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Title: Les châteaux d'Athlin et de Dunbayne (1/2), Histoire arrivée dans les Montagnes d'Écosse. - Par Anne Radcliffe. Traduite de l'Anglais.
Author: Radcliffe, Ann Ward
Language: French
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*** Start of this LibraryBlog Digital Book "Les châteaux d'Athlin et de Dunbayne (1/2), Histoire arrivée dans les Montagnes d'Écosse. - Par Anne Radcliffe. Traduite de l'Anglais." ***


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Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
http://gallica.bnf.fr)



  LES CHATEAUX
  D'ATHLIN
  ET DE DUNBAYNE,

  Histoire arrivée dans les Montagnes d'Écosse.

  Par ANNE RADCLIFFE.

  _Traduite de l'Anglais._

  PREMIÈRE PARTIE.

  _A PARIS_,
  Chez { TESTU, Imprimeur, rue Hautefeuille, nº. 14.
       { DELALAIN, jeune, Libraire, rue Saint-Jacques, nº. 12.

  M. DCC. XCVII.



[Illustration: Osbert, étonné de ce qu'il venait de voir, fit quelques
pas en arrière.]



LES CHATEAUX

D'ATHLIN

ET DE

DUNBAYNE;

_HISTOIRE arrivée dans les Montagnes d'Ecosse._



CHAPITRE PREMIER.

_Situation du Château d'Athlin.--Douleur de ceux qui l'habitent, causée
par la mort du comte, tué jadis par Malcolm, chef de la tribu de
Dunbayne--Vie retirée de Maltida, veuve du Comte.--Premières années de
ses deux enfans, Osbert et Marie.--Le jeune Alleyn.--Commencement de
l'amitié d'Osbert et d'Alleyn._


Sur la côte orientale de l'Ecosse, en approchant vers le nord, au milieu
du site, le plus romantique des montagnes, se trouve le château
d'Athlin, bâti sur le sommet d'un roc, dont la base est dans la mer. Cet
édifice est vénérable par son antiquité et sa structure gothique, mais
plus encore par les vertus qu'il renferme. C'est là que résident la
veuve, encore belle, et les enfans du comte d'Athlin, qui périt de la
main de Malcolm, l'un des chefs voisins, orgueilleux, oppresseur,
vindicatif, et vivant au milieu de tout le faste de la puissance
féodale, à peu de distance d'Athlin. Des usurpations sur le domaine
d'Athlin donnèrent naissance à l'animosité qui éclata entre les deux
chefs. Leurs tribus en vinrent souvent aux mains, et ceux d'Athlin
sortirent presque toujours victorieux de ces combats. Malcolm, dont la
fierté était blessée par les défaites de ses vassaux, et l'ambition
réfrénée par la puissance du comte, conçut pour lui cette haine mortelle
que la résistance à des passions favorites excite naturellement dans une
ame comme la sienne, dominée par l'arrogance et peu accoutumée à la
contradiction; il résolut la mort d'Athlin. Son projet fut exécuté avec
la ruse qui forme le trait principal de son caractère. Dans un combat où
se trouvaient les deux chefs en personne, il parvint à envelopper le
comte accompagné seulement d'une faible partie de sa troupe, et le tua.
La mort d'Athlin fut bientôt suivie de la déroute générale de sa tribu
qui éprouva un carnage affreux, et dont un petit nombre, échappé avec
peine, vint apprendre à Maltida cet horrible événement. Maltida,
accablée par ce récit, et privée, par la perte des siens, de l'espoir de
réussir dans sa vengeance, s'abstint de sacrifier la vie du reste de ses
vassaux; elle se résigna à supporter en silence ses infortunes.

Inconsolable de la mort de son époux, Maltida se déroba aux regards du
public, et prit le parti de se confiner dans son antique manoir. Là, au
milieu de sa famille et de ses vassaux, elle se dévoua toute entière à
l'éducation de ses enfans. Un fils et une fille lui restaient pour
partager ses soins; et leurs vertus qui se montraient chaque jour
davantage, promettaient de la récompenser de sa tendresse. Osbert était
dans sa dix-neuvième année; il tenait de la nature un esprit ardent,
susceptible de tous les genres de connaissances; l'éducation avait
ajouté à cet avantage, celui de donner de l'étendue et de la délicatesse
à ses idées. Son imagination était animée, brillante; et son coeur, qui
n'avait point encore été refroidi par le malheur, était ouvert à une
chaleureuse bienfaisance.

Lorsque nous entrons sur le théâtre du monde, l'imagination de la
jeunesse embellit chaque scène, et notre ame se répand sur tout ce qui
nous environne. Un sentiment de bienveillance nous porte à croire que
chaque être que nous rencontrons est bon, et à nous étonner que tout
être bon ne soit pas heureux. L'indignation s'empare de nous au récit
d'une injustice et à l'aspect de l'insensibilité. Le spectacle de
l'infortune fait couler nos larmes, doux tribut de notre pitié; une
action vertueuse dilate notre coeur: nous bénissons celui qui l'a faite,
et nous nous en croyons capables. Mais quand nous avançons dans la vie,
notre imagination est forcée d'abandonner une partie de ces douces
chimères; le triste chemin de l'expérience nous conduit à la vérité, et
les objets sur lesquels nous portions n'aguères un regard bienveillant,
sont examinés d'un oeil sévère. Alors une scène toute différente se
présente. Où était le doux sourire, se trouvent l'humeur et le chagrin;
une ombre épaisse a remplacé la brillante clarté, et des passions
misérables, ou une repoussante apathie, dégradent les traits des
principaux personnages. Nous nous détournons avec effroi d'un tableau si
triste, et essayons de rappeler les illusions de nos premières années;
mais, hélas! elles ont disparu pour jamais. Contraints de voir les
objets tels qu'ils sont véritablement, leur difformité nous devient par
degrés moins pénible. Une fréquente irritation détruit la susceptibilité
morale, et bientôt confondus dans le monde, nous grossissons le nombre
de ceux qui lui rendent un culte.

Marie avait dix-sept ans; elle joignait aux perfections, qui sont
communément l'apanage de l'âge mûr, la touchante simplicité de la
jeunesse. Les grâces de sa figure n'étaient inférieures qu'à celles de
son esprit qui donnait à toute sa personne une inimitable expression.

Douze années s'étaient écoulées depuis la mort du comte. Le tems, dont
l'effet est d'émousser la pointe aiguë de la douleur, avait changé celle
de Maltida en une mélancolie douce qui donnait quelque chose de touchant
à la dignité naturelle de son caractère. Jusqu'à ce jour elle ne s'était
occupée que de cultiver ces vertus, dont la nature avait si libéralement
doué ses enfans, et qui s'étaient encore accrues par ses soins; mais son
coeur venait de s'ouvrir à des sollicitudes toutes nouvelles. Ces enfans
chéris étaient parvenus à un âge dangereux, et par sa tendre
susceptibilité, et par l'empire quel imagination laisse prendre aux
passions. On voit trop souvent que les impressions reçues à cette époque
de la vie ne peuvent plus s'effacer. Il était d'ailleurs pour cette
tendre mère, qui n'existait que dans ses enfans, un sujet tout
particulier d'alarmes.

Depuis le moment où Osbert avait été informé des détails de la mort de
son père, il brûlait de la venger. Le comte, par son sage gouvernement,
s'était fait adorer de sa tribu. Tous voulaient punir Malcolm. Enchaînés
par la généreuse compassion de la comtesse, ils faisaient taire leurs
murmures, mais ils se flattaient que leur jeune chef les conduirait un
jour à la victoire et à la vengeance. Le tems leur semblait s'approcher
où il leur serait permis de se consoler de leurs longues souffrances. Le
coeur maternel de Maltida ne lui permettait pas de songer à exposer son
fils et ses vassaux; aussi défendit-elle à Osbert de tenter les hasards
des combats. Il se soumit en silence à ce qui était exigé de lui, et
s'efforça, en se livrant à ses études favorites, de réprimer son
penchant pour les armes. Osbert possédait tous les talens qui
conviennent à un homme de son rang, mais il excellait surtout dans les
exercices militaires. Son ame noble paraissait s'y complaire d'une façon
toute particulière; et il goûtait un secret plaisir, en songeant que
l'habileté qu'il s'y était acquise pourrait un jour le servir dans son
dessein d'obtenir justice de la mort de son père. Sa brûlante
imagination lui faisait chérir la poésie, et il s'y exerçait lui-même.
Il aimait à errer au milieu des grandes scènes que les montagne
présentent à chaque pas, et qui, par la sauvage variété que la nature y
déploie, sont propres à inspirer l'enthousiasme. Cherchant des tableaux
grands et terribles, il négligeait ceux qui n'étaient que doux, et
souvent entraîné par le besoin que son imagination éprouvait d'être
fortement frappée, il allait s'égarer au milieu d'effrayantes solitudes.

                   *       *       *       *       *

Un jour, dans une de ses courses, après avoir fait plusieurs milles sur
des montagnes couvertes de bruyères, d'où son oeil ne découvrait plus
que les confins de la nature cultivée, des rochers entassés sur des
rochers, de hautes cataractes et de vastes déserts, il ne reconnut plus
le chemin qu'il venait de se frayer. C'était en vain qu'il portait ses
regards sur tous les objets qu'il pouvait découvrir. Pour la première
fois son coeur éprouva la crainte. Nulle part il n'apercevait de traces
d'hommes; l'affreux silence de ces lieux n'était interrompu que par le
bruit de la chute des torrens et le cri des oiseaux de proie qui
traversaient les airs au-dessus de sa tête. Il se mit lui-même à crier,
et les profonds échos des montagnes répondirent seuls à sa voix. Pendant
quelque tems il demeura immobile et dans le silence. Cet état eut
d'abord son charme, mais bientôt il devint si pénible, qu'il ne put plus
le supporter. Abattu et presque sans espoir, il chercha à retourner sur
ses pas: rien de ce qu'il rencontrait ne lui semblait avoir déjà frappé
sa vue. Enfin, après avoir long-tems erré, il arriva à un sentier étroit
dans lequel il entra, succombant sous la fatigue de ses inutiles
recherches. A peine eut-il fait quelques pas, qu'une ouverture qui
perçait un rocher lui laissa voir un site plein de beautés. C'était une
vallée entourée d'énormes rocs, dont la base était ombragée par d'épais
sapins. Un torrent se précipitait de leur sommet, et roulant avec
impétuosité au travers de ces bois majestueux, allait se jeter dans un
vaste lac qui occupait le milieu de la vallée, et qu'on voyait se perdre
dans les gorges lointaines des montagnes. De nombreux troupeaux de
brebis erraient sur une riche pelouse. L'oeil d'Osbert fut
délicieusement affecté en découvrant des habitations humaines: quelques
chaumières bien tenues étaient éparses çà et là, non loin du lac. Son
coeur éprouva une sensation de joie si vive, qu'il oublia d'abord qu'il
avait à chercher la route par laquelle on pouvait arriver à cet Elisée.
Il commençait à s'en occuper lorsque son attention fut attirée par un
jeune habitant des montagnes, qui s'avança vers lui d'un air de
bienveillance et s'offrit à le conduire à sa demeure, dès qu'il eut
appris sa peine. Osbert accepta cette invitation; ils descendirent
ensemble de la montagne, en prenant de longs circuits, par un sentier
rude et couvert. Arrivés à une des chaumières qu'Osbert avait aperçues
de la hauteur, ils entrèrent, et le jeune montagnard présenta son hôte à
son père qui était un vénérable vieillard. Des rafraîchissemens furent
apportés par une jeune fille d'une figure gracieuse; Osbert, après en
avoir pris quelques-uns, et être demeuré quelques momens dans cette
maison, partit accompagné d'Alleyn, ce jeune paysan qui avait voulu être
son guide. Tous deux cherchèrent à tromper la longueur de la marche par
la conversation. Osbert prenait un vif intérêt à son compagnon dans
lequel il découvrait une ame élevée et des sentimens entièrement
analogues aux siens. Pendant leur route ils passèrent à peu de distance
du château de Dunbayne; cette vue jetta Osbert dans d'amères pensées, et
il lui échappa un mouvement brusque et involontaire. Alleyn fit quelques
observations sur la mauvaise politique d'un chef oppresseur, et cita,
comme un exemple, le baron Malcolm. «Ces terres, dit-il, lui
appartiennent, et elles suffisent à peine pour nourrir ses misérables
vassaux qui, gémissant sous la plus cruelle exaction, négligent de les
cultiver, et privent ainsi leur seigneur de beaucoup de richesses: la
tribu menace de se soulever et de se faire justice elle-même par la voie
des armes. Le baron, plein d'une arrogante confiance, se rit de leurs
plaintes, et ignore son danger. Si une insurrection vient à éclater,
d'autres tribus s'empresseront de se réunir à celle-ci pour opérer sa
ruine et frapper du même coup le tyran et l'assassin». Etonné de
l'esprit d'indépendance qui régnait dans ce discours, prononcé avec une
énergie peu commune, Osbert sentit battre son coeur, et le mot, ô mon
père! sortit de ses lèvres sans qu'il pût le retenir. Alleyn s'arrêta,
incertain de l'effet qu'avait produit ce qu'il avait dit, mais au bout
d'un instant la vérité tout entière se découvrit à son esprit. Il
reconnut le fils de ce chef, qu'on lui avait appris à aimer dès sa plus
tendre enfance, et dont l'histoire était gravée dans son coeur; il
voulut se précipiter à ses pieds et embrasser ses genoux: Osbert le
retint. L'étonnement dans lequel était plongé le jeune comte, cessa
bientôt lorsqu'il eut entendu ces mots qui remplirent ses yeux tout
à-la-fois de larmes de joie et de tristesse. «Il est d'autres tribus
prêtes, comme la vôtre, à venger les offenses du noble comte d'Athlin;
les Fitz-Henrys seront toujours les amis du la vertu». L'air du jeune
montagnard, pendant qu'il parlait, était plein d'une dignité
profondément sentie, et ses yeux animés de la fierté qui sied à la
vertu. L'ame d'Osbert s'enflamma à ces généreux propos; mais l'image de
sa mère en larmes vint tout-à-coup tempérer son ardeur. «O mon ami!
reprit-il, peut-être un jour votre zèle sera accepté avec toute la
chaleur de la reconnaissance qu'il mérite. Des circonstances
particulières ne me permettent pas d'en dire à présent davantage». Et
l'attachement d'Alleyn pour son père pénétra jusqu'au fond de son coeur.

Le jour était déjà avancé à leur arrivée au château; il fut décidé
qu'Alleyn y demeurerait la nuit.



CHAPITRE II.

_Fête annuelle du château d'Athlin: son origine.--La tribu désire venger
la mort du Comte, et seconde le projet d'Osbert.--Alarmes de Maltida et
de Marie au sujet d'Osbert.--Alleyn devient amoureux de Marie.--Osbert
et Alleyn attaquent le Château de Dunbayne, résidence de Malcolm.--Ils
sont faits prisonniers.--Douleur de Maltida et de Marie; tendre pitié de
celle-ci pour Alleyn._


Le jour suivant était destiné à célébrer la fête annuelle que le comte
donnait à ses vassaux; il ne voulut pas consentir au départ d'Alleyn. La
grande salle du château fut remplie de tables, et la danse et la joie se
trouvèrent partout. C'était l'usage que la tribu s'assemblât en armes,
parce que, deux siècles auparavant, elle avait été surprise à pareil
jour par une tribu ennemie, et l'on voulait ainsi perpétuer le souvenir
de cet événement.

Le matin fut consacré aux exercices militaires, dans lesquels
d'honorables prix, destinés à ceux qui se distinguaient le plus,
excitaient l'émulation. Des remparts du château, la comtesse et son
aimable fille regardaient les exploits qui avaient lieu dans la plaine.
Leur attention était excitée, et leur curiosité vivement piquée par
l'aspect d'un étranger qui maniait l'arc et la lance avec une grande
dextérité, et sortait vainqueur de tous les combats. Cet étranger était
Alleyn; il reçut des mains du comte, suivant la coutume, la palme de la
victoire, et tous les spectateurs furent charmés de son maintien plein
d'une dignité modeste.

