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Title: Le Bourdeau des neuf pucelles
Author: Féret, Charles-Théophile
Language: French
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  Le Bourdeau
  des neuf
  PUCELLES

  Par
  Charles-Théophile
  FERET

  EDITIONS
  DES CAHIERS LITTÉRAIRES
  2, rue du Panorama
  CAUDÉRAN-BORDEAUX

  1923



Du même Auteur:


Poésie:

  LA NORMANDIE EXALTÉE, deuxième édition, entièrement
    refondue. Tirage à 400 exempl. sur papier de luxe,
    chez Rey, 8, boulevard des Italiens, Paris                  12 fr.

  LE VERGER DES MUSES, tirage à 300 exempl. chez Dumont
    à Paris                                                     Épuisé

  L’ARC D’ULYSSE, tirage à 500 exemplaires, à _Belles
    Lettres_, 89, boulevard Exelmans, Paris                     6 fr. 50

  LES COURONNES, tirage à 300 exemplaires, à _Belles
    Lettres_                                                    10 fr.

  LE BOURDEAU DES NEUF PUCELLES, aux _Cahiers Littéraires_,
    2, rue du Panorama, Caudéran-Bordeaux

                         (Tous les autres recueils épuisés)

Théâtre:

  MAITRE FRANÇOIS VILLON, 5 actes en prose.                     Épuisé

  UN IMPROMPTU CHEZ LE DUC DE CHOISEUL. 1 acte en prose et
    vers, non mis dans le commerce.

Roman:

  LA RÉINCARNATION DE CLAUDE LE PETIT, à _Belles Lettres_       6 fr. 75

  LE TIROIR AUX POLICHINELLES (sous presse), à _Belles
    Lettres_

Critique:

  Tous les ouvrages de critique épuisés, excepté chez
    Garnier frères, à Paris: l’_Anthologie Critique des
    Poètes Normands de 1900 à 1920_, avec collaboration de
    Raymond Postal                                              15 fr.



Le Bourdeau des Neuf Pucelles


Pour lire à la lanterne du Bourdeau


Empruntant en partie à Claude Le Petit le titre de ce livre, le moins
que je puisse faire c’est de le lui dédier, et de rajeunir la mémoire de
sa mésaventure. Il mérita d’être appelé «Théophile le jeune» non
seulement parce qu’il fut le successeur de Théophile de Viau dans la
littérature libertine, non seulement, comme le dit Frédéric Lachèvre,
«parce qu’il a réalisé le type de l’impie et de l’athéiste dépeint 35
ans auparavant par le père Garasse,» mais aussi pour un talent égal à
celui de son maître, et certainement il serait aujourd’hui classé parmi
les grands poètes du siècle de Louis XIV, s’il n’avait été brûlé à 23
ans. Que resterait-il des meilleurs, si leur carrière avait été
interrompue au milieu de leur cinquième lustre? Les plus belles ballades
de Villon datent de «l’an trentième de son âge». Et l’on peut assurer
que, si l’arrêt des juges de Mesmes et du Tillet a, sans pitié mais non
sans raisons, sous un gouvernement fort, défendu l’ordre religieux et
monarchique, il a privé les lettres françaises d’un grand écrivain, que
l’expérience de la vie eût certainement amendé. Il a bâti un «clapier»,
il eût élevé un temple.

Voici des vers de Claude sur un de ses ouvrages:

  A moi-même, sur mon livre de «L’Heure du Berger»:

      Quoique l’on me puisse dire
      De mon Heure du Berger,
      Je n’ai fait que la décrire.
      Je n’ai fait que la songer:
      Dedans l’Amoureuse Histoire,
      Le plaisir plus que la gloire
      Flatte mon âme en ce jour,
      Et je bénirois ma ruse
      Si j’avois trouvé chez l’Amour
      Ce que j’ay trouvé chez la Muse.

Dans les vers suivants il a peint un poète crotté avec des traits dignes
de Saint-Amant:

    Quand vous verrez un homme avecque gravité,
    En chapeau de clabaud promener la savate,
    Et le col estranglé d’une sale cravate,
    Marcher arrogamment dessus la chrestienté,

    Barbu comme un sauvage, et jusqu’au cul crotté,
    D’un haut-de-chausses noir, sans ceinture et sans patte,
    Et de quelques lambeaux d’une vieille buratte
    En tout temps constamment couvrir sa nudité,

    Envisager chacun d’un œil hagard et louche,
    Et mâchant dans ses dents quelque terme farouche,
    Se ronger jusqu’au sang la corne de ses doigts,

    Quand, dis-je, avec ces traits vous trouverez un homme,
    Dites assurément: C’est un poète françois![1]
    Si quelqu’un vous dément, je l’irai dire à Rome.

  [1] _Poète_ faisait 2 syllabes dans la prosodie du XVIIe.

Obligé par prudence de s’exiler, Claude se dirigea vers l’Espagne, nous
apprend Lachèvre. Tandis qu’il traversait la ville huguenote de La
Rochelle, un gueux lui vola son manteau:


A LA VILLE DE LA ROCHELLE

    Toy, dont tout le malheur causa toute la gloire,
    Qui t’immortalisas en t’osant rebeller,
    Ville, qui ne pouvois pas mieux te signaler
    Qu’en rendant les Vainqueurs fâchés de leur Victoire:

    Rochelle, quand je lis ton siège dans l’histoire,
    Dieu! que ta catastrophe ayde à me consoler,
    Et que dedans l’estat où l’on me voit aller,
    Ma disgrâce m’est douce, et charme ma mémoire!

    Tais-toy donc, désespoir, je ne t’écoute plus;
    Tous tes tristes conseils sont vains et superflus;
    Cesse d’entretenir mon âme désolée.

    Si le plus juste Roy qui fut jamais ici
    T’a sans nécessité jadis démantelée,
    Un gueux me pouvoit bien démanteler aussi.

Voici l’histoire de l’arrestation et du supplice de Claude Le Petit,
selon la version de Lefèvre de Saint-Marc que j’ai adoptée dans _Le
Verger des Muses_. Dans ces vers je fais parler le poète selon la
vraisembance de ses rancunes; il n’exprime pas mes sentiments
personnels.


A CLAUDE LE PETIT

qui a écrit _Le Bordel des Muses_ ou _Les Neuf Pucelles Putains_, et en
fut puni par le bucher, en place de Grève, le 1er Septembre 1662.

I

    Ah! le vent! Maudit soit le vent des mers sauvages
    Egaré sur mon toit... Ah! pourquoi sur le mien?
    Dans ce Paris dévot, fief du Roi très chrétien,
    Ce soir de si beau rêve et de si beaux nuages.

    Que n’allais-tu briser l’innocence des chênes,
    Dieu qui gronde? Irriter sous les ronces le cou
    Des vipères? Emplir de faim rauque le loup?
    Sur le sable effacer les pistes de la haine?

II

    Le lointain bouclier d’une vitre éclatante
    Renvoyait au soleil ses feux roses et pers.
    J’attendais une femme, et j’écrivais des vers.
    L’heure sonna, ma main s’énervait de l’attente.

    La femme ne vint pas. Pour un ruban peut être?
    Un autre amant?... Ah! fausse, il fallait accourir,
    Etre très belle pour me faire mieux souffrir,
    Crier ta trahison... j’eusse clos la fenêtre.

    Je passais le joujou des rimes à la ponce.
    Sur ma table, la brise agrippe des papiers.
    Dans la rue, un abbé les ramasse à ses pieds,
    Les parcourt, marque ma fenêtre, et me dénonce.

    J’étais perdu. J’avais écrit pour des libraires,
    Cette espèce qui nous déshonore à bas prix.
    Messieurs de la Grand’Chambre, au vu des manuscrits,
    Pour lèse-majesté divine m’adjournèrent.

    Et je fus convaincu par arrêt, sur la plainte
    Du Procureur, après qu’ils m’eurent bien tordu!
    D’avoir plongé honteusement au vase indu,
    Morgué l’honneur de Dieu, de l’Eglise, et des Saintes;

    Très méchamment blessé par malice aggravante
    Le sein sans tache où le Corps-Dieu prit son berceau,
    «En l’infâme Sonnet, cy placé sous le sceau,
    «Qui fut dans le ressort de la cour mis en vente.»

III

    Quand les gitons royaux, que Gomorrhe consume,
    N’ont à craindre de la Cabale des Dévots
    Que sourires pincés et _Lætificat vos!_
    Il ne faut pas moins d’un bucher contre une plume.

    On m’extrait des prisons, puante fosse. Au porche
    De Notre-Dame on me conduit en tombereau.
    --«Poésie, allons, gueuse! A genoux!» Le bourreau
    Me met au col la corde, au poing l’ardente torche.

    Et, mitré, je demande en chemise soufrée
    Pardon à Dieu, pardon au Roi.--Quelle oraison
    Pour être à vingt-trois ans ma dernière chanson!
    Un sot abbé me prêche en style de l’Astrée.

    Puis je vais vers la Grève, encadré d’arquebuses.
    On me tranche le poing, et mes vers sont brûlés.
    Mais j’ai la grâce, avant d’être ars, d’être étranglé,
    Par grand faveur d’un Président ami des Muses.

