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Title: Comment placer sa fortune
Author: Bainville, Jacques
Language: French
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  APRÈS LA GUERRE

  COMMENT
  PLACER SA FORTUNE

  PAR
  JACQUES BAINVILLE

  L'INSTABILITÉ DES FORTUNES
  PRINCIPES SUR LESQUELS DOIT REPOSER UNE FORTUNE.
  DES IMMEUBLES--DES PLACEMENTS HYPOTHÉCAIRES.
  EMPRUNTS D'ÉTATS--LES CHEMINS DE FER FRANÇAIS
  ET ÉTRANGERS--LES VALEURS INDUSTRIELLES--BANQUES
  ET SOCIÉTÉS DE CRÉDIT--LA SPÉCULATION ET
  LA BOURSE--LE CAPITALISTE, LES IMPOTS ET LES LOIS

  PARIS
  NOUVELLE LIBRAIRIE NATIONALE
  3, PLACE DU PANTHÉON, 3



  IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE
  SUR VERGÉ TEINTÉ DES PAPETERIES LAFUMA
  FILIGRANÉ AU MONOGRAMME
  DE
  LA NOUVELLE LIBRAIRIE NATIONALE
  50 EXEMPLAIRES NUMEROTÉS A LA PRESSE


Copyright 1919, by Société française d'Édition et de Librairie,
proprietor of Nouvelle Librairie Nationale.

Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réservés pour
tous pays.



AVANT-PROPOS


Ce livre s'adresse à toutes les personnes qui, possédant une fortune
petite ou grande, d'origine ancienne ou nouvelle, ont besoin de
principes directeurs et de renseignements pratiques pour la placer et
l'administrer.

En cette matière, ce ne sont pas les conseils qui manquent. Mais les
conseils désintéressés sont rares. Chacun se méfie du détaillant qui
vante un produit. On se demande: «Quel intérêt peut-il avoir à insister
pour me vendre cette marque plutôt qu'une autre?» Les mêmes personnes
qui doutent de leur épicier suivront aveuglément le banquier ou même le
commis de banque qui les invitera à acheter une valeur. Pourtant, dans
les deux cas, la méfiance doit être la même, et elle doit être d'autant
plus vive qu'il s'agit de plus grosses sommes pour l'acquéreur et de
plus grosses commissions pour le courtier.

Les pertes énormes subies par les capitalistes français dans ces
dernières années ont en grande partie pour cause les erreurs,
volontaires ou involontaires, des financiers ou des établissements de
crédit qui s'étaient constitués les tuteurs du capital et de l'épargne.
L'auteur de ce livre n'a aucune espèce d'attache financière. Il ne
soutient aucun système. Il livre au public le résultat de ses études et
de ses observations.

Sa seule ambition est de rendre service. Quant à son intérêt, il a
consisté à écrire un ouvrage qui, étant utile à beaucoup de monde,
pourra être lu avec profit par un public nombreux.

Les personnes auxquelles nous avons songé en écrivant ce livre sont
légion en France, ou la fortune, aux degrés les plus divers, est si
répandue. Il nous est apparu aussi que les meilleurs traités du même
genre écrits avant la guerre ne s'appliquaient plus aux circonstances
actuelles. Un guide nouveau était nécessaire pour tenir compte des
bouleversements survenus depuis 1914 et de ceux qui pourraient se
produire encore.

A qui nous adressons-nous? Non seulement aux personnes qui vivent de
leurs revenus, mais aussi à celles qui s'enrichissent par leur travail
et leur économie et à qui leurs occupations ne permettent pas d'étudier
à fond par elles-mêmes la meilleure manière de mettre leur épargne à
l'abri, dans un temps où la sécurité des capitaux est si précaire.

Proudhon a écrit, il y a déjà de longues années, dans son _Manuel du
spéculateur à la Bourse_:

«Le rentier, qui vit sur la foi de son inscription; l'actionnaire qui
compte sur son dividende; le propriétaire foncier dont l'avoir est tout
en terres et en maisons; le commerçant dont la sécurité repose sur
l'éventualité des bénéfices; le père de famille, qui cherche pour
l'établissement de ses fils, pour la dot de ses filles le placement le
plus solide et le plus productif; tous ceux dont la fortune est engagée
soit dans les fonds publics, soit dans les entreprises industrielles,
soit dans des propriétés rurales et urbaines, et qui trop souvent
oublient que cette fortune change incessamment, tant en capital qu'en
intérêts, par les mouvements quotidiens de la Bourse; tout ce monde,
étranger pour la plupart à la spéculation, a besoin cependant d'en
connaître à peu près les objets, d'en observer les oscillations et d'en
prévoir les résultats.»

                   *       *       *       *       *

Ce besoin est plus grand aujourd'hui que jamais. La prudence, la science
et la réflexion, nécessaires en tout temps à la conservation de la
richesse, sont indispensables dans les périodes agitées. Le rentier,
l'actionnaire, le propriétaire foncier, le commerçant, le père de
famille: voilà les personnes dont nous souhaitons être lu. C'est à
elles, c'est à nos classes moyennes, indignement rançonnées par des
financiers sans patriotisme et sans scrupules, que cet ouvrage est
dédié.

J. B.



APRÈS LA GUERRE

COMMENT PLACER SA FORTUNE



CHAPITRE PREMIER

UNE PÉRIODE D'INSTABILITÉ ET D'INSÉCURITÉ POUR LES FORTUNES

L'instabilité des fortunes est un phénomène de tous les temps.--La
guerre a considérablement aggravé ce phénomène.--Longue période de
sécurité et d'enrichissement de 1815 à 1914--Le danger d'autrefois était
la baisse de l'intérêt et les conversions.--Fausses croyances nourries à
cet égard: l'argent ne devait plus rien rapporter.--L'intérêt s'est
relevé, mais des capitaux ont été détruits.--Ébranlement de toutes les
fortunes.--Autres menaces qui pèsent sur elles.--Probabilité de grandes
crises financières, sinon de catastrophes.--De nouvelles méthodes de
gestion des patrimoines sont nécessaires.--En quoi l'esprit et les
habitudes des capitalistes doivent changer.


Nos pères, qui en savaient bien autant que nous, avaient coutume de dire
qu'une fortune est plus difficile à conserver qu'à acquérir. Ils
disaient aussi qu'une fortune ne passe pas trois générations. C'est ce
qu'exprimait le proverbe de la vieille France: «Cent ans bannière, cent
ans civière», c'est-à-dire cent ans de prospérité et cent ans de
pauvreté. Une famille réussit rarement, en effet, à garder son rang
pendant plus d'un siècle. De tout temps, les patrimoines qui n'ont pas
été entretenus et renouvelés ont disparu. Même sans catastrophe brutale
et sans dilapidation, les capitaux s'usent lentement et s'évaporent par
l'effet des années.

De 1815 à 1914, les fortunes ont joui d'une sécurité et d'une stabilité
remarquables. En France, les classes moyennes, plus douées de l'esprit
d'économie que de l'esprit d'entreprise, étaient portées naturellement
par le flot montant de la richesse publique. Nos révolutions du XIXe
siècle, purement politiques, avaient laissé la propriété intacte. Les
blessures financières de la guerre de 1870 avaient été rapidement
pansées. Sans autre effort que celui de l'épargne, la bourgeoisie
française, dont les rangs grossissaient tous les jours, était en progrès
constant. Les cas de régression tenaient presque toujours à des fautes
individuelles et non à des causes générales.

Pendant les dernières années du XIXe siècle et les premières du XXe, les
rentiers avaient pourtant une inquiétude. Par l'effet de l'accumulation
et de l'abondance des capitaux, l'intérêt de l'argent ne cessait de
décroître et les conversions successives de la rente sanctionnaient
cette baisse. De 5 p. 100, qui était autrefois le taux ordinaire,
l'intérêt était tombé à 4, puis à 3 et plus bas encore. Le taux de 2 1/2
était couramment accepté. L'esprit humain étant enclin à croire que tout
mouvement une fois commencé doit se poursuivre indéfiniment, on
prévoyait que bientôt l'argent ne pourrait plus s'employer qu'à 2 p.
100, sinon à moins. Ainsi le rentier voyait son revenu condamné à une
chute lente et tendant vers zéro. Nous avons connu un financier aussi
célèbre qu'opulent, qui était en même temps un économiste, et qui,
presque quotidiennement, à la table de famille, enseignait à ses enfants
qu'ils ne devaient pas se fier à son héritage, qu'un jour viendrait où
il faudrait une fortune si fantastique pour vivre de ses seules rentes
que les riches eux-mêmes seraient contraints de travailler.

Les événements ont pris une autre tournure. On s'alarmait pour le
revenu, en se croyant sûr du capital. Ç'aurait dû être le contraire.
S'il est vrai qu'aujourd'hui bien peu de personnes peuvent se dispenser
de travailler, ce n'est pas parce que l'argent ne rapporte plus rien:
l'État lui-même emprunte à 5,70 p. 100 et les placements à 6 p. 100 sont
devenus communs. Mais, à la sécurité d'autrefois, qui avait engendré la
diminution de l'intérêt, a succédé une insécurité profonde. Il n'y a
plus pléthore mais destruction de capitaux. La guerre européenne en a
consommé et anéanti une quantité prodigieuse. Les États se sont endettés
par centaines de milliards. Les grandes entreprises d'intérêt public,
telles que les Compagnies de chemins de fer, ont elles-mêmes subi des
pertes immenses. Il y a eu des ruines de toute sorte, une diminution
formidable de la richesse universelle. Sans doute on a vu des fortunes
se faire. De grandes quantités de billets de banque, de titres des
rentes nouvelles circulent de main en main. Ce n'est pas un
enrichissement véritable. Le papier émis ne tient pas lieu des choses
consommées et détruites, de celles que la diminution du travail a
empêché de produire. C'est ainsi que, chez les belligérants les plus
gravement atteints, le papier-monnaie a pris un développement inouï,
alarmant, qui a eu pour première conséquence d'entraîner l'avilissement
de sa faculté d'achat et la hausse de tous les prix. C'est au milieu
d'une immense révolution économique que nous vivons. Et une révolution
économique entraîne fatalement une révolution sociale, à forme
silencieuse ou explosive: peu importe. L'effet est le même pour les
individus.

La richesse, pendant la guerre et depuis, s'est déplacée. Elle a changé
de mains. Il y a de «nouveaux riches» et de «nouveaux pauvres». Bien
rares sont les patrimoines anciennement constitués qui ont pu se
maintenir tels qu'ils étaient. L'avilissement de l'argent, la chute
profonde des valeurs mobilières, dont quelques-unes ne se relèveront
sans doute jamais, ont retenti sur toutes les fortunes, des plus grandes
aux plus petites. Une portion considérable des portefeuilles, composée
de valeurs russes, autrichiennes, hongroises, turques, etc... est
gravement compromise. On n'oserait jurer que cette liste nécrologique ne
s'allongera pas.

D'autre part, la grande secousse de la guerre a eu pour effet de
précipiter une évolution déjà commencée. Le régime capitaliste s'était
développé au XIXe siècle avec les progrès rapides de l'industrie et sous
la protection des lois qui étaient alors en vigueur. D'une part, le
droit de propriété individuelle était sacré, intangible et regardé comme
faisant partie des Droits de l'homme. Garanti par l'État, la société et
le Code, il donnait, à quiconque possédait, une sécurité inconnue à
toutes les autres époques. D'autre part, la conception individualiste de
la Révolution française, contraire à tout ce qui était corporations ou
syndicats, paralysait les revendications ouvrières.

Peu à peu, ces conditions ont changé. Et puis, avec le temps, beaucoup
d'éléments des fortunes françaises ont vieilli. On a oublié les services
rendus par le capital lorsqu'il s'était agi de mettre les mines en
valeur et de construire les voies ferrées. Il paraît moins naturel
qu'autrefois que le fait de posséder une action de chemins de fer ou de
charbonnage donne le droit de toucher des dividendes copieux à une
personne qui ne connaît les locomotives que pour avoir voyagé et le
charbon que pour se chauffer au coin de son poêle. L'expérience ayant
prouvé que le travail lui-même avait besoin du capital, celui-ci n'est
pas déchu de son droit à l'intérêt, mais sa part est restreinte et, si
restreinte soit-elle, encore contestée.

Il résulte de ces divers phénomènes que les patrimoines français sont
largement entamés, gravement ébranlés et exposés à des diminutions
nouvelles par le fait des circonstances. La situation financière de
notre pays elle-même, après les formidables dépenses de la guerre, n'est
pas sans inspirer des inquiétudes. Sa dette colossale, ajoutée à un
passif déjà lourd, oblige à se demander si la France pourra toujours
faire face à ses engagements. Ainsi, d'une part, les revenus sont
réduits par les pertes éprouvées ou menacent de l'être par des pertes
nouvelles. De l'autre, les impôts s'aggravent, se multiplient, et la vie
est devenue plus coûteuse. Jamais l'administration d'une fortune n'a été
plus difficile.

Il est donc bien certain que les idées qui avaient cours avant la guerre
doivent être révisées. Un capitaliste qui s'entêterait à suivre les
pratiques recommandables autrefois irait directement à la ruine. A temps
nouveaux, besoins nouveaux.

Assurément, la propriété sera éternelle. Depuis que les hommes vivent en
société, elle a survécu à tous les bouleversements et elle survivra
encore à celui-ci. Le capital lui-même se reconstituera toujours. La
difficulté, dans une période de transition, consiste à sauver le capital
existant et à le garder entre ses mains.

Nous assistons en ce moment à une lutte de la société capitaliste, telle
qu'elle s'était constituée au XIXe siècle, pour durer et s'adapter à
travers les transformations du XXe siècle. Cette adaptation ne se fera
pas sans peine et il est probable qu'il y aura, chemin faisant, bien des
victimes.

Existe-t-il une recette infaillible pour abriter les capitaux et les
soustraire aux conséquences des métamorphoses économiques et sociales?
Nous ne le croyons pas. Nous nous proposons seulement de donner dans ce
livre des indications pratiques et utiles, de mettre en garde contre des
écueils, de dissiper de dangereuses illusions, d'exposer des principes
fondés sur l'observation et sur l'expérience et dont l'application
permettra aux capitalistes et aux rentiers d'échapper au moins à une
partie des risques auxquels ils sont exposés pour longtemps. Selon
toutes les apparences, les agitations ne sont pas près de prendre fin en
Europe. L'ordre nouveau établi par la paix n'est pas lui-même très sûr.
Le fût-il, que la liquidation serait encore pénible et douloureuse. Sans
doute, personne ne peut se vanter de tout prévoir. Mais celui qui ne
prévoit rien et qui s'en remet au hasard, comme celui qui ne veut rien
changer à ses habitudes, est le jouet des événements.

Nous sommes convaincu que les classes moyennes, durement éprouvées par
les conséquences de la guerre, résisteront à la tourmente. Formées par
le travail et l'économie, elles savent que là sont les seules sources de
la richesse. Si elles ont été frappées, ce n'est pas leur esprit de
cupidité ou leur goût du risque qui en est cause. Leur prudence et leur
modération sont proverbiales. Elles ont toujours eu pour principe de
rechercher moins de gros intérêts ou des bénéfices que la sécurité du
capital, ou ce qu'on croyait être autrefois la sécurité. Si elles ont
péché, c'est par excès de confiance. Le nom illustre de Ferdinand de
Lesseps avait suffi jadis à engager dans le Panama les plus timides,
alors que le canal de Suez, dans sa nouveauté, avait effrayé le public.
Pour les fonds russes, l'appel de l'État français, la propagande des
établissements de crédit, le prestige d'un Empire immense et dont les
faiblesses étaient inconnues: voilà ce qui a séduit les souscripteurs
bien plus que l'attrait d'un intérêt élevé. C'est par la même confiance,
le même respect des institutions anciennes et célèbres, que la
bourgeoisie française s'est attardée aux actions de nos compagnies de
chemins de fer, alors que ces titres ne promettaient plus que des
déboires à leurs porteurs.

On a dit bien des fois que l'éducation financière du public français
était à faire. Ce sont malheureusement des aigrefins, souvent patentés,
qui s'en chargent et qui exploitent la crédulité et l'esprit de routine.
Les capitalistes, pour se défendre, vont avoir, encore plus qu'hier,
besoin d'esprit critique. Plus qu'hier ils devront être renseignés, ils
devront être prudents, mais prudents à bon escient, et non pas sur la
foi de charlatans ou d'intermédiaires malhonnêtes par profession. Ils
devront se garder aussi d'une aveugle fidélité à des traditions
périmées.

L'illusion de la Bourse est une de celles qui auront été le plus
funestes. Combien de personnes s'imaginaient que les prix inscrits dans
les colonnes de la cote correspondaient à des valeurs réelles et
durables! Il a fallu la tourmente de la guerre pour montrer la fragilité
de ce château de cartes. A l'avenir, les capitalistes devront savoir
qu'une fortune constituée tout entière en papier et qui dépend d'une
estimation éphémère, qui est soumise à tous les hasards des événements
intérieurs et extérieurs, ne repose pas sur des bases solides. De
nouvelles méthodes de placement et de gestion se recommandent
aujourd'hui d'une façon impérieuse et le capitaliste doit se faire, à
tous les égards, un nouvel esprit.

Pendant des années qui pourront être longues, il devra d'abord avoir
toujours présente à la pensée l'idée que des catastrophes financières
ou, tout au moins, des crises graves sont possibles. Dans l'hypothèse la
plus favorable, il est exagéré de croire que la France, par exemple, se
relèvera aussi promptement et en suivant une marche aussi régulièrement
progressive qu'après 1871. Personne n'a encore pu calculer exactement
les répercussions de la guerre. Personne ne sait au juste comment (pour
ne parler toujours que de la France), trente-cinq milliards de billets
de banque, en face de cinq milliards d'or seulement, plus quelques
dizaines de milliards de Bons de la Défense Nationale qui, eux mêmes, ne
sont qu'une autre forme des billets de banque, pourront être retirés de
la circulation pour que celle-ci revienne à un niveau normal, sans
compter que, pour la première fois, la France a une grosse dette
extérieure. En tout cas, la guérison sera longue. Elle ne se fera pas
sans rechutes contre lesquelles les personnes prudentes doivent, dès
maintenant, se prémunir.

Mais l'esprit du capitaliste devra changer à un autre égard. Il devra
s'élargir aux proportions des nécessités de notre époque. Les impôts
seront multiples et lourds: il faudra s'y résigner et se dire que, s'il
est désagréable de payer l'impôt sur le revenu, il serait encore pire de
n'avoir plus de revenus du tout, ce qui fût arrivé si nous avions été
vaincus. Il faudra encore compter avec de nouveaux rapports entre le
capital et le travail. Il y a des revendications ouvrières dont
l'exagération est absurde et qui, si elles étaient écoutées,
aboutiraient à tuer la poule aux oeufs d'or, comme le bolchevisme l'a
fait en Russie. La résistance à ces folies est un devoir. Mais il n'est
de l'intérêt de personne qu'il y ait des ploutocrates d'une part et, de
l'autre, des prolétaires sans attaches avec l'industrie qui a besoin de
leurs bras. Il s'agit seulement, pour les possédants, de compter avec
les évolutions inévitables, de les comprendre et de ne pas se laisser
surprendre par elles.

Nous avons déjà cité tout à l'heure un proverbe de la vieille France. Un
autre, familier à l'ancienne noblesse, disait: «Nous venons tous de la
charrue.» Que chaque capitaliste songe à ses origines ou à celles de sa
famille. Il sentira combien le plus riche est près de ceux qui ne
possèdent rien. Ce n'est pas notre rôle de moraliser sur les devoirs de
la richesse. Mais il n'est pas mauvais, même pour gérer et conserver sa
fortune, de savoir qu'elle a des collaborateurs obscurs, peu favorisés,
dans les rangs desquels on aurait pu naître et où retourneront peut-être
les descendants de ceux qui possèdent aujourd'hui, comme tant de
familles, riches autrefois, ont elles-mêmes déchu.

C'est un métier, somme toute, d'être capitaliste. Et ce métier exige des
qualités, lui aussi. Une fortune ne se garde que par les moyens qui
l'ont formée: le travail et l'économie. Il y faut encore de la
prévoyance, de la réflexion, de l'étude. Les chapitres qui suivent
constituent un guide méthodique pour la conservation des patrimoines,
qui sont une des forces de la nation. Le devoir de quiconque a créé ou
reçu le sien est de le transmettre intact et même accru à ses
successeurs. Les anciens avaient coutume de dire que ce n'est pas une
honte d'être pauvre mais qu'il est honteux de ne pas aspirer à sortir de
la pauvreté. Il est encore plus honteux, et sans profit pour la
collectivité, de se laisser appauvrir par ignorance, insouciance ou
paresse d'esprit.



CHAPITRE II

LE PRINCIPE DE LA DIVISION GÉOGRAPHIQUE DES PLACEMENTS, QUI S'EST MONTRÉ
INSUFFISANT, DOIT ÊTRE COMPLÉTÉ PAR UN AUTRE PRINCIPE

La division des risques est une précaution élémentaire.--L'écueil c'est
qu'elle tourne parfois à la multiplication des risques.--Exemples
malheureux de dissémination des capitaux.--Nécessité de précautions
supplémentaires.--Valeurs solides et réelles sur lesquelles doit reposer
une fortune.--Les biens-fonds réhabilités.--Gages à exiger des valeurs
mobilières.--Le remboursement prochain du capital est la clause
essentielle de tout prêt d'argent.--Application de ce principe aux
placements mobiliers et avantages qu'il comporte.--Règles pratiques à en
tirer.


On a toujours su qu'il n'était pas bon de mettre tous ses oeufs dans le
même panier. Mais le principe de la division des risques a pu être
appliqué avec une facilité inconnue au temps jadis dès que la diffusion
des valeurs mobilières eut permis de placer de l'argent dans les quatre
parties du monde, par un simple ordre d'achat donné à la Bourse.
Diversifiez, internationalisez vos placements: tel est le conseil qui a
été prodigué avant la guerre, et, en lui-même, il était bon.

Seulement, il ne fallait pas courir au-devant des risques sous prétexte
de les diviser. Un rentier qui aurait eu en portefeuille, il y a une
douzaine d'années, des valeurs russes, austro-hongroises et mexicaines,
se serait cru garanti par cette variété contre les accidents qui
pouvaient l'atteindre d'autre part. En réalité, il fût allé lui-même
chercher sa perte. Au temps où le Mexique était bien gouverné, où les
Empires de Russie et d'Autriche se présentaient comme des édifices
solides, des économistes expérimentés n'hésitaient pas à recommander
comme sûres et avantageuses les valeurs de ces pays. On voit pourtant ce
qu'il en est advenu.

Avant la guerre, un autre attrait de la diversité des placements, aux
yeux des rentiers, c'était aussi, et peut-être surtout qu'on y voyait un
moyen de relever le rendement d'un portefeuille, l'intérêt de l'argent
étant, d'une façon courante, moins élevé en France que dans beaucoup de
pays étrangers. Cette considération a perdu aujourd'hui sa raison
d'être.

En outre, on s'imaginait volontiers que l'expatriation des capitaux
était une garantie contre les mesures fiscales de caractère socialiste,
et notamment contre l'impôt sur le revenu, qui était, à ce moment-là, un
grand épouvantail et dont le mécanisme était d'ailleurs mal compris. On
ne se représentait pas qu'on s'exposait tout simplement, dans la plupart
des cas, à subir les impôts du pays de refuge, plus les impôts français.
Car les gouvernements et les administrations de tous les pays ont
tendance à se copier, et cette tendance est encore plus forte quand les
besoins sont à peu près les mêmes partout. Si le fisc a la main lourde
en France, il n'est pas plus indulgent en maints autres endroits. Et le
socialisme d'État, après avoir semé la terreur lorsqu'il est apparu chez
nous, semble modéré et conservateur quand on compare ses mesures
fiscales à celles des nouvelles Républiques socialistes qui sont nées de
la défaite des Empires centraux, sans parler des Républiques de Soviets
et de la dictature du prolétariat.

Avec le socialisme, le nationalisme est l'autre tendance des États
modernes. Ces deux tendances se conjuguent souvent. Pas plus que les
individus, les peuples n'aiment leurs créanciers. Les pays qui ont une
grosse dette extérieure, qui sont les débiteurs de l'étranger, sont très
portés à renier leurs engagements. Ce sentiment xénophobe explique pour
une bonne part ce qui s'est passé en Russie depuis la révolution.
D'autres pays, qui ont été heureux de trouver des capitaux étrangers
pour les mettre en valeur, ne songent plus qu'à exproprier les sociétés
concessionnaires une fois que les entreprises sont entrées dans la
période des bénéfices. Dans l'ère de nationalisme intense où le monde
est entré, les peuples les plus primitifs ou, comme le peuple chinois,
les plus endormis, prennent conscience d'eux-mêmes, selon l'expression
consacrée, et le font souvent sentir à leurs bailleurs de fonds.

Il ne suffisait pas naguère, il ne suffira pas encore demain d'envoyer
sa fortune au delà de la frontière pour la mettre en sûreté. Il faut
encore connaître le fort et le faible des nations auxquelles on la
confie. Il faut être renseigné sur leur situation politique, leurs
finances, leur législation. Et puis, s'il est difficile, quand il s'agit
d'autre chose que de fonds d'État, de distinguer les bonnes valeurs des
mauvaises dans son propre pays, la difficulté est encore plus grande
quand il s'agit d'entreprises situées dans des pays avec lesquels on
n'est pas familier et qu'on ne connaît que par ouï-dire.

A l'épreuve de la guerre et des bouleversements qu'elle a produits, il
est apparu que la division des placements et leur distribution
géographique ne rendaient pas tous les services qui en étaient attendus.
Les personnes qui, par ce procédé, ont réussi à sortir de la crise avec
leur fortune intacte doivent reconnaître qu'il y a dans leur cas plus de
chance que de science. Au fond, un homme d'affaires vraiment génial, qui
eût compris dès 1911, au moment du coup d'Agadir, ou dès 1912 et 1913, à
la lumière des conflits balkaniques, que l'Europe allait enfin à la
guerre générale si souvent annoncée, eût tout simplement réalisé son
portefeuille. Alors, se trouvant à la tête d'un capital liquide, au
moment où les valeurs du monde entier s'effondraient, cet homme
audacieux et pénétrant eût réalisé des bénéfices considérables.

En effet, sauf un très petit nombre de pays neutres qui ont été
favorisés par les événements, sauf quelques valeurs dites «de guerre»
qui, grâce à la longue durée des hostilités, ont travaillé pour
l'armement avec de très gros profits, on a vu la généralité des
meilleures valeurs descendre à des cours inconnus. Tel a été le cas,
notamment, des valeurs à revenu fixe comme les obligations des chemins
de fer américains de premier ordre, qui ont automatiquement baissé
jusqu'à ce qu'elles fussent arrivées à se mettre au niveau demandé par
le relèvement général du loyer de l'argent. Des titres rapportant 3 1/2
ou 4 p. 100, se tenaient au pair, lorsque l'intérêt courant était à ce
taux. Ils sont tombés à 70, lorsque les emprunts à 5 et 5 1/2 p. 100 et
même davantage se sont multipliés.

Puisqu'il est extrêmement probable que nous ne sommes pas au bout de la
série des grandes crises financières, _la préoccupation essentielle doit
donc encore maintenant s'adresser au capital plus qu'au revenu_. Le
revenu se trouvera toujours. Sauvegarder d'abord le capital, c'est la
tâche première et la plus difficile.

La division géographique des placements peut y aider, mais elle ne
suffit pas. Des temps sont venus où l'édifice du crédit est fragile. Les
garanties d'une créance doivent être examinées avec plus de soin qu'au
moment où la solvabilité générale créait un état d'équilibre et de
confiance. Les valeurs mobilières ressemblent étroitement, à cet égard,
aux billets de banque. En période de prospérité, personne ne regarde de
très près à leurs garanties réelles parce que l'on sait que le papier
trouve à s'échanger sans peine. Les cours de Bourse ont beau n'être
qu'une estimation, ils offrent des promesses de stabilité et même de
plus-value. La force de l'ensemble maintient les parties en équilibre.
Mais, en temps de crise, et quand le crédit est ébranlé, la réalité
reprend ses droits. Toutes les valeurs fictives se déprécient. Celles
qui ne reposent pas sur quelque chose de solide tombent à zéro. C'est
cette solidité qui doit être requise et recherchée avant tout.

Il résulte de là que l'assurance contre les risques ne doit plus
seulement consister à disséminer une fortune sur les divers points du
globe, mais surtout à en éliminer autant que possible les éléments
fictifs. A cet effet, il importe de modifier les méthodes de placement
naguère en honneur et de revenir aux principes de méfiance et de
sécurité qui dirigeaient les capitalistes d'autrefois.

La terre, les maisons, les prêts couverts par une hypothèque large et
précise: voilà les premières valeurs réelles sans lesquelles une fortune
est construite sur des sables mouvants. Aujourd'hui le porteur de
maintes valeurs mobilières peut regarder avec envie le propriétaire
d'immeubles, qui a, sans doute, ses tracas, mais qui peut voir et
toucher son bien, alors que, d'un jour à l'autre, rentes d'État,
actions, obligations sont exposées à devenir une insaisissable fumée.
Pendant la Révolution, les possesseurs d'assignats ont été ruinés. Les
acheteurs de biens nationaux se sont enrichis. Les anciens propriétaires
maintenus en possession n'ont rien perdu. Il y a là une leçon.

La guerre a réhabilité les immeubles comme elle a réhabilité
l'agriculture, mère de toute richesse. On a acheté à de hauts prix les
terres et les maisons. Pour les valeurs mobilières elles-mêmes, les
bailleurs de fonds se sont montrés plus exigeants quant aux gages. Cela
est si vrai que les sociétés qui s'adressent au crédit public offrent de
plus en plus aux obligataires des garanties hypothécaires sur leurs
constructions et leurs installations industrielles.

Sans doute, des placements en bonnes valeurs françaises ou étrangères se
recommandent aux propriétaires fonciers, même dans un pays où la
propriété semble aussi bien garantie par l'état social qu'elle l'est en
France. Il est utile et même indispensable, pour le propriétaire
d'immeubles, de posséder un capital liquide ou d'une réalisation facile,
pour les raisons que nous exposons au chapitre suivant. Mais c'est à la
condition que les valeurs choisies soient elles-mêmes sérieusement
gagées. Et l'examen de ces gages, surtout quand il s'agit de valeurs
étrangères, ne se fait pas toujours aisément à distance et dans des pays
dont l'organisation financière et les lois sont souvent très différentes
des nôtres.

L'insécurité universelle demande encore une autre précaution: c'est que
les capitaux, autant que possible, ne soient prêtés qu'à la condition
d'être rendus dans un délai suffisamment rapproché. Prenons le prêt
d'argent type qui est le prêt hypothécaire. Non seulement un gage
immobilier lui est affecté, mais encore le débiteur s'oblige à
rembourser le capital à date fixe. La simple créance chirographaire,
autrement dit le «billet», ne jouit pas de gages particuliers, mais sa
clause principale, c'est celle qui fixe l'échéance du remboursement. Une
reconnaissance de dette souscrite par un particulier constitue déjà un
titre bien fragile. Si le «billet» ne stipule pas un remboursement
rapide, c'est un titre encore plus incertain. Un emprunt à long terme,
et à plus forte raison un emprunt perpétuel, quelle que soit la qualité
du débiteur, État ou société industrielle, ne vaut pas mieux.

Qu'avons-nous vu pendant la guerre et depuis? C'est que, à valeur égale,
à rendement égal, les titres à remboursement éloigné tombaient, tandis
que les titres à remboursement prochain se maintenaient au pair ou aux
environs du pair. Prenons un exemple. On négociait à la Bourse de
New-York, il y a quelques années, deux obligations de chemins de fer du
même type, de la même valeur nominale, pareillement recommandables et
d'un revenu identique, la _Pennsylvania 3 1/2_ et la _New York Central 3
1/2_. En 1906 ces deux titres se tenaient au pair, à quelques points
près. Mais le premier était remboursable en 1915 et le second en 1919
seulement. Peu à peu, les circonstances générales devenant moins
favorables, des crises s'étant produites aux États-Unis, la _New York
Central_ baissa, tandis que la _Pennsylvania_, soutenue par la proximité
du remboursement, bougeait à peine. En 1915, alors que cette obligation
était remboursée intégralement à 1000 dollars, l'autre n'en valait plus
que 800, à la Bourse de New-York. Elle n'en valait plus que 700 en 1919.
Cet exemple est remarquablement instructif. On pourrait y ajouter que la
même Compagnie Pennsylvania avait introduit à la Bourse de Paris des
obligations 3 3/4 p. 100 remboursables en 1921. Dès l'année 1919, ces
obligations sont au pair de 500 francs.

De même il est de notoriété publique que le cours des obligations des
chemins de fer français est soutenu par l'amortissement régulier de ses
titres, qui se fait par voie de tirage au sort annuel. C'est ce qui
explique que ces obligations se capitalisent plus haut même que les
rentes sur l'État. Si quelque circonstance voulait que l'amortissement,
jusqu'ici régulier, fût suspendu, différé ou seulement ralenti, il est
certain que ces titres baisseraient aussitôt dans des proportions
considérables. Il est également facile de remarquer que le 3 p. 100
amortissable et remboursable selon les mêmes règles que les obligations
de chemins de fer se tient aujourd'hui à dix ou onze points au-dessus du
3 p. 100 perpétuel; toujours pour la même raison qui est la perspective
de récupérer en espèces le capital prêté.

Ainsi, pour protéger ses capitaux, _il ne suffit pas de les distribuer
géographiquement dans l'espace, il faut encore les distribuer dans le
temps_. Une fortune dans laquelle entrent des sommes remboursables à des
dates diverses et successives échappe ainsi pour une partie importante
aux fluctuations de la Bourse. En outre, elle se rafraîchit et se
rajeunit incessamment. Enfin, des remboursements survenant à l'heure
d'une dépression et d'une crise sont une aubaine qu'un homme avisé met à
profit pour des placements fructueux.

A plus forte raison, le commerçant et l'industriel qui ne veulent pas
laisser leur argent improductif mais qui pourront en avoir besoin un
jour pour agrandir leurs affaires, ont intérêt, de même que le père de
famille qui prévoit l'époque où il devra doter sa fille, à stabiliser de
cette manière une notable partie de leurs capitaux. C'est le meilleur
moyen de s'assurer contre les risques de la Bourse. Sans doute, il n'est
pas interdit d'attendre un accroissement de son capital par un placement
à long terme. Si tout se passe normalement et heureusement, comme on
peut l'espérer, les cours des valeurs s'élèveront à mesure que la guerre
s'éloignera. En particulier, les souscripteurs et les acheteurs des
nouvelles rentes françaises seront récompensés d'avoir eu confiance dans
leur pays. Il n'en est pas moins sage, nécessaire et d'une bonne
administration de se garantir contre le risque des bourrasques
financières et contre les destructions inévitables que le temps entraîne
avec lui.

Pour conclure, il est salutaire de ne pas perdre de vue ces trois
principes: 1º que les immeubles sont l'élément permanent de la richesse;
2º que des garanties réelles doivent être attachées dans la plupart des
cas aux valeurs mobilières pour que celles-ci soient autre chose que des
«billets» ou des papiers d'une valeur variable et contestable; 3º que le
capitaliste ne doit prêter au moins une partie de ses capitaux que pour
un temps limité, avec des dates de remboursement échelonnées, de façon à
s'assurer des rentrées d'argent périodiques et à ne jamais être pris de
court par les événements.

Ces principes de légitime défense et de prudence réfléchie auraient
rendu de grands services aux capitalistes qui s'en seraient inspirés
avant la guerre. Ils seront encore bienfaisants au cours des années à
venir. Nous allons en suivre l'application dans l'examen des divers
éléments qui constituent la généralité des fortunes en France ou qu'il
peut être utile d'y faire entrer.



CHAPITRE III

DES IMMEUBLES

La revanche des anciens placements.--Toute richesse part de la
terre.--Stabilité de la propriété immobilière.--Un exemple
typique.--Relèvement de la valeur de la terre en France.--Hausse des
produits agricoles.--Sécurité de la propriété rurale, due, dans notre
pays, à son extrême division.--Le dépeuplement des campagnes est le seul
point noir.--Conseils pour la gestion des biens fonciers.--Les maisons
de rapport à Paris et dans les grandes villes.--Achat, construction et
entretien.--Les spéculations sur les terrains.--Les formes excentriques
de la propriété et leurs périls.


«Avoir du bien au soleil», et «avoir pignon sur rue»: ces deux
expressions proverbiales rappellent qu'au temps jadis nos pères
considéraient que la véritable fortune, durable et solide, consistait en
immeubles, en terres et en maisons. Pendant la longue période de
tranquillité relative, de stabilité, de prospérité et de développement
industriel qui a favorisé l'essor prodigieux des valeurs mobilières, la
vieille préférence de l'épargne française pour les placements fonciers
n'avait cessé d'aller en s'affaiblissant. La facilité du coupon touché
sans fatigue, souvent par l'intermédiaire d'une banque ou d'un receveur
de rentes, s'opposait aux tracas de la propriété: les locataires, les
fermiers, les impôts, les réparations et l'entretien.

Quelques années avant la guerre, une personne qui faisait l'acquisition
d'une ferme semblait déraisonnable et, en tout cas, rétrograde et
attachée aux préjugés d'un autre âge. L'achat ou la construction d'un
immeuble urbain, à moins que ce ne fût pour le revendre et comme
opération spéculative, finissait par être presque aussi mal jugé. A quoi
bon se donner les soucis de la propriété quand toute la gamme des
valeurs de Bourse était là?

Les épreuves de la guerre ont changé ce point de vue et montré que les
vieilles habitudes de placement étaient sages et fondées sur
l'expérience. Un spirituel Parisien, venu, comme presque tous les
Parisiens, de province, nous disait un jour: «Ayant quelques économies,
je les avais placées en fonds russes. Et j'ai pensé, depuis, au pré que
mon père aurait acheté avec cet argent-là. Au moins le pré serait
toujours à sa place.»

Non seulement le pré serait à sa place, mais sa valeur se serait
considérablement accrue. Un des effets de la guerre a été d'augmenter
presque partout le prix de la terre et des maisons. La dépréciation des
billets et des valeurs, la méfiance pour tout ce qui est papier, a eu
pour conséquence que les valeurs réelles ont été recherchées. Et quelle
valeur est plus réelle que la terre, d'où part toute richesse, que les
maisons, puisqu'il faut toujours se loger?

La véritable richesse est là. C'est une erreur de croire que nos pères
aient placé leur fortune en immeubles parce qu'ils ne connaissaient pas
d'autres sortes de placements. Sans doute les valeurs mobilières étaient
fort loin d'être développées. Elles étaient même dans l'enfance. Mais
enfin elles existaient. L'antiquité avait déjà connu les sociétés par
actions. Et les rentes sur l'Hôtel de Ville, les actions de la Compagnie
des Indes, qui ont laissé des souvenirs malheureux dans l'histoire,
qu'était-ce, sinon l'équivalent de nos fonds d'État et de nos titres
industriels? Lorsque plusieurs négociants s'associaient pour acheter un
navire, ils formaient une société de navigation. Et ainsi de suite.

Nos pères savaient fort bien, et par expérience, que les valeurs
mobilières, dont l'essence n'a pas changé, quelle qu'ait pu être la
forme qu'elles avaient de leur temps, étaient condamnées à périr. Leur
préférence pour les placements immobiliers était parfaitement fondée.
Car l'immeuble, qu'il s'agisse d'une maison ou d'une terre de culture,
n'offre pas seulement sur le papier l'avantage de la solidité
matérielle. Il a encore cette supériorité que son rendement se trouve
toujours, à travers les âges, égal à la valeur de l'argent dans un temps
donné.

Le célèbre économiste et financier Léon Say avait une profonde méfiance
des valeurs mobilières qui n'ont même plus la valeur du papier,
disait-il, «parce que quelque chose est écrit dessus». Il aimait à citer
l'exemple d'un petit domaine, la terre de Bourbilly, qui avait appartenu
un moment à Mme de Sévigné et qui, resté tel quel du XVIe siècle à nos
jours, avait toujours donné à ses propriétaires un revenu croissant. Ce
domaine, qui produisait 50 livres en l'an 1523, produisait 2.000 francs
en 1884. La puissance d'achat de 50 livres au XVIe siècle étant celle de
2.000 francs au XIXe, on voit en quoi consiste la seconde garantie qui
est attachée aux biens immeubles: leur rendement et leur valeur locative
se règlent exactement sur la valeur de l'argent, les denrées agricoles
étant elles-mêmes les régulatrices des prix. Au contraire, disait Léon
Say achevant sa démonstration, un capital mobilier égal à la valeur du
domaine de Bourbilly, qui eût rapporté 50 livres en 1523, en admettant
qu'il eût pu arriver intact aux mains des lointains héritiers de 1884,
n'eût rapporté que 50 francs[1].

  [1] Les personnes que ces questions intéressent trouveront de nombreux
    éclaircissements dans le beau livre de M. CAZIOT, la _Valeur de la
    terre en France_ (J.-B. Baillière, éditeur).

Nous avons déjà commencé, depuis la guerre, à assister à un phénomène du
même genre et dont la marche a été extraordinairement rapide. A la
dépréciation du papier-monnaie, à l'avilissement de l'argent, a
correspondu une hausse considérable des produits de la terre et du prix
de la terre elle-même. Nos paysans, qui se sont enrichis, achètent les
moindres parcelles à des prix qui eussent paru fantastiques il y a
quelques années. Sans le savoir, ils raisonnent comme des écononomistes
savants.

D'abord, comme Léon Say, ils n'ont pas confiance dans le papier. Ils ont
hâte de transformer leurs billets de banque ou leurs bons de la Défense
nationale en quelque chose de tangible. Ensuite ils sentent bien que les
produits de la terre, c'est-à-dire les aliments indispensables à
l'homme, donneront un intérêt correspondant au capital engagé.

Plus la monnaie d'un pays est dépréciée, et plus la terre est
recherchée, plus elle vaut cher. La hausse de la terre est même un signe
précurseur de crise de toutes les autres valeurs, y compris le
papier-monnaie. Ainsi, en 1917, en Hongrie, pays agricole, un
demi-hectare de terres labourables avait été vendu 22 000 couronnes et
cette enchère semblait alors fantastique et absurde. L'acquéreur
semblait ne devoir jamais retrouver l'intérêt de son capital. Mais, en
1919, la couronne valait à peine 17 centimes (au lieu de 1 fr. 05)
tandis qu'inversement le prix du quintal de froment avait monté en
conséquence. L'enchère insensée avait été parfaitement raisonnable.

La terre, en France, avait subi une dépréciation considérable à partir
de 1880. Dès l'année 1908, le relèvement était devenu sensible. Il n'a
fait, depuis, que s'accentuer. Le préjugé hostile à la propriété rurale
a disparu et le moindre lopin, dans les bons pays de culture, trouve
aujourd'hui dix acquéreurs pour un. La valeur locative de la terre
suivra naturellement la hausse de l'hectare. En sorte que les
propriétaires fonciers, frappés, il y a trente ans, dans leur capital et
leur revenu, connaîtront de nouveau des jours prospères. Déjà, dans les
régions où le métayage est en honneur, les propriétaires ont participé
directement aux bénéfices réalisés pendant la guerre par les
cultivateurs.

C'était donc bien à la légère qu'on dénigrait les vieilles méthodes de
placement et qu'on faisait fi de l'expérience de nos ancêtres. La
propriété rurale prend aujourd'hui sa revanche et les inconvénients
qu'elle offre (quelle forme de propriété n'a les siens?) semblent peu de
chose quand on les compare aux risques de disparition totale qui sont
attachés aux valeurs mobilières. Nous sommes d'avis que, dans notre
siècle comme à toutes les époques agitées, il n'y a pas de fortune
solide sans assise terrienne.

En France, notamment, l'extrême division de la propriété rurale
constitue une garantie de premier ordre. La question agraire ne se pose
pas dans notre pays parce que les _latifundia_ n'existent pas et que les
domaines un peu étendus y sont même extrêmement rares. Il est difficile
d'imaginer une seule hypothèse dans laquelle, chez nous, la terre serait
l'objet de mesures socialistes, tant il y a de degrés de la petite
propriété à la moyenne et à la grande.

