la peau, occasionnent un abcès, & se font jour eux-mêmes, ou sont tirés en ouvrant l'abcès. Ils sont souvent très long-tems à faire ce trajet. Quelquefois les douleurs sont continues, d'autres fois le malade souffre pendant quelque tems, les douleurs cessent & recommencent. L'abcès se forme ou sur l'estomac, ou dans d'autres parties du ventre; quelquefois même ces corps, après avoir percé les intestins, font des routes singulieres, & vont ressortir loin du ventre. Une aiguille avallée ressortit au bout de quatre ans à la jambe. §. 389. Tous ces exemples, & une foule d'autres, de morts cruelles après des corps avalés, prouvent la nécessité d'être sur ses gardes à cet égard, & déposent contre l'imprudence horrible, j'oserois dire criminelle, de s'amuser de jeux qui peuvent occasionner ces malheurs, ou même de tenir dans la bouche des corps, qui échappans, deviennent cause de mort. Peut-on, sans frémir, mettre dans la bouche des aiguilles & des épingles, quand on pense aux maux horribles & à la mort cruelle qu'elles peuvent occasionner? §. 390. L'on a vu plus haut, que quelquefois les corps arrêtés étouffoient le malade; d'autrefois on ne peut pas les faire passer, mais ils restent dans l'oesophage, sans que le malade meure, au moins d'abord. Cela arrive quand ils sont situés de façon qu'ils ne compriment pas la trachée artere, & qu'ils n'empêchent pas le passage des alimens; ce qui ne peut gueres arriver qu'aux corps pointus. Ces corps ainsi arrêtés, quelquefois occasionnent sans beaucoup de violence, une petite suppuration qui les dégage; ils ressortent par la bouche, ou tombent dans, l'estomac. D'autrefois ils occasionnent une inflammation prodigieuse qui tue le malade; ou si la matiere de l'abcès se porte en dehors, il se forme une tumeur à l'extérieur du col; on l'ouvre, & le corps ressort par-là. D'autres enfin se font une route qu'ils parcourent avec peu ou point de douleurs, & ils vont ressortir derriere le col sur la poitrine, à l'épaule, enfin en différens endroits. §. 391. Quelques personnes étonnées des marches singulieres de ces corps, qui, par leur volume, & surtout par leur figure, paroissent ne pouvoir s'introduire dans le corps qu'en le détruisant, souhaiteront qu'on leur explique comment & où ces corps font leur route; l'on me permettra en leur faveur une courte digression; elle est peut-être d'autant moins hors de mon plan, qu'en faisant disparoître le merveilleux de la chose, elle fera tomber le préjugé superstitieux qui a souvent attribué aux sortiléges des faits de cette espece, qui s'expliquent avec beaucoup de facilité. Cette même raison est une de celles qui m'ont déterminé à étendre autant ce chapitre. L'on trouve sous la peau, dans quelqu'endroit qu'on l'ouvre, une membrane composée de deux lames, séparées l'une & l'autre par de petites cellules qui communiquent toutes les unes aux autres, & qui sont remplies plus ou moins de graisse. Il n'y a aucune graisse dans tout le corps, qui ne soit renfermée dans cette membrane, qu'on appelle _membrane graisseuse_. Non-seulement elle se trouve sous la peau, mais de-là, en se repliant de différentes façons, elle se répand dans tout le corps, elle sépare tous les muscles, elle fait partie de l'estomac, des boyaux, de la vessie, de tous les visceres, c'est elle qui forme ce qu'on appelle la _coeffe_, ou dans les animaux, _penne_; elle fournit une enveloppe aux veines, aux arteres, aux nerfs. Dans quelques endroits elle est très épaisse & remplie de beaucoup de graisse; dans d'autres elle est extrêmement mince & dénuée de graisse; par tout elle est privée de tout sentiment. On pourroit se la représenter comme une couverture piquée, dont le coton est inégalement distribué; dans quelques endroits il y en a beaucoup; dans d'autres il n'y en a point, & les deux doubles se touchent. C'est dans cette membrane que se font les mouvemens de ces corps étrangers, & comme la communication est générale, il n'est point étonnant qu'ils aillent d'un endroit à un autre très éloigné, en parcourant de très longs chemins. Les officiers & les soldats sentent très fréquemment des bales qu'on n'a pas pû faire sortir, faire des trajets considérables. La communication générale entre toutes les parties de cette membrane, est démontrée par un fait qui se réitere tous les jours contre les loix de la Police, les bouchers font une petite incision à la peau d'un veau, à laquelle ils appliquent un soufflet; ils soufflent fortement, & il n'y a pas une partie de tout le veau qui ne se ressente de ce gonflement artificiel. Des scélérats se sont servis de cette indigne manoeuvre, pour rendre monstrueux des enfans qu'ils faisoient voir ensuite pour de l'argent. C'est dans cette membrane que les eaux des hydropiques sont ordinairement épanchées, & dans laquelle elles suivent les mouvemens que leur imprime la pesanteur. L'on demandera; cette membrane étant traversée en différens endroits par des nerfs, des veines, des arteres, &c. qui sont des parties dont les blessures occasionneroient nécessairement des accidens fâcheux; comment n'en arrive-t-il pas? Je répons 1. que ces accidens arrivent quelquefois. 2. Qu'ils doivent cependant arriver rarement, parceque toutes ces parties qui traversent la membrane graisseuse, étant plus durs que la graisse, ces corps doivent presque nécessairement, quand ils les rencontrent, être détournés vers les graisses qui les entourent, où la résistance est beaucoup moins considérable, & cela d'autant plus sûrement, que ces corps sont toujours cilindriques. §. 392. A tous les secours que j'ai indiqués jusqu'à présent, je dois ajouter encore quelques conseils généraux. 1º. Il est souvent utile & même nécessaire de faire une ample saignée du bras, surtout quand la respiration est extrêmement gênée, ou quand l'on ne peut pas réussir d'abord à déplacer le corps; parcequ'alors la saignée prévient l'inflammation que produiroient les irritations fréquentes. Il peut arriver que la saignée, qui jette toutes les parties dans le relâchement, opere sur-le-champ le dégagement du corps. 2º. Quand on voit que toutes les tentatives, pour retirer ou pour pousser, sont inutiles, il faut les cesser; parceque l'inflammation qu'on occasionneroit, seroit aussi fâcheuse que le mal même, & que l'on a des exemples de gens morts à cause de cette inflammation, quoique le corps eût été déplacé. 3º. Pendant qu'on fait ces tentatives, il faut faire avaler souvent au malade, ou injecter avec un canal courbe qui aille plus loin que la glotte, quelque liqueur fort émolliente, comme de l'eau tiede, ou pure, ou mêlée avec du lait, ou une décoction d'orge, de mauve, de son. Il en résulte ce double avantage; c'est que l'on adoucit par-là les parties irritées, ce qui retarde l'inflammation; & en second lieu souvent une injection faite avec force, réussit mieux pour dégager un corps charnu, que toutes les tentatives avec des instrumens. 4º. Quand on est obligé de laisser dans la gorge un corps arrêté, il faut conduire le malade tout comme s'il avoit une maladie inflammatoire; le saigner, le mettre au régime; lui envelopper tout le col avec des cataplasmes émolliens. Il convient d'employer la même méthode, quoique le corps soit déplacé, si l'on a lieu de croire qu'il y a de l'inflammation dans l'oesophage. 5º. Quelquefois un peu de mouvement dégage mieux que les instrumens. L'on sait qu'un coup de poing derriere l'épine, a souvent dégagé des corps fortement arrêtés, & j'ai deux exemples que les malades qui avoient des épingles arrêtées, étant montés à cheval, pour aller, de la campagne, chercher du secours dans la ville voisine, sentirent le corps se dégager après une heure de marche; l'un le cracha; l'autre l'avala sans mauvaise suite. 6º. Quand le danger de suffocation est pressant, que la saignée est insuffisante, qu'on n'a point d'espérance de dégager promptement le col, & que la mort est proche, si l'on ne rend pas la respiration au malade; il faut, sur-le-champ, faire la _bronchotomie_; c'est-à-dire ouvrir la trachée artere; ce qui n'est ni difficile pour un Chirurgien un peu entendu, ni fort douloureux. 7º. Quand le corps arrêté passe dans l'estomac, il faut d'abord mettre le malade à un régime très doux, éviter tous les alimens âcres, irritans, chauds; le vin, les liqueurs; ne prendre que peu d'alimens à la fois; n'en point prendre de solides, qu'après les avoir extrêmement mâchés. Le meilleur régime seroit de vivre de soupes farineuses, de quelques légumes, d'eau & de lait; ce qui vaut beaucoup mieux que l'usage des huiles. §. 393. L'auteur de la nature a pourvu à ce qu'en mangeant, rien ne passât par la glotte, dans la trachée artere; ce malheur arrive cependant quelquefois. Il survient dans le moment une toux continue & violente, une douleur aigüe, une suffocation; tout le sang se porte à la tête; le malade est angoissé & agité par des mouvemens violens & involontaires, il meurt quelquefois sur-le-champ. Un grenadier hongrois, cordonnier de son métier, travailloit & mangeoit en même-tems, il tomba de sa chaise sans dire un seul mot; ses camarades appellerent du secours, des Chirurgiens arriverent aussi tôt; il ne donna, malgré plusieurs secours, aucun signe de vie. On trouva dans le cadavre un morceau de viande de boeuf fort gros qui étoit enfoncé dans la trachée artere, qu'il bouchoit si exactement, qu'elle ne pouvoit laisser passer le moindre air au poulmon. §. 394. Il faut frapper fréquemment sur l'épine du dos, occasionner quelques efforts pour vomir, faire éternuer avec du poivre blanc, du muguet, de la sauge, des tabacs céphaliques quelconques, qu'on souffle fortement dans les narines. Un pois jetté en badinant dans la bouche, entra dans la trachée artere, & ressortit en faisant vomir avec de l'huile. Un petit os fut chassé en faisant éternuer avec de la poudre de muguet. Enfin si ces secours ne réussissent pas d'abord, il faut, sans hésiter, faire la _bronchotomie_ (voyez le §. précédent Nº. 6.). L'on a retiré par ce moyen des os, une féve, une arrete, & sauvé par-là les malades. §. 395. L'on tente tout, quand il s'agit de la vie humaine. Dans le cas où un corps ne pourroit ni être dégagé de l'oesophage, ni y rester sans tuer promptement le malade, l'on a proposé de faire une incision à l'oesophage même, par laquelle on le tireroit, & d'employer le même moyen lorsqu'un corps tombé dans l'estomac, seroit de nature & occasionneroit des accidens propres à tuer promptement le malade. Quand l'oesophage est fermé, on nourrit par des lavemens de bouillon. CHAPITRE XXX. _Maladies chirurgicales. Des brulures, des Plaies, des Meurtrissures, des Ulceres, des Membres gelés, des Hernies, des Clous, des Panaris, des Verrues & des Cors._ §. 396. Les paysans sont exposés par leurs travaux, à plusieurs accidens extérieurs; coupures, meurtrissures &c. qui, quelques graves qu'ils soient, se termineroient presque toujours aisément, & cela par une suite de la nature du sang, qui a ordinairement beaucoup moins d'âcreté que dans les villes; mais un traitement pernicieux rend souvent facheux les maux les plus legers en eux-mêmes; & j'ai vu un si grand nombre de ces malheurs, qu'il me paroit nécessaire d'indiquer ici le traitement qui convient à ces maux externes, quand ils n'exigent pas nécessairement la main du Chirurgien. Je dirai aussi un mot de quelques maladies extérieures, qui dépendent cependant d'une cause interne. _Des Brulures._ §. 397. Quand la brulure est très legere, & qu'il n'y a point de vessie levée, il suffit d'y mettre une compresse trempée dans l'eau fraiche, & de la changer tous les quarts d'heures, jusques à ce qu'on ne sente plus de douleur. Quand il s'est levé une vessie, il faut y faire une très petite ouverture, qui laisse écouler l'humeur, & l'on applique dessus une compresse de linge très fin, enduite de la pommade Nº. 63, qu'on change deux fois par jour. Si la peau est brulée & les chairs mêmes endommagées, il faut se servir de la même pommade; mais au lieu d'une compresse, il faut se servir de charpie, qui s'applique plus exactement; & par dessus la charpie, on met une simple toile cirée, que chacun peut aisément préparer, Nº. 64, ou, si l'on veut, un _sparadrap_, Nº. 65. Mais indépendamment de ces secours extérieurs, qui sont les plus efficaces qu'on puisse employer; quand la brulure est très forte & très enflammée, & qu'on craint les progrès & les suites de cette inflammation, il faut employer les mêmes remedes que dans les fortes inflammations. L'on doit faire une saignée, & _mettre au régime_; ne faire boire que les ptisanes Nº. 2 ou 4, & donner tous les jours deux lavemens simples. Quand le mal est proche de sa fin, & qu'il ne reste plus qu'une très petite plaie, il suffit d'appliquer le sparadrap Nº. 65. _Des Plaies._ §. 398. Si une plaie a pénétré dans l'intérieur des cavités, & a blessé quelque partie contenue dans la poitrine & dans le ventre; si sans pénétrer dans les cavités, elle a ouvert quelque grosse artere; si elle a blessé quelque nerf, ce qui occasionne des accidens beaucoup plus violens qu'ils ne devroient être sans cela; si elle est allée jusques à l'os, & qu'il ait souffert; enfin s'il survient quelque symptôme extraordinaire, il faut nécessairement appeller un Chirurgien. Mais quand la plaie n'est accompagnée d'aucune de ces circonstances, qu'elle n'intéresse que la peau, les graisses, les chairs, & des petits vaisseaux, l'on peut la panser aisément sans secours, parcequ'ordinairement tout se réduit à la préserver des impressions de l'air, & à donner cependant issue au pus. §. 399. Si le sang ne sort d'aucun vaisseau considérable, mais coule à-peu-près également de tous les points de la plaie, on peut hardiment le laisser couler, pendant qu'on prépare promptement de la charpie. Quand elle est prête, on en met ce qu'on peut dans la plaie, sans la presser, ce qui seroit très facheux, & auroit les mêmes inconvéniens que les tentes & les bourdonnets; on la couvre avec une compresse huilée avec un peu d'huile d'olive, ou la toile cirée Nº. 64, je préfere la compresse pour les premiers pansemens; & l'on soutient le tout avec une bande large de deux doigts, longue proportionnellement au volume de la partie qu'il faut bander, & qu'on serre assez pour qu'elle ne se dérange pas; assez peu, pour qu'elle n'occasionne aucune inflammation. On laisse cet appareil vingt-quatre heures; les plaies étant d'autant plutôt guéries, qu'on les panse moins souvent. Alors on ôte la charpie qu'on peut ôter aisément; & s'il y en a qui se soit attachée par le dessechement du sang, on la laisse, l'on se contente d'en remettre un peu de nouvelle, & le reste du pansement se fait comme la premiere fois. Au bout de vingt-quatre heures, on trouve ordinairement la premiere charpie détachée, & la plaie commence à suppurer. On continue à y mettre un peu de charpie, point serrée, & d'appliquer la toile cirée. Quand la plaie est devenue tout-à-fait superficiele, il suffit d'appliquer la toile cirée, ou le sparadrap Nº. 65, sans charpie. Les personnes qui ont quelque prédilection pour les huiles impregnées des vertus de quelques plantes, peuvent, si cela augmente leur confiance, employer celles de millepertuis, de trefle, de lis, de camomille, de balsamines, de roses rouges. §. 400. Quand la plaie est considérable, on doit s'attendre qu'elle s'enflammera, avant que la suppuration, qui alors paroit plus tard, ait pû s'établir, & que cette inflammation sera accompagnée de douleurs, fiévre, quelquefois de rêveries; il faut dans ce cas, au lieu de la compresse ou de la toile cirée, appliquer un cataplasme de mie de pain & de lait, dans lequel on met un peu d'huile, afin qu'il ne s'attache pas; & on le change, sans toucher à la plaie, deux & même trois fois par jour. §. 401. S'il y avoit quelque vaisseau un peu gros ouvert, il faudroit appliquer dessus un morceau d'agaric de chêne, Nº. 66, dont on devroit avoir par-tout. On le contient en appliquant dessus beaucoup de charpie, & en couvrant le tout avec une grosse compresse, & un bandage un peu plus serré qu'à l'ordinaire. Si cela ne suffisoit pas, & que la plaie fût à un bras, ou à une jambe, il faudroit faire une forte ligature, en dessus de la plaie, avec un tourniquet, qui se fait dans le moment, avec un écheveau de fil, ou de chanvre, qu'on passe autour du bras en forme d'anneau; on introduit entre deux une piece de bois épaisse d'un pouce, & longue de quatre ou cinq, & en tournant cette piece de bois, on serre autant que l'on veut; tout comme le paysan serre un tonneau, ou une piece de bois sur sa charette, avec la chaîne & le levier ou garrot. Mais il faut avoir soin; 1. d'arranger l'écheveau de façon qu'il conserve une largeur de deux pouces; & 2. de ne pas serrer assez fort pour occasionner une inflammation, qui dégénereroit bientôt en gangrene. §. 402. Tous les éloges prodigués à une quantité d'onguens, sont une pure charlatannerie; l'art ne contribue pas le moins du monde à la guerison des plaies; c'est la nature qui fait tout; & tout ce que nous pouvons, c'est d'éloigner les obstacles qui s'opposent à la réunion. Pour cela, s'il y a quelque corps étranger dans la plaie, comme fer, plomb, bois, verre, morceaux d'habits & de linge, il faut les ôter, si l'on peut le faire avec beaucoup de facilité, si-non, il faut s'adresser à un bon Chirurgien, qui décide quel parti l'on doit prendre. Ensuite on panse comme je l'ai dit. Bien loin d'être utiles, il y a beaucoup d'onguens qui pourroient faire beaucoup de mal; & les seuls cas dans lesquels on doit en employer, c'est quand il y a dans la plaie quelques vices, qu'il faut détruire par des secours particuliers; mais une plaie fraiche, dans un homme sain, n'en veut point d'autres que ceux que je viens d'indiquer, & ceux du régime. Les applications spiritueuses sont ordinairement nuisibles. Quand les plaies sont à la tête, au lieu de la compresse huilée, ou du sparadrap, on couvre la plaie avec une emplâtre de bétoine, ou si l'on n'en a point, on trempe la compresse dans du vin chaud. §. 403. Comme les accidens qu'on a à craindre, sont ceux de l'inflammation, les secours qu'on doit employer, sont ceux qui détruisent cette maladie; la saignée, le régime, les rafraichissans, les lavemens. Quand la plaie est très legere, il suffit de ne rien prendre d'échauffant; & sur-tout il faut retrancher l'usage du vin & de la viande. Quand elle est considérable, & qu'on craint l'inflammation, il faut nécessairement faire une saignée, ordonner un repos total, & mettre au régime: quelquefois même, il faut réitérer la saignée. Ces secours sont sur-tout indispensablement nécessaires, quand la blessure a attaqué quelque partie intérieure; & il n'y a pas de remede plus sûr, qu'une diette extrêmement legere. Des malades jugés ne devoir vivre que quelques heures, après des plaies de la poitrine, du bas-ventre, des reins, ont été complettement guéris, en ne vivant, pendant plusieurs semaines, que de ptisane d'orge, ou d'autres ptisanes farineuses, sans sel, sans bouillon, sans aucun remede quelconque, & sur-tout sans onguents. §. 404. Les baumes & les plantes vulnéraires si vantés, sont très nuisibles, pris intérieurement, parceque leur usage donne la fievre & qu'il faut l'abattre. §. 405. Autant la saignée, faite modérément, est utile, autant son excès est nuisible. Les grandes blessures sont ordinairement accompagnées d'une hémorrhagie considérable, qui épuise déja le malade, & souvent la vitesse du pouls est une suite de cette hémorrhagie. Si, dans ces circonstances, l'on ordonne encore des saignées, l'on détruit totalement les forces; les humeurs croupissent, se corrompent; la gangrene survient, & le malade meurt misérablement, au bout de deux ou trois jours, par une suite des saignées, & non pas de la blessure. Le Chirurgien se glorifie de dix, douze, quinze saignées, & prouve que la blessure étoit nécessairement mortelle, puisque tant de sang répandu, n'a pas pu sauver le malade; pendant que c'est réellement cette profusion qui l'a tué. Les plaisirs de l'amour sont mortels aux blessés. _Des Meurtrissures._ §. 406. L'on appelle meurtrissure ou contusion, _cassein_, parmi le peuple, l'effet du coup d'un corps non tranchant, sur le corps de l'homme ou d'un animal; soit qu'il soit jetté contre l'homme, comme quand on reçoit un coup de pierre ou de bâton; soit que l'homme soit porté contre lui, comme dans une chûte; soit enfin que l'on se trouve serré entre deux corps, comme quand le doigt est pris entre la porte & le montant, ou tout le corps froissé entre une voiture & une muraille. Les meurtrissures sont encore plus fréquentes à la campagne que les plaies, & ordinairement plus dangereuses; d'autant plus que souvent on ne peut pas juger exactement de tout le mal, & que le désordre qui se manifeste d'abord, n'est qu'une petite partie du mal réel; souvent même il ne s'en manifeste point d'abord, & il ne se déclare que quand il n'est plus tems d'y remédier. Il n'y a que quelques semaines, qu'un Tonnelier vint me consulter; sa respiration, sa physionomie, la vitesse, la petitesse & le peu de régularité de son pouls, me firent d'abord juger qu'il y avoit du pus dans la poitrine. Il alloit & venoit cependant encore, & travailloit même à quelques fonctions de son métier. Il avoit fait une chûte en remuant des tonneaux, & tout le poids de son corps avoit porté sur le côté droit de la poitrine. Il ne sentit cependant presque rien d'abord; mais quelques jours après, il commença à avoir une douleur sourde dans cette partie, qui continua & amena la gêne dans la respiration, la foiblesse, le mauvais sommeil, le manque d'appétit. Je lui ordonnai le repos; je lui défendis la viande & le vin, & je lui conseillai la ptisane d'orge, avec un peu de miel, bue abondamment. Il ne suivit exactement que le dernier conseil. Quelques jours après, l'ayant rencontré, il me dit qu'il se trouvoit mieux. Dans la même semaine, je sûs qu'on l'avoit trouvé mort dans son lit: l'abcès s'étoit surement rompu, & l'avoit étouffé. Un jeune homme, emporté par un cheval, fut froissé contre la porte d'une écurie, sans ressentir d'abord aucun mal. Au bout d'une douzaine de jours, il eut les malaises qu'on a au commencement d'une fievre: l'on crut qu'il avoit une fievre putride, & il fut très mal traité pendant plus d'un mois. Enfin une consultation décida qu'il y avoit du pus dans la poitrine; on l'envoya chez lui, & l'opération de l'empyeme put heureusement le guérir. J'ai cité ces deux exemples, pour prouver le danger qu'il y a à négliger les coups violens. Ces deux malades auroient évité vraisemblablement, l'un, la mort, l'autre, une maladie longue & cruelle, s'ils avoient pris, d'abord après l'accident, les précautions nécessaires dans ces cas. §. 407. Quand une partie est meurtrie, il arrive de deux choses l'une, & ordinairement toutes deux à la fois, sur-tout si la meurtrissure est un peu considérable; ou les petits vaisseaux de la partie meurtrie sont brisés, & le sang qu'ils contenoient s'épanche dans le voisinage; ou, sans épanchement, ces vaisseaux perdent leur force, &, n'aidant plus la circulation, le sang croupit. Dans l'un & l'autre cas, si la nature, ou seule, ou aidée, n'y remédie pas, il survient une inflammation, suppuration de mauvaise espece, pourriture, gangrene, sans parler des accidens qui dépendent de la meurtrissure de quelque partie particuliere, comme nerf, gros vaisseau, os. L'on comprend aussi tous les dangers de la meurtrissure, quand elle a attaqué quelque partie intérieure, & que le sang s'est épanché, ou que la circulation ne se fait plus dans quelque partie importante à la vie: c'est-là la cause de la mort subite des personnes qui ont fait quelque chûte violente, ou reçu quelques corps pesants sur la tête, ou quelques coups, sans qu'il paroisse aucun mal extérieurement. L'on a plusieurs exemples de morts subites après un coup de poing sur le creux de l'estomac, qui occasionnoit la rupture de la ratte: c'est parceque les chûtes occasionnent une legere meurtrissure générale, tant intérieure qu'extérieure, qu'elles ont quelquefois des suites si fâcheuses, sur-tout pour les vieillards, chez lesquels la nature, déja affoiblie, ne rétablit point les désordres; aussi l'on en voit plusieurs, qui, ayant joui d'une excellente santé, la perdent au moment d'une chûte, qui paroit d'abord ne leur faire aucun mal, & languissent continuellement jusques à leur mort, que ces accidens accelerent presque toujours. §. 408. Il y a pour les meurtrissures, des remedes internes & externes. Quand le mal est leger, & qu'il n'y a point eu de secousse générale, qui ait pu occasionner des meurtrissures intérieurement, les remedes externes suffisent. Ils doivent être propres 1º. à résoudre ce sang épanché, qu'on voit d'une maniere si marquée, & qui, de noir qu'il est un peu après la contusion, devient successivement brun, jaune, grisâtre, à mesure que la grosseur diminue: elle disparoît enfin totalement, & la peau reprend sa couleur, sans que ce sang soit sorti extérieurement; mais peu-à-peu il se dissout, & il est repompé par les vaisseaux. 2º. A redonner un peu de force aux vaisseaux. Le meilleur, c'est le vinaigre, mêlé, s'il est fort, avec le double d'eau tiede. Dans ce mêlange, on trempe des linges, qui servent à envelopper la partie meurtrie, & qu'on change toutes les deux heures, pendant le premier jour. L'on applique aussi, avec grand succès, le persil, le cerfeuil, l'artichaud sauvage, legerement concassés; & ces remedes sont à préférer au vinaigre, quand il y a, en même tems, plaie & meurtrissure: l'on peut aussi appliquer les cataplasmes Nº. 67. §. 409. L'on est dans l'usage d'employer d'abord les liqueurs spiritueuses, telles que l'eau de vie, l'eau d'arquebusade; mais un long abus ne doit pas faire loi. Ces liqueurs qui épaississent le sang, au lieu de le dissoudre, sont réellement nuisibles, quoiqu'on les emploie quelquefois impunément dans les cas très legers. Souvent, en déterminant ce sang épanché vers les entre-deux des muscles, ou même en l'empêchant de s'épancher, & en le figeant dans les vaisseaux meurtris, elles paroissent guérir: mais ce n'est qu'en concentrant le mal, qui se reproduit sous une forme fâcheuse, au bout de quelques mois. J'ai vu de tristes exemples de ce cas; ainsi l'on ne doit jamais employer les remedes de cette espece, & le vinaigre doit les remplacer. L'on peut, tout au plus, quand on juge que tout le sang épanché est dissout & repompé, mêler un tiers d'eau d'arquebusade au vinaigre, afin de redonner un peu de force aux parties affoiblies. §. 410. C'est une méthode encore plus pernicieuse, d'appliquer des emplâtres composées de graisses, de résines, de gommes, de terres, &c. Le plus vanté est toujours nuisible; & l'on a plusieurs exemples de contusions, extrêmement legeres, qui auroient été guéries en quatre jours, si on en avoit remis tout le soin à la nature, & que des emplâtres, appliqués par des ignorans, ont fait dégénérer en gangrene. §. 411. L'on ne doit jamais ouvrir ces sacs de sang coagulé, qu'on apperçoit sous la peau, à moins de quelque raison pressante; parceque, quelques gros qu'ils soient, ils se dissipent peu à peu; au lieu qu'en les ouvrant, ils laissent quelquefois une ulcération dangereuse. §. 412. Le traitement intérieur est précisément le même, que celui des plaies. Mais dans ce cas, la meilleure boisson, c'est le remede Nº. 1, auquel on joint une dragme de nitre par pinte. Quand quelqu'un a fait une violente chûte, qu'il a perdu connoissance, ou qu'il est fort étourdi; que le sang sort par les narines, ou par les oreilles, qu'il est fort oppressé, ou qu'il a le ventre fort tendu, ce qui dénote épanchement de sang dans la tête, la poitrine, ou le bas ventre, il faut sur-le-champ, en commençant par la saignée, employer tous les secours, §. 403, & donner au malade le moins de mouvement qu'il est possible. Il faut surtout éviter de le secouer, ou de l'agiter, dans la vue de rappeller le sentiment; c'est exactement le tuer, en augmentant l'épanchement. Il faut fomenter tout le corps avec quelqu'une des décoctions indiquées. Quand le mal est à la tête, il faut les faire avec de l'eau & du vin, au lieu de vinaigre. L'on a vu des chûtes accompagnées de blessure & de fracture du crâne, avec les accidens les plus graves, se guérir par ces secours internes, & sans autres secours externes, que des fomentations aromatiques. Un homme de _Pully-petit_ vint me consulter, il y a quelques mois pour son pere, qui avoit fait une chute de dessus un arbre: il étoit depuis vingt-quatre heures sans sentiment, sans connoissance, & sans autre mouvement que des efforts fréquens pour vomir; il perdoit du sang par le nez & les oreilles; il n'y avoit point de mal extérieur, ni à la tête ni ailleurs. Heureusement on ne lui avoit rien fait. Je lui conseillai une ample saignée, & beaucoup de petit lait miellé, en boisson & en lavement; on exécuta ponctuellement l'ordonnance. Quinze jours après le pere vint à _Lausanne_, qui est à quatre lieues de _Pully-petit_, & me dit qu'il se portoit très bien. Il convient, dans toutes les contusions considérables, de purger avec quelque purgatif rafraichissant; comme Nºs. 11, 22, 31, 46. Le remede Nº. 23, & le petit lait miellé sont excellens par la même raison. §. 413. Dans ces circonstances, le vin, les liqueurs, tout ce qui anime, tue; ainsi il ne faut point s'impatienter de ce que les malades sont sans connoissance & sans sentiment. L'usage de la térébenthine peut faire plus de mal, que de bien. Si elle a été utile quelquefois, c'est en purgeant un malade, qui, peut-être en avoit besoin. Le blanc de baleine, le sang dragon, les yeux d'écrevisses, les graisses quelconques, sont des remedes au moins inutiles, & dangereux, si le cas est grave, soit par le mal réel qu'ils font, soit par le bien qu'ils empêchent de faire. §. 