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Title: Proverbes sur les femmes, l'amitié, l'amour et le mariage
Author: Quitard, P.-M. (Pierre-Marie)
Language: French
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  PROVERBES
  SUR
  LES FEMMES
  L'AMITIÉ
  L'AMOUR ET LE MARIAGE

  RECUEILLIS ET COMMENTÉS
  PAR
  M. QUITARD,
  Auteur du _Dictionnaire des Proverbes_

  NOUVELLE ÉDITION
  CONSIDÉRABLEMENT AUGMENTÉE

  PARIS
  GARNIER FRÈRES, LIBRAIRES-ÉDITEURS
  6, RUE DES SAINTS-PÈRES, 6

  1889



PARIS.--IMPRIMERIE CHARLES BLOT, RUE BLEUE, 7.



AVIS DES ÉDITEURS


La PREMIÈRE ÉDITION de ce Livre, tiré à plusieurs milliers
d'exemplaires, est entièrement épuisée depuis quelques années. Celle que
nous publions aujourd'hui, d'après les nombreuses demandes qui nous ont
été adressées, n'est pas une reproduction pure et simple de la
précédente. Outre les retouches et les additions que l'auteur a faites à
l'ancien texte, cette édition comprend une assez grande quantité
d'articles inédits, et non moins instructifs qu'amusants par la variété
des traditions, des usages, des origines et des documents précieux
qu'elle contient. Grâce à toutes ses améliorations, cet ouvrage est
devenu plus nouveau et plus amusant; et nous sommes fondés à espérer que
le public voudra bien l'accueillir avec la même faveur dont il a honoré
celui dont il est le corrigé et le complément.



AVERTISSEMENT

DE LA PREMIÈRE ÉDITION


Il y a longtemps que je m'occupe DES PROVERBES, considérés comme
expression des mœurs et des coutumes nationales. J'en ai publié, en
1842, un dictionnaire qui a obtenu quelque succès en France et à
l'étranger. Depuis, j'ai revu et considérablement augmenté ce premier
travail, dont j'ai inséré de nombreux fragments inédits dans mes _Études
historiques, littéraires et morales sur les proverbes français_, etc.

Il m'a paru piquant de détacher encore de mon manuscrit les proverbes,
maximes et dictons relatifs aux Femmes, à l'Amitié, à l'Amour et au
Mariage, et de former, en leur donnant des développements nouveaux, une
sorte de blason proverbial de ces quatre objets, sur lesquels on n'a
cessé et on ne cessera jamais d'écrire.

Je n'ai point voulu suivre l'exemple des auteurs qui se sont amusés à
faire des archives de satire et de scandale contre le beau sexe. J'ai
dit de lui le bien comme le mal avec une liberté consciencieuse, et j'ai
tenu à respecter mon sujet. J'espère donc qu'il ne désapprouvera point
les vérités que ce petit livre lui présente, vérités sérieuses quoique
sous une forme parfois plaisante et vive.

Puisse le public, de son côté, l'accueillir avec la même indulgence que
mes publications précédentes.



PROVERBES

SUR

LES FEMMES


Il faut trente qualités à une femme pour être parfaitement belle.

C'est ce qu'a dit le premier l'auteur d'un vieux livre français
intitulé: _De la Louange et de la Beauté des dames_, où il a résumé
trois par trois en dix triades, les trente choses qui, suivant lui,
constituent la perfection, la beauté idéale de la forme féminine telle
que fut, dit-on, celle d'Hélène.

Corniger a mis le texte français en dix-huit vers latins, qui ont été
insérés par Jean Nevizan dans sa _Forêt nuptiale_ et qui débutent ainsi:

    _Triginta hæc habeat quæ vult formosa vocari.
    Fœmina sic Helenam fama fuisse refert._

«La femme qui veut être reconnue belle doit avoir les trente qualités
que la renommée attribue à Hélène.»

Vient ensuite l'énumération de ces trente qualités dont nous donnons la
traduction tirée du conte de Saintine intitulé: un _Rossignol pris au
trébuchet_:

    Trois choses blanches: la peau, les dents et les mains;
    Trois noires: les yeux, les sourcils et les cils;
    Trois rouges: les lèvres, les joues et les ongles;
    Trois longues: le corsage, les cheveux et les cils;
    Trois larges: la poitrine, le front et les hanches;
    Trois étroites: la bouche, la ceinture et le cou-de-pied;
    Trois grosses: le bras, le mollet et ***;
    Trois arquées: la taille, le nez et les sourcils;
    Trois rondes: le sein, le cou et le menton;
    Trois petites: le pied, la main et l'oreille.


Il faut choisir une femme avec les oreilles plutôt qu'avec les yeux.

Il faut considérer la bonne réputation plutôt que la beauté de celle
qu'on veut prendre pour épouse. Ne regarder qu'à la beauté dans le choix
d'une épouse, c'est vouloir, comme disait la reine Olympias, _se marier
pour les yeux_, ou, suivant une expression dont Corneille s'est servi:
_épouser un visage_.

_Heirathe das Weib, nicht die Gestalt_ (prov. allemand). _Épouse la
femme, non la figure._

On lit dans les _Préceptes de mariage_ de Plutarque:

«Il ne faut pas se marier au gré de ses yeux seulement, ni au rapport de
ses doigts, comme font aucuns qui comptent sur leurs doigts combien leur
femme leur apporte en mariage, et ne considèrent pas premièrement si
elle est conditionnée de sorte qu'ils puissent vivre heureux avec elle.»

Lamothe le Vayer dit que le sommeil dans lequel Dieu plongea notre
premier père, au moment où il voulut lui donner une compagne, est un
avis de nous défier de notre vue et de prendre une femme les yeux
fermés.

    Fille honnête et morigénée
    Est assez riche et bien dotée.

Cette maxime rimée est prise de la réponse que fit Bias, l'un des sept
sages de la Grèce, à quelqu'un qui lui demandait quelle était la
meilleure dot d'une fille. C'est une vie pudique, dit le philosophe. La
demande et la réponse ont été renfermées dans cet hexamètre du poète
Ausone:

    _Quæ dos matronæ pulcherrima?--Vita pudica._

«Diamant qui n'a point de tache est toujours bien enchâssé. Il en est de
même d'une fille: elle est assez noble et assez riche si elle est
chaste, modeste et vertueuse.» (Maxime chinoise.)

_Gratia super gratiam mulier sancta et pudorata._ (_Ecclesiastic._,
XXVI, 19.) «La femme sage et pudique a une grâce au-dessus de toute
grâce.»


Maison faite et femme à faire.

Il faut acheter une maison toute faite, afin de ne pas être exposé aux
inconvénients et aux dépenses qu'entraîne la bâtisse, et il faut prendre
une jeune femme dont le caractère ne soit pas entièrement formé, afin de
pouvoir la façonner sans peine à la manière de vivre qu'on veut lui
faire adopter.

Les Anglais disent dans le même sens: _A horse made and a wife to
make._--_Cheval fait et femme à faire._


Il faut être le compagnon et non le maître de sa femme.

Traduction littérale du proverbe roman:

    _De sa molher cal estre
    Lo companho no lo maestre._

Il faut que l'autorité d'un mari sur sa femme soit celle de la raison.
Il doit s'appliquer à la diriger par de sages conseils, non par des
prescriptions rigoureuses, être pour elle un guide bienveillant, non un
dominateur tyrannique.

_La nature a soumis la femme à l'homme, mais la nature ne connaît point
d'esclaves._ (Prov. chinois.)

«Il faut, dit Plutarque dans ses _Préceptes de mariage_, que le mari
domine la femme, non comme le seigneur fait son esclave, ains (mais)
comme l'âme fait le corps, par une mutuelle dilection et affection dont
il est lié avec elle, et en lui complaisant et la gratifiant.»

On lit dans une interprétation talmudique du passage de la Genèse sur la
création d'Ève: «Si Dieu eût voulu que la femme devînt le chef de
l'homme, il l'eût tirée de son cerveau; s'il eût voulu qu'elle fût son
esclave, il l'eût tirée de ses pieds. Il voulut qu'elle fût sa compagne
et son égale, en conséquence il la tira de son côté.» Ce que saint
Thomas a redit, en l'amplifiant de cette manière: «Dieu a créé ainsi la
première femme d'abord par égard pour la dignité de l'homme, afin que
l'homme fût lui seul le principe de toute espèce, comme Dieu est le seul
principe de tout l'univers. En second lieu, la femme n'a pas été créée
de la tête de l'homme, afin que l'on sache qu'elle ne doit pas dominer
l'homme en maîtresse de l'homme; en troisième lieu, elle n'a pas été
créée des pieds de l'homme, afin que l'on sache qu'elle ne doit pas être
méprisée de l'homme comme la servante et l'esclave de l'homme; mais elle
a été créée du côté de l'homme, du cœur même de l'homme, afin que l'on
sache qu'elle doit être aimée par l'homme comme la moitié de l'homme, la
compagne de l'homme, l'égale de l'homme.»

Ce passage de saint Thomas a été traduit et cité par le P. Ventura dans
un sermon.

Les Arabes prétendent que Dieu ne voulut point tirer la femme de la tête
de l'homme, de peur qu'elle ne fût coquette, ni de ses yeux, de peur
qu'elle ne jouât de la prunelle, ni de ses oreilles, de peur qu'elle ne
fût curieuse, ni de ses mains, afin qu'elle ne touchât point à tout, ni
de ses pieds, afin qu'elle n'aimât pas trop à courir. Il la tira de la
côte, de l'innocente côte d'Adam; et, malgré tant de précautions,
ajoutent-ils malicieusement, elle eut un peu de tous ces défauts à la
fois.


Rien n'est meilleur qu'une bonne femme.

_Nil melius mulier bona._ Ce texte latin, dont le proverbe est la
traduction littérale, se trouve dans un recueil de sentences morales en
vers latins, qu'Abélard composa pour l'instruction de son fils.

Mais Hésiode avait dit avant Abélard: «Il n'est aucun bien préférable à
une bonne femme.»

Le trouvère Chardy, dans le _Petit Plet_, poëme publié au treizième
siècle, emploie cette autre sentence analogue: _Une bonne femme est le
plus grand bienfait de la Providence._

_Qui invenit mulierem bonam, invenit bonum, et hauriet jucunditatem a
Domino._ (Salomon, _Prov._, XXVIII, 22.) «Qui a trouvé une bonne femme a
trouvé le bien par excellence, et il a reçu du Seigneur une source de
joie.»

_Mulieris bonæ beatus vir: numerus enim annorum illius duplex._
(_Ecclesiastic._, XXVI, 1.) «Heureux le mari d'une bonne femme, car le
nombre de ses années est doublé.»

Ce qui fait entendre, par contre, que la vie du mari d'une mauvaise
femme est diminuée de moitié.

«La femme, dit Shakespeare, est un mets digne des dieux quand le diable
ne l'assaisonne pas.»


Qui de femme honnête est séparé, d'un don divin est privé.

Proverbe qui paraît avoir été inspiré par ce passage de
l'Ecclésiastique: «La bonne conduite de la femme est un don de Dieu.
_Disciplina illius datum Dei est._» (XXVI, 17.)

Une femme honnête est vraiment un _don divin_, et il n'y a point de plus
grand malheur pour un mari que d'en être séparé, car il perd avec elle
un sage conseil dans ses entreprises, une douce consolation dans ses
chagrins, une heureuse assistance dans ses infirmités, une source
d'agréments et de joie dans toutes les situations de la vie. Et quel
trésor sur la terre pourrait valoir cette fidèle amie, cette tendre
bienfaitrice ou plutôt cette providence de tous les instants: «Un pareil
trésor, dit Salomon, est plus précieux que ce qu'on va chercher au loin
et aux extrémités de la terre. _Procul et de ultimis finibus pretium
ejus._» (Prov., XXXI, 10.)


La femme fait la maison.

Tout irait mal dans une maison sans la femme, la femme sensée, bien
entendu. C'est elle qui en est vraiment le génie tutélaire et qui en
fait la prospérité, en y établissant l'ordre moral et matériel par sa
sagesse, par sa surveillance, par son application aux détails du ménage
et par une foule de soins que le mari ne saurait prendre aussi bien
qu'elle.

Ce proverbe, auquel on ajoute souvent une contrepartie, en disant _la
femme fait ou défait la maison_, existe depuis les temps les plus
reculés. Il se retrouve dans les paroles suivantes de Salomon: _Sapiens
mulier ædificat domum suam: insipiens exstructam quoque manibus
destruet._ (_Prov._, XIV, 1.) «La femme sage bâtit sa maison: l'insensée
détruira de ses mains celle même qui était déjà bâtie.»

On lit dans le _Manava-Dharma Sastra_, ou livre de la loi de Manou: _La
femme, c'est la maison_, et dans un poëte indien: _La femme, c'est la
fortune._

Les Allemands ont ce proverbe: _Die Haus Ehre liegt am Weib._ «L'honneur
de la maison est à la femme.»


La plus honnête femme est celle dont on parle le moins.

«Les anciens, dit Jean-Jacques Rousseau, dans sa lettre à d'Alembert,
avaient, en général, un très-grand respect pour les femmes; mais ils
marquaient ce respect en s'abstenant de les exposer au jugement du
public, et croyaient honorer leur modestie en se taisant sur leurs
autres vertus. Ils avaient pour maxime que le pays où les mœurs étaient
les plus pures était celui où l'on parlait le moins des femmes, et que
la femme la plus honnête était celle dont on parlait le moins.» C'est
sur ce principe qu'un Spartiate, entendant un étranger faire de
magnifiques éloges d'une dame de sa connaissance, l'interrompit en
colère: «Ne cesseras-tu point, lui dit-il, de médire d'une femme de
bien?» De là venait aussi que, dans leur comédie, les rôles d'amoureuses
et de filles à marier ne représentaient jamais que des esclaves ou des
filles publiques.»

Quoique nous n'ayons point pour les femmes le même respect que les
anciens, nous n'en avons pas moins adopté la maxime proverbiale dont ils
se servaient, comme d'une espèce de _criterium_ qui leur faisait
reconnaître le degré d'estime qu'ils devaient à chacune d'elles. Il y a
même dans notre langue une expression vulgaire qui vient à l'appui de
cette maxime: c'est l'expression _faire parler de soi_. Quand elle
s'applique à une femme, elle emporte toujours une idée de blâme, tandis
qu'elle se prend généralement dans un sens d'éloge quand elle se
rapporte à un homme. _Cette femme fait parler d'elle_ est une phrase qui
signifie que cette femme donne lieu à de mauvais propos sur son compte
par une conduite répréhensible. _Cet homme fait parler de lui_ se dit
ordinairement pour exprimer que cet homme se distingue par ses talents
ou par ses belles actions.

_La femme la mieux louée est celle dont on ne parle pas._ (Prov.
chinois.)

La maxime qui veut que la femme la plus honnête soit celle dont on parle
le moins a été attribuée par quelques-uns à Périclès, par quelques
autres à Thucydide, quoique celui-ci ne la cite que comme un mot de
Périclès, et par Synésius à Osiris. Elle a été désapprouvée par
Plutarque au début de son traité _Des vertus des femmes_. «Il me semble,
dit-il, que Gorgias estoit plus raisonnable, qui vouloit que la
renommée, non le visage de la femme, fût connue de plusieurs.»


La bonne femme n'est jamais oisive.

Si elle l'était, elle ne serait pas la bonne femme, c'est-à-dire celle
qui se dévoue à la pratique de tous ses devoirs avec lesquels l'oisiveté
_mère des vices_ est incompatible; car, suivant une maxime de Pythagore
«le phénix est une femme oisive et sage à la fois.»

Notre proverbe est l'expression d'une pensée qui domine dans le portrait
que Salomon a tracé de la _femme forte_ ou vertueuse. Voici ce portrait
où l'on verra la réunion des qualités qui devaient constituer le
caractère de la femme par excellence dans les mœurs primitives:

«Qui trouvera la femme forte? Elle est plus précieuse que ce qui
s'apporte de l'extrémité du monde.

»Le cœur de son mari met sa confiance en elle, et il ne manquera point
de dépouilles.

»Elle lui rendra le bien et non le mal pendant tous les jours de sa vie.

»Elle a cherché la laine et le lin, et elle a travaillé avec des mains
sages et ingénieuses.

»Elle est comme le vaisseau d'un marchand qui apporte de loin son pain.

»Elle se lève lorsqu'il est encore nuit: elle a partagé le butin à ses
domestiques et la nourriture à ses servantes.

»Elle a considéré un champ, et l'a acheté; elle a planté une vigne du
fruit de ses mains.

»Elle a ceint ses reins de force, et elle a affermi son bras.

»Elle a goûté, et elle a vu que son trafic est bon; sa lampe ne
s'éteindra point pendant la nuit.

»Elle a porté sa main à des choses fortes, et ses doigts ont pris le
fuseau.

»Elle a ouvert sa main à l'indigent; elle a étendu ses bras vers le
pauvre.

»Elle ne craindra point pour sa maison le froid ni la neige, parce que
tous ses domestiques ont un double vêtement.

»Elle s'est fait des meubles de tapisserie; elle se revêt de lin et de
pourpre.

»Son mari sera illustre dans l'assemblée des juges, lorsqu'il sera assis
avec les sénateurs de la terre.

»Elle a fait un linceul et l'a vendu, et elle a donné une ceinture au
Chananéen.

»Elle s'est revêtue de force et de beauté, et elle rira au dernier jour.

»Elle a ouvert sa bouche à la sagesse, et la loi de clémence est sur sa
langue.

»Elle a considéré les sentiers de sa maison, et elle n'a point mangé son
pain dans l'oisiveté.

»Ses enfants se sont levés et ont publié qu'elle était très-heureuse,
son mari s'est levé, et il l'a louée.

»Beaucoup de filles ont amassé des richesses; mais vous (ô femme forte)
les avez toutes surpassées.

»La grâce est trompeuse, et la beauté est vaine: la femme qui craint le
Seigneur est celle qui sera louée.

»Donnez-lui du fruit de ses mains, et que ses propres œuvres la louent
dans l'assemblée des juges.»

(_Proverbes_, ch. XXXI, trad. de Le Maistre de Sacy.)


Prends le premier conseil d'une femme, et non le second.

Les femmes jugent mieux d'instinct que de réflexion: elles ont l'_esprit
prime-sautier_, suivant l'expression de Montaigne; elles savent pénétrer
le secret des cœurs et saisir le nœud des intrigues et des affaires avec
une merveilleuse sagacité, et les soudains conseils qu'elles donnent
sont presque toujours préférables aux résultats d'une lente méditation.
C'est pour cela sans doute que les peuples celtiques leur attribuaient
le don des oracles, et leur accordaient une grande influence dans les
délibérations politiques. Ils disaient que _si la raison de l'homme
vient de la vie et de la science, celle de la femme vient de Dieu_.

Les Hébreux, les Grecs et les Romains pensaient aussi que les femmes
avaient des lumières instinctives qui leur venaient d'en haut. La
Sulamite de Salomon, la Diotime de Platon et l'Égérie de Numa attestent,
chez eux, l'existence de ce préjugé auquel l'Inde ne fut peut-être pas
étrangère, comme le prouve le drame de Sacontala.

Les Chinois croient que les secondes vues chez les femmes ne valent pas
les premières, et ils disent, par un proverbe semblable au nôtre: _Les
premiers conseils des femmes sont les meilleurs, et leurs dernières
résolutions sont les plus dangereuses._


Ce que femme veut Dieu le veut.

Il n'y a pas moyen de résister à la volonté de la femme. Ce qu'elle veut
doit s'accomplir comme si Dieu le voulait.

En attribuant ainsi à l'opiniâtre vouloir du beau sexe une force égale à
la puissance divine, on n'a fait que prêter une nouvelle forme à une
pensée fort ancienne qu'on trouve dans ce passage des _Troyennes_
d'Euripide: «Toutes les folles passions des mortels sont pour eux autant
de Vénus;» et dans le 185e vers de l'_Énéide_ de Virgile, liv. IX:

    _Sua cuique deus fit dira cupido._

    Chacun se fait un dieu de son brûlant désir.

Les Latins avaient deux proverbes analogues, qu'ils appliquaient aux
hommes comme aux femmes: «_Nobis animus est deus._ Notre esprit est un
dieu pour nous.» «_Quod volumus sanctum est._ Ce que nous voulons est
saint et sacré.» Le premier est rapporté en grec par Plutarque, et le
second est cité par saint Augustin.

On connaît ce vers charmant de La Chaussée:

    Ce que veut une femme est écrit dans le ciel.

Il est issu de notre proverbe comme une fleur de sa tige.

Le crayon de Grandville a illustré ce proverbe d'un dessin qui offre une
scène de la vie privée. On y voit un marchand tenant un cachemire, un
mari lisant la facture avec une espèce de contorsion qui signifie que
madame doit renoncer au précieux tissu, et celle-ci, pressant sur son
sein le bras du Père Éternel, dont le geste commande la soumission au
mari récalcitrant. Toutes les circonstances sont très-bien
caractérisées, tous les détails sont rendus fort joliment; mais il est à
regretter que l'artiste n'ait point songé à placer dans un coin le
diable en tapinois, riant du Père Éternel qui a la bonhomie de soumettre
sa volonté à celle de la femme.


Il n'est plus fort lien que de femme.

Il est presque impossible de se détacher d'une femme qu'on aime. L'amant
dépité contre sa maîtresse a beau jurer de la fuir; tous les serments
que sa bouche prononce sont démentis par son cœur. Une attraction
invincible le ramène sans cesse vers elle. Les efforts qu'il a faits
pour relâcher les nœuds qui l'enlacent n'ont servi qu'à les resserrer
davantage, et le voilà plus que jamais livré, corps et âme, à celle dont
les regards si ravissants, les sourires si gracieux, les paroles si
pleines de charme et les caresses si enivrantes, lui donnent, dans sa
captivité, un bonheur qu'il n'eut pas dans son indépendance.

Le proverbe: _Il n'est plus fort lien que de femme_, s'applique aussi au
lien conjugal que tant de _maris bien marris_ se plaignent de ne pouvoir
rompre.


La plus belle femme (ou la plus belle fille) ne peut donner que ce
qu'elle a.

Pour dire que, lorsqu'une personne fait tout ce qu'elle peut, il ne faut
pas lui demander davantage.

Ce proverbe n'est pas juste sous tous les rapports; car en amour une
femme donne plus que ce qu'elle accorde, puisque c'est l'imagination qui
fait le prix de ce qu'on reçoit. Ses faveurs _ont plus que leur réalité
propre_, suivant l'heureuse expression de Montesquieu. Voltaire a
très-bien dit aussi: «L'amour est l'étoffe de la nature que
l'imagination a brodée.»

Stendhal a exprimé la même idée par cette comparaison ingénieuse: «Aux
mines de sel de Saltzbourg, on jette, dans les profondeurs abandonnées
de la mine, un rameau d'arbre effeuillé par l'hiver; deux ou trois mois
après, on le retire couvert de cristallisations brillantes: les plus
petites branches, celles qui ne sont pas plus grosses que la patte d'une
mésange, sont garnies d'une infinité de diamants mobiles et
éblouissants; on ne peut plus reconnaître le rameau primitif.

«C'est ce que j'appelle cristallisation, c'est l'opération de l'esprit
qui tire de tout ce qui se présente la découverte que l'objet aimé a de
nouvelles perfections.»

«C'est, dit-il encore, cet ensemble d'illusions charmantes qu'on se fait
sur l'objet aimé que j'appelle cristallisation.»


Il n'est attention que de vieille femme.

Une jeune femme ne s'occupe guère que d'elle-même. Elle est enivrée de
sa beauté au point de croire qu'elle n'a pas besoin d'autre séduction
pour régner sur les hommes. Mais il n'en est pas de même d'une femme qui
commence à vieillir. Elle sent que son empire ne peut plus se maintenir
par des charmes qu'elle voit s'altérer chaque jour. Elle sacrifie sa
vanité aux intérêts de son cœur; elle s'applique à fixer l'homme qu'elle
aime par les attraits de la bonté; elle est toujours aux petits soins
pour lui plaire, et il n'y a point de douces prévenances, de délicates
attentions qu'elle ne lui prodigue.

Ce proverbe s'entend aussi de certaines fonctions domestiques confiées
aux femmes. Il est reconnu qu'une vieille femme s'en acquitte plus
soigneusement qu'une jeune. Par exemple: elle est bien meilleure
garde-malade, car elle ne cherche pas autant à prendre ses aises et ne
craint pas que la privation de sommeil lui donne un teint pâle avec des
yeux battus.


La femme est toujours femme.

C'est-à-dire toujours faible, toujours légère, toujours inconstante,
etc.; tel est le jugement qu'en porte Virgile:

    ... Varium et mutabile semper
    Fœmina.

(_Æneid._, IV, 569.)

Ce que François Ier répétait dans le premier vers de ce distique inscrit
par lui sur le panneau d'une fenêtre de Chambord:

    Toujours femme varie,
    Est bien fol qui s'y fie.

Shakespeare s'écriait: «_Frailty, thy name is Woman_. Fragilité, ton nom
est femme.»

Est-il permis de douter de la vérité proverbiale affirmée par un roi et
par deux grands poëtes?--Pourquoi pas? répondent les femmes: la parole
royale, jadis réputée infaillible, n'a plus de crédit aujourd'hui, et
les paroles des poëtes n'en ont jamais eu. Un d'eux a dit, et il faut
l'en croire, qu'ils réussissaient mieux dans la fiction que dans la
vérité.


La femme est un oiseau qu'on ne tient que par le bout de l'aile.

La glose, qu'on joint quelquefois au texte comme partie intégrante,
ajoute que cet oiseau s'envole au premier instant et ne laisse qu'une
plume dans la main de celui qui croyait le garder. C'est-à-dire, sans
figure, que la femme est un être excessivement volage, qu'elle ne donne
jamais sur elle de prise assurée et qu'elle ne peut être retenue dans
aucun lien d'amour. Je n'ose dire qu'il en soit ainsi, quoique
l'inconstance paraisse démontrée par une myriade d'exemples dont je n'ai
pu trouver la vérité contestée dans aucune des apologies du beau sexe:
mais je m'abstiendrai de dire le contraire tant que je verrai des ailes
à l'oiseau.


Foi de femme est plume sur l'eau.

Cela signifie que la foi promise par une femme est aussi fugitive que la
trace d'une plume sur l'eau, ce qui est pris du trait suivant d'une
épigramme de Catulle:

    ... Mulier cupido quod dicit amanti,
    In vento et rapida scribere oportet aqua.

  Ce que dit une femme à son crédule amant doit s'écrire sur le vent ou
  sur l'onde rapide.

Ce qui a beaucoup d'analogie avec le mot de Pittacus: «Les deux choses
les plus changeantes sont le cours des eaux et l'humeur des femmes.»

Un proverbe des Scandinaves dit: _Ne vous fiez point aux promesses de la
femme, car son cœur a été fait tel que la roue qui tourne._ Comparaison
qui se retrouve appliquée à l'insensé dans ce verset de
l'Ecclésiastique: _Præcordia fatui quasi rota carri, et quasi axis
versatilis cogitatus illius_ (XXXIII, 5). «Le cœur de l'insensé est
comme la roue d'un char, et sa pensée comme l'essieu mobile.»

Les Orientaux expriment une idée analogue par cette triade proverbiale:
_L'amitié des grands, le soleil d'hiver et les serments d'une femme sont
trois choses qui n'ont point de durée._

Les Espagnols ont ce proverbe qu'ils emploient dans le même sens que le
nôtre: _Quien prende el anguila por la cola y la mujer por la palabra
bien puede decir que no tiene nada._--_Qui prend l'anguille par la queue
et la femme par la parole, peut bien dire qu'il ne tient rien du tout._

Un poëte, Alexandre Soumet, a mis dans la bouche de l'Antechrist, roi
des enfers, les vers suivants contre l'inconstance et la perfidie des
femmes:

    O femmes! sous nos pas embûche si profonde,
    Flot le plus orageux de l'océan du monde,
    Pour vous livrer son sort qu'il faut être insensé!
    Le désespoir habite où la femme a passé.
    Artisans de malheur entre tout ce qu'on aime,
    De la déception votre charme est l'emblème,
    Et votre doux regard, sur nos fronts arrêté,
    Est déjà le rayon de l'infidélité.
    A tout rêve nouveau vous vous laissez conduire;
    Autant que le démon l'ange peut vous séduire.
    Vos regrets n'ont qu'une heure. On voit briller vos pleurs
    Moins longtemps à vos yeux que la rosée aux fleurs;
    En vain à consoler la pitié vous invite,
    Près des grands dévouements vos pieds froids passent vite!
    Sœurs de l'ingratitude et reines de l'oubli,
    Vos cœurs dans la constance ont toujours défailli.

(_Divine Épopée_, ch. IX.)


L'amour d'une femme est un sable mouvant sur lequel on ne peut bâtir que
des châteaux en Espagne.

Ce mot proverbial est un trait d'_humour_ de bon aloi. Tout y frappe et
y surprend agréablement l'esprit. Les idées et les expressions en sont
ingénieuses; leur assortiment est bien entendu; leur progression est
habilement calculée pour amener naturellement et sans disparate le trait
final qu'il serait difficile de prévoir: circonstance qui le rend bien
plus piquant.


Il ne faut pas se fier à femme morte.

Voilà une fameuse hyperbole proverbiale! elle est traduite du texte
latin: _Mulieri ne credas, ne mortuæ quidem_; lequel est lui-même
traduit du grec. Diogénien, grammairien qui vivait sous l'empereur
Adrien, dit dans son recueil de proverbes qu'elle fut imaginée par
allusion à la funeste aventure d'un jeune homme qui, étant allé visiter
le tombeau de sa marâtre, fut écrasé par la chute d'une colonne élevée
sur ce tombeau.

Les Anglais expriment la même défiance envers les femmes, en disant que
le diable assoupit rarement leurs mensonges dans la fosse: _Seldom lies
the devil dead in a ditch._


Si la femme était aussi petite qu'elle est bonne, il suffirait d'une
feuille de persil pour lui faire un habillement complet et une couronne.

Manière originale et comique de classer la bonté de la femme parmi les
infiniment petits. J'ai entendu citer quelquefois, en Provence, cette
plaisanterie proverbiale, qui est également usitée en Italie, et je ne
saurais dire avec certitude dans lequel des deux pays elle a pris
naissance; mais comme elle me paraît remonter au delà du treizième
siècle, je serais tenté de croire qu'elle a été imaginée par quelque
troubadour qui aura voulu s'égayer aux dépens du sexe dans quelque
sirvente satirique.


Femme rit quand elle peut et pleure quand elle veut.

La femme a peu d'occasions de rire, et elle en a beaucoup de pleurer;
mais, par compensation, elle sait tourner ces dernières à son avantage,
et il faut bien croire que les larmes lui plaisent, puisqu'elle en
répand à volonté. Ovide prétend que la facilité des larmes chez les
femmes est le résultat d'une étude spéciale.

    _Ut flerent oculos erudiere suos._

    «Elles ont instruit leurs yeux à pleurer.»


Larmes de femme, assaisonnement de malice.

Ce proverbe, littéralement traduit du latin: _Muliebres lacrymæ
condimentum malitiæ_, signifie que lorsqu'une femme veut vous servir un
plat de son métier, elle y met ses larmes en guise de sauce.

On lit dans les distiques de Dyonisius Caton:

    _Tum lacrymis struit insidias quum fœmina plorat._

  La femme qui pleure dresse des embûches au moyen de ses larmes.

Les Italiens disent: _Due sorte di lagrime negli occhi delle donne, una
di dolore, altra d'inghanni. Deux sortes de larmes dans les yeux des
femmes, l'une de douleur et l'autre de tromperie._ Ils disent encore:
_Le donne sono simili al coccodrillo: per prendere l'uomo piangono e
presso lo divorano. Les femmes sont semblables au crocodile: pour
prendre l'homme, elles pleurent, et une fois pris, elles le dévorent._


Caresses de femme, caresses de chatte.

La chatte est un animal égoïste et perfide. Elle ne nous caresse pas,
elle se caresse à nous, suivant l'expression de Rivarol, et dans ce
manége, qui n'a que de douces apparences, elle nous fait sentir ses
griffes acérées, sorties tout à coup du velours qui les recouvre. S'il
fallait en croire le proverbe, la femme, à qui l'on suppose une nature
féline, agirait de même, dans des vues personnelles et artificieuses.
Elle ne chercherait auprès de l'homme que son propre intérêt et son
propre plaisir; elle ne lui prodiguerait ses aimables cajoleries que
pour déguiser les trahisons qu'elle médite contre lui. Cette accusation,
qu'on prétend justifier par quelques faits particuliers, est
généralement fausse et odieuse. J'en dis autant de la maxime suivante
des Grecs rapportée par Stobée: «Rien n'est plus dangereux qu'une femme
lorsqu'elle emploie les caresses.»

De telles incriminations sont détruites par leur exagération même. Il
faut être sans cœur pour redouter un guet-apens dans les témoignages
d'amour qu'on reçoit d'une belle, et pour supposer des griffes satanées
aux mains satinées qu'elle tend à nos baisers.


La femme sait un art avant le diable.

Il faut que cet art soit de notoriété publique pour que son nom ait pu
être supprimé dans le texte proverbial sans donner à personne l'embarras
de le deviner. Est-il quelqu'un, en effet, qui ait besoin de consulter
la glose pour savoir que c'est l'art de tromper? La glose dit que la
femme la plus innocente est plus habile pour tromper que le diable le
plus malin.

Je n'examinerai point si cette glose n'est pas pire que le texte, et
s'il n'y a pas beaucoup à rabattre de cette opinion, si accréditée parmi
les hommes, que la femme est un être pétri de ruse, de fausseté et de
malice, qui met tout son esprit à ne pas se laisser deviner, pour mieux
assurer le succès de ses artifices, et dont on ne doit attendre que
d'amères déceptions. Je me borne à rapporter l'accusation publique
formulée par le proverbe, sans prétendre la juger, et je laisse au beau
sexe le soin d'y répondre, ce qu'il ne manquera pas de faire; car
_jamais femme_, dit-on, _n'a gâté sa cause par son silence_.


L'homme est de feu, la femme d'étoupe, le diable vient qui souffle.

Et sous le souffle du diable, le feu de l'homme se communique à la femme
d'autant plus vite que la matière dont on la dit formée est plus
inflammable. En un instant tous deux brûlent à l'unisson, et le diable,
qui ne veut pas laisser leur combustion incomplète, continue à souffler
de toute sa force, jusqu'à ce qu'il les ait bien enflammés. N'allez pas
croire pourtant qu'ils soient réduits en cendres.

    Il n'est à l'époque présente
    Aucun amant, aucune amante
    Dont l'amour cause le trépas;
    Ils ont tous un cœur d'amiante
    Que le feu ne consume pas.

Et puis, le diable est obligé d'exercer son métier de souffleur sur tant
de millions de couples, qu'il ne peut s'arrêter longtemps sur le même.
Encore un moment, et vous allez voir celui qui se débat au milieu de
l'incendie en sortir aussi frais que s'il venait de prendre un bain
froid.

Ainsi le veut la nature qui, toujours soigneuse d'entretenir la durée
par la modération, ne souffre pas que rien de violent soit durable, et
ramène de l'excès qui détruit à la retenue qui conserve.

Qu'ils sont nombreux ces incendiés qui ont été rejetés tout à coup de
l'enfer de feu dans l'enfer de glace!


Ce que diable ne peut, femme le fait.

La femme a de plus puissants moyens que le diable pour séduire et perdre
les hommes: combien d'hommes, en effet, qui avaient eu la force de
résister à leurs penchants criminels, ont fini par y succomber lorsque
l'influence d'une femme est venue peser sur eux! Voyez les drames
terribles qui se dénouent dans les cours d'assises: les catastrophes
n'en sont-elles pas déterminées presque toujours par cette fatale
influence?

Ce proverbe, qui était, je crois, un des axiomes de Méphistophélès, est
traduit de ce texte latin du moyen âge: _Quod non potest diabolus mulier
evincit_.


Le renard en sait beaucoup, mais une femme amoureuse en sait davantage.

La femme, ou la fille la plus simple, est toujours fort habile dans les
affaires qui intéressent son cœur. On dirait que l'amour lui donne la
faculté de tout voir. Rien ne lui échappe. Elle sait mettre à profit
tout ce qui lui est favorable et tourner à son avantage les
circonstances les plus compromettantes. Rien de subtil et d'exercé comme
son instinct. Elle trouve mille expédients mieux imaginés les uns que
les autres pour se tirer d'embarras; elle agit avec adresse et
résolution dans des conjonctures où l'homme le plus fin tâtonne et
délibère, et elle atteint le but quand celui-ci consulte encore sur les
moyens d'y arriver.


La femme est une araignée.

C'est-à-dire qu'elle prend l'homme dans ses piéges comme l'araignée
enlace le moucheron dans sa toile. Cette métaphore proverbiale, usitée
au quinzième siècle, n'est pas gracieuse, mais elle paraît juste, et son
défaut de délicatesse est compensé par son énergie. Notons, d'ailleurs,
que la dénomination d'araignée n'avait alors rien d'ignoble. Louis XI
était appelé dans un sens élogieux l'_Araignée universelle_, à cause de
son travail incessant à ourdir la toile dont il occupait le centre et
dont il étendait partout les fils.


L'œil de la femme est une araignée.

Cette variante du proverbe précédent ne s'applique guère qu'à une femme
âgée dont l'œil, embusqué dans sa patte d'oie, reluque ardemment
quelques jouvenceaux, comme l'araignée, tapie dans son réseau, guette
quelque moucheron. Celle-ci n'est pas plus avide que l'autre d'avoir une
proie à dévorer.


Prends femme, Jean, et dors tant que tu voudras, car elle saura bien te
réveiller.

Les Orientaux disent: _Que celui qui ne sait pas se donner d'occupation
prenne femme._ Mais leur proverbe est bien moins piquant que le nôtre,
formé plaisamment d'une succession de traits inattendus, dont le dernier
fait ressortir la naïveté malicieuse d'une manière vraiment comique.


Fou est le jaloux qui tente de garder sa femme.

Ce proverbe se trouve en langue romane dans le poëme de Flamenca:

    Bien es fols gilos que s'esforsa
    De gardar moillier.

Le conte suivant, rapporté avec quelques variantes de détails, dans
plusieurs recueils étrangers, notamment dans les _Veillées allemandes_
de Grimm, démontre fort bien l'extrême difficulté de garder une femme.

Un homme, qui se défiait de la fidélité de la sienne, appela un démon
familier de sa connaissance et lui dit: «Mon bon ami, je vais faire un
voyage, et je veux te confier la garde de mon honneur conjugal, pendant
mon absence. Me promets-tu de ne laisser approcher aucun galant de ma
maison?--Volontiers,» répondit le diable, ne prévoyant pas à quelle rude
corvée il s'engageait; et le mari se mit en route, un peu rassuré sur
les craintes dont il était assiégé. Mais il sortait à peine de la ville,
que sa femme, pressée de se donner du bon temps avec ses amoureux, les
avait déjà invités à venir tour à tour auprès d'elle. Le fidèle gardien
chercha d'abord à faire manquer ces rendez-vous par toute sorte
d'artifices. Bientôt après, sentant que son génie inventif n'y suffisait
point, il entra en fureur et jura de traiter sans pitié tous les
imprudents qui s'obstineraient à le contrarier. En effet, il assomma le
premier qu'il surprit, noya le second dans une mare, enterra le
troisième sous un tas de fumier, fit sauter le quatrième par la fenêtre,
etc., etc., etc. Cependant, la dame était sur le point de tromper sa
vigilance, lorsque le mari revint. «Ami, lui dit le diable tout
essoufflé de fatigue, reprends la garde de ton logis; je te rends ta
femme telle que tu me l'as laissée: mais à l'avenir, choisis un autre
surveillant; je ne veux plus l'être, j'aimerais mieux garder tous les
pourceaux de la forêt Noire que de forcer une femme d'être fidèle malgré
sa volonté.»

Les Provençaux disent: _Vourië mai tenir un panier dë garris qu'uno
fillo dë vingt ans._ «Il vaudrait mieux tenir un panier de souris qu'une
fille de vingt ans.»


Une bonne femme est une mauvaise bête.

J'ai honte de rapporter ce grossier dicton, mais il tient à une
circonstance nécrologique qui mérite d'être connue, et qui prouve,
d'ailleurs, qu'il est gratuitement injurieux. Le seigneur des Accords
nous apprend, dans son _Chapitre des notes_, qu'il est né de
l'interprétation faite par les mauvais plaisants du monogramme lapidaire
M. B., qui signifie _Mulier Bona_ (femme bonne), et auquel ces messieurs
ont voulu faire signifier _Mala Bestia_ (mauvaise bête).

J'ajouterai que ce monogramme, qu'on inscrivait jadis sur les tombeaux
des femmes, a donné lieu aussi à cet autre dicton: _Les bonnes femmes
sont toutes au cimetière._


    Bonne femme, mauvaise tête,
    Bonne mule, mauvaise bête.

Encore un dicton qui tient à l'interprétation que nos pères, grands
amateurs de rébus, ont donnée abusivement au monogramme M. B. (_Mulier
Bona_) dans lequel ils ont vu _Mula Bona_ (mule bonne), tout aussi bien
que _Mala Bestia_, ce qui a fait dire, en combinant les trois versions:
_Une bonne femme et une bonne mule sont deux mauvaises bêtes._ A la
vérité, le dicton: _Bonne femme, mauvaise tête; bonne mule, mauvaise
bête_, n'indique la prétendue similitude des deux êtres que par un
simple rapprochement, au lieu de la marquer en termes exprès; mais la
réticence a été malignement calculée pour mieux attirer l'attention sur
l'entêtement de la femme, auprès duquel n'est pas même compté celui de
la mule, qui passe pourtant pour la bête la plus têtue. C'est un trait
décoché avec une habileté perfide contre la tête féminine. Malgré cela,
il ne reste pas moins impuissant que tous les autres traits auxquels
cette tête a été destinée à servir de but. Elle est, dit-on, à l'épreuve
de toutes les atteintes, par la faveur spéciale de Satan, toujours
attentif à la conservation de son plus cher ouvrage; car sachez bien que
Satan en a été le fabricateur. Ce n'est pas moi qui le dis; c'est un
grave docteur _in utroque jure_. On lit dans le livre savant et curieux
intitulé: _Sylva nuptialis_ (la Forêt nuptiale), composé par Jean
Nevizan, professeur de droit à Turin, au commencement du seizième
siècle: «Dieu se plut à former dans la femme toutes les parties du corps
qui sont douces et aimables; mais pour la tête, il ne voulut pas s'en
mêler, et il en abandonna la façon au diable. _De capite noluit se
impedire, sed permisit illud facere dæmoni._»

Les impertinents prétendent que ce fait est hors de doute, attendu que
l'ouvrage porte la marque de l'ouvrier.


La femme ne doit pas apporter de tête dans le ménage.

Le mot _tête_ se prend pour _entêtement_, volonté opiniâtre, dans ce
vieux proverbe qui correspond très-exactement, par le sens et par
l'expression, à la maxime latine du moyen âge: «_Mulier non debet esse
proprii capitis._ La femme ne doit pas avoir une tête à elle,»
c'est-à-dire ne doit pas agir d'après sa propre tête.

C'est assez d'une seule tête chez un couple conjugal. S'il y en avait
deux, elles ne sauraient compatir ensemble, car deux têtes de cette
espèce ne sont pas de celles qui puissent réaliser le symbole proverbial
des _deux têtes dans un bonnet_. Elles se choqueraient sans cesse comme
les têtes de deux béliers furieux, et Dieu sait quels graves accidents
il en résulterait pour l'une et pour l'autre. Il faut donc que la femme
renonce à la sienne, qu'elle se soumette à l'autorité raisonnable de son
mari, et qu'elle n'ait d'autre volonté que la volonté de son mari.

Les Danois disent: _Heureux ménage, lorsque la femme est sans volonté et
qu'elle consulte son mari._


La bonne femme est celle qui n'a point de tête.

Je crois que ce proverbe n'est qu'une variante du précédent. Mais au
lieu de s'entendre au figuré, il s'entend presque toujours au propre.
Cette scandaleuse acception, qu'y attachent les mauvais plaisants, est
provenue d'une singulière anecdote que j'ai racontée dans mes _Études
sur le langage proverbial_, et que M. Édouard Fournier, dans un savant
et spirituel article sur mon ouvrage, a redite en termes nouveaux que je
vais lui emprunter, persuadé que les lecteurs auront probablement plus
d'agrément à lire sa rédaction qu'à relire la mienne.

«Je ne répète, a-t-il dit, le proverbe, avec son commentateur, que pour
le réfuter comme lui, et prouver, à votre plus grande gloire, mesdames,
que son origine est un contre-sens.

»Au seizième siècle, pour dire _renommée_, on disait _fame_, du latin
_fama_, d'où cette expression: bien ou mal _famé_.

»Ainsi, parlant de la renommée, Ronsard a écrit dans la quatrième hymne
de son livre Ier:

    Mais la _fame_ qui vole et parle librement...

»Les marchands qui ont toujours eu la manie de mettre sur leur enseigne
une _bonne renommée_, qu'ils n'ont pas toujours, firent peindre
au-dessus de leur boutique la bavarde déesse avec ces mots: _A la bonne
fame_.

»Les peintres, qui savaient leur Virgile, n'avaient pas manqué de
représenter la Renommée comme le demande le poëte, dans le 117e vers du
quatrième livre de l'_Énéide_, c'est-à-dire la tête complétement perdue
dans les nuages, _inter nubila_. De là vint l'erreur. En voyant cette
déesse sans tête, avec ces mots sous ses pieds: _A la bonne fame_, on
crut à une épigramme. Ce qui n'était, encore une fois, qu'un
contre-sens, devint une malice qui court encore.»


Le cerveau de la femme est fait de crème de singe et de fromage de
renard.

Bouffonnerie excessivement drôlatique pour faire entendre que la femme
n'a pas de cerveau, puisque les deux animaux, types de malice et de
ruse, avec lesquels ce dicton veut la montrer apparentée de nature, ne
fournissent point les substances dont il suppose que son cerveau est
composé. C'est un trait facétieux de l'_humeur gauloise_, en prenant le
mot _humeur_ dans le sens qu'il avait autrefois et que les Anglais
donnent à leur mot _humour_ qu'ils ont pris du nôtre.


Corps de femme et tête de diable.

Notre-Seigneur Jésus-Christ et saint Pierre se promenaient un soir, à la
nuit tombante, dit une vieille légende populaire. Ils entendirent des
cris qui annonçaient une grande querelle. Le Fils de Dieu ordonna à son
apôtre d'aller au plus vite à l'endroit d'où partaient ces cris et d'y
faire régner la paix. L'apôtre y courut, et y vit une femme aux prises
avec le diable. Il s'efforça de les séparer et de les mettre d'accord,
mais il eut beau faire et dire, le diable et la femme le repoussèrent et
leur dispute continua plus opiniâtre. Indigné de voir son autorité ainsi
méconnue, il ne put maîtriser un mouvement de colère et, tirant son
glaive, il coupa la tête à l'un et à l'autre. Puis il retourna auprès de
son divin maître, à qui il raconta ce qu'il venait de faire. Le Seigneur
lui reprocha vivement cette action criminelle et le renvoya auprès de
ses victimes, afin de rajuster la tête de chacune d'elles au corps dont
elle avait été séparée. Saint Pierre repartit en toute hâte, désireux de
réparer le mal. L'obscurité était déjà un peu épaisse quand il arriva.
Il retrouva à tâtons les deux têtes, les remit de même en leur place et,
les ayant entendues recommencer aussitôt la dispute, il se retira,
persuadé que rien ne manquait à son opération. Cependant ce merveilleux
rebouteur avait fait une étrange méprise: prenant une tête pour l'autre,
il avait adapté celle de la femme au cou du diable et celle du diable au
cou de la femme. De là le dicton: _Corps de femme et tête de diable_.


La femme et la poule se perdent pour trop courir.

«Tout le malheur des hommes, a dit Pascal, répété par Mme de Sévigné,
vient d'une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans
une chambre.» Tout le malheur des femmes vient aussi de ne pas savoir se
tenir à la maison. En prenant des _habitudes trottières_, elles
s'exposent à rencontrer fréquemment des séducteurs qui les perdent,
comme les poules des renards qui les croquent. Ce proverbe, commun à
presque tous les peuples modernes, est fondé sur une observation qui
remonte à la plus haute antiquité où l'on avait pour maxime que _la
femme doit être sédentaire_, ce qu'on exprimait encore sous forme
symbolique, en réduisant en cendre l'essieu du char d'hyménée sur le
seuil de la maison de l'époux, lorsque l'épouse y faisait son entrée
avec lui, après la cérémonie nuptiale.

On sait que Phidias avait voulu rappeler cette maxime en sculptant pour
les Éliens une statue de Vénus, dont le pied posait sur la carapace
d'une tortue.

Alciat a fait de cette statue l'emblème de la femme vertueuse. «O belle
Vénus, dit-il, que signifie cette tortue que vous pressez sous un pied
délicat?--C'est une leçon que Phidias a voulu donner aux personnes de
mon sexe. Il leur conseille, par cet emblème, de rester toujours
attachées à leur maison comme la tortue, sans jamais y faire plus de
bruit qu'elle.»


    Temps pommelé et femme fardée
    Ne sont pas de longue durée.

Le temps est pommelé lorsqu'il y a des couches de ces petits nuages
blancs qui ressemblent à des flocons de laine et qui sont appelés, en
quelques endroits, par une métaphore assez heureuse, les _éponges du
ciel_. Ce signe, paraît-il quand il fait beau, c'est une preuve que les
vapeurs se condensent; se montre-t-il quand il fait mauvais, c'est une
preuve qu'elles se divisent, et, dans les deux cas, il indique un
changement prochain dans l'état de l'atmosphère.--Le fard est un
cosmétique pernicieux à la peau. Les femmes qui en font usage sont
flétries bien promptement, et c'est là tout ce qu'elles gagnent à
vouloir _mettre sur leur visage plus que Dieu n'y a mis_, comme dit le
troubadour Pierre de Resignac ou Ricignac.--On lit à ce sujet dans la
_Somme_ de maître Drogon de Hautvillers, chanoine de Reims et professeur
de droit civil, que «leurs visages sont des masques derrière lesquels
sont cachées les figures que Dieu leur a données, et que c'est à elles
que s'adresse cette apostrophe de saint Jérôme: «Par quelle audace
levez-vous vers le ciel des visages que le Créateur ne reconnaît
point[1]?»

  [1] J'ai tiré ce fragment de maître Drogon d'un plus long fragment que
    M. Charles d'Héricault a cité dans son commentaire sur les œuvres de
    Coquillart.

Antoine Lasale, traducteur de Bacon, dit que, selon toute apparence, ce
sont les femmes laides qui ont imaginé le fard, pour masquer tout à la
fois et leur propre laideur et les agréments des belles.

Le poëte Brébeuf a composé cent cinquante épigrammes sur une femme
fardée. Je n'y ai vu, en général, que l'abus de l'esprit contre l'abus
du fard.

Il y a deux variantes de ce proverbe qu'on a converti en triade, en y
ajoutant, tantôt _feu de bourrée_ et tantôt _pomme ridée_, qu'on
intercale entre _temps pommelé_ et _femme fardée_.

Les dames parisiennes se fardaient beaucoup au dix-huitième siècle. Un
étranger, à qui l'on demanda ce qu'il pensait de leurs charmes, répondit
sans façon: «Je ne me connais pas en peinture.»


    Soleil qui luisarne au matin,
    Enfant qui est nourri de vin
    Et femme qui parle latin
    Ne viennent pas à bonne fin.

Ce soleil est pluvieux, cet enfant est valétudinaire, et cette femme est
supposée ne faire usage de son esprit que pour dominer ou tromper son
mari.

On lit dans l'Histoire du Bas-Empire que l'empereur Théophile ne voulut
pas épouser la belle Icasie, dont il était fort épris, parce qu'elle lui
fit un jour une réponse si spirituelle qu'il en fut épouvanté.

«Une femme bel esprit, dit Jean-Jacques Rousseau, est le fléau de son
mari, de ses enfants, de ses amis, de ses valets, de tout le monde. De
la sublime élévation de son beau génie, elle dédaigne tous ses devoirs
de femme et commence toujours par se faire homme à la manière de Mlle de
Lenclos. Au dehors, elle est toujours ridicule et très-justement
critiquée, parce qu'on ne peut manquer de l'être sitôt qu'on sort de son
état et qu'on n'est point fait pour celui qu'on veut prendre. Toutes les
femmes à grands talents n'en imposent qu'aux sots. On sait toujours quel
est l'artiste ou bien l'ami qui tient la plume ou le pinceau quand elles
travaillent; on sait quel est le discret homme de lettres qui leur dicte
en secret leurs oracles. Toute cette charlatanerie est indigne d'une
honnête femme. Quand elle aurait de vrais talents, sa prétention les
avilirait. Sa dignité est d'être ignorée, sa gloire est dans l'estime de
son mari, ses plaisirs sont dans le bonheur de sa famille... Toute fille
lettrée restera fille quand il n'y aura que des hommes sensés sur la
terre.» (_Émile_, liv. V.)

    _Quæris cur nolim te ducere, Galla? diserta es._

(Martial, XI, 20.)

On connaît cette pensée du vicomte de Bonald: «A un homme d'esprit il ne
faut qu'une femme de sens. C'est trop de deux esprits dans un ménage.»
Elle me rappelle la plaisante raison qu'allégua le troubadour Raymond de
Miraval à sa femme en la répudiant: «Tu rimes comme moi: c'est assez
d'un poëte dans un ménage.»

Mlle de Lespinasse disait: «Les femmes doivent être instruites, mais non
savantes.»

Le préjugé contre les femmes savantes ou _clergesses_, comme on les
appelait autrefois, était fort répandu dans le moyen âge, et les faisait
passer pour magiciennes et sorcières. On croyait qu'elles étaient
capables de faire éclore, par leur sueur, des monstres qui ne pouvaient
être détruits qu'à force d'eau bénite et d'exorcismes. Il existe sur ce
sujet diverses traditions plus absurdes les unes que les autres.
Marchangy, dans son _Tristan_, ch. XXVI, en cite une d'après laquelle
une femme savante de Ploujean (en Bretagne) aurait fait couver un œuf de
serpent d'où serait sorti un dragon volant à trois têtes, qui ne se
nourrissait que de sang humain.

L'opinion publique est aujourd'hui moins injuste pour les femmes qu'on
nomme _bas bleus_. Elle se contente de les signaler comme ridicules, en
faisant toutefois d'honorables exceptions en faveur de celles à qui on
ne peut refuser de vrais talents ni attribuer des manières excentriques.


Jamais habile femme ne mourut sans héritier.

C'est-à-dire que si le mari n'a pas assez de savoir-faire pour lui en
donner un, elle ne se fait pas scrupule de s'adresser à _la cour des
Aides_, qui lui fournit le vrai moyen de prévenir le cas de déshérence.
Ce proverbe est traduit de l'espagnol: _Muger aguda no muere sin
herederos_. On croit qu'il fut introduit dans notre langue par la
citation qu'en fit le comte de Grignaux au comte d'Angoulême, devenu
depuis François Ier, pour détourner ce prince de courtiser Marie
d'Angleterre, troisième femme de Louis XII.

Il se pourrait pourtant qu'il fût en France d'aussi vieille date qu'en
Espagne. Quoi qu'il en soit, l'idée qu'il exprime se retrouve chez
divers peuples, et il est probable qu'elle a suggéré à Shakespeare ces
paroles d'Yago à Desdémona dans le second acte d'_Othello_: «Femme belle
n'est jamais sotte. Elle aura toujours l'esprit de se faire un
héritier.»


Qui femme a, noise a.

Saint Jérôme dit: «_Qui non litigat cælebs est_. Celui qui n'a point de
dispute vit dans le célibat.» Ce qui paraît avoir été un proverbe de son
temps, inventé probablement par quelque moine. Ainsi, il est décidé par
l'autorité même d'un Père de l'Église que les querelles sont
inséparables de l'état de mariage. Mais est-ce avec raison que le tort
de ces querelles est imputé aux femmes seules, comme le fait entendre
cet autre proverbe formulé par Ovide: _Dos est uxoria lites_.

Consultez ces dames: elles répondront toutes qu'il appartient en entier
aux maris, qui ont voulu les charger des reproches qu'ils méritent
eux-mêmes. Après cela, tâchez de résoudre, si vous le pouvez, une
question qui divise le genre humain en deux opinions si tranchées. Le
plus sage est de croire que ces opinions sont également fondées.
Montaigne dit très-bien, à la fin du chapitre V du livre III de ses
_Essais_: «Il est bien plus aisé d'accuser un sexe que d'excuser
l'autre.»

Cependant, s'il fallait émettre son avis sur cette grave question, je
n'hésiterais pas à prononcer que les femmes ont plus souvent raison que
les hommes, en me fondant sur cette maxime chinoise, qui n'est pas moins
vraie à Paris qu'à Pékin: «Un mari ne connaît pas assez sa femme pour
oser en parler, et une femme connaît trop bien son mari pour pouvoir
s'en taire.»


La femme querelleuse est pire que le diable.

L'explication de ce proverbe se trouve dans ce distique latin d'un
auteur du moyen âge:

    _Quid dæmone pejus?--Mulier rixosa: fugatur
    Iste piis precibus fit, et hæc rabiosior illis._

  Qu'y a-t-il de pire que le diable?--La femme querelleuse; car si l'on
  a recours aux prières le diable s'enfuit, et la femme devient plus
  enragée.

Salomon dit deux fois dans ses Proverbes (XXI, 9 et XXV, 24): «Il
vaudrait mieux être assis en un coin sur le toit de sa maison que de
rester avec une femme querelleuse sous le même toit.»

Dans un autre endroit il compare la femme querelleuse à un toit d'où
l'eau dégoutte toujours: _Tecta jugiter pestillantia litigiosa mulier_.
(Prov., XIX, 13.)

Le peuple dit: _La femme est comme la botte: la meilleure est celle qui
crie le moins._


On ne peut avoir en même temps femme et bénéfice.

Il y avait autrefois des bénéfices que, durant certains mois, les
collecteurs patrons étaient obligés de conférer aux gradués de
l'Université; mais ces gradués ne pouvaient y être nommés s'ils étaient
mariés; de là ce proverbe dont le sens était qu'on ne pouvait cumuler
deux avantages.

Les Italiens emploient dans un sens analogue cette facétieuse ironie:
«_Non si può avere la moglie ebbra e la botta piena._ On ne peut avoir
sa femme ivre et sa barrique pleine.»


Rien n'est pire qu'une méchante femme.

On disait au treizième siècle: _Le pire riens qui soit est une male
femme_, c'est-à-dire une méchante femme. Mais ce proverbe remonte
beaucoup plus haut. L'idée qu'il exprime se trouve dans l'_Iliade_ où
Agamemnon s'écrie: «O femmes, lorsque vous tournez au mal, les furies de
l'enfer ne sont pas plus méchantes.» En effet, dès qu'elles ont renoncé
à cette retenue qui est le premier mérite de leur sexe, il n'y a point
d'excès dont elles ne deviennent capables. C'est une vérité qu'ont mise
en évidence de grands poëtes tragiques dans la peinture qu'ils ont faite
des femmes perverses et cruelles. Voyez lady Macbeth, de Shakespeare;
Médée, Cléopatre et Rodogune, de P. Corneille.

M. V. Hugo, dans sa _Légende du beau Pécopin_, charmant épisode de ses
_Lettres sur le Rhin_, cite le proverbe suivant sur la méchanceté
féminine: _Les chiens ont sept espèces de rage, les femmes en ont
mille_.

Je ne sais quelles sont les sept espèces de rage des chiens, et encore
moins les mille des femmes.

Il y a plusieurs autres dictons grossiers où les femmes sont assimilées
aux chiens sous divers rapports, parmi lesquels ne figure point, on le
pense bien, celui de la fidélité. Je m'abstiens de les reproduire, car
ils ne peuvent donner lieu à aucune remarque susceptible de quelque
intérêt; mais je rappellerai qu'une telle assimilation existait dans le
langage proverbial des anciens. Elle avait été suggérée peut-être par
une tradition mentionnée dans une poésie de Simonide. Ce poëte dit que
Dieu forma la femme de la substance d'une chienne, et la fit semblable à
sa mère: _Mulierem ex cane fecit Deus, parenti suæ similem_. Ces mots
latins sont la traduction littérale du texte grec, dont le sens
allégorique n'a pas été expliqué par les commentateurs.


Il faut craindre sa femme et le tonnerre.

Voilà un rapprochement qui présente la femme comme un être bien
redoutable. L'est-elle donc à ce point?--Oui, s'il faut en croire
l'_Ecclésiastique_, qui a fait de sa méchanceté un portrait effrayant,
dont je ne citerai que ce trait analogue à notre proverbe: «_Non est ira
super iram mulieris._ (XXV, 23.) Il n'y a pas de colère qui surpasse la
colère de la femme.»

Virgile a dit: «On sait ce que peut une femme furieuse. _Notumque furens
quid fœmina possit._ (_Æneid._, V, 6.)

La conclusion morale à tirer du proverbe, c'est qu'il faut avoir pour sa
femme des procédés pleins de douceur; car plus son courroux est à
craindre, plus il importe à l'homme de ne pas le provoquer.


La femme est un mal nécessaire.

_Mulier malum necessarium_, proverbe de tous les temps et de tous les
lieux, pour signifier que l'homme ne peut se passer de la femme, et
qu'il doit s'appliquer à vivre avec elle aussi bien que possible
puisqu'il ne saurait vivre sans elle.

Un personnage de l'antiquité, qui avait épousé une femme presque naine,
s'en excusait en disant: «J'ai choisi le plus petit des maux.»


Femme barbue, de loin la salue, un bâton à la main.

C'était un préjugé assez généralement admis dans le moyen âge qu'une
femme qui avait de la barbe ne pouvait manquer d'être sorcière, et qu'il
fallait se garantir de l'approche de ce suppôt de Satan, en usant
d'abord de certains procédés poliment calculés pour ne pas l'irriter et
en recourant enfin à des moyens coercitifs, _si faire autrement ne se
pouvait_. C'est là précisément ce que recommande ce vieux dicton en
disant de _la saluer de loin, un bâton à la main_.

Dans un temps où tant de gens étaient accusés d'être sorciers par tant
d'autres qui certainement ne l'étaient pas, on ne se bornait point à
regarder la barbe chez les femmes comme un indice de sorcellerie, on se
figurait aussi que leur vieillesse en était un non moins manifeste,
lorsqu'elle offrait certain caractère de laideur, et de là est venue la
locution proverbiale de _vieille sorcière_, qui s'est conservée pour
désigner une femme vieille, laide et méchante. Cette qualification
injurieuse fut fondée, suivant Gerson, sur ce que les femmes vieilles
ont toujours eu plus de penchant à la superstition que les jeunes
(_Tract. contra superstitios, dierum observat._), ce qui ne veut pas
dire que les jeunes en soient exemptes; car la superstition abonde dans
tout cœur féminin, s'il faut en croire Martin de Arlès, qui a remarqué,
dans son _Traité des superstitions_, que le nombre des sorcières a été
en tout temps bien plus considérable que celui des sorciers.--Joignez à
cela l'observation suivante faite par M. E. Pelletan: «La femme tourne
aisément à la sorcellerie. Le jésuite Paul Leyman, envoyé comme
inquisiteur en Allemagne pour y brûler des multitudes de sorciers,
explique ainsi, dans son _Malleus maleficarum_, cette incorrigible
condescendance de la femme à la volonté de Satan:--Le nom de femme,
dit-il, vient de _mulier_, tendre; _mulier_ vient de _mollis_, qui a
engendré, à son tour, _malleabilis_, malléable; or, par cela même que la
femme est malléable, elle est facile à pétrir, et le diable a toujours
la main fourrée dans le pétrin.» (Feuilleton de la _Presse_, 31 janvier
1850.)

Lactance avait donné de _mulier_ une étymologie, semblable quant au
fond, qui était reçue chez les Latins. On lit dans son traité intitulé:
_De l'ouvrage de Dieu_, ch. XVII: «_Mulier_ vient de _mollities_, et
signifie la faiblesse et la mollesse.»


Femme qui prend se vend, femme qui donne s'abandonne.

Ce proverbe, qu'on divise quelquefois en deux, est une sentence émanée
des anciennes cours d'amour. Il n'a une juste application qu'en matière
de galanterie, pour signifier que la femme qui reçoit des présents d'un
homme met son honneur en danger, et que celle qui fait des présents à un
homme est tout à fait vile et déshonorée. J.-J. Rousseau a dit de cette
dernière: «La femme qui donne est traitée par le vil qui reçoit comme
elle traite le sot qui donne.»

Gabriel Meurier rapporte, dans son _Trésor des sentences_, ce distique
proverbial, qui propose une excellente règle de conduite:

    Fille, pour son honneur garder,
    Ne doit ni prendre ni donner.


Une femme ne cèle que ce qu'elle ne sait pas.

C'est-à-dire qu'une femme est incapable de garder un secret. Mais cela
doit s'entendre d'un secret qui lui est confié et non d'un secret qui
lui appartient en propre; car elle cache toujours très-bien ce qu'il lui
importe personnellement de cacher; par exemple, son indiscrétion ne va
presque jamais jusqu'à révéler son âge, pour peu que cet âge dépasse le
chiffre de la première jeunesse, et _si l'on veut la faire mentir à coup
sûr, il n'y a qu'à le lui demander_, comme le dit un proverbe qu'on
trouvera commenté dans ce recueil.

La conclusion à tirer de ce proverbe, c'est qu'il ne faut confier aux
femmes que les choses dont on désire que le public soit instruit.

Les Orientaux conseillent de se tenir en garde contre les trahisons
attribuées, à tort ou à raison, à la langue féminine, en disant: _Si la
femme est mauvaise, méfie-toi d'elle; si elle est bonne, ne lui confie
rien._


A qui Dieu veut aider sa femme lui meurt.

Ce proverbe paraît être une allusion à l'histoire de Job, dont Dieu fit,
dit-on, mourir subitement la femme, quand il le délivra de tous ses
maux, et lui rendit sa belle existence; car il jugeait impossible que le
saint homme pût redevenir complétement heureux en conservant sa mauvaise
compagne. Ce fait, qui ne se trouve point mentionné dans le texte sacré,
est de tradition juive, et il doit être considéré comme une de ces
fables imaginées par les rabbins pour expliquer et corroborer l'esprit
de la Bible généralement hostile aux filles d'Ève.

Nous avons encore ce proverbe singulier sur l'avantage qu'un _mari bien
marri_ croit retirer de la mort de sa femme: _A qui perd sa femme et un
denier c'est grand dommage de l'argent_. Les Italiens disent de même:
_Chi perde la sua moglie e un quattrino, ha gran perdita del quattrino_.


    Deuil de femme morte
    Dure jusqu'à la porte.

Trop souvent, hélas! il ne va guère plus loin, et quelquefois même il y
a lieu de soupçonner qu'il n'irait pas jusque-là s'il n'était accompagné
du mécontentement que peut causer encore la présence de la morte. C'est
un dernier effet de l'antipathie conjugale à laquelle cette contrariété
semble communiquer une apparence de douleur, et voilà pourquoi l'on
accuse les maris d'être toujours pressés de faire enterrer leurs femmes.
On connaît le mot de celui qui ordonna de porter la sienne au cimetière
au moment même où elle venait d'expirer. Comme on lui représentait que
le corps était encore tout chaud: «Faites ce que je dis, s'écria-t-il en
colère: elle est assez morte comme cela.»


    Ci-gît ma femme. Ah! qu'elle est bien,
    Pour son repos et pour le mien!

Cette épitaphe épigrammatique passée en proverbe a été faussement
attribuée à Piron; elle est du jurisconsulte Jacques du Lorens, connu
par un recueil de satires imprimé en 1624. Nicolas Bourdon, poëte latin,
ami de l'auteur, la reproduisit dans ce distique assez joliment tourné
qu'on a pris à tort pour l'original:

    Clausa sub hoc tumulo conjux jacet. O bene factum!
        Nam requiesco domi, dum requiescit humi.

Bientôt après elle fut traduite en anglais, en italien et en plusieurs
autres langues, qui en firent comme la nôtre la devise de tout mari
joyeux d'avoir enterré sa femme.


La chandelle se brûle, et cette femme ne meurt point.

Dicton usité par plaisanterie parmi le peuple de Paris, en parlant d'une
chose qui se fait attendre ou d'une espérance qui tarde à se réaliser.
On prétend qu'il fut, dans le principe, un mot d'impatience échappé à un
certain mari qui, témoin de l'agonie de sa femme, se désolait de la voir
durer plus longtemps que la chandelle bénite, allumée, selon l'usage, au
chevet du lit de l'agonisante.


Ce n'est rien, c'est une femme qui se noie.

Mauvaise plaisanterie de quelque Sganarelle. Celui de Molière en fait
une de la même espèce. Lorsque la suivante de Célie l'appelle en
s'écriant: «Ma maîtresse se meurt!» il lui répond:

            ... Quoi! ce n'est que cela.
    Je croyais tout perdu de crier de la sorte.

Un proverbe espagnol venge le beau sexe de l'injustice du nôtre. Une
femme y dit: «_No es nada, sino que matan a mi marido._ Ce n'est rien,
c'est mon mari que l'on tue.»

Je partage le sentiment exprimé par La Fontaine dans les vers du début
de sa fable intitulée _la Femme noyée_.

    Je ne suis pas de ceux qui disent: _Ce n'est rien,
            C'est une femme qui se noie_;
    Je dis que c'est beaucoup, et ce sexe vaut bien
    Que nous le regrettions, puisqu'il fait notre joie.

(Liv. III, fable XVI.)


Il est permis de battre sa femme, mais il ne faut pas l'assommer.

Ce proverbe a été originairement une formule de droit coutumier.
Plusieurs anciennes chartes de bourgeoisie autorisaient les maris, en
certaines provinces, à battre leurs femmes, même jusqu'à effusion de
sang, pourvu que ce ne fût pas avec un fer émoulu et qu'il n'y eût point
de membre fracturé. Les habitants de Villefranche, en Beaujolais,
jouissaient de ce brutal privilége qui leur avait été concédé par
Humbert IV, sire de Beaujeu, fondateur de leur ville. Quelques
chroniques assurent que le motif d'une telle concession fut l'espérance
qu'avait ce seigneur d'attirer un plus grand nombre d'habitants,
espérance qui fut promptement réalisée.

On trouve dans l'_Art d'aimer_, poëme d'un trouvère, la recommandation
suivante: «Garde-toi de frapper ta dame et de la battre. Songe que vous
n'êtes point unis par le mariage, et que, si quelque chose en elle te
déplaît, tu peux la quitter.»

La chronique bordelaise, année 1314, rapporte ce fait singulier: «A
Bordeaux, un mari, accusé d'avoir tué sa femme, comparut devant les
juges et dit pour toute défense: «Je suis bien fâché d'avoir tué ma
femme; mais c'est sa faute, car elle m'avait grandement irrité.» Les
juges ne lui en demandèrent pas davantage, et ils le laissèrent se
retirer tranquillement, parce que la loi, en pareil cas, n'exigeait du
coupable qu'un témoignage de repentir.

Un de ces vieux almanachs qui indiquaient à nos aïeux les actions qu'ils
devaient faire jour par jour donne, en plusieurs endroits,
l'avertissement que voici: «Bon battre sa femme en hui.»

Cette odieuse coutume, qui se maintint légalement en France, suivant
Fernel, jusqu'au règne de François Ier, paraît avoir été fort répandue
dans le treizième siècle; mais elle remonte à une époque bien plus
reculée. Le chapitre 131 des _Lois anglo-normandes_ porte que le mari
est tenu de châtier sa femme comme un enfant si elle lui fait infidélité
pour son voisin. _Si deliquerit vicino suo tenetur eam castigare quasi
puerum._

Mahomet permet aussi aux musulmans de battre leurs épouses lorsqu'elles
manquent d'obéissance. (_Koran_, IV, 38.)

Un canon du concile tenu à Tolède, l'an 400, dit: «Si la femme d'un
clerc a péché, le clerc peut la lier dans sa maison, la faire jeûner et
la châtier, sans attenter à sa vie, et il ne doit pas manger avec elle
jusqu'à ce qu'elle ait fait pénitence.»

Il fallait que ce concile eût des raisons bien graves pour rendre cette
décision. Sans cela, des ministres de la religion chrétienne, qui a tant
fait pour l'émancipation et la dignité des femmes, auraient-ils pu
concevoir la pensée de les soumettre à une pénalité si brutale et si
dégradante? N'auraient-ils pas été conduits, au contraire, par l'esprit
de cette religion où tout est douceur et charité, à proclamer le
principe de la loi indienne du code de Manou, qui dit dans une formule
pleine de délicatesse et de poésie: «Ne frappe pas une femme, eût-elle
commis cent fautes, pas même avec une fleur.»

Remarquons, du reste, que le droit de battre n'a pas toujours appartenu
aux maris exclusivement. La dame noble qui avait épousé un roturier
pouvait lui infliger la correction avec des verges, toutes les fois
qu'elle le jugeait convenable.

Rœderer dit dans son _Histoire de François Ier_: «Plusieurs monuments
attestent que le règne de ce prince fut l'époque où le sexe, non content
de se soustraire à la barbarie qui autorisait les maris, les obligeait
même à corriger les épouses infidèles, établit encore l'usage plus
révoltant qui autorisa les femmes infidèles ou fidèles à corriger et à
battre leurs maris.»

Jean Belet, dans son _Explication de l'office divin_, parle d'un
singulier usage de son temps: «La femme, dit-il, bat son mari à la
troisième fête de Pâques, et le mari bat sa femme le lendemain. Ce
qu'ils font pour marquer qu'ils se doivent la correction l'un à l'autre
et empêcher qu'ils ne se demandent, en ce saint temps, le devoir
conjugal.»

La raison pour laquelle les époux devaient s'abstenir du devoir
conjugal, non-seulement pendant les fêtes de Pâques, mais pendant les
autres fêtes et les dimanches, était fondée sur une superstition qui
leur faisait craindre que les enfants procréés ces jours-là ne fussent
noués, contrefaits, épileptiques ou lépreux. Cette superstition existait
dès le sixième siècle. (Voyez Grégoire de Tours, _de Mirac._, S.
Martini, lib. II, cap. XXIV.)

Les prêtres païens prescrivaient aussi la continence pendant les jours
consacrés aux fêtes d'Isis, comme nous l'apprennent Ovide et Properce:
le premier, dans la huitième élégie du livre Ier _des Amours_, et le
second dans la trente-cinquième élégie de son livre II, où il se plaint
de la longue séparation que cette déesse a imposée à des cœurs si
brûlants de se réunir.

    _Quæ dea tam cupidos toties divisit amantes._


Battre sa femme ne lui ôte folle pensée.

Proverbe traduit du roman _Battre molher non li tol fol consire_.

Arlequin a beau dire que les femmes ressemblent aux côtelettes, qui
deviennent plus tendres quand elles sont bien battues, il faut se défier
de cette tendresse qu'elles font paraître après les mauvais traitements;
car ce n'est presque toujours qu'une feinte sous laquelle elles cachent
des projets de vengeance. La brutalité des maris ne sert qu'à les rendre
pires, et ceux-ci n'ont rien de mieux à faire que de _prendre patience
en enrageant_. Je les engage dans leur propre intérêt à méditer
sérieusement cet autre proverbe fort raisonnable: _Celui qui frappe sa
femme est comme celui qui frappe un sac de farine: tout le bon s'en va,
et le mauvais reste._


Il faut toujours que la femme commande.

C'est un vers du joli conte de Voltaire intitulé: _Ce qui plaît aux
dames_. Mais ce vers n'est que la reproduction d'un proverbe antique,
rapporté dans le _Zend-Avesta_, où une femme, sommée par les Mages de
dire ce que chaque femme désire le plus, leur répond: «Être aimée et
soignée de son mari, _être maîtresse de la maison_,» réponse pour
laquelle ces prêtres indignés la font mourir sous leurs coups.

Nous avons aussi le proverbe rimé:


    Femme veut en toute saison
    Être maîtresse en sa maison.

Le désir le plus vif et l'étude la plus constante des femmes, de mère en
fille, depuis que le monde existe et dans tout pays, c'est donc d'être
maîtresses. Elles ont, pour y parvenir, une tactique merveilleuse, qui
ne se trouve presque jamais en défaut. Les hommes civilisés ne savent
pas y résister, et le droit du plus fort dont ils se glorifient n'est
rien en comparaison du droit du plus fin dont elles ne se vantent pas.

Un vieux Minnesinger, dans un accès de gynécomanie poétique, a cherché à
montrer par une allégorie singulière que la femme est réellement la
maîtresse. Il l'a représentée assise sur un trône superbe, avec une
constellation de douze étoiles pour couronne et la tête de l'homme pour
marchepied.

On a prétendu que dans l'antiquité le beau sexe fut généralement réduit
à une espèce d'esclavage. Cet état, inconciliable avec le caractère dont
il est doué, n'a pu exister que par exception et chez un petit nombre de
peuples, et je pense qu'on pourrait établir contre l'opinion commune que
la gynécocratie politique et la gynécocratie domestique ont été plus en
usage dans les siècles antérieurs au christianisme que dans certains
siècles postérieurs. Sans vouloir nier les améliorations que l'esprit de
cette divine religion a fini par introduire dans l'état social de la
femme, je vais présenter quelques faits historiques assez curieux à
l'appui de mon assertion. La _Bible_ et les poëmes d'Homère nous
montrent les femmes libres dès les temps les plus reculés. On ne saurait
tirer une preuve du contraire de ce que, à ces époques primitives, elles
vivaient confinées dans l'intérieur des maisons. C'étaient les mœurs et
non les lois qui le voulaient ainsi; car il n'y aurait pas eu de
sécurité pour elles au dehors. Les inconvénients de cet état cessèrent à
mesure que la civilisation se développa. Les femmes grecques jouissaient
d'une liberté modérée qui dégénéra en indépendance pendant que leurs
maris faisaient le siége de Troie. Plus tard, elles régnèrent chez elles
et exercèrent souvent une influence puissante sur les affaires de
l'État, comme nous le voyons dans Aristophane. Les dames romaines,
d'abord tenues pour mineures, devinrent bientôt maîtresses. Caton
l'Ancien signalait leur empire en disant: «Les autres hommes commandent
à leurs femmes; nous, à tous les autres hommes, et nos femmes à nous.»

On sait que chez les Gaulois, les femmes possédaient une grande autorité
et siégeaient dans le haut conseil de la nation. Elles étaient honorées
par eux et par tous les peuples de la même race comme des êtres doués de
lumières instinctives émanées du ciel. C'était un préjugé sacré que les
druides avaient emprunté, dit-on, à la religion assyrienne à laquelle la
leur ressemble en plusieurs points, et l'on a prétendu que ce fut en
vertu de ce préjugé que Sémiramis fit une loi réputée longtemps
inviolable qui attribuait aux femmes l'autorité sur les hommes. La
législation des Sarmates prescrivit qu'en toutes choses, dans les
familles et dans les villes, les hommes fussent sous le gouvernement des
femmes. En Égypte, chaque mari devait être esclave de la volonté de la
sienne: il s'y engageait formellement par une clause indispensable
exigée dans tous les contrats de mariage. A Carras en Assyrie, il y
avait un temple dédié à la lune, où l'on n'admettait que ceux qui
faisaient hautement profession de se montrer toujours soumis à leurs
épouses, et l'on assure que de toute la contrée les dévots pèlerins ne
cessaient d'y affluer.


La femme veut porter la culotte.

On a dit plus anciennement: _Veut porter le haut-de-chausses_, et plus
anciennement encore: _Veut chausser les braies_, expressions
parfaitement synonymes en parlant d'une femme qui aspire à maîtriser son
mari. Fleury de Bellingen, auteur des _Illustres Proverbes_, a pensé que
ces expressions avaient leur fondement dans l'histoire ancienne, et
voici la singulière explication qu'il en a donnée: «La reine Sémiramis,
prévoyant, après la mort de Ninus, son époux, que les Assyriens ne
voudraient pas se soumettre à l'empire d'une femme, et voyant que son
fils Zaméis, ou Ninias, comme le nomme Justin, était trop jeune pour
tenir les rênes d'un si grand État, se prévalut de la ressemblance
naturelle qu'il y avait entre la mère et l'enfant, se vêtit des habits
de son fils et lui donna les siens afin qu'étant pris pour elle, et elle
pour lui, elle pût régner en sa place. Plus tard, ayant acquis l'amour
de ses sujets, elle se fit connaître pour ce qu'elle était et fut jugée
digne du trône. Quand nous disons des femmes généreuses qu'_elles
portent le haut-de-chausses_, nous faisons allusion à cette reine qui
régna en habits d'homme.»

On trouvera sans doute que Fleury de Bellingen est allé chercher trop
loin l'origine d'une locution qui, en la supposant antique, n'a pu
naître que dans notre ancienne Gaule narbonnaise que les Romains
appelaient _Gallia braccata_, parce qu'elle était le seul pays du monde
où l'on portât des braies ou culottes. Cependant il aurait pu l'aller
chercher plus loin encore, si la fantaisie lui en eût pris: son
imagination, au lieu de s'arrêter à la reine d'Assyrie, n'avait qu'à
remonter à la mère du genre humain. Il lui eût été même plus aisé de
démontrer qu'Ève _porta la culotte_, dans le sens propre, comme dans le
sens figuré, car la Genèse, parlant de nos premiers parents occupés à
vêtir leur nudité, dit textuellement: _Consuerunt folia ficus et
facerunt sibi perizomata_; ce qu'un ancien traducteur, Le Fèvre
d'Estaples, a rendu en ces termes: «Ils cousirent des feuilles de
figuier et s'en firent _des braies_.» (Édition de Genève, 1562).
Bellingen aurait du moins obtenu par une telle explication le suffrage
de toutes les femmes, charmées de voir dans un passage des livres saints
la preuve irrécusable qu'elles n'ont pas moins que les hommes le droit
de _porter la culotte_.