Le comte assista à la fête. Comme elle finissait, chacun des hôtes,
saisissant son verre de la main gauche, tandis que de la droite il
tirait son épée, but à la mémoire de son défunt chef. La salle retentit
d'un cri général, et ce cri parut à Osbert le tocsin de la guerre. Tous
les membres de la tribu se prirent par la main et burent à l'honneur du
fils de leur dernier chef. Le jeune Thane comprit ce signal, et bientôt
toute espèce de considération eut cedé chez lui au désir de venger son
père. Il se leva et adressa à sa tribu un discours rempli du feu de la
jeunesse et de l'indignation de la vertu. Pendant qu'il parlait, la
contenance de ses vassaux annonçait toute l'impatience de la joie; et
dès qu'il eut cessé, un long murmure d'applaudissement se fit entendre
dans l'assemblée. Alors chaque homme, croisant son épée avec celle de
son voisin, jura, par ce gage sacré, de ne point abandonner la cause
dans laquelle il s'engageait, jusqu'à ce que la vie de l'ennemi commun
eût acquitté la dette qu'il devait à la justice et à la vengeance.

Le soir, les femmes et les filles des paysans vinrent au château et
prirent part à la fête. C'était la coutume que la comtesse et ses femmes
observassent d'une galerie les diverses cercles qui se réunissaient pour
la danse et le chant, et la fille du château devait exécuter une danse
écossaise avec le vainqueur de la matinée. Bientôt Alleyn aperçut la
charmante Marie, conduite par le comte, qui la lui venait présenter;
elle reçut l'hommage d'Alleyn avec une grace aimable. Son habit était
celui que portent les jeunes filles des montagnes, et ses cheveux,
tombant en tresses sur son col, avaient, pour tout ornement, une simple
guirlande de roses: elle dansa avec la légéreté que les poëtes donnent
aux graces. L'admiration des spectateurs était partagée entre elle et
l'étranger vainqueur. Marie, après avoir dansé, se retira dans la
galerie; et chacun, si l'on en excepte le comte et Alleyn, passa le
reste de la soirée dans les transports de la joie. Tous deux avaient des
motifs différens d'inquiétude. Osbert rappelait dans son esprit les
événemens de ce jour; il brûlait d'accomplir les desseins que la piété
filiale lui avait imposés, mais il redoutait l'effet que leur révélation
devait avoir sur le tendre coeur de Maltida. Cependant il se décida à
les lui apprendre dès le lendemain, et à tenter, sous peu de jours, le
sort des armes.

                   *       *       *       *       *

Alleyn, dont le coeur jusqu'à ce moment n'avait été touché que des
peines des autres, commença à en ressentir qui lui étaient propres. Son
esprit agité lui offrait l'image de Marie: il tentait de la bannir; mais
ses efforts étaient si faibles qu'elle se représentait sans cesse. Tout
à-la-fois satisfait et triste, il ne voulait pas s'avouer à lui-même
qu'il aimait (tant nous sommes quelquefois ingénieux à nous tromper
nous-mêmes.) Il se leva à la pointe du jour et quitta le château plein
d'une vive reconnaissance et d'un amour secret, pour aller exciter ses
amis à la guerre qui s'approchait.

Le comte eut un sommeil fort agité. Aussitôt après son réveil, il lui
fallut songer à aller braver la tendre résistance de sa mère; il entra
chez elle d'un pas incertain, et montrant dans sa contenance l'émotion
de son ame. Maltida apprit bientôt de lui ce que son coeur avait
présagé; accablée par ce coup terrible, elle tomba sur sa chaise sans
connaissance. Osbert courut chercher des secours, et Marie et les
domestiques la rappelèrent à la vie et à la douleur.

L'esprit d'Osbert était livré au plus cruel combat: le devoir d'un fils,
l'honneur, la vengeance lui commandaient de marcher; la tendresse
filiale, le regret, la pitié lui prescrivaient le contraire. Marie était
à ses pieds, et serrant ses genoux avec toute l'énergie de la douleur,
elle le suppliait d'abandonner son fatal dessein et de sauver ainsi la
vie à celui des auteurs de ses jours qui avait survécu. Ses pleurs, ses
soupirs et le touchant abandon de son maintien parlaient plus
énergiquement que sa langue. La douleur silencieuse de la comtesse était
encore plus éloquente. Osbert, en jetant les yeux sur elle, fut une fois
prêt de céder, lorsque l'image de son père mourant vint se présenter à
son esprit, et le rendre à son projet. La tendre Maltida, livrée à toute
l'inquiétude maternelle, voyait déjà son fils au milieu de la mêlée, et
la mort de son lord retracée en ce moment à sa mémoire, réveillait les
sensations de douleur excitées par ce cruel événement, que le tems
consolateur avait à peine affaiblies. La pitié est si aimable dans tous
ses développemens, que nous nous persuadons qu'elle ne peut jamais aller
trop loin; mais elle devient un vice lorsqu'elle détruit les résolutions
d'une vertu plus forte. D'austères principes prémunirent le coeur
d'Osbert contre son influence et le poussèrent à prendre les armes. Il
appela autour de lui ceux de sa tribu qui lui semblaient les plus
prudens, et tint un conseil de guerre. Il fut décidé que Malcolm serait
attaqué avec toutes les forces qu'on pourrait rassembler et toute la
promptitude que l'importance d'une expédition de cette nature
permettait. Afin de prévenir les soupçons et les alarmes du baron, on
arrêta de répandre que ces préparatifs avaient pour but d'assister un
chef éloigné, et qu'au moment où la tribu se mettrait en marche, elle
prendrait une route contraire et se dirigerait ensuite, à la faveur de
la nuit, sur le château de Dunbayne.

Dans le même tems Alleyn s'occupait avec ardeur à joindre ses amis à
Osbert; en peu de jours il en eut rassemblé un nombre considérable. Un
autre motif se confondait dans son coeur avec l'enthousiasme de la
vertu. Ce n'était plus le simple attachement à la cause de la justice
qui le portait à agir; l'espoir de se distinguer aux yeux de sa
maîtresse, d'obtenir son estime par ses services empressés, ajoutait une
force nouvelle à l'impression donnée par la bienveillance. La douce idée
de mériter la reconnaissance de Marie enflammait secrètement son ame;
car il ignorait encore l'impression qu'il avait faite sur son coeur. Ce
fut dans cet état qu'il revint au château apprendre au comte que ses
amis étaient disposés à le suivre toutes les fois qu'il en donnerait le
signal. Son offre fut acceptée avec les égards qu'elle méritait, et il
retourna tout préparer pour le moment de l'attaque.

Quelques jours suffirent à toutes les dispositions: Alleyn et ses amis
furent avertis, et la tribu en armes, ayant le jeune comte à sa tête, se
mit en marche.

La séparation d'Osbert et de sa famille est facile à concevoir; mais
tout l'orgueil d'une victoire attendue n'empêcha point Alleyn de pousser
un soupir, lorsque ses yeux se séparèrent de Marie, qui, sur la terrasse
du château avec la comtesse, suivit de l'oeil la marche de son frère
bien aimé, jusqu'à ce que l'éloignement l'eût dérobé entièrement à sa
vue. Marie rentra au château, pleurant, et présageant quelque grande
calamité; elle s'efforça cependant de prendre un air tranquille pour
tromper les craintes de Maltida et la distraire de sa douleur. La
comtesse, dont l'esprit était aussi fort que le coeur était tendre,
n'ayant pu empêcher cette périlleuse expédition, avait rassemblé tout
son courage pour combattre les impressions d'une douleur sans fruit, et
chercher les avantages que l'occasion actuelle offrait. Ses efforts ne
furent point vains; elle conçut que cette entreprise devait honorer la
mémoire de son lord égorgé et faire tomber le châtiment sur la tête du
meurtrier.

                   *       *       *       *       *

Ce fut un après midi que le comte partit du château. D'abord il suivit
une route opposée, jusqu'à ce que la nuit étant survenue il marcha vers
celui de Dunbayne. La profonde obscurité du tems favorisait son plan qui
consistait à escalader les murailles, surprendre les sentinelles et
pénétrer dans la cour intérieure, l'épée à la main. Déjà, d'un pas
pressé on avait fait plusieurs milles, à travers d'arides bruyères, sans
être aidé par le moindre rayon de clarté, lorsque tout-à-coup le lugubre
son de la cloche d'un horloge, qui marquait l'heure de la nuit, se fit
entendre. Le coeur de tous battit; ils comprirent qu'ils étaient près du
séjour du baron. Une halte fut ordonnée pour délibérer, et l'on arrêta
que le comte, accompagné d'Alleyn et de quelques hommes de choix, irait
reconnaître le château, pendant que le reste de la troupe demeurerait à
une légère distance où il attendrait un signal. Le comte et son petit
détachement exécutèrent leur marche en silence. Une faible lumière
qu'ils aperçurent les guida depuis la tour de l'horloge jusqu'au
château; ils arrivèrent ainsi aux pieds de ses murailles, et
s'arrêtèrent un moment pour s'assurer qu'ils n'entendaient aucun
mouvement. La nuit couvrait tous les objets d'un voile épais, et le
silence de la mort régnait partout. La situation du château fut examinée
autant que l'obscurité pouvait le permettre. C'était un édifice bâti
avec une magnificence gothique sur un roc élevé et dangereux. La hauteur
de ses tours, et sa vaste étendue déposaient de la puissance de ses
anciens possesseurs. Le roc était environné d'un fossé large, mais peu
profond, sur lequel gisaient deux ponts-levis, l'un du côté du nord et
l'autre à l'orient; tous deux étaient séparés vers le milieu, et avaient
une moitié baissée du côté de la campagne. Le pont placé au nord
conduisait à la principale porte du château, et celui de l'orient à la
tour de l'horloge. Telles étaient les seules entrées du château. Le roc
se trouvait presque perpendiculaire avec les murailles qui étaient
hautes et fortes. Après avoir considéré cette situation, Osbert, et sa
troupe, montèrent sur un tertre d'où le roc paraissait plus accessible
et était contigu à la principale porte: là ils donnèrent le signal au
reste de la tribu. Celle-ci s'approcha sans bruit, et jetant dans le
fossé des fascines qu'elle avait rassemblées, elle en construisit un
pont sur lequel elle passa, et fit ses préparatifs pour gravir le roc.
Il avait été résolu qu'un parti, commandé par Alleyn, escaladerait les
murailles, surprendrait les sentinelles et ouvrirait la porte à la tribu
qui devait attendre dehors avec le comte. Alleyn plaça le premier son
échelle et monta: il fut suivi bientôt par ses compagnons qui, avec
beaucoup de peine et quelques dangers, parvinrent à gagner le sommet des
remparts. Cette troupe traversa une partie de la plate-forme sans
entendre le bruit d'aucune voix ou d'aucun pas. Tout semblait enseveli
dans un sommeil profond. Une partie s'approcha de plusieurs sentinelles
qui étaient endormies et s'en saisit. Alleyn et quelques autres
s'avancèrent pour ouvrir la porte la plus proche et abaisser le pont.
Cette opération était finie, lorsque tout-à-coup le signal de surprise
fut donné; la cloche d'alarmes sonna, et le château retentit du bruit
des armes. Ce n'était par-tout que tumulte et confusion. Le comte et une
partie des siens avaient franchi la porte, quand soudain ils virent
tomber la herse; le pont se leva aussitôt, et le comte et ses compagnons
se trouvèrent environnés par une multitude armée qui descendait par
torrens de tous les lieux retirés du château. Surpris, mais non
intimidé, Osbert se précipita, l'épée à la main, et combattit avec une
valeur désespérée. L'ame d'Alleyn semblait acquérir une nouvelle vigueur
au milieu de ce désordre; il combattait comme un homme respirant la
gloire et certain de la victoire: par-tout où il se portait la foule se
dispersait devant lui. Réuni avec le comte il était parvenu dans les
cours intérieures, où ils cherchaient le baron. Tous deux brûlaient de
satisfaire une juste vengeance et de terminer ce combat par la mort de
Malcolm. Une fois entrés dans les cours, les portes se fermèrent sur
eux; une nombreuse troupe de gardes les pressa de toutes parts, et,
après une courte résistance dans laquelle Alleyn reçut une légère
blessure, ils furent saisis et faits prisonniers de guerre. Le carnage
devint affreux; les vassaux du baron, remplis de furie, étaient
insatiables de sang. Beaucoup de ceux qui avaient suivi le comte furent
tués dans les cours ou sur la plate-forme; beaucoup, en tentant de
s'échapper, se précipitèrent des remparts, et un grand nombre avait péri
lors de l'élévation soudaine du pont. Une bien faible partie de cette
brave et généreuse troupe, dévouée à la cause de la justice, parvint à
s'éloigner des murailles, et survécut pour aller porter ces terribles
nouvelles à la comtesse. Le sort du comte était entièrement inconnu à
ses amis. Une cause particulière concourrait à augmenter encore leur
consternation: c'était l'étonnante manière dont la victoire venait
d'être remportée; car on savait que Malcolm, hors les cas de nécessité,
n'avait jamais à Dunbayne plus de soldats que n'en exige la pompe
féodale: et dans cette circonstance on avait vu sortir des lieux retirés
du château, un nombre d'hommes armés capables de résister à une tribu
toute entière. Les intelligences secrètes du baron étaient inconnues:
une conscience alarmée le tenait en armes pour sa propre sûreté, et
depuis quelques années des espions, placés par lui dans les environs du
château d'Athlin, observaient ce qui s'y passait et lui rendaient un
compte immédiat de tous les préparatifs de guerre dont ils
s'apercevaient. Il n'était point probable qu'un événement aussi public
que celui qui avait eu lieu le jour de la fête, lorsque tous les vassaux
jurèrent de venger la mort de leur chef, pût échapper à l'oeil vigilant
des hommes aux gages de Malcolm. Ils s'étaient effectivement hâtés de le
lui apprendre, en accompagnant leur récit de toutes les exagérations de
la peur et de l'étonnement. Cette nouvelle l'avertit de se mettre en
défense. Ce qu'on lui rapporta des apprêts militaires du comte, vint le
convaincre qu'il devait se hâter; et, souriant à ces faux bruits d'une
guerre éloignée, il fit entrer des hommes et des armes dans son château,
et se tenait lui-même prêt à recevoir les assaillans. Le plan du baron,
conduit avec beaucoup d'art et de secret, consistait à laisser l'ennemi
escalader les murailles, pour le passer ensuite au fil de l'épée. Mais
peu s'en fallût qu'il n'échouât, par une suite du sommeil auquel
s'étaient livrées les sentinelles chargées de donner l'alarme.

Le courage de Maltida céda à une aussi grande calamité; elle fut
attaquée par une maladie violente qui faillit terminer ses souffrances
et sa vie, et rendre inutiles tous les tendres soins de sa fille.
Cependant ces soins ne demeurèrent pas sans effet; Maltida revint à la
vie, et ils l'aidèrent à supporter les heures d'affliction qu'elle
devait à son incertitude du sort du comte. Marie, pénétrée de tout ce
que ces derniers événemens avaient de lamentable, était peu propre au
rôle de consolatrice; mais son coeur généreux, souffrant des profondes
douleurs de Maltida, s'efforça d'oublier ses propres peines pour ne
s'occuper que de celles de sa mère. Souvent néanmoins elle se
représentait son frère livré aux horreurs de la prison et de la mort, et
cette affreuse image égarait sa raison. Marie éprouvait aussi une forte
compassion pour ce jeune montagnard qui, avec un désintéressement si
noble, s'était lié à la cause de sa maison: elle souhaitait ardemment
d'apprendre la destinée de tous deux, et souvent son ame était brisée
par le spectacle de leurs tourmens que son imagination lui offrait.



CHAPITRE III.

_Captivité d'Osbert et d'Alleyn.--Projet de vengeance de Malcolm;--il
tente de faire enlever Marie;--elle est délivrée par Alleyn qui s'était
sauvé de sa prison.--Récit de la manière dont Alleyn est parvenu à
s'échapper: ses premières tentatives sont infructueuses: deux soldats,
chargés de le garder, fuyent avec lui: étrange rencontre qu'ils font
dans un souterrain du château de Dunbayne.--Alleyn projette de délivrer
son ami Osbert._


Osbert, après avoir été chargé de fers, fut conduit dans la principale
prison du château et laissé seul aux plus cruelles réflexions. Mais le
malheur qui ébranlait sa fermeté ne pouvait la vaincre, et l'espérance
n'était pas encore entièrement perdue pour lui. C'est le propre des
grandes ames de trouver contre les coups du sort une force qui s'accroît
sans cesse; la résistance chez eux devient énergique en proportion de
l'attaque; et l'on peut dire que cette espèce d'hommes triomphe de
l'adversité avec les armes qu'elle lui fournit.

                   *       *       *       *       *

Au bout de quelque tems il vint à l'esprit d'Osbert d'examiner sa
prison. C'était une chambre quarrée, qui se trouvait au sommet d'une
tour tenant au côté oriental du château, d'où l'on entendait sans cesse
le lugubre rugissement des vents. Les murs intérieurs étaient délabrés
et menaçaient ruine. Un matelas placé dans un des coins de la chambre,
une chaise de nattes brisée et une table chancelante composaient tout
l'ameublement. Le jour et l'air perçaient à peine à travers deux
étroites fenêtres garnies de larges barreaux de fer, dont l'une laissait
apercevoir une cour intérieure, et l'autre une chaîne de montagnes
stériles et sauvages.