414. Quand un vieillard a fait une chute, ce qui est d'autant plus dangereux, qu'il est plus âgé & plus replet, quoiqu'il ne paroisse point incommodé, il faut, s'il est sanguin, & encore vigoureux, lui faire une petite saignée de trois ou quatre onces; lui donner tout de suite quelques tasses d'une boisson un peu aromatique, qu'il boit chaude, comme de la melisse avec du miel, & le faire promener doucement. Il faut qu'il diminue un peu la quantité de ses alimens, pendant quelques jours, que deux fois par jour, il réitére sa boisson; & qu'il continue regulierement un petit exercice. §. 415. Les entorses, ou foulures, qui arrivent très fréquemment, sont une espece de meurtrissure, occasionnée par le violent frottement des os, contre les parties voisines; & quand les os se remettent d'abord à leur place, le mal ne doit être traité, que comme contusion; s'ils ne se remettent pas, il faut la main d'un Chirurgien. Le meilleur remede, c'est la compresse de vinaigre & d'eau, & le parfait repos, jusques à ce que toute la contusion soit dissipée, & qu'on soit sûr qu'il n'y a point d'inflammation à craindre. Alors on fait bien de joindre au vinaigre, un peu d'eau de vie, ou d'eau d'arquebusade; & l'on doit porter la partie (c'est presque toujours le pied) bandée assez long-tems; sans quoi, elle fait souvent de faux mouvemens, ou elle reçoit de nouvelles entorses, qui l'affoiblissent journellement davantage; & si l'on néglige trop long-tems ce mal commençant, la force ne revient jamais en entier: & souvent il survient une legere enflure pour toute la vie. Quand le mal est extrêmement leger, le bain d'eau froide est bon. Si on ne le fait pas dans le premier moment, ou si la contusion est forte, il est nuisible. La méthode de rouler le pied nud sur quelque corps rond, est insuffisante quand les os ne sont pas parfaitement replacés, nuisible quand il y a contusion. Il arrive tous les jours que les paysans s'adressent à des ignorans ou à des gens de mauvaise foi, qui trouvent, ou veulent trouver, un dérangement des os, là où il n'y en a point; & qui, par la violence avec laquelle ils manient ces parties, ou par les emplâtres dont ils les couvrent, y attirent une inflammation dangereuse, & changent en mal très grave, la crainte d'un mal très leger. Ce sont ces mêmes gens, qui ont créé des maladies impossibles; telles que l'estomac & les reins ouverts. Mais ces grands mots effraient, & ils dupent plus aisément. _Des Ulceres._ §. 416. Quand les ulceres dépendent d'une corruption générale de la masse du sang, on ne peut les guérir, qu'en détruisant la cause, qui les entretient; & c'est même une imprudence, que de vouloir les fermer par des remedes extérieurs, & un malheur, que de réussir. Mais le plus souvent les ulceres, à la campagne, sont les restes de quelque plaie, de quelque meurtrissure, ou de quelques tumeurs mal traitées & surtout pansées avec des remedes trop âcres ou trop spiritueux. Les huiles rances, sont aussi une des causes, qui changent en ulceres rebelles, les plaies les plus simples; ainsi l'on doit les éviter, & les Apoticaires doivent avoir cette attention; quand ils préparent des onguens gras, qu'il convient de préparer souvent; parcequ'une grosse provision est rancie avant que d'être débitée, quoiqu'on eût employé de l'huile très fraiche en la préparant. §. 417. Ce qui distingue les ulceres des plaies, c'est la dureté & la secheresse de leurs bords, & la nature de l'humeur qui en découle, qui, au lieu d'être un vrai pus, est une liqueur moins épaisse, moins blanche, qui exhale quelquefois une mauvaise odeur, & si âcre, que souvent, si elle touche la peau du voisinage, elle y produit de la rougeur, de l'inflammation, des boutons, des especes de dartres, & même de nouvelles ulcerations. §. 418. Les ulceres qui durent trop long-tems, qui sont étendus, ou qui fluent beaucoup, minent le malade & le jettent dans une fiévre lente, qui le tue. Quand un ulcere a duré long-tems, il est très dangereux de le tarir, & l'on ne doit jamais le faire, qu'en suppléant à cette évacuation, qui est presque devenue naturelle, par quelqu'autre; comme les purgations de tems en tems. L'on voit tous les jours des morts subites, ou des maladies cruelles, après avoir arrêté tout-à-coup ces écoulemens, qui duroient depuis long tems; & quand quelque _Charlatan_, (tous ceux qui font cette promesse méritent ce nom) promet de guérir, en peu de jours, un ulcere invéteré, il prouve qu'il est un ignorant dangereux; qui, s'il réussissoit, rendroit un office mortel. L'on en voit qui appliquent des remedes extrêmement rongeans, & même arsenicaux; mais l'on voit aussi la mort la plus violente être la suite de ces applications dangereuses. §. 419. Tout ce que l'art peut faire, relativement aux ulceres, c'est de les changer en plaies. Pour cela, il faut diminuer la dureté & la sécheresse des bords, & même de tout l'ulcere, & en ôter l'inflammation. Quelquefois ce vice est tel, qu'on ne peut amollir les bords, qu'en les scarifiant par des coups de lancette. Quand cela n'est pas nécessaire, il faut appliquer sur tout l'ulcere un plumaceau enduit de l'onguent Nº. 68, & recouvrir, avec une compresse pliée en plusieurs doubles, trempée dans la liqueur Nº. 69, qu'on change trois fois par jour, & le plumaceau seulement deux fois. Comme j'ai dit que les ulceres étoient souvent le produit des remedes âcres & spiritueux, l'on sent qu'il faut absolument les éviter dans les traitemens; sans quoi l'on ne guérira jamais. Il faut, pour avancer la guérison, éviter le salé, le vin, les épices, manger peu de viande, & entretenir la liberté du ventre par un régime de legumes, & par l'usage du petit lait miellé. Quand les ulceres sont aux jambes, ce qui est très ordinaire, il est très important, aussi bien que dans les plaies des mêmes parties, de marcher peu, & de ne se tenir jamais debout sans marcher. C'est ici un de ces cas dans lesquels je souhaite que les personnes qui ont quelque crédit sur l'esprit du peuple, ne négligent rien pour lui faire comprendre la nécessité de prendre quelques jours d'un repos absolu, & lui prouver que bien loin que ce soit un tems perdu, c'est le tems de sa vie le plus chérement payé. La négligence à cet égard change les plaies les plus legeres en ulceres; les ulceres les moins fâcheux, en ulceres incurables; & il n'y a personne qui ne puisse trouver dans son voisinage, quelque famille réduite à l'hôpital, parcequ'on a négligé quelque mal de cette espece. Je réitére que les ulceres qui viennent de cause interne, ou ceux qui viennent de cause externe, mais chez une personne d'un mauvais tempéramment, demandent souvent d'autres soins. _Des Membres gelés._ §. 420. Il arrive souvent dans les hyvers rigoureux, que quelques personnes sont saisies par un froid si fort, que les mains ou les pieds, ou ces deux parties à la fois gelent tout comme un morceau de viande exposé à l'air. Si l'on se laisse aller au mouvement si naturel de les réchauffer, & surtout de réchauffer les parties gelées, tout est perdu. Il survient des douleurs insupportables, & une gangrene incurable. Il n'y a plus de ressource pour les sauver, que de leur couper les membres gangrenés. L'on a vu, il n'y a que peu de tems, à Cossonay, le triste cas d'un homme qui eut les mains gelées. On lui appliqua chaudement des onguens gras; la gangrene suivit, & l'on fut obligé de lui couper les dix doigts. §. 421. Il n'y a qu'un seul remede dans ce cas-là, c'est de mettre les malades dans un endroit où il ne puisse pas geler; mais où il fasse très peu chaud, & de leur appliquer continuellement, sur les parties gelées, de la neige si l'on en a, sinon de les laver continuellement, mais fort doucement, car toute friction forte seroit dangereuse, avec des linges trempés dans de l'eau de glace, à mesure qu'elle se fond. Ils s'apperçoivent peu-à-peu que le sentiment renaît; ils éprouvent une grande chaleur dans la partie, & commencent à en recouvrer le mouvement; alors on peut les porter dans un endroit un peu plus chaud, & leur donner quelques tasses de la potion Nº. 13, ou de quelqu'autre de même espece. §. 422. Il n'y a personne qui ne puisse juger du danger de la méthode échauffante, & de l'utilité de l'eau glacée, par une expérience qui se fait tous les jours. Les poires, les pommes, les raves gelées, mises dans l'eau prête à geler, reprennent leur premier état, & peuvent être mangées. Si on les met dans l'eau tiede, ou dans un endroit chaud, la pourriture, qui est une gangrene, s'en empare d'abord. Je joindrai ici une observation, qui fera mieux comprendre ce traitement, & en constatera l'efficacité. «Un homme avoit une route de dix lieues à faire, par un tems froid, & un chemin plein de neige & de glace. Ses souliers lui manquerent; il fit les trois dernieres lieues à pieds nuds, & eut, dès la premiere demi lieue, des douleurs assez vives aux jambes & aux pieds, qui allerent en augmentant. Il arriva presque perclus des extrêmités inférieures. On le mit devant un grand feu, on échauffa bien un lit, & on l'y coucha. Les douleurs devinrent insupportables; il ne cessoit d'être dans de violentes agitations, & de pousser des cris perçans. On demanda un Medecin dans la nuit, qui trouva les doigts des pieds d'une couleur noirâtre, & commençant à perdre le sentiment. Les jambes & le dessus des pieds excessivement enflés, d'un rouge pourpre, varié de taches violettes, souffroient encore les douleurs les plus aigües. Le poulx étoit dur & fréquent, & le mal de tête très violent. Le Medecin fit apporter un seau d'eau de la riviere, & y fit ajouter de la glace; & il obligea le malade à plonger les jambes dedans: ce premier bain dura près d'une heure; & les douleurs, pendant ce tems là, furent moins violentes: une heure après il ordonna un second bain, & le malade s'y trouvant de nouveau soulagé, le prolongea deux heures. Pendant ce tems là, on enlevoit de l'eau du seau; & l'on y remettoit de la glace & de la neige. Les doigts des pieds, qui étoient noirs, devinrent rouges; les taches violettes des jambes se dissiperent, l'enflure diminua; les douleurs étoient legeres & avec intervalle. L'on réitera cependant six fois: après quoi il ne resta d'autre mal, qu'une sensibilité à la plante des pieds, qui empêchoit le malade de marcher. On lui fit quelques fomentations aromatiques, on lui fit boire une ptisane de salsepareille; (celle de sureau est toute aussi bonne & moins couteuse.) Le huitieme jour il fut parfaitement guéri, & s'en retourna le quinzieme jour, à pied.» §. 423. Quand le froid est très fort, & qu'on y reste long-tems exposé, il tue; il congele le sang, & il en détermine une trop grande quantité au cerveau; ainsi on meurt d'apoplexie, & cette apoplexie commence par un sommeil: aussi le voyageur, qui se sent assoupi, doit redoubler d'efforts pour se tirer du danger éminent auquel il est exposé: ce sommeil, qui paroit devoir adoucir ses souffrances, seroit pour lui le dernier sommeil. §. 424. Les remedes, dans ce cas, sont les mêmes que dans le cas précédent §. 421, 422. Il faut mettre le malade dans un endroit plutôt froid que chaud; le frotter avec de la neige, ou de l'eau glacée, l'on a même plusieurs exemples constatés, & ils sont fréquens dans les païs plus froids, qu'un bain d'eau très froide est très salutaire. L'on a rappellé à la vie plusieurs personnes, qui avoient été dans la neige, ou exposé à l'air pendant une forte gelée cinq ou six jours, & qui ne donnoient aucun signe de vie, pendant plusieurs heures; ainsi il faut toujours essayer de donner du secours. _Des Hernies._ §. 425. Les _Hernies_, _descentes_, _ruptures_, que le païsan désigne, en disant, _qu'il est rompu_, sont quelquefois une maladie de naissance, plus souvent l'effet des cris excessifs, d'une toux forte, ou d'efforts réitérés pour vomir dans la premiere enfance. Dans la suite, elles sont produites à tout âge, ou par quelques maladies, ou par des efforts violens: elles sont beaucoup plus fréquentes chez les hommes, que chez les femmes; & l'espece la plus commune, la seule dont je me propose de dire un mot, c'est celle qui dépend du passage d'une partie des intestins, ou de la coëffe, dans les bourses. Elle est aisée à connoître. Quand elle se trouve chez de petits enfans, on la guérit presque toujours en faisant porter constamment un bandage, qui ne doit être que de triege, avec une pelotte de linge, de crin, ou de son. Il faut en avoir au moins deux, afin de les changer de tems-en-tems, & avoir le plus grand soin de ne jamais le mettre, que quand l'enfant est couché sur le dos, & qu'on est sûr, que tout est bien rentré. Sans cette précaution, il feroit les plus grands maux. L'on peut aider l'effet du bandage, en appliquant sur la peau dans le pli de l'aine, à l'endroit du passage, une emplâtre astringente quelconque, comme celui _pour les fractures_, ou celui dont j'ai parlé. L'on ne doit point laisser monter à cheval les enfans, jusques à ce qu'ils soient entierement guéris. §. 426. Dans un âge plus avancé, un bandage simplement de triege est insuffisant; il en faut un où il y ait du fer; &, quelque gênant qu'il paroisse d'abord, l'on s'accoutume bien vite à cet usage, & l'on n'en est plus incommodé. §. 427. Les hernies acquierent quelquefois, un volume prodigieux; & la plus grande partie des intestins passe dans les bourses, sans aucun symptome de maladie; mais cela entraine une incommodité très grande, qui met ordinairement ces gens hors d'état de travailler; & quand le mal est aussi considérable, & en même tems invétéré, il y a ordinairement des obstacles, qui empêchent qu'il ne rentre tout à fait; l'usage du bandage est impossible, & ces infortunés sont condamnés à porter toute leur vie cette incommodité, qu'on peut un peu soulager, par l'usage d'un suspensoir, adapté à la taille de la hernie. Cette crainte d'augmentation, est une raison bien forte pour en arrêter le progrès dès les commencemens; il y en a une encore plus forte, c'est que les hernies sont susceptibles d'un accident, qui est très souvent mortel. Il arrive, quand la partie des intestins, qui est dans les bourses, s'enflamme, qu'alors, acquérant plus de volume, & se trouvant extrêmement comprimés, il survient des douleurs aigües; le volume étant plus considérable, le passage qui les avoit laissé sortir, ne peut les laisser rentrer; les vaisseaux mêmes étant gênés, l'inflammation augmente d'un moment à l'autre; la communication entre l'estomac & le fondement, est souvent entiérement interceptée; il ne passe rien: il survient des vomissemens continuels, (c'est l'espece de _miséréré_ dont j'ai parlé §. 301.) le hoquet, le délire, les défaillances, les sueurs froides, la mort. §. 428. Cet accident des hernies arrive, quand les excrémens viennent à se durcir dans la partie des boyaux renfermés dans les bourses; quand le malade s'est échauffé par le vin, les liqueurs, le régime; quand il a reçu quelque coup sur cette partie, ou qu'il a fait quelque chute. §. 429. Le meilleur remede est, 1º. dès qu'on s'apperçoit de cet accident, une très forte saignée, faite dans le lit, le malade étant couché sur le dos, la tête cependant un peu élevée, & les jambes un peu flechies, de façon que les genoux soient en l'air. C'est même l'attitude qu'ils doivent toujours conserver, autant qu'il est possible. Quand le mal n'est pas trop avancé, souvent la premiere saignée guérit radicalement, & les intestins rentrent dès qu'elle est faite. D'autres fois, cela ne réussit pas aussi bien, & il faut alors réitérer la saignée. 2º. On ordonne un lavement Nº. 46. Il faut appliquer sur toute la tumeur, des linges trempés dans l'eau glacée, & les changer constamment tous les quarts d'heures. Ce remede appliqué d'abord, a produit les plus grands effets; mais si le mal a duré violemment plus de dix ou douze heures, il est trop tard, & alors il convient mieux d'appliquer des flanelles trempées dans une décoction tiede de fleurs de mauve & de sureau, & les changer souvent. 3º. Quand ces secours ne sont pas suffisans, il faut essayer les lavemens de fumée de tabac, qui ont souvent dégagé des hernies qui résistoient à tout. Enfin, si ces remedes ne réussissent pas, il faut se déterminer à faire l'opération, sans perdre un seul moment; car ce mal tue quelquefois au bout de deux jours; mais pour cela il faut avoir un très bon Chirurgien. L'on a vu ici une femme, morte depuis quelques années, qui entreprenoit effrontément cette opération, & tuoit les malades, après les tourmens les plus cruels, & l'amputation du testicule, que font toujours les Charlatans, & les Chirurgiens ignorans; mais qu'un Chirurgien entendu ne fait jamais dans ce cas. Je ne parlerai point de la façon de la faire, parceque je ne pourrois pas m'étendre assez pour instruire un Chirurgien qui l'ignoreroit; & qu'un Chirurgien éclairé sait tout ce que je pourrois lui dire. _Des Furoncles ou Clous._ §. 430. Tout le monde connoît les furoncles, ou clous, qui font quelquefois souffrir beaucoup, s'ils sont gros, fort enflammés, ou situés de façon à gêner les mouvemens, ou les positions. Quand l'inflammation est très considérable, qu'il y en a plusieurs à la fois, qu'ils empêchent de dormir, il convient de se mettre à un régime rafraichissant, de prendre quelques lavemens, de boire beaucoup de ptisane Nº. 2. Si l'inflammation est très forte, on applique extérieurement un cataplasme de mie de pain & de lait, ou d'oseille un peu bouillie & pilée. Si elle est moins forte, l'on se sert de l'emplâtre de _mucilage_ ou _diachilon simple_ étendu sur de la peau. Le _diachilon gommé_ est plus actif; mais chez quelques personnes, il augmente si fort les douleurs, qu'elles ne peuvent pas le soutenir. Les furoncles, qui reviennent souvent, indiquent quelque vice dans le tempéramment, & souvent un vice assez considérable, & dont les suites pourroient être à craindre; ainsi il faut chercher à en connoître la cause, & à la détruire. C'est un détail que je ne puis pas donner ici. §. 431. Le clou se termine ordinairement par la suppuration; mais c'est une suppuration d'une espece singuliere. Il s'ouvre d'abord dans son sommet, & il en sort quelques gouttes d'un pus tel que celui de tous les abcès, & alors on découvre ce qu'on appelle le _germe_ ou le _bourbillon_; c'est une matiere purulente, mais si épaisse & si ferme, qu'elle a l'apparence d'un corps solide, & on la tire en entier, sous la forme d'un petit cilindre, comme de la moelle de sureau, de la longueur de quelques lignes, quelquefois même d'un pouce & au-delà. La sortie de ce _bourbillon_ est suivie ordinairement de celle d'une certaine quantité de pus liquide, épanché au fond de la tumeur. Dès que cette évacuation est faite, les douleurs cessent entierement, & la grosseur disparoît au bout de peu de jours, en continuant le _diachilon_ simple, ou l'onguent Nº. 65. _Des Panaris._ §. 432. Le danger des panaris est beaucoup plus grand qu'on ne le croit ordinairement. C'est une inflammation à l'extrêmité d'un doigt, qui est souvent l'effet d'un peu d'humeur extravasée dans cette partie, soit par une meurtrissure, soit par une piquure; d'autres fois, il paroît qu'il n'a aucune cause extérieure, & qu'il est l'effet d'un vice intérieur. L'on en distingue plusieurs especes, suivant l'endroit dans lequel l'inflammation commence; mais la nature du mal est toujours la même, & demande des remedes de même espece; ainsi les personnes qui ne sont ni Médecins, ni Chirurgiens peuvent se passer de la connoissance de ces divisions, qui, quoiqu'elles varient le danger, & l'opération du Chirurgien, n'influent point sur le traitement, dont l'activité doit être reglée par la violence des symptomes. §. 433. Le mal commence par une douleur sourde avec un leger battement; sans enflure, sans rougeur, sans chaleur, mais bientôt la douleur, la chaleur, le battement deviennent insupportables. La partie devient extrêmement grosse & rouge; les doigts voisins, toute la main enflent. On observe, dans quelques cas, une fusée enflée & rouge, qui commençant à la partie malade, se continue presque jusques au coude, & il n'est pas rare, que les malades se plaignent d'une douleur très vive sous l'épaule. Ils ne dorment point, & la fiévre avec ses accidens, ne tardent pas à paroître. Si le mal est grave, le délire & les convulsions surviennent. L'inflammation du doigt se termine, ou par la suppuration, ou par la gangrene. Quand ce dernier accident arrive, le malade est dans un danger très pressant, s'il n'est promptement secouru; & il a fallu, plus d'une fois, couper le bras, pour sauver la vie. Quand la suppuration se fait, si elle est très profonde, âcre, ou si les secours du Chirurgien arrivent trop tard, la derniere phalange du doigt est ordinairement cariée, & on la perd. Quelque leger qu'ait été le mal, il est rare que l'ongle ne périsse pas. §. 434. Le traitement intérieur des panaris, est le même que celui des autres maladies inflammatoires. Il faut se mettre au régime, plus ou moins exactement, à proportion du degré de la fiévre; & si elle est très forte, & l'inflammation considérable, faire une ou plusieurs saignées. Le traitement extérieur, consiste à diminuer l'inflammation, à amollir la peau, & à donner issue au pus, dès qu'il est formé. Pour cela l'on trempe long-tems le doigt dès les commencemens du mal, dans l'eau un peu plus que tiede; on reçoit aussi la vapeur de l'eau bouillante; en faisant cela presque continuellement, pendant le premier jour, on est souvent parvenu à dissiper entierement le mal. Mais malheureusement on croit que ces petits commencemens n'auront point de suites, & l'on se néglige, jusques à ce que le mal ait fait de grands progrès; alors il faut nécessairement qu'il suppure. On hâte cette suppuration, en enveloppant continuellement le doigt avec une décoction de fleurs de mauves cuites dans du lait, ou un cataplasme de mie de pain & de lait. On peut le rendre plus actif, en y ajoutant quelques oignons de lis, ou un peu de miel; mais il ne faut le faire que quand l'inflammation diminue, & que la suppuration commence; avant ce tems-là, tous les remedes âcres sont très dangereux. L'on emploie aussi à cette époque, le levain, qui hâte puissamment la suppuration. Le cataplasme d'oseilles, §. 430, est très efficace. §. 435. L'évacuation prompte du pus est très importante; mais c'est l'affaire du Chirurgien, parcequ'il ne convient point d'attendre que l'ouverture se fasse naturellement; d'autant plus que la peau étant quelquefois extrêmement dure, le pus se répandroit dans l'intérieur des chairs, avant qu'elle se perçât. Ainsi, dès qu'on soupçonne que le pus est formé, il faut voir un Chirurgien, qui décide du moment où l'ouverture doit se faire. Il vaut beaucoup mieux la faire un peu trop tôt, qu'un peu trop tard; & il vaut mieux qu'elle soit trop profonde que pas assez. Quand l'ouverture est faite, on panse avec l'emplâtre Nº. 65, étendu sur une toile, ou avec le sparadrap Nº. 64, & l'on change tous les jours. §. 436. Quand le panaris est occasionné par une humeur extravasée dans le voisinage de l'ongle, un Chirurgien adroit en arrête très promptement les progrès, & guérit radicalement, par une incision, qui donne issue à cette liqueur. Mais quoique cette opération ne soit pas difficile, tous les Chirurgiens ne savent pas l'exécuter; plusieurs même n'en ont point d'idée. §. 437. Quelquefois il se forme des chairs fongueuses, ou baveuses; on les desseche en les poudrant avec un peu de _minium_, ou d'alun brûlé. §. 438. Quand il y a carie, il faut nécessairement voir un Chirurgien, aussi bien que quand il y a gangrene; ainsi je ne parlerai point de ces deux cas. J'avertis seulement, qu'il y a trois remedes essentiels, contre la gangrene, le quinquina, Nº. 14, dont on donne une dragme toutes les deux heures; les scarifications sur toute la partie gangrenée; & les fomentations avec la décoction de quinquina, à laquelle on ajoute l'esprit de soufre. Il est vrai que ce remede est très cher; mais on peut y suppléer par une décoction d'autres herbes ameres, & l'esprit de sel. J'ajoute encore, qu'il convient, dans la plûpart des cas de membres gangrenés, de ne faire l'amputation que quand la gangrene s'arrête d'elle-même; ce qu'on connoît par un cercle très sensible, & très aisé à distinguer par les plus ignorans, qui en marque les bornes, & fait la séparation entre le vif & le mort. _Des Verrües._ §. 439. Quelquefois les verrues sont la suite d'un vice particulier de la masse du sang, & il en naît des quantités étonnantes. Cela arrive à quelques enfans de quatre à dix ans, qui prennent trop de laitages; ils guérissent par le changement de régime, & les pilules Nº. 18. D'autrefois c'est un vice accidentel de la peau, qui dépend de quelques causes extérieures. Dans ce cas, si elles incommodent par leur grosseur, par leur situation, par leur durée, on peut les détruire, 1º. en les liant avec une soie, ou un fil ciré. 2º. En les coupant avec des ciseaux ou un bistouri, & en couvrant la plaie avec un peu de diachilon gommé, qui occasionne une petite suppuration destinée à détruire la racine de la verrue. 3º. En la séchant par quelque application un peu corrosive, comme le lait de feuille de pourpier, de figuier, de chelidoine, de thitimale; mais outre que ces sucs ne se trouvent qu'en été, les personnes qui ont la peau délicate ne doivent pas s'en servir; ils pourroient leur occasionner une enflure considérable & douloureuse. Un vinaigre fort, dans lequel on a fait dissoudre autant de sel qu'il est possible, est très bon. L'on fait aussi des emplâtres avec du sel ammoniac & du galbanum pêtris ensemble, & appliqués sur la verrue, qui ne manquent gueres de la détruire. Les corrosifs plus forts ne doivent être employés que sous la direction d'un Chirurgien; & il est même plus sage, de ne point les employer, non plus que les brûlures artificielles. L'amputation est un moyen plus sûr, moins douloureux & sans danger. Les loupes, dès qu'elles sont un peu grosses, & qu'elles durent depuis quelque tems, ne guérissent que par l'amputation. _Des Cors._ §. 440. Les cors sont toujours l'effet de souliers trop rudes ou trop étroits. Toute la guérison consiste à les amollir par plusieurs bains de pieds chauds; à les couper au sortir du bain avec un canif, sans attaquer les parties saines, qui sont d'autant plus sensibles qu'elles sont plus tendues; & à appliquer dessus une feuille de joubarbe, ou de lierre grimpant, ou de pourpier, qu'on peut tremper dans du vinaigre. On peut, au lieu de ces feuilles, si l'on veut s'épargner la petite peine du pansement journalier, y appliquer une emplâtre de diachilon simple, ou de gomme ammoniac amollie dans le vinaigre. Il n'y a point d'autre moyen de prévenir les retours des cors, que d'éviter les causes qui les ont produits. ADDITIONS[16] FAITES A LA PRESENTE ÉDITION. [16] Voyez l'Avertissement sur cette nouvelle édition. _Anasarque, Bouffissure, Hydropisie générale._ §. 441. On donne ces noms à la maladie dans laquelle tout le corps, ou la plus grande partie du corps étant enflé, on sent, en touchant les parties enflées, qu'elles sont molles & froides, qu'elles cedent sous le doigt, & on voit que l'impression, ou le creux que l'on a fait en appuyant le doigt, subsiste encore quelque tems après qu'on l'a retiré. Dans cette maladie le tissu cellulaire, qui est cette membrane qui unit & enveloppe toutes les parties du corps, contient dans les cavités ou cellules dont elle est formée, de l'eau, ou la sérosité qui se sépare du sang. §. 442. L'enflure commence ordinairement aux pieds, jambes, cuisses, & elle est toujours plus considérable dans ces parties, proportion gardée, que dans les autres; elle s'étend de proche en proche, & gagne en plus ou moins de tems tout le reste du corps. On remarque aux reins une espece de bourlet; le ventre grossit, les bourses acquerrent un volume considérable; toute, ou presque toute la peau du corps est pâle, peu sensible, froide, un peu luisante; le visage est blême, les yeux sont languissans; la respiration se fait difficilement, surtout après le repas & le soir: le malade perd les forces & l'appétit; il tousse plus ou moins fréquemment; il est assoupi; il ne sue point, ou très rarement; son pouls est petit, enfoncé, fréquent, inégal; ses urines sont crues, claires & en petite quantité; les selles sont crues, quelquefois mêlées de sang, elles changent presque tous les jours de qualité: le malade est foible, sent toujours de la lassitude; sa soif est continuelle & pressante; il a souvent la langue séche, il éprouve des feux passagers; bientôt il survient de la fiévre causée par l'eau qui se corrompt; alors son haleine, ses crachats, ses urines répandent une mauvaise odeur. Tous les accidens augmentent le soir, & sont moins forts le matin. Ils ne se trouvent pas toujours réunis dans le même sujet; mais plus il y en a, plus ils sont considérables & marqués, plus aussi la maladie est fâcheuse; tantôt ses progrès sont très lents, tantôt ils sont très prompts, ce qui est de mauvais augure. §. 443. Les causes de l'Anasarque sont un air humide & froid, tel que celui des lieux marécageux, des habitations plus basses que le sol; les alimens de mauvaise qualité, l'excès de l'eau, de la bierre, & de toutes boissons relachantes & froides, surtout si on les prend dans un lieu froid, ayant fort chaud; l'abus du vin & des liqueurs spiritueuses; un tempérament pituiteux; les obstructions des visceres du bas ventre, des fiévres intermittentes mal traitées ou dans des sujets mal constitués, l'asthme, les évacuations excessives par les saignées, les pertes ou hémorrhagies, diarrhées, dyssenteries excessives, les purgations trop fortes ou continuées trop long-tems; les évacuations supprimées ou arrêtées trop tôt, comme les hémorrhoïdes, le dévoiement; les éruptions comme dartres, galle, &c. que l'on a fait rentrer mal-à-propos. Toutes ces causes, en produisant un abord considérable de la partie aqueuse du sang dans toutes les petites cavités du tissu cellulaire, ou en empêchant que lorsqu'elle y est amassée, elle ne soit reprise par les vaisseaux qui sont destinés à cela; toutes ces causes, dis je, donnent lieu à l'anasarque. §. 