Mais faisons trêve à la plaisanterie, et cherchons une origine
raisonnable. Hue Piaucelle, un de nos plus anciens trouvères, a composé
un fabliau intitulé: _Sire Hains et dame Anieuse_. Ces deux époux
n'étaient jamais d'accord. La femme contrecarrait sans cesse le mari.
Celui-ci, fatigué, lui dit un jour: «Écoute, tu veux être la maîtresse,
n'est-ce pas? et moi je veux être le maître. Or, tant que nous ne
céderons ni l'un ni l'autre, il ne sera pas possible de nous entendre.
Il faut, une fois pour toutes, prendre un parti, et puisque la raison
n'y fait rien, décidons-en autrement.» Quand il eut parlé de la sorte,
il prit un haut-de-chausses qu'il porta dans la cour de la maison et
proposa à la dame de le lui disputer, à condition que la victoire
donnerait pour toujours, à qui l'obtiendrait, une autorité pleine et
entière dans le ménage. Elle y consentit: la lutte s'engagea en présence
de la commère Aupais et du voisin Simon, choisis pour témoins. Sire
Hains, après avoir éprouvé la plus opiniâtre résistance de dame Anieuse,
finit par emporter le prix de ce combat judiciaire. L'abbé Massieu et le
Grand d'Aussy ont pensé que le fabliau de Piaucelle a donné lieu à
l'expression _porter le haut-de-chausses_; mais il n'a fait que la
populariser, car il est positif qu'elle lui est antérieure.

On pourrait conjecturer qu'elle a dû s'introduire à une époque où les
caleçons et les hauts-de-chausses faisaient partie de l'habillement des
dames nobles, et où celles de ces dames qui avaient pris des maris
bourgeois jouissaient du privilége de leur commander et même de les
frapper avec des verges lorsqu'ils ne se montraient pas assez soumis.
Mais une telle conjecture, quoique fondée sur un fait attesté par de
graves et véridiques auteurs, A.-A. Monteil entre autres, me semble
inadmissible comme la précédente, et pour la même raison. Je rejette
toute origine historique, et je crois qu'on a naturellement attribué le
costume du mari à la femme qui aspire à jouer le rôle du mari. C'est
d'ailleurs ce qui se faisait chez les anciens. Denys de Syracuse,
voulant punir un homme qui s'était laissé battre par sa femme, ordonna
qu'il fût habillé en femme et que la femme fût habillée en homme, parce
que la nature avait dû se tromper en les créant.

La locution _porter la culotte_ est ce qu'on appelle un symbole parlé.


Être sous la pantoufle de sa femme.

Voici l'origine historique justement assignée à cette locution par M.
Chassan, auteur de la _Symbolique du droit_: «Grégoire de Tours, dans la
Vie des Pères, ch. XX, et Ducange, au mot _calceamenta_, disent que le
fiancé faisait présenter un soulier, ordinairement le sien, à sa future
épouse. Il paraît même, d'après M. Ryscher, que c'était lui qui l'en
chaussait. En se déchaussant, il s'exposait à marcher d'un pas moins
ferme, et se plaçait ainsi dans une condition inférieure vis-à-vis de sa
fiancée; en mettant lui-même le soulier au pied de sa fiancée, il
s'humiliait devant elle, et de là vient que, pour désigner un mari que
sa femme gouverne, on dit encore aujourd'hui en France qu'_il est sous
la pantoufle de sa femme_. De là aussi le mot de Grimm, qui enseigne que
la pantoufle est encore un symbole fort usité de la puissance qu'exerce
la femme sur le mari.» (_Poesie in Recht._, § 10.)


La poule ne doit pas chanter devant le coq.

Proverbe qui se trouve textuellement dans la comédie des _Femmes
savantes_, mais qui est antérieur à cette pièce, comme le prouvent ces
deux vers de Jean de Meung:

    C'est chose qui moult me desplaist
    Quand poule chante et coq se taist.

Quelques glossateurs prétendent qu'une femme qui se trouve avec son mari
dans une société ne doit pas prendre la parole avant que son mari ait
parlé, car le mot _devant_, disent-ils, est ici une préposition de temps
qui remplace _avant_, comme dans cette phrase de Bossuet: «Les anciens
historiens qui mettent l'origine de Carthage _devant_ la prise de
Troie.» Mais il est certain que leur érudition grammaticale les a
fourvoyés. Le véritable sens est qu'une femme doit se taire en présence
de son mari, et attendre qu'il _lui donne langue_, comme on disait
autrefois. Un usage de l'ancienne civilité obligeait les femmes à
demander aux maris la permission de parler, quand elles avaient quelque
chose à dire devant des étrangers. La preuve en est dans plusieurs
passages de nos vieux auteurs, notamment dans la phrase suivante de
l'_Heptaméron_ de Marguerite de Valois, reine de Navarre: «Parlemante,
qui estoit femme d'Hircan, laquelle n'estoit jamais oisive et
mélancolique, ayant demandé à son mari congé (permission) de parler,
dist, etc.[2]»

  [2] On a prétendu que cet usage était une dérivation des ordonnances
    de Numa Pompilius contre le caquet des femmes, qu'il voulait obliger
    de ne parler qu'en présence de leurs maris.

Les Persans disent: _Quand la poule veut chanter comme le coq, il faut
lui couper la gorge._ Proverbe dont ils font l'application aux femmes
qui veulent cultiver la poésie. Ce même proverbe existe en France de
temps immémorial chez les habitants de la campagne, pour exprimer, au
figuré, une menace peu sérieuse contre les femmes qui se mêlent de
discourir et de décider à la manière des hommes, et, au propre, une
observation d'histoire naturelle. Cette observation est que la poule
cherche quelquefois à imiter le chant du coq, et que cela lui arrive
surtout lorsqu'elle est devenue trop grasse et ne peut plus pondre,
c'est-à-dire dans un temps où elle n'est plus bonne qu'à mettre au pot.

Il y a une superstition sur la poule qui coqueline. On croit, en
Normandie, qu'elle annonce la mort de son maître, ou la sienne.

Les habitants de la vallée de la Garonne, qui s'étend entre Langon et
Marmande, sont persuadés que par cette manière de coqueliner, qu'ils
appellent _chanter le béguey_[3], elle présage une foule de malheurs.

  [3] _Béguey_ se dit pour _coq_ et, par extension, pour _chant du coq_,
    dans l'idiome du pays. _Chanter le béguey_ a été originairement une
    ellipse de _chanter_ comme le _béguey_ ou coq.

Voici ce que disait à ce sujet un feuilleton signé J. B., dans la
_Quotidienne_ du 15 août 1845: «Une poule vient-elle à _chanter le
béguey_, il n'y a pas un instant à perdre, il faut la porter au marché,
la vendre et consacrer le prix obtenu à l'acquisition d'un cierge dont
vous ferez hommage à la paroisse. Si vous n'avez pas trouvé d'acheteur
pour cette bête réprouvée, vous aurez la ressource de la peser après
l'avoir attachée dans un linge blanc, et vous verrez ensuite si elle
demeure parfaitement tranquille. Je suppose que vous avez essayé de tous
ces moyens, et qu'aucun ne vous a réussi: décidez-vous alors à tordre le
cou au volatile. Il ne cesserait de faire des contorsions, des
soubresauts, et entretiendrait au milieu de la population de votre
basse-cour une inquiétude continuelle et des terreurs sans nom. Mais
surtout que personne ne porte la dent sur la chair de la victime.»

Les Romains avaient aussi leur superstition sur le chant de la poule. Ce
chant présageait aux maris que la femme serait la maîtresse. Donat,
grammairien latin du quatrième siècle, en a fait la remarque dans son
commentaire sur Térence, en expliquant la phrase _Gallina cecinit_, «la
poule a chanté», que ce comique a employée, acte IV, sc. IV, du
_Phormion_.


Pour faire mentir une femme à coup sûr il n'y a qu'à lui demander son
âge.

Il est à peu près certain que, si elle répond à une telle question, elle
ne le fera qu'aux dépens de la vérité, car elle voit trop d'avantages à
être jeune et à le paraître pour qu'elle résiste à l'envie de se
rajeunir un peu. De là cette accusation de mensonge formulée dans ce
proverbe peu galant dont la LIIe des _Lettres persanes_ offre le
spirituel développement en action que voici:

«J'étais l'autre jour dans une société où je me divertis assez bien. Il
y avait là des femmes de tous les âges; une de quatre-vingts ans, une de
soixante, une de quarante qui avait une nièce de vingt à vingt-deux ans.
Un certain instinct me fit approcher de cette dernière, et elle me dit à
l'oreille: «Que dites-vous de ma tante qui, à son âge, veut avoir des
amants et fait encore la jolie?--Elle a tort, lui dis-je, c'est un
dessein qui ne convient qu'à vous.» Un moment après, je me trouvai
auprès de sa tante qui me dit: «Que dites-vous de cette femme, qui a
pour le moins soixante ans, qui a passé aujourd'hui plus d'une heure à
sa toilette?--C'est un temps perdu, lui dis-je, et il faut avoir vos
charmes pour devoir y songer.» J'allai à cette malheureuse femme de
soixante ans et la plaignis dans mon âme, lorsqu'elle me dit à
l'oreille: «Y a-t-il rien de si ridicule? Voyez cette femme qui a
quatre-vingts ans, et qui met des rubans couleur de feu: elle veut faire
la jeune, et elle y réussit, car cela approche de l'enfance.» Ah! mon
Dieu! dis-je en moi-même, ne sentirons-nous jamais que le ridicule des
autres? C'est peut-être un bonheur, disais-je ensuite, que nous
trouvions de la consolation dans les faiblesses d'autrui. Cependant
j'étais en train de me divertir, et je dis: Nous avons assez monté;
descendons à présent, et commençons par la vieille qui est au sommet.
«Madame, vous vous ressemblez si fort, cette dame à qui je viens de
parler et vous, qu'il semble que vous soyez deux sœurs; je vous crois à
peu près de même âge.--Vraiment, monsieur, me dit-elle, lorsque l'une
mourra, l'autre devra avoir grand'peur; je ne crois pas qu'il y ait
d'elle à moi deux jours de différence.» Quand je tins cette femme
décrépite, j'allai à celle de soixante ans. «Il faut, madame, que vous
décidiez un pari que j'ai fait: j'ai gagé que cette femme et vous, lui
montrant la femme de quarante ans, étiez de même âge.--Ma foi, dit-elle,
je ne crois pas qu'il y ait six mois de différence.» Bon! m'y voilà,
continuons; je descendis encore et j'allai à la femme de quarante ans.
«Madame, faites-moi la grâce de me dire si c'est pour rire que vous
appelez cette demoiselle, qui est à l'autre table, votre nièce? Vous
êtes aussi jeune qu'elle; elle a même quelque chose dans le visage de
passé que vous n'avez certainement pas: et ces couleurs vives qui
paraissent sur votre teint...--Attendez, me dit-elle, je suis sa tante,
mais sa mère avait pour le moins vingt-cinq ans de plus que moi; nous
n'étions pas de même lit; j'ai ouï dire à feu ma sœur que sa fille et
moi naquîmes la même année.--Je le disais bien, madame, et je n'avais
pas tort d'être étonné.»

»Mon cher Usbeck, les femmes qui se sentent finir d'avance par la perte
de leurs agréments, voudraient reculer avec la jeunesse. Eh! comment ne
chercheraient-elles pas à tromper les autres? elles font tous leurs
efforts pour se tromper elles-mêmes, et se dérober à la plus affligeante
de toutes les idées.»


Servez monsieur Godard! sa femme est en couches.

Ironie proverbiale contre les prétentions outrecuidantes d'un paresseux
qui voudrait qu'on lui fît sa besogne, d'un indiscret qui, en demandant
quelque service, semble l'exiger, ou d'un impertinent qui se donne des
airs de commander. Elle fait allusion à un usage autrefois répandu dans
le Béarn et dans les provinces limitrophes, en vertu duquel le mari
d'une femme en couches se mettait au lit pour recevoir les visites des
parents et amis, et s'y tenait mollement plusieurs jours de suite, ayant
soin de se faire servir des mets succulents. Une telle étiquette,
désignée par l'expression _faire la couvade_, qui en indique assez
clairement le motif, se rattachait probablement au culte des _Geniales_,
dieux qui présidaient à la génération. Elle n'était pas moins ancienne
que singulière. Le poëte Apollonius de Rhodes en a signalé l'existence
sur les côtes des Tiburéniens, «où les hommes, dit-il, se mettent au lit
quand les femmes sont en couches, et se font servir par elles».
(_Argonaut._, ch. II.) Diodore de Sicile et Strabon rapportent qu'elle
régnait de leur temps en Espagne, en Corse et en plusieurs endroits de
l'Asie, où elle s'est conservée parmi quelques tribus de l'empire
chinois. Les premiers navigateurs qui abordèrent au nouveau monde l'y
trouvèrent établie. Il n'y a pas longtemps qu'elle était observée par
les naturels du Mexique, des Antilles et du Brésil. Des voyageurs
assurent qu'elle existe encore chez quelques sauvages de l'Amérique et
chez certaines peuplades africaines; enfin, elle n'est pas entièrement
tombée en désuétude dans la Biscaye française, où des personnes dignes
de foi attestent en avoir été deux ou trois fois témoins dans ces
dernières années.

Quant au nom de _Godard_, que le peuple applique aujourd'hui au mari
d'une femme accouchée, il est, s'il faut en croire M. Bacon-Tacon, le
même que celui de _God-Art_ (le Dieu fort), donné, dit-il, à Hercule,
que les païens imploraient dans les accouchements difficiles (_Orig.
celtiq._, tome II, p. 401-402). Je ne conteste point une si savante
étymologie; cependant il me paraît plus probable que ce nom a été formé
du latin _gaudere_, se réjouir, se donner du bon temps. Il signifiait
autrefois un homme adonné aux plaisirs de la table, habitué à prendre
toutes ses aises. C'était un synonyme de _Godon_, autre vieux mot qu'on
employait pour désigner un riche plongé dans toutes les jouissances
d'une vie sensuelle. Le prédicateur Maillard s'en est servi dans
plusieurs de ses sermons, notamment dans le vingt-quatrième, où le
mauvais riche est appelé _unus grossus Godon qui non curabat nisi de
ventre_. «Un gros Godon qui n'avait cure que de sa panse.»

Ajoutons que la formule: _Servez monsieur Godard!_ cesse d'être ironique
lorsqu'elle est appliquée à un homme à qui un enfant vient de naître.
Elle est alors une espèce de félicitation équivalente à un _Gloria
Patri_, une exclamation d'amical et joyeux enthousiasme en faveur de la
paternité.


La nuit, il n'y a point de femme laide.

Proverbe fort ancien rappelé et expliqué par Ovide dans ces deux vers du
premier chant de l'_Art d'aimer_:

    _Nocte latent mendæ, vitioque ignoscitur omni.
    Horaque formosam quamlibet illa facit._

  La nuit fait disparaître bien des taches et oublier bien des
  imperfections. Elle rend toute femme belle.

Alors _Hélène n'a aucun avantage sur Hécube_, suivant l'expression
d'Henri Estienne.

Les Grecs se servaient d'un proverbe analogue passé dans la langue
latine en ces termes: «_Sublata lucerna, nihil discriminis inter
mulieres._ Quand la lampe est ôtée, les femmes ne diffèrent pas l'une de
l'autre.» Plutarque rapporte qu'une belle et chaste dame cita ce
proverbe à Philippe, roi de Macédoine, pour l'engager à cesser les
poursuites amoureuses dont il s'obstinait à l'obséder.

Nous disons trivialement dans le même sens: _La nuit tous chats sont
gris._

Les Espagnols disent: _De noche, a la vela, la burra parece
doncella._--_La nuit, à la chandelle, l'ânesse semble demoiselle à
marier._ On sait que, si l'obscurité cache la laideur, la lumière du
flambeau l'atténue beaucoup; d'où l'expression _belle à la chandelle_,
en parlant d'une femme qui n'est pas belle au grand jour. C'est pour
cela qu'Ovide conseillait aux amants de se défier de la clarté trompeuse
de la lampe.

    _Fallaci nimium ne crede lucernæ._

(_De Arte amandi_, I.)


Jeter le mouchoir à une femme.

Se dit pour signifier qu'on la préfère à toutes les autres à cause de sa
beauté ou de ses grâces.

Cette expression, toute figurée chez nous, fait allusion à un usage
qu'on prétend exister chez les Turcs et par lequel le sultan, ou un
pacha, ou un seigneur, déclare à une des femmes le choix qu'il fait
d'elle, en lui jetant un mouchoir. Mais tout porte à croire qu'un tel
usage est imaginaire. Les auteurs qui en ont parlé ont consacré une
erreur provenue probablement de ce que les fiançailles en Turquie et en
Perse sont constatées par l'envoi que fait le futur époux à sa future
d'un mouchoir brodé, d'un anneau et d'une pièce de monnaie. Ainsi les
musulmans, à l'époque de leur mariage, envoient le mouchoir, et, dans
leurs harems, ils ne le jettent pas.

Quelque fondée que soit la remarque qui vient d'être faite, elle
n'empêchera point de conserver cette expression ainsi que ses analogues
_briguer le mouchoir_, _refuser le mouchoir_, etc., qu'une galanterie
peu délicate a introduites dans notre langue.

Il y a une pièce fugitive de Duault présentant le monologue d'un fat qui
passe en revue dans son imagination un essaim de belles, à qui il se
propose de _jeter le mouchoir_ tour à tour. Cette pièce se termine par
ces vers assez plaisants:

    Ainsi parlant, seul dans sa chambre,
    Chaque matin, monsieur Morgan
    Balance de l'air d'un sultan
    Son fin mouchoir parfumé d'ambre.
    Il sort tout radieux d'espoir,
    Promène sa fadeur galante,
    Frais et dispos rentre le soir,
    Se fait un turban du mouchoir
    Et tombe aux pieds de sa servante.

C'est à peu près ce qu'un de nos spirituels chansonniers, l'abbé de
L'Attaignant, appelait «allumer son flambeau au soleil, et l'éteindre
dans la boue».


La femme de César ne doit pas même être soupçonnée.

Les dames romaines avaient pour Isis, ou plutôt pour Fauna, leur
divinité spéciale, qu'elles appelaient _la Bonne Déesse_, un culte
fervent et plein de mystères que les érudits n'ont pas su bien
éclaircir. Elles en célébraient solennellement la fête avec les Vestales
dans la maison du consul ou du préteur, sous la présidence de la femme
de ce magistrat, lequel était obligé de rester absent de chez lui
pendant la durée de cette fête, car aucun homme ne pouvait y être admis.
L'année où Pompéia, troisième épouse de J. César, se trouva investie de
cet important ministère, Clodius, ce lovelace romain, qui était
d'intelligence avec elle, à ce qu'on suppose, voulut la voir dans
l'appareil de ses fonctions pontificales, et il se glissa déguisé en
joueuse d'instruments parmi les dévotes qui se rendaient à la cérémonie.
Une esclave, nommée Abra par Plutarque, et Séprulla par Cicéron, avait
été mise dans la confidence. Elle le cacha et lui promit de lui amener
sa maîtresse. Mais, retenue auprès d'Aurélia, mère de César, cette
esclave le fit tant attendre que, perdant patience, il sortit de sa
cachette pour l'appeler et fut reconnu: afin d'éviter les regards qui se
portaient sur sa personne, il se hâta de revenir sur ses pas, espérant
que la chose n'aurait pas de suites. Cependant les matrones, averties,
le cherchèrent de chambre en chambre, et finirent par le découvrir sous
le lit d'Abra ou de Séprulla. Leur fureur était à son comble. Elles ne
lui épargnèrent ni les injures ni les coups, et elles auraient sans
doute poussé la vengeance aux excès les plus terribles s'il n'eût eu le
bonheur de s'y soustraire en gagnant par la fuite le dehors de la
maison.

Cette aventure scandaleuse souleva contre lui l'indignation générale. Il
fut mis en jugement comme sacrilége, et, quoique son crime fût attesté
par les dépositions les plus irrécusables, les juges, qu'il parvint à
corrompre, le déclarèrent absous. César, appelé en témoignage dans le
procès, ne voulut ni inculper ni disculper Pompéia, qu'il s'était
contenté de répudier. Il dit qu'il ne savait rien, attendu qu'un mari
était toujours le moins instruit en pareil cas, et comme on lui demanda
pourquoi il l'avait renvoyée, il ajouta que _la femme de César ne devait
pas même être l'objet d'un soupçon_. Apophthegme passé en proverbe pour
signifier qu'il ne suffit pas que la conduite d'une femme soit
irréprochable, qu'il faut aussi qu'elle soit crue telle.


Il ne faut prêter ni son épée, ni son chien, ni sa femme.

La noblesse française avait jadis deux occupations importantes, la
guerre et la chasse, et toujours elle se montrait sous le costume du
guerrier ou celui du chasseur. Ainsi tout bon gentilhomme devait être
inséparable de son épée et de son chien ou de son faucon, qu'il
regardait comme des attributs de sa dignité. Il lui était défendu par
des capitulaires de nos rois de s'en dessaisir, et même de les donner
pour prix de sa rançon, s'il venait à être fait prisonnier, défense
provenue sans doute par suite de l'opinion qui notait d'infamie celui
qui serait revenu du combat sans ses armes. Quoi qu'il en soit, il
attachait son honneur à ces objets comme à sa femme, et c'est à cette
raison qu'il faut rapporter l'origine du proverbe.


Il ne faut montrer ni sa bourse ni sa femme.

C'est-à-dire qu'il ne faut pas exposer par ostentation aux regards des
autres certains objets qu'on veut garder pour soi, attendu qu'une telle
exhibition, n'étant propre qu'à exciter leur envie, peut avoir une foule
d'inconvénients pour celui qui la fait. Ce proverbe est une variante de
cet autre cité par Franklin: _Celui qui montre trop souvent sa femme et
sa bourse s'expose à ce qu'on les lui emprunte._


La femme est la moitié de l'homme.

L'homme et la femme seraient incomplets l'un sans l'autre. Chacun d'eux
ne forme qu'une moitié de l'être humain, dont l'intégralité ne peut
résulter que de leur intime union. C'est une vérité morale aussi vieille
que le monde et universellement répandue. Elle remonte à notre premier
père, s'écriant, dans la joie de son cœur, à la vue de l'aimable
compagne que Dieu lui présentait: «Voilà l'os de mes os, et la chair de
ma chair. Elle s'appellera d'un nom qui marque l'homme, parce qu'elle a
été prise de l'homme. C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa
mère, et s'attachera à sa femme; et ils seront deux dans une seule
chair.» (_Genèse_, ch. II, v. 23-24.)

Les Védas disent que _l'épouse est la moitié du corps de l'époux_ et
considèrent le mariage comme supprimant la dualité de l'un et de l'autre
pour les confondre dans une parfaite unité. Cet état a été fort bien
figuré par le _lingam_ primitif ou l'_yoni lingam_ de la théorie
hindoue, et par d'autres symboles analogues qu'il ne me paraît pas
convenable d'expliquer ici, ni même de désigner nominativement.

Le plus ingénieux de tous, sans contredit, est celui qu'on trouve dans
le _Sympose_ ou _Banquet_ de Platon. Suivant ce philosophe, l'homme et
la femme ne faisaient originairement qu'une même personne qu'il nomme
_androgyne_ (homme-femme). Cette créature bissexuelle était si parfaite
et si heureuse qu'elle excita la jalousie des dieux et des déesses. Par
leur ordre, Apollon la divisa en deux corps, et Mercure arrangea dans
ces corps les formes extérieures de leur individualité qui avaient été
un peu endommagées pendant l'opération du dédoublement. Depuis lors, les
moitiés disjointes ont une tendance invincible à se rapprocher pour
constituer l'androgyne. On les voit partout y travailler de toute leur
ardeur et de tous leurs efforts. Mais, hélas! elles ne sauraient y
parvenir, à moins d'un très-grand miracle. Tristes jouets d'une
continuelle méprise, elles sont à peu près comme ces enfants, changés en
nourrice, qui prennent une parenté de hasard à la place de la parenté de
nature. Des moitiés étrangères viennent presque toujours se substituer à
celles qui furent créées l'une pour l'autre. Le sort ennemi, afin
d'empêcher ces dernières de se rejoindre, ne leur permet pas de se
reconnaître, les fait errer comme ces ombres de Dante, qui vont sans
jamais s'arrêter, et les tient souvent séparées par des distances
incommensurables. De là l'excessive rareté des bonnes unions et
l'innombrable quantité des mauvaises.

N'oubliez pas cette allégorie, ô vous, pauvres êtres dédoublés, qui
aspirez à ressaisir cette portion de vous-mêmes dont l'absence vous
condamne à gémir, et surtout ne vous imaginez pas que vous pourrez la
retrouver à Paris. Il vaudrait peut-être mieux l'aller chercher aux
antipodes.


Femme (ou dame) qui moult se mire peu file.

Une femme qui met beaucoup de temps à sa toilette en emploie fort peu
aux occupations du ménage. Les Espagnols disent: _La mujer, cuanto mas
mira la cara, tanto mas destruye la casa_, ce qui est rendu exactement
par cet ancien jeu de mot proverbial:

    Plus la femme mire sa mine,
    Plus sa maison elle mine.

Il fut un temps où la principale occupation des dames était de filer. De
vieux portraits les représentent avec une quenouille attachée sur le
sein du côté gauche, et avec un miroir suspendu à leur ceinture du côté
droit. Elles ne quittaient guère ces deux attributs; ils étaient, pour
ainsi dire, les pièces essentielles de leur costume. Mais l'un faisait
tort à l'autre, et celui du travail devait être fréquemment négligé pour
celui de la coquetterie. Le dernier finit par l'emporter. Les dames
cessèrent de filer et se mirèrent tout à leur aise.

Jean de Caurres, auteur du seizième siècle, dit dans ses _Œuvres
morales_ que les courtisanes et _damoiselles masquées_[4] de son temps
portaient le miroir sur le ventre: «O bon Dieu! hélas! s'écrie-t-il, en
quel malheureux règne sommes-nous tombés de voir une telle dépravation
sur la terre, que nous voyons jusques à porter en l'église les miroirs
de macule pendants sur le ventre.» Il ajoute qu'un pareil usage tendait
à devenir général: «Si est-ce qu'avec le temps il n'y aura bourgeoise ne
chambrière qui par accoutumance n'en veuille porter.» Cependant cet
usage ne s'est pas conservé. Le beau sexe l'a jugé inutile depuis que
les moindres appartements ont été ornés de trumeaux et de glaces où il
peut se mirer et s'admirer de la tête aux pieds.

  [4] On appelait _damoiselles masquées_ certaines dames qui, voulant
    courir les aventures galantes sans être reconnues, se couvraient le
    visage d'un masque de velours auquel on donna le nom de _loup_,
    dérivé, non de _lupus_, mais de _lobus_, cosse.


La femme perd l'homme.

Salomon assimile l'homme entraîné par la femme qui l'a séduit au taureau
mené comme une victime au sacrifice: _Eam sequitur quasi bos ad
victimam._ (Prov., VII, 22.)

Saint Cyprien dit que les femmes sont des démons qui font entrer les
hommes en enfer par la porte du paradis.

Suivant un proverbe oriental: _Il faut craindre l'amour d'une femme plus
que la colère d'un homme._

On lit dans le _Furetériana_ le résumé suivant des principales
accusations des hommes contre les femmes: «Que de maux elles ont causés
dans le monde! Adam en a été séduit, Samson dompté. La sainteté de David
en a été troublée, Salomon en a perdu la sagesse. Ce fut une femme qui
fit renoncer saint Pierre à Notre-Seigneur. Elle fit plus d'effet sur
l'esprit de Job que le diable, qui ne put l'ébranler. Le poëte Codrus
disait que le ciel ne contenait pas tant d'étoiles ni la mer tant de
poissons que la femme a de fourberies cachées dans son cœur. Barthole
disait que toutes les femmes sont mauvaises, et qu'il n'est pas besoin
de faire des lois pour les bonnes femmes, parce qu'il n'y en a point.
Hippocrate nous assure que la malice est naturelle à la femme. L'auteur
de l'_Ecclésiastique_, aussi illustre en sagesse parmi les Hébreux que
Thalès en philosophie entre les Grecs, nous a laissé par écrit que la
source du péché nous est venue de la femme; qu'il vaudrait mieux
demeurer avec un lion ou avec un dragon qu'avec une mauvaise femme (ch.
XXV) et même que les crimes des hommes sont plus supportables que les
bienfaits des femmes: _Melior est iniquitas viri quam mulier
benefaciens_ (ch. XLII). Entre toutes les bêtes sauvages, dit saint
Chrysostome, il n'y en a point qui soit plus dangereuse que la femme.
Pandore répandit toute sorte de maux sur la terre; Hélène causa la mort
de tant de milliers d'hommes; Déjanire fit mourir Hercule son mari, un
des plus fameux héros qui aient jamais été; les Danaïdes et les filles
d'Egyptus tuèrent leurs maris en une nuit. Salomon dit qu'il a trouvé la
femme plus amère que la mort. De mille hommes, ajoute-t-il, il ne s'en
trouve qu'un de bon; mais, parmi toutes les femmes, il n'y en a pas une
de bonne. (_Ecclésiaste_, ch. VII.) Les chrétiens leur ont ôté le
maniement de l'Église, les philosophes ne les ont pas voulu admettre
dans la philosophie, les jurisconsultes leur ont défendu le barreau, les
mahométans les ont exclues du paradis et les ont mises au rang des
esclaves. Il serait cependant agréable de chanter les louanges de Dieu,
de philosopher, de plaider, d'être en paradis avec des femmes. Il faut
bien qu'il y ait de leur faute à tout cela.»

Oui, sans doute, il y a de leur faute; mais il y a beaucoup plus de
celle des hommes, qui sont presque toujours injustes, ingrats et
tyranniques envers elles, qui leur aigrissent et leur faussent le
caractère, qui les forcent à recourir à la ruse, à la dissimulation et à
la vengeance. Aussi ont-elles raison de retourner contre eux le
proverbe, en disant: _L'homme perd la femme._ Il la perd par son
indifférence, par son égoïsme, par sa défiance, par ses calomnies, par
ses outrages, enfin par une foule d'erreurs, d'inconséquences et de
torts de sa conduite anticonjugale. Ce n'est pas tout: non-seulement il
la perd, en ne l'aimant pas comme il devrait l'aimer; il la perd encore
en l'aimant d'une manière déraisonnable; car il arrive ordinairement que
plus un mari aime sa femme, plus il augmente les travers qu'elle peut
avoir; tandis que, au contraire, plus une femme aime son mari, plus elle
le corrige de ses défauts.

Je ne prétends pas m'ériger en apologiste enthousiaste de la femme, ni
rehausser son mérite en rabaissant celui de l'homme. Je conviens qu'elle
a aussi de nombreux défauts qui déparent ses qualités; mais je crois
qu'en général ses qualités lui appartiennent en propre et que ses
défauts lui viennent de nous. Il en est d'elle comme de ce rosier qui
croît sans épines, sur le sommet des hautes Alpes, et qui se hérisse de
pointes acérées quand il est cultivé dans nos jardins. En la faisant
descendre de la région élevée où elle se développerait sous de célestes
influences, en la plaçant dans un mauvais milieu, où elle est privée de
l'air pur dont elle a besoin; en lui donnant une culture trop
artificielle, et souvent en opposition avec ses aptitudes natives, nous
abâtardissons cette belle créature de Dieu, nous la rendons différente
d'elle-même, nous la transformons en un nouvel être presque entièrement
factice, tant nous sommes habiles à contrarier les facultés de sa nature
et à les vicier par le mélange de quelque élément de dégénération qui
les fait tourner à mal et produit des effets pernicieux, de même qu'une
certaine malignité de séve dans le rosier transplanté rend sa floraison
épineuse.

Ne nous en prenons donc qu'à nous si la femme a tant d'imperfections, et
n'ayons pas la sottise de les lui reprocher, au moins celles qu'elle a
contractées par notre faute. Il serait meilleur et plus juste de
chercher le bon moyen de l'en corriger, en commençant par nous corriger
nous-mêmes des vices qui les lui ont communiquées. Les deux sexes n'ont
pas été créés et ils ne s'unissent pas pour vivre en état de guerre
permanente. Leur serait-il impossible de terminer ou de rendre moins
dures des hostilités incompatibles avec le repos et la moralité de tous
deux?

Ah! si le mariage pouvait être ramené à cette confiance réciproque, à
cette entente cordiale, à cet échange délicieux de pensées et de
sentiments dont l'absence n'y laisse place qu'aux amertumes et aux
déceptions, combien cet état contribuerait à l'amélioration et au
bonheur de l'homme et de la femme! il est évident qu'il les rendrait
meilleurs, puisqu'ils y seraient affranchis des passions qui les
pervertissent, et plus heureux, parce qu'ils y jouiraient avec une
sécurité inaltérable de toutes les délices que pourrait leur donner un
amour épuré et devenu pour eux une vertu.

Qui décrira la suprême félicité de deux époux également animés du double
zèle de l'amour et du devoir, de l'amour qui fortifie le devoir, et du
devoir qui purifie l'amour!... Que de secrets merveilleux, de dons
célestes, la femme trouverait dans le fonds inépuisable de sa tendresse
plus délicate, plus ingénieuse, plus pénétrante que celle de l'homme,
pour le réjouir et l'enivrer de plus en plus! Elle lui donnerait un
nouveau paradis qui vaudrait bien celui qu'il l'accuse de lui avoir fait
perdre.

Mais pourquoi parler d'une chose impossible à réaliser? Le diable a
flétri cette prime fleur de nature qu'eut la femme dans l'Éden, et l'on
chercherait en vain à lui rendre son parfum et sa fraîcheur. Elle s'est
desséchée sous la mauvaise culture de l'homme. Il n'y a déjà plus dans
sa séve de vertu qui puisse la régénérer. Elle ressemble à l'arbre aux
fruits amers dont parle le grand poëte persan Ferdouci: «On aurait beau
planter cet arbre en paradis, l'arroser avec l'eau du fleuve de
l'éternité, humecter ses racines du miel le plus doux, il conserverait
toujours sa nature et ne cesserait de porter des fruits amers.»

J'abandonne cette thèse chimérique et je reviens au but que je me suis
proposé dans cet article. Il a été de démontrer l'injustice des
reproches que les hommes adressent aux femmes. Je crois avoir opéré
cette démonstration. Il ne me reste qu'à y joindre un corollaire: c'est
que toutes ces sottes accusations, à l'appui desquelles ils citent la
fable et l'histoire, sont inadmissibles au tribunal de la raison. La
fable ne prouve rien, et l'histoire prouve, au contraire, que les femmes
ont toujours fait moins de mal que les hommes.


Une maîtresse est reine, une femme est esclave.

Avis aux belles qui se flattent que l'Hymen leur laissera la royauté
qu'elles ont reçue de l'Amour, sans penser que l'Hymen et l'Amour sont
deux frères ennemis, et que l'Hymen n'est pas solidaire des engagements
de l'Amour.

Les vers suivants de Corneille, dans la tragédie de _Polyeucte_ (act.
Ier, sc. III), offrent l'explication de ce proverbe, qui forme lui-même
un vers heureux:

    Lorsqu'ils ne sont qu'amants nous sommes souveraines,
    Et jusqu'à la conquête ils nous traitent en reines;
    Mais après l'hyménée ils sont rois à leur tour.

On a fait cette remarque de linguistique assez curieuse, c'est que
l'homme dit toujours _ma maîtresse_ pour désigner celle qu'il aime, et
que la femme ne donne jamais le nom de _maître_ à son amant. Elle sent
bien qu'en pareil cas le nom paraîtrait dérisoire, et elle le réserve
pour son mari, lors même qu'elle tient celui-ci sous sa domination
absolue.


Une femme et un almanach ne valent que pour une année.

Une femme avait un mari qui passait tout son temps dans sa bibliothèque;
elle alla l'y trouver un jour, et lui dit: «Monsieur, je voudrais bien
être un livre.--Pourquoi donc, madame?--Parce que vous êtes toujours
après.--Je le voudrais bien aussi, répliqua-t-il, pourvu que ce fût un
almanach dont on change chaque année.» C'est de cette répartie maritale
que les parémiographes font dériver le proverbe. Pour moi, je crois
qu'il a dû son origine à un usage historique d'après lequel les contrats
matrimoniaux ont pu être naturellement assimilés aux almanachs. Cet
usage, provenu sans doute de la polygamie autrefois fort commune chez
les Celtes, permettait de changer de femme. Le fait était assez fréquent
en Champagne dans le neuvième siècle. Il y fut prohibé par le concile
tenu à Troyes, en 878; mais l'autorité ecclésiastique ne parvint pas à
le faire cesser entièrement, ni en cette province ni en d'autres, où il
se maintint sous la protection de certain droit coutumier. C'est au pays
basque surtout que se pratiquait cette espèce de mariage temporaire,
comme nous l'apprend Jean d'Arérac dans son livre intitulé _Pandectes ou
Digestes du droit romain en français_ (ch. VI de la loy _De quibus_). La
même chose avait lieu dans les Hébrides et autres îles (_Martin's
Hebrides_, etc.). Elle existait encore, dans le pays de Galles, à la fin
du siècle dernier, si l'on en croit un article du _Moniteur_ de l'an IX.
On lit dans cet article: «Chez les Gallois, on distingue deux sortes de
mariages: le grand et le petit. Le petit n'est autre chose qu'un essai
que les futurs font l'un de l'autre. Si cet essai répond à leurs
espérances, les parents sont pris à témoin du désir que forment les
candidats de s'épouser. Si l'essai ne répond pas à l'idée qu'ils en
avaient conçue, les époux se séparent, et la jeune fille n'en éprouve
pas plus de difficultés pour trouver un mari.»

On sait que Platon, dans sa _République_, substituait aux mariages des
unions temporaires.


    Qui sa femme n'honore,
    Lui-même se déshonore.

Il faut avoir pour sa femme une tendresse décente et respectueuse, une
considération bienveillante et soutenue; car l'honneur d'une femme est,
en grande partie, l'ouvrage de son mari; et celui qui, violant ces
devoirs, fait déchoir la sienne du rang moral qu'elle doit occuper, se
flétrit et se dégrade lui-même.

On emploie dans un sens analogue cet autre proverbe beaucoup plus usité:
_C'est un vilain oiseau que celui qui salit son nid._


On peut compter sur la fidélité de son chien jusqu'au dernier moment, et
sur celle de sa femme jusqu'à la première occasion.

Ce proverbe est une conclusion rigoureuse qu'on a tirée des médisances
et des calomnies auxquelles la conduite des femmes a été de tout temps
exposée. S'il fallait en croire leurs détracteurs, il serait difficile
d'en trouver une seule qui laissât échapper l'occasion favorable d'être
infidèle. C'est une accusation odieuse qui se réfute par son exagération
même, et les femmes ne la méritent peut-être pas autant que les hommes.
Mais ceux-ci se sont réservé le privilége exclusif de n'imputer qu'à
elles seules les trahisons conjugales dont ils leur donnent souvent
l'exemple, et dont, en bonne justice, ils devraient être responsables.
S'ils espèrent gagner quelque chose à cela, qu'ils se détrompent, et
qu'ils sachent bien qu'à force de leur reprocher d'être trompeuses ils
les portent à devenir telles: car, en leur répétant sans cesse qu'ils
les croient incapables de garder la foi promise, ils ne sauraient
réussir à la leur rendre plus sacrée. Se figureraient-ils, par hasard,
qu'elles seront assez simples pour s'attacher, en pure perte, à
l'observation d'un devoir qu'elles n'accompliraient pas sans être
accusées de le violer? Ou bien se flatteraient-ils qu'elles voudront y
tenir par un prodigieux effort de l'esprit de contradiction qu'ils leur
supposent? Il est plus que probable qu'elles ne prendront pas des peines
inutiles pour les démentir, et qu'elles trouveront plus commode et plus
agréable de se venger d'eux en les traitant ainsi qu'ils le méritent. La
dépense en étant déjà faite, comme on dit, elles n'ont plus rien à
ménager.

Voilà le résultat ordinaire de la mauvaise opinion que les hommes se
font de la fidélité des femmes. Il est moins au détriment de ces dames
qu'à celui de ces messieurs. Les accusations qu'ils dirigent contre
elles sont des armes perfides qui leur tournent dans la main et les
blessent eux-mêmes, et, s'ils étaient mieux avisés, ils ne les
emploieraient pas. D'ailleurs, cette humeur guerroyante contre le sexe
n'est pas de bon ton, et ne peut que faire mal augurer de ceux qui s'y
livrent. Les jeunes gens feront bien de ne pas la prendre, et les maris
encore mieux de s'en défaire. En agissant ainsi, les premiers se
donneront un aimable relief de politesse et de galanterie qui leur
attirera quelque regard sympathique des belles, et les seconds éviteront
de mettre le comble au malheur de leur situation par un odieux ridicule:
car le monde est toujours prêt à soupçonner qu'un mari qui dénigre les
femmes doit être fort mécontent de la sienne, et qu'il tire secrètement
de l'infidélité de celle-ci, par une conclusion du particulier au
général, les arguments dont il se sert pour nier la vertu de toutes les
autres. Il a beau retrancher la trahison qu'il éprouve du nombre infini
des trahisons dont il les accuse, on ne voit que lui parmi tous les sots
derrière lesquels il se cache, et ses accusations ne paraissent que des
vengeances de Sganarelle.


La femme a été faite pour l'homme, et non l'homme pour la femme.

C'est ce qu'a dit saint Paul dans sa première épître aux Corinthiens:
_Non est creatus vir propter mulierem, sed mulier propter virum_ (XI,
9), et ses paroles sont passées en proverbe pour signifier que la femme
doit être soumise à l'autorité de son mari. Mais l'apôtre n'a point
entendu que cette autorité pût être arbitraire et tyrannique, puisqu'il
a dit aussi, au chapitre VII de la même épître, que, si la femme
appartient au mari, de même le mari appartient à la femme, et que tous
deux ont des devoirs à remplir l'un envers l'autre.

C'est de l'observation de ces devoirs, réciproques et conformes à la
nature de chacun des époux, que dépendent et le bonheur de leur union et
le succès de la mission sociale qu'ils ont à poursuivre ensemble. Et
qu'on ne s'imagine pas que l'action de l'homme, pour atteindre ce double
but, soit supérieure à celle de sa compagne. On pourrait plutôt
démontrer que celle-ci l'emporte sur lui si l'on comparait les avantages
qui proviennent de leurs rôles respectifs. Mais il ne serait pas
rationnel d'attribuer, d'après ces avantages particuliers, la
prééminence à l'un des collaborateurs dans une œuvre qui est également
due à tous deux, et qui ne peut être accomplie qu'au moyen de l'entente
parfaite et des soins bien combinés de l'un et de l'autre. Admettons
donc qu'il y a parité de valeur entre eux dans leur coopération, en
reconnaissant toutefois que cette valeur résulte de qualités
différentes; car chaque sexe a les siennes propres, et l'on ne saurait
voir dans l'homme et la femme que des rapports et des différences, ainsi
que l'a remarqué J.-J. Rousseau, dont le passage suivant revient au
sujet que je traite.

«La raison des femmes est une raison pratique qui leur fait trouver
très-habilement les moyens d'arriver à une fin connue, mais qui ne leur
fait pas trouver cette fin. La relation sociale des sexes est admirable.
De cette société résulte une personne morale dont la femme est l'œil et
l'homme le bras, mais avec une telle dépendance l'une de l'autre que
c'est de l'homme que la femme apprend ce qu'il faut voir, et de la femme
que l'homme apprend ce qu'il faut faire. Si la femme pouvait remonter
aussi bien que l'homme aux principes, et que l'homme eût aussi bien
qu'elle l'esprit des détails, toujours indépendants l'un de l'autre, ils
vivraient dans une discorde éternelle, et leur société ne pourrait
subsister; mais, dans l'harmonie qui règne entre eux, tout tend à la fin
commune; on ne sait lequel met le plus du sien, chacun suit l'impulsion
de l'autre, chacun obéit, et tous deux sont les maîtres.» (_Émile_, liv.
V.)


La femme est un être qui s'habille, babille et se déshabille.

C'est-à-dire que les trois choses principales auxquelles la femme
consacre toute sa journée sont la toilette, la causerie et le sommeil,
car elle ne quitte guère ses atours que pour se mettre dans son lit, où
elle a grand besoin de se délasser, après tant d'heures si activement
employées à se parer et à donner de l'exercice à sa langue. Mais le
triple penchant attribué à la femme ne lui appartient pas exclusivement.
L'essence de cette nature féminine s'est si bien infusée dans le
caractère de certains hommes, qu'on n'y découvre presque plus rien de
viril, et notre jeu de mots proverbial s'applique aussi avec raison à
tout individu de cette espèce ridicule qui semble avoir abdiqué les
occupations sérieuses du sexe masculin pour copier sottement les usages
frivoles de l'autre sexe.


    Femme est mère de tout dommage.
    Tout mal en vient et toute rage.

Ce distique proverbial me paraît être une allusion allégorique de Perroz
de Saint-Clost ou Pierre de Saint-Cloud, dans la première branche du
roman du _Renard_. Ce trouvère raconte qu'Adam ayant frappé la mer avec
une verge que Dieu, en l'exilant de l'Éden, lui avait donnée, il en
sortit une brebis, et qu'Ève, désireuse d'en avoir une seconde, ayant
pris la verge miraculeuse de la main de son époux, fit surgir des flots,
par le même acte, un loup qui se précipita sur la brebis, qu'il aurait
dévorée si Adam ne se fût pressé de frapper un second coup, duquel
provint un chien, qui arracha l'innocente proie au loup en le tuant. Ce
procédé si expéditif de création à tour de bras, alternativement employé
par l'homme et la femme, produisit en peu de temps une foule innombrable
d'animaux, en chacun desquels se trouvait quelque chose d'analogue au
caractère moral de son auteur. Les évains, c'est-à-dire ceux qu'Ève
faisait naître, étaient sauvages et dangereux, ceux qui devaient
l'existence à Adam avaient une nature bonne et susceptible de devenir
meilleure, ou, pour parler comme le trouvère,

    Les Évains assauvagissoient,
    Et les Adams assagissoient.

Cette allégorie, assez diaphane, où l'on voit tout ce qui émane de la
femme participer de l'esprit de méchanceté qu'on lui attribue,
n'appartient pas en propre à notre trouvère. Il en a tiré l'idée de
quelques traditions populaires, qui reprochent à la mère du genre humain
d'avoir été aussi, en quelque sorte, celle de beaucoup de bêtes
malfaisantes, qu'on suppose n'être devenues telles que par suite de la
faute qu'elle commit. Cette idée, répandue presque partout, se retrouve
dans une légende orientale qui nous apprend que, lorsque Adam et Ève
furent créés, chacun d'eux éternua à l'instant où le souffle divin
introduisit l'âme dans le corps. De l'éternuement de l'homme naquit le
lion, symbole de la force et du courage, et de l'éternuement d'Ève
naquit le chat, symbole de la ruse et de la lâcheté.


Une femme est comme votre ombre; suivez-la, elle fuit; fuyez-la, elle
suit.

Cette comparaison est traduite du proverbe latin: _fugax, sequax;
sequax, fugax._ «Suivez la femme, elle vous fuit; fuyez-la, elle vous
suit.» Elle a été attribuée à Chamfort, parce qu'elle se trouve dans le
recueil des pensées de cet ingénieux écrivain. Mais elle existait
longtemps avant lui, comme on vient de le voir, chez les Latins qui nous
l'avaient transmise ainsi qu'à plusieurs autres peuples. Le poëte arabe
Zehir, qui, sans nul doute, ne l'a pas plus inventée que l'auteur
français, en a fait l'application à la femme coquette, à qui elle
convient mieux qu'à toute autre femme; car c'est un vrai manége de
coquetterie dont l'image y frappe, en quelque sorte, la vue non moins
que l'esprit. «La coquette, dit-il, ressemble à l'ombre qui marche avec
vous: si vous courez après, elle vous fuit; si vous la fuyez, elle vous
suit.»

La même idée a été plusieurs fois exprimée en assimilant la femme à tel
ou tel objet qu'on a jugé propre à la représenter. Voici une de ces
similitudes qu'il me souvient d'avoir trouvée dans une pièce du théâtre
italien de Gherardi:

    A des soldats poltrons je compare les belles:
      On les fait fuir en courant après elles;
        On les attire en les fuyant.


Il n'y a de femme chaste que celle qui ne trouve pas d'amant.

C'est ce qu'a dit Ovide dans le premier livre des _Amours_, élégie VIII:
_Casta est quam nemo rogavit_, et que Mathurin Régnier a redit dans ce
vers de la satire intitulée _Macette_, ou l'_Hypocrisie déconcertée_:

    Celle est chaste, sans plus, qui n'en est point priée.

L'auteur des _Lettres Persanes_ a reproduit la même idée en ces termes:
«Il est des femmes vertueuses; mais elles sont si laides, si laides,
qu'il faudrait être un saint pour ne pas haïr la vertu.»

Jehan de Meung, dans le _Roman de la Rose_, a exprimé la chose d'une
manière plus énergique, mais moins spirituelle, en quatre vers que je ne
citerai pas.

Quelques poëtes licencieux l'ont répétée avec un cynisme révoltant.
Enfin il s'est rencontré des écrivains privés de tout sens moral, qui,
prenant au sérieux ce que les autres n'avaient avancé que par jeu ou
débauche d'esprit, ont osé développer, dans des pages sans raison comme
sans pudeur, cette abominable opinion des Esséniens[5]: qu'il est
impossible à toute femme d'être chaste et fidèle.

  [5] Les Esséniens ou Esséens étaient des sectaires juifs qui
    commencèrent à faire parler d'eux vers le temps des Machabées. La
    mauvaise opinion qu'ils avaient des femmes les avait portés à
    proscrire le mariage et à vivre dans le célibat.

Que deviendrait la famille, que deviendrait la société, que deviendrait
tout ce qu'il y a de sacré dans le genre humain, si cette infâme
doctrine pouvait être accréditée? Les libertins qui la professent
mériteraient d'être punis. Le beau sexe ne devrait avoir aucune relation
avec ces effrontés renieurs de sa vertu, et les hommes les devraient
bannir des assemblées publiques. C'est ainsi que nos aïeux les
traitaient dans les siècles chevaleresques. Ils chassaient des tournois
ceux qui étaient convaincus d'avoir mal parlé des femmes, contrairement
aux statuts de la chevalerie, qui commandaient de les honorer et de ne
pas souffrir qu'on osât _blasonner et mesdire d'elles_. Ils savaient
très-bien que plus les femmes sont respectées, plus elles se rendent
respectables.

Où trouver aujourd'hui ce respect dont nos aïeux voulaient qu'on leur
offrît des témoignages effectifs? Faut-il l'aller chercher dans le pays
où La Fontaine a placé la demeure de la véritable amitié?--Eh bien, oui;
c'est là qu'il existe réellement. Dans le royaume de Monomotapa, les
femmes sont si sévères, que le fils du roi, quand il en rencontre une,
est obligé de s'arrêter, de s'incliner devant elle et de lui céder le
pas. Les Cafres à demi barbares pourraient, sur ce point, donner des
leçons aux Européens, qui se prétendent civilisés.


Dites une fois à une femme qu'elle est jolie, le diable le lui répétera
dix fois par jour.

Parce que le diable sait que, pour se rendre maître de l'esprit des
femmes, il n'y a pas de meilleur moyen que de chatouiller leur vanité.
Comme elle est en quelque sorte le premier de leurs sentiments, comme
elle se mêle à tous ceux qu'elles éprouvent, elle ne manque guère,
aussitôt qu'elle est mise en jeu par la louange habilement maniée, de
les entraîner dans les piéges où le grand séducteur les attend. Les
filles d'Ève ne résistent pas mieux que leur mère aux illusions
décevantes de la flatterie, et, si l'on consultait la liste infinie des
victimes de la séduction, on verrait que presque toutes ont été perdues
par la flatterie plus encore que par l'amour.


Chacun cuide (pense) avoir la meilleure femme.

Ce proverbe a été mal compris et mal expliqué par tous les
parémiographes, qui n'ont pas vu que le verbe _cuider_ y est employé à
la troisième personne du présent du subjonctif et non de l'indicatif. Il
ne signifie donc pas _chacun pense_, mais _que chacun pense_, etc. Ce
n'est pas un fait qu'il énonce, c'est un conseil qu'il donne, en usant
d'un tour de phrase elliptique autrefois fort usité et conforme à
l'expression latine _quisque putet_ (que chacun pense...). Le fait ne
peut être vrai qu'exceptionnellement, à l'égard d'un fort petit nombre
de maris que leurs femmes savent tenir, par un art merveilleux, dans les
illusions de l'optimisme conjugal.--Quant au conseil, il est plein de
raison, et ceux à qui il serait possible de le mettre en pratique s'en
trouveraient parfaitement bien. Sancho Pança disait: «La sagesse en
ménage est de croire qu'il n'y a qu'une bonne femme au monde, et qu'on
l'a rencontrée.»


L'esprit d'une femme est de vif-argent, et son cœur est de cire.

On sait que le vif-argent, ou le mercure, est impossible à fixer, et que
la cire est susceptible de prendre toutes sortes de modifications. Par
conséquent, si l'esprit et le cœur féminins sont justement assimilés à
ces deux objets, il faut reconnaître que cet esprit est des plus mobiles
et ce cœur des plus changeants. On pourrait dire pourtant que la
comparaison, établie par le proverbe, entre la cire et le cœur, pèche en
un point: c'est que la cire, lorsqu'elle a vieilli avec l'empreinte
qu'elle a reçue, en refuse une autre, au lieu qu'une vieille impression
faite sur le cœur n'en exclut pas une nouvelle. Mais on objecterait
qu'il ne s'agit pas ici d'un vieux cœur de femme, sur lequel d'ailleurs
on ne cherche jamais à faire quelque impression.


Quand une femme prend congé de la compagnie, sa visite n'est encore
faite qu'à moitié.

C'est un fait réel et renouvelé chaque jour dans un salon de réception,
que, lorsqu'une dame s'est levée pour en sortir, elle y reste encore,
et, sans reprendre son siége, continue la causerie durant un temps qui
double au moins celui de sa visite. Mais pourquoi agit-elle ainsi?
Est-ce parce qu'elle espère que ses compagnes, en la voyant debout et
prête à partir, seront moins impatientes de lui ravir le dé de la
conversation? ou bien parce qu'elle compte que cette attitude, plus
favorable au développement de ses avantages physiques dans le débit
oratoire, attirera mieux sur elle les regards? On peut admettre les deux
motifs à la fois, surtout chez une jolie femme; car celle-ci tient à
briller par le charme de son maintien, la grâce de ses mouvements,
l'élégance de ses gestes, le feu de ses yeux et l'expression animée de
sa physionomie. Elle ne désire pas seulement qu'on l'écoute parler, elle
désire aussi qu'on la _regarde parler_.


La femme est le savon de l'homme.

La femme nettoie l'homme de bien des défauts: elle le corrige de ses
instincts grossiers, et le décore d'une foule de qualités aimables, dans
cet âge surtout où il est porté, par le plus doux des penchants, à lui
offrir les prémices de son cœur. C'est elle dont l'heureuse influence
l'initie aux manières polies, aux mœurs courtoises, et fait prendre
quelquefois à son caractère sa forme la plus épurée. Tel qui se
distingue par l'élévation de ses sentiments n'aurait peut-être jamais eu
qu'une âme commune si le désir de plaire aux femmes n'avait éveillé son
amour-propre et ne lui avait donné ce relief de noblesse et d'urbanité
qui manifeste, en traits charmants comme elles, le merveilleux
changement qu'elles ont opéré dans sa nature. (Voyez ci-contre le
proverbe: _Sans les femmes, les hommes seraient des ours mal léchés._)

On dit quelquefois dans le même sens: _La femme est une savonnette à
vilain_; ce qui est une extension donnée à l'expression _savonnette à
vilain_, par laquelle on désignait, avant la révolution de 1789, une
charge qui anoblissait et qui lavait, pour ainsi dire, de la roture
celui à qui elle était concédée à prix d'argent. Il y avait alors en
France une quantité considérable de ces vilains décrassés.

Il y a une maxime de Saint-Évremont qui a de l'analogie avec le proverbe
que je viens de commenter; la voici: «L'étude commence un honnête homme,
le commerce des femmes l'achève.» _Honnête homme_, dans cette maxime,
doit se prendre dans la signification qu'il avait autrefois,
c'est-à-dire homme aimable, élégant, qui a des manières distinguées, qui
sait vivre.


Sans les femmes les hommes seraient des ours mal léchés.

Si les hommes ne vivaient qu'avec d'autres hommes, ils ne seraient pas
seulement malheureux, mais grossiers, rudes, intraitables, et nous
voyons que ceux qui, dans le monde, restent isolés du commerce des
femmes ont généralement un caractère disgracieux et même brutal. Ce sont
donc elles, on n'en saurait douter, qui préviennent ou corrigent de tels
défauts et y substituent des qualités aimables, délicates, dont le
principe est dans leur douce nature. Le plus rustre se polit et
s'humanise auprès de ces enchanteresses; transformé par leur
merveilleuse influence, il devient un être charmant. C'est la
métamorphose de l'âne de Lucien ou d'Apulée. Cet animal est changé en
homme après avoir brouté des roses.

L'expression proverbiale _ours mal léché_, par laquelle on désigne un
individu mal fait et grossier, est venue d'une opinion erronée des
naturalistes du moyen âge qui croyaient, sur la foi d'Aristote et de
Pline, que les oursons venaient informes et que leur mère corrigeait ce
défaut à force de les lécher; ce qu'elle ne fait que pour les dégager
des membranes dont ils sont enveloppés en naissant.


Les femmes font les hommes.

Un ambassadeur de Perse demandait à l'épouse de Léonidas pourquoi les
femmes étaient si honorées à Lacédémone. «C'est qu'elles seules,
répondit-elle, savent faire des hommes.» De là ce proverbe dont le
passage suivant du comte J. de Maistre explique très-bien le sens moral:
«Faire des enfants, ce n'est que de la peine. Mais le grand honneur est
de faire des hommes, et c'est là ce que les femmes font mieux que nous.
Croyez-vous, messieurs de l'Académie, que j'aurais beaucoup
d'obligations à ma femme si elle avait composé un roman, au lieu de
faire un fils? Mais faire un fils, ce n'est pas le mettre au monde et le
poser dans un berceau, c'est faire un brave jeune homme qui croit en
Dieu et qui n'a pas peur du canon. Le mérite de la femme est de régler
sa maison, de rendre son mari heureux, de le consoler, de l'encourager
et d'élever ses enfants, c'est-à-dire de faire des hommes. Voilà le
grand accouchement qui n'a pas été maudit comme l'autre. Les femmes
n'ont d'ailleurs fait aucun chef-d'œuvre dans aucun genre. Elles n'ont
fait ni l'_Iliade_, ni l'_Énéide_, ni la _Jérusalem délivrée_, ni
_Phèdre_, ni _Athalie_, ni _Rodogune_, ni le _Misanthrope_, ni le
Panthéon, ni la _Vénus de Médicis_, ni l'_Apollon_, ni le _Perse_. Elles
n'ont inventé ni l'algèbre, ni les télescopes, ni le métier à bas: mais
elles font quelque chose de plus grand que tout cela. C'est sur leurs
genoux que se forme ce qu'il y a de plus excellent dans le monde: un
honnête homme et une honnête femme.»

Il y a un mot de Napoléon Ier, non moins remarquable dans sa brièveté
que l'est dans son étendue le morceau précédent: «L'avenir des enfants
est l'ouvrage des mères.»

Buffon avait exprimé la même idée en ces termes dans une de ses lettres
dont le recueil a été publié, il y a quelques années: «C'est la mère qui
transmettra aux fils les qualités de l'esprit et du cœur.»

Je citerai encore quelques phrases de l'abbé F. de Lamennais, qui
reviennent à notre proverbe: «Plus sûr que le raisonnement, un
infaillible instinct préserve la femme des erreurs fatales auxquelles
l'homme se laisse entraîner par l'orgueil de l'esprit et de la science.
Tandis que la vaine et débile raison de l'homme ébranle aveuglément les
bases de l'ordre et de l'intelligence même, la femme, éclairée d'une
lumière et plus intime et plus immédiate, les défend contre lui,
conserve dans l'humanité les croyances par lesquelles elle subsiste;
elle en est, au milieu de la confusion des idées et des révolutions, la
gardienne pieuse et incorruptible.»--«Les vérités, les lois morales,
non-seulement perdraient leur autorité sur la terre, mais, altérée par
mille conceptions fausses, la nature même s'en éteindrait, si,
doublement mère, la femme, dès le berceau, n'initiait l'enfant à ces
sacrés mystères, si elle ne déposait en lui l'impérissable germe de la
foi qui le sauvera, si elle ne le nourrissait de ce lait divin.»--«Les
semences primordiales du vrai et du beau, les sentiments profonds qui
décident de l'existence entière, les hommes les doivent à la femme;
c'est elle qui les fait ce qu'ils sont.»


Sans les femmes les deux extrémités de la vie seraient sans secours et
le milieu sans plaisir.

Il faut laisser à chacun le soin de développer dans son propre cœur
cette vérité proverbiale qui résume si bien les obligations dont
l'homme, à chaque phase de son existence, est redevable à la femme
considérée comme mère, comme épouse, comme amante, comme amie; car
l'esprit ne saurait analyser tant de témoignages ineffables de
tendresse, de dévouement et d'abnégation, qu'elle ne cesse de nous
prodiguer depuis le berceau jusqu'à la tombe; et le cœur, qui les a
reçus, qui en a gardé l'impression dans toutes ses fibres, peut seul les
reproduire en ses suaves réminiscences. Je me contenterai de citer les
vers suivants que le cœur de Ducis lui inspirait dans son _Épître à ma
femme_:

    O sexe fait pour la tendresse!
    La douleur vous vend vos enfants;
    Vous veillez sur nos pas naissants;
    De vous l'homme a besoin sans cesse!
    Par vous nous vivons au berceau,
    Par vous nous marchons au tombeau
    Sans voir la mort et sans tristesse.
    Du ciel la profonde sagesse
    Fit de vous notre enchantement,
    Notre trésor le plus charmant,
    Notre plus chère et douce ivresse,
    Et nos amis les plus constants,
    Le transport de notre jeunesse,
    Le calme de notre vieillesse,
    Notre bonheur dans tous les temps.


Les femmes ont l'œil américain.

_Avoir l'œil américain_, c'est regarder de côté tout en paraissant ne
regarder que devant soi, comme font les sauvages d'Amérique, lesquels,
ayant le sens de la vue très-développé, peuvent apercevoir distinctement
ce qui se passe à droite et à gauche, sans tourner la tête. Les femmes
européennes, en général, sont douées de cette faculté visuelle dont
l'exercice ne dérange en rien l'immobilité qu'elles savent donner à leur
visage en certaines occasions où elles voient tant de choses en
regardant ailleurs. «Il est juste, dit Mme de Genlis, que la nature ait
accordé un tel privilége à celles qui ne doivent jamais avoir un regard
assuré, ou du moins fixe, et qui sont si souvent obligées de baisser les
yeux et de les détourner. (Nouveaux Contes moraux: _le Malencontreux_.)


Les hommes font les lois, les femmes font les mœurs.

On sait que le comte de Guibert a placé ce vers heureux dans sa tragédie
du _Connétable de Bourbon_ où le premier hémistiche est dit par Adélaïde
et le second par Bayard. Mais le comte de Guibert ne l'a point inventé;
il l'a trouvé tout fait dans le recueil des proverbes usités en
Provence. Voici le texte patois qui correspond mot pour mot et
métriquement au français:

    _Leïs homés fan leïs leis, leïs frémos fan leïs murs._

On a établi, entre les lois et les mœurs, cette différence essentielle
que les lois règlent plus les actions du citoyen et les mœurs règlent
plus les actions de l'homme. D'après cela, on peut conclure avec raison
que l'influence des femmes est d'une importance qui la rend supérieure à
celle des législateurs: car avec des mœurs on pourrait se passer de
lois, et avec des lois on ne pourrait se passer de mœurs.

«A quoi servent des lois, inutiles sans les mœurs?» s'écriait Horace:

    _Quid leges sine moribus
    Vanæ proficiunt?_

(Lib. III, od. 24.)

Tant que les femmes ont fait les mœurs, les femmes ont été respectées.
Ce n'est qu'en les défaisant, ce qui leur est arrivé quelquefois,
qu'elles ont cessé de l'être. L'histoire nous apprend que c'est à des
époques sans mœurs qu'ont été imaginées et mises en circulation ces
formules injurieuses qui leur reprochent leurs torts avec une certaine
vérité, il faut bien l'avouer, quoiqu'elles soient presque toujours
fausses parce qu'elles sont trop généralisées.


Que les femmes fassent les femmes, et non les capitaines.

C'est-à-dire qu'elles restent dans le rôle qui leur est assigné par la
nature; car, en voulant en prendre un autre pour lequel elles ne sont
point faites, elles ne peuvent s'attirer que des désagréments et des
malheurs.--Proverbe qui paraît avoir été formulé, au moyen âge, d'après
ce passage de Plutarque: «Alexandre, ayant défait Darius, envoya
plusieurs beaux présents à sa mère; mais il demanda qu'elle ne se mêlât
pas autant de ses affaires, et qu'elle n'entreprît point l'état de
capitaine.»

Ce n'est point un ridicule imaginaire que signale ce proverbe. Les dames
françaises, à diverses époques, affichèrent réellement des prétentions
militaires, non-seulement dans leurs discours, mais dans leurs actions,
comme si elles n'avaient pas eu de passe-temps plus agréable que
d'imiter les Marphise et les Bradamante.--Plusieurs histoires, notamment
les _Antiquités de Paris_, par Sauval, an 1457, parlent de capitainesses
investies du commandement de certaines places fortes. Cette manie, à
laquelle contribua beaucoup sans doute la lecture des romans
chevaleresques, prit un nouveau développement dans le seizième siècle,
lorsque l'imprimerie eut multiplié les exemplaires de plusieurs de ces
livres par les soins de François Ier, qui les jugeait propres à
favoriser le projet qu'il avait conçu de faire revivre l'ancienne
chevalerie dans une seconde chevalerie de sa façon.

Sous le règne de Charles IX les salons étaient devenus des espèces
d'écoles d'amour et de guerre, où les dames se montraient jalouses de
donner des leçons dans les deux arts. Elles se faisaient un point
d'honneur d'exercer en public une sorte d'empire sur leurs amants
guerriers; elles les enrôlaient dans telle ou telle faction de l'époque,
et les envoyaient, parés d'écharpes et de faveurs, remplir le rôle
qu'elles leur avaient assigné. Quelquefois même elles leur faisaient la
conduite et traversaient la ville à cheval, caracolant à côté d'eux ou
montées en croupe avec eux.

Elles se signalèrent, du temps de la Fronde, par de semblables
excentricités. On sait quelle fut leur influence sur les événements de
cette époque. La duchesse de Longueville engagea Turenne, qui venait
d'être nommé maréchal, à faire révolter contre l'autorité royale l'armée
qu'il commandait. La duchesse de Montbazon gagna le maréchal
d'Hocquincourt, qui lui écrivit ce billet laconique, mais significatif:
«Péronne est à la belle des belles.» Les _Mémoires_ de Mademoiselle
contiennent une lettre de Gaston d'Orléans, son père, avec cette
curieuse suscription: «A mesdames les comtesses _maréchales de camp_
dans l'armée de ma fille contre le Mazarin.»


    Des femmes et des chevaux,
    Il n'y en a point sans défaut.

La perfection n'appartient à aucun être sur la terre, et sans doute il
n'en faut point chercher le modèle chez les femmes; mais les hommes
sont-ils moins imparfaits qu'elles? La vérité est qu'en général les
femmes ont plus de petits défauts, et les hommes plus de vices achevés.
Quant aux qualités qui brillent en elles, il est impossible de ne pas
reconnaître qu'elles se distinguent par des avantages que celles des
hommes n'offrent pas au même degré. «Vertus pour vertus, dit une maxime
chinoise, les vertus des femmes sont toujours plus naïves, plus près du
cœur et plus aimables.»

Le rapprochement des femmes et des chevaux, que présente notre proverbe,
n'a pas été suggéré peut-être par une pensée aussi impertinente qu'on
pourrait le penser; il tient aux habitudes chevaleresques: tout paladin
consacrait sa vie à l'amour et à la guerre. Pour aimer, il devait avoir
une belle dame; pour combattre, il avait besoin d'un bon cheval, et il
confondait ces deux êtres dans une affection presque égale, quoiqu'il
fût souvent obligé de reconnaître que ni l'un ni l'autre n'étaient
jamais sans défauts.


Les femmes sont trop douces, il faut les saler.

Ce dicton, qui s'entend sans commentaire, me paraît avoir suggéré l'idée
d'une ancienne farce dramatique dont voici le titre: «Discours facétieux
des hommes qui font _saler leurs femmes à cause qu'elles sont trop
douces_, lequel se joue à cinq personnages.» L'_Histoire du
Théâtre-Français_ a parlé de cette pièce curieuse, imprimée à Rouen,
chez Abr. Cousturier en 1558, et le docte A.-A. Monteil en a donné la
piquante analyse que voici: «Des maris sont venus se plaindre que leur
ménage, sans cesse paisible, était sans cesse monotone; que leurs femmes
étaient trop douces. L'un d'eux a proposé de les faire saler. Aussitôt
voilà un compère qui se présente, qui se charge de les bien saler. On
lui livre les femmes, et le parterre et les loges de rire. Les femmes,
quelques instants après, reviennent toutes salées, et, leur sel mordant
et piquant se portant au bout de la langue, elles accablent d'injures
leurs maris, et le parterre et les loges de rire. Les maris veulent
alors faire dessaler leurs femmes: le compère déclare qu'il ne le peut,
et le parterre et les loges de rire davantage. Enfin la pièce, si
plaisamment nouée, est encore plus plaisamment dénouée, car les maris,
qui sont des maris parisiens, c'est-à-dire des maris de la meilleure
espèce, qu'on devrait semer partout, particulièrement dans le nouveau
monde, au lieu de dessaler, comme en province, les femmes avec un
bâton[6], se résignent à prendre patience, et le parterre et les loges
de rire encore davantage, de ne pouvoir plus applaudir, de ne cesser de
se tenir les côtes de rire.»

  [6] Allusion à la coutume de frapper avec un bâton les quartiers de
    lard salé pour en faire tomber les grains de sel.


Paris est l'enfer des chevaux, le purgatoire des hommes, et le paradis
des femmes.

Les chevaux ont beaucoup à souffrir à Paris, les maris y éprouvent bien
des contrariétés, et les femmes y jouissent de toute sorte de plaisirs.
Cette triade proverbiale était autrefois d'une vérité plus incontestable
qu'aujourd'hui, surtout à l'égard des femmes, parce que la coutume de
Paris, plus favorable pour elles que toutes les autres coutumes du
royaume, n'admettait point qu'elles fussent battues comme ailleurs, et
ne prononçait point de peines sévères contre la violation de la foi
conjugale.

Corneille a rappelé la dernière partie de cette triade dans la _Suite du
Menteur_, où Lise dit à Mélisse, sa maîtresse, en parlant de Dorante
qu'elle l'engage à épouser:

    Il est riche et de plus il demeure à _Paris_,
    Qui, _des femmes_, dit-on, _est le vrai paradis_;
    Et, ce qui vaut bien mieux que toutes ces richesses,
    Les maris y sont bons et les femmes maîtresses.

On connaît ce mot de Montesquieu: «Quand on a été femme à Paris, on ne
peut plus être femme ailleurs.»


Les femmes ont des souris à la bouche, et des rats dans la tête.

Il n'est pas nécessaire d'expliquer le sens de ce calembour proverbial,
mais il est bon de rappeler pourquoi l'expression _avoir des rats_
signifie, au figuré, être capricieux, fantasque. Le Duchat prétend que
cette expression fait allusion _à la rate d'où la plupart des
bizarreries procèdent_. L'auteur de l'_Histoire des rats_ la croit
fondée sur la supposition qu'une personne sujette à des inégalités
d'humeur a la tête remplie de rats qui s'y promènent, et qui, par leurs
différents mouvements, y déterminent ses pensées et ses volontés. L'abbé
Desfontaines croit avec plus de raison que _rat_ est ici un vieux mot
français tiré du latin _ratum_ (pensée, résolution, dessein), et qu'on
dit d'un individu qu'_il a des rats_, de même que l'on dit qu'_il a des
idées_, pour faire entendre qu'il a des hallucinations, des lubies, des
folies.

Cette étymologie rentre dans celle qu'a proposée dom Louis le Pelletier,
qui assure dans son dictionnaire que ce mot a été pris du celto-breton,
où il est employé dans une signification identique.


Il faut prendre les hommes tels qu'ils sont, et les femmes telles
qu'elles veulent être.

C'est-à-dire qu'il faut prendre ces messieurs avec leurs défauts et ces
dames avec leurs prétentions, si l'on veut vivre en paix avec eux et
avec elles.

Il est vrai que cette paix est extrêmement difficile et qu'elle doit
être payée fort cher par les ménagements continuels qu'on est obligé
d'avoir pour ces défauts et surtout pour ces prétentions, plus
intolérables que ces défauts: elles sont si exigeantes qu'il faut tout
leur sacrifier, et de plus si tenaces qu'il n'est pas possible d'en rien
rabattre; ce qui a fait dire qu'il vaut mieux s'y soumettre que s'y
opposer, afin de s'épargner les efforts pénibles qu'on tenterait en vain
pour y résister. C'est ainsi qu'on explique cet adage, sérieux dans sa
première partie et ironique dans sa dernière. Quant à moi, je ne puis
voir dans cette explication qu'une glose pire que le texte, et dont la
malice se donne carrière aux dépens de la vérité. Il n'est pas prouvé
que les femmes aient les prétentions déraisonnables que les préventions
des hommes leur reprochent: il n'y a que des folles incapables de se
modérer chez lesquelles on les rencontre. Objectera-t-on que les autres
ont l'adresse de les cacher; mais en supposant que cela soit, on doit
leur en savoir gré, et j'aime à croire que cette conduite non moins
habile que réservée leur donne le droit de répondre à leurs accusateurs
que si elles tiennent à être prises telles qu'elles veulent être, c'est
qu'elles veulent être réellement telles qu'elles doivent être.


L'amour des femmes tue le courage des plus braves.

C'est un fait en preuve duquel on peut citer la fable et l'histoire.
Voyez Hercule abandonnant sa massue et filant une quenouille aux pieds
de la reine Omphale; voyez Antoine asservi lâchement aux charmes de
Cléopatre; et jugez, par ces exemples qu'il serait facile de multiplier,
combien l'amour des femmes est dangereux et funeste. Il étouffe toute
énergie chez l'insensé qui s'y abandonne; il le rend incapable de tout
noble élan, il le tient plongé dans une mollesse abrutissante; en un
mot, il lui fait oublier tous ses intérêts et tous ses devoirs.

Voilà pourquoi on dit encore _l'amour des femmes tue la sagesse_: ce qui
a son explication suffisante dans les réflexions que je viens de
présenter. Ce proverbe et le précédent ne diffèrent l'un de l'autre que
par l'application particulière que chacun d'eux fait de cette vérité
générale: que la passion pour les femmes a des effets pernicieux sur le
moral de l'homme, et qu'elle fait souvent de lui, par l'usage immodéré
des coupables plaisirs qu'elle lui présente, un animal dégradé.

Êtes-vous pauvre, détournez-vous de ces plaisirs: ils coûtent plus cher
que les vrais besoins. Aspirez-vous à la gloire, détournez-vous-en de
même: ils vous la feraient prendre en pitié. Voulez-vous rester bon,
fuyez-les jusqu'au bout du monde: ils ne vous laisseraient pas de cœur.


Les femmes sont toutes fausses comme des jetons.

Les femmes veulent plaire à tout le monde, et, pour y parvenir, elles
sont obligées de jouer tant de personnages divers qu'il est bien
difficile qu'en s'essayant à un pareil manége elles ne deviennent pas
plus ou moins fausses. C'est sans doute sur cette observation
d'expérience qu'a été fondé le proverbe, qui est parfaitement vrai des
femmes coquettes, et qui ne l'est pas également des autres femmes. J'en
connais plusieurs qui méritent une honorable exception, et j'aime à
croire qu'elles ne sont pas les seules. Je n'oserais pourtant les
compter par douzaines, et je suis forcé de convenir, pour me conformer à
l'opinion la plus circonspecte, que les femmes, en général, ont, à des
degrés différents, une certaine dose de dissimulation et de mauvaise foi
qu'elles cachent sous de belles apparences de franchise et de sincérité,
de même que les jetons ne laissent pas voir le mauvais alliage dont ils
sont ordinairement composés sous la brillante dorure qui en décore les
surfaces.


Les femmes ne mentent jamais plus finement que lorsqu'elles disent la
vérité à ceux qui ne les croient pas.

Pourquoi cela? N'est-ce point parce que les femmes, en général, sont peu
sincères et ne font guère usage de la vérité que pour mieux tromper,
quand elles savent qu'on n'ajoutera pas foi à leur parole? On ne peut,
ce me semble, expliquer autrement ce malin proverbe qui fait si bien
ressortir leur fausseté jusque dans son contraire. Mais l'opinion qu'il
exprime est-elle parfaitement fondée? J'ai consulté là-dessus les
experts les plus compétents, dans l'espérance qu'ils me fourniraient de
bonnes raisons pour la combattre. Aucun d'eux jusqu'ici ne m'a répondu
selon mon désir, et je suis forcé d'attendre encore entre le pour et le
contre, n'ayant pas les preuves de l'un, et ne voulant pas admettre
celles de l'autre.

Je remarquerai seulement que, si le proverbe était aussi vrai qu'il est
ingénieux, les hommes ne sauraient éviter, soit en accordant, soit en
refusant leur confiance aux femmes, d'être réduits à une alternative
fâcheuse, signalée par cet autre proverbe: _Qui croit sa femme se
trompe, et qui ne la croit pas est trompé._


La vieillesse est l'enfer des femmes.

C'est ce que répétait la belle et spirituelle Ninon de Lenclos, qui
vécut, pour ainsi dire, sans vieillir, inspira une passion à l'âge de
quatre-vingts ans, et mourut à quatre-vingt-onze... Si elle sentait
cette cruelle vérité, combien plus doivent la sentir les autres femmes
qui n'ont pas, comme elle, des avantages propres à la leur rendre moins
sensible.

On lit parmi les maximes de Saint-Évremont: «L'enfer pour les femmes qui
ne sont que belles, c'est la vieillesse.» Est-ce de Ninon qu'il tenait
le mot, ou Ninon le tenait-elle de lui?

La vieillesse est pour les femmes pire que la boîte de Pandore: elle
renferme tous les maux, moins l'espérance.

La vieillesse a quelque chose de digne, d'imposant chez les hommes; mais
hélas! chez les femmes, elle est terrible, désespérante, et dénuée de
poésie. Elle ne fait d'elles que des ruines sans grandeur et sans
majesté.


Les femmes sont comme les énigmes, qui ne plaisent plus quand on les a
devinées.

Cette comparaison proverbiale existe dans beaucoup de langues comme dans
la nôtre, et elle a été employée par beaucoup d'écrivains qui
s'accordent à la regarder comme vraie. Cependant, malgré cette imposante
unanimité d'opinion, je ne puis me résoudre à penser avec eux que ces
aimables enchanteresses perdent à se faire connaître ce qu'elles gagnent
à se faire voir. Mais j'aurais besoin, je l'avoue, qu'elles voulussent
bien m'expliquer le soin extrême qu'elles prennent de ne pas se laisser
deviner, et l'antipathie décidée qu'elles ont contre ceux qui les
devinent. Sans cela, je crains de finir par dire comme les autres:

    Les femmes de l'énigme offrent le caractère:
    Sitôt qu'on les devine elles cessent de plaire.


Les femmes sont comme les paons dont les plumes deviennent plus belles
en vieillissant.

Le plumage des paons acquiert plus de lustre avec les années, et la
toilette des femmes devient plus brillante à mesure que leur jeunesse
diminue, car elles cherchent à suppléer, par les prestiges de l'art, aux
charmes naturels que chaque jour qui s'envole leur enlève. Comme elles
ne voient pas dans l'avenir de malheur plus grand que de cesser de
plaire, elles n'ont pas de désir plus vif ni d'intérêt plus pressant que
de paraître toujours jeunes et belles; et, dans le nombre infini de
celles qui peuvent conserver l'espoir d'en imposer sur leur âge, vous
n'en trouverez aucune qui dise de bonne foi, comme la belle-mère de
Ruth: «Ne m'appelez plus Noémi; nom qui signifie belle. _Ne vocetis me
Noemi, id est pulchram._» (Ruth, I, 20.)

Notre comparaison proverbiale s'applique particulièrement à ces vieilles
coquettes récrépies qui aiment à se pavaner sous les magnifiques livrées
de la mode, et prétendent éclipser les jeunes et jolies femmes par le
luxe de leur parure hors de saison.


Les femmes sont des paons dans les promenades, des pies-grièches dans
leur domestique, et des colombes dans le tête-à-tête.

On attribue à Fontenelle cette formule proverbiale qu'il n'est pas
nécessaire d'expliquer; mais en admettant qu'elle soit due à son esprit,
ce qui est douteux, il faut reconnaître que les parties dont elle se
compose existaient séparément avant lui dans une foule de locutions
analogues. Les femmes ont été assimilées à toutes sortes d'oiseaux sous
le rapport des mœurs et du caractère, et elles ont avec eux des
ressemblances assez frappantes pour faire penser qu'elles pourraient
être étudiées dans les volières aussi bien que dans les salons. Cette
étude morale formerait une nouvelle branche d'ornithologie comparée qui
ne serait pas moins intéressante que curieuse.


Les femmes qui sont anges à l'église sont diables à la maison.

Parce que, à la maison, elles trouvent toujours à redire à la conduite
de leurs maris, et les poursuivent de reproches continuels. Un d'eux,
pour s'affranchir des remontrances criardes de la sienne, qui
remplissait très-bien les deux rôles, souhaitait qu'elle eût l'église
pour unique domicile. Elle serait sainte, ajoutait-il, et moi
bienheureux.

On dit aussi de ces furies dévotes qu'_elles mangent les saints et
vomissent les diables_.


Vides chambres font dames (ou femmes) folles.

Vieux proverbe qui signifia primitivement que la misère fait oublier la
pudeur aux femmes, les entraîne à une conduite déréglée et les pousse
même à la plus honteuse prostitution, car le mot _folle_ y était mis
comme équivalent de _folles de leurs corps_, dénomination qu'on
appliquait autrefois aux femmes de mauvaise vie.

Ce proverbe s'emploie aujourd'hui pour dire que, lorsque les femmes
n'ont pas dans leur ménage les choses nécessaires, elles ne cessent de
quereller leurs maris dont l'avarice ou l'inconduite leur en impose la
privation.


