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Title: L'Arc-en-Ciel
Author: Deberly, Henri
Language: French
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*** Start of this LibraryBlog Digital Book "L'Arc-en-Ciel" ***


  HENRI DEBERLY

  L’ARC-EN-CIEL

  CHEZ L’AUTEUR
  21bis Avenue de la Motte-Picquet
  PARIS



Il a été tiré de cet ouvrage trois cent cinquante exemplaires numérotés
et paraphés par l’auteur.

Nº



PARVA DOMUS


    Dans le profond décor du jardin centenaire,
    La tranquille maison pleine de souvenirs
    Prend un aspect frileux, satisfait, sans désirs,
    D’aïeule à l’esprit fin qui sait qu’on la vénère.

    C’est d’un paisible pas qu’autour d’elle l’on erre;
    Un banc, près de la porte, invite aux doux loisirs;
    Une viorne lente où se jouent les zéphyrs
    Du seuil hospitalier monte au toit débonnaire.

    Ceux qui, depuis cent ans, dans cet abri sont nés
    Ont chéri la douceur des horizons bornés
    Et vu se dérouler honnêtement leur vie.

    Toi qui passes, tenant dans ta robuste main
    Le bâton qui te sert à frapper ton chemin,
    Entre, la table est prête et la boisson servie!



LA SERVANTE


    Tu m’as dit: «Puisque las à tout jamais des villes
    Il te plaît de quitter ce décevant Paris,
    Emmène-moi: là-bas, quand je t’aurai repris,
    Nous vivrons, mon amour, meilleurs et plus tranquilles.

    «Si tu jugeais mes soins à ton rêve inutiles,
    L’ennui viendrait bientôt te rappeler leur prix.
    Tu ne m’entendras pas: en trottant, la souris
    Fait plus de bruit vraiment que mes petons agiles.

    «Te sachant dénué de pratique raison,
    J’ordonnerai pour toi la cour et la maison;
    Je me constituerai ta première servante:

    «Et le merveilleux vin que tu me verseras,
    M’engourdissant le soir, dès l’aurore suivante
    Doublera pour l’effort la vigueur de mes bras!»



CANICULE


        Toutes les voix se sont tues,
        Et les coups du pic rageur;
        L’ombre, des cimes touffues,
        Tombe en nappe de fraîcheur.

        Bourdonnante et jamais lasse,
        L’abeille au corselet brun
        Rejoint, butine et dépasse
        Les calices un par un.

        D’une eau vive, sur la pierre,
        Le filet éblouissant,
        Comme un serpent de lumière,
        Sans tumulte va glissant.

        Le hamac où se balance
        Mon corps souffrant de l’été
        Trouble à peine le silence
        De ce bocage enchanté.



INVOCATION


    Te voici, Lâcheté, ma douce conseillère,
    Découvre un peu ton sein que j’y pose mon front
    Et, de tes doigts légers, libère le flot blond
    De cette magnifique et pesante crinière.

    Tout aujourd’hui, je veux que ta voix singulière
    Exalte la montagne avec le ciel profond,
    Chante à la fois la source, et la neige qui fond,
    Et la branche, et la fleur, et l’ombre, et la lumière.

    Dis-moi de quel arome est flatté le palais
    Quand la langue retient un vin que l’on boit frais;
    Parle-moi d’un beau corps tordu de chaude envie.

    Inspire-moi l’horreur du courage guerrier,
    L’amour du myrte doux, le mépris du laurier:
    Enfin, rattache-moi fortement à la vie!



RÊVERIE SOUS LA TONNELLE


    Vraiment, je hais plutôt ces esprits vagabonds:
    Pour qui les proches biens sont les moins chérissables
    Et qui, donnant le branle à des corps inlassables,
    Du pôle à l’équateur précipitent leurs bonds.

    Le vain désir de voir, en d’arides Gabons,
    Leur fait braver la soif, et la fièvre, et les sables,
    Et, dans l’Hindoustani, tenir pour méprisables,
    Ange affreux de la mort, ô Peste, tes bubons.

    Moi qui du monde entier ne connais qu’une terre,
    J’épuiserai mes jours à louer solitaire
    Le généreux destin qui m’y sut oublier.