444. Il y a quelques cas où l'anasarque est facile à guérir, mais ils sont rares, & on doit généralement regarder cette maladie, comme une des plus funestes & des plus opiniâtres; cela n'étonnera point ceux qui ayant quelque connoissance de l'oeconomie animale, verront combien il y a de parties importantes qui ne sont plus dans leur état naturel, & de fonctions qui ne se font plus, ou se font mal. §. 445. On sait qu'il est très nécessaire de consulter la nature pour guérir les maladies; mais ce n'est qu'après avoir vu un grand nombre d'hydropisies, qu'on peut se former une idée de la différence des méthodes qu'il faut employer pour les guérir, le nombre des causes étant aussi grand qu'il l'est. Il n'est peut-être point de cas où il soit aussi nécessaire de savoir varier les traitemens, les tenter successivement, & insister sur les remedes qui réussissent. On ne s'attend point après cet aveu, que nous donnions une méthode générale, & que nous répondions de son succès: heureux sont ceux qui peuvent avoir les conseils & les soins d'un Médecin habile; mais comme il y a bien des circonstances où le malade ne le peut point, & que cette maladie est assez commune, nous allons exposer, suivant le plan & le but de cet ouvrage, les moyens les plus aisés, les moins couteux & les plus utiles pour guérir, ou du moins soulager les hydropiques. Si la cause n'est point incurable, ou la maladie très ancienne, il y a tout lieu d'espérer de procurer l'évacuation de l'eau par le traitement qui suit. §. 446. Il faut 1º. régler le régime du malade. Il est important qu'il soit toujours dans un air chaud & sec, qualités qu'on lui procurera avec le feu, s'il ne les a pas naturellement, & alors il vaudroit encore mieux changer d'habitation, du moins pour quelque tems. On garantira surtout de la fraîcheur de la nuit, ce qui demande souvent beaucoup de soins, le malade se tenant sur son séant hors des couvertures. Il fera sa nourriture d'alimens secs, comme du pain rassis ou dur, grillé, de viandes ou poissons rotis & grillés. On assaisonnera ces alimens avec un peu d'acide, comme jus de citron, verjus, vinaigre, pour prévenir ou corriger la corruption des humeurs, qui est funeste dans les hydropisies. Il fera tout son possible pour s'abstenir de boire; & afin de tromper pour ainsi dire la soif, il tiendra dans sa bouche, & se gargarisera avec quelques gouttes de liqueurs acides seules ou mêlées, dans un peu d'eau; s'il ne peut résister à la soif, il boira le moins qu'il lui sera possible, & la meilleure boisson est celle qui fait couler les urines; du vin pur, & principalement du blanc, de la bierre dans lesquels on aura fait infuser quelques plantes aromatiques ameres. Le malade fera autant d'exercice que ses forces lui permettront, à pied, à cheval, en voiture, en bon air. Les frictions sur les parties enflées, répétées le plus souvent qu'il se pourra, seront très utiles: on les fera avec une brosse, avec une grosse toile, &, ce qui est préférable, avec de la flanelle chaude ou autre étoffe de laine claire, & propre à absorber l'humidité: il seroit même avantageux que le malade eût tout le corps couvert immédiatement de cette étoffe. Une douce compression faite par des habits étroits ou des bandes, empêche que les fibres ne cedent ou ne s'étendent trop, prévient des ruptures, & facilite le rétablissement de l'élasticité. Je viens aux médicamens. §. 447. «On fera prendre le matin au malade une cuillerée du remede Nº. 75, après lequel il survient quelquefois un vomissement, alors il ne faut plus en donner qu'une demi-cuillerée; une simple nausée en est cependant la suite la plus ordinaire. Les urines sont après cela très abondantes, & procurent beaucoup de soulagement. Il est rare que ce remede purge: si néanmoins ce cas arrive, il ne s'ensuit aucun mal. L'on continue tous les jours l'usage de ce remede, jusqu'à ce que les sérosités soient évacuées, & que le corps désenfle absolument. Si la dose que l'on donne fait peu d'effet dans des corps robustes, on doit l'augmenter insensiblement jusqu'à ce que les urines sortent en abondance». Alors si l'enflure diminue, on observera scrupuleusement ce qui a été dit à l'article du régime, surtout au sujet de la compression, pour prévenir la rechute & favoriser la guérison; & on fera prendre au malade, une heure avant dîner & avant souper, deux onces du vin Nº. 77. Quand avec l'évacuation des eaux les accidens diminuent, il y a beaucoup à espérer; il faut continuer le remede Nº. 75, jusqu'à parfaite guérison, & le vin Nº. 77, encore long-tems après. §. 448. Si l'anasarque succede à une longue fiévre intermittente, «les évacuations ne sont pas extrêmement nécessaires»; mais on la guérit d'ordinaire en faisant observer au malade ce qui est dit §. 446, 447, «& en donnant le matin à jeun, puis une heure avant le dîner & une heure avant le souper, deux onces du vin Nº. 77». §. 449. On traite aussi cette maladie par les purgatifs & les sudorifiques; mais outre qu'ils réussissent peu, il y a bien des cas où ils font beaucoup de mal: l'usage des setons, des scarifications est encore plus dangereux; enfin de tous les moyens que l'on connoît de procurer l'évacuation de l'eau dans l'anasarque, celui que nous avons proposé est, selon le célebre Van Swieten, le plus sûr & le plus efficace: il est aussi le plus aisé à pratiquer par ceux pour qui ce Livre est fait. S'il ne réussit pas, il faut s'adresser à un Médecin. _Aphtes._ §. 450. Les Aphtes sont de petites pustules blanches ou jaunâtres, qui deviennent des ulceres ronds, superficiels, & bordés d'un cercle rouge, qui occupent en plus ou moins grande quantité l'intérieur de la bouche, le gosier, l'oesophage, & s'étendent quelquefois, en suivant les conduits de l'air & des alimens, jusqu'aux poulmons & aux derniers intestins. Cette maladie est assez commune parmi les enfans & les vieillards: elle est quelquefois épidémique parmi les adultes, dans les saisons chaudes, humides, & les lieux marécageux. §. 451. Quelquefois les Aphtes se dissipent sans qu'on ait besoin d'employer de remedes; mais elles sont souvent accompagnées d'ardeur, de douleur, de rougeur, d'inflammation, de la perte du goût, d'inquiétudes, d'insomnie, quelquefois de fiévre. Les enfans crient & ne veulent point tetter, la suction étant douloureuse & la déglutition difficile, soit à cause de la sensibilité des parties ulcérées, soit à cause de leur enflure, qui est assez ordinaire. §. 452. Si la fiévre, la douleur, l'inflammation, la difficulté d'avaler sont considérables, on fera une saignée du bras. On donnera 1º. pour nourriture de la panade, ou une décoction d'orge ou de ris. 2º. Très souvent quelques gorgées de thé de fleurs de sureau nitré. 3º. Quatre prises par jour du Nº. 60, dans une cuillerée de thé de sureau. 4º. Tous les deux ou trois jours on purgera avec du syrop de chicorée composé, ou le Nº. 62. Ce traitement suffira presque toujours pour dissiper les Aphtes des enfans. §. 453. Il est à propos d'examiner si l'âcreté du lait de la nourrice, n'est pas la cause de la maladie des enfans, si elle n'a point de boutons, de dartres, d'érésipelles; s'il n'y a ni haleine mauvaise, ni dérangemens dans les digestions qui indiquent qu'elle n'est pas parfaitement saine; & quand même on ne découvriroit rien, on peut la faire user, pendant que l'enfant ne tette point, de boissons délayantes, rafraîchissantes, adoucissantes, & d'alimens farineux. §. 454. Si le malade n'est point un enfant qui tette, on le mettra au régime; on saignera dans le cas où la douleur, l'inflammation & la fiévre seront considérables; il usera des boissons Nº. 2, ou 4, du gargarisme Nº. 19, & il sera purgé avec le Nº. 22. §. 455. Lorsque les aphtes ne tombent point, l'humeur qu'elles renferment devient âcre & rongeante, alors il faudra faire son possible pour toucher les aphtes des enfans avec un pinceau ou un linge attaché à un bâton, trempés dans le Nº. 81, dans du suc de _sedum_ ou joubarbe, ou dans l'huile d'olive chaude. On fera de même pour les autres malades. Si les aphtes sont accompagnées de symptômes plus fâcheux, ou viennent à la suite d'une maladie, voyez ce qui suit. §. 456. Les fiévres continues, aigües, intermittentes; celles qui sont avec dyssenteries & diarrhées, les fiévres putrides & malignes, sont assez souvent accompagnées d'aphtes, surtout dans les pays froids & humides; & si on a donné au malade des remédes échauffans, ou qu'on lui ait fait suivre un régime de cette nature. Pour l'ordinaire ces aphtes sont des pustules blanches ou vessies remplies d'une humeur âcre qui souleve la surpeau dans plusieurs points de l'intérieur de la bouche, sans intéresser la peau, puisque quand la croûte blanche qui les forme vient à tomber, il n'en reste point de vestige; ce qui établit une différence entre ces aphtes & celles des enfans dont on a parlé ci-dessus. §. 457. Les aphtes paroissent d'abord au palais en petit nombre & séparées; on est heureux si elles n'augmentent pas; mais souvent s'étendant de proche en proche, elles occupent toute la bouche intérieurement, & descendent même dans la poitrine & les intestins: il survient alors de la toux, de la difficulté de respirer, des nausées, vomissemens, anxiétés, foiblesses, pesanteur & douleur d'estomac, assoupissement, difficulté d'avaler, douleurs & ulceres au gosier, hoquets, diarrhée, dyssenteries, des selles noires, sanguinolentes, sanieuses, & qui infectent. §. 458. Souvent ces accidens précedent & amenent les aphtes; elles ne sont pas de mauvais augure, blanchâtres & jaunes; mais quand elles sont noires ou recouvertes d'une croûte dure, épaisse comme du lard, ou excessivement blanches, elles sont souvent funestes. Lorsqu'elles ont subsisté quelques jours, elles tombent par parties & en différens tems, quelquefois de nouvelles succedent aux premieres & rendent la maladie plus longue: si les aphtes subsistent long-tems, il se forme autant d'ulceres, & la gangrene s'y met. §. 459. Tant que la fiévre est médiocre, & les autres symptômes modérés, on doit regarder les aphtes comme une crise, comme un dépôt de l'humeur de la maladie, opéré par la nature, surtout si l'on voit alors quelque diminution dans les accidens depuis l'éruption des aphtes, il faudra l'entretenir par des boissons chaudes & délayantes Nº. 7, ou une décoction de raves, de ris, gruaux: on usera du gargarisme détersif Nº. 19, ou 81. Lorsque les aphtes deviennent brunes ou noires, que le pouls est foible, petit; qu'il y a nausées, angoisses, hoquets, & que les croûtes sont dures & épaisses, ou qu'elles subsistent long-tems, & se renouvellent; on donnera une ou deux fois le jour une prise du Nº. 14, ou Nº. 82, & les mêmes boissons serviront de gargarismes; on touchera les aphtes avec le Nº. 81, ou avec les autres liqueurs §. 455, comme il est dit dans ce §. Lorsque les croûtes tomberont, s'il n'y a point de dyssenterie, on purgera avec le Nº. 22, pour faire sortir de l'estomac & du canal intestinal les croûtes qui se détachent encore plutôt que celles de la bouche, & qui augmenteroient la corruption par leur séjour, on usera d'une boisson adoucissante comme le petit lait, ou les Nº. 12, 13, qui serviront pour gargariser souvent, si la bouche est douloureuse & brûlante. Quelquefois il survient alors une salivation considérable: on fera usage du Nº. 14, & du Nº. 19 ou 82, en gargarisme. S'il y a de la diarrhée, de la dyssenterie, on mêlera à la boisson adoucissante Nº. 17, du syrop de pavot, ou du moins on y fera bouillir une tête de pavot, & on traitera ces maladies avec les remedes prescrits aux articles qui en parlent: on recommandera au malade de se gargariser souvent. §. 460. Le régime doit être celui des maladies aigües, ou celui de la maladie à laquelle les aphtes se seront jointes, modifié suivant les accidens; le meilleur aliment est une décoction de pain, avec du miel & du vin. Si le passage des alimens est tellement embarrassé & bouché par les aphtes, que ni les solides, ni les fluides ne puissent passer, on emploiera le lait coupé avec l'eau, en bains, fomentations, lavemens. Nous n'avons point parlé de saigner ni de purger pendant la maladie, parceque ces secours seroient dangereux alors; mais il est très avantageux qu'ils aient été mis en usage au commencement de la maladie; cela fait souvent la différence des aphtes benignes ou malignes. _Ascite, Hydropisie du bas ventre._ §. 461. Lorsqu'il y a dans le bas ventre de l'eau amassée en assez grande quantité pour former une enflure ou grosseur considérable, on nomme cette maladie _Ascite_, ou _hydropisie du bas ventre_. L'enflure commence par la partie inférieure du ventre, d'où en augmentant elle gagne les parties supérieures & inférieures. Quand le malade est debout ou assis, la partie du ventre qui est au-dessous du nombril, forme tumeur. Si étant couché il se tourne ou se panche seulement à droite ou à gauche, la tumeur se porte & se fait voir de ce côté, & le malade sent le mouvement des eaux agitées & leur déplacement: lorsqu'il est couché sur le dos & étendu, si on appuie une main sur un des côtés du ventre, & que l'on frappe sur l'autre côté, avec le plat de l'autre main, le coup se fait sentir à la premiere, & on sent distinctement la fluctuation: la peau du ventre est pâle, luisante, molle, & elle conserve quelque tems l'impression des doigts qu'on y a appuyés; le pouls est petit, fréquent & un peu dur, les urines sont en petite quantité d'un rouge brun, & très chargées, la soif est continuelle & pressante, tout le corps maigrit, s'exténue presque dans la même proportion que le ventre grossit, la respiration devient difficile quand on est couché; & avec les progrès de la maladie, il survient nombre d'accidens qui rendent le mal plus opiniâtre, comme foiblesse, toux, fiévre lente, & les autres rapportés §. 442. Quant aux causes de cette maladie, on en trouvera plusieurs §. 443, elles sont les mêmes dans presque toutes les hydropisies; on y ajoutera l'anasarque, comme cause de l'ascite. §. 462. «Quand le mal est récent, on le guérit assez souvent par le seul usage du remede Nº. 75, donné comme il est dit §. 447». Si dans quelques jours le flux des urines ne survient point, & que l'enflure du ventre ne diminue point, on prendra chaque jour la ptisane Nº. 74, & tous les matins à jeun, & le soir en se couchant une prise du Nº. 23; au bout de six jours on purgera avec le Nº. 76, & si le malade est foible, avec le Nº. 21; on répétera la purgation six jours après. Le régime doit être celui qui est prescrit dans l'hydropisie générale ou anasarque §. 446. Dans le cas où l'un des traitemens réussira, & où les eaux s'évacueront, on fera prendre pour redonner du ressort aux fibres relâchées, le vin Nº. 77, d'abord une fois le jour, puis deux, & même trois. §. 463. Lorsque ces tentatives seront sans succès, que les urines ne seront pas plus abondantes, & que le ventre ne désenflera pas par les évacuations que procurent le Nº. 75 & les purgatifs, il faut se hâter de faire la ponction qui réussit dans les ascites peu anciennes; mais elle est dangereuse dans celles qui sont invétérées; cependant dans ces cas même elle soulage le malade en lui rendant la facilité de respirer: souvent cette opération que l'on employoit comme un palliatif, a disposé à la guérison parfaite, & a laissé aux remedes la liberté d'agir; c'est alors surtout que le vin Nº. 77, est utile; ainsi que tout ce qui a été prescrit dans le régime §. 446. §. 464. Je ne parle point de la paracenthese ou ponction du ventre, parcequ'on doit s'adresser à un Chirurgien qui sache la faire. «Il est très convenable de tirer autant qu'il est possible, en une seule fois & tout de suite, toute la lymphe ou l'eau: on peut le faire avec sureté, en serrant le ventre du malade par des bandes, & cela petit à petit & de plus en plus, à mesure que l'eau sort; on évitera par-là les foiblesses & les autres accidens»: si le ventre enfle de nouveau, il faut dans ce cas répéter la ponction: il y a des exemples de personnes guéries après plusieurs ponctions; au moins cette opération prolongera la vie, la rendra supportable, & peut-être même mettra-t-elle le malade en état de vaquer à ses affaires pendant un assez long-tems. Après l'opération, on ne manquera point de donner le vin Nº. 77, comme il a été dit §. 447. _Asthme, courte-haleine, accès d'Asthme._ §. 465. L'accès de l'Asthme est une difficulté de respirer, périodique, irréguliere, & quelquefois réguliere, accompagnée d'anxiétés, de sifflement ou rallement, de pesanteur ou resserrement de la poitrine, & de violens mouvemens du diaphragme & des muscles de la poitrine, du bas ventre, & des omoplates. Il semble que le malade est près d'être suffoqué, les urines deviennent claires & abondantes; le pouls est fréquent & inégal; il y a soif, insomnie; il survient de la chaleur, de la fiévre, & des palpitations de coeur; cet état dure plusieurs heures, & quelquefois plusieurs jours. Mais ceux qui y sont sujets ne se trouvent pas toujours dans cet état violent, ils n'y résisteroient point. Les poulmons sont le siege de ce mal. §. 466. On distingue plusieurs dégrés et especes d'Asthmes, qui ont des causes, des signes & des effets particuliers; mais nous n'entrerons dans ce détail, qu'autant qu'il sera nécessaire pour instruire de ce qu'il faut faire dans les momens où ceux qui ont l'Asthme ont besoin d'un prompt secours; je veux dire dans l'accès: cette maladie étant longue & ayant des intervalles où l'on peut consulter, il faut le faire. Je rapporterai cependant ce qui arrive hors de l'accès, à ceux qui ont cette maladie, afin qu'on reconnoisse plus aisément l'accès de l'Asthme, étant prévenu que ceux qui sont sujets aux accidens suivans, le sont aussi aux accès d'Asthme ou à la courte-haleine. §. 467. Chez les asthmatiques la respiration est grande, laborieuse & fréquente, surtout lorsque leur sang est agité par quelque cause, comme l'exercice un peu fort, les passions, les excès dans le boire & le manger: cette difficulté de respirer augmente encore lorsqu'ils montent, qu'ils sont couchés horisontalement, pendant la nuit, dans les tems humides & froids, & dans des chambres très chaudes ou très petites. La situation où ils respirent plus aisément, est celle où le corps est un peu penché en devant. L'Asthme est souvent accompagné de toux, de ronflement, d'un bruit semblable à celui d'un fluide agité, de douleurs à l'intérieur & à l'extérieur de la poitrine. §. 468. Dans l'accès ou attaque d'Asthme, on mettra le malade dans une situation où la moitié supérieure du corps se trouve droite, dans un lieu où l'air du dehors ait un accès libre, & surtout l'air froid, où il n'y ait point de feu, d'animaux, ou beaucoup de personnes qui l'échauffent, il ne fera aucun mouvement qui puisse accélérer la circulation du sang, on évitera d'exciter les passions qui agitent le sang, & font impression sur les nerfs. Plus la difficulté de respirer est grande, plus il faut se hâter de saigner, & on répétera la saignée suivant les forces du malade, celle des accidens, & l'opiniâtreté du mal. On ne doit point être arrêté par la petitesse & la foiblesse apparentes du pouls, la saignée faite, il sera plus fort: au reste, si on a quelque crainte à ce sujet, on fera les saignées petites: ce remede guérira seul l'accès de l'asthme, s'il vient de plénitude, comme cela arrive souvent, voyez les signes de cet état[17]; on donnera des lavemens, qui ne seront que moitié des lavemens ordinaires, & le malade les recevra debout: si les lavemens simples, comme Nº. 6, n'ont aucun effet, on se servira des purgatifs. [17] Voyez ces signes, art. de la saignée, §. 536. §. 469. Lorsque le malade est d'un tempérament pituiteux, humide & crache beaucoup, que pendant l'accès on entende un rallement, un bruit comme d'un fluide agité dans la poitrine, qu'il crache beaucoup, qu'il sent une douleur sourde, une pesanteur à la poitrine, on donnera pour boisson la ptisane Nº. 7, ou le Nº. 12, & d'heure en heure une cuillerée de la potion Nº. 72. S'il y a pesanteur d'estomac, & que l'accès ait été précédé d'excès de table, ou qu'il y ait eu des signes de bile ou d'humeurs abondantes[18], on fera bien de donner un vomitif Nº. 34, avec les précautions recommandées §. sur les vomitifs, ou du moins la potion Nº. 11. [18] Voyez ces signes, art. des purgations, §. 544. §. 470. Lorsqu'avant & pendant l'accès, le malade a une toux fréquente & séche; que dans l'accès le visage devient rouge, que les veines se gonflent, que le malade sent un serrement à la poitrine ou à la gorge, on donnera pour boisson la ptisane Nº. 12, dans l'intervalle des saignées qui seront répétées comme il a été dit, suivant l'opiniâtreté du mal, ainsi que les lavemens simples & purgatifs, le malade prendra dans les accès de toux, ou plus souvent, s'ils sont rares, la potion Nº. 10, ou le petit lait Nº. 17, par cuillerées. On lui fera respirer la vapeur de l'eau chaude, & mettre les pieds dans l'eau chaude; les frictions legeres sur les extrémités, l'application de vessies remplies de lait sur la poitrine, sont aussi fort utiles. Lorsque l'accès est très long & opiniâtre, & qu'il y a lieu de croire qu'il est l'effet d'une goutte remontée, de maladies de peau, ou éruptions rentrées, d'ulceres trop tôt fermés, on fera usage de sinapismes, de vésicatoires, qui dans ces cas feront bientôt disparoître le mal. §. 471. Pendant le tems de l'accès d'Asthme, on doit tenir le malade au régime, c'est-à-dire ne lui donner aucune nourriture solide, on ne lui accordera même celles Nº. 35, que dans le cas où l'accès sera long, & qu'il ne sera pas de la plus grande violence; les viandes augmentent & prolongent beaucoup l'accès. On évitera de donner les boissons chaudes, & on les rendra un peu acides, comme celles Nº. 1, 2. §. 472. Pour prévenir les accès, ou les éloigner jusqu'à ce qu'on puisse consulter un Médecin, on évitera de faire aucun excès dans le boire, le manger, l'exercice, &c. On se garantira du froid avec le plus grand soin, & surtout de celui qui est joint à l'humidité. On fera un exercice modéré. On prendra dans l'Asthme où l'on crache beaucoup, la poudre Nº. 14, une demi-prise à chaque repas, & tous les matins à jeun trois pillules Nº. 73, avec deux verres de 12, immédiatement après: il faut aussi se purger de tems en tems avec le Nº. 21. Si c'est un Asthme où on ne crache pas, on usera tous les jours des boissons délayantes, & on se fera saigner lorsque les premiers symptômes de plénitude[19], l'augmentation dans la difficulté de respirer, ou le serrement de poitrine se feront sentir: dans les deux especes les eaux minérales chaudes prises dans leurs saisons, la saignée faite en Printems & dans les grandes chaleurs; & les purgations en Automne & en hyver; sont des secours très utiles pour prévenir ou retarder les accès. [19] Voyez ces signes, article de la saignée. Lorsqu'un Goutteux dont la goutte est vague, ou ne se fait pas sentir au lieu & au tems ordinaires, est attaqué de difficulté de respirer, voyez ce qui est dit article de la goutte remontée. _Carreau._ §. 473. On trouve souvent dans la campagne parmi le peuple, des enfans qui ont le ventre plus gros qu'ils ne doivent l'avoir, il est dur, & la peau est tendue; ils sont pâles, tristes, paresseux, sans appétit; ils sentent des douleurs vers le nombril, dorment peu; & ils ont beaucoup d'ardeur, de la soif, & souvent de la fievre le soir. Dans le commencement, ils vont difficilement à la selle; mais au bout de quelque tems il survient un dévoiement; ils dépérissent à vue d'oeil, tombent en chartre, maigrissent très vîte, le ventre seul est fort gros. Le carreau vient d'obstructions & d'embarras dans une ou plusieurs des parties contenues dans le bas du ventre, & ce qui souvent y a donné lieu, sont des alimens indigestes, visqueux, les fruits cruds non mûrs, le laitage dans quelques constitutions auxquelles il est contraire, les vers, la malpropreté, la transpiration long-tems retenue, une disposition écrouelleuse, des éruptions rentrées, ou qui n'ont pas sorti entierement. §. 474. Pour guérir cette maladie, il faut interdire les mauvaises nourritures & leur en substituer de bonnes, aisées à digérer, point visqueuses, ni qui s'aigrissent aisément: les panades, les fruits cuits, les oeufs, un peu de viandes blanches & legeres, les plantes ou légumes fondantes & apéritives, laitue, chicorée, épinars, cardes, &c. on mettra le malade dans un lieu où l'air soit sec & sain, on lui fera faire le plus d'exercice qu'on pourra, à pied ou en voiture, il boira un peu de bon vin vieux avec de l'eau de chiendent, ou une eau de rhubarbe legere. On lui fera des frictions sur tout le corps avec la flanelle, on appliquera sur le ventre les topiques Nº. 9. §. 475. On lui fera prendre tous les jours des sucs exprimés des plantes apéritives Nº. 7, dans du petit lait, ou au moins des décoctions de ces mêmes plantes. Ce remede manque rarement d'avoir son effet, surtout si on le prend dans le Printems; les vertus fondantes & apéritives sont alors à un plus haut degré dans les plantes, que dans les autres saisons: lorsqu'on manque de ces plantes fraîches, on doit faire des décoctions de racines de chiendent, d'asperges, d'oseille, de patience, de chelidoine, que l'enfant prendra de trois en trois heures par verrées; on mettra dans le premier verre du matin pris à jeun, un gros de sel de glauber, ou de sel de duobus, ou une prise du Nº. 23. L'extrait de cigüe Nº. 55, est un remede excellent, & qu'il sera aisé de faire prendre aux enfans. On purgera tous les dix à douze jours avec la poudre Nº. 37, ou le syrop de chicorée composé. Lorsque le ventre sera désenflé & mollet, on fera prendre quelque tems une eau minérale legere, naturelle, comme celles de Passy, de Forges, ou artificielle comme Nº. 83. _Catharre suffocant._ §. 476. Dans cette maladie, une des plus vives qu'il y ait, qui attaque subitement surtout les vieillards, les enfans, & ceux qui ont un tempérament humide & pituiteux, & qui est quelquefois épidémique, la respiration se fait si difficilement, & l'oppression est si grande, que le danger de la suffocation est des plus pressans, & que le malade meurt quelquefois dans le moment de l'attaque, ou peu d'heures après. Je ne parle point de la suffocation causée par l'ouverture d'un abcès dans la poitrine (voyez §. 64), ni de celui qui est une suite de la paralysie des organes de la respiration; mais seulement de catharres qui viennent d'une abondance de sérosités plus ou moins acres, qui remplissent la poitrine, ou se jettant sur les nerfs, les mettent en convulsion; ou de l'humeur de la petite vérole, de la rougeole, ou d'une autre éruption qui n'est pas sortie, ni n'a pas été évacuée entiérement, & qui se porte sur les organes de la respiration; ou d'une grande quantité de sang qui remplit plus qu'il ne faut les vaisseaux de la poitrine, ou s'y coagule, toutes choses qui interceptent la respiration. §. 477. Dans le catharre suffoquant, outre la difficulté de respirer, il y a douleur de poitrine, sentiment de pesanteur, voix entrecoupée, sueur surtout au visage, gonflement des vaisseaux de la tête, anxiétés ou angoisses; agitation continuelle, effort pour tousser, ronflement, sifflement ou rallement, les battemens du pouls sont foibles, éloignés, quelquefois fréquens, & souvent inégaux. Le malade est sans force, il sue, une pituite visqueuse ou une écume lui sort de la bouche; il faut, sans perdre un moment, le saigner une, deux & trois fois, jusqu'à ce que la respiration devienne plus facile, dans les intervalles des saignées, on lui donnera des lavemens d'abord simples, puis purgatifs, il mettra ses pieds dans l'eau chaude, on lui fera des frictions sur les extrémités inférieures avec la flanelle. §. 478. Lorsque ces secours ne suffisent pas, si le malade est pituiteux, sujet aux catharres, aux fluxions, ou qu'il ait eu quelque maladie de peau maltraitée, ou une éruption rentrée ou qui n'a pas sorti suffisamment, on lui fera prendre un vomitif Nº. 34, ou un purgatif Nº. 21, & on appliquera une emplâtre vésicatoire Nº. 35, au bras ou à la nuque. Si c'est un enfant, aussi tôt après la premiere saignée, on appliquera l'emplâtre vésicatoire; on donnera toutes les demi-heures une cuillerée de la potion Nº. 8, & dans les intervalles, la ptisane Nº. 2. Lorsque la violence des accidens diminue; mais que les crachats sortent rarement en petite quantité & visqueux, & que l'on entend un rallement dans la poitrine, on donnera de trois en trois heures une cuillerée du Nº. 8, auquel on ajoutera hypecacuana, iris de Florence & Kermes minéral, de chaque trois grains. Quand le catharre traine en longueur, on doit suivre le régime §. 35 & suiv. en ajoutant seulement un peu de vin ou d'élixir de propriété, comme cordiaux nécessaires pour ranimer les forces. _Colique néphrétique._ §. 479. La douleur est aigüe & fixe dans les reins & leurs environs; elle se fait sentir continuellement, ou par intervalles dans tout le trajet oblique que font les vaisseaux destinés à conduire l'urine depuis les reins jusqu'à sa sortie. Chez les hommes, les testicules se retirent, & il y a douleur: chez les femmes, la douleur est dans l'aine. Au commencement, les urines sont en petite quantité, claires, puis elles sont sanglantes & chargées de gravier. Il y a nausée, vomissemens, douleur d'estomac, défaillances, sueurs, constipation, envie d'uriner: on sent de l'engourdissement à la jambe du côté où est la douleur; la fiévre survient, elle est irréguliere & le pouls inégal. §. 