Alleyn fut traîné, par des conduits obscurs, dans une partie éloignée du
château, à l'extrémité de laquelle une petite porte de fer qui s'ouvrit
lui montra un cachot d'où la lumière et l'espérance étaient également
bannies. Il frissonna en y entrant, et aussitôt la porte se ferma sur
lui.

L'esprit du baron était agité tout à-la-fois par les sombres passions de
la haine, de la vengeance et de l'orgueil irrité; il tourmentait son
imagination pour inventer des tortures égales à la violence de ses
sentimens. Après de longues réflexions, il se persuada que le supplice
de l'attente dans l'incertitude faisait plus souffrir que les plus
grands maux eux-mêmes contre lesquels, dès qu'ils sont connus, les ames
fortes se roidissent. Il arrêta donc que le comte demeurerait dans la
tour, incertain du sort qui lui était réservé, et qu'on lui donnerait
assez de nourriture pour le mettre en état de sentir sa déplorable
situation.

Osbert était enseveli dans ses pensées, lorsqu'il entendit rouler, en
gémissant sur ses gonds, la porte de son affreux séjour; et soudain
Malcolm parut devant lui. Le coeur d'Osbert se gonfla d'indignation, et
la défiance éclata dans ses yeux. «Je viens, dit l'insolent vainqueur,
féliciter le comte d'Athlin de son arrivée dans mon château, et lui
montrer comment je sais exercer l'hospitalité envers mes amis; mais je
l'avoue je n'ai point encore déterminé la fête que je dois lui donner».

«Lâche tyran, répondit Osbert, avec toute la dignité de la vertu, il est
d'un assassin d'insulter à un vaincu; je n'attends pas que celui qui a
immolé le père épargne le fils: mais sache que le fils méprise ta
colère, et que la crainte de ta cruauté ne pourra jamais l'ébranler».

«Téméraire jeune homme, répliqua le baron, tes paroles ne sont que du
vent; ta force tant vantée a fléchi sous ma puissance, et c'est à moi de
décider de ton sort». Après ces mots il sortit de la prison, frémissant
et furieux de l'inébranlable courage du comte.

La vue de Malcolm excita dans l'ame d'Osbert les mouvemens opposés d'une
violente indignation, et d'une tendre pitié que lui inspirait le
souvenir de son père; pendant un moment il fut réduit à l'état le plus
misérable. L'énergie terrible de ses sensations le jetta dans une sorte
de délire; la fermeté qu'il venait de montrer avait entièrement disparu,
et il était sur le point de renoncer à la vertu et à la vie, à l'aide
d'un court poignard qu'il conservait caché sous sa veste: tout-à-coup le
son mélodieux d'un luth attira son attention; cet instrument était
accompagné d'une voix douce et tendre, qui fut pour le coeur d'Osbert
comme un beaume salutaire; il lui sembla que le ciel s'en servait pour
l'arrêter dans ses desseins et changer sa destinée. La tourmente
s'apaisa, et fut bientôt dissoute en larmes de pitié et de repentir. La
langueur qui régnait dans le chant, semblait annoncer qu'il était celui
d'un être souffrant et sans doute aussi prisonnier. Lorsqu'il eut cessé,
Osbert, encore plein d'étonnement, s'approcha des barreaux de la fenêtre
pour chercher à découvrir d'où étaient partis ces sons enchanteurs; mais
personne ne s'offrit à ses regards, et il ne put juger si c'était de
l'intérieur ou de l'extérieur du château. Vainement essaya-t-il
d'obtenir du garde, qui vint lui apporter une faible portion de
nourriture, quelques informations sur ce qu'il avait entendu; le silence
obstiné du satellite de Malcolm le laissa dans son ignorance.

La douleur remplissait le château d'Athlin et ses environs. La nouvelle
de l'emprisonnement du comte était enfin parvenue aux oreilles de
Maltida, et son ame avait perdu toute espérance. Elle envoya sur le
champ offrir au baron une forte rançon, pour la liberté de son fils et
des autres prisonniers; mais la férocité de l'ame de Malcolm dédaignait
un triomphe incomplet. La vengeance l'emporta sur son avarice, et les
offres furent rejetées avec mépris. Un autre motif agissait sur son
esprit, et le confirmait dans ses desseins. On lui avait souvent parlé
de la beauté de Marie de manière à exciter sa curiosité; il était
parvenu à se procurer les moyens de la rencontrer; et cette vue avait
allumé dans son sein une passion que la violence de son caractère
empêchait de s'éteindre. Déjà il avait formé, pour l'obtenir, divers
projets qui étaient tous demeurés sans exécution; la captivité du comte
lui parut une occasion favorable à son amour; il résolut donc de
demander la main de Marie en échange de la liberté de son frère; mais il
se détermina à ne point d'abord laisser paraître ses vues, afin que les
angoisses de l'anxiété et du désespoir agissant sur Maltida, elle pût se
résoudre à sacrifier sa fille à son ennemi.

Les faibles restes de la tribu, résistant à l'horrible revers qu'ils
venaient d'essuyer, eurent encore le courage de s'assembler: et tout
dangereux que fût le projet d'arracher leur chef à la prison, ils s'y
arrêtèrent. L'espérance soutint encore de nouveau Maltida; mais bientôt
une nouvelle source de chagrin fut ouverte pour elle. La santé de Marie
déclinait sensiblement: elle était silencieuse et pensive: sa délicate
complexion ne pouvait résister aux peines de son esprit, et ces peines
s'augmentaient par l'effort qu'elle faisait pour les cacher. Elle
s'imposa l'amusement et un exercice agréable, comme un moyen qui devait
lui rendre plus facilement la paix et la santé. Un jour que, pour
chercher ces trésors, elle faisait une promenade à cheval, elle fut
tentée par la beauté de la soirée de prolonger sa course au-delà de ses
bornes ordinaires. Le soleil se couchait comme elle entrait dans un bois
dont la sombre et triste obscurité convenait parfaitement à la
mélancolie de son coeur. La paisible sérénité du tems et le majestueux
aspect du lieu se réunirent pour la faire tomber insensiblement dans un
doux oubli de ses peines: elle s'y abandonnait avec délices, quand
soudain elle en fut tirée par le bruit des pas de chevaux s'avançant
près d'elle. L'épaisseur du feuillage gênait sa vue, mais elle crut voir
briller des armes à peu de distance. Elle détourna son cheval, et voulut
gagner l'entrée du bois. Son coeur agité par la crainte, lui faisait
hâter sa retraite. En regardant derrière elle, elle distingua
parfaitement trois hommes armés et déguisés accourant à sa poursuite.
Prête à perdre connaissance, en vain l'effroi lui donna des ailes; tous
ses efforts furent inutiles, et bientôt les brigands l'eurent atteinte.
L'un d'eux saisit la bride de son cheval, et les autres tombèrent sur
les deux domestiques qui l'accompagnaient. Il y eut un vif combat: la
force de ses serviteurs fut contrainte de céder aux armes de leurs
adversaires. Terrassés, ils se virent traîner dans le bois et attacher à
des arbres. Marie, évanouie entre les bras de celui qui s'était emparé
d'elle, était portée à travers des sentiers obscurs et silencieux: il
est facile de se peindre sa terreur quand rouvrant les yeux elle se
trouva au milieu d'hommes inconnus. Ses cris, ses larmes, ses prières
n'eurent aucun effet. Ces misérables insensibles à la pitié et à ses
demandes, gardaient un farouche silence. Ils la conduisirent vers
l'entrée d'une horrible caverne: alors le plus affreux désespoir
s'empara d'elle, et bientôt elle ne donna plus aucun signe de vie: cet
état dura long-tems; mais il est impossible d'exprimer ce qu'elle
éprouva, quand revenant à elle par degrés, elle aperçut Alleyn lui-même
qui, dans la plus vive inquiétude, attendait son retour à la vie, et
dont les yeux se remplirent de joie et de tendresse lorsqu'elle commença
à se ranimer. L'étonnement, une joie mêlée de crainte, et tous les
symptômes d'une foule de sensations confuses se peignirent rapidement
sur le visage de Marie. Sa surprise augmenta encore à l'aspect de ses
domestiques qui étaient rangés auprès d'elle. Elle osait à peine en
croire le témoignage de ses yeux, mais la voix d'Alleyn, tremblante de
tendresse, dissipa, dans un moment, le prestige de son incertitude, et
ne lui permit plus de douter de l'étonnante réalité des objets dont elle
était environnée. A peine eut-elle repris des forces suffisantes, qu'on
se hâta de quitter ce lieu d'effroi; la route fut continuée d'un pas
lent, et la nuit était tombée depuis long-tems lorsque le cortège arriva
au château. La douleur et la confusion y régnaient. La comtesse, remplie
des craintes les plus tristes, avait envoyé sur différens chemins des
domestiques au-devant de sa fille. Dans son premier transport, elle ne
fit point attention en la voyant arriver, qu'elle était accompagnée par
Alleyn. Bientôt néanmoins sa joie égala son étonnement quand elle
reconnut le compagnon d'Osbert; et au milieu des diverses impressions
qu'elle éprouvait, elle savait à peine qui des deux elle devait d'abord
interroger. Lorsqu'elle eut été informée des périls que sa fille avait
courus, et qu'elle eut connu celui qui l'en avait arrachée, elle se
prépara avec une impatiente sollicitude à apprendre des nouvelles de son
fils chéri, et comment le brave et jeune montagnard avait échappé à la
vigilance du baron. Alleyn ne put rien dire du comte à Maltida, si ce
n'est qu'il avait été fait prisonnier avec lui, dans l'intérieur des
cours de la forteresse, comme ils combattaient à côté l'un de l'autre;
et que, sans avoir reçu aucune blessure, son fils avait été conduit dans
une tour située à l'angle oriental du château, où il était toujours
détenu. Il ajouta que lui-même ayant été enfermé dans une partie
éloignée de l'édifice, il n'avait pu se procurer aucun autre
renseignement sur le compte d'Osbert; ensuite il fit un récit succinct
des circonstances particulières qui les concernaient.