    La goyave, là-bas, tente la lèvre ardente:
    Vaudra-telle jamais dans sa douceur fondante
    La pêche qui, chez nous, mûrit sur l’espalier?



SOIR


    Écoute, un vent léger fait bruire la feuille.
    Entends-tu notre chien plaintivement gémir?
    Ayant chanté le soir, l’oiseau va s’endormir;
    Le moindre bruit des champs, l’oreille le recueille.

    Est-ce ta chevelure, est-ce le chèvrefeuille
    Ou la mourante rose avant de se flétrir
    Qui répand ce parfum lent à s’évanouir?
    Pour s’y fondre, il suffit que notre amour le veuille.

    Des lointaines maisons abandonnant les toits,
    Ce qui fut la clarté fuit au sommet des bois.
    Ferme les yeux, mon ange, oublions, ma colombe!

    La nuit nous guette, avec le farouche baiser
    Qui, nous ayant rompus, nous fera reposer
    Dans un silence égal à celui de la tombe.



LA FONTAINE D’ALNY


    Alny, fraîche fontaine, au creux où l’herbe pousse
    Abandonnée, ainsi qu’un miroir dans la mousse,
        Tu reflétais un front bien pur
    Quand cet enfant chétif et précocement sage
    Interposait l’écran de son jeune visage
        Entre ta surface et l’azur!

    Le bouleau, devant lui, le coudre, honneur des sentes,
    Sur ta rive écartait ses branches fléchissantes;
        Près des roseaux minces, dardés,
    Dont s’épuisait la touffe aux lents feux de l’automne,
    Des feuilles dessinaient une rousse couronne
        Autour de ses cheveux ondés.

    Accoutumée aux bonds des pâtres noirs et souples,
    Docile à réfléchir le rude aspect des couples
        Qui s’étreignaient en ce beau lieu,
    Tu doutais si, brûlant d’une fureur champêtre,
    Deux mortels amoureux avaient formé cet être
        Ou s’il était le fils d’un dieu!



JADIS


    Ma mère, dans mes yeux, chérissait la langueur
    Dont le rêve et la vie avaient noyé son cœur
    Et gravement, c’était, de ses lèvres altières,
    Son mal qu’elle baisait sur mes larges paupières.
    Dans un âge où l’espoir sans cesse refleurit,
    Pleine du lent regret de son jeune mari
    Et toujours tout son corps vêtu de sombres voiles,
    Elle menait sa peine aux rayons des étoiles,
    Heureuse qu’un soupir de la brise d’été
    Rythmât, de ses sanglots, la sourde volupté
    Et que le noir feuillage épandît sur sa tempe
    Le froid des lieux où l’ombre éternellement rampe.



PORTRAIT D’ANCÊTRE


    Non sans fierté, dans l’Inde où bout un air torride,
    Puis sous ton ciel foncé, paresseuse Bourbon,
    Je l’évoque, ce rude aïeul qui, du bâton,
    Régnait injustement sur un troupeau stupide.

    Un portrait me le montre, adulte, entre ses chiens,
    Le front large et brûlé sous une immense paille;
    Sa stature devait correspondre à ma taille
    Et j’ai, dans mes clairs yeux, tout le regard des siens.

    Lorqu’aux plantations de maïs ou de cannes,
    Parmi les travailleurs, il menait son pas lent,
    J’imagine ceux-ci, sous le poing lourd du blanc,
    Courbant avec terreur un front chargé d’arcanes.

    Autour de lui montaient les plaintes et les vœux
    Sans qu’un muscle bronchât de son orgueilleux masque;
    Créole languissante, adorable et fantasque,
    Éclatante de teint et sombre de cheveux,

    Son épouse, vêtue uniquement de ruches,
    Au col un noir velours soulignant sa pâleur,
    Flagellait de ses mains des filles de couleur
    Pour, de leurs cris affreux, étourdir ses perruches.



AUTRE PORTRAIT:


        Plus brillant que bengali
        En ce cadre d’or joli
        Et de forme surannée,
        Celui-ci connut la Cour
        Et sept ans vécut autour
        De la reine infortunée.