    Me le devait-il pas, étant bibliophile,
    Friand de livres qui courent sous le manteau?
    Les miens saisis, il eut mon Ronsard in-4º,
    _L’Espadon satirique_, et mon cher Théophile,

    Trésors qu’en maroquin il compte bien défendre.
    Il part, tâtant un livre obscène en ses houseaux,
    Cependant que le vent se lève sur mes os,
    Reconnaît sa victime, et disperse mes cendres.

                   *       *       *       *       *

L’admirable érudit, M. Lachèvre, qui a renouvelé la connaissance que
nous avions, ou pensions avoir de l’histoire du libertinage au XVIIe,
donne une autre version de l’arrestation, mais tout le monde est
d’accord sur les circonstances de la condamnation et du supplice.

Claude, quelques heures avant le fagot, put faire connaître au baron de
Schildebek où était caché le manuscrit du _Bordel des Muses_. Et rassuré
sur le sort de son œuvre, que son ami promettait de publier, il marcha
au bucher sans défaillance.

Le Sodomite Jacques Chausson, dit des Etangs, l’y avait précédé, et Le
Petit lui avait adressé ce cynique adieu:

    Amis, on a brûlé le malheureux Chausson,
    Ce coquin si fameux, à la tête frisée;
    Sa vertu par sa mort s’est immortalisée:
    Jamais on n’expira de plus noble façon.

    Il chanta d’un air gai la lugubre chanson,
    Et vestit sans pâlir la chemise empesée,
    Et du bucher ardent de la pile embrasée,
    Il regarda la mort sans crainte et sans frisson.

    En vain son confesseur lui prêchait dans la flamme,
    Le crucifix en main, de songer à son âme:
    Couché sous le poteau, quand le feu l’eut vaincu,

    L’infâme vers le ciel tourna sa tête immonde;
    Et pour mourir enfin comme il avoit vécu,
    Il montra, le vilain, son c.. à tout le monde.

L’exemple n’avait donc pas servi à cette tête folle. Schildebek tint sa
promesse, et fit imprimer à Leyde en 1663 ce qu’il put recouvrer du
_Bordel des Muses_, dont une partie importante avait été dérobée.

Or, de cette Edition de Leyde, s’il nous reste la Table générale des
Matières, indiquant un ouvrage composé de 4 parties, et d’environ 78
poèmes, nous n’avons plus que 4 stances, une épigramme, 4 ou 5 sonnets.
Le reste a péri.

Mes vers n’ont pas la prétention de remplacer les absents. Le lecteur y
trouvera avec moins de génie, moins de crudité. Je ne plonge point aux
vases indus[2], les mots orduriers me répugnent. On expliquera ma
retenue par l’âge et la prudence qu’enseigne le bucher. Ceux qui croient
aux réincarnations penseront que le supplice du feu m’a purifié. Le
roman que j’ai publié sous le titre «La Réincarnation de Claude Petit»
n’est pas mon autobiographie. Ceux qui me connaissent savent qu’il s’en
faut. Aussi ont-ils cherché moins dans le style de ma vie que dans la
vie de mon style des rapprochements avec celui qui fut brûlé en 1662.

  [2] Rien n’établit, au surplus, la bougrerie de Claude. Le sonnet où
    Jacques Chausson est traité d’infâme, permet de croire que ce vice
    odieux répugnait à l’auteur de _L’Heure du Berger_.

Les autres ont raconté qu’avant d’avoir lu dans Lachèvre certains poèmes
de Le Petit, je me les étais récités à moi-même en rêve; et qu’après
leur publication, si je commençais la lecture d’un sonnet, il m’arrivait
de l’achever de mémoire. Mais les Normands ne sont pas prompts aux
confessions publiques; un seul pourrait dire si, descendant profondément
en lui-même, il y reconnaît quelques signes d’identité ou de parenté
avec Claude.

Ce n’est qu’une ressemblance superficielle de constater qu’il était
normand comme je le suis. Il s’est déclaré normand à ses juges. Au lieu
qu’il indiqua pour celui de sa naissance, vivaient ses parents
homonymes, à Beuvron, diocèse, parlement et intendance de Rouen. Là, il
avait été comme moi-même, élevé par une tante. Pourtant M. Lachèvre l’a
fait parisien, sous prétexte qu’il n’a pas retrouvé aux registres de la
paroisse le nom de Claude Le Petit. Mais il pouvait être protestant,
comme tant d’autres libertins nés dans cette religion des tristes et qui
en sortirent par vocation naturelle pour la joie. Ainsi St-Amant, si
Tallemant est à croire. Ainsi Bois Robert et le Cardinal du Perron. M.
Lachèvre, qui sent naître l’objection, la réfute d’avance en s’appuyant
sur le fait que notre poète fut élève des Jésuites. Mais ceux-ci
élevaient de jeunes huguenots, pour les convertir en douceur avant de le
faire par dragonnades. Si riche que la Normandie soit en poètes, je la
conjure de ne pas renoncer à celui-ci, dont à défaut de naissance
constatée, la race n’est contestée par personne.

Si mon _prédécesseur_ fut huguenot et s’il fut bougre, je déteste la
bougrerie et suis né dans la religion catholique. A défaut de la foi, je
respecte le culte de mes aïeux, et me désolidarise des infâmes sonnets
de Claude Le Petit contre la Vierge. J’ai pour elle, sinon la foi de
Villon, sa piété.

Mais je n’ai pas les mêmes scrupules pour outrager Calliope et donner le
fouet à la Muse Erotique. Qu’elles en rient ou qu’elles en jouissent!
N’a-t-on pas vu des passionnés se plaire à ces punitions?

Des contemporains de Claude, incapables de pactiser avec ses péchés,
l’ont défendu ou expliqué. Schildebeck a écrit:

«Claude composait plus par boutade que par malice. Il faisait moins des
vers profanes et satiriques par impiété et profanation que par caprice
et fantaisie.»

Le baron ajoute: «Il vaut mieux _bien faire du mal_ que _mal faire du
bien_, et le poète est excusable en cela qu’il était né si fatalement
pour la satire et pour les femmes, qu’il lui était aussi impossible de
ne point écrire que de ne point chevaucher.»

Voilà qui paraît plus juste que l’arrêt de de Mesmes, en tout cas moins
impitoyable.

Les Muses ont trahi ce jeune homme qui avait été leur courtisan, et il
peut lui déplaire, aux Champs Elysées, de les entendre toujours nommer
«Pucelles» ou «Chastes Sœurs». Il les a connues chez les Libertins et
les dénonce impudiques. N’est-il pas vrai que plus d’Aventuriers se sont
baignés nus avec elles dans leurs fontaines, que d’Avaricieux parmi les
sablons du Pactole? Est-il poètereau qui ne se soit réclamé de leur lit?
A tout barde qui prend son luth, elles donnent un baiser. Et la suite.
Claude leur fait des reproches moins graves que Baudelaire dans
_Bénédiction_. Et Baudelaire n’est pas mort sur un bucher, lui. Plus que
la colère du fils de Pelée, les Muses ont précipité chez Pluton une
foule de héros. Ceux qu’elles marquent à leur signe, souvent sont promis
aux corbeaux et aux chiens. Phœbus Apollo, chef de chœur, trop souvent
s’élance de l’Olympe en fureur; «les flèches redoutables sonnent à
chaque pas sur ses épaules.»[3] Et Villon en fut percé. Et Deubel. Et
Chénier, qui pourtant l’avait prié par son arc d’argent sous le nom de
Sminthée!

  [3] Homère, Iliade.

Combien nous serions excusables de représailles moins joyeuses. Or, pour
Cour de justice, nous n’assemblons contre les Neuvaines qu’un Décaméron.
Eros peui les exclure de ses fêtes, et la Volupté chanter sans leurs
secours.

Jouir comme Rire est le propre de l’homme. J’ai ri et me suis amusé dans
ce livre, où je n’ai offensé que des Mythes, mais indestructibles. Parce
que l’œuvre de Claude a été réduite en cendres, et parce que les
feuilles de son manuscrit ont été dispersées, je lui ai donné la
consolation posthume d’en remettre au moins le titre en lumière, le
titre que j’ai considéré comme un legs. Mais j’en ai abandonné un peu
pour frais d’hoirie. L’archaïsme de _Bourdeau_ est moins voyant que le
mot qui finit en _del_. Et sans craindre les Pères Garasse[4], je fuis
le mot scandaleux. Tiré à petit nombre, ce recueil ne mérite que le
Purgatoire, indigne de figurer dans _l’Enfer_ de la Bibliothèque
Nationale, de Fernand Fleuret et Perceau, s’ils en font une nouvelle
édition.

Ch. Th. F.

  [4] L’illustre philosophe Jules de Gaultier, interrogé par Maurice
    Caillard à propos de la croyance aux Réincarnations a répondu:
    «Théophile Gautier dans l’admirable madrigal Panthéiste _des
    Affinités Secrètes_ ouvre d’autres perspectives à travers lesquelles
    les souvenirs hantés du romancier de Claude Le Petit pourraient
    trouver peut-être à se préciser. L’hypothèse poétique de Gautier
    suppose une sorte de mémoire atomique qui fait se reconnaître les
    éléments juxtaposés des formes anciennes, lorsqu’après les
    dissociations mortelles ils se rencontrent dans des corps nouveaux.

