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Title: L'Arc-en-Ciel Author: Deberly, Henri Language: French As this book started as an ASCII text book there are no pictures available. *** Start of this LibraryBlog Digital Book "L'Arc-en-Ciel" *** HENRI DEBERLY L’ARC-EN-CIEL CHEZ L’AUTEUR 21bis Avenue de la Motte-Picquet PARIS Il a été tiré de cet ouvrage trois cent cinquante exemplaires numérotés et paraphés par l’auteur. Nº PARVA DOMUS Dans le profond décor du jardin centenaire, La tranquille maison pleine de souvenirs Prend un aspect frileux, satisfait, sans désirs, D’aïeule à l’esprit fin qui sait qu’on la vénère. C’est d’un paisible pas qu’autour d’elle l’on erre; Un banc, près de la porte, invite aux doux loisirs; Une viorne lente où se jouent les zéphyrs Du seuil hospitalier monte au toit débonnaire. Ceux qui, depuis cent ans, dans cet abri sont nés Ont chéri la douceur des horizons bornés Et vu se dérouler honnêtement leur vie. Toi qui passes, tenant dans ta robuste main Le bâton qui te sert à frapper ton chemin, Entre, la table est prête et la boisson servie! LA SERVANTE Tu m’as dit: «Puisque las à tout jamais des villes Il te plaît de quitter ce décevant Paris, Emmène-moi: là-bas, quand je t’aurai repris, Nous vivrons, mon amour, meilleurs et plus tranquilles. «Si tu jugeais mes soins à ton rêve inutiles, L’ennui viendrait bientôt te rappeler leur prix. Tu ne m’entendras pas: en trottant, la souris Fait plus de bruit vraiment que mes petons agiles. «Te sachant dénué de pratique raison, J’ordonnerai pour toi la cour et la maison; Je me constituerai ta première servante: «Et le merveilleux vin que tu me verseras, M’engourdissant le soir, dès l’aurore suivante Doublera pour l’effort la vigueur de mes bras!» CANICULE Toutes les voix se sont tues, Et les coups du pic rageur; L’ombre, des cimes touffues, Tombe en nappe de fraîcheur. Bourdonnante et jamais lasse, L’abeille au corselet brun Rejoint, butine et dépasse Les calices un par un. D’une eau vive, sur la pierre, Le filet éblouissant, Comme un serpent de lumière, Sans tumulte va glissant. Le hamac où se balance Mon corps souffrant de l’été Trouble à peine le silence De ce bocage enchanté. INVOCATION Te voici, Lâcheté, ma douce conseillère, Découvre un peu ton sein que j’y pose mon front Et, de tes doigts légers, libère le flot blond De cette magnifique et pesante crinière. Tout aujourd’hui, je veux que ta voix singulière Exalte la montagne avec le ciel profond, Chante à la fois la source, et la neige qui fond, Et la branche, et la fleur, et l’ombre, et la lumière. Dis-moi de quel arome est flatté le palais Quand la langue retient un vin que l’on boit frais; Parle-moi d’un beau corps tordu de chaude envie. Inspire-moi l’horreur du courage guerrier, L’amour du myrte doux, le mépris du laurier: Enfin, rattache-moi fortement à la vie! RÊVERIE SOUS LA TONNELLE Vraiment, je hais plutôt ces esprits vagabonds: Pour qui les proches biens sont les moins chérissables Et qui, donnant le branle à des corps inlassables, Du pôle à l’équateur précipitent leurs bonds. Le vain désir de voir, en d’arides Gabons, Leur fait braver la soif, et la fièvre, et les sables, Et, dans l’Hindoustani, tenir pour méprisables, Ange affreux de la mort, ô Peste, tes bubons. Moi qui du monde entier ne connais qu’une terre, J’épuiserai mes jours à louer solitaire Le généreux destin qui m’y sut oublier. La goyave, là-bas, tente la lèvre ardente: Vaudra-telle jamais dans sa douceur fondante La pêche qui, chez nous, mûrit sur l’espalier? SOIR Écoute, un vent léger fait bruire la feuille. Entends-tu notre chien plaintivement gémir? Ayant chanté le soir, l’oiseau va s’endormir; Le moindre bruit des champs, l’oreille le recueille. Est-ce ta chevelure, est-ce le chèvrefeuille Ou la mourante rose avant