Les dames à la grand'gorge.

On appelait ainsi les dames de la cour de François Ier, parce qu'elles
portaient des robes échancrées autour du sein qui, soutenu et relevé par
une riche bande d'étoffe nommée _gorgias_, s'étalait dans une complète
nudité.

Le clergé les réprimanda d'oser se montrer _sous les livrées de
l'impudicité_. Jean Polman, chanoine théologal de Cambrai, dans son
ouvrage intitulé le _Chancre ou Couvre-sein féminin_, leur reproche «de
piaffer les bras nus, à sein ouvert, et à tetins découverts».

Le père Gardeau, Génovefain, fit contre elles plusieurs prédications où
il prit pour texte les versets 16 et 17 du chapitre III d'_Isaïe_
annonçant aux filles d'Israël que Dieu les rendra chauves parce qu'elles
vont la tête levée, la gorge nue et l'œil tourné à la galanterie.

Un autre prédicateur, dit-on, leur recommandait d'avoir toujours sur
leur gorge un fichu de toile de Hollande, et de repousser les mains
téméraires des amants qui tenteraient de l'enlever, car, ajoutait-il,
«quand la Hollande est prise, adieu les Pays-Bas!» Malgré tout ce que le
clergé put faire et dire contre cette mode indécente, elle se maintint
sous plusieurs règnes.

C'est probablement pour ridiculiser la polémique dont elle avait été
l'objet que Rabelais, dans son facétieux catalogue de la librairie ou
bibliothèque de Saint-Victor, s'est amusé à imaginer et à classer une
ordonnance universitaire sous ce titre fort drôlatique: _Decretum
universitatis Parisiensis super gorgiasitatem muliercularum ad
placitum._ (Liv. II, ch. VII.) «Décret de l'Université de Paris sur la
_gorgiagiste_ (étalage de la gorge) des jeunes femmes selon leur bon
plaisir.»


Trois femmes font un marché.

C'est-à-dire qu'elles échangent entre elles autant de paroles qu'il s'en
échange dans un marché. Le proverbe italien associe une oie aux trois
femmes: _Tre donne e una oca fan un mercato._

On trouve dans le recueil de Gabriel Meurier: _Deux femmes font un
plaid, trois un grand caquet, quatre un plein marché._

Les Auvergnats disent d'une manière pittoresquement hyperbolique: _Les
femmes sont faites de langue comme les renards de queue_; et l'on peut
les en croire, car ils doivent être impartiaux, attendu qu'ils ne sont
_ni hommes ni femmes, mais bons Auvergnats_, d'après un dicton qui
circule depuis quelques années.

Il y a dans tous les pays du monde des proverbes qui s'accordent à
reprocher au beau sexe une intarissable loquacité. Je m'abstiens de les
rapporter, regardant comme inutile la peine que je prendrais à
transcrire ces témoignages trop nombreux d'un défaut sur lequel lui-même
semble avoir passé condamnation. Il vaut mieux rechercher quelles sont
les principales causes de ce défaut.

Fénelon les a signalées dans les deux phrases suivantes:

«Les femmes sont passionnées dans tout ce qu'elles disent, et la passion
fait parler beaucoup.

»Une autre chose contribue beaucoup aux longs discours des femmes, c'est
qu'elles sont artificieuses et qu'elles usent de longs détours pour
arriver à leur but.»

Montesquieu considérait leur bavardage comme une suite nécessaire de
leur inoccupation. «Les gens qui ont peu d'affaires, disait-il, sont de
très-grands parleurs: moins on pense, plus on parle. Ainsi les femmes
parlent plus que les hommes; à force d'être oisives, elles n'ont point à
penser.»

C'est, je crois, la même idée que les Chinois ont voulu exprimer dans ce
proverbe: _La langue des femmes croît de tout ce qu'elles ôtent à leurs
pieds._


Les femmes ont des langues de la Pentecôte.

C'est-à-dire des langues de feu. L'allusion n'a pas besoin d'être
expliquée; car personne ne peut ignorer que le Saint-Esprit descendit en
langues de feu sur les disciples de Jésus-Christ, le jour de la
Pentecôte, et leur communiqua ainsi le don des langues pour les mettre
en état d'aller prêcher la vérité évangélique chez tous les peuples de
la terre.

La glose nous avertit qu'il ne faut pas conclure de ce proverbe que tout
ce que disaient les femmes soit paroles d'évangile, car les langues
envoyées par l'Esprit-Saint ne descendirent pas sur elles, et celles
qu'elles ont n'en sont que des contrefaçons faites par l'esprit malin.

L'abbé Guillon disait, en usant d'une expression tirée d'un proverbe
fort connu: «L'enfer est pavé de langues de femmes.»


La langue des femmes est leur épée, et elles ne la laissent pas
rouiller.

Proverbe que nous avons reçu des Chinois qui, du reste, ne se bornent
pas à une telle plaisanterie sur l'intempérance de la langue féminine,
car un de leurs livres classiques met le babil fatigant au nombre des
sept causes de divorce que les maris peuvent alléguer pour se
débarrasser de leurs femmes.

Les Allemands ont fait une addition grossière à ce proverbe, ils disent:
«_Die Weiber führen das Schwerd im Maule, darum muss man sie auf die
Scheide schlagen._ Les femmes portent l'épée dans la bouche; c'est
pourquoi il faut frapper sur la gaîne.»

Les Anglais conseillent et emploient un moyen qu'ils jugent plus
efficace pour faire taire les femmes; c'est de leur mettre la _bride du
silence_. Si vous ignorez ce que c'est, le _Morning-Herald_ va vous le
dire. On lit, dans un de ses numéros de la fin de mai 1838, que le
magistrat de police de Straffort, jugeant une femme dont la loquacité
résistait à tous ses avertissements, lui fit appliquer cette bride que
le journaliste appelle une _machine ingénieuse_ et décrit ainsi: «Elle
consiste en un cercle de fer ceignant la tête d'une oreille à l'autre,
et en une plaque transversale du même métal, laquelle descend du front
jusqu'à la bouche qu'elle tient close, de manière à empêcher la langue
de fonctionner. Cette _ingénieuse machine_ se ferme sur le derrière de
la tête.» Le journaliste ajoute qu'il serait bon que chaque tribunal eût
sa _bride de silence_ pour la montrer comme épouvantail et pour en faire
usage au besoin.

On peut juger par un pareil fait de l'esprit de galanterie qui doit
régner chez nos voisins d'outre-Manche, et se former une idée des
licences que les magistrats se permettent quelquefois sans scrupule en
ce pays de liberté.


La langue des femmes ne se tait pas, même lorsqu'elle est coupée.

Ce proverbe, hyperbolique à l'excès, est traduit de ce texte latin:
_Lingua mulierum nequidem excisa silet_, qu'ont employé quelques
écrivains du moyen âge. Je crois qu'il est d'origine grecque, car il se
trouve pour la première fois dans la première épître de saint Grégoire
de Nazianze, qui l'a peut-être inventé. L'idée qu'il exprime a beaucoup
d'analogie avec une plaisanterie d'Ovide qui raconte que la langue d'une
bavarde, arrachée de son palais, s'agitait par terre en parlant
toujours. Étrange effet de l'habitude!

    La rage du babil est-elle donc si forte
    Qu'elle doive survivre en une langue morte?

Les Allemands disent d'une manière fort originale: «_Einer todten Frau
der muss man die Zunge besonders todt schlagen._ A femme trépassée il
faut tuer la langue en particulier.»

Un auteur facétieux a prétendu que la langue, chez les femmes, n'est pas
l'unique instrument des paroles, et que les bonnes commères ne
resteraient pas muettes quand même elles seraient privées de cet organe.
Il cite à l'appui de cette assertion l'exemple d'une jeune fille
portugaise qui, étant née sans langue, n'en jasait pas moins du matin au
soir. Ce qui donna lieu au distique suivant de je ne sais quel savant en
_us_:

    _Non mirum elinguis mulier quod multa loquatur,
      Mirum cum lingua quod taceat mulier._

Voici une imitation française de ce distique:

    Il se peut que sans langue une femme caquette,
    Mais non qu'en ayant une elle reste muette.


Femmes ne sont pas gens.

Cet impertinent proverbe est traduit littéralement du provençal: _Frémos
noun soun gens._ Je le crois dérivé de cette ancienne maxime de
jurisprudence: _Mulier non habet personam_, par laquelle on déclarait
que la femme n'était pas une personne devant la loi, c'est-à-dire
qu'elle devait rester toujours mineure et dépendante.

J'avais d'abord conjecturé qu'il était provenu d'un autre fait auquel il
s'ajuste assez bien; je le regardais comme une allusion probable à la
thèse soutenue au second concile de Mâcon, le 23 octobre 585, par un
évêque qui prétendait que le mot _homme_, dans la généralité de son
acception, ne comprenait pas la femme, ce qu'un autre réfuta par divers
passages de l'Écriture sainte où ce mot est employé pour désigner les
deux sexes, notamment par le verset de la Genèse qui dit que _Dieu créa
l'homme, mâle et femelle_, et par les versets de l'Évangile dans
lesquels le fils de Dieu est appelé le _Fils de l'homme_, quoiqu'il ne
soit que le fils de la femme quant à son humanité. Le concile, après une
assez longue discussion, décida: _Mulieres esse homines_, que les femmes
étaient hommes, c'est-à-dire qu'elles faisaient partie du genre
humain[7].

  [7] C'est ainsi qu'un ami de Cicéron l'engage, dans une lettre, à se
    consoler de la mort de sa fille Tullie, «parce qu'elle est née
    homme,» _quia homo nata est_.

On a trouvé fort ridicule que les pères de ce concile se soient arrêtés
à l'examen d'une thèse si étrange; mais c'est faute de comprendre les
motifs assez graves qu'ils ont eus pour cela. Ils se proposaient, en
agissant ainsi, d'empêcher, par l'autorité suprême d'une décision
ecclésiastique, la propagation d'une fausse idée, renouvelée d'Aristote.
Ce philosophe, sur la parole duquel on jurait alors, avait prononcé,
comme un oracle, que c'était d'une erreur de la nature que provenait la
femme, créature incomplète, ouvrage manqué, résultat de l'imperfection
de la matière impuissante à parvenir au sexe parfait, c'est-à-dire à
produire l'homme, qu'on verrait naître seul dans un ordre de choses
meilleur. Et son opinion était entrée en partie dans l'esprit de
quelques théologiens du quatrième siècle, qui se figuraient que Dieu, au
grand jour de la résurrection générale, ne ferait revivre la femme qu'en
la changeant en homme.

Ce fut, tout porte à le penser, un partisan de cette déraisonnable
opinion aristotélique et théologique à la fois qui en saisit
l'assemblée: elle obtint l'appui de plusieurs autres qui cherchèrent à
la faire prévaloir dans des vues plus politiques encore que religieuses.
Ils espéraient que, si elle était canoniquement proclamée, elle
deviendrait un moyen puissant de détruire l'influence de deux reines
contemporaines généralement détestées, Frédégonde et Brunehaut, qui
dirigeaient les affaires publiques au gré de leurs passions et de leurs
caprices.


De ce qu'on dit des femmes, il n'en faut croire que la moitié.

Proverbe dont on ne fait l'application qu'en parlant des aventures qu'on
leur attribue. «De ces choses-là, suivant l'historien Mézerai, on en
compte toujours plus qu'il n'y en a, et il y en a toujours beaucoup plus
qu'on n'en sait.» Phrase non moins spirituelle que malveillante, à
laquelle ressemble beaucoup cette autre de Sénac de Meilhan: «On débite
un grand nombre d'histoires fausses sur les femmes, mais elles ne sont
qu'une faible compensation des véritables, qu'on ignore.»

Les Italiens ont un proverbe analogue d'après lequel, en matière de
galanterie, tout peut se croire et rien ne peut se dire: _In materia di
lussuria, si può creder tutto, ma dirne nulla._


Si les femmes étaient d'argent, elles ne vaudraient rien à faire
monnaie.

Parce qu'on suppose qu'elles garderaient sous cette nouvelle forme le
caractère indélébile de fausseté que les mauvais plaisants leur
attribuent, et que par conséquent elles ne produiraient qu'une monnaie
de mauvais aloi ou une fausse monnaie. C'est ainsi que j'ai entendu
expliquer ce proverbe par une femme de beaucoup d'esprit, qui se
plaisait à le citer en riant.

Je n'oserais contester positivement cette explication, dont je laisse la
responsabilité à son auteur. Cependant je doute que ce soit la fausseté
des femmes qu'on ait eu particulièrement en vue en formulant le
proverbe. Il y a chez elles d'autres défauts qui, non moins que
celui-là, ont pu en suggérer l'idée; et c'est peut-être par allusion à
l'inconsistance et au mauvais alliage que ces défauts réunis produisent
dans leur nature, qu'on a dit qu'_elles ne vaudraient rien à faire
monnaie_, en sous-entendant ces mots: _parce qu'elles ne seraient pas
malléables._

Cette raison toute naturelle est indiquée par un proverbe italien qui
correspond au nôtre: «_Se le donne fossero d'argento, non varrebber' un
quattrino, perchè non starebber' al martello._ Si les femmes étaient
d'argent, elles ne vaudraient pas quatre deniers, parce qu'elles ne
tiendraient pas sous le marteau», ce qui signifie au figuré, si je ne me
trompe, qu'elles ne seraient pas malléables.


Les femmes qui ont donné leur farine, veulent vendre leur son.

Proverbe dont on fait l'application à certaines femmes galantes qui,
après avoir prodigué gratuitement les prémices de leurs appas, ou leur
farine, prétendent en faire payer au-dessus de leur valeur les restes,
ou le son. Ces meunières intéressées, à qui le vice a fait oublier tout
sentiment généreux, n'ont d'autres pensées que de s'enrichir aux dépens
de quelques jeunes gens sans expérience qu'elles ont attirés à leur
moulin, et qu'elles en chasseront impitoyablement aussitôt qu'elles
auront achevé de les ruiner.

Les mots «farine» et «son» ont été employés allégoriquement par les
auteurs du moyen âge dans le même sens qu'ils ont ici. On lit dans un
recueil de ce temps cette curieuse définition de la beauté féminine:
«C'est la farine du diable qui se réduit tout en son.» On y trouve aussi
cette comparaison non moins curieuse de la femme prodigue de sa beauté
pour son plaisir, avec un bluteau qui jette la farine et retient le son.


Il a peu d'honnêtes femmes qui ne soient lasses de leur métier.

La Rochefoucauld l'a dit textuellement dans sa 376e _Pensée_, et Molière
l'a redit, à sa manière, dans ces vers d'_Amphitryon_, que Cléantis
adresse à Sosie:

        Va, va, traître, laisse-moi faire,
    On se lasse parfois d'être femme de bien.

(Acte II, sc. VII.)

Je crois que c'est une phrase proverbiale antérieure à ces deux auteurs.
Elle est du moins employée comme telle dans quelques patois méridionaux,
et elle a des équivalents dans plusieurs langues étrangères.

Sans doute le _métier_ d'honnête femme peut paraître fatigant, puisqu'il
oblige à une lutte vigoureuse pour triompher de ce désordre d'idées et
de tentations que peuvent exciter, par moment, dans l'esprit d'une
femme, même la mieux morigénée, les froides négligences d'un mari et les
ardentes poursuites d'un séducteur. Mais faut-il en conclure que les
efforts qu'exige d'elle le maintien de sa vertu doivent lui en donner
une sorte de lassitude? Non, non: la femme qui se respecte a l'âme trop
forte et trop courageuse pour se lasser de ce qui fait son honneur et sa
dignité. Loin de faiblir dans la lutte, elle s'y affermit; plus son
devoir lui impose de sacrifices, plus elle s'y attache, non-seulement
par la considération des malheurs qu'ont à subir les femmes déshonorées,
mais par le sentiment de sa conscience, qui adoucit et compense ses
amertumes par d'ineffables consolations.

Je voudrais qu'à la place de la maxime que je combats il y en eût une
autre qui glorifiât la persévérance vertueuse de la femme délaissée.
Cette femme de bien, cette femme chrétienne, malheureusement trop rare,
est un modèle de perfection, et la chasteté inaltérable qu'elle conserve
dans un cœur brûlant me paraît, dans l'ordre moral, un phénomène plus
admirable encore que ne l'est, dans l'ordre physique, la glace
entretenue dans un fourneau chauffé à blanc.


Les femmes demandent si un homme est discret, comme les hommes si une
femme est belle.

La discrétion des hommes tente les femmes autant que la beauté des
femmes tente les hommes, et les deux sexes suivent plus volontiers
l'attrait naturel qui les invite à se rapprocher, quand ils sont assurés
de rencontrer, l'un chez l'autre, la qualité qu'ils désirent. Ainsi les
deux questions, bien que chacune d'elles porte sur un point différent,
partent du même principe, qui est le besoin d'aimer, et tendent au même
but, qui est la satisfaction de ce besoin. Mais celle des femmes est
plus significative que celle des hommes, où l'on ne voit souvent qu'un
simple effet de curiosité: elle a quelque chose de raisonné, de
prémédité, indice manifeste que les femmes, qui osent la faire, sont
déjà décidées à se laisser aller à la tentation, lorsqu'elles savent
qu'elles pourront, sans crainte d'être compromises, accorder leur
penchant avec la sécurité, leur plaisir avec le mystère. Vous pouvez en
conclure, si vous le voulez, qu'elles tiennent beaucoup moins à la vertu
qu'au respect humain. En effet, mettre de côté cette vertu incommode et
en garder les apparences honorables, c'est, en résumé, ce qu'elles
cherchent en s'engageant dans les affaires de cœur. Il n'est pas besoin
de dire avec quelles précautions, avec quelle habileté elles poursuivent
ce double objet, après en avoir calculé les inconvénients et les
avantages. On sait que ces femmes-là ont un art prodigieux, qui leur
vient sans doute de ce qu'elles ont mordu plus profondément que les
autres au fruit de l'arbre de la science du bien et du mal.


Les femmes n'ont que l'âge qu'elles paraissent avoir.

Il ne faut pas juger de l'âge des femmes par le nombre de leurs années,
mais par la conservation de leurs appas; tant que ces appas ne sont
point flétris, elles peuvent se dire encore dans la jeunesse malgré le
démenti que leur opposent les registres de l'état civil toujours trop
incivil pour elles.

C'est sur la foi de ce proverbe que nos dames se donnent tant de soins
et font tant de frais de toilette pour paraître plus jeunes qu'elles ne
sont.

N'examinons point si un tel proverbe n'est pas formulé d'une manière
plus galante que vraie, de peur de troubler leurs illusions à ce sujet;
laissons-les se complaire dans ces douces illusions; et qu'elles soient
persuadées, s'il est possible, que leur extrait baptistaire vieillit
tout seul.


On ne saurait dire des femmes ce qui en est.

Est-ce parce qu'il y aurait trop à dire d'elles, ou bien parce qu'il
paraît impossible de les définir? Je laisserai à de plus habiles que moi
le soin de décider entre ces deux questions qui se compliquent l'une par
l'autre, et je me contenterai de citer un joli portrait burlesque de la
femme par un auteur comique qui ne la jugeait pas indéfinissable et qui
voyait en elle un composé de natures diverses. Je le tire de la pièce
intitulée: _Arlequin défenseur du beau sexe_.--«Voulez-vous bien
connaître une femme? figurez-vous un joli petit monstre qui charme les
yeux et qui choque la raison; qui plaît et qui rebute, qui est ange au
dehors et harpie au dedans. Mettez ensemble la tête d'une linotte, la
langue d'un serpent, les yeux d'un basilic, l'humeur d'un chat,
l'adresse d'un singe, les inclinations nocturnes d'un hibou, le brillant
du soleil et l'inégalité de la lune; enveloppez le tout d'une peau bien
blanche, ajoutez-y des bras, des jambes, _et cætera_: vous aurez une
femme toute complète.» (_Théâtre italien de Gherardi, t. V, p. 262._)

On attribue à J.-J. Rousseau les vers suivants sur les femmes:

        Objet séduisant et funeste,
        Que j'adore et que je déteste,
        Toi que la nature embellit
    Des agréments du corps et des dons de l'esprit,
        Qui de l'homme fais un esclave,
        Qui t'en moques quand il te plaint,
        Qui l'accables quand il te craint,
        Qui le punis quand il te brave;
        Toi dont le front doux et serein
        Porte le plaisir dans nos fêtes,
        Toi qui soulèves les tempêtes
        Qui tourmentent le genre humain.
        Être ou chimère inconcevable,
        Abîme de maux et de biens,
    Seras-tu donc toujours la source inépuisable
      De nos mépris et de nos entretiens?



PROVERBES

SUR

L'AMITIÉ


Il faut connaître avant d'aimer.

Ce proverbe n'est guère applicable à l'amour, qui est rarement déterminé
par la réflexion; il est fait pour l'amitié, à la formation de laquelle
le temps est nécessaire. C'est, en d'autres termes, l'adage des Grecs:
«φίλους μὴ ταχὺ κτῶ. Ne fais pas des amis promptement.» Nous avons
encore cette maxime bonne à rappeler: _Le moyen de faire des amis qu'on
puisse garder longtemps, c'est d'être longtemps à les faire_.

«L'amour, dit la Bruyère, naît brusquement, sans autre réflexion, par
tempérament ou par faiblesse. Un trait de beauté nous fixe, nous
détermine. L'amitié, au contraire, se forme peu à peu avec le temps, par
la pratique, par un long commerce. Combien d'esprit, de bonté de cœur,
d'attachement, de services et de complaisances dans les amis pour faire,
en plusieurs années, beaucoup moins que ne fait quelquefois, en un
moment, un beau visage ou une belle main?» (Ch. IV, _du Cœur_.)


Aime comme si tu devais un jour haïr.

Ce mot, que Scipion regardait comme le plus odieux blasphème contre
l'amitié, est attribué à Bias par Aristote, qui dit dans sa rhétorique:
«L'amour et la haine sont sans vivacité dans le cœur des vieillards.
Suivant le précepte de Bias, ils aiment comme s'ils devaient haïr un
jour, ils haïssent comme s'ils devaient un jour aimer.» Cependant
Cicéron (_De Amicitia_, XVI), ne peut croire que la première partie de
cette sentence appartienne à un homme aussi sage que Bias. La seconde,
en effet, est seule digne de lui. Il est probable, comme le remarque le
savant M. Jos.-Vict. Leclerc, que le philosophe de Priène s'était
contenté de dire: _Haïssez comme si vous deviez aimer_, et qu'on aura
ajouté le reste pour former antithèse et pour appuyer une fausse maxime
d'une grande autorité. Quoi qu'il en soit, cette maxime n'en est pas
moins passée en proverbe, par une espèce de fatalité qui trop souvent
fait retenir ce qui est mal et oublier ce qui est bien. Mais ce n'a pas
été pourtant sans une forte opposition. Tous les auteurs qui ont écrit
sur l'amitié se sont attachés à la combattre. Les deux meilleures
réfutations qu'on en ait faites sont ce mot de César: «J'aime mieux
périr une fois que de me défier toujours,» et ces vers de Gaillard que
La Harpe a cités avec éloge dans son _Cours de littérature_:

    Ah! périsse à jamais ce mot affreux d'un sage,
    Ce mot, l'effroi du cœur et l'effroi de l'amour:
    «Songez que votre ami peut vous trahir un jour!»
    Qu'il me trahisse, hélas! sans que mon cœur l'offense,
    Sans qu'une douloureuse ou coupable prudence
    Dans l'obscur avenir cherche un crime douteux...
    S'il cesse un jour d'aimer, qu'il sera malheureux!
    S'il trahit nos serments, je dois aussi le plaindre,
    Mon amitié fut pure et je n'ai rien à craindre.
    Qu'il montre à tous les yeux les secrets de mon cœur;
    Ces secrets sont l'amour, l'amitié, la douleur,
    La douleur de le voir, infidèle et parjure,
    Oublier ses serments, comme moi son injure.

«Vivre avec ses ennemis comme s'ils devaient être un jour nos amis, et
vivre avec nos amis comme s'ils pouvaient devenir nos ennemis, n'est ni
selon la nature de la haine ni selon les règles de l'amitié. Ce n'est
point une maxime de morale, mais de politique.» (La Bruyère, ch. IV, _du
Cœur_.)

Bacon juge cette maxime admissible, «pourvu toutefois qu'on n'y voie
point une raison qui encourage à la perfidie, mais seulement une raison
pour être circonspect et pour modérer ses affections». (_Dign. et accr.
des sciences_, liv. VIII, ch. II.) Il la considère probablement par
rapport à cette amitié superficielle sujette à passer, car elle ne
saurait se concilier avec la véritable amitié qui veut une confiance
entière. Prendre des précautions contre un ami, quelque honnêtement
qu'on le fît, ce serait le traiter, pour ainsi dire, en ennemi.


On ne s'aime bien que lorsqu'on n'a plus besoin de se le dire.

Parce qu'il règne alors entre ceux qui s'aiment une confiance entière,
qui est la preuve d'une affection parfaite. Cette maxime très-vraie de
l'amitié ne l'est pas également de l'amour; car les amants, si persuadés
qu'ils soient de leur tendresse mutuelle, éprouvent un besoin continuel
d'en échanger les témoignages. Et il est démontré par l'expérience que
ce besoin est inséparable de leur passion, dont on pourrait marquer les
divers degrés sur une échelle chromatique des inflexions du langage
amoureux, depuis la note la plus basse jusqu'à la plus élevée.


Qui aime bien châtie bien.

Proverbe dont l'idée se retrouve dans plusieurs passages de Salomon,
notamment dans celui-ci: «_Qui parcit virgæ odit filium suum; qui autem
diligit illum instanter erudit_. (_Prov._ XIII, 24.) Celui qui épargne
la verge hait son fils; mais celui qui l'aime s'applique à le corriger.»

Le conseil qu'exprime ce proverbe étranger aux mœurs actuelles était
approuvé des peuples de l'antiquité. Il fut regardé comme excellent en
Chine jusqu'au temps de Confucius, qui en fit sentir les graves
inconvénients. Il devint en Grèce un des points fondamentaux de la
méthode du stoïcien Chrysippe pour l'éducation des enfants. Il paraît
même avoir fait partie de la doctrine socratique, si l'on en juge par la
quatrième scène du cinquième acte des _Nuées_ d'Aristophane, où un
disciple de Socrate est représenté battant son père et disant: «Battre
ce qu'on aime est l'effet le plus naturel de tout sentiment d'affection:
aimer et battre ne sont qu'une même chose. Τοῦτ' ἔστ' εὐνοεῖν τὸ
τύπτειν.»

On sait qu'à Rome le rhéteur Orbilius de Bénévent, que le poëte Horace,
dont il fut le maître, a nommé _plagosus_ (Epist. II, 1, 10),
introduisit l'usage du fouet dans son école; ce qui a fait donner aux
régents qui, chez les modernes, ont adopté ce honteux usage, le surnom
d'_orbilianites_, tombé depuis devant celui de _monsieur Cinglant_.


Qui m'aime me suive.

Philippe VI de Valois était à peine sur le trône de France qu'il voulut
faire la guerre contre les Flamands. Comme son conseil ne paraissait pas
approuver cette guerre, pour laquelle il montrait beaucoup d'ardeur, le
roi porta sur Gaucher de Châtillon[8] un de ces regards qui semblent
chercher à enlever les suffrages: «Et vous, seigneur connétable, lui
dit-il, que pensez-vous de tout ceci? Croyez-vous qu'il faille attendre
un temps plus favorable?--Sire, répondit le guerrier, _qui a bon cœur a
toujours le temps à propos_.» Philippe, à ces mots, se lève transporté
de joie, court au connétable, l'embrasse et s'écrie: _Qui m'aime me
suive!_ Saint-Foix, qui rapporte le fait, prétend que ce fut l'origine
du proverbe; mais il est avéré que ce n'en fut que l'application. Le
proverbe existait longtemps auparavant, puisqu'il se trouve dans ce vers
de la troisième églogue de Virgile:

    _Qui te, Pollio, amat, veniat quo te quoque gaudet._

Il remonte jusqu'à Cyrus, qui exhortait ses soldats en s'écriant: _Qui
m'aime me suive!_

  [8] Ce guerrier magnanime, disent les historiens, avait eu l'honneur
    de recevoir l'ordre de chevalerie des mains de saint Louis, et
    s'était montré, pendant sept règnes consécutifs, le plus ferme appui
    du trône.


Quand on n'a pas ce que l'on aime il faut aimer ce que l'on a.

Proverbe qui existe dans presque toutes les langues, tant la vérité
qu'il exprime est généralement reconnue, quoiqu'elle soit très-rarement
mise en pratique. _Il n'y a pas de maladie plus cruelle_, disaient les
Celtes, _que de n'être pas content de son sort_. Rien n'est plus cruel,
en effet, que de vivre en révolte contre sa condition, et d'aigrir les
maux réels qui s'y trouvent par le désir des biens imaginaires qui ne
peuvent s'y trouver. «Quelle plus grande peine, s'écrie saint Bernard,
que de vouloir toujours ce qui ne sera jamais, et de ne vouloir jamais
ce qui sera toujours! _Quæ pœna major est quam semper velle quod nunquam
erit, et semper nolle quod nunquam non erit!_» Pour nous rendre un peu
contents et tranquilles en ce monde, nous devons nous résigner à notre
sort et détourner autant que possible notre attention des mauvais côtés
qu'il nous offre, afin de la porter sur les bons. C'était un véritable
sage que ce paysan suisse qui répondit à celui qui lui vantait les
richesses du roi de France: «Je parie qu'il n'a pas d'aussi belles
vaches que les miennes.»

«Au lieu de me plaindre, dit le moraliste Joubert, de ce que la rose a
des épines, je me félicite de ce que l'épine est surmontée de roses et
de ce que le buisson porte des fleurs.»

Quoique ce proverbe ne s'applique pas précisément à l'amitié ni à
l'amour, j'ai cru devoir l'admettre dans la catégorie de ceux qui s'y
rapportent, car il pourrait être employé, et il l'a été, plus d'une fois
sans doute, comme un précepte d'amour conjugal. Il est vrai pourtant
qu'en ce cas il serait bien difficile à mettre en pratique.


Qui s'aime trop n'est aimé de personne.

«Quiconque n'aime que soi-même, uniquement occupé de sa propre volonté
et de son plaisir, n'est plus soumis à la volonté de Dieu; et, demeurant
incapable d'être touché des intérêts d'autrui, il est non-seulement
rebelle à Dieu, mais encore insociable, intraitable, injuste et
déraisonnable envers les autres, et veut que tout serve non-seulement à
ses intérêts, mais encore à ses caprices.»

(Bossuet, _de la Concupiscence_, XI.)

«L'expérience confirme que la mollesse et l'indulgence pour soi et la
dureté pour les autres n'est qu'un seul et même vice.»

(La Bruyère, ch. IV, _du Cœur_.)

Ce proverbe existait chez les Grecs, et chez les Latins qui l'avaient
traduit du grec en ces termes: _Nemo erit amicus, ipse si te amas
nimis_. Suidas le faisait remonter jusqu'aux premiers temps
mythologiques, et le retrouvait dans ces paroles adressées au beau
Narcisse par les Nymphes qu'il avait dédaignées: «Beaucoup te haïront si
tu t'aimes toi-même.»

Nous disons encore: _Qui s'aime trop s'aime sans rival_, ce qui est pris
de ces paroles de Cicéron: _Se ipse amat sine rivali_ (lib. III, epist.
VIII, _ad Quintum fratrem_), paroles qu'Horace a répétées dans le vers
444 de l'_Art poétique_:

    _Quin sine rivali teque et tua solus amares._

On connaît ce vers de La Fontaine, livre I, fable IX:

    Un homme qui s'aimait sans avoir de rivaux.


Aime-moi un peu, mais continue.

Pour dire qu'on préfère une affection modérée, mais durable, à une
affection excessive qui est sujette à passer promptement. Un autre
proverbe, considérant la modération comme conservatrice de l'amitié,
conseille de _s'aimer peu à la fois, afin de s'aimer longtemps_. Ce
conseil ne signifie point sans doute qu'il faille amortir la vivacité
d'un sentiment qui n'est presque jamais trop vif, car ce serait
l'apparenter avec l'indifférence, mais qu'il est bon d'en réprimer les
manifestations outrées et les susceptibilités hargneuses qui sont
toujours de trop.

Montesquieu disait aux amis tyranniques et avantageux qui font trouver
dans l'amitié tous les orages de l'amour: «Souvenez-vous que l'amour a
des dédommagements que l'amitié n'a pas.»

Les deux proverbes que je viens d'interpréter comme spécialement
applicables à l'amitié, ont été quelquefois appliqués à l'amour; mais on
sent que cette application ne saurait convenir à l'amour qu'autant qu'on
le fait consister dans ces liaisons communes, étrangères au sentiment
passionné qui est son vrai caractère. N'est-ce pas être froidement
amoureux que de souhaiter pour son repos que l'objet dont on est aimé
n'ait qu'un amour modéré? _Qui aime le die!_


Qui aime Bertrand aime son chien.

Ou bien: _Qui m'aime aime mon chien_, pour signifier que lorsqu'on aime
quelqu'un il faut prendre les intérêts, les sentiments, les passions,
dont il est affecté, et se montrer attaché à tout ce qui lui
appartient.--On trouve dans le lai de Graélant par Marie de France,
cette variante corrélative:

    Ki volentiers fiert vostre cien
    Ja marquerès qu'il vos aint bien.

Les Latins avaient le même proverbe que nous: _Quisquis amat dominum,
diligit catulum_.


Au besoin on connaît l'ami.

«Dans l'infortune on connaît ses vrais amis.» (Euripide, _Hécube_.)

_In bonis viri, inimici illius in tristitia: et in malitia illius amicus
agnitus est_.

(_Ecclesiastic._, XII, 9.)

«Quand un homme est heureux ses ennemis sont tristes, et quand il est
malheureux on connaît quel est son ami.»

    _Amicus certus in re incerta cernitur_ (Ennius.)

  L'ami constant se montre dans l'inconstance du sort.

    _Is est amicus qui in re dubia re juvat, ubi re est opus._

(Plaut., _Epidic._, V. 104.)

  Celui-là est ami qui, dans les moments difficiles, nous aide en effet,
  quand il faut des secours effectifs.

    _In angustiis amici apparent_

(Petron.)

  Dans les revers les amis se font voir.

_On connaît les bonnes sources dans la sécheresse, et les bons amis dans
l'adversité._

(_Proverbe chinois._)

Nous avons encore le proverbe: _Le malheur est la pierre de touche de
l'amitié_. Ce qui se retrouve dans cette pensée d'Isocrate: «L'adversité
est le creuset où s'éprouvent les amis.»

Hélas! combien il y en a peu qui soient éprouvés à ce creuset sans y
laisser un déchet considérable! Un vers proverbial en patois aveyronnais
dit fort originalement que ceux qui y passent ne laissent dans la fonte
que de l'écume et des scories.

    _Cad' amic que s'y found demoro tout en crasso._

  Chaque ami qui s'y fond demeure tout en crasse.


Le faux ami ressemble à l'ombre du cadran.

Cette ombre, comme on sait, se montre lorsque le soleil brille, et elle
n'est plus visible quand il est voilé par les nuages. De là ce quatrain:

    Tel qui se dit un ami sûr
    Est en tout point semblable à l'ombre,
    Qui paraît quand le ciel est pur,
    Et disparaît quand il est sombre. (GOBET.)

«Tant que vous serez heureux, dit Ovide, vous compterez beaucoup d'amis;
si les temps deviennent sombres, vous serez seul.»

    _Donec eris felix, multos numerabis amicos;
    Tempora si fuerint nubila, solus eris._

(Trist., I, élég. VIII.)

Ce que Ponsard a traduit dans ces deux vers de sa comédie intitulée
_l'Honneur et l'Argent_:

    Heureux, vous trouverez des amitiés sans nombre,
    Mais vous resterez seul si le temps devient sombre.

Les anciens comparaient les faux amis aux hirondelles, qui viennent dans
la belle saison et s'en vont dans la mauvaise. Le peuple de Paris les
assimile aux cochers de fiacre, qu'on trouve toujours sur place quand il
fait beau temps, et qu'on n'y rencontre plus dès qu'il pleut.

Nous avons encore une comparaison proverbiale qui a été reproduite dans
cet ingénieux quatrain de Mermet, poëte du seizième siècle:

    Les amis de l'heure présente
    Ont le naturel du melon:
    Il faut en essayer cinquante
    Avant d'en trouver un de bon.


Rien de plus commun que le nom d'ami, rien de plus rare que la chose.

    _Vulgare amici nomen, sed rara est fides._

(_Phædr._, lib. III, fab. IX.)

Heureux celui qui, dans sa vie, peut trouver l'ombre d'un ami! disait,
dans une comédie de Ménandre, un jeune homme qui n'osait croire à la
réalité d'un bien si rare et si précieux.

Aristote s'écriait: «O mes amis, il n'y a plus d'amis!» et Caton
l'Ancien prétendait qu'il fallait tant de choses pour faire un ami que
cette rencontre n'arrivait pas en trois siècles.

«L'amitié est bien bête de compagnie, disait Plutarque, mais non pas
bête de troupeau.» Remarque très-vraie, car les amitiés célèbres n'ont
jamais existé qu'entre deux personnes.

«C'est un assez grand miracle de se doubler. N'en connaissent pas la
hauteur ceux qui parlent de se tripler.»

(Montaigne, _Ess._, I, 27.)

Les Scythes, pour qui l'amitié était une chose sacrée, pensaient avec
raison qu'elle ne pouvait étendre ses liens au delà sans les relâcher;
et, pour la garantir de l'amoindrissement qu'elle eût subi par
extension, ils avaient fait une loi qui ordonnait d'avoir un ami, en
permettait deux et en défendait trois. Cette loi était fort sage, car il
n'y a jamais assez d'amitié et il y a toujours assez d'amis.

«Assez d'amis parmi les hommes! s'écrie Bourdaloue, mais quels amis!
assez d'amis de nom, assez d'amis d'intérêt, assez d'amis d'intrigue et
de politique, assez d'amis d'amusements, de compagnie, de plaisir; assez
d'amis de civilité, d'honnêteté, de bienséance; assez d'amis en paroles,
en protestations.»

Certes, de ces amis-là, il y en a _assez de peu, assez d'un, assez
d'aucun_, suivant le mot d'un Ancien rapporté par Sénèque: _Satis sunt
pauci, satis est unus, satis est nullus._ (_Epist._ VII.)

On connaît cette boutade spirituelle de Chamfort: «Dans le monde vous
avez trois sortes d'amis: vos amis qui vous aiment, vos amis qui ne se
souviennent pas de vous, et vos amis qui vous haïssent.»

Hélas! pourquoi faut-il que ces chers amis, à qui nous donnons notre
confiance, ne soient presque toujours que de chers ennemis!


Qui cesse d'être ami ne l'a jamais été.

Ce beau proverbe est traduit d'un vers grec cité par Aristote
(_Rhétor._, liv. II). Il se trouve aussi dans le troisième discours de
Dion Chrysostome, qui l'a développé en disant que le caractère de
l'amitié est de ne point changer, et que, si quelqu'un est infidèle à
une personne avec qui il a vécu dans une liaison intime, il déclare par
cette infidélité qu'il ne l'aimait pas véritablement; car, s'il eût été
son ami, il serait demeuré tel. C'est exactement la pensée que le père
de Neuville a exprimée d'une manière heureuse en parlant de «la cour où
les heureux n'ont point d'amis, puisqu'il n'en reste point aux
malheureux.»


Un bon ami vaut mieux que cent parents.

Ce proverbe a sa raison dans cet autre: _Beaucoup de parents et peu
d'amis._--J. Delille a dit dans son poëme de la _Pitié_:

    Le sort fait les parents, le choix fait les amis.

(Ch. II.)

Et ce joli vers n'est que la répétition textuelle d'un proverbe oriental
que Dorat, avant Delille, avait imité ainsi:

    C'est le hasard qui fait les frères,
    Et la vertu fait les amis.

Cicéron (_de Amicitia_, V.) met l'amitié au-dessus de la parenté, en ce
que la bienveillance est essentielle à la première et n'est point
inséparable de la seconde, que sans bienveillance il n'y a plus d'amitié
et qu'il y a toujours parenté.

D'autres, au contraire, ont mis la parenté au-dessus de l'amitié, et
leur opinion a servi de fondement à quelques proverbes qu'on trouvera
plus loin.


    Le frère est ami de nature,
    Mais son amitié n'est pas sûre.

Ce distique proverbial est tiré de la phrase suivante de Cicéron: _Cum
propinquis amicitiam natura ipsa peperit, sed ea non satis habet
firmitatis_. (_De Amicitia_, V.) Il paraît justifié par les démêlés trop
fréquents que la jalousie et l'intérêt excitent parmi les frères: «C'est
à la vérité, dit Montaigne, un beau nom et plein de dilection que le nom
de frère; mais ce meslange de biens, ces partages, et que la richesse de
l'un soit la pauvreté de l'autre, cela destrempe merveilleusement et
relâche cette soudure fraternelle.»


On peut vivre sans frère, mais non sans ami.

Si cela était vrai, l'espèce humaine aurait été frappée depuis longtemps
d'une mortalité qui l'eût enlevée tout entière; car, dans la plupart des
siècles, il ne s'est pas rencontré peut-être un de ces êtres d'élite
sans lesquels on dit la vie impossible. Ne prenons donc ce proverbe que
pour une hyperbole excessive par laquelle on a voulu faire ressortir le
prix inestimable de l'amitié, et ne cherchons pas même à le justifier
sous ce rapport. La comparaison qu'il présente accuse une idée immorale,
dénaturée, qui doit le faire proscrire. Il peut rester à l'usage de
quelque mauvais frère, mais il ne saurait obtenir l'approbation d'aucun
esprit sensé.

Malheur à l'homme qui sacrifie ses parents à ses amis. Les Espagnols
disent à ce sujet: «_Quien de los suyos se aleja, Dios le deja_. Celui
qui s'éloigne des siens, Dieu l'abandonne.» Les pères et mères devraient
inculquer à leurs enfants cette belle maxime où respire l'esprit de
famille, en y joignant des exemples propres à en confirmer la vérité.


Un ami est un autre nous-même.

Beau mot qui a été attribué faussement à Zénon, fondateur de la secte
des stoïciens, car il se trouve dans le passage suivant des _Entretiens
de Socrate_ (II, 10): «Un bon ami est toujours prêt à se substituer à
son ami, à le seconder dans les soins de sa maison, dans les affaires de
l'État. Vous voulez obliger quelqu'un, il va se joindre à vous dans
cette bonne action. Quelque crainte qui vous agite, comptez sur ses
secours; vous faut-il faire des dépenses, des démarches, employer la
force ou la persuasion? _Vous trouverez en lui un autre vous-même._»

Ce mot n'appartient pas même à Socrate. Avant lui il était employé
proverbialement dans l'école de Pythagore qui passait pour en être
l'auteur.

Aristote a dit: «Un ami est une âme qui vit dans deux corps»; ce
qu'Horace a imité en appelant Virgile _la moitié de son âme_: _animæ
dimidium mea_ (I, od. 3), et ce que saint Augustin a répété dans ses
_Confessions_: «_Sensi animam meam et animam illius unam fuisse animam
in duobus corporibus_ (IV, 6). Je sentis que mon âme et la sienne
n'avaient formé qu'une seule âme dans nos deux corps.»

Cette même vie à deux, qui est celle de la véritable amitié, Ennius la
nommait _la vie vivante_, _vita vitalis_.

Qui ne connaît les vers charmants par lesquels La Fontaine a terminé sa
fable des _Deux Amis_ qui vivaient au Monomotapa?

    Qu'un ami véritable est une douce chose!
    Il cherche vos besoins au fond de votre cœur;
        Il vous épargne la pudeur
        De les lui découvrir vous-même:
        Un songe, un rien, tout lui fait peur
        Quand il s'agit de ce qu'il aime.

(Liv. VIII, fab. XI.)

Ces vers, où toutes les idées de la fable se reproduisent et se résument
en traits de sentiment, sont calqués, à l'exception des deux derniers
qui complètent si heureusement ce délicieux résumé, sur une maxime
indienne que Pilpay, dans un apologue intitulé aussi les _Deux Amis_, a
formulé en ces termes: «Un ami est une chose bien précieuse. Il cherche
nos besoins au fond de notre cœur. Il nous épargne la honte de les lui
découvrir nous-mêmes.»


Un ami fidèle est la médecine de la vie.

C'est-à-dire qu'il peut dissiper les ennuis, adoucir les amertumes et
soulager la plupart des maux de la vie. Il est pour les maladies de
l'esprit ce qu'un bon médecin est pour celles du corps. Ce proverbe est
littéralement traduit du verset de l'Ecclésiastique: _Amicus fidelis,
medicamentum vitæ_ (VI, 16).

«L'amitié, dit Gœthe, est le fonds social où l'humanité trouve toujours
des trésors nouveaux pour se relever forte et puissante, quel que soit
l'état déplorable où les naufrages et les banqueroutes ont pu la
réduire.»

On lit dans le _Hava-mal_ ou _Discours sublime d'Odin_, poëme gnomique
des Scandinaves: «L'arbre se dessèche quand il n'est revêtu ni d'écorce
ni de feuillage: ainsi est l'homme sans ami. L'homme ne peut vivre
seul.»

Les Arabes disent: «Pourquoi Dieu a-t-il donné une ombre à notre corps?
C'est pour qu'en traversant le désert nos yeux se reposent sur elle, et
soient ainsi préservés de la réverbération des sables brûlants.»


Il faut être fringant à l'ami.

Dicton fort usité au quatorzième et au quinzième siècle parmi les
femmes, pour dire que celle qui attendait la visite de son bon ami
devait se mettre en frais de braverie et d'amabilités afin de le bien
recevoir. _Fringant_, autrefois invariable quant au genre, est le
participe présent du verbe _fringuer_, employé par nos vieux auteurs
dans le sens de se parer, caresser, faire l'amour. Ces deux dernières
acceptions, désusitées en français, se sont conservées dans divers
patois méridionaux.


Un ami pour l'autre veille.

Un ami ne s'endort pas sur les affaires de son ami; il les prend à cœur,
il y veille comme aux siennes propres, et sa vigilance est payée de
retour par celui qui en est l'objet: tous deux sont sous la garde l'un
de l'autre, et ils doivent trouver dans leur sollicitude réciproque les
conseils et les secours dont ils ont besoin pour bien soigner leurs
intérêts moraux et matériels.


Il n'est si bon conseil que d'ami.

Parce que ce conseil a ordinairement toutes les qualités requises, étant
inspiré par une sincère affection, formé en connaissance de cause et
présenté de manière à ne pas blesser l'amour-propre de celui qui le
reçoit.

Les Espagnols disent: «_Consejo de quien bien te quiere aunque te
parezca mal, escribelo._ Conseil de celui qui te veut du bien, quoiqu'il
te paraisse mal, mets-le par écrit (pour ne pas l'oublier).»

Les Allemands ont ce proverbe: «_Freundes Stimme, Gottes Stimme._
Conseil d'ami, conseil de Dieu.»

«_Unguento et variis odoribus delectatur cor, et bonis amici consiliis
anima dulcoratur_ (Salom., _Prov._ XXVII, 9). Le parfum et la variété
des odeurs sont la joie du cœur, et les bons conseils d'un ami sont les
délices de l'âme.»


Si ton ami te frappe, baise sa main.

On comprend que ce proverbe ne doit pas se prendre à la lettre, et que
l'_ami qui frappe_ ne signifie que l'ami qui reprend. Le sens est donc
que, quelque véhémence qu'un ami mette dans ses remontrances, il faut
lui en savoir gré, parce qu'elle est l'effet et la preuve d'un véritable
attachement. Les Allemands disent d'une manière également figurée:
«_Freundes Schlæge, liebe Schlæge._ Coup d'ami, coup chéri.»

Leur proverbe et le nôtre rappellent ces paroles de Salomon: «_Meliora
sunt vulnera diligentis quam fraudulenta oscula odientis_ (_Prov._
XXVII, 6). Les blessures que fait celui qui aime valent mieux que les
baisers trompeurs de celui qui hait.»


Un vieil ami est une seconde conscience.

Parce que cette seconde conscience, de même que la première, ne laisse
passer aucune faute sans avertissement. Le devoir de l'amitié véritable
est de remontrer à celui qu'on aime les défauts qu'il peut avoir afin de
l'exciter à s'en corriger. C'est ce que fait entendre aussi ce proverbe
espagnol: «_No hay mejor espejo que el amigo viejo._ Il n'y a pas de
plus fidèle miroir qu'un vieil ami.» On sent que ce proverbe ne désigne
pas sans raison un _vieil ami_, car il faut être ami de longue main pour
être en droit de faire de telles remontrances. «Le plus grand effort de
l'amitié, dit La Rochefoucauld, n'est pas de montrer nos défauts à un
ami; c'est de lui faire voir les siens.»


On ne peut dire ami celui avec qui on n'a pas mangé quelques minots de
sel.

Aristote et Plutarque se sont servis de ce proverbe, dont le sens est
que l'amitié ne peut se former subitement, et qu'elle a besoin d'être
confirmée par le temps. «Semblable au vin généreux dont les années
augmentent le prix, dit Cicéron, plus elle est vieille, et plus elle est
parfaite, et c'est avec raison qu'on pense qu'il faut manger ensemble
plusieurs boisseaux de sel pour consommer l'amitié.» _Verum illud est,
quod dicitur, multos modios salis simul edendos esse ut amicitiæ munus
expletum sit._ (Cic., _de Amicitia_ XIX.)

L'amitié est aussi comparée au vin dans l'Ecclésiastique: «_Vinum novum
amicus novus: veterascet, et cum jucunditate bibes illud_ (IX, 15). Le
nouvel ami est un vin nouveau: il vieillira, et tu le boiras avec
délices.»


Qui est ami de tous ne l'est de personne.

Il en est de l'amitié comme d'une essence précieuse qui perd sa vertu
quand on la délaye dans une trop grande quantité d'eau. Ce sentiment n'a
de force qu'autant qu'il reste concentré dans un couple d'êtres d'élite.
S'il s'épanche sur beaucoup de gens, il s'amoindrit tellement qu'il n'en
vient presque rien à personne. _Pluralité d'amis, nullité d'amis._

«L'amitié, dit Plutarque, nous serre et nous unit; plusieurs amitiés
nous séparent et nous distraient. La pluralité d'amis convient à ceux
qui veulent user de leurs amis sans se soucier de les servir
réciproquement: ce qui vaut autant à dire qu'elle convient à des gens
qui ne savent ce que c'est qu'amitié. _Ne touche point à plusieurs dans
la main_, disait Pythagore; c'est-à-dire ne fais pas beaucoup d'amis...
Qui a tant d'amis, certes assister à tous il est du tout impossible, et
ne gratifier à nul il n'y aurait point d'apparence; et en gratifiant à
tous en offenser plusieurs, il serait aussi trop fâcheux.» (_De la
pluralité d'amis._)


A nul n'est vrai ami qui de soi-même est ennemi.

«Celui qui est mauvais à soi-même ne doit être bon à personne.»

(MÉNANDRE.)

«_Qui sibi amicus est scito hunc amicum omnibus esse_ (Sén., _Epist._,
VI). Sachez que celui qui est ami de soi-même l'est aussi de tous les
autres.» En effet, l'homme qui sait ce qu'il se doit à lui-même sait
aussi ce qu'il doit à ses semblables, et son attention consciencieuse à
observer ses devoirs personnels est une garantie assurée de la bonne foi
et de l'honnêteté qu'il apportera dans ses relations avec les autres. Un
philosophe chinois, Ma-Koang, a très-bien dit: «Avant de chercher à se
faire des amis, il faut commencer à devenir le sien.»


Un ami n'est pas sitôt fait que perdu.

Parce que, pour faire un ami, il faut une longue pratique, un commerce
assidu, de l'attachement, des services, des prévenances, qualités qu'on
ne rencontre guère; tandis que, pour le perdre, il suffit de quelques
négligences, de quelques susceptibilités, de quelques saillies de
mauvaise humeur, défauts d'autant plus fréquents que les qualités
susdites sont plus rares. C'est pour cela aussi que les amitiés se
forment si difficilement, et qu'elles ne sont, à proprement parler, que
des essais sans résultat. Elles ont le sort de ces insectes qui mettent
trois ans à se former pour ne vivre que peu de minutes.


Un ami en amène un autre.

Une personne invitée dans une maison y amène quelquefois une autre
personne qu'on n'attendait pas, et la présentation se fait avec des
excuses auxquelles on répond: _Un ami en amène un autre._ Les Anglais
disent: «_My friend's friend is welcome._ L'ami de mon ami est le
bienvenu.» Les Italiens ont ce proverbe dérivé d'un usage
ecclésiastique: «_Ogni prete può menar un chierico_. Tout prêtre peut
amener un clerc.»

Chez les Romains le convive amené à un festin par un invité s'appelait
_ombre_, sans doute parce qu'il suivait son introducteur comme l'ombre
suit le corps, et leur proverbe correspondant au nôtre était: «_Locus
est et pluribus umbris._ (HOR., lib. I, epist. V.) Il y a place pour
plusieurs ombres.»


Ami jusqu'aux autels.

_Usque ad aras amicus._ Proverbe que les Latins avaient emprunté aux
Grecs pour signifier qu'on est disposé à tout faire pour ses amis,
excepté ce qui est contraire à la religion et à la conscience. Ce
proverbe, rapporté par Plutarque et par Aulu-Gelle, est une réponse de
Périclès à un de ses amis qui l'engageait à prêter un faux serment en sa
faveur. Il est fondé sur l'antique usage de jurer la main posée sur un
autel.

François Ier en fit une noble application lorsque, en 1534, il écrivit
au roi d'Angleterre Henri VIII, qui lui conseillait de se séparer de
l'Église romaine comme il venait de le faire: _Je suis votre ami, mais
jusqu'aux autels_.


Qui n'est pas grand ennemi n'est pas grand ami.

C'est-à-dire: celui qui n'est pas capable de bien haïr n'est pas capable
de bien aimer; celui qui ne peut mettre beaucoup d'ardeur à se venger de
ses ennemis ne peut non plus en mettre beaucoup à servir ses amis.
L'auteur des _Loisirs d'un ministre d'État_ (le marquis de Paulmy)
désapprouve très-fort ce proverbe, qui mesure les degrés de l'amitié sur
les degrés de la haine: «Distinguons, dit-il, entre les excès dans
lesquels les passions peuvent nous entraîner, et les suites d'une
liaison sage et réfléchie. L'amitié ne doit être que de ce dernier
genre. Si elle devenait une passion, elle cesserait d'être aussi
estimable et aussi respectable qu'elle l'est; elle aurait tous les
dangers de l'amour, qui fait autant de fautes que la haine et la
vengeance. Dieu nous garde de trop aimer, aussi bien que de trop haïr!
cependant il faut bien aimer jusqu'à un certain point. Le cœur de
l'homme a besoin de ce sentiment, et ce sentiment fait du bien à notre
esprit, quand il ne l'aveugle point; mais la haine et le désir de la
vengeance ne peuvent jamais que nous tourmenter; on est heureux de ne
point haïr; mais, en aimant d'une manière sensée, ne peut-on pas servir
ardemment ses amis, mettre de la vivacité, de la suite, même de la
ténacité dans les affaires qui les intéressent? Eh! faut-il donc être
cruel pour les uns parce que l'on est tendre pour les autres,
persécuteur pour être serviable? Non. Pour moi, je déclare que je suis
un faible ennemi, non-seulement en force, mais en intention, quoique je
sois ami très-zélé et très-essentiel.»

Les observations qu'on vient de lire montrent fort bien que le proverbe
n'est pas bon à pratiquer et ne s'accorde pas avec la morale, qui
prescrit de ne haïr personne; mais elles ne prouvent pas précisément
qu'il soit contraire à la vérité, chose essentielle qu'elles n'auraient
pas dû omettre. Nous avons donc à donner cette preuve; et pour cela, il
ne sera pas besoin d'une longue dissertation; il suffira de citer cette
judicieuse pensée de Sénac de Meilhan: «On dit que _ceux qui savent bien
haïr savent bien aimer_, comme si ces deux sentiments avaient le même
principe. L'affection part du cœur, et la haine de l'amour-propre ou de
l'intérêt blessé.»

La conséquence rigoureuse que tout esprit logique doit tirer de là,
c'est, contrairement au proverbe, que la haine qu'on a contre une
personne ne produit pas nécessairement l'affection pour une autre.


A l'ami soigne le figuier, à l'ennemi soigne le pêcher.

Ce proverbe, rapporté sans aucune explication dans le recueil de Gomes
de Trier, conseille allégoriquement de mettre en pratique la fausse
doctrine énoncée dans le précédent, c'est-à-dire de bien haïr ses
ennemis afin de bien aimer ses amis. Le figuier y est considéré comme un
emblème d'amitié, à cause de ses feuilles, qui couvrirent la nudité de
nos premiers parents, et surtout à cause de son fruit employé, chez les
peuples anciens, comme expression typique des vœux qu'ils formaient pour
la prospérité des personnes chéries, et consacré, pour cette raison, aux
étrennes du jour de l'an, dans le moyen âge, ainsi que dans l'antiquité.
Le pêcher, au contraire, y figure comme un emblème de haine, par suite
d'une vieille tradition d'après laquelle les rois de Perse auraient fait
transplanter cet arbre, originaire de leur pays, sur les terres des
Égyptiens leurs ennemis, parce que les pêches, en Perse, avaient des
propriétés malfaisantes qui les faisaient classer parmi les poisons.
Pline le Naturaliste a parlé de cette tradition, qu'il jugeait erronée,
dans le passage suivant de son _Histoire naturelle_: «Il n'est pas vrai
que la pomme persique soit un poison douloureux dans la Perse, ni que
les rois de ce pays l'aient introduite, par vengeance, en Égypte, où la
terre l'aurait bonifiée. Les auteurs exacts ont dit cela du perséa, qui
diffère tout à fait du pêcher.» (Liv. XV, ch. XIII.)

Les Italiens ont le même proverbe qui doit se trouver dans le _Jardin de
récréation_, etc., par Jean Florio (_Giardino di ricreazione_, etc., _di
Giovanni Florio_), dont le recueil de Gomes de Trier est une traduction.

Il y a en outre, chez les Piémontais, un autre proverbe analogue, que M.
le docteur Silva a bien voulu me communiquer. Le voici, avec la juste
explication qu'il y a jointe: «Dans le Piémont, on croit généralement
que l'enveloppe de la figue est un poison, et que la pêche, fruit
malsain, porte son contre-poison dans la pellicule. De là le proverbe:
«_All'amico si pela il fico, al nemico il persico_. A l'ami on pèle la
figue, et à l'ennemi la pêche.» Aussi à la personne qu'on estime, et
même dans les grands repas, la maîtresse de maison offre-t-elle parfois
une figue dépouillée de son enveloppe.»

M. Silva pense que le proverbe français est fondé sur le même préjugé
que celui des Piémontais, qu'il suppose antérieur, et j'avoue que, si
cela était, j'en serais pour les frais d'érudition que j'ai faits dans
mon commentaire. Mais je crois que c'est une conjecture que je puis me
dispenser d'admettre, et que M. Silva n'aurait peut-être pas admise s'il
avait connu le texte italien qui doit être cité par Florio. Ce texte,
tel qu'il m'a été donné par le savant abbé Ciampi, porte _pianta_ et non
_pela_. Je dois conclure de cette différence notable que les deux
proverbes, n'étant pas les mêmes par l'expression, ne le sont pas non
plus par le sens. Je maintiens donc comme vraie l'origine que j'ai
assignée à l'un, tout en adoptant l'explication que M. Silva a faite de
l'autre.


Ce qui tombe en poche d'ami n'est pas perdu pour nous.

Cela se dit lorsqu'un bien qu'on espérait voir venir à soi arrive à
quelque ami. Je ne sais si c'est pour exprimer une consolation sincère
ou pour déguiser un regret égoïste que ce bien ait changé de direction.
On peut admettre tantôt l'une et tantôt l'autre interprétation de ce
proverbe, selon le caractère des gens qui l'emploient ou de ceux
auxquels on l'applique.--S'il faut en croire La Rochefoucauld, «le
premier mouvement de joie que nous avons eu du bonheur de nos amis ne
vient ni de la bonté de notre naturel, ni de l'amitié que nous avons
pour eux: c'est l'effet de l'amour-propre qui nous flatte d'être heureux
à notre tour, ou de retirer quelque utilité de leur bonne fortune.»

Il est bien sûr que l'amour-propre, c'est-à-dire l'amour de soi, comme
l'entend La Rochefoucauld, est le principal mobile des sentiments et des
actions de l'homme. Mais ici l'amour-propre n'agit pas seul. Il y a
aussi l'influence de l'inclination que nous avons pour ceux avec qui
nous vivons et pour tous les objets qui nous environnent, inclination
toujours jointe avec les passions, comme l'a remarqué Malebranche, et je
crois que les réflexions suivantes de ce philosophe offrent une
explication plus exacte, surtout plus morale, du proverbe. «Afin que
l'amour naturel que nous avons pour nous-mêmes n'anéantisse pas et
n'affaiblisse pas trop celui que nous avons pour les choses qui sont
hors de nous, et qu'au contraire ces deux amours que Dieu met en nous
s'entretiennent et se fortifient l'un l'autre, il nous a liés de telle
manière avec tout ce qui nous environne, et principalement avec les
êtres de même espèce que nous, que leurs maux nous affligent
naturellement, que leur joie nous réjouit, et que leur grandeur, leur
abaissement, leur diminution, semblent augmenter ou diminuer notre être
propre. Les nouvelles dignités de nos parents et de nos amis, les
nouvelles acquisitions de ceux qui ont le plus de rapport à nous,
semblent ajouter quelque chose à notre substance. Tenant à toutes ces
choses, nous nous réjouissons de leur grandeur et de leur étendue.»
(_Recherche de la vérité_, liv. IV, ch. XIII.)


Il vaut mieux perdre un bon mot qu'un ami.

C'est une leçon adressée aux malins railleurs qui, à l'exemple du poëte
dont parle Horace, se livrent à leur gaieté caustique sans épargner
personne, pas même leur ami.

            ... _Dummodo risum
    Excutiat sibi, non hic cuiquam parcet amico._

(I, Sat. IV.)

Quintilien a dit dans ses _Institutions oratoires_, liv. VI, ch. III:
«_Lædere nunquam velimus, longeque absit propositum illud: potius amicum
quam dictum perdidit._ Tâchons de ne jamais blesser, et repoussons loin
de notre esprit tout ce qui tendrait à nous faire appliquer ce dicton:
_Il a mieux aimé perdre un ami qu'un bon mot._»

Un proverbe espagnol, par une métaphore très-remarquable, assimile à
l'oiseau de proie l'homme qui fait de son ami la victime de ses cruelles
railleries: «_Reniego del amigo que cubre con las alas y muerde con el
pico._ Fi de l'ami qui couvre des ailes et déchire du bec!»

Salomon a dit: _Homines derisores civitatem perdunt_. (_Prov._, XXIX,
8.) Les hommes railleurs[9] perdent la cité,» et Bacon, dans les
réflexions qu'il a faites sur cette maxime, a très-bien signalé ce genre
d'esprit dérisoire et moqueur.

  [9] La Vulgate ne porte point le mot _derisores_ «railleurs», que
    Bacon a trouvé sans doute dans quelque autre traduction ou dans le
    texte hébreu; elle dit _pestilentes_ «corrompus». Après tout, les
    deux mots, quelle que soit leur différence usuelle, peuvent
    s'accorder dans un certain sens, car les hommes dont la malignité ne
    respecte rien ont un principe de corruption dans le cœur.


Ami de Platon, mais plus ami de la vérité.

_Amicus Plato, sed magis amica veritas._ C'est un mot d'Aristote en
réponse à des critiques qui lui reprochaient d'attaquer quelques
opinions de son maître Platon. Il s'applique à un homme éclairé qui ne
soumet pas aveuglément son jugement à celui des personnes mêmes les plus
recommandables, dont ordinairement il suit volontiers l'avis.


Il n'est meilleur ami ni parent que soi-même.

C'est un vers de La Fontaine fait avec un ancien proverbe qu'il a
remplacé. Il figure dans la dernière fable du livre IV, l'_Alouette et
ses Petits_, où il signifie que, pour se tirer d'affaire, il faut
recourir à ses propres moyens, et ne pas compter sur l'aide des amis et
des parents.

            Notre erreur est extrême,
    Dit-il, de nous attendre à d'autres gens que nous:
    Il n'est meilleur ami ni parent que soi-même.

Le proverbe s'emploie aussi pour dire qu'on préfère ses intérêts
personnels à ceux d'un ami et d'un parent.


A l'ami qui demande on ne dit pas: Demain.

Ce proverbe est pris de celui-ci de Salomon: «_Ne dicas amico tuo: Vade
et revertere: cras dabo tibi: cum statim possis dare_ (Prov., III, 28).
Ne dites pas à votre ami: Allez et revenez, je vous le donnerai demain,
lorsque vous pouvez le lui donner à l'heure même.»

Phocylide a dit aussi: «Donne à l'instant au malheureux; ne lui dis pas
de _revenir demain_.»

On connaît la maxime de Zoroastre: «Si, pouvant soulager aujourd'hui le
malheureux, on _remet à demain_, qu'on fasse pénitence.»

Différer d'assister un ami quand on le peut est une violation odieuse
des devoirs de l'amitié; car, ainsi que l'a dit l'académicien Auger:
«L'amitié véritable est un pacte en vertu duquel on doit tenir sans
cesse sa fortune, sa vie même, à la libre disposition de celui à qui
l'on s'est uni.»


Il faut se défier d'un ami réconcilié.

Les Espagnols disent: «_Amigo reconciliado, enemigo doblado_. Ami
réconcilié, ennemi doublé.» Il n'y a guère de réconciliation tout à fait
sincère: la défiance ou la trahison s'y mêlent presque toujours.
Asmodée, dans le _Diable boiteux_, parlant de sa dispute avec
Paillardoc, dit avec autant de vérité que de finesse: «On nous
réconcilia, nous nous embrassâmes, et, depuis ce temps, nous sommes
ennemis mortels.»

On conseillait à un tyran, Tibère, si je ne me trompe, de faire mourir
un de ses anciens amis, qu'il faisait languir en prison: «Pas encore,
répondit-il; je ne me suis pas réconcilié avec lui.» Mot affreux, où
respire tout le génie de la haine.


Ami au prêter, ennemi au rendre.

Proverbe qui paraît pris de ce passage du _Trinummus_ de Plaute: «Si
vous redemandez l'argent que vous avez prêté, vous trouvez souvent que
d'un ami votre bonté vous a fait un ennemi.»

    _Quum repetas, inimicum amicum beneficio invenis tuo._

(Acte IV, sc. III.)

Le recueil de Gabriel Meurier rapporte cette variante énergique: _au
prêter Dieu, au rendre diable_.

Les Espagnols ont ce proverbe: «_Quien presta no cobra; y si cobra, no
todo; y si todo, no tal; y si tal, enemigo mortal._ Qui prête ne
recouvre, s'il recouvre, non tout; si tout, non tel; si tel, ennemi
mortel.» Ce qui est pris de cette maxime employée chez nous au moyen
âge: _Si præstabis, non habebis; si habebis, non tam bene; si tam bene,
non tam cito; si tam cito, perdis amicum._

Les Anglais disent: «_He that lends to his friend loses double._ Qui
prête à son ami perd au double;» c'est-à-dire l'argent et l'ami. Ils
disent encore: «_The way to lose a friend is to lend him money._ Le
moyen de perdre un ami, c'est de lui prêter de l'argent.»

_Si tu ne prêtes pas, inimitié; si tu prêtes, procès éternel._ (Prov.
russe.)

La pensée qui constitue ces proverbes est commune à tous les peuples;
car en tout pays on trouve généralement dans la main qui a reçu la main
qui refuse de rendre.

        En fait de prêt, le sort me traite
        Avec grande inhumanité:
    Je perds l'affection de ceux à qui je prête,
    Si je ne perds l'argent que je leur ai prêté.

(DE CAILLY).


Sage ami et sotte amie.

Bonaventure Despériers a employé ce proverbe dans sa dixième Nouvelle.
Il n'a pas dit pourquoi il faut avoir un sage ami, parce qu'il a pensé
sans doute que personne ne pouvait l'ignorer; mais il a voulu faire
sentir l'avantage d'avoir une sotte amie par cette réflexion: «D'une
amie trop fine vous n'en avez pas le compte: elle vous joue toujours
quelque tour de son métier; _elle vous tire_ à tous les coups _quelque
argent de dessous l'aile_[10]; ou elle veut être trop brave, ou elle
vous fait porter les...» Je supprime le dernier mot, parce qu'il n'a pas
besoin d'être mis sous les yeux des lecteurs pour se présenter à leur
esprit. Peut-être eussé-je aussi bien fait de supprimer aussi
l'explication entière comme peu conforme à la vérité, ou du moins
très-douteuse. Depuis que notre grand comique a si bien montré sur la
scène le faux calcul d'Arnolphe, qui voulait _épouser une sotte pour
n'être point sot_, les Agnès n'inspirent plus de confiance, et leur
niaiserie est généralement regardée comme une dissimulation de la
finesse, de la ruse et de la malice dont le diable a pétri leur
caractère. D'où l'on conclut que l'homme qui se marie, n'ayant pas moins
à redouter les tromperies d'une femme sotte que d'une femme spirituelle,
fait beaucoup mieux de choisir celle-ci, chez laquelle il doit trouver,
dans ses infortunes conjugales, des compensations que l'autre ne saurait
lui offrir.

  [10] Cette expression, aujourd'hui désusitée, qu'on trouve dans le
    Dictionnaire de Philibert Monet, fait allusion à la coutume ancienne
    et encore existante au seizième siècle, de porter la bourse sous
    l'aisselle gauche, où elle était pendue à une courroie en forme de
    baudrier et d'où on la retirait, au besoin, par une fente pratiquée
    dans la manche du sayon ou pourpoint. Les Latins employaient comme
    nous le mot _ala_ (aile), pour _axilla_ (aisselle).


Jamais honteux n'eut belle amie.

En amour, il faut être entreprenant: _Amor odit inertes_, dit Ovide, au
second livre de l'_Art d'aimer_. Les honteux ne gagnent rien auprès des
femmes, généralement moins bien disposées pour eux que pour les hardis,
qui leur épargnent l'embarras du refus. Ce sexe aimable est comme le
paradis, qui souffre violence et que les violents emportent. _Regnum
cœlorum vim patitur, et violenti rapiunt illud._ (Matth., XI, 12.)

Le comte de Bussy-Rabutin dit dans ses _Mémoires_: «La hardiesse en
amour avance les affaires. Je sais bien qu'il faut aimer avec respect
pour être aimé, mais assurément pour être récompensé il faut
entreprendre, et l'on voit plus d'effrontés réussir sans amour que de
respectueux avec la plus grande passion du monde.» (T. I, p. 93.)

On disait autrefois: _Jamais couard n'eut belle amie_, et ce proverbe,
où le mot _couard_ signifie lâche, poltron, encore plus que honteux,
peut avoir tiré son origine de la chevalerie, parce que, à l'époque où
cette institution était dans tout son lustre, le courage et la victoire
étaient de sûrs moyens pour obtenir l'amour des dames.


Il vaut mieux donner à un ennemi que d'emprunter à un ami.

Parce qu'en donnant à un ennemi on peut adoucir et désarmer sa haine,
tandis qu'en empruntant à un ami, on court risque de l'indisposer et de
le porter à une rupture. Les exemples de ce dernier cas ne sont pas
rares. Mlle de Scudéri, dans ses _Conversations_, en cite un fort
singulier, que voici: «Un ami, qui s'était battu plusieurs fois en duel
pour son ami, ne voulut pas lui prêter quelque argent qu'il lui
demandait à emprunter; et lui, qui n'avait pas refusé, dans l'occasion,
de répandre son sang pour son ami, lui refusa un médiocre secours dont
il se trouvait avoir besoin. Y a-t-il une plus grande bizarrerie que
celle de préférer son argent à sa propre vie?»

Pittacus disait: «La chose qu'on doit faire le plus tard qu'on peut,
c'est d'emprunter de l'argent à ses amis.» Ce qui prouve que dans
l'antiquité, comme en notre temps, l'amitié finissait où commençait
l'emprunt.

Nous avons encore cet autre proverbe: _On perd plus d'amis par ses
demandes que par son refus._


Qui veut garder son ami n'ait aucune affaire avec lui.

Les affaires d'intérêt amènent presque toujours des discussions qui
finissent par diviser les amis. Quelqu'un a dit: «L'intérêt qui se mêle
aux amitiés est comme le vif-argent confondu parmi l'or; le départ fait,
elles disparaissent et s'en vont en fumée.»

Les Turcs ont ce proverbe semblable au nôtre: _Bois et mange avec ton
ami, mais n'aie jamais d'affaire avec lui._


N'accorde point ta confiance à un ami dissimulé.

La dissimulation est incompatible avec l'amitié, qui a besoin de
franchise, de loyauté, d'expansion; et l'on peut regarder avec raison
celui qui est atteint de ce défaut, ou plutôt de ce vice, comme un
traître contre lequel il faut continuellement se tenir en garde. Un
adage oriental dit: _Fuis pour un temps l'homme colère, et pour toujours
l'homme dissimulé._


Vieux amis et comptes nouveaux.

Pour dire que c'est un moyen de conserver ses amis que d'avoir ses
comptes d'intérêt toujours bien réglés avec eux.

La vérité de cette proposition sera développée dans le commentaire que
je consacrerai au proverbe suivant.


Les bons comptes font les bons amis.

Proverbe dont on fait ordinairement l'application pour s'excuser
d'examiner un compte ou un mémoire présenté par un ami. Ce proverbe a
une portée plus étendue: il enseigne aux amis par le résultat qu'il
exprime combien il leur importe de bien régler les affaires d'intérêt
qu'ils peuvent avoir ensemble. Ce qui exige d'eux, non-seulement la foi
et la justice, sans lesquelles l'amitié ne saurait subsister, mais
l'exactitude la plus rigoureuse pour le payement des moindres déboursés
occasionnés par les services qu'ils sont dans le cas de se rendre
réciproquement. C'est à tort qu'ils dédaignent quelquefois une pareille
allocation, car la moindre négligence à cet égard peut inquiéter la
discrétion et gêner insensiblement la confiance.

Les Espagnols disent: «_Cuento y razon sustentan amistad._ Compte et
calcul entretiennent l'amitié.»

Les Italiens: «_Conti chiari, amici cari._ Comptes clairs, amis chers.»

Les Anglais: «_Even reckoning makes long friends._ Un compte exact fait
de longs, ou durables amis.»


Il ne faut pas compter avec ses amis.

Ce proverbe, qui signifie qu'il faut se montrer plutôt généreux
qu'intéressé avec ses amis, paraît en contradiction avec les deux
précédents, mais il ne l'est pas en réalité, car il ne conseille pas la
même espèce de générosité dont les autres commandent de s'abstenir. Il
parle de celle qu'on doit mettre dans les procédés de sentiment où elle
est indispensable, et non de celle qu'il faut éviter dans les affaires
d'intérêt, parce qu'elle peut avoir des conséquences fâcheuses. Les
préceptes sont différents, mais ils n'ont rien de contradictoire. Loin
de s'exclure, ils se concilient fort bien, et concourent à un but
unique, qui est la conservation de l'amitié.

Les Turcs disent: _l'Amitié compte par tonneaux, et le commerce par
grains._

L'idée de notre proverbe se trouve dans le passage suivant du _Traité de
l'amitié_ par Cicéron: «Borner l'amitié à un rapport mesuré de
sentiments et de services, c'est la dépouiller de sa dignité, c'est
l'avilir... Exiger une juste proportion entre ce qu'on donne et ce qu'on
reçoit, c'est faire d'elle une affaire de calcul. La véritable amitié
est plus magnifique, plus généreuse, et n'établit point de comptes
rigoureux. Car il ne faut pas craindre de perdre quelque chose ou d'en
faire trop pour un ami.» (XVI, 57.)


Entre amis tout doit être commun.

Ce proverbe est fort ancien. Épicure blâmait Pythagore de l'avoir
appliqué littéralement, en obligeant ses disciples à mettre en commun
tout ce qu'ils possédaient: «Si j'ai un véritable ami, disait-il, ne
suis-je pas aussi maître de ses biens que s'il m'en eût fait le
dépositaire? Y a-t-il moins de mérite à donner son cœur que ses
richesses? Je ne dois pas abuser sans doute de la tendresse de cet ami;
ce qu'il possède, je dois le ménager comme ma propre fortune: mais je
lui fais un outrage si j'exige qu'il la confie à un tiers pour nos
besoins communs.»

Sénèque, dans son _Traité des bienfaits_, liv. VII, ch. XII, définit
ainsi la communauté entre amis: «La communauté entre amis n'est pas
comme entre des associés qui ont leur part distincte; mais comme entre
un père et une mère qui, ayant deux enfants, n'ont pas chacun le leur,
mais en ont deux chacun.


Qui vit sans amis ne sera pas longtemps sage.

N'ayant personne qui lui porte assez d'intérêt pour l'avertir de ses
défauts, pour chercher à l'en corriger, il doit nécessairement les
garder et les aggraver de telle sorte qu'en peu de temps ils
dégénéreront en vices incompatibles avec la sagesse, à laquelle il
serait resté de plus en plus attaché s'il avait eu le bonheur de vivre
sous la surveillance salutaire d'un ami.

    D'un ami! Ce nom seul me charme et me rassure;
    C'est avec mon ami que ma raison s'épure;
    Que je cherche la paix, des conseils, un appui;
    Je me soutiens, m'éclaire et me calme avec lui.
    Dans des piéges trompeurs si ma vertu sommeille,
    J'embrasse, en le suivant, sa vertu qui m'éveille.

(Ducis, _Épître à l'amitié._)


Qui choisit mal ses amis ne sera pas longtemps sage.

Il ne le sera pas même si longtemps que celui qui vit sans amis, parce
qu'il sera poussé à l'inconduite par ceux qu'il a mal choisis. Cette
maxime proverbiale est prise de Confucius.


Le pire de tous les pays est celui où l'on n'a pas d'amis.

Dans ce pays-là on ne peut compter sur personne; on est exposé à toutes
sortes d'ennuis, de désagréments et de misères; on est réduit à vivre
triste et solitaire, dans la privation de toute sympathie, de tout
secours, de toute joie, de toute consolation. Quel sort affreux! Comment
supporter tant de douleurs dont le poids devient, chaque jour, plus
accablant! il faudrait pour cela une grâce spéciale de Dieu. Mais est-il
permis d'espérer, quand on met ainsi contre soi tout le monde, qu'on
pourra mettre Dieu pour soi? Et cette existence maudite, à laquelle on
est condamné, n'est-elle pas une punition infligée par la justice
divine? Gardons-nous d'en douter; c'est parce qu'on a été dur, inhumain
envers ses semblables, qu'on trouve ses semblables sans commisération et
sans humanité; c'est parce qu'on a été insociable qu'on est privé des
douceurs de la société. «_Per quæ peccat quis per hæc et torquetur_, dit
la _Sagesse_ (XI, 17). On est puni par où l'on a péché.»


Qui te conseille d'ôter la confiance à tes amis veut te tromper sans
témoins.

Ce proverbe, fondé sur une vérité d'expérience, signale d'une manière
nette et frappante le danger où l'on s'expose quand on a la faiblesse de
se laisser influencer par des rapports suspects contre les personnes
avec lesquelles on est intimement lié. L'auteur de ces rapports n'est
presque toujours qu'un fourbe qui cherche, en brouillant deux amis, à
supplanter l'un, afin de pouvoir, en toute liberté, faire sa dupe de
l'autre. S'il parvient au gré de ses vues intéressées à capter et à
posséder sans partage la confiance de l'imprudent qui l'écoute, il
achèvera d'aveugler sa raison à force de flatteries perfides, le
conduira de piége en piége par ses menées cauteleuses, et l'abandonnera
en se moquant de lui dès qu'il aura consommé sa ruine.

Que les amis soient donc continuellement en garde contre les délations
qui tendent à semer entre eux de la défiance et à provoquer une rupture
toujours douloureuse et nuisible à leurs vrais intérêts; qu'ils tiennent
leurs cœurs dans une si étroite union que le délateur ne puisse y
trouver le joint pour les séparer.


Il faut aimer ses amis avec leurs défauts.

Il faut être indulgent pour les défauts de ses amis, car l'indulgence
augmente l'amitié et la sévérité la diminue. Il ne s'agit ici que de ces
petits défauts qui ne tirent point à conséquence. La complaisance pour
les vices des amis serait contraire à la morale et à l'amitié.

    Pour les cœurs corrompus l'amitié n'est point faite.

(VOLTAIRE.)

Un adage latin recommande de connaître les défauts d'un ami, et de ne
pas les haïr: _Mores amici noveris, non oderis._ Et Horace met parmi les
vertus nécessaires l'indulgence pour les amis: _Ignoscere amicis._

Les Orientaux disent, pour signifier qu'on ne doit pas soumettre les
défauts de ses amis à une censure rigoureuse: _Il ne faut pas rincer
avec du vinaigre la coupe de l'amitié._

«L'on ne peut aller loin dans l'amitié si l'on n'est pas disposé à se
pardonner les uns aux autres les petits défauts.» (La Bruyère, ch. V.)

Quelqu'un a dit: «Quand nos amis sont borgnes, il faut les regarder de
profil.» C'est une fleur d'esprit et de sentiment greffée sur notre
adage.


Bien servir fait amis, et vrai dire ennemis.

On se concilie l'affection des hommes par les bons offices qu'on leur
rend, et on se l'aliène par les vérités qu'on leur dit. Térence a
remarqué, dans son _Andrienne_, que la franchise produit la haine et que
la complaisance produit l'amitié.

    _Veritas odium, obsequium amicos parit._

(Act. I, sc. I.)

Ce qui est pris de cette pensée d'Isocrate: «S'il est quelqu'un dont
vous vouliez faire un ami, dites-en du bien à des gens qui le lui
rapporteront: _Le principe de l'amitié est la louange, celui de la haine
est le blâme._»


On ne peut vivre sans amis.

Proverbe ancien rapporté dans cette phrase de Cicéron: «_Omnes ad unum
idem sentiunt, sine amicitia vitam esse nullam._ (_De Amicitia_, XXIII.)
Tous les hommes sont du même sentiment que sans l'amitié la vie n'est
rien.»