    De cette hypothèse poétique dans la matière de laquelle Gautier a
    ciselé une si délicate et si précieuse orfèvrerie, je ne doute pas
    que M. Feret ne soit habile, s’il lui plaît, à tirer une application
    favorable à sa thèse.

    Je ne prendrai pas parti... Je m’en tiens à souhaiter, avec beaucoup
    de force, que les atomes, où s’assemblèrent jadis les formes
    maléfiques des Juges et des Bourreaux de Claude Le Petit, n’aillent
    pas se reconstituer de nos jours, tandis que ce poète libertin,
    dissimulé sous le masque protecteur de Ch. Th. Féret, compose encore
    pour nous de beaux poèmes et d’ingénieuses fictions.»

    Jules de Gaultier.



CALLIOPE

Muse de l’Épopée et de l’Éloquence


LE PUCELAGE DES MUSES

        _Fatidicae jacent sine laude Camœnae._

I

        De tel père filles telles.
        Et Jupin, qui sur le dos
        Verse Nymphes et mortelles,
        Change l’Olympe en bourdeaux.
        Lanterne du corridor,
        Vénus cligne ses yeux d’or.

        Piérides, en pierreuses,
        S’ouvrent à tout espadon,
        Si pour Jean Racine creuses,
        Creuses aussi pour Pradon,
        Avec autant de maris
        Que les Odes ont d’Iris.

        La Volupté, que leurs ruses
        Insinuent au fond des os,
        Aima les autels des Muses
        Près des jaillissantes eaux,
        Pour s’y laver à loisir
        De l’écume du plaisir.

II

        S’excitant à leur histoire,
        La _Clio_ prend des soudards
        Encor tout sanglants de gloire
        Dans son lit fait d’étendards,
        Et se colle à ces lurons
        Comme la bouche aux clairons.

III

        _Polymnia_, mal coiffée,
        Aime rêver à l’écart,
        --La paume au menton,--d’Orphée
        Qui l’honora d’un bâtard.
        L’été, dans les Casinos,
        Elle chante aux pianos.

IV

        Au danseur qu’elle évalue
        Plus touché de ses desseins,
        _Terpsichore_, elle, s’englue,
        Et l’imprime sur ses seins,
        En lui poussant sous le nez
        La touffe aux bras safranés.

V

        L’enchargeant des dolosives
        Sirènes, Achéloos
        Au bord des mers offensives
        Le chaste flanc a déclos
        De _Melpomène_, et depuis
        Elle a connu d’autres nuits,

        Les Aulis, et les Suburres,
        L’Œta funeste au héros,
        Et le col des vierges pures
        Trucidé comme taureaux.
        Ah! l’orgiaque Byblos
        A déchiré ce péplos.

VI

        En Ménade tu trébuches,
        _Euterpe_, ivre sous le joug
        De Bacchus, parmi les cruches
        De ton dieu qui monte un bouc;
        Puis t’unis dans le limon
        Avec le fleuve Strymon.

        Aristote, de ta double
        Flûte, nous dit que le son
        Pousse à la colère, et trouble
        Les sens avec la raison.
        Pallas proscrit l’instrument,
        De ses traits purs le tourment.

VII

        La Muse de l’hyménée
        Debout, lève son plectrum.
        C’est une passionnée,
        Souvent nue, _amat virum_.
        Mais sur le double coteau
        Qui mieux m’accueille? _Erato_.

VIII

        _Thalie_ a fait quelque frasque
        Chez les satyres bouquins
        Avant de porter le masque
        Comique et le brodequin.
        Et, sous la table, aux rouliers
        Ses pieds se sont mésalliés.

IX

        _Uranie_, en toi ne chôme
        Nulle sphère; un jeu risqué
        Gagne ta gorge à la paume,
        Tes fesses au bilboquet.
        La plèbe des petits dieux
        Gratte au compas les Saints-Lieux.

X

        Or toutes ces Demoiselles,
        Du sourcil jusqu’au talon,
        Te les garantit pucelles,
        Qui donc? Madame Apollon,
        Et ne te crois pas dupé
        Par cette _Kalliopé_.

XI

        Au double mont, si quelqu’une
        T’attend,--quelqu’une des Neuf,--Dis
        que ta bonne fortune
        T’offre un vase sain et neuf.
        Ne diffame point ce lis
        Le rimant à Syphilis.

        Le vainqueur de Cérisole
        --Et dame! il te valait bien!--
        N’a pas perdu la boussole
        Pour l’émail italien
        Dont Vénus sous le cimier
        Couronna François premier.

        Si tu fuis ces chambrières,
        De Ronsard fais bon marché,
        Qui de leurs serre-croupières
        Sur son Pégase écorché,
        Sue encore aux Phlégétons
        Sous le pourpoint à boutons[5].

16-II-23.

  [5] Allusion au titre d’un livre célèbre, édité à Lyon, chez François
    Juste, devant Nostre-Dame-de-Confort en 1539: LE TRIOMPHE DE DAME
    VEROLE, _Le pourpoint fermant à boutons_.



EUTERPE

Muse de la Poésie Lyrique et de la Musique

            En Ménade tu trébuches,
            Euterpe, ivre sous le joug
            De Bacchus, parmi les cruches
            De ton dieu qui monte un bouc;
            Puis t’unis dans le limon
            Avec le fleuve Strymon.


CHANSON

          J’ai vu sur son dodo
          Ses quinze ans de brunette,
          Qu’Amour croit trop jeunette
          Pour porter son fardeau.
          Et n’avait la fillette
          Que ses mains sur son cœur
          Pour cacher son honneur.

          Ah! fi du doigt pâlot
          De la fausse nonnette,
          Qui dans sa ravinette
          Joue, et craint le lolo!
          Les mains de la fillette
          Qui dormaient sur son cœur
          Y serraient sa candeur.

          Donc ne laissant Margot
          Rien à la devinette,
          --Sadinet! Sadinette!--[6]
          Je l’ai vue à gogo.
          Or a fait la fillette
          De ses mains sur son cœur
          Prisonnier son voleur.

  [6] Du Sadinet, fi! (Villon).

          O hyménée! Io!
          Ces pommes de reinette,
          Mûres pour la dinette,
          Je leur ferai jojo.
          J’éveillai la fillette
          Et la main sur mon cœur
          Lui jurai le bonheur.

          Hier, soufflé le flambeau,
          La trouvai close et nette;
          Et rompant la chaînette,
          Lui fis un peu bobo.
          O printemps de fillette,
          Ses deux mains sur mon cœur
          M’ensemencent de fleur.



ERATO

            La Muse de l’Hyménée
            Debout, lève son plectrum.
            C’est une passionnée,
            Souvent nue. _Amat virum._
            Mais sur le double coteau,
            Qui mieux m’accueille?--Erato.


MA VOISINE

    Quand le jour a brûlé sa chair grassette et blonde,
    --Poreuse alcarazas dont sue en perles l’onde,
    Pulpe que la brunette a d’un grain plus serré,--
    A sa fenêtre ma voisine au chef doré,
    Se fiant au feuillage, à la nuit ingénue,
    Apparaît languissante, et luit pâlement, nue.

    Nue! elle ne sait pas la brèche en ses tilleuls,
    Et qu’aux poètes comme aux derniers faunes, seuls,
    Les dieux livrent encor la blanche proie hellène,
    Nymphe des monts ou de la mer à Mytilène;
    Que du jardin nocturne et de lune trempé
    Ils nous font ou l’Hymette ou le val de Tempé;
    Car les yeux bleus du rêve ont des vertus secrètes
    Que la Beauté convie à ses plus belles fêtes.

    De qui viens-tu parler, jeune femme à la nuit?
    De l’amant qui te lasse ou de cil qui te fuit?
    Sur cette rose est-ce une bouche que tu baises?
    Qui mieux, sous l’éventail de ces branches, s’apaise
    De ton cœur frémissant ou de ta gorge en feu?
    Adieu léger, regret moqueur, pudique aveu,
    Que murmure ta lèvre à l’ombre confidente?
    L’abîme de la rue et la feuille abondante
    Séparent à jamais nos bras et nos destins;
    Ma main seule t’envie à mes yeux clandestins.
    D’Amour, jeune ruffian qui bat des cartes fausses,
    Peu me chault; seul dénoue encor mon haut-de-chausses,
    Seul débouche pour moi de magiques flacons,
    Le Plaisir, sûr valet, qui garnit les balcons...

    Il m’a de toi donné la part la plus suave:
    Voir, c’est avoir un peu, jouir, sans être esclave.

    Et voici que tes bras levés font sur ton dos
    De ta nuque crouler les fluides fardeaux,
    Que ton aisselle luit d’une touffe de plume.
    Mon nez bat; dans le vent illusoire je hume
    En des moiteurs de blonde un âcre sauvagin.
    De tes feminités et de leur doux engin,
    Puisqu’une rampe me coupe ton ventre au cintre,
    Mon vers chaste et déçu ne peut être le peintre.
    A ta vaste toison--cette charge de blé
    Sur ton dos--ne s’oppose un crin plus crespelé.
    Je perds aussi tes longues jambes et leur lustre,
    Vague blancheur entre les galbes des balustres.