Quant à la crainte des impôts, s'il est vrai qu'il est difficile que la
terre échappe au fisc, il y a aussi une compensation: c'est que, par la
force des choses, la valeur des denrées agricoles tend toujours à
équilibrer toutes les charges. Pour employer une expression vulgaire,
celui qui tient le bon bout, c'est le détenteur du sol d'où vient tout
ce qui se mange et tout ce qui se boit. Tôt ou tard le propriétaire
terrien retrouve son heure.

Le danger social qui menace la propriété rurale est d'une autre nature.
Il est particulier à la France: c'est la dépopulation. Avant 1914, on a
vu des régions entières de plus en plus désertées. C'était le cas des
départements situés dans la vallée de la Garonne, vallée jadis célèbre
par sa fertilité. C'était le cas aussi de nombreux départements de l'Est
où la main-d'oeuvre rurale passait dans l'industrie. Dans toutes ces
parties de la France, la valeur de la propriété rurale ne cessait de
s'effondrer. Au contraire, en Bretagne, peu favorisée par la nature,
mais où la natalité était forte et où les habitants émigraient peu, la
terre était toujours mieux cultivée, toujours plus recherchée, et le
prix de l'hectare s'est élevé constamment.

La guerre, malheureusement, a frappé surtout la classe rurale et, en
plus d'un endroit, c'est une question angoissante de savoir s'il y aura
encore des bras pour tenir la charrue. Il y a là un phénomène beaucoup
plus inquiétant que la hausse du salaire de l'ouvrier agricole.
Cependant on peut espérer que le dépeuplement des campagnes ne
s'accélérera pas et même qu'il y aura un reflux, la profession de
cultivateur étant redevenue et devant rester longtemps encore
rémunératrice. L'extension de la culture mécanique, l'accroissement des
engrais (potasse d'Alsace) contribueront sans doute à maintenir cette
situation favorable.

Il n'en est pas moins vrai que, d'une façon générale, la région ouest de
la France est la vraie région agricole, la seule où le cultivateur soit
assez enraciné et la population rurale encore dense. Il va sans dire
aussi qu'une ferme ne doit pas s'acheter à la légère et qu'il importe de
s'informer sérieusement de la qualité du fonds, parfois très variable
dans une même commune, de l'état des bâtiments, des conditions du bail,
s'il y a un bail en cours, et, s'il n'y en a pas, de la facilité de
trouver un locataire.

Il faut bien savoir aussi que la propriété immobilière (et ceci est vrai
de la terre comme des maisons de rapport) ne peut se conserver et se
transmettre par héritage qu'à une condition: c'est que le propriétaire
ait toujours assez d'argent liquide devant lui pour faire face aux
dépenses prévues ou imprévues, ordinaires ou extraordinaires, telles que
les réparations et les droits successoraux. L'usage ancien, lorsque les
fortunes étaient surtout foncières, était de garder toujours par devers
soi une somme importante. Nous avons connu un riche propriétaire, qui ne
croyait qu'aux biens au soleil, et qui, pourvu de belles rentes,
conservait toujours intacte devant lui une année entière de son revenu.
C'était la sagesse même. Les familles aristocratiques dont le patrimoine
est tout entier en terres et qui vivent au jour le jour sont condamnées,
à chaque accident et à chaque partage, à vendre ou à emprunter. C'est la
ruine certaine au bout de peu de générations. La propriété ne peut se
maintenir dans les mêmes mains que par la prévoyance et l'économie.
Quiconque mange tout son revenu mange inévitablement le fonds.

                                   *

                                 *   *

Le moratorium des loyers, pendant la guerre, et les abus auxquels il a
donné lieu, les lois votées ou projetées qui tendent à restreindre les
droits des propriétaires, n'ont pas empêché la propriété urbaine d'être
aussi appréciée que la propriété rurale. Là aussi le désir, si vif et
presque universel, en temps de crise économique et sociale, de
transformer les valeurs fiduciaires en valeurs solides a poussé les
capitalistes à rechercher les maisons de rapport. En dépit du relèvement
des droits d'enregistrement, jamais les transactions immobilières n'ont
été aussi nombreuses et à des prix aussi élevés qu'à partir de 1918.

On peut dire que, depuis une centaine d'années, presque tous les
propriétaires d'immeubles à Paris et dans la plupart des grandes villes
de France se sont enrichis. La vétusté des maisons n'a même pas été une
cause d'appauvrissement, car la valeur du terrain rachetait amplement la
perte occasionnée par la démolition nécessaire de constructions
vieillies. D'une façon générale, à Paris et dans la banlieue, surtout la
banlieue Ouest, la valeur des terrains a quintuplé quand elle n'a pas
décuplé et centuplé en certains cas depuis 1850. Il suffit de se
souvenir, en effet, que des personnes âgées ont encore vu paître des
vaches à l'endroit où se trouve aujourd'hui le parc Monceau. On a pu
voir à Passy et à Auteuil, jusqu'en 1890, des maisons de paysans.
D'ailleurs, beaucoup de riches familles parisiennes d'aujourd'hui
remontent à un grand-père maraîcher ou blanchisseur qui, pour sa petite
industrie, possédait un vaste terrain valant alors quelques sous le
mètre, et sur lequel se sont élevées des maisons de rapport.

Depuis la guerre, la construction des immeubles s'est presque
entièrement arrêtée. Il est probable qu'elle ne reprendra pas activement
de sitôt en raison de la cherté des matériaux et de la main-d'oeuvre. Il
en résulte une pénurie des logements qui a pour conséquence
l'augmentation des loyers. Les propriétaires possèdent donc ce que les
socialistes appellent un «monopole de fait», et il est question de la
taxation des loyers. Ces mesures, en admettant même qu'elles soient
prises, n'empêcheront jamais qu'un immeuble en briques ou en pierres de
taille constitue une valeur solide, durable, infiniment plus sûre que
toutes les valeurs de papier.

Cette sécurité rachète amplement les ennuis de la gestion, dont il est
facile de se décharger, d'ailleurs, sur des personnes ou des
institutions de confiance dont c'est le métier. Mais il va sans dire
que, comme le propriétaire d'immeubles ruraux, et pour les mêmes
raisons, le propriétaire d'immeubles urbains doit se garder de dépenser
tout son revenu. Il doit toujours compter avec les frais d'entretien et
avec les dépenses imprévues pour réparations et réfection. Une maison de
rapport, pour conserver sa valeur locative, doit être de temps en temps
remise au goût du jour. En outre, l'amortissement du capital employé à
la construction doit être prévu; sinon ce capital disparaîtrait à la
longue avec l'usure des années.

Les personnes qui font construire sans être elles-mêmes du métier et
sans appartenir à l'une des corporations du «bâtiment» doivent bien
savoir aussi que les devis d'architecte sont toujours considérablement
dépassés. Quant à celles qui achètent un immeuble tout construit, nous
croyons devoir leur donner un conseil particulièrement sage à une époque
d'incertitude comme celle que nous traversons: c'est de réaliser la
somme nécessaire à l'acquisition avant de signer l'acte de vente. En
effet, qu'une tourmente de Bourse se produise, et les valeurs sur
lesquelles on comptait peuvent s'effondrer. Nous connaissons, dans une
famille parisienne, un cas de ce genre qui s'est produit jadis. Quelques
jours avant la révolution de 1848, un bourgeois aisé avait acheté une
maison importante qu'il se proposait de payer avec ses valeurs. La
panique qui suivit la révolution bouleversa tous ses calculs et
l'immeuble lui-même, dans la crise de confiance générale, ne put être
revendu qu'avec une perte sensible. Ainsi, faute de prévoyance, une
opération tout à fait normale devint une cause de ruine.

Nous ne parlons pas ici des achats de terrains nus. C'est de la
spéculation pure. L'acquéreur compte sur une plus-value qui ne s'obtient
parfois qu'après un temps fort long pendant lequel il faut payer l'impôt
foncier tandis que le capital employé reste improductif. A l'heure
actuelle, l'arrêt des constructions rend ce risque encore plus sérieux.
Dans l'espoir d'une plus-value qui est loin d'être toujours certaine, le
spéculateur s'expose à se priver pour longtemps de son argent.

Quant aux usines et manufactures, c'est un genre d'immeubles dont les
particuliers doivent se détourner en raison de la difficulté de trouver
des locataires. Il en est de même des maisons de plaisance à la campagne
ou à la mer, qui, sauf dans certains lieux régulièrement fréquentés ou
bien à proximité d'une grande ville, peuvent apporter des déboires. Au
chapitre qui suit, celui des hypothèques, nous développons les raisons
qui conseillent de s'écarter des formes excentriques de la propriété.
Une usine ne convient qu'à un industriel et une maison de plaisance doit
être considérée avant tout comme une maison d'agrément. Pour un
placement sérieux, il n'y a que les maisons de rapport proprement
dites[2].

  [2] Les droits de mutation et de transcription devant être
    prochainement relevés, on peut compter qu'avec les honoraires du
    notaire les frais d'achat d'un immeuble, qui étaient d'environ 10 p.
    100 du prix principal, monteront à l'avenir à environ 15 p. 100.



CHAPITRE IV

DES PLACEMENTS HYPOTHÉCAIRES

Raisons pour lesquelles se recommande ce genre de
placements.--Conditions auxquelles ils sont sûrs et avantageux.--Des
précautions à prendre et des dangers à éviter.--De la part qu'il
convient de leur attribuer dans un patrimoine.


Un principe essentiel s'impose à tout capitaliste prudent. C'est de ne
prêter aucune somme d'argent avant de s'être assuré au préalable, non
seulement des garanties affectées à la créance, mais encore du
remboursement intégral des fonds dans un espace de temps limité. De ce
point de vue, on comprendra que les placements hypothécaires
apparaissent comme étant au plus haut degré recommandables, car ils
remplissent les deux conditions que nous venons d'énoncer. Ce genre de
placement était en grand honneur autrefois. Il mériterait d'être plus
souvent pratiqué à une époque d'insécurité pour les capitaux telle que
la nôtre.

Le gage immobilier, à la condition absolue qu'il soit choisi avec
discernement et en observant certaines règles que nous préciserons tout
à l'heure, est en effet d'une solidité sans pareille. Bien entendu, une
hypothèque sérieuse doit toujours, et sans exception, être une première
hypothèque. Toute autre n'est qu'une spéculation. De plus, le prêt ne
doit en aucun cas dépasser 50 p. 100 de la valeur vénale présumée de
l'immeuble affecté à la garantie, en sorte qu'il subsiste une marge
suffisante pour les dépréciations éventuelles et aussi pour les intérêts
impayés, frais d'expropriation et de poursuites, etc., s'il y a lieu.
L'usage est d'ailleurs d'évaluer ces frais à 20 p. 100 du capital
exposé, en sorte qu'une inscription hypothécaire totale de 120.000
francs doit être prise sur un immeuble d'une valeur d'au moins 200.000
francs pour sûreté d'une avance de 100.000 francs, lesquels sont seuls à
porter intérêt au profit du créancier, comme il va de soi.

En outre, et cette stipulation est de toute première importance, le
délai fixé pour le remboursement ne doit pas, en principe, quelle que
soit la tentation qu'éprouve un rentier d'assurer son repos pour une
longue durée, s'étendre au delà de dix années. Ce délai est d'ailleurs
celui qui est fixé par la loi elle-même pour le renouvellement des
inscriptions hypothécaires, et il n'est pas rare que les dispositions de
la loi, comme beaucoup d'usages et de moeurs, reposent sur des raisons
de bon sens et d'expérience. Il est néanmoins des capitalistes très
prudents qui préfèrent se tenir en deçà de cette limite extrême de dix
années et qui ne consentent que des prêts à terme plus court. Il
convient d'approuver leur prévoyance. Car il suffit souvent d'un espace
de temps très bref pour que des constructions vieillissent, pour que la
terre, dans une région donnée, se déprécie, et pour qu'un immeuble de
rapport urbain, situé dans un quartier dont la population vient à se
détourner pour des causes imprévues, ne trouve que difficilement des
locataires ou ne les trouve plus que dans une catégorie inférieure et
moyennant une forte réduction des loyers. Il suffit de se rappeler la
disgrâce du Palais-Royal, qui, après avoir été un des lieux les plus
fréquentés de Paris, a perdu sa vogue.

Les exemples et les chiffres cités par M. Pierre Caziot, inspecteur
général du Crédit foncier de France, dans son remarquable ouvrage, _la
Valeur de la terre en France_, sont extrêmement significatifs à cet
égard. Nous citerons quelques cas qui pourront fixer les idées.

Ainsi il n'est pas rare que des exploitations rurales aient perdu en
vingt ou vingt-cinq ans beaucoup plus de la moitié de leur valeur. M.
Pierre Caziot signale une ferme du pays de Caux réputée «excellente» et
qui, payée 300.000 francs en 1876, s'est vendue 105.000 francs seulement
en 1905. Très loin de là, et dans un autre pays renommé pour sa
fertilité, la Limagne, une propriété évaluée au prix de 180.000 francs
en 1879, a été achetée 43.500 francs en 1903. Dans la vallée de la
Garonne, un «domaine d'alluvions» qui, en 1884, avait été payé 360.000
francs, frais compris, par son propriétaire et passait pour valoir
réellement 320.000 francs, a été cédé pour 105.000 francs seulement en
1904, c'est-à-dire juste vingt ans plus tard. On voit que, dans ce cas,
qui n'est pas isolé, un créancier qui se fût reposé sur la règle de 50
p. 100 de garantie et qui eût consenti un prêt remboursable au bout de
vingt ans se serait lourdement trompé. Une personne qui, en 1884, eût
avancé au propriétaire de ce domaine 120.000 francs seulement, garantis
par une première hypothèque et remboursables en 1904, eût peut-être
pensé faire un placement des plus sérieux et dépourvu de risques. Dans
la réalité, cette personne eût été imprudente et se fût exposée à une
perte sensible, sinon même à une perte grave.

Aussi faut-il considérer que des prêts à court terme renforcent la
garantie du capital avancé pour la raison qu'ils permettent au prêteur
de suivre, pour ainsi dire pas à pas, la valeur de la propriété qui lui
sert de gage. De plus, il devient possible au prêteur, par la diversité
de ses placements hypothécaires, de se ménager des rentrées d'argent à
des dates successives et d'échelonner les remboursements en sorte qu'il
soit mis à même, mécaniquement, pour ainsi dire, de profiter des
occasions qui se présentent, et, en particulier, d'un relèvement du taux
de l'intérêt. La règle, ici, est la même que celle que nous poserons
pour les emprunts d'État, les obligations de chemins de fer ou leurs
succédanés. Représentez-vous la bonne fortune qui fût échue à un
capitaliste qui, durant la crise de 1913-1914, eût vu arriver à
expiration un prêt de 100.000 francs, consenti dix années plus tôt. Avec
100.000 francs, en 1904, il ne pouvait acheter, par exemple, que 215
obligations du chemin de fer du Nord. Avec la même somme en juin 1914,
il pouvait en acquérir 240. Deux mois plus tard, en pleine guerre
européenne, 100.000 francs liquides devenaient une fortune. Et, de
toutes façons, la situation du créancier eût été excellente, car à toute
demande de prolongation de délai ou de renouvellement de la part de son
débiteur, il lui eût été possible de relever l'intérêt porté par
l'obligation hypothécaire, vu la raréfaction des capitaux et la cherté
du loyer de l'argent, d'obtenir 5 p. 100 et même davantage, au lieu de 4
p. 100, taux courant au début du XXe siècle. Après la guerre, il est
probable que le taux de 5 1/2 p. 100, autorisé par la loi, se
maintiendra longtemps.

Enfin, il tombe sous le sens qu'un père de famille prévoyant et qui
calcule que, dans un certain nombre d'années, il devra doter une fille
ou pourvoir à l'établissement d'un fils, trouvera un avantage
considérable à placer son argent de telle sorte qu'il soit assuré, au
jour dit, de retrouver intacte et liquide la somme dont il pense avoir
besoin. Or, tandis qu'il est absolument impossible de prévoir, même par
approximation, cinq ou dix ans à l'avance, le cours des valeurs sur les
marchés financiers, le remboursement d'une obligation hypothécaire de
bonne qualité se fait au contraire à la date fixée, sans perte et sans
déception.

Ces deux avantages conjoints: sécurité du capital prêté, réapparition du
capital intact dans un délai rapproché, paraissent extrêmement
séduisants à beaucoup de capitalistes avisés qui, en outre, n'ignorent
pas que l'administration et la loi renforcent de toute leur autorité la
situation des créanciers hypothécaires.

Non seulement il y a des fonctionnaires spéciaux attachés à la
conservation des hypothèques, mais encore le Code civil contient tout un
«titre» qui en établit les règles avec une précision minutieuse. C'est
que notre système administratif et nos Codes ont été, il y a cent et
quelques années, l'oeuvre de la bourgeoisie française. En remplissant
leur mission de législateurs, les représentants du monde bourgeois
s'étaient tout naturellement appliqués à entourer la propriété de
garanties particulières. Et naturellement aussi ils s'étaient occupés de
la propriété sous les aspects qu'elle avait coutume de revêtir de leur
temps. Pénétrés de cette idée que les patrimoines étaient quelque chose
d'intangible et de sacré et que l'État devait mettre toutes ses forces
au service de la conservation des patrimoines, les rédacteurs du Code
civil ont accumulé les précautions autour de la propriété immobilière et
des hypothèques, qui constituaient l'élément essentiel des fortunes
privées au commencement du XIXe siècle. Notre Code civil est le Code
d'un pays où les terres et les maisons représentaient les principales
richesses, en ce sens que terres et maisons étaient les valeurs dans
lesquelles toute richesse tendait à se convertir. Lorsque, plus tard,
les valeurs mobilières eurent pris leur essor et commencé à jouir d'une
vogue presque universelle, il fallut, tant bien que mal, adapter nos
lois à ce nouvel état de choses. L'adaptation a été tellement
insuffisante que, de nos jours encore, le législateur se préoccupe de la
réviser chaque fois que le besoin de «protéger l'épargne» s'impose à la
suite de quelque scandale trop éclatant. D'ailleurs, on peut dire
qu'aucune des mesures que le législateur a prises en ce sens n'a eu
d'efficacité réelle. Quelquefois même ces mesures se sont retournées
contre les intentions de leurs auteurs: témoin l'obligation, pour les
sociétés qui font appel au crédit public, de publier leur bilan et un
certain nombre d'autres renseignements au _Journal officiel_, insertions
dont les émetteurs malhonnêtes se servent ensuite auprès de la masse des
naïfs comme d'une estampille de l'État.

Au contraire, les précautions qui sont prises pour la protection du
créancier hypothécaire ne laissent place à aucun doute. Tous les
articles du Code civil qui y ont trait sont d'une perfection digne de
servir de modèle. Et cela même constitue une garantie qui n'est pas à
dédaigner.

Au point de vue fiscal, les créanciers hypothécaires ont été jusqu'à
présent relativement ménagés: cela dit au point de vue du créancier,
s'entend, car le débiteur, pour sa part, a des droits d'enregistrement
très lourds à acquitter. En tout cas, le créancier hypothécaire avait
touché, jusqu'à hier, ses intérêts nets de tout impôt. La taxe de 5 p.
100 en est retranchée depuis la mise en vigueur de l'impôt cédulaire sur
les diverses sources de revenus. Toutefois, il est permis de considérer
que le «tour de vis», en ce qui concerne cette «cédule», sera modéré,
sinon retenu par le souci, très apparent dans le Parlement français, de
ne pas mécontenter trop vivement le monde rural. En effet, toute
taxation aura pour effet de rendre plus exigeants les détenteurs de
capitaux qui ont tendance à se dédommager sur l'emprunteur. Or les
petits propriétaires, dans nos campagnes, recourent fréquemment aux
emprunts hypothécaires pour se procurer les fonds nécessaires à la mise
en valeur ou au développement de leur exploitation. Il arrive même que
des cultivateurs hypothèquent la terre qu'ils possèdent afin d'en
acquérir une autre à laquelle, par leur labeur, ils réussissent à faire
produire plus que l'intérêt de la somme qu'ils ont empruntée. Les
populations agricoles forment une clientèle électorale dont les voeux
sont très écoutés. Il paraît donc assez probable, pour ces raisons, que
le revenu des créances hypothécaires a chance, pendant assez longtemps,
d'être moins frappé que le revenu des valeurs mobilières.

La meilleure preuve du caractère avantageux des placements hypothécaires
réside dans le fait que les établissements connus sous le nom de
«Crédits fonciers» n'exercent pas une autre industrie que celle qui
consiste à placer sur hypothèques les sommes qu'ils empruntent au
public, leur bénéfice étant constitué par la différence entre l'intérêt
qu'ils reçoivent de leurs débiteurs d'une part, et l'intérêt qu'ils
payent à leurs propres obligataires de l'autre. Il est donc clair que le
capitaliste trouve avantage à pratiquer directement l'opération qu'il
fait par personne interposée en achetant les obligations d'une société
de Crédit foncier.

Seulement il va sans dire que le capitaliste doit suppléer par un
redoublement d'attention et de prudence aux services d'information que
possèdent de grands établissements supérieurement outillés. Il est on ne
peut plus dangereux de prêter de l'argent, même en première hypothèque,
sur un immeuble quelconque, si l'on ne s'est pas assuré par soi-même de
la valeur et du rendement de cet immeuble. Il importe de ne pas se
laisser éblouir par les mots de «première hypothèque». Les capitalistes
qui succombent à la tentation de placer de l'argent sur des propriétés
lointaines et qu'ils n'ont jamais vues s'exposent à de fâcheuses
mésaventures.

Il est particulièrement périlleux d'accepter pour gage des propriétés de
plaisance, châteaux, parcs, etc. qui n'ont, en somme, d'autre valeur que
leur attrait aux yeux d'un nombre limité de personnes, et qui
représentent des charges plutôt qu'un rapport. A éviter encore (sauf
exceptions légitimées par la connaissance approfondie de cas
particuliers) les constructions destinées à l'industrie. Il est souvent
arrivé qu'un prêteur téméraire se réveillât un matin nanti d'un château
ou bien d'une manufacture abandonnée par le manufacturier en faillite,
et se trouvât bien en peine de tirer parti de son gage. Aussi les
statuts du Crédit foncier de France qui, d'une façon générale, éliminent
toute cette catégorie d'immeubles de ceux sur lesquels peuvent être
consenties des avances, doivent-ils servir de guide à cet égard. Il n'en
arrive pas moins au Crédit foncier lui-même d'éprouver des surprises et
des pertes. En 1914, on a dû mettre en vente à sa requête un des plus
grands hôtels de Trouville, maison naguère très achalandée et qui, en
outre, comportait 4.000 mètres de terrain dans le plus bel emplacement
d'une plage à la mode. La concurrence, surgie à l'improviste, d'une
plage voisine, ayant causé un tort considérable à Trouville, la marge de
garantie, jugée quelques années auparavant plus que suffisante par le
Crédit foncier, s'est trouvée réduite à tel point que cet établissement
a eu lieu de concevoir de fortes craintes pour sa créance. Il y a là une
indication à retenir pour le capitaliste judicieux et prudent, qui sera
toujours sage d'éviter de s'engager dans les affaires qui reposent sur
l'exploitation d'une vogue ou d'un plaisir. D'une année à l'autre, un
simple caprice du public suffit à ruiner une station thermale, un
casino, un théâtre, etc. Les exemples sont innombrables et chacun en
retrouverait sans peine dans sa mémoire de très frappants.

Les hypothèques sur les maisons de rapport et sur les terres cultivées
sont donc les seules qui se recommandent. Encore faut-il, dans ces cas
mêmes, choisir avec soin et se conformer aux observations que nous avons
formulées plus haut pour l'acquisition de ces deux sortes de propriétés.
Il est tout à fait déraisonnable de prendre pour gage des terres situées
dans une région en pleine décadence agricole et qui n'a pas ou n'a que
peu de chances de se relever. Il est téméraire également d'avancer de
l'argent sur les vignobles, lesquels sont particulièrement sujets à des
crises graves.

Il n'est pas très rare d'ailleurs que, dans les provinces, les notaires,
qui servent d'intermédiaires entre le créancier et le débiteur et pour
qui ces opérations représentent une part très appréciable de leur
activité, ajoutent leur garantie personnelle à la garantie hypothécaire
qu'ils ont négociée. Il n'est pas rare non plus qu'ils se chargent de
tous les recouvrements. Lorsque le notaire est une personne solvable,
éprouvée, et qui mérite notoirement confiance, le capitaliste peut, à la
rigueur, se dispenser de s'assurer par lui-même de la solidité de son
gage. Ce cas se présente surtout dans les campagnes ou l'on a l'avantage
de connaître de plus près que dans les villes les personnes et les
situations de fortune. Ajoutons qu'un inconvénient des placements
hypothécaires est que le paiement des arrérages ne se fait pas toujours
avec la régularité absolue à laquelle est accoutumé le porteur de bonnes
valeurs mobilières. Il est même d'usage, dans certaines régions rurales
de la France, qu'un délai de trois mois soit accordé au débiteur. Mais,
bien entendu, l'argent prêté porte intérêt jusqu'au jour où le
remboursement intégral est effectué, sans quoi la tolérance précitée
deviendrait un cadeau pur et simple accordé au débiteur.

Ces observations faites, nous ne pouvons que répéter notre opinion sur
les placements hypothécaires, qui sont éminemment propres, dans une
période de trouble pour les capitaux comme celle qui vient de s'ouvrir,
à apporter aux fortunes privées un précieux élément de stabilité. Un
capitaliste qui placerait le cinquième environ de sa fortune en
hypothèques de premier rang, sur des gages solides, judicieusement
choisis, aurait chance de faire un très bon calcul et de s'en féliciter
dans l'avenir. Nous pouvons ajouter, pour l'édification du lecteur, que
nous connaissons des personnes qui sont mêlées de près, en raison de
leur profession, aux affaires de la Bourse et qui n'en placent pas
moins, de la manière que nous venons de définir, une notable fraction de
leur avoir. Il y a là, nous semble-t-il, une indication à retenir et à
utiliser.

Nous savons qu'on reproche à ce genre de placement l'immobilisation de
capital qu'il entraîne, ainsi que la difficulté de céder et de négocier
les obligations hypothécaires. Les transferts sont certes possibles,
mais ils sont coûteux: 4 p. 100 du capital environ. C'est pourquoi l'on
a dit que le créancier était «rivé à l'hypothèque». N'est-il pas rivé
bien autrement, le porteur de valeurs mobilières qui ont baissé de 20,
30 ou 50 p. 100, sinon davantage, qui ne trouvent plus d'acheteurs en
Bourse et ne sont plus cotées ou n'offrent plus que des cours fictifs?

L'immobilisation des capitaux par le prêt hypothécaire n'est pas niable.
Mais, sans compter que la question ne se pose pas pour les personnes qui
vivent de leurs revenus, l'inconvénient peut être notablement atténué
par le système qui consiste à fractionner les placements. Ce système,
comme nous l'avons montré, permet au prêteur d'échelonner les
remboursements et de se ménager des rentrées successives de capital
liquide. Quant à l'objection tirée de la peine qu'il faut se donner pour
trouver de bons gages immobiliers, dépourvus de vices cachés, nous
demandons si elle ne s'applique pas à l'acquisition des valeurs
mobilières et dans des conditions infiniment pires d'obscurité et de
tâtonnement.



CHAPITRE V

EMPRUNTS FRANÇAIS ET EMPRUNTS DES ÉTATS ALLIÉS DE LA FRANCE

Danger des rentes perpétuelles.--Qu'il faut leur préférer les rentes
amortissables.--Comparaison des deux 3 p. 100 français.--Le crédit de la
France victorieuse.--Ombres et clartés.--Raisons pour lesquelles le
capitaliste doit être porteur des rentes nouvelles.--Emprunts des villes
et des colonies françaises.--Immense prospérité des États-Unis.--La
décadence des consolidés anglais et les fonds britanniques.--Rente
belge.--Rente italienne.--La catastrophe russe et nos milliards:
incertitudes de l'avenir et richesses latentes de la Russie.--Fonds
roumains, serbes, grecs et portugais.--Japon et Chine.


Avant le mois d'août 1914, la dette publique des grands États européens
atteignait un total dont s'effrayaient les financiers. Celle de la
France semblait particulièrement lourde et inquiétante: une trentaine de
milliards, passif du XIXe siècle et de la défaite de 1870, avec une
population stationnaire et une exportation lentement progressive,
largement dépassée par celle de nos concurrents. Peu d'amortissement.
Des dépenses croissantes, des charges toujours plus lourdes, des budgets
plus enflés... Ces préoccupations se répandaient dans le public et la
vieille confiance dans la rente française commençait à être ébranlée.
Au-dessus du pair, dans les premières années du XXe siècle, le 3 p. 100
s'était effrité peu à peu, d'autant plus qu'il était menacé de l'impôt
cédulaire. Certaines personnes se vantaient de ne plus en avoir un
centime en portefeuille et se félicitaient d'avoir échappé à une
diminution certaine de leur capital et de leur revenu.

«Il n'y a pas de rente perpétuelle. Il n'y a que les concessions de
cimetière qui soient à perpétuité. Et encore un jour vient où l'on
désaffecte les cimetières», disait un homme d'esprit. Il traduisait
ainsi l'inquiétude qui s'empare de tous les détenteurs de titres,
lorsque ces titres ne sont pas soutenus par un amortissement régulier,
dès qu'un mouvement continu de baisse commence à se produire. Une rente
est perpétuelle lorsque son capital _ne doit jamais être remboursé_. Ce
capital n'est représenté que par les cours cotés en Bourse, eux-mêmes
expression du crédit public. Qu'une grande crise survienne, et c'est
alors seulement que la masse s'aperçoit qu'il est anormal de prêter à
l'État autrement qu'on ne prête aux particuliers, c'est-à-dire sans
prescrire un terme pour le remboursement.

En temps de calme et de prospérité, quand le loyer de l'argent s'abaisse
et que l'État n'a pas besoin d'emprunter, la rente atteint et dépasse le
pair. Alors l'État réduit sa dette perpétuelle par le moyen des
conversions. Telle est sa façon de rembourser. C'est ainsi que, par
l'effet de réductions successives, notre vieux 5 p. 100 était devenu du
3 p. 100 en 1902. Mais que survienne une grande catastrophe, alors les
cours descendent avec une vitesse vertigineuse. Voilà comment les
porteurs de rente perpétuelle, après avoir vu leur intérêt diminuer des
deux cinquièmes, avaient fini par voir leur capital lui-même diminuer
d'un tiers puisque, venant du pair, le 3 p. 100 ne valait guère plus
d'une soixantaine de francs en 1919.

Pendant ce temps, l'autre type de 3 p. 100, le 3 p. 100 amortissable, ne
perdait qu'un quart de sa valeur et se tenait à 75 francs. C'est que,
celui-là, l'État s'est engagé à le rembourser par séries tirées au sort
chaque année et qu'il a tenu scrupuleusement cet engagement pendant
toute la guerre. Le porteur de 3 p. 100 amortissable a l'assurance
écrite de revoir son capital, assurance que le porteur de 3 p. 100
perpétuel n'a pas. Et, dans un temps d'incertitude, la garantie du
capital est ce qui importe le plus. On ne prête plus qu'à très court
terme quand le lendemain n'est pas sûr. Le gouvernement français l'a si
bien compris que, pendant les hostilités et même après, il a émis des
bons et des obligations aux échéances les plus diverses, variant d'un
mois à dix ans, et qui ont obtenu pour cette raison un immense succès.

En même temps, il émettait des rentes perpétuelles mais à des prix très
inférieurs, du 5 p. 100 à moins de 90 francs, du 4 p. 100 aux environs
de 70, ce qui promettait aux souscripteurs, outre un intérêt
substantiel, une augmentation considérable de leur capital, avec la
hausse escomptée des cours dans un avenir plus ou moins rapproché. Mais
cette espérance ne pouvait rivaliser avec la certitude donnée par les
bons et les obligations à court terme ni même avec les chances de tirage
au sort du 3 p. 100 amortissable dont les cours sont plus élevés que
ceux des deux emprunts de guerre 4 p. 100.

De ces constatations, un enseignement précieux se dégage pour les
porteurs de fonds d'États.

Si puissant et si prospère que soit un État, rien n'est éternel. Il n'y
a pas de progrès indéfini. Si le crédit public est solide, l'État
convertit ses rentes: c'est ce qu'avaient fait tour à tour, dans la
période contemporaine, la France, l'Italie, précédées par l'Angleterre
dont le _consolidé_ n'était plus que du 2 1/2. Quand, au contraire, le
crédit public faiblit, les cours s'effondrent et le capital est atteint.
Après quelques mouvements de bascule de ce genre, au bout d'un certain
nombre d'années, que resterait-il d'une fortune constituée en rentes
dites perpétuelles sur l'État le plus riche et le mieux administré du
monde,--en admettant que cet État durât toujours semblable à lui-même,
alors que nous avons sous les yeux l'exemple de tant d'Empires écroulés?
Il est clair qu'il n'en resterait plus que ce qui reste des anciennes
rentes sur l'Hôtel-de-Ville du temps passé: un simple souvenir.

Un père de famille soucieux de l'avenir de ses enfants et de la
conservation de son patrimoine doit donc suivre les fluctuations de la
rente elle-même d'aussi près que celles d'une valeur industrielle.
D'ailleurs, la rente n'est-elle pas une action de ces vastes sociétés
qui s'appellent les nations? L'idée de l'État a acquis de notre temps un
prestige et même une majesté qu'elle a dus à la stabilité dont les
grandes puissances avaient fait preuve pendant le XIXe siècle. C'est ce
qui effaçait le souvenir de la faillite partielle où était tombé notre
pays, lorsque la Révolution française avait été obligée de renier les
deux tiers de sa dette en donnant au reste le nom de «tiers consolidé».
Il a fallu la guerre pour rappeler aux rentiers la fragilité des États.

La Russie ruinée par la révolution, l'Autriche-Hongrie décomposée:
l'exemple de ces deux puissances, où le public français avait placé tant
d'argent, a montré combien était sage le vieux conseil de ne pas mettre
tous ses oeufs dans le même panier. D'autre part, dans les pays
victorieux eux-mêmes, l'énorme baisse des anciens fonds publics révélait
le danger des rentes perpétuelles, puisque le porteur de consolidé
anglais, naguère réputé la première valeur du monde, perdait 40 p. 100
de son capital. Les fonds d'État qui passent pour les plus sûrs exigent
donc, comme tous les autres éléments des fortunes, une attention
toujours soutenue, une prudence toujours en éveil.

Ces expériences cruelles, dont plus d'un patrimoine français aura peine
à se relever, doivent nous servir à réitérer ce conseil fondamental:
protégez au moins une partie de vos capitaux en ne les plaçant pas tous
à fonds perdus. Garantissez-vous une certaine stabilité par des
placements temporaires et remboursables à échéances fixes. Ne vous fiez
pas aux seuls cours de Bourse pour évaluer votre fortune. La vieille
société est entrée dans une période de secousses et de transformations
où les crises seront fréquentes. Jouez, si vous voulez, la chance de sa
conservation et de son relèvement. Assurez-vous aussi contre les risques
possibles en les divisant avec sagesse, dans le temps aussi bien que
dans l'espace. Et prenez toujours pour guide la préservation de votre
capital, de façon à être toujours à même, en cas de perte, d'en
retrouver une partie et de réparer votre fortune.

A la lumière de cet avertissement préalable, nous examinerons utilement
au point de vue pratique les conditions présentes et, autant que
possible, à venir, des fonds émis par les divers États, en commençant
par ceux qui ont pris part à la guerre.

                                   *

                                 *   *

«Soyez toujours à la hausse sur votre pays, _be always a bull on your
country._» Ce conseil vient du grand financier américain Pierpont
Morgan. Nous plaindrions, en effet, le Français qui, pouvant souscrire,
ne fût-ce qu'à cinquante ou à cinq francs de rente, se serait abstenu de
participer pendant la guerre aux emprunts de la Défense nationale.

Jusqu'ici les souscripteurs n'ont pas eu à regretter leur confiance. Ils
n'ont pas seulement entre les mains un titre dont le revenu, au prix
d'émission, ressortait à plus de 5 1/2 p. 100, garanti pendant
vingt-cinq années contre tout impôt ou conversion. Ils ont pu, parfois,
enregistrer une plus-value qui, normalement, devrait se reproduire et
augmenter.

L'heureuse terminaison de la guerre permet d'abord d'espérer que, malgré
l'énormité de ses pertes et de ses charges, la France ne fera pas
faillite, sort qui est réservé aux vaincus. Sans doute il faudra à
l'État, pour triompher de ses énormes difficultés financières, de la
prudence, de la sagesse, une bonne administration. Reste à savoir si
nous avons ces garanties. Il lui faudra aussi obtenir des États-Unis une
aide de plusieurs années et des avances sur les milliards à payer par
l'Allemagne à titre de réparations. Il faudra en outre que ces milliards
soient exactement payés par les vaincus. II faudra, enfin, que nous
ayons vis-à-vis de l'Allemagne une sécurité telle que nous ne soyons
plus exposés au danger d'une nouvelle guerre, ni, par conséquent,
astreints à supporter le fardeau d'une armée permanente.

Si ces conditions sont remplies, alors, et alors seulement, la France
reconstituera sa vie économique et fera face à ses engagements malgré
l'effroyable saignée qui lui a enlevé près de deux millions d'hommes
énergiques, la fleur de la nation. La France retrouve, libres de
charges, ses riches provinces agricoles et industrielles d'Alsace et de
Lorraine. Il ne tient qu'à elle et à son gouvernement d'être de nouveau
florissante quand la période de la liquidation sera franchie.

Voilà pour la sécurité qu'offrent dans l'avenir les emprunts français.
Nous ne croyons pas qu'il convienne de nourrir des espérances exagérées.
Jusqu'à ce que les rentes nouvelles se stabilisent au pair ou aux
environs du pair, en admettant même qu'il ne survienne pas de gros
imprévu, il y aura encore plus d'une crise et, par conséquent, plus d'un
recul. L'Europe reste trop troublée pour qu'il n'y ait pas, ici et là,
quelques nouveaux orages. A l'intérieur même, il serait excessif de
compter que l'harmonie sera toujours parfaite.

La France offre toutefois une particularité qui, aux yeux de l'homme
réfléchi, est singulièrement précieuse. C'est, par excellence, le pays
de la petite propriété et des fortunes moyennes. Cet état social, dans
une époque tourmentée, est éminemment favorable à la sécurité des
capitaux. Il atténue les luttes violentes entre possédants et
non-possédants. On doit se rappeler que sept millions de personnes ont
souscrit à l'emprunt 4 p. 100 de 1918. Cela fait qu'environ quatre
familles françaises sur cinq sont intéressées, par le fait de ce seul
emprunt, à la tranquillité publique et à la solvabilité de l'État. Une
pareille proportion ne se retrouve dans aucun autre pays.

Prises en elles-mêmes, estimées à leur valeur intrinsèque, toute
considération de sentiment et de patriotisme mise à part, les nouvelles
rentes françaises offrent donc un attrait et des garanties appréciables.
Le capitaliste français a même un intérêt certain à en être muni.
D'abord leur revenu est exonéré de tout impôt cédulaire. Ensuite, des
dispositions fiscales ont prévu que les rentes émises pendant les
hostilités, déjà acceptées en payement des taxes sur les bénéfices de
guerre, le seraient également en payement des taxes successorales. Il y
a là une tendance à laquelle il faut prendre garde, car elle pourra se
développer. Elle consiste à privilégier le porteur de rentes françaises
par rapport au porteur d'autres titres. Au cas, qui n'est nullement
impossible, où des impôts extraordinaires viendraient à être établis, le
même privilège pourrait encore trouver une application considérablement
étendue, tandis qu'un capitaliste non pourvu de nos fonds nationaux
pourrait être exposé à des sacrifices supplémentaires. C'est une
conséquence de cette loi de la nationalisation de l'argent que nous
avons exposée plus haut.

Aussi pensons-nous qu'à tous les égards le capitaliste français serait
bien inspiré en plaçant environ la huitième partie de sa fortune en
rentes françaises perpétuelles des différentes séries qui sont
actuellement à sa disposition. A lui de voir un jour, si, comme on
l'espère, le cours de ces rentes a sensiblement monté, il doit réaliser
et consolider son bénéfice. Nous le répétons: rien n'est éternel. Même
si une période de tranquillité et de prospérité doit s'ouvrir, un moment
viendra toujours où les vaches maigres succéderont aux vaches grasses.
Il sera bon d'avoir mis à profit les heures favorables pour s'abriter
contre les retours de fortune et de ne pas s'endormir sur le mol
oreiller d'une «perpétuité» illusoire.

D'ailleurs, l'État français lui-même, ses grandes villes et ses colonies
offrent et offriront encore une grande variété d'emprunts amortissables,
garantissant des remboursements de capitaux soit à échéance fixe, soit
par tirage au sort. Il est probable que pendant assez longtemps le
Trésor continuera à émettre des bons à courte échéance productifs d'un
intérêt avantageux. Ce sera un excellent refuge pour les capitalistes
désireux de voir venir les événements et de se ménager des
disponibilités.

Les emprunts des grandes villes et notamment de la ville de Paris, qui a
toujours tenu ses engagements d'une façon scrupuleuse, ne cesseront
certainement pas d'être recherchés par l'épargne, et avec raison. La
ville de Paris a coutume d'offrir au public des emprunts à lots. Nous ne
conseillerons jamais à personne de sacrifier à l'attrait de la loterie
une part importante de son revenu. En général, les emprunts à lots sont
moins rémunérateurs que les autres et l'on paie cher quelques millièmes
de chances de s'enrichir grâce à un hasard heureux. Lorsque les valeurs
à lots donnent un intérêt inférieur à la moyenne, il convient de n'en
prendre que pour ouvrir une porte à la fortune. Le calcul des
probabilités montre que la perte de revenu éprouvée sur cent titres de
ce genre n'est pas compensée par la chance de voir sortir un des bons
numéros. Dans ce cas, les valeurs à lots doivent être considérées comme
des billets de loterie de qualité supérieure. Les portefeuilles bien
administrés ne leur font qu'une part restreinte.

Les emprunts des colonies françaises doivent être assimilés aux emprunts
de la métropole et jouissent des mêmes garanties quand ils ont la
caution de l'État. Les personnes très prévoyantes feront cependant une
distinction entre nos possessions africaines et nos possessions
asiatiques. Les premières ne semblent pas avoir, d'ici longtemps, à
redouter le sort de tant de colonies qui, au cours des siècles, ont
passé de main en main. Nous sommes solidement établis, et plus
solidement encore depuis la guerre, dans l'Afrique du Nord et dans
l'Afrique occidentale. Les obligations 3 p. 100 de cette dernière, dont
le coupon est net d'impôt, sont séduisantes. Remboursables à cinq cents
francs, elles valaient environ trois cent cinquante francs en 1919. Pour
l'Afrique du Nord, qui comprend l'Algérie, la Tunisie et le Maroc, les
obligations marocaines sont, par le revenu, les plus rémunératrices. Les
Tunisiennes 3 p. 100, surtout celles de la série 1892, la plus ancienne
et dont l'amortissement est par conséquent plus rapide, paraissent les
plus dignes d'être recherchées.

Quant à nos colonies d'Extrême-Orient, Indo-Chine, Annam et Tonkin, leur
destinée est beaucoup moins sûre. L'Asie, avec son énorme population,
pourrait bien être travaillée un jour ou l'autre par ces mouvements
nationalistes qui, venus d'Europe, ont répandu leurs ondes un peu
partout. Déjà, aux Indes, se sont manifestés des signes précurseurs qui
ne laissent pas d'inquiéter les Anglais. Il y a, dans le monde
asiatique, de grosses inconnues. Il est inutile de les affronter sous la
forme de valeurs qui n'offrent aucun avantage spécial et dont il est
facile de s'abstenir. Remarquons en outre que l'obligation 3 1/2 de
l'_Indo-Chine_ n'est pas garantie par l'État français.

                                   *

                                 *   *

Avant de passer en revue les fonds d'États étrangers, il importe de
rappeler que les coupons de ces valeurs sont soumis, en France, à un
impôt cédulaire qui est actuellement de 6 p. 100 et qui pourra bien être
aggravé un jour ou l'autre. Certaines de ces valeurs acquittent déjà des
taxes dans leur pays d'origine. Il est possible qu'avec la marée
montante des budgets, ces taxes soient augmentées là où elles existent,
créées où elles n'existent pas. On devra donc tenir compte de ces
déductions dans le calcul du revenu. Cette observation s'applique
d'ailleurs à toutes les sortes de valeurs étrangères.