«Nous avons presque tous cela de commun, que non-seulement la douleur
qui, étant faible et impuissante, demande naturellement du soutien, mais
la joie qui, abondante en ses propres biens, semble se contenter
d'elle-même, cherche le sein d'un ami pour s'y répandre, sans quoi elle
est impuissante et assez souvent insipide; tant il est vrai que rien
n'est plaisant à l'homme s'il ne le goûte avec quelque autre homme dont
la société lui plaise.» (BOSSUET, _Sermon pour le mardi de la troisième
semaine de carême_.) Les Grecs disaient: _L'amitié est plus nécessaire
que le feu et l'eau_, deux choses sans lesquelles il serait impossible
de vivre. C'est pour cela que chez les Romains on avait donné aux amis
le nom de _necessarii_, nécessaires, et à l'amitié celui de
_necessitudo_, nécessité. Expressions empreintes du sentiment profond et
délicat qui les avait inspirées.

L'amitié est regardée comme une des joies du paradis; il serait
imparfait sans elle. On lit dans un des cantiques spirituels de Jacopone
de Tadi: «Les élus s'aiment d'une tendresse si délicate que chacun tient
l'autre pour son maître.»

Buffon disait: «L'amitié est de tous les attachements le plus digne de
l'homme. C'est l'âme de son ami qu'on aime, et pour aimer son ami il
faut en avoir une.»


Il faut louer tout bas ses amis.

Mme Geoffrin établissait comme autant de règles ces trois choses: 1º
qu'il faut rarement louer ses amis dans le monde; 2º qu'il ne faut les
louer que généralement et jamais par tel ou tel fait, en citant telle ou
telle action, parce qu'on ne manque jamais de jeter quelque doute sur le
fait ou de chercher à l'action quelque motif qui en diminue le mérite;
3º qu'il ne faut pas même les défendre, lorsqu'ils sont attaqués trop
vivement, si ce n'est en termes généraux et en peu de paroles, parce que
tout ce qu'on dit en pareil cas ne sert qu'à animer les détracteurs et à
leur faire outrer la censure.

Fontenelle avait dit avant Mme Geoffrin: «Empêchez que vos amis ne vous
louent avec excès, car le public traite à toute rigueur ceux que leurs
partisans servent trop bien.»

Ces conseils sont le développement de notre proverbe, qui est pris du
passage suivant de Salomon: «_Qui laudat amicum voce alta erit illi loco
maledictionis._ (_Proverbes_, XXVII, 14.) Qui loue son ami à haute voix
attirera sur lui la malédiction.»


Il faut dire la vérité à ses amis.

Il ne faut pas craindre de déplaire à ses amis en leur disant la vérité,
quand elle doit leur être utile; mais il ne faut jamais oublier que, si
l'amitié donne le droit de les contredire, elle impose le devoir de ne
pas les offenser par la contradiction.

«Nos amis sont en notre garde, dit Bossuet. Il n'y a rien de plus cruel
que la complaisance que nous avons pour leurs vices, et nous taire, en
ces circonstances, c'est les trahir. Ce n'est pas là le trait d'un ami.
C'est l'action d'un barbare que de les laisser tomber dans un précipice
faute de lumière, tandis que nous avons en main un flambeau que nous
pourrions leur mettre devant les yeux. Il faut même de la fermeté et de
la vigueur dans ces avis charitables. Usez de la liberté que le nom
d'amitié vous donne, ne cédez pas, soutenez vos justes sentiments.
Parlez à votre ami en ami, jetez-lui quelquefois au front des vérités
toutes sèches qui le fassent rentrer en lui-même; ne craignez pas de lui
faire honte, afin qu'il se sente pressé de se corriger et que, confondu
par vos reproches, il se rende enfin digne de louanges.

«Mais, avec cette fermeté et avec cette vigueur, gardez-vous de sortir
des bornes de la discrétion; je hais ceux qui se glorifient des avis
qu'ils donnent, qui veulent s'en faire honneur plutôt que d'en tirer de
l'utilité, et triompher de leur ami plutôt que de le servir. Pourquoi le
reprenez-vous ou pourquoi vous en vantez-vous devant tout le monde?
C'était une charitable correction et non une insulte outrageuse que vous
aviez à lui faire. Parlez en secret, parlez à l'oreille; n'épargnez pas
le vice, mais épargnez la pudeur, et que votre discrétion fasse sentir
au coupable que c'est un ami qui parle.» (_Sermon pour le mardi de la
troisième semaine du carême._)

Voici un beau proverbe arabe qui correspond au nôtre: _La sincérité est
le sacrement de l'amitié._


Vieux amis vieux écus.

Dicton né au commencement du quatorzième siècle, sous le règne de
Philippe le Bel, surnommé le _faux monnayeur_, parce qu'il avait fait
subir aux monnaies une altération telle, que la valeur intrinsèque de
chaque écu n'était plus que le tiers de celle qu'il avait eue sous les
règnes précédents. Cette altération et l'ordonnance par laquelle il
enjoignait aux particuliers de porter à l'atelier monétaire le tiers de
leur vaisselle, dont ils recevraient le prix en espèces nouvelles, sous
peine de confiscation, irritèrent si fortement les esprits, qu'une
révolte générale aurait éclaté si le clergé n'eût pris le soin de la
conjurer, en offrant au roi les deux tiers de ses revenus, afin que les
monnaies fussent remises au même titre que du temps de saint Louis.
Cependant, malgré la promesse royale achetée par la générosité de
l'Église de France, le dicton ne cessa pas d'être entièrement vrai
pendant un assez grand nombre d'années; mais il ne l'est plus que dans
sa première partie, depuis que les gouvernements ont compris l'extrême
importance de laisser au numéraire la valeur réelle qu'il doit avoir...
Les vieux écus aujourd'hui ne sont pas meilleurs que les neufs. Quant
aux vieux amis, ils n'ont pas seulement gardé tout leur prix, ils l'ont
augmenté en raison de leur excessive rareté.


On ne saurait avoir trop d'amis.

Les Arabes disent: _Mille amis, c'est peu; un ennemi, c'est beaucoup._
Mais les amis dont il est question dans leur proverbe, comme dans le
nôtre, ne sont pas ces êtres d'élite entre lesquels une grande
conformité d'inclinations et de mœurs, une intime correspondance de
pensées et de sentiments, ont établi la plus parfaite des unions: il
s'agit de ceux dont l'amitié moins pure et moins rare n'est pourtant pas
à dédaigner, à cause des bons offices qu'elle peut rendre aux personnes
qui savent se la concilier. Je crois qu'il faut penser sur ce sujet
comme la Bruyère. «C'est assez pour soi d'un fidèle ami, dit-il, c'est
même beaucoup de l'avoir rencontré: on ne peut en avoir trop pour le
service des autres.» (Ch. IV, _du Cœur_.)


Les amis de nos amis sont nos amis.

C'est-à-dire qu'ils ne doivent pas nous être indifférents, et qu'ils ont
des droits à nos égards. Pline le Jeune leur accordait davantage,
lorsqu'il écrivait: «_Amicus tuus, immo noster, quid enim non commune
nobis?_ (_Epist._ VIII, 12.) Votre ami, ou plutôt le nôtre, car que
peut-il y avoir qui ne nous soit commun?»

Mme de Sévigné appelait ingénieusement les _amis de ses amis_ «des amis
par réverbération».

«_Si les amis de nos amis sont nos amis_, demande Beaumarchais, les
ennemis de nos ennemis ne sont-ils pas plus d'à moitié nos amis?»

Un vieux proverbe dit qu'_on ne hait pas l'ennemi de ses ennemis_.


Mieux vaut amis en voie que deniers en courroie.

Des amis qui s'emploient activement pour une personne peuvent lui être
d'une plus grande utilité que son argent. Ce proverbe est dans le _Roman
de la Rose_.

    Adès vaut miex amis en voie
    Que ne font deniers en corroie.

(T. I, v. 4, 962.)

Le mot courroie, comme on le voit dans le Dictionnaire de Philibert
Monet, se disait autrefois de la ceinture de cuir dans laquelle on
mettait son argent. J'ai trouvé dans un vieux texte _deniers en
conroie_. Ce mot _conroie_ ou plutôt _conroi_ signifiait troupe, foule,
et par conséquent la variante _deniers en conroie_, si elle ne provient
pas d'une faute de copiste, équivaut _à deniers en quantité_.

Le troubadour Amanieu des Escas a employé cette autre variante:

    Per c'om ditz que may val en cocha
    Amiex que aur.

«C'est pourquoi on dit que mieux vaut dans le besoin amis que or.»

Les Allemands disent: «_Besser ohne Geld als ohne Freund seyn._ Mieux
vaut manquer d'argent que d'ami.»

On lit dans Stobée: «Un trésor n'est pas un ami, mais un ami est un
trésor.» Maxime à laquelle reviennent ces beaux vers du trouvère auteur
du roman de _Garin le Loherain_:

    N'est pas richoise ne de vair, ne de gris,
    Ne de deniers, ne de murs, ne de roncins:
    Mais est richoise de parents et d'amis:
    Li cuers d'un homme vaut tout l'or d'un pays!


Il est bon d'avoir des amis partout.

Ce proverbe a donné lieu à l'historiette suivante, rimée par Imbert:

    Une dévote, un jour, dans une église
    Offrait un cierge au bienheureux Michel,
    Un autre au diable. «Oh! oh! quelle méprise!
    Mais c'est au diable! Y pensez-vous? ô ciel!
    --Laissez, dit-elle, il ne m'importe guères;
    Il faut toujours penser à l'avenir;
    On ne sait pas ce qu'on peut devenir,
    Et les amis sont partout nécessaires.»

L'auteur des _Matinées sénonoises_ rapporte qu'un Wisigoth arien, nommé
Agilane, disait un jour sérieusement à Grégoire de Tours qu'on peut
choisir sans crime telle religion que l'on veut, et que c'était un
proverbe de sa nation qu'en passant devant un temple païen et devant une
église chrétienne il n'y avait point de mal à faire la révérence devant
l'un et devant l'autre. Ce Wisigoth, faisant son offrande à saint
Michel, n'aurait sûrement pas oublié l'estafier du bienheureux.

On dit aussi, pour caractériser ces gens qui savent se ménager des
intelligences dans le parti des bons et dans le parti des méchants,
qu'_ils ont des amis en paradis et en enfer_.


Les gens riches ont beaucoup d'amis.

Salomon l'a dit: _Amici divitum multi_ (_Prov._, XIV, 20), et sans doute
Salomon n'a pas été le premier à le dire; car, dans les siècles les plus
reculés aussi bien que dans le nôtre, on a considéré l'amitié comme un
commerce d'intérêt dans lequel on n'entre qu'à proportion du profit
qu'on en retire. La même raison a donné lieu à cet autre proverbe non
moins ancien: _Les pauvres n'ont point d'amis._


Les amis par intérêt sont des hirondelles sur les toits.

On sait que les hirondelles, aux approches de la froide saison, se
rassemblent sur les toits pour s'envoler en troupe dans un plus doux
climat. Il en est de même des amis intéressés, toujours prêts à
s'éloigner des personnes qui tombent dans l'adversité, et à se
rapprocher de celles que la fortune favorise. Ils n'aiment que par
rapport à eux-mêmes, et ne placent jamais leur amitié vénale qu'au
service des gens heureux qui peuvent la payer.


Un homme mort n'a ni parents ni amis.

Ce proverbe se trouve dans le sirvente que Richard Cœur-de-Lion, roi
d'Angleterre, composa pendant sa captivité en Autriche. La meilleure
explication qu'on en puisse donner est dans le passage suivant du
discours du père Aubry à Atala: «Que parlez-vous de la puissance des
amitiés de la terre? Voulez-vous, ma chère fille, en connaître
l'étendue? Si un homme revenait à la lumière quelques années après sa
mort, je doute qu'il fût reçu avec joie par ceux-là même qui ont donné
le plus de larmes à sa mémoire; tant on forme vite d'autres habitudes,
tant l'inconstance est naturelle à l'homme, tant notre vie est peu de
chose, même dans le cœur de nos amis!»

Les vers suivants, extraits d'une pièce charmante de M. V. Hugo, _A un
voyageur_, reviennent aussi au proverbe et sont dignes de figurer à côté
du beau passage de Chateaubriand. Je dirai plus, car la justice l'exige,
c'est qu'ils lui sont supérieurs par le charme et l'originalité de leur
expression poétique.

    Combien vivent joyeux qui devraient, sœurs ou frères,
    Faire un pleur éternel de quelques ombres chères!
          Pouvoir des ans vainqueurs!
    Les morts durent bien peu: laissons-les sous la pierre.
    Hélas! dans leur cercueil ils tombent en poussière,
          Moins vite qu'en nos cœurs.

    Voyageur! voyageur! quelle est notre folie?
    Qui sait combien de morts chaque jour on oublie,
          Des plus chers, des plus beaux!
    Qui peut savoir combien toute douleur s'émousse,
    Et combien, sur la terre, un jour d'herbe qui pousse
          Efface de tombeaux!


On ne doit pas servir ses amis à plats couverts.

Il faut être franc et sincère avec ses amis.--Ce proverbe est moins
usité que la locution qui en fait partie, _servir quelqu'un à plats
couverts_, c'est-à-dire témoigner à quelqu'un de l'amitié en apparence
et le desservir sous main. C'est une allusion à l'usage où l'on était
autrefois de couvrir les plats qu'on servait sur la table des grands, et
les choses mêmes qu'on leur présentait. «On couvroit les plats, dit
Sainte-Palaye, et peut-être le sel, le poivre et autres épiceries qu'on
plaçoit auprès d'eux. Si on leur offroit des dragées, le drageoir étoit
couvert d'une serviette. Le cadenas[11], qui n'appartient qu'aux
personnes du plus haut rang, est encore conservé à la cour sur la table
des princes comme un reste de cette antique étiquette.» De l'usage de
_servir à couvert_ viennent aussi ces salières à compartiments et à deux
couvercles qu'on ne trouve plus que chez les amateurs de vieux meubles
et chez les marchands de bric-à-brac.

  [11] Espèce de coffret d'or ou de vermeil, dans lequel on mettait le
    couteau, la cuiller et la fourchette.

_Servir quelqu'un à plats couverts_ se dit encore pour marquer la
réserve calculée qu'on met à ne découvrir à quelqu'un qu'une partie de
la vérité dans une affaire qui l'intéresse.


On ne doit pas se gêner pour ses amis.

Cette maxime est vraie lorsqu'elle est prise dans le même sens que cette
autre: _l'amitié dispense du cérémonial_. Mais elle est fausse et
injuste quand on l'allègue, ce qui a lieu trop souvent, comme excuse de
traiter ses amis avec une espèce de sans-gêne qui ne s'inquiète pas des
égards qui leur sont dus. On doit se gêner pour toutes les personnes à
qui l'on veut plaire; et c'est précisément en cela que consiste le
savoir-vivre, l'un des premiers devoirs de la société. Eh! comment
pourrait-on se justifier de ne pas observer ce devoir envers ses amis!
c'est pour eux surtout qu'on doit avoir des procédés aimables qui leur
prouvent qu'on n'a rien tant à cœur que de leur être agréable. L'amitié
a une jalousie délicate qu'il importe de ménager, car elle ne peut guère
se maintenir qu'à cette condition.


Dieu me garde de mes amis; je me garderai de mes ennemis.

On peut se garantir de la vengeance d'un ennemi déclaré, mais il n'y a
point de préservatif contre la trahison qui se présente sous les
couleurs de la bienveillance et de l'amitié.

Stobée rapporte (p. 721) que le roi Antigone, sacrifiant aux dieux, les
priait de le protéger contre ses amis, et qu'il répondait à ceux qui lui
demandaient le motif d'une telle prière: «C'est que, connaissant mes
ennemis, je puis me préserver d'eux.»

On lit dans l'_Ecclésiastique_: «_Ab inimicis tuis separare et ab amicis
tuis attende_ (VI, 13). Séparez-vous de vos ennemis, et gardez-vous de
vos amis.»

Les Italiens disent comme nous:

    _Di chi mi fido guardami Dio!
    Degli altri mi guardarò io._

En visitant les _pozzi_ du palais du doge, à Venise, en 1825, je trouvai
ces deux vers inscrits sur un mur dans un de ces cachots où le conseil
des Dix plongeait ses victimes. Ils y avaient été tracés, me dit-on, de
la main d'un prêtre qui eut le bonheur d'échapper à son horrible
captivité par une issue qu'il s'ouvrit en arrachant du sol une large
dalle posée sur un égout aboutissant au canal voisin.

Le même proverbe est usité chez les Basques. Il existe aussi chez les
Allemands, et Schiller l'a employé dans une de ses tragédies.


Les amis sont les trésors des rois.

Proverbe formé d'un mot d'Alexandre le Grand, qui disait, en montrant
ses amis: «Voilà mes trésors.» Mais de tels trésors sont infiniment plus
rares chez les rois que chez les simples particuliers, car il n'est
guère possible que l'amitié, qui, dans sa nature, est indépendante,
jalouse de sa liberté, ennemie de toute sujétion, portée aux
épanchements familiers et désireuse avant tout de la réciprocité des
sentiments, s'établisse entre des hommes dont la condition si inégale
peut faire croire aux uns qu'ils sont maîtres et aux autres qu'ils sont
esclaves. Admettons pourtant l'existence de cette amitié, et
reconnaissons qu'elle est d'un prix inestimable. «Ce ne sont pas les
armées ni les richesses, dit Salluste, mais les amis qui sont les
soutiens des rois.» (_Jugurth._, ch. X.)

Tacite remarque aussi qu'il n'est pas de plus puissants soutiens d'un
sage gouvernement que de sages amis. _Nullum majus boni imperii
instrumentum quam bonos amicos esse._ (_Hist._, IV, VII.)


Il faut qu'un roi ait beaucoup d'amis et peu de confidents.

C'est ce que répondit Apollonius de Tyane au roi de Babylone, qui lui
avait demandé ce qu'il fallait à un roi pour régner sûrement. Quelques
parémiographes du moyen âge ont placé dans leurs recueils, comme un
adage, ce mot qui était bien digne de le devenir. Je ne crois pas qu'il
ait besoin d'être expliqué, et je n'y joindrai pour tout commentaire que
cette réflexion du pape Benoît XIV: «Un souverain qui a beaucoup de
confidents ne saurait manquer d'être trahi.»


Il faut se dire beaucoup d'amis, et s'en croire peu.

Parce que, en se disant beaucoup d'amis, on peut obtenir quelque
considération dans le monde, et, en se croyant peu d'amis, on est moins
exposé à se laisser tromper par ceux qui abusent de ce titre. Ce
proverbe est doublement répréhensible, puisqu'il conseille, jusqu'à un
certain point, le mensonge et la défiance; mais il offre une maxime de
politique si conforme aux mœurs de notre temps, qu'il ne cessera point
d'être pris pour une règle de conduite.


Il ne faut pas mettre ses amis à tous les jours.

On deviendrait à charge à ses amis, si l'on recourait souvent à leur
générosité. Il faut être de la plus grande réserve sur ce point, et ne
solliciter leur aide que dans le cas où l'on ne pourrait s'en passer. Il
serait même plus délicat de s'abstenir d'une sollicitation formelle, et
de se borner à leur faire connaître le besoin qu'on éprouve pour leur
laisser le mérite d'y subvenir de leur propre mouvement, selon leurs
moyens. La parfaite amitié impose d'une part le devoir de ne rien
demander, puisque de l'autre elle impose celui de prévenir les demandes.

Desmahis avait coutume de dire: «Lorsque mon ami rit, c'est à lui à
m'apprendre le sujet de sa joie; lorsqu'il pleure, c'est à moi de
découvrir la cause de son chagrin.»


Il faut éprouver les amis aux petites occasions et les employer aux
grandes.

Il faut les éprouver aux petites occasions, parce qu'il ne s'agit alors
que de certains actes de complaisance qui ne doivent pas leur être
onéreux; mais il faut avoir soin d'éviter, dans ces épreuves, jusqu'à la
moindre apparence d'indiscrétion et d'importunité, de manière qu'elles
ne leur paraissent que des témoignages de la confiance qu'ils inspirent,
et, pour ainsi dire, des hommages rendus à l'excellence de leurs
sentiments. C'est là le meilleur moyen de sonder leurs bonnes
dispositions, dont on a besoin de ne pas douter, lorsqu'un malheur
pressant force de faire appel à leur aide et protection.


Il faut choisir ses amis dans sa famille.

Ce proverbe est pris d'un mot de Solon à Anacharsis, au rapport de
Plutarque, dont la traduction latine cite ce mot en ces termes: _Paranda
est amicitia domi, non foris._ C'est dans la famille, en effet, qu'on
peut contracter l'amitié la meilleure et la plus solide, puisqu'elle y
est nouée par le double lien du sang et de la sympathie. La fraternité
est une amitié toute faite.--Le roi-prophète a consacré le psaume CXXXII
à l'éloge de cette amitié.--«Qu'il est bon, qu'il est doux,
s'écrie-t-il, que les frères vivent ensemble, et ne fassent qu'un! _Ecce
quam bonum et quam jucundum, habitare fratres in unum!_»--Il compare
leur intimité charmante au parfum délicieux qui, versé sur la tête
d'Aaron, coula sur les deux côtés de sa barbe et sur les franges de son
vêtement, et à la douce rosée du mont Hermon, qui descend sur la
montagne de Sion en fertilisant.

Salluste a dit: «Quel meilleur ami qu'un frère pour un frère? Quel
étranger trouveras-tu fidèle, si tu es l'ennemi des tiens? _Quis
amicitior quam frater fratri? Quem alienum fidum invenies, si tuis
hostis fueris._» (_Jugurtha_, cap. X.)

Les races slaves attachaient un prix infini à l'amitié fraternelle, et
leurs chants primitifs attestent que n'avoir point de frère était pour
elles une grande calamité.

On lit dans le _Chi-King_, le troisième des livres sacrés des Chinois:
_Un frère est un ami qui nous est donné par la nature._ Maxime
proverbiale qui se retrouve dans le _Traité de l'Amitié fraternelle_ par
Plutarque, où le frère est appelé _l'ami que la nature nous a donné_. De
là le vers attribué à Legouvé, qui, certes, n'a pas dû suer d'ahan pour
le tirer de sa tête:

    Un frère est un ami donné par la nature.


Bonne amitié est une autre parenté.

Ce proverbe, qui fait l'éloge de l'amitié en l'égalant à la parenté,
était fort accrédité au moyen âge, où l'union entre les parents était
généralement regardée comme un des devoirs les plus importants. Il était
même consacré par une règle de jurisprudence formulée en ces termes:
«_Amicitia vera similis est consanguinitati proximiori._ La véritable
amitié est semblable à la parenté la plus rapprochée.» Les mots amitié
et fraternité pouvaient alors s'employer l'un pour l'autre. Touchante
synonymie, dont la perte est à regretter.

Montaigne, dans son beau chapitre sur l'amitié, nous apprend qu'il
donnait à son ami Estienne de la Boétie le nom de frère: «Un beau nom,
dit-il, et plein de dilection, et à cette cause en feismes nous, luy et
moy, nostre alliance.»

Voici un mot plein d'esprit et de sentiment qui revient au proverbe. Le
comte Albert de Sesmaisons, présentant un jour le vicomte J. Walsh de
Serrent à Chateaubriand, lui dit: «Voilà mon ami Walsh: la nature
s'était trompée en ne me le donnant pas pour frère, mais depuis
longtemps nous avons réparé son erreur.»


Bonne amitié vaut mieux que parenté.

Les Latins disaient: _La meilleure parenté est celle du cœur_, pensée
absolument vraie, tandis que celle qu'exprime le proverbe français ne
l'est que relativement aux circonstances qui motivent l'application de
ce proverbe, qu'on pourrait, en plusieurs cas, retourner avec raison de
cette manière: _Bonne parenté vaut mieux qu'amitié._ Il en est de même
de cet autre proverbe ingénieux: _Un parent est une partie de notre
corps, un ami est une partie de notre âme_; car un parent qui est bon
ami est à la fois partie de notre âme et de notre corps; il appartient à
notre être tout entier.

Je ne saurais goûter ces proverbes qui cherchent à exalter un sentiment
aux dépens d'un autre, qui appauvrissent la parenté pour enrichir
l'amitié. Si le fait sur lequel ils se fondent est vrai quelquefois, et
malheureusement il ne l'est que trop, il faut le déplorer au lieu de le
signaler, de l'accréditer dans des maximes outrées qui ne sont propres
qu'à introduire la défiance au sein du foyer domestique, en faisant
accroire qu'on ne peut guère compter sur l'affection des siens; car cela
n'est pas conforme à la loi de la nature qui, par la communauté du sang,
par la ressemblance des actes habituels, par l'intimité des relations
journalières, tend à engendrer contre les parents vivant sous le même
toit et mangeant à la même table une grande sympathie que les passions
égoïstes peuvent seules empêcher. Cela n'est pas non plus selon la loi
de la religion, qui, tout en nous enjoignant d'aimer tous les hommes,
admet une préférence d'amour pour les membres de la famille; et
remarquez bien que le Christ a imposé les devoirs de la parenté à
l'amitié, et ceux de l'amitié à la parenté, pour nous enseigner que le
caractère parfait de chacune d'elles consiste dans la réunion des deux
sentiments: voyant du haut de la croix sa sainte mère, et près d'elle le
disciple bien-aimé, il dit à sa mère: Voilà votre fils, et au disciple:
Voilà votre mère. Ce que Bossuet met fort au-dessus de l'action
d'Eudamidas, «qui, ne laissant pas en mourant de quoi entretenir sa
famille, s'avisa de léguer à ses amis sa mère et ses enfants, par son
testament, car ce que la nécessité suggéra à ce philosophe, l'amour le
fit faire à Jésus-Christ d'une manière bien plus admirable.»

Du reste le proverbe qui préfère les amis aux parents n'a pas été
généralement admis, comme nous l'avons fait voir en rapportant d'autres
proverbes qui le combattent et auxquels il faut joindre celui-ci: _Si
les amis sont du choix de l'homme, les parents sont du choix de Dieu._

Le poëte Hésiode, dans son poëme _les Travaux et les Jours_, n'a point
hésité à mettre la fraternité au-dessus de l'amitié.

    Que jamais ton ami ne s'égale à ton frère,
    Et pourtant que toujours l'amitié te soit chère!

(Ch. II. Trad. de M. Alph. Fresse-Montval.)


Les couteaux coupent l'amitié.

Dicton employé pour signifier qu'il ne faut jamais faire présent d'un
couteau ni d'un objet coupant ou perçant, comme s'il y avait à craindre
qu'une fatalité fût attachée à un pareil cadeau, et que la personne qui
le reçoit dût s'en servir un jour contre celle qui le donne, ainsi que
le font supposer plusieurs exemples tragiques, parmi lesquels on cite le
fait suivant arrivé, dit-on, dans une buanderie: «Un enfant, à qui son
frère avait donné un couteau, l'en frappa au cœur dans une dispute, en
présence de leur mère, occupée de son lessivage. Celle-ci, hors
d'elle-même, se précipita sur le meurtrier et le fit tomber dans une
cuve d'eau bouillante ouverte presque au niveau du sol; puis elle se
pendit de désespoir, et le père, rentrant chez lui, expira subitement à
la vue d'un si grand désastre.»

Le poëte Santeuil a résumé cette terrible aventure dans ce distique
latin d'une concision remarquable:

    _Alter cum puero, mater cunjuncta marito,
    Cultello, lympha, fune, dolore cadunt._

    Deux enfants et leur mère, et leur père, ô malheur!
    Meurent par le fer, l'eau, la corde, la douleur.

Du reste, la superstition sur laquelle le dicton est fondé ne fait pas
redouter seulement de sanglantes discordes, mais des infortunes plus
ordinaires comme l'infidélité, l'abandon et l'oubli. On lit dans le
chapitre XX des _Évangiles des connoilles_ (quenouilles): «Celuy qui
estraine sa dame par amours, le jour de l'an, de couteaulx, saichiez que
leur amour refroydira.» (Mardi, 2me journée.)

On sait que pour conjurer le danger qu'on court à faire des présents de
cette espèce, il faut exiger en retour quelque petite pièce de monnaie
des personnes qui les reçoivent. Mais pourquoi une petite pièce de
monnaie peut-elle empêcher les couteaux donnés de couper
l'amitié?--C'est, à ce qu'on prétend, parce qu'elle supprime le don, en
y substituant l'échange dont elle est le gage. Cette explication ne vaut
pas celle des dires du moyen âge, qui enseignaient que cette monnaie
servait de préservatif contre le maléfice parce qu'elle était marquée du
signe de la croix.


Ne te fie pas à l'amitié d'un bouffon.

Parce qu'un bouffon sacrifie tout à sa manie de faire rire. Il ne songe
qu'à prodiguer les plaisanteries les plus hasardées, sans se mettre en
peine si elles choquent le bon sens ou les usages de la société polie,
sans avoir égard ni aux personnes, ni aux circonstances, ni au temps.
Comme il est incapable de retenir sa verve railleuse dans les limites de
la modération, et de maîtriser sa langue déréglée, il ne peut guère
manquer de blesser ses amis par ses mauvaises pointes, ou de les
compromettre par ses sottes indiscrétions.

Ce proverbe n'a pas la prétention d'insinuer que l'amitié soit
incompatible avec les plaisirs d'une aimable gaieté et d'un riant
badinage, avec les agréables jeux de l'esprit qui savent, sans
l'inquiéter, la préserver de la monotonie et de l'ennui; il veut
simplement faire entendre qu'elle réclame des hommes raisonnables,
honnêtes, courtois, circonspects, et que ces hommes, d'un commerce doux
et sûr, sont impossibles à trouver dans la catégorie ridicule et
méprisable des bouffons.


L'amitié est un pacte de sel.

Traduction du proverbe latin: _Amicitia pactum salis_, qui fut formulé
au moyen âge pour exprimer que l'amitié doit s'établir par un long
commerce et être toujours durable. L'expression _pactum salis_ est
plusieurs fois employée dans les livres saints, où elle signifie une
alliance inviolable et sacrée, par allusion à la nature du sel, qui
empêche la corruption. «_PACTUM SALIS est sempiternum coram Domino, tibi
ac filiis tuis_ (_lib. Numerorum_, XVIII, 19). C'est un _pacte de sel_ à
perpétuité devant le Seigneur, pour vous et vos fils.» «_Num ignoratis
quod Dominus Deus Israel dederit regnum David super Israel in
sempiternum, ipsi et filiis ejus IN PACTUM SALIS._ (_Paralip._, XIII,
5.) Ignorez-vous que le Seigneur Dieu d'Israël a donné pour toujours la
souveraineté sur Israël à David et à ses descendants par un _pacte de
sel_?»

Il était recommandé dans le _Lévitique_ d'offrir du sel dans tous les
sacrifices: «_In omni oblatione tua offeres sal_ (II, 13). Dans toutes
les oblations tu offriras du sel.» Homère a donné au sel l'épithète de
divin, θεῖος ἅλς. Pythagore le regardait comme le symbole de la justice,
et il voulait que la table en fût abondamment pourvue. Vatable croit que
les Francs admettaient le sel dans leurs pactes, pour montrer qu'ils
dureraient toujours, et quelques auteurs ont pensé que de cet usage a pu
dériver le nom de _loi salique_, qui, comme on sait, a une autre
origine.


Il faut que l'amitié nous trouve ou nous fasse égaux.

Cet adage, que nous avons reçu des Latins, nous apprend que la véritable
amitié ne peut bien s'établir ou se conserver que sous le régime de
l'égalité, car _l'amitié est la sympathie de deux âmes égales_, suivant
la maxime des Orientaux.--On comprend qu'il s'agit ici de l'égalité des
sentiments et non de celle du rang et de la fortune, puisqu'il y a
plusieurs exemples célèbres qui prouvent que deux hommes inégaux, soit
en titres, soit en biens, ont été de parfaits amis.--Bossuet a dit de
cette amitié entre les inégaux qu'elle se soutient d'un côté par
l'humilité et de l'autre par la libéralité, et cela est vrai sans doute;
mais il faut que cette humilité et cette libéralité n'altèrent en rien
le principe d'égalité qui doit régner entre les cœurs; sans quoi
l'amitié ne saurait subsister. C'est ce qu'exprime un autre proverbe
oriental que l'abbé Aubert a reproduit textuellement dans ce vers
remarquable:

    L'amitié disparaît où l'égalité cesse.


La flatterie est le poison de l'amitié.

C'est un proverbe formulé au moyen âge d'après cette pensée sur laquelle
Cicéron revient plusieurs fois, qu'il n'y a point dans les amitiés de
peste plus grande que la flatterie: _Nullam in amicitiis pestem esse
majorem quam adulationem._ (_De Amicitia_, XXV.) En effet, la sincérité
étant essentielle à l'amitié, il s'ensuit nécessairement que la
flatterie doit pervertir et frapper de mort l'amitié.--_Flatter un ami_,
dit un proverbe antique, _c'est lui verser du poison dans une coupe
d'or_.

«_Homo, qui blandis fictisque sermonibus loquitur amico suo, rete
expandit gressibus ejus._ (Salomon, _Prov._, XXIX, 5.) L'homme qui tient
à son ami un langage flatteur et déguisé tend un filet à ses pieds.»

_Il faut_, dit un proverbe oriental, _se méfier de ceux qui trafiquent
d'encens et de poisons_: c'est-à-dire des flatteurs et des envieux.


Le plus bel âge de l'amitié est sa vieillesse.

C'est-à-dire que plus l'amitié est vieille, plus elle est belle.

    Le temps, qui flétrit tout, embellit l'amitié.

Il fait plus que l'embellir, il la consacre. «_Est aliquid sacri in
antiquis necessitudinibus._ (Cicéron.) Il y a quelque chose de sacré
dans les vieilles amitiés.» (Voyez sur ce mot de _necessitudinibus_,
_nécessités_, employé pour _amitiés_, le proverbe: _On ne peut vivre
sans amis_, dans le commentaire duquel il est expliqué.)

Les Italiens disent: «_Vecchio amico, cosa sempre nuova._ Vieil ami,
chose toujours nouvelle.»

Les Orientaux ont ce proverbe: _L'amitié est un plaisir qui ne fait que
s'accroître à mesure qu'on vieillit._


Les petits présents entretiennent l'amitié.

Ce n'est pas sans raison que le proverbe dit _les petits présents_, car
les présents doivent être réciproques, et, lorsqu'ils sont trop
considérables pour qu'on puisse en rendre l'équivalent, ils blessent
plus la vanité qu'ils n'excitent la reconnaissance; ils font naître une
sorte de haine, au lieu d'entretenir l'amitié. Suivant une remarque de
Q. Cicéron, celui qui ne croit pas pouvoir s'acquitter envers quelqu'un
ne saurait être son ami. _Qui se non putat satisfacere amicus esse nullo
modo potest._ (_De Petitione consulatus_, IX.)

Ce que Tacite a redit de cette manière plus énergique: «_Beneficia
quousque læta sunt, dum videntur exsolvi posse; ubi multum antevenire,
pro gratia odium redditur._ (Annal., IV, 18.) Les bienfaits sont
agréables tant qu'on croit pouvoir les acquitter; dès qu'ils excèdent la
reconnaissance, celle-ci se change en haine.»

Les Celtes avaient cette maxime analogue à notre proverbe: «Que les amis
se réjouissent _réciproquement_ par des présents d'armes et d'habits:
_ceux qui donnent et qui reçoivent restent longtemps amis_, et ils font
souvent des festins ensemble.» On lit dans le _Hava-mal_ des
Scandinaves: «Si tu as un ami auquel tu te confies, il faut mêler vos
pensées, _échanger des présents_, et aller souvent le trouver.»


La table est l'entremetteuse de l'amitié.

On dit aussi: _La table fait les amis_, parce que les épanchements
auxquels on se livre en mangeant ensemble établissent des rapports d'une
intimité bienveillante, qui dissipent les préventions haineuses et
donnent naissance à l'amitié, ou en resserrent plus étroitement les doux
liens. Minos et Lycurgue avaient reconnu cette vérité lorsqu'ils
fondèrent des repas de confraternité, et Aristée regardait comme
contraire à la sociabilité la coutume des Égyptiens, qui mangeaient
séparément sans avoir jamais de festins communs.

Il y eut au commencement de la Révolution française des banquets
fraternels qui se faisaient, le soir, dans les rues, sur les places,
dans les jardins et les édifices publics. Les citoyens des divers états
s'y rendaient, apportant chacun son mets, son pain, son vin, son cidre
ou sa bière, dont leurs voisins moins bien pourvus recevaient
d'ordinaire une part offerte avec bienveillance. Cette commensalité
propre à concilier les prolétaires, les ouvriers et les bourgeois, en
écartant les soupçons, les défiances et les inimitiés qui les
divisaient, semblaient devoir produire des résultats heureux; mais la
Convention la jugea dangereuse pour la République, et elle la
proscrivit, après un fameux rapport de Barrère, qui signalait dans un
tel rapprochement des riches et des pauvres l'_alliance monstrueuse des
serpents et des colombes_.


Il ne faut pas laisser croître l'herbe sur le chemin de l'amitié.

Il ne faut pas négliger de visiter ses amis. Cet adage se trouve dans un
précepte de la sagesse scandinave que M. J.-J. Ampère a reproduit dans
ces vers de son poëme intitulé _Sigurd, tradition épique restituée_:

    Le seuil de ton ami, que ton pied le connaisse,
    Qu'entre vous deux toujours le chemin soit frayé;
         Ne souffre pas que l'herbe naisse
         Sur le chemin de l'amitié.

Les Celtes disaient: «Sachez que, si vous avez un ami, vous devez le
visiter souvent. Le chemin se remplit d'herbes, et les broussailles le
couvrent bientôt, si l'on n'y passe pas sans cesse.»

Le conseil de _ne pas laisser croître l'herbe sur le chemin de l'amitié_
n'est pas interprété de même chez tous les peuples. Pour les uns il
signifie que les amis doivent se visiter continuellement, et pour les
autres qu'ils ne doivent le faire qu'avec modération, car _des visites
trop fréquentes useraient l'amitié_, suivant un mot de Mahomet passé en
proverbe, ou lui ôterait une des forces vitales du sentiment qui
l'anime, comme le fait entendre Montaigne dans ce passage où il parle de
son ami Étienne de la Boétie: «L'une partie de nous demeuroit oysifve
quand nous estions ensemble; nous nous confondions: la séparation du
lieu rendoit la conjonction de nos volontez plus riche. Cette faim
insatiable de la présence corporelle accuse un peu la foiblesse en la
jouissance des ames.» (_Essais_, liv. III, ch. IX.)

La maxime des Hébreux est que les amis qui veulent s'entretenir dans une
égale et parfaite intelligence ne doivent pas se visiter tous les jours;
que _la pluie fréquente est très-ennuyeuse, et qu'elle devient
très-agréable quand on la souhaite_.

Les Arabes disent: _Visite rare accroît l'amitié_; proverbe employé par
Lockman dans son _Amthal_ ou _Recueil de sentences et d'apologues_.

Les Russes expriment une idée analogue en ces termes: _Visite rare,
aimable convive._ (Voyez plus loin le proverbe: _Un peu d'absence fait
grand bien._)


L'amitié fait plus de bons ménages que l'amour.

Un sentiment raisonnable entretient le calme dans l'esprit des époux,
tandis qu'une passion folle y porte l'agitation et le trouble: par
conséquent, l'_amour qui est presque la folie de l'amitié_, suivant
l'expression de Sénèque, ne saurait aussi bien que l'amitié simple faire
régner la paix et la tranquillité.

«Un bon mariage, s'il en est, refuse la compaignie et conditions de
l'amour: il tasche à représenter celles de l'amitié. C'est une doulce
société de vie, pleine de constance, de fiance et d'un nombre infiny
d'utiles et solides offices et obligations mutuelles.» (Montaigne,
_Essais_, liv. III, ch. V.)

«Ce n'est pas affaire, en mariage, dit Charron, d'être toujours amants,
mais toujours amis.»

On lit dans une des lettres de la duchesse d'Orléans, mère du Régent:
«Le mieux est d'aimer son mari par devoir et non par passion, de vivre
avec lui en paix et amicalement, mais de ne pas se tracasser du cours
qu'il donne à ses passions. De cette manière on reste longtemps bons
amis, et la paix et l'harmonie se maintiennent dans le ménage.»


L'amitié qui naît de l'amour vaut mieux que l'amour même.

Je crois que ce proverbe est vrai, mais je crois aussi qu'il n'est guère
susceptible d'avoir une juste application; car l'amour n'abandonne pas à
la fois deux cœurs qui se désunissent, et, tant qu'il reste dans l'un,
il ne permet pas à l'amitié de venir y prendre sa place; il la cède
plutôt à la haine. Si vous en doutez, vous n'avez qu'à proposer votre
amitié pure et simple à une femme qui conserve pour vous une passion que
vous n'avez plus pour elle, et vous verrez comment elle recevra votre
proposition.

Il faut que l'amour soit éteint dans les cœurs qui en ont ressenti les
ardeurs mutuelles, pour qu'il puisse être remplacé par l'amitié. Ce
nouveau sentiment, nourri des douces réminiscences du premier, ne se
forme que lentement. Il ressemble à la fleur parfumée de l'aloès, qui ne
se développe qu'après de longues années. C'est un bénéfice du temps,
dont la jouissance est réservée à certains couples exceptionnels,
vieillis et comme embaumés dans leur fidélité sacrosainte.

    Philémon et Baucis nous en offrent l'exemple.

Quelques époux chrétiens nous l'offrent aussi, surtout quand il leur a
été donné par grâce spéciale de célébrer le jubilé de leur mariage. Mais
ces pieux époux sont aujourd'hui bien rares. Quant à ceux de toutes les
autres catégories, je crois qu'il serait très-difficile d'en trouver une
paire vivant dans les délices de l'amitié, après avoir vécu fidèlement
dans les délices de l'amour. La sœur, chez eux, ne saurait hériter du
frère, et cela par une raison toute simple: c'est que les maris et les
femmes les mettent constamment en hostilité, les maris refusant leur
amour à leur femme, et les femmes repoussant l'amitié de leur mari. Vous
pouvez, si vous voulez, faire la converse de cette proposition: elle
sera tout aussi vraie.


L'amitié confie son secret, mais il échappe à l'amour.

C'est un proverbe que La Bruyère a répété dans cette pensée: «On confie
son secret dans l'amitié, mais il échappe dans l'amour.» Il se trouve
tel que je le rapporte dans un recueil de proverbes orientaux beaucoup
plus ancien que les œuvres de La Bruyère.


L'amitié rompue n'est jamais bien soudée.

Les Espagnols disent par la même métaphore: «_Amigo quebrado, soldado,
mas nunca sano._ Ami rompu peut bien être soudé, mais il n'est jamais
sain.»

Il y a un proverbe patois bien ingénieux dont voici la traduction
littérale: _L'amitié rompue ne se renoue pas sans que le nœud paraisse
ou se sente._

Ces proverbes signifient que l'amitié blessée ne se remet jamais
entièrement de sa blessure.


Le respect et la déférence sont les liens de l'amitié.

Il faut entendre ici, je crois, par respect et par déférence, l'estime,
la considération, la confiance, les égards, les soins et la complaisance
que les amis se doivent réciproquement: toutes ces choses sont de
l'essence de l'amitié, il les lui faut sans réserve et sans altération.
«L'amitié est si jalouse et si délicate, dit Fénelon, qu'un atome qui
s'y mêle la blesse.»

Le proverbe est une variante de cette sentence d'Ali: «Le respect mutuel
resserre l'amitié.»


Bonne amitié vaut mieux que tour fortifiée.

La guerre peut enlever ou détruire cette tour; mais aucun revers ne peut
ébranler cette amitié qui prend de nouvelles forces dans les infortunes
de celui dont les bonnes qualités ont su l'inspirer. Solidaire des maux
qu'il éprouve, elle cherche tous les moyens de les consoler, de les
soulager, de les réparer.--Tel est le sens de ce proverbe: l'amitié
qu'il signale est tout à fait exceptionnelle, et bien des gens ne
manqueront pas de la reléguer parmi les utopies. Quoi qu'il en soit,
l'amitié véritable, quand même elle n'aurait pas le caractère de
perfection qu'il lui attribue, est du plus grand secours contre le
malheur.--L'_Ecclésiastique_ dit sans figure: «_Amicus fidelis,
protectio fortis_ (VI, 14). L'ami fidèle est une forte protection.»

Ce proverbe est de la plus haute antiquité, mais il n'est plus
aujourd'hui aussi vrai qu'il le fut dans l'enfance des sociétés, où
l'autorité des lois étant souvent méconnue, on cherchait à y suppléer
par quelque protection plus sûre, en se ménageant des amis puissants et
en augmentant ses forces individuelles de toutes celles qu'ils avaient.

On sait que Lycurgue avait donné l'amitié pour base à sa législation.


L'amitié doit se contracter à frais communs.

L'amitié est une sincère union de deux personnes également soigneuses du
bonheur l'une de l'autre. Elle ne peut se former et se maintenir
qu'autant que chacune d'elles se montre animée du même zèle et des mêmes
sentiments pour en remplir les devoirs réciproques. De là ce proverbe
employé le plus souvent comme un avis qu'on veut donner aux amis un peu
trop personnels, qui semblent plus jaloux de jouir des bénéfices de
l'amitié que d'en partager les charges.

Les Arabes disent dans un sens analogue: _Si ton ami est de miel, ne le
mange pas tout entier._


Il faut découdre et non déchirer l'amitié.

Mot de Caton l'Ancien rapporté par Cicéron en ces termes: _Amicitiæ sunt
dissuendæ magis quam discindendæ._ (_De Amicitia_, XXI.) Cicéron dit
encore: _Amicitiam haud præcidas, verum dissuas._ (_De Officiis_,
XXXIII.) «C'est quelquefois, ajoute-t-il, un malheur nécessaire de
renoncer à certains amis: alors il faut s'éloigner d'eux insensiblement,
sans aigreur et sans colère, et faire voir qu'en se détachant de
l'amitié on ne veut pas la remplacer par de l'inimitié, car rien n'est
plus honteux que de passer d'une liaison intime à une guerre déclarée.»

«Il ne faut pas croire, dit très-bien Mme de Lambert, qu'après les
ruptures vous n'ayez plus de devoirs à remplir. Ce sont les devoirs les
plus difficiles et où l'honnêteté seule vous soutient. On doit du
respect à l'ancienne amitié. Il ne faut point appeler le monde à vos
querelles; n'en parlez jamais que quand vous y êtes forcé pour votre
propre justification; évitez même de trop charger l'ami infidèle.»

Le maréchal de Richelieu disait: «Il faut découdre l'amitié, mais il
faut déchirer l'amour.»


Amitié de gendre.

Amitié sur laquelle il ne faut pas compter. Les Espagnols assimilent
cette amitié au soleil d'hiver. «_Amistad de yerno, sol de invierno._
Amitié de gendre, soleil d'hiver»; c'est-à-dire amitié rare comme le
beau temps dans la froide saison, ou bien amitié qui peut avoir par
moment quelque éclat, mais qui manque de chaleur. Les Languedociens ont
ce proverbe: «_Amour dé noros, amour dé jhendrés es uno bugado sans
cendrés._ Amour de brus, amour de gendres, c'est une lessive sans
cendres.» Pourquoi cette assimilation d'une mauvaise amitié et d'une
mauvaise lessive? Serait-ce parce que la première n'efface pas les
taches du caractère, de même que la seconde n'efface pas les taches du
linge?

«Collé, auteur connu par des ouvrages où respire la gaieté, a fait une
longue et triste comédie pour prouver que le gendre ne peut rester l'ami
de son beau-père. Cette maxime est exagérée, quoiqu'il soit difficile à
un père de supporter la diminution de l'affection de sa fille et celle
de sa fortune.» (Pensées du général Petiet.)

Nous avons encore un proverbe remarquable qui fait bien sentir, par le
double résultat qu'il présente, combien il faut agir prudemment dans le
choix d'un gendre: _Qui trouve un bon gendre gagne un fils, qui en
trouve un mauvais perd une fille._

Piron a fait usage de ce proverbe d'origine orientale dans les vers
suivants de sa comédie intitulée l'_Amant mystérieux_.

    Quand on choisit un gendre, il faut le choisir bien,
    Et ce choix-là n'est pas une affaire de rien:
    S'il est bon, vous gagnez un fils à la famille,
    Et, quand il est mauvais, vous perdez une fille.

(Act. II, sc. VIII.)


Les amitiés devraient être immortelles, et mortelles les inimitiés.

Maxime proverbiale rapportée par l'historien Tite-Live. _Amicitias
immortales, inimicitias mortales esse debere_ (XL, 46). Elle exprime un
vœu qu'il n'est pas donné aux hommes de réaliser. Aussi ne
s'emploie-t-elle que comme formule de regret quand on voit des unions
heureuses rompues subitement par la mort.--Un proverbe hébreux dit: _Une
amitié qui a pu vieillir ne devrait jamais mourir._

Fénelon souhaitait que les amis s'entendissent pour mourir le même jour.

C'est ce qui se faisait chez les Gaulois. L'ami ne voulait pas survivre
à son ami et s'enfermait avec lui dans le même tombeau. Admirable
résultat produit par deux grandes vertus trop méconnues aujourd'hui, le
dévouement le plus sincère, et la foi la plus vive à l'immortalité de
l'âme.


L'affection aveugle la raison.

On n'aperçoit pas ordinairement les défauts des personnes qu'on aime, et
souvent même on prend ces défauts pour des qualités; car l'illusion est
un effet nécessaire du sentiment dont la force se mesure presque
toujours par le degré d'aveuglement qu'il produit. «Le cœur, dit Pascal,
a ses raisons que la raison ne connaît pas.»

Il en est de la haine comme de l'amour: «Ni l'un ni l'autre, dit saint
Bernard, ne savent juger selon les règles de la vérité.» (_De Grad.
humilitatis._) De même que l'amour prend les défauts pour des qualités,
la haine prend les qualités pour des défauts.

«Oh! qu'il en est peu qui voient les défauts de ceux qu'ils aiment et
les bonnes qualités de ceux qu'ils haïssent! _Un père_, dit le proverbe,
_ne connaît pas les défauts de son fils, ni le laboureur la fertilité de
son champ._» (Confucius.)

_L'amour et la haine mettent un voile devant les yeux, l'un ne laisse
voir que le bien, et l'autre que le mal._ (Prov. arabe.)


On voit toujours par les yeux de son affection.

    Et fût-il plus parfait que la perfection,
    L'homme voit par les yeux de son affection.

(Régnier, Sat. V.)

L'historiette suivante, empruntée à Helvétius, qui l'a empruntée à un
vieux conteur, servira de commentaire à ce proverbe. Un curé et une dame
galante se trouvaient dans un observatoire. Ils avaient ouï dire que la
lune était habitée, et, le télescope en main, tous les deux tâchaient
d'en reconnaître les habitants. «Si je ne me trompe, dit d'abord la
dame, j'aperçois deux ombres. Elles s'inclinent l'une vers l'autre. Je
n'en doute point, ce sont deux amants heureux.--Eh! non, madame, s'écria
le curé, les deux amants que vous croyez voir sont les clochers d'une
cathédrale.» Ce conte est notre histoire. Nous n'apercevons le plus
souvent dans les choses que ce que nous désirons y trouver. Sur la
terre, comme dans la lune, des passions différentes nous font toujours
voir ou des amants ou des clochers.

Montesquieu a dit, dans une de ses lettres à l'abbé de Guasco, pour
marquer cette disposition de l'esprit qui nous entraîne continuellement
vers les objets avec lesquels l'usage nous a familiarisés, qui fait de
nos idées et de nos paroles des échos de nos préoccupations habituelles:
«Le curé voit en songe son clocher, et la servante y voit sa culotte.»



PROVERBES

SUR

L'AMOUR


Il faut aimer pour être aimé.

Proverbe rapporté par Sénèque: _Si vis amari, ama_ (_Epist._ IX), et
très-bien expliqué dans ce passage de J.-J. Rousseau: «On peut résister
à tout, hors à la bienveillance, et il n'y a pas de moyen plus sûr de
gagner l'affection des autres que de leur donner la sienne. On sent
qu'un tendre cœur ne demande qu'à se donner, et le doux sentiment qu'il
cherche le vient chercher à son tour.»

Il y a dans une passion véritable une puissance d'attraction qui finit
par triompher, non-seulement de l'indifférence, mais de la haine, et
c'est avec raison qu'un grave archevêque de Paris, monseigneur de
Péréfixe, a dit: «Le philtre de l'amour, c'est l'amour même.»

Les Italiens ont ce proverbe: «_Chi non arde non incende._ Qui n'est pas
en feu n'enflamme point.»


C'est trop aimer quand on en meurt.

Proverbe que Gilles de Nuits ou des Noyers (Ægidius Nuceriensis), dans
son recueil d'_Adages françois_, traduits en vers latins, _Adagia
gallica_, etc., a rendu par ce pentamètre:

    _Semper amor nimius dum fera mors sequitur._

Ce proverbe est du moyen âge, où le culte de l'amour pouvait faire des
martyrs. Il trouve rarement son application dans notre siècle d'égoïsme.
On dit, au contraire, aujourd'hui: _Mort d'amour et d'une fluxion de
poitrine._

Le troubadour Pons de Breuil avait écrit, à ce que nous apprend
Nostradamus, un roman jadis très-goûté, dont le titre était: «_Las amors
enrabyadas de Andrieu de Fransa._ Les amours enragées d'André de
France.» Il se pourrait que le proverbe fût venu d'une allusion au héros
de ce roman, mort d'amour pour une reine du pays, et fréquemment cité
comme le parfait modèle des amants.

Le _Romancero_ espagnol nous offre l'histoire de l'amoureux don
Bernaldino, qui disait: «Ma gloire est à bien aimer,» et qui se tua de
désespoir parce que le père de son amie Léonor avait emmené cette belle
en pays lointain. Ses vassaux, désolés de sa mort, lui élevèrent un
mausolée tout de cristal, où ils gravèrent une épitaphe touchante
terminée par ces deux vers:

    Aqui está don Bernaldino
    Que murió por bien amar.

  «Ci-gît don Bernaldino, qui mourut pour bien aimer.»

Sahid, fils d'Agba, demandait un jour à un jeune Arabe: «A quelle tribu
appartiens-tu?--J'appartiens à celle chez laquelle on meurt d'amour.--Tu
es donc de la tribu des Arza?--Oui, j'en suis, et je m'en glorifie.»

Ajoutons que cette tribu, célèbre par son caractère d'amour passionné, a
fourni presque tous les noms qui figurent dans un livre ou nécrologe
arabe fort curieux, intitulé _Histoire des Arabes morts d'amour_.


Feindre d'aimer est pire que d'être faux monnayeur.

Cette maxime proverbiale est sans doute du temps des Amadis, où le faux
amour était _plus décrié que la fausse monnaie_. Je le remarque, afin
qu'elle ne paraisse pas trop étrange, aujourd'hui qu'on ne reconnaît
plus rien de sérieux ni de vrai dans l'amour, et qu'on en fait un jeu de
société qui ne se joue qu'avec de faux jetons, et où tout le monde
triche. Autres temps, autres mœurs.


Mieux vaut aimer bergères que princesses.

On a voulu chercher une origine historique à ce proverbe, qui est né
peut-être de la simple réflexion, et l'on a trouvé cette origine dans
l'affreux supplice que subirent deux gentilshommes normands, Philippe
d'Aulnai et Gauthier d'Aulnai, son frère, convaincus d'avoir eu, pendant
trois ans, un commerce adultère avec les princesses Marguerite et
Blanche, épouses de Louis et de Charles, fils de Philippe le Bel. Les
chroniques en vers de Godefroy de Paris (Manuscrits de la Bibliothèque
nationale, nº 6,812) nous apprennent que les deux coupables furent
mutilés, écorchés vifs, traînés, après cela, dans la prairie de
Maubuisson tout fraîchement fauchée, puis décapités et pendus par les
aisselles à un gibet. Quant aux deux princesses, elles furent
honteusement tondues et incarcérées. Marguerite fut étranglée dans la
suite au château Gaillard, par ordre de son époux, Louis le Hutin, qui
voulut se remarier en montant sur le trône. Blanche passa le reste de sa
vie dans une triste captivité.


Aimer à la franche marguerite.

Cette locution, employée pour dire être dans une disposition d'amour
pleine de sincérité et de confiance, fait allusion à une superstition
amoureuse bien connue dans les campagnes, et que je vais expliquer.

Telle est la disposition du cœur de l'homme que, dans toutes les
passions qu'il éprouve, il ne saurait jamais s'affranchir d'une sorte de
superstition. On dirait que, ne trouvant dans le monde réel rien qui
réponde pleinement aux besoins d'émotion et de sympathie produits par
l'exaltation de son être, il cherche à étendre ses rapports dans un
monde merveilleux. C'est surtout dans l'amour que se manifeste cette
disposition. L'amant est curieux, inquiet, il veut pénétrer l'avenir
pour lui arracher le secret de sa destinée. Il rattache ses craintes et
ses espérances à toutes les pratiques mystérieuses que son imagination
lui fait croire capables de changer la volonté du sort et de la disposer
en sa faveur. Il veut trouver dans tous les objets de la nature des
assurances contre les craintes dont il est assiégé. Il les interroge sur
les sentiments de celle qu'il adore. Les fleurs, qui lui présentent son
image, lui paraissent surtout propres à révéler l'oracle de l'amour.
Lorsqu'il va rêvant dans la prairie, il cueille une marguerite, il en
arrache les pétales l'un après l'autre, en disant tour à tour:
«M'aime-t-elle?--pas du tout,--un peu,--beaucoup,--passionnément,» dans
la persuasion que ce qu'il tient à savoir lui sera dit par celui de ces
mots qui coïncidera avec la chute du dernier pétale. Si ce mot est _pas
du tout_, il gémit, il se désespère; si c'est _passionnément_, il
s'enivre de joie, il se croit destiné à la suprême félicité, car la
marguerite est trop franche pour le tromper.

Les amoureux villageois emploient aussi la plante vulgairement appelée
pissenlit pour savoir s'ils sont aimés. Ils soufflent fortement sur les
aigrettes duveteuses de cette plante, et s'ils les font toutes envoler
d'un seul coup, c'est un signe certain qu'ils ont inspiré un véritable
amour.

Les bergers de Sicile, comme on le voit dans la troisième idylle de
Théocrite, se servaient d'une feuille de la plante que ce poëte nomme
_téléphilon_ (espèce de pavot). Ils la pressaient entre leurs doigts de
manière à la faire claquer; car ils regardaient ce claquement comme un
heureux présage que leur tendresse ne pouvait manquer d'être payée de
retour.

Les jeunes paysans anglais, lorsqu'ils aiment, ont soin de porter dans
leurs poches des boutons d'une certaine plante qui sont appelés, en
raison d'un tel usage: _bachelor's buttons_ (boutons de jeunes gens),
persuadés que la manière dont ces boutons s'ouvrent et se flétrissent
doit leur faire connaître s'ils réussiront ou non auprès de l'objet de
leur passion: Shakespeare a rappelé cette coutume dans les _Joyeuses
Bourgeoises de Windsor_ (act. III, sc. II).


S'aimer comme deux tourterelles.

Les naturalistes et les poëtes du moyen âge ont fait de ces oiseaux le
symbole de la tendresse et de la fidélité conjugales. Ils nous
apprennent que le mâle ne s'attache qu'à une seule femelle, et la
femelle qu'à un seul mâle; qu'ils vivent dans la plus étroite union, et
que si l'un d'eux vient à mourir, le survivant renonce à s'apparier avec
un autre.

On lit à ce sujet dans le _Bestiaire divin_ composé par le clerc ou
trouvère Guillaume: «O vous, hommes et femmes, que l'Église a unis par
les liens éternels du mariage, vous qui avez juré d'être fidèles, et qui
tenez si mal vos serments, instruisez-vous par l'exemple de la
tourterelle. Dans les bois épais qu'elle habite, elle aime sans partage
et veut être aimée de même. Lorsqu'elle perd sa compagne, il n'est point
de saison, point de moment où elle ne gémisse. Elle ne se pose ni sur le
gazon, ni sous la feuillée; mais elle attend toujours celle qu'elle a
perdue, et ne forme jamais de nouveaux liens. Elle n'oublie point son
premier ami, et, s'il meurt, le reste de la terre lui est indifférent.

«O vous qui vivez dans le tourbillon du monde, apprenez de cet oiseau
l'inviolable fidélité des regrets, et ne faites point comme ces maris
qui, en revenant de l'enterrement de leurs femmes, s'occupent, dès le
soir même, de la remplacer.» (Ch. XXXI.)

L'abbé Salgues dit: «La tourterelle est si douce qu'on regrette de lui
enlever la réputation qu'on lui a faite d'être un modèle de fidélité;
mais la douceur est souvent compagne de la faiblesse, et je suis forcé
d'avouer que j'ai vu des tourterelles oublier les lois de la constance
pour coqueter avec des amants. Peut-être était-ce la contagion du
mauvais exemple, car ces tourterelles étaient domestiques et vivaient
parmi nous. Cependant Le Roy (naturaliste) assure qu'il en a vu de
sauvages faire deux heureux de suite, sans quitter la même branche.»


S'aimer comme Robin et Marion.

S'aimer d'un amour tendre et fidèle. Il y a une espèce de pastorale du
douzième siècle, le _Jeu du Berger et de la Bergère_, par Adam de la
Halle, où Robin et Marion sont représentés comme les parfaits modèles
des amants. Le chevalier Aubert, épris de Marion, l'accoste en lui
demandant pourquoi elle répète si souvent et avec tant de plaisir le nom
de Robin. Elle répond: «C'est que j'aime Robin, et que Robin m'aime.» Il
lui déclare qu'il l'aime aussi, qu'elle serait plus heureuse avec lui,
et il cherche à la séduire par les plus belles promesses. Voyant enfin
qu'il ne peut y réussir, il veut l'enlever. Mais elle résiste, et il est
forcé de la laisser aller vers son cher Robin, avec qui l'auteur nous la
montre échangeant les plus doux témoignages d'une tendresse mutuelle.

Cette pièce que les jongleurs jouaient et chantaient dans les festins
publics, entre les mets ou après les mets, a sans doute donné lieu à
l'expression proverbiale: _s'aimer comme Robin et Marion_, ainsi qu'à
cette autre expression analogue: _être ensemble comme Robin et Marion_,
c'est-à-dire en parfaite intelligence.

On dit aussi de deux amants inséparables: _L'un ne va pas sans l'autre,
non plus que Robin sans Marion._


On ne peut aimer et être sage tout ensemble.

C'est un apophthegme que Plutarque, dans la _Vie d'Agésilas_, attribue à
ce grand capitaine. Il s'explique par le proverbe: «_Omnis amans amens_,
tout amant est fou.» Les Latins disaient encore qu'aimer et être sage à
la fois était à peine possible à un dieu.

    _Amare et sapere vix deo conceditur._

(P. Syrus.)

Il y a bien des dames, disons-le à leur gloire, qui cherchent tous les
jours à démentir ce proverbe; plus elles font l'amour, plus elles
s'efforcent de passer pour sages: _e sempre bene_.


Aimer n'est pas sans amer.

Ou plus simplement _aimer est amer_. Ce jeu de mots était un vrai
calembour dans l'ancien temps, où l'on disait _amer_ pour _aimer_. Le
sens est suffisamment expliqué par cette apostrophe à l'amour, tirée des
_Stances sur le déplaisir d'un départ_, partie IV, liv. XI du roman
d'_Astrée_.

    Que nos sages Gaulois savoient bien ta coustume,
    Lorsque pour dire _aimer_, ils prononçoient amer!
    Amers sont bien tes fruits, et pleines d'amertume
    Sont toutes les douceurs qu'on a pour bien aimer.


Qui ne sait pas céler ne sait pas aimer.

Le mystère est nécessaire à l'amour, et il ajoute beaucoup à la vivacité
de cette passion, dont il est la preuve. Ce proverbe est traduit du
texte latin, _qui non celat amare non potest_, qui forme le second des
trente et un articles du _Code d'amour_, qu'on trouve dans l'ouvrage
intitulé _Livre de l'art d'aimer et de la réprobation de l'amour_, par
maître André, chapelain de la cour royale de France, vers 1176.

«L'amour aime de sa nature tellement le secret et le mystère, qu'on peut
dire que tout ce qui n'est ni secret ni mystérieux n'est point amour.»
(Mlle de Scudéri.)

Le comte de Bussy-Rabutin, qui regardait aussi le mystère comme un
assaisonnement nécessaire de l'amour, a dit dans une de ses maximes:

    Aimez, mais d'un amour couvert,
    Qui ne soit jamais sans mystère.
    Ce n'est pas l'amour qui nous perd,
    Mais la manière de le faire.


Aimer mieux de loin que de près.

Expression qui a beaucoup de rapport avec ce vers qu'Alcyone adresse à
Céyx, dans les _Métamorphoses_ d'Ovide (liv. XI, fab. XI):

    _Jam via longa placet, jam sum tibi carior absens._

Il est bien vrai qu'on aime mieux certaines personnes lorsqu'on n'est
plus auprès d'elles, celles surtout qui sont d'un caractère conciliant,
parce que leurs défauts, rendus moins sensibles et presque effacés par
l'éloignement, ne contrarient plus la tendre impulsion du cœur, d'où le
proverbe russe: _Ensemble, à charge; séparés, supplice_, proverbe qui
peut avoir été suggéré par ce joli vers latin:

    _Nec possum tecum vivere, nec sine te._

  Je ne puis vivre avec toi ni sans toi.

Mais ce n'est pas là ce qu'on entend d'ordinaire quand on dit _aimer
mieux de loin que de près_. Cette phrase n'a pas été faite pour exprimer
ce que Mme de Sévigné appelle si heureusement _les unions de l'absence_,
et elle ne s'emploie guère que pour signifier qu'on ne se soucie point
d'avoir un commerce assidu avec une personne.


Qui bien aime tard oublie.

Un sentiment vif et sincère laisse dans le cœur qui l'éprouve un
souvenir qui dure longtemps. Ce proverbe usité en langue romane, _qui
ben ama tart oblida_, est passé dans plusieurs autres langues, et ce qui
est assez curieux, il a été employé en vieux français par Chaucer, poëte
anglais du quinzième siècle, dans son poëme intitulé: _The Assemble of
foule_ (st. 97),

    Hom ki bien aime tart ublie.

Chaucer l'avait peut-être tiré d'un poëme relatif aux aventures de
Tristan, où il se trouve sous les mêmes termes.

Il y a beaucoup d'autres proverbes formulés primitivement en langue d'oc
et en langue d'oïl qui sont devenus communs aux Italiens, aux Espagnols,
aux Anglais, aux Allemands. J'en ai compté plus de quinze cents dont
l'invention a été attribuée à ces peuples, qui n'ont fait que les
emprunter à notre ancienne littérature. Ce que je dis n'est pas une
assertion hasardée, c'est une vérité établie sur des preuves
chronologiques qu'on ne saurait contester, et que j'ai données, en grand
nombre, dans mes _Études historiques, littéraires et morales sur le
langage proverbial_.


Il fait bon voir vaches noires en bois brûlé, quand on aime.

Les amants se plaisent à bercer leur tendre rêverie de félicités
imaginaires; «et c'est bien ce qu'on dict en proverbe, qu'il faict bon
voir vasches noyres en boys bruslés, quand on jouit de ses amours.»
(Rabelais, liv. II, c. XII.)

_Voir vaches noires en bois brûlé_ est une locution qui signifie se
forger d'agréables chimères, poursuivre de douces illusions, comme font
les vachers lorsque, devant leur feu, ils rêvent au bonheur d'avoir de
bonnes vaches noires, réputées meilleures laitières que les autres, et
croient les voir apparaître avec leurs mamelles pendantes dans les
figures fantastiques que les tisons, en se consumant, offrent à leurs
yeux. Les _vaches noires en bois brûlé_ sont les châteaux en Espagne des
vachers.


Qui aime vilement s'avilit.

Proverbe traduit du roman _qui ama vilmen si eis vilzis_. Il exprime une
opinion qui régnait aux époques chevaleresques et qui interdisait à tout
gentilhomme de choisir pour son épouse ou pour sa dame une femme issue
de basse condition. Cette mésalliance, réputée honteuse et avilissante,
surtout dans le mariage, exposait celui qui l'avait contractée à une
pénalité dégradante que les autres nobles lui infligeaient. Saint-Foix
cite, à ce sujet, dans ses _Essais historiques sur Paris_, le passage
suivant d'un écrit du roi René: «Un gentilhomme qui se rabaissoit par
mariage, et qui se marioit à une femme roturière et non noble, devoit
subir la punition, qui étoit qu'en plein tournoi tous les autres
seigneurs, chevaliers et écuyers, se devoient arrêter sur lui et tant le
battre qu'ils lui fissent dire qu'il donnoit cheval et qu'il se
rendoit.»


    Un cheveu de ce qu'on aime
    Tire plus que quatre bœufs.

Proverbe pris d'une ancienne chanson et employé pour marquer l'empire
que peut exercer une femme sur les volontés de l'homme qui l'adore. Il y
a dans l'_Anthologie grecque_ de Planude (VII, 39) une épigramme de Paul
le Silentiaire, où un amant dit que sa Doris l'a attaché avec un cheveu
de sa blonde tresse, et que ce lien, qu'il se flattait de rompre avec
facilité, est devenu une chaîne d'airain contre laquelle tous ses
efforts sont impuissants. «O malheureux que je suis! s'écrie-t-il, je ne
suis lié que par un cheveu, et ma Doris me mène ainsi comme elle veut!»

Nous disons encore: _On tire plus de choses avec un cheveu de femme
qu'avec six chevaux bien vigoureux._ Ce qui signifie que l'entremise
d'une belle dans une affaire est un des plus puissants moyens de succès.

Les Persans disent dans un sens analogue: _Celui qui est aimé d'une
belle femme est à l'abri des coups du sort._--Rapprochons de cela cet
autre proverbe: _Une belle solliciteuse vaut bien une bonne raison_;
c'est-à-dire une belle solliciteuse obtient tout ce qu'elle veut. Et
comment résister à une femme aimable qui vous implore, qui a des regards
ravissants, des souris gracieux, des paroles pleines de charme, des
mains blanches qui vous pressent et des baisers qui vous enivrent! il
n'y a pas moyen de s'en tirer autrement que par la réponse que M. de
Calonne, ministre, fit à une princesse charmante qui lui recommandait
une affaire: «Madame, si la chose est possible, elle est déjà faite, et
si elle est impossible, elle se fera.»


Un peu d'absence fait grand bien.

Les personnes qui s'aiment se revoient avec plus de plaisir après une
courte séparation. Le sentiment, affaibli par l'habitude d'être
ensemble, se retrempe dans l'absence. «L'imagination, dit Montaigne,
embrasse plus chauldement et plus continuellement ce qu'elle va querir
que ce que nous touchons. Comptez vos amusements journaliers, vous
trouverez que vous estes le plus absent de votre ami quand il vous est
présent. Son assistance relasche votre attention et donne liberté à
votre pensée de s'absenter à toute heure, pour toute occasion.» (_Ess._,
III, IX.)

Les deux passages suivants de Saady offrent une explication plus
sensible: «Abuhurra allait tous les jours rendre ses devoirs à Mahomet,
à qui Dieu veuille être propice! Le prophète lui dit: Abuhurra, viens me
voir plus rarement, si tu veux que notre amitié s'accroisse, de trop
fréquentes visites l'useraient trop promptement.»

Un plaisant disait: «Depuis le temps qu'on vante la beauté du soleil, je
n'ai jamais ouï dire que personne en soit devenu plus amoureux.--C'est,
répondit-on, parce qu'on le voit tous les jours, excepté en hiver, où il
se cache quelquefois sous les nuages. Mais alors même on en connaît
mieux le prix.»

Un amant dit à sa maîtresse dans une épigramme d'Owen:

    _Sol fugitur præsens, idemque requiritur absens:
          Quam similis soli est, Nævia, noster amor!_

  «On fuit le soleil présent, on le cherche absent. O Névia, combien
  notre amour ressemble au soleil!»

Raynouard parle d'un tenson manuscrit où est discutée cette question:
«Laquelle est plus aimée, ou la dame présente ou la dame absente? Qui
induit le plus à aimer, ou les yeux ou le cœur?» Cette question,
ajoute-t-il, fut soumise à la décision de la cour d'amour de Pierrefeu
et de Signe, mais l'histoire ne nous apprend pas quelle fut la décision.

Le silence de l'histoire fait supposer celui de la cour d'amour. Les
dames siégeant à ce tribunal sentirent sans doute qu'il valait mieux se
taire que de prononcer sur une question qu'elles ne pouvaient résoudre
sans se placer dans une alternative nuisible à leurs intérêts; car, en
décidant pour la présence ou pour les yeux, elles eussent donné à leurs
amants une sorte de droit d'avoir toujours les yeux sur elles, ce qui
serait devenu incommode ou compromettant sous plusieurs rapports, et, en
accordant gain de cause à l'absence ou au cœur, elles se fussent
exposées à ne jouir que par passades de leurs adorateurs changés en
chevaliers errants: situation incompatible avec les sentiments des
femmes, qui sont toujours plus jalouses d'être aimées de près que de
loin.

Quoi qu'il en soit, les personnes qui sentent l'amour prêt à les quitter
et qui désirent retenir ce volage, ne sauraient mieux faire que de le
soumettre, pendant quelque temps, au régime fortifiant de l'absence, car
_l'absence est un moyen de se rapprocher_, comme dit un proverbe turc.
Une fois séparées par l'espace, elles se toucheront de plus près par le
cœur. Il y avait répulsion à proximité, il y aura attraction à distance.
Ce sont là deux phénomènes dépendant de plusieurs causes fort
naturelles. La plus générale, c'est que les amants dépareillés par la
séparation passent d'un état de satiété qui alanguissait leurs désirs à
un état de privation qui les excite. L'éloignement produit d'ailleurs
dans l'amour le même effet que dans la perspective, où il prête aux
objets une apparence plus agréable en les montrant sous des formes
arrondies qui font disparaître les aspérités. Ils ne laissent plus voir
l'objet aimé que par les côtés séduisants: les défauts cessent d'être
aperçus, les qualités se présentent sans ombre, elles s'embellissent au
gré de l'imagination et du sentiment, elles se transforment en idéalités
poétiques, et le rêve doré des premières amours recommence.

Properce (liv. II, élégie 35) dit que l'absence des amants est un
surcroît heureux au feu de l'amour:

    _Semper in absentes felicior æstus amantes._

Il ne faut pas croire pourtant que l'absence ait une influence
vivifiante sur toutes les passions. Elle augmente les grandes et diminue
les petites.

On connaît ce distique proverbial qui a survécu à d'autres vers du comte
de Bussy-Rabutin, son auteur:

    L'absence est à l'amour ce qu'est au feu le vent:
    Il éteint le petit, il allume le grand.

Il paraît avoir été pris de cette pensée de La Rochefoucauld: «L'absence
diminue les médiocres passions et augmente les grandes, comme le vent
éteint les bougies et allume le feu.»

La Rochefoucauld passe pour avoir tiré sa pensée de la réflexion
suivante de saint François de Sales, qu'il s'est appropriée en
l'appliquant à l'absence: «Ce sont les grands feux qui s'enflamment au
vent, mais les petits s'éteignent si on ne les met à couvert.»
(_Introduction à la vie dévote_, part. III, ch. XXXIII.)

La comparaison était connue et probablement populaire avant ces trois
auteurs, et les trois manières dont ils l'ont employée ne sont que des
variantes de la maxime persane que voici: «Les obstacles abattent les
âmes vulgaires, tandis qu'ils exaltent celles des héros, semblables à un
vent impétueux qui éteint les flambeaux et allume les incendies.»


L'absence est l'ennemie de l'amour.

«L'absence, dit un écrivain anglais, tue l'amant ou l'amour.»

On sent, d'après les explications données dans l'article précédent,
qu'il s'agit ici de l'absence prolongée et non de l'absence passagère,
car celle-ci agit sur l'amour à l'inverse de l'autre. La longue absence
l'éteint, et la courte absence le rallume. Il en est de l'absence comme
de la diète, qui est nuisible ou salutaire au malade selon qu'il y a
excès ou mesure dans sa durée.


L'absence est pire que la mort.

L'absence est, dit-on, la mort moins le repos. Elle cause donc plus de
souffrances que la mort aux personnes sensibles, qui quelquefois aiment
mieux cesser de vivre que de continuer de vivre dans l'éloignement de
l'objet de leur affection. Un distique du chevalier Vatan donne, par un
sophisme ingénieux, une autre explication de ce lieu commun proverbial,
si fréquemment et si longuement développé dans toutes les
correspondances épistolaires des amants _condamnés par le sort barbare à
gémir_, éloignés l'un de l'autre.

    De deux amants la mort ne fait qu'un malheureux,
    C'est celui qui survit; mais l'absence en fait deux.


Loin des yeux et loin du cœur.

Proverbe pris du vers suivant de Properce, liv. III, élég. 21.

    _Quantum oculis animo tam procul ibit amor._

Il s'explique très-bien par cet autre proverbe qu'on trouve dans le
troubadour Peyrols: «_Cor oblida qu'elhs no ve._ Cœur oublie ce qu'œil
ne voit.»

Un bel esprit, écrivant à un voyageur qui se plaignait d'être loin des
beaux yeux de la dame de ses pensées, lui rappelait le proverbe et
ajoutait plaisamment: «Ce proverbe s'est toujours accompli à Paris comme
un arrêt du destin contre les absents. Hâtez-vous donc d'oublier la
maîtresse que vous y avez laissée, car il est bon de prévenir les
infidèles.»


Les yeux sont messagers du cœur.

Traduction littérale du proverbe roman: _Los uelhs so messatgier del
cor._--Les yeux de deux amants se cherchent et se rencontrent sans
cesse. Fidèles conducteurs de ce fluide magnétique qui va remuer au fond
des cœurs tout ce qu'il y a de plus intime, ils le versent de l'un à
l'autre, et par cette correspondance réciproque les confondent et les
absorbent dans le même sentiment. Le troubadour Hugues Brunet de Rhodez
a dit sur ce sujet: «L'amour s'élance doucement d'œil en œil, de l'œil
dans le cœur, du cœur dans les pensées.»

On trouve dans une chanson des Grecs modernes: «L'amour se prend par les
yeux, il descend sur les lèvres, des lèvres il se glisse dans le cœur,
et y prend racine.»


Le cœur ne vieillit pas.

Pour signifier que le cœur, chez les personnes âgées, n'éprouve pas
toujours le refroidissement que la vieillesse communique aux autres
organes, qu'il conserve une certaine chaleur de sentiment, qu'il est
quelquefois sujet à s'enflammer d'amour et qu'il ne doit pas être
considéré comme une propriété assurée contre l'incendie.

Nous avons encore le proverbe _le cœur n'a point de rides_, c'est-à-dire
qu'on est toujours jeune pour aimer.

On connaît cet autre proverbe: _Le bois sec brûle mieux que le bois
vert_, vulgairement employé pour faire entendre qu'une personne âgée est
quelquefois plus portée à l'amour qu'une jeune, et qu'elle éprouve cette
passion avec plus d'ardeur.

Voici un sixain assez plaisant qu'il faut joindre aux _errata_ dont un
tel proverbe paraît susceptible:

    Un vieillard faisait les yeux doux
    A Lise, jeune et belle femme,
    Et lui redisait à tous coups
    Que _bois sec mieux que vert s'enflamme_
    «Non pas, lui répondit la dame,
    Lorsque le bois vert est dessous.»


L'âme d'un amant vit dans un corps étranger.

Cet adage ingénieux, rapporté par Plutarque dans la _Vie de
Marc-Antoine_, signifie qu'un amant est tout entier à sa passion et ne
s'appartient pas à lui-même. Suivant un autre adage, «l'âme d'un amant
vit plus dans ce qu'elle aime que dans ce qu'elle anime, _anima plus
vivit ubi amat quam ubi animat_,» parce que, disent les philosophes,
elle est par nécessité là où elle anime, tandis qu'elle est par choix et
par inclination là où elle aime.


L'amant se transforme en l'objet aimé.

Quand on est véritablement amoureux, on prend l'esprit de la personne
qu'on aime, on pense d'après elle, on sent par son cœur, on voit par ses
yeux, on renonce, pour ainsi dire, à ce qu'on est soi-même pour devenir
ce qu'elle est et ne faire plus qu'un avec elle. Tel est le sens de
cette maxime proverbiale dont Mme de Motteville a fait l'application à
la reine épouse de Louis XIV, dans le passage suivant de ses _Mémoires_:
«Si elle était chagrine, c'est parce que, selon ce que disent les
philosophes, _l'amant se transforme en l'objet aimé_, et que, voyant le
roi triste, il était impossible qu'elle fût gaie.»

M. Michelet a exhumé des œuvres de Morin, auteur peu connu qu'il appelle
«un homme du moyen âge égaré dans le dix-septième siècle», le vers
charmant que voici:

    Tu sais bien que l'amour change en lui ce qu'il aime.

Ce vers, que M. Michelet loue avec raison, n'est qu'une variante du
proverbe suivant, beaucoup plus ancien.


L'amant écoute du cœur les prières de sa belle.

Ce proverbe, plein de délicatesse dans la pensée et dans l'expression,
s'emploie pour signifier qu'un amant a une sorte d'intuition qui lui
fait sentir, deviner les désirs de sa maîtresse et qu'il ne pense qu'à
les prévenir. Il est traduit de ce texte roman:

    _L'amoros au de cor los precs de sa domna._

Racine a dit heureusement dans son _Andromaque_, par une expression dans
le genre de celle du proverbe, qui lui était probablement inconnu:

    Tu lui _parles du cœur_, tu la cherches des yeux.

(Acte IV, sc. V.)

_Écouter du cœur_ offre la même beauté poétique que _parler du cœur_.


La bourse d'un amant est liée avec des feuilles de poireau.