    O toi que je n’aurai jamais, ô toi qui m’eus,
    En désarmant de leur acier mes yeux émus,
    Reprends tes chastes lins et regagne ta couche,
    Maintenant que, cabré de volupté farouche,
    Dans une odeur de toile chaude et de couvain
    Je cours charger un flanc que raie un noir ravin.
    C’est la brunette au grain plus serré, c’est l’épouse.

    Quand mon baiser la brûlera de sa ventouse,
    Si t’arrivent là-bas des gémissements longs,
    Crois qu’un rauque bonheur déchire deux coulombs;
    Et ne jalouse pont celle dont l’habitude
    Ravie, et s’étonnant de mon élan plus rude,
    Ne saura pas, mêlée au corps de son mari,
    Qu’une adultère ardeur la foule et la tarit,
    Que sa dévotion conjugale et câline
    Sert de traîtres désirs comme une Messaline.

    Mais je te dédierai la fougue où je connus
    Sur la brune Pallas une claire Vénus.
    Et toi-même vas-tu, te coulant sous tes toiles,
    Réveiller un amant remué jusqu’aux moelles
    Par ta jambe gélive et ton odeur d’été,
    Et ces jumeaux compacts de ta rotondité?

    Peut-être projetant ma luxure lointaine
    T’ai-je touché le sein d’une invisible antenne;
    Et ton maître, étonné de tes jeux assouplis
    Aux rites qu’il n’osait enseigner à tes lits,
    Va, dans la bouche et dans la conque autrefois prompte
    Aux refus, retrouver deux esclaves sans honte.

    Puisqu’Eros doit demain t’asservir, aujourd’hui
    Ne crains pas un peu de bassesse devant lui.


LA BELLE VIEILLE

    C’est d’avoir tant aimé l’enfance de ses seins
        Qu’en son déclin je l’aime encore;
    Et d’avoir vu, des bas de la fillette, éclore
        Deux globes d’un noble dessin.

    J’avais cet âge, où l’on n’est plus le jeune coq
        Qui plonge et retire sa lame,
    Où les arômes bus ramènent à la femme,
        Où l’amour prolonge le choc;

    Où, las des fards, de lèvre peinte, et de faux blond,
        Las des rapides ariettes,
    L’on rêve du menton pudique où Juliette
        Presse son tendre violon.

    Et sous mes yeux l’adolescence pétrissait
        Ce très féminin bosselage,
    Fanfreluchait de mousse un joli coquillage,
        De myrrhe exaltait le gousset.

    Je reniflais aux courtes manches de l’été
        Le fil emmêlé des aisselles;
    Et j’épiais la jupe aux hautes balancelles
        D’où béait sa féminité.

    Mon rêve demandait aux nattes d’un noir bleu
        Quelque image du tabernacle,
    Où frise un crin d’agneau, dont l’attouchement racle
        L’éréthisme des chairs en feu.

    Par baisers décochés sur ses dents closes, j’eus
        Les siens qui ne savaient répondre.
    Mais l’imparfait contact dont je me sentais fondre
        Prélibait son baume et son jus.

    Ma jeunesse barbare oubliait son destin
        De servir Mercure ou Minerve,
    Tantale du poison âcre et doux, dont s’énerve
        La soif, au flot proche et lointain.

    O bucher de la Longue Attente! O noir ruisseau
        Des désirs qui coulent en lave!
    Bonds cruels du marteau sur le cœur de l’esclave!
        Et grésillement sous le sceau!

    Ce long souci qui des chairs d’ambre m’a fait serf
        Aux brunes chaudes me consacre,
    Aux yeux d’or que traverse un reflet de massacre,
        Quand le spasme tire le nerf.

    Enfin elle mûrit: je conquis des chemins,
        Dont mes doigts étaient les couleuvres.
    Mais la chambre secrète étant close au grand œuvre,
        La clef en brûlait dans mes mains.

    --Non! dit la bouche, mais dans les yeux confesseurs
        La chair défaille et s’humilie,
    Le jeune sein captif se débat en folie,
        Chevreuil lié par les chasseurs.

    C’est dans une île de roseaux, de prés herbus,
        Sous un vieux saule solitaire,
    Qu’un jour elle m’ouvrit le délicat mystère,
        Versa la tête, et je la bus.

    Cette heure-là, depuis, ne meurt plus. Ce raisin,
        J’en suce encor la grappe bleue;
    Ces œillets vers mes dents se haussent sur leur queue;
        Priape les cueille, et me ceint,

    Quand au giron, immaculé comme jadis,
        Dont Sarah fait Agar jalouse,
    En son dixième lustre, à longs traits, je l’épouse
        Parmi ses genoux arrondis.

    Vos belles comparez! _Conferte puellas!_[7]
        Tel Paris morgua deux déesses,
    Quand Vénus éteignit d’un remûment de fesses
        Madame Jupin et Pallas;

  [7] _Ovide._

    Tel Maynard, pour donner à la mienne le prix,
        Infidèle à sa belle Vieille,
    De sa stance eût tiré la couronne vermeille
        Dédiée à des cheveux gris.

    Car l’âge a respecté les siens; de nul fanon
        Il n’injurie un cou d’ivoire,
    Ni ses pommes d’amour qu’à peine il mue en poires,
        Ni ses bras dignes de Junon.

    Et le plaisir ramène en ses yeux d’aujourd’hui
        Le trouble émouvant de la gosse
    Dont la chair est choyée avant l’âge des noces,
        Qui mord et repousse le fruit.

    Noces tardives! qui pendant les plus beaux jours
        Laissent la jeune chair en friche!
    Aimer, c’est vivre, et dans la saison la plus riche
        L’état de grâce, c’est l’amour.


LE VOYAGE

    Quel plaisir, le départ vers la mer, vers l’amour,
    Avec l’Amie, intacte encor, qu’idéalise
    Parmi les grands manteaux et les fauves valises
    L’inconnu de la chair, à la chute du jour.

    Par un long soir doré partir vers le mystère
    Du Manoir dans les bois et du beau corps nouveau.
    Mais de doux regarder et de geste dévot
    Voiler le désir dur, et la voix qu’il altère.

    Songer au fruit suave, énorme et divisé,
    Charnellement assis aux rondeurs de la robe;
    Imaginer le branle amoureux du beau globe,
    Que le rythme du train fait doucement danser.

    Voir se profiler sur les prés en débandade,
    Sur la berge qui court à contre-sens de l’eau,
    Le visage rayé d’ombre agile, pâlot
    Comme la lune sous le nuage nomade.

    Puis quand le Pays vert s’atteste en ses maisons
    Aux poutres brunes dans le plâtre en colombages,
    Si les yeux pérégrins ont loué nos herbages,
    Mercier d’un baiser les cils et les frisons.

    Enfin quand la Nuit douce, effaçant les collines,
    Nous cerne de son mur tout à l’heure infini,
    Désarmer la pudeur de son tendre Nenni,
    Ouvrir les bras au col qu’un songe dodeline.

    Et dès qu’elle acquiesce en un faible gémir,
    Poser sur ses genoux, avant qu’elle se garde,
    Une main innocente, et comme par mégarde,
    Sur les genoux, première étape du plaisir.

    Murmurer en des mots frêles, comme d’un songe:
    «Votre corps chaud exhale un parfum de fruit mûr.
    «Qu’il est doux le baiser du premier soir, et pur!
    «Il laisse aux vieux amants la ruse et le mensonge.

    «Aide mon chant le Vendosmois mélodieux.
    «L’aide ce beau tétin qu’eût jalousé Cassandre:
    «Et l’écho des baisers de nos bouches en cendre
    «Nouera les couples nus sur les draps radieux.»

    Ainsi de bouche active et de main ocieuse,
    --Mais dont l’effluve s’insinue au long des os--
    Comme aux jeux d’Olympie une vierge de Cos,
    Oindre d’une huile d’or la claire voyageuse.

    Et savoir que de nous l’aube va faire un dieu,
    Qui saisit la dryade au creux buisson, la perce
    D’un dard multiplié, heureux du sang qu’il verse,
    Lui arrache un long cri, et la cloue au milieu.

    Mais attendre le lit, ne forcer que l’enceinte
    Des dents, tant qu’au cristal ciselé des flacons
    N’a la Nymphe ondoyé le Pinde et l’Hélicon,
    N’ont clapoté les lacs de rose et de jacinthe;

    Qu’un peigne de Cypris n’a mordu les cheveux.
    Et pour toute la chair, tout le crin dûs au maître,
    --Le linge à bas, provocateur qui s’est fait traître,--
    N’attendre que du lit l’absolu des aveux.

    Du lit, profonde nef, dont les voiles captives
    Cinglent joyeuses vers l’infini de la chair.
    Pélerin du plaisir, repars sur cette mer,
    Pleine aussi de remous et d’oiselles plaintives.


Conseil à une petite Courtisane

    Tes dix-sept ans n’ont pu, dévêtus sans chicane,
    Ni ton ventre, émouvant de si peu d’ombre au coin
    Qu’il semble d’une enfant sous sa houppe de foin,
    Le pur émail n’a pu de tes yeux de Persane,

    Ni ces pommes qu’à s’infléchir déjà condamne
    Le Vice qui trop tôt y planta son groin,
    Ni ta cuissette, dépliée avec un soin
    De Ghesha, n’auront pu, petite Courtisane,

    Sur sa corde roidir le joujou des fillettes.
    Et tu dis que les ans m’ont noué l’aiguillette...
    Nenni! mais il y faut pudeur avec mystère.