Une autre remarque concerne le change. Avant la guerre, la France avait
sur toutes les places des changes excellents. La guerre a bouleversé
cette situation. Le franc vaut moins que le dollar, la livre sterling,
le florin, etc... Les personnes qui possédaient des valeurs de pays au
crédit solide ont bénéficié de ce renversement des rôles. Elles touchent
une prime importante sur leurs coupons payables en monnaie étrangère.
Elles enregistrent aussi une plus-value sur leurs titres eux-mêmes,
qu'elles peuvent alors trouver avantage à vendre au dehors.

Aujourd'hui, les changes sur l'Angleterre, les États-Unis et les pays
neutres prospères, restent défavorables à la France dans des proportions
qui ne se sont jamais vues. Il est probable que cette tension se
prolongera quelque temps encore. Elle est, comme nous venons de le dire,
extrêmement profitable pour les porteurs de valeurs américaines,
anglaises, espagnoles, suisses, hollandaises et Scandinaves, dont le
revenu et le capital bénéficient d'un accroissement qui va de 20 à 40 p.
100. Quant aux personnes qui acquièrent actuellement ces sortes de
valeurs, il va sans dire qu'elles doivent débourser une somme
correspondant à la dépréciation du franc, ou, s'il s'agit de titres
cotés à la Bourse de Paris, les payer plus cher. Si le franc remonte, si
l'équilibre des changes vient à se rétablir dans un temps relativement
court, les personnes qui auraient exporté prématurément leurs capitaux
seraient exposées à subir une perte sèche. C'est un point qui ne doit
pas être perdu de vue.

Un autre qu'on ne doit pas négliger non plus, c'est que tel État,
aujourd'hui ami ou neutre, peut être dans l'avenir entraîné dans un
conflit avec la France. Placer toute sa fortune ou une grande partie de
sa fortune dans un seul pays étranger est donc une imprudence, quelques
raisons qu'on ait de croire que les relations de la France avec ce pays
seront toujours bonnes.

                                   *

                                 *   *

De tous les pays du monde, les _États-Unis_ ont incomparablement les
finances les plus solides. Avant leur participation à la guerre, ils
n'avaient pour ainsi dire pas de dette nationale et leur rente 2 p. 100
était au pair. Elle était d'ailleurs à peu près introuvable. Depuis son
entrée dans la guerre, le gouvernement fédéral a émis plusieurs emprunts
qui ont été des succès magnifiques. Au commencement de l'année 1919,
tous ces emprunts étaient au pair, sinon au-dessus. Le 4 p. 100
remboursable en 1925 avait même atteint, à la Bourse de New-York, le
cours de 109. Les deux «emprunts de la liberté», _Liberty loan_, l'un 3
1/2, l'autre 4 1/4, approchaient des mêmes cours. Ce sont,
incontestablement, les premières valeurs du monde.

Pour se rendre compte des bases solides sur lesquelles repose la
prospérité des États-Unis, il suffira de lire cet exposé que nous
empruntons à un article du _Brooklyn Eagle_ publié le 25 décembre 1918:

  Au 1er juillet 1912, la richesse des États-Unis était évaluée à 188
  milliards de dollars, soit $1.965 par tête. La dette nationale était
  alors de 1 milliard de dollars, soit $10,77 par tête.

  Au 1er octobre 1917, la richesse nationale était évaluée à 225
  milliards de dollars... et plus de 3 milliards de dollars s'y sont
  ajoutés depuis cette date.

  Il est vrai que notre dette nationale s'est accrue, elle aussi. En
  octobre 1917, elle était de $4.500.000.000, et aujourd'hui elle est de
  $17 milliards. Mais de cette somme il faut déduire les $8 milliards
  qui nous sont dus par l'étranger, et dont les intérêts annuels
  s'élèvent à plusieurs millions de dollars. La France et le Royaume-Uni
  ont une dette qui atteint presque la moitié de leur richesse
  nationale. Les $9 milliards de dette nette des États-Unis n'atteignent
  pas 1/25 de leur richesse nationale. De plus, notre richesse nationale
  est presque triple de celle du Royaume-Uni et quadruple de celle de la
  France.

  Pour les ressources, les États-Unis sont également la «terre de Dieu».
  Nous possédons 60 p. 100 du pétrole mondial. Nous avons chez nous deux
  tiers du cuivre, plus des deux tiers du coton, 40 p. 100 du charbon et
  du minerai de fer existant dans le monde. Dans le chiffre de nos
  importations, les produits manufacturés n'entrent que pour 13 p. 100,
  tandis que, sur les 6 milliards de dollars de marchandises que nous
  avons exportées dans le courant de l'année dernière, 4 milliards
  étaient représentés par des produits fabriqués par les machines
  américaines et les travailleurs américains.

  Et si on demande si tout ce commerce ne va pas disparaître maintenant
  que la guerre est finie, il faut répondre sans hésitation qu'il n'en
  sera rien. C'est un fait regrettable qu'il faudra à l'Europe plusieurs
  années pour rétablir ses industries. Son capital et son énergie
  devront pendant quelque temps être consacrés au travail de la
  construction. Les manufacturiers américains devront fournir les
  millions de dollars de matériaux dont l'Europe aura besoin pour se
  remettre sur pied. Et, dans les années qui vont venir, les États-Unis
  devront fournir la plus grande partie de ce qui se vendra en Asie et
  dans l'Amérique du Sud. Notre commerce avec ces parties du monde a
  doublé depuis le début de la guerre, et il nous en restera une grande
  partie, même si les États-Unis refusent d'engager une concurrence sans
  merci avec les puissances aux côtés desquelles ils ont combattu.

Aux garanties qu'apporte cette prospérité, les emprunts des États-Unis
ajoutent celles qui résultent d'une sécurité politique et sociale qu'on
chercherait vainement ailleurs. Les États-Unis n'ont pas, d'ici
longtemps, de grand danger extérieur à craindre. A l'intérieur, le
socialisme, qui compte encore à peine comme élément électoral, a des
formes modérées et il n'y a pas de pays où les tentatives de sabotage,
d'anarchie et de bolchevisme, comme celles des Travailleurs
Internationaux pendant la guerre, aient été plus énergiquement
réprimées. C'est sans doute aux États-Unis que le régime capitaliste,
tel qu'il a régné en Europe pendant le XIXe siècle, se maintiendra le
plus longtemps. La richesse américaine, la légèreté des charges du
gouvernement fédéral, ne donneront pas lieu non plus à une fiscalité
excessive. Bien que les États-Unis aient commencé à connaître les taxes
et les impôts, ils ont encore, à cet égard, une marge étendue par
rapport aux grands États européens.

Un emprunt comme celui de la ville de New-York (_New-York City 4 1/2_
remboursable en 1957) est de tous points assimilable à ceux du
gouvernement fédéral. Nous renvoyons le lecteur au chapitre des
obligations industrielles pour les bons d'entreprises municipales émis
par les grandes villes américaines.

Les valeurs canadiennes de même nature se recommandent également et pour
les mêmes raisons. Ainsi le _Canadian Fives_ remboursable en 1931, le _4
1/2 Canadien_ (1920-1956), le _Dominion of Canada 3 %_ (1938), les
_Ville de Montréal 3 1/2_ (1933). Ces fonds, comme ceux des États-Unis,
sont au pair ou voisins du pair et offrent peu de chances d'une hausse
considérable. Mais leur stabilité fait peu de doute et leur
remboursement est prochain. La richesse du Canada, l'esprit de travail
et d'ordre qui anime sa population, constituent des garanties d'une
qualité rare. Au cas, nullement impossible, où de nouvelles secousses
européennes viendraient à se produire, on ne regretterait pas d'avoir
abrité contre les risques une fraction de son capital placée en bonnes
valeurs d'État ou de grandes villes américaines et canadiennes.

                                   *

                                 *   *

On citait autrefois Victor Hugo et le président de la République Jules
Grévy comme ayant donné le mauvais exemple d'expatrier leur bien et
d'accorder plus de confiance à la rente anglaise qu'à la rente
française. Cependant, comme nous l'avons dit plus haut, un placement en
_Consolidés anglais_, effectué il y a trente ou quarante ans, n'aurait
pas été très profitable. Il ne semble pas non plus qu'à l'heure actuelle
les fonds d'État britanniques doivent être mis en portefeuille par des
étrangers, au moins pour des quantités considérables.

Ce n'est pas que l'Angleterre soit, à aucun degré, menacée de faillite.
Son crédit reste et restera sans doute brillant. Quelle que soit
l'énormité de la dette qu'elle a dû contracter pour faire face à ses
dépenses de guerre, elle n'en sera pas écrasée. Après les guerres
napoléoniennes, le Royaume-Uni devait une vingtaine de milliards, somme
inouïe à cette époque. Les économistes du temps pensaient qu'un pareil
passif était incompatible avec de bonnes finances. Cependant, grâce au
développement de sa population, de son industrie et de son commerce,
grâce aussi à sa bonne politique budgétaire, le Royaume-Uni a supporté
sans peine et amorti régulièrement sa dette des temps passés.

De nos jours, 250 milliards ne sont pas plus pour l'Angleterre que 20
milliards il y a cent ans. De nos jours, comme alors, l'Angleterre est
venue à bout de son ennemi. Elle occupe dans le monde une situation qui
n'a jamais été si belle. Elle est la grande bénéficiaire de la victoire.
De tous les belligérants européens, c'est elle sans doute qui supportera
le moins difficilement le poids de ses dettes.

Elle n'a qu'un point noir: la question sociale. Pas de petite propriété,
peu de classes moyennes, un faible goût de l'épargne: entre un vaste
prolétariat et un haut capitalisme puissant mais restreint, il n'y a
pas, en Angleterre, de matelas qui s'interpose. Une crise grave, dont
nous voyons déjà les prodromes, est possible. Si, comme il y a lieu de
le penser, la politique anglaise reste fidèle à elle-même, elle
continuera ce qu'elle avait déjà commencé avant la guerre. Elle résoudra
le problème en imposant des sacrifices étendus à la fortune. Le porteur
français de valeurs britanniques serait exposé à payer de lourds impôts
à la fois en France et en Angleterre, car il n'est pas certain que
l'_income-tax_ soit toujours remboursé aux porteurs étrangers. Ceux-ci
seraient donc doublement atteints. Avant de placer de fortes sommes de
l'autre côté de la Manche, on fera sagement de calculer le péril des
deux taxations. Les personnes qui passeront outre ont le choix entre les
_Consolidés_ dont nous avons parlé plus haut, les emprunts de guerre, ou
_War Loans_ (3 1/2, 4, 4 1/2 et 5 %) et quelques fonds hautement réputés
comme l'_Irish Loan_ 2 3/4 et le _London County Council_ 3 1/2, ainsi
que quelques fonds coloniaux.

                                   *

                                 *   *

La _Belgique_ avait été surprise en pleine prospérité par l'agression
allemande. Comme les peuples heureux, jusqu'en 1914 elle n'avait pas
d'histoire. Le jeune État belge, qui date seulement de 1830, n'avait
jamais connu d'aventures ni de catastrophes. Son passif était donc léger
et sa dette avait été employée presque tout entière à mettre le pays en
valeur. Il suffit de se souvenir que la Belgique était, par rapport à sa
population et à sa superficie, le premier des peuples exportateurs
d'Europe, ce qui légitimait l'excellence de son crédit.

On doit penser qu'elle retrouvera cette prospérité après la guerre,
quand les dommages qu'elle a subis auront été réparés. Sans doute, ses
charges seront plus lourdes. S'il doit y avoir encore des budgets
militaires, la Belgique, ayant renoncé à une illusoire neutralité, en
aura un. Toutefois sa position spéciale dans la guerre, sa qualité de
victime, ont fait que ses dépenses ont été infiniment moindres, tout
compte tenu de son importance numérique, que celles des grands États ses
alliés.

Si elle continue à être bien gouvernée, la Belgique pourra être encore
un des pays les plus heureux du monde. Sa rente 3 %, les rentes
nouvelles qu'elle pourra émettre, seront de bons placements. Il faudra
seulement se souvenir que, dans le cas d'une guerre nouvelle, la
Belgique ne serait plus un État neutre, mais un belligérant comme un
autre, exposé aux mêmes risques qu'un autre. En se délivrant des périls
de la neutralité, elle en a perdu aussi les bénéfices, c'est-à-dire la
garantie des puissances.

                   *       *       *       *       *

Après avoir eu un passé agité, la _rente italienne_ avait fini par
prendre rang parmi les meilleures valeurs. L'Italien s'adonne à
l'épargne. Profondément méfiant, l'Italien n'achète que de la terre ou
le fonds d'État national. D'où la bonne tenue de ce titre qui, jadis
placé par larges tranches au dehors, avait fini par être en grande
partie rapatrié.

La guerre a laissé les finances italiennes dans une situation obscure et
les dirigeants ne dissimulent pas leurs alarmes. Le change défavorable
que l'Italie a subi pendant la guerre est à lui seul un sérieux
symptôme. Pourtant l'Italie a fait une guerre heureuse et, à bien des
égards, une guerre moins dispendieuse que nous. S'il ne lui survient
rien de fâcheux à l'intérieur, ses finances pourront se relever, grâce à
sa population croissante. Quant à l'extérieur, la diplomatie italienne,
malgré son habileté, saura-t-elle conjurer tous les orages amassés sur
l'Adriatique? C'est une question.

Un autre risque à courir, c'est le sans-gêne avec lequel l'État italien
a coutume de traiter ses créanciers et même les entreprises privées: le
rachat léonin des assurances en est un exemple. Nulle part le fameux
«fait du prince» n'est plus en honneur, et nulle part l'État souverain
ne se sent plus libre à l'égard de ses engagements. L'Italie opère, avec
la plus grande désinvolture, des conversions forcées, qui ne sont que
des réductions de dettes par le moyen de l'impôt. Le bénéfice du Trésor
public est une considération qui prime tout, même le respect des
contrats. La «garantie» de l'État italien, qui ne se pique pas, lui,
d'être «honnête homme», est donc, à cet égard, sujette à caution: les
porteurs de rente convertie et les obligataires français d'un certain
_chemin de fer de Toscane_, pour ne pas prendre d'autres exemples, en
savent quelque chose.

Pour ces diverses raisons, nous croyons devoir conseiller aux
capitalistes de ne s'intéresser que modérément aux fonds italiens, et,
s'ils s'y intéressent, de ne pas s'y éterniser.

                                   *

                                 *   *

Parmi les puissances orientales qui ont pris part à la guerre, la
_Russie_ touche douloureusement le capital français. La déception russe,
c'est vingt-cinq ans de notre histoire politique et financière. La
cessation de paiements de la Russie s'ajoute à la faillite de l'alliance
et elle atteint des centaines de milliers d'épargnants français qui
avaient fait confiance à l'allié de leur pays.

En 1905, pendant la première révolution russe, la révolution manquée,
nous avons entendu dire à M. Henri Germain, le célèbre directeur du
Crédit Lyonnais: «Si la Russie devient libérale, oh! alors, elle est
perdue.» La Russie n'est pas seulement devenue libérale: elle ne l'est
restée que quelques semaines pour devenir socialiste et tomber dans
l'anarchie. Avec le tsarisme, ce qui a disparu, en réalité, c'est le
seul gouvernement européen et s'inspirant d'idées européennes qu'ait eu
la Russie. Depuis la chute de ce régime, on a pu voir la vérité du mot:
«Il n'y a pas de Russie d'Europe.» Le bolchevisme n'est qu'une forme de
barbarie asiatique.

La Russie sera-t-elle libérée ou se libérera-t-elle du bolchevisme?
C'est possible. Dans ce cas, quelle sorte de gouvernement aura-t-elle?
Et si ce gouvernement reconnaissait les dettes de l'ancien régime,
serait-il en mesure d'en reprendre le service? Serait-il capable, pour
commencer, de rétablir territorialement la Russie telle qu'elle était du
temps des tsars, la Pologne et la Finlande, qui ont reconquis leur
indépendance, exceptées? Serait-il capable de reconstituer
économiquement la Russie pour faire face aux engagements nationaux?

Il suffit de poser ces questions pour se rendre compte que, dans
l'hypothèse la plus favorable, la reprise du service normal de la Dette
russe ne peut pas être envisagée avant longtemps, si jamais elle doit
avoir lieu. Il semble que les possesseurs de fonds russes doivent en
tout cas s'armer d'une longue patience.

L'immense faute qu'on a commise en France a été de méconnaître la
fragilité politique de la Russie. A l'appel des sociétés de crédit,
uniquement soucieuses de toucher leurs commissions, le public français
souscrivait aux emprunts russes comme à des valeurs de tout repos. Des
personnes prudentes et renommées pour leur sagacité, comme M. Paul
Leroy-Beaulieu, se croyaient très modérées en conseillant de ne pas
placer plus de 10 p. 100 d'une fortune en fonds russes. L'événement a
prouvé que cette proportion était encore trop forte.

Et pourtant le crédit de la Russie n'était pas mauvais. Depuis 1822,
date de son premier emprunt extérieur, elle avait toujours fait face à
ses engagements. Surtout ses possibilités de développement économique
étaient énormes. Aujourd'hui encore, malgré les ruines accumulées par la
Révolution, la Russie banqueroutière est dans cette situation paradoxale
que ses richesses naturelles représentent infiniment plus que le total
de ses dettes. Elle est même à cet égard dans une situation privilégiée
par rapport aux autres grands pays européens accablés par leurs dépenses
de guerre. Paisible et bien administrée, l'Ukraine, à elle seule,
pourrait payer les créanciers de la Russie.

Seulement ces richesses latentes ne sont pas exploitées et ne pourront
l'être que quand l'ordre politique aura reparu et aura duré. Or, il est
plus que douteux que l'ordre se rétablisse aisément dans toutes ces
régions de l'Europe orientale. S'il revient un jour, les porteurs de
fonds russes auront entre les mains un papier qui ne sera pas dénué de
valeur. Il se peut que l'on voie, à cet égard, des renversements de
situation bizarres et tel pourra être en faillite quand la Russie
donnerait quelque dédommagement à ses créanciers. Il serait téméraire
d'en dire davantage et d'exciter des espérances peut-être injustifiées.

Puisse seulement la leçon russe avoir enseigné aux capitalistes français
la méfiance.

Les emprunts _finlandais_ méritent une mention spéciale. Avant la
guerre, ils étaient garantis par la Russie. Mais la Finlande avait de
bien meilleures finances que l'État russe. Avec la Prusse et la Suède,
la Finlande était le seul État européen qui pût mettre en face de sa
dette un actif réel, grâce surtout à ses vastes domaines forestiers.
Depuis la révolution russe et la proclamation de son indépendance, la
Finlande a négligé de payer ses créanciers. Ce ne sont pas les scrupules
qui étouffent les peuples libérés et les nationalités nouvelles. Plus
tard, si la Finlande fait honneur à sa signature, si sa situation
politique s'éclaircit et si elle n'a plus à craindre le voisinage du
bolchevisme, les emprunts finlandais pourront, dans une certaine mesure,
mériter l'attention.

                                   *

                                 *   *

Les fonds _roumains_ ont subi une éclipse qui sera probablement
passagère. La Roumanie a dû suspendre ses paiements en 1918 lorsque,
trahie par la révolution russe, elle a été contrainte de s'incliner
devant l'Allemagne et de signer la paix de Bucarest. Sa bonne foi et sa
bonne volonté à l'égard de ses créanciers sont hors de question.

Avant la guerre, la situation financière de la Roumanie était très
saine. Ses richesses agricoles et pétrolières lui assuraient des revenus
abondants. Ses emprunts étaient d'excellentes valeurs qui méritaient
d'être acquises par les personnes les plus timorées.

Il convient d'être plus réservé aujourd'hui. Après de dures épreuves, la
Roumanie a vu la guerre tourner en sa faveur. Par la réunion de la
Bessarabie et de la Transylvanie, son territoire et sa population seront
plus que doublés. Elle possède, avec sa monarchie, un gouvernement
sérieux et qui paraît stable. Son avenir serait donc séduisant et ses
emprunts mériteraient confiance si elle n'appartenait à cette Europe
orientale qui est menacée pour longtemps de convulsions. La Roumanie est
terriblement isolée. C'est un îlot de civilisation au milieu de la
barbarie. Elle aura de la peine à se défendre contre les révolutions
sociales et nationales déchaînées autour d'elle. Tant que l'ordre n'aura
pas été rétabli en Russie, la sécurité intérieure et extérieure manquera
à l'État roumain.

Pour cette raison il est donc fort chanceux d'acquérir en ce moment des
fonds de cet État. C'est une spéculation pure. Toutefois, du jour où il
apparaîtrait d'une façon certaine que l'Europe orientale s'apaise et
retourne à l'ordre et à la tranquillité, les fonds roumains
deviendraient séduisants. Nous engageons les capitalistes à surveiller
cette éventualité.

                                   *

                                 *   *

Le coupon des rentes _serbes_ a été payé régulièrement pendant la
guerre, grâce aux avances des Alliés. Quoique ruinée, la Serbie a une
population paysanne énergique et travailleuse, qui pourrait réparer les
désastres de la guerre. Ce pays est malheureusement engagé dans une
politique qui n'est pas de tout repos. Il est exposé à toutes les
secousses et à toutes les explosions balkaniques qui ne sont pas près de
prendre fin et qu'aggravent les problèmes surgis de la décomposition de
l'Autriche. L'union de la Serbie avec les Yougo-Slaves détachés de
l'Empire austro-hongrois préparerait de nouvelles agitations et de
nouveaux conflits. Nous conseillons l'abstention tant pour les emprunts
anciens de la Serbie que pour ceux qu'elle pourrait lancer au nom de la
Yougo-Slavie ou royaume des Serbes, Croates et Slovènes. Si ce royaume
unitaire arrive à se constituer, il annonce trop d'ambitions, il
inquiète trop ses voisins (et en premier lieu l'Italie) pour avoir une
existence tranquille. Si l'unité ne se fait pas, la Serbie, saignée à
blanc par la guerre, sera faible et retrouvera ses ennemis d'hier,
l'Allemand, le Hongrois, le Bulgare, sans en compter peut-être d'autres.
De longtemps, ce coin de l'Europe ne sera pas un refuge pour les
capitaux.

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                                 *   *

La _Grèce_ a été un allié de la dernière heure qui a vécu d'ailleurs des
subsides et des allocations fournis par les Alliés. L'habile politique
de M. Yenizelos n'a pas amélioré ses finances. Et puis, M. Yenizelos
n'est pas éternel et qui sait, après lui, ce que deviendra la Grèce?
Deux emprunts helléniques seulement sont recommandables, c'est le 2 1/2
et le 4 p. 100 gagés sur des recettes d'État et des monopoles, le 2 1/2
surtout dont la gestion est confiée à des représentants des grandes
puissances sur le modèle de l'administration de la Dette ottomane. Les
emprunts futurs de la Grèce qui n'auraient pas de garanties du même
ordre seront à écarter purement et simplement.

Quant au _Portugal_, dont l'histoire financière est peu brillante,
l'instabilité politique de ce pays conseille l'abstention complète.

                                   *

                                 *   *

«Le _Japon_ occupe au point de vue économique la position d'un
vainqueur.» Ce mot d'un journal japonais, écrit au lendemain de
l'armistice du 11 novembre 1918, est vrai. Pendant toute la durée de la
guerre, le Japon s'est préoccupé de limiter sa mise et il y a réussi. Sa
situation monétaire est brillante. Il est soucieux de la conserver et de
la développer. On pouvait craindre autrefois qu'il ne se laissât
entraîner à une politique impérialiste. La prospérité l'a calmé. Il a vu
aussi les États-Unis, jusqu'ici dépourvus d'armée, se donner une force
militaire, ce qui a pu lui inspirer de nouvelles réflexions. Toutefois
la politique de l'Extrême-Orient réserve sans doute bien des surprises.
A l'intérieur, il ne semble pas que de gros accidents soient à craindre
et la discipline nationale du Japon reste forte. Mais il ne faut pas
oublier que sa structure économique et financière est récente et
fragile. Le pays est lointain et, somme toute, mal connu et mystérieux.
On fera bien de ne s'engager dans ses fonds que pour des sommes
limitées.

La surveillance des grandes puissances européennes est la seule garantie
des emprunts _chinois_.

Cette surveillance s'exercera-t-elle toujours avec la même efficacité?
Déjà la caution de la Russie n'existe plus. Quant à l'état des finances
chinoises, il est déplorable. Sans doute la Chine évoluant pacifiquement
deviendrait une force économique de premier ordre. Ses ressources sont
immenses. On doit seulement se demander si, prenant conscience
d'elle-même, elle ne sera pas sujette à de dangereuses explosions
révolutionnaires et nationalistes. Le continent asiatique inquiète déjà
les esprits avisés de l'Europe. Il est probable qu'il s'agitera beaucoup
au cours de ce siècle-ci. Cet énorme réservoir d'hommes commence à
sortir de sa passivité. Tant que l'avenir ne sera pas plus clair, la
prudence, pour les capitalistes européens, sera de rigueur.



CHAPITRE VI

EMPRUNTS DES ÉTATS QUI ONT ÉTÉ EN GUERRE AVEC LES ALLIÉS ET DES NOUVEAUX
ÉTATS ISSUS DE LA DÉCOMPOSITION DE L'AUTRICHE-HONGRIE

Les fonds allemands.--Fonds autrichiens et hongrois.--Conséquences de la
dissolution de la monarchie austro-hongroise.--La distribution de la
dette et les nouvelles nationalités.--Raisons de méfiance à l'égard des
appels au crédit de la Pologne, de la Tchéco-Slovaquie et de la
Yougo-Slavie.--Fonds bulgares. Fonds ottomans.--L'Europe centrale et
orientale devra être évitée longtemps par les capitaux.


Ce chapitre sera nécessairement bref, car nous n'avons pas besoin de
mettre le capital et l'épargne en garde contre les fonds des États
vaincus qui auront à payer les frais de la guerre et qui sont ruinés
pour longtemps.

Rares étaient les Français qui possédaient des rentes de l'Empire ou des
États allemands, bien que, dans les années qui ont précédé la guerre,
des démarcheurs et des banquiers eussent cherché à en écouler chez nous.
Les personnes qui avaient succombé à la tentation auront été bien punies
d'avoir joué sur le tableau de l'ennemi. A l'avenir, personne ne sera
tenté de recommencer.

Le cas est différent en ce qui concerne nos autres adversaires.
L'Autriche-Hongrie, la Bulgarie, la Turquie ont trouvé du crédit en
France avec l'autorisation du gouvernement, jusqu'à la veille des
hostilités, ce qui prouve que le capitaliste doit se méfier de toutes
les suggestions des établissements de crédit et même des recommandations
officielles. L'Autriche-Hongrie était l'alliée de l'Allemagne, la
Bulgarie suspecte, la Turquie peu sûre. Mais les établissements de
crédit ne songeaient qu'aux commissions à encaisser. Quant au
gouvernement, ou bien il s'aveuglait sur les dispositions de ces pays,
ou bien il se servait de l'épargne française et la guidait vers des
placements détestables dans l'idée d'amadouer des pays hostiles.

L'épargne française aura fait les frais de cette diplomatie aventureuse.
C'est ainsi que, quelques mois avant la guerre, fut lancé en France un
emprunt ottoman dont un seul coupon a été payé et qui a donné aux Jeunes
Turcs les moyens de préparer la guerre. Peut-être, à Gallipoli, des
soldats français, ayant souscrit, eux ou leurs parents, à cet emprunt,
ont-ils été frappés des projectiles que leur propre argent avait payés.
Quelle monstrueuse ironie!

Les fonds _autrichiens_ et _hongrois_ se trouvaient en quantités
sérieuses dans les portefeuilles français avant la guerre. Il faut leur
assimiler les _obligations des chemins de fer autrichiens_, chemins de
fer rachetés et dont les titres étaient devenus des titres d'État. Le
traité de paix stipule que les arrérages de ces emprunts devront être
payés de préférence aux emprunts de guerre, ce qui est une certaine
garantie pour les porteurs français. Toutefois la faillite menace
l'Autriche et la Hongrie. On peut considérer que la Hongrie, pays
agricole, est moins ruinée que l'Autriche bien que les nouvelles
frontières qui lui sont imposées diminuent gravement ses ressources.

Cependant une autre question se pose. L'Empire austro-hongrois s'est
dissous. L'Autriche et la Hongrie ont été amputées, diminuées dans leur
population, dans leur territoire et dans leurs ressources au profit des
nouveaux États qui sont nés de la chute de l'ancienne monarchie.
L'Autriche et la Hongrie réduites à elles-mêmes seraient donc incapables
de faire face à leurs engagements. Le traité a prévu avec raison que les
États qui sont nés ou qui se sont agrandis aux dépens de l'Empire déchu
devraient prendre leur part des dettes de la communauté, et nous ne nous
intéressons, bien entendu, qu'aux dettes d'avant-guerre, les seules dont
les titres soient possédés par des Français.

Il se trouvera donc que les porteurs de rente autrichienne seront
créanciers à la fois de l'Autriche proprement dite, de la Yougo-Slavie,
de la Pologne et de la Tchéco-Slovaquie. Les porteurs de rente hongroise
seront créanciers de la Hongrie, de la Yougo-Slavie, de la
Tchéco-Slovaquie et de la Roumanie. Comment, dans ces conditions, se
fera le service de la Dette? Comment se fera la discrimination? Cela est
bien obscur et doit laisser les intéressés perplexes.

Il est en outre à craindre que le crédit de ces nouveaux États,
dépourvus d'administration et qui auront tout à créer chez eux, ne soit
pas très solide. Ils auront besoin de faire preuve de sagesse et dans
leur politique intérieure et dans leur politique extérieure.
Malheureusement les symptômes, à l'heure actuelle, ne sont pas très
favorables. En outre, la décomposition de l'Autriche a étendu à l'Europe
centrale une situation qui ne ressemble que trop à la situation
balkanique. Il y a de fortes raisons de craindre l'instabilité du nouvel
ordre de choses. Ce que les jeunes nationalités qui viennent de prendre
leur essor auraient de mieux à faire, ce serait de se fédérer entre
elles. Cette solution équivaudrait à reconstituer l'ancienne Autriche.
Si elle doit être admise, il serait bien étonnant que ce ne fût pas
après des luttes et des convulsions qui en auraient démontré la
nécessité après avoir singulièrement aggravé les dégâts.

Les trois nouveaux États polonais, tchèque et yougo-slave, étant
considérés comme nos alliés, ne vont probablement pas tarder à faire
appel au crédit international. Nous croyons devoir conseiller la plus
grande réserve. Nous avons déjà dit plus haut ce que nous pensions de la
Yougo-Slavie. Quelles que soient les sympathies qu'appellent les
Tchéco-Slovaques et la Pologne, les Français n'ont plus le droit ni les
moyens de faire de la finance sentimentale ni d'aventurer leurs
capitaux. Il suffira d'observer que, pour le premier semestre de l'année
1919, la Pologne, sans dette, a déjà un déficit de deux milliards.

D'une manière générale, l'Europe centrale et orientale nous apparaît
comme devant être pour longtemps évitée par les capitalistes. L'exemple
de la Bulgarie peut servir de leçon. Voilà un pays qui a joui chez nous
pendant de longues années d'une popularité inexplicable et qui nous a
odieusement trompés. La France ne devra plus être la vache à lait des
nationalités nouvelles.

Nous ne nous appesantirons pas sur les anciens _emprunts bulgares_. Le
traité de paix donne à cet égard les garanties nécessaires et usuelles
aux intérêts des porteurs. Les personnes qui ne sont pas engagées dans
ces titres feront mieux de n'y pas entrer. Le pays est trop peu sûr.

Restent les _fonds ottomans_. Ce sont peut-être, de tous ceux des États
qui ont été nos ennemis, les moins mal protégés. Le caractère
international de l'espèce de protectorat qui est imposé à l'Empire turc,
joint aux privilèges anciens attachés à quelques-unes des dettes
ottomanes, font espérer que les porteurs ne seront pas dépouillés.
Néanmoins, la plus grande incertitude plane sur l'avenir de la Turquie
comme de tout l'Orient. Ces titres ne peuvent tenter les personnes qui,
au goût du risque et de la spéculation, ne joignent pas une certaine
connaissance des choses orientales.

Sans développer davantage ces divers points, nous concluons donc, avec
le bon sens: on ne prête pas à l'ennemi, on ne prête pas aux vaincus. On
ne prête pas non plus à de jeunes États qui n'ont pas encore fait la
preuve de leur solvabilité.



CHAPITRE VII

EMPRUNTS DES ÉTATS NEUTRES

Les pays épargnés par la guerre se sont enrichis.--Leurs emprunts sont
d'un moindre rapport que ceux des belligérants.--Est-ce le moment
d'entrer dans ces valeurs?--Avantages qu'elles offrent encore
temporairement.--Examen des six pays neutres d'Europe: Espagne, Suisse,
Hollande, pays Scandinaves.--Le Mexique et l'Amérique du Sud.--Nécessité
d'une soigneuse discrimination.


Nous entrons ici dans le paradis des fonds d'États. Parmi les peuples
qui se sont tenus prudemment à l'écart de la guerre,--nous rangeons dans
cette catégorie les Républiques Sud-américaines qui se sont contentées
de rompre avec l'Allemagne,--les uns se sont enrichis, les autres, du
moins, ne se sont pas couverts de dettes comme les belligérants. Par
comparaison, leur situation financière, qui n'était pas toujours de
premier ordre, apparaît comme améliorée. Il y a là, pour certains
d'entre eux, un trompe-l'oeil. On aurait tort de croire que tous les
pays qui se sont tenus dans la neutralité ont acquis, par cela même, une
solvabilité à toute épreuve.

Les personnes qui avaient observé le principe de la distribution
géographique des placements, lorsqu'elles étaient bien tombées, ont été
récompensées de leur prudence pendant la guerre. Encore fallait-il bien
tomber ou avoir été doué d'une prévoyance rare pour discerner les pays
qui échapperaient à une tourmente dont ceux-mêmes qui l'annonçaient ne
pouvaient soupçonner l'ampleur. Il y a donc eu plus de chance que de
science dans la distribution des portefeuilles les plus judicieusement
composés. Il suffit d'ailleurs de consulter les tableaux de placements
donnés avant 1914 par les conseilleurs les plus qualifiés pour se rendre
compte des erreurs que les plus sages peuvent commettre. Ce qui confirme
notre principe essentiel, qu'il ne suffit pas, pour assurer les
capitaux, de les répandre sur toute la surface du globe.

D'ailleurs, la roue tourne. Tel État qui vient d'échapper à la guerre et
dont la situation paraît enviable subira demain à son tour quelque choc
dont il est difficile pour le moment d'apercevoir les causes. Tel autre,
au contraire, au sujet duquel les perspectives étaient sombres, semble
rester à l'abri des orages. Il y reste jusqu'à ce que son tour arrive.
La stabilité et la prospérité sont pour les États ce que la santé est
pour l'homme le mieux portant: quelque chose de provisoire.

Essayons de raisonner en ce qui concerne les capitaux et leur besoin
accru de sécurité. Les rentiers qui, dans le choix de leurs placements,
se régleraient sur leur tempérament personnel en appliquant les données
généralement admises autrefois, obéiraient à l'une ou à l'autre des deux
tendances suivantes. Hardis, ils parieraient pour le relèvement des
États qui ont souffert de la guerre, ils spéculeraient sur la hausse de
leurs emprunts. Timorés, ils se réfugieraient dans les titres des États
qui ne se sont pas endettés.

Le premier système a des précédents encourageants. L'histoire du XIXe
siècle montre qu'en effet les grandes nations qui ont subi les plus
dures épreuves, dont le crédit a paru à un moment donné le plus
compromis ou a été le plus discuté, sont parvenues à rétablir leur
situation. Elles ont récompensé les prêteurs qui ont eu confiance en
elles. Tel a été le cas de l'Italie, dont la solidité financière, aux
débuts difficiles de son unité, semblait plus qu'aléatoire. Tel a été
aussi le cas de la France. Après 1815, et après 1871, son relèvement a
justifié toutes les espérances de ceux qui avaient cru en elle. On cite
des spéculateurs qui, à la suite de la première guerre franco-allemande,
sont restés dix ans à la hausse sur nos fonds nationaux et dont
l'enrichissement s'est fait tout seul à mesure que les forces
économiques de la France se reconstituaient.

L'Espagne offre un phénomène du même genre. Les agitations de sa
politique avaient longtemps détourné le public de ses emprunts. En 1898,
sa guerre désastreuse avec les États-Unis avait failli la conduire à la
banqueroute. Pourtant l'Espagne a résisté et ceux qui avaient ponté sur
elle au moment où elle était le plus bas ont gagné. Nous connaissons à
ce sujet une anecdote symbolique.

Pendant la guerre hispano-américaine, la rente espagnole dite
Extérieure, c'est-à-dire payable en or à Paris, était tombée aux
environs de 30 francs. On parlait de suspendre les paiements ou, au
moins, de les réduire et de recourir à une faillite partielle. Était-ce
le moment d'acheter et de courir l'aventure? Les esprits craintifs
disaient non. Les amateurs de risque disaient oui. Or, il y avait un
ménage français où le mari était timide et la femme aventureuse. La
femme conseillait d'acheter de l'Extérieure. Le mari refusait.
L'occasion passa. Lentement d'abord, l'Extérieure se mit à remonter:
l'Espagne tenait ses engagements. Tous les soirs, dans le journal,
Madame lisait les cours. Elle les lisait à voix haute. Madame triomphait
et Monsieur était humilié. Par sottise il avait manqué une fortune. Et
l'histoire ajoute que, quand l'Extérieure fut au pair, le ménage
divorça...

La question est de savoir si ces exemples de relèvement progressif et de
guérison rapide sont encore applicables à la situation actuelle. En
somme, l'expérience que nous avons du crédit des grands États, tel qu'il
s'est constitué dans le monde contemporain, est une expérience étendue
sur un temps très court par rapport à la longévité des nations. C'est
tout au plus l'espace d'un siècle, beaucoup moins pour de nombreux pays.
On ne saurait tirer du fait que, de 1815 à 1914, aucun État important
n'a fait faillite et que les pays éprouvés se sont tirés d'affaire, la
conclusion que l'échafaudage financier des sociétés contemporaines est
indestructible et que ce qui s'est passé au XIXe siècle recommencera au
XXe.

Pas plus qu'il n'est certain que tous les belligérants se relèveront de
leurs plaies, il n'est certain que les États restés neutres de 1914 à
1918 jouiront d'une prospérité éternelle, à l'abri des convulsions et
des hasards. Leur bonheur ne doit donc pas faire illusion outre mesure.
Le monde nouveau, tel qu'il est sorti de la paix, est trop instable pour
qu'on puisse assurer que celui-ci ou celui-là seront toujours exempts
des guerres et des révolutions.

Ainsi le rentier irait sans le savoir au devant de nouveaux risques s'il
portait inconsidérément sa fortune chez les anciens «neutres». Il faudra
encore choisir entre eux et scruter leur fort et leur faible.

                                   *

                                 *   *

L'_Espagne_ a été merveilleusement favorisée par la guerre. L'or a
afflué chez elle. Sa rente extérieure a largement dépassé le pair. Le
change, phénomène inouï, lui est devenu favorable au point que le billet
de banque français a perdu plus de 30 p. 100. Les porteurs de rente
espagnole, qui semblaient avoir fait un placement aventureux, se sont
trouvés au contraire avoir fait une opération excellente.

Tous ces signes veulent-ils dire que l'Espagne jouit d'une prospérité
réelle et durable? C'est une autre affaire. L'Espagne, à qui la guerre a
apporté une richesse imprévue, souffre d'un malaise politique et social
mal défini qui inspire des inquiétudes à tous les observateurs. Rien de
net n'est encore sorti de ce malaise, mais c'est un état qui ne se
prolongera peut-être pas éternellement. Au cas où une révolution
surviendrait, le précédent lamentable de la République espagnole de 1873
n'est pas de nature à rassurer. Les personnes qui détiennent de la rente
Extérieure en quantités modérées peuvent conserver leurs titres. C'est
un élément de variété dans la composition d'un portefeuille. En acheter
à l'heure actuelle (23 p. 100 au-dessus du pair en août 1919) semble
bien aléatoire, vu l'obscurité qui entoure l'avenir de la politique
espagnole. Par contre, si l'horizon s'éclaircissait, si l'ordre se
stabilisait et si un personnel rajeuni venait administrer l'Espagne, ce
pays, où il y a encore tant à faire, serait des plus intéressant.

La _Suisse_ n'a pas profité de la guerre. Elle en a même souffert et
elle y a beaucoup perdu. Elle a dû accroître sa Dette pour couvrir les
dépenses que lui a causées une longue mobilisation, maintenue pendant
toute la durée des hostilités. La Suisse n'en est pas moins, par rapport
à tous ses voisins, dans une situation enviable, accusée par un change
qui ne cesse de lui être favorable. Neutre au point de vue diplomatique
et militaire, la Suisse qui, entourée de belligérants, a pu échapper à
la guerre, semble avoir fait aussi l'épreuve de sa résistance à la
révolution. Les tentatives de bolchevisme qui ont eu lieu à Zurich ont
été réprimées et l'attitude de l'ensemble de la population, dont
l'esprit est parfaitement sain, permet de penser que ces tentatives, si
elles se renouvelaient, seraient vouées au même échec.

Les rentes suisses 3 et 3 1/2 cotées à Paris, ainsi que les emprunts des
principaux cantons, offrent de sérieuses garanties. Leur rendement est
médiocre étant donné le loyer courant de l'argent. Elles promettent du
moins de la sécurité quant au capital, surtout pour les séries les plus
anciennes amorties par tirage régulier, comme les chemins de fer
fédéraux 3 1/2 1899-1902.

La _Hollande_, elle aussi, a miraculeusement échappé à la guerre. Ce
sage pays aurait une apparence bien trompeuse s'il devait connaître des
bouleversements intérieurs. Ses rentes ont le défaut d'être rares et
chères.

Nous arrivons, en remontant vers le Nord, au groupe Scandinave. Avec ces
trois royaumes s'achève la liste des États européens restés neutres.
Tous trois jouissent d'un excellent crédit. Leur politique intérieure et
extérieure est paisible. Le _Danemark_, dont la prudence à l'égard de
l'Allemagne a été remarquable, recouvre le Slesvig et par là accroît ses
ressources. La _Norvège_ a souffert de la guerre sous-marine. Mais sa
flotte marchande, quoique diminuée, lui a valu et lui vaudra encore de
beaux bénéfices. Sa situation financière est bonne et l'épargne s'y
développe d'une façon constante.

La statistique officielle des Caisses d'épargne de Norvège, pour l'année
1917 montre combien la prospérité nationale a augmenté pendant les
années de guerre. L'ensemble des dépôts opérés dans les caisses
d'épargne de 65 villes et de 476 communes de la campagne, a augmenté
d'une manière inconnue jusqu'alors. Le capital déposé était en 1900 de
300 millions, en 1910 de 500 millions, en 1915 de plus de 720 millions,
en 1916 il dépassait 950 millions, et en 1917 il atteignait presque
1.250 millions de couronnes. Pendant 7 ans, de 1910 à 1917 les dépôts
ont donc augmenté d'environ 750 millions. Pour avoir une idée tout à
fait complète de cet accroissement de la prospérité norvégienne, il
faudrait aussi connaître le montant des capitaux déposés dans les
banques privées. Il est probable, dans ces conditions, que les
Norvégiens rachèteront et rapatrieront leurs emprunts nationaux qui sont
ainsi assurés d'une certaine stabilité sur les marchés extérieurs.

Quant à la _Suède_, elle est, comme nous l'avons déjà dit, un des rares
États du monde qui possèdent un riche patrimoine productif, et son actif
(composé en particulier de célèbres mines de fer), balance presque son
passif.

C'est peut-être la Suède pourtant dont la politique intérieure
laisserait le plus à désirer et serait exposée à des surprises et à des
secousses, sa dynastie étant très discutée et combattue. Toutefois le
bolchevisme a vainement essayé de s'introduire dans les pays
Scandinaves. En sorte que les fonds danois, norvégiens et suédois, les
deux premiers surtout, lorsqu'il est possible de s'en procurer (car il
est devenu assez rare, depuis quelque temps, que les porteurs s'en
dessaisissent) peuvent être acquis, eux aussi, pour leur sécurité plus
que pour leur rendement.