C'est-à-dire qu'elle n'est pas liée, parce que les feuilles de poireau,
qui se rompent aussitôt qu'on veut les nouer, ne peuvent servir de
lien.--Ce proverbe, qui était usité chez les Grecs et chez les Latins,
et qui est cité dans les _Symposiaques_ de Plutarque (liv. Ier, quest.
5), s'emploie pour marquer la prodigalité des amants. Cette prodigalité,
dont on pourrait citer des milliers d'exemples remarquables, ne s'est
jamais manifestée par un trait plus charmant que celui qui a inspiré à
J. Delille les vers suivants de son poëme de l'_Imagination_, chant IV:

    Que j'aime ce mortel qui, dans sa douce ivresse,
    Plein d'amour pour les lieux où jouit sa tendresse,
    De ses doigts que paraient des anneaux précieux
    Détache un diamant, le jette et dit: «Je veux
    Qu'un autre aime après moi cet asile que j'aime,
    Et soit heureux aux lieux où je le fus moi-même.»
    Cœur noble et délicat! dis-moi quel diamant
    Égale un trait si pur et vaut ton sentiment?

C'est ainsi, dit-on, que le duc de Buckingham témoigna l'ivresse de son
bonheur à l'endroit où la reine de France, Anne d'Autriche, venait de
lui avouer qu'elle l'aimait. Ce trait fut reproduit, dans la suite, par
milord Albemarle, le même qui, voyant un soir Mlle Gaucher, sa
maîtresse, occupée à regarder fixement une étoile, s'écria: «Ne la
regardez pas tant, ma chère, je ne pourrais vous la donner.»

Le sentiment qui respire dans ce mot, où le cœur s'est exprimé avec tant
d'esprit et de délicatesse, se trouve sous une forme non moins naïve
qu'originale dans ces vers d'une ballade qui est insérée parmi les
ballades de Villon, mais qui n'est pas de Villon:

    Or elle a tort, car haine ne rancune
    Onc n'eut de moi; tant lui fus gracieux
    Que s'elle eust dit: Baille-moi de la lune,
    J'eusse entrepris de monter jusqu'aux cieux.

Un barde gallois nommé Moke, qui florissait au treizième siècle, dit
dans une pièce de vers où il loue l'excessive libéralité de je ne sais
plus quel prince: «Si je souhaitais que mon prince me fît cadeau de la
lune, il me la donnerait certainement.»

J'ignore si la phrase de Moke a été l'origine ou l'application de cette
locution proverbiale par laquelle on caractérise un homme galant et
magnifique qui ne refuse rien aux désirs de la femme qu'il adore: _Il
décrocherait la lune pour elle._

Gœthe fait dire à Méphistophélès parlant de Faust: «Un pareil fou
amoureux vous tirerait en feu d'artifice le soleil, la lune et les
étoiles, pour peu que cela pût divertir sa belle.»

Un proverbe roman dit: «_Pauc ama qui non fai messis._ Peu aime qui ne
fait dépenses.»


Querelles d'amants, renouvellement d'amour.

Traduction d'un proverbe des anciens encadré dans ce joli vers de
l'_Andrienne_ de Térence (act. III, sc. VI):

    _Amantium iræ, amoris integratio est._

Ovide a dit, dans son premier livre des _Amours_, que si les amants
n'avaient point de démêlés ils cesseraient bientôt de s'aimer:

    _Non bene, si tollas prælia, durat amor._

(Eleg. IV.)

On connaît le mot de Marivaux: «En amour querelle vaut mieux qu'éloge.»

Ainsi la colère est comme le sel de l'amour, elle le conserve. Ce n'est
pas tout, à l'effet conservateur qu'elle produit sur lui elle en joint
un autre non moins précieux: c'est le nouveau charme qu'elle lui
communique par la douceur des raccommodements dont elle est suivie.
D'après un proverbe latin traduit du grec, «l'amour après la colère est
plus agréable, _amor fit ex ira jucundior_.» Ce que Plutarque a expliqué
de cette manière: «De même que le soleil est plus ardent au sortir des
nuages, ainsi l'amour sorti de la colère et du soupçon, lorsque la paix
est faite et que les esprits sont apaisés, est plus agréable et plus
vif.»

Il ne faut donc pas s'étonner que tant de femmes se plaisent à exciter
la colère de leurs maris ou de leurs amants, puisqu'elles ont un double
intérêt à le faire. La chose d'ailleurs leur est conseillée par un
antique adage qui dit de pousser à la colère la personne qui aime, si
l'on tient à son amour.

    _Cogas amantem irasci, amari si velis._

(P. Syrus.)

Voilà le secret de la plupart des dépits amoureux chez les dames. Ils ne
sont pas toujours de purs caprices, comme les sots le prétendent, mais
le plus souvent des moyens calculés pour enflammer la passion qu'elles
inspirent. Ils sont aussi des témoignages de celle qu'elles éprouvent,
et, sous ce rapport, les hommes devraient leur en savoir gré.


Les amants qui se disputent s'adorent.

L'explication de ce proverbe se présente d'elle-même après ce qui a été
dit dans l'article précédent, et elle n'a pas besoin d'être donnée de
nouveau. Mais il n'est pas inutile d'ajouter que ceux et celles qui
prétendent faire de la dispute un aiguillon d'amour doivent avoir soin
de ne pas la prolonger, car elle produirait un effet contraire. C'est
une recommandation d'Ovide dans ses _Amours_:

    _Sed nunquam dederis spatiosum tempus in iram.
          Sæpe simultates ira morata facit._

(Lib. I, eleg. VIII.)

  «Ne vous abandonnez pas trop longtemps à la colère; une colère
  prolongée a souvent engendré la haine.»


Le mouvement des yeux est le langage des amants.

Et nul autre ne saurait mieux leur convenir. Il leur offre l'avantage de
converser au gré de leur cœur, au milieu d'un monde indiscret, sans en
être entendus: il les dispense, en outre, des lenteurs obligées de la
parole, qui ne pourrait exprimer que successivement les pensées qu'ils
sont pressés de se communiquer, et il leur permet de les exposer d'une
manière presque simultanée en un tableau vivant: par quels discours
rendrait-on aussi bien ce qu'on sent, quand on aime? «On voudrait, dit
Pascal, avoir cent langues pour le faire connaître; car, comme l'on ne
peut pas se servir de la parole, l'on est obligé de se réduire à
l'éloquence d'action... Un amour ferme et solide commence toujours par
l'éloquence d'action. Les yeux y ont la meilleure part.» (_Discours sur
les passions de l'amour_).


C'est tous les jours la fête du regard pour les amants.

On nommait autrefois «fête du regard» (_festum reguardi_), une entrevue
publique qu'avaient un fiancé et une fiancée, en présence de leurs
parents et amis, ordinairement le dimanche qui précédait la bénédiction
nuptiale. Carpentier en a parlé dans son _Glossaire_, et a cité, en
preuve du fait, des lettres de rémission de 1374, où se trouve cette
phrase: «Comme le jour de Nostre-Dame le suppliant feut alez voir la
_feste du regard_ qui se faisoit en l'hostel du prevost des marchands
(de Paris) d'une sienne fille, etc.» C'est sans doute de cette fête,
nommée aussi le _beau dimanche_, qu'est venu le proverbe employé pour
signifier que deux amants ont toujours les yeux fixés l'un sur l'autre,
avec un plaisir dont rien ne saurait les distraire.

«Oh! que ne puis-je, s'écrie Pétrarque, considérer, un jour entier du
moins, ces yeux dont l'amour dirige les mouvements! Dans cette
contemplation divine, je voudrais oublier autrui et moi-même; je
voudrais suspendre jusqu'au battement de ma paupière.»

Cette exclamation passionnée rappelle un vers charmant du poëme grec
_Héro et Léandre_: «J'ai fatigué mes yeux à la regarder; je n'ai pu me
rassasier de la voir.»

Saadi, dans son style oriental, fait dire à un amant ravi en extase
tandis qu'il contemple sa maîtresse: «Je verrais une flèche partir
devant moi et venir chercher mes yeux, que je ne pourrais les détourner
d'elle.»

Qu'on me pardonne de joindre à ces citations les vers suivants que j'ai
mis dans la bouche d'un amant parlant à sa belle absente:

        O de l'amour force et mystère!
        O sentiment impérieux!
        Je donnerais ma vie entière
        Pour ton aspect délicieux.
    A tout autre intérêt mon âme est étrangère;
    Eh! que m'importe, hélas! le jour qui vient des cieux
    Sans toi, le plus beau jour attriste ma paupière,
        Et je ne veux d'autre lumière
        Que celle qui part de tes yeux.

Les Anglais ont un proverbe qui dit qu'un aigle qui regarde fixement le
soleil ne pourrait soutenir le regard d'un amant: «_A lover's eyes will
gaze an eagle blind._ Les yeux d'un amant peuvent regarder un aigle de
façon à l'aveugler.»


Il est un Dieu pour les amants.

De même que pour les fous, les enfants et les ivrognes, parce que les
amants, non moins exposés que ces trois espèces d'individus à une foule
d'accidents funestes, y échappent comme eux par un bonheur inespéré
qu'on prend pour l'effet d'une protection spéciale du ciel. C'est de
l'antiquité païenne qu'est venue cette idée proverbiale de
l'intervention d'un dieu qui les préserve des dangers dont ils sont
menacés. Elle se trouve exprimée dans la vingt-neuvième élégie du second
livre de Properce. Ce poëte suppose qu'un amant est à l'abri du péril
sous la garde des immortels, que la douleur d'être abandonné de l'objet
de son amour peut seule lui donner la mort, et même que si la douce
présence de sa maîtresse venait le rappeler à la vie, fût-il déjà
descendu dans la barque infernale, l'immuable Destin ne l'empêcherait
pas de revoir la lumière.


    Les grands, les vignes, les amants,
    Trompent souvent dans leurs serments.

Ces deux vers, que Régnier a placés dans ses _Stances contre un amoureux
transy_, était un proverbe de son temps. Ce proverbe est trop clair pour
qu'il soit besoin d'en expliquer le sens. Je remarquerai seulement que
le mot _serments_ appliqué aux rejetons du cep de vigne se disait
autrefois pour _sarments_. En voici deux exemples curieux: «L'année que
Charles VIII renvoya Marguerite d'Autriche pour épouser Anne de Bretagne
fut si pluvieuse, que les raisins ne purent venir en maturité, de sorte
que les vins furent extrêmement verts et incommodes à l'estomac, d'où il
vint quantité de coliques. «Il ne faut s'étonner, dit Marguerite, si les
vins sont verts et malfaisants cette année, puisque les _serments_ n'ont
rien valu.» (_Mém. hist. sur Charles VIII._)

«Par le vray Dieu, dict Pantagruel des procureurs, puisqu'ils guaignent
tant aux grappes, le serment leur peut beaucoup valoir.» (Rabelais, liv.
V, ch. XVIII.)


Les belles ne sont pas pour les beaux.

Les hommes les plus beaux ne sont pas les plus heureux en amour. Les
mères et les maris les redoutent et les surveillent; les femmes tendres
croient qu'ils s'aiment trop; les fières ne leur trouvent pas assez de
soumission; celles qui craignent la médisance les jugent dangereux pour
leur réputation. Ils coûtent trop cher à celles qui payent, ils ne
donnent rien à celles qui se font payer. D'ailleurs ils n'ont point ces
craintes obligeantes d'être quittés qui flattent tant la vanité
féminine; au contraire, ils menacent de quitter eux-mêmes, et ils
reçoivent les faveurs comme des tributs mérités.

    _Fastus inest pulchris sequiturque superbia formam._

(Ovide, _Fast._ I, 419.)


Ce ne sont pas les plus belles qui font les grandes passions.

La raison de cette observation proverbiale est très-bien développée dans
ce passage de l'_Essai sur le Goût_, par Montesquieu: «Il y a
quelquefois dans les personnes ou dans les choses un charme invisible,
une grâce naturelle qu'on n'a pu définir et qu'on a été forcé d'appeler
le _je ne sais quoi_; il me semble que c'est un effet naturellement
fondé sur la surprise. Nous sommes touchés de ce qu'une personne nous
plaît plus qu'elle ne nous a paru d'abord devoir nous plaire, et nous
sommes agréablement surpris de ce qu'elle a su vaincre des défauts que
les yeux nous montrent et que le cœur ne croit plus. Voilà pourquoi les
femmes laides ont très-souvent des grâces, et qu'il est rare que les
belles en aient: car une belle personne fait ordinairement le contraire
de ce que nous avions attendu; elle parvient à nous paraître moins
aimable; après nous avoir surpris en bien, elle nous surprend en mal;
mais l'impression du bien est ancienne, et celle du mal est nouvelle.
Aussi _les belles personnes font-elles rarement les grandes passions_,
presque toujours réservées à celles qui ont des grâces, c'est-à-dire des
agréments que nous n'attendions pas et que nous n'avions pas sujet
d'attendre.»

Ajoutons cette réflexion de La Bruyère: «Si une laide se fait aimer, ce
ne peut être qu'éperdument, car il faut que ce soit par une étrange
faiblesse de son amant ou par de plus secrets et de plus invincibles
charmes que ceux de la beauté.»


L'amour vient sans qu'on y pense.

L'amour est de tous les sentiments le plus spontané, le plus indépendant
de la réflexion et de la volonté. Il se glisse si subtilement dans le
cœur et l'envahit si vite que l'on s'aperçoit qu'on aime avant d'avoir
délibéré si l'on doit aimer. Qu'est-ce donc qui produit cet
envahissement aussi imprévu que soudain?--Ceux mêmes qui l'ont éprouvé
l'ignorent, ayant été toujours trop préoccupés d'en sentir l'effet pour
qu'ils aient songé à en étudier la cause.

Mais si l'on ne sait pas comment l'amour vient, on sait beaucoup mieux
comment il s'en va. Il n'y a plus rien de mystérieux dans la cause ou
plutôt dans les causes de son départ. Elles se montrent telles qu'elles
sont, malgré les soins qu'on prend de les dissimuler. Seulement il n'est
pas aussi facile de les énumérer que de les reconnaître. Elles échappent
au calcul et à l'analyse par leur multiplicité.


    Amour et mort
    Rien n'est plus fort.

Rien ne résiste à l'amour ni à la mort.

              Il n'est d'homme ici-bas
    Qui soit exempt d'amour non plus que de trépas.

(Régnier.)

C'est la belle pensée du _Cantique des cantiques_, où l'époux dit à la
Sulamite: «Placez-moi comme un sceau sur votre cœur, parce que _l'amour
est fort comme la mort_. _Pone me ut signaculum super cor tuum, quia
fortis est ut mors dilectio_ (VIII, 6).»


L'amour fait perdre le repos et le repas.

Ce proverbe est le 23e article du _Code d'amour_ déjà cité, page 196.
Voici cet article: _Minus dormit et edit quem amoris cogitatio vexat._
Celui que la pensée d'amour tourmente dort moins et mange moins.»

Le souci ronge ceux qui aiment, comme l'observe Ovide dans ce joli vers
de son héroïde de Pénélope à Ulysse:

    _Res est solliciti plena timoris amor._

  «L'amour est toujours plein d'un inquiet effroi.»

«On ne vit point sans douleur dans l'amour. _Sine dolore non vivitur in
amore._» Paroles de l'_Imitation de Jésus-Christ_ (III, 5, 7), qu'on a
détournées de l'amour de Dieu à l'amour profane.

Les Italiens ont ce proverbe: «_Chi ha l'amor nel petto ha sprone nei
franchi._ Qui a l'amour au cœur a l'éperon aux flancs.»

Mlle de Lespinasse disait: «Il n'y a point d'esclaves plus tourmentés
que ceux de l'amour.»

«Amour et repos peuvent-ils habiter un même cœur? La pauvre jeunesse est
si malheureuse aujourd'hui qu'elle n'a plus que ce terrible choix: amour
sans repos, ou repos sans amour.» (_Le Barbier de Séville_, act. II, sc.
II.).


L'amour le plus parfait est le plus malheureux.

Il faut nécessairement qu'il en soit ainsi, puisque l'amour tire sa
perfection des contrariétés, des privations et des sacrifices qui lui
servent d'épreuves. Presque tous les romans semblent faits pour
confirmer la vérité de ce proverbe. On n'y voit que des amants
poursuivis par une fatale destinée et dont la constance s'affermit sous
les coups du malheur, et l'on peut dire que les plus vives inquiétudes
font le meilleur sublimé de l'amour.

Le recueil de Philippe Garnier, imprimé à Francfort en 1612, donne cette
variante: _Les plus parfaites amours sont celles qui réussissent le
moins._


En amour les apprentis en savent autant que les maîtres.

Ils n'ont pas besoin pour cela de plus de leçons que les animaux. La
nature y a si bien disposé les moins expérimentés et leur a marqué le
but et la voie d'une manière si précise qu'ils n'ont pas à craindre de
se fourvoyer, et leurs coups d'essai sont toujours des coups de maître.

Une conclusion à tirer de ce proverbe, c'est qu'il n'y a pas proprement
d'art d'aimer. Mais il y a un art de plaire et de se faire aimer, et,
dans ce cas, les leçons ne sont pas inutiles comme dans l'autre.


L'amour naît à la première vue.

Les Latins disaient, d'après les Grecs: «_Ex aspectu nascitur amor._
L'amour naît du regard.» Ces peuples, qui plus que nous avaient une foi
aveugle à l'influence mystérieuse des émanations, ne doutaient pas que
les personnes même les plus indifférentes ne fussent susceptibles de
recevoir par les yeux des impressions capables de déterminer subitement
la passion la plus vive. On ne saurait bien expliquer comment un regard
peut produire des effets moraux si rapides, si imprévus, si
irrésistibles; mais il semble qu'il y ait au fond du cœur je ne sais
quelle idée innée de l'objet qu'on doit aimer, et que le premier coup
d'œil qu'on lui donne soit comme un rayon de lumière qui le fait
reconnaître, et comme un courant magnétique qui entraîne vers lui par
d'indéfinissables affinités.

Virgile a peint d'une manière admirable cette commotion électrique qui
enlève une personne à elle-même, et la livre corps et âme à l'objet
offert à ses yeux fascinés:

    _Ut vidi, ut perii, ut me malus abstulit error._

(Éclog. VIII.)

Et Virgile a été imité par Racine d'une manière non moins admirable dans
ces vers de la tragédie de _Phèdre_:

    Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue,
    Un trouble s'éleva dans mon âme éperdue.

(Acte I, sc. V.)

C'est ce qu'on appelle le _coup de foudre en amour_, dont l'article
suivant donnera l'explication.


Le coup de foudre en amour.

Le coup soudain dont on se sent frappé à la première vue d'une personne,
ou bien le sentiment passionné qui s'empare à la fois de deux personnes
par l'effet d'un regard où se révèle spontanément la mutuelle ardeur de
leur cœur.

Les romanciers du dix-septième siècle ont souvent employé cette
expression pour caractériser le rapide mouvement de sympathie qui
subjugue les héros et les héroïnes de leurs romans, et qui décide de la
destinée des uns et des autres.

Le verbe _foudroyer_ est fort usité aujourd'hui dans la même acception.


L'amour est une fièvre au rebours.

La fièvre et l'amour sont deux maladies qui produisent les mêmes effets
en sens inverse. La fièvre a d'abord des accès frileux que suivent des
accès brûlants; l'amour, au contraire, commence par être tout de feu et
finit par être tout de glace.


Il faut être fou en amour.

Les belles jugent l'amour incompatible avec la raison; elles ne se
croient véritablement aimées que de ceux qui font des folies pour leur
plaire. Les folies sont, à leur gré, les preuves les plus incontestables
de la passion qu'elles inspirent, et il n'est pas besoin de dire que ce
ne sont pas les plus courtes qu'elles trouvent les meilleures.


Louange engendre amour.

Proverbe littéralement traduit du roman, _lauzor engenr' amor_, dont le
troubadour Amanieu des Escas s'est servi, et dont Colardeau a donné une
variante dans ce joli vers:

    On flatte l'amour-propre, on fait naître l'amour.

J'ai entendu employer dans le Midi, pour exprimer la même idée, cette
comparaison proverbiale: _Les femmes se laissent prendre à la louange
comme les alouettes au miroir._

«Il ne s'agit peut-être, pour s'emparer de ces êtres si subtils, si
souples et si pénétrants, que de savoir manier la louange et chatouiller
l'amour-propre. La flatterie est le joug qui courbe si bas ces têtes
ardentes et légères. Malheur à l'homme qui veut porter la franchise dans
l'amour!» (G. Sand, _Indiana_, ch. VII.)

Je ne sais qui a dit que les femmes aiment moins les hommes pour le
mérite qu'ils ont que pour le mérite qu'ils trouvent en elles.


L'amour est la seule maladie dont on n'aime pas à guérir.

Parce que, dit la reine de Navarre, cette maladie donne tel
contentement, que la guérison est la mort. (_Heptamér._, nouvelle XXIV.)

Ce proverbe se retrouve dans ces vers de Properce:

    _Omnes humanos sanat medicina dolores,
    Solus amor morbi non amat artificem._

(II, Eleg. I.)

  «La médecine guérit toutes les douleurs humaines; l'amour seul ne veut
  pas de guérisseur.»

Le cœur de l'homme étant fait pour sentir, et ne trouvant sa véritable
vie que dans l'exercice de la sensibilité, doit nécessairement préférer
une agitation, même douloureuse, à un repos apathique, surtout quand
cette agitation est produite en lui par l'amour, c'est-à-dire par la
passion la plus conforme à sa nature. Il n'y a donc rien d'étonnant
qu'il veuille rester attaché aux tourments que cette passion lui cause,
et qu'il les regrette dès qu'il en est affranchi. On connaît le mot de
cette femme dont l'âme était tombée de la fièvre des émotions dans le
marasme des langueurs: «Oh! le bon temps où j'étais malheureuse!» Ce mot
si vrai est celui de tout amant qui est dans la même situation. La
tranquillité retrouvée lui est importune; il soupire après les peines
dont elle le prive; il regarde ces peines comme ses plus doux plaisirs.

C'est ce sentiment qui inspirait à Étienne de la Boétie les vers
suivants, qui terminent son vingt-septième sonnet:

    Vive le mal, ô dieux, qui me dévore!
    Vive à jamais mon tourment rigoureux!
    O bienheureux, et bienheureux encore
    Qui sans relâche est toujours malheureux!

On connaît ce vers charmant de Mme Dufresnoy:

    Un amour malheureux est encore un bonheur.

Le quatrain suivant exprime la même idée qu'on a cherché à rendre plus
gracieuse et plus touchante par la situation:

    Les peines de l'amour ont d'ineffables charmes:
    Deux amants, qui pleuraient à l'ombre d'un tilleul,
    Se disaient, en mêlant des baisers à leurs larmes:
    _Souffrir deux est plus doux que d'être heureux tout seul._


Beaux pleurs d'amour valent mieux que ses ris.

    Bels plors d'amor mais valon que sos ris.

Proverbe formulé probablement par le troubadour Bernard de Ventadour,
qui l'a placé dans une de ses pièces, immédiatement après cette
réflexion passée aussi en proverbe: _Peu aime qui n'est pas sujet à la
tristesse._ Il y a en effet dans les tristesses de l'amour je ne sais
quelle douceur secrète dont on a dit que les anges seraient jaloux.

Ce charmant proverbe a été reproduit ou imité dans beaucoup de langues,
par une foule de poëtes érotiques; les deux meilleures imitations que
j'en connaisse sont ce vers cité sur l'amour par Saint-Évremont:

    Tous les autres plaisirs ne valent pas ses peines.

et ceux-ci de la chanson délicieuse de La Fontaine, qui est chantée à
Psyché pour l'engager à aimer:

    Sans cet amour, tant d'objets ravissants,
    Lambris dorés, bois, jardins et fontaines,
    N'ont point d'appas qui ne soient languissants,
    Et leurs plaisirs sont moins doux que ses peines.


L'amour est la clef du mérite et un étang de prouesses.

Étang est ici employé au figuré pour quantité considérable, nombre
infini, dans le même sens que les Latins disaient _pelagus bonorum_, une
mer de biens, une mer d'abondance. Ce proverbe est traduit de ces deux
vers du troubadour Arnaud Daniel.

    _Amor es de pretz la claus
    Et de proeza us estanck._

Pour bien le comprendre, il faut savoir que les troubadours avaient
donné au mot _amour_ une signification beaucoup plus étendue que celle
que nous lui donnons. Ils le regardaient comme le principe et la source
de tout mérite intellectuel et moral. «L'amour, disait Rambeaud de
Vaqueiras, est le mieux de tout bien; il améliore les meilleurs et peut
donner de la valeur aux plus mauvais; d'un lâche il peut faire un brave,
d'un guerrier un homme gracieux et courtois.» Le roman de _Jauffre_ et
_Brunissende_ disait à peu près de même: «Par l'amour tout homme devient
meilleur et plus brave, plus libéral et plus joyeux, plus ennemi de
toute bassesse.»

Le génie poétique, ou l'_art de trouver_, était considéré comme le
résultat et l'expression de l'amour érigé en vertu suprême, et ses
divers degrés correspondaient à ceux de cette vertu. De là l'espèce de
synonymie établie par la langue romane entre _amour_ et _poésie_,
synonymie adoptée par Pétrarque dans ces vers où il appelle le
troubadour Arnaud Daniel _grand maître d'amour_, pour dire _grand maître
de poésie_.

    Gran maestro d'amor ch'alla sua terra
    Ancor fa onor _col dir_ polito e bello.

(_Trionfo d'amore_, IV.)

J'ai emprunté cette citation au savant auteur de la _Symbolique du
droit_, M. Chassan, qui ajoute: «Ainsi le recueil composé à Toulouse au
quatorzième siècle, et qui renferme une grammaire, une poétique et une
rhétorique, est intitulé _Leys d'amor_, littéralement _Lois d'amour_,
quoiqu'il ne fût pas à l'usage des cours d'amour. Les règlements de la
Société des troubadours à Toulouse portent aussi le nom de _Leys
d'amor_. Cette acception du mot _amour_ pour signifier _poésie_ est bien
en rapport avec la nature et l'essence de la poésie romane.»


L'homme sans amour ne vaut pas mieux que l'épi sans grain.

Ce proverbe, qu'on trouve dans le troubadour Pierre d'Auvergne, qui
paraît l'avoir formulé, est encore dérivé de l'idée exprimée dans le
précédent, où l'amour est considéré comme le principe des vertus
intellectuelles et morales, ainsi que des vertus guerrières; en un mot,
comme la source de tout bien.


L'amour excite aux grandes prouesses.

C'est encore un proverbe roman qui se trouve dans plusieurs ouvrages des
troubadours, notamment dans le roman de _Flamenca_. On dit dans le même
sens: _L'amour fait les héros_, variante que J.-J. Rousseau a rapportée
et expliquée dans sa _Nouvelle Héloïse_: «L'amour véritable est un feu
dévorant qui porte son ardeur dans les autres sentiments et les anime
d'une vigueur nouvelle. C'est pour cela qu'on a dit que l'amour faisait
les héros.»

Platon affirmait que, si l'on composait une armée de jeunes amoureux, il
n'y aurait point d'actes héroïques dont ils ne fussent capables pour
plaire à leurs maîtresses. On sait que le seigneur de Fleuranges
s'écriait en montant à l'assaut sous le feu de l'ennemi: «Ah! si ma dame
me voyait!» Trait que Lebrun a rappelé dans une de ses odes, où il a
voulu démontrer par des exemples que l'amour est le plus puissant mobile
de la valeur et du génie.

    D'un assaut bravant la furie,
    J'entends Fleuranges qui s'écrie:
    «Ah! si ma dame me voyait!»
    Il vole, il frappe, tout succombe;
    De toutes parts l'ennemi tombe:
    Un jeune amant le foudroyait.

Cet amour héroïque, c'est l'amour élevé à sa plus haute puissance,
l'amour sublimé, dit M. V. Hugo; Scudéri l'assimile ingénieusement «au
feu d'Hercule, qui en le consumant, le fit dieu».


L'amour est le revenu de la beauté.

Revenu très-passager, car si la beauté a le don de produire l'amour,
elle n'a pas celui de le conserver longtemps. Elle a besoin, pour
maintenir les avantages qu'elle possède, d'y joindre les charmes du cœur
et de l'esprit. C'est ce qu'expriment très-bien ces vers de Mme Verdier:

        Pour inspirer un feu constant,
        Il ne suffit pas d'être belle:
        C'est à la beauté qu'on se rend,
        Mais c'est au cœur qu'on est fidèle.
        C'est à l'accord intéressant
    D'un esprit doux et sage et d'une âme sensible,
    Que se trouve attaché le secret infaillible
    De fixer un époux et d'en faire un amant.


Courtoisie fait amour durer.

Les tendres procédés, les complaisances délicates, les petits soins
affectueux entretiennent et font durer l'amour. Le mot _courtoisie_ a
gardé ici le sens plus étendu qu'il avait jadis, il se rapportait
non-seulement à la politesse des manières, mais à celle de l'esprit et
du cœur; il exprimait la réunion des principales qualités des preux,
telles que la galanterie, la loyauté, la constance, le dévouement, etc.
C'était en tout l'opposé des mœurs des vilains.

Un amour ainsi nourri de la fine fleur des sentiments chevaleresques,
réunit plus que tout autre d'excellentes conditions de durée et de
bonheur, et pourtant nous ne voyons pas qu'il s'établisse à demeure fixe
dans les tendres cœurs. Il est tout différent aujourd'hui de ce qu'il
fut au siècle des Amadis, et ce n'est plus que dans le domaine de
l'imagination qu'on peut le retrouver sous la forme séduisante qu'il eut
en ce bon vieux temps. Parviendra-t-on, à force de courtoisie, à le
rappeler dans la vie réelle? La chose, hélas! paraît impossible, mais il
y a tant de douceur à l'espérer qu'il est bon de le tenter quand même.


En amour mieux vaut espérer que tenir.

Parce que, dit un autre proverbe plus ancien, _jouir d'amours et tost
finir ne vaut bon espoir à durer toujours_. En effet, l'amour s'use et
finit vite par la possession, tandis qu'il se renouvelle et se prolonge
par l'espoir. Les sensations physiques ne donnent qu'un plaisir fugitif;
les sensations morales laissent après elles un charme durable, et
l'esprit se fait une jouissance exquise de ce qui est dérobé aux sens.
«Jamais, dit Pascal, il n'exista de femme qui ait connu tant de douceur
dans l'amour satisfait qu'il y en a dans les désirs et dans les
sollicitudes.»


L'amour ne peut rien refuser à l'amour.

C'est ce que dit textuellement le 26e article du _Code d'amour_: _Amor
nihil potest amori denegare._ Il vaudrait mieux que l'amour pût refuser
quelque chose à l'amour, car il durerait plus longtemps. Ce sont les
privations mitigées par l'espérance qui le font vivre; il meurt dès
qu'il n'a plus rien à désirer.


L'amour égalise toutes les conditions.

L'amour ne peut souffrir ni barrières ni distinctions entre les amants,
dont il se plaît à confondre les existences. Il veut qu'ils
méconnaissent toutes les prérogatives du rang et de la fortune pour
vivre sous le régime bienfaisant de l'égalité, et chacun d'eux obéit à
cette loi d'autant plus volontiers qu'il la trouve sanctionnée par son
propre cœur. «Son vœu le plus cher, a dit M. Michelet dans son livre
intitulé _le Peuple_, c'est de se faire un égal; sa crainte, c'est de
rester supérieur, de garder un avantage que l'autre n'a pas.»

    _Non bene conveniunt nec in una sede morantur
    Majestas et amor._

(Ovide, _Métam._ II, fab. XIX.)

  «La majesté et l'amour ne s'accordent point et ne demeurent point
  ensemble.»


L'amour rapproche les distances.

L'amour fait disparaître les inégalités sociales entre les personnes
qu'il unit: _princes et pastourelles, princesses et pastoureaux, vont de
pair en se donnant la main_. C'est l'idée du proverbe précédent sous
d'autres termes.


L'amour et la crainte ne mangent pas à la même écuelle.

L'amour et la crainte sont deux sentiments incompatibles, et, quand une
personne inspire l'un, elle ne saurait inspirer l'autre. Il faut
remarquer dans ce proverbe l'expression _manger à la même écuelle_, qui
rappelle un usage introduit au temps de la chevalerie, où la galanterie
avait imaginé de placer à table les convives par couple, homme et femme.
«La politesse et l'habileté des maîtresses de maison consistaient alors,
dit le Grand d'Aussy, à savoir bien assortir les couples qui n'avaient
qu'une assiette commune, ce qui s'appelait _manger à la même
écuelle_.»--L'expression, détournée du sens propre au figuré, s'employa
pour marquer une liaison amoureuse. Elle servit aussi à caractériser
l'intimité des relations amicales. Une des plus grandes preuves de
confiance qu'un roi pût autrefois donner à un de ses ministres
consistait à manger avec lui _à la même écuelle_. L'auteur du _Roman de
Rou_ exprime la haute faveur dont Godwin jouissait auprès du monarque
anglo-saxon par ces deux vers:

    Salué l'aveit et baisié
    En s'escuelle aveit mengié.

Il en était de même d'un suzerain ou d'un supérieur envers un vassal ou
un inférieur.

On lit dans le _Romancero_, partie IV, lettre du Cid au roi Alphonse:
«Celui qui est craint est rarement aimé du cœur; _la crainte et l'amour
ne mangent pas au même plat_.»

    _Non el temor y amores comen en un plato, non._


    Amour et seigneurie
    Ne souffrent compagnie.

Proverbe pris de ce vers du livre III de l'_Art d'aimer_ d'Ovide:

    _Non bene cum sociis regna Venusque manent._

vers dont M. J. Janin, dans sa charmante étude sur le poëte latin, a
donné cette traduction:

    Et le trône et l'amour ne se partagent pas.

«L'amour, dit Pascal est un tyran qui ne souffre point de compagnon; il
veut régner seul; il faut que toutes les passions ploient et lui
obéissent.» (_Discours sur les passions de l'amour_). Il en est de même
du pouvoir souverain, il exclut tout partage et toute rivalité.

On dit, dans un sens analogue: _L'amour et l'ambition ne souffrent point
de compagnon._

Ce proverbe est fort ancien dans notre langue, puisqu'il se trouve dans
ces vers du _Roman de la Rose_, continué par Jehan de Meung.

    Oncques amours et seigneurie
    Ne s'entrefirent compagnie,
    Ne ne demourèrent ensemble,
    Cil qui maîtrise les dessemble (disjoint).


Il ne faut pas jouer avec le feu ni avec l'amour.

Parce que, dans l'un et l'autre cas, on court risque d'être brûlé. Ovide
remarque, dans le premier livre de l'_Art d'aimer_, qu'on a vu souvent
des personnes qui d'abord faisaient semblant d'aimer, finir par aimer
sérieusement, et passer de la feinte à la réalité.

    _Sæpe tamen vero cœpit simulator amare,
        Sæpe, quod incipiens finxerat esse jocus._

C'est la peine que l'amour impose ordinairement à ses contrefacteurs.

«L'on ne peut presque faire semblant d'aimer, dit Pascal, que l'on ne
soit bien près d'être amant, ou du moins que l'on n'aime en quelque
endroit; car il faut avoir l'esprit et les pensées de l'amour pour ce
semblant, et le moyen de bien parler sans cela? La vérité des passions
ne se déguise pas si aisément que les vérités sérieuses.» (_Disc. sur
les pass. de l'amour._)

Pascal dit encore, dans le même ouvrage: «A force de parler d'amour, on
devient amoureux. Il n'y a rien de si aisé. C'est la passion la plus
naturelle à l'homme.»

Corneille a une chanson qui exprime l'idée de Pascal et d'Ovide. En
voici le premier couplet:

    Toi qui, près d'un beau visage,
    Ne veux que feindre l'amour,
    Tu pourrais bien quelque jour
    Éprouver à ton dommage
    Que souvent la fiction
    Se change en affection.


Il n'y a point d'amour sans jalousie.

Saint Augustin a dit: «_Qui non zelat non amat._ (_Adv. Adamant._,
XIII). Qui n'est point jaloux n'aime point.»--Le 21e article du _Code
d'amour porte_: «_Ex vera zelotypia affectus semper crescit amandi._ La
vraie jalousie fait toujours croître l'amour.»

Un jeu parti de je ne sais plus quel trouvère roule sur la question de
jurisprudence amoureuse: «Lequel aime mieux, ou l'amant qui est jaloux
ou celui qui ne l'est point? Molière, dans _les Fâcheux_, a consacré la
quatrième scène du second acte de cette comédie à cette controverse
sentimentale, qui est terminée par ce vers, digne de Molière:

    Le jaloux aime plus, mais l'autre aime bien mieux.

On dit aussi: _La jalousie est la sœur de l'amour_, proverbe qui a
suggéré au chevalier de Boufflers ce joli quatrain:

    L'amour, par ses douceurs et ses tourments étranges,
    Nous fait trouver le ciel et l'enfer tour à tour:
      _La jalousie est la sœur de l'amour_,
      Comme le diable est le frère des anges.

Il ne s'agit pas ici, on le sent bien, de cette jalousie, _vera
zelotypia_, qui est chez celui qui aime une défiance de lui-même, mais
de cette jalousie grossière qui est une défiance de l'objet aimé. Cette
dernière a encore donné lieu à la comparaison proverbiale: _La jalousie
naît de l'amour comme la cendre du feu, pour l'étouffer._


Il n'y a pas d'amour sans espérance.

Proverbe tiré de l'article 9 du _Code d'amour_: «_Amare nemo potest nisi
qui amoris suasione compellitur._ Personne ne peut aimer s'il n'y est
engagé par la persuasion d'amour.» Il y a des gens qui prétendent que
cette _persuasion d'amour_, ou espérance d'être aimé, n'est pas une
condition indispensable de l'existence de l'amour, et ils se fondent sur
l'observation faite par Boccace, maître expert en cette matière, qu'il
arrive assez souvent qu'on voit l'amour plus fort à mesure que
l'espérance devient plus faible: _Noi veggiamo sovente avvenire, quanto
la speranza diventa minore, tanto l'amore maggior farsi._ Mais cela
n'est pas une preuve en faveur de leur opinion. S'il est vrai que
l'amour augmente à mesure que l'espérance diminue, il n'est pas vrai
qu'il puisse se maintenir lorsqu'elle a cessé d'être. L'amour ressemble
au flambeau qui jette une lueur plus vive au moment où la nourriture
commence à lui manquer, et qui s'éteint aussitôt qu'elle est épuisée.
L'espérance est l'aliment de l'amour. Tant qu'il lui en reste un peu, il
subsiste, il se montre même plus vivace par l'ardeur qu'il met à se
conserver. Dès qu'il ne lui en reste plus, il faut qu'il expire, et s'il
nous paraît survivre comme se pouvant nourrir de lui-même, c'est que
nous ne voyons pas qu'il espère encore, quand il n'y a plus de raison
d'espérer.

Walter Scott a très-bien développé l'idée de ce proverbe dans un passage
de son roman de _Waverley_, tom. III, ch. XXI. La question y est posée
en ces termes: «Peut-on aimer longtemps sans avoir l'espoir d'être
aimé?» Une dame répond à l'auteur de la question: «Avez-vous le projet
de nous dépouiller de notre plus beau privilége? Voudriez-vous nous
persuader que l'amour ne peut exister sans l'espérance, et qu'un amant
peut être infidèle si celle qu'il aime lui montre trop de rigueur? Je ne
m'attendais pas qu'un pareil blasphème sortît de votre bouche.--Je
conviens, madame, qu'il n'est pas impossible qu'un amant persévère dans
son affection en dépit des circonstances qui devraient le décourager,
qu'il peut braver les dangers, supporter la froideur... mais une
indifférence constante et soutenue est un poison mortel pour l'amour.
Quelque puissante que soit l'attraction de vos charmes, croyez-moi, ne
faites jamais cette expérience sur le cœur d'une personne qui vous
serait chère. Je vous le répète, l'amour peut se nourrir de la plus
faible espérance; mais, s'il la perd, il s'éteint bientôt.--Il doit
avoir, dit Evan, le même sort que la jument de Duncan Magendie. Son
maître voulut l'accoutumer par degrés à se passer de toute nourriture;
il ne lui donnait qu'une petite poignée de paille par jour, et le pauvre
animal mourut d'inanition.»


Plus l'amour vient tard, plus il ard.

C'est-à-dire plus il est ardent. _Ard_ est la troisième personne du
présent de l'indicatif du vieux verbe _arder_ ou _ardre_, qui signifie
brûler. Ce proverbe est pris du vers suivant d'Ovide dans l'héroïde de
_Phèdre à Hippolyte_:

    _Venit amor gravius quo serius, urimur intus, etc._

Veut-il dire, comme quelques-uns l'ont pensé, que l'amour qui se
développe lentement acquiert plus d'intensité que celui qui naît à la
première vue, ou bien que l'amour se fait sentir avec plus de violence
dans un âge avancé que dans la jeunesse? Je trouve préférable la
dernière explication, à laquelle on est amené naturellement par
l'analogie de cet autre proverbe: _Le bois sec brûle mieux que le bois
vert_, ainsi que de ce mot proverbial attribué au comte de
Bussy-Rabutin: _L'amour est comme la petite vérole, qui fait d'autant
plus de mal qu'elle vient plus tard._ D'ailleurs est-il vrai que l'amour
qui se développe lentement devienne plus fort? Je ne le crois pas, et je
partage le sentiment exprimé dans cette pensée de La Bruyère: «L'amour
qui naît subitement est le plus long à guérir.» Le même auteur dit
encore: «L'amour qui croît peu à peu et par degrés ressemble trop à
l'amitié pour être une passion violente.»


Rien ne se rallume si vite que l'amour.

C'est ce qu'a dit Sénèque: _Nihil facilius quam amor recrudescit_
(Epist. 69). Le comte de Bussy-Rabutin écrivait à Mme de Sévigné, à
propos des recrudescences si promptes de l'amour, un mot charmant
qu'elle louait en lui répondant ainsi: «Ce que vous dites que _l'amour
est un recommenceur_ est tellement joli et tellement vrai, que je suis
étonnée que, l'ayant pensé mille fois, je n'aie pas eu l'esprit de le
dire.» (Lettre du 4 juillet 1656.)

Nous avons encore ce vieux proverbe rimé, qui exprime la même idée:

    Vieilles amours et vieux tisons
    S'allument en toutes saisons.


En amour un blessé guérit l'autre.

L'amour compense le mal qu'il fait en blessant deux cœurs: il met dans
la plaie de l'un le baume de celle de l'autre. Pourquoi donc les amants
se plaignent-ils tant de ses rigueurs? Ne feraient-ils pas mieux de
s'entendre pour les adoucir, en usant du remède qu'il leur a donné?
C'est ce que pense l'auteur du roman de _Flamenca_. Ce troubadour, après
quelques remarques sur les effets de l'amour, conclut que ce qu'il y a
de meilleur pour les cœurs en peine, c'est leur mutuelle assistance;
car, dit-il, l'_Us nafratz pot guerir l'autre._ «Un blessé peut guérir
l'autre.»


L'amour est comme la lance d'Achille, qui blesse et guérit.

Comparaison proverbiale qui exprime la même idée que ce vers de P.
Syrus:

    _Amoris vulnus sanat idem qui facit._

  «En amour, qui fait la blessure la guérit.»

Les mythologues et les poëtes racontent que Télèphe, ayant été blessé
par Achille, ne put être guéri de sa plaie que par un emplâtre composé
de la rouille du fer dont il avait été blessé.

    _Mysus et Æmonia juvenis qua cuspide vulnus
      Senserat, hac ipsa cuspide sensit opem._

(Prospert., lib. II, eleg. I.)

  «Le jeune roi de Mysie trouva la guérison de sa blessure dans la lance
  même d'Achille, dont il avait été blessé.»

    _Vulnus in Herculeo quæ quondam fecerat hoste,
      Vulneris auxilium Pelias hasta tulit._

(Ovide, _Remed. amor._, I, 47.)

  «La lance d'Achille cicatrisa la blessure qu'elle-même avait faite au
  fils d'Hercule.»

De là cette comparaison de l'amour avec la lance d'Achille, comparaison
heureuse que Bernard de Ventadour a, le premier, employée dans une pièce
de vers où il parle d'un baiser qu'il a reçu de la belle Agnès de
Montluçon, femme du vicomte Èble. Ce troubadour s'écrie qu'un si doux
baiser va le faire mourir, si un autre de la même bouche ne vient lui
rendre la vie, et il le compare à la lance d'Achille qui faisait une
blessure dont il n'était pas possible de guérir, si l'on n'en était
blessé une seconde fois.

    Com de Peleus la lansa
    Que de su colp non podi' hom guerir
    Se autra vez non s'en fesez ferir.

Ce traitement homéopathique de l'amour a été indiqué par ces paroles
d'une chanson des Grecs modernes: «Tu m'as donné un baiser, et j'en suis
devenu malade; donne m'en un autre pour que je guérisse, et un autre
encore pour que je ne retombe pas malade à mourir.»


La petite oie de l'amour.

On appelle _petite oie_ au propre un ragoût formé du cou, des ailerons,
des pattes, du foie, du gésier, qu'on a retranchés d'une oie qu'on fait
rôtir.

Cette expression s'employait autrefois au figuré, comme on le voit dans
les _Précieuses ridicules_ (sc. X), pour désigner les rubans, les plumes
et les différentes garnitures qui ornaient l'habit, le chapeau, le nœud
de l'épée, les gants, les bas et les souliers.--Elle désignait aussi par
extension, les menus plaisirs de l'amour ou de la galanterie, tels que
les serrements de mains, les baisers et autres caresses mignonnes qui
cependant laissent encore quelque chose de plus à désirer, car la
_petite oie n'est que la petite joie_.


L'amour est un grand maître.

Molière a employé et expliqué ce proverbe dans les vers suivants de
l'_École des femmes_ (act. III, sc. IV).

    Il le faut avouer, _l'amour est un grand maître_;
    Ce qu'on ne fut jamais, il nous enseigne à l'être;
    Et souvent de nos mœurs l'absolu changement
    Devient par ses leçons l'ouvrage d'un moment.
    De la nature en nous il force les obstacles,
    Et ses effets soudains ont de l'air des miracles.
    D'un avare à l'instant il fait un libéral,
    Un vaillant d'un poltron, un civil d'un brutal;
    Il rend agile à tout l'âme la plus pesante,
    Et donne de l'esprit à la plus innocente.

On dit aussi que _l'amour est inventif_, dans le même sens que le
proverbe, qui doit s'entendre non-seulement des tours subtils et des
expédients rusés qu'il suggère, mais aussi de quelques arts dont les
poëtes ont attribué la découverte ou le perfectionnement à ses
inspirations.

Le proverbe _l'amour est un grand maître_ a été formulé par saint
Augustin. Mais ce n'est pas à l'amour profane que ce père de l'Église
l'a appliqué; c'est à l'amour divin, principe et source de toutes les
lumières et de toutes les vertus. Cet amour, dit-il, est _un grand
maître_ dont les leçons comprennent toutes les parties de la
philosophie.

_AMOR MAGNUS DOCTOR EST, atque omnes philosophiæ partes implet._


L'amour fait porter selle et bride aux plus grands clercs.

Ce proverbe a dû son origine au fabliau d'_Aristote_, où il se trouve
formulé à peu près dans les mêmes termes.

    Que tout le meillor clerc du mont
    Fait comme roncins enseler,
    Et puis à quatre piez aller,
    A chatonant par-dessus l'erbe
    A vous die example et proverbe.

Voici le canevas de ce fabliau, que j'ai retracé de mémoire en le
modernisant, parce que je n'avais pas le texte sous les yeux pour en
donner une traduction littérale.

Alexandre le Grand, épris d'une jeune et belle Indienne, semblait avoir
perdu le goût des conquêtes. Ses guerriers en murmuraient, mais aucun
d'eux n'était assez hardi pour lui en exprimer le mécontentement
général. Son précepteur Aristote s'en chargea: il lui représenta qu'il
ne convenait pas à un conquérant de négliger ainsi la gloire pour
l'amour; que l'amour n'était bon que pour les bêtes, et que l'homme
esclave de l'amour méritait d'être envoyé paître comme elles. Une telle
remontrance, autorisée sans doute par les mœurs du temps jadis, qui
étaient bien différentes des nôtres, fit impression sur le monarque, et
il se décida, pour apaiser les murmures de son armée, à ne plus aller
chez sa maîtresse; mais il n'eut pas le courage de défendre qu'elle vînt
chez lui. Elle accourut tout éplorée, afin de savoir la cause de son
délaissement, et elle apprit ce qu'avait dit Aristote. «Eh quoi!
s'écria-t-elle, le seigneur Aristote a de l'humeur contre le penchant le
plus naturel et le plus doux! il vous conseille d'exterminer par la
guerre des gens qui ne vous ont fait aucun mal, et il vous blâme d'aimer
qui vous aime! C'est une déraison complète, c'est une impertinence
inouïe qui réclame une punition exemplaire, et, si vous voulez bien le
permettre, je me charge de la lui infliger.» Son amant ne s'opposa point
à ses projets, et dès ce moment elle mit tout en œuvre pour séduire le
philosophe. _Ce que veut une belle est écrit dans les cieux_, et l'égide
de la sagesse ne met pas à couvert de ses traits vainqueurs. Le vieux
censeur des plaisirs l'apprit à ses dépens. Son cœur, surpris par les
galanteries les plus adroites, se révolta contre sa morale. Vainement il
crut l'apaiser en recourant à l'étude et en se rappelant toutes les
leçons de Platon: une image charmante venait sans cesse se placer devant
ses yeux et attirait vers elle seule toutes les méditations auxquelles
il se livrait. Enfin il reconnut que l'étude et Platon ne sauraient le
défendre contre une passion si impérieuse, et son esprit subtil lui
révéla que le meilleur moyen de la vaincre était d'y céder. Dès
l'instant il laissa là tous les livres et ne songea qu'aux moyens
d'avoir un entretien secret avec la jeune Indienne. Un jour qu'elle
faisait sa promenade solitaire dans le jardin du palais impérial, il
accourut auprès d'elle, et à peine l'eut-il abordée qu'il se jeta à ses
pieds en lui adressant une pathétique déclaration. L'enchanteresse
feignit de ne pas y croire... pour se la faire répéter. Cette manière de
prolonger les jouissances de l'amour-propre était alors en usage chez le
beau sexe. Obligé enfin de s'expliquer, elle répondit qu'elle ne pouvait
ajouter foi à des aveux si extraordinaires sans des preuves bien
convaincantes. Toutes celles qu'il était possible d'exiger lui furent
offertes. «Eh bien! reprit-elle, après cela, il faut satisfaire un
caprice: toute femme a le sien; celui d'Omphale était de faire filer un
héros, et le mien est de chevaucher sur le dos d'un philosophe. Cette
condition vous paraîtra peut-être une folie; mais la folie est, à mes
yeux, la meilleure preuve d'amour.» Il fut fait comme elle le désirait.
Qu'y a-t-il en cela d'étonnant? Le dieu malin qui change _un âne en
danseur_, comme dit le proverbe, peut également changer un philosophe en
quadrupède. Voilà notre vieux barbon sellé, bridé, et l'aimable
jouvencelle à califourchon sur son dos. Elle le fait trotter de côté et
d'autre, et, pendant qu'il s'essouffle à trotter, elle chante
joyeusement un lai d'amour approprié à la circonstance. Enfin, lorsqu'il
est bien fatigué, elle le presse encore et le conduit... devinez où?...
elle le conduit vers Alexandre, caché sous un berceau de verdure, d'où
il examinait cette scène réjouissante. Peignez-vous, si vous le pouvez,
la confusion d'Aristote, lorsque le monarque, riant aux éclats,
l'apostropha de cette manière: «O maître! est-ce bien vous que je vois
en ce grotesque équipage? Vous avez donc oublié la morale que vous
m'avez faite, et maintenant c'est vous qu'il faut mener paître?» La
raillerie semblait sans réplique, mais l'homme habile a réponse à tout.
«Oui, c'est moi, j'en conviens, répondit le philosophe en se redressant:
que l'état où vous me voyez serve à vous mettre en garde contre l'amour.
De quels dangers ne menace-t-il pas votre jeunesse, lorsqu'il a pu
réduire un vieillard si renommé par sa sagesse à un tel excès de folie?»

Cette seconde leçon était meilleure que la première. Alexandre parut
l'approuver, et il promit de la méditer auprès de la jeune et belle
Indienne. C'était là qu'on lui reprochait d'avoir perdu sa raison;
c'était là qu'il devait la retrouver. Il y réussit; mais ce fut, dit-on,
par l'effet du temps plutôt que par celui de la leçon. Le temps, pour
guérir de l'amour, en sait beaucoup plus qu'Aristote.

Ce fabliau, attribué à un chanoine de Rouen, nommé Henri d'Andely,
trouvère du treizième siècle, est un conte tiré d'un auteur arabe qui
l'a intitulé: _le Vizir sellé et bridé_. J.-M. Chénier a remarqué avec
raison que l'idée de substituer Aristote à un vizir vient de l'autorité
même qu'Aristote avait acquise dans les écoles du moyen âge. Mais il a
eu tort, suivant moi, de traiter cette idée d'absurde, car elle sortait
en quelque sorte de l'esprit du temps, et ménageait au trouvère un moyen
sûr de rendre plus frappante la moralité qu'il voulait offrir à ses
contemporains, en introduisant dans sa fable comme acteur principal
l'homme célèbre qui avait été, à leurs yeux, la plus haute
personnification de la sagesse.

Du même fabliau est dérivée l'expression _faire le cheval d'Aristote_,
pour désigner une pénitence qui est imposée dans le jeu du gage touché
ou dans quelque autre semblable, et qui consiste à prendre la posture
d'un cheval afin de recevoir sur son dos une dame qu'on est obligé de
promener ainsi dans le cercle, où elle est embrassée tour à tour par
tous les joueurs qui s'égayent aux dépens du pauvre patient qu'ils
louent ironiquement à qui mieux mieux, les uns, de sa belle allure
chevaline et les autres de sa bonne grâce à remplir le rôle d'intendant
de leurs menus plaisirs.

Cette pénitence est une allusion à l'usage symbolique d'après lequel le
vassal ou le vaincu se mettait aux pieds de son suzerain ou de son
vainqueur, une bride à la bouche et une selle sur le dos. L'histoire
offre plusieurs exemples de cet usage, depuis le fils du malheureux
Psamménit, qui fut envoyé au supplice avec un mors dans la bouche par
ordre de Cambyse (Hérodote, III, XIV), jusqu'à Hugues de Châlons qui,
reconnaissant son impuissance contre l'armée des Normands, alla trouver
le jeune duc Richard par qui elle était commandée, et se roula à ses
pieds en signe de soumission, avec une selle de cheval sur les épaules.
(_Chroniq. de Normandie._ Duc. VI, 337.--Guill. Gemet, liv. III, ch.
IV.) C'est en vertu d'un pareil usage qu'Eustache de Saint-Pierre et
cinq autres bourgeois de Calais se présentèrent à Édouard III, roi
d'Angleterre, avec la corde au cou.


L'amour ôte le deuil.

L'amour est un sentiment passionné qui absorbe tous les autres: il
asservit l'âme entière, il en devient l'objet unique, et comme il la
rend indifférente aux plus grandes joies qui ne lui viennent pas de lui,
il la console des plus vives afflictions dont il n'est pas le principe;
il les lui fait même oublier. De là ce proverbe qui paraît avoir été
suggéré par un passage charmant de la _Genèse_, où il est question de
l'arrivée de Rébecca auprès d'Isaac, à qui elle était destinée pour
épouse: «Isaac la fit entrer dans la tente de sa mère Sara et il la prit
pour femme, et l'affection qu'il eut pour elle fut si grande qu'elle
tempéra la douleur que la mort de sa mère lui avait causée.» (XXIV, 67).

Ces paroles bibliques, dont Chateaubriand, dans son _Génie du
Christianisme_, a justement loué la simplicité, offrent une preuve
orthodoxe qu'il est permis de chercher dans l'amour de doux oublis des
peines de la vie, en tout honneur bien entendu.

On dit aussi: _L'amour est un grand consolateur._


En amour trop n'est pas assez.

On sait que ce charmant proverbe a été formulé par Beaumarchais, qui a
dit dans _le Mariage de Figaro_ (act. IV, sc. I): «En fait d'amour,
vois-tu, trop n'est pas même assez.» Mais il faut remarquer pourtant que
cet ingénieux auteur, en le formulant, peut avoir été inspiré par
l'observation déjà faite sur toute passion extrême dont les _désirs_,
suivant l'expression de Sénèque, _n'obtiendront tout que pour vouloir
quelque chose de plus que tout_, ou par ce délicieux passage de
Montesquieu dans _Arsace et Isménie_: «Lorsque l'amour renaît après
lui-même, lorsque tout promet, que tout demande, que tout obéit, lorsque
_l'on sent qu'on a tout et qu'on n'a pas assez_, lorsque l'âme semble
s'abandonner et se porter au delà de la nature même, etc.»

Beaumarchais peut avoir eu encore l'idée d'enchérir sur cette maxime
d'amour du comte de Bussy-Rabutin:

        Vous me dites que votre feu
        Est assez grand, belle Climène;
        Vous ignorez donc, inhumaine,
        Qu'_en amour assez est trop peu_,
        Cependant la chose est certaine.
    Ah! si sur ce chapitre on croit les gens sensés,
    _Quand on n'aime pas trop on n'aime pas assez._

Peut-être aussi a-t-il eu présent à l'esprit cet autre proverbe:
_L'amour et le feu ne disent jamais: C'est assez._

Du reste, c'est avec raison qu'on a fait honneur du proverbe à
Beaumarchais, quoique la pensée puisse lui en avoir été suggérée par les
pensées analogues que j'ai citées. Il a su reproduire cette pensée sous
la forme la plus originale et la plus heureuse. Il a dit le vrai mot de
l'amour.


Plus l'amour est nu, moins il a froid.

Ce proverbe se retrouve textuellement dans ce vers d'Owen (épigr. II,
88):

    _Quo nudus magis est, hoc minus alget Amor._

et dans ce quatrain de Corneille:

    Depuis que l'hiver est venu,
    Je plains le froid qu'Amour endure,
    Sans songer que _plus il est nu
    Et tant moins il craint la froidure_.

Il faut interpréter ce proverbe décemment en n'y voyant qu'une idée
analogue au mot d'Hésiode: «L'amour est le fils de la pauvreté,» ou
celui de Diolime de Mégare: «L'amour est le fils du travail et de la
pauvreté.» C'est-à-dire que les pauvres gens ressentent cette passion
avec plus de vivacité que les riches. Ceux-ci peuvent y apporter plus de
délicatesses et de raffinements, mais non autant de vives et franches
ardeurs. Toutes les fleurs artificielles dont ils parent la couche de
l'amour ne valent pas cette floraison naturelle qui semble éclore sur le
grabat des indigents de la séve même de leur cœur.--On connaît ces vers
de Béranger, qui forment un tableau si gracieux:

    Quel dieu se plaît et s'agite
    Sur ce grabat qui fleurit?
    C'est l'Amour qui rend visite
    A la Pauvreté qui rit.

Alfred de Musset a dit avec une simplicité charmante au début de son
conte intitulé _Simone_:

    Les gens d'esprit et les heureux
    Ne sont jamais bien amoureux:
    Tout ce beau monde a trop à faire.
    Les pauvres en tout valent mieux;
    Jésus leur a promis les cieux,
    L'amour leur appartient sur terre.


Faire l'amour en toute saison est ce qui distingue l'homme des bêtes.

«Il n'est permis aux animaux de se livrer aux plaisirs de l'amour qu'en
une saison de l'année. L'homme seul peut les goûter en tout temps jusque
dans l'extrême vieillesse.» (_Entretien de Socrate_, I, 19).

Cette observation proverbiale a été réunie par Beaumarchais, d'une
manière piquante et spirituelle, à une autre observation également
proverbiale, dans cette phrase que le jardinier Antonio, pris de vin,
adresse à la comtesse Almaviva: «Boire sans soif et faire l'amour en
tout temps, madame, il n'y a que ça qui nous distingue des autres
bêtes.» (_Mariage de Figaro_, act. II, sc. XXI).

On connaît la répartie de Mme de La Sablière à son oncle, qui la
moralisait en lui disant: «Quoi! ma nièce, toujours et toujours des
amours! mais les bêtes mêmes n'ont qu'un temps pour cela.--Eh! mon
oncle, c'est que ce sont des bêtes.»

Ce mot plaisant, que l'on attribue aussi à d'autres dames galantes,
n'est, comme la plupart des bons mots, qu'une redite. Il est cité par
Macrobe, qui en fait honneur à l'esprit de Populia, fille de Marcus:

«_Populia, Marci filia, miranti cuidam quid esset qua propter bestiæ
nunquam marem desiderarent, nisi cum prægnantes vellent fieri,
respondit: _Bestiæ enim sunt_._» (Saturn. II, 5.)

Voici des vers inédits qu'un de mes amis, M. L. de Fos, a improvisés sur
ce sujet. Ils ne peuvent manquer de prêter de l'agrément à cet article:

    Des bêtes, a-t-on dit, ce qui distingue l'homme,
    C'est de faire l'amour en toutes les saisons.
    De ce mot si connu je sais plusieurs leçons,
          Voici celle qui vient de Rome.
    La fille de Marcus, dans ses joyeux ébats,
    Aux jeunes débauchés prodiguait ses appas.
    «Quoi! toujours, lui dit-on, des amours, des conquêtes!
    Les bêtes cependant n'ont qu'un temps pour cela.
        --Oui, répondit Populia.
        Mais c'est qu'aussi ce sont des bêtes.»


L'amour et la pauvreté font mauvais ménage ensemble.

Le ménage le plus uni cesse de l'être quand il est pauvre: la pauvreté
tue l'amour.--Les Anglais disent: «_When poverty comes in at the door,
loves flies out at the window._ Quand la pauvreté entre par la porte,
l'amour s'envole par la fenêtre.» Proverbe que Shakespeare avait
peut-être présent à l'esprit lorsqu'il disait dans le _Conte d'hiver_:
«La prospérité est le plus sûr lien de l'amour.» (Act. IV, sc. III).

Notre proverbe est très-bien expliqué par Molière dans ces vers des
_Femmes savantes_ (act. V, sc. V.)

    Rien n'use tant l'ardeur de ce nœud qui nous lie
    Que les fâcheux besoins des choses de la vie;
    Et l'on en vient souvent à s'accuser tous deux
    De tous les noirs chagrins qui suivent de tels feux.

On dit trivialement: _Quand il n'y a pas de foin au râtelier, les ânes
se battent._


Les lunettes sont des quittances d'amour.

C'est-à-dire qu'on doit n'aimer qu'à l'âge où l'on peut être aimé, et ne
pas afficher la prétention de plaire aux belles quand on est réduit à
porter des lunettes, ce qui arrive malheureusement à une époque de la
vie où l'on a souvent le cœur en meilleur état que les yeux, et où l'on
est d'autant plus à plaindre qu'en amour on se sent abandonné de tout
sans qu'on veuille renoncer à rien.

On dit aussi: _Bonjour, lunettes; adieu, fillettes_; pour exprimer qu'il
faut cesser de prétendre aux faveurs des jeunes filles quand on commence
à prendre des lunettes.

Ce conseil était juste et convenable autrefois, où les lunettes
n'étaient guère qu'à l'usage des vieillards; mais on sent qu'il serait
déplacé aujourd'hui à l'égard d'une foule de jeunes gens pour qui elles
sont des objets de nécessité ou des objets de mode...

Il faudrait donc n'appliquer les deux proverbes qu'à ces vieux barbons
qui, possédés de la manie de se poser en verts-galants, reluquent sans
cesse avec des binocles ou des lorgnons les jouvencelles à qui ils
savent si bien faire tourner la tête... de l'autre côté.

Remarquons, puisque l'occasion s'y adonne, que la mode des lunettes fut
très-répandue en Espagne au commencement du dix-septième siècle, sous le
règne de Philippe III. Elles y faisaient partie du costume des gens
comme il faut, qui croyaient, par cette nouvelle espèce d'insignes, se
donner plus de gravité et obtenir plus de considération. Elles étaient
proportionnées au rang des personnes. Les grands du pays en mettaient de
magnifiques dont les verres surpassaient en circonférence les piastres
fortes, et ils y tenaient tant, dit-on, qu'ils ne les quittaient pas
même pour se coucher.

Les dames, à leur tour, les avaient adoptées, parce que ce complément de
parure signalait aussi la noblesse de leur condition et surtout parce
qu'il offrait à leur vanité une foule d'avantages qu'il serait trop long
de spécifier. Bornons-nous à rappeler qu'en général elles les arboraient
comme enseignes des prétentions qu'elles voulaient afficher.
Quelques-unes les portaient afin de passer pour lettrées ou savantes
(c'étaient les précieuses de l'époque); beaucoup d'autres s'en servaient
afin de mieux observer l'effet que leur présence pouvait produire dans
les salons, et de mieux cacher aux regards indiscrets les sentiments
dont elles se trouvaient affectées. Cette seconde catégorie comprenait
la plupart des jeunes et jolies femmes.

Il est permis de supposer que les diverses espèces de lunettes avaient
des noms correspondant à leurs divers usages. Un poëte gongoriste
appelait celles qui cachaient de beaux yeux, _les couvre-feu de
l'amour_.


L'amour ne loge point sous le toit de l'avarice.

Le _Code d'amour_ dit, art. 10: _Amor semper ab avaritiæ consuevit
domibus exsulare._ Sentence dont notre proverbe est la reproduction.

Quoi de plus opposé à l'amour que l'avarice? Dans l'amour on est d'une
prodigalité excessive, on ne s'occupe pas du tout de sa fortune: dans
l'avarice, au contraire, on ne pense qu'à sa fortune. Si un avare
aimait, il cesserait de l'être. «Un avaricieux même qui aime, dit
Pascal, devient libéral; il ne se souvient pas d'avoir eu une habitude
opposée.» (_Disc. sur les pass. de l'amour._)


La faim fait oublier l'amour.

C'est ce que disait le philosophe Cratès, et il avait bien raison, car
l'estomac maîtrise le cœur, et quand le besoin fait crier le premier,
l'autre est réduit à se taire. Telle est la loi de la nature, à laquelle
les amoureux les plus robustes ne sauraient échapper.

Il ne s'en trouverait pas un seul peut-être qui, dans ce cas, ne fût de
l'avis de ce paysan à qui l'on demandait s'il aimait les femmes: «J'aime
beaucoup une fort belle fille, répondit-il; mais j'aime encore mieux une
fort bonne côtelette.»--Il n'y a point d'amour qui tienne contre la
fringale.

On connaît ces vers de La Fontaine, dans _la Fiancée du roi de Garbe_:

        On ne vit ni d'air ni d'amour,
        Les amants ont beau dire et faire,
    Il en faut revenir toujours au nécessaire.


Sans pain ni vin l'amour est vain.

C'est-à-dire _l'amour n'est rien_, comme porte une variante. Ce proverbe
est une traduction familière de celui des Latins cité dans l'_Eunuque_,
de Térence: «_Sine Cerere et Libero friget Venus._ (Act. IV, sc. VI.)
Sans Cérès et Bacchus Vénus est transie.»--Il faut remarquer, à ce
sujet, que l'amour n'était guère pour les anciens qu'un acte sensuel
auquel ils préludaient par les bons mets et les bons vins, qui leur
paraissaient les moyens les plus propres à l'exciter et à le favoriser.
Ils le regardaient comme le couronnement de l'orgie. De là ces paroles
de saint Jérôme, que je n'oserais même traduire, sur les débauchés qui
avaient le cœur au ventre: _Distento ventre distenduntur ea quæ ventri
adhærent.--Venter plenus despumat in libidinem._

Les Romains avaient encore ce proverbe analogue, qui leur était venu des
Grecs: «_Saturo Venus adest, famelico nequaquam adest._ Vénus ou l'amour
est pour celui qui a le ventre plein, et non pour celui qui l'a vide.»

Les Languedociens disent: «_Vivo l'amour! maï që iëou dînë._ Vive
l'amour, mais que je dîne!»

C'est exactement ce qu'on dit en français: _Vive l'amour après dîner_!


Après l'amour le repentir.

Hélas! nous ne pouvons aimer toujours, et bien souvent le repentir nous
prend où l'amour nous laisse. «Les amours s'en vont et les douleurs
demeurent,» dit le proverbe espagnol: _Vanse los amores y quedan los
dolores._

Un troubadour anonyme a comparé l'amour à l'églantier, dont les fleurs
passent et tombent en peu de temps, tandis que les épines restent
toujours.

Guarini a dit de l'amour dans son _Pastor fido_: «La racine en est douce
et le fruit amer. _La radice è suave, il frutto amora._»

La Rochefoucauld prétend que «il y a peu de gens qui ne soient honteux
de s'être aimés, quand ils ne s'aiment plus.»


On fait l'amour, et quand l'amour est fait, c'est une autre paire de
manches.

Tout le monde comprend ce que signifie ce proverbe, dont la dernière
partie, devenue une locution à part, est continuellement répétée; il
rappelle un usage pratiqué au douzième siècle par des individus de sexe
différent qui voulaient former ensemble un tendre engagement. Ils
échangeaient une paire de manches comme gage du don mutuel qu'il se
faisaient de leur cœur, et ils se les passaient aux bras en promettant
de n'avoir pas désormais de plus chère parure, ainsi qu'on le voit dans
une nouvelle du troubadour Vidal de Besaudun, où il est parlé de deux
amants qui se jurèrent de _porter manches et anneaux l'un de l'autre_.
Ces enseignes ou livrées d'amour, destinées à être le signe de la
fidélité, devinrent presque en même temps celui de l'infidélité; car
toutes les fois qu'on changeait d'amour on changeait aussi de manches,
et il arrivait même assez souvent que celles qu'on avait prises la
veille étaient mises au rebut le lendemain. Vainement un autre proverbe
recommandait de respecter cette sorte d'investiture d'amour par la
manche en disant: «_La manega no i es gap, car senhals es de drudaria_;
la manche, ce n'est pas un badinage, car c'est un signal d'amourette.»
Comme une pareille recommandation n'avait aucune force légale, chacun et
chacune y contrevenaient à qui mieux mieux. Aussi tel ou telle qu'on
s'était flatté de _tenir dans sa manche_ s'en débarrassait au plus vite,
sans le moindre scrupule, et, en définitive, c'_était toujours une autre
paire de manches_.


Vieil amour, vieille prison.

Un vieil amour est un esclavage où l'on éprouve beaucoup de peines et
d'ennuis. «Dans la vieillesse de l'amour comme dans celle de l'âge, dit
La Rochefoucauld, on vit encore pour les maux, mais on ne vit plus pour
les plaisirs.»

Ce proverbe est pris du latin: _Antiquus amor carcer est._ Il s'applique
le plus souvent à l'amour conjugal, que les deux époux sont obligés de
subir jusqu'à ce que mort s'ensuive, pour l'un ou l'autre. Aussi
arrive-t-il quelquefois que le mari voit mourir sa femme ou la femme son
mari du même œil qu'un prisonnier voit briser ses fers.

Philémon, poëte comique grec, a dit dans une de ses pièces: «Le mariage
est une prison qui n'a de beau que la porte par laquelle on y entre, et
de consolant que celle par laquelle on a vu la mort faire sortir la
personne avec qui on avait fait son entrée.»

Ce Philémon était bien loin de penser comme son homonyme, le mari de
Baucis, tendrement aimée de lui, ainsi qu'il fut aimé d'elle jusque dans
l'extrême vieillesse. La Fontaine a dit de ces deux modèles de l'amour
conjugal:

    Ni le temps, ni l'hymen, n'éteignirent leur flamme.
    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
    L'amitié modéra leurs feux sans les détruire,
    Et par des traits d'amour sut encor se produire.


L'amour meurt rarement de mort subite.

Il meurt presque toujours d'une maladie de langueur, beaucoup plus
longue que ne le voudraient ceux qui en sont atteints. C'est une
observation qu'ont faite plusieurs poëtes érotiques.

    _Difficile est longum subito deponere amorem._

(Catulle.)

  Il est difficile de se défaire tout à coup d'un long amour.

    _Longus at invito pectore sedet amor._

(Ovide.)

  Mais le cœur malgré lui conserve un long amour.

Cette ténacité de l'amour chez des personnes qui ne demanderaient pas
mieux que d'en être affranchies est produite par l'habitude, par la
paresse de changer, par la difficulté de former une nouvelle liaison,
par l'impossibilité de vivre seul, et par beaucoup d'autres causes qui
font qu'on a bien de la peine à rompre quand on ne s'aime déjà plus, et
à plus forte raison quand on s'aime encore un peu. «Tant que l'amour
dure, dit La Bruyère, il subsiste de lui-même et quelquefois par les
choses qui semblent le devoir éteindre, par les caprices, par les
rigueurs, par l'éloignement, par la jalousie» (ch. IV, _du Cœur_).
L'indignité même de l'objet qui l'a inspiré ne parvient pas toujours à
lui donner une mort soudaine, comme le dit très-bien ce vers de Saurin:

    Longtemps on aime encore en rougissant d'aimer.

On l'a justement comparé au feu grégeois qui brûle sous les flots de la
mer, et à la chaux vive que l'eau dont on l'arrose allume ou met en
ébullition. Pauvres belles délaissées, n'espérez pas l'éteindre à force
de pleurer. Toutes ces larmes qui vous retombent sur le cœur ne servent
qu'à le rendre plus ardent.

_C'est le temps, et non la volonté, qui met fin à l'amour_, dit le
proverbe latin:

    _Amori finem tempus, non animus facit._

(P. Syrus.)


Il n'y a qu'un pas de l'amour à la dévotion.

Cela se dit surtout en parlant des femmes d'un certain âge qui, voyant
les amants se détourner d'elles, tournent du côté des litanies. Cette
transition d'une vie galante à une vie dévote ne leur paraît pas
agréable sans doute, et elles la diffèrent tant qu'elles peuvent, mais
le respect humain l'exige, et, faisant de nécessité vertu, elles
franchissent enfin le pas moins difficilement qu'elles ne pensaient le
faire. La raison en est toute simple; c'est que le point d'où elles
partent confine à celui où elles vont, et que passer de l'un à l'autre
n'est souvent pour la plupart d'entre elles qu'aller du même au même;
car leur amour ne change point de nature pour être coulé dans le moule
de la dévotion.

Saint-Évremont a très-bien dit, dans un chapitre dont le titre porte que
la _Dévotion est le dernier de nos amours_: «La pénitence ordinaire des
femmes, à ce que j'ai pu observer, est moins un repentir de leurs péchés
qu'un regret de leurs plaisirs; en quoi elles sont trompées elles-mêmes,
pleurent amoureusement ce qu'elles n'ont plus, quand elles croient
pleurer saintement ce qu'elles ont fait.»

On pourrait appliquer à leur conversion le joli mot proverbial des
Italiens sur celles qui abjurent une hérésie pour une autre, ou qui
passent d'une fausse religion à une autre également fausse: «C'est,
disent-ils, changer de chambre dans la maison du diable. _Cambiare di
stanza nella casa del diavolo._»


Quand l'amour s'en va, c'est pour ne plus revenir.

Le _Code d'amour_ a exprimé la même idée en ces termes: _Si amor
minuatur, cito deficit, et raro convalescit_, article 19. «Si l'amour
diminue, il dépérit vite, et rarement il se rétablit.»

La Rochefoucauld dit dans une de ses pensées: «Il est impossible d'aimer
une seconde fois ce qu'on a véritablement cessé d'aimer.»

    Vif attrait, charme inexprimable,
    Le cœur s'épuise à le sentir.
    Pourrait-il d'un feu qui dévore
    Éprouver deux fois les effets?
    Les cendres s'échauffent encore,
    Mais ne se rallument jamais.

(Andrieux.)


Un nouvel amour en remplace un ancien, comme un clou chasse l'autre.

Ou plus simplement par la substitution d'une métaphore allégorique à la
comparaison: _Un clou chasse l'autre._ Ce proverbe se trouve dans la
phrase suivante de la quatrième _Tusculane_ de Cicéron: _Novo amore
veterem amorem tanquam clavo clavium ejiciendum putant._ «Ils pensent
qu'un nouvel amour doit remplacer un ancien amour comme un clou chasse
l'autre.»

    _Novus amor veterem compellit abire._

(Art. XVII du _Code d'amour_.)

Louis Racine, dans le chant VI de son poëme _de la Religion_, a écrit
ces quatre vers qui expriment très-bien le sens du proverbe, qu'il ne
pouvait citer textuellement:

    Le cœur n'est jamais vide. Un amour effacé
    Par un nouvel amour est toujours remplacé,
    Et tout objet qu'efface un objet plus aimable,
    Sitôt qu'il est chassé, nous paraît haïssable.

Lorsque Longchamp, secrétaire de Voltaire, lui remit la bague qu'il
avait eu la précaution d'ôter du doigt de la marquise de Châtelet qui
venait de mourir, et dans laquelle devait se trouver le portrait du
poëte, il lui dit et lui fit voir que ce portrait avait été remplacé par
celui de Saint-Lambert: «O ciel! s'écria Voltaire, en joignant les deux
mains, voilà bien les femmes! j'en avais chassé Richelieu; Saint-Lambert
m'en a chassé. Cela est dans l'ordre, _un clou chasse l'autre_. Ainsi
vont les choses dans ce monde.»

Duclos a dit de l'amour qui se porte vers plusieurs objets et peut se
remplacer par un autre: «Un tel amour n'est pas fort délicat, mais il
est heureux, et le bonheur fait la gloire de l'amour.»

Cette maxime sent bien son auteur, à qui une dame du beau monde
reprochait justement de se contenter de la première venue. Il y a une
satisfaction sensuelle dans ces amours rapidement remplacés l'un par
l'autre; mais s'il n'y a point de bonheur, il y a encore moins de
gloire; et si quelque animal du troupeau d'Épicure prétend à une
couronne pour les faciles succès qu'il a obtenus en ce genre, il faut
lui en donner une faite des lauriers des jambons de ses confrères de
Mayence.


L'amour fait passer le temps, et le temps fait passer l'amour.

En d'autres termes, il n'est rien de tel que l'amour pour tuer le temps,
et rien de tel que le temps pour tuer l'amour.

Le comte de Ségur, donnant au verbe _passer_ un sens différent de celui
qu'il a ici, a fait sur ce proverbe l'allégorie suivante:

    A voyager passant sa vie,
    Certain vieillard, nommé le Temps,
    Près d'un fleuve arrive et s'écrie:
    «Ayez pitié de mes vieux ans.
    Eh quoi! sur ces bords on m'oublie,
    Moi, qui compte tous les instants!
    Mes bons amis, je vous supplie,
    Venez, venez passer le Temps.»

    De l'autre côté, sur la plage,
    Plus d'une fille regardait,
    Et voulait aider son passage
    Sur un bateau qu'Amour guidait;
    Mais une d'elles, bien plus sage,
    Leur répétait ces mots prudents:
    «Ah! souvent on a fait naufrage
    En cherchant à passer le Temps.»

    L'Amour gaîment pousse au rivage,
    Il aborde tout près du Temps;
    Il lui propose le voyage,
    L'embarque, et s'abandonne au vent.
    Agitant ses rames légères,
    Il dit et redit dans ses chants:
    «Vous voyez bien, jeunes bergères,
    Qu'Amour a fait passer le Temps.»

    Mais tout à coup l'Amour se lasse,
    Ce fut toujours là son défaut;
    Le Temps prend la rame à sa place,
    Et lui dit: «Quoi! céder sitôt!
    Pauvre enfant, quelle est ta faiblesse!
    Tu dors et je chante à mon tour
    Ce vieux refrain de la sagesse:
    «Ah! le Temps fait passer l'Amour.»


Le succès trop facile rend l'amour méprisable.

Proverbe tiré de l'article 14 du Code d'amour: «_Facilis perceptio
contemptibilem reddit amorem._ C'est la difficulté qui fait le bonheur
et le charme de l'amour.» Les faveurs d'une belle, dit Mme de Genlis,
n'ont de prix que lorsqu'elles sont arrachées. On n'en jouit qu'en les
dérobant.


L'amour apprend les ânes à danser.

La légèreté et la souplesse singulières avec lesquelles les ânes, au
mois de mai, bondissent et se trémoussent dans la prairie auprès des
ânesses, ont donné lieu à ce proverbe, dont le sens métaphorique est que
l'amour polit le naturel le plus inculte.

On voit en effet de vrais rustres qui, sous l'influence de cette
passion, parviennent à se défaire de leurs instincts grossiers, de leurs
habitudes brutales, et y substituent des manières agréables, des mœurs
courtoises, que leur communiquent des femmes aimables auxquelles ils
cherchent à plaire.


L'amour porte avec soi la musique.

On dit aussi: _L'amour enseigne la musique._--Les amants aiment à
chanter leurs plaisirs et leurs peines. De là ce proverbe qu'on trouve
expliqué dans les _Symposiaques_ de Plutarque, liv. I, quest. V.

    _Primus amans carmen vigilatum nocte negata
      Dicitur ad clausas concinuisse fores;
    Eloquiumque fuit duram exorare puellam._

(Ovide, _Fast._ IV.)

«Un amant, dit-on, dans une nuit refusée à ses vœux, chanta le premier
des vers devant la porte fermée de sa maîtresse, et l'éloquence ne fut
d'abord que l'art d'attendrir une cruelle.»

Les Anglais disent: «_Love was the mother of poetry._ Amour engendre
poésie,» ce qui a été ingénieusement développé dans le _Spectateur_
d'Addison, n. 377:

    Le chant des premiers vers exprima: _Je vous aime._

(Saint-Lambert.)


L'amour est comme un flambeau, plus il est agité, plus il brûle.

Cette comparaison proverbiale est prise du vers suivant de P. Syrus, qui
dit l'_amant_, et non l'_amour_:

    _Amans ita ut fax, agitando ardescit magis._

Elle est parfaitement juste: «Les âmes propres à l'amour, dit Pascal,
demandent une vie d'action qui éclate en événements nouveaux. Comme le
dedans est mouvement, il faut aussi que le dehors le soit, et cette
manière de vivre est un merveilleux acheminement à la passion. C'est de
là que ceux de la cour sont mieux reçus dans l'amour que ceux de la
ville, parce que les uns sont tout de feu, et que les autres mènent une
vie dont l'uniformité n'a rien qui frappe: la vie de tempête surprend,
frappe et pénètre.» (_Discours sur les passions de l'amour._)

L'abbé de Bernis a dit aussi, d'une manière jolie: «Connaissez-vous un
feu qui prend toutes les formes que le souffle lui donne, qui s'irrite,
qui s'affaiblit, selon que l'impression de l'air est plus vive ou plus
modérée? il se sépare, il se réunit, il s'abaisse, il s'élève; mais le
souffle puissant qui le conduit ne l'agite que pour l'animer, et jamais
pour l'éteindre. L'amour est ce souffle; nos âmes sont ce feu.»
(_Réflexions sur l'amour._)

Les femmes savent très-bien que celui qui aime ne conserverait pas
longtemps son ardeur si elle restait inactive, et qu'il a besoin pour
l'entretenir, pour l'enflammer, d'une vie d'agitation, de remuement et
de secousses, enfin d'_une vie de tempête_. Aussi remarquez avec quels
soins prévoyants elles s'appliquent à préserver leurs adorateurs des
dangers du calme, à les tenir constamment en haleine par la nouveauté
des impressions qu'elles leur font éprouver, à les faire passer
rapidement et sans relâche d'une situation paisible à une situation
émouvante, à leur _faire voir du pays_, comme on dit.