480. Les moyens de calmer cette colique, sont les saignées répétées deux, trois fois en douze heures, & plus si le mal est toujours le même: les lavemens fréquens Nº. 6, la ptisane Nº. 1, ou le petit lait Nº. 17; la poudre Nº. 20; du savon en pilules, ou fondu dans la ptisane, jusqu'à trois gros par jour; les fomentations sur les reins Nº. 9, les demi-bains, les bains où le malade restera long-tems. On aura soin de ne pas le laisser coucher sur la plume, & dans un lit où ses reins soient trop échauffés: on donnera deux & trois onces de syrop diacode par demi-cuillerées dans le jour, si les douleurs sont excessives & avec convulsions. Cette colique étant sujette à retour, on consultera un Médecin pour la prévenir. §. 481. On suivra le même traitement dans l'inflammation des reins, qui a tous les symptômes de la colique, mais beaucoup plus de chaleur aux reins & aux lombes, de fiévre, des douleurs plus aigües, des urines aqueuses ou très rouges, en petite quantité, & sans sédiment. Dans le cas où les saignées n'auront pas été faites assez tôt, & où le mal sera insurmontable par sa nature; il se formera un abcès (voyez §. 283); alors il faut avoir recours au Médecin & au Chirurgien. _Coqueluche._ §. 482. La coqueluche est cette toux redoublée, pressée, opiniâtre, qui se renouvelle à des intervalles plus ou moins éloignés. On appelle ces accès des quintes: la toux est tantôt forte & rauque, tantôt aigre & glapissante, presque continue pendant la quinte, avec des sifflemens ou heurlemens; la respiration se fait très difficilement, sur tout le mouvement qu'on appelle inspiration, par lequel l'air entre dans la poitrine; alors le malade est prêt d'être suffoqué. Il ne sort presque rien pendant la plus grande partie du tems que dure la toux, ou tout au plus un peu de pituite claire; mais vers la fin de la quinte le malade rejette une matiere visqueuse, glaireuse, si gluante qu'il faut la lui tirer de la bouche avec les doigts; il y a des mouvemens convulsifs, violens dans tout le corps; le malade vomit, surtout s'il n'y a pas long-tems qu'il a mangé, & les repas sont ordinairement suivis de quintes violentes. Le sang s'accumule dans les vaisseaux de la tête, les gonfle, rend tout le visage rouge, violet, & même noir. Il y a irritation, douleur au creux de l'estomac avant la toux & après. Le plus souvent la coqueluche est sans fievre, surtout dans les commencemens. Cette maladie attaque principalement les enfans, quelquefois les adultes; souvent elle est épidémique parmi les premiers, & quelquefois parmi les seconds. Elle est causée par les dérangemens de la digestion, joints à la transpiration supprimée. §. 483. Lorsque le malade est un enfant qui tette, on examinera le lait de la nourrice; s'il n'est pas bon, on lui en donnera une autre, ou on le nourrira de panade, d'eau de ris, d'eau d'orge, de gruaux, de bouillons. Il ne mangera point de bouillie. On mettra tout autre malade au régime des convalescens, & on le garantira surtout du froid & de l'humidité. L'exercice est très bon, mais il doit être modéré, pour ne point exciter des quintes. Lorsque les symptômes, comme la toux, la difficulté de respirer, la couleur du visage, le tempérament sec & sanguin du malade, font craindre pour sa vie, & qu'il ne se rompe des vaisseaux dans la poitrine par les efforts de la toux, on fera bien de le saigner; ce qui ne seroit pas nécessaire, si les accidens étoient moins grands ou moins pressans. On donnera pour boisson la ptisane Nº. 12; on tiendra le ventre libre, avec des lavemens donnés tous les jours Nº. 6; on fera vomir avec les poudres Nº. 33 ou 34; puis on purgera avec le Nº. 22, ou le syrop de chicorée composé. Après ces évacuations, si la coqueluche n'est pas totalement passée, on donnera de trois en trois heures, une cuillerée de la potion Nº. 8, auquel on ajoutera kermes minéral, Nº. 24, six grains, & autant de poudre d'iris de Florence. S'il y a insomnie, on mettra dans la ptisane une ou deux têtes de pavot, ou deux pincées de feuilles de coquelicot. C'est un usage pernicieux, que celui de l'huile dans la coqueluche, voyez §. 357. Pour rétablir les digestions; on donnera la poudre Nº. 14: & si la maladie étant totalement guérie, il reste une petite toux ou de la foiblesse, le lait de vache coupé avec une décoction d'orge ou de ris, les dissipera. _Dartres._ §. 484. On donne ce nom à des pustules ou boutons de différentes grosseurs, & quelquefois presque imperceptibles, séparés ou réunis en tas, avec douleur & demangeaison. Ces boutons s'étendent de proche en proche, & y portent la douleur & la démangeaison, qui cessent quelquefois où elles avoient commencé. Quand on les gratte, il en sort une eau visqueuse et âcre, qui, en séchant, forme une croûte. Toutes les parties du corps, mais surtout le visage, les cuisses, les parties de la génération sont sujettes à ce mal, qui le plus souvent forme des plaques assez grandes, de différentes figures. §. 485. On saignera le malade du bras; il fera usage de ptisane de racine de chicorée amere, ou de celle Nº. 25; & si le mal est opiniâtre, de la ptisane Nº. 74, à laquelle on ajoutera, dans leurs saisons, les jus d'herbes Nº. 7, & du petit lait rendu laxatif avec le sel de duobus, ou la crême de tartre Nº. 23, alternativement pendant une douzaine de jours. Ce mal n'empêchant point de vaquer à ses affaires, il est inutile de prescrire au peuple d'autres remedes qui ne seroient pas faits. On purgera avec le Nº. 21, tous les huit jours. Il faut se garantir du froid, de l'humidité, ne point manger d'alimens salés & âcres, boire peu de vin, se nourrir de lait, d'alimens farineux, de légumes, de fruits. §. 486. Les topiques font souvent du mal dans les dartres. En général, il faut s'en abstenir jusqu'à ce qu'on ait pris pendant quelque tems des remedes internes; alors on se contentera, dans les dartres rongeantes, vives & douloureuses, d'appliquer une toile trempée dans un jaune d'oeuf délayé avec une eau de safran, ou de morelle, ou de cigüe: les dartres séches peuvent être humectées avec de la salive, ou de l'eau de sel marin, ou de l'eau avec un peu de vinaigre: on les couvrira du sparadrap Nº. 64: si la dartre est maligne ou rebelle, on appliquera le Nº. 51. On peut substituer à ce traitement, celui qui est marqué §. 261 & suiv. On emploiera les mêmes remedes dans les cas d'ébullitions, échauboulures, boutons, rougeurs au visage. _Ecrouelles, Humeurs froides._ §. 487. Les écrouelles sont des tumeurs situées sous la peau; elles sont fort long-tems sans douleur, sans chaleur, ordinairement mobiles, lisses & unies; tantôt cedant un peu, & seulement pour un moment, à l'impression des doigts, tantôt très dures. Ces tumeurs sont des glandes grossies & enflées par le séjour de la lymphe, qui est l'humeur qui s'y prépare & s'y conserve. Toutes les glandes sont le siege de cette maladie. Les causes de cette maladie, sont un vice héréditaire de la lymphe qui produit son épaississement, le virus vérolique des peres & meres, la mauvaise nourriture de quelque genre que ce soit, lait, eau, fruits non mûrs, &c. le froid, surtout s'il frappe les glandes du cou; c'est pourquoi ces glandes sont le plus souvent attaquées dans les enfans de la campagne, qui ordinairement n'ont point le cou couvert: les coups & contusions des glandes, qui détruisent leur organisation; la mauvaise conformation de ces glandes. Les tumeurs écrouelleuses sont d'abord petites, paroissent dans peu d'endroits, ne changent point la couleur de la peau; le plus souvent les glandes du col, des aisselles, sont les premieres affectées; mais de quelque côté qu'elles commencent, si on n'y remédie dès qu'elles se manifestent, elles s'étendent à toutes les glandes dont elles sont proches, & ensuite l'humeur écrouelleuse gagne celles qui sont répandues par tout le corps, internes & externes, & toutes les articulations. §. 488. Cette maladie est ordinairement très longue, difficile à guérir, surtout si elle est héréditaire, ou dans un sujet foible & mal constitué, & dans les adultes; mais il y a beaucoup à esperer, si elle se trouve dans des enfans, depuis peu de tems, dans des sujets bien constitués, qui ont peu de glandes écrouelleuses, & qui n'ont point encore atteint l'âge de puberté, tems où la nature est souvent venue à bout de les dissiper sans aucun secours. C'est pourquoi il importe de faire de bonne-heure tout ce qu'il est possible pour guérir une maladie si opiniâtre, & qui d'ailleurs peut avoir des suites très funestes, si elle subsiste long-tems. Le traitement de cette maladie est très long; le malade comme le Médecin doivent s'armer de patience, & ne s'attendre qu'à des progrès presque insensibles. §. 489. Si le malade est d'un tempérament sanguin, & dans l'état décrit §. 537, il sera saigné: s'il est dans celui qui est décrit §. 544, il sera purgé avec la potion Nº. 46, ou la poudre Nº. 21; ou même on le fera vomir avec un des remedes Nº. 33 ou 34; puis on le mettra à l'usage de la ptisane laxative Nº. 79, dont il prendra deux verres le matin, à deux heures de distance, & un le soir. On ajoutera dans le Printems & l'Eté, à chaque verre de cette boisson, deux onces des sucs de plantes fondantes Nº. 7; on fera prendre tous les matins à jeun, deux pilules Nº. 80, ou l'extrait de cigüe Nº. 55, & on purgera tous les douze jours avec la poudre Nº. 21. §. 490. Cette maladie étant fort longue, il faut, au bout de quelque tems changer de médicamens, tant à cause du malade qui prendroit du dégoût, & peut-être de l'aversion, que parceque le corps s'habituant aux remedes, ils ont beaucoup moins d'effet. Ainsi on pourra substituer à la ptisane, deux bouillons par jour faits avec le veau, les racines de patience, chicorée sauvage, oseille, fraisier, pissenlit, polypode. Un moment avant de retirer le pot du feu, on ajoutera une demi-poignée de quatre des plantes suivantes, bourrache, buglose, chicorée sauvage, aigremoine, cresson, poirée, pourpier, laitue, pimprenelle, ortie, cerfeuil; on fera fondre un gros de sel de glauber dans chaque; on préparera de la même façon un apozeme, en retranchant le veau, & l'usage sera le même. On pourra aussi faire boire de tems en tems, pendant une huitaine de jours, la ptisane des bois Nº. 71; ou du petit lait, en y mêlant les jus d'herbes ci-dessus, ou les y faisant infuser, ou en y faisant fondre quelque sel, comme de glauber, de duobus, de sedlitz, terre foliée de tartre. On peut substituer aux pilules celles Nº. 18, en observant, quelque remede qu'on donne, de purger tous les dix à douze jours avec la poudre Nº. 21, ou autre purgatif. Si l'estomac du malade se dérange, on donnera la poudre Nº. 14; s'il vient du dévoiement, on purgera avec le Nº. 50, en s'abstenant pendant quelques jours des autres remedes. Ceux qui se trouveront près de la mer, doivent boire de cette eau environ une chopine par jour; c'est un très bon fondant. L'usage des eaux thermales ou chaudes, savoneuses, sulphureuses, comme celles de Bareges, de Cauterets, de Bourbonne, de Balaruc, de Bourbon, &c. ne peut être trop recommandé à ceux qui en sont proches. §. 491. On appliquera sur les tumeurs écrouelleuses, les emplâtres de _vigo cum mercurio_, de _ranis cum mercurio_, de savon, de cigüe, diabotanum, diachilum, _cum gummi_; mais s'ils causent de la démangeaison, chaleur ou inflammation, il faut les ôter. §. 492. On doit favoriser l'action des remedes par le régime; souvent on lui doit la guérison des maladies chroniques ou longues; un air pur, serein, sec; les lieux élevés; l'exercice à pied, à cheval, en voiture un peu rude; le ventre libre naturellement, ou par l'effet des remedes ou des lavemens; une nourriture saine, aisée à digérer, prise avec modération; du pain bien cuit, des viandes rôties, grillées; des fruits cuits; les eaux legeres, douces, du vin vieux & bon; un sommeil modéré; la tranquillité de l'ame, le contentement, la gaieté, la dissipation prêtent des forces à la nature, pour vaincre le mal conjointement avec les remedes. §. 492. Lorsque l'on a à traiter des écrouelles devenues rouges, douloureuses & enflammées d'elles-mêmes, ou par des topiques trop actifs, on saignera une ou deux fois; on mettra au régime §. 29; on emploiera les topiques émolliens Nº. 9, le Nº. 59, ou l'emplâtre de mucilages, jusqu'à ce qu'on ait calmé & dissipé l'inflammation. §. 493. Quand, à la suite de l'inflammation qu'on n'a pas pu résoudre, ou sans inflammation sensible & sans qu'on s'en soit apperçu, il s'est fait une suppuration dans la tumeur: dès que l'on en sera certain, on appliquera des cataplasmes, de pulpes d'oseille, d'oignon de lys, de vieux levain, de basilicum, d'escargots, jusqu'à ce que la glande paroisse parfaitement fondue; si elle ne s'ouvre pas d'elle-même à l'extérieur, on l'ouvrira avec la pierre à cauterre ou avec le fer, de peur que le pus ne fasse du ravage intérieurement, en cariant les os, & détruisant les chairs voisines; mais il faut dès-lors avoir recours à un bon chirurgien. Lorsque la tumeur est ouverte ou suppure, il en sort une matiere purulente, visqueuse, blanchâtre ou jaune, sans mauvaise odeur. On pressera un peu la tumeur dans tous les sens, pour qu'il ne reste point de pus; on injectera une legere infusion de ciguë pour nettoyer la plaie, après quoi il faut appliquer un plumaceau enduit de l'onguent Nº. 68, & recouvrir avec une compresse pliée en plusieurs doubles, trempée dans la liqueur Nº. 69: on change le plumaceau deux fois le jour, & la compresse trois fois. S'il survient des callosités, des chairs fongueuses; s'il y a des fistules, carie, on doit avoir recours au Chirurgien, qui agira suivant l'état du mal. _Enflure des Jambes._ §. 494. Les pieds & les jambes ont plus de grosseur qu'ils ne doivent en avoir comparés au reste du corps, ils sont dans l'état décrit §. 441. Il y a engourdissement & difficulté dans le mouvement de ces parties; je ne parle point de l'enflure des jambes, qui précede & accompagne l'anasarque, l'ascite; on ne peut la guérir qu'en dissipant ces maladies. On voit très souvent des jambes enflées à la suite des fiévres intermittentes & continues, de l'asthme, des érésipelles, de la dyssenterie, du dévoiement, de la plûpart des longues maladies aigües ou chroniques, des grandes évacuations, & des longues veilles. Les Femmes grosses, celles dont les regles sont supprimées, ou beaucoup diminuées, ou prêtes à finir, y sont fort sujettes. Dans tous ces cas, l'enflure est ordinairement sans danger; souvent elle se dissipe pendant la nuit, & recommence le matin pour augmenter jusqu'au soir. §. 495. L'enflure des jambes diminue souvent sans faire aucun remede, à mesure que la convalescence s'affermit, & que les forces reviennent après l'accouchement & l'apparition des regles. Si cela n'arrive pas, il faut faire un peu plus d'exercice, employer les frictions avec la flanelle chaude, les fomentations aromatiques & spiritueuses, des sachets de sel, de cendres, des bandes qui serrent un peu: on prendra des alimens secs, on boira peu, & seulement du vin vieux pur. On donnera matin & soir, une prise du Nº. 20, dans une tasse d'infusion de fleurs de sureau; & si les digestions ne se font pas parfaitement bien, on donnera une prise de Nº. 14. Enfin cela ne suffisant pas, on aura recours à la potion Nº. 8, dont on prendra deux ou trois cuillerées par jour. Il y a des personnes très grasses, de grands mangeurs ou buveurs, des gens âgés, hommes & femmes, qui ont presque toujours les jambes enflées. Le plus souvent il seroit difficile de l'empêcher, & quelquefois dangereux. §. 496. Il se fait quelquefois des crevasses, des ouvertures, par lesquelles il sort une eau, rousse âcre; cette évacuation peut être utile; mais ces plaies sont souvent long tems sans se fermer: la gangrene même s'y met quelquefois. Le malade doit se tenir couché, ou au moins la jambe doit être soutenue horisontalement, & tenue chaudement: sa nourriture sera celle des convalescens. Il sera purgé de tems en tems avec la poudre Nº. 21. Il prendra une fois le jour une prise du Nº. 14: on mettra sur la jambe un plumaceau couvert de l'onguent Nº. 63. Les mains & le visage enflent aussi dans les mêmes cas que les jambes, mais beaucoup plus rarement, & se guérissent plus promptement: s'il y a gangrene, on appellera un Chirurgien. _Engelures._ §. 497. Il vient aux doigts des mains, des pieds, aux oreilles, aux talons, aux levres, au nez, des enfans surtout, & principalement en Hiver, quand ces extrémités sont exposées au froid, & passent subitement du chaud au froid, & du froid au chaud, une enflure ou un gonflement qui dans les commencemens paroit blanc avec peu de chaleur & de douleur; mais si l'on expose le mal au froid, il est bien-tôt accompagné de rougeur, douleur, chaleur, demangeaison, picotement, difficulté de remuer les parties attaquées, ou engourdissement. Souvent ces tumeurs se guérissent sans remedes: mais quelquefois, ou par la nature du mal, ou par la mauvaise méthode qu'on aura suivie, soit en les exposant au feu, soit en y appliquant des topiques irritans; quelquefois, dis-je, la rougeur, la chaleur augmentent, l'enflure s'enflamme, devient livide, il s'amasse une sérosité âcre, qui forme, sous la surpeau, des cloches ou vessies, & qui après avoir rongé la surpeau, paroît au-dehors; ces gersures ou crevasses dégénerent souvent en ulceres, dont il ne sort d'abord qu'une sérosité, & ensuite une espece de pus séreux en assez grande abondance. §. 498. Ceux qui ont des engelures, ou qui y sont sujets, doivent apporter toute leur attention à se garantir du froid, & surtout à en défendre les parties affectées, ou sujettes à l'être. Il faut éviter de passer subitement du froid au chaud, & du chaud au froid. Lorsque les engelures ne seront encore que des tumeurs blanches, ou peu douloureuses & peu enflammées, on fera mettre la partie malade dans une décoction de plantes aromatiques, comme sauge, romarin, lavande, &c. faite dans le vin rouge; on répétera ce bain une ou deux fois le jour, ou la fomentation aromatique Nº. 67; l'urine, le savon, la lessive de sarment peuvent servir au même usage. On couvrira l'engelure avec les emplâtres de mucilages, de savon, de Nuremberg, ou la toile préparée Nº. 64. Lorsqu'il survient aux engelures douleur, rougeur, demangeaison considérable & inflammation, on appliquera les topiques Nº. 9, ou ceux Nº. 58, 59, ou le baume tranquille; on ne fera point agir la partie malade; on usera des boissons délayantes & rafraichissantes Nº. 1, 2. §. 499. Si les engelures se crevent ou se fendent, si elles rendent du pus & dégénerent en ulceres, on emploiera les fomentations ou bains ci-dessus; on lavera l'ulcere avec une infusion de ciguë; on appliquera un plumaceau enduit de l'onguent Nº. 68, ou celui de céruse, & on recouvrira avec la toile Nº. 64. Les eaux minérales chaudes peuvent être employées en bains & fomentations répétées dans tous les états des engelures. Si les accidens des engelures étoient au point qu'ils causassent de la fiévre, il faudroit saigner une ou deux fois, & mettre le malade au régime §. 30. Lorsqu'il y a des os cariés ou de la gangrene, il faut avoir recours au Chirurgien. _Epilepsie, Mal-caduc, tomber du Haut-mal._ §. 500. Je ne parlerai de cette maladie, que pour faire connoître ce qu'on appelle accès ou attaque d'épilepsie, & pour dire ce qu'il faut faire alors. Il n'y a point de maladie plus difficile à guérir, & très souvent elle est incurable. Ceux qui en sont atteints, doivent consulter les plus habiles Médecins dès qu'ils s'en apperçoivent, les accès ne fussent-ils que très legers. L'épilepsie attaque plus les hommes que les femmes, & plutôt avant l'âge de puberté qu'après. §. 501. Les accès se reconnoissent facilement aux signes suivans: Une personne tombe subitement privée de sentiment & de connoissance, avec des convulsions violentes de toutes les parties du corps, ou de quelques-unes seulement. Elle se roule par terre avec des tremblemens des pieds, des bras, de la tête; elle tient les poings fermés, se frappe la poitrine, le ventre, & donne de la tête, des pieds & des mains contre la terre, & tous les corps qu'elle rencontre; la plûpart jettent un grand cri en tombant; la peau du front, celle de la tête, qui est couverte de cheveux, sont agitées; les cheveux se dressent, les sourcils sont dans un mouvement continuel, ils se froncent; les yeux sont fixes & hagards, ils sortent de l'orbite; les paupieres sont dans l'agitation, elles s'ouvrent & ferment alternativement; les globes des yeux roulent, ils se tournent de façon à ne laisser voir que le blanc; tous les muscles de la face étant dans un mouvement perpétuel, expriment les différentes passions; les lévres se resserrent, s'allongent; la bouche s'agrandit; la machoire inférieure s'éloigne de la supérieure, jusqu'à se déboîter; la langue s'enfle, s'allonge hors de la bouche, elle est souvent serrée entre les dents, & coupée, le grincement de dents se fait entendre; tantôt la tête se tourne, s'agite en tous sens, tantôt elle demeure immobile, droite ou penchée en devant, en arriere, sur les côtés. Les parties internes sont également agitées de convulsions; les symptômes suivants en sont des preuves. Il y a dans l'accès, vomissemens, rots, borborigmes, écoulement des urines, des excrémens, de la semence; oppression, soupirs, palpitations de coeur, salivation abondante, ronflement ou siflement, difficulté de respirer; le sang circulant très difficilement, ou étant arrêté dans le poulmon, toutes les veines qui sont apparentes grossissent, & surtout celles du cou, de la langue & du front; le visage rougit, s'enfle, devient livide & même noir; & ce qui rend le spectacle encore plus horrible, on voit sortir par la bouche & les narines, une écume très visqueuse, & sanglante assez souvent, parceque le malade a blessé sa langue avec les dents. La sortie de l'écume termine ordinairement l'accès: dès-lors tous les autres accidens diminuent, la respiration devient libre, quoique toujours bruyante; il survient un profond assoupissement qui est plus ou moins long; & lorsque le malade s'éveille, il est las, foible, triste; il ne se ressouvient point du tout de tout ce qui s'est passé pendant l'accès, mais seulement de ce qu'il faisoit immédiatement avant. Au commencement de l'attaque, le pouls est fréquent & petit; vers le milieu, il est fort, plein, dur; sur la fin, il est très foible, rare & presque insensible; en tout tems il est inégal. §. 502. Tous les épileptiques n'ont pas dans l'accès tous les symptômes que nous venons de rapporter; il y en a en qui ces symptômes sont de la derniere violence, & d'autres qui les ont bien moins forts. Les accès sont aussi plus ou moins longs, plus ou moins fréquens: on ne sauroit dire combien il y a de variété dans cette maladie. Nous avons donné la description des accès violens, parceque c'est à ceux-là seuls dans lesquels on périt, ou qui produisent de grands dérangemens, & laissent des impressions fâcheuses, ou enfin qui sont si fréquens, qu'on a à craindre l'apoplexie, qu'on est obligé de porter du secours: on n'emploie point de remede dans les autres. Voici les précautions qu'on doit prendre dans tous les accès, & ce qu'on doit faire dans ceux qui sont très violens. §. 503. On étendra le malade sur le dos, la tête & la poitrine un peu élevés, dans un lieu airé & éclairé. Pour éviter qu'il ne se frappe & ne se blesse, on le tiendra, en laissant cependant un peu de liberté pour les mouvemens convulsifs; les empêcher tout-à-fait, seroit un moyen de les redoubler. On garantira la langue d'être mordue, dans les convulsions de la machoire, en mettant entre les dents un tampon de linge ou de peau, ou un morceau de liege, auxquels on attachera un fil pour le retirer, s'il entroit dans la bouche. On fera des frictions sur le corps & les membres, on donnera, s'il est possible, des lavemens avec le sel marin ou les purgatifs, comme le sené, la gratiole ou herbe à pauvre-homme, le vin émétique, &c. On essaiera les ligatures des extrémités; on fera sentir de mauvaises odeurs, des odeurs fortes & spiritueuses. On fera mettre les pieds dans l'eau. Si le malade a le visage plombé ou noir, si ses membres se tordent, s'il est prêt d'être suffoqué, il faut faire une ou deux saignées du pied. La saignée, dit-on sans preuves, rend la maladie plus opiniâtre; mais dans plusieurs maux inévitables, il faut choisir le moindre, & dans ce cas c'est un moyen d'empêcher la rupture des vaisseaux, l'apoplexie, les inflammations, la gangrene, les fractures des membres, &c. S'il y a des foiblesses, on donnera du vin ou quelque autre cordial, & on fera respirer du vinaigre, ou des eaux spiritueuses & des odeurs fortes. _Epreintes, ou Tenesme._ §. 504. On donne ces noms aux envies continuelles, ou du moins très fréquentes, d'aller à la selle, qui ne sont point suivies des évacuations, ou dans lesquelles on ne rend que des glaires, ou une mucosité, & quelquefois du sang & même du pus. Les épreintes sont le symptôme de plusieurs maladies, comme la diarrhée, la dyssenterie, la pierre de la vessie, les vers, les hémorrhoïdes, l'abcès au fondement. En guérissant ces maux les épreintes se dissiperont, mais elles sont quelquefois maladie principale. Alors il faudra prendre plusieurs fois le jour le lavement Nº. 6, ou celui de tripes, dans lequel on aura ajouté deux têtes de pavot, faire des fomentations avec le lait, les décoctions des plantes émollientes, les infusions de la cigüe, de fleurs de sureau, la vapeur de l'eau chaude, les linimens avec le cerat, le populeum, le baume tranquille. On prendra pour boisson du petit lait, des eaux de ris, d'orge, la ptisane Nº. 2, ou le lait d'amandes Nº. 4. On purgera avec le Nº. 31, ou le Nº. 37. _Eruptions rentrées, Ecoulemens supprimés._ §. 505. On voit tous les jours dans le peuple des exemples du danger qui accompagne la rentrée des éruptions & la suppression des écoulemens qui duroient depuis quelque tems; il n'est presque point de maladie que ces accidens ne produisent; elles deviennent très difficiles à guérir, parcequ'on ne demande le plus souvent du secours que lorsqu'elles sont invétérées, qu'on fait trop peu d'attention à ces deux genres de causes, & qu'on les attribue à des choses beaucoup plus récentes; c'est pourquoi dans presque toutes les maladies, il faut demander si le malade n'étoit point sujet à quelque écoulement, n'a point eu quelque maladie de peau. §. 506. Lorsque quelque éruption, comme croûtes de lait, galles, rougeole, petite vérole, dartres, érésypelles, boutons, abcès, suintemens aux oreilles, au nez; sueurs abondantes aux aisselles, aux pieds, à la tête; en un mot, toute éruption ou écoulement habituel, lors, dis je, que ces éruptions rentrent avant que toute l'humeur que la nature préparoit à chasser par-là soit sortie, & que ces écoulemens s'arrêtent, soit que la nature n'ait plus assez de force pour continuer l'éruption & l'écoulement, ou que par un mauvais régime, ou des remedes faits mal-à-propos, on la repousse, on l'arrête; ce qui sortoit par ces moyens, se jette sur quelque partie interne du corps, & elle y produit souvent des desordres irréparables, avant qu'on s'en soit apperçu. De-là les phtisies ou suppurations au poulmon si fréquentes, les convulsions dans les enfans & les adultes, l'épilepsie, l'asthme, la difficulté de respirer, les coliques, les douleurs vagues, les dépôts dans toutes les parties du corps. §. 507. Il faut avertir tous ceux qui ont quelque éruption ou écoulement; de le favoriser, de ne rien faire qui puisse l'arrêter; & si après que cela sera arrivé naturellement, §. 418, ils se sentent quelque mal, de demander du secours; alors il faudra se tenir chaudement pour favoriser le retour de l'éruption, l'écoulement ou la transpiration; boire abondamment du thé de sureau avec le nitre; prendre deux prises par jour de la thériaque des pauvres, suivre les traitemens marqués aux articles érésypelles & dartres; se purger souvent, user d'alimens farineux, faire des frictions, employer les bains de pieds, faire sa boisson ordinaire de la ptisane Nº. 71 seule, ou coupée avec du lait; de celles Nº. 25, 74, 79; se mettre au lait de vache ou de chevre. Si le danger est prochain, on appliquera des sinapismes, ou une emplâtre vésicatoire, le plus près du mal qu'on pourra, à la nuque, entre les épaules, aux bras, aux jambes, aux pieds, ou à la partie qui étoit le siege du mal, si cela est possible. Dans le cas de galle rentrée, le plus sûr est de la redonner. Lorsque tous les remedes seront insuffisans, on emploiera les sinapismes & vésicatoires comme ci-dessus. _Etouffement, Suffocation._ §. 508. On voit tous les jours des gens sans respiration, sans pouls, sans mouvement, sans sentiment, pâles, froids, prêts à être suffoqués pour avoir respiré la vapeur du vin dans des celiers, celle du charbon allumé dans des chambres où l'air n'a pas assez de communication avec celui du dehors pour se renouveller, celle des cloaques & autres endroits où l'on remue des immondices, fumiers, eaux croupies, &c. ou qui ont été long-tems fermés. Il faut se hâter de faire respirer l'air libre, faire sentir & même avaler quelque liqueur forte, spiritueuse, ou un peu de vinaigre, secouer un peu, jetter de l'eau froide sur le visage, souffler dans la bouche en serrant le nez. Si cela ne les rappelle pas, il faut saigner au plutôt du bras, puis du pied, donner des lavemens âcres avec du tabac, de la gratiole, ou herbe au pauvre homme, faire des frictions, exciter le vomissement en chatouillant le gosier avec une plume, envelopper très chaudement les parties froides. Toutes les fois que l'on est obligé d'ouvrir un cloaque qui est resté long-tems fermé, il faut éviter de recevoir la premiere vapeur qui en sortira: elle est mortelle; & lorsqu'il est ouvert, il faut y jetter de la paille enflammée à plusieurs reprises avant d'y entrer. _Goutte remontée._ §. 