                                   *

                                 *   *

Parmi les États de l'Amérique centrale et de l'Amérique méridionale,
quelques-uns, suivant le conseil donné par le président Wilson, avaient
rompu avec l'Allemagne. Même parmi ceux-là, aucun n'a réellement
participé à la guerre. On peut donc les considérer tous également comme
étant restés dans la neutralité. Mais à d'autres égards, et pour
apprécier leur crédit respectif, de profondes différences s'imposent.

Les Républiques de l'Amérique du Sud ont souvent mal récompensé la
confiance que l'Europe mettait en elles. Le défaut des pays neufs et
sans richesse acquise, c'est qu'ils sont voués pendant longtemps à
l'instabilité économique, sujets à des crises. Ayant sans cesse besoin
de capitaux étrangers pour mettre leurs richesses en valeurs ils sont
exposés à la faillite dès que ces capitaux leur manquent. L'Europe ne
devant plus être d'ici plusieurs années en état de les alimenter, ces
crises se reproduiront, à moins que les États-Unis ne jouent le rôle de
banquier. Enfin, parmi les Républiques sud-américaines, plusieurs ne
sont pas encore sorties de l'ère des agitations politiques et de
l'administration défectueuse. C'est ce qui explique le long martyrologe
des emprunts de ces pays, entre lesquels il importe de distinguer
soigneusement.

Le _Mexique_ est celui qui a valu à ses créanciers la déception la plus
cruelle. Pendant la longue et bienfaisante dictature de Porfirio Diaz,
le Mexique s'était élevé à un degré de prospérité remarquable. Il était
entré dans la société des États les plus civilisés. Il a suffi de la
chute du dictateur pour ruiner l'oeuvre de Porfirio Diaz et, depuis,
l'histoire du Mexique n'a plus été que celle d'un vaste brigandage.
Aucun coupon n'a plus été payé: c'est le pendant du bolchevisme russe,
et la France a, là-bas, trois milliards en souffrance.

Après avoir laissé l'anarchie mexicaine se développer, si même ils ne
l'ont pas vue d'un oeil favorable, les États-Unis semblent changer
d'attitude. Sous leur influence, l'ordre pourra se rétablir au Mexique.
Il pourrait devenir intéressant, dans cette attente, d'acquérir quelques
valeurs mexicaines (rentes 4 %, obligations des chemins de fer
fédéraux.) Toutefois il conviendrait de n'en acquérir qu'avec
modération. Le Mexique ne retrouvera pas du jour au lendemain son
équilibre. Et si les États-Unis y rétablissent l'ordre, il n'est pas
certain que ce soit pour payer tout de suite et intégralement l'arriéré
dû aux porteurs européens.

Mêmes observations en ce qui concerne _Haïti_. La mainmise américaine
sur ce pays, qui a suspendu ses paiements en 1915, ne paraît qu'une
affaire de temps. Toutefois l'achat des trois séries de rentes
haïtiennes cotées à la Bourse de Paris et qui ont atteint en 1919 des
cours élevés reste dans une large mesure une opération spéculative car
le service de la dette est toujours en souffrance.

Nous passons sur les petits États de l'Amérique centrale qui, presque
tous, n'ont apporté que des déboires à leurs créanciers, pour en venir
tout de suite à l'Amérique du Sud.

Le _Brésil_, avec ses immenses ressources et un gouvernement
remarquablement abondant en hommes distingués, n'en est pas moins le
type du pays sud-américain voué aux crises économiques parce qu'il
dépend de ses récoltes. Le café, qui constitue sa principale
exportation, est soumis à des variations brusques et considérables. D'où
l'instabilité des budgets brésiliens. Ce n'est pas sans raison que ses
créanciers avaient stipulé autrefois la création d'un emprunt
privilégié, dit _Funding_, dont l'intérêt est servi avant celui de
toutes les autres séries. Cette garantie se traduit par les cours
toujours supérieurs du _Funding_ ancien (il en a été émis un _nouveau_
par la suite, ce qui constitue une sorte de supercherie à laquelle il
importe de ne pas se laisser prendre). Pour tant faire que d'acheter du
brésilien, il est préférable de se porter sur le _Funding_ authentique.

Le Brésil est un État fédéral dont les États particuliers, jouissant
d'une large autonomie, sont loin d'avoir tous des finances excellentes.
Ils sont aussi responsables de leurs propres dettes. L'expérience a
prouvé que leurs emprunts étaient peu sûrs et il convient de s'en
écarter.

L'_Uruguay_, qui s'adonne à l'élevage, a depuis un certain nombre
d'années une existence calme et prospère. Après avoir fait banqueroute
autrefois, il procure des satisfactions à ses bailleurs de fonds par un
service ponctuel de sa dette, d'ailleurs proportionnée à sa population
restreinte, bien que, pendant la guerre, il ait suspendu les
amortissements promis a ses créanciers. Toutefois, sauf accident
imprévu, son 3 1/2 et ses 5 p. 100 paraissent, à faible dose,
recommandables pour un portefeuille abondant.

C'est principalement au blé que la _République argentine_ doit sa
richesse. Son budget dépend donc aussi de ses récoltes. Son passé
financier n'est pas encourageant, car elle a fait une faillite en 1891
et une autre, partielle, en 1900. Mais, depuis, son crédit s'est relevé.
Pour le moment, la somme de ses emprunts ne paraît pas excéder ses
ressources normales[3]. On peut craindre seulement pour l'Argentine
quelques troubles sociaux dont Buenos-Aires a déjà présenté les
symptômes.

  [3] Même réserve que pour le Brésil en ce qui concerne les emprunts
    des États particuliers.

Il serait faux, en effet, de s'imaginer que le continent sud-américain
fût à l'abri des bouleversements que connaît l'Europe, et même à l'abri
de la guerre. Il n'y a pas encore si longtemps que le _Chili_, le
_Pérou_ et la _Bolivie_ ont soutenu entre eux de longues luttes dont le
souvenir n'est pas éteint et qui ont menacé récemment de se rallumer. Il
est prudent de ne pas entrer dans les fonds de ces États, quoique
l'ouverture du canal de Panama leur apporte beaucoup de promesses.
D'ailleurs si un emprunt bolivien est coté à Paris (ne pas oublier que
la Bolivie, semblable à son voisin le Paraguay, n'a pas accès à la mer)
les valeurs péruviennes et chiliennes ne sont cotées qu'à Londres. Mieux
vaut les y laisser.

Il en est de même pour l'_Équateur_, la _Colombie_ et le _Venezuela_,
qu'il s'agisse des emprunts existants ou futurs de ces pays agités et
dont les finances sont informes ou précaires.



CHAPITRE VIII

UN ÉLÉMENT DES FORTUNES FRANÇAISES EN DANGER: LES ACTIONS DE CHEMINS DE
FER

Illusion du public quant à la prospérité des compagnies.--Elles sont
écrasées par leurs charges financières, fiscales et sociales.--Elles
n'ont pas la liberté de leurs tarifs et le terme des concessions
approche.--L'actionnaire garde tous les risques et ne touche qu'une
faible part des bénéfices, quand il y en a.--Situation et avenir des six
grandes compagnies françaises.--Le rachat est un soulagement et un
bienfait: exemple de l'Ouest.--Cas des chemins de fer algériens.--Les
rachats futurs seront-ils aussi avantageux?


L'exemple des actions de chemins de fer illustre d'une manière
éclatante--et douloureuse pour les porteurs de ces vénérables titres de
«pères de famille»--tous nos précédents exposés sur le _processus_
d'après lequel les détenteurs de la «fortune acquise» risquent de se
voir dépouillés légalement, normalement et morceau par morceau, à la
manière dont les artichauts sont effeuillés.

Les actions des chemins de fer français--nous parlerons plus loin des
actions des chemins de fer étrangers--ont joui pendant de longues années
d'une vogue exceptionnelle, avant et après les célèbres conventions de
1883. Elles ont longtemps figuré, elles figurent même encore à la place
d'honneur dans le portefeuille des rentiers les plus timorés. Il faut
croire que ces rentiers n'ont jamais lu ni le cahier des charges ni le
bilan des compagnies, sinon la capitalisation de faveur, la
capitalisation déconcertante de ces titres ne s'expliquerait pas. Il est
tout à fait extraordinaire, par exemple, de constater qu'en 1900, année
de l'Exposition universelle, les actions de nos grandes compagnies de
chemins de fer s'étaient capitalisées exactement au même taux que leurs
obligations. C'est-à-dire qu'en réalisant son bénéfice sur ses actions
Nord, Lyon, Orléans ou autres, et en acquérant, en échange, des
obligations de ces mêmes compagnies, un capitaliste prévoyant et
calculateur, sans diminuer le moins du monde son revenu, sans changer la
nature de son placement, eût stabilisé une large part de sa fortune.
Cette équivalence entre les actions et les obligations avait duré en
effet assez longtemps pour suggérer et pour permettre l'exécution du
plus indiqué, du plus judicieux des arbitrages. Pour ceux--et ils sont
légion--qui ne s'y sont pas résolus au bon moment, la plus-value des
actions de chemins de fer sera restée fictive et théorique, car les
cours fabuleux qui étaient cotés aux environs de l'année 1900 sont loin
et ne reparaîtront jamais.

Il est incroyable, mais vrai, que des milliers d'actionnaires des
chemins de fer français, composés en immense majorité de pères de
famille prudents, économes, et disposés à se prendre pour de vigilants
administrateurs de leur bien, auront négligé de profiter d'un mouvement
spéculatif pour convertir en obligations leurs actions de chemins de
fer, alors que cette opération si simple eût consolidé leur situation
d'une manière inespérée. Le mot d'ineptie n'est pas trop fort pour
caractériser une pareille indifférence, une insensibilité aussi complète
à l'intérêt le plus évident.

En effet, depuis cette occasion perdue,--chance suprême mise par la
spéculation à la portée des classes moyennes,--les cours des actions de
chemins de fer, à force de se déprécier, ont fait subir au portefeuille
de leurs détenteurs des pertes telles, que seules, des valeurs de
troisième ordre étaient réputées jadis pouvoir offrir à la baisse un
champ aussi considérable. Songez en effet que les actions du célèbre
réseau Paris-Lyon-Méditerranée, après avoir valu près de 2 000 francs en
1900, n'en valaient plus que 1 200 environ en juillet 1914, soit une
chute de 40 p. 100! Or, dans le même temps, les cours des obligations de
la même Compagnie n'avaient guère baissé que de 15 p. 100, étant
revenues de 485 francs à 410. Pendant la guerre, le cours moyen de
l'action est tombé aux environs de 700 francs tandis que l'obligation a
rarement fléchi, et de peu, au-dessous de 320. Encore ces obligations
ont-elles la promesse d'un remboursement au pair dans un délai qui peut
être rapproché par une chance heureuse aux tirages annuels. On voit
ainsi, par un nouvel exemple, l'avantage que l'on trouve à placer son
capital à l'abri des fluctuations et des aventures en cherchant un
refuge dans les valeurs à revenu fixe, soutenues par un amortissement
régulier, sans attendre, pour prendre cette résolution salutaire, que
les crises soient survenues.

Mais, en 1900, selon l'illusion régnante et à peu près universelle, le
loyer de l'argent ne pouvait manquer de s'abaisser d'une façon
régulière. Les économistes, les financiers, le public, les savants et
les ignorants, tout le monde était convaincu que le taux de l'intérêt
devait continuer à décroître et ne manquerait pas de s'établir à 2 1/2,
sinon même à 2 %. La ville de Paris, vers cette époque, n'avait-elle pas
émis, en effet, un emprunt de ce dernier type[4]? On s'imaginait donc
que celles des compagnies de chemins de fer qui se sont réservé la
faculté de rembourser leur dette par anticipation (ce sont les
Compagnies de Lyon et d'Orléans), ne tarderaient pas à procéder à la
conversion en 2 1/2 ou 2 3/4 de leurs obligations 3 p. 100. On
s'imaginait aussi que le cours des obligations des autres compagnies,
les obligations inconvertibles, devant se fixer à tout jamais au-dessus
du pair, le porteur serait par conséquent exposé à subir une perte
chaque fois que, par le jeu de l'amortissement, ces obligations seraient
remboursées à 500 francs. C'est justement le contraire qui s'est
produit.

  [4] Dans les dernières années du XIXe siècle, les compagnies de
    chemins de fer pouvaient émettre, elles aussi, des obligations du
    type 2 1/2. Depuis 1910, elles ont dû se résoudre à revenir au type
    4 p. 100. Les voici présentement à 5.

Pendant ce temps, on pensait que les actions de chemins de fer offraient
de vastes espérances de plus-value et d'augmentation de bénéfices. On se
reposait d'une part sur la garantie de l'État; on se leurrait de l'autre
sur la possibilité d'accroître les dividendes. Ce faux calcul, dont
l'excuse est qu'il partait d'une erreur et d'une illusion presque
générales, aura coûté cher aux personnes qui seront restées fidèles à
ces titres, pour la seule raison qu'ils possédaient l'estime de la
bourgeoisie française et parce qu'on se souvenait qu'ils avaient enrichi
la première génération de leurs détenteurs. En sorte qu'on ne prenait
même plus la peine de les étudier, tant leur bonne réputation les
rendait supérieurs à toute analyse et à tout examen.

                                   *

                                 *   *

Cependant, il n'eût pas été difficile, moyennant un peu d'attention, au
capitaliste le moins familier avec la comptabilité complexe des Sociétés
par actions, de découvrir les graves faiblesses des compagnies de
chemins de fer.

La première de ces faiblesses, il n'est même pas exagéré de dire la
première de ces tares, avait été signalée à l'attention du public, il
n'y a pas moins de soixante ans, par le célèbre _Manuel du spéculateur à
la Bourse_, ouvrage de Proudhon, ce singulier génie, fait à la fois de
clartés et de nuages.

En 1855, c'est-à-dire aux origines de la constitution des six grands
réseaux et du régime sous lequel se trouvent encore les compagnies,
Proudhon remarquait déjà que le caractère principal de la gestion des
chemins de fer français était de vivre d'emprunts et de couvrir non
seulement les travaux neufs, mais encore le renouvellement de la voie et
le renouvellement du matériel roulant, au moyen de continuelles
émissions d'obligations. Le principe n'a pas changé depuis le temps où
Proudhon faisait cette remarque. Les emprunts à jet continu n'ont pas
cessé d'être la méthode d'administration des compagnies de chemins de
fer, qui n'achètent pas une locomotive sans contracter une dette
nouvelle et qui ne mettent pas un fourgon au rebut sans garder la charge
de l'intérêt et de l'amortissement du capital emprunté pour
l'acquisition de cet objet de première nécessité.

Un industriel ordinaire, une société quelconque qui emploieraient de
pareils procédés iraient droit à la ruine et seraient jugés avec la
dernière sévérité. Mais, pour la bourgeoisie française, les compagnies
de chemins de fer sont au-dessus de la critique. Leurs actions
bénéficient d'une vieille renommée. Le portefeuille des pères de famille
en est rempli... Telle est, jusque dans les affaires d'intérêt, la force
de l'habitude et la puissance de la tradition.

Deux exemples vont tout de suite fixer les idées du lecteur sur la
gestion financière des grandes compagnies et les alarmes que les
capitalistes prévoyants doivent en concevoir.

Voici la plus prospère de toutes les compagnies, celle à qui s'attachent
le nom, l'autorité, le prestige financier des Rothschild: la puissante
Compagnie du Nord. Nous ne parlons même pas de sa situation financière
présente ni des pertes terribles que la guerre lui a fait subir par la
destruction d'une si large partie de son réseau. Mais, pour l'exercice
1913, comme pour les exercices précédents, les chemins de fer du Nord
avaient eu recours au crédit public et ne lui avaient pas demandé moins
de 87 880 000 francs, somme qui correspondait alors à une charge
annuelle supplémentaire d'environ 4 400 000 francs jusqu'à la fin de la
concession. D'avance, le Nord avait donc engagé pour 4 400 000 francs
ses recettes supplémentaires à venir. Que sera-ce pour les emprunts que
nécessite la guerre!

Cependant, pour le même exercice 1913, le bénéfice distribuable de la
Compagnie (y compris celui des lignes nord-belges) n'avait atteint que
30 millions en chiffres ronds. C'est-à-dire que, si les chemins de fer
étaient une industrie comme une autre, les bénéfices réalisés par le
Nord en 1913 n'auraient pas suffi à ses besoins normaux.

Le cas est le même pour le réseau de l'Est. Ce réseau s'était fait
remarquer dans les années qui ont précédé la guerre par l'augmentation
considérable de recettes que le développement industriel de la région
qu'il dessert (et en particulier l'essor du bassin de Briey), lui avait
permis de réaliser. Les recettes de l'Est s'étaient accrues de plus de
100 millions depuis le commencement du siècle. Aussi la Compagnie
avait-elle pu rembourser à l'État, tranche par tranche, toute la dette
constituée durant les années mauvaises au titre de la garantie
d'intérêt. Enfin, en 1914, année suprême, la Compagnie avait pu relever
son dividende, très modestement, il est vrai, et de la très pauvre somme
de 2 francs: mais les actionnaires, depuis longtemps, n'avaient reçu
pareille aubaine et s'étaient estimés heureux. S'ils y avaient regardé
de près ils auraient vu combien cette pièce de 2 francs elle-même était
précaire!

L'exercice 1913 avait marqué pour la Compagnie de l'Est l'ère de ce
qu'on appelle la «liberté des dividendes». Nous verrons à un autre
endroit les étroites limites de cette liberté. Pour le moment, ce qu'il
importe de remarquer, c'est que, dans une année considérée comme une
année prospère, l'Est avait dû, pour satisfaire aux besoins de son
réseau, emprunter une somme de 80 millions en chiffres ronds,
correspondant à une annuité d'environ 4 millions et demi, pour le
service des intérêts et de l'amortissement. L'année précédente, l'appel
au crédit et la charge corrélative avaient été presque exactement
pareils. Il n'y avait donc pas de raison pour, que, au cours des années
suivantes, et en admettant même que la guerre ne fût pas survenue, la
nécessité de recourir à l'emprunt ne fût pas demeurée la même: le
rapport l'annonçait d'ailleurs en toutes lettres. Et comment, en vérité,
la Compagnie des chemins de fer de l'Est eût-elle suffi à 80 millions de
dépenses obligatoires avec un bénéfice net de 25 millions environ? Même
en supprimant et le dividende réservé et le modeste dividende
supplémentaire de 2 francs, elle fût restée bien loin de compte!

L'emprunt et toujours l'emprunt: voilà donc la loi vitale des chemins de
fer français. C'est pourquoi l'on conçoit sans peine les alarmes qui
assiègent les administrateurs des compagnies de chemins de fer et qui
sont exprimées chaque année par eux, sous une forme plus ou moins
sibylline, aux Assemblées générales. A mesure que la durée de la
concession s'abrège et se rapproche de son terme (il ne reste plus que
trente-cinq ans à courir pour le Nord), la dette s'enfle et le service,
aggravé par les droits de timbre grandissants, en devient plus onéreux
et plus lourd. Ainsi, la Compagnie de l'Est, en dix années, avait vu,
pour les «dépenses de premier établissement», son passif s'accroître
d'un demi-milliard, en dépit des amortissements régulièrement pratiqués
sur les obligations antérieurement émises. Où, quand et comment
s'arrêtera cet endettement prodigieux que la guerre aura aggravé dans
des proportions incalculables? On dira que les compagnies continuent,
conformément aux engagements qu'elles ont pris, à amortir leurs emprunts
antérieurs. Mais il y a longtemps qu'elles empruntent beaucoup plus
qu'elles ne remboursent et leur dette ne diminue jamais. Si l'Est, par
exemple, avait remboursé pour 23 millions de francs d'obligations
anciennes en 1913, il en avait émis pour 80 millions de francs de
nouvelles. De plus, les annuités libérées par les remboursements, sont
destinées, comme on le sait, à accroître la masse réservée aux
amortissements annuels, suivant les tables d'amortissement. On voit donc
que la dette nouvelle de 80 millions contractée dans l'année 1914 est
restée tout entière, intérêts et principal, comme les dettes
précédentes, à la charge de la Compagnie, puisque la somme affectée au
paiement des arrérages sur les obligations remboursées et annulées, doit
servir à rembourser et à annuler une plus grande quantité des
obligations restantes, et ainsi de suite, de manière à assurer le
remboursement intégral de tous les emprunts avant la fin de la
concession.

Il apparaît ainsi que l'industrie des chemins de fer, en France, est une
industrie d'un genre tout à fait spécial, et qui ressemble fort à celle
des Danaïdes condamnées à remplir un tonneau sans fond. D'une part les
compagnies ont et doivent avoir continuellement recours à l'emprunt et
leur dette obligataire ne cesse de s'enfler. D'autre part, elles
n'exploitent qu'à titre de concessionnaires des réseaux qui, au terme de
la concession, doivent revenir gratuitement à l'État. La concession,
c'est la fameuse «peau de chagrin» de Balzac. Elle se rétrécit chaque
année. Pendant ce temps la dette s'enfle et, quel que soit le génie
d'économie qu'on y pourra mettre, elle ne peut manquer de s'enfler
encore, sous peine, pour les travaux d'art et les voies, de tomber en
ruines, pour le matériel de se délabrer.

Au point de vue strictement financier, et par les lois mêmes de leurs
contrats, les compagnies de chemins de fer sont donc placées dans une
situation on ne peut plus alarmante pour l'avenir.

Il est question, il est vrai, depuis quelque temps, de les aider à
sortir de ces soucis qui pourraient devenir bientôt des embarras et qui
sont un principe de ruine. Divers projets ont été agités. L'État
autoriserait les compagnies à émettre des obligations remboursables en
cinquante années (comme le sont déjà les obligations de l'Ouest-État),
c'est-à-dire après l'expiration des concessions. Il est assez probable
qu'il faudra bien, tôt ou tard, adopter ou cette solution-là ou une
autre du même genre, à moins qu'on ne désire voir les compagnies
succomber sous le fardeau[5]. Mais le texte du cahier des charges est
formel: les réseaux doivent revenir à l'État en pleine et entière
propriété et libres de toute dette et engagement. Tout ce que l'État
accorderait aux compagnies dans cet ordre d'idées serait donc générosité
pure, et il y a peu de chances pour que, l'État voulût-il être généreux,
l'opinion et le Parlement le lui permissent. Il faudrait donc très
certainement que les actionnaires se résolussent à payer par quelque
nouveau sacrifice le soulagement qui leur serait accordé. Et pourtant,
des sacrifices, il ne leur reste plus le moyen d'en faire beaucoup!

  [5] Le président du conseil d'administration de l'Est, à l'assemblée
    générale de 1914, a fait remarquer aux actionnaires que leurs
    charges d'intérêt et d'amortissement qui ressortaient, en 1907, à
    4,68 par obligation, ressortaient à 5,21 en 1913. D'autre part, M.
    Félix Chautemps, député, dans son rapport sur les chemins de fer,
    calculait ainsi la progression de la charge imposée pour le service
    d'un emprunt à 4 p. 100:

  Durée                 Taux d'intérêt
  de l'amortissement    et d'amortissement

  50 ans.                4,655 p. 100
  45 ans.                4,82    --
  40 ans.                5,002   --
  35 ans.                5,357   --
  30 ans.                5,783   --
  25 ans.                6,40    --
  20 ans.                7,358   --
  15 ans.                8,99    --
  10 ans.               12,33    --

    7, 8, 12 p. 100! Et c'était des chiffres d'avant-guerre!
    Aujourd'hui, il faudrait au moins les doubler. Ce serait
    l'écrasement pur et simple du budget des Compagnies, l'impossibilité
    pour elles d'entretenir les réseaux. Pour peu que l'État y mît de
    mauvaise volonté, les Compagnies se verraient exposées à cette
    alternative: la ruine ou la déchéance.

                                   *

                                 *   *

En effet, les compagnies de chemins de fer auront été les premières et
naturelles victimes des réglementations qui tendent à accroître la part
du travail et à réduire celle du capital. Cette espèce de lente
évaporation des capitaux, cette consomption des revenus et bénéfices
divers dont nous avons montré plus haut la marche, ne pouvait manquer de
s'exercer avec une rapidité et une gravité particulières sur une
industrie qui occupe un personnel considérable, qui se trouve sous le
contrôle direct de l'État et qui, en outre, est privée de la liberté de
fixer ses tarifs. Ceux-ci, il est vrai, ont bien été relevés pendant la
guerre: mais, en contre-partie, les compagnies ont dû assumer des
charges nouvelles et cette augmentation des tarifs ne suffit déjà plus.
En d'autres termes, les compagnies sont ligotées, prisonnières. Aucune
issue ne leur est offerte, sinon des procès dont la solution est
lointaine et douteuse, quand elles se croient fondées à prétendre que
l'intervention du législateur a été inique et abusive, ou même quand des
pertes immenses leur ont été infligées par un cas de force majeure comme
la guerre.

C'est ce qui s'était produit déjà pour le régime des retraites que le
Parlement avait imposé aux compagnies en 1909 et 1911. Ce régime, chose
très remarquable, était infiniment plus favorable aux travailleurs de la
voie ferrée que celui des retraites ouvrières de droit commun dont
l'État assure lui-même le service, et il y a là un symptôme à retenir.
Il apparaît d'abord que l'État est disposé à se montrer plus exigeant
pour les autres que pour lui-même. Et puis, au lieu d'être à
l'uniformité, l'avenir ne serait-il pas aux privilèges? Déjà il est à
remarquer que les ouvriers mineurs ont obtenu des avantages
particuliers, un traitement spécial, qu'ils s'efforcent de développer et
d'améliorer encore. Le cas des cheminots est le même: c'est l'image d'un
socialisme pratique et sans doctrine, où les travailleurs organisés se
procurent, à l'aide des Parlements, des conditions d'existence
confortables et durables à l'intérieur et sur les produits de
l'industrie même qui assure leur subsistance. Il est probable que cette
tendance, qui est celle de l'incorporation du prolétariat à la
profession, ira en croissant et en se précisant. Les dividendes et les
intérêts du capital s'en ressentiront dans une sérieuse mesure.
Certaines branches de l'industrie, qui ne sont pas encore atteintes par
des réglementations de cette nature, le sentent si bien qu'elles
dissimulent de leur mieux leurs bénéfices pour que l'intervention de
l'État les épargne ou les ménage. Tel est le cas, notamment, de la
grande métallurgie française, si prospère depuis quelques années. Nous
serions surpris, si, un jour ou l'autre, la grande métallurgie n'était
pas frappée par le même genre de contrainte que les charbonnages et les
compagnies de chemins de fer ont déjà subi, et n'ont pas fini de subir.

Les Compagnies ont déclaré que leur bon droit ne faisait pas de doute et
que le Conseil d'État ne manquerait pas de leur allouer une indemnité
pour le préjudice que les lois de 1909 et de 1911, relatives à la Caisse
des Retraites, leur ont porté. C'était également, nous le savons, au
moment du vote, l'avis de certains parlementaires qui, tout en ayant
approuvé ces lois par nécessité politique et sociale, restaient imbus du
vieux principe du respect qui est dû aux contrats. Assurément, si les
Compagnies devaient obtenir gain de cause dans cette affaire, et dans
toutes celles du même genre qui se sont succédé depuis, ce serait pour
elles non seulement un dédommagement appréciable, mais encore un heureux
précédent. Toutefois rien n'est plus douteux. L'ancienne notion de la
sainteté et de l'inviolabilité des contrats, qui s'imposait jadis même à
la puissance publique, s'obscurcit de jour en jour. Dans les Assemblées,
le vieil esprit juridique de la bourgeoisie française s'affaiblit. La
guerre a habitué les esprits à l'idée de la réquisition et le Trésor
public a déjà tant de charges! Quant au Conseil d'État, juge suprême des
différends de cette nature, son indépendance est restée jusqu'ici
au-dessus de tout soupçon. Mais qui oserait affirmer que les tribunaux
administratifs eux-mêmes ne finiront pas par refléter et par exprimer
les idées du gouvernement et de l'opinion publique, dont ils sont, en
définitive, l'émanation?

Les formidables augmentations de dépenses de toute sorte que les
Compagnies ont dû subir du fait des hostilités rendent d'ailleurs leur
situation financière tellement incertaine, que les administrateurs, au
fond d'eux-mêmes, doivent se demander comment ils en sortiront. Il
convient d'ailleurs de s'attendre à des aggravations progressives de
leurs charges de toute nature, en particulier par les relèvements des
salaires du personnel et l'accroissement constant de ce même personnel,
qu'entraînent les améliorations et les adoucissements des conditions de
travail.

Il serait donc sage et prudent d'envisager comme un fait accompli et à
peu près définitif, une réduction considérable des bénéfices des chemins
de fer français. Cette réduction, exprimée par ce qu'on appelle le
coefficient d'exploitation, c'est-à-dire le rapport des dépenses aux
recettes, suivait déjà depuis une dizaine d'années avant la guerre, une
marche alarmante. C'est un phénomène, nous le verrons tout à l'heure,
qui n'est pas particulier aux réseaux français. Mais il est peut-être
plus grave pour les actionnaires de nos réseaux que pour les
actionnaires des réseaux étrangers, en raison du régime spécial de nos
chemins de fer et, en particulier du régime des concessions qui interdit
de compter sur l'avenir. De 1950 à 1960, l'heure de la mort sonnera pour
toutes les grandes compagnies. Les actionnaires qui n'auraient pas la
curiosité de rechercher ce qui, à cette époque, leur adviendra à
eux-mêmes ou à leurs héritiers, feraient preuve d'une impardonnable
incurie.

Prenons l'exemple du Paris-Lyon-Méditerranée dont les recettes brutes
étaient considérables avant 1914 et ne cessaient de s'accroître. Mais,
quand on y regardait de plus près, on s'apercevait que, dans le même
temps, les dépenses s'étaient parallèlement accrues, en sorte que, le
coefficient d'exploitation ayant passé de 47 à 57 p. 100, le bénéfice
net était resté stationnaire. La Compagnie encaisse et manie des sommes
considérables (près de 600 millions en 1913). Son budget en était venu
alors à approcher le budget de l'État belge; il égalait, s'il ne le
dépassait pas, celui de la République Argentine, et tout cela sans
profit pour les actionnaires, dont le dividende actuel reste à la merci
des événements, depuis surtout que la garantie d'intérêts (qui expirait
pour le Nord et le Lyon en 1915) ne leur est plus assurée. Ce dividende
réservé qui, pour le P.-L.-M., était de 55 francs, a été réduit à 40
francs pendant la guerre. Encore ce dividende est-il _entièrement
fictif_. En 1919 il n'a pu être distribué que grâce à une émission
d'obligations autorisée par l'État, le déficit total étant de 212
millions. Les actionnaires du P.-L.-M. en sont donc réduits à emprunter
pour assurer le service de leur dette, et ils empruntent encore pour se
voter à eux-mêmes un dividende! Nous le répétons: c'est un gouffre.

Ainsi la progression des recettes n'influence pas le revenu des
actionnaires, qui reste immobile, quand il n'est pas menacé de
diminution. Il ne faudrait pas trop compter à cet égard sur le renouveau
d'activité et de prospérité qui suivra la guerre, car les prix du
charbon et de toutes les matières resteront longtemps ruineux. En
admettant même que les compagnies pansent leurs plaies, il y a une
raison majeure et trop souvent oubliée (si elle n'est pas ignorée) pour
que les bénéfices, s'il en survenait par hasard de supplémentaires,
échappent aux actions. En effet, les cahiers des charges stipulent que
l'État est appelé au partage des bénéfices dans la proportion des deux
tiers, dès que le dividende réservé se trouve dépassé. Pour l'Est, par
exemple, sur un excédent de revenu de 7 millions, on constate que
l'État, en vertu des récentes conventions, avait pris 4 700 000 francs
et qu'il n'est demeuré que 2 350 000 francs aux porteurs d'actions
(1914).

En d'autres termes, toutes les mauvaises chances restent aux
actionnaires. Quant aux chances favorables, elles sont considérablement
réduites par le fait que l'État s'est adjugé la part du lion.

Voilà la situation vraie et que les intéressés auront profit à méditer.
Nous n'avons pas à examiner dans ce livre le bien-fondé de ces clauses
de partage et des droits que s'attribue l'État. Nous renseignons les
capitalistes, sans plus. Et il est bien certain que, dans des conditions
pareilles, les actions de chemins de fer constituent des valeurs
industrielles singulièrement aléatoires et totalement dépourvues
d'attrait. Il est singulier, nous le répétons, qu'on ne le sache pas
davantage.

Au surplus, il est impossible de dissimuler que le personnel dirigeant
des compagnies a pris une lourde responsabilité vis-à-vis des
actionnaires, en acceptant et en leur faisant accepter les fameuses
conventions de 1883. Les actionnaires sentaient bien alors que leur
intérêt était de laisser l'État racheter les compagnies, puisque l'État
voulait modifier les contrats existants et construire des lignes
nouvelles, dont l'improductivité était d'avance certaine. Cette opinion
très juste des actionnaires s'était même exprimée nettement à
l'assemblée extraordinaire du P.-L.-M. du 24 décembre 1883, où un tiers
des actionnaires présents refusa de ratifier la convention: cette
opposition était grandement justifiée, puisque les dividendes de 65, 70,
75 francs, distribués pour les exercices précédents, ne devaient plus
jamais reparaître.

A quels mobiles ont obéi les états-majors des compagnies en acceptant et
en faisant accepter les conventions de 1883? C'est ce qu'il est
difficile de dire avec certitude. Ils invoquèrent alors le patriotisme,
le devoir d'assister l'État dans l'oeuvre de réorganisation de la
France; et aussi «les véritables principes économiques», les dangers de
«l'étatisation» et du socialisme d'État. Les «véritables principes
économiques» auront coûté cher dans cette circonstance aux actionnaires,
qu'ils auront livrés sans défense aux entreprises du socialisme par les
interventions législatives que nous avons exposées.

Il y avait certainement en 1883, parmi l'élite qui compose les conseils
des compagnies, des théoriciens, des sociologues, des philosophes, qui
croyaient sincèrement aux principes. Mais il nous paraît difficile de ne
pas admettre qu'il y ait eu aussi des professionnels des grandes
affaires qui auront calculé tout ce qu'ils perdraient, non pas sans
doute de profit, mais surtout d'influence et de moyens d'action, en ne
participant plus au gouvernement de ces puissants organismes que sont
les compagnies de chemins de fer. Un incident est venu révéler au
public, voilà quelques années, que les capitaux considérables, les
dizaines de millions dont les conseils d'administration ont le maniement
et assurent l'emploi temporaire entre les échéances, pouvaient être
utilisés au gré de certains administrateurs et servir à des opérations
aventureuses et même illicites: nous voulons parler des traites Crosnier
escomptées par la Compagnie d'Orléans et qui furent découvertes après la
déconfiture retentissante et le suicide de ce spéculateur. Un pareil
abus, nous en sommes persuadé, aura été tout à fait rare dans l'histoire
des compagnies de chemins de fer. Mais il y a là une indication qu'il
serait un peu naïf de négliger. Oui, beaucoup de raisons font que
l'administration de nos grands réseaux est tentante pour des financiers
et des hommes d'affaires. Il n'est pas douteux que si, en 1883, ces
états-majors n'avaient eu en vue que l'intérêt des actionnaires, ils
eussent laissé l'État recourir à la procédure de rachat. Et s'ils ont
fait un autre calcul, s'ils ont cru qu'il serait plus avantageux pour
les compagnies d'exploiter les réseaux sous le nouveau régime que de se
faire exproprier moyennant les indemnités prévues, eh bien! l'expérience
aura prouvé qu'au moins pour la majorité d'entre elles, ces élites
d'hommes d'affaires et d'économistes s'étaient trompées.

                                   *

                                 *   *

Nous résumerons tout ce qui précède en disant que les actions des
chemins de fer français sont devenues des valeurs totalement dépourvues
de perspectives d'avenir, sinon même des valeurs aléatoires et
présentant plus de mauvaises chances que de favorables. Les profits
industriels en sont rongés par les lois ouvrières, expression d'un
inéluctable mouvement social. Toute hausse des matières premières, tout
renchérissement de la main-d'oeuvre les menacent directement, sans que
les Compagnies puissent se dédommager par le relèvement des tarifs, que
l'État n'autorise qu'à des conditions elles-mêmes onéreuses. Les charges
financières et fiscales s'aggravent. L'expiration des concessions
approche...

Qu'est-ce que l'actionnaire pourrait espérer de bon?

Toutefois, la situation des six grandes Compagnies, Nord, Paris-Lyon,
Est, Orléans, Midi et Ouest, offre aujourd'hui des différences
considérables. Il importe de distinguer entre elles, tout compte tenu
des observations générales que nous venons de présenter.

_La Compagnie du Nord_ a été et serait encore la plus prospère de toutes
si la guerre n'était venue frapper sur elle un coup terrible. Ses
recettes kilométriques étaient de beaucoup les plus fortes, avec un
réseau court, présentant très peu d'artères improductives, et qui
traverse nos provinces les plus peuplées, les plus industrieuses, les
plus riches, celles aussi qui, naturellement, ont tenté l'ennemi. Jamais
le Nord, jadis, n'avait fait appel à la garantie d'intérêts. Cette
garantie toutefois expirait le 1er janvier 1915 et, à partir de ce
moment, l'action Nord n'était plus qu'une valeur industrielle comme une
autre, particulièrement exposée, en raison de la nature de son trafic, à
subir l'influence des crises économiques, ainsi que le rapport des
administrateurs le fait observer presque tous les ans. Il était donc
déjà possible que, durant les trente-cinq années de vie qui restaient à
la société, les cascades des cours fussent nombreuses.

Le réseau Nord-Belge contribuait régulièrement, et dans une proportion
de plus du tiers, à grossir le dividende. Si l'État Belge venait à
manifester vis-à-vis de ce réseau privé les mêmes exigences que l'État
français,--ce qui paraît assez probable d'après bien des
symptômes,--cette source de revenus pourrait bien avoir à souffrir. La
Belgique, elle aussi, fera une politique sociale intense et elle annonce
déjà une «régie des chemins de fer».

Quant au tunnel sous la Manche dont le percement est décidé en principe,
tant par la France que par l'Angleterre, il apportera certainement au
Nord un élément de bénéfices appréciable. Cependant il ne faudrait pas
escompter cet élément trop tôt, car on estime qu'en mettant les choses
au mieux, il s'écoulera peut-être une dizaine d'années avant que le
tunnel soit ouvert au trafic.

On calculait, toujours avant la guerre, qu'en 1950, à la fin de la
concession, quand toutes les actions auraient été remboursées à 400
francs (car le pair des actions Nord, il ne faut pas l'oublier, n'est
que de 400 francs), la répartition de l'actif disponible, (le matériel
roulant évalué à dire d'experts ayant été repris par l'État), laisserait
une somme à peu près égale à la valeur présente de l'action de
jouissance, qui était alors d'environ 1.300 francs. Inutile de dire que
ce calcul renfermait un grand nombre d'éléments douteux et
incontrôlables. Bien des choses pouvaient changer et, avec l'invasion
allemande et ses conséquences, bien des choses ont changé en effet, bien
des hypothèses ont été démenties, bien des équilibres ont été rompus et
d'autres le seront encore d'ici 1950, époque à laquelle beaucoup
d'hommes faits, aujourd'hui vivants, ont chance d'être encore de ce
monde, où les jeunes enfants de la génération la plus récente
atteindront la force de l'âge. Il y a là un point d'interrogation qui
doit se poser aux pères de familles prévoyants.

Il serait donc tout à fait inexact et dangereux de classer l'action Nord
comme la seconde valeur du monde, ainsi que l'avait fait le public
français dans un concours organisé, voilà une quinzaine d'années, par un
considérable organe financier. Ce n'est peut-être même plus aujourd'hui
la moins mauvaise des actions de chemins de fer français. On répète
volontiers que, jusqu'ici, les personnes qui l'ont achetée dans les
périodes de très grande dépression n'ont pas eu à s'en repentir: il est
impossible que ces rebondissements, auxquels on se fie, n'aient pas un
terme.

_La Compagnie des Chemins de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée_,
comme celle du Nord, doit désormais pourvoir à ses dividendes par ses
propres moyens, la garantie d'intérêt ayant expiré le 1er janvier 1915,
à moins qu'une nouvelle convention n'intervienne qui, on peut en être
sûr, ne fera pas un pont d'or aux actionnaires. Vu sur la carte, le
réseau est splendide, avec sa grande artère principale à haut rendement.
Il convient aussi de tenir compte du retour à la France de
l'Alsace-Lorraine et peut-être de l'entrée de la rive gauche du Rhin
dans notre sphère d'influence économique. Le Lyon pourra profiter de ce
nouvel état de choses.

La grande faiblesse du P.-L.-M. est l'énormité même de son réseau, qui
s'accroît sans relâche. C'est le géant des chemins de fer français et
ses proportions colossales ne donnent que plus de prise à toutes les
aggravations de dépenses et de charges. Son personnel forme une armée.
Et tel relèvement de salaires, qui coûte quelques centaines de mille
francs au Nord, s'élève pour lui, d'un seul bond, à plusieurs millions.
De toutes les Compagnies, celle de Paris-Lyon doit être la plus sensible
à la double étreinte de la législation ouvrière et de la législation
fiscale.

En outre, les besoins d'argent du P.-L.-M. sont constants et
gigantesques. On n'en aperçoit pas la fin, car les travaux neufs
complémentaires à exécuter forment un programme immense. Tout relèvement
du loyer de l'argent est donc particulièrement coûteux au P.-L.-M., dont
les charges financières ne cessent de grandir et dont les obligations se
placent à un cours déjà inférieur au cours des obligations des autres
Compagnies, en raison de l'extinction de la garantie, de la plus longue
durée de l'amortissement et de la largeur des tranches qui sont offertes
au public.

Enfin, il ne faut pas oublier que le P.-L.-M. atteint très vite la
limite du partage des bénéfices avec l'État. Il lui est même déjà arrivé
de l'atteindre. La marge des bénéfices éventuels est donc très étroite,
en sorte que les circonstances défavorables l'emportent de beaucoup sur
les circonstances favorables et il ne faudrait guère compter sur
celles-ci. Il serait même bien hardi de promettre aux actionnaires
qu'ils reverront jamais l'ancien dividende réservé. Pour le moment, on
ne peut dire qu'une chose de la situation financière du P.-L.-M., c'est
qu'elle est tragique.

A l'expiration de la concession (décembre 1958), toutes les actions du
Lyon ayant été remboursées à 500 francs et étant devenues des actions de
jouissance, que reviendrait-il à chacune d'elles? C'est ce qu'il serait
bien aventureux de vouloir prédire. L'action de jouissance du P.-L.-M.
est estimée aujourd'hui en Bourse valoir à peu près 350 francs. Il est
extrêmement douteux, pour ne pas dire plus, que ces 350 francs se
retrouvent au 31 décembre 1958, dans les divers éléments d'actif qui
appartiendraient en propre à la Compagnie au moment où elle devrait
remettre tout son réseau à l'État.

En d'autres termes, si une «valeur de père de famille» ne doit comporter
que la proportion d'aléas la plus faible possible, l'action
Paris-Lyon-Méditerranée n'apparaît nullement comme ayant les caractères
qui sont requis pour ces valeurs-là.

_La Compagnie des chemins de fer de l'Est_ a eu une histoire
particulièrement intéresssante. La guerre de 1870 et le traité de
Francfort avaient failli ruiner le chemin de fer de l'Est et l'avaient
anémié longtemps par l'amputation de la magnifique partie alsacienne de
son réseau. L'Est était même probablement condamné à végéter tristement
jusqu'à la fin de ses jours, à l'époque où la revanche semblait
chimérique, sans la mise en valeur du bassin de Briey, qu'on a pu
appeler le Transvaal français, et qui a eu pour conséquence la
transformation de toute une contrée, naguère agricole, en région de
haute activité industrielle. Le retour à la France de l'Alsace-Lorraine
promet aux chemins de fer de l'Est une nouvelle prospérité. Mais
recevront-ils de nouveau le réseau alsacien? Et à quelles conditions? A
quel prix l'État le rétrocéderait-il à la Compagnie? La Compagnie
trouverait-elle, dans la nouvelle convention qui serait signée, une
compensation aux dommages considérables que l'invasion lui a valus? Il
faudrait connaître la réponse qui sera faite à ces questions avant de
compter sur un essor des dividendes.