        Son front a, poli, bénin,
        L’éclat d’un front féminin
        Et sa neigeuse perruque,
        A chaque tempe ondoyant,
        Par un grand nœud chatoyant
        Se termine sur la nuque.

        Inintelligent et doux,
        Son œil, entre des cils roux,
        Tout chargé d’azur, vous touche;
        Son sourire est indiscret,
        Son teint rose, l’on voudrait
        Près de sa lèvre une mouche.

        Un bel habit de drap blanc
        Moule son buste troublant
        Tel celui d’un androgyne:
        Sous le plastron bleu-de-roi,
        Fière Espit, tendre Belloy,
        Quelle était donc sa poitrine?

        La taille est ronde, le gant
        Soutient d’un geste élégant
        La coquille de l’épée;
        Riche d’ornements divers,
        L’étroite botte à revers
        D’un pied mince est occupée.

        Au bord du cadre, un blason
        Vient rappeler la maison
        De cette ombre occidentale:
        Une merlette s’enfuit,
        Un massacre de cerf luit
        Sous la couronne comtale.

                   *       *       *       *       *

        Traits menus, prunelle en fleur,
        Bouche à la fraîche couleur,
        Menton troué de fossettes,
        Dans les brocarts, les satins,
        Visage aimé des catins
        Et chéri des marquisettes,

        De ces fabuleux excès
        Où le plus beau sang français
        Honora la guillotine,
        Le souvenir n’a-t-il pas
        Altéré jusqu’au trépas
        Votre expression mutine?

        Avez-vous pu sans pâlir
        Voir une hache abolir
        Les jours dorés de Lamballe
        Et la vive Dubarry
        Tendre au bourreau, sans un cri,
        Sa tête presque royale;

        Mille galants freluquets,
        A pas pressés et coquets,
        Gravir l’échafaud sinistre;
        Cent abbés, se relayant,
        Chanter l’office effrayant
        Dont Samson fut le ministre?

        Put-elle ouïr un autre bruit,
        Cette oreille au ton de fruit
        Où vibra la sourde antienne?
        Et n’est-ce pas, beaux yeux sots,
        Devant les affreux sursauts
        Qu’eut en mourant l’Autrichienne

        Que, pour la première fois,
        Discernant au front des rois
        L’astre glacé des misères,
        Vous avez, dans le linon
        Brodé d’un mouchoir mignon,
        Versé des larmes sincères?



SUR UNE IMAGE


    Si la mort au berceau n’avait tranché tes jours,
    Tu serais, à ma sœur, de deux ans mon aînée,
    Déjà, sous le soleil des chrétiennes amours,
    Évoluerait, ma sœur, ta simple destinée.

    Je t’imagine avec une robe bleu-paon
    Qu’un piquet d’œillets soufre à la ceinture éclaire;
    Ton chignon, relevé de quelque blanc ruban,
    Sombre, rappellerait celui de notre mère.

    Hélas! je n’ai de toi qu’un portrait si flétri
    Qu’à peine y peut-on voir un semblant de figure:
    C’est celui d’une enfant qui légèrement rit
    En tenant son pied nu dans sa menotte obscure.



LE BONHEUR PRUDENT


        L’eau dormante en filigrane
        Porte l’ombre d’un roseau:
        Notre vie est aussi plane,
        Aussi calme que cette eau.

        Rien de gai ne nous arrive
        Et rien de triste non plus,
        Aucun désir ne ravive
        En nous des maux superflus.

        Nous errons dans les soirs roses,
        Nous goûtons l’odeur du vent,
        Ou bien tu cueilles des roses
        Et moi je fume en rêvant.

        Va, le destin nous oublie,
        Tenons-nous muets et cois:
        Ce serait grande folie
        Que de tenter son carquois!



DU RIVAGE


    Vaisseau chargé de fer, tu t’en vas vers cette Inde
    Sous la Ligne assoupie en son superbe éclat,
    Pays prestigieux des Damis au nez plat
    Qu’évente avec respect quelque jaune Clorinde.

    Déjà, dans ta mâture où le mousse se guinde,
    Sifflent le vœu d’un ciel et l’adieu d’un climat;
    Tu gémis, le foc s’enfle, et la mer qui te bat
    Ta proue au chef orné comme un glaive la scinde.