    Pleure, ou résiste un peu. Nomme ta sainte mère,
    Et, la joue enflammée, appelle-moi bourreau...
    Pour me sentir entrer dans toi comme un taureau.


Réponse de la petite Courtisane

    Taureau peu digne encor du beau fessier d’Europe,
    Je tâte un serpent mou qui n’a rien d’un Python,
    Et je trouve une corde où je cherche un bâton.
    Mais je vais t’éveiller de l’indigne syncope.

    Je rapproche mes seins, que ma paume enveloppe.
    J’en fais saillir la proue, et du double bouton
    Laboure au bon endroit ta chair de molleton;
    Et, plus bas, mon genou te racle et te varlope.

    Puis je donne à flairer l’aisselle chaude au mâle,
    Où le crin d’astrakan me fait plus animale...
    Ah! tu renais, nourri d’effluves opportuns.

    Baudelaire savait le ressort poétique:
    Comme des autres l’âme erre sur la musique,
    Le poète a le cœur gonflé par les parfuns.


A la Fleur de Lis

    La Pudeur sous ta coiffe, ô Nonne du Verger,
    S’incline, et va prier pour la Rose charnelle.
    Mais le pistil tendu branle en toi comme en elle,
    Et bat tes pâles chairs de son marteau léger.

    Sur son fifre moqueur le merle bocager
    Te siffle, car le dard qui rôde en la venelle
    Macule de safran ton calice, et son aile
    Te froisse comme un lit par l’amour saccagé.

    Quand ces stigmates nous révèlent qu’Aphrodite
    En ses secrètes lois ne t’est plus inédite,
    Sur l’écu losangé des vierges que fais-tu?

    Loin des chastes blasons, sur le sein qui te fane,
    Sers d’ironique enseigne à ces froides vertus
    Que dévaste en secret un roide manche d’âne.


Réponse de la Fleur de Lis au vieux Poète

Dans le jardin du grand Séminaire

    Tu as médit de moi, mais mon arôme épars,
    Et ma robe déclose, et Pudeur renoncée,
    Suscitent une touffe ardente en ta pensée,
    Emmêlent des fils d’or qui brûlent tes regards.

    Tes désirs étirés comme des léopards
    Font battre ta narine, et de ta force usée
    Tu ressurgis Daphnis!--L’âme aux lèvres sucée,
    Sens-tu fondre Chloé, gorgé de ses nectars?

    Donc sur ma chair dorée et ma blessure fraîche
    Honore Eros archer, et reconnais sa flèche,
    Si ton flanc en gémit autrefois, autrefois!

    De l’odeur de l’amour ta narine altérée
    Ores ne boira plus qu’en mes calices froids
    La proie adolescente et sa mousse sucrée.


S’IL FAUT DE LA MOUSSE AU SILLON

I

        Dame ou Soubrette de jadis
        Qui s’allait baigner aux étuves,
        Avant de se tremper aux cuves,
        Se faisait plumer la perdrix,
        (J’entends l’oiselle de Cypris),

        Pourvu que le nid en fût sec,
        Car dans la mousse blonde ou brune
        L’oiseau, quand l’ordonne la lune,
        Casse un œuf, et mouille son bec
        D’eau plus rousse que le Robec.

        Sur l’herbe noire ou sur le foin,
        Au crû de la dernière tonte,
        La chemise trousse la honte
        Ou l’orgueil, sous le rire en coin
        Du joyeux barbier de maujoinct.

        L’huis non troué par le cousin
        Ferme à secret ses grosses lèvres,
        Tandis que de béantes Bièvres
        Etendent jusqu’au trou voisin
        L’ourlet d’un rire sarrasin.

II

        Dans les couvents un fer cruel
        Dévaste la nuque à l’Epouse;
        S’il fauche aussi l’autre pelouse,
        C’est qu’on est moins jaloux au ciel
        Des mains du barbier que du poil.

        Dame! Il tient chaud; dans un lit froid
        Il sert de manchon à la nonne;
        La main s’égare, et puis s’étonne
        Arrêtée au petit endroit
        Du grand bien né d’un petit doigt.

III

        Au harem, le Mamamouchi
        Qui fait aux chats fourrés la guerre
        Lève la toile à la moukère,
        Et pour le Pacha la blanchit...
        Ou bien pour le godemichy.

IV

        L’art grec n’a pas,--religieux--,
        D’un sexe béant qui pantelle
        Blessé le flanc des immortelles.
        Humains, il soustrait à nos yeux
        Le sillon creusé pour les dieux.

        Des bords du féminin palus
        Il élague le beau feuillage;
        Un peu d’algue à son coquillage
        A Vénus ne rappelle plus
        Qu’elle est née aux flots chevelus.

        Maître Gautier en a gémi,
        Qui voit sur la touffe embrasée
        De Cypris, la tête frisée
        D’un Cupidon fauve, parmi
        L’or clair de sa mère endormi.

V

        Mais Vénus est morte, et Byblis!
        Vains regrets d’un flocon de laine
        A des hanches, même d’Hélène,
        Puisque ne hantent plus nos lits
        Berthe au grand pied, Biétrix, Allis.

        Ce n’est pas moi qu’on a volé
        Sur l’airain, la toile, ou le Pare;
        Mon hamadryade se pare
        D’une toison d’or crespelé,
        Souvent à ma barbe emmêlé.

        Seul fut déçu Pygmalion,
        Qui, forant sa Nymphe sculptée,
        N’avait pas feutré Galatée.
        Mais d’un frottis de vermillon
        Il mit de la mousse au sillon.


ENIGME

    Ce n’est mont ni coteau, rien qu’éminence mince,
    Mais, dessus, l’on se sent gros sire en sa province.
    Ce n’est val ni ravin, rien qu’un sillon étroit,
    Mais l’on prise un vrai bien qu’on peut toucher du doigt.
    On le cultive, mais le semeur--ô démence!--
    S’il croyait récolter, garderait sa semence.
    Est-il rose de fleurs qu’aussitôt on le fuit,
    C’est un verger qu’on veut sans boutons et sans fruit.
    Là n’est rû ni ruissel dont s’humecte une grive,
    Mais toujours sous la lèvre y naît la source vive.
    Ce n’est ombre où musser un nid de roitelet,
    Pourtant sous des fils d’or passe un bec d’oiselet.
    L’herbelette plus haut pousse ses petits glaives
    Que cet îlot de mousse entre deux blanches _grèves_.
    Ayez bien garde à l’huis et le tenez célé,
    Car la serrure tente, et tous en ont la clef.


A UNE DAME ÉTRANGÈRE

La Couronne de Vénus

    Des bourdeaux évadée en la Littérature,
    De monstrueux morpions t’ont taraudé la pel.
    Tu fis--j’en jure le conin de Jézabel!--
    Largesse de poulains aux camps d’Estramadure.

    Puisqu’on t’a recousu le ventre et la nature,
    Appends en ex-voto le bienfaisant scalpel.
    Et qu’on dise: «Autrefois, Nymphe au grec Archipel,
    «Apollo la connut sous le nom de Mercure.»

    Pour les ruts douloureux ton squelette allongé
    Punit son chevaucheur, à chaque ahan, d’un jet;
    Et de tes yeux trop mûrs chavirent les opâles.

    Sur ton front, par le suint des mèches fustigé,
    --Juste couronne due aux tempes triomphales,--
    Vénus Dolorosa saigne en ces roses pâles.



URANIE

Muse des Choses Célestes et des Divinations


TA PLANÈTE

Si tu veux faire une amie

I

        Si tu veux faire une amie,
        Je t’offre ici ces leçons,
        Quand jà Vieillesse ennemie
        Me fait vider les arçons,
        Et ne laisse que le flanc
        De Pégase à mon élan.

II

        Fuis les sèches, fuis les plates.
        Laisse les mineures chez
        Macette, où bave, écarlate,
        Et rouant des yeux pochés,
        Le barbon qu’aucunes fois
        Il faut ranimer du fouet.

        Jadis me plut davantage,
        Encore un peu verdelet,
        Non tout à fait mûr, cet âge
        Qui Ronsard ensorcelait.
        Je penchai mes voluptés
        Vers ces froides puretés.

        Tel, ses cheveux à l’épaule,
        D’un rû de nacre abusé,
        Se penche l’amour d’un saule
        Sur le fugace baiser
        Qu’aux reflets noue et déclot
        L’ombre des Nymphes dans l’eau.

        N’agace point à ces proies
        Le bout de tes doigts mouillés;
        Le jeu de la petite oie
        Sied aux vices écoliers.
        Mais fonds ton désir total
        Dans la chair comme un métal.

III

        Ton amie aura cinq lustres,
        Des tétins non étoilés,
        Dignes des ciseaux illustres,
        Tétins et non pots de lait.
        Un sein noblement taillé
        Eteint le plus clair collier.

        Prends-la grande: un grand domaine
        Peut seul te découvrir maints
        Beaux sites, où se promène
        Ton regard, aussi tes mains.
        Des petites te défends
        Comme de prendre une enfant.