de se flétrir Qui répand ce parfum lent à s’évanouir? Pour s’y fondre, il suffit que notre amour le veuille. Des lointaines maisons abandonnant les toits, Ce qui fut la clarté fuit au sommet des bois. Ferme les yeux, mon ange, oublions, ma colombe! La nuit nous guette, avec le farouche baiser Qui, nous ayant rompus, nous fera reposer Dans un silence égal à celui de la tombe. LA FONTAINE D’ALNY Alny, fraîche fontaine, au creux où l’herbe pousse Abandonnée, ainsi qu’un miroir dans la mousse, Tu reflétais un front bien pur Quand cet enfant chétif et précocement sage Interposait l’écran de son jeune visage Entre ta surface et l’azur! Le bouleau, devant lui, le coudre, honneur des sentes, Sur ta rive écartait ses branches fléchissantes; Près des roseaux minces, dardés, Dont s’épuisait la touffe aux lents feux de l’automne, Des feuilles dessinaient une rousse couronne Autour de ses cheveux ondés. Accoutumée aux bonds des pâtres noirs et souples, Docile à réfléchir le rude aspect des couples Qui s’étreignaient en ce beau lieu, Tu doutais si, brûlant d’une fureur champêtre, Deux mortels amoureux avaient formé cet être Ou s’il était le fils d’un dieu! JADIS Ma mère, dans mes yeux, chérissait la langueur Dont le rêve et la vie avaient noyé son cœur Et gravement, c’était, de ses lèvres altières, Son mal qu’elle baisait sur mes larges paupières. Dans un âge où l’espoir sans cesse refleurit, Pleine du lent regret de son jeune mari Et toujours tout son corps vêtu de sombres voiles, Elle menait sa peine aux rayons des étoiles, Heureuse qu’un soupir de la brise d’été Rythmât, de ses sanglots, la sourde volupté Et que le noir feuillage épandît sur sa tempe Le froid des lieux où l’ombre éternellement rampe. PORTRAIT D’ANCÊTRE Non sans fierté, dans l’Inde où bout un air torride, Puis sous ton ciel foncé, paresseuse Bourbon, Je l’évoque, ce rude aïeul qui, du bâton, Régnait injustement sur un troupeau stupide. Un portrait me le montre, adulte, entre ses chiens, Le front large et brûlé sous une immense paille; Sa stature devait correspondre à ma taille Et j’ai, dans mes clairs yeux, tout le regard des siens. Lorqu’aux plantations de maïs ou de cannes, Parmi les travailleurs, il menait son pas lent, J’imagine ceux-ci, sous le poing lourd du blanc, Courbant avec terreur un front chargé d’arcanes. Autour de lui montaient les plaintes et les vœux Sans qu’un muscle bronchât de son orgueilleux masque; Créole languissante, adorable et fantasque, Éclatante de teint et sombre de cheveux, Son épouse, vêtue uniquement de ruches, Au col un noir velours soulignant sa pâleur, Flagellait de ses mains des filles de couleur Pour, de leurs cris affreux, étourdir ses perruches. AUTRE PORTRAIT: Plus brillant que bengali En ce cadre d’or joli Et de forme surannée, Celui-ci connut la Cour Et sept ans vécut autour De la reine infortunée. Son front a, poli, bénin, L’éclat d’un front féminin Et sa neigeuse perruque, A chaque tempe ondoyant, Par un grand nœud chatoyant Se termine sur la nuque. Inintelligent et doux, Son œil, entre des cils roux, Tout chargé d’azur, vous touche; Son sourire est indiscret, Son teint rose, l’on voudrait Près de sa lèvre une mouche. Un bel habit de drap blanc Moule son buste troublant Tel celui d’un androgyne: Sous le plastron bleu-de-roi, Fière Espit, tendre Belloy, Quelle était donc sa poitrine? La taille est ronde, le gant Soutient d’un geste élégant La coquille de l’épée; Riche d’ornements divers, L’étroite botte à revers D’un pied mince est occupée. Au bord du cadre, un blason Vient rappeler la maison De cette ombre occidentale: Une merlette s’enfuit, Un massacre de cerf luit Sous la couronne comtale. * * * * * Traits menus, prunelle en fleur, Bouche à la fraîche couleur, Menton troué de fossettes, Dans les brocarts, les satins, Visage