    Des jours s’écouleront, navire, et bien des jours
    Devant que sur ton ancre, en de tièdes séjours,
    Tu contemples l’orgueil des ports chargés de jonques.

    Et qui sait si bientôt, levé sur ton chemin,
    Quelque ouragan stupide, en soufflant dans ses conques,
    Ne mettra, par caprice, un terme à ton destin?



LA DIGNE ATTENTE


    Quand douze fois l’avril aura garni les branches
    Tu prendras seulement l’âge qu’aujourd’hui j’ai,
    Mais alors mon visage aura beaucoup changé,
    Déjà, sous le chapeau, mes tempes seront blanches.

    Il ne sera plus temps de cueillir des pervenches!
    Ce front, d’enthousiasme et de rêves chargé,
    Ou bien tu le verras de lauriers ombragé,
    Ou bien, lassé de vivre, enfin mûr pour les planches.

    Après vingt ans d’efforts, l’homme au repos a droit;
    Si la gloire s’obstine à refuser mon toit,
    J’aurai du moins l’honneur de l’avoir attendue:

    Et non pas à genoux, l’œil noyé, comme tant
    De pieux faquins chez qui je la vois descendue,
    Mais droit, la lèvre altière et le regard distant.



CONSEIL A L’AMOUR


    Amour, lorsque ma lèvre en ta jeune toison
    Cherchait à prolonger des instants misérables,
    Mon cœur, troublé par toi, ne jugeait désirables
    Ni le repos des champs, ni la sage raison.

    L’hymne que tu fais naître était son oraison,
    A tous émois, les tiens lui semblaient préférables
    Et ses attachements étaient si peu durables
    Qu’il en fallait plus d’un pour combler sa saison.

    Or, vois comme il se rit aujourd’hui de tes charmes!
    Laisse, méchant enfant, laisse tomber tes armes:
    Ta flèche ou se romprait, ou manquerait son but.

    Ici, l’œil apaisé peut flâner sans surprise,
    L’ordre règne, et la coupe où gravement l’on but
    La main ne la rejette et la dent ne la brise.



ÉPIGRAMME


    Brune Lœtitia, qui charmais le poète
    Quand la Corse odorante était son doux séjour,
    Qui, de tes belles mains lui caressant la tête,
    L’appelais ton moineau, ton merle ou ton vautour;

    Qui, sur son front, mêlais en couronne légère
          Le myrte et le jasmin,
    Le feuillage éternel et la fleur passagère,
    Lui disant: «Le laurier, tu le ceindras demain!»

    Par-dessus la campagne où le rustique sème
    Et la mer où l’on voit le matelot ramer,
    Reçois pour tes enfants, ton époux et toi-même
    Le salut de celui qui crut un jour t’aimer!



LA BELLE ESPIÈGLE


    O matins de Paris, que je me remémore
        Votre ardente et saine gaîté!
    Voici, voici la rue animée et sonore
        Sous un ciel vibrant de clarté.

    Gestes, parfums légers, regards dont j’étais dupe,
        Beaux rires doux, enchantement...
    Je te suivais, modiste, et sous ta simple jupe
        Je devinais ton corps charmant.

    L’avril, ainsi qu’un flot, nous roula dans sa gloire,
        Lassés, mais jamais apaisés;
    L’argent n’était pour nous qu’un très mince accessoire:
        Nous vivions surtout de baisers!

    Ah! ces chambres, modiste! Au fond d’une cour triste,
        Dans un vilain quartier du nord,
    Ces chambres sans lumière, ah! ces chambres, modiste,
        Où notre bel amour est mort!

    Tu dois vivre aujourd’hui, maîtresse ou mercenaire,
        Chez quelque barbon chauve et gras:
    Si je te rencontrais, pauvre quadragénaire,
        Je ne te reconnaîtrais pas...

    Les matins de Paris où le bonheur circule
        Nous avaient unis et liés,
    Mais tu riais vraiment trop fort au crépuscule:
        Les soirs nous ont dissociés.