Il y avait quelques semaines qu'il était dans son horrible donjon,
attendant la mort chaque jour; sa situation désespérée le rendit
inventif, et il conçut, pour s'échapper, le plan qui suit. Il avait
remarqué que le garde, chargé de lui apporter sa nourriture, avait soin,
en quittant le donjon, de frapper l'aire près de la porte avec son épée;
sa curiosité se trouva excitée par cette circonstance, et un rayon
d'espérance vint briller au fond de sa prison. Il examina le sol en cet
endroit autant que l'obscurité le pouvait permettre, et reconnut qu'il
était revêtu, comme le reste de son cachot, de larges pierres par-tout
également solides. Cependant il n'en demeura pas moins certain, d'après
les précautions habituelles du garde, qu'il devait trouver sous cette
place quelque voie par laquelle il pourrait se sauver, et se prépara à
des recherches plus exactes quand il ne craindrait point d'être observé.
Un jour, aussitôt après le départ du garde, Alleyn se mit à lever les
pierres qui formaient le pavé. Cet ouvrage exigea beaucoup de patience
et d'industrie, et fut exécuté avec un couteau qu'il avait soustrait à
la vigilance des soldats. D'abord, sous le pavé, la terre lui parut
ferme, et n'indiquer en aucune manière avoir été fraîchement remuée.
Après avoir creusé quelques pieds, il découvrit une trape; la joie et
l'inquiétude le firent trembler de tous ses membres. La nuit commençait
alors à s'approcher; et comme il était accablé de fatigues, il craignit
de ne pouvoir, avant le lever du jour, pénétrer jusqu'à la trape, et
vaincre les autres obstacles qu'il devait encore rencontrer; il se hâta
de rejetter la terre dans le trou qu'il avait fait. Déjà il était
parvenu, non sans beaucoup de peine à le combler, mais il ne lui fut pas
possible de replacer exactement le pavé dans son premier état.
L'obscurité ne permettait pas de choisir les pierres, et il s'aperçut
que quand il viendrait à réussir, ce nouveau plancher n'aurait aucune
solidité. Dans l'accablement de son corps et de son esprit, il se jetta
à terre, et se livra au plus profond désespoir. La nuit était fort
avancée, lorsque le retour de ses forces et de sa raison le porta à de
nouveaux efforts; il écarta promptement la terre et brisa la serrure de
la trape: alors soulevant celle-ci, sans hésiter ni vouloir rien
considérer, il se précipita par l'ouverture. La voûte était profonde, et
il fut d'abord renversé par la violence de sa chute. Un écho sourd et
tremblant qui semblait se propager dans le lointain, lui apprit que ce
lieu devait avoir une étendue considérable. Aucune clarté ne le
dirigeait; il marcha les bras étendus, en silence, et cherchant avec
inquiétude à examiner le lieu qu'il parcourait. Après avoir erré
long-tems dans le vuide, il arriva à un mur qu'il suivit en tâtonnant;
il fit de la sorte un assez long chemin, au bout duquel il sentit que le
mur tournait; il ne l'abandonna point, et bientôt sa main toucha le
barreau froid d'une fenêtre: une douce ondulation d'air vint frapper son
visage, et ce fut pour lui, qui sortait des vapeurs humides d'un cachot,
un moment de volupté. L'air donna à Alleyn une nouvelle force; les
moyens de fuir, qui semblaient s'offrir ranimèrent son courage. Il plaça
son pied contre la muraille, et saisissant avec la main un des barreaux
de la fenêtre, il parvint à l'ébranler et à l'arracher entièrement après
des efforts réitérés. Il s'adressa bientôt à un second, mais celui-ci
était plus fermement fixé; il ne put le détacher: alors il s'aperçut que
ce barreau était scellé dans une large pierre, et qu'il n'avait d'autres
moyens à prendre que de lever la pierre elle-même. Son couteau lui
servit, de nouveau, dans cette occasion; et avec beaucoup de patience,
il détacha suffisamment de mortier pour effectuer son dessein. Après
quelques heures passées dans une occupation que l'obscurité rendait
pénible, et souvent vaine, il avait ôté plusieurs barreaux, et fait une
ouverture qui lui permettait de s'échapper, quand les premiers rayons du
jour commencèrent à paraître. Ce fut avec une inexprimable angoisse
qu'il découvrit que cette fenêtre donnait sur la cour intérieure du
château; bientôt il remarqua des soldats qui descendaient lentement dans
la cour par les degrés étroits tenant à leurs logemens. Le coeur lui
manqua à cette vue: accablé, il s'appuya contre le mur, et était sur le
point d'entrer dans la cour, et de tenter un effort désespéré pour se
sauver, ou de mourir en l'entreprenant, quand, à l'aide du jour qui
devenait plus considérable, une porte épaisse, placée dans un côté
opposé du mur, attira ses regards; il s'y porta aussitôt, et tenta de
l'ouvrir, mais elle était arrêtée par un loquet et plusieurs verrous
extérieurs. Il frappa contre cette porte avec le pied; un bruit sourd,
qui se fit alors entendre, indiqua qu'il y avait de l'autre côté une
longue voûte; et il fut assuré, par sa direction, qu'elle devait
s'étendre jusqu'aux murs extérieurs du château. Il comprit que, s'il
pouvait pénétrer au-delà de cette voûte la nuit suivante, il lui serait
facile d'escalader le mur, et de traverser le fossé. Il ne lui restait
point assez de tems pour forcer le loquet avant l'arrivée du garde qui
venait à la pointe du jour visiter sa prison; après quelques momens de
réflexion, il se décida à se cacher dans une partie obscure de la voûte,
et à attendre ainsi le garde qui, s'apercevant que les barreaux de la
fenêtre avaient été dérangés, en devait conclure qu'il s'était échappé
par l'ouverture. A peine, conformément à ce plan, s'était-il placé, que
la porte du donjon s'ouvrit: une voix forte se fit entendre; et le nom
«d'Alleyn» fut prononcé avec l'accent du désespoir et de la
consternation. Ce cri ayant été répété, un homme se précipita à travers
l'ouverture de la trape. Alleyn, quoique caché lui-même dans
l'obscurité, découvrit, à l'aide d'une faible lumière qui tombait sur
l'aire, un soldat armé d'une épée nue; celui-ci s'approcha des barreaux
de la fenêtre, l'imprécation à la bouche: il alla ensuite vers la porte,
et la trouvant fermée, il retourna à la fenêtre; après quoi il se mit à
marcher le long des murs, sur lesquels il appuyait la pointe de son
épée, et arriva de cette manière à l'endroit où se tenait Alleyn.
Alleyn, sentant l'épée toucher son bras, se saisit avec rapidité de la
main qui la tenait, et fit tomber l'arme à terre. Le combat s'engagea;
Alleyn renversa son adversaire, et se jettant sur lui, il saisit son
épée, qu'il lui présenta sur le coeur: mais bientôt le soldat demanda
grace. De tout tems Alleyn avait répugné à ôter la vie à un homme: il
jugeait d'ailleurs, en ce moment, que s'il venait à tuer le soldat, ses
camarades ne tarderaient pas à descendre sous la voûte. Il détourna donc
l'épée; «reçois la vie, dit-il; ta mort ne me servirait de rien; si tu
le veux, va apprendre à Malcolm qu'un innocent a tenté d'échapper à la
mort.» Le garde, frappé de cette conduite, se releva en silence; après
avoir reçu son épée il suivit Alleyn à la trape par laquelle ils
rentrèrent ensemble dans le donjon. Alleyn fut bientôt laissé seul: le
soldat, incertain de ce qu'il devait faire, allait rejoindre ses
camarades, lorsque sur sa route il rencontra Malcolm qui, toujours
inquiet et vigilant, parcourait souvent le rempart dès la pointe du
jour. Le baron s'informa si tout était en bon état, et le garde qui
redoutait d'être découvert, et n'avait point l'habitude de dissimuler,
hésita à cette question. Alors un coup d'oeil terrible le contraignit à
déclarer ce qui venait d'arriver. Le baron lui reprocha sa négligence
avec beaucoup d'âpreté, et le suivit sur-le-champ au donjon où il
chargea Alleyn d'outrages. Il examina l'intérieur de la chambre,
descendit lui-même sous la voûte, et revenu au donjon, il s'y arrêta
jusqu'à ce qu'il eût vu fixer dans la muraille une chaîne qu'il avait
envoyé chercher dans un lieu éloigné du château. Lorsque Alleyn y fut
attaché: «nous ne vous laisserons pas long-tems ici, dit Malcolm, en
quittant la chambre; sous peu de jours vous serez rendu à la liberté
dont vous êtes si épris: mais comme un conquérant doit avoir des
spectateurs à son triomphe, il faut attendre que j'aye pu en rassembler
un nombre suffisant pour être témoins de la mort d'un si grand héros».
Je méprise tes insultes, reprit Alleyn; je suis également capable de
supporter le malheur, et de braver un tyran.» Malcolm se retira la rage
dans le coeur, en voyant l'intrépidité de son prisonnier, et fit les
plus terribles menaces au garde qui cherchait en vain à se justifier.
«Tu en réponds sur ta tête, lui cria-t-il, furieux. Le soldat blessé
retournait sur ses pas dans un silence chagrin: la crainte que son
prisonnier ne parvînt à s'échapper s'empara de son esprit, et le
souvenir des expressions dont Malcolm s'était servi, le remplissait de
dépit; sa reconnaissance pour Alleyn, dont il avait reçu la vie, se
joignant à ces sentimens, il balança s'il obéirait au baron ou s'il
délivrerait Alleyn, et fuirait avec lui. A midi il lui apporta sa
nourriture accoutumée. Alleyn n'était pas si accablé qu'il n'observât
les ombres de la tristesse qui enveloppaient ses traits; il prévit dans
son ame ce qui le menaçait, et le soldat lui annonça sa sentence de
mort. Le lendemain devait être le jour du supplice; déjà les vassaux
étaient convoqués pour en être témoins. On a beau avoir cherché à se
familiariser avec la mort, elle paraît toujours terrible quand elle
arrive. Alleyn l'attendait depuis long-tems; il s'était exercé à
l'envisager sans effroi, mais sa force l'abandonna quand elle fut
présente, et tout son corps frémit. «Rassurez-vous, lui dit le soldat,
d'une voix affectueuse, je suis loin d'être insensible à votre misérable
sort, et si vous êtes d'avis de courir le danger des tortures, près
desquelles celles qu'on vous prépare en ce moment ne sont rien, je
tenterai tout pour vous rendre à la liberté, et vous suivre loin d'un
tyran féroce». A ces mots Alleyn, qui était étendu à terre, se sentit
transporté de surprise et de joie; et se levant précipitamment, «que
parlez-vous de tortures, s'écria-t-il; toutes sont égales si la mort
doit les terminer; mais il est possible que je conserve la vie.
Conduisez-moi hors de ces murs, et le peu que j'ai sera à vous». Je n'ai
besoin de rien, reprit le généreux soldat; mon unique but est de sauver
la vie à mon semblable.» Ces mots pénétrèrent fort avant dans le coeur
d'Alleyn, dont les yeux se remplirent des larmes de la reconnaissance.
Edric apprit alors à Alleyn que la porte découverte par lui, conduisait
à une voûte, qui s'étendant au-delà des murs du château, communiquait à
un chemin souterrein, creusé jadis pour faciliter la retraite du
château, et que ce chemin aboutissait à une caverne au milieu de la
forêt voisine. Il ajouta que s'ils pouvaient parvenir à ouvrir cette
porte, rien ne s'opposerait à leur fuite. Alors tous deux délibérèrent
sur les mesures que la nécessité leur prescrivait. Le soldat remit entre
les mains d'Alleyn un couteau plus fort que le sien, qui devait lui
servir à faire une entaille à la porte autour de la serrure. Il fut
décidé qu'Edric se chargerait de faire le guet, et qu'à minuit tous deux
descendraient dans la voûte. Edric, après avoir détaché la chaîne
d'Alleyn, sortit de la prison, et celui-ci s'occupa, de nouveau, à lever
les pavés qui avaient été replacés par ordre du baron. L'espoir de sa
prochaine délivrance avait doublé ses forces: son nouveau couteau était
plus propre pour son dessein; et il travaillait avec ardeur et joie. Il
parvint bientôt à la trape, et se précipita encore une fois dans la
voûte. La porte était extrêmement épaisse; ce ne fut pas sans beaucoup
de peine qu'il réussit à enlever la serrure: alors de ses mains
tremblantes, il poussa les verrous; la porte s'ouvrit, et il vit la
nouvelle voûte dont le soldat lui avait parlé. Ce ne fut qu'aux
approches du soir qu'il eut fini son ouvrage. Déjà il était rentré dans
le donjon, et s'était étendu à terre pour se reposer, quand il entendit
des pas éloignés. Tout à-la-fois rempli de crainte et d'espérance, il
prêta l'oreille à ce bruit qui semblait s'approcher: enfin la porte
s'ouvrit. Alleyn respirant à peine se leva, porta ses regards de ce
côté, et ne vit point Edric, mais un autre soldat; il pensa que
l'ouverture qu'il avait faite allait être découverte, et se crut perdu
pour jamais. Le soldat plaça à terre une cruche d'eau, et, après avoir
promené sa vue avec une sombre curiosité autour la prison, il sortit
sans dire un seul mot. Tout ce que la force humaine peut supporter était
épuisé; Alleyn tomba dans un profond engourdissement; lorsqu'il fut
revenu à lui, il se trouva livré de nouveau aux horreurs de la nuit, du
silence et du désespoir: cependant au milieu de ses souffrances il
rougit d'élever des soupçons sur la bonne foi d'Edric. Nous sommes
portés naturellement à repousser les sentimens pénibles; et c'est un des
plus grands supplices que puisse éprouver une ame honnête que de douter
de la sincérité de ceux en qui elle a placé sa confiance. Alleyn conclut
que sa conversation du matin avait été entendue, et que le nouveau garde
avait été envoyé pour examiner sa prison, et surveiller ses mouvemens:
il crut qu'Edric, par suite de sa générosité, était comme lui destiné à
périr; cette idée l'accabla tellement qu'elle lui fit, pour quelques
momens, perdre de vue sa propre situation.

Il était minuit, et Edric n'avait point paru; les doutes d'Alleyn
prirent alors dans son esprit le caractère de la certitude; il
s'abandonna à cette affreuse tranquillité d'un désespoir muet. L'horloge
du château ayant sonné une heure, il prit ce son pour celui de la cloche
funèbre qui annonçait sa mort. Rappelé à lui par cette sensation
terrible, il se leva de terre, dans les angoisses de la plus vive
douleur. Bientôt il distingua le bruit des pas de deux personnes qui
s'avançaient vers sa prison: Malcolm et l'assassinat se présentèrent
alors à son esprit: il ne douta point que les personnes qu'il entendait
ne vinssent exécuter les ordres définitifs du baron; elles étaient
prêtes d'entrer quand il se rappela tout-à-coup la porte de la voûte.
Jusqu'alors occupé de son seul désespoir, l'idée de fuir ne s'était pas
présentée à lui. Au milieu de la violence de sa douleur, il n'avait pas
même songé à cette dernière ressource. Mais dans ce moment, elle fut
comme un éclair qui brilla à ses yeux; il se précipita à travers la
trape, et son pied avait à peine touché le sol de la voûte, que les
verrous de sa prison furent tirés. Une voix qu'il reconnut pour être
celle d'Edric, se fit bientôt entendre; la crainte était à tel point
maîtresse de son esprit, qu'il balança quelque tems à se découvrir; mais
un moment de réflexion lui suffit pour chasser tout soupçon de la
fidélité d'Edric, et il répondit à sa voix. Edric descendit aussi-tôt,
suivi par le soldat, dont l'apparition avait rempli, le matin, Alleyn de
désespoir; il le lui présenta comme son meilleur ami, son camarade, et
comme une victime de la tyrannie de Malcolm, résolue à les suivre. Ce
fut un moment de bonheur trop vif pour pouvoir être décrit. Alleyn, ivre
de joie et impatient de fuir, écoutait à peine ce que lui disait Edric;
celui-ci remonta fermer la porte du cachot; précaution dont le but était
d'arrêter quelque tems ceux qui seraient tentés de les poursuivre; après
avoir remis entre les mains d'Alleyn une épée qu'il avait apportée avec
lui, il marcha à la tête de ses deux compagnons, et s'avançait le long
de la voûte. Le vaste silence du lieu n'était troublé que par le bruit
de leurs pas, qui, répétés par des échos profonds, apportait la terreur
dans leur esprit: souvent, en traversant ces sombres et tristes réduits,
il leur arrivait de s'arrêter pour écouter, et leur crainte leur faisait
entendre la marche éloignée d'hommes qui les poursuivaient. A la sortie
de la voûte ils entrèrent dans un sentier tournant d'une extrême
longueur, et coupé par divers passages percés dans le roc vif; il était
fermé par une porte basse et étroite s'ouvrant près du chemin souterrein
qui allait, par une pente assez sensible, se rendre sous le fossé du
château. Edric connaissait parfaitement les lieux. Ils passèrent la
porte, et après l'avoir fermée sur eux, il commençaient à descendre.
Tout-à-coup la lampe qu'Edric tenait à sa main fut éteinte par un coup
de vent, et les laissa dans une entière obscurité. Il est plus facile
d'imaginer ce qu'ils sentirent que de le rendre; privés de voir le
chemin qu'ils devaient suivre, osant à peine mettre un pied devant
l'autre, et portant en avant une main inquiète, ils s'avançaient dans
cet abyme profond. Lorsqu'ils eurent continué à descendre pendant
quelque tems, ils se sentirent encore une fois sur la terre. Edric les
avertit qu'il y avait un autre escalier avant que d'arriver au chemin
souterrein, et recommanda de le chercher avec la plus grande précaution.
Ils marchaient d'un pas lent et circonspect, quand le pied d'Alleyn
frappa contre quelque chose qui rendit un son assez semblable à celui
d'une armure fracassée; il se baissa pour reconnaître ce qu'il avait
touché, et saisit la main froide d'un mort. Une soudaine horreur
s'empara de lui, et il recula d'effroi. Tous les trois demeurèrent
quelque tems dans le silence; ils n'osaient retourner sur leurs pas et
craignaient d'avancer. Une faible lumière, qui parut venir du bas du
second escalier, en jettant quelque clarté autour d'eux, leur fit voir à
leurs pieds un corps pâle et défiguré, couvert d'une armure; et non loin
d'eux, trois hommes dont ils distinguaient les mouvemens. La première
idée dont leur esprit fut frappée, c'est que ces hommes ne pouvaient
être que des assassins appartenant au baron, et occupés à la poursuite
de quelque fugitif. Il n'y avait pour eux d'espoir de se cacher qu'en
restant où ils étaient. Mais la lumière semblait s'avancer, et les trois
hommes se diriger vers eux. Dans leur effroi ils retournèrent au premier
escalier qu'ils montèrent précipitamment; arrivés à la porte, ils
voulurent l'ouvrir, espérant pouvoir gagner les percées du roc: mais
tous leurs efforts furent vains; la porte était fermée par le pêne de la
serrure, et la clef était de l'autre côté. Forcés ainsi de ne point
céder à leur crainte, ils se hazardèrent à regarder derrière eux, et se
trouvèrent une seconde fois dans l'obscurité. Pendant un tems assez
considérable, tous trois demeurèrent immobiles sur les marches; ils
prêtaient l'oreille, et tout était dans le silence: aucun rayon de
lumière ne frappait plus leurs yeux; enfin ils se décidèrent à marcher
en avant encore une fois; ils avaient retrouvé l'endroit où ils
croyaient avoir laissé le corps mort, et cherchaient à éviter son
horrible rencontre, lorsque la lumière se montra une seconde fois à la
même place où elle avait d'abord été découverte; le désespoir les
pétrifia. Cependant la lumière faisait des mouvemens lents, et et se
trouva cachée par les détours du sentier. Ils restèrent long-tems en
suspens, et sans proférer une parole; mais n'ayant plus aucun obstacle
devant eux, ils continuèrent leur route. La lumière leur avait fait
connaître le lieu où ils étaient, ainsi que l'escalier qu'ils pouvaient
descendre avec sécurité. Parvenus au bas sans aucune rencontre
alarmante, ils écoutèrent de nouveau, et n'entendirent aucun bruit;
Edric annonça que maintenant ils devaient être sous le fossé. Le chemin
devant eux était uni, et ils crurent que la lumière et les hommes
aperçus par eux avaient tourné d'un autre côté: car Edric savait que le
chemin principal avait plusieurs issues dans le roc. La joie leur
donnait des ailes: leur délivrance semblait prochaine, et Edric répétait
qu'on touchait à la caverne. L'issue qu'ils cherchaient se présenta à
eux; mais en même-tems leur espérance fut détruite. Tout-à-coup la
clarté d'une lampe vint frapper sur eux, et montra à leurs yeux faibles
et éblouis quatre hommes dans une attitude menaçante, et prêts à les
recevoir l'épée à la main. Alleyn tira la sienne. «Nous mourrons,
s'écria-t-il, mais en braves.» Au son de sa voix, les armes tombèrent
des mains de ceux qui étaient devant lui, et il les vit s'avancer pleins
de joie. Alleyn reconnut avec étonnement, trois de ces étrangers, des
amis fidèles et des compagnons, et Edric, un soldat de ses camarades
dans le quatrième. C'était le même dessein qui les réunissait tous dans
ce lieu; ils quittèrent ensemble la caverne; et Alleyn, ravi d'avoir
recouvré une liberté dont il avait été privé si long-tems, résolut de ne
plus à l'avenir fermer son ame à l'espérance. Tous furent persuadés que
le corps trouvé par eux était celui d'une personne que la faim ou l'épée
avait fait périr dans ce labyrinthe souterrein.

Ils marchèrent de compagnie et arrivèrent à peu de milles du château
d'Athlin. Là, Alleyn exposa son intention d'aller rassembler ses amis,
et d'entreprendre, avec la tribu, de délivrer le comte. Edric, ainsi que
le soldat son camarade, s'enrolèrent solemnellement pour cette cause, et
l'on se sépara. Alleyn et Edric poursuivirent leur route vers le
château, et les autres gagnèrent différens points du pays. Alleyn et
Edric n'avaient encore fait que peu de chemin, lorsque les gémissemens
des domestiques blessés de Maltida les attirèrent dans le bois, où la
scène horrible avait eu lieu. La surprise d'Alleyn fut extrême en voyant
dans cet état des hommes attachés au comte; mais ce sentiment fit place
à un autre plus poignant, dès qu'il fut informé que Marie avait été
enlevée par des hommes armés. Il se donna à peine le tems de délier les
deux domestiques, et s'élançant sur un des chevaux qui paissaient à peu
de distance, il ordonna à tout le monde de le suivre, et prit la route
par laquelle on lui dit que les ravisseurs avaient passé. Alleyn et le
soldat les atteignirent, comme ils étaient prêt d'arriver à l'entrée de
la caverne, dont l'horrible aspect avait donné une mort momentanée à
Marie. Les brigands firent de vains efforts pour fuir; un d'eux fut
blessé, et parvint néanmoins à se sauver. Ses compagnons voyant accourir
les domestiques du comte abandonnèrent leur proie, et s'échappèrent à
travers les sombres détours de la caverne. Marie paraissait sans vie, et
les yeux d'Alleyn se fixaient avec horreur sur cet objet: enfin elle
rouvrit elle-même les yeux au milieu des efforts empressés, par lesquels
il cherchait à lui rendre le sentiment; et la joie s'empara de l'ame
d'Alleyn.