Hommes peu clairvoyants, qui leur reprochez d'agir ainsi par
coquetterie, par humeur, par caprice, par bizarrerie, etc., ne
nommerez-vous jamais les choses par leur vrai nom, et les jugerez-vous
toujours sur les apparences? Reconnaissez donc que toutes ces manières
d'être, qui vous semblent d'étranges inégalités de caractère, ne sont,
la plupart du temps, chez ces enchanteresses, que des procédés d'un art
merveilleux par lequel elles veulent se rendre plus aimables et plus
aimées, en renouvelant sans cesse leur beauté par des changements
inattendus, ainsi que vos cœurs, par des désirs variés, et, loin de les
accuser de troubler votre repos, rendez-leur la grâce de multiplier vos
sensations pour vous sauver des ennuis de la monotonie.


Baiser le verrou.

S'est dit pour rendre hommage, par allusion à un usage féodal qui
voulait que le vassal se présentât chez son seigneur pour lui rendre
hommage, et, en son absence, baisât la serrure ou le verrou de la porte
du manoir seigneurial. (_Cout. d'Auxerre_, art. 44;--_de Sens_, art.
181,--et _de Berry_, tit. V, art. 10.) Mais ce n'est pas sous ce rapport
que je place ici cette expression proverbiale; c'est pour rappeler que
le fait qu'elle signale avait lieu également dans l'amoureux servage. Il
n'était pas de bon _serviteur_[12], ou servant d'amour, qui négligeât
d'honorer la dame de ses pensées par un semblable témoignage de
dévouement, quand il n'avait pas l'avantage d'être admis en sa présence.
Les amoureux transis (voyez plus loin cette expression) ne manquaient
jamais de baiser la serrure ou le verrou de la porte devant laquelle ils
allaient chaque jour soupirer leur martyre.

  [12] Le mot _serviteur_ était autrefois synonyme d'amant, comme on
    peut le voir dans la vingt-sixième des _Cent Nouvelles nouvelles_,
    dans les dixième, douzième, quatorzième, dix-neuvième, et
    vingt-quatrième nouvelles de l'_Heptaméron_ de la reine de Navarre,
    et dans le _Roman bourgeois_, de Furetière. J.-J. Rousseau lui a
    conservé cette acception dans le _Devin du village_, où Colette
    chante: _J'ai perdu mon serviteur._ Au reste, la même synonymie
    existait dans plusieurs langues, notamment en anglais. Voyez dans
    Shakespeare la scène première de l'acte deuxième des _Deux
    Gentilshommes de Vérone_.

Les amants, à Rome, se conduisaient aussi de cette manière, comme nous
l'apprend Lucrèce, vers la fin du livre IV de son poëme.

    _At lacrymans exclusus amator limine sæpe
    Floribus et sertis operit postesque superbos
    Unguit amaricino, et foribus miser oscula figit._

  Cependant, l'amant en larmes, à qui l'accès est interdit, orne sa
  porte de fleurs et de guirlandes, répand des parfums sur les poteaux
  dédaigneux, et imprime sur le seuil de tristes baisers.

Cela se faisait de même en signe d'adieu, lorsqu'on s'éloignait avec
regret d'un lieu chéri.

Rutilius, exprimant la douleur qu'il ressentait de partir de Rome, a
dit:

    _Crebra relinquendis infigimus oscula portis._

  Nous imprimons de fréquents baisers aux portes qu'il faut quitter.


L'amour et la gale ne se peuvent cacher.

L'un et l'autre ont des démangeaisons irrésistibles qui les font bientôt
découvrir. Les Anciens disaient: «_Amor tussisque non celatur._ L'amour
et la toux ne se peuvent céler.» Proverbe cité par Gilbert Cousin
(Gilbertus Cognatus), qui dit l'avoir trouvé dans Antiphane le Comique,
et dans Athénée.

    _L'amour et le musc ne peuvent rester ignorés._

(Proverbe indoustani.)

Les Danois disent: «La pauvreté et l'amour sont difficiles à cacher.
_Armod og kierlighed er ond at dölge._»

«L'amour est un de ces maux qu'on ne peut cacher; un mot, un regard
indiscret, le silence même le découvre.» (Abeilard).

«L'amour est si puissant, dit le romancero espagnol, et ses effets sont
tels que les yeux le publient, encore que la langue le taise.»

On connaît ces vers de Racine:

    On a beau se cacher, l'amour le plus discret
    Laisse par quelque marque échapper son secret.

(_Bajazet_, act. III. sc. VIII.)

    L'amour n'est pas un feu qu'on renferme en une âme:
    Tout nous trahit, la voix, le silence, les yeux,
    Et les feux mal couverts n'en éclatent que mieux.

(_Androm_., act. II, sc. II.)


L'amour divulgué est rarement de durée.

Il en est de l'amour comme d'un parfum qui se conserve quand on le tient
renfermé, et qui se gâte quand on l'évente. Ce proverbe est une
traduction littérale de l'article treizième du _Code d'amour_: _Amor
raro consuevit durare vulgatus._

Nous avons encore cette triade proverbiale: _Le secret, le vin et
l'amour, ne valent rien quand ils sont éventés._


Le secret est la garde la plus assurée de l'amour.

C'est-à-dire que l'amour se conserve mieux quand il est tenu secret.
Cette idée est sous une autre forme celle du proverbe précédent, dont le
commentaire peut s'appliquer à celui-ci; qu'on me permette seulement d'y
joindre cette chanson sur l'amour discret:

    L'amour dans l'ombre du mystère,
    Se plaît à cacher ses secrets.
    Il fuit le jour qui les éclaire,
    Et punit les cœurs indiscrets.
    Au silence qu'il nous impose
    Soumettons notre vanité,
    Si nous voulons cueillir la rose
    Que nous garde la volupté.

    L'amant trop fier de sa victoire,
    Qui partout vante son bonheur,
    Sacrifie à la vaine gloire
    Bien du plaisir pour peu d'honneur.
    Du triomphe qu'il se propose,
    Le sentiment n'est point l'objet,
    Et, quand il veut cueillir la rose,
    Elle échappe au bruit qu'il a fait.

    Si, par son frivole étalage,
    L'indiscret perd l'heureux moment,
    Le jaloux, farouche et sauvage,
    Ne l'obtient point par son tourment;
    Par son humeur il indispose,
    Il obsède par son ennui,
    Et, quand il veut cueillir la rose,
    Il n'a que l'épine pour lui.

    O toi qui veux plaire à ta belle,
    Sache prévenir ses désirs.
    Veux-tu qu'elle te soit fidèle?
    Sache occuper tous ses loisirs.
    Sur tous vos plaisirs bouche close,
    Avec soin garde ton secret.
    L'amour ne destine la rose
    Qu'à l'amant sincère et discret.


L'amour est le frère de la guerre.

C'est-à-dire que l'amour et la guerre se ressemblent sous beaucoup de
rapports: l'un et l'autre ont leurs combats qui se renouvellent chaque
jour, avec une tactique à peu près pareille, pour obtenir une victoire
suivie d'une trêve plus ou moins longue, après laquelle une autre lutte
recommence. Écoutez l'éternelle chanson des poëtes érotiques; vous
croirez par moments entendre un chant guerrier; la plupart des termes
caractéristiques en sont militaires: _blessé_, _blessure_, _vaincu_,
_vainqueur_, _victoire_, _triomphe_, _chaîne_, _conquête_, etc.

Ovide a dit, dans le second livre de l'_Art d'aimer_: «L'amour est une
sorte de guerre,» _Militiæ species amor est_; et dans la neuvième élégie
du premier livre des _Amours_:

    _Militat omnis amans, et habet sua castra Cupido._

    Tout amant est soldat, et l'Amour a ses camps.


L'amour est le frère de la haine.

L'amour et la haine pour le même objet naissent assez souvent dans le
même cœur, et s'y font sentir par des emportements, des malédictions,
des violences, et d'autres effets communs à l'une et à l'autre passion.
De là vient sans doute qu'on a regardé l'amour et la haine comme frère
et sœur. Mais l'amant livré à leur double influence ne hait pas
précisément. Il hait et aime tout ensemble, comme dit ce proverbe des
anciens cité par Gilbert Cousin: _Non odi, odi et amo._ C'est ce
qu'exprime très-bien la charmante épigramme de Catulle à Lesbie.

    _Odi et amo. Quare id faciam fortasse requiris?
    Nescio: sec fieri sentio, et excrucior._

  J'aime et je hais.--Comment est-ce possible? diras-tu.--Je ne sais,
  mais je le sens, et je souffre.

_L'amour est le frère de la haine_, peut s'expliquer aussi par cette
pensée de La Bruyère: «On veut faire tout le bonheur, ou, si cela ne se
peut, tout le malheur de ce qu'on aime.»

    O amour, ô tumultueux amour, ô amoureuse haine!

(Shakespeare, _Roméo et Juliette_.)


A battre faut l'amour.

_Faut_ est ici la troisième personne de l'indicatif du verbe _faillir_,
et ce proverbe, tiré du latin, _injuria solvit amorem_, signifie que les
mauvais traitements font cesser l'amour.--Cependant le cas n'est point
sans exception. On sait que les femmes moscovites mesuraient l'amour
qu'elles inspiraient à leur mari sur la violence avec laquelle elles
étaient battues, et qu'il n'y avait ni paix ni contentement pour elles
avant d'avoir éprouvé la pesanteur du bras marital. _Experientia
testatur feminas moscoviticas verberibus placari._ (Drex., _de Jejunio_,
lib. I, cap. II.)

Une chanson d'un troubadour anonyme attribue le même goût aux filles de
Montpellier.

    Las castanhas al brasier
    Peton quan no son mordudas;
    Las fillas de Mounpelier
    Ploron quan no son battudas.

Ce qu'un ancien troubadour a rendu vers pour vers de cette manière:

    Les châtaignes au brasier
    Pètent quand ne sont mordues;
    Les filles de Montpellier
    Pleurent quand ne sont battues.

On voit dans le _Voyage en Grèce_ de Pouqueville que les femmes
albanaises considèrent comme des marques d'amour les coups qu'elles
reçoivent de leur mari.

Dans plusieurs tribus arabes, les épouses préférées se désolent lorsque
les maris laissent reposer le bâton, parce que, dans ce cas, le divorce
n'est pas loin.

Guillaume le Bâtard, duc de Normandie, si connu dans l'histoire sous le
nom de Guillaume le Conquérant, fit longtemps une cour assidue à
Mathilde de Flandre, qui le traitait avec une froideur dédaigneuse.
L'ayant rencontrée, en 1047, dans une rue de Bruges, lorsqu'elle
revenait de la messe, il la saisit, la renversa, la roula dans la boue,
et la battit outrageusement. La jolie Mathilde, soit que cette
déclaration d'amour un peu brutale la convainquît de la violente passion
de son amant, soit que la peur de le voir réitérer la même scène la
disposât mieux pour lui, le traita désormais avec moins de rigueur, et
consentit enfin à l'épouser en 1052. Les deux époux devinrent des
modèles de tendresse conjugale. Cette anecdote est rapportée dans la
_Vie de la reine Mathilde_, etc., par Shickland, t. I, ch. I.

Au reste, la violence dont usa Guillaume envers Mathilde était une
conséquence logique de la passion qu'il avait pour elle, et on a vu
maintes fois, avant lui et après lui, plus d'un amoureux dédaigné
outrager publiquement sa belle inhumaine dans l'espérance qu'un tel
outrage, l'empêchant de trouver un autre époux, elle consentirait enfin
à s'unir avec lui.

Il y a encore une exception très-remarquable au proverbe, et ce sont les
deux amants les plus célèbres qui l'ont fournie. Abeilard fustigeait
quelquefois son Héloïse, qui ne l'en aimait pas moins. Lui-même, parlant
à elle-même, rappelle la chose dans une de ses lettres, où il confesse
d'un cœur contrit les scandaleux excès de sa passion immodérée: «_In
ipsis diebus dominicæ Passionis, te nolentem ac dissuadentem sæpius
minis ac flagellis ad consensum trahebam._ Les jours mêmes de la Passion
du Seigneur, lorsque tu me refusais ce que je demandais ou que tu
m'exhortais à m'en priver, ne t'ai-je pas souvent forcée par des menaces
et des coups de fouet à céder à mes désirs?»

Ausone avait deviné le cœur d'Héloïse, lorsqu'il disait en peignant les
qualités d'une maîtresse accomplie (épigr. LXVII): «Je veux qu'elle
sache recevoir des coups, et qu'après les avoir reçus elle prodigue ses
caresses à son amant.»

L'auteur des _Mémoires de l'Académie de Troyes_, facétie spirituelle
attribuée au comte de Caylus, mais que l'on croit plus généralement être
de Grosley, a examiné d'une manière plaisante jusqu'à quel point est
fondée l'opinion que battre est une preuve d'amour. Voyez dans cet
ouvrage (pages 205 et suivantes) la _Dissertation sur l'usage de battre
sa maîtresse_.

Après tant de faits généraux et particuliers, qui contredisent le
proverbe, ne serait-on pas tenté de croire qu'il est l'expression d'une
opinion erronée, et que Sganarelle a raison de dire à sa femme, à
laquelle il vient de donner des coups: «Ce sont petites choses qui sont
de temps en temps nécessaires dans l'amitié, et cinq ou six coups de
bâton entre gens qui s'aiment ne font que ragaillardir l'affection.»
(_Médecin malgré lui_, act. Ier, sc. III.)


Heureux au jeu, malheureux en amour.

La passion du jeu captive celui qui s'y livre en proportion du gain
qu'il y trouve, et lui fait oublier tout le reste. Dans cette situation
il néglige sa maîtresse, et celle-ci se dédommage par des infidélités;
telle est probablement la raison de ce proverbe, qui doit être fort
ancien puisque le troubadour Bérenger de Puivert l'a rappelé dans les
vers suivants:

      _Pois de datz no sui aventuros
    Ben degra aver calque domna conquisa._

  Puisque je n'ai point de chance aux dés, je devrais bien avoir quelque
  dame conquise.

Nous avons encore cet autre proverbe corrélatif: _Malheureux au jeu,
heureux en amour_, lequel est fondé sur la supposition que le joueur
maltraité de la fortune revient à sa belle, dont la reconnaissance et la
fidélité font son bonheur. Supposition fréquemment démentie. Quoi qu'il
en soit, tous les joueurs ressemblent à celui de Regnard, qui oublie sa
belle Angélique lorsqu'il gagne, et lui adresse des invocations quand il
a perdu.


Filer le parfait amour.

C'est nourrir longtemps un amour tendre et romanesque.--Cette façon de
parler fait allusion à la conduite d'Hercule filant aux pieds de la
reine Omphale. Elle fut probablement introduite dans notre langue à
l'époque où les confrères de la Passion représentaient le mystère
d'_Hercule_ sur leur théâtre. On sait que ce titre de mystère, consacré
à certains ouvrages dramatiques, s'appliquait à un sujet profane comme à
un sujet religieux.


L'amour se paye par l'amour.

Ce proverbe se retrouve textuellement dans celui des Basques, _Maitazeac
maitaze du harze_. Il peut avoir inspiré à Ninon de Lenclos le mot
suivant, qui en est le commentaire: «L'amour est la seule passion qui se
paye d'une monnaie qu'elle fabrique elle-même, et l'amour seul peut
acquitter l'amour.»


Plus il y a paroles en amour, et moins y sied.

«En amour, dit Pascal, un silence vaut mieux qu'un langage. Il est bon
d'être interdit. Il y a une éloquence de silence qui pénètre plus que la
langue ne saurait faire. Qu'un amant persuade bien sa maîtresse, quand
il est interdit, et que d'ailleurs il a de l'esprit! Quelque vivacité
que l'on ait, il est bon, dans certaines rencontres, qu'elle s'éteigne.
Tout cela se passe sans règle et sans réflexion, et quand l'esprit le
fait il n'y pensait pas auparavant. C'est par nécessité que cela
arrive.» (_Discours sur les passions de l'amour_).

Ce silence qui survient tout à coup sans qu'on y pense, qui résulte, non
d'un calcul, mais de la nécessité, est le plus tendre et le plus vrai
langage des amants. Aucun discours ne rendrait aussi bien ce qu'ils
sentent. Les paroles ne peuvent être que des signes d'une faible
passion: elles sont comme ces bluettes qui ne jaillissent guère que d'un
feu peu ardent. «Celui qui peut dire combien il aime, s'écrie Pétrarque,
n'a qu'une petite ardeur.»

    _Chi può dir com'egli arde, è un picciol fuoco._

(_Sonetto_ 137.)


L'amour s'introduit sous le nom de l'amitié.

C'est-à-dire que l'amitié entre homme et femme mène très-souvent à
l'amour, ou, dans un autre sens, que celui qui veut se rendre maître du
cœur d'une belle doit préluder au rôle d'amant par le rôle d'ami. C'est
la tactique recommandée dans _l'Art d'aimer_ d'Ovide, vers la fin du
premier livre d'où le proverbe est pris. Le poëte engage le jeune homme
qui aspire à la conquête d'une femme à ne montrer aucun espoir d'y
réussir, de peur de l'effaroucher: «Que l'amour, dit-il, s'introduise
sous le nom d'amitié.»

    _Intret amicitiæ nomine tectus amor._

«J'ai vu, ajoute-t-il, plus d'une beauté farouche dupe de ce manége, et
son ami devenir bientôt son amant.»

Si l'amour est produit par une amitié feinte, il doit l'être à plus
forte raison par une amitié réelle. Il y a de cette amitié à l'amour une
pente qui entraîne, et l'on s'y laisse aller avec d'autant plus de
facilité que le passage du premier sentiment au second, ou plutôt la
fusion des deux ajoute à l'affection un surcroît de délices.

Voici quelques lignes charmantes de Mlle de Scudéri sur cet état:

«Lorsque l'amitié devient amour dans le cœur d'un amant, ou, pour mieux
dire, lorsque cet amour se mêle à l'amitié sans la détruire, il n'y a
rien de si doux que cette espèce d'amour, car tout violent qu'il est, il
est pourtant toujours un peu plus réglé que l'amour ordinaire; il est
plus durable, plus tendre, plus respectueux et même plus ardent,
quoiqu'il ne soit pas sujet à tant de caprices tumultueux que l'amour
qui naît sans amitié. On peut dire, en un mot, que l'amour et l'amitié
se mêlent comme deux fleuves dont le plus célèbre fait perdre le nom de
l'autre.»


Un sot, en amour, va plus vite et plus loin qu'un homme d'esprit.

Les femmes, en général, sont plus sensibles aux déclarations amoureuses
d'un sot qu'à celles d'un homme d'esprit; car elles se persuadent
volontiers que le premier a plus d'amour qu'il n'en exprime, et elles
savent très-bien que le second en exprime toujours plus qu'il n'en a. La
difficulté de l'un à s'expliquer passe à leurs yeux pour l'effet d'un
saisissement produit par leurs charmes, et leur amour-propre en est
infiniment touché, tandis que la facilité de l'autre à débiter de
galants propos où l'art se montre plus que le naturel, où l'imagination
a plus de part que le cœur, les avertit qu'il joue un personnage qui
cherche à leur en imposer, et qu'elles doivent se défier de lui. Elles
peuvent être déçues par les illusions qu'elles se font elles-mêmes, mais
elles ne sont presque jamais dupes des beaux diseurs. Au reste, il est
tout simple que celui à qui la parole fait défaut leur paraisse plus
amoureux que celui qui parle beaucoup. L'amour muet n'est-il pas le
moins menteur?

Un autre motif qui les porte également à préférer le sot à l'homme
d'esprit, c'est qu'elles le supposent plus maniable, et se flattent de
le gouverner plus aisément.

Peut-être aussi leur détermination en sa faveur est-elle due en partie à
la secrète influence de quelques raisons inspirées par un sentiment peu
platonique... Mais ces raisons-là, je ne les examinerai point, afin de
ne pas trop m'écarter d'un précepte de goût autant que de décence, qui
recommande de ne jamais tout dire, et je laisserai aux lecteurs le soin
de s'expliquer, sous ce rapport, le penchant de la belle pour la bête.


L'amour est de tous les âges.

On dit que la vieillesse, affaiblissant et changeant même les organes,
rend incapable d'aimer; mais on voit trop de vieilles personnes
affriandées à l'amour pour ne pas croire à la vérité de ce proverbe,
qu'il faut entendre dans le même sens que ces deux autres, expliqués
plus haut: _Le cœur ne vieillit pas._--_Le cœur n'a point de rides._

On ne peut être aimé à tout âge, mais à tout âge on peut aimer, et l'on
a toujours des raisons de le faire. Je ne veux pas énumérer ces raisons,
plus nombreuses chez les femmes que chez les hommes, et je me contente
de rappeler celles qu'a données Mme d'Houdetot dans ce charmant huitain
où elle a esquissé en quelques traits pleins de grâce et de poésie
l'histoire de son cœur aimant:

    Jeune, j'aimai; le temps de mon bel âge,
    Ce temps si court, l'amour seul le remplit.
    Quand j'atteignis la saison d'être sage,
    Encor j'aimai; la raison me le dit.
    Me voici vieille, et le plaisir s'envole;
    Mais le bonheur ne me quitte aujourd'hui,
    Car j'aime encor, et l'amour me console:
    Rien ne saurait me consoler de lui.


L'amour fait les vieilles trotter.

Et si bien trotter que rien ne les arrête. Il y a un assez grand nombre
de trotteuses de cette espèce, qui ne craindraient pas d'_user leurs
jambes jusqu'aux genoux_ pour arriver au but où elles espèrent trouver
ce qu'elles ne se lassent jamais de chercher.

Le comte de Bussy-Rabutin raconte qu'une d'elles parcourait un soir, à
grands pas, les galeries de Fontainebleau, sans doute à la poursuite de
quelque page, lorsqu'elle se trouva face à face avec le chevalier de
Rohan qui lui dit: «Madame, que cherchez-vous?--Ce n'est pas vous,
répondit-elle, en allant plus vite encore.--Oh! répliqua-t-il, je ne
voudrais pas avoir perdu ce que vous cherchez.»


L'amour est le roi des jeunes gens et le tyran des vieillards.

C'est ce que disait Louis XII, qui avait appris la chose par sa propre
expérience, quoiqu'il ne fût que dans le commencement de la vieillesse
quand il mourut des suites de son troisième mariage. Ce mot passa en
proverbe pour signifier que l'amour réserve ses douceurs pour les jeunes
gens, et qu'il ne cause que des peines aux vieillards.


L'amour sied bien aux jeunes gens, et déshonore les vieillards.

C'est à peu près la pensée exprimée dans ce vers de Labérius:

    _Amare juveni fructus est, crimen seni._

Suivant Ovide, Vénus en cheveux blancs est ridicule:

    _Est in canitie ridiculosa Venus._

Le même poëte condamne l'amour sénile comme chose honteuse: _Turpe
senilis amor._

«C'est une grande difformité dans la nature qu'un vieillard amoureux.»
(La Bruyère, ch. XI.)

L'amour, chez le vieillard, est-il donc une énormité si odieuse, et
mérite-t-il d'être flétri comme un crime? C'est une question que
Saint-Évremont me paraît avoir traitée et résolue d'une manière
charmante. Voici ce que dit cet aimable épicurien, qui se plaisait à
réchauffer l'hiver de sa vie de quelques rayons de feu de son printemps.
«Vous vous étonnez mal à propos que les vieilles gens aiment encore, car
leur ridicule n'est pas à se laisser toucher, c'est à prétendre
imbécilement de pouvoir plaire. Pour moi, j'aime le commerce des belles
personnes autant que jamais; mais je les trouve aimables sans dessein de
m'en faire aimer. Je ne compte que sur mes sentiments, et cherche moins
avec elles la tendresse de leur cœur que celle du mien... Le plus grand
plaisir qui reste aux vieillards, c'est de vivre: _Je pense, donc je
suis_, sur quoi roule toute la philosophie de Descartes, est une
conclusion pour eux bien froide et bien languissante. _J'aime, donc je
suis_, est une conséquence toute vive, toute animée, par où l'on
rappelle les désirs de la jeunesse jusqu'à s'imaginer quelquefois être
jeune encore. Vous me direz que c'est une double erreur de ne pas croire
être ce qu'on n'est plus. Mais quelles vérités peuvent être si
avantageuses que ces bonnes erreurs qui nous ôtent le sentiment des maux
que nous avons, et nous rendent celui des biens que nous n'avons pas?»

Saint-Évremont a raison, et l'on a tort de blâmer, de ridiculiser le
vieillard qui cherche à ranimer sa vie défaillante par un amour purement
platonique. Laissez-le se retremper discrètement dans cette fontaine de
Jouvence et goûter le plaisir d'aimer pour compensation du malheur de ne
pouvoir plus plaire, comme le dit ce vers latin traduit par Apulée d'un
vers grec de Ménandre.

    _Amare liceat, si potiri non licet._


    Lorsqu'un vieux fait l'amour
    La mort court à l'entour.

C'est-à-dire que l'amour physique abrége la vie du vieillard. Le regain
de cet amour dans le cœur du vieillard est souvent le signe et la cause
de sa fin prochaine, et, sous ce double rapport, il ressemble au gui qui
fleurit sur un arbre mourant.

Le _Florilegium_ de Grutter cite ce proverbe latin sur les vieilles
amoureuses: _Anus cum ludit, morti delicias facit._ «Vieille qui se
livre aux folâtreries de l'amour fait les délices de la mort.»


Vieillard qui fait l'amour est un agonisant en chemise de noce.

Ce proverbe, d'une originalité spirituelle, exprime la même idée que le
précédent. Il fait allusion à une ancienne coutume qui consistait à
conserver soigneusement la chemise qu'on portait le jour de son mariage
pour la reprendre au lit funèbre, comme un suaire dans lequel on devait
être inhumé. Cette coutume existe encore en Bretagne et dans plusieurs
autres localités, où l'on se fait un pieux devoir de tenir en réserve la
chemise nuptiale, afin de l'employer à une toilette de mort, à _une
toilette dans laquelle on doit, dit-on, paraître devant le bon Dieu_.


Amour se nourrit de jeune chair.

Voilà le Cupidon mythologique transformé en un ogre à qui il faut la
chair fraîche des jouvenceaux et des jouvencelles. Cet ogre-là pourtant
ne fait peur à personne; on ne le fuit pas; on cherche, au contraire, à
s'approcher de lui, on met tous ses soins à l'attirer, on veut lui
servir d'aliment, et de toute part on n'entend que des voix qui lui
crient, comme les enfants d'Ugolin à leur père: «_Mangia di noi_, mange
de nous.» Les vieux et les vieilles ne sont pas moins empressés que les
jeunes à s'offrir en sacrifice; mais il se montre fort peu disposé en
leur faveur, leur viande coriace ne lui paraît pas propre à entretenir
son appétit.

Ce proverbe était très-répandu au dix-septième siècle, et c'est sans
doute à cause de cela que La Fontaine, dans son conte intitulé _Comment
l'esprit vient aux filles_, ne craignit pas de risquer ces deux vers
dont tout le sel ne consiste qu'à y faire allusion:

    Amour n'avait à son croc de pucelle
    Dont il crut faire un aussi bon repas.


L'amour n'a point de règle.

C'est ce qu'a dit saint Jérôme vers la fin de sa lettre à Chromatius:
«_Amor nescit ordinem._ L'amour ne connaît point l'ordre ou la règle.»
Anacréon avait dit avant lui: «Bacchus, secondé de l'amour, _folâtre
sans règle_.» (Od. 50.) L'amour, en effet, semble ne pouvoir
s'astreindre à rien de régulier dans sa manière d'être, et ses élans
passionnés ne peuvent se plier aux froids calculs de la réflexion. «Qui
ne sçait en son eschole, combien on procede au rebours de tout ordre?
l'estude, l'exercitation, l'usage sont voyes à l'insuffisance: les
novices y regentent: _Amor ordinem nescit._ Certes, sa conduicte a plus
de garbe (bonne grâce) quand elle est meslée d'inadvertence et de
trouble; les faultes, les succez contraires, y donnent poincte et grace:
pourveu qu'elle soit aspre et affamée, il chault peu qu'elle soit
prudente: voyez comme il va chancellant, chopant et follastrant; on le
met aux ceps (aux entraves, aux chaînes), quand on le guide par art et
sagesse, et contrainct-on sa divine liberté, quand on la soubmet à ces
mains barbues et calleuses.» (Montaigne, _Essais_, liv. III, ch. V.)


Le plaisir est le tombeau de l'amour.

Panard, dont les poésies sont pleines de proverbes, a pris celui-ci pour
titre des vers suivants, qui en sont l'explication, et qui se terminent
par un autre proverbe qu'il a littéralement emprunté aux Orientaux:

    Quand un amant est sûr que ses soins ont su plaire,
    Son fortuné destin le rend, de jour en jour,
        Moins empressé pour sa bergère.
        _Le Plaisir est fils de l'Amour,
    Mais c'est un fils ingrat qui fait mourir son père._

On rapporte qu'un jeune Grec, nommé Thrasonidès, était si convaincu de
cette vérité proverbiale et en même temps si amoureux de son amour,
qu'il ne voulut jamais jouir de sa maîtresse, de peur d'amortir sa
passion par la jouissance. Vous demanderez peut-être si, en aimant ainsi
davantage, il fut plus aimé de sa belle. Je ne puis vous le dire, car
l'histoire n'en parle pas: elle se borne à le signaler comme un amant
inimitable.


L'amour des parents descend et ne remonte pas.

Helvétius a dit: «L'homme hait la dépendance. De là peut-être sa haine
pour ses père et mère, et le proverbe fondé sur une observation commune
et constante: _L'amour des parents descend, et ne remonte pas._» Il a
pris le proverbe dans un sens affreusement exagéré. Le véritable sens
est que l'amour des père et mère pour les enfants surpasse celui des
enfants pour les père et mère. La nature, veillant à la conservation des
espèces, a voulu donner la plus grande énergie au sentiment paternel et
maternel, afin d'enchaîner les parents à tous les soins nécessaires pour
protéger la frêle existence des enfants; et nous voyons qu'elle a agi
ainsi dans tous les animaux comme dans l'homme. Elle n'a pas développé
de même, il est vrai, le sentiment filial; mais de cette disproportion
qu'elle a laissée dans l'amour il y a bien loin jusqu'à la haine. L'une
est dans la nature et l'autre est dénaturée, dit La Harpe, en réfutant
l'opinion d'Helvétius dans une de ces belles pages dont je viens de
reproduire les traits principaux, et qui se termine par ces paroles
remarquables: «Le plus funeste effet de ces calomnieux paradoxes, c'est
qu'en les lisant l'ingrat et le fils dénaturé pourront se dire qu'ils
sont comme les autres hommes. Méritent-ils le nom de philosophes, ceux
qui n'ont écrit que pour la justification des monstres?»

Les Arabes disent: _Le cœur d'un père est dans son fils, le cœur du fils
est dans la pierre._


Le cœur d'une mère est le miracle de l'amour.

Bossuet a expliqué ce miracle, et ceux qui connaissent son explication
seront charmés de la retrouver ici, car elle est si belle de pensée, de
sentiment et d'expression, qu'il est impossible de ne pas trouver un
nouveau charme à la relire: «On ne peut assez admirer, dit-il, les
moyens dont la nature se sert pour unir les mères avec leurs enfants,
car c'est le but auquel elle vise, et elle tâche de n'en faire qu'une
même chose: il est aisé de le remarquer dans l'ordre de ses ouvrages. Et
n'est-ce pas pour cette raison que le premier soin de la nature est
d'attacher les enfants au sein de leur mère? elle veut que leur
nourriture et leur vie passent par les mêmes canaux; ils courent
ensemble les mêmes périls; ce n'est qu'une même personne. Voilà une
liaison bien étroite; mais peut-être pourrait-on se persuader que les
enfants, en venant au monde, rompent le nœud de cette union: ne le
croyez pas. Nulle force ne peut diviser ce que la nature a si bien lié;
sa conduite sage et prévoyante y a pourvu par d'autres moyens. Quand
cette première union finit, elle en fait naître une autre à sa place,
elle forme d'autres liens, qui sont ceux de l'amour et de la tendresse:
la mère porte ses enfants d'une autre façon, et ils ne sont pas plutôt
sortis de ses entrailles, qu'ils commencent à tenir beaucoup plus au
cœur. Telle est la conduite de la nature ou plutôt de celui qui la
gouverne; voilà l'adresse dont elle se sert pour unir les mères avec
leurs enfants, et empêcher qu'elles ne s'en détachent. L'âme les reprend
par l'affection en même temps que le corps les quitte; rien ne peut les
arracher du cœur: la liaison est toujours si ferme qu'aussitôt que les
enfants sont agités, les entrailles des mères sont encore émues, et
elles sentent tous leurs mouvements d'une manière si vive et si
pénétrante, qu'à peine leur permet-elle de s'apercevoir que leur sein en
soit déchargé.» (Premier _Sermon pour le vendredi de la Passion_.)


    Tendresse maternelle
    Toujours se renouvelle.

Rien ne manque au cœur d'une mère, à ce _chef-d'œuvre de l'amour_. C'est
une source de tendresse qui se renouvelle continuellement sans jamais
s'épuiser, qui semble s'accroître, au lieu de diminuer par l'excessive
effusion de sa substance. Qui pourrait dire les trésors de sentiment qui
en découlent! «O ma mère, s'écrie un fils dans une pièce de poésie
chinoise, vos bras furent mon premier berceau. J'y trouvai vos mamelles
pour m'allaiter, vos vêtements pour me couvrir, votre sein pour me
réchauffer, vos baisers pour me consoler, et vos caresses pour me
réjouir.»

Mais ses bienfaits ne s'épanchent pas seulement sur le jeune âge. La
nature n'a point limité chez la femme, comme elle l'a fait chez les
femelles des animaux, l'énergie de l'amour maternel au temps où l'enfant
ne peut se passer des soins de celle qui l'a mis au monde; elle a voulu,
par un privilége exceptionnel en l'honneur de la dignité humaine, que
cet amour subsistât inaltérable dans le cœur qui en est animé par delà
les besoins de l'objet qui l'inspire. Il ne s'interrompt point, il ne
perd rien de sa force en s'étendant à de nouveaux enfants; il se
multiplie avec eux, il l'emporte sur toute autre affection. Les années
ne l'usent point, il est de tous les jours et de tous les instants de la
vie.

    Une mère, vois-tu, c'est là l'unique femme
            Qui nous aime toujours,
    A qui le ciel ait mis assez d'amour dans l'âme
            Pour chacun de nos jours.

(A. de Latour.)

Les Allemands disent: «_Mutterlieb ist immer neu._ Amour de mère est
toujours nouveau.» Ce proverbe a été développé d'une manière pleine
d'intérêt dans une collection de jolies gravures faites d'après les
dessins originaux de M. J.-Martin Ustéri. Les explications placées à
côté de chaque estampe ajoutent au prix de cette collection, éditée à
Zurich en 1803, et devenue le sujet d'un petit roman sentimental publié
depuis à Paris.


Froides mains, chaudes amours.

Nous disons encore: _Il a les mains fraîches, il doit être fidèle_, et
cela en vertu d'un axiome de chiromancie d'après lequel les mains
froides ou fraîches sont le signe caractéristique d'un tempérament
amoureux, parce que la chaleur du sang ne les quitte qu'afin de se
concentrer dans le cœur, regardé comme le principal organe de la
passion. Nous avons aussi ce proverbe corrélatif: _Chaudes mains,
froides amours._


Amours qui commencent par anneaux finissent souvent par couteaux.

Les mariages d'inclination sont rarement heureux, parce qu'ils sont
presque toujours mal assortis. La passion qui porte seule à les
contracter ne permet pas de voir les incompatibilités de caractère qui
devraient les empêcher. Mais ces incompatibilités, se découvrant et se
faisant sentir à mesure que cette passion diminue, les deux époux en
viennent bientôt à se détester aussi cordialement qu'ils s'étaient
aimés.

Les Provençaux ont ce proverbe très-expressif: «_Qui d'amour si prend
d'enrabi si quitto._ Qui se prend avec amour se quitte avec rage.»

Il y a très-peu d'exemples d'une alliance prospère qui ait été
contractée dans l'ivresse de l'amour. Le dégoût survient, et à sa suite
le cortége des ennuis, des repentirs, des tracasseries, des querelles.

«J'ai vu bien des mariages où l'on commençait par ressentir une telle
passion que l'on aurait voulu se manger mutuellement: au bout de six
mois, on était séparé.» (Luther, _Propos de table_.)


Il n'y a point de laides amours.

Ou, suivant un autre proverbe, _l'objet qu'on aime est toujours beau_.
«Tout cœur passionné, dit Bossuet, embellit dans son imagination l'objet
de sa passion; il lui donne un éclat que la nature ne lui donne pas, et
il est ébloui de ce faux éclat. La lumière du soleil, qui est la vraie
joie des yeux, ne lui paraît pas aussi belle.»

    _Feminam natura pulchram haud reddit, sed affectio._

  Ce n'est pas la nature qui rend la femme belle, c'est l'amour.

    Car sa beauté pour nous c'est notre amour pour elle.

(A. de Musset.)

Un proverbe roman dit: «_Non es bel so qu'es bel, mas es bel so
qu'agrada._ N'est pas beau ce qui est beau, mais est beau ce qui agrée.»
Ce proverbe s'est conservé en Provence et en Italie.

    _Quisquis amat ranam, ranam putat esse Dianam._

  Quiconque aime une grenouille, prend cette grenouille pour Diane.

C'est Diane Limnatis, déesse des marais et des étangs, dont il est ici
question. Cette remarque n'est pas inutile pour faire sentir l'analogie
d'un tel rapprochement.

Les habitants de l'île de Cypre avaient érigé des autels à _Vénus
Barbue_. Les Romains adoraient _Vénus Louche_, comme on le voit dans le
second livre de l'_Art d'aimer_ d'Ovide, et dans le _Festin de
Trimalcion_ par Pétrone. Ils employaient même proverbialement
l'hémistiche d'Ovide: «_Si pæta est, Veneri similis._ Si elle est
louche, elle ressemble à Vénus,» en parlant d'une belle qui avait le
rayon du regard un peu faussé. Horace nous apprend qu'un certain
Balbinus trouvait une grâce particulière dans le polype qu'Agna sa
maîtresse avait au nez. Il observe que les amants ressemblent à Balbinus
(_Serm._ I, 3). Il n'en est aucun en effet qui n'aime, comme on dit,
_jusqu'aux taches et aux verrues de sa belle_.

Le meilleur développement du proverbe _Il n'y a point de laides amours_
est dans les vers suivants, tirés de la traduction libre que Molière
avait faite de Lucrèce, et placés dans la cinquième scène du second acte
du _Misanthrope_:

    ... L'on voit les amants vanter toujours leur choix:
    Jamais leur passion n'y voit rien de blâmable,
    Et dans l'objet aimé tout leur paraît aimable.
    Ils comptent les défauts pour des perfections,
    Et savent y donner de favorables noms:
    La pâle est au jasmin en blancheur comparable,
    La noire à faire peur, une brune adorable;
    La maigre a de la taille et de la liberté,
    La grasse est dans son port pleine de majesté;
    La malpropre, sur soi, de peu d'attraits chargée,
    Est mise sous le nom de beauté négligée;
    La géante paraît une déesse aux yeux;
    La naine, un abrégé des merveilles des cieux;
    L'orgueilleuse a le cœur digne d'une couronne,
    La fourbe a de l'esprit, la sotte est toute bonne;
    La trop grande parleuse est d'agréable humeur,
    Et la muette garde une honnête pudeur:
    C'est ainsi qu'un amant dont l'ardeur est extrême
    Aime jusqu'aux défauts des personnes qu'il aime.

Le proverbe n'est pas toujours cité tel que je l'ai rapporté: on y fait
quelquefois une addition, en disant: _Il n'y a point de belle prison ni
de laides amours._


Il n'y a point d'éternelles amours ni de félicité parfaite.

Cette félicité qu'on cherche toujours sans jamais la trouver est la
pierre philosophale de l'âme, et ces amours sans fin par lesquelles on
espère y parvenir ne sont que des illusions qui passent aussi vite que
les fleurs des champs. Les Chinois en assimilent la courte durée à celle
des roses par cette jolie métaphore proverbiale: _Il n'y a pas de roses
de cent jours_; et l'on peut dire, en continuant leur idée, que rêver
l'éternité des amours, c'est, suivant une charmante expression de M. V.
Hugo, _rêver l'éternité des roses_.


On revient toujours à ses premières amours.

Les vives impressions éprouvées dans ce premier épanouissement de la vie
du cœur, et les ineffables illusions qu'elles ont fait naître, restent
profondément gravées dans la mémoire, qui les pare de couleurs poétiques
et en compose un type enchanteur, un idéal ravissant, dont l'éclat fait
pâlir toutes les amours venues dans la suite. Celles-ci se montrent
telles qu'elles sont avec les déplaisirs qui viennent souvent s'y mêler,
tandis que les autres apparaissent telles qu'on se plaît à les supposer
avec leurs voluptés fantastiques, et il résulte de la comparaison qu'on
établit entre elles que les effets produits par l'imagination doivent
sembler préférables à ceux de la réalité, et les premières amours à
celles qui leur succèdent.

Le poëte Lebrun a dit d'une manière charmante, dans son ode intitulée
_Mes Souvenirs, ou les Deux Rives de la Seine_:

          Ce premier sentiment de l'âme
    Laisse un long souvenir que rien ne peut user;
          Et c'est dans la première flamme
          Qu'est tout le nectar du baiser.

Il ne faut pas croire que le proverbe signifie, comme le pensent mal à
propos quelques personnes, que ce soit en réalité qu'_on revient à ses
premières amours_: c'est uniquement en souvenir. Si c'était réellement,
on les retrouverait, hélas! tout à fait dépourvues des attraits qu'on
leur suppose, et l'on ressemblerait aux cerfs qui, après avoir
successivement passé de biche en biche, reviennent à celle par laquelle
ils ont commencé: _Cervi vicissim ad alias transeunt, et ad priores
redeunt._ (Plin. _Natur. Histor._, X, 63.)

Un autre proverbe dit: _Il ne faut pas revenir sur ses premières amours,
ni aller voir la rose qu'on a admirée la veille._


Que la nuit me prenne là où sont mes amours!

Pour dire qu'on s'attarde volontiers dans un endroit où l'on se plaît,
auprès de l'objet de ses amours. Ce vœu tendre et délicat, exprimé avec
une simplicité exquise, me semble offrir un doux reflet du vœu passionné
de Léandre traversant l'Hellespont à la nage, au milieu de la tempête,
pour se réunir à son amante Héro, prêtresse de Vénus:

    Léandre, conduit par l'amour,
    En nageant, disait aux orages:
    «Laissez-moi gagner les rivages:
    Ne me noyez qu'à mon retour.»

Ce charmant quatrain de Voltaire est traduit fidèlement d'une épigramme
de l'_Anthologie grecque_, épigramme que le poëte latin Martial avait
reproduite dans le distique suivant:

    _Clamabat tumidis audax Leander in undis:
      Mergite me, fluctus, quum rediturus ero._

(Lib. XIV, epigr. 181.)


    D'oiseaux, de chiens, d'armes, d'amours,
    Pour un plaisir mille doulours.

Ce vieux proverbe, qu'on trouve dans le _Grand Testament_ de Villon,
atteste combien les anciens seigneurs français devaient prendre à cœur
tout ce qui concernait la fauconnerie, la vénerie, les tournois et la
galanterie, quatre objets importants de leurs occupations et de leurs
goûts. On sait qu'ils professaient un culte chevaleresque pour les
dames, et qu'ils regardaient l'oiseau, le chien et l'épée comme des
symboles qui caractérisaient les prérogatives de leur rang. Quand ils
voyageaient, ils avaient toujours leur chien favori auprès d'eux,
l'épervier sur le poing, et l'épée au côté. S'ils étaient faits
prisonniers dans quelque combat, la loi ne leur permettait pas d'offrir
pour rançon ces attributs de leur noblesse, mais elle leur laissait la
faculté de livrer des centaines de paysans de leurs terres.

Le fait suivant, rapporté par Abbon de Saint-Germain dans son poëme
latin sur le siége de Paris, est encore une preuve frappante de
l'importance qu'ils attachaient particulièrement à leurs oiseaux. Douze
gentilshommes près de périr dans la tour du Petit-Pont, à laquelle les
Normands qui l'assiégeaient avaient mis le feu, donnèrent la volée à
leurs autours pour les empêcher de tomber entre les mains de ces
barbares, qu'ils jugeaient indignes d'une si précieuse conquête.


    Sont aussi bien amourettes,
    Sous bureaux comme sous brunettes.

La brunette était une sorte de fin drap de soie de couleur brune, dont
les personnes de qualité s'habillaient au treizième siècle, tandis que
le bureau ou la bure était une étoffe grossière de laine à l'usage des
gens du commun. De là ce proverbe qui se trouve textuellement dans le
_roman de la Rose_, pour signifier que l'amour étend également son
empire sur toutes les conditions, et qu'il n'a pas moins de charmes dans
les petites que dans les grandes.


Un amoureux est toujours craintif.

Ce proverbe, usité chez beaucoup de peuples, est traduit du vingtième
article du _Code d'amour_: _Amorosus semper est timorosus._ Il
s'explique très-bien par les réflexions suivantes tirées de divers
endroits du _Discours_ de Pascal _sur les passions de l'amour_. «Le
premier effet de l'amour, c'est d'imposer un grand respect, l'on a de la
vénération pour ce qu'on aime. Il est (c'est) bien juste: on ne
reconnaît rien de grand comme cela.»--«Dans l'amour on n'ose hasarder de
peur de tout perdre; il faut pourtant avancer; mais qui peut dire
jusques où? L'on tremble toujours jusqu'à ce qu'on ait trouvé ce
point.»--«Il n'y a rien de si embarrassant que d'être amant, et de voir
quelque chose en sa faveur sans l'oser croire; l'on est également
combattu de l'espérance et de la crainte. Mais enfin la dernière devient
victorieuse de l'autre.»

Il y avait en langue romane un proverbe analogue: _Qui non tem non ama
coralmen_, c'est-à-dire: «Qui ne craint pas, n'aime pas cordialement.»


Amoureux transi.

Cette expression, dont on se sert pour désigner un amoureux timide,
novice, froid, fait allusion à un ancien usage des justiciables
volontaires de certaines cours d'amour, espèces d'énergumènes qui
avaient fondé, sous le règne de Philippe V, une société ou confrérie
nommée la _ligue des amants_, dont l'objet était de prouver l'excès de
leur passion par une opiniâtreté invincible à braver les ardeurs de
l'été et les glaces de l'hiver. Dans les chaleurs extrêmes, ils
allumaient de grands feux pour se chauffer et ils ne sortaient de chez
eux qu'enveloppés d'épaisses fourrures; au contraire, quand il gelait à
pierre fendre, ils se couvraient très-légèrement et allaient par le
froid, par la neige ou par la pluie, soupirer à la porte de leurs
maîtresses, où ils se tenaient jusqu'à ce qu'ils les eussent aperçues,
_étant parfois tellement morfondus et transis dans l'attente_, dit un
vieux chroniqueur, _qu'on entendait claquer leurs dents comme les becs
des cigognes_: la crainte des catarrhes et des fluxions de poitrine
n'était rien pour eux auprès du plaisir qu'ils paraissaient prendre à
baiser la serrure ou le verrou de cette porte. Outre ces témoignages de
leur vasselage amoureux, ils avaient pour se distinguer certaines
devises et certaines démonstrations d'une singularité extraordinaire.
Tel confrère élisait son domicile à l'enseigne de la Passion, rue du
Sacrifice, paroisse de la Sincérité; tel autre demeurait sur la place de
la Persévérance, hôtel de l'Assiduité, etc., etc.

Il existe un ouvrage rare et curieux intitulé _l'Amoureux transy sans
espoir_, par Jehan Bouchet. Cet ouvrage ne porte point de date. Selon
toute apparence, il a paru vers 1505, et par conséquent il est
postérieur à la locution qui en forme le titre.


Amoureux des onze mille vierges.

On appelle ainsi celui qui devient amoureux de toutes les femmes qui
s'offrent à sa vue.

Cette expression rappelle la légende des onze mille vierges. Voici ce
que l'abbé Salgues a dit sur cette légende, qui passe aujourd'hui pour
apocryphe:

«Croyez-vous que sainte Ursule soit partie de Londres pour la basse
Bretagne, avec onze mille vierges qui devaient épouser les onze mille
soldats du capitaine Conan, son fiancé, et peupler le pays? Croyez-vous
qu'une tempête miraculeuse les ait jetées dans les bouches du Rhin, et
qu'elles aient remonté le fleuve jusqu'à la ville de Cologne, alors
occupée par les Huns, qui servaient l'empereur Gratien? Croyez-vous que
ces impertinents aient voulu leur faire la cour un peu trop brusquement,
et qu'irrités d'être repoussés avec trop de fierté ils les aient mises à
mort pour leur apprendre à vivre? Nos bons aïeux le croyaient
certainement, puisqu'ils célébraient annuellement, le 22 octobre, la
fête de ces chastes héroïnes. Mais comme il n'est rien dans le monde
sans contradiction, des critiques sourcilleux et difficiles ont contesté
la vérité de ces récits. Ils ont fait d'abord observer que le nombre de
onze mille vierges était un peu fort, qu'on aurait eu de la peine à le
trouver dans les meilleurs temps du christianisme, et que le martyrologe
de Wandelbert, composé en 850, et l'un des plus estimés des
connaisseurs, n'en a porté le nombre qu'à mille, ce qui est encore
beaucoup. Ensuite ils ont soutenu qu'il fallait pousser la réduction
encore plus loin, et ils ont porté l'esprit de réforme jusqu'à effacer
d'un trait de plume dix mille neuf cent quatre-vingt-neuf vierges, de
sorte qu'ils n'en ont voulu accorder que onze; ce qui doit laisser
beaucoup de places vacantes en paradis. Ils se sont autorisés d'une
inscription qu'ils ont interprétée à leur manière: SANCTA URSULA ET XI
M. V. Ceux qui tiennent pour les onze mille vierges ont traduit: _Sainte
Ursule et onze mille vierges_. Mais nos critiques assurent que cette
interprétation est fautive et erronée, et veulent que l'on traduise
_sainte Ursule et onze martyres vierges_. Pour appuyer leur prétention,
ils citent un catalogue de reliques tiré du _Spicilége_ du père D. Luc
d'Acheri, dans lequel on lit: «_De reliquiis SS. undecim virginum_. Des
reliques des SS. onze vierges.»

«Réduire ainsi onze mille vierges à onze, c'est déjà beaucoup: cependant
d'autres critiques, plus sévères encore, ont prétendu enchérir sur les
premiers et porter la soustraction bien plus loin; car ils ne veulent
absolument que deux vierges. Ils protestent qu'on a très-mal lu les
anciens martyrologes, qui portaient: _SS. Ursula et Undecimilla, Virg.
Mart._, c'est-à-dire «SS. Ursule et Undecimille, vierges martyres.» Des
copistes ignorants ont pris un nom de femme pour un nom de nombre, et se
sont imaginé que _Undecimilla_ était une abréviation de _undecim
millia_.

«Voilà ce que pense le savant père Sirmond, je ne sais s'il se trompe.
Il est au moins constant qu'on a peu de renseignements exacts sur
l'histoire de sainte Ursule et de ses compagnes. Baronius assure que les
véritables actes de son martyre ont été perdus.»


Le riche s'attriste pendant que l'amoureux danse.

Ce proverbe oppose franchement les joies de l'amour aux soucis de la
richesse, et semble vous dire: Préférez ce qui dilate le cœur à ce qui
le resserre. Il nous est venu de la langue romane, et il se trouve dans
ce vers du troubadour Pierre Cardinal:

    _El ric s'irais mentre l'amoros dansa._


Les tisons relevés chassent les amoureux.

Dicton fondé sur un usage très-ancien, d'après lequel une jeune fille,
lorsqu'elle voulait se débarrasser des poursuites d'un jeune homme qui
la recherchait en mariage, lui donnait rendez-vous chez elle, et courait
se cacher, à son arrivée, après avoir relevé les tisons du feu, lui
signifiant par là sans doute qu'ils ne devaient pas avoir l'un et
l'autre un foyer commun.

Il se pratique encore aujourd'hui quelque chose d'analogue dans le
département des Hautes-Alpes, où les belles congédient les galants en
leur présentant le bout non allumé d'un tison.

Il va sans dire que si l'on éconduisait un prétendant en lui faisant
voir les tisons éteints, on le retenait en les lui montrant allumés.
C'étaient deux choses corrélatives passées en coutume, qui se
rattachaient également aux antiques formalités du mariage, où le feu
entrait comme élément symbolique, ainsi que je l'ai remarqué en
expliquant la locution proverbiale: _Allumer la chandelle à quatre
cornes._

On vient de lire deux exemples assez curieux de la première, en voici
encore deux de la seconde qui ne le sont pas moins:

Dans la province d'Utrecht, principalement à Zeyst, près de cette ville,
chez la secte indépendante des Hernudders, le jeune homme qui recherche
une jeune fille en mariage va sonner à la porte de la maison qu'elle
habite, et demande du feu pour allumer son cigare ou sa pipe. Cette
visite est suivie d'une seconde, et si le feu lui est accordé, il se
présente une troisième fois. Alors il est reçu comme épouseur, et la
jeune fille lui donne une poignée de main. Si, pendant ce temps, il
finit de fumer son cigare, elle lui en offre un nouveau, et l'affaire
est conclue. Lorsqu'il n'est pas agréé, la porte reste fermée pour lui,
et il faut qu'il aille chercher femme ailleurs.

Le même usage existe chez les Mormons; mais c'est la jeune fille qui
prend l'initiative de présenter le cigare et le feu.

L'usage symbolique de notifier un refus de mariage en offrant aux yeux
des prétendants les tisons relevés, c'est-à-dire le foyer sans feu,
donna lieu dans la suite à une superstition dont il reste encore quelque
vestige: «Lorsqu'il y a une femme veuve ou quelque fille à marier dans
une maison, dit le curé Thiers, et qu'elles sont recherchées en mariage,
il faut bien se donner de garde de relever les tisons, parce que _cela
chasse les amoureux_.» (_Traité des Superst._, t. III, p. 455.)


C'est un Céladon.

Amoureux à beaux sentiments. Céladon est un personnage de _l'Astrée_,
pastorale allégorique où son auteur, le marquis Honoré d'Urfé, homme
célèbre dans le monde galant par sa beauté, sa grâce, son esprit et son
tendre cœur, a décrit ses propres amours, dégagés de toute idée
grossière. La scène de ce roman est placée sur les bords du Lignon,
petite rivière du Forez. Les bergers et les bergères qui y figurent sont
des portraits de grands seigneurs et de grandes dames de la cour de
France. Astrée représente Mlle de Chateaumorand; Galathée, la reine
Marguerite, sœur de Henri III; Céladon, c'est d'Urfé; Calidon, M. le
prince; Calidée, madame la princesse; Euric, Henri le Grand. Le premier
volume de _l'Astrée_ parut en 1610, quelque temps avant l'assassinat de
Henri IV, et fut dédié à ce roi, qui trouva le présent fort agréable,
quoique l'auteur ne le lui fût guère à cause de ses amours avec
Marguerite de Valois. Le second et le troisième volume furent publiés
l'année suivante, le quatrième en 1620, et le cinquième en 1625, après
la mort de d'Urfé, par les soins de son secrétaire Baro, qui le termina
d'après les manuscrits de son maître ou d'après sa propre imagination.
Ces publications successives, signalées par divers bibliographes à qui
j'ai emprunté les détails qu'on vient de lire, furent accueillies avec
la plus grande faveur.

Ajoutons un fait qui montre bien l'influence extraordinaire que d'Urfé,
par son roman, exerça sur ses contemporains. On assure qu'en 1624 il
reçut, en Piémont où il résidait, une lettre signée de vingt-neuf
princes ou princesses, et de dix-neuf seigneurs ou dames d'Allemagne qui
lui demandaient avec instance la fin de l'ouvrage. Ces personnages
l'informaient qu'ils avaient pris les noms des héros et des héroïnes de
_l'Astrée_, et qu'ils s'étaient constitués en _académie des vrais
amants_.

C'est de ces confréries pastorales, qui remontent à une époque beaucoup
plus ancienne, que sont dérivés les noms de _berger_ et de _bergère_
employés comme synonymes d'_amant_ et d'_amante_.


Il ne faut pas découvrir le pot aux roses.

C'est-à-dire les choses qu'on veut tenir secrètes, et particulièrement
les mystères de la galanterie ou de l'amour.

La rose, dont le Tasse a dit d'une manière si charmante: «_Quanto si
mostra men, tanto è più bella_; moins elle se montre, plus elle est
belle,» la rose était dans l'antiquité le symbole de la discrétion, et
la riante mythologie avait consacré cette idée en racontant que l'Amour
avait fait présent de la première rose qui parut sur la terre à
Harpocrate, dieu du silence, pour l'engager à cacher les faiblesses de
Vénus. De même que la rose a son bouton enveloppé de ses feuilles, on
voulait que la bouche gardât la langue captive sous les lèvres[13].
Quand on faisait une confidence à quelqu'un, on avait soin de lui offrir
une rose comme une recommandation expresse de respecter les secrets dont
il devenait dépositaire. Cette fleur figurait surtout dans les festins:
tressée en guirlandes destinées à couronner le front et la coupe des
convives, ou placée par bouquets sous leurs yeux, elle servait à leur
rappeler que les doux épanchements nés de la liberté qui règne dans les
banquets doivent toujours être sacrés. Nos bons aïeux avaient adopté cet
aimable usage, qu'ils rendaient plus significatif encore en exposant sur
la table un vase de roses sous un couvercle, et le proverbe est venu de
cet usage, qui n'est peut-être pas entièrement tombé en désuétude; en
1800, j'en ai été témoin dans une petite ville du département de
l'Aveyron.

  [13] C'est ce que dit saint Grégoire de Nazianze dans des vers grecs
    dont sir Thomas Brown a rapporté cette traduction en vers latins:

        Utque latet rosa verna suo putamine clausa,
        Sic os vincla ferat, validisque arctetur habenis,
        Indicatque suis prolixa silentia labris.

Les Allemands, pour recommander de ne pas trahir une confidence, se
servent de la formule suivante: _Ceci est dit sous la rose._

Cette formule est également familière aux Anglais, et voici comme elle a
été expliquée par Newton dans l'_Herbier de la Bible_, p. 233-234:
«Quand d'aimables et gais compagnons se réunissent pour faire bonne
chère, ils conviennent qu'aucun des joyeux propos tenus pendant le repas
ne sera divulgué, et la phrase qu'ils emploient pour garantie de leur
convention est que tous ces propos doivent être considérés comme _tenus
sous la rose_, car ils ont coutume de suspendre une rose au-dessus de la
table, afin de rappeler à la compagnie l'obligation du secret.»

Peacham, dans son ouvrage intitulé «_the Truth of our times_, la Vérité
de notre temps,» (p. 173; édit. de Londres, in-12, 1638), rapporte qu'en
beaucoup d'endroits de l'Angleterre et des Pays-Bas on voyait une belle
rose peinte au beau milieu du plafond de la salle à manger.

L'ornement d'architecture nommé rosace dut probablement son origine à
cet usage qui était connu des anciens, comme l'attestent ces quatre vers
que Lloyd, dans son dictionnaire, dit avoir été trouvés sur une dalle
antique de marbre:

    _Est rosa flos Veneris, cujus quo forta laterent
      Harpocrati matris dona dicavit Amor.
    Inde rosam mensis hospes suspendit amicis,
      Convivæ ut sub ea dicta tacenda sciant._

La rose est la fleur de Vénus, l'Amour en consacra l'offrande à
Harpocrate, pour l'engager à cacher les voluptés furtives de sa mère; et
de là est née la coutume de suspendre cette fleur au-dessus de la table
hospitalière, afin que les convives sachent qu'il ne faut pas divulguer
_ce qui a été dit sous la rose_.


Conter fleurettes.

Cette expression, qui signifie tenir des propos galants, est venue,
suivant la remarque de Le Noble, de _ce qu'il y avait_ en France, sous
Charles VI, des pièces de monnaie marquées de petites fleurs et nommées,
pour cette raison, _florettes_ ou _fleurettes_, de même qu'on nomme
encore _florins_ une monnaie d'or ou d'argent qui portait primitivement
l'empreinte d'une fleur. Ainsi _conter fleurettes_ aurait d'abord
signifié compter de l'argent aux belles pour les séduire, ce qui est
bien souvent le moyen le plus persuasif.

Ceux qui rejettent cette origine allèguent la différence qu'il y a entre
_conter_ et _compter_; mais ce n'est point là une raison valable,
puisque ces deux verbes étaient autrefois confondus sous le rapport de
l'orthographe, ainsi que l'attestent des milliers d'exemplaires, où
_conter_ est mis pour _compter_. Cependant je n'adopte point l'opinion
de Le Noble: je crois qu'il est plus naturel d'entendre par _fleurettes_
les fleurs du langage. Les Grecs disaient: ῥόδα εἴρειν, et les Latins de
même, _rosas loqui_ (parler roses). On trouve dans quelques recueils
français du quinzième siècle, _dire florettes_[14], et il existe un
vieux livre intitulé «LES FLEURS DE BIEN DIRE, recueillies aux cabinets
des plus rares esprits de ce temps, pour exprimer les passions
amoureuses de l'un et de l'autre sexe, avec un amas des plus beaux
traits dont on use en amour, par forme de dictionnaire.» Paris, 1598,
chez Guillemot.

  [14] On trouve aussi _écrire florettes_, expression qui signifie
    particulièrement _écrire en chiffre de fleurs_.


Voyager dans le pays de Tendre.

Se dit d'une personne dont les propos et la conduite annoncent un
penchant décidé pour l'amour.

Fontenelle a fait usage de cette expression en parlant de la reine
Élisabeth d'Angleterre, qui, comme on sait, joignit aux qualités d'un
grand roi la coquetterie d'une femme. «Élisabeth, dit-il, faisait
peut-être quelques pas dans le _pays de Tendre_, mais assurément elle se
gardait bien d'aller jusqu'au bout.»

On emploie aussi dans le même sens l'expression _voguer_ ou _naviguer
sur le fleuve de Tendre_, qu'on trouve dans ces vers de la dixième
satire de Boileau:

    Puis bientôt en grande eau sur le _fleuve de Tendre_
    Naviguer à souhait, tout dire et tout entendre.

Ces façons de parler font allusion au _pays de Tendre_, imaginé par Mlle
de Scudéri, qui en a tracé la carte dans son roman de _Clélie_. Cette
carte représente six rivières sur lesquelles sont situées six villes,
toutes six nommées Tendre; savoir: Tendre sur Inclination; Tendre sur
Estime; Tendre sur Reconnaissance; Tendre sur Désir; Tendre sur Passion;
Tendre sur Tendre. On va de l'une à l'autre par une route
très-accidentée dans laquelle on trouve le hameau des Billets doux, les
bosquets des Billets galants, la place des Petits Soins et des Soupirs
indiscrets, etc.

«Les amants, dit Voltaire, s'embarquent sur le fleuve de Tendre: on dîne
à Tendre sur Estime, on soupe à Tendre sur Inclination, on couche à
Tendre sur Désir. Le lendemain on se trouve à Tendre sur Passion, et
enfin à Tendre sur Tendre. Ces idées peuvent être ridicules, surtout
quand ce sont des Clélies, des Horatius Coclès et des Romains austères
et agrestes qui voyagent; mais cette carte géographique montre au moins
que l'amour a beaucoup de logements différents.» (_Dict. philos._, au
mot ABUS.)


                   *       *       *       *       *

Je termine cette série de proverbes et de locutions proverbiales sur
l'amour par un petit pastiche où j'ai fait entrer plusieurs idées qui
n'ont pu trouver place dans les commentaires qui leur ont été consacrés.
Il a été composé avec des phrases d'une foule d'auteurs dont il me
serait aussi difficile de dire les noms qu'il le serait à un tailleur de
nommer les fabricants des diverses étoffes d'où il a tiré les lambeaux
qu'il a cousus ensemble pour en faire un habit d'arlequin.

                   *       *       *       *       *

Quelques mythologues supposent que l'Amour est né de l'Érèbe et de la
Nuit, pour exprimer la confusion qu'il apporte dans nos sens et
l'aveuglement dont il frappe notre esprit. D'autres prétendent qu'il est
issu de Vénus sans père, ce qui montre que la beauté seule peut produire
l'amour. Il y en a qui assurent, au contraire, que la déesse lui donna
l'être avec la coopération de plusieurs dieux. Lorsqu'elle était au
moment de le mettre au jour, le conseil de l'Olympe s'assembla: De quoi
accouchera-t-elle? se demandaient les immortels.--De la foudre, dit
Jupiter;--de la guerre, s'écria Mars;--du Tartare, ajouta Pluton; et
Vénus accoucha de l'Amour. Le Destin avait décidé qu'on ne pouvait
attendre d'une fille de la Mer que des tempêtes; d'une épouse de
Vulcain, que des incendies; et d'une maîtresse de Mars, que des
batailles. Ainsi l'Amour fut un composé de divers fléaux. A peine eut-il
vu la lumière qu'il sema le trouble dans la cour céleste, et Jupiter,
malgré le faible qu'il avait pour lui, se vit contraint de l'exiler sur
la terre. L'apparition de ce petit dieu ici bas excita parmi les hommes
un mouvement extraordinaire. Toutes les femmes coururent après lui pour
le prendre, mais il avait des ailes; il échappa à leur poursuite, et se
réfugia chez Protée, qui lui révéla le secret des métamorphoses. Depuis
lors il se multiplia sous mille formes, et il ne garda pas deux jours de
suite la même figure. Il prit tour à tour l'air de la timidité et de
l'espièglerie, de l'innocence et de la malice, de la mélancolie et de la
gaieté, du sentiment et du caprice, de la constance et de la légèreté,
de l'amitié et de la haine, de la sagesse et de la folie, etc., etc.,
etc. Souvent il emprunta les traits réunis de plusieurs passions, et les
assortit de manière à se composer une physionomie toujours nouvelle.
Enfin il voulut ressembler à tout, et ne ressembler à rien. C'est ce qui
fait qu'on ne peut jamais bien le peindre, et qu'on le peint de tant de
façons diverses, mettant d'ordinaire ce qu'on imagine à la place de ce
qui est, et imaginant quelquefois les choses les plus singulières;
témoin cet auteur castillan qui l'a dépeint tout à fait semblable au
Grand Turc.

Les effets que l'amour produit ne sont pas moins nombreux ni moins
variés que ses métamorphoses. Ils pourraient se caractériser d'après les
degrés de latitude des différents pays. En Espagne ils se font sentir
dans la tête et dans l'imagination; en Italie, dans le cœur et dans le
fiel; en Angleterre, dans la rate et dans la cervelle; en Allemagne,
dans l'estomac et dans le foie; en France, un peu partout. Chez les
Espagnols, c'est une folie qui éclate surtout pendant la nuit, temps des
mystères et des aventures; chez les Italiens, une affaire principale
dont ils s'occupent dès l'aurore; chez les Anglais, une humeur noire
mère du _spleen_, à laquelle ils se livrent dans les jours nébuleux;
chez les Allemands, un remède pour le lendemain matin, quand la
digestion est faite; chez les Français, un sentiment doux et léger qui
se joue parmi des fleurs artificielles, un art d'agrément, un amusement
qu'ils prennent et quittent sans façon, comme bon leur semble.

On peut ajouter à ces observations les vers suivants d'un auteur dont
j'ai oublié le nom:

    Quand un objet fait résistance,
    L'Anglais fier et vain s'en offense,
    L'Italien est désolé,
    L'Espagnol est inconsolable,
    L'Allemand se console à table,
    Le Français est tout consolé.

Le meilleur parti qu'il y ait à prendre quand on veut se délivrer des
peines de l'amour, c'est de le traiter à la manière française. Mais
comme cela ne convient pas à tous les tempéraments, je vais indiquer une
recette médicale dont la généralité des individus peut faire usage au
besoin. Je l'ai trouvée dans les œuvres du célèbre Huet, évêque
d'Avranches. Ce docte prélat, plein de compassion pour les cœurs en
souffrance, les avertit très-sérieusement que l'amour est, comme la
fièvre, une maladie qui se guérit par les secours de la médecine, en
provoquant d'abondantes sueurs et en pratiquant de copieuses saignées.
Et certes on ne contestera point que l'amour ainsi purgé de ses humeurs
malignes et dégagé de ses esprits enflammés ne soit réduit à
l'impuissance. Mais, dira-t-on, n'est-il pas à craindre qu'il reprenne
dans la suite ses premières ardeurs? Notre auteur a prévu cette
objection, et l'a réfutée par le fait suivant, qu'il rapporte en ces
termes: «Un grand prince que nous avons connu, atteint d'une passion
violente pour une demoiselle d'un grand mérite, fut contraint de partir
pour l'armée. Tant que son absence dura, sa position s'entretint par le
souvenir et par un commerce de lettres très-fréquent et très-régulier,
jusqu'à la fin de la campagne, où une maladie dangereuse le réduisit à
l'extrémité. On proportionna les remèdes au mal, et on mit en usage tout
ce que la médecine enseigne de plus efficace: il reprit la santé, mais
sans reprendre son amour, que de grandes évacuations avaient emporté à
son insu.»

Il est clair, d'après cela, que si l'on désire un bon remède d'amour, ce
n'est pas à Ovide, mais à M. Purgon qu'il faut le demander.

                   *       *       *       *       *

On a remarqué sans doute que, dans la série des proverbes sur l'amour,
il s'en trouve un assez grand nombre qui ont été formés de comparaisons
ou de métaphores fort ingénieuses.

Frappé du caractère original qui les distingue, je m'étais plu à les
mettre en vers dans l'intention d'en illustrer les dernières pages de ce
chapitre, espérant atténuer leur double emploi par les agréments de la
forme métrique; mais je renonce à ce dessein dont la mise en œuvre ne
serait en dernière analyse qu'un duplicata bien ou mal versifié.

Qu'on me permette pourtant de donner ici deux quatrains consacrés à deux
de ces proverbes oubliés dans la série en question.

    On aime à se flatter de l'espoir décevant
    D'être toujours aimé de sa douce compagne;
    Mais _l'amour d'une belle est un sable mouvant
    Où l'on ne peut bâtir que châteaux en Espagne_.

    L'amour sincère et pur n'est jamais soucieux.
    Rien ne peut altérer l'essence sublimée
          De cet amour délicieux;
    _C'est un feu d'aloès qui brûle sans fumée._

Qu'on me permette aussi de joindre à ces citations une chanson dont
chaque couplet offre une ressemblance et une différence entre l'Amour et
le Médecin comparés.


L'Amour et le Médecin.

1er COUPLET

    Le médecin, le dieu d'amour,
    Sont de service nuit et jour:
      Voilà la ressemblance.
    L'un est fameux dans ses vieux ans,
    Et l'autre l'est dans son printemps:
      Voilà la différence.

2e COUPLET

    Ils sont aveugles tous les deux,
    Malgré cela fort curieux:
      Voilà la ressemblance.
    L'un est grave et de noir vêtu.
    L'autre est sémillant et tout nu:
      Voilà la différence.

3e COUPLET

    On a recours à tous les deux
    Quoique tous deux soient dangereux:
      Voilà la ressemblance.
    Il faut payer un grand docteur,
    L'amour payé perd sa valeur,
      Voilà la différence.

4e COUPLET

    Tous deux nous donnent du ressort,
    Et même la vie et la mort:
      Voilà la ressemblance.
    L'un nous blesse en nous guérissant,
    L'autre caresse en nous blessant,
      Voilà la différence.

5e COUPLET

    Tous deux regardent dans les yeux,
    Si ça va mal, si ça va mieux:
      Voilà la ressemblance.
    C'est le pouls que tâte un docteur,
    Mais l'amour nous touche le cœur:
      Voilà la différence.

6e COUPLET

    Tous deux s'en vont courants, trottants,
    Et sont tant soit peu charlatans:
      Voilà la ressemblance.
    L'un s'en va quand nous allons bien,
    L'autre, quand nous ne valons rien:
      Voilà la différence.



PROVERBES

SUR

LE MARIAGE


Le mariage est une loterie.

Et dans cette loterie, comme dans les autres, il est très-rare qu'on
obtienne un bon lot.

Un proverbe italien dit que _l'homme et la femme qui se marient mettent
la main dans un sac où sont dix couleuvres et une anguille_. D'après
cela il y a dix contre un à parier qu'ils n'attraperont pas l'anguille;
encore, s'ils viennent à l'attraper, courent-ils grand risque qu'elle
leur glisse des mains.

On s'est amusé à démontrer, par un tableau statistique dont je ne
garantis pas la vérité, que sur huit cent soixante-douze mille cinq cent
soixante-quatre mariages, il faut compter:

    1,360 Femmes qui ont quitté leurs maris pour suivre leurs amants.

    2,361 Maris qui se sont enfuis pour ne plus vivre avec leurs femmes.

    4,120 Couples séparés volontairement.

  191,025 Couples vivant en guerre sous le même toit.

  162,320 Couples qui se haïssent cordialement, mais qui cachent leur
          haine sous un extérieur poli.

  510,132 Couples qui vivent dans une indifférence marquée.

    1,102 Couples réputés heureux dans le monde, et privés, dans leur
          intérieur, du bonheur qu'on leur suppose.

      135 Couples heureux par comparaison à la grande quantité des
          malheureux.

        9 Couples véritablement heureux.

Ce tableau, s'il est exact, prouve que la félicité conjugale est
semblable à la félicité céleste, à laquelle tous sont appelés et que
très-peu obtiennent.

C'est un triste résultat qui va être mis dans tout son jour par les
proverbes que j'ai à rapporter et par les commentaires que j'y
ajouterai. Mais je dois avertir préalablement qu'il doit être moins
attribué au mariage tel qu'il est de sa propre nature, qu'au mariage
faussé et perverti par les vices de la nature humaine.

Cet état est dans l'ordre des lois de Dieu et de la société. Il n'y en a
point qui convienne autant aux besoins des deux sexes, qui soit aussi
propre à les rendre meilleurs, et je crois fermement que, s'ils y
entraient dans les conditions qu'il exige, ils y trouveraient les
douceurs d'une tendre amitié, les plaisirs épurés des sens et de la
raison; en un mot, tous les agréments qui peuvent embellir l'existence.

«Le mariage, dit Rœderer, ce lien sacré qui forme une unité forte et
parfaite de deux existences incomplètes, rend communs à toutes deux les
avantages propres à chacune, fait jouir chaque époux des dons différents
que les deux sexes ont reçus de la nature, communique à l'un la force, à
l'autre la douceur, à l'un la justice de l'esprit, à l'autre la
sagacité, ajoute à la conscience de chacun d'eux celle de l'autre;
double la force intellectuelle et l'énergie morale de tous deux, et
enfin assure aux fruits de leur union un constant accord, une vive
émulation de soins, une tradition fidèle des intérêts, des principes,
des mœurs, auxquels le bonheur est attaché. Cette institution est le
principe de la supériorité de notre civilisation actuelle sur celle de
l'antiquité; c'est la plus importante amélioration qu'ait reçue l'espèce
humaine, le plus beau présent que la religion chrétienne ait fait aux
sociétés modernes, son titre le plus évident et le plus incontestable à
leur reconnaissance et à leurs respects.»


Le mariage est le plus grand des biens ou des maux.

Voltaire, dans _l'Enfant prodigue_, acte II, scène I, a développé ce
proverbe dont on exprime aussi l'idée de cette autre manière: _Le
mariage est ce qu'il y a de meilleur et de pire_, formule calquée sur
celle dont Ésope se servit pour marquer les avantages et les malheurs
que la langue peut produire.

Voici les vers de Voltaire:

    A mon avis, l'hymen et ses liens
    Sont les plus grands ou des maux ou des biens.
    Point de milieu, l'état du mariage
    Est des humains le plus cher avantage,
    Quand le rapport des esprits et des cœurs,
    Des sentiments, des goûts, et des humeurs,
    Serre les nœuds tissés par la nature,
    Que l'amour forme et que l'honneur épure.
    Dieu! quel plaisir d'aimer publiquement
    Et de porter le nom de son amant!
    Votre maison, vos gens, votre livrée,
    Tout vous retrace une image adorée;
    Et vos enfants, ces gages précieux,
    Nés de l'amour, en sont de nouveaux nœuds.
    Un tel hymen, une union si chère,
    Si l'on en voit c'est le ciel sur la terre.
    Mais tristement vendre par un contrat
    Sa liberté, son nom et son état
    Aux volontés d'un maître despotique,
    Dont on devient le premier domestique:
    Se quereller ou s'éviter, le jour
    Sans joie à table, et la nuit sans amour:
    Trembler toujours d'avoir une faiblesse;
    Y succomber ou combattre sans cesse;
    Tromper son maître ou vivre sans espoir
    Dans les langueurs d'un importun devoir;
    Gémir, sécher dans sa langueur profonde:
    Un tel hymen est l'enfer de ce monde.


En mariage il y a fort lien.

Si fort que ceux qu'il lie en sont blessés et gémissent continuellement
de ne pouvoir le rompre.--Ce proverbe, qui se trouve parmi les
_proverbes galliques_ recueillis dans le quinzième siècle, est bien peu
saillant; mais ce qui lui manque sous ce rapport sera compensé par le
commentaire que je vais y joindre. Je le tire des paroles que don
Quichotte adresse à Sancho Pança. «La femme légitime n'est pas une
marchandise qu'on puisse, après l'achat, rendre, échanger ou céder.
C'est un accident inséparable qui dure ce que dure la vie; c'est un lien
qui, une fois qu'on se l'est mis autour du cou, se transforme en nœud
gordien, lequel ne peut plus se détacher, à moins d'être tranché par la
faux de la mort.» (_Don Quichotte_, part. II, ch. XIX.)

On sait que cette opinion du chevalier de la Manche était aussi celle de
son écuyer, qui l'exprimait à sa manière par ce joli mot proverbial:
_Pour peu qu'on soit marié, on l'est beaucoup._

Un proverbe anglais de James Howel dit d'une façon plus originale
encore: «_In marriage the toung tieth a knott that all the teeth in the
head cannot untie afterwards._ Dans le mariage la langue forme un nœud
que toutes les dents de la bouche ne peuvent jamais défaire.»


Un bon mariage se dresse (se fait) d'une femme aveugle avec un mari
sourd.

Je rapporte ce proverbe tel que Montaigne l'a cité dans un passage de
ses _Essais_, liv. III, ch. V, où il parle de la _tempeste de la femme_,
quand elle se livre aux emportements de la jalousie. On dit aujourd'hui:
_Pour faire un bon ménage, il faut que le mari soit sourd et la femme
aveugle_; ce qui peut se passer de commentaire, car il n'est personne
qui ne comprenne, sans qu'on le lui explique, combien la surdité d'un
mari et la cécité de sa femme seraient propres à empêcher les disputes
conjugales, qui viennent presque toujours de ce que la femme a la vue
trop perçante pour les désordres du mari, et le mari a l'oreille trop
sensible aux criailleries de la femme.

Puisqu'il est reconnu que la paix entre époux ne peut résulter que des
infirmités indiquées, ils ne sauraient mieux faire que d'acheter à ce
prix un si grand bien. Il n'est pas nécessaire, après tout, qu'ils
soient réellement affectés de ces infirmités, mais qu'ils se montrent
comme s'ils l'étaient, que l'un s'étoupe les oreilles et que l'autre se
mette un bandeau sur les yeux; en d'autres termes, qu'ils soient pleins
d'indulgence pour les défauts qu'ils ont à se reprocher. «Il n'y a de
bon ménage, écrivait La Fontaine à sa femme, que celui où les conjoints
se souffrent mutuellement leurs sottises.»


Mariage et pénitence ne font qu'un.

Ce dicton a donné lieu à l'épigramme suivante, dont il forme la pointe:

    Malgré Rome et ses adhérents,
    Ne comptons que six sacrements:
    Croire qu'il en est davantage
    C'est n'avoir pas le sens commun,
    Car chacun sait que _mariage
    Et pénitence ne font qu'un_.

Millevoye a reproduit cette vieille plaisanterie dans ce petit dialogue
qui lui donne une forme un peu plus piquante:

    Damon disait à son épouse Hortense:
    «Les sacrements sont objets d'importance;
    Sais-tu leur nombre?--Oui, sept.--C'est trop commun,
    Six.--Depuis quand?--Depuis que _pénitence
    Et mariage_, hélas! _ne font plus qu'un_.»


Tout traité de mariage porte son testament.

Il y a presque toujours dans les contrats de mariage des clauses qui
sont stipulées dans la prévision où l'un des deux époux viendrait à
mourir, et qui règlent, comme des dispositions testamentaires, les
droits du survivant sur la succession. De là ce proverbe qui, détourné
de son vrai sens, s'emploie dans un sens critique contre le mariage,
dont on prétend faire un funèbre épouvantail.

On lit dans la _Veuve_, comédie de Pierre de Larivey, cette phrase qui
paraît avoir été proverbiale: «Fais ton compte que _la messe des
épousailles t'est une extrême-onction_.» (Acte I, sc. III.)

La même idée railleuse se retrouve dans plusieurs locutions, par exemple
dans celles-ci, qu'on applique à un nouveau marié: _C'est un homme
perdu_,--_un homme mort_,--_un homme enterré_.

Ces locutions figurées, qu'on pourrait croire d'un tour moderne, sont
peut-être renouvelées des Grecs. Elles ont du moins beaucoup d'analogie
avec cette saillie piquante d'Antiphane le Comique, rapportée par
Athénée: «Marié, lui!... Moi qui l'avais laissé si bien portant!»


Il n'y a si bon mariage que la corde ne rompe.