aimé des catins Et chéri des marquisettes, De ces fabuleux excès Où le plus beau sang français Honora la guillotine, Le souvenir n’a-t-il pas Altéré jusqu’au trépas Votre expression mutine? Avez-vous pu sans pâlir Voir une hache abolir Les jours dorés de Lamballe Et la vive Dubarry Tendre au bourreau, sans un cri, Sa tête presque royale; Mille galants freluquets, A pas pressés et coquets, Gravir l’échafaud sinistre; Cent abbés, se relayant, Chanter l’office effrayant Dont Samson fut le ministre? Put-elle ouïr un autre bruit, Cette oreille au ton de fruit Où vibra la sourde antienne? Et n’est-ce pas, beaux yeux sots, Devant les affreux sursauts Qu’eut en mourant l’Autrichienne Que, pour la première fois, Discernant au front des rois L’astre glacé des misères, Vous avez, dans le linon Brodé d’un mouchoir mignon, Versé des larmes sincères? SUR UNE IMAGE Si la mort au berceau n’avait tranché tes jours, Tu serais, à ma sœur, de deux ans mon aînée, Déjà, sous le soleil des chrétiennes amours, Évoluerait, ma sœur, ta simple destinée. Je t’imagine avec une robe bleu-paon Qu’un piquet d’œillets soufre à la ceinture éclaire; Ton chignon, relevé de quelque blanc ruban, Sombre, rappellerait celui de notre mère. Hélas! je n’ai de toi qu’un portrait si flétri Qu’à peine y peut-on voir un semblant de figure: C’est celui d’une enfant qui légèrement rit En tenant son pied nu dans sa menotte obscure. LE BONHEUR PRUDENT L’eau dormante en filigrane Porte l’ombre d’un roseau: Notre vie est aussi plane, Aussi calme que cette eau. Rien de gai ne nous arrive Et rien de triste non plus, Aucun désir ne ravive En nous des maux superflus. Nous errons dans les soirs roses, Nous goûtons l’odeur du vent, Ou bien tu cueilles des roses Et moi je fume en rêvant. Va, le destin nous oublie, Tenons-nous muets et cois: Ce serait grande folie Que de tenter son carquois! DU RIVAGE Vaisseau chargé de fer, tu t’en vas vers cette Inde Sous la Ligne assoupie en son superbe éclat, Pays prestigieux des Damis au nez plat Qu’évente avec respect quelque jaune Clorinde. Déjà, dans ta mâture où le mousse se guinde, Sifflent le vœu d’un ciel et l’adieu d’un climat; Tu gémis, le foc s’enfle, et la mer qui te bat Ta proue au chef orné comme un glaive la scinde. Des jours s’écouleront, navire, et bien des jours Devant que sur ton ancre, en de tièdes séjours, Tu contemples l’orgueil des ports chargés de jonques. Et qui sait si bientôt, levé sur ton chemin, Quelque ouragan stupide, en soufflant dans ses conques, Ne mettra, par caprice, un terme à ton destin? LA DIGNE ATTENTE Quand douze fois l’avril aura garni les branches Tu prendras seulement l’âge qu’aujourd’hui j’ai, Mais alors mon visage aura beaucoup changé, Déjà, sous le chapeau, mes tempes seront blanches. Il ne sera plus temps de cueillir des pervenches! Ce front, d’enthousiasme et de rêves chargé, Ou bien tu le verras de lauriers ombragé, Ou bien, lassé de vivre, enfin mûr pour les planches. Après vingt ans d’efforts, l’homme au repos a droit; Si la gloire s’obstine à refuser mon toit, J’aurai du moins l’honneur de l’avoir attendue: Et non pas à genoux, l’œil noyé, comme tant De pieux faquins chez qui je la vois descendue, Mais droit, la lèvre altière et le regard distant. CONSEIL A L’AMOUR Amour, lorsque ma lèvre en ta jeune toison Cherchait à prolonger des instants misérables, Mon cœur, troublé par toi, ne jugeait désirables Ni le repos des champs, ni la sage raison. L’hymne que tu fais naître était son oraison, A tous émois, les tiens lui semblaient préférables Et ses attachements étaient si peu durables Qu’il en fallait plus d’un pour combler sa saison. Or, vois comme il se rit aujourd’hui de tes charmes! Laisse, méchant enfant, laisse tomber tes armes: Ta flèche ou se romprait, ou manquerait son but. Ici, l’œil