Pendant tout le récit d'Alleyn, où régnait la plus grande modestie, le
coeur de Marie fut livré à diverses émotions qui toutes sympatisaient
avec les vicissitudes de la situation du jeune montagnard. Elle eût
souhaité se cacher à elle-même l'intérêt qu'elle prenait à ses
aventures; mais ses efforts étaient dans une telle disproportion avec
son émotion, que, quand Alleyn raconta la scène arrivée dans la caverne
de Dunbayne, la pâleur couvrit ses joues tremblantes; et on la vit
défaillir. Cette circonstance alarma d'abord la pénétrante comtesse; la
connaissance qu'elle avait de la faible complexion de sa fille lui parut
bientôt la seule cause de cet état, et suffit pour réprimer ses
craintes. Alleyn éprouva un délicieux mélange d'espérance et
d'inquiétude qu'il ne connaissait point encore. Pour la première fois il
osait s'en fier à son coeur, et croire qu'il aimait, et pour la première
fois ce coeur concevait l'espérance du retour.

La comtesse lui prodiguait tous les épanchemens d'une ame remplie de
reconnaissance, et la rougeur de Marie lui en disait plus que sa bouche
n'eût pu le faire. Tous trois cherchaient le nom et le rang de l'auteur
d'un si détestable complot. Leurs soupçons s'arrêtèrent enfin sur le
baron Malcolm, et cette supposition acquit un grand degré de
vraisemblance, quand ils se rappelèrent que les brigands étaient à
cheval; circonstance qui devait les faire considérer comme les agens de
quelqu'un au-dessus d'eux. Leurs conjectures se trouvèrent véritables.
Malcolm était l'auteur du plan; il avait chargé de son exécution
plusieurs de ses vassaux, qui n'avaient pu trouver l'occasion d'agir
avant la surprise du château; et depuis ce moment le baron trop agité
avait oublié de retirer ses ordres.

Alleyn ne fut pas long-tems sans faire connaître son projet de réunir le
faible reste de ses amis à la tribu, et de marcher contre le château de
Dunbayne. «Bon jeune homme, s'écria la comtesse, incapable de contenir
davantage son admiration, comment pourrai-je jamais payer vos généreux
services? Suis-je donc destinée à recevoir de vos mains mes deux enfans?
La tribu se lève encore une fois, et va attaquer les murailles qui
défendent Malcolm: conduisez-la à la conquête et rendez-moi mon fils.» A
ces mots les yeux languissans de Marie reprirent leur éclat: elle
s'enivrait du doux espoir de presser contre son sein un frère dont elle
était séparée depuis si long-tems; mais elle passa bientôt de
l'espérance à la crainte; c'était Alleyn qui devait commander
l'entreprise, et Alleyn pouvait périr dans le combat. Ces sentimens
opposés lui dévoilèrent l'état de son coeur, et son imagination ne tarda
pas à lui montrer une longue suite d'inquiétudes et de peines qui se
préparait pour elle. Elle tenta de bannir de son esprit le souvenir du
passé et celui de la fatale découverte qu'elle venait de faire; mais ses
efforts furent vains: sans cesse l'image d'Alleyn, ornée de toute cette
vertu forte et mâle qui avait dirigé sa conduite, se présentait à elle:
le paysan disparaissait, et elle ne voyait plus que l'homme doué du plus
noble caractère.

                   *       *       *       *       *

Alleyn passa la nuit au château: dès le lendemain matin après avoir
salué la comtesse et sa fille, à laquelle son oeil fit un triste et
respectueux adieu. Il partit avec Edric pour se rendre à la chaumière de
son père. L'ardent jeune homme était impatient de s'assurer de la santé
de ce premier objet de ses affections, et d'embrasser ses amis. Le
souffle de l'amour avait changé en une flamme active les éteincelles
d'ambition qui s'étaient allumées, avec tant de peine, dans son coeur.
Maintenant il n'était plus animé par le seul désir de venger la vertu
opprimée, et d'arracher à la misère et à la mort le fils d'un chef qu'il
était habitué à respecter: il brûlait encore de punir l'outrage fait à
sa maîtresse, et de se signaler par quelque action d'éclat digne de son
admiration et de sa reconnaissance.

                   *       *       *       *       *

Alleyn trouva son père prenant le déjeûner à côté de sa nièce: le
vieillard, dont le visage était obscurci par la tristesse, n'aperçut pas
d'abord Alleyn; mais bientôt il faillit succomber à l'excès de sa joie
en voyant que ce fils, sa consolation et son espoir, lui était rendu:
Edric fut reçu avec autant de cordialité que s'il eût été un ancien ami.



CHAPITRE IV.

_Continuation de la captivité d'Osbert;--il découvre deux femmes
prisonnières comme lui dans le château de Dunbayne.--Malcolm condamne
Osbert à mort, et bientôt après se décide à différer son
supplice.--Maltida et Marie croyent Osbert mort; il leur fait parvenir
une lettre.--Alleyn se met en marche avec la tribu d'Athlin, dans le
dessein de délivrer Osbert.--Amour de Marie pour Alleyn: ses efforts
pour l'oublier.--Osbert tente de se faire remarquer par les deux
prisonnières._


Le comte, prisonnier dans la tour et livré à une affreuse solitude,
ignorait le sort qui lui était réservé: mais la magnanimité de son
caractère bravait les efforts cruels de la haine du baron. Par une suite
de l'habitude qu'il avait prise de se préparer à ce que son ennemi
pourrait imaginer de pire, il était parvenu à regarder la mort d'un oeil
tranquille. Les violens transports dont il avait été agité à l'aspect de
Malcolm s'étaient apaisés depuis qu'il n'était plus exposé à le voir; il
évitait avec le plus grand soin de se rappeler le sort de son père, sur
lequel il n'avait jamais pu arrêter sa pensée, sans éprouver un horrible
tourment. Mais lorsqu'il songeait aux souffrances de la comtesse et de
sa soeur, toute sa force l'abandonnait: souvent il souhaitait savoir
comment elles supportaient le malheur de sa perte, et leur faire
connaître l'état où il était: quelquefois il prenait la résolution de
s'efforcer de ne point s'occuper de sa situation actuelle, et de se
procurer des secours artificiels contre les tristes objets dont il était
environné. Son principal amusement consistait à observer les moeurs des
oiseaux de proie qui étaient venus se loger dans les créneaux de sa
tour; et leur penchant au brigandage lui fournissait l'occasion d'un
trop juste parallèle avec les habitudes des hommes.

Comme il était un jour, devant la grille qui donnait sur le château,
occupé à regarder les courses des oiseaux, son oreille fut de nouveau
frappée par le luth dont les accords l'avaient déjà sauvé de la mort. La
voix mélodieuse qu'il avait entendue l'accompagnait encore, et chantait
sur un air tendre les couplets qui suivent.

«Quand mon oeil s'ouvrit aux premiers rayons du matin de la vie, je
n'aperçus autour de moi qu'une scène enchanteresse; alors les tempêtes
de la nuit ne s'offraient point à mes regards:»

«Les brillantes illusions de l'espérance séduisaient mon ame, et
égaraient les pensées de ma jeunesse: l'imagination venait tout embellir
de ses vives couleurs, et me découvrait dans le lointain un avenir de
bonheur:»

«Le vuide de mon coeur simple et pur était rempli par la tendresse
filiale: et l'amour d'un père suffisait à ses besoins, à son ardeur:»

«Mais ô cruel et rapide revers! tout ce que j'aimais n'est plus; le pâle
et sombre malheur a dispersé les rayons tremblans de l'espérance, et les
douces rêveries de l'imagination ont fui pour jamais».

Au milieu de sa profonde surprise, Osbert jeta ses regards dans la cour
intérieure du château d'où la voix paraissait sortir: un instant après
il vit une jeune personne entrer dans la partie de la cour qui tient à
la tour: une autre femme plus âgée, mais conservant encore des restes de
beauté, s'appuyait sur son bras. Il était facile de reconnaître à la
mélancolie qui obscurcissait les traits de celle-ci que la main de la
douleur avait devancé les ravages du tems. Elle était vêtue d'un habit
de veuve; un voile noir, attaché sur son front, donnait une grace noble
à sa figure; il était rejeté en arrière, et tombant jusqu'à terre où il
se traînait en longs plis, il semblait ajouter encore à la majesté
naturelle de son maintien. Cette femme s'avançait d'un pas lent,
soutenue par sa compagne, dont le voile, relevé à moitié, laissait
apercevoir les traits. La tristesse donnait à la beauté de la jeune
personne la plus touchante expression, et la dignité de sa démarche
annonçait qu'elle était née dans un rang élevé. A son bras pendait le
luth dont les accords avaient si délicieusement touché le comte.
L'étonnement d'Osbert à ce spectacle n'était égalé que par son
admiration. Les deux femmes se retirèrent par une porte qui se trouvait
située vers l'extrémité du côté opposé de la cour, et il ne fut plus
possible de les voir. Osbert cherchait à les suivre des yeux, et tint
pendant quelque tems la vue fixée sur la porte par laquelle elles
avaient disparues. Revenu à lui-même il crut, pour la première fois,
éprouver l'horreur de la solitude; il conjectura que ces femmes étaient
des étrangères détenues par l'injuste puissance du baron, et ses yeux se
remplirent des larmes de la pitié. Mais l'idée que tant de beauté et
tant de dignité étaient victimes d'un tyran, remplit bientôt son coeur
d'indignation, et lui rendit sa captivité plus insupportable que jamais.
Il brûlait de devenir le défenseur de la vertu, et le libérateur de
l'innocence opprimée; la haine qu'il portait à Malcolm s'accrut encore;
et son ame reçut une nouvelle force de la persuasion où il était qu'il
parviendrait à se venger. Son garde entra dans ce moment: Osbert voulut
en obtenir quelques informations relatives aux deux étrangères; mais ce
fut en vain. Le soldat était chargé de lui apporter de tristes
nouvelles: il annonça au comte qu'il devait se préparer à la mort, et
que son supplice était fixé au lendemain. Osbert l'entendit avec
tranquillité, et sans daigner laisser échapper le moindre murmure. Il
repoussa, avec précipitation le tendre souvenir de sa mère et de sa
soeur, trop capable d'affaiblir son courage. Son garde lui apprit
qu'Alleyn s'était échappé. Alors il ne douta point que ce généreux jeune
homme n'entreprît tout pour punir le tyran qui lui donnait la mort.

Lorsque le baron avait été informé de la fuite d'Alleyn, la rage s'était
emparée de son coeur; il avait fait appeler les gardes du donjon; mais
après de longues et pénibles recherches, on eut la certitude qu'ils
avaient accompagné leur prisonnier, et que plusieurs autres captifs
s'étaient également échappés. Malcolm donna ordre qu'une sentinelle qui
restait fût punie pour la trahison de ses camarades et sa propre
négligence; et se rappelant le comte qu'il avait oublié dans la première
chaleur de son ressentiment, il se félicita de ce qu'il lui fournissait
l'occasion d'une vengeance complette. Au milieu des transports de sa
joie il rétracta la condamnation du garde. A peine avait-il envoyé au
comte le message funeste qui lui annonçait sa mort, qu'il prit une
nouvelle résolution. Tel est l'effet des passions coupables: elles ne
permettent pas d'agir avec suite: on ne peut satisfaire l'une qu'en
sacrifiant l'autre, et le moment où l'on croit saisir le bonheur est
celui même qui en détruit l'espoir. Le baron éprouva la vérité de cette
observation; il semblait être parvenu à l'excès de la félicité lorsqu'il
contemplait les approches de sa vengeance; mais tout-à-coup l'idée de
Marie vint remplir son coeur d'une autre passion. Il avait apprit
qu'elle avait été au pouvoir de ses émissaires et délivrée sur le champ.
La peine même qu'il éprouvait de voir ses désirs traversés, augmentait
leur violence, il ne pouvait se déterminer à abandonner sa poursuite; et
le seul moyen d'obtenir celle qui en était l'objet lui parut être de
renoncer à sa passion favorite. Il ne doutait point qu'on ne lui donnât
Marie, lorsqu'il aurait déclaré ne point vouloir d'autre rançon pour la
vie du comte. Ces deux passions, l'amour et la vengeance se balançaient
tellement dans son coeur, qu'il eût été difficile de juger laquelle
devait l'emporter. Enfin la vengeance céda à l'amour; mais il résolut de
livrer le comte à tous les tourmens que doit produire la perspective
d'une mort prochaine, et de lui cacher l'intention où il était de
surseoir à son supplice.

Le comte attendait la mort avec la fermeté qu'il avait montrée en
apprenant sa sentence; il fut conduit de la tour à la plate-forme du
château sans proférer une parole, ni montrer la moindre émotion. Là il
vit d'un oeil fixe tous les préparatifs de son exécution, les instrumens
de mort, et les soldats rangés en file; l'aspect même de l'éternité
agissait peu sur son imagination. Parmi les objets qui l'environnaient,
un seul put le faire sortir de la profonde indifférence dans laquelle il
semblait plongé; c'était son meurtrier qui se montrait avec tout le
faste qu'on déploie dans une pompe triomphale. A sa vue Osbert s'arrêta
un instant, et sentit son coeur tressaillir; mais ne voulant point
paraître troublé, il s'efforçait de reprendre sa dignité, quand le
souvenir de sa mère se présenta à lui. Alors tout son courage fut
anéanti: on vit ses yeux se mouiller de larmes, et il tomba sur la terre
privé de sentiment.

Lorsqu'il fut revenu à lui-même, il se retrouva dans sa prison; il
apprit que le baron lui avait accordé un répit: Malcolm, se méprenant à
la douleur du comte, s'était flatté d'avoir porté ses souffrances au
dernier degré, et avait ordonné qu'on le reconduisît à la tour.

Une scène aussi atroce et aussi publique que celle qui venait d'avoir
lieu au château de Dunbayne fut bientôt, dans les environs, le sujet de
tous les entretiens. La comtesse l'apprit avec une étrange variété de
circonstances qu'on y avait ajoutées; on l'assura même que son fils
avait réellement péri. A cette accablante nouvelle, elle retomba dans sa
première langueur. Marie était trop faible pour lui donner des soins
semblables à ceux qu'elle lui avait déjà prodigués avec tant de zèle. Le
médecin déclara que la maladie de la comtesse avait son siège dans
l'ame, et était au-dessus de la portée de la science humaine. Un jour
elle reçut une lettre dont la suscription était de la main d'Osbert: son
oeil reconnut les caractères, et brisant le cachet, avec empressement,
elle apprit que son fils était toujours vivant, et qu'il ne désespérait
pas de se jeter encore une fois à ses pieds. Il demandait que le reste
de la tribu se réunît pour tenter sa délivrance; et apprenait dans
quelle partie du château était sa prison. Osbert croyait qu'à l'aide de
cordes et de longues échelles placées de la manière qu'il indiquait, il
pourrait parvenir à se sauver. Cette lettre fut un excellent cordial
pour la comtesse et pour Marie.

Cependant Alleyn mettait un zèle infatigable à rassembler les compagnons
qui devaient l'aider dans son entreprise. Dès qu'il fut informé que le
comte avait démenti le bruit de sa mort, il se rendit au milieu de la
tribu, et la pressa de ne point différer d'agir. Aucun des vassaux
n'avait besoin d'être sollicité: c'était une cause chérie par eux, qu'il
s'agissait de défendre, et la main de tous était prête. Les préparatifs
furent bientôt terminés, et Alleyn, à la tête de ses amis, vint se
joindre à la tribu.