        La blonde, les nuits ardentes,
        Répand d’abondantes chairs.
        Sa croupe chaude et fondante
        Est d’une épouse d’hiver.
        Soit ton lit acclimaté
        Aux seules brunes, l’été.

IV

        Le désir est prompt, et flambe
        Parfois avant de savoir
        Si le galbe de la jambe
        Aura de quoi l’émouvoir,
        Quand aux ultimes combats
        La pudeur perdra ses bas.

        Regarde les doigts: graciles,
        Ou bouffis, ronds ou carrés,
        Ils sont sculptés sur le style
        Dont le corps même est ouvré.
        Comme est taillé le sourcil
        L’aine est implantée aussi.

        Ciboire où le vin de messe
        De l’amant va faire un dieu,
        La bouche fait la promesse
        D’un velours caché aux yeux;
        Et sur la lèvre un léger
        Duvet n’est point mensonger.

V

        Que la fierté des yeux chastes
        Ferme au désir le chemin,
        Tandis qu’une croupe vaste
        Invite au palper les mains,
        Et fait l’ange si fâché
        De recéler le péché.

        Son chef luise sous la charge
        De crins annelés et fins;
        Et soit son buste une large
        Table d’harmonie, afin
        Que lamente par son col
        Puissamment un rossignol.

        Et je veux qu’en ses yeux flotte
        La tendre pudicité
        De l’adorable Charlotte
        Dans le roman de Goethe,
        Que comme Dorothéa
        _Patet incessu dea_.

VI

        Crois-tu qu’un portrait je brode
        Des chimères copié?
        Et qu’au seul lit froid de l’Ode
        Elle allonge ses beaux pieds?
        La chair t’attend quelque part
        Comme elle attendit Ronsard.

        Cassandre est belle, il l’obsède,
        Et n’en jouit que de l’œil.
        L’Hélène qu’il chante est laide.
        Mais voici devers Bourgueil
        La vachère de quinze ans
        Qui va rejeunir ses sens.



TERPSICHORE

Muse de la Danse


A VINCENT MUSELLI

          Ton nom, s’il ne m’abuse,
          Ami, t’a dédié
              Aux Muses,
          Pour leurs beaux bras lier.

          De flûte traversière
          Fais, le front ciselé
              De lierre,
          Les Camènes baller,

          A bonds et à volées,
          Et tant que par le chaud
              Foulées,
          Le souffle ne leur fault.

          Dès qu’aux gorges Neuvaines
          Des perles sur le bleu
              Des veines
          Ruissellent, romps le jeu.

          Et quand tu les dénoues,
          Vois les Nymphes baigner
              Leurs joues,
          Les Grâces les peigner.

          Prends la houppe, le peigne,
          Les fards; qu’heureux témoin
              Ne craigne
          De leur donner des soins.

          D’une main délicate
          Tire, au jais du chignon,
              L’agate,
          Et te fais leur mignon.

          Si le col sur la nuque
          Baille, regarde aval;
              Reluque
          Le dos moite du bal.

          Comme chez les modistes
          Qui n’ont rien à cacher,
              Assiste
          A leur petit coucher.

          A qui fait la mauvaise,
          Et la main sur tes yeux
              Te lèse
          D’un buisson radieux,

          Baise la paume, opprime
          Les globes à tâtons;
              Qu’aux cîmes
          Grossissent les boutons.

          De ta langue la perce,
          Et lui dis: «Puella!»
              --Properce
          Eût aimé ce nom-là--

          «Moi qui les Muses lie,
          Les délierai.--Ces lins,
              Thalie,
          Font mes yeux orphelins.

          «Erato, qui les noces
          Présides, par Eros!
              Ces bosses
          Ne me font de Paros.

          «Dans mes bras, Calliope,
          En belle chair, et non
              Par trope,
          Fais quinaud Apollon.

          «On sait pourquoi la serpe
          De Bacchus, bon voisin,
              Euterpe,
          Te coupe du raisin;

          «Et qu’à Mars sous la tente,
          Vivandière Clio,
              Contente,
          Tu trousses ton bliaud.

          «Mais si les cœurs bondissent,
          Quand du pouce et du doigt
              Indice
          Je touche au luth françois,

          «N’osez à nos mains pures
          Fermer vos peplos d’or,
              Ceintures!
          Et nous dirons encor

          «Que d’argent, de prière,
          Nul n’a soumis vos cœurs
              De pierre,
          Pucelles, Chastes Sœurs,

          «Quoiqu’à votre huis, où saigne
          Un gros numéro 9
              Des duègnes
          Aussi vastes qu’un bœuf

          «Racolent pour les Muses,
          Que Claude Le Petit
              Accuse
          Du chancre qui le cuit.

          «Mais tant pis pour qui cherche
          Pégase, et en vilain
              Du Perche,
          Ne trouve qu’un poulain.»



POLYMNIE

Muse des Hymnes et des Chants, en l’honneur des dieux, des héros et des
nymphes.

            Polymnia, mal coiffée.
            Aime rêver à l’écart,
            La paume au menton--d’Orphée
            Qui l’honora d’un batard.



[Illustration]


EN L’HONNEUR DE PRIAPE

        _Olim truncus eram ficulnus._

        Tronc de figuier, je t’ai fait dieu,
        Le dieu jardinier de Catulle
        Aux membres grêles, mais Hercule
            Par le milieu.

        La Nymphe captive dans l’orme,
        Dont luit le dos parmi les fûts,
        Va presser dans ses bras touffus
            L’amant énorme.

        L’abeille, abusée au carmin
        Dont j’ai peint ta tige charnue,
        Voudra de la fleur inconnue
            Tenter l’hymen.

        La fontaine, qui chante et pleure
        D’amour et de ramentevoir,
        Croira que, troublant son miroir,
            Un dieu la leurre.

        Un espoir suspendra sa course;
        Car Eros, jaloux de ses lis,
        Déçut,--amante et sœur,--Biblis
            Changée en source.

        Mais tu verras, blanche Armada,
        Fuir les cygnes à belle proue;
        Car, te mesurant, désavoue
            L’oiseau--Léda.

        Voici, pour armer ton épaule,
        Selon que Maro m’enseigna,
        (_Custos, cum falce salignâ_)
            La faulx de saule.

        Peut-elle effrayer les pinçons,
        Le freux, la pillarde alouette?
        Et garder le clos du poète
            Des maugarçons?

        Veille, frappe, t’efforce, sue.
        Ne me sois qu’un dieu paysan.
        Ce joujou des belles, fais-en
            Une massue.

        Puisque ne trouble plus mes lymphes
        Le dieu sauvage, tiens-t’en là:
        De toi je n’implore point l’A-
            -mitié des nymphes.

        A ton autel nul chevrier
        Des bucoliques de Sicile
        Ne pousse le bouc indocile,
            Pour toi lié.

        Qu’ait mené ce jeu l’immortelle
        Brigade, il ne sied à mon breuil.
        Et Colombes n’est point Hercueil,
            Ni moi Jodelle.

        N’attends point qu’aux roses debout,
        --Qui furent peut-être des femmes
        Aux Métamorphoses,--mes lames
            Coupent le cou.

        L’Ode t’a fleuri par jonchée;
        Mais plus avare est mon jardin
        Que l’asclépiade latin,
            Que le trochée.

        Assez j’honorerai ton front
        Gros comme une pomme reinette,
        Si je te fais une cornette
            D’un liseron.

        Mais dans mon bois la prima donne
        Exalte en lyriques sanglots,
        Où revient le nom d’Itylos,
            La nuit d’automne.

        La feuille a frémi, la voilà,
        _Favete linguis!_ Dieu champêtre,
        Cette grande voix c’est peut être
            Philomela.


ONDINE

    Entre mes bras fond la mollesse de ton torse.--
    Quand une peine les métamorphose en source,
    Je bois ta jeune vie à tes paupières douces.

    Sur ta langue, serpent qui se darde, se love,
    Et se rebelle entre tes lèvres, mes esclaves,
    Je lape avidement les sucs de ta salive.

    Ta féminité, sous tes cils d’aristocrate
    Qui battent, mais non pas de pudeur hypocrite,
    Me verse ton sang rose en sa coupe secrète.

    Et l’ardente sueur dont le plaisir t’embrase,
    M’imprègne dans ton lit, pleurs d’aube sur la rose,
    Perles chaudes aux seins d’une belle coureuse.

    Tes jambes dans le bain luisent comme la faille.
    Et tu sembles par tes yeux glauques une fille
    Des Eaux, qu’on entrevoit un instant sous les feuilles.

    Sans doute tu naquis du flot qui frise et mousse,
    Et fus Nymphe chanteuse aux roseaux du Permesse;
    Oublieux d’Aréthuse Alphée eut tes prémices.

    C’est pourquoi sur un buis de flûte dolosive
    Je fausse ces trois clefs, afin qu’elles déçoivent
    Mais charment ton oreille, émue aux jeux suaves.

    Ma rime, Ondine dans le vent qui vire et valse,
    Fluteau parmi les joncs, clairon sur la mer vaste,
    Chuchote en la feuillée, et pleure dans la vasque.

    Puis, aux justes accords à son tour contribue
    Ta sœur, la Nymphe Echo, dans tes grottes herbues;
    Et telle je te chante après que je t’ai bue.