apaisé peut flâner sans surprise, L’ordre règne, et la coupe où gravement l’on but La main ne la rejette et la dent ne la brise. ÉPIGRAMME Brune Lœtitia, qui charmais le poète Quand la Corse odorante était son doux séjour, Qui, de tes belles mains lui caressant la tête, L’appelais ton moineau, ton merle ou ton vautour; Qui, sur son front, mêlais en couronne légère Le myrte et le jasmin, Le feuillage éternel et la fleur passagère, Lui disant: «Le laurier, tu le ceindras demain!» Par-dessus la campagne où le rustique sème Et la mer où l’on voit le matelot ramer, Reçois pour tes enfants, ton époux et toi-même Le salut de celui qui crut un jour t’aimer! LA BELLE ESPIÈGLE O matins de Paris, que je me remémore Votre ardente et saine gaîté! Voici, voici la rue animée et sonore Sous un ciel vibrant de clarté. Gestes, parfums légers, regards dont j’étais dupe, Beaux rires doux, enchantement... Je te suivais, modiste, et sous ta simple jupe Je devinais ton corps charmant. L’avril, ainsi qu’un flot, nous roula dans sa gloire, Lassés, mais jamais apaisés; L’argent n’était pour nous qu’un très mince accessoire: Nous vivions surtout de baisers! Ah! ces chambres, modiste! Au fond d’une cour triste, Dans un vilain quartier du nord, Ces chambres sans lumière, ah! ces chambres, modiste, Où notre bel amour est mort! Tu dois vivre aujourd’hui, maîtresse ou mercenaire, Chez quelque barbon chauve et gras: Si je te rencontrais, pauvre quadragénaire, Je ne te reconnaîtrais pas... Les matins de Paris où le bonheur circule Nous avaient unis et liés, Mais tu riais vraiment trop fort au crépuscule: Les soirs nous ont dissociés. SOUVENIR DE LIA Tu dansais sur la scène, en quelque Olympia, Lorsque je t’ai chérie au temps de ma jeunesse; Un pampre enguirlandait ce masque de faunesse Où luisaient tes grands yeux noircis de sépia. Ton sein passait la neige et ta lèvre, Lia, Le fruit le plus brillant qui du cerisier naisse; Ta joue, il sied ce soir que je la reconnaisse Dans le pétale épais du pur camélia. Soupirer sur ton cœur et te vouer ma vie, Je ne concevais pas de plus superbe envie; Mais alors j’étais pauvre, un Turc eut tes faveurs: Puissent l’odeur de bouc que répandait sa barbe, Ses répugnants baisers et ses lourdes ferveurs Avoir produit sur toi l’effet de la rhubarbe! MÉDITATION ÉGOÏSTE Dans ma mémoire, hélas! quels visages vous faites, Vous dont mes jeunes pas suivaient les pas lassés! Vos yeux se sont éteints, vos corps se sont tassés, Je vous ai trop connus, compagnons de mes fêtes! Hermann, doux ignoré, toi qui chantas les bêtes, Tu noyais dans le vin tes grands chagrins passés; Et toi, pauvre Cryon, toi que j’aimais assez, Ne méprisais-tu pas l’amour et les poètes? O fantômes sans voix que cherche à retenir L’esprit qui vous à dû ses premières alarmes, Votre amitié déjà n’est plus que souvenir. Artisan d’un bonheur qui peut ne point finir, Je vous évoque, avec vos travers et vos charmes, Et ne sais si vraiment vous méritez des larmes! L’IMMORTELLE O Sérénité, Tout n’est que décombres, Ruines sans beauté, Dans ce cœur plein d’ombre! Pour ne point mourir, De quelle substance Y peux-tu nourrir Ta frêle existence? La fleur qui du roc Jaillit sans prestige, Il suffit d’un choc Pour briser sa tige. Bientôt, décrivant Mainte parabole, Elle suit le vent Dans sa course folle. Toi, lorsque ton front Subit une injure, Tu luis sous l’affront Plus droite et plus pure! EN MARS Champ qu’un rustre en sabots chaque année ensemence, Tantôt jetant le seigle, et tantôt le froment, Et tantôt le sainfoin que tondra la jument, Mars arrive et ta vie inquiète commence. L’eau fera de la plaine un marécage immense, La neige aggravera ton sublime tourment, Des rafales déjà hurlent sinistrement Et l’herbe croit mourir sous le ciel en démence. Mais lorqu’enfin