Lourdement endetté envers l'État, l'Est avait pu, avant la guerre, en
recourant à l'emprunt, rembourser sa dette de garantie et, par l'effet
de sa convention de 1911, disposer de ses bénéfices, dans la limite
étroite, toutefois, que nous avons définie plus haut. L'attribution
obligatoire à l'État des deux tiers des sommes qui dépassent le
dividende réservé restreint considérablement les possibilités
d'augmentation du revenu. On ne peut donc prévoir pour celui-ci, dans
l'hypothèse la plus favorable, que des accroissements lents et modestes,
s'il s'en produit.

La garantie de l'État, assurée à l'Est jusqu'en 1935, constitue pour
cette Compagnie une assurance contre les risques inséparables de
l'industrie des chemins de fer en France. Dans ces conditions, l'action
Est semble pouvoir présenter assez longtemps une certaine stabilité.
L'acquéreur se tromperait toutefois en croyant faire fortune. Les cours
actuels, pour un revenu minimum de 35 fr. 50, tiennent déjà compte des
possibilités les plus heureuses.

Tout à fait spécial est le cas des _Compagnies de l'Orléans_ et du
_Midi_. Si elles étaient des Sociétés comme les autres et réduites à
leurs seules ressources, ces Compagnies auraient fait faillite depuis
longtemps. On a même pu craindre que l'heure de cette faillite ne sonnât
en 1915. Mais un arrêt du Conseil d'État, mettant fin à une vieille
querelle qui, jadis, a fait couler beaucoup d'encre, et même renversé
des ministères, est venu assurer à l'Orléans et au Midi, sans qu'il
subsiste l'ombre d'un doute, le bénéfice de la garantie jusqu'à la fin
des concessions (respectivement 1956 et 1960). Le gouvernement s'est
incliné. Singulière combinaison, on en conviendra! Humiliante situation
pour l'État, destiné à subvenir à toutes les insuffisances de deux
Compagnies privées et à remplir le rôle défini par le vers de la
comédie:

    Un oncle est un banquier donné par la nature.

Quoi qu'il arrive, l'actionnaire de l'Orléans et celui du Midi ont la
certitude de toucher, pendant plus de quarante ans, un dividende
minimum, plus le remboursement de l'action au pair de 500 francs. Par
exemple qu'ils n'attendent rien de plus! Il est universellement admis
que ni l'Orléans ni le Midi ne parviendront à rembourser leur lourde
dette de garantie qui se grossit sans relâche des intérêts arriérés[6].
Tout l'actif qui apparaîtra à la fin des concessions ne peut manquer
d'être repris par l'État créancier pour le payer de ses avances. Il est
même moins que certain que l'État y retrouve son compte.

  [6] L'Orléans a pourtant, jadis, été une compagnie extraordinairement
    prospère. Les actions ont même été dédoublées, en sorte que, sur le
    pied du dividende actuel de 59 francs, une action primitive
    donnerait 118 francs de revenu. Mais les conventions de 1883 ont
    transformé du tout au tout l'exploitation de la Compagnie qui,
    surchargée de lignes dépourvues de trafic rémunérateur, est devenu
    déficitaire. La réglementation du travail, des retraites, etc... a
    aggravé cette situation au moment où une lueur d'espoir se faisait
    jour et où la Compagnie commençait à pouvoir rembourser les avances
    de l'État.

Un placement en actions Orléans ou Midi doit donc être considéré comme
un placement à fonds perdus pour la somme qui sépare le remboursement à
500 francs du cours actuel de ces valeurs. En d'autres termes, le
capitaliste sérieux qui posséderait l'une ou l'autre de ces valeurs
devrait songer, par des prélèvements sur son dividende, à reconstituer,
d'ici 1966, une somme d'environ 500 francs par action d'Orléans et,
d'ici 1960, d'environ 350 francs par action Midi. En vérité, le jeu n'en
vaut pas la chandelle.

Et nous voici enfin en présence du phénix des actions de chemins de fer
français. Nous voulons parler de l'action de la _Compagnie des Chemins
de fer de l'Ouest_ en liquidation, l'ancien Ouest racheté, aujourd'hui
Ouest-État.

Les finances de l'Ouest étaient dans une situation lamentable, lorsque
le gouvernement, en 1908, vint tirer les actionnaires d'angoisses trop
fondées en se chargeant d'administrer le réseau moyennant le paiement de
bonnes et copieuses annuités. Sans doute, à ce moment-là, l'État devait
garantir le dividende des actions jusqu'au 31 décembre 1934, mais il le
devait jusqu'en 1934 seulement, tandis que le rachat a eu pour effet
d'étendre cette garantie jusqu'à l'expiration de la concession, soit
vingt-deux années plus tard (1956).

Or, en 1908, tout faisait prévoir (et cette prévision se trouverait
singulièrement renforcée aujourd'hui), non seulement que la Compagnie de
l'Ouest, à l'expiration de la garantie, ne serait plus en état de
distribuer le moindre dividende à ses actionnaires, mais encore qu'elle
serait exposée à ne pas suffire au service de ses obligations. Déjà,
malgré une sévère économie et une compression énergique des dépenses,
les insuffisances du produit net étaient telles que la Compagnie avait
dû souvent demander à l'État bien plus que les 11 500 000 francs
nécessaires au paiement du dividende minimum. Ces appels à la garantie
avaient été si nombreux, si répétés, que la Compagnie, en 1908, se
trouvait avoir contracté envers l'État une dette qui, en principal et en
intérêts, ne s'élevait pas à moins de 350 millions. A grand'peine
couverte alors par la valeur du matériel roulant, cette somme serait
déjà (par le jeu seul de l'intérêt à 4 p. 100) bien dépassée aujourd'hui
et l'on peut estimer qu'elle eût très probablement atteint, sinon
dépassé, les environs d'un milliard en 1934. L'avenir de la Compagnie
était désespéré.

Le rachat a dissipé les alarmes des actionnaires. D'un trait de plume,
il a passé condamnation sur les 350 millions de la dette de garantie. Il
a, d'une manière indiscutable et définitive, mis à la charge du Trésor
le service des intérêts et de l'amortissement des obligations et des
actions. Et la bienfaisance du rachat est même allée encore plus loin.

Non seulement les actionnaires sont assurés de recevoir jusqu'en 1956 le
dividende minimum (38 fr. 50). Non seulement le remboursement de leurs
actions au pair de 500 francs ne fait pas de doute pour eux. Mais
encore, plus favorisés que les actionnaires de toutes les autres
Compagnies, ils n'ont pas d'inquiétudes à concevoir au sujet de la prime
au-dessus du pair (200 francs environ) que représente normalement le
cours de leurs titres. Ils n'ont pas à se préoccuper de la valeur de
l'actif disponible au moment de la reprise du réseau par l'État. Ils
sont dispensés de songer à amortir une perte certaine par un prélèvement
sur le dividende. Car, en leur laissant la propriété d'une réserve
spéciale constituée aux temps très anciens où leur Compagnie était
prospère, et qui s'élève à une quarantaine de millions (soit 130 fr. par
action), le rachat a tout prévu. Les revenus de cette réserve,
capitalisés jusqu'en 1956, formeront la somme nécessaire pour que chaque
action reçoive au minimum, à la liquidation définitive, la valeur
actuelle de l'action de jouissance[7]. Il paraît même probable, d'après
un article de la convention de rachat, que, lorsque les réserves
accumulées se seront établies d'une manière durable au-dessus du chiffre
primitif, le surplus deviendra immédiatement distribuable. En pareil
cas, chose paradoxale, on verrait l'Ouest racheté, jadis profondément
déficitaire et condamné à la faillite, accroître son dividende, tandis
que des Compagnies anciennement prospères, comme le Lyon, auraient été
obligées de restreindre sinon de supprimer le leur[8].

  [7] A ce propos nous ferons remarquer qu'il y a une différence
    constante, qui dépasse souvent une centaine de francs, entre le
    cours de l'action de capital de l'Ouest et le cours de l'action de
    jouissance augmenté des 500 francs du remboursement. Cette
    différence tient à ce que celle-ci a droit au dividende de 21
    francs, tandis que l'action de capital ne reçoit, en plus, que les
    intérêts à 3 1/2 soit 17 fr. 50. Il en résulte que l'action
    remboursée à 500 francs en vertu du tirage au sort vaut 500 francs
    en numéraire, plus une action de jouissance (il est facile de se
    rendre compte par la lecture du premier tableau de Bourse venu que
    la situation est la même pour les actions Orléans). En vendant
    l'action de jouissance et en rachetant avec le produit de cette
    vente, joint aux 500 francs de capital remboursé, une nouvelle
    action Ouest, l'actionnaire peut, si la chance aux tirages le
    favorise, accroître, de temps à autre, le revenu de son titre. Nous
    avons tenu à citer cet exemple, afin de montrer que, pour le
    capitaliste attentif, bien des occasions se présentent qui passent
    inaperçues pour le capitaliste distrait.

  [8] L'accroissement des droits de timbre et des divers impôts qui
    restent à la charge de la Société civile qui a pris la place de
    l'ancienne Compagnie de l'Ouest, pourrait cependant déranger les
    calculs établis sur l'accumulation des intérêts. A cela près, la
    méthode selon laquelle est administré ce patrimoine commun des
    actionnaires pourrait servir de modèle.

Ainsi, bien garantie quant au revenu, bien garantie quant au capital,
l'action Ouest, par un extraordinaire renversement des rôles, est
devenue la première des actions de chemins de fer français. Complètement
dégagée des soucis croissants, des risques et des incertitudes que
comporte l'administration d'un grand réseau, l'action Ouest s'est
transformée pour moitié en une créance directe sur l'État français. Pour
l'autre moitié, cette action est la 300 millième part d'une riche
Société de capitalisation. Ainsi la politique du socialisme d'État,
toute nuisible qu'elle est, d'une manière générale, aux fortunes
privées, aura certainement, dans ce cas, sauvé de la ruine un élément
des patrimoines français.

D'après un pareil précédent, nous serions vivement tenté de formuler cet
axiome: _l'avenir et le salut des compagnies de chemins de fer français
sont dans le rachat et ne sont que là_. Mais, en dépit des contrats, les
rachats futurs se feront-ils toujours aussi correctement que s'est fait
le rachat de l'Ouest? Si le Parlement et l'administration venaient, tout
en étendant le domaine des monopoles, à perdre la tradition bourgeoise
du respect de la propriété et des contrats, à ne plus se soucier de
conserver à l'État la réputation d'«honnête homme», ne verrait-on pas, à
la procédure de rachat, se substituer la procédure de déchéance? Déjà le
parti socialiste voulait, en 1908, que la concession de la Compagnie de
l'Ouest fût purement et simplement révoquée. Il y a là un symptôme à
retenir[9]. Même si l'on ne procède pas au rachat, la révision des
conventions de 1883, devenue inéluctable depuis la guerre,
apporterait-elle aux actionnaires les garanties qu'ils souhaiteraient?
Il y a là bien des points d'interrogation.

  [9] M. Albert Thomas, membre influent et renseigné du groupe
    socialiste parlementaire, écrivait dans son livre, _L'État et les
    compagnies de chemins de fer_ (1914):

    «Une _audacieuse politique de nationalisation_ est indispensable
    pour résoudre tous les problèmes que révolution industrielle ou
    sociale a posés et qui sont, d'ores et déjà, reconnus insolubles
    sous le régime des conventions de 1883». C'est nous qui soulignons
    les mots _audacieuse politique de nationalisation_. La question est
    de savoir si cette «audace» qui, par le rachat de l'Ouest, s'est
    appliquée aux finances de l'État et a bénéficié aux actionnaires,
    n'aurait pas tendance à imposer aux actionnaires des sacrifices que
    l'État ne serait pas en mesure de supporter indéfiniment.

Pour le moment, après avoir si gravement effrayé les classes
possédantes, les rachats sont plus justement appréciés. On a pu s'en
apercevoir par l'exemple des chemins de fer algériens et l'on a pu
assister, en 1914, à une hausse immédiate des actions _Bône-Guelma_, à
la seule nouvelle que ce réseau était racheté par l'Algérie.

Antérieurement, en 1908, le réseau de l'_Est-Algérien_ avait déjà été
incorporé au réseau d'État. Mais la convention amiable conclue avec la
Compagnie de l'Ouest, ayant, à cette époque, été l'objet des critiques
du parti socialiste, l'administration a préféré ne pas s'exposer aux
mêmes reproches pour l'Est-Algérien et attendre le jugement de la
juridiction contentieuse. La Compagnie a interjeté appel auprès du
Conseil d'État de l'arrêt rendu par le conseil de préfecture de
Constantine et les actionnaires ne sont pas encore (en 1919) fixés sur
le sort qui leur sera fait. L'expérience, à notre avis, sera
intéressante et susceptible de donner aux capitalistes une indication
définitive sur ce qu'il faut attendre des expropriations par rachat.

D'ores et déjà, il est certain que le dividende de trente francs garanti
par l'État aux actions de l'_Est-Algérien_ leur demeurera acquis.
L'administration ne l'a même pas contesté et, depuis qu'elle a pris
possession du réseau, elle paye chaque année à la Compagnie une annuité
suffisante pour subvenir au service des obligations et à la distribution
du dividende ordinaire. Mais la Compagnie prétend avoir droit à des
annuités plus fortes et réclame à l'État, pour chaque année restant à
courir jusqu'à la fin de la concession (1978) une somme supérieure de
755 000 francs à celle que l'État consent spontanément à lui verser. Si
la Compagnie avait gain de cause sur l'ensemble ou seulement sur une
partie de ses revendications, le rachat de l'_Est-Algérien_ vu le nombre
relativement peu élevé des actions (50 000), pourrait avoir pour effet
d'accroître le revenu des actionnaires dans une proportion qui ne serait
pas négligeable, étant donné la légèreté du titre. C'est ainsi que
certaines personnes prétendent que si la Compagnie de l'Ouest, au lieu
de s'entendre à l'amiable avec l'État, s'était présentée devant les
tribunaux administratifs, elle eût obtenu des conditions encore bien
plus favorables que celles qui lui ont été reconnues par le compromis.
Quoi qu'il en soit, on admet assez généralement que les actionnaires de
l'_Est-Algérien_ conserveront au moins la propriété d'une réserve qui
représente à peu près 70 francs par action. Ils se trouveraient alors
sur le même pied que les actionnaires de l'Ouest et n'auraient plus à
craindre de perdre la différence entre le cours de l'action (550 francs
environ, après avoir été de plus de 700 naguère) et le remboursement à
500 francs. On a pu remarquer depuis quelque temps le zèle avec lequel
certains capitalistes recherchaient les actions de jouissance de
l'_Est-Algérien_ et du _Bône-Guelma_. Ces petits titres, qui, pour le
moment, ne produisent aucun revenu, ne sont même pas cotés en Bourse, et
certains banquiers, outillés pour ce genre de négociations, se chargent
seuls de mettre en rapport les vendeurs et les acheteurs. Ces
capitalistes ont sans doute des raisons de penser qu'une spéculation sur
les deux rachats, à l'aide de titres d'un prix de revient presque
insignifiant, pourrait ne pas être maladroite.

Voilà un exemple qui est encore, à notre avis, très instructif. Car il
montre que le capital peut trouver, dans les circonstances créées par
l'évolution vers le socialisme d'État, des occasions imprévues de
compenser des pertes ou des dommages subis par ailleurs. Qui sait si,
dans l'avenir, d'autres occasions, aujourd'hui insoupçonnables, ne
surgiront pas d'une métamorphose encore plus étendue de l'organisation
économique et sociale sur laquelle nous avons été accoutumés à nous
reposer? Aux personnes les plus pessimistes et les plus disposées à
croire à une dissolution irréparable des anciens éléments qui
composaient les patrimoines, nous montrons, au milieu d'une catégorie de
valeurs visiblement fatiguées, vieillies, ayant produit tout ce qu'elles
pouvaient produire, les cas inattendus de relèvement et de guérison que
présentent les actions de l'Ouest et les actions des chemins de fer
algériens.

La Compagnie du _Bône-Guelma_, soulagée de son réseau d'Algérie, gardera
l'exploitation d'un réseau tunisien sur la valeur et l'avenir duquel il
est, pour le moment, difficile de se prononcer. Il ne subsiste plus en
Algérie qu'une seule Compagnie privée, celle de l'_Ouest-Algérien_, qui
sera sans doute, un jour ou l'autre, rattachée aux chemins de fer
unifiés de l'État. Cette opération paraît retardée par le fait que
l'Ouest-Algérien, compagnie privée, peut étendre ses lignes vers le
Maroc sans soulever de difficultés, hier diplomatiques, aujourd'hui
administratives. Si le rachat de cette compagnie venait à paraître à
l'horizon, le capitaliste ferait peut-être bien de s'y porter. Car
certaines précautions de la Compagnie, (notamment une annulation d'une
partie de ses actions), permettent de penser qu'elle s'est préparée à
cette éventualité et s'est mise en bonne posture.

Nous arrêtons ici cet examen des actions des chemins de fer français,
sur lesquelles nous avons particulièrement insisté en raison du danger
qui les menace, de la place qu'elles occupent dans les patrimoines
français et des inquiétudes qu'elles doivent inspirer aux porteurs.

Nous n'ajouterons qu'un mot: si telles sont les conditions d'insécurité
dans lesquelles les grands réseaux continuent leur exploitation, que
dire des chemins de fer secondaires, des lignes d'intérêt local, etc...?
Ces sociétés, avec leurs faibles recettes, ne peuvent manquer d'être
écrasées par la hausse des matières premières et par les lois qui
réglementent le travail, les salaires, les retraites, etc... Après tant
d'exemples malheureux ou décourageants, on se demande comment ces
Compagnies trouvent encore des actionnaires, et il est probable qu'elles
en trouveront de plus en plus difficilement. Pas plus que les ponts ou
que les routes, les chemins de fer de l'avenir ne seront sans doute des
entreprises privées.



CHAPITRE IX

LES ACTIONS DES CHEMINS DE FER ÉTRANGERS

La plus grande partie des bonnes lignes d'Europe constitue des
exploitations directes d'État.--Les Compagnies qui existent encore sont
dans une situation voisine de celle des chemins de fer français.--Un mot
alarmant de M. Lloyd George.--Le cas de la Compagnie du Sud de
l'Autriche: comment un chemin de fer est conduit à la ruine.--Crise
grave des chemins de fer américains avant la guerre européenne: pourquoi
cette crise menace de se représenter et d'être durable.--Le krach des
chemins de fer exotiques.--Conclusion: les actions de chemins de fer
sont le type de la valeur mobilière qui meurt.


Les États européens ont, en grand nombre, au cours de ces vingt-cinq ou
trente dernières années, racheté leurs chemins de fer, qu'ils exploitent
directement. C'est l'indication très nette d'une tendance générale à
enlever aux chemins de fer le caractère d'entreprises commerciales pour
les transformer en services publics. Cette tendance devant avoir pour
effet de réduire progressivement jusqu'à zéro le bénéfice des réseaux,
on comprendra dès lors que, à l'étranger comme en France, les
actionnaires de ces compagnies soient exposés à de désagréables
surprises et courent généralement des risques sans proportion avec les
chances non seulement d'accroître, mais même de conserver leur revenu et
leur capital.

Nous allons passer en revue les principales valeurs de chemins de fer
étrangers auxquelles le public français est intéressé ou susceptible de
s'intéresser. Depuis les premières années du XXe siècle, le même
phénomène se remarquait pour presque toutes, en Amérique comme en
Europe: augmentation du coefficient d'exploitation, décroissance du
produit net, ingérence continue et ruineuse de l'État dans
l'administration et les services, cherté croissante de la main-d'oeuvre
et des matières premières, amélioration sans cesse plus coûteuse des
traitements, salaires et retraites, etc... Ainsi se volatilisent tous
les bénéfices. Et il va sans dire, non seulement que ces causes
subsisteront après la guerre, mais encore qu'elles seront aggravées. En
sorte que le droit d'exploiter les réseaux de voies ferrées commence à
apparaître comme une charge beaucoup plus que comme une source de
profits, ainsi qu'on va pouvoir s'en rendre compte à l'aide de ce
document curieux.

Au mois de février 1908, un membre de la Chambre des Communes ayant
présenté un ordre du jour favorable au rachat des chemins de fer
anglais, le président du _Board of trade_ fit un exposé de la situation
des Compagnies, dont nous tenons à reproduire l'essentiel, résumé
d'après un compte rendu de son discours:

  Le ministre a eu soin de faire ressortir dans quelles conditions
  onéreuses les compagnies elles-mêmes ont à travailler. Mises à rançon
  dès le début, du chef des expropriations que réclamaient les tracés,
  on les sollicite aujourd'hui de toutes parts. On réclame d'elles la
  majoration des salaires du personnel, le raccourcissement des heures
  de travail, la multiplication des trains ouvriers: tout cela sans se
  demander si, entreprises commerciales, tous ces sacrifices joints à
  l'abaissement des tarifs, aux facilités sans cesse exigées, leur
  permettraient de réaliser ou non un bénéfice raisonnable.

En voilà assez, pensons-nous, pour détourner les capitalistes français
de s'intéresser aux chemins de fer anglais, s'ils venaient à en
concevoir l'idée, surtout lorsque l'on saura que l'orateur qui traçait,
en 1908, cette sombre peinture, n'était autre que M. Lloyd George,
ministre dont les idées socialistes paraissaient alors effrayantes et
qui n'est plus aujourd'hui qu'un conservateur, tant il a été dépassé.

Ces paroles de M. Lloyd George nous invitent même à nous demander si les
États contemporains n'auraient pas, en matière de chemins de fer, une
secrète inclination à laisser les Compagnies aux prises avec une
situation difficile jusqu'au moment où ces Compagnies, menacées de
faillite, seraient disposées à se laisser racheter à vil prix.

C'est, d'ailleurs, la politique qu'avait suivie le défunt gouvernement
austro-hongrois vis-à-vis d'une Compagnie dans laquelle, par malheur,
les capitalistes français sont engagés très gravement, et qui a éprouvé
toutes sortes de vicissitudes au cours de son existence, longue d'une
soixantaine d'années déjà environ. L'histoire des chemins de fer du sud
de l'Autriche, appelés encore _Chemins Lombards_, est un exemple
frappant de la manière dont une grande entreprise, jouissant à l'origine
de toutes les apparences de la santé et de la prospérité, peut se
trouver insensiblement conduite à la ruine.

Le gouvernement de la monarchie autrichienne, en 1908, avait racheté la
Compagnie des chemins de fer dits _Autrichiens_ qui exploitaient les
réseaux du Nord et l'on pouvait penser qu'il ne tarderait pas à étendre
cette opération au réseau du Sud. Soit dit en passant, et en
vérification de nos observations du précédent chapitre, le rachat avait
été une excellente affaire pour les actionnaires des chemins autrichiens
du Nord. Leur dividende, fixé une fois pour toutes, était avantageux,
soustrait à tout aléa, et même susceptible de légères augmentations. Il
avait été en 1914 supérieur d'un quart à ce qu'il était en 1904. Et les
cours de l'action, avant la guerre, témoignaient du contentement que le
rachat avait causé aux porteurs. Mais que deviendront ces titres dans
l'effondrement de la monarchie des Habsbourg et la banqueroute qui
menace l'Autriche? C'est une bien sombre interrogation.

Quant aux chemins lombards, l'État autrichien n'avait pas songé une
minute à leur offrir le rachat. C'est que déjà, en 1908, leurs affaires
commençaient à aller mal. Depuis sept ans, ni intérêt ni dividende
n'avaient été distribués aux actions. L'amortissement des obligations
venait d'être suspendu et la compagnie, qui ne tenait déjà plus tous ses
engagements, était sur le chemin qui mène à la faillite. Loin de la
délivrer de ces soucis par un rachat qui eut été un acte de charité
semblable à ce qu'a été chez nous le rachat de l'Ouest, l'administration
autrichienne voyait avec plaisir la situation de la Compagnie
s'aggraver, et se plaisait même à lui imposer des dépenses nouvelles.
Enfin, en 1914, la Compagnie étant au bord de l'abîme, l'État avait
consenti à intervenir. Mais dans quelles conditions! Nous parlerons plus
loin des sacrifices considérables qui ont été imposés aux obligataires
des chemins lombards sans que, nous le verrons, ceux-ci aient la ferme
assurance que de nouveaux sacrifices ne devront pas leur être demandés
quelque jour, ce que fait craindre plus encore la triste situation
financière de l'Autriche après la guerre. Quant aux actions, elles n'ont
plus rien à espérer et elles ne conservent un semblant de valeur que par
la force de l'habitude, et la puissance de l'illusion.

Chose très remarquable, le réseau du sud de l'Autriche n'était nullement
improductif. C'était même un assez beau réseau, sur certaines parties
duquel le trafic était intense. La recette kilométrique en était
supérieure à la moyenne de beaucoup de chemins de fer qui réalisent des
bénéfices. Mais il est écrasé par le poids de sa dette. Ayant perdu ses
lignes de Lombardie après la guerre de 1859, ses lignes de Vénétie après
la guerre de 1866, il n'avait reçu du gouvernement italien que des
indemnités insuffisantes sous forme d'annuités. D'autre part, l'immense
majorité des actions et des obligations se trouvant aux mains
d'étrangers, le gouvernement austro-hongrois ne s'était senti tenu à
aucune espèce d'égards envers la compagnie et semblait même, au
contraire, s'être appliqué à lui demander des sacrifices plus lourds et
à la traiter avec plus de sévérité que les autres. Il y a là une leçon
qui ne doit pas être perdue. Et, sur ce point, nous renverrons le
lecteur à ce que nous avons dit précédemment à propos des dangers
auxquels la tendance croissante des gouvernements au nationalisme
économique expose les capitaux exportés dans les entreprises étrangères.

                                   *

                                 *   *

En Espagne, les chemins de fer se trouvent encore sous le régime des
concessions, qui date de l'origine des compagnies. A la suite d'une
longue période où elles apparurent comme besogneuses et condamnées à
végéter, les compagnies espagnoles étaient parvenues depuis quelques
années à une prospérité relative. Ce phénomène semble contredire la
règle d'après laquelle les chemins de fer sont destinés à être de plus
en plus difficilement rémunérateurs. Cette exception s'explique par le
fait que l'Espagne a eu un développement économique particulièrement
tardif et qu'elle commence seulement à entrer dans l'ère de l'activité
industrielle. Mais surtout, en même temps que le trafic s'accroissait
sur les réseaux principaux, le change baissait peu à peu. En sorte que
les paiements en or que les compagnies se sont engagées à faire au
dehors pour le service de leur dette, après avoir été une charge
écrasante, sont devenus moins coûteux d'année en année. C'est ainsi que
la _Compagnie du Nord de l'Espagne_ avait pu, après une longue
suspension, recommencer la distribution de ses dividendes et la
_Compagnie de Madrid-Saragosse_ accroître les siens. Les personnes qui
se tenaient au courant du relèvement de la péninsule n'ont pas manqué de
profiter de l'occasion qui s'offrait. Les actions _Nord de l'Espagne_,
valaient, il y a une dizaine d'années, 150 francs environ, lorsque le
change était au cours déplorable de 40 p. 100, c'est-à-dire lorsqu'il
fallait donner 140 piécettes pour obtenir 100 fr. A la veille de la
guerre, le change était descendu à 4 p. 100 seulement et les mêmes
actions valaient, ou peu s'en faut, 450 francs. Peu de mouvements de
hausse auront été aussi mathématiquement faciles à prévoir que celui-là.

Mais, l'amélioration financière due au change n'a pas suffi longtemps à
conjurer le flot montant des dépenses. Les chemins de fer espagnols
n'ont plus devant eux que de très étroites perspectives, si même ils
n'offrent pas plus de chance de rétrograder que de maintenir leurs
cours. Pour eux comme pour les chemins de fer du monde entier, les
dépenses ont grandi infiniment plus que les recettes. La réduction du
produit net pour les chemins de fer espagnols a commencé et tout fait
entrevoir qu'elle ira en s'accentuant pour les mêmes raisons
qu'ailleurs: relèvement des salaires, adoucissement des conditions du
travail, etc... La cherté du charbon et des matières premières est aussi
un phénomène qui ne cessera pas de si tôt.

Les actions des _Chemins de fer portugais_ avaient suivi, quoique
d'assez loin, le retour de fortune des chemins de fer espagnols. Mais
les mêmes appréhensions doivent être conçues au sujet de l'avenir de ces
valeurs. Le Portugal, sous la monarchie parlementaire, se trouvait,
selon les propres paroles du roi don Carlos, «dans le gâchis». Il
n'apparaît pas que la République l'en ait tiré. Assez d'autres occasions
vont s'offrir aux détenteurs de capitaux pour que, de longtemps, ils ne
soient pas exposés à la séduction de s'engager dans les entreprises
portugaises.

En Italie, les chemins de fer dits _Méridionaux_, rachetés depuis
quelques années, nous donnent l'exemple d'un rachat dont les
actionnaires n'ont pas eu à se féliciter beaucoup. C'est, d'abord, que
l'État italien, excellent défenseur de ses intérêts et depuis longtemps
pénétré des conceptions du nationalisme économique, est assez coutumier
des opérations léonines. Dans ses rapports avec les sociétés
financières, il sait défendre ses droits et imposer le «fait du prince».
Aussi le rachat des Méridionaux n'a-t-il pas été un rachat de
magnificence comme le rachat de l'Ouest français. En outre, les
administrateurs de cette compagnie ont employé les éléments d'actif
restés propriété des actionnaires à diverses entreprises plus ou moins
heureuses. L'action des Méridionaux est ainsi devenue pour partie une
valeur industrielle reposant sur des affaires mal définies et qui n'ont
aucun rapport avec l'exploitation des chemins de fer. Ce sont de ces
surprises désagréables comme l'actionnaire, s'il n'est pas très diligent
et ne suit pas de près les faits et gestes des conseils
d'administration, est exposé à en éprouver souvent.

Il ne subsiste plus, dans les autres pays d'Europe, qu'un très petit
nombre de compagnies de chemins de fer, les réseaux, du moins les plus
importants, étant presque tous exploités directement par l'État. S'il se
présente quelques exceptions, c'est, par exemple, en Turquie. L'avenir
que la paix réservera à ce pays est douteux et la réserve s'impose.
Seuls, des capitalistes très bien renseignés sur les affaires d'Orient
pourront se porter sur ces valeurs. Nous ne parlons que pour mémoire de
la Russie dont les entreprises sont rayées pour longtemps de la liste
des vivants.

Ce qu'il ne faut pas perdre de vue, en tout cas, c'est que les valeurs
étrangères pour lesquelles, au milieu d'un retentissant concert de
publicité, le public français se voit sollicité à l'improviste, ont
presque toujours enrichi depuis longtemps leurs détenteurs primitifs qui
cherchent à réaliser leurs bénéfices sur un autre marché, aux dépens de
dupes mal renseignées. Cette histoire est précisément celle de
l'introduction des valeurs de chemins de fer américains en France.

Au mois de janvier 1911, l'action _Atchison, Topeka et Santa-Fé_ valait
à New-York environ cent dollars, un peu plus de 500 francs. Le titre
n'offrait plus d'ailleurs, à ce moment-là, de perspectives très
séduisantes. Il venait d'assez loin et les améliorations obtenues dans
l'exploitation du réseau n'étaient plus guère susceptibles de
développement, comme la suite l'a d'ailleurs prouvé. Cependant la hausse
continua sur ces titres jusqu'au mois de juin 1911, date à laquelle les
actions Atchison furent introduites sur le marché français au prix
excessif de 605 francs. Les émetteurs américains n'avaient pas fait une
mauvaise opération. L'affaire était moins belle pour les porteurs
français. Il est juste de dire (ce qui n'ôte rien à la morale de cette
histoire) que, pendant la guerre, l'action Atchison a retrouvé et même
dépassé, grâce au bénéfice du change américain, son cours d'émission,
tandis qu'en 1914, elle ne valait plus guère que 500 francs,
c'est-à-dire ce qu'elle valait en Amérique quand le prochain lancement
sur le marché de Paris n'était encore le secret que d'un petit nombre
d'initiés.

Les chemins de fer américains souffrent d'ailleurs des mêmes maux que
les chemins de fer européens. Le temps n'est plus où la «libre Amérique»
apparaissait comme une sorte de paradis des grandes affaires, où toutes
les manifestations de l'activité humaine pouvaient se déployer à l'abri
de l'intervention de l'État, sans connaître d'autres lois que celles de
la concurrence. Les compagnies américaines, après avoir connu les
inconvénients du régime de la liberté absolue, qui a multiplié les
lignes rivales et inutiles, obligé les anciennes sociétés à racheter
très cher les réseaux concurrents, sont étroitement soumises aujourd'hui
au contrôle de l'État. Quoique propriétaires, et non concessionnaires de
leurs réseaux, ces compagnies dépendent autant que les nôtres des
pouvoirs publics. Elles ne sont plus maîtresses de leurs tarifs depuis
1906, date à laquelle l'Interstate Commerce Commission, qui représente
le gouvernement fédéral, a été investie du droit de les fixer.
Accroissement des impôts, exigences du législateur, relèvement des
salaires par pression syndicale sinon par le moyen des grèves, les
compagnies américaines présentent exactement tous les genres de fissures
par lesquelles s'écoulent les bénéfices des chemins de fer dans les
autres pays.

Jusqu'à ces dernières années, les actions des chemins de fer américains
apparaissaient comme des valeurs au plus haut degré spéculatives, qui
obéissaient à toutes les fluctuations de la prospérité américaine, et
douées par là même d'une élasticité considérable.

Ces conditions ont bien changé. Les crises industrielles, qui offrent
des retours périodiques en Amérique comme ailleurs, mais plus
particulièrement marqués en Amérique qu'ailleurs, continuent bien
d'influer sur leurs bénéfices. Mais l'accroissement incessant des
charges pèse sur les compagnies d'une façon bien plus grave, parce
qu'elle est permanente. Les chemins de fer américains, comme les nôtres,
accroissent tous les ans leur dette. Leur produit net s'abaisse, et
nombreuses (on en comptait quatorze du 1er janvier 1913 à fin juin 1914)
ont été celles qui ont suspendu ou diminué leurs répartitions. On a
calculé que, de 1906 à 1914, la valeur en Bourse des titres des chemins
de fer des États-Unis (actions et obligations) avait baissé de la somme
formidable de trois milliards de dollars, c'est-à-dire de quinze
milliards de francs.

La crise financière universelle de l'année 1913 avait évidemment
contribué à porter cette dépression à son point le plus bas. Mais, en
dépit de la prospérité que la guerre européenne a value aux États-Unis,
il ne faudrait pas compter, pour l'avenir, sur une reprise durable. La
politique du gouvernement fédéral, en matière de chemins de fer, semble
consister (selon les termes d'un rapport très intéressant de M. H. de
Saint-Laurent, consul de France à Chicago) à procéder à une estimation
de la valeur des réseaux et à accorder un revenu moyen d'environ 5 p.
100 au capital reconnu par la Commission comme ayant été réellement
investi dans les réseaux. Ce serait en somme un rachat dissimulé, mais à
la suite d'évaluations dont le résultat semble extrêmement peu rassurant
pour les actionnaires, si l'on tient compte de l'orientation du
gouvernement fédéral.

Étant donné ces menaces; étant donné l'immense variété des compagnies de
chemins de fer américains, la complexité de leur organisation
financière, l'énormité et l'enchevêtrement des réseaux, qui prêtent le
flanc à toutes les surprises, il faut conclure que le capitaliste
européen qui se rend acquéreur d'actions de cette nature opère dans
l'inconnu et joue à une espèce de jeu qui ressemblerait beaucoup à celui
de la roulette ou du baccara, s'il y avait chance d'y gagner.

Deux actions de chemins de fer du continent américain, auxquels le
public français s'est trouvé intéressé, auront toutefois, en ces
dernières années, donné de la satisfaction aux porteurs. Ces deux cas
s'expliquent par des causes exceptionnelles. Le _Canadian Pacific_ n'est
pas seulement un chemin de fer; c'est un grand propriétaire foncier dans
un pays neuf qui vient de passer par une phase de développement
magnifique. Les bénéfices répartis aux actionnaires proviennent en
réalité de bénéfices réalisés sur les ventes de terrains, car les
recettes de l'exploitation elle-même sont de plus rongées par les
dépenses. Ces bénéfices sont et resteront considérables tant que la
population du Canada s'accroîtra et ils sont destinés à varier avec le
mouvement de la population dans ce pays. D'ailleurs, le domaine
territorial de la Compagnie, pour une part urbain, reste un des plus
vastes qui appartiennent dans le monde à une société privée (environ
sept ou huit départements français). Il n'en est pas moins destiné à
s'épuiser un jour. En outre, il n'échappe pas aux observateurs que le
_Canadian Pacific_ fait tous les ans appel au crédit pour des sommes
considérables et ne cesse d'accroître ses charges. Il serait donc
imprudent de s'attendre à des plus-values illimitées.

Une autre valeur de chemins de fer a donné aussi quelque satisfaction:
l'action des _chemins de fer de Santa-Fé_, dans la République argentine.
Mais il s'agit là d'un cas de sauvetage plutôt que d'autre chose. Après
avoir subi divers accidents, être arrivée au bord de la faillite et
avoir été contrainte de demander un concordat, cette société,
administrée par des mains plus habiles, a réussi à se relever. En
réalité, la prospérité en est toute relative et ce n'est que par
comparaison avec la détresse antérieure de la Compagnie qu'il est
possible de parler de la bonne situation des chemins de fer de Santa-Fé.
La marge des bénéfices reste très étroite et à la merci des crises
économiques, de l'état des récoltes et même des intempéries.

La vérité est que, presque toujours, les capitaux engagés dans les
chemins de fer des pays neufs ou exotiques doivent être considérés comme
dangereusement aventurés. C'est une vérité dont l'épargne française a
fait, au Brésil et ailleurs, une cruelle expérience. Les chemins de fer
ne peuvent être productifs que dans les pays où la population est dense,
la richesse stable, le commerce et l'industrie développés. Or ces
pays-là sont presque tous parvenus à un état politique et social qui est
essentiellement défavorable à l'exploitation des voies ferrées par des
sociétés privées. Nous voyons des pays comme les États-Unis, qui
ignoraient naguère le régime de l'étatisme, s'y acheminer. Il faut, dans
ces conditions, conclure avec la plus grande netteté que les actions de
chemins de fer sont devenues universellement des valeurs dangereuses,
aléatoires et, même pour les meilleures, dépourvues d'avenir. En sorte
qu'il convient aux capitalistes prudents de les éviter ou de n'en plus
surcharger leurs portefeuilles comme ont pu le faire, soit impunément
soit même avec profit, les deux générations qui ont précédé la
génération actuelle.

Les actions des chemins de fer sont, de tous les éléments des fortunes
modernes, celui qui aura le plus rapidement vieilli. Y rester
aveuglément fidèle, par esprit de tradition familiale ou par habitude
personnelle, serait s'exposer à la ruine de gaieté de coeur. C'est
surtout des patrimoines qu'il est vrai de dire qu'ils ne se baignent ni
ne se rafraîchissent deux fois dans le même fleuve.



CHAPITRE X

LES OBLIGATIONS DES CHEMINS DE FER FRANÇAIS ET ÉTRANGERS

Conditions auxquelles ces obligations peuvent attirer des placements
sérieux.--Une garantie d'un grand État solvable est presque toujours
nécessaire.--Exemple des obligations des grandes Compagnies
françaises.--Avantages respectifs de ces diverses catégories
d'obligations.--Des obligations de bonne apparence qui auront
fait subir de lourdes pertes aux fortunes: les obligations
lombardes.--Autre expérience pénible: les obligations des chemins de fer
américains.--Éclaircissements sur la valeur de ces titres.--Quels sont
ceux dont les porteurs ont eu à se féliciter?--Gages et remboursements
des obligations américaines.--Il convient de se détourner des
obligations de chemins de fer exotiques.--De quelques pièges dont le
public n'est pas assez averti.


Autant les placements en actions de chemins de fer doivent être écartés
pour les raisons que nous avons dites, autant au contraire les
obligations peuvent être recherchées, du moins à certaines conditions
que nous allons définir et moyennant lesquelles le sort des obligations
peut devenir nettement distinct de celui des actions.

Tel est très certainement le cas pour les obligations des chemins de fer
français.

Nous avons vu, en effet, que, sur les six grands réseaux, il en est
trois (Ouest, Orléans, Midi) qui jouissent d'une garantie pleine et
entière de l'État jusqu'à la fin des concessions. L'intérêt et
l'amortissement des obligations de ces compagnies sont donc assurés sans
condition et sans discussion. Ce sont tout simplement des créances sur
l'État français et qui suivront le sort des finances de l'État.

Les trois autres compagnies, celles de l'Est, du Nord et du Paris-Lyon
ne sont pas dans le même cas. La garantie que les conventions de 1883
assurent à la compagnie de l'Est expire en 1935: à partir de cette
époque le service des obligations n'aura plus d'autre couverture que le
produit net. Cette situation est déjà celle des obligations Nord et
Lyon. Ces deux compagnies, pour qui la garantie de l'État a disparu en
1915, offrent en garantie à leurs obligations la marge constituée par
leurs bénéfices, mais elles n'en offrent plus d'autre. S'il est à
redouter que la marge constituée par ces bénéfices ne doive pas
reparaître, faut-il appréhender aussi que le service des obligations du
Nord et du Lyon reste en souffrance au cas où les compagnies entreraient
dans une période de déficit? Ce danger ne paraît pas à craindre, au
moins en temps normal, et à moins d'admettre que l'État, accablé sous le
poids de ses propres charges, ne puisse remplir les engagements,
_purement moraux et verbaux_ il est vrai, qu'il a pris à cet égard.

Il y a des valeurs qui doivent, non sans raison, une partie de la
confiance qu'elles inspirent à la manière même dont elles sont réparties
dans le public et à la nature des portefeuilles où elles se trouvent
classées. C'est justement le cas des obligations de nos chemins de fer.
Elles sont extrêmement répandues, en France, dans la petite épargne, et
non seulement dans la petite épargne individuelle, mais peut-être
surtout dans ce qu'on pourrait appeler la petite épargne collective,
celle que les sociétés de secours mutuels et les caisses de retraites
représentent tout particulièrement. Ainsi, chose extrêmement importante
en régime de démocratie, le nombre se trouve intéressé à un service
ponctuel des obligations de chemins de fer. Toute défaillance dans le
service des obligations d'une des compagnies non rachetées ou non
garanties prendrait les proportions d'une catastrophe publique et
atteindrait une foule d'électeurs, tandis que, les actions n'étant
détenues que par la bourgeoisie moyenne, la suppression du dividende
passerait inaperçue. On comprend donc sans peine que M. Joseph Caillaux,
porte-parole autorisé de la démocratie radicale-socialiste, ait été
amené à déclarer à la tribune de la Chambre, le 29 mars 1911, étant
ministre des finances, qu'il ne pouvait concevoir aucune sorte de
gouvernement qui pût jamais laisser le coupon des obligations de chemins
de fer en souffrance. Il est très important de rapprocher de cette
déclaration le fait que, malgré l'expiration de la garantie, les
obligations du Nord et du Lyon ont continué, en vertu d'une circulaire
ministérielle, à entrer dans la catégorie des placements légaux.

Aussi peut-on regarder à juste titre les obligations de nos grandes
compagnies de chemins de fer comme faisant partie des engagements
explicites de l'État et comme devant suivre les destinées des finances
de notre pays. Indépendamment du gage constitué par les recettes, c'est
une considération des plus importantes.

Les obligations de nos chemins de fer offrent les types les plus variés:
au cours d'une existence déjà longue, où elles n'ont cessé d'emprunter,
les compagnies ont suivi toutes les exigences du crédit. Actuellement le
public a le choix entre les obligations 5 p. 100, 4 p. 100, 3 p. 100, 2
1/2 p. 100. Les deux premières sont du rendement immédiat le plus
avantageux. Mais elles se tiennent peu éloignées du pair et n'offrent
par conséquent qu'une légère prime au remboursement. Les obligations du
type 3 p. 100 offrent l'avantage d'avoir un marché extrêmement large et
de nombreuses transactions quotidiennes, même par les temps de marasme
financier: c'est peut-être, en France, la valeur préférée, à tous les
degrés de l'épargne. Enfin la prime au remboursement est considérable.
Elle atteint 170 francs pour des titres achetés à 325 francs pendant la
guerre.