La comtesse contempla, une seconde fois du haut des murailles, le départ
de ses vassaux qui allaient chercher des périls aussi certains que ceux
auxquels ils s'étaient exposés une première fois. Cette scène rappela à
son souvenir celle dont elle avait déjà été témoin. Elle éprouva les
mêmes craintes, fit les mêmes voeux; et quand l'éloignement eut dérobé
la troupe à sa vue, elle rentra dans le château fondre en pleurs. Le
coeur de Marie était en proie à plusieurs sortes de peines. Incapable de
se cacher plus long-tems à elle-même le tendre intérêt qu'elle prenait
au départ d'Alleyn, son trouble en devint plus visible. En vain la
comtesse cherchait à lui rendre quelque tranquillité. Marie, pénétrée de
reconnaissance, et poussée d'ailleurs par la franchise naturelle de son
caractère, souhaitait quelquefois de pouvoir prendre sur elle de confier
sa faiblesse à sa mère (si l'on doit appeler faiblesse un sentiment qui
tirait son origine de l'admiration excitée par de nobles et généreuses
qualités). Mais toujours sa délicatesse et sa timidité l'arrêtaient au
milieu de ses résolutions, et retenaient sur ses lèvres l'aveu prêt à
lui échapper. Les peines de son ame altérèrent peu-à-peu sa santé; son
médecin reconnut que son mal était dû à un chagrin qu'elle s'efforçait
de réprimer; il indiqua comme le meilleur remède un ami dans le sein
duquel elle pût déposer tous les secrets de son ame. Maltida n'eut alors
aucune peine à deviner la cause de la maladie de sa fille: elle se
rappela ses observations; et ce qu'elle avait d'abord soupçonné lui
parut certain. Elle s'occupa à gagner sa confiance par des carresses
douces et prévenantes. Marie, trouvant son silence peu généreux, se
décida enfin à ne plus rien dissimuler à sa mère.

Un jour que cette dernière la pressait tendrement contre son sein, elle
lui déclara sa passion pour Alleyn. La comtesse n'avait rien de plus à
coeur que d'assurer le bonheur de sa fille; la générosité et les autres
vertus du jeune montagnard la remplissaient elle-même d'admiration. Mais
la fierté de son ame lui faisait rejeter toute idée d'alliance avec un
homme d'une naissance aussi peu distinguée. L'attachement de sa fille
lui parut ne devoir être qu'une impression passagère, enfantée par une
imagination vive et exaltée, et elle ne doutait pas que ses conseils et
le tems ne parvinssent à en triompher. Marie écouta sa mère avec
tranquillité: sa raison applaudissait pendant que son coeur gémissait;
et elle prit le parti de combattre un sentiment qui devait causer tant
de chagrin à elle et à sa famille.

Mais les généreuses qualités d'Alleyn se représentaient sans cesse à sa
mémoire avec tout leur éclat. Il lui était impossible de ne pas
s'apercevoir qu'il était épris d'elle; elle appréciait tous ses combats,
et sentait combien était grande la délicatesse qui l'avait porté à
s'éloigner, dans un respectueux silence, de l'objet de sa passion. Elle
recourut encore à sa mère pour l'aider à bannir une image destructive de
son bonheur; la comtesse employait toute sorte de moyens pour lui faire
oublier Alleyn; chaque heure, excepté celles réservées aux exercices
nécessaires à la santé de Marie était employée à cultiver son esprit, et
à perfectionner ses talens. Les soins de Maltida ne furent pas sans
fruit; elle remarqua que sa fille commençait à recouvrer le repos de
l'ame et la santé; Marie crut elle-même, quelquefois, avoir appris à
oublier celui qui lui était si cher. Les précautions de la mère et les
efforts de la fille, servirent au moins à tromper l'ennui des momens qui
se passaient à attendre des nouvelles d'Alleyn et de son entreprise.

Le château de Dunbayne était toujours le séjour du malheur: les vertus y
gémissaient sous l'empire du crime; et le baron, déchiré par des
passions opposées, était lui-même victime de leur puissance.

Le comte avait été forcé de reconnaître que ses jours dépendaient du
caprice d'un tyran. Son ame était préparée aux coups les plus cruels;
mais cependant il concevait quelque espérance d'échapper lorsqu'il
songeait à cette lettre qu'un de ses gardes, touché de compassion,
s'était chargé de remettre à la comtesse. Dans cette attente, il passait
toutes les heures à la grille de sa fenêtre; livré à la plus vive
inquiétude il portait sa vue sur les montagnes éloignées, pour s'assurer
s'il ne découvrirait pas la marche de sa tribu. Pendant qu'il était
ainsi privé de soulagemens réels, ces montagnes devenaient pour lui la
source d'un plaisir idéal. Souvent, dans les belles soirées d'été, il
voyait, de sa fenêtre, se promener sur la terrasse située au bas de la
tour, ces femmes dont l'aspect avait excité son admiration et sa pitié.
Un jour qu'il était rempli d'espérance pour lui-même et de compassion
pour elles, ses souffrances lui parurent s'être adoucies. Il conçut
l'idée de faire connaître aux deux prisonnières qu'elles avaient un
compagnon, et d'exciter leur intérêt. Le soleil se cachait derrière la
cime des montagnes, et déjà l'ombre était descendue dans les vallons. La
tranquillité de la soirée lui inspirait une douce mélancolie: il composa
les stances qu'on va lire, et dès le soir suivant, vint les jetter sur
la terrasse.

«Salut, ô monts sacrés; vos sommets sont rafraîchis par les vents, et
des sources d'eau jaillissent d'entre vos rochers. Le haut pin qui vous
ombrage reçoit les premiers rayons du jour, et sa tête orgueilleuse est
encore le dernier objet que frappe le soleil couchant.»

«Salut, ô monts éloignés! salut, vallons formés par eux. Souvent
l'imagination me découvre vos beautés que cachent les brouillards
humides. Tandis que le berger enfle son chalumeau, ou que le poëte cède
au plaisir de chanter, mon coeur souffrant déplore la triste destinée
qui m'accable.»

«Trois fois heureuse l'heure où le crépuscule du soir vient envelopper
de son ombre ces bois chéris. De paisibles accords se font entendre
alors le long de la clairière: l'imagination les recueille à travers le
murmure des vents; et les amans de cette divinité puissante prêtent une
oreille charmée.»

«O combien sont pénétrans ces sons! ils se prolongent dans les montagnes
éloignées, et l'écho des cavernes, qui les répète, trouble le silence
des déserts.»

Osbert eut le plaisir de voir que le papier fut ramassé par les deux
femmes qui se retirèrent immédiatement après dans le château.



CHAPITRE V.

_Alleyn et la tribu d'Athlin se présentent devant le château de
Dunbayne.--Malcolm fait amener Osbert sur les remparts, et menace de lui
donner la mort si Alleyn et les siens ne se retirent pas; il offre de
mettre Osbert en liberté, à condition qu'il obtiendra Marie en
mariage.--Alleyn va au château d'Athlin porter les propositions de
Malcolm.--Douleur de Maltida et de Marie.--Marie se décide à épouser
Malcolm pour sauver la vie à son frère.--Alleyn est chargé par Maltida
de demander à Malcolm un délai de quelques jours, au bout duquel elle
doit donner sa réponse._


Le lendemain, à la pointe du jour, le comte aperçut un drapeau qui se
montrait dans le lointain; son coeur s'ouvrit à une espérance que
l'événement confirma. C'étaient ses fidèles vassaux, conduits par
Alleyn, qui s'avançaient pour cerner et attaquer le château. Leur petit
nombre ne leur permettait pas d'oser se flatter de le réduire; mais ils
croyaient, qu'au milieu du tumulte du combat, ils parviendraient à
délivrer le comte. Les sentinelles crièrent sur eux dès qu'ils furent à
une certaine distance, et l'alarme fut donnée de toutes parts. Dans le
même moment les murailles se couvrirent de soldats. Le baron était
présent et dirigeait lui-même les préparatifs de défense; il avait
secrètement arrêté son plan. La tribu, environnant le fossé, dans lequel
elle jetait des fascines, se préparait à l'attaque, et de hautes
échelles s'avançaient pour faciliter l'escalade; le comte, à qui la joie
et l'espérance avait donné une nouvelle force, trouva le moyen
d'arracher un des barreaux de la grille: déjà il avait le pied posé sur
la fenêtre, et était prêt à échapper, quand il fut saisi par les gardes
de Malcolm, et emmené précipitamment hors de la prison. Pendant qu'il se
livrait au désespoir et à l'indignation, on le conduisit sur la partie
la plus élevée des remparts, d'où il put voir Alleyn et la tribu, et en
être lui-même vu. A son aspect ses vassaux furent heureux; mais ils ne
le furent qu'un moment, car ils remarquèrent que leur chef était chargé
de chaînes, environné de gardes et suivi des instrumens de la mort.
Animés par une dernière espérance, ils poussaient l'attaque avec une
fureur redoublée, quand les trompettes du baron demandèrent un
pour-parler. Alors ils suspendirent le combat; Malcolm parut sur le
rempart, et Alleyn s'approcha pour l'entendre. «L'instant de l'attaque,
s'écria le baron, sera celui de la mort de votre chef: si vous voulez
que ses jours soyent conservés, cessez cet assaut; retirez-vous en paix,
et portez à la comtesse le message suivant: «le baron Malcolm
n'acceptera point d'autre rançon que la belle Marie, dont il brûle de
faire sa femme. Si Maltida accède à cette proposition, Osbert est libre
sur-le-champ; si elle la refuse, il est mort.» L'émotion du comte et
d'Alleyn était inexprimable: le comte, plein d'un courage altier,
s'empressa de rejeter ce vil marché. «Donne-moi la mort, s'écria-t-il,
la maison d'Athlin ne peut se déshonorer par une alliance avec un
meurtrier. Recommencez votre attaque, ô mes braves vassaux! vous ne
pouvez plus sauver ma vie, du moins vous vengerez ma mort; je la préfère
au déshonneur de ma famille.» Osbert n'avait point encore cessé de
parler, qu'une double haie de gardes l'environna, et le cacha aux
regards de la tribu.

Alleyn, dont le coeur était déchiré par des sentimens qui se
combattaient, n'écouta que la voix de l'honneur; il désobéit aux ordres
d'Osbert; et posant ses armes à terre, il déclara qu'il allait se rendre
au château d'Athlin porter les propositions du baron. La tribu suivit
l'exemple d'Alleyn, et quelques-uns de ses membres se préparèrent à
l'accompagner: des vassaux si fidèles ne pouvaient céder aux
exhortations du comte. Pour lui, il éprouva une vive douleur quand la
nouvelle du départ d'Alleyn fut parvenue dans sa prison.

                   *       *       *       *       *

La situation de celui-ci était affreuse; toute l'énergie de son ame
suffisait à peine pour la supporter. Il se trouvait chargé d'un message
dont le résultat devait être de plonger dans le désespoir une femme
qu'il adorait, ou de donner la mort à l'ami qui lui était le plus cher.

                   *       *       *       *       *

Lorsqu'on annonça à la comtesse l'arrivée d'Alleyn, la joie et
l'impatience s'emparèrent de son coeur; elle ne doutait point que
Malcolm ne l'envoyât offrir un accommodement; et il n'était point de
rançon qu'elle ne fût disposée à donner pour acheter la liberté de son
fils. Au son de la voix d'Alleyn, le trouble qui avait commencé à
s'apaiser dans le sein de Marie se réveilla, il lui fut impossible de ne
point reconnaître un amour qui ne devait lui permettre aucune espérance:
en vain, au moment de revoir celui qui en était l'objet, tenta-t-elle de
réprimer son émotion; sa rougeur indiquait l'état de son ame; et tous
ses efforts pour cacher ses sentimens, ne servaient qu'à les faire
paraître encore plus.

Quand Alleyn parut devant la comtesse, ses forces étaient épuisées par
une suite de l'agitation violente qu'il avait éprouvée. La sombre
tristesse répandue sur son visage, la pâleur que lui donnait sa crainte,
décélaient ses tourmens intérieurs; Maltida conçut à son aspect de vives
alarmes sur le compte de son fils, et d'une voix tremblante s'informa de
sa destinée. Alleyn se hâta de la rassurer; il eut soin d'employer les
plus grandes précautions, lorsqu'il vint à s'acquitter de son message,
et à faire le récit de la scène dont il avait été témoin. La résolution
du baron parut un coup si terrible au coeur de Marie qu'elle s'évanouit
en l'apprenant. Alleyn courut la soutenir, et la comtesse, occupée de
donner des secours à sa fille, se trouva un moment distraite de la
douleur que cette nouvelle devait naturellement exciter en elle. Ce ne
fut qu'avec beaucoup de peine que Marie fut rappelée à la vie, ou plutôt
au sentiment de son infortune; mais il est impossible de se figurer,
dans toute son étendue, la pénible situation de Maltida. Son coeur
partagé entre deux intérêts si puissans était devenu le siège du
désordre et de l'effroi. De quelque côté qu'elle portât la vue, elle
n'envisageait que malheur et destruction. Le meurtrier de son mari
exigeait le sacrifice de sa fille, et de l'arrêt d'une mère dépendait le
coup fatal qui menaçait son fils; elle lui donnait la mort, en rejettant
la proposition de Malcolm; en l'acceptant, elle outrageait la mémoire de
son mari lâchement égorgé, et s'exposait aux reproches de la vertu
indignée. Une semblable alliance détruisait le bonheur de sa fille et
l'honneur de sa maison. Il n'était plus permis de songer à délivrer
Osbert par la force des armes, depuis que le baron avait déclaré que le
moment de l'attaque serait celui de sa mort. L'honneur, l'humanité, la
tendresse maternelle commandaient à Maltida de sauver son fils, et par
une étrange opposition d'intérêts, ces mêmes vertus se réunissaient pour
lui interdire le sacrifice qu'exigeait Malcolm. Jusqu'à ce jour un
faible rayon d'espérance n'avait point cessé de se montrer à cette mère
infortunée. Maintenant le désespoir l'enveloppait d'épaisses ténèbres,
au travers desquelles elle ne découvrait que l'autel sur lequel un de
ses enfans devait être immolé. Elle frémissait à la seule idée d'unir sa
fille au meurtrier de son père, et savait aussi que la férocité du
caractère de Malcolm suffisait seule pour corrompre le bonheur de la
femme qui partagerait sa destinée. Dans sa douleur elle rejetait avec
force l'échange que le baron proposait; mais le spectacle de son fils
pâle, et perdant tout son sang au milieu des convulsions de la mort, se
présentait tout-à-coup à son imagination, et lui causait une sorte de
délire.

Il se passait chez Marie un combat non moins violent; la nature lui
avait donné un coeur susceptible de toutes les affections tendres et
délicates; son esprit saisissait avec facilité tous les rapports de la
plus rigoureuse morale, et elle se conduisait constamment d'après les
principes qu'elle s'était formés. Tous ces avantages n'étaient pas
nécessaires, pour lui faire connaître la rigueur de son sort, qui eût
été sentie par une ame commune; mais ils servaient à rendre son chagrin
plus aigu; et à lui montrer, dans un jour plus éclatant, l'horreur de sa
situation. Le souvenir de son père, le devoir imposé par la vertu, et
l'amour qui faisait entendre sa voix tremblante, mais forte, parlaient
seuls à son coeur; l'idée de s'unir à Malcolm la remplissait d'effroi.
Pouvait-elle recevoir une main fumante encore du sang de son père?
pouvait-elle consentir à passer sa vie avec un homme qui avait tranché
les jours de celui dont elle avait reçu l'existence, un homme qui serait
toujours devant ses yeux un monument de son infortune et du déshonneur
de sa famille, et dont l'aspect bannirait à jamais de son coeur, toutes
les affections douces et généreuses? Elle ne pouvait chérir les
sentimens nobles et élevés, sans chérir le souvenir de son père et celui
de son amant. Combien devait-elle être malheureuse, si elle était
obligée d'effacer de sa mémoire l'image de la vertu pour espérer
d'obtenir une affreuse tranquillité! Partout où ses tristes regards
cherchaient du soulagement ils ne rencontraient que le désespoir. D'un
côté elle se voyait ensevelie dans les bras d'un assassin: de l'autre
c'était son frère, chargé de fers et attendant la mort, qui s'offrait à
elle. Il lui était impossible de supporter ce tableau auquel
l'imagination prêtait toutes les horreurs de la réalité. Cependant, au
milieu de ses souffrances, elle considéra qu'il lui était possible de
sauver son frère: alors elle s'attacha avec force à cette idée;
puisqu'elle devait être malheureuse, elle résolut au moins de l'être
avec noblesse, et de s'offrir elle-même pour victime, quand d'horribles
conjonctures demandaient ce sacrifice.

Remplie de ces idées, elle entra dans la chambre de la comtesse; elle
s'empressa de lui annoncer sa résolution, et attendit, en tremblant, ce
que sa mère allait décider.