SOUVENIR DE LIA


    Tu dansais sur la scène, en quelque Olympia,
    Lorsque je t’ai chérie au temps de ma jeunesse;
    Un pampre enguirlandait ce masque de faunesse
    Où luisaient tes grands yeux noircis de sépia.

    Ton sein passait la neige et ta lèvre, Lia,
    Le fruit le plus brillant qui du cerisier naisse;
    Ta joue, il sied ce soir que je la reconnaisse
    Dans le pétale épais du pur camélia.

    Soupirer sur ton cœur et te vouer ma vie,
    Je ne concevais pas de plus superbe envie;
    Mais alors j’étais pauvre, un Turc eut tes faveurs:

    Puissent l’odeur de bouc que répandait sa barbe,
    Ses répugnants baisers et ses lourdes ferveurs
    Avoir produit sur toi l’effet de la rhubarbe!



MÉDITATION ÉGOÏSTE


    Dans ma mémoire, hélas! quels visages vous faites,
    Vous dont mes jeunes pas suivaient les pas lassés!
    Vos yeux se sont éteints, vos corps se sont tassés,
    Je vous ai trop connus, compagnons de mes fêtes!

    Hermann, doux ignoré, toi qui chantas les bêtes,
    Tu noyais dans le vin tes grands chagrins passés;
    Et toi, pauvre Cryon, toi que j’aimais assez,
    Ne méprisais-tu pas l’amour et les poètes?

    O fantômes sans voix que cherche à retenir
    L’esprit qui vous à dû ses premières alarmes,
    Votre amitié déjà n’est plus que souvenir.

    Artisan d’un bonheur qui peut ne point finir,
    Je vous évoque, avec vos travers et vos charmes,
    Et ne sais si vraiment vous méritez des larmes!



L’IMMORTELLE


          O Sérénité,
          Tout n’est que décombres,
          Ruines sans beauté,
          Dans ce cœur plein d’ombre!

          Pour ne point mourir,
          De quelle substance
          Y peux-tu nourrir
          Ta frêle existence?

          La fleur qui du roc
          Jaillit sans prestige,
          Il suffit d’un choc
          Pour briser sa tige.

          Bientôt, décrivant
          Mainte parabole,
          Elle suit le vent
          Dans sa course folle.

          Toi, lorsque ton front
          Subit une injure,
          Tu luis sous l’affront
          Plus droite et plus pure!



EN MARS


    Champ qu’un rustre en sabots chaque année ensemence,
    Tantôt jetant le seigle, et tantôt le froment,
    Et tantôt le sainfoin que tondra la jument,
    Mars arrive et ta vie inquiète commence.

    L’eau fera de la plaine un marécage immense,
    La neige aggravera ton sublime tourment,
    Des rafales déjà hurlent sinistrement
    Et l’herbe croit mourir sous le ciel en démence.

    Mais lorqu’enfin nos yeux te croiront dévasté,
    Soudain tu reprendras, par un miracle étrange,
    Le cours interrompu de ta prospérité;

    Et juillet bercera dans sa maturité,
    Prête à subir la faulx, prête à combler la grange,
    La moisson saine et lourde aux couleurs de l’été.



L’ÉTERNEL ENFANT


    En vérité, stupide et divin tout ensemble,
    Le poète qui vibre ainsi qu’une fleur tremble!

    Un plaisir escompté rend son esprit joyeux;
    Le chagrin fait jaillir les larmes de ses yeux.

    Pour un baiser reçu, le voilà qui s’enfièvre,
    Pour un baiser donné, qui maudit une lèvre.

    De la neige au printemps lui gâte la saison:
    La fleur qui la reçoit l’exalte sans raison.

    Voit-il un bel enfant, tout son cœur le réclame;
    Voit-il un être infirme, il déteste la femme.

    Sa voix murmure: «Hélas! la fortune me fuit!»
    Mais jusqu’à soixante ans sa jeunesse le suit.

    Il meurt en bénissant la mort qui le délivre,
    Sans même avoir connu la tristesse de vivre.



LE ROSIER


    Ce rosier qui déjà cache à demi la pierre
    N’était, voici deux ans, qu’un arbrisseau menu;
    Longtemps je l’ai cru mort: puis, le printemps venu,
    Nous le vîmes, frileux, s’étendre à la lumière.