nos yeux te croiront dévasté, Soudain tu reprendras, par un miracle étrange, Le cours interrompu de ta prospérité; Et juillet bercera dans sa maturité, Prête à subir la faulx, prête à combler la grange, La moisson saine et lourde aux couleurs de l’été. L’ÉTERNEL ENFANT En vérité, stupide et divin tout ensemble, Le poète qui vibre ainsi qu’une fleur tremble! Un plaisir escompté rend son esprit joyeux; Le chagrin fait jaillir les larmes de ses yeux. Pour un baiser reçu, le voilà qui s’enfièvre, Pour un baiser donné, qui maudit une lèvre. De la neige au printemps lui gâte la saison: La fleur qui la reçoit l’exalte sans raison. Voit-il un bel enfant, tout son cœur le réclame; Voit-il un être infirme, il déteste la femme. Sa voix murmure: «Hélas! la fortune me fuit!» Mais jusqu’à soixante ans sa jeunesse le suit. Il meurt en bénissant la mort qui le délivre, Sans même avoir connu la tristesse de vivre. LE ROSIER Ce rosier qui déjà cache à demi la pierre N’était, voici deux ans, qu’un arbrisseau menu; Longtemps je l’ai cru mort: puis, le printemps venu, Nous le vîmes, frileux, s’étendre à la lumière. Il nous semblait alors plus vivace qu’un lierre. Cette saison, pourtant, le laissa presque nu; Mais la suivante année, au long du mur grenu, Fit de chaque rameau jaillir la rose altière. Aujourd’hui, tant de fleurs couvrent ses verts surgeons Que l’œil s’arrête à peine à l’espoir des bourgeons; L’épanouissement l’éblouit et l’enivre. Ainsi de notre amour: à sa superbe loi, Nous nous abandonnons, grisés du même émoi, Sans chercher à savoir ce qu’il lui reste à vivre. ENCOURAGEMENT Classiques ou non, symbolistes Ou parnassiens, sages et fous, O mes pairs, nous finirons tous Dans les casiers des bouquinistes. Nous rimons pour les archivistes, Pour les érudits, vieillards doux, Pour que sous leur plume, après nous, De nos noms s’allongent leurs listes. Il faut le savoir et chanter, Il faut s’en convaincre et prêter Plus d’accent encore à nos lyres, Afin que l’oubli juste et sot Puisse ensevelir sous son flot De plus magnifiques délires! L’HOMME ISOLÉ Un Martien tombé de sa rouge planète Sur l’astre où sans espoir nous usons nos genoux Ne s’y sentirait pas plus différent de tous Que le cœur magnanime et que l’esprit honnête. Si ta roue, ô Fortune, écrase le poète, Nul parent n’en gémit; la foule aux gestes fous Couvre, en le piétinant, de ses rires jaloux Les plus sublimes cris que la douleur lui prête. Ainsi se perpétue, en ses hontes égal, Un monde où le plus vil règne en dieu sur le mal; Que naisse la beauté, l’homme lui doit l’injure. Penché sur son miroir, hâve, le poil déteint, Il exècre du fond de sa lâche nature Tout honneur et tout lustre où son effort n’atteint. LA COLOMBE La jeunesse française est morte et sur sa tombe Un timide arbrisseau refuse de verdir; Une feuille, ô laurier, qu’on verrait resplendir Justifierait, dit-on, l’effroyable hécatombe! Pour moi qui sous la haine et le chagrin succombe, Tu peux tout aussi bien prospérer et grandir, Devenir un bois mort, te rompre ou te raidir: Seul ce tombeau m’occupe où gémit la colombe. Dans la plainte qu’exhale en expirant l’oiseau, J’entends, mêlée au vent, au murmure de l’eau, L’innocence de l’homme injustement frappée. Que m’importent dès lors, arbre, et ton lendemain, Et le mauvais honneur que peut valoir l’épée? Le malheur qui vient d’elle a seul un sens humain. LE BEL EXEMPLE En ce frais paysage où chante au loin la vigne, Parmi nos cerisiers, nos fraisiers, nos cassis, Serait-il point charmant et d’un autre âge digne Que nous renouvelions Philémon et Baucis? Plus se tassait en eux la vieillesse inféconde, Plus le désir de vivre emplissait leurs regards, Et près d’un siècle entier s’écoula pour le monde Sans désunir les mains de ces heureux vieillards. LE SECRET DES