A LÉDA

    Quand te couvrit le vaste oiseau qui se déploie,
    N’as-tu pas regretté, Léda, les bras humains?
    Et, nue à nu, la chair sans plumes? Et la main
    Dont le feu sinueux court sur des flancs de soie?

    Plus encor que du jars c’est de la petite oie
    Que ton cygne apparaît le frère ou le germain...
    Qui donc couva les œufs de l’impossible hymen
    D’où sont éclos Pollux et l’Hélène de Troie?

    Europe sent sous le taureau l’emplir un dieu.
    Pour toi quelque autre époux dut achever le jeu,
    Symbole de la Nuit accouplée à l’Aurore.

    Prendre une femme, un cygne? ah! le beau conte grec!
    Tyndare t’a trouvée intacte et close encore...
    --«Pardon,» m’a dit Chloé, «vous oubliez le bec».



CLIO

Muse de l’Histoire


MADEMOISELLE DE LA VIGNE

A propos de sa correspondance galante avec Fléchier encore abbé

RONDEAU

      L’ébat galant de ce petit collet!
      Il fait sa roue et dit: «Votre valet!»
      A ma vertu son œil cherche un esclandre:
      Mais à sauter le doux ruisseau du Tendre,
      Il n’aura fait valoir que son mollet.

      S’il me faut rendre à son premier boulet,
      Je me renforce aux brèches, pour attendre
      Qu’à cet abbé l’on teigne en violet
              Les bas.

      Les miens sont bleus. Pour en baiser l’ourlet,
      Je le ferais à mes genoux de lait
      Chanter la Pâque un mercredi des Cendres...
      Ces abbés, bons à musquer un poulet;
      Mais au déduit le dernier des Léandres
              Les bat!


MADEMOISELLE DE SCUDÉRY

        Eh là! n’esmouvez plus, Sapho,
        L’esventail, zéphyr des ruelles.
        S’il vous cuit, la glace ne fault
        Que mon vers jette à pleine escuelle.

        Relevez votre beau séant
        Du throsne de la Chambre bleue;
        Assez avez piaffé céans
        Dedans vos mots à longue queue.

        Vos poulets ne se mangent point,
        --Régime bon aux fièvres quartes.--
        Du village des Petits Soins
        Vous avez dessiné la carte.

        Ains en votre privé, ma sœur,
        Vous ne vous estes point faict coulpe
        De vous régaller pour le seur
        D’une plus nourricière poulpe.

        L’ambition dont s’enflamma
        Vostre bouche, où branle un pieu jaune,
        Charge la langue et l’estomac,
        Et rote des phrases d’une aune.

        L’in-quarto, frais noirci de vers,
        Moins que votre peau suinte l’encre.
        Estes-vous plus blanche à l’envers,
        Où vertu de fille s’eschancre?

        Ores veulx,--poussé le verrou--
        Vierge au fusain, mais qui sens l’huile,
        Vous esclaircir--je sçais par où--
        Le teint, l’oraison et le chyle.

        Ces jupes à bas! Ostez donc
        La friponne après la modeste,
        Ces liens que l’épingle (oh! pardon)
        La sangsue encor me conteste.

        Salut Phœbé! Dans ce bassin
        Mire ta beauté qui se scinde!
        L’eau d’Hippocrène est au ricin;
        Voici l’Hélicon et le Pinde.

        Qu’entre deux monts il soit congreû
        Que coule un ruisseau, je m’affie:
        Le Bouillon des deux Sœurs! Ce rû
        Manque à votre géographie.

        Si trouvez trop aigu l’outil
        Dedans votre honneur, j’y subroge
        La pointe de vos concetti...
        Et je pousse à val. Loge! Loge!

        Est-ce là ce qu’un rêve pur
        Vous promist du premier Sylvandre
        Offrant quelque chose de dur
        A l’étroite Reine du Tendre?

        Or, jà dans vos flancs caverneux
        Cyrus gronde et la Calprenède...
        Je fuis le Perse au trait ocreux
        Et la balistique du Mède.


A SONNET DE COURVAL

Médecin de Vire

    Aux malades Virois, en médecin de Vire,
    Au lieu de se borner à tailler des tombeaux,
    A lui-même il bastit son monument, plus beau
    De ses durables vers que d’un muet porphyre.

    Ce Juvénal bourgeois écrivit maint libelle
    Contre le féminin, et tança ses humeurs.
    Il montre le Dégout épousant la Laideur,
    Et ce qu’il croît de corne au mari d’une Belle.

    Aucunes fois la Chaude au lit du flegmatique
    --Et rage d’os pelvien passe le mal de dents--
    Evente à grand meschef de ses soupirs ardents
    Le sang trop froidureux des vaisseaux spermatiques.

    La Superbe a mari lâche et ladre.--O lésine!
    Sans rabats à la Guise, en robe de blanchet,
    Moi, noble Damoiselle, où tant d’honneur t’échet,
    Ne peux faire le brave autant que la voisine.

    La Pauvre te contraint d’endurer les diffames.
    L’Infidèle t’encorne en satyre bouquin.
    Pour son honneur venger d’injurieux pasquin
    La Quinteuse te pousse aux espagnolles lames.

    De Laide, Pauvre, Riche, ou de Belle, son livre
    Fait cruelle censure et portraits d’Arétin.
    Mais sur toutes il hait la secrète putain
    Baisant dévotement ses médailles de cuivre.

    Ces Circés il purgea d’horrible scammonée,
    Vomit au lit nopcier; puis, bien vidé son pot,
    Sans craindre les écueils signés par ses drapeaux,
    Cingla délibéré vers le port d’Hyménée.

    Il disait: «Le serez! L’estes! Ou bien le fustes!»
    Le fut-il? Mourut-il squammeux, farci de clous,
    Le priape écorché des dents de mille loups,
    Comme l’avait prédit à bons maris de putes?

    Au moins d’un _Récipe_[8] sauvait-il la dépense
    Contre bouton de Naple ou chancre corallin.
    Si toi-mesme as métier[9] de baster un poulain,
    Lecteur, dedans ses vers lis au long l’ordonnance.

  [8] Ordonnance.

  [9] Besoin (en français de ce temps-là).



Vers pour

LES SERVANTES


MARTEAU DE PORTE

    Le dos tourné, grassette et ronde, le crin roux,
    La petite servante, avec un branle doux
    Qui fait rouler sa croupe et danser ses genoux,
    Frotte, à l’huis, le marteau dont je me sens jaloux.

    C’est un petit serpent en figure de guivre.
    Il s’éclaire, amoureux de la main qui délivre
    Le rayon endormi dans son âme de cuivre,
    Et l’on sent qu’en ces doigts de rose il voudrait vivre.

    Symbole du désir qui n’en vient pas au fait,
    Cependant qu’il demeure, amant insatisfait,
    A heurter comme on dit la porte du buffet,

    Je regarde la belle main qui le maltraite
    Et le choie; et, rêvant que je suis de la fête,
    Sens un autre serpent qui dégage sa tête.


LES SERVANTES DE PÉNÉLOPE

    Fuis la jeunesse des servantes, qui dénoue
        Le luxe insolent d’un beau crin.
    Il te sied de servir les seules Muses. Crains
        Une intendante aux belles joues.

    Lorsque tu dors, furtive, elle quitte ta couche,
        Et court se vendre à ton voisin,
    Qui parmi les baisers grapille sur sa bouche
        Tes secrets comme des raisins.

    Tel, sur son lit de peaux de brebis et de vaches,
        Ulysse, aux corridors obscurs,
    Méditant l’Arc sonore et la Joute des Haches,
        Surprit les commerces impurs

    Des servantes qui rient, en s’échappant des chambres,
        Et vont choyer les Prétendants
    De viandes, de vins, de leurs corps frottés d’ambre,
        Et de mensonge à belles dents.

    La nuit, les jeunes bras tannés par les lessives
        Se targuent de moire et de fleurs;
    Car où rôde Vénus une fièvre offensive
        Emplit les misérables cœurs.

    Mais le fort de leurs mois ferait tourner les sauces
        Dont l’âge gourmand fait grand cas,
    Et tu dois préférer à leurs caresses fausses
        L’amitié d’un vin délicat.

    Tu fuiras la jeunesse, et prendras Euryclée
        Au pas lent, à l’agile main,
    Pour que de torches d’or et de sagesse ailée
        Minerve éclaire tes chemins.


MEILLEUR AVIS

    Dans ta jeune servante admire le contraste
    Des beaux flancs, faits pour la luxure, et des yeux chastes,

    Et ce balancement sensuel des vaisseaux
    Que leur château-d’arrière assied bien sur les eaux.

    Je veux que la pudeur redresse un col farouche,
    Mais qu’un doux poids de chair s’incline vers ma bouche.

    Si près d’un jeune corps comment peux-tu dormir,
    Ces chaudes nuits de Juin, sans le faire gémir?

    Sans t’en aller surprendre au lit tiède de baumes
    Sa bouchette qui baise en rêvant un fantôme,

    Et peut-être te nomme en un parc enchanté?
    L’ombre ardente palpite à ses seins de clarté.

    De ses genoux, qu’un mol abattement sépare,
    Le nocturne rayon sculpte un marbre de Pare.

    Qui pourrait respirer sa fleur chaude et la voir,
    Sans trembler, faune, au bord du jardin rose et noir?