Les obligations du type 2 1/2 p. 100 qui donnent un revenu inférieur ont
au contraire une prime au remboursement encore un peu plus élevée.

En somme, indépendamment de la sécurité qu'elles présentent, les
obligations de chemins de fer 3 p. 100 et 2 1/2 p. 100 sont surtout
intéressantes par la prime au remboursement qui doit être recueillie par
tirages annuels d'ici la fin des concessions. Les obligations 2 1/2
paraissent surtout convenir à ce point de vue aux sociétés de
capitalisation, qui comptent sur le temps comme sur un collaborateur
fidèle, ou aux pères de famille très prévoyants. Pour fixer les idées du
lecteur, nous lui citerons le cas de la Compagnie de l'Ouest en
liquidation qui, dans le portefeuille de cette importante réserve dont
nous avons parlé plus haut, ne possède pas moins de 29 à 30.000
obligations 2 1/2 des divers réseaux. D'ici l'époque où cette
réserve,--on aurait dit autrefois cette tontine,--sera partagée entre
les actionnaires, ces 30.000 obligations, évaluées avant la guerre par
le conseil de liquidation, selon les cours de la Bourse, à 10 800 000
francs en chiffres ronds, auront été remboursées à 500 francs (ou plus
exactement 495 francs taxe déduite) et auront produit près de 14
millions. Ainsi le bénéfice est mathématique et peut, d'ores et déjà,
être calculé aux centimes près.

On doit toutefois envisager le cas où ce bénéfice pourrait être réduit.
C'est celui où les compagnies, terriblement obérées par la guerre, ne se
relèveraient pas de leur déficit chronique et continueraient à faire
appel à l'État pour de lourdes sommes. Si alors le cours des obligations
3 p. 100 continuait à se tenir entre 300 et 350 francs, et à donner, par
chaque titre amorti, une prime énorme, l'État pourrait être tenté de
diminuer cette prime due aux circonstances, en aggravant la taxe sur les
primes de remboursement. Cette taxe est actuellement de 4 p. 100 et
porte sur la différence formée par le prix d'émission du titre et le
taux auquel il est remboursé. A cet impôt pourrait d'ailleurs s'en
ajouter légitimement un autre qui s'appliquerait au bénéfice réalisé sur
chaque obligation amortie par rapport au cours moyen du titre pendant
l'année. Tant que le capitaliste français n'aura à payer que des impôts
de cette nature, il ne sera pas à plaindre.

Il y a, pour la marche de l'amortissement, des différences notables
entre les diverses compagnies. Voici l'ordre dans lequel elles se
présentent: d'abord toutes les obligations du _Nord_, en vertu du terme
de la concession qui expire dès 1950. Les obligations dites «anciennes»
de l'_Orléans_, les 7 ou 800 000 premiers numéros des obligations
«anciennes» de l'_Est_ (qui auraient droit à une cotation spéciale en
Bourse), doivent être aussi complètement remboursées en 1950: les
actuaires qui travaillent pour le compte des sociétés d'assurance et de
capitalisation savent exactement quelles sont, pour chaque catégorie
d'emprunts, les chances de tirage au sort et la progression annuelle de
ces chances. D'ailleurs le public lui-même commence à s'en rendre
compte, car les trois espèces d'obligations que nous venons de citer
sont ordinairement plus recherchées que les autres. Les obligations Lyon
et Midi viennent les dernières: et leurs cours, surtout pour les Lyon,
s'en ressentent, la garantie absolue de l'État exerçant une bonne
influence sur les Midi.

Ces remboursements (1 titre sur moins de 50 pour les trois séries les
plus favorisées que nous venons d'énumérer) s'accéléreront à mesure que
l'expiration des concessions s'approchera. Ils sont destinés à agir sur
les cours des obligations à la manière d'un aimant. Nous avons vu les
obligations de chemins de fer, en ces derniers temps, résister à la
baisse beaucoup mieux que le 3 p. 100 perpétuel. La raison de cette
résistance est là. On peut considérer, après cette épreuve, les
obligations de chemins de fer comme se trouvant, au point de vue de la
stabilité des cours, dans des conditions relativement favorables. La
régularité de l'amortissement fait le salut des valeurs dans les
tempêtes financières. Et, jusqu'ici, cette régularité, pour nos grandes
compagnies, ne saurait être mise en doute.

Les obligations 3 p. 100 des chemins de fer algériens (_Ouest-Algérien_,
_Est-Algérien_, _Bône-Guelma_, plus la série des anciens «Chemins
algériens», _Mostaganem_, _Aïn-Thizy_, etc...) sont, au point de vue de
la sécurité, dans la même situation que les obligations de l'Ouest, de
l'Orléans ou du Midi, étant émises par des compagnies soit rachetées
soit formellement garanties par l'État. Le cas est le même pour diverses
obligations de chemins de fer coloniaux (_Port de la Réunion_,
_Indo-Chine_ et _Yunnan_).

Mais la durée des concessions et, par conséquent la période des
remboursements, étant beaucoup plus longue (jusqu'à 1975 ou 1980 en
moyenne) que pour les six grandes compagnies de la métropole, l'effet de
l'amortissement se fait sentir moins nettement sur les cours. Les
obligations des six grandes compagnies sont donc préférables, à moins
que les obligations algériennes et coloniales diverses que nous venons
de désigner ne se présentent à des cours inférieurs de 20 ou 25 francs
au moins.

                                   *

                                 *   *

Il serait imprudent de conclure de ce qui précède que toutes les
obligations de chemins de fer sont de bonnes valeurs et, en particulier,
que les obligations des chemins de fer étrangers offrent les mêmes
garanties que les nôtres. Cette analogie aura fait d'innombrables
victimes. Et c'est en matière financière plus que par tout ailleurs
qu'il faut se garder de raisonner par analogie.

On peut dire que le martyrologe des obligations de chemins de fer est
encore plus vaste que celui des actions, car, le plus souvent, on peut
même dire malheureusement dans presque tous les cas, l'obligataire a
fourni des sommes cinq ou dix fois plus considérables que le capital
versé par les actionnaires.

Les obligations des réseaux rachetés (_Victor-Emmanuel_ et _Méridionaux_
en Italie, ou _Autrichiens_ par exemple), et les obligations garanties
par l'État russe n'étant plus, les unes et les autres, que des fonds
d'État, suivent, depuis les événements de 1918, les destinées de ces
divers pays. Après elles, on n'aperçoit guère en Europe d'obligations de
chemins de fer qui soient dignes d'inspirer une confiance parfaite. Les
moins mauvaises sont peut-être celles du _Nord de l'Espagne_ et du
_Saragosse_ qui, pendant la guerre, ont donné à leurs propriétaires des
satisfactions qui ne seront pas éternelles. Encore la marge des
bénéfices de ces compagnies est-elle bien étroite, en sorte que le
service des obligations se trouve à la merci du moindre incident
politique ou économique. La prime au remboursement est séduisante. Mais
l'amortissement des emprunts du Nord de l'Espagne a été suspendu
longtemps, il importe de s'en souvenir. Et l'on sait aussi que le
«convenio», faillite déguisée, est un véritable produit de la terre
espagnole. Quant aux obligataires des autres compagnies de la péninsule
(_Andalous_, _Ouest de l'Espagne_, _Sud de l'Espagne_, etc...), ils ont
passé par des épreuves douloureuses. C'est pourquoi, même pour les
réseaux espagnols plus importants et plus prospères, mais dont la
prospérité est bien récente et bien fragile, la plus grande
circonspection est de rigueur.

Car on peut parfaitement se ruiner avec des obligations de chemins de
fer de l'aspect le plus rassurant. Cette circonstance se présente même
d'autant plus souvent que le public s'en laisse aisément imposer par des
valeurs qui ont la réputation de valeurs de «père de famille» et ne
regarde pas de très près à la qualité du gage. On aura même vu des
compagnies sérieuses, exploitant un beau réseau, faire subir à leurs
obligataires des pertes graves. Transposée des actions aux obligations,
l'histoire des chemins de fer lombards, que nous avons résumée
antérieurement, permet de voir comment, de sacrifice en sacrifice, des
porteurs d'obligations peuvent être conduits à n'avoir plus en main
qu'un titre réduit, par des concordats successifs, quant aux intérêts ou
quant au capital et, quelquefois, quant aux deux.

La compagnie des chemins de fer lombards ou du Sud de l'Autriche a émis
jadis en France la majeure partie de ses obligations à un taux supérieur
a celui même des obligations similaires de nos grandes compagnies. Cela
se passait en 1858, juste un an avant la guerre d'Italie. Le public
français, à cette époque, n'a pas paru se douter un instant qu'il était
invité à fournir des capitaux à une compagnie condamnée à perdre le
meilleur de son réseau avant même de l'avoir exploité. La guerre de 1859
devait avoir en effet pour résultat la cession de la Lombardie au
Piémont par l'Autriche vaincue, cession rapidement suivie de
l'expropriation de la compagnie autrichienne. En sorte qu'on peut très
bien imaginer un père de famille français, ayant placé ses économies
dans les chemins lombards, et dont le fils, officier ou soldat, eût été
tué à Magenta ou à Solférino pour aider à fonder l'État italien qui
devait s'empresser de rançonner la compagnie.

Atteints déjà dans leur coupon par les impôts autrichiens et français
(le revenu n'était que de 13 francs au lieu de 15 pour les obligations 3
p. 100), les obligataires avaient dû, avant la guerre, renoncer en outre
au remboursement de leurs titres à 500 francs. Après un essai de
remaniement des tables d'amortissement, l'amortissement lui-même avait
été complètement suspendu en 1908 et, sous la menace de la faillite, les
créanciers avaient dû accepter en 1914 des conventions, d'ailleurs
compliquées, qui réduisaient le nominal de leur titre soit à 325 francs,
soit à 310 francs seulement, selon que la garantie du gouvernement
autrichien devait être accordée ou non par le Parlement avant le 1er
janvier 1915. Les annuités payées par le gouvernement italien pour le
rachat des réseaux lombard et vénitien auraient formé le revenu
nécessaire au service des intérêts et de l'amortissement d'une
obligation sur deux: c'était encore l'élément le plus stable sur lequel
les porteurs de titres pouvaient compter. Mais la guerre est survenue et
la dislocation de l'Autriche-Hongrie s'en est suivie. L'Italie, la
Yougo-Slavie, l'Autriche allemande vont dépecer ce malheureux réseau.
Les actions n'ont plus d'espoir. Les obligations elles-mêmes sont en
grand danger de subir de nouvelles et fortes réductions. Il est
difficile de calculer ce qu'il leur restera. Et dire qu'en France elles
figurent encore dans la liste des valeurs admises pour les remplois
dotaux!

En ce qui concerne les actions comme en ce qui concerne les obligations,
on voit que l'exemple des chemins de fer du Sud de l'Autriche est
saisissant. Il montre par quelles lentes dégradations, de concordat en
concordat, des entreprises sérieuses peuvent faire subir des pertes
graves à ceux qui leur ont accordé confiance, sinon même les mener
jusqu'à la ruine.

                                   *

                                 *   *

Nous voici maintenant, avec les obligations des chemins de fer
américains, en présence d'un cas qui n'est pas moins instructif, car il
prouve à quel point la prudence et l'information sont nécessaires dans
les placements et combien il importe de ne pas suivre aveuglément les
vogues.

Il y a environ dix ans, un économiste éminent, renommé non seulement
pour sa science mais encore pour sa circonspection, rédacteur en chef
d'un journal hebdomadaire très répandu, commençait à engager l'épargne
française à se porter sur les obligations de chemins de fer des
États-Unis. Dans son _Art de placer et gérer sa fortune_, M. Paul
Leroy-Beaulieu résumait ses campagnes et sa pensée en ces termes
particulièrement pressants et définitifs:

  Les obligations des principaux chemins de fer américains doivent être
  classées parmi les meilleures valeurs qui soient au monde... Ces
  obligations ont l'avantage de fournir facilement 1/2 à 3/4 p. 100,
  sinon 1 p. 100 de plus de rémunération que celles de nos compagnies de
  chemins de fer, avec une durée parfois double.

  Elles ont cet autre mérite que ces titres, en cas de grandes guerres
  au sein de l'Europe, seraient à l'abri des conséquences ou des
  répercussions de ces guerres, ce qui donne une sécurité précieuse...

  Les obligations des principaux chemins de fer américains sont appelées
  à remplir, au XXe siècle, la fonction que tenaient au XIXe siècle, les
  _Consolidés_ britanniques, celle de valeurs de refuge par excellence,
  avec l'avantage très appréciable d'un intérêt rémunérateur... Les
  capitalistes avisés et les intermédiaires dégourdis peuvent, dès
  maintenant, s'occuper de ces placements très recommandables.

Des pronostics de M. Paul Leroy-Beaulieu, celui qui s'est réalisé le
premier s'est réalisé à la lettre: les «intermédiaires dégourdis» se
sont rencontrés tout de suite et en grand nombre pour saturer le public
français d'obligations de chemins de fer américains. Plusieurs séries de
ces obligations, de qualités très inégales, ont même été introduites sur
le marché de Paris. Et certaines ont fait faire tout de suite des
expériences ruineuses à l'épargne de notre pays.

D'abord, il s'était révélé, dès la crise orientale de 1912-1913, que le
marché de New-York, qui, par lui-même est déjà d'une extrême sensibilité
et sujet aux crises les plus graves, n'était nullement soustrait aux
conséquences et aux répercussions d'une guerre européenne. De plus, il
eût été sage de prévoir que les États-Unis étaient exposés à des
difficultés particulières du fait de leur politique extérieure:
effectivement, sur ces entrefaites, les événements du Mexique étaient
venus aggraver la dépression. On devait considérer enfin la guerre aux
trusts, c'est-à-dire l'inauguration d'une politique sévère et même
malveillante à l'égard des grandes entreprises, comme un avertissement
sérieux.

Non seulement la nationalité américaine ne pouvait pas suffire à
conférer à ces obligations, d'une manière absolue, le caractère de
«valeurs de refuge» mais encore il eût fallu supposer que le public
français était en mesure de discerner avec certitude, dans l'énorme
variété des compagnies de chemins de fer créées aux États-Unis par le
système de la concurrence illimitée, les compagnies prospères et
réalisant des bénéfices réguliers. Les obligations des chemins de fer
américains forment un fouillis aussi complexe que les réseaux eux-mêmes
qui s'enchevêtrent à l'infini. D'abord il faut tenir grand compte de ce
fait que les compagnies américaines n'amortissent pas leurs emprunts,
comme le font les nôtres, au moyen de tirages annuels calculés d'après
la durée de la concession: ce procédé, inspiré de l'esprit français de
prudence et d'économie, ne convient pas à l'audace américaine. De plus
les chemins de fer des États-Unis, étant, non pas concessionnaires mais
propriétaires à perpétuité de leurs réseaux, sont libres de fixer, pour
le remboursement en bloc de leurs emprunts, des dates extrêmement
variables, et qui s'étendent des années immédiatement prochaines à
l'année 2361 (_West Shore_ 4 p. 100). Il est facile de se rendre compte
que les administrateurs du West Shore se soucient fort peu de savoir à
l'aide de quelles ressources cette dette, qui est de 250 millions de
francs, pourra être remboursée dans quatre siècles et demi.

Autre différence avec les obligations de chemins de fer français et qui
peut devenir une cause de mécomptes graves. Les obligations américaines
ne sont pas, comme les nôtres, uniformément gagées sur l'ensemble des
ressources de la compagnie. Elles ne sont même pas, comme les
obligations de certaines compagnies espagnoles (le _Nord de l'Espagne_,
par exemple) nettement classées suivant le rang hypothécaire. Il y a
pour désigner les diverses sortes de gages qui leur sont affectés une
nomenclature extrêmement compliquée et dont la complexité même suggère
la pensée que les émetteurs ne seraient pas fâchés que le public pût s'y
égarer. Ainsi il est bien certain qu'une première hypothèque est prise
en faveur des obligations qui portent la mention _first mortgage_. Mais
cette première hypothèque n'est pas toujours générale: elle ne
s'applique souvent qu'à une partie du réseau, à un certain nombre de
milles de voies ferrées (_division_) dont la valeur ne peut être connue
que par l'étude approfondie du titre hypothécaire (_mortgage deed_) qui
est en la possession de la banque émettrice. Il faut donc ne pas s'en
laisser imposer par la mention _first mortgage_ pas plus que par la
mention _prior lien_, qui désigne bien, elle, une hypothèque de priorité
primant toutes les autres, mais qui ne s'applique pas forcément à
l'ensemble des propriétés de la compagnie, comme des personnes
inattentives pourraient le croire, puisque certaines lignes peuvent déjà
avoir été l'objet d'une hypothèque spéciale. De même le _general
mortgage_ est sans doute une hypothèque générale qui embrasse tous les
biens de la compagnie, mais qui peut être primée par des hypothèques
particulières, des «divisions» antérieurement constituées. Quant à la
mention de deuxième hypothèque, toujours peu séduisante pour les
prêteurs, il ne faut guère s'attendre à la rencontrer, et moins encore
la mention de troisième hypothèque (_second, third mortgage_). Celles-là
sont désignées par des termes infiniment plus vagues et par des
euphémismes plus engageants, comme ceux de _consolidated_ ou _blanket
mortgage_. Et ce n'est pas tout. La nomenclature ne finit pas là. Il y a
le _refunding mortgage_, qui désigne les emprunts destinés au
remboursement de dettes devenues exigibles et à qui sont affectées les
garanties de l'emprunt antérieur (car presque toujours les compagnies
américaines contractent une nouvelle dette pour en éteindre une
ancienne.) Il y a le _collateral trust_, qui est un gage constitué par
un dépôt d'actions ou d'obligations (généralement d'une autre compagnie
«contrôlée» par la compagnie émettrice), dépôt qui est remis aux mains
de _trustees_ ou fidéicommis et dont la valeur est difficilement
appréciable quand elle ne se trouve pas fictive. Enfin certaines
obligations sont gagées sur le matériel roulant des compagnies,
(_equipment mortgage bonds_), d'autres peuvent être échangées contre des
actions à un cours déterminé (_convertible bonds_), d'autres n'ont aucun
gage spécial (_debentures_). Si l'on veut bien songer qu'il n'y a pas
moins de quarante compagnies américaines qui jouissent d'une certaine
réputation et si l'on tient compte de ce fait que toutes ces compagnies
ont contracté des emprunts des types les plus différents et les plus
diversement gagés, on conviendra qu'à moins d'une initiation préalable
et fort ardue, le capitaliste européen ne saurait puiser qu'au hasard
dans l'énorme lot de ces obligations.

L'embarras du choix ne doit pas, cependant, constituer une raison
suffisante pour écarter ces valeurs _a priori_.

Les rentiers américains ont un critérium qui leur permet de distinguer
le bon grain de l'ivraie. Sont considérées comme offrant une sécurité
incontestable les obligations qui figurent sur la liste des valeurs que
les banques d'épargne des États (en particulier les banques d'épargne de
l'État de New-York) sont autorisées à acquérir. Ces obligations offrent
généralement des signes particuliers. Elles se capitalisent à un taux
qui, en temps normal, est rarement supérieur à 3 1/2 ou 4 p. 100. Les
fluctuations auxquelles elles sont sujettes se tiennent dans la limite
de 10 p. 100 et elles jouissent d'un marché très large, en sorte qu'on
peut toujours avoir la certitude de les réaliser à tout moment. Il va
sans dire que, seul, le capitaliste européen qui est capable de lire des
documents rédigés en anglais conformément au vocabulaire particulier de
la finance américaine, pourra consulter lesdites listes avec profit et
sans crainte de confusion, avant de passer un ordre d'achat. En d'autres
termes cette lecture ne peut être faite que par des personnes munies
d'une instruction financière supérieure.

Le fait que les banques d'épargne placées sous la surveillance des États
sont autorisées à acheter des obligations de chemins de fer prouve donc
qu'il y a de bonnes obligations aux États-Unis, des obligations qui
possèdent même une sorte de garantie morale du gouvernement, comparable
à celle que nous avons pour les obligations des chemins de fer français.
En ce sens, M. Paul Leroy-Beaulieu pouvait avoir raison de signaler les
titres des principaux chemins de fer américains aux capitalistes
européens désireux de diversifier leurs placements et de sortir des
chemins battus.

Seulement, avec la hantise qui a été celle de tous les économistes et de
tous les hommes d'affaires de sa génération, M. Paul-Leroy-Beaulieu,
redoutant une baisse toujours plus accentuée du taux de l'intérêt,
trouvait aux obligations américaines à long terme l'avantage d'assurer
aux porteurs, pendant de nombreuses années et même pendant plusieurs
siècles, un revenu moyen constant. Leur «durée», comme on peut le voir
dans le texte que nous avons cité plus haut, durée «parfois double de
celle des obligations françaises», lui apparaissait comme une de leurs
meilleures recommandations. Convaincu que le loyer de l'argent devait
fatalement descendre à 2 1/2, 2, 1 1/2, peut-être même 1 p. 100, M.
Leroy-Beaulieu était porté à croire que les obligations américaines les
plus dignes d'être recherchées étaient celles qui n'étaient
remboursables qu'en 1997, en 2047 ou même en l'an 2361 comme les West
Shore. L'homme prévoyant, selon lui, eût été celui qui eût assuré à ses
héritiers, et aux héritiers de ses héritiers un revenu de 4 p. 100
pendant plusieurs siècles.

Ce raisonnement étant faux, comme nous l'avons montré, l'expérience nous
a, au contraire, apporté la preuve que les obligations américaines les
plus dignes d'attirer l'attention étaient celles dont le remboursement
était le plus rapproché.

Nous pouvons voir, en effet, à chaque fois (et ces occasions ne sont pas
rares) qu'une crise secoue le marché américain, les obligations dont le
terme est proche rester presque insensibles à la baisse, ou leur
sensibilité diminuer en raison de la proximité du terme. Reprenons des
exemples que nous avons eu déjà l'occasion de citer plus haut. Les
obligations 3 1/2 de la puissante compagnie _Pennsylvania Railroad_, de
la série remboursable en 1912, ont été intégralement remboursées au pair
l'année même où une première bourrasque devait assaillir les valeurs
mobilières de tous les pays du monde. Supposons qu'un porteur de ces
obligations eût employé son capital en obligations 3 1/2 de la même
compagnie remboursables en 1915. Ces titres pouvaient s'obtenir alors à
97, c'est-à-dire trois points au-dessous du pair, ce qui représentait
une prime au remboursement de trois francs pour cent francs à toucher au
bout de trois ans, soit, avec l'intérêt à 3 1/2, un revenu total de 4
1/2 p. 100. Or, dès les premiers mois de 1914, ce capitaliste eût vu ses
obligations approcher du pair (99 1/2 à 99 3/4) et il lui eût été d'ores
et déjà possible de les arbitrer fructueusement contre des obligations
de la même compagnie, à terme plus éloigné et dont les cours étaient
bien moins élevés. Ou bien, en 1915, en pleine guerre, il fût rentré
dans son capital, ce qui eût été une aubaine excellente.

Il est visible à l'oeil le moins expérimenté que, pendant la baisse qui
a sévi jusque sur les obligations américaines de premier ordre, les
titres les plus résistants ont été ceux qui obéissaient à l'aimantation
d'un remboursement prochain. On ne saurait que difficilement mettre en
doute la sécurité qu'offrent, par exemple, les obligations 3 1/2
première hypothèque du _New York Central_. Elles constituent
certainement, au point de vue de la solidité du gage, une des premières
valeurs du monde: le seul fait de posséder gares et voies ferrées en
pleine ville de New-York crée à cette compagnie un privilège de fait et
la rend propriétaire de terrains d'une valeur colossale. Eh bien, ces
obligations, après avoir jadis dépassé le pair, sont tombées aux cours
de 83 et même de 82, et, pendant la guerre, se sont difficilement
maintenues à 70 ou 71 parce qu'elles ne sont remboursables qu'en 1997,
tandis que nous venons de constater la stabilité des cours des
obligations Pennsylvania 3 1/2 1915, qui étaient aussi bonnes mais non
pas meilleures et qui, dans les temps de hausse, se tenaient au même
niveau que les New York Central. Cependant d'autres obligations du type
3 1/2, par exemple les _Baltimore and Ohio_ remboursables en 1925 se
tenaient à 86, quoique émanant d'une compagnie dont la prospérité est
beaucoup moins bien établie que celle du _New York Central_ et dont la
gestion est pour ainsi dire plus aventureuse. Et parmi des valeurs qui
passent, d'après la classification de M. Paul Leroy-Beaulieu lui-même
pour n'être que des «valeurs d'appoint», on remarque que les _Chicago
Burlington and Quincy joint bonds_ 4 p. 100 remboursables en 1921 valent
93, presque autant que les _Pennsylvania Railroad_ 4 p. 100
remboursables en 1923, titre de toute première classe, tandis que les
_New York Central_ 4 p. 100, remboursables en 1934 seulement, soit
treize ans plus tard, se tiennent à plusieurs points au-dessous de ces
cours.

Il serait fastidieux de multiplier ces exemples. Mais la conclusion qui
s'impose c'est que les obligations des chemins de fer américains peuvent
constituer pour le capitaliste diligent un véritable clavier dont le
maniement lui permet soit d'avoir de bonnes chances de stabiliser toute
une partie de son portefeuille, soit de s'assurer à date fixe des
rentrées d'argent, ce dont il aura lieu de se féliciter en temps de
crise. On s'en rend bien compte dans les milieux informés. Durant la
«crise de confiance» de 1914, un peu avant la guerre, on signalait de
Londres que beaucoup de personnes bien inspirées, lasses de laisser
leurs capitaux stériles et se refusant toutefois à opérer des placements
définitifs, recherchaient les «notes» à très court terme émises pour les
besoins courants des compagnies américaines. Ainsi conçues, on peut dire
que les obligations américaines constituent des «valeurs de refuge».

Mais il est à craindre que l'expérience malheureuse que le public
français vient de faire avec les obligations américaines qui lui ont été
apportées en France même, ne la détourne pour longtemps de ces valeurs.
En effet les intermédiaires que convoquait M. Paul Leroy-Beaulieu n'ont
pas été très regardants quant à la qualité des titres que l'Amérique les
chargeait d'introduire chez nous. On a donc fait absorber pêle-mêle à
notre épargne des titres de premier ordre comme les _Pennsylvania_ 3 3/4
p. 100; des titres que les Américains eux-mêmes classent dans une
catégorie secondaire telles que les _Cleveland Cincinnati_ 4 p. 100,
quoique appartenant encore à une compagnie qui distribue des dividendes;
et enfin des titres tout à fait aléatoires sinon même franchement
mauvais et dont l'émission a constitué une escroquerie, telles que les
_Saint Louis and San Francisco_ dont les intérêts ont cessé d'être payés
trente mois après leur introduction sur le marché de Paris. Si l'on
pense qu'avec cela, ces valeurs, selon la méthode que nous avons déjà
décrite et qui constitue un abus insupportable, ont été émises en France
à un prix bien supérieur à celui que valaient, en Amérique même, des
titres des mêmes compagnies jouissant de gages supérieurs, on comprendra
que le public français, après un instant d'engouement, ait ensuite
condamné en bloc toutes les obligations américaines. Après la
suppression de paiements du Saint Louis and San Francisco, les
poursuites contre la compagnie _New York New Haven_ ont renforcé cette
défaveur. Toutefois, il ne faudrait pas confondre des obligations
garanties par le _Pennsylvania Railroad_, puissant organisme qui offre,
bon an mal an, une marge de bénéfices nets de 100 ou 150 millions de
francs, avec des titres sans consistance. On a même vu les obligations
_Pennsylvania_ cotées à Paris et remboursables en 1921 descendre à des
cours beaucoup plus avantageux que les obligations de la même compagnie
cotées à New-York. Voilà de ces occasions qu'il fallait savoir saisir.

En résumé, les obligations des chemins de fer américains sont des titres
qu'on ne peut acquérir qu'après une étude sérieuse, une sélection sévère
et en parfaite connaissance de cause. A ces conditions elles peuvent
donner des sujets de satisfaction aux porteurs et même, on l'a vu par
les exemples et les faits que nous avons cités, pour les obligations à
court terme ou à remboursement prochain, constituer une sorte
d'assurance contre les risques de dépréciation que les fortunes sont
exposées à courir.

                                   *

                                 *   *

Restent les obligations des chemins de fer exotiques. Nous pourrions
compter sur nos doigts celles qui n'ont pas--ou, pour parler plus
prudemment, celles qui n'ont pas encore--causé de déboires à leurs
propriétaires.

Nous ne prendrons qu'un seul exemple: celui des obligations 4 p. 100 des
chemins de fer nationaux du Mexique.

Émises à Paris, à un cours voisin du pair, au moment où le Mexique, sous
la dictature de Porfirio Diaz, semblait entré au nombre des États dont
la prospérité est stable, ces obligations jouissaient de fort beaux
gages. Une hypothèque sur un réseau déjà productif, renforcée par une
garantie formelle du gouvernement mexicain, avec engagement de payer les
intérêts et de rembourser le capital en or, toutes ces conditions
rendaient le titre séduisant. Mais qu'est-il resté de l'hypothèque
lorsque la guerre civile a interrompu le trafic, détruit les lignes et
les travaux d'art sur de nombreux points? Qu'est-il advenu de la
garantie du gouvernement mexicain lorsque ce gouvernement a cessé de
pouvoir faire face à ses engagements directs? Le paiement des intérêts a
été suspendu et les cours sont tombés à 150 francs au-dessous du pair...
Les obligations des chemins de fer mexicains pourront connaître des
jours meilleurs. Tout le profit sera, dans cette hypothèse, pour ceux
qui auront osé acheter au bon moment et dans les bas cours. Ce cas est
celui qui s'était déjà présenté pour les obligations concordataires des
chemins de fer de Santa-Fé, compagnie qui, après avoir touché le bord de
la ruine, s'est brillamment relevée mais semble menacée de nouveau,
comme tous les chemins de fer argentins et sud-américains.

Les obligations des chemins de fer exotiques peuvent donc être
exceptionnellement intéressantes comme valeurs spéculatives pour des
capitalistes très attentifs et libres de leurs mouvements. C'est une
duperie de les considérer comme valeurs de placement. Il est d'ailleurs
absurde de se laisser tenter par un revenu de 5 p. 100 et même de 6 p.
100, si l'on veut bien réfléchir à ceci que les compagnies ou les États
qui offrent ce taux d'intérêt au prêteur français ne trouvaient pas
d'argent chez eux à moins de 8, 10 ou 12 p. 100. Il faut espérer que le
jour viendra où l'éducation financière de l'épargne française sera assez
avancée pour que, à défaut de la surveillance de l'État français, le
scandale de ces émissions, qui aboutissent souvent, dans l'espace de
quelques mois, à des pertes graves, ne se reproduise plus.

Pour finir, nous mettrons en garde contre une mention qui est parfois un
principe d'erreur. Les prospectus d'émission insistent, chaque fois
qu'ils peuvent le faire, sur les subventions que des États, des
provinces ou des villes se sont engagés à fournir pour assurer le
service des obligations de chemins de fer étrangers. Une société civile
est même fréquemment, par surcroît de sécurité, formée par les
obligataires pour recueillir ces subventions. Ce qu'on ne dit pas, c'est
que ces garanties sont la plupart du temps subordonnées à
l'accomplissement de diverses conditions, telles que la construction de
la ligne dans un délai fixé, faute de quoi l'État garant se trouve délié
de ses engagements en tout ou en partie. C'est le cas qui vient de se
produire--sans aller dans l'Amérique du Sud--pour certains _chemins de
fer_ en Toscane, soi-disant garantis par le gouvernement italien.

Et l'État garant aurait bien souvent besoin d'être garanti lui-même. Que
pouvait valoir, par exemple, l'engagement pris par le gouvernement de
l'Equateur de suffire à toutes les défaillances de la compagnie fondée
pour exploiter les chemins de fer de ce pays? Moins que rien. Il est à
craindre, cependant que ce mot magique de «garantie» n'ait induit bien
des épargnants français à opérer ce placement ruineux.

                                   *

                                 *   *

Durant quatre années de guerre où les emprunts des grands États ont
drainé tous les capitaux disponibles, les compagnies de chemins de fer
du monde entier n'ont pas pu faire appel au crédit. Elles vont regagner
le temps perdu. Devant la masse des obligations offertes, le capitaliste
ne sera jamais trop méfiant.

Les chemins de fer français seront les premiers à servir. Ils ont déjà
besoin de sommes colossales qu'il est malaisé d'évaluer même
approximativement. Le robinet des émissions sera longtemps ouvert, sauf
pour les heureuses compagnies rachetées comme celle de l'_Ouest_ et
celle de l'_Est-Algérien_.

Par le nouveau régime ou les nouvelles conventions qui devront forcément
intervenir pour les chemins de fer français, le gage des obligations
sera-t-il diminué ou accru? Le public fera bien d'y veiller. Quant aux
chemins de fer étrangers, il importera d'être infiniment plus attentif
et plus méfiant encore.



CHAPITRE XI

LES VALEURS INDUSTRIELLES

Mot typique du baron de Rothschild.--Mal manger et bien dormir ou
mal dormir et bien manger?--Petit nombre de bonnes valeurs
industrielles.--Leur instabilité.--Nécessité de connaissances spéciales
pour les acquérir et les surveiller.--Sept conseils pratiques
essentiels.--Les _booms_ et les _krachs_.--Des mines et spécialement des
charbonnages français après la guerre.--Un mot sur le canal de
Suez.--Généralités sur les actions de jouissance et les parts de
fondateur.


On attribuait jadis ce mot au baron Alphonse de Rothschild. Lorsque des
gens du monde le consultaient sur l'emploi de leurs capitaux, il
répondait invariablement: «Voulez-vous bien dormir et mal manger?
Achetez des fonds d'État sérieux, des obligations, de la rente.
Voulez-vous bien manger et mal dormir? Achetez des valeurs
industrielles.»

Cette manière de présenter les choses correspondait à la situation du
marché des capitaux telle qu'elle existait voilà un quart de siècle
environ. Les excès que nous avons vus en ces dernières années n'avaient
pas encore été commis. Les anciennes habitudes de modération, de
prudence, et même de légitime méfiance qui sont propres aux classes
moyennes de notre pays restaient en honneur. C'est pourquoi il était
d'usage d'attribuer aux valeurs représentant des capitaux engagés dans
l'industrie une autre capitalisation que celle des valeurs à revenu
fixe. Le loyer de l'argent étant de 3 p. 100 pour les valeurs à revenu
fixe, c'était toujours un intérêt de 5 p. 100 qui était demandé, pour le
moins, aux valeurs industrielles, indépendamment des chances de
plus-value, et en compensation des risques à courir. En ce sens le vieux
baron de Rothschild dépeignait très exactement la situation du porteur
de valeurs à revenu fixe d'autrefois, réduit à la portion congrue mais
qui se croyait assuré d'avoir toujours cette portion, et le porteur de
valeurs industrielles, touchant des dividendes quelquefois copieux mais
aléatoires.

On a changé tout cela. D'abord il est apparu que les porteurs de valeurs
à revenu fixe, malgré les sacrifices qu'ils avaient consentis sur leur
revenu pour assurer la sécurité de leur capital, étaient exposés comme
les autres à la ruine ou au moins à de graves diminutions de leur
patrimoine. Ensuite les valeurs industrielles ont été l'objet d'un tel
engouement que la plupart d'entre elles, surtout parmi les plus
célèbres, ont été capitalisées à un taux inférieur à celui des
obligations ou des fonds d'État les mieux garantis. On a vu, par
exemple, l'action du canal de Suez s'établir à des cours qui la
capitalisaient à 2 1/2 p. 100 environ, les grands charbonnages français,
dont quelques-uns ne devaient pas tarder à être dévastés par l'invasion
allemande, se capitaliser à moins encore. Pendant la guerre, les mêmes
excès se sont renouvelés mais sur une échelle beaucoup plus vaste. Il
n'a pas été rare de voir les titres d'entreprises favorisées par leur
situation géographique ou par les bénéfices exceptionnels que leur
apportaient les circonstances monter à des cours auxquels ils donnaient
un revenu moindre que les meilleures valeurs à revenu fixe.

Rien n'est plus déraisonnable. Le sort des valeurs industrielles dépend
de multiples circonstances dont l'appréciation échappe à l'homme
incompétent. Pour une qui prospère, dix végètent ou disparaissent. Le
public est frappé de l'étonnante prospérité de quelques-unes d'entre
elles. Il est porté à croire que toutes les valeurs similaires sont
promises au même succès. Il retient l'exemple des fortunes qui se sont
faites sur certaines entreprises, et il oublie tous les cas de faillite
et de ruine, infiniment plus nombreux. Ainsi les épargnants français,
éblouis par le canal de Suez, avaient souscrit avec confiance et sans y
regarder de plus près aux actions du canal de Panama, parce que
l'affaire, lancée par le même homme, semblait identique. Il faut donc
être en garde contre les fausses analogies.

Les charbonnages français de la région du Nord ont rendu millionnaires
les familles qui y étaient intéressées depuis l'origine. On ne tient pas
compte des risques courus par les premiers participants des sociétés de
Bruay, de Lens, ou du fameux «denier d'Anzin». Ceux qui sont tombés du
premier coup sur le bon gisement, qui a donné mille pour un, sont le
très petit nombre. C'est ce qu'on appelait dans notre vieux langage
trouver la pie au nid. Nous connaissons un capitaliste lillois qui est
un des gros actionnaires de l'opulente société de Bruay. Quand on le
félicite de sa perspicacité, il ne manque jamais de répondre: «Bruay m'a
simplement rendu ce que, les miens et moi, nous avons exposé et perdu
ailleurs. Si nous avions placé en terres ou en rentes tout l'argent que
nous avons enfoui dans des recherches de filon, des prospections, des
mines mort-nées, je serais peut-être aussi riche qu'avec mes actions de
Bruay. Seulement nous avons produit.»

Cette observation montre la part du capital dans la création de la
richesse et détruit les thèses du socialisme sur le parasitisme
capitaliste. Elle montre aussi la part de risque qui est attachée à
l'industrie et que compensent les bénéfices.

C'est pourquoi il y a une différence considérable entre l'industriel qui
dirige lui-même son usine, influe par son intelligence et son activité
sur la marche des affaires, et l'actionnaire qui attend le dividende au
coin de son feu, ignorant tout, la plupart du temps, de l'entreprise à
laquelle il est intéressé. L'acheteur ou le souscripteur ordinaire de
valeurs industrielles devra donc toujours suivre les conseils suivants:

1º. Les valeurs industrielles, comportant des aléas de tout genre, ne
peuvent entrer que dans les portefeuilles abondants et bien garnis. Les
personnes d'une situation modeste commettraient toujours une grosse
imprudence en leur donnant une autre part que celle du billet de
loterie.

2º. L'imprudence inexcusable, qui confine à l'impéritie, consiste à
mettre la totalité ou la majeure partie de son avoir dans une ou deux
valeurs industrielles ou dans la même catégorie de valeurs. Les exemples
abondent d'industries tuées par une invention nouvelle ou par tout autre
cas fortuit.

3º. Observer toujours la plus vive méfiance à l'égard de la réclame et
de la publicité qui sont faites autour d'une entreprise industrielle. Le
capitaliste est rarement en état de juger par lui-même des possibilités
de développement d'une industrie. Des quantités d'intermédiaires sont
intéressés à le tromper. La lecture même des plans ne renseigne pas
toujours d'une manière infaillible ceux qui croient savoir les lire. A
moins d'une intuition spéciale et géniale, le moyen le plus sûr de
connaître le fort et le faible d'une affaire, c'est d'en être. Seules
les personnes qui ont des relations loyales et sincères dans le conseil
d'administration d'une société pourront suivre avec fruit les conseils
de cet administrateur ami. Il y a en France des industries prospères
dont les actions et la direction sont pour ainsi dire en famille. Dans
tous les autres cas, le capitaliste marche au hasard.

4º. Pour les valeurs non plus achetées en banque ou en Bourse, mais
souscrites à l'émission, la méfiance doit être la même. Pourtant, il
importe de retenir d'une manière invariable et absolue cette distinction
essentielle: une entreprise de grande envergure et qui fait appel au
crédit public pour des sommes considérables peut être bonne et avoir de
l'avenir; une petite entreprise qui cherche quelques millions ne peut
être que mauvaise, sauf un hasard extraordinaire. Il est exceptionnel
qu'une petite affaire vraiment bonne ait recours à une émission
d'actions par la voie de la presse et la distribution de prospectus.
Elle trouvera des commanditaires dans un groupe ou chez des banquiers
intelligents; ou bien ses propriétaires la garderont pour eux et leurs
proches sans offrir de partager leurs bénéfices avec des actionnaires
inconnus, ce qui serait de la pure philanthropie. Si par hasard
l'affaire lancée dans le public est vraiment sérieuse, le fondateur
passe la main en gardant la part du lion et en grevant la nouvelle
société de telle sorte que le dividende s'évanouit.

5º Toute entreprise atteint, à un moment, son apogée. Ensuite vient la
décadence. C'est une loi de ce monde. Pour quelques valeurs que l'on
cite (toujours les mêmes parmi des milliers) et qui, pendant trente,
quarante, cinquante années et plus n'ont cessé d'enrichir les familles
qui les possédaient, combien, après une période d'éclat, sont retombées
dans la médiocrité d'une existence difficile en attendant la fin! Rien
n'est éternel. De nouvelles habitudes, les transformations des goûts et
de la société, une disposition législative, parfois un simple arrêté
préfectoral suffisent à transformer une brillante affaire en affaire
médiocre, sinon à la ruiner. Des exemples comme ceux du _Petit Journal_
qui ne s'est pas encore relevé d'un événement politique, de la
_Compagnie Richer_, des _Bateaux Parisiens_, des _Bouillons Duval_,
viennent immédiatement à l'esprit. Telle industrie, brillamment conduite
par l'homme qui l'a créée ou relevée, végétera, après sa mort, entre les
mains de ses successeurs. Sans doute rien n'est plus difficile que
d'apprécier le moment où une affaire ne peut plus que décroître. C'est
une question de jugement personnel et de flair. Mais l'heureux
possesseur d'une valeur industrielle qui a beaucoup monté est presque
toujours bien inspiré en réalisant et en consolidant la plus-value. _Le
bénéfice que vous ne prendrez pas vous-même, les événements se
chargeront de vous le prendre un jour._ Cet axiome reçoit de
l'expérience des vérifications quotidiennes.

6º Étant donné ce principe, rien n'est pire que de courir après son
argent par le système des «moyennes». Certaines personnes, voyant
baisser la valeur qu'elles possèdent, rachètent des titres pour se
faire, dans l'ensemble, un cours moyen et compenser leur perte. Ce
calcul, sauf exceptions motivées, est puéril. C'est de la spéculation à
l'aveuglette. Si la valeur est bonne, elle remontera. Si elle ne l'est
pas, il est absurde de vous en charger davantage. D'ailleurs, à part les
cas de force majeure, si vous n'avez pas prévu la baisse de votre
valeur, c'est que vous étiez mal renseigné sur elle. Demandez-vous bien
si vous l'êtes mieux à présent.

7º. Les inventions qui ont apporté le développement industriel du XIXe
siècle ont donné lieu à la formation de grandes sociétés anonymes qui
ont enrichi leurs premiers possesseurs. Tel a été le cas des chemins de
fer, du gaz, etc... D'après ce précédent, on a tendance à croire que
l'exploitation des inventions nouvelles produira les mêmes effets. Mais
l'État ou les municipalités, en livrant cette exploitation à des
sociétés concessionnaires, ont bien soin aujourd'hui de limiter d'avance
leurs bénéfices. L'électricité, le Métropolitain n'ont pas enrichi leurs
actionnaires. La télégraphie sans fil non plus, même en Amérique,
quoique les _Marconi_ n'aient peut-être pas dit leur dernier mot. Mais
il serait prudent à l'avenir de ne plus se faire d'illusions à cet
égard. En règle générale, la société du XXe siècle n'admettra plus que
des services d'utilité publique donnent des dividendes aux particuliers.
Et ces dividendes apparaîtront un jour, qui n'est peut-être pas éloigné,
comme aussi monstrueux que les péages du temps jadis.

                                   *

                                 *   *

Si une grande circonspection s'est toujours recommandée à l'égard des
valeurs industrielles, la même prudence s'imposera encore après la
guerre. Les capitaux seront sollicités de toutes parts. Les promesses
les plus alléchantes ne feront pas défaut. Les capitalistes, éprouvant
le besoin d'accroître un revenu souvent diminué et devenu insuffisant
par la cherté de toutes choses, auront besoin de beaucoup de lumières
pour ne pas se tromper.