509. Quoique cette maladie ne soit pas commune parmi le peuple; cependant comme on l'y rencontre quelquefois, & qu'il est des cas où elle demande les secours les plus prompts, il est à propos de savoir ce qu'il faut faire alors. Lorsqu'une personne qui a la goutte aux pieds ou aux mains, ou à quelque autre articulation, a une goutte vague, c'est-à-dire qui se fait sentir tantôt dans une partie, tantôt dans une autre; ou qui est sujette à avoir dans certain tems des accès, se trouve presque subitement attaquée de léthargie, apoplexie, mal de gorge, asthme, catharre suffoquant, douleur d'estomac, néphrétique, colique, ou autre maladie; car il n'est presque point de parties du corps sur lesquelles l'humeur de la goutte ne se jette, & elle y occasionne alors des accidens d'autant plus fâcheux, & auxquels on doit d'autant plus se hâter de porter remede que la partie affectée est plus nécessaire à la vie. §. 510. Il faut 1º. si l'on a le tems, faire mettre les pieds dans l'eau chaude plusieurs fois le jour. 2º. Faire des frictions très fréquentes. 3º. Saigner du pied. 4º. Appliquer des sinapismes Nº. 35. On appliquera le sinapisme à la partie qui étoit anciennement le siege de la goutte; & si elle étoit fixée auparavant sur quelque partie interne, ou qu'elle fût vague, on le mettra aux pieds, à moins qu'il n'y ait un danger pressant pour la vie; dans ce cas on l'appliqueroit le plus près que l'on pourroit de la partie attaquée, afin de soulager promptement, après quoi le sinapisme appliqué aux mains, aux pieds ou à la partie anciennement attaquée, y rappelleroit la goutte. On connoîtra que la goutte a quitté le lieu où elle étoit par la cessation des douleurs, des accidens & des symptômes qui auront donné lieu d'employer les remedes & par le renouvellement de la douleur, rougeur, tumeur à la partie anciennement affectée, ou à laquelle on l'aura attirée par les sinapismes. Pendant le tems des accidens, on tiendra le malade au régime; on lui donnera pour boisson un thé de sureau fort & nitré, & deux ou trois fois le jour une prise de thériaque Nº. 41, délayée dans le thé. Il faut garantir le malade du froid, & tenir bien chaudement la partie où l'on veut que la goutte revienne. _Hemorragies._ §. 511. On nomme hémorragie, la sortie du sang par quelque partie du corps que ce soit, en plus ou moins grande quantité. La cause est externe, lorsqu'un coup, une blessure, un effort, un vomitif, ou autre cause qui agit extérieurement, l'a produit; autrement elle est interne. Le plus souvent les hémorragies s'arrêtent d'elles-mêmes sans secours étrangers; il est même à propos de ne point arrêter qu'au bout d'un certain tems les hémorragies du nez, de la matrice, des hémorrhoïdes; ces évacuations sont souvent salutaires, étant ordinairement produites par la nature pour se débarrasser d'une trop grande quantité de sang; mais lorsqu'elles sont trop abondantes, qu'elles durent trop long tems, que les retours sont trop fréquens; lorsque le pouls commence à être vaillant; lorsque le visage & les lévres sont pâles & les extrémités froides, il faut diminuer l'écoulement & l'arrêter par dégrés. Quant aux hémorragies de la poitrine ou crachement de sang, pissement de sang, vomissement de sang, on ne doit pas différer à faire les remedes. Je ne parle point ici des hémorragies qui surviennent dans les fiévres aigües, surtout quand on n'a pas saigné suffisamment, ou qu'on use des remedes échauffans, ni de celles qui arrivent dans la fluxion de poitrine, dyssenterie, les plaies externes, &c. il en est parlé dans ces articles; il n'y a que le cas où elles sont extrêmes dans ces maladies, où on doive les arrêter par les moyens que je rapporterai. §. 512. Dans toutes les hémorragies, on mettra le malade au régime; on lui donnera des boissons adoucissantes, délayantes, rafraîchissantes comme le petit lait, les ptisanes Nº. 1, 2, 4, des décoctions de ris, de gruaux; elles seront au plus tiédes. Si le malade est jeune & fort échauffé, le lait d'amandes Nº. 4; la poudre Nº. 20, deux ou trois fois le jour; s'il prend des alimens, ce sera des crêmes de ris, d'orge, de gruaux & autres farineux; on tiendra le ventre libre par des lavemens simples; l'air que respirera le malade sera temperé, ou même un peu au-dessous. Il gardera le lit; il ne fera que le moins de mouvement qu'il pourra; on évitera tout ce qui peut frapper vivement ses sens & exciter quelque passion, on purgera avec le Nº. 31. Pour peu que l'hémorragie dure, il faut employer la saignée, que l'on répétera suivant l'abondance & la fréquence de l'hémorragie, observant l'état du malade que l'on saignera plusieurs fois coup-sur-coup; s'il est dans l'état décrit §. 537; si l'hémorragie actuelle a succedé à une hémorragie habituelle supprimée, & seulement dans les cas excessifs; s'il est foible, languissant, & d'une mauvaise santé; si l'hémorragie est si considérable qu'il y ait des foiblesses & danger éminent pour la vie, on donnera l'eau de Rabel depuis un gros jusqu'à deux gros, sur une pinte de ptisane. §. 513. Lorsque les hémorragies seront cessees, on demandera à un Médecin les moyens de les prévenir, ce mal étant très sujet à retour. Dans le cas où une hémorragie actuelle aura succedé à une habituelle supprimée, il est à propos, si l'écoulement supprimé étoit des hémorrhoïdes ou de la matrice, de faire la saignée au pied, à moins que ce ne fût une femme donc les regles dussent cesser §. 340. Le crachement, le vomissement de sang, les hémorrhoïdes fluantes ou non, arrivent assez souvent chez les femmes grosses, il est alors à propos de faire une saignée du bras. Nous ne dirons dans les articles des hémorragies particulieres que ce qui leur est propre, ainsi il faudra toujours relire ces généralités. _Crachement de sang._ §. 514. Le sang sort par la bouche, en toussant, seul, ou mêlé avec des crachats; il est d'un beau rouge, & souvent écumeux. Il y a chaleur, douleur, picotement à l'intérieur de la poitrine, difficulté de respirer, toux plus ou moins fréquente; le sang vient alors de vaisseaux ouverts dans les poulmons, & il faut d'autant plus se hâter d'arrêter l'hémorragie, qu'elle est abondante & fréquente. Il n'est pas nécessaire de laisser sortir autant de sang que dans quelques autres hémorrhagies. La saignée répétée coup-sur-coup, est le moyen le plus sûr: on se conduira du reste comme il est dit §. 512 & suiv. Le malade se tiendra au lit sur son séant, dans une chambre où l'air soit modérément sec & chaud; les excès de chaud & froid, de sec & d'humide, sont très nuisibles, ainsi que le passage de l'un à l'autre; il ne parlera point, voyez §. 512. Le crachement de sang étant cessé, on fera usage du lait coupé avec une infusion legere de vulnéraire Suisse, de sanicle, ou d'ortie morte. _Hémorrhoïdes._ §. 515. On a donné ce nom au gonflement des vaisseaux sanguins, qui se trouvent au bord de l'anus ou du fondement. Les hémorrhoïdes forment une ou plusieurs tumeurs plus ou moins grosses. Quand elles sont cachées dans l'intestin, & qu'elles ne paroissent qu'en allant à la selle, on les nomme internes; & on les appelle externes, lorsqu'elles sont apparentes & ne rentrent point. Les hémorrhoïdes sont ordinairement précédées de pesanteur, de douleur dans le bas ventre, de maux de tête, & accompagnées d'épreintes, de douleurs plus ou moins vives, quelquefois d'inflammation, surtout quand on marche beaucoup, qu'on va à cheval, qu'on suit un régime échauffant. Deux causes principalement donnent lieu à cette incommodité. 1º. L'obstruction du foie, & tout ce qui empêche la circulation libre du sang dans le bas ventre. Alors le malade est jaune, constipé, digere mal; dans ce cas, on suivra ce qui est dit au mot jaunisse. 2º. Un sang trop épais, trop abondant, trop échauffé par quelque cause que ce soit; tempérament ou régime, voyez §. 537, Nº. 1; il faut alors se faire saigner, user de la ptisane Nº. 2, de la poudre Nº. 20. Ces remedes deviennent indispensables pour prévenir les fistules & ulceres, quand l'on est obligé de marcher beaucoup ou de monter à cheval: quand il y a inflammation dans le cas où les hémorrhoïdes sont externes, on emploiera les topiques Nº. 19: le baume tranquille, l'onguent populeum, le cérat Nº. 64, les lavemens adoucissans en petite quantité à la fois. Les hémorroïdes que nous venons de décrire se nomment aveugles; mais très souvent elles se crevent & répandent le sang en plus ou moins grande quantité; on les appelle alors hémorrhoïdes ouvertes. Cette évacuation est presque toujours salutaire & dissipe le mal; mais si elle est excessive ou trop fréquente, voyez les signes §. 511. On fera ce qui est prescrit §. 512. _Pissement de Sang._ §. 516. Il sort du sang par la voie des urines, avec ou sans douleur; il est pur ou mêlé avec l'urine; il est fluide ou en grumeaux. Il y a très peu de cas où on ne doive chercher à arrêter cette hémorrhagie; & si on excepte quelques vieillards auxquels elle est habituelle ou périodique, & auxquels elle est salutaire, puisqu'ils se trouvent soulagés par-là de pesanteur & de douleur dans le bas ventre; il faut dans les autres cas chercher à arrêter cette hémorragie par les moyens prescrits §. 512. Si cet accident survient après la suppression des regles ou des hémorrhoïdes habituelles, il faut de tems en tems, surtout quand on sent de la douleur dans le bas-ventre, & quand on a des signes de plénitude §. 537, se faire saigner ou appliquer des sangsues aux hémorrhoïdes. _Saignement de Nez._ §. 517. Le saignement de nez qui vient soit d'une cause externe, soit d'une cause interne, s'arrête ordinairement de lui-même. Il est très ordinaire aux jeunes gens, surtout à ceux qui sont sanguins & dans l'état §. 537; alors il leur est très salutaire & les préserve de maladies inflammatoires: il n'y a que quelques cas rares où il est si abondant, & où il a des retours & si fréquens, qu'on est obligé de le faire cesser, voyez §. 511. On peut appliquer dans le tems de l'hémorrhagie des bandes aux bras & aux cuisses: si elle s'arrête, on relâchera les bandes successivement; de façon qu'on mette un quart d'heure d'intervalle entre chaque bande qu'on relâche. Ce moyen étant insuffisant, on appliquera à la nuque, au front, aux tempes, aux poignets, aux mains des linges imbibés de vinaigre. Si ces tentatives ne réussissent point, on emploiera les moyens prescrits §. 512. _Vomissement de Sang._ §. 518. On rejette, par le vomissement, du sang seul, ou mêlé avec les alimens, fluide ou en grumeaux, souvent noir, quelquefois très fétide, sans toux. Il y a douleur, pesanteur d'estomac, défaillances, inquiétudes, nausées, les selles sont ordinairement mêlées de sang. Il faut arrêter cette hémorrhagie par les moyens prescrits §. 512. on ajoutera aux boissons les sucs d'ortie, de millefeuille. Le vomissement cessé, il est à propos de donner la potion Nº. 31, pour évacuer le sang qui se corrompt dans les intestins. Cette hémorrhagie n'est pas rare dans les femmes dont les regles sont supprimées ou retardées, alors la saignée du pied est nécessaire. _Hémorragies supprimées._ §. 519. Les hémorrhagies on écoulemens sanguins, surtout ceux qui sont habituels étant arrêtés plutôt qu'ils n'auroient dû l'être, soit par la nature, soit par les remedes, soit par la faute du malade, donnent lieu à beaucoup de maladies des plus fâcheuses. On voit tous les jours après les suppressions des regles, du saignemens de nez, des hémorroïdes, survenir des inflammations au cerveau, à la gorge, à la poitrine, au bas ventre, des hémorrhagies excessives; c'est pourquoi il est nécessaire de questionner les malades sur ce sujet: s'ils sont dans le cas de la suppression, on doit saigner promptement coup sur coup, chercher à faire reparoître les hémorrhoïdes par les sangsues, les frictions, les lavemens de pieds; & les regles, par les moyens conseillés §. 337. C'est rendre un très grand service à ceux qui ont quelques écoulemens sanguins habituels de les avertir, que dans le cas de leurs suppressions, & lorsqu'ils ne se rétablissent pas bientôt, il faut de tems en tems se faire saigner, surtout s'ils se sentent dans l'état de plénitude §. 537. _Jaunisse._ §. 520. Cette maladie existe chez ceux qui ont une couleur jaune plus ou moins foncée répandue sur tout le corps, & principalement remarquable à ce qu'on nomme le blanc de l'oeil, un goût d'amertume dans la bouche, du dégoût, des urines jaunes qui teignent les linges qu'on y trempe comme feroit une teinture de saffran, des selles blanchâtres ou noires, des vomissemens bilieux. Lorsque la jaunisse a été précédée de douleurs vives surtout au foie, d'inflammation de cette partie, de passions violentes, de mouvemens convulsifs, de purgatifs, d'émétiques très violens, de poisons, de colique bilieuse, on mettra le malade au régime; on lui donnera la poudre Nº. 20 quatre fois le jour, & pour boisson beaucoup de petit lait, de lait d'amandes, des ptisanes Nº. 1, 2. On fera prendre fréquemment le lavement Nº. 6. On purgera avec le Nº. 46, de trois en trois jours. Si la jaunisse se trouve dans une personne qui a fait excès ou usé long-tems de boissons très aigres, fort acides, astringentes, de liqueurs fortes & spiritueuses; on fera usage pendant très long tems du petit lait, de lait d'amandes, d'eau de veau; on purgera de tems en tems. Si la jaunisse est venue à la suite des fievres intermittentes, ou d'autres maladies aigües ou chroniques, on donnera fréquemment un purgatif doux comme Nº. 46, la boisson sera le Nº. 3. On a parlé de la jaunisse des filles, ou pâles couleurs, §. 332. §. 521. Souvent la jaunisse est causée par des obstructions dans les vaisseaux de la bile; si cette maladie est ancienne, elle est très difficile à guérir. L'hypocondre se tend, le foie se durcit en tout ou en partie, il y a pesanteur, serrement à la région du foie, souvent une douleur sourde, quelquefois des élancemens surtout après un exercice un peu fort, après le repas, principalement quand on a beaucoup mangé & pris des choses échauffantes, on se couche difficilement sur le côté droit, l'appétit se perd, la bouche devient amere. Voyez les autres symptômes §. 520. Lorsque la maladie est venue par degrés, il faut beaucoup de tems & de remedes pour la détruire. On saignera le malade une fois, ou même deux s'il est fort & sanguin, ou dans le cas §. 537; on le mettra à l'usage du petit lait Nº. 17, des pilules Nº. 18, & de la poudre Nº. 23. On purgera avec le Nº. 46, on emploiera dans leurs saisons les sucs de plantes, & on les ordonnera, comme il est dit §. 489, 490, avec le petit lait dans des bouillons, en aposemes, en ptisanes. Les eaux de Vichy, de Plombieres, de Balaruc, seront très utiles dans cette maladie. _Inflammations._ §. 522. On a traité dans cet ouvrage de plusieurs maladies inflammatoires les plus fréquentes; il n'est pas moins nécessaire de savoir ce qu'il faut faire dans toutes les autres inflammations; leur progrès est si rapide, & le mal si difficile à réparer, que dès le moment où il y a quelques signes d'inflammations internes, & lorsqu'on ne peut avoir aussitôt le Médecin, on doit, en attendant, agir pour soulager le malade, cela est d'autant plus aisé, qu'on se trompe difficilement sur l'existence de la maladie, & que les secours sont presque toujours près des malades. Toute inflammation interne est accompagnée des symptômes suivans: une fievre aigüe & continuelle, des douleurs plus ou moins vives, suivant la sensibilité de la partie malade, & qui augmentent beaucoup lorsqu'on la touche; beaucoup de chaleur à cette partie; le pouls est dur, fréquent, pour l'ordinaire, petit & inégal, il y a souvent une tumeur, les urines sont très rouges & claires. Le malade se plaint de maux de tête, de frissons, de soif, d'insomnie, d'anxiété, de foiblesse; il sent dans le lieu du mal des battemens qui répondent aux battemens du pouls: il y a des symptômes particuliers qui caractérisent pour l'ordinaire le lieu de l'inflammation; la douleur, la chaleur y sont très grandes, & font que le malade l'indique assez exactement: si la gorge est attaquée, voyez §. 97: si c'est la poitrine, voyez §. 45, 54: si c'est l'estomac ou les intestins, voyez §. 279: si c'est la matrice, voyez §. 348: si ce sont les reins, voyez §. 479. Ce ne sont pas-là les seules inflammations internes que l'on ait occasion de voir, presque toutes les parties du corps peuvent être attaquées de ce mal. §. 523. Mais quelque soit le lieu de l'inflammation, on doit suivre à peu de chose près la même conduite dans le traitement, & on ne peut pas employer des remedes plus puissans dans toutes les inflammations, que ceux dont nous allons parler. On mettra le malade au régime §. 30; sa boisson sera le Nº. 1, 2, dont il prendra un verre toutes les demi-heures; on saignera le plutôt qu'il sera possible, coup sur coup, deux, trois fois en douze heures, & plus, si le mal est opiniâtre & ne diminue pas beaucoup. On fera prendre les lavemens Nº. 5, 6, tous les trois ou quatre heures; on appliquera les topiques Nº. 19, sur la partie qui est douloureuse & brûlante, & on les renouvellera souvent. Lorsque ces secours ont calmé le mal, on doit tenir encore trois ou quatre jours le malade au régime, crainte de rechûte. S'ils sont insuffisans par la nature du mal, ou employés trop tard, il se forme un abcès dans la partie malade, ou la gangrene s'y met. Voyez §. 60, 80, 283. _Incontinence d'urine. Diabetes._ §. 524. Les urines sortent involontairement & sans se faire sentir: cette incommodité est continuelle ou intermittente. Les enfans, les vieillards, les femmes grosses, celles qui ont été blessées dans l'accouchement, y sont sujettes. Il n'y a presque point de guérison à espérer dans les cas de paralysie ou de relâchement excessif; si la maladie est ancienne, voyez un Médecin; si on a été blessé on doit voir un Chirurgien. §. 525. Les urines qui sont si abondantes, qu'elles semblent surpasser la boisson qu'on a prise, qui ressemblent à ce que l'on a bu, qui sont crües, claires, un peu huileuses, font une autre maladie appellée _diabetes_. Il y a envie d'uriner continuelle, foiblesse, chaleur interne, sécheresse, fievre lente. On doit remédier à ces maux le plutôt qu'il est possible: on donnera des purgatifs doux répétés Nº. 11, 37, des boissons un peu adstringentes, telles que l'eau où l'on a éteint un fer ou une brique rouge; les vins très hauts en couleur; le cachou, le mastic, à la dose d'un gros dans une pinte d'eau réduite à chopine; la poudre Nº. 14. _Maladies Epidémiques._ _La Suete._ §. 526. Cette maladie se déclare ordinairement la nuit: les malades, en se réveillant, se trouvent dans des sueurs abondantes, une chaleur très grande & un accablement universel, il y a douleur de tête, d'estomac, difficulté de respirer, soif ardente, angoisse, démangeaison, le visage & tout le reste du corps sont rouges & enflammés, les yeux sont étincelans, la langue est blanche, le pouls est fréquent, plein, dur. Vers le troisieme ou quatrieme jour, la fievre augmente, il survient du délire, qui très souvent est suivi d'une éruption miliaire générale plus ou moins nombreuse; quelquefois ce sont des taches rouges si pressées, qu'on croit voir une érésypelle sur tout le corps. Lorsque la maladie est plus avancée, il paroit encore des taches pourprées semblables à des morsures de puces; d'autres fois il s'éleve sur le col, le devant de la poitrine & du bas ventre, de petites pustules transparentes remplies d'une humeur corrosive, qui sont d'un mauvais augure. Cette maladie inflammatoire emporte la plus grande partie de ceux qu'elle attaque dans les campagnes, parcequ'on augmente encore l'inflammation par le régime & les remedes échauffans, tandis qu'on doit employer les remedes & le régime rafraîchissans, sinon la gangrene se met dans les parties internes, ou des vaisseaux s'y rompent, & le malade périt ordinairement du quatrieme au cinquieme jour de sa maladie.] §. 527. Il faut mettre au régime dès le moment où la maladie s'annonce, faire une saignée ample que l'on répétera de trois en trois heures, jusqu'à ce que la fiévre, la dureté du pouls, l'ardeur, la sueur soient beaucoup diminués; on donnera quatre lavemens par jour. Le malade doit boire toutes les demi heures un verre de petit lait, dans lequel on mettra quatre fois le jour une prise du Nº. 23. Lorsque les symptômes seront en partie dissipés, on donnera le Nº. 33 pour évacuer l'estomac, après quoi on donnera tous les jours, pour entretenir le ventre libre, le Nº. 31; ou on mettra trois grains du Nº. 33, dans une pinte de petit lait, pour boisson ordinaire, au lieu du petit lait simple; en suivant ce traitement, on guérira presque tous les malades. Lorsque la fiévre sera cessée, on se conduira comme il est dit §. 223. Il n'est pas de maladies dans lesquelles il soit plus nécessaire d'observer ce qui est recommandé §. 33, 34, & il ne peut être que très utile, lorsque la foiblesse n'est pas extrême, de tenir le malade hors du lit, tous les jours une heure ou deux soir & matin. _Ergot._ §. 528. On voit très souvent regner dans les campagnes des fiévres malignes & putrides, occasionnées par la mauvaise nourriture, mais il est un mal encore plus terrible, produit par cette cause c'est la gangrene, qui dans le Berry, le Blaisois, la Sologne est épidémique lorsque l'on y mange du seigle ergoté, ou qui a l'ergot; cette altération du seigle qui n'est pas rare dans les années humides, paroit être l'effet d'une piquure d'insectes, qui forme sur le grain une petite corne ou un ergot; d'autres la regardent comme une maladie du seigle; quoi qu'il en soit, voici les accidens qui arrivent à beaucoup de ceux qui ont mangé pendant quelque tems du seigle ergoté; ils sont stupides ou hebêtés, & dans une espece d'engourdissement, leur ventre devient gonflé & tendu, ils maigrissent, ils sont jaunes & si foibles, qu'ils ne peuvent se soutenir, ils ressentent de très grandes douleurs dans les jambes jusqu'au bout des pieds, & quelquefois dans les bras; la jambe ou le bras s'engourdissent, deviennent violets, la peau est froide & la gangrene paroit aux doigts des pieds ou des mains, elle commence au centre de la partie malade, car si on ouvre à l'endroit où il y a douleur, on y trouve la gangrene qui ne paroit à la peau que lorsque tout le corps en est infecté; si l'on ne remedie promptement, le mal s'étend et tue le malade en peu de tems; souvent les membres se détâchent à l'articulation & tombent sans qu'il arrive d'hémorragie; quand le mal a été à ce point, il est rare que l'on recouvre une santé parfaite. Il s'éleve dans différens endroits du corps de petites pustules ou vessies qui se remplissent d'une eau approchante du pus très clair, le pouls est concentré ou petit, & souvent difficile à sentir, le sang que l'on tire est couenneux. §. 529. On doit recommander aux gens qui sont dans le cas d'avoir ce mal, de demander du secours aussitôt qu'ils se sentent attaqués. On fait dès-lors une ou deux saignées, elles diminuent les douleurs & les dissipent quelquefois tout-à-fait; on enveloppe la partie malade dans un linge trempé dans de l'eau de vie & du beurre frais, jusqu'à ce que la chaleur revienne, ce qui arrive ordinairement au bout de deux jours, alors on frotte cette partie avec un baume composé de trois livres d'huile d'olives, trois demi-septiers de vins, une de térébenthine, une demi livre de cire jaune, & deux onces de santal rouge; on purge ensuite, & la cure est terminée: s'il y a un commencement de gangrene, les os & les nerfs n'étant point encore endommagés, on l'arrêtera en trois ou quatre jours avec une eau composée de quatre onces d'alun calciné, trois onces de vitriol romain, & trois onces de sel, le tout dans deux pintes d'eau réduites à une; l'escare se fait aussi promptement qu'avec un bistouri, après quoi on panse avec le baume ci-dessus jusqu'à parfaite guérison. Lorsque les doigts des pieds & des mains sont gâtés & morts, l'eau ci-dessus les découvre & les détache dans les jointures, il faut alors les séparer sans attendre que la nature du mal, le fasse, & panser comme ci-dessus; dans tous les états on fera usage avec beaucoup d'avantage du Nº. 14. _Ophtalmie, inflammation des Yeux._ §. 530. Dans cette maladie, la partie de l'oeil, qui est ordinairement blanche, devient rouge, enflammée, brulante, avec douleur & picotement, l'oeil grossit, il en sort une liqueur épaisse, ou il est très sec, la lumiere & les corps brillans lui font mal. Quand le malade est un enfant, on lui lave souvent les yeux avec une infusion de sureau ou de safran, ou l'eau dans laquelle on a mis un peu de vinaigre; on le purge deux ou trois fois; si c'est un adulte, la saignée est souvent nécessaire & presque toujours très utile; quand le mal vient de trop de sang, voyez les signes §. 534; alors la saignée est le remede. Mais si le malade est dans l'état décrit §. 544, la purgation est souvent aussi efficace que la saignée dans le précédent pour dissiper le mal; la boisson sera la ptisane Nº. 1, 2. Il est à propos de se tenir au régime des convalescens, de ne point s'exposer au grand air, surtout s'il fait froid ou humide, & s'il y a du vent; on prendra garde que pendant la nuit l'air froid ne donne sur l'oeil. _Poisons._ §. 531. On appelle poisons tour ce qui étant pris intérieurement ou appliqué à l'extérieur, produit un tel effet sur le corps humain, que l'on craint les maladies ou la mort, ou des impressions qui subsistent toute la vie. Le nombre des poisons est trop grand pour les nommer ici tous, d'ailleurs c'est souvent la dose qui les rend tels. Les symptomes de poison, sont les nausées, les vomissemens, la foiblesse, les défaillances, le vertige, le tremblement, les convulsions, le hoquet, les douleurs vives de l'estomac & des intestins, le gonflement, la tension du bas ventre, les taches noires sur tout le corps, l'engourdissement, la perte de la vue, la léthargie, les sueurs froides, les extrêmités, le pouls serré, dur, fréquent, inégal, quelquefois petit & à peine sensible. Lorsqu'il n'y a que peu de tems que le poison a été avalé, il faut essayer de le faire sortir par en haut, par le vomissement que l'on excitera en chatouillant le gosier, ou en faisant boire de l'eau chaude mêlée avec de l'huile ou du beurre. S'il y a plusieurs heures, le poison peut être descendu dans les intestins: on employera alors les lavemens addoucissans, ensuite les lavemens purgatifs faits avec les décoctions Nº. 11, 22; on fera boire beaucoup d'eau de veau ou de poulet, de petit lait, de décoction de ris, d'orge, de gruaux, de miel, de graine de lin, des émulsions: lorsque le poison est assoupissant comme l'opium & ses préparations, la cigüe, le solanum, la jusquiame; on mêlera à la boisson un acide, le verjus, le jus de citron, de limon, ou le vinaigre qui est très bon & facile à trouver. Si les symptomes font craindre l'inflammation de quelque partie ou l'apoplexie, il est nécessaire de faire une ou deux saignées. Lorsque le poison pris est du sublimé corrosif on donnera le Nº. 70. §. 532. On doit mettre au nombre des personnes empoisonées celles qui ont la maladie appellée colique de peintres ou de plombiers, mais l'expérience a appris qu'il y avoit un traitement à suivre dans cette occasion bien différent de celui que l'on observe dans les autres cas de poison; le plomb, le cuivre, leurs préparations, avalés ou respirés[20] long-tems, l'usage de la bierre, du cidre, des vins très aigres sont les causes les plus communes, de cette colique. Les boissons aigres & celles qui étoient adoucies avec de la litharge ont fait voir cette cruelle maladie dans les campagnes, les premieres l'y ont rendu quelquefois épidémique: quoiqu'elle ne doive pas être comptée au nombre de celles qui sont fréquentes, le mal est si pressant & si funeste quand on n'y remedie pas de bonne-heure, & les moyens de secourir le malade si différens de ce que l'on peut imaginer, que l'on a cru devoir faire connoître cette maladie & les moyens de la guérir; [on sent une douleur gravative à la région de l'estomac, cette douleur devient ensuite fort vive & poignante, occupe toute l'étendue du bas ventre, & se répand dans la poitrine, les épaules, les lombes et l'épine du dos, il survient des envies de vomir, des vomissemens même, le ventre est souvent constipé plutôt retiré vers l'épine du dos & enfoncé que prominent ou saillant en devant, cette colique a cela de particulier, qu'une paralysie saisit par degrés les extrêmités supérieures, & quelquefois les inférieures à proportion que les douleurs diminuent, il survient souvent des convulsions & des accès d'épilepsie, la plûpart des malades n'ont point de fiévre, ou s'ils en ont, elle ressemble plutôt à une fievre lente qu'à une fiévre aigüe]. [20] Un Jardinier ayant employé de vieux bois d'un treillage peint en verd à chauffer le four où l'on cuisoit le pain, à faire le feu pour cuire le potage & autres nourritures, & à bruler dans un poèle dont on levoit le couvercle pour mettre le bois, & qui échauffoit une chambre basse habitée tout le jour par les personnes de la maison. La ceruse & le verd de gris qui furent reçus dans l'estomac avec les nourritures & dans la poitrine par la respiration produisirent plusieurs coliques de cette nature. §. 533. On donnera 1º. un lavement fait avec une décoction de quatre gros de sené & trois onces de vin émétique trouble. 2º. Sept ou huit heures après on fera prendre un autre lavement de parties égales d'huile de noix & de vin. 3º. Le lendemain on donnera le vomitif Nº. 34. 4º. Le soir après l'opération du vomitif on fait prendre un calmant composé d'un demi gros & même un gros de thériaque & un grain de laudanum. 5º. Le jour suivant on répétera le lavement & on purgera le lendemain, avec une potion composée de trois onces de sené infusés pendant douze heures dans un verre d'eau bouillante, & de deux onces de syrop de nerprun. 6º. On répétera le soir le calmant. 7º. On donne pour boisson la ptisane des bois Nº. 71. 8º. S'il y a des douleurs, si le malade est menacé de paralysie, par l'engourdissement ou difficulté dans le mouvement, on donnera des cordiaux comme l'élixir de propriété, celui de Garus, la thériaque Nº. 41, la confection hiacinthe, si ces remedes n'operent point la guérison en huit jours au plus tard, on recommencera le même traitement. _Vomissement._ §. 