    Il nous semblait alors plus vivace qu’un lierre.
    Cette saison, pourtant, le laissa presque nu;
    Mais la suivante année, au long du mur grenu,
    Fit de chaque rameau jaillir la rose altière.

    Aujourd’hui, tant de fleurs couvrent ses verts surgeons
    Que l’œil s’arrête à peine à l’espoir des bourgeons;
    L’épanouissement l’éblouit et l’enivre.

    Ainsi de notre amour: à sa superbe loi,
    Nous nous abandonnons, grisés du même émoi,
    Sans chercher à savoir ce qu’il lui reste à vivre.



ENCOURAGEMENT


        Classiques ou non, symbolistes
        Ou parnassiens, sages et fous,
        O mes pairs, nous finirons tous
        Dans les casiers des bouquinistes.

        Nous rimons pour les archivistes,
        Pour les érudits, vieillards doux,
        Pour que sous leur plume, après nous,
        De nos noms s’allongent leurs listes.

        Il faut le savoir et chanter,
        Il faut s’en convaincre et prêter
        Plus d’accent encore à nos lyres,

        Afin que l’oubli juste et sot
        Puisse ensevelir sous son flot
        De plus magnifiques délires!



L’HOMME ISOLÉ


    Un Martien tombé de sa rouge planète
    Sur l’astre où sans espoir nous usons nos genoux
    Ne s’y sentirait pas plus différent de tous
    Que le cœur magnanime et que l’esprit honnête.

    Si ta roue, ô Fortune, écrase le poète,
    Nul parent n’en gémit; la foule aux gestes fous
    Couvre, en le piétinant, de ses rires jaloux
    Les plus sublimes cris que la douleur lui prête.

    Ainsi se perpétue, en ses hontes égal,
    Un monde où le plus vil règne en dieu sur le mal;
    Que naisse la beauté, l’homme lui doit l’injure.

    Penché sur son miroir, hâve, le poil déteint,
    Il exècre du fond de sa lâche nature
    Tout honneur et tout lustre où son effort n’atteint.



LA COLOMBE


    La jeunesse française est morte et sur sa tombe
    Un timide arbrisseau refuse de verdir;
    Une feuille, ô laurier, qu’on verrait resplendir
    Justifierait, dit-on, l’effroyable hécatombe!

    Pour moi qui sous la haine et le chagrin succombe,
    Tu peux tout aussi bien prospérer et grandir,
    Devenir un bois mort, te rompre ou te raidir:
    Seul ce tombeau m’occupe où gémit la colombe.

    Dans la plainte qu’exhale en expirant l’oiseau,
    J’entends, mêlée au vent, au murmure de l’eau,
    L’innocence de l’homme injustement frappée.

    Que m’importent dès lors, arbre, et ton lendemain,
    Et le mauvais honneur que peut valoir l’épée?
    Le malheur qui vient d’elle a seul un sens humain.



LE BEL EXEMPLE


    En ce frais paysage où chante au loin la vigne,
    Parmi nos cerisiers, nos fraisiers, nos cassis,
    Serait-il point charmant et d’un autre âge digne
    Que nous renouvelions Philémon et Baucis?

    Plus se tassait en eux la vieillesse inféconde,
    Plus le désir de vivre emplissait leurs regards,
    Et près d’un siècle entier s’écoula pour le monde
    Sans désunir les mains de ces heureux vieillards.



LE SECRET DES SAGES


    Poètes japonais qui viviez autrefois,
    Pleins de calme raison, dans vos maisons légères,
    Frêles magots bouffis, bibelots d’étagères,
    Vous qui chantiez la mort en vous tournant les doigts;

    Qui, le soir, descendiez dans vos jonques de bois
    Quelque fleuve paisible aux rives mensongères
    Et, le matin, goûtiez les douceurs bocagères
    Dans un jardin menu coupé de ponts étroits;

    Voluptueux vêtus de superbes étoffes,
    J’ai lu dans le fracas des cités d’Occident
    Vos poèmes plus courts que nos plus courtes strophes:

    Je vous dois le bonheur de savourer l’instant
    Et j’ai reçu de vous le secret, philosophes,
    De conformer ma lèvre aux bruits du cœur battant.