Proverbe fondé sur une disposition de notre vieille jurisprudence, qui
condamnait au supplice de la corde l'homme convaincu d'avoir séduit une
fille, bien qu'il eût ensuite réparé sa faute en se mariant avec elle,
du consentement de la famille à laquelle il l'avait ravie; car la
réparation ne désarmait pas toujours la loi. Ce proverbe n'est point
tombé en désuétude, malgré l'abrogation d'une loi si rigoureuse: les
mauvais plaisants l'ont conservé, en lui donnant une acceptation
nouvelle. Ils l'emploient quelquefois pour signifier que le meilleur
mariage est fort sujet à tourner à mal, et que la joie dont les nouveaux
époux s'enivrent finit par se changer en un violent désespoir qui les
porte à se pendre.


Le mariage est comme le figuier de Bagnolet, dont les premières figues
sont bonnes, mais dont les tardives ne valent rien.

Cette comparaison proverbiale a deux significations: la première,
généralement adoptée comme la plus naturelle, est que le mariage
commence bien et finit mal; la seconde est qu'il peut donner quelques
jours de bonheur aux jeunes gens, mais qu'il ne saurait produire que des
malheurs pour les vieillards. C'est ce que me paraît indiquer le passage
suivant de la comédie de la _Veuve_, par Pierre de Larivey, où Ambroise,
qui veut se marier, malgré son âge un peu avancé, dit: «J'ai toujours
vécu seul, sans compagnie, et par ainsi gardé mon suc en moi-même.» A
quoi Léonard répond: «Ce suc sera comme celui du _figuier de Bagnolet,
dont les premières figues sont bonnes, mais les tardives ne valent
rien_.» (Act. I, sc. III.)


En mariage trompe qui peut.

C'est-à-dire que les personnes qui peuvent tromper le font avec
impunité, car il n'y a pas de recours légal contre les tromperies et les
fraudes au moyen desquelles le mariage a été conclu. Ce proverbe est
rapporté dans les _Institutes coutumières_ de Loisel, dont les éditeurs
l'expliquent en ces termes: «Le dol commis à l'égard des biens, de
l'âge, de la qualité, de la profession ou de la dignité de ceux qui se
marient, n'annule pas l'union.»

Ainsi notre formule proverbiale est l'expression d'une loi qui donne
raison aux plus habiles dans ce grand combat de ruses entre les
prétendus et les prétendues qui cherchent à faire ensemble, aux dépens
de l'un et de l'autre, un de ces traités de mariage _dont la
dissimulation est le lien et l'intérêt le fondement_. Elle peut être
regardée comme une sorte de _væ victis_ prononcé contre les dupes. Nous
recommandons à ceux qui se marient de s'en souvenir, et à ceux qui sont
mariés de l'oublier.


Le mariage est comme une forteresse assiégée, ceux qui sont dehors
veulent y entrer, ceux qui sont dedans veulent en sortir.

Proverbe emprunté aux Arabes. Dufresny, dans une de ses comédies, en a
donné cette variante: «Le pays du mariage a cela de particulier, que les
étrangers ont envie de l'habiter, et que les naturels voudraient en être
exilés.»

Socrate disait: «Les jeunes gens cherchant à se marier ressemblent aux
poissons qui se jouent de la nasse du pêcheur. Tous se pressent pour y
entrer, tandis que les malheureux qui sont retenus font tous leurs
efforts pour en sortir.»

Montaigne fait une plaisanterie de cette sorte dans un endroit même de
ses _Essais_, où il cherche à rendre au mariage l'honneur qu'il mérite.
«Ce qu'il s'en veoid si peu de bons, dit-il, est signe de son prix et de
sa valeur. A le bien façonner et à le bien prendre, il n'est point de
plus belle piece en nostre société: nous ne nous en pouvons passer et
l'allons avilissant. Il en advient ce qui se veoid aux cages: les
oyseaux qui en sont dehors desesperent d'y entrer; et d'un pareil soing
en sortir, ceux qui sont au dedans.» (Liv. III, chap. V.)

Il y a beaucoup d'autres comparaisons dans lesquelles le mariage est
tourné en plaisanterie. Je ne citerai que la suivante: «Le mariage est
comme une armée composée d'une avant-garde, d'un corps de bataille et
d'une arrière-garde. A l'avant-garde se trouvent les amours, enfants
perdus qui périssent au premier choc; au corps de bataille est le
sacrement, dont la force résiste à toutes les attaques et tient bon
jusqu'à la fin; à l'arrière-garde sont les regrets et les dégoûts, qui
semblent se multiplier et devenir plus terribles, tant que l'action
reste engagée.»


Les quinze joies de mariage.

Cette expression ironique, par laquelle on désigne les contrariétés
inhérentes à l'état de mariage, sert de titre à un ouvrage anonyme qui
date du milieu du quinzième siècle, et qui est attribué à Antoine la
Sale, ingénieux écrivain à qui nous devons le _Petit Jehan de Saintré_.
Le livre des _Quinze Joyes de mariage_, ainsi nommé par une railleuse
antiphrase, offre l'analyse de toutes les déceptions et de toutes les
douleurs irrémédiables que peut produire l'union conjugale: la préface
en avertit en ces termes: «Celles _quinze joyes de mariage_ sont les
plus graves malheuretés qui soient sur terre, auxquelles nulles autres
peines, sans incision de membres, ne sont pareilles à continuer.»


Le mariage est le tombeau de l'amour.

«Au bout d'un certain temps, la beauté des femmes perd toute sa force à
l'égard de leur mari, telle étant la nature des choses qu'elles ne
touchent plus quand on y est accoutumé... Si la beauté fait les
conquêtes, ce n'est pas elle qui les conserve. Un mari, qui n'était
devenu amoureux que parce que sa maîtresse était belle, ne continue
point à être amoureux parce que sa femme continue à être belle. La
coutume le rend dur contre cette espèce de charme; il s'avance peu à peu
vers l'insensibilité. Les uns y arrivent plus tôt, les autres plus tard;
mais enfin on y arrive, et la tendresse qu'on peut conserver, et que
l'on conserve en effet assez souvent, se trouve fondée, non sur la
beauté, mais sur d'autres qualités. L'expérience fait voir que les maris
dont l'amitié est la plus longue et la plus ferme ne sont pas pour
l'ordinaire ceux qui ont de belles femmes.» (Bayle, art. _Junon_.)

On a dit que l'amour pouvait aller au delà du tombeau, mais on n'a
jamais dit qu'il pût aller au delà du mariage.

Euripide a dit, dans une de ses tragédies: «Le lit nuptial est funeste à
l'homme et à la femme.» Ce lit, en effet, est comme un bûcher funèbre où
leur amour se réduit bientôt en cendres.

On connaît ce distique proverbial:

    De l'amour à l'hymen telle est la différence
    Que le premier finit quand le second commence;

et cette pensée ingénieuse de Chamfort: «L'hymen vient après l'amour
comme la fumée après la flamme.»

Lord Byron a dit plus ingénieusement encore: «L'amour et le mariage
peuvent rarement se combiner, quoiqu'ils soient nés tous deux sous le
même climat; le mariage, de l'amour comme le vinaigre du vin, triste,
acide et froid breuvage que le temps aigrit, et dont il abaisse l'arome
à la saveur vulgaire d'une boisson de ménage.»


Le mariage est un enfer où le sacrement nous mène sans péché mortel.

C'est dire assez spirituellement que l'union conjugale est la
tribulation des justes mêmes.

«Un homme déclamait l'autre jour contre le mariage, et s'écriait: Voyez
ce que c'est que le mariage; songez que le bon Dieu a été obligé d'en
ôter le péché mortel. Il a donc mis en équilibre dans la balance l'enfer
et le mariage; encore l'enfer a paru plus léger.» (L'abbé Galiani.)

Cette comparaison entre l'enfer et le mariage a beaucoup plu aux
écrivains de la fin du moyen âge, qui se sont ingéniés à le reproduire
sous des formes diverses dans une foule d'épigrammes plus ou moins
plaisantes. En voici une d'Owen fondée sur ce que, en latin, le mot
_uxor_ (épouse), où la lettre _x_ est, comme on sait, l'équivalent des
lettres _c_ et _s_, offre l'anagramme du mot _orcus_ (enfer).

    _Quisquis in uxorem cecidit descendit in Orcum;
      Rite inversa sonant _ucsor_ et _orcus_ idem._

Ce qui signifie, en rendant le sens et non l'expression, qui est
intraduisible en français: «Quiconque est tombé dans le piége conjugal
est tombé dans l'enfer, car épouse et enfer sont la même chose.»

C'est bien là certainement un de ces traits qui constituent ce que les
Romains appelaient _nugæ difficiles_; et, quand on considère l'exercice
laborieux, le grand effort d'imaginative auquel a dû se livrer
l'épigrammatiste pour produire un résultat si saugrenu, on est tenté de
lui adresser cette apostrophe originale du fin railleur maître François:
«O Jupiter, vous en suâtes d'ahan, et de votre sueur tombant en terre
naquirent les choux cabus.»


Il n'y a point de mariage dans le paradis.

Allusion à divers passages de plusieurs Pères de l'Église, qui
regardaient le mariage comme moins propre que le célibat à la
sanctification, et disaient que, si «noces remplissent la terre, la
virginité remplit le ciel.» _Nuptiæ replent terram, virginitas replet
paradisum._ (S. Hieronim., lib. I., _in Jovinien_.) Ce qui a donné lieu
à Pascal de placer le mariage dans les _basses conditions du
christianisme_.

Owen a tiré du mot de saint Jérôme ce distique épigrammatique:

    _Plurimus in cœlis amor est, connubia nulla;
    Conjugia in terris plurima, nullus amor._

  Il y a dans le ciel beaucoup d'amour et point de mariage: sur la terre
  il y a beaucoup de mariages et point d'amour.

On demandait au poëte anglais Prior pourquoi il n'y avait point de
mariage dans le paradis. «C'est, répondit-il, parce qu'il n'y a point de
paradis dans le mariage.»


Le mariage n'empêche pas d'aimer ailleurs.

Proverbe pris du premier article du _Code d'amour_: «_Causa conjugii ab
amore non est excusatio recta._ Le mariage n'est pas une excuse légitime
contre l'amour.» C'est-à-dire, si je ne me trompe, qu'on ne peut se
dispenser d'avoir une maîtresse ou un amant, sous prétexte qu'on a une
épouse ou un mari. C'est l'expression des mœurs qui régnaient à l'époque
des troubadours. Ces poëtes avaient érigé l'amour en devoir: ils le
proclamaient comme plus obligatoire que le mariage et comme ne pouvant
exister que hors du mariage. Cet amour, purement platonique dans le
principe, cessa bientôt de l'être et donna lieu à un usage immoral assez
répandu chez les hauts personnages, d'avoir à la fois une épouse et une
concubine, l'une pour la souche et l'autre pour la couche.

André le Chapelain nous a conservé la décision curieuse d'une cour
d'amour présidée par la comtesse de Champagne, sur la question qui lui
avait été soumise: «_Utrum inter conjugatos amor possit habere locum?_
L'amour peut-il exister entre personnes mariées?» Voici cette décision:
«Nous disons et assurons par la teneur des présentes que l'amour ne peut
étendre ses droits sur deux personnes mariées. En effet, les amants
s'accordent tout mutuellement et gratuitement sans être contraints par
aucun motif de nécessité; tandis que les époux sont tenus par devoir de
subir réciproquement leurs volontés, et de ne se refuser rien les uns
aux autres... Que ce jugement que nous avons rendu avec une extrême
prudence (_cum nimia moderatione prolatum_) et d'après l'avis d'un grand
nombre de dames, soit pour vous d'une vérité constante et irréfragable.
Ainsi jugé, l'an 1174, le 3 des calendes de mai.»


    Jeune fille avec jeune fieu
    C'est mariage du bon Dieu.

Mariage assorti comme celui par lequel Dieu unit Adam et Ève dans le
paradis terrestre. On sait que _fieu_ est un vieux mot qui veut dire
fils ou garçon.


    Homme vieux avec jeune femme
    Mariage de Notre-Dame.

Mariage semblable à celui de la Sainte Vierge avec saint Joseph, qui
était, à ce qu'on croit, d'un âge avancé. Ce proverbe s'adresse à une
jeune innocente soit pour lui conseiller, soit pour la consoler de
s'unir à un vieux mari.


    Vieille femme et jeune garçon
    C'est mariage du démon.

Mariage où le démon seul peut trouver son compte. Il n'est pas besoin de
faire observer que c'est la vieille femme qui, dans ce proverbe, est
signalée comme le démon lui-même.


Mariage d'épervier, la femelle vaut mieux que le mâle.

Ce proverbe, où la glose est jointe au texte, a tiré son origine de la
fauconnerie. Il s'emploie en parlant d'un couple conjugal dans lequel la
femme est supérieure au mari, parce que la femelle de l'épervier
l'emporte sur le mâle en force et en grosseur. Ce phénomène existe
généralement chez les oiseaux de proie.

Les Anglais ont ce proverbe qu'ils emploient dans le même sens: «_The
grey mare is the better horse._ La jument grise est le meilleur cheval.»


Mariage de Jean des vignes; tant tenu, tant payé.

Conjonction matrimoniale qui, n'étant sanctionnée ni par la loi civile,
ni par la loi religieuse, est sujette à se rompre aussitôt qu'elle est
formée. _Jean des Vignes_ est une altération de _Gens des Vignes_, et
l'expression rappelle ces unions illicites qui se font entre les
vendangeurs et les vendangeuses de diverses localités, et qui ne durent
que le temps de la vendange.

C'est à peu près ce qu'on a nommé _mariage du treizième arrondissement_,
mariage fait sans M. le maire et sans M. le curé, personnages inconnus
dans ce treizième arrondissement ajouté fictivement, comme on sait, aux
douze dont se composait la ville de Paris avant l'annexion des communes
suburbaines.

Il faut rapprocher de ces deux expressions proverbiales la vieille
maxime de droit coutumier:

    _Boire, manger, coucher ensemble,
    C'est mariage, ce me semble._

Le savant auteur de la _Symbolique du droit_, M. Chassan, rapportant
cette maxime, l'explique ainsi: «Il ne faut pas la prendre à la lettre,
en ce sens qu'il suffirait à une femme de passer la nuit avec un homme
pour se dire mariée. Elle est relative à l'exécution du mariage qui
couvre les irrégularités de la célébration. Aussi Loisel a-t-il eu soin
d'ajouter: _Mais il faut que l'Église y passe_ (_Inst._, liv. I, tit.
II, règle 6). Ainsi entendue, la maxime peut encore aujourd'hui recevoir
son application.»


Mariage de bohêmes.

C'est encore une variété matrimoniale plus curieuse que celles dont il
est question dans l'article précédent. Voici en quoi elle consiste:
lorsque les bohêmes, c'est-à-dire ces aventuriers basanés qui courent le
pays en volant les poules et disant la bonne aventure, veulent marier un
garçon et une fille de leur caste, ils les conduisent dans un vallon
retiré qu'ils nomment le _vallon des fiançailles_, et là, pour toute
cérémonie, les deux futurs prennent entre leurs mains un pot de grès
qu'ils jettent contre terre, après avoir déclaré qu'ils consentent à
vivre comme mari et femme autant d'années que la fracture du pot
produira de morceaux; ensuite ils ramassent les tessons, dont ils
constatent le nombre, et dès lors les voilà complétement unis jusqu'au
dernier jour de ce mariage temporaire. Ce terme expiré, ils sont libres
de se séparer, de convoler ailleurs ou de renouveler leur premier
engagement. Mais on assure qu'il y en a très-peu qui prennent ce dernier
parti, et qu'en le prenant ils s'arrangent de manière à ne pas être
obligés trop longtemps de _payer les pots cassés_.


Un bon mariage est difficile à faire, même en peinture.

C'est ce que dit un jour un plaisant qui regardait les _Sept Sacrements_
de Nicolas Poussin, quand il en vint à examiner le tableau du _Mariage_,
plus faible que les autres, et le mot passa en proverbe.

Mais pourquoi un bon mariage est-il si difficile à faire?--Il faudrait,
pour le dire, exposer tant de raisons, rappeler tant de faits, entrer
dans tant de détails, que je serais obligé d'ajouter un second tome à ce
petit livre, ce qui serait fort déplaisant pour les lecteurs qui
auraient été tentés d'y jeter un coup d'œil par curiosité, dans leurs
moments perdus. Qu'on me permette donc de ne pas traiter la question. Si
l'on désire en avoir au long la réponse, qu'on interroge certains
mal-mariés, qui sont assez disposés à faire le récit de leurs
infortunes, ou bien qu'on examine avec quelle légèreté, quelle
irréflexion, quelle imprévoyance, se forment les unions conjugales,
surtout en France, où l'on se marie plus vite qu'en tout autre pays,
soit par le désir de terminer sans retard cette affaire de pure
spéculation, soit par l'effet de l'impatience qui compose en quelque
sorte le fond du caractère français. Cet examen suffira pour faire
comprendre combien il est difficile que les parties contractantes, qui
s'accordent sans se connaître, ne soient pas en désaccord dès qu'elles
se connaissent, et qu'après s'être prises pour ce qu'elles ne sont pas,
elles n'en viennent point à se quitter pour ce qu'elles sont.

La spéculation matrimoniale est la principale source d'où découlent les
malheurs des conjoints. Je citerai sur ce sujet quelques phrases
détachées d'un article plein de bon sens et d'esprit publié dans le
journal _le Siècle_, nº du 11 décembre 1859, par M. Edmond Texier, et
les lecteurs m'en sauront gré.

«Les pères de famille, dit cet ingénieux écrivain, ont parlé à leurs
enfants le langage de la raison. Ils leur ont dit que l'amour est un
enfantillage, le sentiment une faiblesse, et ils ont inventé cette
magnifique spéculation qui s'appelle le _mariage d'argent_. Le mariage
d'argent a tellement réussi qu'on n'en voit point d'autre aujourd'hui.
On n'épouse plus ni un cœur, ni un esprit, ni une femme. On se marie
avec une dot, et c'est l'union des dots qui a créé le demi-monde. Ce
monde-là a eu sa raison d'être le jour où le prêtre a béni les serments
de deux coffres-forts. La beauté, la grâce, l'éducation, la vertu même,
tout cela ne pèse pas une demi-once dans le plateau de la balance
conjugale. Le mariage, tel qu'on le traite de nos jours, est le
principal pourvoyeur de ces dames (les courtisanes). Le demi-monde
pousse à l'ombre du mariage d'argent comme la mousse à l'ombre des
grands arbres. Ceci a engendré cela. C'est sur le fumier du mariage
d'argent qu'a poussé le champignon du demi-monde. C'est là, et non
ailleurs, qu'il faut aller déterrer la comédie d'aujourd'hui.»


Un bon mariage répare tout.

«Le mariage, dit Bayle, fait rentrer au port de l'honneur, il y répare
les vieilles brèches, il donne la qualité de légitimes à des enfants qui
ne la possédaient pas. Je ne dis rien du voile épais dont il peut
couvrir les nouvelles brèches, les fautes courantes et le péché
quotidien.»

Ce proverbe s'applique particulièrement aux hommes et aux femmes que le
résultat qu'il énonce vient absoudre des galanteries et des désordres de
leur vie antérieure. Il sert quelquefois de devise aux dissipateurs qui
continuent à faire des dettes en se flattant d'épouser quelque riche
héritière dont la dot comblera leur déficit.

On dit aussi: _Le mariage est une planche après le naufrage_, pour
exprimer les mêmes idées. Mais on a remarqué avec esprit et raison que
s'il fait trouver un port dans la tempête, il peut également faire
trouver une tempête dans le port.


La même année vit naître le mariage d'inclination et le repentir.

Les mariages d'inclination, surtout ceux qui se font entre des personnes
de condition inégale et contre le gré des parents, offrent peu de
chances d'être heureux. Ils peuvent bien aller pendant quelques jours,
c'est-à-dire dans le temps fort court où la passion aveugle sous
laquelle ils ont été contractés conserve toute sa force; mais à mesure
qu'elle s'affaiblit, les écailles tombent des yeux des époux, et chacun
aperçoit de tristes réalités, au lieu des séduisantes idéalités qu'il
s'était formées; la femme gémit de n'être pas reçue chez les parents de
son mari, et d'être privée par suite de la considération et de l'estime
qu'elle se croit en droit d'exiger d'eux; le mari se trouve déplacé dans
la famille de sa femme, et il lui reproche son peu de distinction. Le
mari supporte difficilement les observations d'une belle-mère acariâtre
et d'un beau-père intéressé; puis les défauts des conjoints, que la
passion avait voilés, apparaissent dans leur désolante nudité. Les
récriminations commencent de part et d'autre et deviennent plus amères
par la contradiction. Ils se font des reproches mutuels; les parents de
la femme prennent parti pour elle. Pour peu que l'aisance vienne à
disparaître du ménage la discorde est à son comble. On pourrait, en
présence de tous ces inconvénients, dire que rien n'est terrible dans le
mariage comme le paupérisme et le _beaupérisme_.


Les meilleurs mariages se font entre pareils.

Cette maxime est attribuée par les anciens tantôt à Pittacus, tantôt à
Cléobule, qui recommandaient tous deux de se marier selon sa condition.
Le dernier disait pour raison: «Si vous épousez une femme d'une
naissance plus relevée que la vôtre, vous aurez autant de maîtres
qu'elle aura de parents;» vérité dont la démonstration a été donnée dans
le _Dolopatos_, dans plusieurs fabliaux de nos trouvères, dans deux
contes de Boccace, et dans le _Georges Dandin_ de Molière.

Le poëte Eschyle admirait ce proverbe. Voici l'éloge qu'il en a fait
dans son _Prométhée enchaîné_, scène VI: «Qu'il était sage, qu'il était
sage, celui qui le premier conçut dans sa pensée, qui le premier fit
entendre cette maxime au monde: _C'est entre égaux qu'il faut s'allier!_
C'est là qu'est le bonheur. Jamais d'hymen entre le riche fastueux,
entre le noble fier de sa race et le pauvre artisan... L'hymen entre
égaux n'offre point de péril, et n'a rien qui m'épouvante.»

Les Hébreux disent qu'_il faut descendre un degré pour prendre une
femme, et en monter un pour faire un ami_, afin que celui-ci nous
protége et que l'autre nous obéisse.


Les mariages sont écrits dans le ciel.

Ce proverbe, dont la signification est que les mariages sont souvent
imprévus et semblent dépendre de la destinée plutôt que des calculs
humains, figurait dans notre vieux droit coutumier en ces termes
rapportés par Loisel: _Les mariages se font au ciel et se consomment sur
la terre._ Il avait été primitivement consigné dans un de ces
formulaires de pratique mis en rimes latines dans le huitième et le
neuvième siècle. C'est de là probablement qu'il est passé chez les
Allemands, les Italiens, les Espagnols et les Anglais, etc. Ces derniers
y ont fait une variante qui associe le nœud conjugal à celui qui serre
le cou d'un pendu: «_Marriage and hanging go by destiny._ Mariage et
pendaison vont au gré de la destinée.»

Je ne sais s'il est vrai que les mariages soient écrits dans le ciel,
mais il est sûr qu'il y en a beaucoup sur lesquels le diable a de bonnes
hypothèques.

On connaît ce mot d'une donzelle dépitée de voir les épouseurs échapper
à ses galanteries: «Vous verrez que si les mariages sont écrits dans le
ciel, le mien se trouvera au dernier feuillet.» Une autre, après la mort
de son père, qui avait toujours refusé de la marier, quoiqu'elle en eût
grande envie, s'écriait: «Dieu veuille que mon père ne voie point
là-haut le registre où mon mariage est inscrit! il serait capable de
déchirer la page.»


Année de noisettes, année de mariages.

Ou bien _année d'enfants_. Voici l'explication que j'ai donnée dans mes
_Études historiques, littéraires et morales sur les proverbes français
et sur le langage proverbial_.--Le fruit que la noisette renferme sous
une double enveloppe a été regardé comme l'image de l'enfant dans le
sein de sa mère, et l'on a conclu de cette similitude que les années
abondantes en noisettes devaient l'être aussi en mariages ou en enfants.
C'est de ce préjugé fort ancien, et non, comme on pourrait le croire,
des rendez-vous donnés sous la _coudrette_ ou la coudraie, qu'est né le
dicton usité parmi les gens de la campagne et rappelé par A.-A. Monteil
dans la phrase suivante de l'_Histoire des Français des divers États_
(seizième siècle): «Vous savez que c'est l'année des noisettes: tout le
monde se marie; sans plus attendre, mademoiselle, marions-nous.»

Il faut attribuer à la même cause l'usage antique de répandre des noix
aux cérémonies nuptiales, usage qui n'avait pas pour but de marquer,
ainsi qu'on l'a prétendu, que l'époux renonçait aux amusements futiles
et ne songeait plus qu'aux graves devoirs de son nouvel état, mais
d'exprimer un vœu pour la fécondité de l'épouse, car la noix présentait
le même symbole que la noisette. C'est ce que dit formellement Pline le
naturaliste, liv. XXV, chap. XXIV. Festus assure également, au mot
_Nuces_, que les noix étaient jetées, pendant les noces, en signe de bon
présage pour la mariée: _Ut novæ nuptæ intranti domum novi mariti
auspicium fiat secundum et solistimum._

Cela avait lieu au moyen âge comme dans l'antiquité. De plus, on
déposait alors auprès du lit nuptial une corbeille pleine de noisettes
qu'on avait fait bénir par un prêtre.

Il est resté quelque chose d'un tel usage dans ce qui se pratique aux
noces villageoises, où l'on a soin de placer sur la table en face des
mariés un plat de dragées, lesquelles ne sont, comme on sait, que des
noisettes ou des amandes dont l'enveloppe a été remplacée par une couche
de sucre glacé. C'est d'après une analogie du même genre qu'à l'occasion
du baptême des enfants on distribue des boîtes de dragées aux amies, et
qu'on jette des poignées de dragées à la foule des curieux. Il est
évident que ces dragées marquent dans le mariage un souhait pour qu'il
soit fécond, et, dans le baptême, une manifestation de la joie inspirée
par l'heureux accomplissement de ce souhait.

On jetait aussi, au moyen âge, des grains de blé, comme on le voit dans
plusieurs relations de cette époque, notamment dans le _Romancero_ du
Cid, dont la quatorzième romance décrit les réjouissances qui eurent
lieu aux noces du héros castillan. Voici de quelle manière naïve cette
romance s'exprime: «Tant il en est jeté par les fenêtres et les grilles,
que le roi en porte sur son bonnet qui est large des bords une grande
poignée. La modeste Chimène en reçoit mille grains dans sa gorgerette,
et le roi les retire à mesure.»

Plusieurs peuples de notre temps répandent encore des noix, des
noisettes, des amandes, des fruits à noyau et des grains, pendant la
cérémonie du mariage, comme emblèmes de la fécondité qui doit en
résulter. Le fait a lieu assez souvent en Russie et en Valachie, il est
également fréquent dans quelques villages de la Corse. Il se produit
chez les Israélites de plusieurs endroits de la France et de l'Allemagne
avec une circonstance digne de remarque: c'est que, dans le moment où
ils font pleuvoir du froment sur le couple conjugal, ils ne manquent pas
de prononcer en hébreu les paroles bibliques _croissez et multipliez_,
qui ne permettent pas de garder le moindre doute sur le sens qu'on doit
attacher à cette coutume symbolique.


Ma mère, qu'est-ce que se marier?--Ma fille, c'est filer, enfanter et
pleurer.

Ce proverbe dialogué, qui se trouve sous la même formule en Espagne et
en d'autres pays, nous est venu des Provençaux, à qui l'on peut, d'après
de grandes probabilités, en attribuer l'invention. Il exprime très-bien
les trois principaux résultats du mariage pour les pauvres femmes du
peuple; car ce sont elles surtout qui ont à souffrir les tribulations de
cet état. Voyez avec quelle dureté elles sont traitées dans toutes les
parties du monde.

Don Ulloa dit dans son _Mémoire sur la découverte de l'Amérique_: «Les
peuples de ce continent ont été peu attachés à leurs femmes, qu'ils
traitent encore comme des esclaves. Aussi ne le sentent-elles que trop.
Il y a même des nations chez lesquelles deux vieilles femmes
accompagnent la future épouse, le jour de son mariage, en pleurant
réellement, se lamentant et lui criant sans cesse: «Que vas-tu faire? tu
vas te précipiter dans le plus grand malheur;» c'est cet état
insupportable qui les décide souvent à étouffer leurs filles en naissant
pour les préserver d'être aussi malheureuses qu'elles. La fatigue que
les jeunes femmes ont à essuyer, grosses ou non, pour suivre leurs maris
à la chasse, à la pêche, préparer le manger et le boire, avoir soin des
enfants dont les pères ne s'occupent guère, et diverses autres
malheureuses circonstances font du mariage chez la plupart de ces
nations un supplice affreux.»

Leur sort n'est pas meilleur en Asie et en Afrique, où règne la loi de
Mahomet, qui est si dure pour elles. On sait à quelle triste captivité
elles y sont réduites sous le régime de la polygamie, et avec quelle
dureté elles sont traitées par leurs seigneurs et maîtres, pour lesquels
elles ne sont, en quelque sorte, que des animaux domestiques.

Ce n'est guère que dans l'Europe chrétienne qu'elles jouissent de la
liberté, et qu'elles sont regardées comme les compagnes de l'homme:
encore les priviléges que ce titre leur donne n'existent-ils réellement
que pour celles d'un certain rang.

Les trois situations que je viens d'indiquer ont été fort bien résumées
par Sénac de Meilhan dans cette phrase remarquable: «La femme, chez les
sauvages, est une bête de somme; en Orient, un meuble; en Europe, un
enfant gâté.»


Il est trop tôt pour se marier quand on est jeune, et trop tard quand on
est vieux.

Proverbe pris de la réponse que fit Thalès à sa mère Cléobuline qui le
pressait d'accepter un parti avantageux: «Ma mère, quand on est jeune,
il n'est pas temps de se marier; quand on est vieux, il est trop tard;
et un homme entre deux âges n'a pas assez de loisir pour se choisir une
épouse.»

Ce mot considéré comme plaisanterie est assez bon, mais pris au sérieux
il ne saurait être approuvé. Le célibat qu'il conseille produit des
résultats plus déplorables que le mariage. Si celui-ci a des
contrariétés et des ennuis, l'autre n'en manque pas, et de plus il est
livré à une foule de vices qui blessent les lois de la morale et minent
les fondements de la société. «A Dieu ne plaise, dit Montesquieu à ce
sujet, que je parle contre le célibat qu'a adopté la religion! Mais qui
pourrait se taire contre celui qu'a formé le libertinage, celui où les
deux sexes, se corrompant par les sentiments naturels mêmes, fuient une
union qui doit les rendre meilleurs pour vivre dans celle qui les rend
toujours pires?

«C'est une règle tirée de la nature que plus on diminue le nombre des
mariages qui pourraient se faire, plus on corrompt ceux qui sont faits;
moins il y a de gens mariés, moins il y a de fidélité dans les mariages,
comme lorsqu'il y a plus de voleurs il y a plus de vols.» (_Esprit des
lois_, liv. XXIII, ch. XXI, à la fin.)

Ajoutons qu'il est fort rare de rencontrer un célibataire devenu vieux
qui ne gémisse de son état. Il n'y a point pour lui de famille; il
achève ses tristes jours dans une sorte de séquestration, sous la garde
incommode de quelque collatéral avide ou de quelque servante-maîtresse
dont l'unique pensée est d'accaparer son héritage.

Le proverbe est très-bien réfuté par les observations qu'on vient de
lire. Il l'est de même par cette phrase du chancelier Bacon qui présente
une belle triade proverbiale: «A tout âge on a des raisons de se marier,
car _les femmes sont nos maîtresses dans la jeunesse, nos compagnes dans
l'âge mûr, et nos nourrices dans la vieillesse._»


Il ne faut se marier ni trop tôt ni trop tard.

Je citerai à propos de ce proverbe un passage curieux extrait du
commentaire plein d'érudition et d'élégance sur les œuvres de Coquillart
par M. Charles d'Héricault: «_Trop tost marié_ et _Trop tard marié_
étaient deux types des maris malheureux. Leurs infortunes furent
soigneusement racontées dans ce cycle de poésies contre la femme, qui
compose presque toute la littérature des derniers temps du moyen âge. Il
existe une pièce sur _Trop tost marié_, Gringoire a fait la complainte
de _Trop tard marié_, et l'on peut voir la résolution de _Ny trop tost
ny tard marié_ dans les _Anciens poëtes françoys_, tome III, page 129.»

Cette _résolution_ est une pièce de vers dans laquelle son auteur
anonyme énumère les malheurs des sots qui se sont trop pressés ou ont
trop différé de s'enrôler dans la grande confrérie matrimoniale, et
décrit les délices dont il s'enivre avec sa jeune compagne, qu'il a eu
l'esprit de prendre en temps opportun. Mais il ne dit point précisément
à quel âge il a contracté cette union. C'est probablement entre la
trentième et la trente-cinquième année, conformément à l'usage assez
généralement observé vers la fin du quatorzième siècle.

Platon, au livre VI de la _République_, avait prescrit de se marier dans
cet intervalle, qui se conciliait fort bien avec le précepte d'Hésiode:
«L'âge de trente ans convient pour l'union conjugale.» (_Jours et
Œuvres_, chap. II.) Mais Aristote, dans sa _Politique_, VII, XVI,
conseillait d'attendre jusqu'à trente-sept ans.

J.-J. Rousseau, dans son _Projet de constitution pour la Corse_, prive
du droit de cité tout homme qui n'est point marié à l'âge de quarante
ans révolus.

On trouve dans les _Conseils et Maximes_ de Panard, ce sixain qui
revient à notre proverbe:

    L'époux, pour être gracieux,
    Doit n'être trop vert ni trop vieux.
    Belles, que tente l'hyménée,
    Apprenez ces deux vers par cœur:
    _Bois vert se consume en fumée,
    Bois vieux ne fait plus de chaleur._


    Qui va loin se marier
    Sera trompé ou veut tromper.

La moralité à tirer de ce proverbe, dont la raison s'offre d'elle-même,
c'est qu'il est bon de se marier dans son pays avec une personne que
l'on connaisse bien. Si cela ne met pas tout à fait à l'abri des
mauvaises chances que présente le mariage, cela du moins peut les
diminuer beaucoup.

La recommandation de ne pas se marier loin remonte à une haute
antiquité. Elle se trouve rappelée par Hésiode dans le poëme des _Jours
et des Œuvres_.


    Avant de te marier,
    Aie maison pour habiter.

C'est-à-dire: Ne cherche pas à fonder une famille, si tu ne possèdes
point ce qui est nécessaire pour la loger et la nourrir.

Tel est le sens littéral de ce proverbe, qui contient en germe la
doctrine que Malthus et ses disciples ont développée dans un odieux
système, où ils ne tiennent pas le moindre compte de l'action
providentielle du bon Dieu, qui, certainement, n'a pas dit aux créatures
humaines: _Croissez et multipliez_, pour qu'elles fussent réduites à
mourir de faim par suite de leur multiplication.

S'il ne fallait se marier que lorsqu'on a pignon sur rue, la plupart des
hommes seraient obligés de vivre dans le célibat, et qui sait ce que
deviendrait la société avec de pareils citoyens?... Mais consultons
l'esprit plutôt que la lettre du proverbe, et nous y verrons un assez
bon conseil, dont l'expression a été probablement exagérée à dessein
pour faire mieux comprendre aux indigents qui aspirent à se mettre en
ménage combien le travail et l'économie leur sont indispensables. Il
serait déraisonnable et immoral s'il les engageait à renoncer au
mariage, qui leur convient encore mieux qu'aux riches. Cet état est dans
les vues de Dieu, dont la parole ne peut les tromper comme le calcul
hasardé des économistes, et ils ne doivent plus craindre de s'y engager,
s'ils ont la ferme résolution de remplir les obligations qu'il leur
impose. Ils ont droit, en ce cas, d'espérer, de compter même, qu'avec
l'aide de la Providence et une conduite sage et laborieuse ils ne
manqueront pas des moyens d'entretenir leur famille, si nombreuse
qu'elle soit. _Celui qui envoie les bouches envoie aussi les vivres_,
dit un proverbe qu'on voit presque toujours se vérifier par une
bénédiction spéciale du ciel. Les enfants sont la richesse du pauvre qui
vit honnêtement; ils attirent sur lui l'intérêt général, et, suivant une
sainte maxime, ils lui sont donnés comme un héritage du Seigneur et
comme une récompense: _Ecce hæreditas Domini, filii; merces, fructus
ventris._ (Psalm. CXXVI. 3.)


Il ne faut pas se marier si l'homme n'a de quoi dîner et la femme de
quoi souper.

C'est absolument l'idée du proverbe précédent que celui-ci reproduit
sous une forme différente. Ainsi les réflexions qui ont été faites sur
l'un sont tout à fait applicables à l'autre, et nous ne croyons pas
qu'il soit nécessaire d'y en ajouter de nouvelles pour démontrer que le
second ne doit pas plus que le premier être interprété conformément à
cette détestable doctrine malthusienne, qui voudrait interdire le
mariage aux pauvres afin d'en étouffer la race, et qui semble ne faire
consister le bien-être qu'elle promet que dans le résultat d'une action
dénaturée, c'est-à-dire dans l'augmentation des subsistances par la
diminution de l'espèce humaine.

Nous remarquerons seulement sur le dernier proverbe que, s'il était pris
à la lettre, il placerait dans une fâcheuse alternative deux personnes
qui n'auraient aucun bien et qui s'aimeraient; car elles seraient
condamnées à la misère en se mariant, et au malheur en ne se mariant
pas.


Il faut se marier en face de l'église.

Il faut que le mariage soit consacré par la religion. C'est une maxime
dans le développement de laquelle je n'ai pas l'intention d'entrer: je
veux seulement examiner quelle a été l'origine de l'expression _en face
l'église_, qui semble un peu étrange aujourd'hui, et démontrer qu'elle
est une de celles dont on ne saurait trouver la juste explication que
dans les usages de nos pères. On a prétendu à tort qu'elle désignait par
le mot _église_ l'autorité ecclésiastique. Elle n'emploie pas ce mot
dans un sens figuré, mais dans un sens matériel; elle prend l'église
pour le bâtiment sacré où les fidèles se rassemblent, et elle fait
allusion à l'ancienne coutume de célébrer devant la porte de ce bâtiment
la cérémonie du mariage qui se fait maintenant dans l'intérieur. C'est
de là très-certainement qu'elle est née, et elle date d'une époque fort
reculée. On la trouve au XXVIe chapitre du IIIe livre de Guillaume de
Newbridge, savant anglais qui écrivait en latin, il y a plus de six
cents ans. Voici le passage où cet auteur l'a consignée, en faisant
mention du mariage de Henri II, Plantagenet, avec Éléonore d'Aquitaine,
épouse divorcée du roi de France Louis VII, dit le Jeune: _Solutamque a
lege prioris viri in facie ecclesiæ, quadam illicita licentia, ille mox
suo accepit conjugio._

Dans un missel de 1555, à l'usage de l'église de Salisbury, on lit cette
recommandation: «_Statuantur vir et mulier ante ostium ecclesiæ, sive in
faciem ecclesiæ, coram Deo et sacerdote et populo._ Que l'homme et la
femme soient placés devant la porte de l'église ou EN FACE DE L'ÉGLISE,
en présence de Dieu, du prêtre et du peuple.»

On sait que le mariage de Henri de Béarn, depuis Henri IV, avec
Marguerite de Valois, sœur de Charles IX, eut lieu, le 18 avril 1572,
par le ministère du cardinal de Bourbon sur un brillant échafaud dressé
à la porte de l'église de Notre-Dame de Paris.

Ces faits et beaucoup d'autres semblables que je pourrais y joindre
prouvent qu'en France et en Angleterre on se mariait encore devant la
façade de l'église vers la fin du seizième siècle. Cependant il faut
observer que, dans la mauvaise saison et dans les jours pluvieux, on
faisait la cérémonie sous le porche, d'où l'on ne tarda pas à passer
dans la chapelle. Mais quels étaient donc les motifs qui avaient pu
faire adopter le mariage en plein air? Quelques auteurs pensent que cet
usage était un reste des mœurs païennes. Ils disent que plusieurs
peuples de l'antiquité, particulièrement les Étrusques, se mariaient
dans la rue devant la porte de la maison, où l'on entrait pour la
conclusion de la cérémonie.

A cette raison Selden en ajoute une autre dans son _Uxor hebraica_
(opera, t. III, pag. 680): c'est que la dot ne pouvait être légalement
assignée qu'en face de l'église.


Il ne faut pas se marier pour la première nuit de ses noces.

Il faut consulter la raison, les convenances et l'intérêt dans le choix
d'une épouse, et ne pas se marier uniquement pour satisfaire un fol
amour. Celui qui ne prend femme que dans la vue si spirituellement
indiquée par le proverbe se mécompte presque toujours, car l'amour passe
et la femme reste, sans conserver pour le mari cette beauté qui avait
exercé sur lui une irrésistible fascination.

Tout est fini ou bien près de finir pour l'amour sitôt que l'union de
deux cœurs devient celle de deux corps, et les charmantes illusions
qu'il faisait naître cèdent la place à de tristes réalités. C'est un
mirage fantastique après lequel on ne voit plus que les sables arides du
désert.


Bailler ou donner le chapelet à une fille.

C'est la marier. Le chapelet ou petit chapeau, auquel a succédé la
guirlande de fleurs d'oranger, était une couronne de romarin ou de myrte
qu'on mettait autrefois sur le front des jeunes filles dans la cérémonie
nuptiale, à l'imitation de la couronne de marjolaine que prenaient les
nouvelles mariées chez les Romains, comme on le voit dans ces deux vers
de l'épithalame de Julie et de Manlius par Catulle:

    _Cinge tempora floribus
    Suaveolentis amarari._

  Ceins tes tempes des fleurs de l'odorante marjolaine.

Il y avait sans doute en cela une allégorie qui recommandait aux
épousées de conserver soigneusement l'honneur conjugal dont cette
couronne présentait l'emblème.


Prendre le collier de misère.

C'est se marier. Les nombreux éléments dont se compose cette misère
étant exposés en assez grand détail dans les proverbes qui précèdent ou
qui suivent, je me bornerai à joindre à celui-ci une anecdote orientale
propre à lui servir de commentaire.

Bahalul, que les saillies de son esprit firent surnommer Al-Mégoun,
c'est-à-dire le Fou, plaisait beaucoup au calife Haroun al-Raschid par
son humeur enjouée, ses reparties ingénieuses et ses traits vifs et
facétieux. Ce calife lui dit un jour: «Bahalul, pourquoi ne te maries-tu
pas? je veux te donner une épouse jeune, bien faite et riche. Elle te
procurera toutes les douceurs de la vie.» Bahalul, cédant à ces raisons
et plus encore à la volonté de son maître, consentit au mariage, et, les
noces s'étant faites, il entra avec sa femme dans la couche nuptiale.
Mais à peine y fut-il, qu'il entendit ou feignit d'entendre un grand
bruit dans le sein de sa compagne. Effrayé, il s'élance aussitôt du lit
et s'enfuit bien loin hors de la ville. Le calife, instruit de son
escapade, ordonne de le chercher: on le trouve et on le lui amène. Le
monarque le réprimande d'abord, et lui demande ensuite où est le mot
pour rire dans cette affaire. «Sublime commandeur des croyants, répond
Bahalul, vous m'aviez promis que je goûterais avec ma femme toutes les
douceurs de la vie. Cependant, à peine étais-je couché auprès d'elle,
que toutes mes espérances furent trompées. J'entendis un bruit alarmant
qui sortait de ses entrailles, il était formé d'une foule de voix qui
tour à tour me demandaient une chemise, un habit, un turban, des
souliers, du pain, du riz, de la viande, etc. Il y avait, en outre, des
cris, des pleurs, des rires de plusieurs enfants qui allaient, venaient,
folâtraient, se battaient, se plaignaient ou s'égayaient à qui mieux
mieux. Je fus si épouvanté de ce vacarme, que je laissai là ma femme
pour échapper aux malheurs dont sa fécondité me menaçait. Je n'aurais pu
rester avec elle sans devenir encore plus fou que je ne suis.»


Allumer la chandelle à quatre cornes.

Vieille expression proverbiale dont on se sert quelquefois encore en
certaines provinces et même à Paris, pour marquer le contentement d'un
père et d'une mère qui marient la dernière de leurs filles, après avoir
marié toutes les autres. Elle rappelle la coutume anciennement observée,
en pareil cas, de faire une espèce d'illumination de joie en allumant
toutes les mèches d'une grande lampe de famille, qui avait ordinairement
quatre cornes ou becs. Cette coutume était un reste des antiques
formalités du mariage, où l'on employait le feu comme élément
symbolique. Le recueil manuscrit des anciens statuts de Marseille
(_Statuta Massiliensia_, année 1274) nous apprend que, le jour des
noces, on avait soin d'entretenir des luminaires dans l'intérieur des
maisons. On peut voir, à ce sujet, l'_Histoire de Marseille_ par Fabre
(II, 204).

Il y a une remarque grammaticale à faire sur le mot _chandelle_, qui
pourrait paraître avoir été improprement introduit dans l'expression que
je viens d'expliquer: c'est qu'autrefois _chandelle_ était un terme
générique, désignant à la fois et la substance qui éclairait et
l'ustensile où cette substance était placée. D'autres en ont fait la
remarque avant moi.


Qui se marie à la hâte se repent à loisir.

Un mariage contracté trop vite devient une source intarissable de
regrets, parce qu'il est rarement fondé sur le rapport des caractères
sans lequel la bonne intelligence ne saurait guère exister entre les
époux. Les Allemands disent: _Mariage prompt, regret long_.

      _Heirath in Eil'
    Bereut man mit Weil._

«En général les mariages conclus après une longue fréquentation, pendant
laquelle on a appris des deux parts à se connaître, sont ceux dans
lesquels on trouve plus d'amour et de constance. Il faut que l'amour ait
jeté de profondes racines et se soit bien fortifié avant d'y enter le
mariage. Une longue suite d'espérances et d'attentes nous fixe l'idée
dans l'esprit et nous accoutume à sentir une véritable tendresse pour la
personne dont on a fait choix.» (Addison, _Spectateur_.)

En effet, une longue fréquentation, où l'on apprend à se connaître, à
s'estimer mutuellement, doit produire une tendre amitié, et cette amitié
est le plus heureux commencement ainsi que la meilleure garantie de
l'amour conjugal. Malfilâtre a développé une idée semblable en vers
élégants dans le premier chant de son poëme intitulé _Narcisse dans
l'île de Vénus_. Je vais les citer, pour donner de la variété et de
l'agrément à cet article:

    Vénus voulut, avant l'âge où l'on aime,
    Voir ses sujets, voir ces couples charmants,
    Couples futurs, déjà s'unir d'eux-mêmes
    Par le rapport des goûts, des sentiments.
    Elle voulut que ces enfants aimables,
    Pour rendre un jour leurs chaînes plus durables,
    Fussent amis avant que d'être amants:
    Qu'en attendant les amoureuses flammes,
    D'avance un sexe à l'autre fût lié;
    Qu'enfin l'amour, prêt d'entrer dans leurs âmes,
    En arrivant, y trouvât l'amitié;
    Car l'amitié, la confiance intime
    Nourrit l'amour, le soutient, le ranime,
    Et rend ses feux plus touchants de moitié.
    De leur concours, de leur souffle unanime,
    Naît ce plaisir pur, délicat, sublime,
    Plaisir cherché par nos vœux superflus,
    Plaisir moqué des mortels corrompus.
    Mais quoi? l'amour n'est point connu du crime,
    Puisque l'amour sans l'amitié n'est plus,
    Que l'amitié se fonde sur l'estime,
    Et que l'estime est fille des vertus.


On se marie pour soi.

C'est la réponse que fait le jeune homme écervelé qui refuse de se
laisser guider dans le choix d'une épouse par ses parents ou ses amis,
et qui, poussé par un désir aveugle, s'obstine à s'unir à celle dont les
appas seuls l'ont séduit, sacrifiant toutes les convenances à sa folle
passion, et bravant tous les effets malheureux que ne peut manquer de
produire cette union disproportionnée ou mal assortie. Le mariage est un
état trop important et trop sérieux pour s'y engager avec étourderie et
par caprice. Suivant Montaigne, «l'alliance, les moyens y poisent
(doivent y entrer en compte) par raison, autant ou plus que les grâces
et la beauté. On ne se marie pas pour soy, quoy qu'on en die; on se
marie autant ou plus pour sa postérité, pour sa famille; l'usage et
l'intérest du mariage touche notre race, bien loing par delà nous.»
(_Essais_, liv. III, chap. V.)

Cervantes pensait que les parents devaient décider du mariage de leurs
enfants et ne pas les laisser libres de le conclure eux-mêmes par
fantaisie ou par amour. Voici les réflexions qu'il a mises dans la
bouche de don Quichotte sur ce sujet: «Si tous ceux qui s'aiment
pouvaient ainsi se marier, ce serait enlever aux parents le droit de
choisir pour leurs enfants et de les marier quand ils le jugent
convenable; et si le choix des maris était abandonné à la volonté des
filles, telle se trouverait qui prendrait le valet de son père, et telle
autre le premier venu qu'elle aurait vu passer dans la rue fier et
pimpant, ne fût-il qu'un débauché et un spadassin. L'amour aveugle
aisément les yeux et l'esprit, si nécessaires pour le choix d'un état;
et, en fait de mariage surtout, rien de plus facile que de se tromper:
il faut un grand tact et une faveur particulière du ciel pour rencontrer
juste. Quelqu'un veut-il entreprendre un long voyage, s'il est sage,
avant de se mettre en route, il cherchera un compagnon sûr et agréable.
Pourquoi donc ne ferait-il pas de même celui qui doit cheminer tout le
cours de la vie jusqu'au terme final, la mort; surtout si son compagnon
de route doit le suivre au lit, à la table, partout, comme fait la femme
pour son mari?» (Partie II, ch. XIX.)

Il n'y a pas de législation qui n'ait jugé nécessaire le consentement
des pères au mariage des enfants. «Cette nécessité, dit Montesquieu dans
l'_Esprit des lois_ (liv. XXIII, ch. VII), est fondée sur leur
puissance, c'est-à-dire sur leur droit de propriété. Elle est aussi
fondée sur leur amour, sur leur raison et sur l'incertitude de celle de
leurs enfants, que l'âge tient dans l'état d'ignorance, et les passions
dans l'état d'ivresse.»


Le jour où l'on se marie est le lendemain du bon temps.

Dès ce jour-là tout devient sérieux dans la vie; les jeux et les
divertissements cessent d'être de saison, et les préoccupations de
l'avenir doivent commencer. Il faut pourvoir aux besoins du ménage,
travailler sans relâche pour l'entretien de la femme qu'on a prise et
des enfants qu'on aura, enfin se dévouer tout entier à l'accomplissement
des graves obligations qu'impose le nouvel état où l'on vient d'entrer.

Bacon a dit dans un style noblement figuré: «Quiconque a épousé une
femme et mis des enfants au jour a donné des otages à la fortune.»

Il en a donné aussi à la morale, dont les lois ont alors sur lui plus
d'autorité et l'attachent à ses devoirs par des liens plus forts et plus
sacrés. Le mariage est essentiellement moralisateur; il éloigne du vice
et mène à l'honnêteté. «Plus vous aurez d'hommes mariés, dit Voltaire,
moins il y aura de crimes. Voyez les registres affreux de vos greffes
criminels; vous y trouverez cent garçons de pendus, ou de roués, contre
un père de famille.

«Le mariage rend l'homme plus vertueux et plus sage. Le père de famille
ne veut pas rougir devant ses enfants; il craint de leur laisser
l'opprobre pour héritage.» (_Dictionnaire philosophique_, art.
_Mariage_.)

Joignons à cela un morceau remarquable extrait de la charmante mosaïque
composée par M. L. Veuillot, sous le titre modeste de _Çà et Là_: «Je
suis éperdu d'admiration--hélas! et d'épouvante--quand je songe à la
grandeur morale où quelque petit individu de ma sorte, par exemple, peut
et doit s'élever, sans avoir cependant ni puissance, ni richesse, ni
génie, par cette seule raison qu'il est homme et chef de famille. Voilà
autour de cet homme un monde à protéger, à aimer, à servir, à édifier, à
réjouir même. Il faut que l'on vive de ses labeurs, que l'on se fortifie
de ses exemples, que l'on s'honore de ses œuvres, que l'on soit heureux
par lui.»


Qui se marie fait bien, et qui ne se marie pas fait encore mieux.

Ce proverbe, dans lequel se trouve une sorte d'approbation ou plutôt de
tolérance pour le mariage, est dérivé d'un passage de la première épître
de saint Paul aux Corinthiens. Cet apôtre, après avoir dit qu'il est
avantageux de ne pas se marier, afin que le soin des choses du monde ne
détourne pas du soin des choses du Seigneur, reconnaît cependant ce qui
doit être accordé au besoin de la nature humaine, et conclut en ces
termes: «_Qui matrimonio jungit virginem suam bene facit, et qui non
jungit melius facit_ (cap. VII, 38). Celui qui marie sa fille fait bien,
et celui qui ne la marie pas fait mieux.»

Un père, qui avait ses raisons pour ne pas vanter devant la sienne les
avantages de l'état conjugal, lui répétait les paroles de saint Paul,
elle lui dit: «Mon père, faisons bien, fera mieux qui pourra.»


Qu'on se marie ou non, l'on a toujours à s'en repentir.

C'est ce que Socrate répondit à un jeune Athénien qui, hésitant à
prendre femme, lui demandait s'il valait mieux se marier ou ne pas se
marier. Sa réponse devint un proverbe dont on se sert encore aujourd'hui
et dont l'idée a été reproduite dans plusieurs variantes vulgaires; je
me borne à signaler celle-ci: _Femme est marchandise trompeuse: qui n'en
a point s'en plaint, qui en prend s'en repent._

La réponse du philosophe n'était pas conforme à la demande. Il n'avait
pas à dire si celui qui se mariait et celui qui ne se mariait point
s'exposaient également au repentir, mais bien auquel des deux ce
repentir devait être plus amer. Il jugea à propos d'éluder la question
et de la laisser indécise. Qu'on se garde pourtant de conclure de là
qu'il n'appréciait pas mieux le mariage que le célibat. C'est à tort
qu'on a prétendu que les contrariétés que lui suscitait l'humeur fort
difficile de sa femme Xantippe le lui avaient rendu antipathique, il ne
cessa jamais de le regarder comme l'institution la plus utile qui a
produit la famille, fondement de la société. Il en parla dans une
nombreuse assemblée en termes si honorables et si persuasifs, il en
exposa les avantages sous un si beau jour, que les célibataires, dont
son auditoire était en grande partie composé, se marièrent tous dans
l'année. C'était prendre le bon parti, car le mariage, malgré ses
désagréments et ses chagrins, est bien préférable au célibat, je ne
parle pas du célibat des hommes voués à la religion ou à la science et
capables d'acquitter leur dette envers la société par des vertus ou des
talents, je parle de celui des vils égoïstes et des lâches voluptueux,
qui sacrifient tous leurs devoirs pour satisfaire leurs vices.

On ferait bien mieux de ridiculiser les célibataires que les gens mal
mariés. C'est ce que faisaient les peuples antiques, et quelques-uns
même de ces peuples les traitaient plus sévèrement. On sait que, chez
les Spartiates, les femmes avaient le droit de les fouetter tous les
ans, au pied de la statue de Junon qui présidait aux mariages.

Je ne prétends pas assurément qu'il faille renouveler contre eux une
pareille punition. Je pense qu'ils ne sont que trop punis par les vices
qu'ils contractent dans la vie qu'ils mènent et par l'abandon où ils
sont réduits dans leurs dernières années.

Quant aux plaisanteries sur le mariage, il faut bien les tolérer, et
j'aurais mauvaise grâce à vouloir les proscrire. Tout ce que je demande,
c'est qu'elles ne soient pas sérieuses, et qu'au lieu de porter sur
l'institution elle-même, elles tombent sur ce qui tend à fausser cette
institution, qui est la plus respectable du monde puisqu'elle est le
fondement de la famille, sur laquelle est fondée la société.

Laissons donc les railleurs s'égayer sur ce sujet, pourvu qu'ils ne
dépassent pas les justes limites que la vérité, la décence et le bon
goût imposent. Nos aïeux, grands amateurs de la gaudriole, sont allés
trop souvent au delà. Cependant ils ne négligeaient pas de se marier, et
ils avaient soin de donner à la société un grand nombre d'enfants
légitimes. C'est sur ce dernier point qu'il faut les imiter. Que les
malthusiens en disent ce qu'ils voudront, je pense qu'il est bon que
chacun fasse comme ses père et mère. Ainsi soit-il.


    Qui se marie par amours
    A bonnes nuits et mauvais jours.

Une femme d'esprit et de sens, Mme de Flahaut, disait à son fils, pour
le dissuader de faire un mariage d'amour, qui est ordinairement un
mariage pauvre: «Souvenez-vous, mon fils, qu'il n'y a qu'une chose qui
revienne chaque jour dans le ménage, c'est le dîner.»

Voici comment Molière a développé la pensée proverbiale dans
l'_Étourdi_, acte IV, scène IV:

    Quand on ne prend en dot que la seule beauté,
    Le remords est bien près de la solennité,
    Et la plus belle femme a bien peu de défense
    Contre cette tiédeur qui suit la jouissance.
    Je vous le dis encor, ces bouillants mouvements,
    Ces ardeurs de jeunesse et ces emportements
    Nous font trouver d'abord quelques nuits agréables.
    Mais ces félicités ne sont guère durables,
    Et notre passion, alentissant son cours,
    _Après de bonnes nuits donne de mauvais jours_.
    De là viennent les soins, les soucis, les misères,
    Les fils déshérités par le courroux des pères.

Thomas Corneille a dit sur le même sujet, mais d'un style moins
vigoureux:

                L'abondance des biens
    Pour l'amour conjugal a de puissants liens.
    La beauté, les attraits, l'esprit, la bonne mine,
    Échauffent bien le cœur, mais non pas la cuisine,
    Et l'hymen qui succède à ces folles amours,
    Après quelques douceurs a bien de mauvais jours.


Qui se marie se met la corde au cou.

C'est-à-dire se rend esclave. Ce proverbe est une traduction vulgaire
des paroles d'Hippothoüs, citées parmi les _Sentences choisies des
trésors des Grecs_, par Stobée: «_Astrictus nuptiis non amplius liber
est._ Celui qui est lié par le mariage n'est plus libre.»

    Cette chaîne qui dure autant que notre vie,
    Et qui devrait donner plus de peur que d'envie,
    Si l'on n'y prend bien garde, attache assez souvent
    Le contraire au contraire et le mort au vivant.

Ces vers de Corneille assimilent le mariage au supplice que Mézence
infligeait à ses victimes. Ce tyran, dit Virgile, unissait des corps
vivants à des cadavres. (_Énéide_, VIII, 485.)

    _Mortua quin etiam jungebat corpora vivis._


Qui se marie s'achemine à faire pénitence.

Il n'y a rien qui ait besoin d'explication dans ce proverbe, et je me
bornerai à y joindre une historiette vraie ou fausse, dont on
l'assaisonne ordinairement, quand on le cite. La voici telle qu'elle a
été mise en vers par Pons de Verdun, le plus fécond de nos rimeurs
anecdotiers:

    La veille de son mariage,
    Thomas au père Hilarion
    Fut demander, selon l'usage,
    Un billet de confession.
    Le pénitent, gai comme un prince,
    Bien confessé, billet en main,
    S'en allait: un remords le pince,
    Et vite il rebrousse chemin.
    «Sans doute c'est par oubliance,
    Va-t-il dire au père étonné,
    Que vous ne m'avez pas donné
    Le moindre mot de pénitence.
    --Allez, répond le franciscain,
    Allez, vous n'en avez que faire:
    Ne m'avez-vous pas dit, mon frère,
    Que vous vous mariiez demain?


Marie ton fils quand tu voudras, et ta fille quand tu pourras.

On peut différer sans inconvénient le mariage d'un fils, qui
ordinairement n'est point à charge à la famille; mais il n'en saurait
être de même de celui d'une fille, car elle donne bien de l'embarras et
exige une surveillance continuelle. Il importe beaucoup de lui chercher
un époux, et si l'on en trouve un qui soit convenable, il faut le lui
donner sans retard. _Marie ta fille, et tu auras fait une grande
affaire_, dit un autre proverbe traduit de ces paroles de
l'_Ecclésiastique_: _Trade filiam, et grande opus feceris_ (VII, 27).

Cette _grande affaire_ n'était pas aussi importante dans l'antiquité
qu'elle l'est dans notre temps, où le mariage est devenu extrêmement
difficile. Alors, pour parler comme Dante, «la fille en naissant ne
faisait pas encore peur à son père, car l'heure de la marier et la dot
n'avaient pas toutes deux dépassé toute mesure.»

    _Non faceva nascendo ancor paura
    La figlia al padre, che il tempo e la dote
    Non fuggian quinci e quindi la misura._

La diminution des mariages, produite d'un côté par le libertinage des
hommes, et de l'autre par le luxe des femmes, est telle aujourd'hui
qu'elle fait la désolation des familles et préoccupe les politiques et
les moralistes, effrayés des calculs de la statistique qui démontre que,
depuis vingt-cinq ans, le mariage ne cesse de décroître ou de rester
stationnaire.


Marie ta fille quand elle en a envie, et ton fils quand l'occasion s'en
présente.

Il ne faut pas refuser un mari à sa fille lorsqu'elle éprouve le désir
et le besoin d'en avoir un; car ce refus pourrait entraîner de graves
inconvénients pour elle et pour la famille. Il ne faut pas non plus
négliger de marier son fils quand on en trouve l'occasion, quoiqu'il n'y
ait pas urgence de le faire. Ce proverbe, dont la dernière partie
contredit un peu la première du précédent, est littéralement traduit du
basque:

    _Alaba escont esac nahi-denean.
    Semea ordu-denean._


Marie ton fils à Paris.

Ce proverbe, peu significatif et peut-être peu sage aujourd'hui, était
autrefois un bon conseil pour les parents qui tenaient à marier leur
fils richement, parce que la Coutume de Paris avantageait les filles au
détriment des garçons.


Marie ta fille en Normandie.

L'ancienne Coutume de Normandie contenait, à l'égard des filles, des
dispositions contraires à celles de la Coutume de Paris; elle les
désavantageait pour avantager les fils, qui devenaient par là de riches
partis. Les fils dont il est ici question étaient les aînés; car les
autres n'avaient guère plus de droit que les filles à l'héritage
paternel, et l'on disait: _C'est un cadet de Normandie_, pour désigner
un individu mal partagé sous le rapport de la fortune.

On sait que Boileau, qui estimait trop peu le talent de Th. Corneille,
lui appliquait cette dénomination: «Ses vers, comparés à ceux de son
aîné, disait-il, montrent bien qu'il n'est qu'_un cadet de Normandie_.»


Nul ne se marie qui ne s'en repente.

Proverbe qui se trouve textuellement dans la _Châtelaine de
Saint-Gilles_, poëme manuscrit de la Bibliothèque nationale, nº 7,218.
_Nus ne se marie qui ne s'en repente._ Et pourquoi ce repentir presque
universel du mariage? Fénelon va nous l'apprendre: «Ce joug perpétuel,
dit-il, est difficile à porter pour la plupart des hommes légers,
inquiets et remplis de défauts. Chacune des deux personnes a ses
imperfections: les naturels sont opposés, les humeurs sont presque
incompatibles; à la longue, la complaisance s'use, on se lasse les uns
des autres dans cette misérable nécessité d'être presque toujours
ensemble et d'agir en toutes choses de concert. Il faut une grande grâce
et une grande fidélité à la grâce reçue pour porter patiemment ce joug.
Quiconque l'acceptera par l'espérance de s'y contenter grossièrement y
sera bientôt mécompté. Il sera malheureux et rendra sa compagne
malheureuse. C'est un état de tribulation et d'assujettissement
très-pénible auquel il faut se préparer en esprit de pénitence.»

Fénelon dit encore dans un autre endroit de ses _Lettres spirituelles_:
«Demandez, voyez, écoutez; que trouvez-vous dans toutes les familles,
dans les mariages mêmes qu'on croit les mieux assortis et les plus
heureux, sinon des peines, des contradictions, des angoisses? Les voilà
ces tribulations dont parle l'Apôtre, lorsqu'il dit: _Ceux qui entrent
dans les liens du mariage souffrent les tribulations de la chair, et je
voudrais vous les épargner._ Il n'en a point parlé en vain; le monde en
parle encore plus que lui; toute la nature est en souffrance. Laissons
là tant de mariages pleins de dissensions scandaleuses; encore une fois,
prenons les meilleurs. Il n'y paraît rien de malheureux; mais, pour
empêcher que rien n'éclate, combien faut-il que le mari et la femme
souffrent l'un de l'autre! Ils sont tous deux également raisonnables, si
vous le voulez (chose très-rare et qu'il n'est guère permis d'espérer);
mais chacun a ses humeurs, ses préventions, ses habitudes, ses liaisons.
Quelque convenance qu'il y ait entre eux, les naturels sont toujours
assez opposés pour causer une contrariété fréquente, dans une société si
longue, où l'on se voit de si près, si souvent, avec ses défauts de part
et d'autre, dans les occasions les plus naturelles et les plus
imprévues, où l'on ne peut être préparé. On se lasse, le goût s'use,
l'imperfection toujours attachée à l'humanité se fait sentir de plus en
plus. Il faut à toute heure prendre sur soi et ne pas montrer tout ce
qu'on y prend; il faut à son tour prendre sur son prochain, et
s'apercevoir de sa répugnance. La complaisance diminue, le cœur se
dessèche, on se devient une croix l'un à l'autre... Souvent on ne tient
plus l'un à l'autre que par devoir tout au plus, ou par une certaine
estime sèche, ou par une amitié altérée et sans goût qui ne se réveille
que dans les fortes occasions. Le commerce journalier n'a presque rien
de doux; le cœur ne s'y repose guère: c'est plutôt une conformité
d'intérêt, un lien d'honneur, un attachement fidèle, qu'une amitié
sensible et cordiale.»


Saint Nicolas marie les filles avec les gaz[15].

  [15] _Gaz_ ou _gars_ signifie garçon. Ce mot a un féminin qui
    aujourd'hui fait frémir la pudeur, et qui autrefois figurait dans le
    proverbe à la place du mot _filles_, sans offenser les plus chastes
    oreilles, puisque le bon Saint François de Sales l'a fréquemment
    employé dans ses écrits religieux, au commencement du dix-septième
    siècle. C'est le cas de dire avec Voltaire que la pudeur se réfugie
    sur les lèvres quand elle n'est plus dans le cœur.

Saint Nicolas, évêque de Myre, se distingua, durant tout son épiscopat,
par sa charité évangélique et par son zèle éclairé pour le maintien des
bonnes mœurs. Ayant appris un jour qu'un gentilhomme, père de trois
filles qu'il ne trouvait pas à marier, faute de pouvoir les doter, se
disposait à leur faire contracter des unions illégitimes, il alla de
nuit se poster devant la maison de cet homme, et, profitant d'un moment
où la fenêtre de sa chambre était ouverte, il y jeta une bourse remplie
d'or pour qu'elle servît de dot à l'aînée des trois sœurs. Puis il
renouvela, en temps opportun, le même acte de générosité en faveur de
chacune des deux autres, qui devinrent, grâce à lui, de pieuses mères de
famille au lieu d'être de malheureuses courtisanes.

De là est venue la croyance que saint Nicolas, dans le ciel, prend
plaisir à continuer le beau rôle qu'il a rempli sur la terre. Il est le
patron des pauvres filles à marier, et son nom est invoqué dans les
_litanies des amoureux_, où elles s'écrient:

    Patron des filles, saint Nicolas,
    Mariez-nous, ne tardez pas.

J. Delille a consacré à ce saint, dans la première édition du poëme de
la _Pitié_, les quatre vers suivants, qui ont été supprimés dans les
autres éditions:

    Le grand saint Nicolas dont l'oreille discrète
    Écoute des amants la prière secrète,
    Qui, des sexes divers le confident chéri,
    Donne à l'homme une épouse, à la femme un mari.

Saint Nicolas est aussi le patron des garçons et le patron des
mariniers, pour des raisons tirées de deux faits consignés dans sa
légende, et inutiles à rapporter ici.


Celui qui se marie trop tard se marie pour ses voisins.

C'est ce que disait un vieillard de l'antiquité, le jour même de son
mariage. Ce joli mot, passé en proverbe, est rapporté par
Plutarque.--Nous avons encore ce vieux dicton, qui exprime la même idée
par une antithèse assez plaisante: _Qui recule trop à se marier, il
s'avance d'être sot._

Il résulte de là qu'il faut se marier dans la jeunesse, et qu'il vaut
mieux renoncer tout à fait au mariage que de le remettre à la grande
année climatérique.

Un sage et spirituel sexagénaire, qui mérite, en ce cas, d'être proposé
comme modèle, répondait aux conseils qu'on lui donnait de se marier: «Je
m'en garderai bien, car je n'ai aucun goût pour les vieilles femmes, et
je suis sûr que les jeunes, par la même raison, n'en auraient aucun pour
moi.»


Les fiançailles chevauchent en selle, et les repentirs en croupe.

    _Post equitem sedet atra cura._

(Horat., lib. III, od. I.)

Il n'y a qu'une remarque à faire sur ce proverbe maintenant peu usité;
c'est qu'à l'époque où il fut introduit, les fiancés, du moins ceux
d'une condition au-dessus de l'ordinaire, se rendaient à cheval à
l'église, n'ayant pas, comme aujourd'hui, des voitures pour y être
transportés.


Tel fiance qui n'épouse pas.

Proverbe qu'on emploie au figuré pour faire entendre qu'une espérance
qui est très-bien fondée, qui est même en voie de réalisation, peut être
frustrée tout à coup.

On lit dans les _Institutes_ de Loisel: _Fille fiancée n'est ni prise ni
laissée_ (liv. I, tit. II, reg. 1), et dans les _Maximes du droit
français_ de L'Hommeau: _Fille fiancée n'est pas mariée_ (liv. III, max.
41).

Les fiançailles ne sont qu'une promesse qui peut être rompue, sauf
l'action en dommages et intérêts.

Chateaubriand dit que l'intention de la coutume des fiançailles est de
laisser aux deux époux le temps de se connaître avant de s'unir. «Saint
Augustin, ajoute-t-il, en rapporte une raison aimable: _Constitutum est
ut jam pactæ sponsæ non statim tradantur, ne vilem habeat maritus datam
quam non suspiraverit sponsus dilatam._»


Boire tanquam sponsus, ou boire comme un fiancé.

Cette expression proverbiale, qui signifie boire copieusement, se trouve
dans le cinquième chapitre de _Gargantua_. Un commentateur croit qu'elle
a dû son origine à un mauvais jeu de mots sur _sponsus_ et _spongia_
(éponge), ce qui est tant soit peu ridicule. Fleury de Bellingen la fait
venir des noces de Cana, où la provision de vin fut épuisée; sur quoi
l'abbé Tuet fait la remarque suivante: «Le texte sacré dit bien qu'à ces
noces le vin manqua, mais non pas que l'on y but beaucoup, encore moins
que l'époux donna l'exemple de l'intempérance. J'aimerais mieux tirer le
proverbe des amants de Pénélope, qui passaient le temps à boire, à
causer, etc. Horace appelle _sponsos Penelopes_ les personnes livrées à
la débauche.»

Aucune de ces explications ne me paraît admissible. En voici une
nouvelle que je propose, et dont la vérité me paraît incontestable.
Autrefois, en France, on était dans l'usage de _boire le vin des
fiançailles_. Dans cette circonstance, le fiancé devait souvent vider
son verre pour faire raison aux convives qui lui portaient des brindes
ou des santés, et de là vient qu'on dit: _Boire tanquam sponsus_, ou
_boire comme un fiancé_.

Don Martène cite un missel de Paris du quinzième siècle, où il est dit
en latin: «Quand les époux, au sortir de la messe, arrivent à la porte
de leur maison, ils y trouvent le pain et le vin. Le prêtre bénit le
pain et le présente à l'époux ainsi qu'à l'épouse, pour qu'ils y
mordent. Le prêtre bénit aussi le vin, et leur en donne à boire; ensuite
il les introduit lui-même dans la domicile conjugal.»

Aujourd'hui encore, dans plusieurs localités, on offre aux époux qui
reviennent de l'église une soupière de vin chaud et sucré.

En Angleterre, on faisait boire autrefois aux nouveaux mariés du vin
sucré dans des coupes qu'on gardait à la sacristie parmi les vases
sacrés, et on leur donnait à manger des oublies ou des gaufres qu'ils
trempaient dans ce vin. De vieux missels attestent cette coutume, qui
fut observée aux noces de la reine Marie et de Philippe II, roi
d'Espagne. Shakespeare y a fait allusion dans sa comédie intitulée _la
Méchante Femme mise à la raison_, où il est dit de Pétruchio épousant
Catherine: «Il a avalé des rasades de vin muscat, et il en a jeté les
rôties à la face du sacristain.» (Acte III, sc. II.)

Selden (_De Uxore hebraica_) a signalé parmi les rites de l'Église
grecque une semblable coutume, qu'il regarde comme un reste de la
confarréation des anciens.

J.-O. Stiernhook (_De Jure Suevorum et Gothorum vetusto_, p. 163, édit.
de 1672) rapporte une scène charmante qui avait lieu aux fiançailles,
chez les Suèves et les Goths. «Le fiancé, entrant dans la maison où
devait se faire la cérémonie, prenait la coupe dite maritale, et, après
avoir écouté quelques paroles du paranymphe sur son changement de vie,
il vidait cette coupe, en témoignage de constance, de force et de
protection, à la santé de sa fiancée, à qui il promettait ensuite la
morgennatique (_morgennaticam_[16]), c'est-à-dire une dot pour prix de
la virginité. La fiancée témoignait sa reconnaissance, puis elle se
retirait pour quelques instants, et, ayant déposé son voile, elle
reparaissait sous le costume de l'épouse, effleurait de ses lèvres la
coupe qui lui était présentée, et jurait amour, fidélité, diligence et
soumission.»

  [16] Ce mot de basse latinité, et le mot français _morganatique_,
    viennent de l'Allemand _Morgen Gabe_ (présent du matin), et
    désignent proprement la dot que la mariée, le lendemain des noces,
    recevait du mari, comme dit Stiernhook, pour prix de sa virginité.
    De là vient aussi le nom de _mariage morganatique_ ou _à la
    morganatique_, qu'on donne à l'union contractée entre un prince et
    une femme d'un rang inférieur, entre un noble et une roturière, sous
    cette clause expresse que l'épouse doit avoir en toute propriété les
    biens qui lui sont assignés par l'époux, sans aucun droit au reste
    de la fortune et aux titres qu'il possède. Ce mariage, où les
    enfants sont soumis aux mêmes conditions que la mère, s'appelle
    encore _mariage de la main gauche_. Il est particulièrement en usage
    chez les princes souverains d'Allemagne.

Les idylles de Théocrite et les églogues de Virgile n'offrent pas de
tableau plus gracieux.


    Deux bons jours à l'homme sur terre:
    Quand il prend femme et qu'il l'enterre.

Ce proverbe, littéralement traduit du provençal, a inspiré à
Saint-Évremont ces deux vers fameux:

    L'hymen avec l'amour a tant d'antipathie
    Qu'il n'a que deux bons jours: l'entrée et la sortie.

Les vers et le proverbe sont tout à fait identiques à cette pensée que
Stobée attribue à Hipponax, poëte comique grec: «Une femme donne à son
mari deux jours de bonheur: celui où il l'épouse, et celui où il
l'enterre.»

Les femmes provençales, qui maigrissent dans les soucis du ménage, ont
plusieurs proverbes opposés à cette plaisanterie renouvelée des Grecs.
En voici deux d'une originalité piquante: «_Sé uno marlusso vénië
véouso, sérië grasso._ Si une merluche devenait veuve, elle serait
grasse. _Sé uno sardino vénië véouso, sérië grasso coumo un thoun._ Si
une sardine devenait veuve, elle serait grasse comme un thon.»


C'est pain de noces.

Se dit d'une chose très-agréable dont on se promet ou dont on reçoit un
grand plaisir; on prétend que cette façon de parler est venue par
altération de _paix de noces_, baiser qu'on donne aux nouveaux mariés en
Languedoc, et qu'on appelle _pa de nobis_ ou _novis_ dans l'idiome de ce
pays; mais une telle origine ne me paraît pas admissible. Voici la
véritable: dans le mariage par confarréation chez les Romains, les deux
époux mangeaient, en signe d'union, un pain ou gâteau fait de la farine
du froment nommé _far_ en latin (le froment rouge, à ce qu'on croit
généralement). L'usage de ce gâteau s'était conservé dans les noces
chrétiennes au moyen âge, et de là vient l'expression _pain de noces_.
Nous disons aussi de deux époux qui conservent longtemps l'un pour
l'autre des procédés galants et tendres: _Ils font durer le pain de
noces._


Le pain de noces coûte cher à qui le mange.

Les Espagnols disent: «_Pan de boda, carne de buitrera._ Pain de noces,
chair de piége à vautour.» Cette métaphore proverbiale est d'une
effrayante énergie. En transformant le mariage en une sorte de
guet-apens où ceux qui se laissent prendre sont assimilés aux vautours,
elle met pour ainsi dire sous les yeux, par cette image terrible, toute
la fureur de la guerre intestine qu'ils auront à soutenir. Elle a été
évidemment inspirée par le génie de la haine contre le joug conjugal.


Noces de mai, noces mortelles.

Les Romains avaient soin de ne pas se marier pendant le mois de mai. Ils
croyaient que le mariage contracté en ce temps, qui, chez eux, était
consacré au culte des tombeaux, devait tourner à mal et entraîner la
mort de l'épouse, ainsi que l'attestent ces vers du chant V des _Fastes_
d'Ovide:

      _Nec viduæ tædis eadem nec virginis apta
    Tempora: quæ nupsit non diuturna fuit.
      Hac quoque de causa si te proverbia tangunt,
    Mense malas maio nubere vulgus ait._

«Ce temps n'est pas favorable pour allumer les flambeaux de l'hymen
d'une veuve ni d'une vierge. Celle qui s'est mariée alors a peu vécu, et
si les proverbes peuvent être ici de quelque poids, je rappellerai le
dicton populaire: _Ce sont des malheureuses qui se marient au mois de
mai_[17].

  [17] C'est ainsi que se dit en français ce proverbe dans lequel le mot
    _malheureuses_ répond mieux que le mot _méchantes_, employé par tous
    les traducteurs, au sens qui ressort de tout le passage d'Ovide.
    L'idée d'infortune est aussi bien impliquée dans le latin _malas_,
    que celle de méchanceté, et toutes deux se trouvent dans le français
    _malheureuses_.--Il en est de même du mot _infelix_ que Properce a
    mis pour _scelestus_ dans ce vers de l'élégie 23 du livre II.

        _Infelix hodie vir mihi rure venit._

    «Mon scélérat de mari m'arrive, ce soir, de la campagne.»

Plutarque, dans la quatre-vingt-sixième de ses _Demandes des choses
romaines_, a recherché les causes de cette superstition, et voici ce
qu'il en a dit: «Pourquoi les Romains ne se marient pas au mois de mai?
Est-ce parce qu'il est entre avril et juin, dont l'un est consacré à
Vénus et l'autre à Junon, déesses qui ont toutes deux la cure et la
surintendance des noces, au moyen de quoi ils (les Romains) avancent ou
retardent un peu? ou est-ce parce que, ce mois-là, ils font la cérémonie
de la plus grande purgation?... En ce temps-là, la prêtresse de Junon,
ou la Flaminea, vit toujours triste, comme en deuil, sans se laver ni se
parer. Ou bien est-ce parce que plusieurs des peuples latins font
oblation aux trépassés en ce mois? et c'est pourquoi ils adorent
Mercure, en ce même mois, joint qu'il porte le nom de Maia, mère de
Mercure.» (Trad. d'Amyot.)

La superstition qui a donné lieu au proverbe est, comme on vient de le
voir, tout à fait païenne, et, quoique les motifs qui l'avaient
introduite n'existent plus, elle se maintient encore en plusieurs pays,
notamment en Provence. On a prétendu même la justifier par des exemples
célèbres, parmi lesquels se trouvent les trois suivants:

Marie Stuart épousa Bothwell le 15 mai 1567, et, le lendemain, le
dernier des quatre vers latins cités plus haut fut placardé sur la porte
de son palais comme un sanglant reproche de cette indigne union avec
l'assassin de son mari, et comme une prophétique menace des malheurs qui
devaient la suivre.

Henriette de France, fille de Henri IV, fut mariée, le 11 mai 1625, avec
Charles Ier, roi d'Angleterre, qui périt sur l'échafaud, et la vie de
cette reine fut un long enchaînement de douleurs.

Les noces de Marie-Antoinette d'Autriche et du duc de Berry, depuis
Louis XVI, furent célébrées à Paris le 16 mai 1770, et l'on sait à
quelles infortunes la Révolution française vint livrer ces augustes
époux.


Noces réchauffées.

Cette expression par laquelle on désigne les secondes noces est traduite
de celle du moyen âge _maritagia recalefacta_, qui s'employait dans le
même sens.

Ces secondes noces étaient décriées même chez les païens. Valère Maxime
(liv. II, ch. XI) dit que les femmes qui les contractaient ne pouvaient
toucher la statue de la chasteté ou de la fortune féminine, et n'étaient
pas conduites en cérémonie chez les maris.

On connaît ce vers de Martial (Épigr. VI, 7):

    _Quæ nubit toties, non nubit, adultera lege est._

  Se marier si souvent ce n'est point se marier; c'est être légalement
  adultère.

La décence voulait qu'une femme veuve ne se remariât point. C'est ce que
fit Cornélie, mère des Gracques. Plutarque nous apprend que, recherchée
en mariage par le roi Ptolémée, elle préféra le titre de veuve au titre
de reine.

Tertullien appelait les secondes noces _adultera speciosa_, «des
adultères déguisés.» Les pères de l'Église les qualifiaient à peu près
de même, et dans le moyen âge on inventa le charivari pour les bafouer.

Les Italiens ont ce proverbe: «_La prima donna è matrimonio, la seconda
è compagnia, la terza è heresia._ La première épouse est mariage, la
seconde est compagnie, et la troisième est hérésie.»