534. Tout le monde connoît le vomissement qui est un mouvement convulsif de l'estomac, par lequel ce qui s'y trouve en est chassé par la bouche; le plus souvent il est salutaire, parcequ'il est produit par des amas d'humeurs qui causeroient des maladies si elles restoient dans le corps, c'est pourquoi lorsqu'il y a vomissement, ou seulement nausées, on doit le faciliter en faisant boire beaucoup d'eau tiede. Lorsqu'après le vomissement il reste encore des nausées de l'amertume dans la bouche, la langue est chargée, voyez ce qu'il faut faire §. 545. DES REMEDES DE PRÉCAUTION[21]. [21] Ici recommence l'ouvrage de M. Tissot. §. 535. J'ai indiqué dans quelques endroits de cet ouvrage, les moyens de prévenir les mauvais effets de plusieurs causes de maladie, & d'empêcher le retour des maux habituels; j'ajouterai ici quelques observations, sur l'usage des principaux remedes, qu'on emploie comme des préservatifs généraux, assez régulierement dans de certains tems, & presque toujours uniquement par habitude, sans savoir si l'on a tort ou raison. Ce n'est point cependant une chose indifférente que l'usage des remedes. Il est ridicule, dangereux, criminel même, de les négliger, quand ils sont nécessaires; mais il l'est aussi d'en prendre sans nécessité. Un remede pris à propos, quand il y a dans la machine, quelque dérangement, qui occasionneroit dans peu une maladie, l'a souvent prévenue; mais ce même remede, donné à une personne bien portante, s'il ne la rend pas malade d'abord, lui laisse au moins plus de disposition aux maladies. Et l'on n'a que trop d'exemples de gens, qui, ayant malheureusement du goût pour les remedes, ont ruiné leur santé, quelque robuste qu'elle fût, par l'abus de ces dons que la Providence a faits aux hommes pour la rétablir; abus qui, lors même qu'il ne détruit pas la santé, fait que, dans la maladie, ce corps, à qui les remedes sont devenus familiers, n'en ressent presque plus les effets, & est privé, par-là du secours qu'il en auroit reçu, s'il ne s'en étoit servi que dans le besoin. _De la Saignée._ §. 536. La saignée n'est nécessaire que dans quatre cas; 1. quand il y a trop de sang. 2. Quand il y a inflammation. 3. Quand il est survenu, ou qu'il va survenir, dans le corps, quelque cause qui produiroit bientôt l'inflammation, ou quelqu'autre accident, si l'on ne désemplissoit & relâchoit pas les vaisseaux par la saignée. C'est pour cela qu'on saigne après les plaies, les contusions; qu'on saigne une femme grosse, si elle a une toux violente; qu'on saigne, par précaution, dans plusieurs autres cas. 4. Quelquefois pour appaiser une douleur excessive, qui ne dépend point cependant de trop de sang, ou d'un sang enflammé, mais qu'on calme un peu par la saignée, afin d'avoir le tems de détruire la cause par d'autres remedes. Mais comme l'on peut faire rentrer ces dernieres raisons, dans les premieres; on peut établir, que le trop de sang, & un sang enflammé sont les deux seules causes nécessaires de la saignée. §. 537. L'on connoit l'inflammation du sang, par les symptomes qui accompagnent les maladies que cette cause produit. J'en ai parlé, & j'ai en même tems déterminé l'usage de saignée dans ces cas. J'indiquerai ici les symptomes qui font connoître qu'on a trop de sang. C'est 1. le genre de vie qu'on méne. Si l'on mange beaucoup, si l'on mange des alimens succulens, & surtout beaucoup de viande, si l'on boit des vins nourrissans, si en même-tems l'on digere bien, si l'on se donne peu de mouvement, si l'on dort beaucoup, si l'on n'est sujet à aucune évacuation abondante on doit croire qu'on a beaucoup de sang. L'on voit que toutes ces causes se trouvent rarement chez le paysan, si l'on en excepte la diminution de mouvement pendant quelques semaines de l'hiver, qui peut effectivement contribuer à former plus de sang qu'à l'ordinaire. Il ne vit, le plus souvent, que de pain, de végétaux, & d'eau; choses peu nourrissantes. Une livre de pain, ne fait peut-être pas plus de sang, chez la même personne, qu'une once de viande, quoique le préjugé général établisse le contraire. 2. La cessation de quelque hémorrhagie à laquelle on étoit accoutumé. 3. Un pouls plein & fort; des veines bien marquées dans un sujet qui n'est pas maigre. Un teint assez rouge. 5. Un engourdissement extraordinaire; un sommeil plus profond, plus long, moins tranquille qu'à l'ordinaire; une facilité non accoutumée à se lasser après quelque mouvement ou quelque travail; un peu d'oppression en marchant. 6. Des palpitations, accompagnées quelquefois d'un abattement total, & même d'une legere défaillance, surtout quand on est dans des endroits chauds, ou qu'on a pris beaucoup de mouvement, 7. Des vertiges, surtout quand on baisse & qu'on releve tout-à-coup la tête, & après le sommeil. 8. Des maux de tête fréquens auxquels on n'est point sujet, & qui ne paroissent point dépendre du dérangement des digestions. 9. Un sentiment de chaleur, assez généralement répandu par tout le corps. 10. Une espece de démangeaison piquante & générale dès qu'on a un peu chaud. 11. Des hémorragies fréquentes, qui soulagent. Mais il faut bien se garder de décider sur un seul de ces symptomes; il faut le concours de plusieurs, & s'assurer qu'ils ne dépendent point de quelque cause très différente, & toute opposée au trop de sang. Quand par ces symptomes, on s'est assuré que ce trop existe réellement, on fait alors, avec grand succès, une saignée ou même deux. Il est égal dans quelle partie on la fait. §. 538. Quand ces circonstances ne se trouvent pas, la saignée n'est pas nécessaire. Et l'on ne doit jamais la faire dans les cas suivans, à moins qu'il n'y ait des raisons particulieres, très fortes, dont les seuls Medecins peuvent juger. 1. Quand l'âge est très avancé, ou qu'on est dans la premiere enfance. 2. Quand la personne est naturellement d'un tempérament foible, ou qu'elle a été affoiblie par des maladies, ou par quelqu'autre accident. 3. Quand le pouls est petit, mol, foible, intermittent, que la peau est pâle. 4. Quand les extrêmités du corps sont souvent froides, & enflées avec mollesse. 5. Quand on mange peu depuis long-tems, ou des alimens peu succulens, & qu'on dissipe beaucoup. 6. Quand on a, depuis long-tems, l'estomac dérangé, que la digestion se fait mal, que par-là même il se forme peu de sang. 7. Quand on a quelque évacuation considérable, par des hémorrhagies quelconques, ou la diarrhée, les urines, les sueurs. Quand les crises d'une maladie sont déja faites par quelqu'une de ces voies. 8. Quand on est dès long-tems dans une maladie de langueur, & qu'on a beaucoup d'obstructions, qui empêchent la formation du sang. 9. Quand on est épuisé, quelle qu'en soit la cause. 10. Quand le sang est pâle & dissout. §. 539. Dans tous ces cas, & dans quelques autres moins fréquens, une seule saignée, jette souvent dans un état absolument incurable, & les maux qu'elle fait ne se réparent point. Il n'est que trop aisé d'en trouver des exemples. Dans quelque état que ce soit, quelque robuste que soit le sujet, si la saignée n'est pas nécessaire, elle nuit. Les saignées réiterées, affoiblissent, énervent, vieillissent; diminuent la force de la circulation, & par là engraissent d'abord; ensuite en affoiblissant trop, & en détruisant enfin les digestions, jettent dans l'hydropisie. Elles dérangent la transpiration, & par-là, rendent catharreux. Elles affoiblissent le genre nerveux, & par-là, rendent sujets aux vapeurs, à l'hypocondrie, à tous les maux de nerfs. L'on n'apperçoit point d'abord le mauvais effet d'une saignée; au contraire, quand elle n'est pas assez considérable pour affoiblir sensiblement, elle paroit donner du bien être; mais, je le répéte, il n'en est pas moins vrai, que quand elle n'est pas nécessaire, elle est nuisible, & qu'on ne doit jamais se faire saigner par jeu. L'on a beau dire, que quelques jours après l'on a plus de sang, c'est-à-dire, l'on est plus pesant qu'auparavant, & qu'ainsi le sang est bien vite réparé. Le fait est vrai; mais ce fait même, cette augmentation de poids après la saignée, dépose contr'elle; c'est une preuve que les évacuations naturelles se sont moins bien faites, & qu'il est resté dans le corps des humeurs, qui dévoient en sortir. L'on a bien la même quantité de sang & au-delà; mais ce n'est point un sang bien travaillé; & cela est si vrai, que, si la chose étoit autrement, si quelques jours après la saignée on avoit une plus grosse quantité de sang semblable, on pourroit démontrer, que quelques saignées jetteroient nécessairement un homme robuste dans une maladie inflammatoire. §. 540. La quantité de sang qu'on doit tirer dans une saignée de précaution, à un homme fait, est de dix onces. §. 541. Les personnes sujettes à faire trop de sang, doivent éviter avec soin toutes les causes qui peuvent l'augmenter (voyez §. 537 Nº. 1). Et quand elles sentent que le mal commence, elles doivent se mettre à une diete très frugale, de legumes, de fruits, de pain & d'eau; prendre quelques bains de pied tiedes, faire usage, soir & matin, de la poudre Nº. 20; boire de la ptisane Nº. 1; peu dormir, prendre beaucoup d'exercice. En prenant ces précautions, ou elles pourront se passer de la saignée, ou, si elles sont également obligées de la faire, elles en augmenteront & elles en prolongeront l'effet. Ces mêmes moyens servent aussi à éloigner tout le danger qu'il peut y avoir à omettre une saignée à l'époque ordinaire, quand l'habitude en est déja invéterée. §. 542. L'on voit, en frémissant, que quelques personnes sont saignées, dix-huit, vingt, vingt-quatre fois dans deux jours; d'autres quelques centaines de fois dans quelques mois. Ces observations prouvent, à coup sûr, toujours l'ignorance du Medecin ou du Chirurgien; & si le malade en réchappe on doit admirer les ressources de la Nature, qui ne succombe pas sous tant de coups meurtriers. §. 543. L'on a dans les campagnes, un préjugé très faux; c'est que la premiere saignée sauve la vie. Il n'y a pour se convaincre de sa fausseté, qu'à vouloir regarder, & l'on verra tous les jours le contraire, & plusieurs personnes mourir après la premiere saignée qu'on leur fait. Si ce principe étoit vrai, il seroit impossible que personne mourut de sa premiere maladie, ce qui arrive journellement. Il est important de détruire cette prévention, parcequ'elle a des influences facheuses. La foi qu'on a à cette saignée, fait qu'on veut la garder pour les grands dangers, & on la differe tant que le malade n'est pas fort mal, dans l'espérance que si l'on peut s'en passer, on la conservera pour une autre occasion. Cependant le mal empire, on saigne, mais trop tard, & j'ai l'exemple de plusieurs malades, qu'on a laissé mourir, afin de réserver la premiere saignée pour un cas plus important. _Des Purgations._ §. 544. L'on purge ou par le vomissement, ou par les selles. Cette derniere voie est beaucoup plus naturelle que la premiere, qui ne se fait que par un mouvement violent & extraordinaire. Il y a cependant quelques cas qui exigent le vomissement; mais excepté ces cas-là, (j'en ai déja indiqué quelques-uns), il faut se contenter des remedes qui purgent par les selles. §. 545. Les signes qui font connoître qu'on a besoin de purger, sont 1º. un mauvais goût à la bouche le matin, surtout un goût amer, la langue, les dents sales. Des raports désagréables, des vents, des gonflemens. 2º. Des envies de vomir à jeun, & même quelquefois dans le reste du jour, supposé qu'elles ne dépendent point d'une grossesse, ou de quelqu'autre maladie, dans laquelle les purgatifs seroient inutiles ou nuisibles. 3º. Des vomissemens de matieres ameres ou corrompues. 4º. Un sentiment de pesanteur dans l'estomac, aux reins, aux genoux. 5º. Un manque d'appetit, qui s'accroît peu à peu, sans fiévre, & qui dégénere en dégoût, & quelquefois fait trouver un mauvais goût à ce qu'on mange. 6º. Un manque de forces, accompagné quelquefois d'inquiétude, de mauvaise humeur, de tristesse. 7º. Des maux d'estomac, souvent des maux de tête ou des vertiges, quelquefois des assoupissemens qui augmentent après le repas. 8º. Des coliques, de l'irrégularité dans les selles, qui sont quelquefois trop abondantes & trop liquides pendant plusieurs jours, après lesquels il survient une constipation opiniâtre. 9º. Le pouls moins réglé & moins fort qu'à l'ordinaire, quelquefois intermittent. §. 546. Quand ces symptômes, ou quelques-uns de ces symptômes font connoître le besoin de purger chez une personne qui n'est attaquée d'aucune maladie décidée (car je ne parle point de purgatifs dans ce cas), on peut lui donner quelque remede propre à produire cet effet. Le mauvais goût & les raports continuels, les envies fréquentes de vomir, les vomissemens même, la tristesse indiquent qu'un remede émétique sera utile; mais quand ces accidens n'ont pas lieu, il faut s'en tenir aux purgatifs, qui sont particulierement indiqués par les maux de reins, les coliques, la pesanteur dans les genoux. §. 547. L'on ne doit point purger ni donner l'émétique 1º. toutes les fois que les maladies viennent de foiblesse ou d'épuisement. 2º. Quand il y a une sécheresse générale, un grand échauffement, de l'inflammation, une forte fiévre. 3º. Quand la nature est occupée de quelqu'autre évacuation salutaire. Ainsi on ne purge point pendant des sueurs critiques, pendant les regles, pendant un accès de goutte. 4º. Dans des obstructions invétérées, que les purgatifs ne peuvent pas détruire, & qu'ils augmentent. 5º. Quand les nerfs sont extrêmement affoiblis. §. 548. L'on ne doit point non-plus donner l'émétique dans tous les cas dont je viens de parler; mais comme il produit des effets différens des purgatifs, il y a d'autres cas dans lesquels on peut purger, & non-pas faire vomir. Ces cas sont 1º. une grande quantité de sang (voyez §. 537); parceque pendant les efforts qu'on fait pour vomir, la circulation se fait beaucoup plus fortement, & les vaisseaux de la tête & de la poitrine se remplissant extrêmement de sang, pourroient se rompre; ce qui tueroit sur le champ, comme il est arrivé plus d'une fois. On ne doit point, 2º. par la même raison, l'ordonner à ceux qui sont sujets à des saignemens de nez, à des crachemens ou à des vomissemens de sang, aux femmes qui ont des pertes. 3º. Il nuiroit à ceux qui ont des hernies. 4º. Aux femmes grosses. §. 549. Les purgatifs souvent réitérés, ont les mêmes inconvéniens que les fréquentes saignées. Ils ruinent les digestions, l'estomac ne fait plus ses fonctions, les intestins deviennent paresseux, & l'on est sujet à des coliques très violentes. Le corps ne se nourrit pas, la transpiration se dérange, il survient des fluxions, des maux de nerfs, une langueur générale, & l'on vieillit long-tems avant le tems. L'on fait un tort irréparable à la santé des enfans par les purgatifs pris mal-à-propos. Ils les empêchent d'acquérir toutes leurs forces; souvent ils dérangent leur crüe, ils ruinent les dents, jettent les jeunes filles dans les oppilations, & quand elles en sont déja atteintes, ils les rendent plus opiniâtres. C'est un préjugé trop généralement reçu, qu'il faut purger quand on n'a pas d'appétit. Cela est faux très souvent, & la plûpart des causes qui détruisent l'appétit ne peuvent point être enlevées par la purgation; il y en a plusieurs qu'elle augmente. Les personnes dans l'estomac desquelles il se forme beaucoup de glaires, croient se guérir par les purgatifs, qui paroissent en effet les soulager d'abord; mais c'est un soulagement passager & trompeur. Ces glaires viennent de la foiblesse de l'estomac, & les purgatifs l'augmentent; ainsi quoiqu'ils enlevent une partie des glaires formées, il y en a au bout de quelques jours plus qu'auparavant; & en réitérant les purgatifs, le mal est bientôt incurable, & la santé perdue. L'on guérit par des remedes tout opposés. Ceux du Nº. 14, 36, sont très utiles. L'usage des stomachiques préparés avec l'eau-de-vie, l'esprit de vin, l'eau de cérise, est toujours dangereux, & malgré le soulagement que ces remedes procurent d'abord dans quelques maux d'estomac, ils détruisent réellement peu à peu cet organe, & l'on voit tous ceux qui s'accoûtument aux liqueurs, tout comme les grands buveurs, finir par ne faire aucune digestion, & mourir hydropiques. §. 550. L'on peut souvent se passer d'émétique ou de purgatifs, lors même qu'ils paroissent nécessaires, en se retranchant un repas par jour pendant quelque tems; en se privant de tous les alimens nourrissans, & surtout de ceux qui sont gras; en buvant beaucoup d'eau fraîche, & en prenant plus d'exercice qu'à l'ordinaire. Ces moyens servent à surmonter, sans purgation, les différens mal-aises qu'on éprouve souvent à l'époque où l'on avoit accoûtumé de se purger. §. 551. Les remedes Nº. 33 & 34, sont les émétiques les plus sûrs. La poudre Nº. 21, est un bon purgatif, quand il n'y a point de fiévre. Les doses marquées conviennent pour un homme fait, d'un tempérament vigoureux. Il s'en trouve cependant quelquefois pour qui ces doses seroient insuffisantes, on peut les augmenter d'un tiers, ou d'un quart; mais si alors elles n'operent pas, il faut bien se garder de doubler & de tripler comme on le fait quelquefois sans réussir à purger, & au risque de tuer le malade, comme il est arrivé souvent. L'on doit, dans ces cas, donner de grandes doses de petit lait miellé, ou d'eau tiede, dans un pot de laquelle on met une once, ou une once & demie de sel de cuisine, & on boit cette dose à petits coups en se promenant. Les montagnards qui ne vivent presque que de lait, ont des fibres si peu sensibles, qu'il faut pour les purger, des doses qui tueroient tous les paysans de la plaine. Il y a dans les montagnes du Valais, des hommes qui prennent tout à la fois jusqu'à vingt, & même vingt-quatre grains de verre d'antimoine, dont un grain ou deux suffiroient pour empoisonner des personnes ordinaires. §. 552. Quand on est commandé par une maladie pressante, on purge en tout tems & à toute heure. Quand on est à peu près maître du tems, il faut éviter les saisons extrêmes; c'est-à-dire les très grandes chaleurs, ou les très grands froids, & se purger le matin, afin que les remedes ne trouvent pas d'embarras dans l'estomac. Toute autre considération, relativement aux astres ou à la Lune, est ridicule & dénuée de tout fondement. Le peuple redoute les remedes pendant la canicule; si c'étoit par la raison de la chaleur, il seroit pardonnable; mais c'est par un préjugé astrologique d'autant plus ridicule aujourd'hui, que les jours caniculaires sont éloignés de trente-six jours de ceux auxquels on donne ce nom. §. 553. Quand on veut prendre un émétique, ou se purger, il faut s'y préparer au moins vingt-quatre heures d'avance, en ne prenant que peu d'alimens, & en buvant quelques verres d'eau tiéde, ou de quelque thé d'herbes. Après avoir pris l'émétique, il ne faut boire que quand il commence à agir; mais alors il faut avaler des torrens d'eau tiede, ou ce qui vaut mieux, de thé de camomille extrêmement leger. Après les purgations, on est en usage de prendre du bouillon pendant qu'elles agissent. De l'eau tiede sucrée ou miellée, ou un thé de fleurs de chicorée seroient quelquefois plus convenables. §. 554. Comme l'estomac souffre toutes les fois qu'on prend l'un ou l'autre de ces remedes, il faut se ménager pendant quelques jours, après les avoir pris, tant pour la quantité que pour la qualité des alimens. §. 555. Je ne parlerai point de quelques autres remedes de précaution, bouillons, petit lait, eaux, &c. ils ont peu d'usage parmi le peuple. Je me bornerai à cette remarque générale; c'est que quand on prend ces remedes, il faut avoir un régime assortissant & qui concoure au même effet. On prend ordinairement le petit lait pour se rafraîchir, & l'on s'interdit, pendant qu'on le boit, les légumes, les fruits, la salade; l'on ne prend que les meilleures viandes, des jardinages au bouillon, des oeufs; c'est détruire par les alimens qui échauffent, le bien qu'on attend du petit lait qui rafraîchit. L'on veut se rafraîchir par des bouillons, & l'on y met des écrevisses, qui échauffent puissamment, ou du cresson, qui échauffe aussi; c'est manquer son but. Heureusement dans ce cas, une erreur en répare souvent une autre, & ces bouillons, qui ne sont pas rafraîchissans, font beaucoup de bien, parceque la cause des accidens ne demandoit pas des rafraîchissans, comme on l'avoit cru. La médecine du public, qui malheureusement n'est que trop suivie, est remplie de pareilles erreurs. J'en citerai encore une, parceque j'en ai vu de funestes suites. Beaucoup de gens croient le poivre rafraîchissant, quoique leur odorat, leur goût & leur raison leur disent le contraire; c'est l'aromate le plus échauffant. §. 556. Le préservatif le plus sûr, le plus à la portée de tout le monde, c'est d'éviter tous les excès, & surtout ceux dans le manger & dans le boire. L'on mange généralement plus qu'il ne faut pour se bien porter & pour avoir toutes les forces dont on est capable; mais l'habitude est prise, il est difficile de la déraciner. On devroit au moins s'imposer la loi de ne manger que par faim, & jamais _par raison_; parcequ'il n'y a jamais de raison _à manger par raison_. Une personne sobre est capable de travaux, je dirois même d'excès en différens genres, dont les gens qui mangent plus, sont absolument incapables. La seule sobriété guérit des maux presqu'incurables, & rétablit les santés les plus ruinées. DES CHARLATANS ET DES MAIGES. §. 557. Il me reste à parler d'un fleau, qui fait plus de ravages, que tous les maux que j'ai décrits, & qui, tant qu'il subsistera, rendra inutiles toutes les précautions qu'on prendra pour la conservation du peuple; ce sont les Charlatans. J'en distinguerai de deux especes; les Charlatans passans, & ces faux Medecins de villages, tant mâles que femelles, connus dans quelques pays sous le nom de _Maîges_, & qui le dépeuplent sourdement. Les premiers, sans visiter des malades, débitent des remedes dont quelques uns ne sont qu'extérieurs, & souvent ne font point de mal; mais les intérieurs sont quelquefois pernicieux. J'en ai vu les effets les plus cruels; & il ne passe point de ces misérables, dont l'entrée au pays ne coute la vie à quelqu'un de ses habitans. Ils nuisent encore d'une autre façon; en emportant une grande quantité d'argent comptant, & en enlevant annuellement, quelques milliers de francs, à cette partie des habitans, pour qui l'argent est le plus précieux. J'ai vu, avec douleur, le laboureur & l'artisan, dénués des secours les plus nécessaires à la vie, emprunter, de quoi acheter cherement le poison destiné à combler leur misere, en aggravant leurs maux, & souvent en les jettant dans des maux de langueur, qui réduisent toute une famille à la mendicité. §. 558. Un homme ignorant, fourbe, menteur, & impudent, séduira toujours le peuple grossier & crédule, incapable de juger de rien, de rien apprécier, qui sera éternellement la dupe de quiconque aura la bassesse de chercher à éblouir ses sens, & qui, par-là même, sera friponné par les Charlatans, tant qu'on les tolerera. Mais le Magistrat, son tuteur, son protecteur, son pere, ne devroit-il pas le soustraire à ce danger, en prohibant séverement l'entrée de ce pays, où les hommes sont précieux; & l'argent rare, à des hommes pernicieux, qui détruisent les uns, & emportent l'autre, sans pouvoir jamais y faire le plus petit bien. Des raisons aussi fortes peuvent-elles permettre de différer plus long tems leur exil, puisqu'il n'y a pas la plus petite raison de les admettre. §. 559. Les Maîges, n'emportent pas, il est vrai, l'argent du pays, comme les Charlatans passans; mais le ravage qu'ils font parmi les hommes, est continuel, & par-là même immense; & chaque jour de l'année est marqué par le nombre de leurs victimes. Sans aucune connoissance quelconque, sans aucune expérience, armés de trois ou quatre remedes, dont ils ignorent aussi profondement la nature, que celle des maladies dans lesquelles ils les emploient, & qui, étant presque tous violens, sont véritablement un glaive dans la main d'un furieux, ils empirent les maux les plus legers, & rendent à coup sûr mortels ceux qui sont un peu plus forts, mais qui se seroient guéris, si on les eût abandonnés à la nature; à plus forte raison, s'ils avoient été bien traités. §. 560. Le Brigand, qui assassine au milieu d'un grand chemin, laisse au moins la double ressource, de se défendre, & d'être secouru; mais l'empoisonneur, qui surprend la confiance du malade, & le tue, est cent fois plus dangereux, & aussi punissable. L'on signale les bandes de voleurs; qui s'introduisent dans le pays: il seroit à souhaiter qu'on eût un rôle de tous ces faux Medecins de l'un & de l'autre sexe, & qu'on en publiât la description la plus exacte, accompagnée de la liste de leurs exploits sanglans. L'on inspireroit peut-être par-là, une frayeur salutaire au peuple, qui ne s'exposeroit plus à être la victime innocente de ces bourreaux. §. 561. Son aveuglement sur cette double espece d'êtres malfaisans, est inconcevable. Celui qu'il a en faveur des Charlatans, l'est cependant moins; parceque ne les connoissant pas, il peut leur supposer une partie des talens & des connoissances qu'ils s'arrogent. Il faut donc l'avertir, & on ne peut trop le lui redire, que, malgré l'appareil pompeux dont quelques uns se parent, ce sont toujours des hommes vils, qui, incapables de gagner leur vie par aucun travail honnête, ont fondé leur subsistance sur leur propre impudence & son imbécille crédulité; qu'ils sont dénués de toute connoissance quelconque; que leurs titres & leurs patentes sont sans aucune autorité, parceque, par un misérable abus, ces actes sont devenus une denrée de commerce, qu'on obtient à très vil prix, tout comme le surtout galonné qu'ils achetent à la friperie; que leurs certificats de cure sont chimeriques ou faux, & qu'enfin, quand sur le nombre prodigieux de gens qui prennent leurs remedes, il y en auroit quelques uns de guéris, & il est presque physiquement impossible que cela n'arrive pas, il n'en seroit pas moins vrai, que c'est une espece destructive. Un coup d'épée dans la poitrine, en perçant un abcès, sauva un homme, que ce mal auroit tué; les coups d'épée n'en sont pas moins mortels. Il n'est point étonnant même, que ces gens là (je dis la même chose des Maîges), qui tuent des milliers de gens, que la nature seule, ou aidée des secours de la Medecine, auroit sauvés, guérissent, de tems en tems, un malade qui a été entre les mains des plus habiles Medecins. Souvent les malades de l'ordre de ceux qui vont consulter les gens de cet acabit, soit qu'ils ne veuillent pas s'astreindre au traitement qu'exige leur maladie, soit que, rebuté par leur peu de docilité, le Medecin ne leur continue pas ses conseils, vont chercher des gens qui leur promettent une guérison prompte, & hazardent des remedes qui en tuent plusieurs, & en guérissent un, qui se trouve la force de résister, un peu plus vite que ne l'auroit fait un Medecin. Il ne seroit que trop aisé de se procurer, dans toutes les Paroisses, des catalogues qui mettroient sous les yeux, la vérité de toutes ces propositions. §. 562. Le crédit de ce Charlatan de foire, que cinq ou six cens paysans entourent, _grands yeux ouverts, gueule béante_, qui se trouvent fort heureux qu'il veuille bien leur friponner leur nécessaire, en leur vendant, quinze ou vingt fois au-delà de sa valeur, un remede, dont la plus grande qualité seroit d'être inutile; son crédit, dis-je, tomberoit bientôt, si l'on pouvoit persuader à chacun de ses auditeurs, ce qui est exactement vrai, qu'à un peu de souplesse près dans la main, il en fait tout autant que lui; & que, s'il peut acquérir son impudence, il aura dans un moment la même réputation, & méritera la même confiance. §. 563. Si le peuple raisonnoit, il seroit aisé de le désabuser; mais ceux qui le conduisent doivent raisonner pour lui. J'ai déja prouvé le ridicule de sa confiance aux Charlatans proprement dits. Celle qu'il a pour les Maîges est encore plus insensée. L'art le plus vil s'apprend; l'on n'est savetier, l'on ne raccommode de vieux morceaux de cuir, que quand on a fait un apprentissage; & l'on n'en fera point pour l'art le plus nécessaire, le plus utile, le plus beau. L'on ne confie une montre pour la raccommoder, qu'à celui qui a passé bien des années à étudier comment elle est faite, & quelles sont les causes qui la font bien aller, & qui la dérangent; & l'on confiera le soin de raccommoder la plus composée, la plus délicate & la plus précieuse des machines, à des gens qui n'ont pas la plus petite notion de sa structure, des causes de ses mouvemens, de celles de ses dérangemens, & des instrumens qui peuvent la rétablir. Qu'un soldat chassé de son régiment, à cause de ses coquineries, ou qui a deserté par libertinage, qu'un banqueroutier, qu'un ecclésiastique flétri, qu'un barbier ivrogne, qu'une foule d'autres personnages aussi vils, viennent afficher qu'ils remontent les bijoux dans la perfection; s'ils ne sont pas connus, si l'on ne voit pas de leur ouvrage, si l'on n'a pas des témoignages authentiques de leur probité & de leur habileté, personne ne leur confiera pour quatre sols de pierres fausses; ils mourront de faim. Mais qu'au lieu de se faire Jouailliers, ils s'affichent Médecins, on achetera très cherement le plaisir de leur confier sa vie, dont ils ne tarderont pas à empoisonner les restes. §. 