Ce n'est pas que nous détournions systématiquement la fortune française,
suivant le système si justement reproché aux grands établissements de
crédit, de commanditer l'industrie de notre pays qui aura besoin de
capitaux si l'on ne veut pas que la mise en valeur des ressources
nationales reste un vain mot. La participation à des industries
prospères est un des moyens par lesquels les patrimoines éprouvés
pourront se reconstituer. A une condition toutefois: c'est qu'ils ne
suivent que des guides probes et sérieux. Nous avons vu, depuis quelques
années, des groupes de banquiers honnêtes et actifs pousser au
développement industriel de plusieurs régions de la France, en
particulier celles de Nancy et de Grenoble. Les capitalistes qui les ont
écoutés n'ont eu, la plupart du temps, qu'à s'en féliciter. Il y a là
une question de confiance personnelle fondée sur l'expérience et les
services rendus. Il est hautement souhaitable que, partout en France, la
banque collabore avec l'industrie et le capital en y mettant la même
probité et la même intelligence. L'avenir et le salut du pays sont là.

On escompte pour les années à venir un renouveau prodigieux de la vie
économique. Ce renouveau est dans la nature des choses, car, de tous
côtés, après l'effroyable crise de la guerre, le besoin en produits
manufacturés sera immense. Toutefois la concurrence sera âpre entre les
nations. Les crises déterminées par la situation financière et monétaire
des divers pays belligérants seront fréquentes et redoutables,
entraînant avec elles des krachs et des faillites. En outre, et surtout,
l'industrie devra faire une part de plus en plus large à son personnel
ouvrier. L'augmentation des salaires et la réduction des heures de
travail pèseront sur les bénéfices. La journée de huit heures,
considérée jadis comme une revendication extrême qui devait mettre la
production en péril, sera bientôt un minimum. Il y a des syndicats
d'ouvriers anglais qui demandent déjà la semaine de trente heures. En
attendant qu'un équilibre s'établisse ou qu'une réaction salutaire
contre la «vague de paresse» se produise, l'industrie subira de
violentes secousses.

Il est d'ailleurs probable que la concurrence universelle incitera
certains pays où le travailleur est sobre et peu exigeant à produire
plus que les autres. Les rivalités économiques n'en seront que plus
terribles. Il n'est peut-être pas absurde d'imaginer que la Chine, par
exemple, où la main-d'oeuvre est abondante et bon marché,
s'industrialise sous l'influence européenne, américaine ou japonaise. Ce
serait alors une «invasion jaune» d'un genre imprévu. Sans aller
jusqu'en Chine, on peut redouter qu'une Allemagne travailleuse n'écrase
les marchés. L'avenir de l'industrie française dépend non seulement de
l'effort qui sera fourni par les individus mais de l'esprit public et
des méthodes du gouvernement.

Bien d'autres hypothèses peuvent être faites sur les difficultés qui
attendent l'industrie. En tout état de cause, ce qu'il ne faut pas
perdre de vue, c'est l'invincible mouvement qui emporte le XXe siècle
vers de nouveaux rapports du capital et du travail et de nouvelles
formes de la vie économique et sociale. Ces formes seront profondément
différentes de celles qu'a connues le siècle précédent, au commencement
de la grande industrie, qui fut l'âge d'or du capitalisme.

La régie et même peut-être la nationalisation des mines sont un
phénomène avec lequel il faudra principalement compter, dût-il être
passager. La tendance actuelle est de négliger les risques courus par le
capital qui a mis en valeur les exploitations minières pour considérer
qu'il n'est pas juste que des richesses naturelles, extraites de la
terre par le travail humain, profitent à des particuliers. De plus en
plus, l'État prélèvera donc une part sur les bénéfices. Les mines
nouvelles seront ainsi, dans l'avenir, condamnées à un médiocre
rendement jusqu'à ce que, les capitaux ne se trouvant plus pour faire
les frais d'exploitations nouvelles, on leur rende la liberté.

Les charbonnages français de la région du Nord ont une haute réputation
méritée par la richesse de leurs gisements. Mais l'erreur qui consiste à
croire qu'ils valent tous Anzin a entraîné plus d'une déception.
Plusieurs d'entre eux, et des meilleurs, ont souffert de la guerre et
des dévastations allemandes. C'est, par exemple, le cas de _Courrières_.
Il faudra des sommes énormes et du temps avant que leur exploitation
normale puisse reprendre. Certaines personnes croiront peut-être qu'avec
la paix les dividendes d'avant 1914 vont immédiatement reparaître. Avant
d'effectuer des placements de cette nature, elles seront sages de se
renseigner avec soin.

Dans leur immense variété, les mines de toutes sortes ont un trait
commun: c'est qu'elles sont sujettes à s'épuiser. C'est ainsi qu'on a vu
mourir, dans ces dernières années, plusieurs mines, notamment de cuivre,
jadis prospères. Les professionnels sont renseignés sur la durée des
gisements. C'est une chose que le grand public ignore ou connaît mal.
Faute d'être informé, on s'expose donc à des surprises désagréables.

Les mines d'or ont une durée particulièrement brève qui, parfois,
n'excède pas une dizaine d'années. Ainsi s'explique qu'elles se
capitalisent parfois à 8 et 10 pour 100. Les personnes qui sont séduites
par ce gros revenu apparent ne se doutent pas, au premier abord, qu'il
s'agit d'un revenu éminemment passager et périssable.

Les actions des mines d'or sont surtout des valeurs spéculatives. Elles
ne peuvent être touchées avec profit que par les personnes renseignées,
qui suivent la Bourse de près et qui manient et remanient constamment
leur portefeuille. Leur caractère est très bien illustré par cette chose
vécue. Il y avait une fois un savant économiste qui employait sa science
à la bonne administration de ses biens. Cet économiste avait une parente
dont le pécule était modeste et il avait promis de lui donner, à la
première occasion, un conseil de placement profitable. L'économiste tint
parole. Ayant été des premiers à discerner l'avenir des mines d'or du
Transvaal, il fit signe à sa cousine. Et les mines d'or montèrent,
montèrent. Le jour vint où l'économiste expérimenté jugea que
l'ascension était suffisante et même excessive et il réalisa son
bénéfice. Cependant il avait oublié sa parente. Et les mines d'or
redescendirent aussi vite qu'elles avaient monté. Après le _boom_ ce fut
le _krach_. Après avoir touché la fortune, la pauvre femme fut ruinée.

Cette histoire vraie montre que, pour se porter sur certaines valeurs,
il faut être un spécialiste et même, dans toute la force du terme, un
savant. Elle prouve aussi la vérité de l'axiome que nous avons énoncé
plus haut: tout bénéfice qu'on ne prend pas soi-même, les événements se
chargent de le prendre. A combien d'autres valeurs que les mines d'or
qui ont eu une prospérité éphémère, à combien de sociétés de caoutchouc,
de pétrole, de soie artificielle, etc... s'appliquerait l'anecdote que
nous venons de raconter!

Il n'y a pas de progrès indéfini. Toute entreprise atteint un jour sa
limite. On pourrait faire une liste nécrologique de celles qui passaient
jadis pour être hors de pair. Souvent aussi une valeur vit encore sur sa
vieille réputation alors qu'elle porte déjà en elle-même le principe de
son dépérissement.

Un mot, pour finir, de la reine des valeurs industrielles, qui est le
_Canal de Suez_. Ses actions et ses titres divers (parts de fondateur,
société civile, obligations) jouissent de la faveur la plus légitime.
L'actionnaire de cette puissante compagnie est l'associé d'une compagnie
plus puissante encore: l'Angleterre qui possède les 176 000 actions
vendues par le prodigue Ismaïl en 1875 et que le gouvernement français
négligea d'acheter. Gomme le disait alors le _Times_: «La position d'une
compagnie dont le propriétaire principal est la première puissance
maritime et coloniale du monde est tout autre chose que celle d'une
compagnie composée d'une multitude de petits actionnaires français.
Toute éventualité qui porterait atteinte aux droits de la compagnie
trouvera devant elle, non plus une faible association d'actionnaires,
mais toute une nation qui peut se faire respecter.»

C'est pourquoi, pendant la guerre, malgré la réduction du trafic et des
dividendes, les titres de Suez se sont maintenus à de hauts cours. Pour
protéger le canal menacé par les Allemands, l'Angleterre a fait un
effort considérable. Placée sous la sauvegarde de l'Empire britannique,
entourée de garanties internationales, cette propriété privée possède
des privilèges exceptionnels, indépendamment de ses propres causes de
prospérité.

Il est probable qu'avec la reprise de l'activité maritime dans le monde,
les recettes du canal de Suez ne tarderont pas à regagner leur niveau
d'avant la guerre. On peut même entrevoir des bénéfices encore plus
considérables avec la mise en valeur de la Mésopotamie et de l'Arabie,
le développement de l'Afrique du Sud, etc...

On n'oubliera pas, cependant, que le canal de Suez lui-même sera soumis
tôt ou tard à la loi commune qui veut que tout change et que tout meure.
Sans doute aucune concurrence, ni par voie de terre ni par le canal de
Panama, ne le menace sérieusement. La victoire de l'Allemagne lui eût
porté un coup redoutable. Ce péril n'existe plus. Le canal semble assuré
d'une longue tranquillité.

Et pourtant, qui sait?

Qui sait si, un jour, le réveil des nationalités, après avoir embrasé
l'Europe orientale, ne s'étendra pas à l'Orient proprement dit?
L'occupation de l'Égypte par les Anglais se heurte déjà à un
nationalisme égyptien capable de devenir la source de grosses
difficultés. Et qui sait aussi, dans un autre ordre d'idées, si les
transports aériens ne sont pas appelés à prendre une extension imprévue?
C'est une idée qui commence à rencontrer moins d'incrédules qu'hier,
puisque les gouvernements se préoccupent de réglementer la navigation
aérienne.

Admirables valeurs, les actions du canal de Suez ne doivent pas être
regardées comme un mol oreiller sur lequel les porteurs actuels, ou du
moins leurs enfants, pourront éternellement dormir.

                                   *

                                 *   *

Le public est en général peu informé de la nature réelle des valeurs
industrielles qui sont en circulation. Il ne doit pas perdre de vue,
cependant, que le _nominal_ de l'action se distingue de son _cours en
Bourse_. Prenons par exemple une action du canal de Suez au nominal de
500 francs. C'est à 500 francs que sera remboursée chaque action d'après
le tirage au sort. En outre le porteur reçoit une action de dividende ou
de jouissance.

La différence entre ce capital de 500 francs et le cours de Bourse,
généralement représentée à peu de chose près par le cours de l'action de
jouissance, est ce que les Anglais appellent «de l'eau», c'est-à-dire
une estimation des bénéfices de l'entreprise. Mais, à la liquidation
finale (fin de concession, par exemple, pour le canal de Suez), les
actionnaires ne sont nullement certains de retrouver cette valeur dans
l'actif de la société, actif qu'ils auront à se partager. C'est le cas
que nous avons vu pour les mines à épuisement rapide dont l'actionnaire
doit amortir lui-même le capital. C'est un fait que beaucoup de
personnes perdent de vue et qui les expose à des surprises désagréables.

Les _parts de fondateurs_ ne doivent être acquises qu'à bon escient. En
premier lieu, elles n'ont aucun droit sur l'actif social mais seulement
sur les bénéfices. Elles ne sont donc que «de l'eau». En second lieu,
leur participation aux bénéfices varie selon les statuts de la société.
Parfois, mais pas toujours, le dividende des parts croit beaucoup plus
vite que celui des actions. Les personnes informées sont au courant et à
l'affut de ces particularités.

Les augmentations de capital des entreprises prospères donnent souvent
lieu à des manoeuvres que nous devons signaler. Les administrateurs font
une publicité réduite pour écarter autant que possible les actionnaires
de la souscription et user de leur droit à leur place. La publicité est
toujours considérable pour les valeurs mauvaises ou médiocres. Elle est
presque secrète pour les bonnes. Aux porteurs de s'occuper de leurs
affaires et de les suivre avec attention. Il n'y a pas de philanthropie
en affaires.



CHAPITRE XII

LES OBLIGATIONS INDUSTRIELLES

Ce genre de placement peut être fort recommandable.--Il est de très
bonnes obligations industrielles, mais toutes ne sont pas
bonnes.--Comment les distinguer.--Nécessité de les diversifier et de ne
pas se cantonner dans une seule branche d'industrie.--Les bons 6 p. 100
et les prochaines émissions de l'industrie française.--Des titres de
premier ordre et peu connus: les obligations des services municipaux
américains.--Leurs avantages et leurs garanties.--Comment les choisir et
comment les acheter.


Les obligations des grandes sociétés industrielles, quand elles sont
gagées sur l'actif d'entreprises prospères, peuvent être des valeurs
excellentes. La cote de la Bourse de Paris, de Lyon et de Marseille en
présente une grande variété. Il s'agit seulement de savoir choisir.

Les observations que nous avons faites au sujet des actions
industrielles s'appliquent encore ici, mais avec moins de force et plus
de largeur. Des sociétés capables de réserver des mécomptes à leurs
actionnaires peuvent offrir des garanties de premier ordre à leurs
obligataires.

L'ancienne _Compagnie des Omnibus_, dans les années pénibles de sa fin
de concession, a tenu fidèlement tous ses engagements. C'est que, si son
exploitation était devenue difficile, ses gages, représentés par le
terrain de ses dépôts, restaient sûrs. Actuellement, les actions du
_Métropolitain_ ne constituent pas un placement recommandable. Mais les
obligations de la même société offrent de bonnes garanties.

Les obligations industrielles judicieusement choisies sont un élément
digne de composer la fortune des personnes prudentes. Il faut se
souvenir cependant que le nom d'obligation n'est pas par lui-même une
assurance contre tous les risques. En cas de faillite, les obligataires
viennent à leur rang parmi les créanciers, à moins qu'ils n'aient reçu
une hypothèque spéciale. Il va sans dire que les obligations munies
d'une première hypothèque doivent toujours être préférées à celles de la
seconde ou de la troisième série à moins qu'il ne s'agisse, par exemple,
du _Canal de Suez_, dont les obligations ont toutes la même sécurité
quelle que soit leur série.

Les obligations industrielles participant aux vicissitudes de
l'industrie, il importe donc de ne rechercher que les titres de sociétés
connues pour leur prospérité et leur bonne gestion. Il est fréquent
d'ailleurs que ces sociétés, lorsqu'elles empruntent de l'argent,
s'adressent d'abord à leurs propres actionnaires et leur réservent le
droit de souscrire. Il est clair que les obligations d'affaires comme
les _Aciéries de la Marine_ ou le _Creusot_ sont des titres de premier
ordre. Leurs pareils pourraient se compter assez vite.

Il est à conseiller surtout aux personnes qui affectionnent ce genre de
placements, de les diversifier et de ne pas s'exposer à suivre le sort
d'une seule branche d'industrie qui peut, à un moment donné, être
atteinte par une crise. Nous en avons un exemple avec les sociétés
d'éclairage et de chauffage par le gaz qui sont presque toutes frappées.
La même remarque peut s'appliquer aux compagnies françaises de
transports maritimes, dont l'avenir est encore obscur, et qui ont passé
par des jours si difficiles avant leur faveur récente.

Les sociétés industrielles, pendant la guerre, ont fait au crédit des
appels tentants sous la forme de bons à 6 p. 100 nets d'impôts qui ont
procuré, en général, un bénéfice aux souscripteurs. Il est probable que,
dans la période de reconstitution économique qui se prolongera après la
guerre, ces appels au crédit vont se multiplier. Il ne faudrait pas
croire que toutes les obligations à gros rendement qui seront offertes
présenteront autant d'avantages et il ne faudra pas les prendre les yeux
fermés avec une égale confiance, ni se fier à la réclame. Un prospectus
a tôt fait de présenter comme des garanties de premier ordre des
terrains nus ou des installations hors d'usage. En outre, les conditions
de l'industrie française après la guerre resteront fort incertaines, et
il est fort possible que, pendant une période de transition, les
entreprises qui ne reposent pas sur des bases très solides soient
dangereusement secouées.

                                   *

                                 *   *

Il existe d'excellentes obligations industrielles étrangères, mais la
surveillance et le choix en sont encore plus malaisés que pour celles de
notre pays. Il y faut des connaissances spéciales qui ne sont à la
portée que d'un très petit nombre de personnes, à qui leur situation ou
leurs relations permettent d'être renseignées de première main.

Nous voulons cependant attirer l'attention sur une catégorie de valeurs
fort sûres et d'un très bon rendement. A part quelques capitalistes bien
guidés ou très informés, elles sont à peu près ignorées du public
français. Nous voulons parler des _obligations des services municipaux_
aux États-Unis.

Les sociétés d'eau, de lumière, de traction, de téléphones des grandes
villes des États-Unis sont des entreprises extrêmement prospères, parce
qu'elles ont pour clientèle une population toujours croissante. Pendant
ces quarante ou cinquante dernières années, elles ont résisté à toutes
les crises économiques dont les chemins de fer et les autres industries
ressentaient les répercussions, parfois jusqu'à y succomber.

«Les obligations de services municipaux émises par des sociétés bien
organisées et bien dirigées, écrit un auteur qui en a fait une étude
particulière[10], sont considérées aux États-Unis comme le placement
idéal pour des rentiers, pour des veuves ou mineurs, autrement dit pour
toutes les personnes éloignées des affaires. Le fait que beaucoup de ces
obligations sont classées parmi les placements légaux que peuvent faire
les banques d'épargne et les _trustees_ (curateurs) est significatif,
quand on se rappelle que seules les obligations de chemins de fer de la
première classe (rapport maximum 4 p. 100), sont rangées dans ces
placements autorisés par la loi. Rappelons à ce sujet que les lois qui
limitent ces placements sont très sévères, _que les obligations ainsi
autorisées portent le timbre spécial de l'État_ et qu'un _trustee_ ne
peut être tenu responsable s'il survient une perte dans le capital
confié à ses soins et placé de cette façon.»

  [10] _Les obligations américaines et le portefeuille français_, par
    LIONEL DE MONTESQUIOU (chez Marcel Rivière).

Les obligations des grands services municipaux américains appartenant à
cette catégorie pour ainsi dire légale, méritent vraiment le nom
déplacement idéal si l'on considère qu'elles offrent avec la sécurité du
capital, un rendement élevé (5 à 5 1/2 p. 100). Mais la sécurité du
capital est bien, en ce moment, et sera pour longtemps ce qui intéresse
le plus le capitaliste. Les obligations de services municipaux ont
l'avantage que les sociétés émettrices possèdent et entretiennent un
fonds d'amortissement (ce dont se dispensent les compagnies de chemins
de fer des États-Unis). Le remboursement des obligations se fait à date
fixe et, en cas de remboursement anticipé, avec une prime stipulée sur
le titre et qui peut aller de 5 à 10 p. 100.

Un patrimoine contenant une certaine quantité de ces obligations, qui
répondent aux besoins et aux principes que nous avons exposés,
posséderait donc aussi quelques-unes des garanties les plus solides dont
puissent jouir humainement des capitaux dans le monde contemporain. La
diversité de ces titres, les dates multiples de leur remboursement plus
ou moins rapproché, permettent en outre aux capitalistes de rentrer dans
leurs fonds à des époques prévues d'avance. Quant à la solvabilité des
sociétés, l'objection tirée de la concurrence illimitée et de l'absence
de monopoles en Amérique n'est pas valable, étant donné que, de même que
pour les chemins de fer, il s'est établi pour les services municipaux
des monopoles de fait.

Mais comment choisir et se procurer ces valeurs incomparables? Elles
sont extrêmement nombreuses et il n'en peut être donné une liste
limitative. L'auteur que nous avons cité plus haut prend, par exemple,
pour types de son étude économique l'_Edison Electric Illuminating Cy of
Boston_, la _Philadelphia Electric_, la _Toronto Electric Light_,
l'_American Telegraph and Telephone_, l'_American Light and Traction_,
etc... Il va sans dire que les services municipaux de première classe
sont infiniment plus nombreux.

Leurs obligations ne sont pas négociées dans les Bourses américaines.
Elles ne sont cotées qu'en banque, parce que, très bien classées, elles
changent de main moins souvent que d'autres valeurs. Pour les acquérir
(ce qui ne sera possible que quand l'exportation des capitaux français
sera redevenue libre) il faut donc s'adresser à des banquiers
américains. Bien entendu, faute d'une connaissance intime des choses
américaines qui permette au capitaliste français un choix personnel et
un contrôle direct, il importe de ne s'adresser qu'à des banques dont
l'honorabilité soit notoirement au-dessus de tout soupçon, et de bien
définir le genre de valeurs qu'on veut acheter, selon les indications
que nous avons données plus haut, c'est-à-dire les obligations
autorisées revêtues du timbre spécial.

A cet égard aussi, les grandes fortunes, qui ont déjà la faculté de
diversifier leurs placements, sont bien plus favorisées que les petites
et les moyennes, dont les détenteurs n'ont pas les mêmes moyens
d'information. Cependant celui qui possède un capital, qui veut le
conserver et le léguer autant que possible intact à ses enfants doit se
donner de la peine, s'instruire et se renseigner sans cesse. C'est la
conclusion qu'on doit tirer de ce chapitre.



CHAPITRE XIII

ACTIONS DES BANQUES ET DES SOCIÉTÉS DE CRÉDIT

Caractère dangereux de ces valeurs.--Absence de contrôle des
actionnaires sur la marche des affaires sociales.--Différentes sortes de
banques.--Les banques d'émission à privilège.--Les grands établissements
de crédit: le système dont ils ont vécu paraît usé.--Les banques
d'affaires.--Les Crédits fonciers et les sociétés immobilières: leurs
actions et leurs obligations.


L'industrie de la banque est fort complexe et elle a toujours été très
aléatoire. Des krachs célèbres, comme celui de l'_Union générale_, en
sont la preuve. Trop d'éléments entrent en jeu dans la prospérité et la
déconfiture de ces affaires, depuis la situation économique générale
jusqu'à l'habileté et la probité des directeurs. Ces valeurs conviennent
mal, surtout dans les circonstances actuelles, aux personnes qui se
contentent de toucher paisiblement leurs dividendes.

Nous avons connu le chef d'une des plus importantes sociétés anonymes de
crédit, à qui sa direction valait des émoluments considérables.
Cependant, pour sa part, il ne possédait, de sa maison, que juste le
nombre d'actions nécessaire, d'après les statuts, pour appartenir au
conseil d'administration. Ce cuisinier, pourtant particulièrement expert
et adroit, se méfiait de sa propre cuisine. Combien le public ne doit-il
pas se méfier davantage, lui qui ne tient pas la queue de la poêle!

Le contrôle des actionnaires sur l'activité et les résultats des banques
est inexistant. Nuls bilans, nuls comptes rendus ne sont plus sommaires
que ceux de ces entreprises. Sous prétexte que des renseignements
fournis en Assemblée générale profiteraient aux concurrents et nuiraient
à la société, les administrateurs s'enferment dans le mystère. Pour les
suivre, il faut donc avoir la foi et les affaires d'argent veulent autre
chose qu'une foi aveugle.

On sait que les Banques se spécialisent dans les diverses manières de
pratiquer le commerce de l'argent. Il n'existe que d'assez lointains
rapports, par exemple, entre la _Banque de France_ qui émet du
papier-monnaie avec privilège de l'État et les établissements de crédit
qui, eux-mêmes, ont divers genres d'activité.

Les actions de la _Banque de France_ constituent un des placements
autorisés pour les remplois dotaux, ce qui ne veut pas dire qu'elles
soient à l'abri des fluctuations. Leurs cours ne se sont pas fait faute
de varier avec les bénéfices, eux-mêmes très variables, de la société.
La guerre a été favorable à la Banque qui, de son côté, a rendu
d'immenses services à l'État, peut-être trop, car elle en est devenue, à
tous les égards, surtout à celui du crédit, une dépendance. Elle y a
gagné le renouvellement de son privilège, ce qui la met à l'abri des
attaques dirigées contre elle dans le Parlement et dans la presse. Aussi
les cours sont-ils élevés. Le propre de la Banque de France est de
gagner plus d'argent en temps de crise, où le taux de l'intérêt est
élevé, que dans les temps calmes et prospères. On peut se régler
là-dessus pour acheter et vendre ses actions qui ont d'ailleurs
l'inconvénient d'être nominatives.

La _Banque d'Algérie_, qui joue dans notre grande possession africaine
le même rôle que la Banque de France dans la métropole, a enrichi assez
rapidement ses actionnaires au cours des dernières années. Avec le
développement de notre Afrique du Nord, elle peut avoir encore des
perspectives. Pourtant les personnes qui entreraient aujourd'hui dans
cette valeur ne doivent pas, semble-t-il, compter que les cours seront
en perpétuelle ascension. On peut en dire autant de la _Banque de
l'Afrique Occidentale_ qui a pourtant des chances de se développer avec
cette colonie d'avenir. Quant à la _Banque d'Indo-Chine_ elle a à
compter avec les crises monétaires si fréquentes en Extrême-Orient et
avec l'instabilité des choses asiatiques.

Les grands établissements de crédit, qui sont comme le Louvre et le Bon
Marché de la finance, se livrent à des opérations bien différentes. Ils
se règlent sur le modèle du _Crédit Lyonnais_ dont la principale
industrie consiste d'abord à attirer les déposants par des commodités
comparables à celles des grands magasins, ensuite à ne leur servir qu'un
intérêt très faible, et à employer ces dépôts d'une manière sûre et plus
fructueuse, la différence formant le bénéfice de l'établissement.
D'autre part, ces maisons aux succursales multiples placent dans leur
large clientèle des titres sur lesquels elles touchent des commissions
souvent considérables, mais dont l'actionnaire ne connaît jamais le
montant, qui fait partie du secret de la direction.

C'est pourquoi nous conseillons fermement de ne pas accepter les yeux
fermés les titres recommandés par les agences des établissements de
crédit, peu regardants sur la qualité du papier qu'ils placent pourvu
qu'ils touchent la commission. Le public a fait cette expérience à ses
dépens sur une large échelle et il a appris que les magasins de valeurs
écoulaient, comme le plus vulgaire épicier, des marchandises avariées
sans égard pour leur clientèle. Bien que la foule des gogos soit
innombrable et se renouvelle sans cesse, on peut penser que les
établissements de crédit auront quelque difficulté à continuer ce genre
de commerce. D'autre part, il n'est pas certain qu'ils puissent
persister à faire fructifier leurs dépôts de la même façon que par le
passé et à appliquer la maxime: «Les affaires, c'est l'argent des
autres.» A tous les points de vue, les établissements de crédit ont
abusé du public. En se désintéressant de l'industrie française, ils
n'ont pas acquis la gratitude de la collectivité. La formule grâce à
laquelle ils réalisaient des bénéfices semble bien périmée. En
trouveront-ils une autre qui soit sûre et productive? Les signes n'en
paraissent pas encore. Enfin la situation de certaines de ces maisons
est pénible; c'est le moins qu'on en puisse dire. Leurs actions offrent
donc peu d'attraits.

Il y a un troisième genre de banques, dont la _Banque de Paris et des
Pays-Bas_ est le type, qui ont pour spécialité de lancer des affaires et
de gérer un vaste portefeuille de fonds d'États et de valeurs
industrielles et autres. L'actionnaire de ces banques s'en remet à la
compétence de la direction. On a dit que c'était un moyen, pour le
rentier paisible et privé de connaissances particulières, de participer
à un patrimoine administré par des hommes du métier et de s'intéresser
sans risque à l'industrie. C'est vrai. Seulement on ne voit guère que
ces banques enrichissent leurs actionnaires, ce qui est la preuve de ce
que nous avons dit plus haut des valeurs industrielles qui, l'une dans
l'autre, les bonnes compensant les mauvaises, finissent par laisser leur
possesseur Grosjean comme devant. La variété même des entreprises
auxquelles s'intéressent les banques de ce genre, si elle constitue
d'une part une assurance, leur interdit d'autre part d'espérer de
notables plus-values.

Quant aux banques étrangères, d'une façon générale, il convient de les
laisser de côté. Aux aléas propres au commerce de l'argent, elles
joignent trop d'inconnu. Ne peuvent toucher à ce domaine que des
personnes très bien renseignées.

Restent enfin les crédits fonciers et les sociétés immobilières. Ces
établissements ont eu une grande vogue et des jours heureux durant les
années qui ont précédé la guerre. Il n'en a pas toujours été ainsi. Le
_Crédit foncier de France_, (aujourd'hui si solide qu'en 1914 il a
refusé de se prévaloir du moratorium et qu'il a payé à guichets ouverts)
a connu autrefois de bien tristes moments. Heureusement l'expérience lui
a profité. Le sort cruel de la société des _Immeubles de France_ ne doit
pas être oublié non plus.

Les résultats de ces établissements dépendent pour une part du sérieux
de leur gestion et, pour l'autre, de la valeur de la propriété rurale et
urbaine. Quand cette valeur est stable ou en ascension, quand les prêts
ne sont consentis qu'avec des garanties sérieuses, quand la direction ne
se livre pas à des spéculations téméraires, les résultats sont
satisfaisants. Mais il faut que ces conditions soient réunies.

Dans les pays neufs, les crédits fonciers ont un vaste champ d'activité.
C'est le cas des crédits fonciers du Canada et de la République
Argentine où des capitaux français sont intéressés. Il ne faut pas
oublier pourtant que les pays neufs sont sujets à des crises profondes.

Il est plus sage d'ailleurs d'acquérir des obligations plutôt que des
actions des crédits fonciers. Les obligations du Crédit foncier de
France ont une réputation de solidité très méritée. En dehors des
sociétés que nous venons de citer, il existe en Égypte et dans les pays
Scandinaves des Banques hypothécaires dont les obligations, cotées à la
Bourse de Paris, sont convenablement garanties. C'est un bon élément de
diversité dans les portefeuilles.



CHAPITRE XIV

LA SPÉCULATION ET LA BOURSE

Dangers de la spéculation à terme.--La partie est inégale et
déloyale.--Ceux qui jouent à coup sûr contre ceux qui jouent à
l'aveuglette.--La contre-partie.--La spéculation au comptant.--Dans
quelle mesure on peut s'y livrer.--Les arbitrages.--Nécessité d'une
étude attentive des mouvements de Bourse: c'est une science et un
métier.--Conseils pour la vente et l'achat des valeurs et la gestion des
patrimoines.--Dangers des engouements et des paniques.


La spéculation consiste essentiellement à vendre des marchandises qu'on
ne possède pas ou bien à acheter des marchandises sans avoir l'argent
qu'il faudrait pour les payer. Dans le premier cas, on parie que le prix
de la marchandise diminuera, et l'on joue à la baisse. Dans le second
cas, on parie que ce prix montera et l'on joue alors à la hausse.

On spécule ainsi sur les métaux, la farine, le café, etc... A la Bourse
des valeurs, les marchandises sont des fonds d'État, des actions, des
obligations. Ce jeu est organisé. Il est légal autant que celui des
courses. Il n'en constitue pas moins un des moyens les plus immoraux qui
soient de détrousser le public à qui les agents de change, officiers
ministériels, offrent le moyen de perdre son argent.

Nous n'exposerons pas le mécanisme de la spéculation à terme. On sait,
en gros, qu'il suffit de fournir une «couverture» suffisante et de payer
les intérêts de quinzaine ou «reports» pour se livrer à ces opérations.
Les lecteurs de cet ouvrage n'ont besoin de connaître qu'une chose: les
raisons qu'il y a de ne jamais céder à la tentation de mettre le doigt
dans cet engrenage, ni aux tentateurs qui promettent monts et
merveilles.

On cite des fortunes qui se sont faites à la Bourse. Ces bénéfices n'ont
pu être obtenus que par la ruine d'autres joueurs. En face des gagnants,
il y a les perdants. On peut dire que les uns et les autres se recrutent
dans deux catégories éternelles: les naïfs qui se fient à la chance ou à
des raisonnements mal étayés et qui sont généralement victimes d'une
réclame éhontée, et les habiles qui disposent, non seulement de vastes
capitaux et de puissants moyens par lesquels ils peuvent au besoin
influencer le marché, mais encore de renseignements qui ne sont pas à la
portée des simples mortels. La partie n'est pas égale. Les dés sont
pipés et c'est la lutte du pot de terre contre le pot de fer.

Deux exemples aujourd'hui historiques suffiront, pensons-nous, à
dégoûter de jamais tenter la chance de la Bourse. On sait que la
première guerre balkanique, celle de 1912, fut engagée par l'initiative
du roi Nicolas de Monténégro. Ce prince peu scrupuleux se livrait à
l'agiotage, et, cette fois, il s'y livra à coup sûr car, en déclarant la
guerre à la Turquie, il détermina lui-même une chute des cours sur tous
les marchés européens. Il était donc certain de gagner en prenant à
l'avance une position à la baisse. De même, dans l'été de 1914, le
fameux baron Rosenberg et quelques autres financiers austro-allemands de
Paris qui savaient que la guerre était imminente et décidée par
l'Allemagne, empochèrent de nombreux millions en vendant de la rente
française, ce qui constituait à leurs yeux une simple avance sur la
contribution dont Guillaume II se proposait de frapper la France
vaincue.

On voit combien il est téméraire et même absurde, dans ces conditions,
d'affronter les risques de la Bourse. Le vulgaire joue les yeux fermés
contre des gens qui connaissent le dessous des cartes. Il joue, en
outre, avec des ressources faibles et limitées contre des détenteurs de
capitaux considérables. Sans compter que les calculs les plus savants
peuvent être dérangés par des événements imprévus. Il est arrivé de se
tromper à Talleyrand lui-même qui trafiquait à la Bourse de ses
renseignements diplomatiques et de son expérience. A plus forte raison,
l'homme qui ne suit la marche des choses que d'après des journaux
souvent influencés à dessein par les grands spéculateurs, ou qui s'en
rapporte à de vagues «on dit», à ce que l'on appelle des «tuyaux»,
est-il condamné d'avance à perdre, croyant à son flair après quelques
occasions où la chance l'aura servi.

Comment lutter, par exemple, avec ce banquier qui, averti
professionnellement par des signes ignorés des profanes, suppute les
variations prochaines du marché de l'argent avec un risque d'erreur
minime? Comment lutter encore avec ces administrateurs d'une société qui
savent, trois mois avant tout le monde, si le dividende sera augmenté ou
diminué, si le titre montera ou baissera, et qui, souvent, propagent des
bruits exactement contraires à la vérité? Ce qu'on appelle la
_contre-partie_ n'est pas seulement la basse escroquerie d'intermédiaire
véreux. Faire le contraire de ce qu'on dit est l'usage de la Bourse. Les
vieux Parisiens ont souvent conté l'histoire de ce financier qui, tous
les jours, et jusqu'en famille, répétait: «Les Lombards vont bien. Les
Lombards monteront.» Et son fils, jeune homme sans expérience, de se
mettre à la hausse sur les Lombards. La baisse n'ayant pas tardé à se
produire, le fils fit des reproches à son père. «Imbécile, lui dit
l'autre, sache donc que je m'entraînais à dire que les Lombards allaient
bien parce que j'étais moi-même vendeur, sachant qu'ils allaient mal.»

En résumé, nous ne saurions assez conseiller de fuir les spéculations de
Bourse, qui ont ruiné tant de malheureux imprudents, et de fermer
l'oreille aux suggestions de courtiers malhonnêtes et intéressés, qui
proposent des combinaisons mirifiques.

Par contre, il est tout à fait inoffensif et même recommandable, lorsque
le marché à terme est en pleine activité, d'y recourir pour acheter des
titres dont on se propose d'obtenir livraison ou pour vendre des valeurs
que l'on possède effectivement. Le marché à terme, plus large que le
marché au comptant, permet d'opérer sur de plus grandes quantités et
avec de moindres variations de cours. Ce qu'on doit éviter et regarder
comme un jeu pire que le baccara ou la roulette, c'est l'achat ou la
vente à découvert, c'est-à-dire sans argent pour lever les quantités
achetées ou sans titres pour livrer les quantités vendues.

                                   *

                                 *   *

Les opérations au comptant n'offrent pas les mêmes risques et elles
peuvent augmenter les revenus des personnes adroites et prudentes. Au
fond, l'acquéreur d'une valeur mobilière, comme celui d'une maison ou
d'un pré, pense toujours faire une bonne affaire et espère une
plus-value. D'autre part, comme nous l'avons vu, il est imprudent de
s'endormir sur le portefeuille en apparence le mieux composé. Il y a des
valeurs qui vieillissent et qu'on a intérêt à vendre pour les remplacer
par d'autres. Le rentier modeste lui-même, nous l'avons dit plus haut,
ne doit pas cesser de se renseigner, d'être vigilant et actif autant
qu'économe, sous peine de voir son capital fondre par l'usure du temps.

Le capitaliste intelligent, sans se départir de la plus stricte
prudence, peut faire de temps en temps, dans la composition de ses
valeurs, des changements avantageux qu'on nomme en Bourse des
_arbitrages_. Les titres les plus solides sont sujets à des fluctuations
que l'homme avisé sait mettre à profit. Remplacer une valeur par une
autre de la même catégorie et de la même qualité en réalisant un
bénéfice, parfois léger sans doute, mais absolument sûr, est une
opération recommandable, une occasion que le père de famille se doit de
ne pas laisser échapper.

Le type de l'arbitrage sans danger est fourni par nos obligations de
chemins de fer, considérées comme valeurs de tout repos. Les obligations
3 p. 100 des grandes compagnies françaises et algériennes donnent lieu
chaque jour à des transactions abondantes. Elles offrent souvent des
différences de cours sensibles dont il faut savoir profiter. Leurs
échéances étant variées, il est possible aussi, par des arbitrages
adroits, de toucher non pas deux coupons semestriels seulement, mais
trois ou quatre. Les boursiers désignent dédaigneusement du nom de
«margoulins» ceux qui se livrent à ce trafic modeste. C'est parfois,
pour les personnes oisives et qui n'ont pas mieux à faire, un moyen de
doubler le revenu de valeurs d'un rendement réduit, mais sûr. Il va sans
dire, d'ailleurs, que pour se livrer à des arbitrages, il faut laisser
ses titres au porteur et ne pas les mettre au nominatif.

Les personnes très attentives, qui ont le don de l'observation et de la
mémoire, peuvent développer les opérations au comptant. Certaines
valeurs ont des hauts et des bas périodiques, un rythme plus ou moins
régulier. Les personnes qui ont étudié ces mouvements peuvent vendre ou
acheter tour à tour avec bénéfice. Ce genre de spéculation ne peut
porter d'ailleurs que sur un tout petit nombre de valeurs qui exigent
des spécialistes. C'est une véritable science qui n'est pas, elle non
plus, à la portée de tout le monde. Les profits qu'elle peut donner
récompensent un travail assidu. C'est, dans toute la forme du terme, un
métier. On ne peut donc l'exercer sans application et sans étude. Dans
son _Manuel du spéculateur_, Proudhon, de son temps, décrivait ainsi la
besogne du petit nombre des privilégiés qui savent gagner de l'argent à
la Bourse:

  Les prudents, disait-il, font, d'un bout de l'année à l'autre, des
  opérations d'arbitrage. Ce sont des capitalistes qui n'achètent jamais
  au delà de leur fortune disponible. Ils profitent de la baisse pour
  placer leurs fonds et se contentent, en attendant la hausse, de palper
  leurs dividendes. Ils réalisent leur avoir quatre, cinq ou six fois
  par an, plus ou moins, selon les circonstances. Ils vont du Mobilier
  au Foncier, du Foncier à la Rente, de la Rente aux Chemins de fer, des
  Chemins de fer aux Petites Voitures, etc...

Encore ne faut-il pas exagérer ce genre de trafic. Il importe de s'y
livrer avec assez d'à-propos pour ne pas jouer la fable de l'homme qui,
à la fin, se trouvait avoir changé un boeuf contre un oeuf. En outre, le
plus habile ne peut se flatter d'apprécier avec exactitude le moment où
une valeur atteint le tuf de la baisse ou l'apogée de la hausse. Il y a
là une part d'incertitude sans compter qu'à trop étendre son clavier et
à courir d'une valeur à l'autre on risque, au lieu d'agir à coup sûr, de
se charger de titres qu'on connaît peu ou mal.

Hâtons-nous d'ajouter que ce métier stérile pour la société n'est pas de
ceux où nous voudrions voir entrer la jeunesse nouvelle qui, avant tout,
doit produire. Ces exercices conviennent à des invalides ou à des
vieillards.

                                   *

                                 *   *

Comme en toutes choses, la modération et le bon sens constituent les
qualités maîtresses nécessaires à la conservation et à l'accroissement
d'un patrimoine. Pour administrer une fortune, il faut de la réflexion
et un jugement qui s'acquiert par l'expérience. Combien de personnes,
étourdies, crédules ou présomptueuses n'ont jamais fait que des
placements malheureux! Contre leurs propres entraînements ou contre les
exploiteurs, doivent être en garde, surtout, les veuves, les novices qui
héritent d'une fortune, et toutes les personnes qui, habituées à un
travail intellectuel, sont accessibles aux idées générales et promptes
d'imagination, mais que leur profession a toujours éloignées de la
pratique des affaires, comme les médecins, les officiers, les
ecclésiastiques. C'est dans cette catégorie qu'une réclame financière
impudente fait le plus de dupes et qu'on s'abandonne le plus facilement
à l'illusion que, sans études préalables, avec de l'inspiration, il est
facile de gérer et d'accroître ses capitaux.

Vendre, acheter, arbitrer ne doit se faire qu'à bon escient et à tête
reposée. Il est aussi dangereux de céder aux engouements qu'aux
paniques. Les professionnels de la Bourse savent très bien que le public
achète à la hausse et vend à la baisse. C'est ainsi qu'en peu de temps
on se ruine au profit des malins à l'affût des bons coups. Quand on
s'aperçoit qu'une valeur périclite ou qu'elle est en danger, il faut
s'en défaire sans hâte et avec sang-froid sans jeter le paquet
par-dessus bord et à n'importe quel prix. L'homme maladroit, l'impulsif
achète toujours au plus haut et vend au plus bas. L'homme réfléchi
s'engraisse à ses dépens.

Que l'on commence par diviser judicieusement sa fortune selon les règles
que nous avons données et l'on supportera avec calme les vicissitudes
des valeurs mobilières. Nous avons vu, en 1905 comme en 1917, les
personnes qui possédaient une quantité raisonnable de fonds russes
demeurer paisibles, et attendre des jours meilleurs. Les autres
s'énervaient et, atteintes dans une partie essentielle de leur revenu,
perdaient la tête et vendaient avec une grosse perte, croyant tout
compromis. Pourtant, depuis que la Russie a suspendu ses paiements, le
cours des rentes russes s'est relevé à plusieurs reprises quand les
événements ont laissé espérer la chute du bolchevisme.

En même temps, il faut savoir ne pas reculer devant un sacrifice
indispensable et nécessaire. Mieux vaut, dit la sagesse des nations, se
couper un bras que de perdre sa tête. L'entêtement est aussi funeste que
la précipitation. Parce qu'une valeur a été bonne à un moment donné, ce
n'est pas une raison pour qu'elle le redevienne. Beaucoup de gens
pensent le contraire. Or, nous l'avons vu, il y a des valeurs qui
meurent. Si l'on cherche, selon l'expression consacrée, à se faire une
«moyenne» en achetant de nouvelles quantités des titres qui ont baissé,
on risque tout simplement d'aggraver sa perte. Les actions des chemins
de fer de Paris-Lyon, qui passaient pour des valeurs de pères de
famille, n'ont cessé de s'effriter depuis vingt ans. Quiconque se serait
acharné à acheter de ces actions pour se faire une moyenne n'aurait
réussi qu'à multiplier la perte contre laquelle il aurait cherché à se
couvrir.

Nous croyons en avoir dit assez pour convaincre nos lecteurs de la
précarité et de la fragilité des valeurs mobilières. Seuls le travail et
l'épargne conservent les fortunes après les avoir créées. Il faut y
joindre, pour la bonne gestion de ses biens, la sagesse, la prudence, le
savoir et la raison.