LA MEILLEURE PART


      Quand je vois la ville au loin s’éclairer,
      Je goûte bien mieux la saveur profonde
      Des jours que je coule isolé du monde,
      Sans regretter rien, ni rien espérer.

      Vous qui, chaque nuit, debout sur les tables,
      Ivres de champagne et lourds de chansons,
      Servez de guignol à vos échansons,
      Cessez de me plaindre, amis charitables!

      J’ai tari la coupe et n’ai rejeté
      Ce cristal maudit que lorsque la fièvre,
      Altérant mon corps et brûlant ma lèvre,
      M’a fait désirer la pleine santé.

      Voici que mes pas foulent des prairies,
      Mes yeux reposés regardent des bœufs,
      J’ai pris en dégoût les palais pompeux,
      Ces humbles jardins sont mes Tuileries.

      Je mourrai, Cryon, loin des cœurs jaloux,
      Sans avoir revu ton charmant visage,
      Car la solitude est le lot du sage
      Et convient, mon cher, au trépas des loups!



NOVEMBRE


    Mollement, tristement, l’averse bat la plaine,
    Son fluide réseau tient l’horizon captif,
    La feuille morte abonde en la morte fontaine,
    Le tourtereau mouillé roucoule un chant plaintif.

    Novembre, noir fourrier de l’hiver, quand la face
    De chacun de tes jours se montre à mes carreaux,
    Je sens mon cœur se fondre, et méprise l’audace,
    Et vais goûter l’espoir aux portes des tombeaux.



APRÈS MOI


    Lorsque je descendrai dans le sein de la terre,
    Quelques rares amis, joignant leurs tristes mains,
    Déploreront ma perte avec des mots humains,
    Puis l’on dira de moi: «C’était un solitaire!»

    Toi seule auras des pleurs. Au bois plein de mystère,
    A ces coteaux légers où mûrissent nos vins,
    Tu confieras, pour eux levant ton voile austère,
    Ta souffrance, sans cris désordonnés et vains.

    Je t’accompagnerai dans ces lentes sorties,
    Je serai dans le vent qui couche les orties,
    Dans l’air froid de janvier, dans la douceur d’avril.

    Seule, occupée à coudre en la maison déserte,
    Tu frémiras, mon ange, et briseras ton fil
    Quand je m’engouffrerai par la porte entr’ouverte.



COMME LA ROSE


    Comme la rose, hélas! que déjà l’on voit pendre,
    Et le brillant insecte, et le merle enjoué,
    La mort emportera cet amour grave et tendre
    Dont je n’étais pas digne et que tu m’as voué.

    Certain soir où l’automne engourdira ta peine,
    Tu la croiras bien loin de ton corps sans vigueur,
    Et tout à coup son souffle emplira ton haleine,
    Sa main, brutalement, s’appuiera sur ton cœur.

    Alors, le front fidèle où vivait ma mémoire
    Prendra du marbre dur la froideur et l’éclat,
    Et nous aurons vécu, nous serons de l’histoire,
    Moi pour quelques grimauds, toi pour ton dernier chat!



TABLE


  Parva domus                  7
  La servante                  8
  Canicule                     9
  Invocation                  10
  Rêverie sous la tonnelle    11
  Soir                        12
  La fontaine d’Alny          13
  Jadis                       14
  Portrait d’ancêtre          15
  Autre portrait              17
  Sur une image               21
  Le bonheur prudent          22
  Du rivage                   23
  La digne attente            24
  Conseil à l’Amour           25
  Épigramme                   26
  La belle espiègle           27
  Souvenir de Lia             29
  Méditation égoïste          30
  L’immortelle                31
  En Mars                     33
  L’éternel enfant            34
  Le rosier                   35
  Encouragement               36
  L’homme isolé               37
  La colombe                  38
  Le bel exemple              39
  Le secret des sages         40
  La meilleure part           41
  Novembre                    43
  Après moi                   44
  Comme la rose               45



MAX CREMNITZ, Imp.

PARIS



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