564. Les plus grands Médecins, ces hommes rares, qui, nés avec les plus heureux talens, ont éclairé leur esprit dès leur plus tendre enfance, qui ont cultivé ensuite avec soin toutes les parties de la physique, qui ont sacrifié les plus beaux momens de leur vie à une étude suivie & assidue du corps humain, de ses fonctions, des causes qui peuvent les empêcher, & de tous les remedes, qui auront surmonté le désagrément de vivre dans les hôpitaux, parmi des milliers de malades, qui auront réuni à leurs propres observations, celles de tous les tems & de tous les lieux; ces hommes rares, dis-je, ne se trouvent pas même tels qu'ils voudroient être, pour se charger du précieux dépôt de la santé humaine: & on le remettra à des hommes grossiers, nés sans talens, élevés sans culture; qui souvent ne savent pas même lire, qui ignorent tout ce qui a quelque rapport à la médecine, aussi profondement que les moeurs des Sauvages asiatiques; qui n'ont veillé que pour boire, qui souvent ne font cet horrible métier que pour fournir à leur boisson, & ne l'exercent que dans le vin; qui ne se sont fait Medecins que parcequ'ils étoient incapables d'être quelque chose! Une telle conduite paroîtra, à tout homme sensé, le comble de l'extravagance. Si l'on entroit dans l'examen des remedes qu'ils emploient, si on les comparoit aux besoins du malade à qui ils les ordonnent, on seroit saisi d'horreur, & l'on gemiroit sur le sort de cette infortunée partie du genre humain, dont la vie, si importante à l'Etat, est misérablement confiée aux plus meurtriers des êtres. §. 565. Quelques-uns d'eux, sentant bien le danger de l'objection tirée du manque d'études, ont cherché à la prévenir, en répandant parmi le peuple, un préjugé qui n'est que trop accredité aujourd'hui; c'est que leurs talens pour la medecine, sont un don surnaturel, fort supérieur par là même, à toutes les connoissances humaines. Ce n'est point à moi à montrer l'indécence, le crime, l'irreligion d'une telle fourberie; ce seroit empiéter sur les droits de Messieurs les Pasteurs; mais qu'il me soit permis de les avertir, que cette branche de superstition ayant les suites les plus cruelles, mérite toute leur attention; & en général, il seroit d'autant plus à souhaiter, qu'on combattît la superstition, qu'un esprit imbu de préjugés faux, n'est pas propre à recevoir une doctrine véritable. Il y a des scélerats, qui espérant de s'accréditer par la crainte autant que par l'espérance, ont poussé l'horreur jusques à laisser douter, s'ils tenoient leur puissance du Ciel ou de l'Enfer. Voilà les hommes qui disposent de la vie des autres. §. 566. Un fait que j'ai déja indiqué, & qu'on n'expliquera jamais, c'est l'empressement du paysan à se procurer les meilleurs secours pour ses bêtes malades. Quelque éloigné que soit le _Medecin veterinaire_, ou l'homme qu'on croit tel, (car malheureusement il n'y en a point dans ce pays) s'il a beaucoup de réputation, il va le consulter, ou le fait venir à tout prix. Quelque couteux que soient les remedes qu'il indique, s'ils passent pour les meilleurs, il se les procure. Mais dès qu'il s'agit de lui, de sa femme, de ses enfans, il se passe de secours, ou se contente de ceux qui s'offrent sous sa main, quelque pernicieux qu'ils soient, sans en être moins couteux; car c'est une injustice criante, que les sommes extorquées par quelques Maîges, ou aux patiens, ou, plus souvent à leurs héritiers. §. 567. Je ne m'étendrai pas plus long-tems sur cette matiere, l'amour de l'humanité m'a forcé à en dire quelque chose; elle mériteroit d'être traitée plus au long, & elle est de la plus grande conséquence. Il n'y a que les Medecins qui pussent se tranquilliser sur cet horrible abus, s'ils n'étoient animés que par des vues d'intérêts; puisque les Maîges diminuent le nombre des consultans du peuple, qui ne sont pour eux qu'une occupation pénible. Mais quel est le Medecin assez vil, pour vouloir acheter quelques heures de tranquillité à un prix aussi cher & aussi odieux. §. 568. J'ai montré le mal, je souhaiterois de pouvoir indiquer des remedes sûrs, mais cela est difficile. Le premier, c'est peut-être d'avoir fait connoître le danger. Le second, & sans contredit le plus efficace, est celui dont j'ai déja parlé; n'admettre aucun Charlatan passant, & chasser tous les Maîges. Un troisieme moyen, ce seroit des instructions pastorales sur cette objet. La conduite du peuple à cet égard est un vrai suicide, & il seroit important de l'en convaincre. Mais l'inefficacité des exhortations réflechies les plus fortes sur tant d'autres articles, ne fait-elle point craindre le même sort pour celles ci. L'usage a décidé qu'il n'y a aujourd'hui de vice, qui exclut du titre & de la considération d'honnête homme, que le vol ouvert & caractérisé; & cela par cette raison simple, c'est que nous tenons à nos biens plus qu'à toute autre chose; l'homicide même est honnête dans un très grand nombre de cas; peut-on espérer de persuader qu'il y a du crime à confier sa santé à des empoisonneurs, sous l'espérance de guérison. Un remede plus sûr, ce seroit de faire sentir au peuple, ce qui est fort aisé, qu'il lui en coutera moins pour être bien soigné, que pour l'être mal. L'appas du bon marché le ramenera beaucoup plus surement que l'aversion du crime. Le quatrieme, qui ne seroit surement pas inutile, ce seroit de retrancher des almanachs ces regles de medecine astrologique, qui contribuent continuellement à entretenir des préjugés dangereux dans une science, dans laquelle les plus petites erreurs sont funestes. Que de paysans morts pour avoir differé, rejetté, ou mal placé une saignée dans une maladie aigüe, parceque l'almanach le vouloit ainsi. N'est-il point à craindre, pour le dire en passant, que la même cause ne nuise à leur oeconomie; & qu'en consultant la Lune, qui n'a aucune influence, ils ne négligent les attentions relatives aux autres circonstances, qui en ont beaucoup. Un cinquieme remede, seroit l'établissement d'hôpitaux pour les malades, dans les différentes villes du pays. Il y a un grand nombre de moyens aisés, pour les fonder & les entretenir, presque sans nouvelles dépenses, & les avantages qui en résulteroient seroient immenses; d'ailleurs, quelque considérables que fussent les dépenses, en est-il de plus importantes? Elles sont sans doute de devoir; & l'on ne tarderoit pas à s'appercevoir qu'elles rapportent un intérêt réel, plus fort qu'on ne pourroit l'esperer d'aucun autre emploi de l'argent. Il faut, ou admettre que le peuple est inutile dans un Etat, ou convenir qu'il faut pourvoir aux soins de sa conservation. Un Anglois respectable, qui, après avoir tout vû avec beaucoup de soin, s'est occupé profondement & utilement des moyens d'augmenter les richesses & le bonheur de ses compatriotes, se plaint, en Angleterre, le pays du monde où les hôpitaux sont le plus multipliés, que le peuple malade n'est pas assez secouru. Que doit-ce être dans les pays où il n'y en a point? «Les secours de Chirurgie & de Medecine trop abondans dans les Villes, ne sont point assez répandus dans les campagnes; & les paysans sont sujets à des maladies assez simples; mais qui, faute de soins, dégénerent en une langueur mortelle.» Enfin, si l'on ne peut pas remedier aux abus, (ceux qui regardent les Charlatans ne sont pas les seuls, & l'on ne donne pas ce nom à tous ceux qui le mériteroient), il seroit sans doute avantageux de détruire tout Art medecinal. Quand les bons Medecins ne peuvent pas faire autant de bien, que les mauvais peuvent faire de mal, il y a un avantage réel à n'en pas avoir. Je le dis avec conviction, l'anarchie en Medecine est la plus dangereuse de toutes. Libre de toute regle, & sans loix, cette science est un fléau d'autant plus affreux, qu'il frappe sans cesse; & si l'on ne peut pas réparer le désordre, il faut, ou défendre, sous de rigoureuse peines, l'exercice d'un art qui devient si funeste, ou, si les constitutions d'un Etat ne permettoient pas ce moyen violent, ordonner, comme dans les grandes calamités, des prieres publiques dans tous les Temples. §. 569. Un autre abus, moins dangereux que ceux dont je viens de parler, qui ne laisse pas cependant de faire des maux réels, & qui au moins, sort beaucoup d'argent du pays, mais dont le peuple est moins la victime que les gens aisés, c'est l'imbecille aveuglement, avec lequel on s'en laisse imposer par les pompeuses annonces de quelque remede universel, qu'on tire dispendieusement de l'étranger. Les personnes au-dessus du commun peuple, ne courent pas au Charlatan, parcequ'elles croiroient s'avilir en se mêlant à la foule; mais si ce même Charlatan, au lieu de venir, s'étoit tenu dans quelque ville étrangere; si, au lieu de faire afficher ses placards aux coins des rues, il les avoit fait insérer dans les mercures ou dans les gazettes; si, au lieu de vendre ses remedes lui-même, il avoit établi des bureaux dans chaque ville; si, au lieu de les vendre vingt fois au-dessus de leur valeur, il avoit encore doublé ce prix; au lieu de vendre au peuple, il auroit vendu aux Habitans aisés des villes. Telle personne, sensée à tout autre égard, qui hésitera de confier sa santé à des Medecins dignes d'une entiere confiance, hazardera, par une folie inconcevable, le remede le plus dangereux, sur la foi d'un placard imposteur, publié par un homme aussi vil que le Charlatan qu'il méprise parcequ'il fait jouer du cors de chasse sous sa fenêtre, & qui n'en differe cependant, que par les circonstances que je viens d'indiquer. Il n'y a presque pas d'année qu'il ne s'accrédite quelqu'un de ces remedes, dont les ravages sont plus ou moins grands, à proportion de leur plus ou moins de vogue. Peu heureusement, en ont eu autant que les poudres d'un nommé _Ailhaud_, habitant d'Aix en Provence, & indigne du nom de Medecin, qui a inondé l'Europe, pendant quelques années, d'un purgatif âcre, dont le souvenir ne s'éteindra que quand toutes ses victimes auront fini. Je soigne, depuis long-tems, plusieurs malades, dont j'adoucis les maux, sans esperer de les guérir jamais, & qui ne doivent les tristes jours qu'ils coulent, qu'à l'usage de ces poudres. Un Medecin françois, aussi célebre par ses talens & ses connoissances, que recommandable par son caractere, a publié quelques-unes des sinistres catastrophes que leur usage avoit occasionnées. Si on recueilloit ces observations dans tous les endroits où l'on a employé la drogue, on formeroit un volume qui effraieroit. §. 570. Heureusement tous les remedes qu'on débite ne sont ni aussi employés, ni aussi dangereux; mais l'on doit juger toutes ces affiches sur ce principe, je n'en connois point de plus vrai en Physique & en Medecine; c'est que, quiconque annonce un remede universel, est un imposteur, & qu'un tel remede est impossible, & contradictoire. Je n'entrerai point dans des détails de preuves; mais j'en appelle hardiment à tout homme sensé, qui voudra bien réflechir un moment sur les différentes causes des maladies, sur l'opposition de ces causes, & sur l'absurdité de vouloir combattre toutes ces causes avec le même remede. Quand on sera bien rempli de ce principe, on ne s'en laissera plus imposer par des tissus de sophismes, destinés à prouver que toutes les maladies viennent d'une cause, & que cette cause est de nature à ceder au remede vanté. On comprendra d'abord qu'une telle assertion est le comble de la fourberie ou de l'ignorance; & l'on découvrira bientôt où est le sophisme. Peut-on esperer de guérir une hydropisie, qui vient de ce que les fibres sont trop lâches, & le sang trop dissous, avec les remedes qu'on emploie pour guérir une maladie inflammatoire, dans laquelle les fibres sont trop roides & le sang trop épaissi. Parcourez les annonces publiques, vous trouverez dans toutes des vertus aussi contradictoires; & ceux qui les font seroient sans doute punissables juridiquement. §. 571. Je souhaite qu'on fasse une réflexion, qui se présente naturellement. Je n'ai traité que d'un petit nombre de maladies, ce sont presque toutes des maladies aigües; je puis assurer qu'aucun Medecin éclairé, n'a jamais employé moins de remedes; cependant j'en indique près de soixante & dix, & je ne saurois lequel retrancher, si j'y étois obligé. Comment peut-on esperer, que l'on guérira avec un seul remede, dix & vingt fois plus de maladies que je n'en indique. §. 572. J'ajouterai une observation très importante, & qui se seroit sans doute presentée à plusieurs lecteurs; c'est que les différentes causes des maladies, leurs divers caracteres, les différences qui dépendent des changemens nécessaires qui arrivent pendant leur durée, les complications dont elles sont susceptibles, les variétés qui dépendent des épidémies, des saisons, des sexes, de plusieurs autres circonstances, obligent très souvent à faire des changemens dans les remedes; ce qui prouve combien il est dangereux d'en ordonner sans des connoissances plus nettes, que celles qu'ont ordinairement les personnes qui ne sont pas Medecins; & la circonspection doit, dans ces cas, être proportionnée à l'intérêt qu'on prend au malade, & à la charité dont on est animé. §. 573. Les mêmes considérations, ne font-elles pas sentir la nécessité d'une entiere docilité, de la part du malade & des assistans. L'histoire des maladies, qui ont leurs tems limités pour naître, se développer, rester dans leur force, décroître, ne démontre-t-elle pas, & la nécessité de la continuation des mêmes remedes, aussi long-tems que le caractere de la maladie est le même, & le danger d'en changer fréquemment, par la seule raison, que celui qu'on a ne soulage pas dans le moment. Rien ne nuit plus au malade, que cette instabilité. L'on doit, après avoir examiné les indications que fournit la maladie, choisir le remede le plus propre à en combattre la cause, & en continuer l'usage, tant qu'il ne survient aucune circonstance nouvelle qui oblige à le changer, à moins qu'on ne reconnoisse évidemment qu'on s'est trompé. Mais s'imaginer qu'un remede est inutile, parcequ'il ne détruit pas la maladie au gré de notre impatience, & le rejetter pour en prendre un autre, c'est casser sa montre parceque l'éguille emploie douze heures à faire le tour du cadran. Les Medecins font quelque attention aux urines des malades; mais c'est une ignorance crasse, que de croire, & le comble de la fourberie, que de persuader, que leur seule inspection suffit pour juger des symptômes, de la cause, & des remedes d'une maladie. Le seul bon sens le démontre, & je n'en détaillerai point les preuves. QUESTIONS _Auxquelles il est absolument nécessaire de savoir répondre quand on va consulter un Médecin._ §. 574. Il faut beaucoup d'attention & d'habitude pour bien juger de l'état d'un malade qu'on ne voit pas, lors même qu'on est instruit aussi exactement qu'on peut l'être de loin. Mais cette difficulté est fort augmentée, & même changée en impossibilité, quand l'information n'est pas exacte. Il m'arrive souvent qu'après avoir questionné des paysans, qui viennent du dehors, je n'ose rien leur ordonner, parcequ'ils n'ont pas pû m'instruire assez pour me mettre à même de juger de la maladie. C'est pour prévoir cet inconvénient, que je joins ici une liste des questions auxquelles il faut pouvoir répondre. _Questions communes._ Quel âge a le malade? Jouissoit-il d'une bonne santé? Quel étoit son genre de vie? Depuis quand est-il malade? Comment a commencé son mal? A-t-il de la fiévre? Son pouls est-il dur ou mou? Est-ce qu'il a encore des forces, ou est-il foible? Se tient-il tout le jour au lit, ou se leve-t-il? Son état est-il le même à toutes les heures du jour? Est-il inquiet ou tranquille? A-t-il chaud ou froid? A-t-il des douleurs de tête, de gorge, de poitrine, d'estomac, de ventre, de reins, de membres? A-t-il la langue séche, de l'altération, mauvais goût à la bouche, des envies de vomir, du dégoût ou de l'appétit? Va-t-il du ventre souvent, ou rarement? Comment sont ses selles? Urine-t-il beaucoup? Comment sont ses urines? Est-ce qu'il sue? Est-ce qu'il crache? Dort-il? Respire-t-il aisément? Quel régime suit-il? Quels remedes a-t-il employés? Quel effet ont-ils produit? Est-ce qu'il n'a jamais eu la même maladie? Etoit-il sujet à quelque hémorrhagie? A-t-il eu quelque maladie de peau? §. 575. Il se trouve dans les maladies des femmes & des enfans, des circonstances particulieres; ainsi quand on consulte pour eux, il faut pouvoir répondre non seulement aux questions ci-dessus communes à tous les malades; mais aussi à celles qui leur sont propres. _Questions relatives aux femmes._ A-t-elle ses regles, & sont-elles régulieres? Est-elle enceinte? Depuis quand? Est-elle en couche? La couche a-t-elle été heureuse? La malade perd-elle suffisamment? Est-ce qu'elle a du lait? Nourrit-elle elle-même? N'est-elle point sujette aux pertes blanches? _Questions relatives aux enfans._ Quel est très exactement son âge? Combien a-t-il de dents? Souffre-t-il lorsqu'elles percent? N'est-il point noué? Est-ce qu'il a eu la petite vérole? Rend-il des vers? Son ventre est-il gros? Son sommeil est-il tranquille? Outre ces questions générales pour toutes les maladies, il faut pouvoir répondre à celles qui ont un rapport plus précis avec le mal actuel. Dans l'esquinancie, par exemple, il faut être instruit exactement de l'état de la gorge. Dans les maux de poitrine, il faut pouvoir rendre raison des douleurs, de la toux, de l'oppression, des crachats. Je n'entrerai pas dans un plus long détail; il ne faut que du bon sens pour saisir tout ce plan; & quoique les questions paroissent nombreuses, il sera toujours très aisé d'écrire les réponses dans aussi peu d'espace que les questions en occupent. Il seroit à souhaiter que les personnes de tout ordre, qui écrivent pour consulter, voulussent bien, dans leurs lettres, observer un plan à peu près semblable; elles se procureroient souvent par là des réponses plus satisfaisantes, & s'épargneroient la peine d'écrire de nouvelles lettres, pour servir d'éclaircissement aux premieres. Le succès des remedes dépend de l'exacte connoissance de la maladie; & cette connoissance, de l'information qu'on donne au Médecin. TABLE DES REMEDES, _Avec des notes que je prie de lire avant que de se servir du remede auquel elles se rapportent._ Je me suis servi, pour déterminer les doses des remedes, de livres, onces, demi-onces, &c. Je parle par-tout de la livre de seize onces, ou livre marchande, & des onces marchandes. Le _Grain_ est la pesanteur d'un grain d'orge de moyenne grosseur. Vingt-quatre grains font un _Scrupule_; trois scrupules, ou soixante & douze grains, font un _Gros_ ou une dragme. Huit Gros font une _Once_. Seize Onces font une _Livre_. La _Pinte_ pese deux livres. La _Chopine_ pese une livre. Le _Demi-septier_, huit onces. La _Goutte_ est la plus petite partie qu'on peut verser d'une liqueur. La _Cuillerée_ est ce que contient une cuiller ordinaire à bouche; on l'évalue à une demi-once. Le _Verre_ contient deux onces, ou deux onces & demie. J'ai marqué par tout les doses pour un homme adulte, depuis dix-huit ans jusqu'à soixante. Depuis douze jusqu'à dix-huit, les deux tiers de la dose suffiront assez généralement. Au-dessous de douze jusqu'à sept à huit ans, la moitié. L'on diminue ensuite proportionnellement. L'on ne donne pas plus d'un demi-quart de la dose à un enfant de quelques mois. Mais les tempéramens mettent dans tout ceci beaucoup de différence. Il seroit à souhaiter que chacun observât à cet égard s'il lui faut pour le purger, des doses fortes, ou des doses foibles. Nº. 1. Prenez une poignée de fleurs de sureau, mettez-les dans une écuelle de terre; ajoutez-y deux onces de miel & une once & demie de bon vinaigre; versez sur le tout un pot d'eau bouillante; remuez un peu le tout avec une cuiller pour faire fondre le miel; couvrez l'écuelle, & quand la liqueur est froide, passez par un linge. Nº. 2. Prenez deux onces d'orge ou d'aveine, faites bouillir avec cinq chopines d'eau, jusqu'à ce que le grain soit bien ouvert; jettez sur la fin de la coction une dragme & demie de nitre. Passez par un linge, après quoi ajoutez une once & demie de miel & une once de vinaigre. Avant de préparer la ptisane, il faut jetter sur le grain qu'on veut employer de l'eau bouillante; laissez un quart d'heure au feu; jettez cette eau, & faites la ptisane; c'est non-seulement pour laver le grain, mais pour en emporter une partie extractive qui est dans l'écorce, & qui donne un mauvais goût. On n'aura pas cela à faire si on se sert de grain mondé. On peut substituer des gruaux, du ris. Nº. 3. Faites la ptisane d'orge comme Nº. 2. Au lieu de nitre, faites bouillir avec l'orge, dès le commencement, un quart d'once de crême de tartre. Coulez & n'ajoutez rien. Nº. 4. Prenez trois onces d'amandes, une once de graine de courge ou de melon; pilez-les dans un mortier, en y ajoutant peu à peu une chopine d'eau. Passez par un linge. Repilez le résidu avec une chopine de nouvelle eau, & réitérez de cette façon jusqu'à ce que vous ayez employé une pinte & chopine d'eau, qu'on peut encore faire repasser sur le marc. Nº. 5. Prenez deux poignées d'herbe & fleurs de mauve, hachez-les, & broyez les un peu avec les mains; jettez dessus une chopine d'eau bouillante. Passez par un linge, & ajoutez à la colature une once de miel. Quand on a des mauves, il faut les préférer. Si elles manquent, on peut y suppléer par la mercurielle, la pariétaire, l'althea, le passerose ou rose tremiere, les laitues, les épinars. Il y a quelques personnes qui n'évacuent aucun lavement, excepté ceux d'eau tiede, sans aucune addition, elles ne doivent point en employer d'autres. Il faut donner les lavemens tiédes, & non pas chauds. Nº. 6. Une chopine de la décoction d'orge, dans laquelle on fait bouillir une poignée de fleurs de mauves ou de passeroses, qui est la _grande mauve_. Nº. 7. Prenez un pot de la ptisane d'orge, ajoutez-y trois onces de jus exprimé de trois ou quatre des feuilles & tiges des plantes suivantes: buglose, bourrache, laiteron, pissenlit, tussilage, ou pas d'âne, chicorée sauvage, seneçon, artichaud sauvage, scolopendre, cerfeuil. Pour préparer ces jus, on prend les herbes bien fraîches & jeunes si l'on peut; on les pile dans un mortier de marbre, ou de fer; on exprime le jus par un linge; on le laisse reposer pendant quelques heures dans une écuelle; & quand il est éclairci, on sépare le plus clair en versant doucement, & on laisse la lie. Nº. 8. Une once d'oximel scillitique, cinq onces d'une forte infusion de sureau. Si cette potion n'a pas l'effet qu'on desire, on peut substituer la potion Nº. 72. Les préparations de scille sont cheres; mais il n'y a point de remede aussi efficace dans les cas où on les recommande & d'ailleurs on ne les continue pas long-tems en grande dose. L'oximel se conserve plus d'un an dans un endroit sec & temperé. Nº. 9. L'on peut employer différentes applications émollientes, qui ont à-peu-près les mêmes vertus; telles que 1. les flanelles trempées dans une décoction de fleurs de mauves. 2. Des sachets remplis de ces mêmes fleurs de mauve, de celles de bonhomme, de sureau, de pavot rouge, de camomille, & cuits dans de l'eau ou du lait. 3. Des cataplasmes de ces mêmes fleurs cuites dans de l'eau & du lait. 4. Des vessies à moitié remplies d'eau chaude & de lait, ou de la décoction émolliente. 5. Un cataplasme de mie de pain & de lait, ou une bouillie d'orge ou de ris extrêmement cuits. 6. Dans la pleurésie §. 90, l'on frotte quelquefois la partie malade avec l'onguent d'alchea. On fera bien d'ajouter aux cataplasmes un peu d'huile, ou quelques jaunes d'oeufs, pour les empêcher de se secher promptement. Nº. 10. Esprit de soufre ou de vitriol, une once; sirop de violette, six onces. Ceux pour qui la dépense du sirop de violette seroit trop considérable, peuvent se contenter d'une décoction d'orge un peu épaisse. Nº. 11. Deux onces de manne, demi-once de sel de sedlitz, fondus dans quatre onces d'eau chaude, & coulez. On peut substituer au sel de sedlitz, un autre sel neutre, comme sel d'epsom, de saignette, ou bien deux gros des sels de glauber, vegetal & de duobus. L'on peut aussi, si la manne est trop chere, employer un quart d'once de sené & demi-dragme de nitre. On verse dessus un verre de décoction de mauve bouillante, & on passe. Mais le premier remede vaut mieux. La manne se conserve plus d'un an. Nº. 12. De fleurs de sureau, une poignée; d'hysope, une demi-poignée: versez dessus trois chopines d'eau bouillante; délayez dans la colature trois onces de miel. Nº. 13. C'est le même remede, sans l'hysope qu'on remplace en mettant plus de sureau. Nº. 14. Du meilleur Quinquina une once, partagez-le en huit prises. Il se conserve long-tems, moyennant qu'il ne soit pas pilé. Rien ne peut en tenir lieu. Nº. 15. Des fleurs de millepertuis, de sureau, de melilot, de chacune quelques pincées: mettez-les au fond d'un pot, avec demi-once d'huile de térébenthine, & jettez dessus de l'eau bouillante. L'huile de térébenthine se conserve plus d'un an. Nº. 16. Sirop de pavot rouge. Se conserve plus d'un an. Nº. 17. Du petit lait très clair; dans chaque chopine on délaie une once de miel. Nº. 18. Du savon blanc, six dragmes; d'extrait de dent de lion, une dragme & demie; de gomme ammoniac, demi-dragme; ce qu'il faut de sirop de capillaire. Faites des pilules de trois grains. Une once dure huit jours. Nº. 19. L'on peut faire des gargarismes avec une décoction, ou plutôt infusion de pervenche, ou de fleurs de roses rouges, ou de passe-roses. Sur chaque chopine on ajoute deux onces de vinaigre, & autant de miel, & l'on se gargarise chaudement. Le gargarisme détersif §. 107, est une legere infusion des sommités de sauge, & deux onces de miel, par chopine. Nº. 20. Une once de nitre partagée en seize prises. Nº. 21. De jalap, de sené, & de crême de tartre, de chacun trente grains, réduits en poudre & bien mêlés. On peut substituer 40 grains de la poudre cornachine. Nº. 22. Faites bouillir pendant un instant une once de pulpe de tamarins; quatre onces d'eau, & une demi-dragme de nitre; ajoutez-y deux onces de manne, & coulez. Ceux qui ne pourront mettre le prix aux tamarins, peuvent leur substituer la crême de tartre dont la dose soit une once. Les très pauvres gens peuvent employer, au lieu de cette potion, celle avec le senné, dont il est parlé note Nº. 11; mais il faudroit boire ensuite beaucoup de petit lait, ou de ptisane de mauve. Nº. 23. Crême de tartre: l'once partagée en huit prises. Nº. 24. Kermes minéral, ou poudre des chartreux: la dose est un grain. Nº. 25. Trois onces de racine de bardane ou glouteron. Faites bouillir pendant demi-heure, avec demi-dragme de nitre & une pinte d'eau. Coulez. Nº. 26. Prenez des herbes indiquées dans le Nº. 9, art. 2, de chacune une demi-poignée, & une demi-once de savon blanc rapé; versez dessus un demi-pot d'eau bouillante, & un verre de vin. Coulez en exprimant fortement. Nº. 27. De Mercure crud bien purifié, une once; de térébenthine de Venise, demi-dragme; de graisse de porc très fraîche, deux onces. On réduit le tout en onguent. Ce remede se doit prendre chez les Apoticaires. Nº. 28. Onguent _basilicum_, ou suppuratif. Nº. 29. De cinnabre naturel, & de cinnabre factice, de chacun vingt-quatre grains; de musc, seize grains. Le tout réduit en poudre & exactement mêlé. Voyez ce qui est dit du cinnabre, §. 179. Le Nº. 30 est plus efficace que le musc, & on peut employer, au lieu de l'inutile cinnabre, l'utile mercure argentin. Nº. 30. Une dragme de racine de serpentaire de Virginie; dix grains de camphre; autant d'assa-foetida; un grain d'opium; ce qu'il faut de conserve de sureau pour en faire un bol. Dans le cas où on s'en serviroit au lieu de musc, qui entre dans le Nº. 29, il faudroit retrancher le grain d'opium, excepté une fois ou deux par jour. On donneroit le mercure argentin dans la matinée, entre les bols, deux doses par jour, dont chacune contient quinze grains de mercure. Nº. 31. De tamarins, trois onces. Versez dessus une chopine d'eau bouillante; faites cuire une ou deux minutes. Passez par un linge. Nº. 32. Sept grains de turbith minéral; ce qu'il faut de mie de pain pour en faire un bol. Ce remede fait vomir & abondamment baver les chiens. Il a opéré plusieurs guérisons quand la rage étoit déja déclarée. On le donne trois jours consécutifs, ensuite deux fois par semaine, pendant quinze jours. Nº. 33. Six grains de tartre émétique. La force de ce remede varie suivant la façon dont il est préparé. Il y en a qui à trois grains produit autant d'effet que d'autre à six grains; c'est pourquoi il est à propos de l'acheter d'Apoticaires habiles, qui connoissent & instruisent de sa force. Lorsqu'on ne connoît pas l'émétique dont on se sert, on en peut mettre six grains dans une pinte d'eau, & la donner par petits verres; si les premiers verres font vomir violemment, on y ajoutera un tiers d'eau, & lorsque le malade aura vomi quatre à cinq fois, on ne lui en donnera plus. Voyez §. 