SAGES Poètes japonais qui viviez autrefois, Pleins de calme raison, dans vos maisons légères, Frêles magots bouffis, bibelots d’étagères, Vous qui chantiez la mort en vous tournant les doigts; Qui, le soir, descendiez dans vos jonques de bois Quelque fleuve paisible aux rives mensongères Et, le matin, goûtiez les douceurs bocagères Dans un jardin menu coupé de ponts étroits; Voluptueux vêtus de superbes étoffes, J’ai lu dans le fracas des cités d’Occident Vos poèmes plus courts que nos plus courtes strophes: Je vous dois le bonheur de savourer l’instant Et j’ai reçu de vous le secret, philosophes, De conformer ma lèvre aux bruits du cœur battant. LA MEILLEURE PART Quand je vois la ville au loin s’éclairer, Je goûte bien mieux la saveur profonde Des jours que je coule isolé du monde, Sans regretter rien, ni rien espérer. Vous qui, chaque nuit, debout sur les tables, Ivres de champagne et lourds de chansons, Servez de guignol à vos échansons, Cessez de me plaindre, amis charitables! J’ai tari la coupe et n’ai rejeté Ce cristal maudit que lorsque la fièvre, Altérant mon corps et brûlant ma lèvre, M’a fait désirer la pleine santé. Voici que mes pas foulent des prairies, Mes yeux reposés regardent des bœufs, J’ai pris en dégoût les palais pompeux, Ces humbles jardins sont mes Tuileries. Je mourrai, Cryon, loin des cœurs jaloux, Sans avoir revu ton charmant visage, Car la solitude est le lot du sage Et convient, mon cher, au trépas des loups! NOVEMBRE Mollement, tristement, l’averse bat la plaine, Son fluide réseau tient l’horizon captif, La feuille morte abonde en la morte fontaine, Le tourtereau mouillé roucoule un chant plaintif. Novembre, noir fourrier de l’hiver, quand la face De chacun de tes jours se montre à mes carreaux, Je sens mon cœur se fondre, et méprise l’audace, Et vais goûter l’espoir aux portes des tombeaux. APRÈS MOI Lorsque je descendrai dans le sein de la terre, Quelques rares amis, joignant leurs tristes mains, Déploreront ma perte avec des mots humains, Puis l’on dira de moi: «C’était un solitaire!» Toi seule auras des pleurs. Au bois plein de mystère, A ces coteaux légers où mûrissent nos vins, Tu confieras, pour eux levant ton voile austère, Ta souffrance, sans cris désordonnés et vains. Je t’accompagnerai dans ces lentes sorties, Je serai dans le vent qui couche les orties, Dans l’air froid de janvier, dans la douceur d’avril. Seule, occupée à coudre en la maison déserte, Tu frémiras, mon ange, et briseras ton fil Quand je m’engouffrerai par la porte entr’ouverte. COMME LA ROSE Comme la rose, hélas! que déjà l’on voit pendre, Et le brillant insecte, et le merle enjoué, La mort emportera cet amour grave et tendre Dont je n’étais pas digne et que tu m’as voué. Certain soir où l’automne engourdira ta peine, Tu la croiras bien loin de ton corps sans vigueur, Et tout à coup son souffle emplira ton haleine, Sa main, brutalement, s’appuiera sur ton cœur. Alors, le front fidèle où vivait ma mémoire Prendra du marbre dur la froideur et l’éclat, Et nous aurons vécu, nous serons de l’histoire, Moi pour quelques grimauds, toi pour ton dernier chat! TABLE Parva domus 7 La servante 8 Canicule 9 Invocation 10 Rêverie sous la tonnelle 11 Soir 12 La fontaine d’Alny 13 Jadis 14 Portrait d’ancêtre 15 Autre portrait 17 Sur une image 21 Le bonheur prudent 22 Du rivage 23 La digne attente 24 Conseil à l’Amour 25 Épigramme 26 La belle espiègle 27 Souvenir de Lia 29 Méditation égoïste 30 L’immortelle 31 En Mars 33 L’éternel enfant 34 Le rosier 35 Encouragement 36 L’homme isolé 37 La colombe 38 Le bel exemple 39 Le secret des sages 40 La meilleure part 41 Novembre 43 Après moi 44 Comme la rose 45 MAX CREMNITZ, Imp. PARIS *** End of this LibraryBlog Digital Book "L'Arc-en-Ciel" *** Copyright 2023 LibraryBlog. All rights reserved.