Il ne s'est jamais trouvé à pareilles noces.

Il n'a jamais éprouvé un pareil traitement. Si je rapporte ici cette
locution, c'est qu'elle est fondée sur un usage bon à connaître,
pratiqué jadis en Poitou, après les repas d'épousailles. Les convives,
en sortant de table, n'avaient rien de plus pressé que de mettre leurs
mitaines et de se donner les uns aux autres des coups de poing qui
faisaient plus de bruit que de mal. C'était un exercice mnémonique
institué par la joie pour rendre plus durable le souvenir de la fête
dont on venait de jouir. Mais il dégénéra dans la suite au point de
rappeler le combat des Centaures et des Lapithes aux noces de Pirithoüs,
_rixa debellata super mero_: ce qui en nécessita l'abolition. Rabelais
n'a pas oublié cette singulière coutume dans la description qu'il a
faite des noces du seigneur de Basché (liv. IV, ch. XIV). «Pendant qu'on
apportoit vin et espices, coupz de poing commencearent trotter.
Chicquanous en donna nombre au prestre Oudart. Soubz son suppeliz avoit
Oudart son guantelet caché, il s'en chausse comme d'une mitaine, et de
daulber Chicquanous, et de drapper Chicquanous; et coupz de jeunes
guanteletz de tous coustez pleuvoir sur Chicquanous. Des nopces,
disoyent-ilz, des nopces, des nopces: vous en soubvienne. Il feut si
bien accoustré que le sang lui sortoit par la bouche, par le nez, par
les aureilles, par les œilz. Au demourant courbatu, espaultré et
froissé, teste, nucque, dours (dos), poictrine, bras, et tout. Croyez
qu'en Avignon, on (en) temps de carnaval, les bacheliers oncques ne
jouarent à la raphe (ou rafle, jeu de mains) plus melodieusement que
feut joué sur Chicquanous.»

Notons que l'usage décrit par Rabelais existait du temps de Villon, qui
en a parlé dans la double ballade du Grand Testament, stance V.


Aujourd'hui marié, demain marri.

Ou bien: _Aujourd'hui mari, demain marri_; c'est-à-dire: aujourd'hui
dans la joie du mariage, et demain dans le regret. _Marri_ est un vieux
mot dérivé du latin barbare _marritio_, que Vossius explique par
chagrin, ressentiment d'un malheur éprouvé, d'une offense reçue. Ce jeu
de mots proverbial a des analogues dans les langues étrangères. Les
Espagnols disent: «_Casar y mal dia, todo en un dia._ Mariage et
malheur, tout en un jour,» et les Turcs: _Avant le mariage tu criais
_io_, et après tu cries _iahu_._ Ces deux interjections sont usitées
chez eux, la première pour marquer la joie, et la seconde pour marquer
la douleur.


Il sera marié cette année.

Ce dicton s'applique par plaisanterie à une personne qui jette au
plancher certaines choses qui s'y attachent. Il fait allusion à une
pratique superstitieuse usitée à Rome parmi les amoureux, et rappelée
par Horace dans la troisième satire du livre II. Ils lançaient avec le
pouce et l'index des pépins de pomme au plafond, persuadés que, s'ils
l'atteignaient, les vœux que leur cœur avait formés seraient accomplis.
Cela se faisait aussi au moyen âge, et le succès du jet était regardé
comme un oracle du ciel. Il existe encore aujourd'hui une foule de
superstitions analogues chez la plupart des peuples beaucoup plus
enclins à consulter le sort que la raison. Les Chinois, pour connaître
ce qu'ils ont à espérer ou à craindre dans les choses qui les
intéressent, jettent en l'air une poignée de petits bâtons, et la
manière dont ces bâtons s'arrangent en tombant est pour eux un présage
heureux ou funeste.


L'homme marié est un oiseau en cage.

Cette métaphore proverbiale, qui n'a pas besoin d'explication, est à
l'usage des célibataires ou des libertins qui tiennent à conserver leur
liberté entière pour se livrer à de folles amours, où ils la perdent
assez souvent d'une manière bien plus sotte que dans le mariage. Cette
autre maxime, _jamais maris, toujours amants_, par laquelle ils
prétendent autoriser leur antipathie conjugale, est aussi contraire à la
vérité qu'aux bonnes mœurs, et les personnes sensées ne seront pas de
l'avis de Mlle de Scudéri, qui la propose comme une _leçon du sage_,
dans un apologue qui trouve ici naturellement sa place.

          Qu'il est doux d'être dans la cage!
          Disait au dehors un pinson,
    Y voyant un serin qui, de son doux ramage,
          Faisait retentir sa prison.
          Il a nourriture à foison,
          Bon grain et gentille femelle,
          Et peut, quand il veut, avec elle,
    Rire, boire, manger et dire la chanson:
    C'est ainsi que, voyant une jeune pucelle,
    Damis croit qu'il serait au comble des plaisirs
    S'il pouvait se lier d'une chaîne éternelle
    Avec ce doux objet de ses tendres désirs;
          Mais la cage et le mariage
    Ne font sentir les maux que quand on est dedans.
    Pour devise prenez cette leçon du sage:
          Jamais maris, toujours amants.


Les mariés auront la vigne de l'abbé.

_Avoir la vigne de l'abbé_ était autrefois une locution fort usitée en
parlant de deux époux qui passaient la première année de leur union dans
le plus parfait accord. On disait aussi: _se promettre la vigne de
l'abbé_, pour se promettre un plein contentement en mariage. Le conte de
La Fontaine, intitulé _les Aveux indiscrets_, en offre un exemple. L'une
et l'autre expression rappellent une vieille histoire, d'après laquelle
un abbé aurait fait publier qu'il donnerait une belle vigne au couple
conjugal qui prouverait que pendant un an, à dater du jour de ses noces,
il n'avait pas eu la moindre altercation.


Dénouer la jarretière de la mariée.

D'après un usage observé dans les repas de noces, chez les gens du
peuple et les bourgeois, un enfant, qui est au nombre des convives, se
glisse sous la table et détache ou fait semblant de détacher de la jambe
de la mariée une touffe de petits rubans de diverses couleurs dont on
suppose qu'elle avait fait sa jarretière. Puis il les montre aux
assistants, qui applaudissent, et, après les avoir coupés en morceaux,
il les distribue à la ronde, afin que les femmes en parent le corsage de
leur robe et les hommes la boutonnière de leur habit.

On pense qu'il y a dans cet usage, qui est fort ancien, quelque
réminiscence, sous forme de parodie, de ce que, dans les mœurs
chevaleresques, on appelait _donner le gage d'amour sans fin_: une belle
faisait cadeau au chevalier qu'elle devait épouser d'une de ses
jarretières sur laquelle elle avait brodé son nom avec la devise: _amour
sans fin_.

«La jarretière de la mariée, dit M. V. Hugo, est la cousine de la
ceinture de Vénus.»

Dans l'antiquité, la future épouse donnait sa ceinture à l'époux,
symbole encore plus caractéristique.


La mariée n'a pour dot qu'un chapeau de roses.

Cette expression, jadis très-usitée en parlant d'une jeune fille qui
n'apportait rien ou presque rien en mariage, s'emploie encore dans le
même sens. Le _Glossaire du droit français_ par Laurière (tome II, page
226) la cite comme dérivée d'une maxime de la vieille jurisprudence
coutumière. Elle est fondée, en effet, sur la coutume qui permettait, en
certaines localités, aux parents de ne donner pour dot à leurs filles
qu'un simple _chapel de roses_. «Ce chapel, dit M. Chassan, était une
allégorie chargée d'enseigner à la femme que les grâces et la beauté,
apanage de son sexe, sont une dot suffisante pour compenser ce qu'il y a
de plus odieux dans l'exclusion de l'héritage paternel prononcée contre
la femme par la loi politique. Cette fiction a peut-être aussi pour
objet de représenter l'idéal du mariage. La femme, en passant entre les
mains de l'homme sans autre dot que son simple _chapel de roses_, n'a pu
être recherchée et ornée que pour elle-même.» (_Essai sur la symbolique
du droit_, p. 24.)

Voilà le symbole du chapeau de roses expliqué avec toute sa grâce et sa
poésie; mais le peuple n'en a saisi que le côté littéral et prosaïque;
c'est la pauvreté des jeunes filles qu'il a désignée par cette coiffure
à laquelle il a même supposé un effet analogue à celui qui est attribué
à la coiffure de sainte Catherine, car on a dit _garder son chapel de
fleurs_, à peu près de même qu'on dit _coiffer sainte Catherine_ pour:
ne pas se marier, témoin ce vers de la _Châtelaine de Saint-Gilles_,
poëme compris dans le manuscrit 7,218 de la Bibliothèque nationale:

    _J'aim' miex chapel de fleurs que mauvès mariage._


Il n'y a pas de femme en couches qui se plaigne d'avoir été mariée trop
tard.

Manière originale et facétieuse de faire entendre à une personne livrée
aux plaisirs des sens avec trop d'ardeur, qu'elle maudira un jour ces
plaisirs, qui ne peuvent manquer de devenir, par l'abus qu'elle en fait,
des sources de regrets et d'amertumes.

Cette maxime proverbiale se prend aussi dans une acception généralisée
pour signifier que la douleur, qui suit toujours l'excès des voluptés,
ramène forcément ceux qu'elle frappe à de meilleures pensées, et leur
fait admettre la raison, dont ils se moquaient dans de folles orgies,
comme le remède le plus propre à calmer les maux qu'ils ont à souffrir.


Un mari est toujours le dernier instruit de la conduite de sa femme.

Cette observation proverbiale est de tous les temps et de tous les
lieux, car toujours et partout les femmes ont eu l'art d'épaissir la
membrane de l'œil des maris, pour ne pas leur laisser voir ce qu'elles
jugent à propos de leur cacher.

Que d'autres leur reprochent l'usage ou l'abus de cet art, qu'ils en
recueillent et racontent les traits plus ou moins perfides, afin
d'amuser la malicieuse curiosité du public: je me garderai de les
imiter. Je hais la manie trop commune de ne considérer l'esprit des
femmes que par ses mauvais côtés, et de détourner la vue des bons côtés
qu'il peut offrir, même dans ses artifices. Eh! pourquoi ne pas
reconnaître que, si elles ont le tort de faire de leurs maris de
véritables sots, elle y joignent, par compensation, le mérite de les
empêcher d'apercevoir qu'ils le sont, et de les entretenir dans une
flatteuse illusion tout à fait propre à les rendre heureux? En vérité,
ces messieurs sont bien ridicules de blâmer l'adresse qu'elles mettent à
les tromper. C'est une excellente chose qu'ils devraient mieux
apprécier: leur intérêt les y engage. Malheur à ceux qui sont trop
clairvoyants pour les tromperies féminines. Il ne leur en revient que
des désagréments, des ennuis, des tribulations, qui ne font qu'ajouter à
leur infortune, tandis que ceux qui acceptent leur sort sans y regarder,
persuadés qu'il y a plus de sagesse à l'ignorer qu'à chercher à le
connaître, vivent en parfait accord avec leurs infidèles, toujours plus
attentives, plus douces, plus affectueuses, plus complaisantes pour eux,
en raison de la débonnaireté qu'ils ont pour elles.

C'est un des points fondamentaux de la philosophie conjugale qu'il n'y a
point de salut pour les maris sans la foi. Je ne prétends pas que cette
foi si nécessaire les mette à l'abri de fâcheux accidents: celui qui l'a
et celui qui ne l'a pas y sont exposés de même, et sont également sujets
à figurer au rang des sots. Mais je soutiens qu'il vaut cent fois mieux
être un sot crédule qu'un sot incrédule: l'un trouve le paradis dans son
ménage, l'autre y trouve l'enfer.

Je n'ai pas besoin de dire lequel des deux rôles est préférable. Je
remarquerai seulement que beaucoup de maris de notre siècle aiment mieux
jouer le premier. Ils évitent soigneusement de porter un regard
indiscret sur la conduite de leurs femmes. Ils n'attendent pas d'être
aveuglés par elles; ils s'aveuglent eux-mêmes à plaisir, et, suivant un
proverbe espagnol, ils font comme _l'escargot, qui, pour se délivrer
d'inquiétude, échangea ses yeux contre des cornes_.

    _El caracol, por quitar de enojos,
    Por los cuernos trocó los ojos._

Ce proverbe fort original, usité aussi dans le midi de la France, est
fondé sur une tradition populaire qui nous apprend que l'escargot, qu'on
suppose aveugle, avait été créé avec de bons yeux, mais qu'étant sans
cesse exposé à les avoir blessés en rampant sur la terre ou sur les
buissons, il pria Dieu de les lui ôter et de les remplacer par des
cornes, dont il espérait retirer plus d'avantage, ce qui lui fut
octroyé.

J'ai entendu chanter dans un village de l'Aveyron une vieille chanson
patoise qui rappelle cette tradition, et qui est peut-être un fragment
de quelque sirvente troubadouresque. Elle se termine par un couplet
piquant dont je vais reproduire l'idée, à défaut des paroles, que j'ai
oubliées.

    Celui que le guignon fit naître
    Sous le signe ingrat du bélier,
    Se tourmente pour mieux connaître
    Ce qu'il ferait bien d'oublier.
    Eh! qu'espère-t-il? que souffrance
    D'une ombrageuse vigilance
    Qui doit lui prouver qu'il est sot.
    Veut-il fuir des chagrins sans borne:
    Qu'il change ses yeux pour des cornes,
    A l'exemple de l'escargot!


Un mari doit se faire annoncer quand il rentre chez lui.

C'est ce que faisaient autrefois, à Rome, les maris qui se piquaient de
savoir vivre, et voici l'explication que Plutarque a donnée de leur
conduite dans la IXe de ses _Demandes des Choses romaines_: «Pourquoi
est-ce que, quand ils retournent d'un voyage loingtain au pays ou
seulement des champs à la ville, s'ils ont leurs femmes à la maison, ils
envoient devant pour faire savoir leur arrivée? est-ce point pour leur
donner asseurance qu'ils ne veulent rien faire finement ni
malicieusement envers elles, car arriver soudainement à l'improuveu est
une manière d'aguet et de surprise: ou bien parce qu'ils se hastent de
leur envoyer donner une bonne nouvelle de leur venue comme se tenans
pour asseurés qu'elles les attendent et les désirent: ou plutost
pourceque eux-mêmes désirent savoir de leurs nouvelles, si ils les
trouveront saines et attendant à grand dévotion leur retour: ou
pourceque les femmes ont plusieurs petits négoces ou besongnes à la
maison, pendant que leurs maris n'y sont pas, et bien souvent de petites
hargnes et querelles à l'encontre de leurs domestiques servans ou
servantes, afin doncques qu'ostant toutes ces petites fascheries là
elles fassent un recueil gracieux et paisible à leurs maris, ils leur
envoient devant faire tel avertissement.» (Traduction d'Amyot.)

De là est venu très-probablement notre proverbe; mais il a bien changé
sur la route, car l'application qu'on en fait aujourd'hui ne s'accorde
plus avec aucune des honnêtes raisons données par Plutarque. Il
s'emploie pour faire entendre à quel inconvénient s'expose le mari
absent qui revient au logis sans avoir pris la précaution indiquée. Le
vieux poëte Coquillard (_Droitz nouveaux_, ch. VII, _de Injuriis_)
conseillait à ce benêt de mari de faire du bruit en rentrant, de crier:
_Quel est céans_? de ne point se fâcher _s'il trouvait sa femme sur le
fait_, et de se contenter de lui dire:

    Au moins deviez-vous l'huys serrer.
    S'il fust venu des aultres gens!

La LXXIe des _Cent Nouvelles nouvelles_ fait tenir le même langage par
un époux débonnaire dans la même situation.

On attribue un trait tout à fait pareil à un grand seigneur du temps de
la Régence. Ce personnage étant entré indiscrètement dans la chambre de
sa femme pendant qu'elle était _en conversation criminelle_, comme
disent les Anglais par euphémisme, se retira en s'écriant: «Eh! madame,
que ne fermiez-vous la porte? Tout autre que moi aurait pu vous
surprendre.»


    Sers ton mari comme ton maître,
    Et t'en garde comme d'un traître.

Ce distique proverbial, à l'usage des épouses mécontentes, qui le
proposent comme principe de leur tactique conjugale, a été cité par
Montaigne dans un passage de ses _Essais_, liv. III, ch. V, où il
reproche aux hommes comme aux femmes de ne pas tenir assez de compte des
devoirs du mariage. Voici les principaux traits de ce passage: «Il n'est
plus temps de regimber, quand on s'est laissé entraver; il fault
prudemment mesnager sa liberté; mais depuis qu'on s'est soubmis à
l'obligation, il s'y fault tenir soubz les loix du debvoir commun, au
moins s'en efforcer. Ceulx qui entreprennent ce marché, pour s'y porter
avecques hayne et mespris, font injustement et incommodement: et cette
belle regle, que je veois passer de main en main entre elles, comme un
saint oracle,

    Sers ton mary comme ton maistre,
    Et t'en garde comme d'un traistre.

qui est à dire:--Porte-toy envers luy d'une reverence contraincte,
ennemie et desfiante,--cry de guerre et de desfi, est pareillement
injurieuse et difficile.»


Mieux vaut un mari sans amour qu'un mari jaloux.

«Les femmes, disait Mme de Coulanges, ne veulent de la jalousie que de
ceux dont elles pourraient être jalouses.» Par conséquent, elles ne
doivent pas vouloir de celle de leurs maris, qu'elles n'aiment guère et
qui le leur rendent bien, car, s'ils sont jaloux, c'est ordinairement
sans amour. La jalousie de ces messieurs leur est antipathique au
suprême degré, parce qu'elle leur fait sentir qu'ils se défient d'elles
et veulent les tenir sous leur dépendance: deux attentats odieux dont
elles sont cruellement blessées. Mais la jalousie de leurs amants ne
saurait leur déplaire; elles la regardent comme un témoignage de l'amour
qu'elles leur inspirent, et si elle devient quelquefois désagréable,
elles la leur pardonnent aisément. Eh! comment persisteraient-elles à
trouver mauvais un effet provenu d'une cause si bonne et si belle!


Mieux vaut un vieux mari que point de mari.

C'est ce qu'on dit aux demoiselles qui, dépitées de ne pas trouver un
épouseur jeune, refusent d'en prendre un vieux, et c'est ce qu'elles
disent elles-mêmes lorsque l'expérience est venue leur démontrer qu'il
est beaucoup plus triste de vieillir fille que d'être la femme d'un
vieillard, beaucoup meilleur de devenir la femme d'un homme âgé que de
vieillir fille. En effet, si l'on établit un parallèle entre la vieille
fille et la femme mariée, on voit combien la situation de cette dernière
est plus avantageuse. Elle jouit d'abord dans la société d'une certaine
considération dont la vieille fille est privée; elle a les caresses de
ses enfants lorsqu'ils sont jeunes, et elle trouve encore en eux une
grande source de satisfaction lorsqu'ils sont vieux. Enfin, arrivée dans
un âge plus avancé, elle a pour la servir ces mêmes enfants qui lui
fermeront les yeux. Non-seulement la vieille fille s'est privée de tous
ces avantages; mais elle s'est condamnée à une solitude qui, sans cesser
jamais d'être pénible, lui fera passer ses derniers jours dans
l'amertume et les regrets.


Un homme riche n'est jamais trop vieux pour être le mari d'une jeune
fille.

S'il n'a pas assez de jeunesse ou de beauté pour plaire, il a assez d'or
pour se faire épouser, et ce que sa figure a de disgracieux s'efface et
s'embellit même sous les reflets du plus précieux des métaux, car, ainsi
que Boileau l'a dit très-élégamment dans sa satire VII:

    L'or même à la laideur donne un teint de beauté.

Par conséquent, il ne faut pas s'étonner qu'un vieux ou un laid qui se
présente comme épouseur sous les auspices de la déesse qu'Homère appelle
_Vénus dorée_, soit favorablement accueilli par une jeune et jolie
fille. Celle-ci pense moins aux inconvénients de son union avec lui
qu'aux avantages qu'elle espère en retirer. Elle va être affranchie de
la sujétion où ses parents la tiennent, et devenir maîtresse de maison;
elle disposera d'une grande fortune, elle aura de superbes équipages,
des écrins garnis de perles et de saphirs, des cachemires et des robes
magnifiques, enfin tout le splendide attirail de toilette que les Latins
appelaient _mundus muliebris_, «le monde féminin», sans doute en raison
de la quantité et de l'importance des objets qu'il comprend. L'idée
qu'elle se fait de sa nouvelle position l'enivre et l'éblouit; elle se
voit déjà la reine de la mode, et se flatte de trouver dans l'homme
cousu d'or, de qui elle est adorée, un trésorier inépuisable, toujours
prêt à payer les frais du luxe royal de ses atours.

Est-il possible qu'elle refuse un mariage qui lui ouvre un avenir si
merveilleux? Quelque innocente se rencontrerait peut-être capable de
résister aux séductions de l'opulence et de rester fidèle à un amant
pauvre que ses parents voulaient la forcer d'oublier; mais elle qui
n'aspire qu'à briller dans le monde, elle se gardera bien de cette
magnanimité de roman. Elle a étudié la question sous toutes les faces.
L'affaire lui paraît excellente, et elle n'a rien de plus pressé que de
la conclure. Peu lui importe qu'on la blâme de sacrifier les intérêts du
cœur à ceux de la vanité, en épousant un homme qu'elle ne saurait aimer.
Elle tient ce reproche pour une niaiserie sentimentale dont elle rit;
elle sait que _le mariage n'empêche pas d'aimer ailleurs_, et elle est
disposée à imiter le plus décemment possible la conduite de certaines
dames qui se prêtent à un mari et se donnent à un amant. C'est là
malheureusement ce qui se passe dans une société immorale, en la plupart
des cas où une jeune et jolie fille est unie à un vieux et laid magot.
Eh! pourrait-elle avoir, non-seulement le courage, mais le désir de
rester fidèle à un tel mari, lorsqu'elle est sans cesse poursuivie par
des adorateurs d'autant plus empressés qu'ils pensent que si elle s'est
laissée aimer par celui-là, elle se laissera bien aimer par d'autres.


Un mari doit faire carême-prenant avec sa femme, et Pâques avec son
curé.

Ce vieux proverbe, qui recommande d'être bon mari et bon chrétien, n'a
pas besoin d'être expliqué; mais il a besoin d'être rappelé au souvenir
des maris, car bien que ces messieurs n'ignorent pas ce qu'il signifie,
presque tous oublient ce qu'il les invite à faire _à tout le moins une
fois l'an_.


Le bon mari fait la bonne femme, et la bonne femme fait le bon mari.

Quand le mariage est l'association de deux personnes raisonnables, qui
s'aiment par inclination autant que par devoir, elles ont naturellement
l'une pour l'autre des égards, des attentions et des prévenances dont
l'effet est d'entretenir et d'accroître chez elles la confiance et
l'affection. Cet échange de soins quotidiens, cette fusion de pensées et
de sentiments, améliorent leur caractère individuel en le dégageant des
volontés égoïstes, et leur communiquent un nouveau caractère commun à
toutes deux, qui leur fait goûter les plus doux charmes de la sympathie.
Si le sort leur est contraire, elles n'éprouvent que la moitié des
peines; s'il leur est favorable, elles ont le double des plaisirs.

Voilà les vrais modèles des époux, toujours tranquilles et satisfaits
parce que chacun d'eux fait consister sa tranquillité et sa satisfaction
dans celles de son associé. Si les autres les imitaient, s'ils
travaillaient à se rendre mutuellement contents, on n'entendrait plus
tant de plaintes contre le mariage. Cet état est bon en soi, le malheur
vient de ceux qui le gâtent, et ils doivent s'en prendre à eux-mêmes
s'ils y trouvent une infinité de maux.

«Observez cette barque conduite par deux matelots: s'ils rament
ensemble, ils voguent doucement sur les flots agités; mais s'ils ne sont
pas d'accord, chaque vague produit une secousse, et tel coup d'aviron
donné à contre-sens pourrait faire chavirer leur frêle esquif.

«Le bateau est le mariage, les rameurs sont les deux époux; ils
naviguent sur le fleuve de la vie, et ce n'est qu'en unissant leurs
efforts qu'ils adoucissent les contrariétés du voyage.»

(Le duc de Lévis.)


Les anciens mauvais sujets font souvent les meilleurs maris.

Quelle peut être la cause de leur changement? Serait-ce qu'un sentiment
vrai, qu'ils n'avaient pas éprouvé jusqu'alors, viendrait les saisir, et
que le mariage, qui refroidit tant de cœurs, agirait sur le leur en sens
inverse? ou bien se feraient-ils un point d'honneur d'effacer par une
conduite exemplaire les désordres de leur vie passée? Du reste, quel que
soit le motif qui les détermine, on ne saurait nier qu'ils deviennent
assez souvent des maris indulgents, soigneux et fidèles. Il semble
qu'après avoir épuisé tous les vices d'une jeunesse galante et dissipée,
ils veuillent en donner la contre-partie dans leur âge mûr, et se
signaler par la pratique des vertus domestiques. On peut les comparer à
ces vins généreux dont les meilleurs sont ceux qui ont beaucoup
fermenté.

Malgré cela, je ne conseillerai jamais à une mère qui désire le bonheur
de sa fille de la donner en mariage à un ancien mauvais sujet.


Tous les maris contents danseraient sur le dos d'une assiette.

Et sans doute aussi toutes les épouses contentes, car il n'est point de
raison qui nécessite pour elles une plus grande salle de bal. Cette
hyperbole proverbiale a son analogue chez les Languedociens, qui disent:
«_Toutés lous maris që sou countens dansarien su lou cuou d'un veirë._
Tous les maris qui sont contents danseraient sur le cul d'un verre.»


Tous les maris ont besoin d'aller à Saint-Raboni.

Dicton à l'usage des femmes qui trouvent que les maris n'ont jamais pour
elles assez de bonté.

Saint Raboni, à qui l'on attribue une vertu analogue au nom qu'il porte,
c'est-à-dire la vertu de rabonnir le caractère marital, a été jadis
l'objet d'un culte fervent, quoiqu'il ne soit au paradis qu'un véritable
intrus, car il n'y figure que par un titre d'invention populaire que la
légende authentique ne reconnaît point. Mais n'importe; il n'en est pas
moins devenu le protecteur des épouses malheureuses, et c'est un article
de foi qu'il peut à son gré adoucir le naturel barbare de leurs _tyrans
domestiques_ ou les faire mourir au bout de l'année. On sait l'histoire
plaisante de celle qui s'était bornée à le prier d'amender le sien,
n'osant laisser aller son vœu plus loin. Comme elle vit mourir ce
mauvais garnement peu de temps après, elle s'écria en pleurant... de
joie: «Oh! le bon saint! le bon saint! il accorde plus qu'on ne lui
demande.»

Ce dicton, dont l'application, par une singularité notable, devient de
plus en plus rare, en raison inverse du fait de plus en plus multiplié
qui le réclame, a été rappelé dans une phrase du petit livre intitulé
_les Écosseuses, ou Œufs de Pâques_, publié à Troyes, chez la veuve
Oudot, en 1744. Voici cette phrase curieuse: «J'espère bien que mon
drôle _ira à Saint-Rabony_; qu'il ne donnera plus tant dans l'eau-de-vie
et dans la créature, et qu'il aura un peu plus de sacristie, etc.»


Les boiteux sont de bons maris.

Ou, comme on dit plus ordinairement, _de bons mâles_. C'est ce que
répondirent les Amazones aux Scythes, qui les engageaient à former avec
eux des liaisons matrimoniales, ajoutant qu'ils valaient beaucoup mieux
que les maris boiteux ou estropiés qu'elles prenaient, car ces femmes
guerrières, ayant usurpé le gouvernement sur les hommes et tenant à le
conserver, ne voulaient plus avoir dans leur pays que des hommes plus
faibles qu'elles, et incapables de leur résister. En conséquence elles
tordaient les jambes aux garçons qu'elles mettaient au jour, les
habituaient à se soumettre aux filles, les mariaient avec elles, et ne
leur imposaient d'autre service que celui du lit conjugal, service dont
ils s'acquittaient fort bien du reste, comme le prouve cette réponse
passée en proverbe chez les Grecs et chez les Latins.

Cependant leur célébrité en ce genre n'était pas fondée seulement sur le
fait cité, qui n'est après tout qu'une nouvelle forme de la tradition
mythologique d'après laquelle le boiteux Vulcain devint l'époux de Vénus
parce que les boiteux ont toujours été considérés, depuis les temps
primitifs, comme éminemment propres aux exploits amoureux. Elle est
fondée aussi sur des raisons physiques expliquées par Aristote dans le
vingt-sixième de ses problèmes, section X. Érasme a reproduit ces
raisons en commentant le proverbe _claudus optime virum agit_, et
Montaigne les a rappelées en son livre III, au chapitre XI, intitulé
_des Boiteux_, où il cite un proverbe italien qui attribue la même
propriété aux boiteuses, et les déclare préférables sous ce rapport à
toutes les autres femmes. Voyez les auteurs indiqués.


Les maris et les amants voient souvent la lune à gauche.

J'emprunterai encore l'explication de ce dicton, moins quelques lignes,
à mes _Études sur le langage proverbial_.

Les astronomes de l'antiquité ont déterminé la droite et la gauche du
monde par la droite et la gauche d'une personne qui a le visage tourné
vers le midi. L'orient, dit Pline le naturaliste, est à la gauche du
monde.

D'après cela, _voir la lune à gauche_, c'est, au propre, la voir quand
elle est dans son décours, phase où elle montre les cornes, et, au
figuré, c'est éprouver certaine infortune dont les cornes sont le
symbole. Tel est le sens métaphorique que Mme de Sévigné paraît avoir
attaché à cette locution dans la phrase suivante: «Montgobert m'a conté
plaisamment les manœuvres de la belle Iris et les jalousies de M. le
comte: je crois qu'_il verra la lune à gauche_ avec cette belle.»
(Lettre 601 de l'édition de Grouvelle.)

Il n'est pas nécessaire de dire pourquoi il s'agit ici de la gauche, car
personne n'ignore que les phénomènes qui se présentent de ce côté ont
été presque toujours réputés de mauvais augure. Mais il est à propos
d'observer que cette superstition a été, dans les temps les plus
reculés, le fondement de la doctrine astrologique qui attribue au
décours de la lune, ou au quatrième quartier de la lune, des influences
funestes sur les naissances, et qui a donné lieu à la locution
proverbiale: _être né à la quatrième lune_, que les Grecs et les Latins
appliquaient à un homme malheureux et qu'ont employée plusieurs de nos
vieux écrivains, entre autres Yver dans la phrase que voici: «Voyant
tous ses efforts succéder si à rebours qu'il semblait _né à la quatrième
lune_.» (_Le Printemps d'Yver_, hist. III).

Érasme n'a pas donné la véritable origine de cette locution en la
rapportant aux épreuves et aux malheurs qu'eut à subir Hercule, qui
était né à la quatrième lune. Il a pris l'effet pour la cause, car il
est certain que la naissance de ce héros fabuleux n'a été placée au
quatrième ou dernier quartier de la lune qu'en raison de l'opinion
astrologique dont j'ai parlé.


La lune de miel.

On appelle ainsi le premier mois du mariage, où l'on suppose que tout
est douceur pour les époux.

Cette expression est prise du proverbe arabe: _La première lune après le
mariage est de miel, et celles qui la suivent sont d'absinthe_. Ces
dernières, Honoré de Balzac, dans sa _Physiologie du mariage_, les nomme
des _lunes rousses_, et il ajoute qu'elles sont terminées par une
révolution qui les change en un croissant.

C'est le cas de s'écrier avec Dante:

          _O buon principio
    A che vil fine convien che tu caschi._

(_Parad._, cant. XXVII.)

  O bon commencement, à quelle ignoble fin faut-il que tu tombes.


Les époux qui s'aiment se disent mille choses sans se parler.

On pense que ce proverbe a besoin d'errata, et qu'il faut y mettre les
amants à la place des époux qui s'aiment, attendu qu'il ne saurait être
appliqué à ces derniers, disparus entièrement de ce monde depuis de
longues années. Mais pourquoi est-il resté en usage dans des
conjonctures où il n'avait plus aucune raison d'être; aurait-on eu
l'intention de le conserver pour faire croire aux béatitudes conjugales
du temps jadis? C'est une opinion qui a ses partisans, mais qui est
contredite par une autre, d'après laquelle l'hommage posthume rendu aux
époux qui s'aiment aurait été l'œuvre de quelques époux qui ne
s'aimaient point; ceux-ci ont voulu, dit-on, faire prendre le change sur
l'habitude qu'ils ont de ne se rien dire en s'ennuyant de compagnie, et
ils ont cherché à faire accroire les uns aux autres que cette habitude
n'était que l'effet d'un recueillement de tendresse; et voilà comment le
mutisme de l'ennui est parvenu à passer pour cette disposition tendre et
rêveuse qu'on peut nommer avec saint Jérôme: _Silentium loquens_ (un
silence parlant); ou avec Montaigne: Un taire parlier.--Si ce n'est
vrai, c'est du moins bien trouvé: _Se non è vero, è bene trovato._


Une jeune épouse veut être choyée comme la femme d'un prêtre russe.

La religion russe a fait du mariage une condition indispensable du
sacerdoce; elle oblige les séminaristes, ordonnés popes ou prêtres, de
se marier avant d'exercer leur ministère; et, s'ils deviennent veufs,
elle leur défend de se remarier. Il faut alors qu'ils résignent leur
cure et qu'ils se retirent dans un couvent où ils achèvent leur triste
vie séparés de leurs enfants, abandonnés peut-être à la charité
publique: tel est le malheureux sort auquel le veuvage livre ces pauvres
desservants des paroisses de campagne. Comme ils savent tout ce qu'ils
auraient à souffrir s'ils perdaient leur femme, chacun d'eux veille à la
conservation de la sienne avec une attention extrême. Il lui passe
toutes ses fantaisies, tous ses caprices, de peur de la rendre malade en
la contrariant. Il la distrait de ses ennuis, la console de ses peines,
prévient les désirs qu'elle peut former, l'entoure des soins les plus
empressés, les plus assidus, les plus affectueux.

C'est ainsi qu'à force de tendresse il fait, de cette humble femme, un
être privilégié, objet de l'envie de plus d'une grande dame de son pays
qui voudrait posséder comme elle l'heureux don d'inspirer un si grand
amour à son époux et d'exercer sur lui un si grand empire. Mais, hélas!
ce ne sont point les épouses qui peuvent plier les époux à des habitudes
de popes et se faire choyer par eux comme des popesses. Elles
n'obtiennent point ces avantages, qu'elles désirent si ardemment, et
c'est vraiment dommage; car il serait bien curieux de voir comment elles
s'y prendraient pour ne pas en abuser.

La comparaison proverbiale dont je viens de donner l'origine et
l'explication est en usage en Russie depuis plusieurs siècles; elle n'a
été importée en France qu'à l'époque de la Restauration, où quelque bel
esprit du temps l'a enchâssée dans la formule inscrite en tête de cet
article.

J'ajouterai, pour le lecteur curieux de savoir ce que devient la popesse
qui survit à son mari, que le veuvage lui est funeste: elle est forcée
de quitter le presbytère et le petit domaine qui l'environne; il n'y a
plus pour elle que misères et que douleurs, et le seul espoir qui lui
reste est de trouver quelque séminariste qui, pressé d'entrer dans les
fonctions sacerdotales, ne dédaigne pas de l'épouser.


Les époux trop ardents sont comme deux tisons qui se consument vite l'un
l'autre, quand ils sont rapprochés.

Cette comparaison pittoresquement triviale s'emploie pour faire entendre
aux époux qu'ils doivent mettre une certaine modération dans les
jouissances des sens, qui s'useraient bientôt par leurs excès et
produiraient des résultats fâcheux qu'il leur importe de prévenir.

«C'est une religieuse liaison et dévote que le mariage, dit Montaigne:
voylà pourquoy le plaisir qu'on en tire, ce doibt estre un plaisir
retenu, sérieux et meslé à quelque severité; ce doibt estre une volupté
aulcunement prudente et consciencieuse.» (_Essais_, liv. I. chap. XXIX.)

L'état conjugal est de sa nature grave et raisonnable; néanmoins il faut
qu'il intéresse le cœur. Mais ce n'est pas dans une passion ardente et
passagère qu'il fait consister l'intérêt du cœur; c'est dans un
sentiment calme et durable, et ce sentiment est un amour d'une espèce
particulière, non l'amour proprement dit.

    Non cet amour que le caprice allume,
    Ce fol amour qui par un doux poison
    Enivre l'âme et trouble la raison,
    Et dont le miel est suivi d'amertume;
    Mais ce penchant par l'estime épuré,
    Qui ne connaît ni transports ni délire,
    Qui sur le cœur exerce un juste empire,
    Et donne seul un bonheur assuré.

(Parny, _le Réveil d'une mère_.)

Je n'examine point quel mauvais calcul fait un mari qui commence par
prodiguer à sa femme les témoignages d'une passion dont l'ardeur se
refroidit si promptement, ni quels sont les inconvénients de ce rôle
qu'il lui est impossible de soutenir. Je remarquerai seulement que
l'amour proprement dit, qui s'éteint dans la jouissance, est
incompatible avec le mariage, et je citerai encore un passage de
Montaigne sur ce sujet: «Le mariage a pour sa part l'utilité, la
justice, l'honneur et la constance; un plaisir plat mais plus universel:
l'amour se fonde au seul plaisir et l'a, de vray, plus chastouilleux,
plus vif et plus aigu; un plaisir attizé par la difficulté; il y fault
de la picqueure et de la cuisson: ce n'est plus amour s'il est sans
flèches et sans feu. La libéralité des dames est trop profuse (prodigue)
au mariage, et esmousse la pointe de l'affection et du desir. Pour fuyr
à cet inconvénient, voyez la peine qu'y prennent en leurs loix Lycurgue
et Platon.» (_Essais_, liv. III, chap V.)


Rester pour coiffer sainte Catherine.

C'était autrefois l'usage, en plusieurs provinces, le jour où une jeune
fille se mariait, de confier à une de ses amies, qui désirait faire
bientôt comme elle, le soin d'arranger la coiffure nuptiale, dans l'idée
superstitieuse que, cet emploi portant toujours bonheur, celle qui le
remplissait ne pouvait manquer d'avoir, à son tour, un époux avant la
fin de l'année. Et l'on trouve encore au village plus d'une jouvencelle
qui, sous l'influence de cette superstition toujours existante, prend
secrètement ses mesures afin d'attacher la première une épingle au
bonnet d'une fiancée. Or, comme un tel usage n'a jamais pu être observé
à l'égard d'aucune des saintes connues sous le nom de Catherine,
puisque, d'après la remarque des légendaires, toutes sont mortes
vierges, on a pris de là occasion de dire qu'une vieille fille _reste
pour coiffer sainte Catherine_; ce qui signifie, en développement, qu'il
n'y a chance pour elle d'entrer en ménage qu'autant qu'elle aura fait la
toilette de noces de cette sainte, condition impossible à remplir.

Cette explication, qui m'a été communiquée, m'a paru bonne à rapporter,
à cause des faits assez curieux qu'elle rappelle; mais elle est un peu
trop compliquée, et je ne crois pas qu'elle doive être admise. En voici
une autre plus simple, fondée sur l'ancienne coutume d'habiller et de
coiffer les statues des saintes dans les églises. Comme on ne
choisissait que des vierges pour coiffer sainte Catherine, la patronne
des vierges, il fut tout naturel de considérer ce ministère comme
perpétuellement assigné à celles qui vieillissaient sans espoir de
mariage, après avoir vu toutes les autres se marier.

Les Anglais disent dans le même sens: «_To carry a weeping willow
branch._ Porter la branche du saule pleureur,» parce que le saule,
emblème de la mélancolie, est particulièrement regardé, en Angleterre,
comme l'arbre de l'amour malheureux, opinion confirmée par la vieille
romance du _Saule_, dans laquelle gémit une amante abandonnée.

Ils disent aussi: _Conduire des singes en enfer_, pour signifier
vieillir fille. Cette expression singulière, employée par Shakespeare
dans la _Méchante Femme mise à la raison_ (acte II, scène I), et dans
_Beaucoup de bruit pour rien_ (acte II, scène I), est prise de leur
vieux proverbe: _Les vieilles filles conduisent les singes en enfer._ Ce
qui vient peut-être de la supposition très-impertinente que les vieilles
filles ne peuvent tenter que des singes.


FIN.



TABLE ALPHABÉTIQUE

DES PROVERBES

EXPLIQUÉS DANS CE VOLUME.


_N.-B._--L'astérisque * marque les proverbes français ou étrangers qui
n'ont pas de commentaire particulier.


ABSENCE.

  Un peu d'absence fait grand bien                                   201
  *L'absence est un moyen de se rapprocher                           202
  *L'absence est à l'amour ce qu'est au feu le vent                  203
  L'absence est l'ennemie de l'amour                                 204
  L'absence est pire que la mort                                     204


AFFECTION.

  L'affection aveugle la raison                                      187
  On voit toujours par les yeux de son affection                     188


AIMER.

  Aime comme si tu devais un jour haïr                               118
  On ne s'aime bien que quand on n'a plus besoin de se le dire       119
  Qui aime bien châtie bien                                          120
  Qui m'aime me suive                                                121
  Quand on n'a pas ce qu'on aime, il faut aimer ce qu'on a           122
  Qui s'aime trop n'est aimé de personne                             123
  *Qui s'aime trop s'aime sans rival                                 123
  Aime-moi un peu, mais continue                                     124
  Qui aime Bertrand aime son chien                                   125
  *Les blessures faites par celui qui aime valent mieux que les
    baisers trompeurs de celui qui hait                              135
  Qui bien aime tard oublie                                          198
  *Il fait bon voir vaches noires en bois brûlé, quand on aime       198
  Qui aime vilement s'avilit                                         199
  Un cheveu de ce qu'on aime tire plus que quatre bœufs              200
  *Qui n'est point jaloux n'aime point                               232
  *Peu aime qui ne fait dépenses                                     210
  *Peu aime qui n'est pas sujet à la tristesse                       223
  *Qui est aimé d'une belle femme est à l'abri des coups du sort     200
  Il faut connaître avant d'aimer                                    117
  *S'aimer peu à la fois afin de s'aimer longtemps                   124
  Il faut aimer pour être aimé                                       189
  C'est trop aimer quand on en meurt                                 188
  Feindre d'aimer est pire qu'être faux monnayeur                    191
  Mieux vaut aimer bergères que princesses                           191
  Aimer à la franche marguerite                                      192
  S'aimer comme deux tourterelles                                    193
  S'aimer comme Robin et Marion                                      195
  On ne peut aimer et être sage tout ensemble                        195
  Aimer n'est pas sans amer                                          196
  Qui ne sait pas céler ne sait pas aimer                            196
  Aimer mieux de loin que de près                                    197
  *Aimer jusqu'aux taches et aux verrues de sa belle                 285


AMANT.

  *Tout amant est fou                                                196
  L'âme d'un amant vit dans un corps étranger                        207
  L'amant se transforme en l'objet aimé                              207
  L'amant écoute du cœur les prières de sa belle                     208
  La bourse d'un amant est liée avec des feuilles de poireau         208
  Querelles d'amants, renouvellement d'amour                         210
  Les amants qui se disputent s'adorent                              211
  Le mouvement des yeux est le langage des amants                    212
  C'est tous les jours la fête du regard pour les amants             212
  Il est un dieu pour les amants                                     214
  Grands, vignes et amants trompent dans leurs serments              214


AMI.

  Au besoin on connaît l'ami                                         125
  Le faux ami ressemble à l'ombre du cadran                          126
  Rien de plus commun que le nom d'ami, rien de plus rare que la
    chose                                                            127
  Qui cesse d'être ami ne l'a jamais été                             129
  Un bon ami vaut mieux que cent parents                             129
  Le frère est ami de nature, mais son amitié n'est pas sûre         130
  On peut vivre sans frère, mais non sans ami                        130
  Un ami est un autre nous-même                                      131
  Un ami fidèle est la médecine de la vie                            132
  *L'arbre se dessèche quand il n'est revêtu ni d'écorce ni de
    feuillage: ainsi est l'homme sans ami                            133
  *Pourquoi Dieu a-t-il donné une ombre au corps? C'est pour qu'en
    traversant le désert ses yeux se reposent sur elle, etc.         133
  Il faut être fringant à l'ami                                      133
  Un ami pour l'autre veille                                         133
  Il n'est si bon conseil que d'ami                                  134
  *Conseil d'ami, conseil de Dieu                                    134
  Si ton ami te frappe baise sa main                                 134
  *Coups d'ami, coups chéris                                         134
  Un vieil ami est une seconde conscience                            135
  Il n'y a pas de plus fidèle miroir qu'un vieil ami                 135
  On ne peut dire ami celui avec qui on n'a pas mangé un minot de
    sel                                                              135
  Qui est ami de tous ne l'est de personne                           136
  A nul n'est vrai ami, qui de soi-même est ennemi                   136
  Un ami en amène un autre                                           137
  *L'ami de mon ami est le bienvenu                                  137
  Un ami n'est pas sitôt fait que perdu                              137
  Ami jusqu'aux autels                                               138
  Qui n'est pas grand ennemi, n'est pas grand ami                    138
  A l'ami soigne le figuier, à l'ennemi soigne le pêcher             140
  *A l'ami on pèle la figue, à l'ennemi la pêche                     141
  Ce qui tombe en poche d'ami n'est pas perdu pour nous              142
  Il vaut mieux perdre un bon mot qu'un ami                          143
  *Fi de l'ami qui couvre des ailes et déchire du bec                144
  Ami de Platon, mais plus ami de la vérité                          144
  Il n'est meilleur ami ni parent que soi-même                       144
  A l'ami qui demande on ne dit pas: Demain                          145
  *Si ton ami est de miel, ne le mange pas tout entier               184
  Il faut se défier d'un ami réconcilié                              145
  *Ami réconcilié, ennemi redoublé                                   145
  *Ami rompu peut être soudé, mais il n'est jamais sain              183
  Ami au prêter, ennemi au rendre                                    146
  *Qui prête à son ami perd au double                                146
  *Le moyen de perdre un ami, c'est de lui prêter de l'argent        146
  Sage ami et sotte amie                                             147
  Jamais honteux n'eut belle amie                                    148
  Mieux vaut donner à un ennemi qu'emprunter à un ami                149
  Qui veut garder son ami n'ait aucune affaire avec lui              149
  *Bois et mange avec ton ami, mais n'aie jamais d'affaire avec
    lui                                                              150
  N'accorde point ta confiance à un ami dissimulé                    150
  *Un trésor n'est pas un ami, mais un ami est un trésor             161
  *Un frère est un ami qui nous est donné par la nature              170
  *Un parent est une partie de notre corps, un ami est une partie
    de notre âme                                                     171
  *Flatter un ami c'est lui verser du poison dans une coupe d'or     177
  *L'homme qui tient à son ami un langage flatteur et déguisé tend
    un filet à ses pieds                                             177
  *L'ami fidèle est une forte protection                             184
  *Vieil ami, chose toujours nouvelle                                177
  *Mieux vaut manquer d'argent que d'ami                             161
  *Ne fais pas des amis trop promptement                             118
  *Le moyen de faire des amis qu'on puisse garder longtemps, c'est
    d'être longtemps à les faire                                     118
  *On connaît les bonnes sources dans la sécheresse, et les bons
    amis dans l'adversité                                            126
  *Les amis ont le naturel du melon, etc.                            127
  *Beaucoup de parents et peu d'amis                                 129
  *Le sort fait les parents, le choix fait les amis                  129
  *Pluralité d'amis, nullité d'amis                                  136
  *Avant de se faire des amis, il faut commencer à devenir le sien   137
  Vieux amis et comptes nouveaux                                     150
  Les bons comptes font les bons a mis                               150
  *Comptes clairs, amis chers                                        151
  Il ne faut pas compter avec ses amis                               151
  Entre amis tout doit être commun                                   152
  Qui vit sans amis ne sera pas longtemps sage                       152
  Qui choisit mal ses amis ne sera pas longtemps sage                153
  Le pire de tous les pays est celui où l'on n'a pas d'amis          153
  Qui te conseille d'ôter la confiance à tes amis veut te tromper
    sans témoins                                                     154
  Il faut aimer ses amis avec leurs défauts                          155
  Bien servir fait amis, et vrai dire ennemis                        155
  On ne peut vivre sans amis                                         156
  Il faut louer tout bas ses amis                                    157
  Il faut dire la vérité à ses amis                                  158
  Vieux amis, vieux écus                                             159
  On ne saurait avoir trop d'amis                                    160
  Les amis de nos amis sont nos amis                                 160
  *Mille amis c'est peu, un ennemi c'est beaucoup                    160
  Mieux vaut amis en voie que deniers en courroie                    161
  Il est bon d'avoir des amis partout                                162
  *Avoir des amis en paradis et en enfer                             162
  Les gens riches ont beaucoup d'amis                                163
  *Les pauvres n'ont point d'amis                                    163
  Les amis par intérêt sont des hirondelles sur les toits            163
  Un homme mort n'a ni parents ni amis                               163
  On ne doit pas servir ses amis à plats couverts                    164
  On ne doit pas se gêner avec ses amis                              165
  Dieu me garde de mes amis, je me garderai de mes ennemis           166
  Les amis sont les trésors des rois                                 167
  Il faut qu'un roi ait beaucoup d'amis et peu de confidents         167
  Il faut se dire beaucoup d'amis et s'en croire peu                 168
  Il ne faut pas mettre ses amis à tous les jours                    168
  Il faut éprouver les amis aux petites occasions, et les employer
    aux grandes                                                      169
  Il faut choisir ses amis dans sa famille                           169
  Les amis sont du choix de l'homme, les parents sont du choix de
    Dieu                                                             173
  *La table fait les amis                                            178


AMITIÉ.

  *Le malheur est la pierre de touche de l'amitié                    126
  *Compte et calcul entretiennent l'amitié                           151
  *L'amitié compte par tonneaux, et le commerce par grains           151
  *Il ne faut pas rincer avec du vinaigre la coupe de l'amitié       156
  *L'amitié est plus nécessaire que le feu et l'eau                  156
  *La sincérité est le sacrement de l'amitié                         159
  Bonne amitié est une autre parenté                                 170
  *La véritable amitié ressemble à la parenté la plus rapprochée     170
  Bonne amitié vaut mieux que parenté                                171
  Les couteaux coupent l'amitié                                      173
  Ne te fie pas à l'amitié d'un bouffon                              174
  L'amitié est un pacte de sel                                       175
  Il faut que l'amitié nous trouve ou nous fasse égaux               176
  *L'amitié est la sympathie de deux âmes égales                     176
  *L'amitié disparaît où l'égalité cesse                             176
  La flatterie est le poison de l'amitié                             176
  Le plus bel âge de l'amitié est sa vieillesse                      177
  *L'amitié est un plaisir qui s'accroît à mesure qu'il vieillit     177
  Les petits présents entretiennent l'amitié                         178
  La table est l'entremetteuse de l'amitié                           178
  Il ne faut pas laisser croître l'herbe sur le chemin de l'amitié   179
  *Visite rare accroît l'amitié                                      180
  *Des visites trop fréquentes useraient l'amitié                    180
  L'amitié fait plus de bons ménages que l'amour                     181
  L'amitié qui naît de l'amour vaut mieux que l'amour même           181
  L'amitié confie son secret, mais il échappe à l'amour              182
  L'amitié rompue n'est jamais bien soudée                           183
  *L'amitié rompue ne se renoue pas sans que le nœud paraisse ou
    se sente                                                         183
  Le respect et la déférence sont les liens de l'amitié              183
  Bonne amitié vaut mieux que tour fortifiée                         183
  L'amitié doit se contracter à frais communs                        184
  Il faut découdre et non déchirer l'amitié                          185
  Amitié de gendre                                                   185
  *Amitié de gendre, soleil d'hiver                                  185
  *Amitié de brus et de gendres, lessives sans cendres               185
  Les amitiés devraient être immortelles, et mortelles les
    inimitiés                                                        186


AMOUR.

  *L'amour et la haine mettent un voile devant les yeux              187
  *Mort d'amour et d'une fluxion de poitrine                         190
  *L'amour après la colère est plus agréable                         210
  L'amour vient sans qu'on y pense                                   216
  Amour et mort, rien n'est plus fort                                217
  L'amour fait perdre le repos et le repas                           217
  *Qui a l'amour au cœur a l'éperon aux flancs                       218
  L'amour le plus parfait est le plus malheureux                     218
  En amours les apprentis en savent autant que les maîtres           219
  L'amour naît à la première vue                                     219
  *L'amour naît du regard                                            219
  Le coup de foudre en amour                                         220
  L'amour est une fièvre au rebours                                  220
  Il faut être fou en amour                                          221
  Louange engendre amour                                             221
  L'amour est la seule maladie dont on n'aime pas à guérir           222
  Beaux pleurs d'amour valent mieux que ses ris                      223
  L'amour est la clef du mérite et un étang de prouesses             224
  L'homme sans amour ne vaut pas mieux que l'épi sans grain          225
  L'amour excite aux grandes prouesses                               225
  *L'amour fait les héros                                            225
  L'amour est le revenu de la beauté                                 226
  Courtoisie fait amour durer                                        227
  En amour mieux vaut espérer que tenir                              227
  L'amour ne peut rien refuser à l'amour                             228
  L'amour égalise toutes les conditions                              228
  L'amour rapproche les distances                                    229
  L'amour et la crainte ne mangent pas à la même écuelle             229
  Amour et seigneurie ne souffrent compagnie                         230
  *L'amour et l'ambition ne souffrent point de compagnon             230
  Il ne faut pas jouer avec le feu ni avec l'amour                   231
  Il n'y a point d'amour sans jalousie                               232
  *La vraie jalousie fait toujours croître l'amour                   232
  *La jalousie est la sœur de l'amour                                232
  *La jalousie naît de l'amour, comme la cendre du feu, pour
    l'étouffer                                                       232
  Il n'y a pas d'amour sans espérance                                233
  Plus l'amour vient tard, plus il ard                               234
  *L'amour est comme la petite vérole, qui fait d'autant plus de
    mal qu'elle vient plus tard                                      235
  Rien ne se rallume si vite que l'amour                             235
  En amour, un blessé guérit l'autre                                 236
  L'amour est comme la lance d'Achille, qui blesse et guérit         236
  La petite oie de l'amour                                           237
  L'amour est un grand maître                                        238
  *L'amour est inventif                                              238
  L'amour fait porter selle et bride aux plus grands clercs          239
  L'amour ôte le deuil                                               243
  En amour, trop n'est pas assez                                     244
  Plus l'amour est nu, moins il a froid                              245
  *Qui se prend avec amour, se quitte avec rage                      283
  Faire l'amour en toute saison est ce qui distingue l'homme des
    bêtes                                                            246
  L'amour et la pauvreté font mauvais ménage ensemble                247
  *Quand la pauvreté entre par la porte, l'amour s'envole par la
    fenêtre                                                          247
  Les lunettes sont des quittances d'amour                           248
  L'amour ne loge point sous le toit de l'avarice                    250
  La faim fait oublier l'amour                                       250
  Sans pain ni vin, l'amour est vain                                 251
  *Vive l'amour, mais que je dîne                                    251
  *Vive l'amour après dîner                                          251
  Après l'amour le repentir                                          251
  On fait l'amour, et, quand l'amour est fait, c'est une autre
    paire de manches                                                 252
  Vieil amour, vieille prison                                        253
  L'amour meurt rarement de mort subite                              254
  Il n'y a qu'un pas de l'amour à la dévotion                        255
  Quand l'amour s'en va, c'est pour ne plus revenir                  256
  *Le temps et non la volonté met fin à l'amour                      255
  Un nouvel amour en remplace un ancien, comme un clou chasse
    l'autre                                                          256
  L'amour fait passer le temps, et le temps fait passer l'amour      258
  Le succès trop facile rend l'amour méprisable                      259
  L'amour apprend les ânes à danser                                  259
  L'amour porte avec soi la musique                                  260
  *L'amour enseigne la musique                                       260
  *Amour engendre poésie                                             260
  L'amour est comme un flambeau, plus il est agité, plus il brûle    260
  L'amour et la gale ne se peuvent cacher                            263
  *L'amour et la toux ne se peuvent celer                            263
  *L'amour et le musc ne peuvent rester ignorés                      263
  *La pauvreté et l'amour sont difficiles à cacher                   263
  L'amour divulgué est rarement de durée                             264
  Le secret est la garde la plus assurée de l'amour                  264
  *Secret, vin et amour ne valent rien, quand ils sont éventés       264
  L'amour est le frère de la guerre                                  265
  L'amour est le frère de la haine                                   266
  A battre faut l'amour                                              267
  Heureux au jeu, malheureux en amour                                269
  *Malheureux au jeu, heureux en amour                               270
  Filer le parfait amour                                             270
  L'amour se paye par l'amour                                        270
  Plus il y a paroles en amour et moins y sied                       271
  L'amour s'introduit sous le nom de l'amitié                        271
  Un sot va plus vite et plus loin en amour qu'un homme d'esprit     273
  L'amour est de tous les âges                                       274
  L'amour fait les vieilles trotter                                  274
  L'amour est roi des jeunes gens et tyran des vieillards            275
  L'amour sied bien aux jeunes gens, et déshonore les vieillards     275
  Lorsqu'un vieux fait l'amour, la mort court à l'entour             277
  Vieillard qui fait l'amour, est un agonisant en chemise de noces   277
  Amour se nourrit de jeune chair                                    277
  L'amour n'a point de règle                                         278
  Le plaisir est le tombeau de l'amour                               279
  *Le plaisir est fils de l'amour, mais c'est un fils ingrat qui
    fait mourir son père                                             279
  *Ce n'est pas la nature qui rend la femme belle, c'est l'amour     284
  L'amour des parents descend, et ne remonte pas                     279
  Le cœur d'une mère est le miracle de l'amour                       280
  Tendresse maternelle toujours se renouvelle                        282
  *Amour de mère est toujours nouveau                                283
  *Donner le gage d'amour sans fin                                   368
  *Les plus parfaites amours réussissent le moins                    218
  *Vieilles amours et vieux tisons s'allument en toutes saisons      235
  *Les amours s'en vont, et les douleurs demeurent                   251
  Froides mains, chaudes amours                                      283
  *Chaudes mains, froides amours                                     283
  Amours qui commencent par anneaux finissent souvent par couteaux   283
  Il n'y a point de laides amours                                    284
  Il n'y a point de belle prison ni de laides amours                 286
  Il n'y a point d'éternelles amours ni de félicité parfaite         286
  On revient toujours à ses premières amours                         286
  Que la nuit me prenne là où sont mes amours!                       287
  D'oiseaux, de chiens, d'armes, d'amours, pour un plaisir mille
    douleurs                                                         288
  L'amour et le médecin                                              305


AMOURETTE.

  *La manche est signal d'amourette                                  253
  Sont aussi bien amourettes, sous bureaux comme sous brunettes      289


AMOUREUX.

  Un amoureux est toujours craintif                                  289
  Amoureux transi                                                    290
  Amoureux des onze mille vierges                                    291
  Le riche s'attriste pendant que l'amoureux danse                   293
  Les tisons relevés chassent les amoureux                           293


ANE.

  *Quand il n'y a pas de foin au râtelier, les ânes se battent       248


ARISTOTE.

  Faire le cheval d'Aristote                                         242


BEAU.

  *L'objet qu'on aime est toujours beau                              284
  *N'est pas beau ce qui est beau, mais est beau ce qui agrée        284


BELLE.

  Les belles ne sont pas pour les beaux                              215
  Ce ne sont pas les plus belles qui font les grandes passions       215


BOIS.

  *Le bois sec brûle mieux que le bois vert                          235
  Bois vert se consume en fumée, bois vieux ne fait plus de
    chaleur                                                          334


CATHERINE.

  Rester pour coiffer sainte Catherine                               388


CÉLADON.

  C'est un Céladon                                                   295


CHANDELLE.

  *De nuit, à la chandelle, l'ânesse paraît demoiselle à marier       61
  *Belle à la chandelle                                               61
  Allumer la chandelle à quatre cornes                               341


CHAT.

  La nuit, tous les chats sont gris                                   61


CŒUR.

  Cœur oublie ce qu'œil ne voit                                      205
  Loin des yeux et loin du cœur                                      205
  Les yeux sont messagers du cœur                                    205
  Le cœur ne vieillit pas                                            206
  Le cœur n'a point de rides                                         206
  *Le cœur d'un père est dans son fils, le cœur d'un fils est dans
    la pierre                                                        280


COUVADE.

  Faire la couvade                                                    59


ÉPOUSAILLES.

  *La messe des épousailles est une extrême-onction                  313


ÉPOUX.

  Les époux qui s'aiment se disent mille choses sans se parler       384
  Une jeune épouse veut être choyée comme la femme d'un prêtre
    russe                                                            385
  Les époux trop ardents sont comme deux tisons qui se consument
    vite l'un l'autre, quand ils sont rapprochés                     386


ESCARGOT.

  *L'escargot, pour se délivrer d'inquiétude, échangea ses yeux
    contre des cornes                                                372


FEMME.

  Il faut trente qualités à une femme pour être parfaitement belle     1
  Il faut choisir une femme avec les oreilles plutôt qu'avec les
    yeux                                                               2
  *La femme sage et pudique a une grâce au-dessus de toute grâce       3
  Maison faite et femme à faire                                        3
  *Cheval fait et femme à faire                                        3
  Il faut être le compagnon et non le maître de sa femme               3
  *La nature a soumis la femme à l'homme, mais la nature ne
    connaît point d'esclaves                                           4
  Rien n'est meilleur qu'une bonne femme                               5
  *Une bonne femme est le plus grand bienfait de la Providence         5
  *Qui a trouvé une bonne femme a trouvé le bien par excellence        6
  *Heureux le mari d'une bonne femme, car le nombre de ses années
    est doublé                                                         6
  *La femme est un mets digne des dieux, quand le diable ne
    l'assaisonne pas                                                   6
  Qui de femme honnête est séparé, d'un don divin est privé            6
  *La bonne conduite de la femme est un don de Dieu                    6
  La femme fait la maison                                              7
  La femme fait ou défait la maison                                    7
  La plus honnête femme est celle dont on parle le moins               7
  *La femme la mieux louée est celle dont on ne parle pas              8
  *Cette femme fait parler d'elle                                      8
  La bonne femme n'est jamais oisive                                   9
  *Le phénix est une femme oisive et sage à la fois                    9
  Prends le premier conseil d'une femme, et non le second             11
  *Si la raison de l'homme vient de la vie et de la science, celle
    de la femme vient de Dieu                                         11
  Ce que femme veut, Dieu le veut                                     12
  Il n'est plus fort lien que de femme                                13
  La plus belle femme ne peut donner que ce qu'elle a                 13
  Il n'est attention que de vieille femme                             14
  La femme est toujours femme                                         15
  La femme est un oiseau qu'on ne tient que par le bout de l'aile     16
  Foi de femme est plume sur l'eau                                    16
  *Ne vous fiez pas aux promesses de la femme, car son cœur a été
    fait tel que la roue qui tourne                                   17
  *Amitié des grands, soleil d'hiver et serments d'une femme, sont
    trois choses qui n'ont pas de durée                               17
  *Qui prend l'anguille par la queue et la femme par la parole
    peut dire qu'il ne tient rien                                     17
  L'amour d'une femme est un sable mouvant sur lequel on ne peut
    bâtir que des châteaux en Espagne                                 18
  Il ne faut pas se fier à femme morte                                18
  Si la femme était aussi petite qu'elle est bonne, il suffirait
    d'une feuille de persil pour lui faire un habillement complet
    et une couronne                                                   19
  Femme rit quand elle peut et pleure quand elle veut                 19
  Larmes de femme, assaisonnement de malice                           19
  Caresses de femme, caresses de chatte                               20
  *Rien de plus dangereux qu'une femme qui emploie les caresses       20
  La femme sait un art avant le diable                                21
  *Jamais femme n'a gâté sa cause par son silence                     21
  L'homme est de feu, la femme d'étoupe, le diable vient qui
    souffle                                                           21
  Ce que diable ne peut, femme le fait                                22
  Le renard en sait beaucoup, mais une femme amoureuse en sait
    davantage                                                         23
  La femme est une araignée                                           23
  L'œil de la femme est une araignée                                  24
  Prends femme, Jean, et dors tant que tu voudras, car elle saura
    bien te réveiller                                                 24
  *Que celui qui ne sait se donner d'occupation prenne femme          24
  Fou est le jaloux qui tente de garder sa femme                      24
  Une bonne femme est une mauvaise bête                               26
  Bonne femme, mauvaise tête; bonne mule, mauvaise bête               26
  *Bonne femme et bonne mule, deux mauvaises bêtes                    26
  La femme ne doit pas apporter de tête dans le ménage                27
  La femme ne doit pas avoir une tête à elle                          27
  *Heureux ménage quand la femme est sans volonté, etc.               28
  La bonne femme est celle qui n'a point de tête                      28
  Le cerveau de la femme est fait de crème de singe et de fromage
    de renard                                                         29
  Corps de femme et tête de diable                                    30
  La femme et la poule se perdent pour trop courir                    31
  *La femme doit être sédentaire                                      31
  Temps pommelé et femme fardée ne sont pas de longue durée           32
  Soleil qui luisarne au matin, enfant qui est nourri de vin et
    femme qui parle latin, ne viennent pas à bonne fin                33
  Jamais habile femme ne mourut sans héritier                         35
  Qui femme a, noise a                                                36
  *Un mari ne connaît pas assez sa femme pour en parler, une femme
    connaît trop bien son mari pour s'en taire                        36
  La femme querelleuse est pire que le diable                         37
  On ne peut avoir en même temps femme et bénéfice                    37
  Rien n'est pire qu'une méchante femme                               38
  Il faut craindre sa femme et le tonnerre                            39
  *Il n'y a pas de colère qui surpasse la colère de la femme          39
  La femme est un mal nécessaire                                      39
  Femme barbue, de loin la salue, un bâton à la main                  40
  Femme qui prend se vend, femme qui donne s'abandonne                41
  Une femme ne cèle que ce qu'elle ne sait pas                        42
  *Si ta femme est mauvaise, méfie-toi d'elle; si elle est bonne,
    ne lui confie rien                                                42
  A qui Dieu veut aider, sa femme lui meurt                           42
  *A qui perd sa femme et un denier, c'est grand dommage de
    l'argent                                                          43
  Deuil de femme morte dure jusqu'à la porte                          43
  Ci-gît ma femme; ah! qu'elle est bien, pour son repos et pour le
    mien                                                              43
  La chandelle se brûle, et cette femme ne meurt point                44
  Ce n'est rien, c'est une femme qui se noie                          44
  Il est permis de battre sa femme, mais il ne faut pas l'assommer    45
  Battre sa femme ne lui ôte folle pensée                             48
  *Celui qui frappe sa femme est comme celui qui frappe un sac de
    farine, le bon s'en va et le mauvais reste                        48
  Il faut toujours que la femme commande                              48
  Femme veut en toute saison être maîtresse en sa maison              49
  La femme veut porter la culotte                                     51
  Être sous la pantoufle de sa femme                                  54
  Pour faire mentir une femme à coup sûr, il n'y a qu'à lui
    demander son âge                                                  57
  Servez monsieur Godard! sa femme est en couches                     59
  La nuit, il n'y a point de femme laide                              61
  Jeter le mouchoir à une femme                                       62
  La femme de César ne doit pas même être soupçonnée                  63
  Il ne faut prêter ni son épée, ni son chien, ni sa femme            64
  Il ne faut montrer ni sa bourse ni sa femme                         65
  La femme est la moitié de l'homme                                   65
  Dame qui moult se mire, peu file                                    67
  *Plus la femme mire sa mine, plus sa maison elle mine               67
  La femme perd l'homme                                               68
  *L'homme perd la femme                                              70
  Une maîtresse est reine, une femme est esclave                      73
  Une femme et un almanach ne valent que pour une année               73
  Qui sa femme n'honore, lui-même se déshonore                        75
  On peut compter sur la fidélité de son chien jusqu'au dernier
    moment, sur celle de sa femme jusqu'à la première occasion        75
  La femme a été faite pour l'homme, non l'homme pour la femme        77
  La femme est un être qui s'habille, babille et se déshabille        79
  Femme est mère de tout dommage, tout mal en vient et toute rage     79
  Une femme est comme votre ombre: suivez-la, elle fuit; fuyez-la,
    elle suit                                                         81
  Il n'y a de femme chaste que celle qui ne trouve pas d'amant        81
  Il n'y a pas de femme en couches qui se plaigne d'avoir été
    mariée trop tard                                                 370
  Dites une fois à une femme qu'elle est jolie, le diable le lui
    répétera dix fois par jour                                        83
  Chacun cuide (pense) avoir la meilleure femme                       84
  L'esprit d'une femme est de vif-argent, et son cœur de cire         84
  Quand une femme prend congé de la compagnie, sa visite n'est
    encore faite qu'à moitié                                          85
  La femme est le savon de l'homme                                    85
  *La femme est une savonnette à vilain                               86
  *Qui croit sa femme se trompe, qui ne la croit pas est trompé      100
  *A femme trépassée, il faut tuer la langue en particulier          108
  *On tire plus de choses avec un cheveu de femme qu'avec six
    chevaux bien vigoureux                                           200
  *Il faut descendre un degré pour prendre une femme, et en monter
    un pour faire un ami                                             327
  Deux bons jours à l'homme sur terre: quand il prend femme, et
    qu'il l'enterre                                                  360
  Il faut faire carême-prenant avec sa femme, et Pâques avec son
    curé                                                             378
  Sans les femmes, les hommes seraient des ours mal léchés            87
  Les femmes font les hommes                                          87
  Sans les femmes, les deux extrémités de la vie seraient sans
    secours et le milieu sans plaisir                                 89
  Les femmes ont l'œil américain                                      90
  Les hommes font les lois, les femmes font les mœurs                 91
  Que les femmes fassent les femmes, et non les capitaines            92
  Femmes et chevaux, il n'y en a point sans défauts                   94
  Les femmes sont trop douces, il faut les saler                      94
  Paris est l'enfer des chevaux, le purgatoire des hommes, et le
    paradis des femmes                                                95
  Les femmes ont des souris à la bouche et des rats dans la tête      96
  Les premiers conseils des femmes sont les meilleurs, et leurs
    dernières résolutions les plus dangereuses                        11
  *Le diable assoupit rarement les mensonges des femmes dans la
    fosse                                                             18
  *Deux sortes de larmes dans les yeux des femmes, etc.               20
  *Les femmes sont semblables au crocodile, etc.                      20
  *Les bonnes femmes sont toutes au cimetière                         26
  *Les chiens ont sept espèces de rage, les femmes en ont mille       38
  Il faut prendre les hommes tels qu'ils sont, et les femmes
    telles qu'elles veulent être                                      97
  L'amour des femmes tue le courage des plus braves                   98
  *L'amour des femmes tue la sagesse                                  98
  Les femmes sont toutes fausses comme des jetons                     99
  Les femmes ne mentent jamais plus finement que lorsqu'elles
    disent la vérité à ceux qui ne les croient pas                    99
  La vieillesse est l'enfer des femmes                               100
  Les femmes sont comme les énigmes, qui ne plaisent plus quand on
    les a devinées                                                   101
  Les femmes sont comme les paons, dont les plumes deviennent plus
    belles en vieillissant                                           101
  Les femmes sont des paons dans les promenades, des pies-grièches
    dans leur domestique, des colombes dans le tête-à-tête           102
  Les femmes qui sont anges à l'église sont diables à la maison      103
  Vides chambres font femmes folles                                  103
  *Femmes folles de leur corps                                       103
  Les dames à la grand'gorge                                         103
  Trois femmes font un marché                                        105
  *Trois femmes et une oie font un marché                            105
  *Deux femmes font un plaid, trois un grand caquet, quatre un
    plein marché                                                     105
  *Femmes sont faites de langue comme renards de queue               105
  *La langue des femmes croît de tout ce qu'elles ôtent à leurs
    pieds                                                            106
  Les femmes ont des langues de la Pentecôte                         106
  La langue des femmes est leur épée, et elles ne la laissent pas
    rouiller                                                         106
  *Les femmes portent l'épée dans la bouche; c'est pourquoi il
    faut frapper sur la gaîne                                        107
  La langue des femmes ne se tait pas, même lorsqu'elle est coupée   108
  Femmes ne sont pas gens                                            109
  De ce qu'on dit des femmes il ne faut croire que la moitié         110
  Si les femmes étaient d'argent, elles ne vaudraient rien à faire
    monnaie                                                          111
  Les femmes qui ont donné leur farine veulent vendre leur son       112
  Il y a peu d'honnêtes femmes qui ne soient lasses de leur métier   113
  Les femmes demandent si un homme est discret, comme les hommes
    si une femme est belle                                           114
  Les femmes n'ont que l'âge qu'elles paraissent avoir               115
  On ne saurait dire des femmes ce qui en est                        115
  *Les femmes se laissent prendre à la louange comme les alouettes
    au miroir                                                        221
  *Les femmes sont nos maîtresses dans la jeunesse, nos compagnes
    dans l'âge mûr, et nos nourrices dans la vieillesse              333


FEU.

  *Qui n'est pas en feu n'enflamme point                             189


FIANÇAILLES.

  Fiançailles chevauchent en selle, et repentirs en croupe           357
  *Boire le vin des fiançailles                                      358


FIANCÉ.

  Boire comme un fiancé                                              358


FIANCER.

  Tel fiance qui n'épouse pas                                         35


FILLE.

  Fille honnête et morigénée est assez riche et bien dotée             3
  *Une fille est assez noble et assez riche si elle est chaste,
    modeste et vertueuse                                               3
  La plus belle fille ne peut donner que ce qu'elle a                 13
  Jeune fille avec jeune fieu, c'est mariage du bon Dieu             320
  Bailler ou donner le chapelet à une fille                          339
  *Fille, pour son honneur garder, ne doit ni prendre ni donner       41
  *Mieux vaudrait tenir un panier de souris qu'une fille de vingt
    ans                                                               25
  *Fille fiancée n'est ni prise ni laissée                           357
  *Fille fiancée n'est pas mariée                                    357
  Un homme riche n'est jamais trop vieux pour être le mari d'une
    jeune fille                                                      376
  *Les vieilles filles conduisent les singes en enfer                389


FLEURETTES.

  Conter fleurettes                                                  298


GENDRE.

  *Qui trouve un bon gendre gagne un fils, qui en trouve un
    mauvais perd une fille                                           186


LUNE.

  *Décrocher la lune                                                 209
  La lune de miel                                                    384
  *Être né à la quatrième lune                                       383


MAIN.

  *Ne touche pas à plusieurs dans la main                            136
  *Princes et pastourelles, princesses et pastoureaux, vont de
    pair en se donnant la main                                       229


MALADIE.

  Il n'y a pas de maladie plus cruelle que de n'être pas content
    de son sort                                                      122


MARI.

  *Ce n'est rien, c'est mon mari que l'on tue                         44
  *Pour faire un bon ménage, il faut que le mari soit sourd et la
    femme aveugle                                                    311
  *Aujourd'hui mari, demain marri                                    366
  Un mari est toujours le dernier instruit, etc.                     370
  Un mari doit se faire annoncer quand il rentre chez lui            373
  Sers ton mari comme ton maître, et t'en garde comme d'un traître   374
  Mieux vaut un mari sans amour qu'un mari jaloux                    375
  Mieux vaut un vieux mari que point de mari                         376
  Le bon mari fait la bonne femme, et la bonne femme fait le bon
    mari                                                             378
  *Jamais maris, toujours amants                                     367
  Les anciens mauvais sujets font les meilleurs maris                379
  Tous les maris contents danseraient sur le dos d'une assiette      380
  *Tous les maris contents danseraient sur le cul d'un verre         380
  Tous les maris ont besoin d'aller à Saint-Raboni                   380
  Les boiteux sont de bons maris                                     381
  Les maris et les amants voient souvent la lune à gauche            382


MARIAGE.

  Le mariage est une loterie                                         307
  Le mariage est le plus grand des biens et des maux                 309
  En mariage il y a fort lien                                        310
  Un bon mariage se fait d'un mari sourd et d'une femme aveugle      311
  Mariage et pénitence ne font qu'un                                 312
  Tout traité de mariage porte son testament                         312
  Il n'y a si bon mariage que la corde ne rompe                      313
  Le mariage est comme le figuier de Bagnolet, etc.                  314
  En mariage, trompe qui peut                                        314
  Le mariage est comme une forteresse assiégée, etc.                 315
  Les quinze joies de mariage                                        316
  Le mariage est le tombeau de l'amour                               316
  Le mariage est un enfer où le sacrement nous mène sans péché
    mortel                                                           318
  Il n'y a point de mariage dans le paradis                          319
  *Il y a dans le séjour des bienheureux beaucoup d'amour et point
    de mariage                                                       319
  Le mariage n'empêche point d'aimer ailleurs                        319
  Homme vieux avec jeune femme, mariage de Notre-Dame                321
  Vieille femme et jeune garçon c'est mariage de démon               321
  Mariage d'épervier, la femelle vaut mieux que le mâle              321
  Mariage de Jean des vignes, tant tenu, tant payé                   321
  *Mariage du treizième arrondissement                               322
  *Boire, manger, coucher ensemble, c'est mariage, ce me semble      322
  Mariage de bohèmes                                                 322
  Un bon mariage est difficile à faire, même en peinture             323
  Un bon mariage répare tout                                         325
  Mariage et pendaison vont au gré de la destinée                    328
  *Mariage prompt, regret long                                       342
  *Celui qui est lié par le mariage n'est plus libre                 350
  *Mariage et malheur tout en un jour                                366
  *Avant le mariage tu cries Io, et après tu cries Iahu              366
  Les meilleurs mariages se font entre pareils                       326
  *La première lune après le mariage est de miel, et celles qui la
    suivent sont d'absinthe                                          384
  La même année vit naître le mariage d'inclination et le repentir   325
  Les mariages sont écrits dans le ciel                              327
  *Les mariages se font au ciel et se consomment sur la terre        327
  Année de noisettes, année de mariages                              328


MARIER.

  Il ne faut pas se marier pour les yeux                               2
  Ma mère, qu'est-ce que se marier?--Ma fille, c'est filer,
    enfanter et pleurer                                              330
  Il est trop tôt pour se marier quand on est jeune et trop tard
    quand on est vieux                                               332
  Il ne faut se marier ni trop tôt ni trop tard                      333
  Qui va loin se marier sera trompé ou veut tromper                  335
  Avant de te marier, aie maison pour habiter                        335
  Il ne faut pas se marier si l'homme n'a de quoi dîner et la
    femme de quoi souper                                             336
  Il faut se marier en face de l'église                              337
  Il ne faut pas se marier pour la première nuit de ses noces        339
  *Qui recule trop à se marier, il s'avance d'être sot               356
  Qui se marie à la hâte se repent à loisir                          342
  On se marie pour soi                                               343
  Le jour où l'on se marie est le lendemain du bon temps             345
  Qui se marie fait bien, qui ne se marie pas fait mieux             346
  Qu'on se marie ou non, l'on a toujours à s'en repentir             347
  Qui se marie par amour a bonnes nuits et mauvais jours             349
  Qui se marie se met la corde au cou                                350
  Qui se marie s'achemine à faire pénitence                          350
  Marie ton fils quand tu voudras, ta fille quand tu pourras         351
  *Marie ta fille, et tu auras fait une grande affaire               351
  Marie ta fille quand elle en a envie, et ton fils quand
    l'occasion s'en présente                                         352
  Marie ton fils à Paris                                             352
  Marie ta fille en Normandie                                        352
  Nul ne se marie qui ne s'en repente                                353
  Saint Nicolas marie les filles avec les gaz                        355
  Celui qui se marie trop tard se marie pour ses voisins             356
  *L'homme et la femme qui se marient mettent la main dans un sac
    où sont dix couleuvres et une anguille                           307
  *Pour peu qu'on soit marié, on l'est beaucoup                      311
  Aujourd'hui marié, demain marri                                    366
  Il sera marié cette année                                          366
  L'homme marié est un oiseau en cage                                367
  Les mariés auront la vigne de l'abbé                               368
  Dénouer la jarretière de la mariée                                 368
  La mariée n'a pour dot qu'un chapeau de roses                      369


MISÈRE.

  Prendre le collier de misère                                       340


NOCES.

  C'est pain de noces                                                361
  Le pain de noces coûte cher à qui le mange                         361
  Pain de noces, chair de piége à vautour                            361
  Noces de mai, noces mortelles                                      362
  Noces réchauffées                                                  364
  Il ne s'est jamais trouvé à pareilles noces                        364
  *Les noces remplissent la terre, la virginité remplit le ciel      319


OISEAU.

  C'est un vilain oiseau que celui qui salit son nid                  75


POULE.

  La poule ne doit pas chanter devant le coq                          54
  *Quand la poule veut chanter comme le coq, il faut lui couper la
    gorge                                                             55
  *Poule qui chante le béguey annonce la mort de sa maîtresse ou
    la sienne                                                         56


ROSE.

  Découvrir le pot aux roses                                         296
  *Ceci est dit sous la rose                                         297


SAULE.

  *Porter la branche du saule pleureur                               389


SOLLICITEUSE.

  *Une belle solliciteuse vaut bien une bonne raison                 200


TENDRE.

  Voyager dans le pays de Tendre                                     299


TENDRESSE.

  Tendresse maternelle toujours se renouvelle                        282


VÉNUS.

  *Sans Cérès et Bacchus Vénus est transie                           251
  *Vénus est pour qui a le ventre plein, non pour qui l'a vide       251
  *Si elle est louche elle ressemble à Vénus                         285


VERROU.

  Baiser le verrou                                                   262


VEUVE.

  *Si une merluche devenait veuve, elle serait grasse                360
  *Si une sardine devenait veuve, elle serait grasse comme un thon   361


VIVRES.

  *Celui qui envoie les bouches envoie aussi les vivres              336


FIN DE LA TABLE ALPHABÉTIQUE DES PROVERBES.


ÉMILE COLIN--IMPRIMERIE DE LAGNY



Note du transcripteur

On a conservé l'orthographe de l'original, en corrigeant toutefois les
erreurs manifestement imputables aux typographes.

On a représenté _entre signes soulignés_ les mots mis en exergue par une
typographie en italique (ou par des caractères droits à l'intérieur d'un
passage en italique).





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