CHAPITRE XV

LE CAPITALISTE, LES IMPOTS ET LES LOIS

Multiplication et aggravation des impôts.--La tentation d'y
échapper.--Dangers de la fraude et de la dissimulation en ce qui
concerne l'impôt sur le revenu et les droits de succession.--L'intérêt
des patrimoines et des familles ne s'accorde pas toujours avec les dons
de la main à la main et les partages secrets.--Quelques cas et quelques
exemples.--Divers moyens employés pour se soustraire aux
impôts.--Trésors et cachettes.--Dépôts de titres et de fonds à
l'étranger: écueils à éviter.--Les échanges de renseignements entre les
États.--Péril des doubles taxations.--Une précaution légitime: la
provision dans une banque anglaise ou américaine.--Conclusion et
moralité de ce chapitre.


L'insécurité des capitaux menace de s'accroître par le fait du désordre
économique et politique que la guerre a répandu à travers le monde.
D'autre part, la tendance de la société moderne est de traiter en
ennemis le capital et la fortune acquise. L'État ayant en outre besoin
de ressources considérables les demande à une taxation de plus en plus
sévère. La jalousie démocratique et les exigences budgétaires conspirent
à multiplier les impôts aux dépens de l'épargne la plus honnête.

Si l'ingéniosité du fisc est grande, celle du contribuable ne l'est pas
moins. De tout temps la matière imposable a cherché à s'échapper.
L'esprit de dissimulation et de fraude se développe en raison même du
poids des impôts. Toutefois, au temps où nous sommes, l'État pourchasse
et traque toujours plus étroitement les fraudeurs et cherche à les
saisir de toutes parts dans le réseau de ses dispositions légales. Il
importe donc de savoir à quels inconvénients ou à quels dangers
s'exposent les personnes qui, n'étant pas assez convaincues de la
nécessité du devoir fiscal, veulent esquiver les taxes et les impôts.

L'impôt sur le revenu est celui auquel le contribuable est le plus tenté
de se soustraire, au moins partiellement. La déclaration est libre et le
contrôle est encore vague, le système n'étant en France qu'au début de
son application.

Cependant il serait imprudent de croire que l'administration restera
toujours indulgente et désarmée. A mesure que l'impôt sur le revenu
prendra de l'âge, les renseignements se multiplieront chez le
percepteur. Chaque contribuable aura sa fiche, enrichie des informations
fournies par d'autres administrations, celles de l'enregistrement en
particulier. Peu à peu le revenu des particuliers sera saisi à toutes
ses sources et des surprises désagréables seront réservées aux
dissimulateurs[11]. Déjà, en effet, les amendes atteignent des taux
énormes et elles pourront aller jusqu'à la confiscation totale des
sommes dissimulées.

  [11] Inutile, pensons-nous, d'ajouter que la sincérité est obligatoire
    pour les personnes dont les titres sont déposés dans les banques et
    les établissements de crédit où les comptes sont à ciel ouvert.

Pour être productif, l'impôt sur le revenu doit être extrêmement sévère
et ne faire grâce de rien. C'est ainsi qu'il fonctionne dans les pays où
il est appliqué depuis longtemps. Un exemple tiré de la Prusse sur
laquelle nos législateurs ont copié ce système et où il a atteint la
perfection dans la tyrannie caporaliste, montrera comment une
administration vigilante et bien outillée réussit à capter toutes les
sources des revenus.

Un Français, précepteur dans une riche famille prussienne, avait, selon
la loi, déclaré ses appointements et se croyait ainsi en règle. Quelque
temps après, il est appelé chez le percepteur et le dialogue suivant
s'engage: «Monsieur, dit le fonctionnaire, j'ai le regret de vous dire
que votre déclaration n'est pas complète. Vous avez bien
inscrit vos gages. Mais vous êtes logé au château, si je ne me
trompe?--Parfaitement.--A quel étage, je vous prie?--Au second.--C'est
donc, d'après la valeur locative de la commune, la somme de tant que
j'ajoute. Et vous prenez vos repas? A la table de famille?--En
effet.--Nourriture de choix. Tant pour la nourriture... Un mot encore.
Vous buvez du vin? de la bière?...--De la bière.--C'est donc tant pour
la boisson.»

Avec cela, le contribuable n'était pas quitte. Un jour, ses parents lui
envoient de France un petit fût de vin. Et bientôt le percepteur le
rappelle: «Monsieur, lui dit-il, vous avez déclaré que vous buviez de la
bière à vos repas. Mais la régie m'apprend que vous avez reçu du vin.
Vous allez donc boire du vin pendant quelques semaines. C'est un
supplément que je dois ajouter à vos ressources normales.»

Il est peu probable que les moeurs françaises s'accommodent jamais d'un
régime aussi méticuleux et aussi inquisiteur, ou bien il échouera sur la
résistance de l'esprit public. Mais il n'est pas douteux que l'impôt sur
le revenu, après la tolérance des débuts, deviendra de plus en plus
strict si l'on veut qu'il dure et qu'il produise quelque chose. Et les
moyens d'information du fisc s'étendront et se préciseront, surtout pour
la fortune acquise. La fraude et la dissimulation partielles resteront
sans doute possibles. Les personnes qui voyagent pourront toujours, par
exemple, toucher des coupons à l'étranger. Mais ceux-là dont la
conscience ne répugne pas au mensonge doivent bien savoir qu'un moment
arrive où le fisc reprend ses droits: c'est à l'ouverture des
successions. Quiconque se préoccupe de ses héritiers, de sa femme et de
ses enfants, doit savoir qu'une déclaration inexacte de son revenu les
expose, après sa mort, à des amendes et à des confiscations.

Les droits de succession constituent en France un élément important des
ressources publiques. On frappe de préférence les morts parce qu'ils ne
crient pas et qu'ils ne votent pas. Le législateur a donc été conduit à
prévenir et à réprimer les évasions par tous les moyens en son pouvoir.
De plus en plus, l'État tendra à intervenir au moment des décès pour
empêcher les héritiers de se soustraire aux taxes. C'est ainsi que
l'envoi en possession est soumis à des conditions sévères. Les
coffres-forts loués à deux noms (ordinairement celui du mari et de la
femme) dans un établissement de crédit sont l'objet d'une réglementation
particulière, de même que les _comptes joints_ dans les banques. Ces
anciens moyens de fraude sont éventés.

Reste toujours la possibilité de partager de l'argent, ou des valeurs
mobilières au porteur, de la main à la main. Nul n'ignore que cette
pratique est courante dans les familles. Quand cette soustraction et ce
partage s'étendent à des sommes considérables, il y a cependant
plusieurs risques qu'on ne doit pas méconnaître.

En premier lieu, les héritiers doivent savoir que la déclaration faite
par le défunt pour l'impôt sur le revenu sert de contrôle à
l'enregistrement pour la déclaration de la succession. C'est la
contre-partie du cas que nous avons envisagé tout à l'heure et où le
fisc trouvait dans la succession plus que le _de cujus_ n'avait annoncé
pour son revenu annuel. Si le fisc trouve moins, ce n'est plus le mort
qu'il frappera par une lourde amende. Ce sont les héritiers eux-mêmes
qu'il poursuivra pour fraude et pour vol. L'époux survivant ou les
enfants qui conservent ou se distribuent une somme d'argent liquide
importante ou des titres au porteur doivent s'assurer au préalable
qu'ils ne feront pas dans la fortune du défunt un trou capable d'attirer
l'attention du fisc et ils devront se mettre d'accord avec le revenu
déclaré dans les dernières années du conjoint ou des ascendants.

A ces partages qui ne laissent pas de traces, il y a un autre
inconvénient. Les inventaires et les actes de succession sont destinés à
protéger les patrimoines et à empêcher qu'ils ne passent entre des mains
étrangères. Un héritage qui n'est pas constaté par un acte authentique
risque souvent d'échapper à la famille à laquelle il doit appartenir
d'après la nature et la loi. Nous connaissons des cas très divers où des
héritiers ont eu lieu de regretter de s'être partagé entre eux une
fraction de la succession pour échapper aux taxes. Ainsi un fils marié
meurt sans enfants: la part de l'héritage paternel non constatée par le
notaire grossit la fortune de sa femme et passe ensuite à un nouveau
mari ou à des neveux de l'autre branche. Même résultat en cas de
séparation de biens et de divorce, la fraction soustraite étant tombée
dans la communauté. Enfin des enfants qui ont laissé par ce procédé une
partie de la fortune paternelle ou maternelle aux mains de l'époux
survivant pour éviter la double taxe sont exposés à se voir un jour
frustrés par le remariage du survivant. Quand on tourne la loi, on
renonce aussi à ses garanties.

Tous ces arrangements, pris dans l'idée de soustraire aux atteintes du
fisc la plus grande partie possible d'un patrimoine, reposent en général
sur l'idée que la famille restera toujours unie ou que ses membres
seront frappés par la mort dans l'ordre naturel. Il n'en est
malheureusement pas toujours ainsi. C'est pourquoi, sauf exceptions tout
à fait motivées, les parents doivent être en garde contre les partages
anticipés. Il y a danger, pour les mêmes raisons, à ne pas faire figurer
dans un contrat la totalité d'une dot pour échapper aux droits de
donation.

                                   *

                                 *   *

Les temps dans lesquels nous sommes entrés nous ramènent aux époques où
la richesse cherchait à se défendre par toutes sortes de ruses et de
cachettes contre les exactions et les brigandages. Les fortunes menacées
s'efforcent de se dissimuler ou de se transformer de telle façon que le
possesseur, au milieu des bouleversements et des incertitudes de
l'époque, puisse mettre une part de ses biens à l'abri du fisc et aussi,
en cas de besoin, retrouver une valeur réelle. Sous des formes modernes,
la pratique du trésor, si répandue dans les siècles et dans les pays
barbares, tend à s'imposer de nouveau. La crainte de l'impôt et le doute
qui commence à s'attacher au papier (valeurs et même billets de banque),
incitent beaucoup de personnes à se créer une sorte de réserve en
nature, constituée d'objets précieux d'un petit volume et facile à
transporter.

Cet usage est resté courant dans les pays asiatiques, parmi lesquels il
faut comprendre la Russie. Nous avons connu un riche négociant français
de Moscou qui, prévoyant la révolution, portait constamment sur lui une
bourse remplie de pierres précieuses, s'assurant ainsi contre les
risques d'une spoliation qui, d'ailleurs, sous le régime bolchevik, ne
devait pas tarder. De même les monastères orthodoxes, dont quelques-uns
possédaient des richesses considérables, enfouissaient des diamants et
des perles, plus aisément maniables que des lingots et qui représentent
une valeur universellement négociable. En Allemagne, en Autriche, les
mêmes pratiques ont été observées depuis la débâcle du papier et
l'imminence d'impôts extraordinaires sur les fortunes.

La nature humaine, à travers les âges et les climats, reste la même.
L'ébranlement de l'ordre social ramène les usages des temps primitifs.
Depuis la guerre, on a vu beaucoup de personnes acheter des bijoux, de
l'argenterie et même des toiles de maîtres, afin de représenter au moins
une partie de leur fortune autrement que par du papier. Encore s'agit-il
de ne pas remplacer une valeur qu'on croit artificielle par une autre
valeur qui peut le devenir, ce qui est en particulier le cas de la
peinture dont le prix est affaire de mode et aussi affaire de
circonstances. Au cas d'un grand bouleversement de la société comme
celui dont la Russie a été le théâtre, un Raphaël ou un Titien ne sont
pas une marchandise d'un placement facile ou avantageux.

Beaucoup de personnes sont tentées par le fait que les objets d'art,
depuis quelques années, ont monté d'une façon extraordinaire et ont
souvent enrichi leurs possesseurs. Outre qu'il y a des exceptions, il
faut s'attendre à des dépréciations lentes ou brusques dont plus d'un
collectionneur a déjà fait l'expérience.

L'_impôt sur le capital_, devant lequel le gouvernement français a
reculé jusqu'ici, doit également être pris en considération. Si cet
impôt devait entrer un jour dans nos lois, il n'est pas douteux qu'il
atteindrait les mobiliers. En Hollande, où cet impôt existe, le fisc
contrôle les déclarations des contribuables qui doivent, sur
réquisition, ouvrir leur maison et leurs tiroirs. Il devient alors
coûteux de posséder trop de belles choses. Et l'on ne pourrait jurer que
l'État, pour faire face à ses besoins, n'en viendra pas là. La taille,
la dîme et la gabelle paraîtront douces en comparaison.

                                   *

                                 *   *

Les dépôts d'argent ou de titres dans les banques étrangères sont un
procédé couramment employé. En France, beaucoup de personnes y avaient
eu recours avant 1914 pour échapper à l'impôt sur le revenu qui, alors,
était un épouvantail. Pour être efficace, cette mesure doit s'entourer
de nombreuses précautions. Les occasions d'erreur sont nombreuses. Ce
n'est pas seulement la banque qui doit être choisie avec grand soin mais
encore la nationalité et le siège de ces banques. Ainsi la Belgique
avait été considérée comme un lieu de refuge très sûr. Or la Belgique,
malgré sa neutralité, a été envahie la première. Pendant tout le temps
de la guerre les personnes qui n'avaient pas retiré leurs dépôts ont été
privées de leur revenu et, si l'Allemagne eût été victorieuse, elle eût
certainement confisqué leur capital.

On se tromperait surtout si l'on s'imaginait qu'il suffit, pour abriter
sa fortune, de lui faire passer la frontière, en suivant les
sollicitations intéressées des banques étrangères. Il faut connaître
d'abord la législation de l'État dans lequel on envoie son argent si
l'on ne veut pas s'exposer à payer, par exemple, deux fois l'impôt sur
le revenu ou exposer ses héritiers à payer deux fois des droits de
succession, dans leur pays et dans le pays de refuge. La même remarque
s'impose, bien entendu, pour l'achat d'immeubles à l'étranger.

Durant les premières années du XIXe siècle, le gouvernement français
avait déjà cherché à conclure avec les gouvernements étrangers des
accords destinés à établir un échange de renseignements au sujet des
dépôts de leurs ressortissants. L'exemple avait été donné dès 1843 par
une convention passée par l'administration française et l'administration
belge pour la perception réciproque des droits d'enregistrement. Il
résulte de cette convention que tous les actes dont l'enregistrement
belge a connaissance passent immédiatement à l'enregistrement français.
Les personnes de nationalité française qui se proposaient de dissimuler
de l'argent en Belgique devaient donc faire bien attention qu'en aucun
cas leurs opérations ne donnassent lieu à des actes susceptibles d'être
enregistrés dans ce pays.

Il y a plus: en 1907, une entente franco-anglaise a établi un régime
précis d'échanges de renseignements au sujet des successions des
ressortissants des deux pays. Le gouvernement britannique fournit donc
au gouvernement français toutes les indications qu'il a recueillies
lui-même sur l'héritage, en prélevant pour son compte les droits
successoraux. D'où il résulte que les héritiers ont à payer les taxes
françaises après les taxes anglaises, et ce doublement de droits qui
sont également lourds des deux côtés de la Manche peut aller, pour de
grosses sommes, jusqu'à une confiscation des deux tiers.

Étant donné que les États vont être pendant de longues années à l'affût
de toutes les ressources et qu'ils pourchasseront le capital, il est
possible que ces arrangements s'étendent et se multiplient et qu'ils
s'appliquent aux divers impôts, y compris l'impôt sur le revenu. Le
capitaliste français fera donc bien de s'informer avant d'envoyer son
argent au dehors, s'il ne veut pas imiter Gribouille. Il est à penser
que d'ici peu de temps, en procédant à leur réorganisation financière,
les États alliés vont chercher à resserrer la surveillance autour de
ceux qu'on appelle déjà les «déserteurs de l'impôt».

Il restera sans doute des pays qui seront heureux d'attirer les capitaux
en leur assurant un traitement privilégié. Tel a été jusqu'à présent le
cas de la Suisse. Reste à savoir si cet état de choses durera, si pour
des raisons intérieures ou extérieures (pression diplomatique de ses
voisins, par exemple), la Suisse, malgré la diversité de législation de
ses cantons, n'en viendra pas aussi à restreindre son droit d'asile.

Il va sans dire que des pays exotiques, sud-américains par exemple,
seraient heureux d'accueillir des capitaux français sans les dénoncer.
Mais là, c'est la sécurité qui manque. Quant aux États-Unis, ils en sont
encore à l'âge d'or du capitalisme. Le droit de propriété et le secret
des affaires y sont regardés, jusqu'ici, comme à peu près inviolables et
l'État de New-York est particulièrement renommé pour son libéralisme à
cet égard.

Nous ne conseillerons jamais à personne de mettre tous ses oeufs dans le
même panier et de confier _tous_ ses titres en dépôt à une _seule_
banque, fût-elle américaine. Cependant il peut être utile de déposer
quelque argent ou un certain nombre de valeurs chez un ou plusieurs
banquiers américains jouissant d'un solide crédit. C'est une assurance
contre les catastrophes qui, éventuellement, pourraient encore menacer
l'Europe. Nous voyons tous les jours des Russes qui, contraints
d'émigrer, ne sont pas réduits à la misère dans leur exil parce qu'ils
avaient, en temps calme, prévu la possibilité des orages.

Sans aller jusqu'aux hypothèses tragiques, il est toutefois
recommandable pour les personnes qui font des affaires avec l'étranger
ou qui voyagent fréquemment à l'étranger d'avoir une provision dans une
banque anglaise ou américaine. Il est malheureusement à craindre que,
d'ici longtemps, nous ne revoyions plus le franc au cours qu'il avait
autrefois sur tous les marchés du monde. A la suite de la guerre, le
change sur les places étrangères nous est devenu défavorable et il est
probable qu'il le restera pendant une période prolongée. La livre
sterling et surtout le dollar seront exposés à moins de variations. Il
peut donc être utile de stabiliser d'avance une certaine somme pour ne
pas être victime, en cas de besoin, d'une brusque tension du change et
d'une dépréciation de la monnaie française.

Nous conclurons ce chapitre en disant que la prudence est légitime mais
que la fraude n'est pas toujours prudente. Elle fait souvent tomber de
Charybde en Scylla celui qui y a recours. Enfin le bon citoyen doit se
dire que le devoir fiscal est un devoir comme un autre et qu'après une
guerre où toutes les fortunes se seraient englouties sans la victoire,
le sacrifice d'argent n'est rien auprès du sacrifice du sang. La fraude
n'est excusable que quand l'État ne remplit plus sa tâche essentielle,
qui est de donner la sécurité à la nation, ou quand il ne garantit plus
la propriété et qu'il confisque arbitrairement les biens.



CHAPITRE XVI

TÂCHES ET BESOINS DU TEMPS PRÉSENT

Transformations et nécessités.--Le besoin de produire.--Les capitaux
sont la réserve des producteurs.--Aux générations nouvelles.--Le
«tempérament d'obligataire» et le «tempérament d'actionnaire».--Français
et Allemands.--Perspectives d'avenir.--La France ne peut plus être un
«pays de rentiers».


Les principes que nous avons exposés et les conseils que nous avons
donnés dans ce livre sont destinés à servir de guide pour conserver les
patrimoines et en prévenir, autant que possible, la dissolution. Les
méthodes que nous recommandons, appuyées sur le raisonnement et sur
l'expérience, sont donc avant tout _conservatoires_. Et c'est déjà
beaucoup, nous l'avons vu, quand on arrive à ce résultat que les
capitaux péniblement amassés ne se volatilisent pas.

Garder une fortune par le discernement, la prudence et l'économie, la
transmettre intacte à ses successeurs, c'est difficile et c'est même
très beau. Toutefois les temps dans lesquels nous sommes entrés
demandent autre chose.

Depuis de longues années, le but auquel tendaient, en France, la plupart
des classes de la société, c'était d'arriver, le plus tôt possible, à
vivre sans rien faire, fût-ce chichement, d'un revenu médiocre ou d'une
retraite payée par une grande administration ou par l'État. C'est ce
qu'on appelait jadis «vivre noblement». Ainsi la France tendait à
devenir peu à peu un pays de rentiers, puissant par sa prodigieuse
faculté d'épargne, mais où la notion du travail créateur se perdait.

Cette conception de la vie a été violemment secouée par la guerre. Dans
le bouleversement général, des milliers d'existences, arrangées pour une
médiocrité paisible et qui ne comptaient pas avec l'imprévu, ont été
atteintes avec dureté. L'honnête aisance dont se contentaient tant de
personnes commence à confiner à la misère. C'est un mot courant que,
d'ici longtemps, on ne reverra plus la «douceur de vivre» à laquelle la
tragédie de 1914 a mis fin.

On le répète de tous les côtés, et, ce qui est mieux, c'est une vérité
sentie par les nouvelles générations: il importe de produire, de former
de nouvelles richesses à la place de celles qui ont été anéanties. La
France n'est plus assez riche pour qu'une quantité d'oisifs et de
joueurs de dominos aussi forte que celle d'autrefois puisse encore
subsister. La France était un pays où il y avait trop de joueurs de
dominos, comme en Angleterre il y avait trop de joueurs de ballon.
Aujourd'hui la France a sa fortune à refaire. Elle ne recevra plus du
dehors tous les revenus qui, naguère, en faisaient la créancière du
monde et compensaient l'insuffisance de son commerce extérieur. Elle
s'est, au contraire, endettée envers l'étranger. Alors, si elle ne se
met pas à produire, c'est bien simple: rien, chez nous, ne gardera de
valeur, ni les rentes de l'État, ni les titres de toute sorte, ni la
terre elle-même, parce que ce qui nous reste de richesses, par l'excès
des importations, s'en ira au dehors, parce que la monnaie française
sera de plus en plus «avariée» par rapport à la monnaie étrangère, et
parce que notre actif deviendra peu à peu le gage de nos fournisseurs et
de nos créanciers américains qui se mettront peut-être à exploiter notre
pays pour leur compte, comme ils en manifestent déjà l'intention. C'est
le cas qui s'est produit aux siècles derniers pour l'Espagne, couverte
de gloire, mais inactive et endettée, et dont les ressources naturelles
ne profitaient qu'aux étrangers. Voilà comment une nation devient serve
et prolétaire.

Pour de longues années, pour quelques générations, peut-être, l'état de
rentier sera difficile sinon intenable. Le travail ne sera pas seulement
un devoir national mais une nécessité individuelle. Entre les mains des
hommes jeunes et actifs, le capital devra travailler lui aussi et
devenir un instrument de production, sous peine, s'il reste inerte, de
se consommer et de disparaître.

Les méthodes que nous avons recommandées, les observations que nous
avons consignées dans ce livre ne doivent donc pas être regardées comme
destinées à fabriquer et à multiplier des rentiers mais à préserver de
la ruine, de l'anéantissement et des mauvais conseillers nos capitaux
plus précieux que jamais, afin qu'ils soient conservés intacts pour ceux
qui pourront s'en servir d'une façon active et les faire produire à leur
tour.

Il serait absurde d'exiger que tout le monde mît son argent dans
l'industrie pour la raison qu'il est certain la France doit produire ou
mourir. Il y a quantité de personnes qui ne peuvent courir le risque des
affaires et qui font mieux de s'en éloigner. Elles y perdraient ce
qu'elles possèdent, faute d'expérience et de jugement. Seuls les mauvais
financiers y gagneraient quelque chose. Les hommes âgés et qui ne
peuvent recommencer leur vie, les veuves, les personnes qu'une
profession libérale rend étrangères aux affaires d'argent: tous ceux-là
ont besoin surtout qu'on leur indique les moyens d'assurer la sécurité
de leur fortune, dans la mesure où l'esprit humain peut prévoir les
événements. De même un industriel, un commerçant heureux ne peuvent pas
indéfiniment étendre leurs affaires. Le jour vient où ils ont besoin de
consolider leurs bénéfices, ne fût-ce que passagèrement. Ceux-là aussi
doivent, autant que possible, pouvoir se faire une idée personnelle sur
la manière dont il convient de placer leur fortune au lieu de s'en
rapporter au hasard ou au premier venu.

On a dit qu'une des infériorités des Français, avant la guerre, était
dans leur «tempérament d'obligataires» tandis que les autres peuples,
ceux qui avaient grandi et qui s'étaient enrichis, surtout les
Allemands, avaient un «tempérament d'actionnaires». C'est vrai dans une
large mesure. A l'avenir, les Français auront besoin d'être plus
«actionnaires», c'est-à-dire plus créateurs de richesses et plus
associés à la création des richesses qu'ils ne l'étaient autrefois.

Cependant ce serait une erreur de s'imaginer que tous les Allemands
d'avant la guerre, comme tous les Américains, ne cessaient pas de
risquer leur argent dans des affaires nouvelles. Ils soufflaient
parfois. Ils abritaient une partie de leurs bénéfices dans les valeurs
sûres et dans les obligations et ils ne dédaignaient pas la puissance
d'accumulation de l'épargne sans laquelle la puissance de création
s'épuise vite. Malgré sa forte tendance au nationalisme économique,
l'Allemagne possédait, elle aussi, de grandes quantités de valeurs
étrangères, mais mieux choisies et réparties que les nôtres. C'était
surtout des valeurs américaines, dont il y avait un marché important à
Berlin et qui lui ont été plus utiles pendant la guerre que notre
portefeuille bourré de russe, d'austro-hongrois et d'ottoman.

Produire, c'est surtout la tâche de la génération nouvelle. Mais elle ne
fera fructifier le capital que s'il lui est transmis dans de bonnes
conditions. Que cette précieuse réserve ne soit pas étourdiment gérée,
inconsidérément gaspillée.

Avec un grand labeur, de belles chances s'offrent aussi aux Français
d'aujourd'hui et de demain. Les jeunes à qui échoit une fortune, qui est
souvent le débris d'un patrimoine plus gros, n'auront jamais trop de
reconnaissance pour ceux qui l'auront amassée et conservée. Les jeunes
doivent considérer ce capital comme un outil et un principe d'activité.
Beaucoup de travail, un peu de peine, ajoutés à cette mise de fonds, ne
tarderont pas à apporter leur récompense. De nos provinces, soulevées
l'une après l'autre par un besoin ardent de renaître, s'élève un appel à
l'argent qui féconde, à l'intelligence et à l'activité. Notre «houille
blanche» attend qu'on la prenne. La paix ajoute à la merveilleuse
Algérie la possession indiscutée de ce Maroc où les Allemands avec leur
«tempérament d'actionnaires» nous ont montré, par leur convoitise, par
leurs installations mêmes, ce qu'il y avait à récolter. Enfin, celui qui
reçoit en partage de la bonne terre de France, qu'il la fasse valoir
lui-même. Elle lui rendra vite les soins qu'il lui aura donnés.

En fermant ce livre, nous voudrions que le lecteur en gardât cette
impression qu'il n'a pas été écrit pour encourager les Français à rester
un peuple de rentiers.


FIN



TABLEAU DES DROITS DE MUTATION PAR DÉCÈS ET DE DONATION ENTRE VIFS


MUTATION PAR DÉCÈS.--I. DROITS DE MUTATION ORDINAIRE À PERCEVOIR SUR
CHAQUE PART NETTE.

  PARTS                 DEGRÉ DE PARENTÉ

                        Ligne directe             Ligne directe
                        descendante               ascendante

                        1er     2e      Au        1er     2e      Au
                        degré   degré   delà      degré   degré   delà

                        p. 100  p. 100  p. 100    p. 100  p. 100  p. 100
       fr.        fr.   fr. c.  fr. c.  fr. c.    fr. c.  fr. c.  fr. c.

  Parts nettes de 10000 francs et au-dessous avec maximum successoral de
  25000 francs.

         1 à     2000     1  »    1 50    2  »      1  »    1 50    2  »
      2001 à    10000     1 50    2  »    2 50      1 50    2  »    2 50

  Parts nettes supérieures à 10000 francs et successions dont l'actif
  total est supérieur à 25000 francs.

         1 à     2000     1  »    1 50    2  »      2 50    3  »    3 50
      2001 à    10000     2  »    2 50    3  »      3 50    4  »    4 50
     10001 à    50000     3  »    3 50    4  »      4 50    5  »    5 50
     50001 à   100000     4  »    4 50    5  »      5 50    6  »    6 50
    100001 à   250000     5  »    5 50    6  »      6 50    7  »    7 50
    250001 à   500000     6  »    6 50    7  »      7 50    8  »    8 50
    500001 à  1000000     7  »    7 50    8  »      8 50    9  »    9 50
   1000001 à  2000000     8  »    8 50    9  »      9 50   10  »   10 50
   2000001 à  5000000     9  »    9 50   10  »     10 50   11  »   11 50
   5000001 à 10000000    10  »   10 50   11  »     11 50   12  »   12 50
  10000000 à 50000000    11  »   11 50   12  »     12 50   13  »   13 50
  Au delà de 50000000    12  »   12 50   13  »     13 50   14  »   14 50


  PARTS                 DEGRÉ DE PARENTÉ

                        (A) Entre frères et soeurs
                        (B) Entre oncles ou tantes et neveux ou nièces
                        (C) Entre grands-oncles ou grand'tantes et
                            petits-neveux ou petites-nièces et entre
                            cousins germains
                        (D) Entre parents au delà du 4e degré et
                            personnes non parentes

                        Entre    (A)      (B)      (C)      (D)
                        époux

                        p. 100   p. 100   p. 100   p. 100   p. 100
       fr.        fr.   fr. c.   fr. c.      fr.      fr.      fr.

  Parts nettes de 10000 francs et au-dessous avec maximum successoral de
  25000 francs.

         1 à     2000     4  »    10  »       12       15       18
      2001 à    10000     4 75    10 75       13       16       19

  Parts nettes supérieures à 10000 francs et successions dont l'actif
  total est supérieur à 25000 francs.

         1 à     2000     5  »    10  »       15       20       25
      2001 à    10000     6  »    11  »       16       21       26
     10001 à    50000     7  »    12  »       17       22       27
     50001 à   100000     8  »    13  »       18       23       28
    100001 à   250000     9  »    14  »       19       24       29
    250001 à   500000    10  »    15  »       20       25       30
    500001 à  1000000    11  »    16  »       21       26       31
   1000001 à  2000000    12  »    17  »       22       27       32
   2000001 à  5000000    13  »    18  »       23       28       33
   5000001 à 10000000    14  »    19  »       24       29       34
  10000000 à 50000000    15  »    20  »       25       30       35
  Au delà de 50000000    16  »    21  »       26       31       36

_N. B._--Le montant de la taxe additionnelle (tableau nº II) est à
déduire de l'actif de la succession pour la détermination de la part
nette de chaque ayant-droit. (Inst. Régie du 10 janvier 1918.)


MUTATION PAR DÉCÈS.--II. TAXE ADDITIONNELLE perçue sur l'ensemble de la
succession quand il n'y a pas d'enfant vivant ou représenté et quand il
y a moins de quatre enfants vivants ou représentés (les enfants morts
victimes de la guerre étant comptés comme s'ils étaient vivants) à
prélever sur l'ensemble de la succession.

  PARTS                 NOMBRE D'ENFANTS
                        LAISSÉS PAR LE DÉFUNT

                        Trois        Deux         Un          Point
                        enfants      enfants      enfant      d'enfant
                        vivants ou   vivants ou   vivant ou   vivant ou
                        représentés  représentés  représenté  représenté

                        p. 100       p. 100       p. 100      p. 100
       fr.        fr.   fr. c.       fr. c.          fr.         fr.

         1 à     2000     0 25         0 50            1           2
      2001 à    10000     0 50         1  »            2           4
     10001 à    50000     0 75         1 50            3           6
     50001 à   100000     1  »         2  »            4           8
    100001 à   250000     1 25         2 50            5          10
    250001 à   500000     1 50         3  »            6          12
    500001 à  1000000     1 75         3 50            7          14
   1000001 à  2000000     2  »         4  »            8          16
   2000001 à  5000000     2 25         4 50            9          18
   5000001 à 10000000     2 50         5  »           10          20
  10000000 à 50000000     2 75         5 50           11          22
  Au delà de 50000000     3  »         6  »           12          24


MUTATION PAR DÉCÈS.--III. DÉDUCTION sur le montant des droits ordinaires
(tableau I) en ce qui concerne la part de l'héritier, donataire ou
légataire ayant quatre enfants vivants où plus au moment de l'ouverture
de la succession:

10 p. 100 pour chaque enfant en sus du troisième, avec maximum de
réduction de 50 p. 100.


MUTATION PAR DÉCÈS.--IV. PÉNALITÉS DE RETARD (loi du 10 avril 1910).

  1 mois  0 fr. 50 p. 100 }
  5 mois  1 franc  p. 100 } du droit dû.
  Au delà 1 fr. 50 p. 100 }


DROITS DE DONATION ENTRE VIFS

  INDICATION DES DEGRÉS PE PARENTÉ                                TARIF
                                                                  fr. c.
  En ligne directe
    Partage d'ascendants
      Entre plus de 2 enfants vivants ou représentés                2 50
      Entre 2 enfants vivants ou représentés                        4 50
    Par contrat de mariage
      Plus de 2 enfants vivants ou représentés                      4 50
      2 enfants vivants ou représentés                              5 50
      1 enfant vivant ou représenté                                 6 50
    Hors contrat de mariage
      Plus de 2 enfants vivants ou représentés                      6 50
      2 enfants vivants ou représentés                              8 50
      1 enfant vivant ou représenté                                10 50
  Entre époux
    Par contrat de mariage                                          8  »
    Hors contrat de mariage
      Plus de 2 enfants vivants ou représentés, issus du mariage    6 50
      2 enfants vivants ou représentés, issus du mariage           10 50
      1 enfant vivant ou représenté, issus du mariage              13 50
      Sans enfant vivant ou représenté, issus du mariage           17  »
  Entre frères et soeurs
    Par contrat de mariage aux futurs                              13  »
    Hors contrat de mariage                                        23  »
  Entre oncles et tantes et neveux ou nièces
    Par contrat de mariage aux futurs                              15  »
    Hors contrat de mariage                                        25  »
  Entre grands-oncles, grand'tantes, petits-neveux ou
  petites-nièces et entre cousins germains
    Par contrat de mariage aux futurs                              17  »
    Hors contrat de mariage                                        27  »
  Entre parents au delà du 4e degré et entre personnes
  non parentes
    Par contrat de mariage aux futurs                              21  »
    Hors contrat de mariage                                        31  »

_Nota._--Les enfants morts victimes de la guerre sont comptés comme
enfants vivants.



TABLE DES MATIÈRES


                                                                  Pages.

  Avant-propos                                                       VII

  Chapitre premier.--Une période d'instabilité et d'insécurité
  pour les fortunes.                                                  11

    L'instabilité des fortunes est un phénomène de tous les temps.--La
    guerre a considérablement aggravé ce phénomène.--Longue période de
    sécurité et d'enrichissement de 1815 à 1914.--Le danger d'autrefois
    était la baisse de l'intérêt et les conversions.--Fausses croyances
    nourries à cet égard: l'argent ne devait plus rien rapporter.
    --L'intérêt s'est relevé, mais les capitaux ont été détruits.
    --Ébranlement de toutes les fortunes.--Autres menaces qui pèsent sur
    elles.--Probabilité de grandes crises financières, sinon de
    catastrophes.--De nouvelles méthodes de gestion des patrimoines sont
    nécessaires.--En quoi l'esprit et les habitudes des capitalistes
    doivent changer.

  Chapitre II.--Le principe de la division géographique des
  placements, qui s'est montré insuffisant, doit être complété
  par un autre principe                                               22

    La division des risques est une précaution élémentaire.--L'écueil
    est qu'elle ne tourne pas à la multiplication des risques.--Exemples
    malheureux de dissémination des capitaux.--Nécessité de précautions
    supplémentaires.--Valeurs solides et réelles sur lesquelles doit
    reposer une fortune.--Les biens-fonds réhabilités.--Gages à exiger
    des valeurs mobilières.--Le remboursement prochain du capital est la
    clause essentielle de tout prêt d'argent.--Applications de ces
    principes aux placements mobiliers et avantages qu'ils comportent.
    --Règles pratiques à en tirer.

  Chapitre III.--Des immeubles                                        33

    La revanche des anciens placements.--Toute richesse part de la
    terre.--Stabilité de la propriété immobilière.--Un exemple typique.
    --Relèvement de la valeur de la terre en France.--Hausse des
    produits agricoles.--Sécurité de la propriété rurale, due, dans
    notre pays, à son extrême division.--Le dépeuplement des campagnes
    est le seul point noir.--Conseils pour la gestion des biens
    fonciers.--Les maisons de rapport à Paris et dans les grandes
    villes.--Achat, construction et entretien.--Les spéculations sur les
    terrains.--Les formes excentriques de la propriété et leurs périls.

  Chapitre IV.--Des placements hypothécaires                          46

    Raisons pour lesquelles se recommande ce genre de placements.
    --Conditions auxquelles ils sont sûrs et avantageux.--Des
    précautions à prendre et des dangers à éviter.--De la part qu'il
    convient de leur attribuer dans un patrimoine.

  Chapitre V.--Emprunts français et emprunts des États alliés de
  la France                                                           59

    Danger des rentes perpétuelles.--Qu'il faut leur préférer les
    rentes amortissables.--Comparaison des deux 3 p. 100 français.--Le
    crédit de la France victorieuse.--Ombres et clartés.--Raisons pour
    lesquelles le capitaliste doit être porteur des rentes nouvelles.
    --Emprunts des villes et des colonies françaises.--Immense
    prospérité des États-Unis.--La décadence des consolidés anglais et
    les fonds britanniques.--Rente belge.--Rente italienne.--La
    catastrophe russe et nos milliards: incertitudes de l'avenir et
    richesses latentes de la Russie.--Fonds roumains, serbes, grecs et
    portugais.--Japon et Chine.

  Chapitre VI.--Emprunts des États qui ont été en guerre avec les
  alliés et des nouveaux États issus de la décomposition de
  l'Autriche-Hongrie                                                  89

    Les fonds allemands.--Fonds autrichiens et hongrois.--Conséquences
    de la dissolution de la monarchie austro-hongroise.--La distribution
    de la Dette et les nouvelles nationalités.--Raisons de méfiance à
    l'égard des appels au crédit de la Pologne, de la Tchéco-Slovaquie
    et de la Yougo-Slavie.--Fonds bulgares. Fonds ottomans.--L'Europe
    centrale et orientale devra être évitée longtemps par les capitaux.

  Chapitre VII.--Emprunts des États neutres                           95

    Les pays épargnés par la guerre se sont enrichis.--Leurs emprunts
    sont d'un moindre rapport que ceux des belligérants.--Est-ce le
    moment d'entrer dans ces valeurs?--Avantages qu'elles offrent encore
    temporairement.--Examen des six pays neutres d'Europe: Espagne,
    Suisse, Hollande, pays Scandinaves.--Le Mexique et l'Amérique du
    Sud.--Nécessité d'une soigneuse discrimination.

  Chapitre VIII.--Un élément des fortunes françaises en danger:
  les actions de chemins de fer                                      108

    Illusion du public quant à la prospérité des compagnies.--Elles sont
    écrasées par leurs charges financières, fiscales et sociales.--Elles
    n'ont pas la liberté de leurs tarifs et le terme des concessions
    approche.--L'actionnaire garde tous les risques et ne touche qu'une
    faible part des bénéfices, quand il y en a.--Le rachat est un
    soulagement et un bienfait: exemple de l'Ouest.--Cas des chemins de
    fer algériens.--Les rachats futurs seront-ils aussi avantageux?

  Chapitre IX.--Les actions des chemins de fer étrangers.            146

    La plus grande partie des bonnes lignes d'Europe constitue des
    exploitations directes d'État.--Les Compagnies qui existent encore
    sont dans une situation voisine de celle des chemins de fer
    français.--Un mot alarmant de M. Lloyd George.--Le cas de la
    Compagnie du Sud de l'Autriche: Comment un chemin de fer est conduit
    à la ruine.--Crise grave des chemins de fer américains avant la
    guerre européenne; pourquoi cette crise menace de se représenter et
    d'être durable.--Le krach des chemins de fer exotiques.--Conclusion:
    les actions des chemins de fer sont le type de la valeur mobilière
    qui meurt.

  Chapitre X.--Les obligations des chemins de fer français et
  étrangers                                                          161

    Conditions auxquelles ces obligations peuvent attirer des placements
    sérieux.--Une garantie d'un grand État solvable est presque toujours
    nécessaire.--Exemple des obligations des grandes Compagnies
    françaises.--Avantages respectifs de ces diverses catégories
    d'obligations.--Des obligations de bonne apparence qui auront fait
    subir de lourdes pertes aux fortunes: les obligations lombardes.
    --Autre expérience pénible: les obligations des chemins de fer
    américains.--Éclaircissements sur la valeur de ces titres.--Quels
    sont ceux dont les porteurs ont eu à se féliciter?--Gages et
    remboursements des obligations américaines.--Il convient de se
    détourner des obligations de chemins de fer exotiques.--De quelques
    pièges dont le public n'est pas assez averti.

  Chapitre XI--Les valeurs industrielles                             188

    Mot typique du baron de Rothschild.--Mal manger et bien dormir ou
    mal dormir et bien manger?--Petit nombre de bonnes valeurs
    industrielles.--Leur instabilité.--Nécessité de connaissances
    spéciales pour les acquérir et les surveiller.--Sept conseils
    pratiques essentiels.--Les booms et les krachs.--Des mines et
    spécialement des charbonnages français après la guerre.--Un mot
    sur le canal de Suez.--Généralités sur les actions de jouissance
    et les parts de fondateur.

  Chapitre XII.--Les obligations industrielles                       205

    Ce genre déplacement peut être fort recommandable.--Il est de très
    bonnes obligations industrielles, mais toutes ne sont pas bonnes.
    --Comment les distinguer.--Nécessité de les diversifier et de ne
    pas se cantonner dans une seule branche d'industrie.--Les bons
    6 p. 100 et les prochaines émissions de l'industrie française.--Des
    titres de premier ordre et peu connus: les obligations des services
    municipaux américains.--Leurs avantages et leurs garanties.--Comment
    les choisir et comment les acheter.

  Chapitre XIII.--Actions des banques et des sociétés de crédit      212

    Caractère dangereux de ces valeurs.--Absence de contrôle des
    actionnaires sur la marche des affaires sociales.--Différentes
    sortes de banques.--Les banques d'émission à privilège.--Les grands
    établissements de crédit: le système dont ils ont vécu paraît usé.
    --Les banques d'affaires.--Les Crédits fonciers et les sociétés
    immobilières: leurs actions et leurs obligations.

  Chapitre XIV.--La spéculation et la bourse.                        219

    Danger de la spéculation à terme.--La partie est inégale et
    déloyale.--Ceux qui jouent à coup sûr contre ceux qui jouent à
    l'aveuglette.--La contre-partie.--La spéculation au comptant.--Dans
    quelle mesure on peut s'y livrer.--Les arbitrages.--Nécessité d'une
    étude attentive des mouvements de Bourse: c'est une science et un
    métier.--Conseils pour la vente et l'achat des valeurs et la gestion
    des patrimoines.--Dangers des engouements et des paniques.

  Chapitre XV.--Le capitaliste, les impôts et les lois               229

    Multiplication et aggravation des impôts.--La tentation d'y
    échapper.--Dangers de la fraude et de la dissimulation en ce qui
    concerne l'impôt sur le revenu et les droits de succession.
    --L'intérêt des patrimoines et des familles ne s'accorde pas
    toujours avec les dons de la main à la main et les partages
    secrets.--Quelques cas et quelques exemples.--Divers moyens employés
    pour se soustraire aux impôts.--Trésors et cachettes.--Dépôts
    de titres et de fonds à l'étranger: écueils à éviter.--Les échanges
    de renseignements entre les États.--Péril des doubles taxations.
    --Une précaution légitime: la provision dans une banque anglaise ou
    américaine.--Conclusion et moralité de ce chapitre.

  Chapitre XVI.--Tâches et besoins du temps présent                  243

    Transformations et nécessités.--Le besoin de produire.--Les capitaux
    sont la réserve des producteurs.--Aux générations nouvelles.--Le
    «tempérament d'obligataire» et le «tempérament d'actionnaire».
    --Français et Allemands.--Perspectives d'avenir.--La France ne peut
    plus être un «pays de rentiers».

  Appendice.--Tableaux des droits de mutation par décès et des droits
  de donation entre vifs                              hors texte in fine



  ACHEVÉ D'IMPRIMER
  LE VINGT-QUATRE SEPTEMBRE MIL NEUF CENT DIX NEUF
  PAR
  PHILIPPE RENOUARD
  POUR LA
  NOUVELLE LIBRAIRIE NATIONALE
  3, Place du Panthéon, 3
  PARIS




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