Maltida éprouva en ce moment une peine au-dessus de celles qu'elle avait
ressenties jusqu'à ce jour; lors de la mort de son mari, qu'elle aimait
avec tendresse, elle avait beaucoup souffert: la manière dont il avait
péri avait concouru à rendre sa douleur plus vive; mais cet événement,
bien que terrible, n'avait pas été accompagné de circonstances pareilles
à celles où elle se trouvait; une force supérieure l'avait amené,
lorsqu'elle l'avait appris, il n'était plus en son pouvoir de sauver son
époux; elle n'avait pas eu à faire un choix effrayant entre des
horreurs, à ratifier son infortune de sa propre bouche, et à empoisonner
le reste de ses jours de souvenirs affreux. Quoique ce fût la puissance
d'un tyran qui lui imposât ce choix, elle se l'attribuait en partie, et
sa raison se troublait en songeant qu'elle était forcée de livrer
elle-même sa fille à un état pire que la mort.

Lorsque Marie se présenta devant elle, son ame épuisée par l'excès de sa
douleur, était tombée dans un morne et silencieux désespoir. Insensible
aux objets qui l'environnaient, elle l'était pour ainsi dire à ses
propres maux, et elle entendit à peine sa fille. «Il vivra, s'écria
Marie d'une voix faible et entrecoupée, je me sacrifierai.» A ces mots
«il vivra,» la comtesse levant les yeux, promena autour d'elle un regard
sombre qui prit tout-à-coup l'expression de la tendresse lorsqu'il fut
arrêté sur Marie. Quelques larmes coulèrent sur ses joues, et furent
comme la rosée du ciel, qui, tombant sur une plante flétrie, ranime sa
feuille mourante. Ces larmes étaient les premières qu'elle eût versées
depuis l'arrivée du fatal message. Elle envoya chercher Alleyn, avec qui
elle voulait examiner s'il n'y avait pas quelque moyen d'arracher le
comte de sa prison. Souvent, dans les grandes afflictions, lorsque la
mort n'a point encore donné une triste certitude aux événemens, l'esprit
s'élance au-delà de la sphère du possible pour courir après l'espérance,
jusqu'à ce que l'affreuse réalité lui montre le néant de ses illusions.
Il en était ainsi de Maltida; la violence de son chagrin, causé par la
première nouvelle de son malheur, commençait à diminuer, et elle
penchait à croire que sa situation n'était pas aussi désespérée qu'elle
le lui avait paru d'abord. Son coeur s'ouvrait à l'espoir qu'on pourrait
procurer à Osbert une occasion de s'échapper. Alleyn entra en tremblant;
il redoutait ce qu'on allait lui annoncer, et se proposait d'offrir de
braver tous les dangers pour délivrer le comte. L'idée que Marie
deviendrait la femme de Malcolm lui était horrible, et il la repoussait
comme un poison capable d'arrêter dans son coeur le mouvement de la vie.
Il voulait à tout prix arracher Marie à cette calamité, et tirer le
comte de sa prison. Le spectacle qui le frappa au moment où il aborda la
comtesse, vint accroître son tourment; elle était étendue sur un sopha
pâle et muette. Ses yeux qui ne voyaient rien étaient fixés sur une
fenêtre en face d'elle. Toute sa contenance annonçait le désordre de son
esprit, et elle fut quelque tems sans apercevoir Alleyn. Telle était la
fluctuation de ses pensées, que si un rayon d'espérance traversait
quelquefois les ténèbres qui l'enveloppaient, bientôt un retour sur
elle-même le faisait évanouir. Marie, assise près d'elle, tenait sa main
pressée contre son sein. La douleur avait répandu dans toute sa personne
une langueur enchanteresse; elle s'efforçait d'exprimer de nouveau le
douloureux parti qu'elle avait pris, mais sa voix tremblait, et la
moitié de sa phrase expira sur ses lèvres: ses regards semblaient
chercher à éviter Alleyn, comme un objet capable de lui faire abandonner
son dessein. Il s'avança pour demander à la comtesse ce qu'elle voulait
ordonner. «Je suis prête, dit en ce moment Marie, à me dévouer moi-même
comme une victime à la vengeance du baron: j'aurai du moins sauvé mon
frère.» Pendant qu'elle parlait ainsi, un froid mortel s'empara du coeur
d'Alleyn; et elle-même eut peine à achever, tout son corps frissonna;
ses yeux se couvrirent d'un nuage épais, et elle tomba évanouie sur le
sopha où elle était assise.

Alleyn, en proie à toutes les angoisses du désespoir, le regard fixe et
immobile, attendait dans le silence de l'inquiétude le moment de son
retour à la vie; les secours qu'on lui prodiguait ne tardèrent pas à la
faire revenir, et la joie qu'il en ressentit, lui fit un instant oublier
sa situation; il pressa avec ardeur la main de Marie contre son sein.
Cette fille infortunée qui avait à peine recouvré l'usage de ses sens,
céda, sans s'en apercevoir, au premier mouvement de son coeur, et un
sourire expressif de la plus vive tendresse donna à Alleyn la certitude
d'être aimé. Jusqu'ici le désespoir avait enchaîné sa passion; il se
trouvait une trop grande distance entre lui et la soeur d'Osbert, et sa
modestie ne lui avait pas permis de s'imaginer qu'il eût assez de mérite
pour attirer l'attention de l'adorable Marie. Peut-être aussi cette
défiance de soi-même, si naturelle au véritable amour, avait-elle
contribué à le tromper. Ce ne fut qu'alors que cette certitude lui
procura la sensation la plus délicieuse qu'il eût encore éprouvée. Il
oublia un instant la détresse de ses hôtes et son propre état; toutes
ses idées s'évanouirent pour faire place à la nouvelle connaissance
qu'il venait d'acquérir, et pendant quelques minutes il goûta la
félicité la plus parfaite. La réflexion ne tarda cependant pas à ramener
les noires pensées et leur sombre suite et à le replonger au plus
profond de l'abyme.

La comtesse avait alors repris assez de force pour s'entretenir du sujet
qu'elle avait le plus à coeur. L'idée d'une nouvelle tentative, pour la
délivrance de son fils, n'avait pas échappé à Alleyn; il dit qu'il était
prêt à affronter tous les dangers pour parvenir à ce but, et il parla
d'un ton si assuré de la probabilité du succès, qu'il fit encore une
fois renaître l'espérance dans le sein de Maltida; elle craignit
néanmoins de se livrer trop précipitamment à un espoir si douteux. Il
fut résolu qu'Alleyn se consulterait avec les hommes les plus habiles et
les plus fidèles de la tribu, que l'âge ou les infirmités avaient
jusqu'ici écartés du combat, sur les moyens les plus propres au succès
de l'entreprise, et qu'il marcherait ensuite, sans délai, à la tête des
combattans; qu'en attendant on enverrait un message au baron pour lui
demander du tems, et lui annoncer qu'on lui ferait réponse sous quinze
jours.

Alleyn forma donc un conseil des gens les plus habiles de la tribu. On
proposa divers projets dont le succès parut fort incertain. A la fin
quelqu'un observa qu'il était possible qu'Osbert ne fût plus dans la
tour, et que le lieu de sa détention fût changé: chose qu'il fallait
d'abord savoir pour former un plan convenable. Il fut donc résolu de
suspendre les délibérations jusqu'à ce qu'Alleyn se fût procuré les
informations nécessaires, et en attendant, celui-ci fut chargé de
délivrer à Malcolm le message de la comtesse. C'est pourquoi il se mit
sur-le-champ en marche pour le château.



CHAPITRE VI.

_Translation d'Osbert dans une autre prison.--Message de Maltida à
Malcolm.--Découverte d'un panneau mouvant par où l'on entre dans
plusieurs vastes appartemens.--Osbert parvient à celui des deux
prisonnières.--Leur surprise à la vue du comte.--Tendre intérêt de ce
dernier pour leurs souffrances. Il demande et obtient la permission de
renouveler sa visite.--Démarches d'Alleyn pour découvrir la prison du
comte, et pour tâcher de l'en tirer.--Désertion de deux soldats du
château de Malcolm qui viennent s'enrôler sous les bannières d'Alleyn._


Pendant ce tems-là le château de Dunbayne était devenu le théâtre du
triomphe et de la détresse. Fier de son projet, Malcolm voyait déjà
Marie à ses pieds, tandis qu'Osbert éprouvait des tourmens plus cruels
que la mort. Le baron était surpris que son invention ne lui eût pas
encore suggéré ce moyen de torture. Pour la première fois l'amour eut
pour lui des attraits, parce qu'il devenait l'instrument de sa
vengeance, et que d'ailleurs la violence de sa passion lui avait
représenté les charmes de Marie sous les couleurs les plus flatteuses.
Il prit donc la ferme résolution de ne jamais relâcher le comte qu'aux
conditions qu'il avait offertes, et par ce moyen de rendre la maison
d'Athlin un monument éternel de son triomphe.

Pour plus de sûreté, Osbert avait été transféré au centre du château
dans un appartement vaste et sombre, et dont les fenêtres gothiques ne
laissaient pénétrer de lumière qu'autant qu'il en fallait pour en
apercevoir l'horreur. Ce n'était pas ce qui le tourmentait davantage;
son coeur éprouvait des douleurs bien plus aiguës. Un malheur aussi
terrible que celui qui le menaçait ne s'était jamais offert à son
imagination. Depuis long-tems familiarisé avec l'idée de la mort, il ne
la regardait que comme un mal passager; mais voir sa famille dans
l'ignominie, la voir contracter une alliance avec l'assassin de son
père, cette pensée lui déchirait l'ame.

Il craignait que la tendresse maternelle n'engageât Maltida à accepter
les offres du baron, et il ne doutait pas que sa soeur n'eût assez de
grandeur d'ame pour se sacrifier, afin de lui sauver la vie. Il aurait
écrit à la comtesse pour lui défendre d'accepter ces conditions, et lui
déclarer sa ferme résolution de mourir; mais il n'avait aucun moyen de
lui faire parvenir sa lettre; le garde, qui avait eu la générosité de
faire passer sa première, ne paraissait plus. Le courage qui l'avait
soutenu jusqu'ici ne l'abandonna pas dans ce moment critique. Accoutumé
depuis long-tems à éprouver des contradictions sans nombre, il avait
acquis l'art de les surmonter; les plus grands revers n'étaient point
capables de l'abattre; la résistance ne servait qu'à lui donner plus de
force et à faire paraître sa grande ame dans un jour plus éclatant.

Alleyn venait de joindre la tribu, et faisait toute la diligence
possible pour se procurer les informations nécessaires. Il apprit que le
comte n'était plus dans la tour, mais il ne put découvrir dans quelle
partie du château il était relégué; sur ce point on n'avait que des
conjectures vagues et sans vraisemblance. Ce qui faisait croire qu'il
n'avait pas été mis à mort, c'était la politique du baron dont le
violent amour pour Marie n'était plus alors un mystère. Alleyn employa
inutilement tous les stratagèmes que l'invention put lui suggérer pour
découvrir la prison du comte. Enfin, forcé de remettre à Malcolm le
message dont il était chargé, il demanda pour préliminaire qu'Osbert fût
amené sur les remparts, afin de faire voir à ses vassaux qu'il était
encore en vie. Il espérait que cette mesure lui fournirait quelque moyen
de découvrir le lieu de sa détention, se proposant d'observer avec la
plus scrupuleuse attention l'endroit où il se retirerait.

Le comte parut sain et sauf sur les remparts. A sa vue ses vassaux
firent retentir les airs de leurs cris pour témoigner leur allégresse;
le baron était à ses côtés, et les regarda d'un air de mépris. Alleyn
s'approcha des murailles et remit le message de Maltida. Osbert frémit
de son contenu; il prévit qu'une délibération annonçait une soumission,
Déchiré par cette pensée, il jura tout haut qu'il ne survivrait jamais à
une pareille infamie; s'adressant ensuite à Alleyn, il lui commanda de
retourner sur-le-champ vers la comtesse, et de lui dire de ne point se
soumettre à des conditions aussi humiliantes, à moins qu'elle ne voulût
sacrifier ses deux enfans à l'assassin de leur père. Ces paroles
excitèrent un sourire de triomphe sur le visage du baron, et il se
tourna en gardant un silence dédaigneux. Les gardes reconduisirent
Osbert dans sa prison; mais tous les efforts de son ami, pour découvrir
le chemin qu'ils prenaient, furent inutiles; la hauteur des murs les fit
bientôt disparaître à ses yeux.

Alleyn nous fournit un exemple de la fermeté et de la constance avec
lesquelles une ame énergique poursuit un objet favori; des circonstances
fâcheuses peuvent venir à la traverse, le manque de succès peut
momentanément arrêter ses progrès; mais elle s'élève au-dessus de tout
obstacle, et pour parvenir à ses fins, elle va même au-delà des bornes
de la possibilité. Ce jeune homme ne désespérait pas encore; mais il ne
savait de quelle manière il devait agir.

En passant près d'une fenêtre, Osbert fut surpris d'y apercevoir deux
dames: malgré l'agitation de son esprit, il les reconnut pour les mêmes
personnes qu'il avait observées des grilles de la tour avec tant
d'émotion, et qui avaient à-la-fois excité sa compassion et sa
curiosité. Au milieu de sa détresse, la douceur et les grâces de la plus
jeune avaient souvent occupé sa pensée, et il désirait ardemment
connaître le sujet de sa douleur; car la mélancolie peinte sur son
visage annonçait bien qu'elle était malheureuse. Elles observèrent
Osbert lorsqu'il passa, et leurs yeux exprimèrent la pitié que sa
situation leur inspirait. Il les fixa tendrement, et de retour dans sa
prison, il fit de nouvelles questions sur leur compte; mais on continua
de garder un silence inflexible à cet égard.

Un jour qu'il était enseveli dans ses réflexions, ses yeux se fixèrent
involontairement sur un panneau du lambris de sa prison: il remarqua
qu'il était autrement fait que les autres et que sa projection était
tant soit peu plus grande; une lueur d'espérance s'empara de son esprit,
et il se leva pour l'examiner. Il vit qu'il était environné d'une fente,
et en le poussant avec les mains, il s'ébranla. Certain qu'il y avait
quelque chose de plus qu'un panneau, il y employa toute sa force; mais
il ne produisit aucun autre effet. Après avoir inutilement tenté de
l'enlever de différentes manières, il abandonna l'entreprise, et revint
s'asseoir triste et désespéré. Plusieurs jours s'écoulèrent sans qu'il
pensât davantage au lambris. Ne voulant cependant pas renoncer à cette
dernière espérance, il fit un nouvel examen, et en s'efforçant
d'ébranler le panneau, son pied donna par hasard contre un endroit qui
le fit ouvrir à l'instant. Il y avait dans l'intérieur un ressort caché
qui le tenait attaché, et en pressant une certaine partie du panneau, il
s'ouvrait de lui-même; c'était cette partie que le pied du comte avait
touchée.

Cette découverte lui causa une joie inexprimable. Il vit alors devant
lui un vaste appartement semblable à celui qui formait sa prison; ses
fenêtres hautes et arquées étaient ornées de verre peint; son pavé était
de marbre, et cet endroit paraissait être les restes d'une église
abandonnée. Osbert traversa, en hésitant, sa longue nef, et parvint à
une grosse porte de chêne à deux battans qui terminait cette pièce
lugubre: il l'ouvrit et aperçut une longue et spacieuse galerie; ses
fenêtres, aussi gothiques que celles de l'église, étaient couvertes d'un
lierre épais qui en écartait pour ainsi dire la lumière. Il s'arrêta
quelques tems à l'entrée, incertain s'il devait aller plus loin; il
écouta, et n'entendant aucun bruit dans sa prison, il continua. La
galerie aboutissait à gauche en tournant, à un grand escalier fort
ancien et, en apparence, très-négligé, qui conduisait à une salle en
bas; à droite était une porte basse et peu éclairée.

Osbert craignant d'être découvert, passa l'escalier et ouvrit la porte.
Alors une file de superbes appartemens magnifiquement meublés se
présenta à ses yeux étonnés. Il suivit sans apercevoir qui que ce fût;
mais, après avoir traversé la seconde chambre, il entendit les sanglots
d'une personne qui pleurait. Il s'arrêta un moment, ne sachant s'il
devait continuer; une curiosité irrésistible l'entraîna plus loin, et il
entra dans un appartement où étaient assises les belles étrangères, dont
la vue avait fait tant d'impression sur lui.