    Car le jour elle est serve, et, nue, elle est déesse...
    --Que dis-tu? qu’elle est pure, et tu crains sa sagesse?

    Tu n’as pas deviné au miel de ses regards
    Que sera sans refus au jeune maître Agar?

    L’aimes-tu mieux des jeux d’un butor avilie,
    Que tu ne cueilles point cet œillet d’Italie?

    Elle apporte l’aiguière... Allons, rends d’une main
    Doucement promenée hommage au sang romain.

    L’émoi brûle sa joue, et loin qu’elle te boude
    Vois l’extase incliner sa tête sur son coude.

    Possède sur ses yeux le mystère des pleurs...
    Non, elle rit, l’oiselle ayant pris l’oiseleur.


SERVANTE D’AUBERGE

    En bonhomme de rat qui joue au hobereau,
    S’il faut me retrancher un jour dans un fromage,
    --Mon large nez ne craint de tels parfums dommage--
    Que ce soit par fortune en un gras Livarot.

    Non pas que de ton nimbe et de ton faux douro
    Je cherche, ô Gloire ronde et rouge, quelque image.
    Bon pour les Muses de frontispice et les Mages.
    Je préfère à de secs lauriers un bon porreau,

    Du cidre blond pour boire en ma couleur... passée!
    Et l’épais Livarot que me sert, haut troussée,
    Chauffe-plat, chauffe-lit, la rougeaude Lison.

    A ma barbe qui poisse, à ma main fourvoyée,
    Très précieusement fouettent à l’unisson
    Le fromage onctueux et la femme mouillée.


SERVANTE D’HOTEL

    Tu ne sers pas Vénus, mais tu sers ses prêtresses,
    Tu regardes monter les sacrificateurs...
    Fais le lit du plaisir, mais crains que la froideur
    De tes mains de Vestale offense la Déesse.

    De ton sang nuptial tu lui dois les prémisses,
    O corps nouveau. Veux-tu? j’affranchirai tes flancs.
    Pour ma tempe fanée et pour mes cheveux blancs
    Prends-moi, car un vieux maître est plus doux aux novices.

    Irrite par feu les nymphes. Dans ce vase
    --Tant le jour fut brûlant--lave ton corps laineux,
    Et fais l’ampoule éclore en un 8 lumineux,
    Qu’on te voie à cheval sur ce petit Pégase.

    Ah! que de jougs avec ta chemise tu ôtes!...
    Je t’offre des plaisirs sans amour, goûte-les.
    La Passion veut des serments, fait des valets:
    La riche Volupté, elle, n’a que des hôtes.

    A ceux qui te jetaient une obole il faut prendre
    Un tribut, n’épargnant que moi qui t’enseignai.
    De ta vertu jamais tu n’auras un denier,
    Tu peux tirer bon prix de tes péchés à vendre.


POUR LA GROSSE MARGOT

        Ayant tollu d’un muguet
        La bourse avecques prestesse,
        Villon et les gens du guet
        Sont lors en délicatesse.
        Ains, quand maigrit son magot,
        Aux famines chez Margot
        L’Escholier veult se soustraire.
        Beaux vers ne sont beaux ducatz;
        Villon vient conter son cas
        Marloupeulx et littérayre.

        La ribaulde est au taudis,
        Jouxte un lict fané, de serge,
        Où, sur ses reins rebondis
        Jeune après vieulx se goberge.
        Un clerc vient de luy bailler
        Un rondel pour tout loyer.
        Le diable arde l’honoraire!
        Margot lave à grand fracas,
        A pleine escuelle, son cas
        Marloupeulx et littérayre.

        --«Poète, maulvais chaland!»
        Villon riposte: «--Eh! donzelle,
        «Gare, avec moi pour galant,
        «Aux oublieux d’escarcelle.»
        Adonc pour son chevalier
        La garce eslut l’escholier.
        Chez la Vénus usuraire
        Muse vescut sans tracas.
        Ains point n’est rare ce cas
        Marloupeulx et littérayre.

        Viennent clercs, laïcs, souldards.
        Villon, la mine narquoise,
        Jauche au gousset les pendards,
        Es hanaps verse cervoise.
        Et dict: «--Beaux fils, deux escus!
        «Vénus aime moult Bacchus.
        «A l’amour soëf est contraire.»
        Or mainct béjaune escroquas,
        Villon, lui citant ce cas
        Marloupeulx et littérayre.

        Puis: «--Seigneurs, nous reviendrez,
        Si liesse eurent vos braguettes».
        D’autres temps mauclers madrés
        Bourse vuyde font goguettes.
        Adextre à férir un coup,
        Maistre Eschollier en découd.
        --«Livre lu, frustrer libraire!
        «Tost réglez, indélicats,
        «Paravant d’yssir, ce cas
        «Marloupeulx et littérayre.»

        Quant sur le tribut prescrit
        Aucuns soirs triche la gouge,
        Villon lui signe un escript
        Sur son nez camus, en rouge.
        «Tu me veux réduire à jeun,
        «Comme en la geôle de Meung,
        «D’où me fit le Roy extraire.»
        Margot lave ès vins muscats
        Et bande en geignant son cas
        Marloupeulx et littérayre.

        Ta gloire, inclyte filou,
        Porte dans l’histoire prude
        La casquette du marlou:
        La chose au bourgeois est rude.
        Sur ton front injurié
        Je ne vois que le laurier.
        La gent critique peut braire;
        Peu te chaille des choucas
        Qui croassent sur ton cas
        Marloupeulx et littérayre.


RONDEL

        Je muse souvent à l’entrée
        De l’appartement féminin.
        Quand Madame fait sa nonnain,
        Une chambrière m’agrée.

        Je joue en sa robe échancrée;
        Mais j’ai si grand peur du venin!
        Je muse souvent à l’entrée
        De l’appartement féminin.

        Je ne me rue à la curée
        Des cœurs fiers et des beaux hennins.
        Petit chasseur, petit connin.
        Des palais que le rêve crée
        Je muse souvent à l’entrée.


JOUR DE MARASME

Du Vieux peintre amant de sa bonne

    Les écoliers de cinquante ans, et de soixante!
    Toujours en quête, en vain fessés, d’autres leçons,
    Rêvant de lac limpide où tremper leurs cuissons,
    Se vont noyer aux yeux d’une fausse innocente.

    Quand, leurs écus palpés, une main commerçante
    Arme le vieux mousquet qui crache à leurs chaussons,
    Qu’ont-ils pris? Un chat maigre et qui sent le poisson.
    Ils tiennent gros butin un connin de servante.

    Une lourde gothon, sur leur bouche, que tord
    Le malfaisant plaisir comme une affre de mort,
    Flaire l’eau des vieux puits et la cendre de l’âtre.

    Peintre, on voit sur ton lit deux coulombs s’épouser.
    Plutôt, d’un ton cruel charge l’aile bleuâtre
    D’un corbeau qui te creuse avec son bec rusé.


NUIT DE VICTOIRE

Du Vieux peintre avec son modèle

    L’aurore s’étonnait que ruisselle un crin fauve
    Près de mon poil chenu sur le même oreiller.
    Or, Vénus qui me tint cette nuit éveillé
    Au quatorzième lustre a fleuri mon front chauve.

    Ma vigueur a goûté, des défaillances sauve,
    Aprement cet amour, peut être le dernier!
    J’ai bu le sang des dieux sur un corps printanier.
    Qui sent la rose et fait un verger de l’alcôve.

    Penché sur l’or moussu qui voile un antre frais,
    J’ai respiré l’automne et les rouges forêts,
    Où de l’aubier vivant s’étire la faunesse...

    Ce n’est pas l’heure encor qu’à mes tempes de dieu
    Le déclin menaçant ma trop longue jeunesse
    Efface l’œillet pâle et cette rose feu!


FIN



TABLE DES MATIÈRES


                                              Pages
    Œuvres de Ch. Th. Féret                       2
    Pour lire à la lanterne du Bourdeau           5

  CALLIOPE.

    Le Pucelage des Muses                        17

  EUTERPE.

    Chanson                                      25

  ERATO.

    Ma Voisine                                   29
    La Belle Vieille                             32
    Le Voyage                                    35
    Conseil à une Courtisane                     38
    Réponse de la Petite Courtisane              39
    A la Fleur de Lis                            40
    Réponse de la Fleur de Lis au vieux Poète    41
    S’il faut de la Mousse au Sillon             42
    Enigme                                       45
    A une Dame étrangère                         46

  URANIE.

    Ta Planète                                   49

  TERPSICHORE.

    A Vincent Muselli                            55

  POLYMNIE (Bois gravé Priape).

    En l’honneur de Priape                       61
    Ondine                                       64
    A Léda                                       66

  CLIO.

    Mademoiselle de la Vigne                     69
    Mademoiselle de Scudéry                      70
    Sonnet de Courval                            73

  VERS POUR LES SERVANTES.

    Marteau de porte                             77
    Les Servantes de Pénélope                    78
    Meilleur Avis                                80
    Servante d’Auberge                           82
    Servante d’Hôtel                             83
    Pour la grosse Margot                        84
    Rondel                                       87
    Jour de marasme                              88
    Nuit de victoire                             89


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*** End of this LibraryBlog Digital Book "Le Bourdeau des neuf pucelles" ***

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