223, 290. On s'abstiendra de donner les vomitifs à ceux qui en ayant déja pris, ont fait des efforts sans vomir; à ceux qui sont sujets aux crachement & vomissement de sang, aux pertes, & qui ont la poitrine foible ou attaquée, ou des descentes; aux femmes qui ont leurs regles, sont grosses, ou nouvellement accouchées. Nº. 34. Trente-cinq grains d'ypecacuana. On peut aller jusqu'à quarante-cinq & cinquante. Nº. 35. Emplâtre vésicatoire ordinaire. L'on se sert aussi de levain, qu'on pêtrit avec des cantharides & tant soit peu de vinaigre. On met demi-once de cantharides pour une once de levain, ce qui fait un vésicatoire très fort. L'on prépare les sinapismes avec la moutarde & le levain, ou la pulpe de figues séches, & un peu de vinaigre. L'on peut mettre autant de moutarde que de levain. Pour les enfans qui ont la peau délicate, le vieux levain pêtri avec quelques gouttes de vinaigre, fait l'effet du sinapisme. Nº. 36. Prenez des sommités de petit chêne ou germandrée, de petite centaurée, d'absinthe & de camomille, de chacune une poignée. Versez dessus un pot d'eau; laissez refroidir. Passez par un linge en exprimant. Nº. 37. Quarante grains de rhubarbe, & autant de crême de tartre. La rhubarbe se conserve deux ans dans un endroit sec & froid. Nº. 38. Trois dragmes de crême de tartre, une dragme d'ypecacuana, partagés en six prises. Nº. 39. De mixture simple[22] (_mixtura simplex_), un once; d'esprit de vitriol, demi-once. Mêlez; la dose est de deux cuillerées à caffé, dans une tasse de la boisson ordinaire. [22] A son défaut, de l'eau hériacale, ou de l'eau camphrée. Nº. 40. Demi-dragme de racine de serpentaire de virginie; dix grains de camphre; ce qui faut de rob de sureau pour faire un bol. S'il y avoit diarrhée trop forte, on substitueroit le diascordium au rob de sureau. Nº. 41. La Thériaque des pauvres. Elle est connue de tous les Apoticaires, quoiqu'ils ne la tiennent pas tous. La prise est d'un quart d'once. Elle seroit plus efficace si on la préparoit de la façon suivante. De racine d'aristoloche ronde, de racine d'helenium ou aunée, de mirrhe & de conserve de genievre, de chacune parties égales, en ajoutant ce qu'il faudroit de sirop d'écorce d'oranges, pour qu'elle ne fût pas trop épaisse. Nº. 42. Le premier des trois remedes, est celui Nº. 36. Le second. Prenez de petite centaurée, d'absinthe, de mirrhe, le tout en poudre, de conserve de genievre, de chacun parties égales; de sirop d'absinthe, ce qu'il faut pour faire un opiate épais. La prise est d'un quart d'once. On les prend dans le même ordre que les prises de quinquina. Le troisieme. Prenez de racine de calamus aromaticus, de celle d'aunée, de chacune deux onces; de petite centaurée, une poignée; de limaille de fer qui ne soit point rouillée, deux onces; de vin vieux blanc, trois chopines. L'on pile grossierement les racines, on hache l'herbe, on met le tout dans une bouteille à large col, sur des cendres, sur un fourneau, derriere une plaque, afin qu'il soit toujours chaud; on laisse infuser pendant vingt-quatre heures, en remuant cinq ou six fois; on le laisse reposer & on passe. La dose est d'une tasse, de quatre en quatre heures, quatre fois par jour, une heure avant le repas. Nº. 43. Un quart d'once de crême de tartre, une poignée de camomille commune, douze onces d'eau. Faites bouillir pendant demi-heure. Coulez. Nº. 44. Sel ammoniac. La prise est de deux scrupules, jusqu'à une dragme. On peut mettre le sel en bol avec un peu de conserve, ou rob de sureau. Mais je réitere que les fiévreux qui ont l'estomac sensible, ne soutiennent point ce remede, non-plus que plusieurs autres sels, qui leur causent un mal-aise étonnant, & même de l'angoisse. Nº. 45. Poudre. Prenez des fleurs de camomille & de sureau, de chaque une poignée, pilées grossierement; de fine farine ou d'amidon, trois onces; de céruse & d'émail, de chacun demi once. Mêlez exactement le tout. L'on peut, ou appliquer immédiatement cette poudre sur le mal, ou la renfermer dans un sachet de linge très fin. La premiere méthode est plus efficace. Emplâtre. Prenez d'onguent _nutritum_ fait avec de l'huile très fraîche, deux onces; de cire blanche, trois quarts d'once; d'émail, un quart d'once. L'on fait fondre la cire; quand elle est fondue, on y ajoute le _nutritum_, dans lequel on a exactement mêlé l'émail réduit en poudre fine, & l'on remue avec un morceau de fer, jusqu'à ce que le tout soit bien mélangé & refroidi. On en étend ce qu'il faut sur un linge. On peut aussi mêler un quart d'once d'émail, à deux onces de beurre de saturne, ce qui fait un onguent au lieu d'une emplâtre. Il y en a autant qu'il en faut pour guérir une érésipelle. Nº. 46. Une once de sel de sedlitz, deux onces de tamarins. Versez dessus huit onces d'eau bouillante; remuez, pour délayer les tamarins. Coulez, pour boire en deux prises, en mettant demi-heure d'intervalle entre l'une & l'autre. Nº. 47. De laudanum liquide de Sydenham, quatre-vingt gouttes; d'eau de mélisse, deux onces & demie. Si la premiere ou la seconde dose arrêtent ou diminuent considérablement les vomissemens, on ne donne pas les autres. Nº. 48. Faites fondre trois onces de manne & vingt grains de nitre, dans vingt onces ou six verres de petit lait. Nº. 49. Deux onces de sirop de pavot blanc, autant d'eau de sureau. Si l'on n'a pas de l'eau de sureau, on prend de celle de fontaine. Nº. 50. Une dragme de rhubarbe en poudre. Nº. 51. De soufre pilé, une once; de sel ammoniac, une dragme; de graisse de porc fraîche, deux onces. Mêlez exactement le tout dans un mortier. Nº. 52. Deux dragmes d'antimoine crud, exactement pilé; autant de nitre. On les mêle exactement. On partage en huit prises. Ce remede occasionneroit des coliques à quelques personnes qui auroient l'estomac délicat; mais il n'incommode point les robustes campagnards, & il guérit quelques maladies de la peau qui avoient résisté aux autres remedes. Il augmente la transpiration; & les Palefreniers qui pansent les chevaux auxquels on a donné l'antimoine, s'en apperçoivent d'abord en les étrillant, par la quantité de crasse qu'ils trouvent. Cette augmentation de transpiration chez les chevaux, et quelquefois prodigieuse; c'est par-là que l'antimoine leur est utile dans plusieurs cas. Nº. 53. Les remedes de ce Nº, & des Nº. 54 & 56, sont destinés aux maladies qui dépendent des oppilations ou obstructions, & de la suppression des regles. Le 54 est particuliérement destiné à les rappeller. Les Nº. 53 & 56 sont plus convenables, quand on ne fait pas attention à la suppression, ou qu'elle n'a pas lieu. Prenez de limaille de fer & de sucre, de chacun une once; d'anis en poudre, une demi-once. Partagez en vingt-quatre doses. On en prendra une trois fois par jour, une heure avant que de manger. Ce remede, que les gens riches peuvent rendre encore plus agréable, en employant la canelle au lieu d'anis, contient peu de fer; mais cette dose suffit dans un mal commençant, & même une prise ou deux par jour suffisent pour une fort jeune fille. Quand on le veut plus fort, il faut doubler la dose du fer. Je réitere, crainte de ne l'avoir pas assez dit, qu'il faut éviter le fer rouillé; c'est la rouille qui gâte l'estomac, au lieu que la limaille non rouillée, est le plus puissant stomachique, dans les cas où les fortifians conviennent. Nº. 54. Deux onces de limaille de fer; une poignée de rhue, autant de marrube blanc; un quart d'once de racine d'hellebore noir, trois chopines de vin. Préparez comme le vin du Nº. 42. Une tasse trois fois par jour, une heure avant que de manger. J'avertis encore que dans les personnes languissantes dès long-tems, il faut travailler à rétablir la santé, & non-pas à pousser les régles; ce qui est pernicieux. Elles reviennent quand la malade est mieux; leur retour suit celui de la santé, & ne doit, ni ne peut souvent le précéder. Nº. 55. D'extrait de cigüe ordinaire, une once. Faites-en des pilules de deux grains, en y ajoutant ce qu'il faut de l'herbe de cigüe en poudre. L'on commence par une pilule soir & matin, & l'on augmente peu à peu. Il y a des malades qui sont parvenus à en prendre deux dragmes par jour. M. STORCK, l'un des Médecins de LL. MM. Impériales, après avoir essayé ce remede sur lui-même, a renouvellé l'usage de la grande cigüe en médecine, il y a six ans; & l'on doit lui en avoir une très grande obligation. En y joignant l'application Nº. 59, non-seulement il a guéri entre ses mains des cancers confirmés, mais quelques autres maladies, qui, jusqu'à présent, étoient presque incurables. Il y a un très grand nombre de cures opérées par ce remede. Entre mes mains, il a calmé une fois les douleurs, jamais guéri; mais comme nulle part il n'a fait aucun mal, on doit toujours l'essayer. Ne seroit-il que calmant? l'on boit par dessus chaque prise, un verre de quelque boisson tiede & adoucissante. Voyez _les Observations sur l'usage interne de la Cigue, chez DIDOT_, 1762. Nº. 56. De limaille de fer, deux onces; de poudre de rhue & d'anis, de chacune demi-once; de miel, ce qu'il faut pour former un opiate assez épais. Un demi-quart d'once trois fois par jour. Nº. 57. Une once de racine de chiendent, autant de celle de chicorée. Faites bouillir pendant un quart-d'heure avec une chopine d'eau. Faites fondre demi-once de sel de sedlitz, & deux onces de manne. Passez, pour en boire un verre de demi-heure en demi-heure. On réitere au bout de deux ou trois jours. Nº. 58. Un cataplasme de mie de pain, de fleurs de camomille & de lait, auquel on ajoute du savon, de façon que chaque cataplasme en contienne un demi-quart d'once. Je me sers aussi avec succès, quand la situation des femmes ne permet pas les soins réguliers qu'exige ce cataplasme, qu'il faut changer de trois en trois heures, de l'emplâtre de cigüe, qui se trouve dans toutes les Apotiquaireries. Nº. 59. D'herbe de cigüe seche, ce qu'il en faut. Mettez-la entre deux linges clairs, faites-en une espece de petit matelat fort souple. Laissez le cuire pendant quelques momens dans l'eau. Exprimez & appliquez. On le réchauffe toutes les deux heures dans la même eau. Les fomentations avec le savon, & la lessive de sel alkali de tartre, sont très bonnes dans le même cas. Nº. 60. Des yeux d'écrevisses vrais, ou de magnésie blanche véritable, deux dragmes, partagez en huit prises. On donnera ces poudres dans une cuillerée d'eau ou de lait, avant que l'enfant tette. Nº. 61. D'extrait aqueux de noix, deux dragmes; faites-le dissoudre dans demi-once d'eau de canelle. On en donnera cinquante gouttes par jour à un enfant de deux ans. Quand la dose est finie, on le purge. Pour faire l'extrait, on prend les noix avant qu'elles soient mures, dans le même-tems dans lequel on les cueille pour les confire. Nº. 62. De résine de Jalap, deux grains. Broyez-la long-tems avec douze ou quinze grains de sucre, & ensuite avec trois ou quatre amandes. Joignez-y peu-à-peu deux cuillerées d'eau. Passez par un linge fort clair, comme un lait d'amande. Ajoutez une cuillerée à caffé de sirop de capillaire. Ce remede n'est point désagréable, on peut le donner aux enfans de deux ans. S'ils sont plus âgés, il faudroit ajouter un grain ou deux de la résine de Jalap. Pour les enfans au dessous de deux ans, il vaut mieux s'en tenir au sirop de chicorée, & à la manne. Nº. 63. Une once de _nutritum_; un jaune d'oeuf, s'il est petit; la moitié, s'il est gros. Mêlez exactement. L'on peut faire d'abord un _nutritum_, en broyant long-temps dans un mortier, deux dragmes de céruse, demi-once de vinaigre, trois cuillerées d'huile d'olive. Nº. 64. Faites fondre quatre onces de cire blanche, ajoutez-y deux cuillerées d'huile, si c'est en hiver. En été, il n'en faut point, ou, tout au plus, une demi-cuillerée. Trempez dedans des pieces de linge, qui ne soit pas trop usé, & laissez-les sécher. Cette toile est très commode pour tous les pansemens. Quand elle est salie par le pus, il suffit de la jetter dans l'eau froide, de l'y remuer, de l'essuyer & de la laisser sécher. Elle peut servir pour un grand nombre de pansemens. Nº. 65. C'est aussi une toile préparée comme l'autre; mais au lieu de cire simple, on emploie l'emplâtre suivante: D'huile rosat, une livre; de minium, demi-livre; de vinaigre, quatre onces. Faites cuire jusqu'à ce qu'il ait à-peu-près consistance d'emplâtre. Fondez-y une once & demie de cire jaune, & jettez-y deux dragmes de camphre. Mêlez bien. Retirez du feu; & versez dans des canons de papier, de quelle grosseur vous voudrez. Pour faire le sparadrap, il faut le refondre avec un peu d'huile. C'est exactement l'onguent de Nuremberg, qui est le meilleur de tous les onguens de ménage. Voici la recette de l'onguent de la Chabauderie, ou plutôt Chambauderie, fameux dans plusieurs familles. De cire jaune, d'emplâtre de trois drogues (c'est à-peu-près celui de Nuremberg), de diachilon composé, & d'huile d'olive, de chacun un quart de livre. Faites fondre le tout dans un pot de terre. Retirez du feu, & remuez jusqu'à ce qu'il soit refroidi. Nº. 66. Cueillez en automne, pendant le beau tems, de l'agaric de chêne (c'est une espece de champignon qui croît sur cet arbre). Il a quatre parties qui se présentent successivement: 1. La peau qu'on peut jetter. 2. La partie qui suit la peau, qui est la meilleure. On la bat avec un marteau jusqu'à ce qu'elle devienne douce & molle; c'est-là toute sa préparation, & l'on en applique un morceau convenable sur les vaisseaux ouverts. Il les resserre, empêche l'hémorrhagie, & tombe ordinairement au bout de deux jours. 3. La troisieme, qui peut suffire pour arrêter le sang dans les petits vaisseaux; & la quatrieme, qu'on peut employer reduite en poudre. Ce remede connu il y a long-tems de quelques personnes, n'est commun que depuis neuf ans. Il a eu partout les mêmes succès, & j'en ai vu les effets les plus heureux. Il épargne les tourmens qu'occasionnent les autres moyens d'arrêter le sang; & c'est une des heureuses découvertes qu'on pût faire en chirurgie. L'on voit que chaque paysan peut s'en procurer avec plus de facilité que le plus habile Chirurgien. M. BROSSARD, Chirurgien françois qui l'a fait connoître, préfere celui qui croît sur les parties des chênes où l'on a coupé de grosses branches. Nº. 67. Quatre onces de mie de pain, une poignée de fleurs de sureau; autant de celles de camomille & de millepertuis. Cuisez-les en cataplasme avec autant d'eau que de vinaigre. Si l'on préfere les fomentations, l'on peut prendre les mêmes herbes, ou quelques poignées de faltran; on jette dessus demi pot d'eau bouillante; on laisse infuser. L'on y ajoute chopine de vinaigre, & l'on trempe dedans des flanelles ou d'autres étoffes de laine qu'on applique sur le mal. Pour les fomentations aromatiques du §. 412, prenez d'herbes de bétoine, de rhue, de fleurs de romarin ou de lavande, & de roses rouges, de chacune une poignée & demie. Faites cuire pendant un quart-d'heure dans un pot couvert, avec trois chopines de vin blanc vieux. Coulez & exprimez fortement. On s'en sert comme des précédentes. Nº. 68. L'emplâtre diapalme. Nº. 69. Deux parties d'eau, une partie de vinaigre de litharge, ou de vinaigre de Saturne. Nº. 70. Prenez sel alkali de tartre, un gros; faites fondre dans une chopine d'eau; ajoutez une once de miel. Pour boisson par verrées, de demi-heure en demi-heure. Nº. 71. Prenez bois de gayac râpé, de sassaffras concassé, de chaque une once. Sept à huit feuilles de noyer. Versez dessus trois pintes d'eau bouillante, laissez infuser deux jours dans un vase bien fermé. Passez. Conservez dans un lieu frais, & que le vaisseau soit bien fermé. Au défaut de ces bois, on se servira des bois de buis & de genievre coupés en petits morceaux, & on en mettra le double de la dose. Nº. 72. Prenez oximel scillitique & vinaigre scillitique, de chaque trois onces; gomme ammoniac, deux gros. Pour une potion à prendre par cuillerées. S'il se trouve des personnes qui ne puissent prendre cette potion, & qu'elle fasse vomir, on donnera la poudre suivante: Prenez poudre d'oignon de scille, un gros; poudre de racine de dompte-venin ou asclepias, un demi-gros. Mêlez. On en donnera six grains, quatre fois le jour, dans une cuillerée de vin, ou en bol avec du miel. Nº. 73. Prenez savon de Venise ou autre, pourvu qu'il ne soit pas coloré, gomme ammoniac, cloportes, oignon de scille, de chaque une demi-once: faites avec du sirop de capillaire, des pilules de dix grains. Nº. 74. Prenez racines de chiendent, d'arrête-boeuf, de chardon-roland, de chaque une demi-once; racine de grande chélidoine ou éclaire, trois gros. Faites bouillir dans trois chopines d'eau; & réduire à une pinte. Passez, & faites fondre sel de duobus & sel de nitre, de chaque un gros. Nº. 75. Prenez scille, une demi-once. Faites infuser dans une pinte de bon vin blanc. Nº. 76. Prenez de l'écorce intérieure de sureau qui est verte, une poignée; faites bouillir dans une pinte d'eau & autant de lait; faites réduire moitié, qu'on partagera en deux pour deux jours différens, laissant un, deux ou trois jours d'intervalle suivant l'état du malade: on fera prendre cette décoction par verres, à jeun, d'heure en heure. Nº. 77. Prenez sommités d'absinthe ordinaire, deux onces, racines de calamus, ou jonc odorant, de gentiane & d'impératoire, de chaque une once; baies de laurier, une once & demie; de celles de genievre, trois onces; semences de daucus de crete, une once. Coupez. Ecrasez le tout ensemble. Faites infuser pendant vingt-quatre heures, dans huit livres d'hydromel ou de bon vin, à une chaleur douce dans un vaisseau bien fermé. Nº. 79. Prenez racine de patience sauvage nettoyée & coupée par morceaux, deux onces. Faites bouillir dans trois chopines d'eau & réduire à une pinte. Passez & ajoutez deux gros de sel de glauber. Nº. 80. Prenez panacée mercurielle, æthiops martial, encens, de chaque un demi-gros; kermés minéral, deux scrupules; cloportes en poudre, un gros. Faites avec un sirop, des pilules de cinq grains. Nº. 81. Prenez miel rosat, une demi-once; esprit de sel marin, vingt gouttes. Mêlez. Nº. 82. Prenez écorce de quinquina concassée, une once; contrayerva deux gros. Faites bouillir dans pinte & chopine d'eau, & réduire à une pinte. Passez. Ajoutez un gros de nitre. Nº. 83. Prenez demi-once de limaille d'acier bien lavée. Faites infuser vingt-quatre heures dans le vin blanc. Passez par un linge plié en deux, & versez dans un vase qui contienne six pintes d'eau de riviere; conservez cette eau dans un lieu frais. Elle servira pour boisson, au défaut des eaux minérales ferrugineuses naturelles. PRIX DES DROGUES RECOMMANDÉES DANS CET OUVRAGE. Æthiops Martial, de Lemery. Préparation du fer, 1 liv. 5 sols l'once. Agaric de Chêne, 1 liv. 10 sols l'once. Antimoine crud. Minéral, 4 sols la livre. Assa-foetida. Gomme résine, 8 sols l'once. Baume d'Arcoeus. Préparation composée, 6 sols l'once. Baume tranquille. Préparation composée, 8 sols la livre. Beurre de Saturne. Préparation de Plomb, 6 sols l'once. Calamus aromaticus. Roseau aromatique. Racine, 3 sols l'once. Camphre, huile essentielle figée de lauriers, 8 sols l'once. Cantharides, Mouches puantes qui mangent le Peuplier & le Fresne. Exposez à la vapeur du vinaigre pour les tuer; faites sécher; enfermez dans un vase de terre, conservez dans un lieu sec. Céruse. Préparation du Plomb dissous par le vinaigre, 10 sols la livre. Cerat de Galien. Préparation d'huile & de cire, 2 sols l'once. Cinnabre artificiel. Préparation de soufre & de Mercure, 9 sols l'once. Contrayerva. Racine, 5 sols l'once. Crême de tartre. Sel acide, 1 sol l'once. Diagrede. Extrait de scammonée, 3 sols le gros. Eau de chaux, 10 sols la pinte. Eau de Mélisse simple, 1 livre la pinte. Eau distillée de Canelle, 10 sols l'once. Email préparé, 4 sols l'once. Emplâtre de Cigue, 50 sols la livre. Emplâtre de Nuremberg, 3 liv. la livre. Emplâtre vésicatoire, 2 liv. la livre. Encens [Oliban]. Gomme-résine, 4 sols l'once. Esprit de Sel marin, 10 sols l'once. Esprit de soufre, acide tiré du soufre, 10 sols l'once. Esprit de vitriol, acide tiré du vitriol, 8 sols l'once. Gayac rapé. Bois résineux, 10 sols la livre. Gomme ammoniac. Gomme résine, 8 sols l'once. Huile de térébenthine, 2 liv. la livre. Jalap. Racine, 5 sols l'once. Ipecacuanha. Racine, 1 liv. l'once. Iris, ou Flambe de Florence. Racine, 3 sols l'once. Kermés minéral. Préparation d'antimoine, 1 liv. le gros. Laudanum liquide de Sydenham. Préparation d'opium avec le vin, 1 liv. l'once. Limaille de fer. Préparation du fer, 8 sols la livre. Litharge. Préparation du plomb, 7 sols la livre. Manne ordinaire. Suc du Fresne, 4 sols l'once. Magnésie blanche, 1 liv. l'once. Mercure crud, 4 liv. la livre. Miel blanc, 12 sols la livre. Minium. Préparation du plomb, 10 sols la livre. Musc. Substance animale d'une odeur forte, 4 liv. le gros. Onguent basilicum ou suppuratif, 1 liv. 10 sols la livre. Onguent nutritum, 2 liv. la livre. Opium. Suc de pavot étranger, 16 sols l'once. Oximel scillitique. Préparation où entrent le vinaigre, le miel & la scille, 1 sol l'once. Panacée mercurielle, 2 liv. 10 sols l'once. Poudre contre les vers, ou _semen contra_, 5 sols l'once. Poudre cornachine ou de tribus. Composé de parties égales de tartre, jalap & diagrede, 2 sols le gros. Poudre de cloportes. Cloportes sechés & mis en poudre, conservés séchement, 8 sols l'once. Quinquina. Ecorce d'arbre, 6 liv. la livre. Résine de Jalap blanche, 1 liv. le gros. Rhubarbe. Racine d'une plante, 15 liv. la livre. Rob de Sureau. Suc des Baies de Sureau épaissi, 1 liv. l'once. Saffran. Etamines de la plante, 8 sols l'once. Santal. Bois, 4 sols l'once. Sassafras. Bois, 15 sols la livre. Savon blanc, 12 sols la livre. Sel Ammoniac, 5 sols l'once. Sel d'Epsom, 12 sols. Sel de Glauber, 2 liv. la livre. Sel de Nitre, 1 livre. Sel Végétal, 2 livres. Sel de Sedlitz, 6 livres. Sel de Duobus, 2 livres. Sené. Feuilles & follecules d'un arbrisseau, 3 liv. la livre. Serpentaire de Virginie. Racine, 5 sols l'once. Soufre. Minéral, 12 sols la livre. Syrop de Capillaire, 2 liv. 8 sols la livre. Syrop de Chicorée composé de rhubarbe, 5 sols l'once. Syrop Diacode, ou de Pavot blanc, 4 sols l'once. Syrop de Nerprun, 2 liv. la livre. Syrop de Pavot rouge, 2 liv. 10 sols la livre. Syrop de Violette, 2 liv. 10 sols la livre. Tamarins. Fruits, 20 liv. la livre. Tartre émétique, ou stibié. Préparation d'antimoine, 12 sols l'once. Tartre vitriolé. Sel neutre, 3 sols l'once. Thériaque, 6 liv. la livre. Turbith minéral. Préparation de mercure, 3 liv. l'once. Vin émétique troublé, 3 sols l'once. Vinaigre de Saturne, 5 sols l'once. Vinaigre scillitique, 3 sols l'once. Yeux d'écrevisses préparés, 5 sols l'once. FIN. _APPROBATION._ J'ai lu, par ordre de Monseigneur le Chancelier, un Livre, imprimé à Lausanne, ayant pour titre: _Avis au Peuple sur sa Santé_, par M. TISSOT; & je n'ai rien trouvé dans cet Ouvrage qui puisse empêcher de le débiter, & même de l'imprimer en France. A Paris, ce 3 Décembre 1761. MACQUART, Censeur Royal. _PRIVILEGE DU ROI._ LOUIS, par la grace de Dieu, Roi de France & de Navarre: A nos amés & féaux Conseillers, les Gens tenans nos Cours de Parlement, Maîtres des Requêtes ordinaires de notre Hôtel, Grand-Conseil, Prévôt de Paris, Baillifs, Sénéchaux, leurs Lieutenans Civils, & autres nos Justiciers qu'il appartiendra: SALUT. Notre amé MARIE-JACQUES BAROIS, Libraire à Paris, Nous a fait exposer qu'il désireroit faire réimprimer & donner au Public un Livre qui a pour titre: _Avis au Peuple sur la Santé, par M. TISSOT_; s'il Nous plaisoit lui accorder nos Lettres de Permission pour ce nécessaires. A CES CAUSES, Voulant favorablement traiter l'Exposant, Nous lui avons permis & permettons par ces Présentes de faire réimprimer ledit Livre, autant de fois que bon lui semblera, & de le vendre, faire vendre & débiter par tout notre Royaume, pendant le tems de trois années consécutives, à compter du jour de la date des Présentes. Faisons défenses à tous Imprimeurs, Libraires, & autres personnes, de quelque qualité & condition qu'elles soient, d'en introduire de réimpression étrangere dans aucun lieu de notre obéissance. A la charge que ces Présentes seront enrégistrées tout au long sur le Registre de la Communauté des Imprimeurs & Libraires de Paris, dans trois mois de la date d'icelles: que la réimpression dudit Livre sera faite dans notre Royaume, & non ailleurs, en bon papier & beaux caracteres, conformément à la feuille imprimée, attachée pour modele sous le contrescel des Présentes; que l'Impétrant se conformera en tout aux Réglemens de la Librairie, & notamment à celui du 10 Avril 1725; qu'avant de l'exposer en vente, l'Imprimé qui aura servi de copie à l'impression du Livre sera remis dans le même état où l'Approbation y aura été donnée, ès mains de notre très cher & féal Chevalier, Chancelier de France le Sieur DE LAMOIGNON, & qu'il en sera ensuite remis deux Exemplaires dans notre Bibliotheque publique, un dans celle de notre Château du Louvre, un dans celle de notre très cher & féal Chevalier, Chancelier de France, le Sieur DE LAMOIGNON, & un dans celle de notre très cher & féal Chevalier, Garde des Sceaux de France le Sieur BERRYER, le tout à peine de nullité des Présentes. Du contenu desquelles Vous mandons & enjoignons de faire jouir ledit Exposant, & ses ayans causes, pleinement & paisiblement, sans souffrir qu'il leur soit fait aucun trouble ou empêchement. Voulons qu'à la copie des Présentes, qui sera imprimée tout au long, au commencement ou à la fin dudit Livre, foi soit ajoûtée comme à l'original. Commandons au premier notre Huissier ou Sergent, sur ce requis, de faire, pour l'exécution d'icelles, tous Actes requis & nécessaires, sans demander autre permission, & nonobstant clameur de Haro, Charte Normande, & Lettres à ce contraires. CAR tel est notre plaisir. DONNÉ à Paris, le treizieme jour du mois de Janvier, l'an de grace mil sept cent soixante-deux, & de notre Regne le quarante-septieme. Par le Roi, en son Conseil. _Signé_, LEBEGUE. J'ai cédé mon droit au présent Privilege à Monsieur PIERRE-FRANÇOIS DIDOT, le jeune. A Paris, ce 19 Janvier 1762. BARROIS. _Registré sur le Registre XV de la Chambre Royale & Syndicale des Libraires & Imprimeurs de Paris, Nº. 538, fol. 257, conformément au Réglement de 1723. A Paris ce 17 Février 1762. Registré ensemble la Cession, jointe audit Privilege, ce 17 Février 1762._ VINCENT, Adjoint. CATALOGUE DES LIVRES NOUVEAUX _Qui se trouvent chez DIDOT le jeune_. Ant. Storck, Medici Viennensis, de Cicutâ tractatus. _Parisiis._ 1761. in-12. 1 l. 16 s. --Le même en François. _Paris._ 1761, in-12. 1 l. 16 s. Observations nouvelles sur l'usage interne de la Cigüe; seconde Partie & Supplément, aux quels on a ajouté un Mémoire nouveau sur l'Histoire de la Cigüe, la Figure de cette Plante, & les Cures opérées en France jusqu'à ce jour. _Paris._ 1762. in-12. 2 l. 10 s. Traité de l'Asthme, traduit de l'Anglois de Floyer, par M. Jault. _Paris._ 1761. in-12. 2 l. 10 s. Ant. de Haen, Ratio medendi in Nosocomio practico. _Parisiis._ 1761. 2 vol. in-12. 5 l. --_Volumen subsequens sub Prælo._ Collection d'Observations sur l'Anatomie, la Chirurgie & la Médecine pratique: Ouvrage périodique extrait principalement des Ouvrages étrangers. _Paris_, 1761. in-12. 3 vol. brochés. 4 l. 10 s. --_Le quatrieme Volume sous Presse._ Essais & Observations Physiques & Littéraires de la Société d'Edimbourg: Ouvrage traduit de l'Anglois, par M. Demours. _Paris._ 1761. in-12. _Figures._ 3 l. --_Le second Volume sous Presse._ Traité de Chymie traduit du latin de Vallerius. Tome I. in-12 _avec Figures. Sous Presse._ Recherches sur la valeur des Monnoies & sur le prix des Grains, avant & après le Concile de Francfort, par M. Dupré de Saint-Maur. in-12 _sous Presse_. Mémoires pour servir à l'Histoire des Egaremens de l'Esprit humain, par rapport à la Religion Chretienne, ou Dictionnaire des Hérésies, des Erreurs & des Schismes, &c. _Paris._ 1762. 2 vol. in-8. 9 l. _Livres nouvellement aquis._ Dictionnaire Géographique portatif des quatre parties du Monde, traduit de l'Anglois de Laurent Echard, par M. l'Abbé Vosgien: nouvelle édition considérablement augmentée. _Paris._ 1759. in-8. 4 l. 10 s. Dictionnaire Historique portatif, contenant l'Histoire des grands Hommes & des Personnes illustres, &c. par M. l'Abbé l'Advocat: nouvelle édition augmentée de plus d'un quart. _Paris._ 1761. 2 vol. in-8. 10 l. 10 s. Manuel Lexique, ou Dictionnaire portatif des Mots François dont la signification n'est pas familiere à tout le Monde, par M. L'abbé Prevost. _Par._ 1755. 2 vol. in-8. 9 l. Dictionnaire Botanique & Pharmaceutique, contenant les principales propriétés des Minéraux, des Végétaux & des Animaux en Médecine. _Paris_, 1759. in-8. 4 l. 10 s. Dictionnaire François-Latin, par le Pere le Brun. _Paris._ 1760. in-4. 15 l. Dictionnaire Théologique portatif. _Paris._ 1756. in-8. 4 l. 10 s. Dictionnaire portatif des Conciles. _Par._ 1758. in-8. 4 l. 10 s. _L'Agronome_ Dictionnaire portatif du Cultivateur, contenant les Connoissances nécessaires pour gouverner les Biens de Campagne, conserver la Santé, &c. _Par._ 1760. in-8. 2 vol. 9 l. Dictionnaire des Rimes, par Richelet. _Par._ 1761. in-8. 7 l. Roberti Stephani Thesaurus Linguæ latinæ. _Basileæ._ 1740. 4 volumes in-fol. 70 l. Histoire des Chevaliers de Malthe, par l'Abbé de Vertot. _Paris._ 1761. 7 volumes in-12. 17 l. 10 s. --_On vend séparément les Tomes VI & VII._ 5 l. Etudes convenables aux Demoiselles: nouv. Edition. _Par._ 1762. 2 volumes in-12. 5 l. Coutume de Paris, par Ferriere. _Par._ 1762. 2 vol. in-12. 5 l. OEuvres de Montesquieu: nouvelle édition, revue, corrigée & considérablement augmentée par l'Auteur. _Paris._ 1758. 3 volumes in-4. 36 l. --Les mêmes, en 7 volumes in-12. 17 l. _On vend séparément_, L'Esprit des Loix. 4 vol. in-12. 10 l. Les Lettres Persannes. in-12. 2 l. 10 s. Considérations sur les causes de la grandeur des Romains & de leur décadence. in-12. 2 l. 10 s. Le Temple de Gnide & l'Essai sur le Goût. in-12. 2 l. --Le même in-8. _avec Figures._ 2 l. 10 s. --Le même traduit en Italien. in-8. Fig. 3 l. La Médecine & la Chirurgie des Pauvres contenant des Remedes choisis, faciles à préparer & sans dépense, &c. nouv. édition. _Paris_ 1758. in-12. 2 l. 10 s. Abrégé de l'Histoire des Plantes Usuelles, par Chomel. nouv. édition, revue & corrigée. _Paris._ 1761. 3 vol. in-12. 7 l. _L'on trouve chez le même Libraire toutes sortes de Livres anciens & nouveaux, tant de France que des Païs Etrangers, & principalement en Médecine, Anatomie, Chirurgie, Histoire naturelle, &c. Ses Livres sont marqués à l'Amiable, toute l'Année._ Note sur la version électronique La transcription conserve l'orthographe de l'original, avec ses incohérences (par exemple: longtems/long tems/long-tems/long-temps, cigüe/ciguë/cigue, fiévre/fievre, paroît/paroit, etc.). Les corrections signalées en errata et les coquilles évidentes ont été corrigées. L'original présente à la fin du §. 526 un crochet fermant de fin de citation, sans crochet ouvrant correspondant. On a représenté _entre caractères soulignés_ les expressions soulignées dans l'original, soit par une typographie en italique, soit par l'usage de caractères droits dans un passage entièrement en italique. *** End of this LibraryBlog Digital Book "Avis au peuple sur sa santé - ou traité des maladies les plus fréquentes" *** Copyright 2023 LibraryBlog. All rights reserved.