La plus âgée des dames fondait en larmes, et sur une table à côté d'elle
étaient une cassette et quelques papiers ouverts. La plus jeune était
tellement occupée à un dessin, qu'elle ne fit pas attention à l'entrée
du comte. Dès que la première l'eut aperçu, elle se leva tout en
désordre, et la surprise qui éclata dans ses jeux semblait demander
l'explication d'une visite si extraordinaire. Osbert, étonné de ce qu'il
venait de voir, fit quelques pas en arrière, dans l'intention de se
retirer; mais se rappelant que cette intrusion exigeait des excuses, il
revint. La grace avec laquelle il s'excusa, confirma l'impression que sa
figure avait faite sur l'esprit de Laure (tel était le nom de la jeune
dame) qui, en levant la tête, laissa apercevoir une physionomie où l'on
découvrait un heureux mélange de dignité et de douceur. Elle avait
environ vingt ans, était de moyenne taille, extrêmement délicate et
très-bien faite. Le coloris de sa jeunesse avait une teinte de
mélancolie douce et réfléchie qui donnait une expression
très-intéressante à ses grands yeux bleus; ses traits étaient en partie
cachés par ses beaux cheveux bruns qui, après avoir formé nombre de
boucles autour de son visage, descendaient sur son sein: toutes les
grâces d'un sexe aimable étaient réunies dans sa personne, et la majesté
naturelle de son maintien démontrait la pureté et la noblesse de son
ame. Lorsqu'elle aperçut le comte, une faible rougeur se répandit sur
ses joues, et elle quitta involontairement le dessin auquel elle était
occupée.

Si la simple vue de Laure fut capable de faire impression sur le coeur
d'Osbert, il en devint bien plus fortement épris quand il put contempler
sa beauté. Il s'imagina que le baron charmé par ses attraits l'avait
fait tomber dans quelques-uns de ses pièges et la retenait malgré elle
dans le château. La tristesse peinte sur son visage et le mystère qui
semblait l'environner, le confirmèrent dans cette conjecture. Plein de
cette idée, ses souffrances lui inspirèrent la plus grande compassion,
et l'amour qui brûlait alors dans son coeur vint bientôt se réunir à ce
sentiment. Dans ce moment il oublia le danger de sa situation; il oublia
même qu'il était prisonnier, et, ne pensant qu'aux moyens d'adoucir les
chagrins de cette infortunée, il ne se laissa point arrêter par une
fausse délicatesse, et il résolut, s'il était possible, de connaître la
cause de ses malheurs.

S'adressant donc à la baronne: «Madame, dit-il, si je pouvais en aucune
manière alléger des peines que je ne saurais affecter de ne point
apercevoir et qui m'ont si vivement touché, je regarderais ce moment
comme le plus heureux de ma vie; d'une vie, hélas! qui n'a déjà été que
trop marquée au coin du malheur. Mais le malheur ne m'a point été
inutile, puisqu'il m'a fait connaître la sympathie». La baronne
n'ignorait pas le caractère et les malheurs du comte. Victime elle-même
de l'oppression, elle savait plaindre les souffrances des autres. Elle
avait toujours senti une tendre compassion pour les malheurs d'Osbert,
et elle ne put s'empêcher de lui exprimer toute sa reconnaissance pour
l'intérêt qu'il voulait bien prendre à ses chagrins. Elle lui témoigna
sa surprise de le voir ainsi en liberté; mais apercevant les fers qu'il
avait aux mains, elle tressaillit d'effroi et devina une partie de la
vérité.

Il lui raconta la découverte du panneau qui lui avait fait trouver le
chemin de son appartement. L'idée de faciliter son évasion se présenta
d'abord à l'esprit de la baronne; mais sa propre situation ne tarda pas
à lui en faire voir l'inutilité, et elle fut contrainte d'abandonner une
pensée que lui avaient inspirée la vénération qu'elle avait pour le
caractère du feu comte, et l'intérêt qu'elle prenait à son fils; elle
lui témoigna le plus vif chagrin de ne pouvoir le servir, et l'informa
que sa fille et elle étaient aussi prisonnières; que leur liberté ne
s'étendait pas au-delà des murs du château, et qu'il y avait quinze ans
qu'elles étaient sous la verge de la tyrannie.

Le comte exprima l'indignation que ce récit lui inspirait, assura la
baronne qu'elle pouvait compter sur sa discrétion, et la pria, si cette
relation ne lui était pas trop pénible, de l'informer au moins comment
elle avait eu le malheur de tomber au pouvoir de Malcolm. La baronne
craignant pour la sûreté d'Osbert, lui rappela le danger d'être
découvert en restant plus long-tems hors de sa prison; et, le remerciant
encore une fois de l'intérêt qu'il avait bien voulu prendre à ses
souffrances, l'assura de ses souhaits les plus sincères pour sa
délivrance, et lui promit que, si jamais l'occasion s'en présentait,
elle lui ferait connaître les tristes particularités de ses aventures.
Les yeux du comte lui témoignèrent sa reconnaissance d'une manière plus
expressive que sa langue n'aurait pu le faire. Il demanda, en tremblant,
la permission de renouveler ses visites, ce qui lui procurerait quelques
intervalles de consolation pendant la triste captivité à laquelle il
était condamné. La baronne, par pitié pour ses souffrances, consentit à
sa demande. Osbert partit en jetant sur Laure un regard tendre et
douloureux; il était néanmoins content de ce qui s'était passé et se
retira dans sa prison en éprouvant un de ces momens de calme qui ne sont
pas même étrangers aux malheureux.

Il trouva tout tranquille, et après avoir soigneusement fermé le
panneau, il s'assit pour réfléchir sur le passé et penser à l'avenir. Il
se flatta que la découverte du panneau pourrait faciliter son évasion;
les ombres du désespoir dont son esprit avait si récemment été enveloppé
se dissipèrent peu-à-peu, et lui laissèrent entrevoir un horizon plus
flatteur; mais, hélas! ces brillantes espérances s'évanouirent comme un
songe. Il se rappela que ce château était environné de gardes dont la
vigilance était assurée par la sévérité du baron; que les belles
étrangères qui avaient pris un si tendre intérêt à son sort étaient
comme lui prisonnières, et qu'il ne connaissait pas un soldat généreux
qui voulût lui enseigner les passages secrets du château et
l'accompagner dans sa fuite. Son imagination était pleine de l'image de
Laure; en vain s'efforça-t-il de se cacher à lui-même la vérité, son
coeur trahissait constamment les sophismes de ses argumens. Il avait,
sans le savoir, bu à la coupe de l'amour, et il était forcé d'avouer son
indiscrétion. Il ne put cependant se résoudre à écarter de son coeur ce
poison délicieux; il ne put se résoudre à ne plus la voir. Les
appréhensions pénibles pour sa sûreté qu'éprouverait la baronne, s'il ne
profitait pas de la permission qu'il avait si ardemment sollicitée; le
manque de respect que cette conduite manifesterait; la violente
curiosité de connaître l'histoire de ses malheurs; le vif intérêt avec
lequel il apprendrait quelles étaient les relations de Laure et du
baron, et l'espoir extravagant et trompeur de pouvoir leur être utile,
le déterminèrent à renouveler sa visite. Sous ces illusions il cachait
le principal motif qui l'engageait à cette entrevue.

Cependant Alleyn était de retour au château d'Athlin où il avait
communiqué la résolution d'Osbert, qui n'avait servi qu'à aggraver la
détresse des infortunées qui l'habitaient. Mais pour ne point leur faire
perdre toute espérance, il leur avait caché que le comte n'était plus
dans la tour; il méditait en silence et presque sans espoir sur les
moyens de découvrir sa prison, et il tâchait de donner à la comtesse et
à Marie une consolation à laquelle il ne pouvait lui-même prendre part.
Il alla, sans perdre de tems, trouver les vieillards qu'il avait
assemblés lors de son départ, et les informa du changement de prison du
comte: circonstance qui devait pour le présent suspendre leurs
délibérations. C'est pourquoi il les quitta et se rendit sur-le-champ
auprès de la tribu, afin de continuer ses recherches. Tous les efforts
que l'on fit pour se procurer les renseignemens nécessaires, furent
inutiles.

Le moment fixé pour la réponse de la comtesse approchait; le désespoir
était peint sur tous les visages, tous les coeurs étaient déchirés des
plus vives angoisses; lorsqu'un soir les sentinelles du camp furent
alarmées par l'approche de quelques hommes dont la voix leur était
inconnue; craignant une surprise, ils les entourèrent et les
conduisirent à Alleyn. Ces prisonniers dirent que pour se soustraire à
la tyrannie de Malcolm ils étaient venus se réfugier dans le camp de ses
ennemis dont ils déploraient les malheurs et dont ils voulaient défendre
la cause. Charmé de cette circonstance, sans cependant y croire
absolument, Alleyn interrogea les soldats touchant la prison du comte.
Il apprit qu'Osbert avait été transféré dans un endroit du château d'un
accès très-difficile, et que tout plan d'évasion était impraticable,
sans l'assistance de quelqu'un bien instruit de tous les détours et
passages du bâtiment.

Alleyn eut alors une perspective de succès que ses espérances les plus
exagérées n'avaient encore pu lui présenter. Les soldats promirent
solemnellement de l'aider de tout leur pouvoir; ils l'informèrent aussi
qu'il y avait un mécontentement général parmi les vassaux du baron qui
n'attendaient qu'un moment favorable pour secouer le joug de la tyrannie
et reprendre les droits de la nature; que les soupçons de Malcolm
l'excitaient à punir avec la dernière rigueur la moindre apparence
d'inattention, et qu'étant eux-même condamnés à un châtiment très-sévère
pour une faute légère, ils avaient tâché de s'y soustraire, ainsi qu'à
l'oppression future de leur chef, par la désertion.

Alleyn convoqua immédiatement un conseil devant lequel les soldats
amenés répétèrent leurs premières assertions, et l'un d'eux ajouta qu'il
avait un frère qui aurait déserté avec eux s'il n'avait point été, ce
jour-là, de garde auprès du comte: ce qui lui avait fait craindre d'être
découvert; il ajouta que son frère serait le lendemain de garde à la
porte du petit pont-levis où il n'y avait que peu de sentinelles; qu'il
courrait les risques de l'aller trouver, et qu'il était persuadé qu'il
ne se refuserait pas à favoriser la délivrance du comte. A ces mots le
coeur d'Alleyn palpita de joie. Il promit à ce brave soldat une grande
récompense pour lui et pour son frère, s'ils voulaient tous deux se
charger de l'entreprise. Son compagnon connaissait parfaitement les
passages souterrains du rocher; il offrit aussi ses services. Les
espérances d'Alleyn devenaient à chaque instant plus fondées, et il
aurait bien voulu dans ce moment pouvoir communiquer à la malheureuse
famille d'Osbert la joie qui dilatait son coeur.

Le lendemain fut fixé pour commencer l'entreprise, et Jacques chargé de
faire tous ses efforts pour gagner son frère. Ces préliminaires réglés,
ils se séparèrent pour aller prendre du repos, mais Alleyn ne put fermer
l'oeil de la nuit: l'anxiété de l'attente s'empara de son esprit et
remplit son imagination des visions les plus agréables; il se
représentait la réunion du comte avec sa famille; il anticipait les
remercimens qu'il allait recevoir de la part de l'aimable Marie, et il
soupirait en réfléchissant que de simples remercimens étaient tout ce
qu'il avait lieu d'espérer.

A la fin le jour parut et offrit à la tribu une perspective bien
différente que celle de la veille. Alleyn, impatient de connaître le
résultat de la rencontre qui devait avoir lieu entre les deux frères,
trouvait les heures trop longues. La nuit vint enfin seconder ses
désirs. L'obscurité n'était interrompue que par la faible lueur de la
lune qui perçait, de tems en tems, à travers les sombres nuages qui
environnaient l'horizon. Le vent rompait par intervalles le silence des
ténèbres. Alleyn épiait tous les mouvemens du château; les lumières
disparurent successivement, l'horloge de la tour sonna une heure; tout
paraissait tranquille au-dedans, et Jacques marcha vers le pont-levis.
Ce pont était coupé par le milieu, et la partie du côté de la plaine
était baissée; Jacques s'avança dessus et appela d'une voix basse, mais
ferme, Edmund. Point de réponse: il commença à craindre que son frère
n'eût déjà quitté le château. Il resta quelque tems en suspens avant de
répéter son appel, et il entendit qu'on tirait doucement les verroux de
la porte du pont-levis; alors Edmund parut.

Il fut surpris de trouver Jacques et lui commanda de fuir à l'instant
pour éviter le danger qui le menaçait. Le baron, irrité de la fréquente
désertion de ses soldats, avait envoyé des gens à leur poursuite et
promis des récompenses considérables à ceux qui arrêteraient les
déserteurs. Ce discours n'eut aucun effet sur l'esprit de Jacques; il
resta, résolu d'en venir à ses fins. Heureusement les sentinelles de
garde avec Edmund étaient toutes ensevelies dans un profond sommeil, par
l'effet d'une boisson qu'il leur avait administrée pour faciliter son
évasion: ce qui fit que les deux frères continuèrent, à voix basse, leur
conversation, sans être interrompus.

Edmund ne voulait pas différer plus long-tems sa fuite, et n'avait point
assez de fermeté pour courir les dangers de l'entreprise. L'appât de la
récompense éveilla cependant son courage, et il se laissa persuader; il
connaissait bien toutes les avenues souterraines du château; la seule
difficulté qui restait à surmonter était de tromper la vigilance des
autres sentinelles, et il ne croyait pas possible que le comte quittât
sa prison sans être aperçu. Les soldats qui devaient, la nuit suivante,
monter la garde avec lui, étaient dans d'autres parties du château
qu'ils ne devaient quitter qu'au moment où on les placerait à la prison:
il était donc difficile de leur administrer cette même potion qui avait
engourdi les sens de ses camarades. Se fier à leur intégrité et
s'efforcer de les séduire, eût été mettre sa vie à leur disposition et
probablement aggraver les maux du comte. Ce projet était environné de
trop de dangers pour le hasarder, et leur imagination ne leur en offrait
point de plus probable.

Il fut néanmoins convenu que, la nuit suivante, Edmund saisirait un
moment favorable pour faire part au comte des desseins de ses amis et
pour le consulter sur les moyens de les mettre à exécution. D'après
cette résolution, Jacques revint sain et sauf à la tente d'Alleyn où
étaient assemblés les chefs de la tribu qui attendaient son retour avec
la plus vive inquiétude. Le rapport du soldat affaiblit considérablement
les espérances de ce jeune homme; la vigilance avec laquelle la prison
était gardée, paraissait rendre toute évasion impraticable. Il était
cependant condamné à rester dans cette cruelle incertitude pendant près
de trois jours, en attendant qu'Edmund fût de nouveau au poste du
pont-levis et put communiquer avec son frère. Mais Alleyn ne se doutait
pas d'une circonstance qui aurait absolument anéanti toutes ses
espérances, et dont les suites pouvaient ruiner tous leurs projets. Une
sentinelle postée sur la partie du rempart qui dominait le pont-levis
avait été alarmée par le bruit des verroux, et, s'étant approchée des
murailles, avait aperçu un homme sur la moitié du pont qui était au-delà
du fossé, conversant avec quelqu'un de l'intérieur. Elle s'était avancée
autant que les murailles le lui avaient permis, et avait fait tous ses
efforts pour entendre ce qu'ils disaient. L'obscurité de la nuit l'avait
empêchée de reconnaître la personne qui était sur le pont; mais elle
avait très-bien distingué la voix d'Edmund. Fort surprise de ce qui se
passait, elle donna toute son attention à découvrir le sujet de leur
conversation. La distance que la moitié du pont levé laissait entre les
deux frères, les obligeait de parler plus haut qu'ils n'auraient fait
sans cette circonstance, et la sentinelle en entendit assez pour être
instruite qu'ils se concertaient pour l'évasion du comte; que cette
entreprise devait avoir lieu la nuit qu'Edmund serait de garde à la
prison, et que quelques amis du comte l'attendraient dans les environs
du château. Cet homme garda tout cela dans sa mémoire, et, le lendemain
matin, il en fit part à ses camarades.

Le lendemain, vers le soir, le comte, cédant à l'impulsion de son coeur,
ouvrit de nouveau son panneau, et s'avança vers les appartemens de la
baronne. Elle le reçut avec des marques de satisfaction, tandis que le
plaisir de l'innocence, peint sur le visage de Laure, témoignait que son
coeur, jusqu'ici en proie à la douleur, éprouvait dans ce moment une
sensation délicieuse. Osbert lui rappela sa promesse, que le désir
d'exciter la compassion de ceux que l'on estime et le plaisir
mélancolique que l'on trouve à se retracer le tableau d'un bonheur
passé, lui avaient fait donner. S'étant efforcée de composer ses esprits
que le souvenir de ses souffrances passées avait ébranlé, elle lui fit
la relation suivante.


_Fin de la première Partie._





*** End of this LibraryBlog Digital Book "Les châteaux d'Athlin et de Dunbayne (1/2), Histoire arrivée dans les Montagnes d'Écosse. - Par Anne Radcliffe. Traduite de l'Anglais." ***

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