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Title: Une grande dame de la cour de Louis XV - La duchesse d'Aiguillon (1726-1796)
Author: Collet, Albert, Estrée, Paul d'
Language: French
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*** Start of this LibraryBlog Digital Book "Une grande dame de la cour de Louis XV - La duchesse d'Aiguillon (1726-1796)" ***

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LOUIS XV ***



                                  LA
                         DUCHESSE D’AIGUILLON



                       OUVRAGES DE PAUL D’ESTRÉE


=Œuvres inédites de Motin= (avec notice et notes). Paris, librairie des
bibliophiles, 1883.

=Mémoires de Voltaire, écrits par lui-même= (avec notes et commentaires).
Paris, Kolb, 1891.

=Les Hohenzollern= (en collaboration avec E. Neukomm). Paris, Perrin et
Cⁱᵉ, 1892.

=Un policier homme de lettres. L’Inspecteur Meusnier (1748-1757).= Paris,
aux bureaux de la Nouvelle Revue rétrospective, 1892.

=Les Explosifs au XVIIIᵉ siècle.= Paris, aux bureaux de la Nouvelle Revue
rétrospective, 1894.

=Journal inédit du lieutenant de police Feydeau de Marville (1744).=
Paris, aux bureaux de la Nouvelle Revue rétrospective, 1897.

=Les théâtres libertins du XVIIIᵉ siècle= (en collaboration avec Henri
d’Alméras). Paris, Daragon, 1905. _Épuisé._

=Les organes de l’Opinion publique dans l’Ancienne France= (en
collaboration avec Fr. Funck-Brentano). Paris, Hachette et Cⁱᵉ.

I. =Les Nouvellistes=, 2ᵉ édition, 1905.

II. =Figaro et ses devanciers=, 1909.


_EN PRÉPARATION_:

III. =La Presse clandestine.=

=Le Père Duchesne. Hébert et la Commune de Paris (1792-1794).= (Couronné
par l’Académie française). Paris, Ambert et Cⁱᵉ, 1909.


                       OUVRAGES DE ALBERT CALLET

     =Virien le Grand.= _Son château. Ses Seigneurs. Chez Montbarbon
     (Belley)._

     =Ph. Berthelier=, _fondateur de la République de Genève. Chez
     Fishbacher._

     =Honoré Fabri.= _Un Savant oublié._

     =Le Vieux Paris Universitaire.= _Chez Delagrave._

     =L’agonie du Vieux Paris.= _Chez H. Daragon._

[Illustration: La Duchesse d’Aiguillon, née Plélo

(Galerie du Marquis de Chabrillan)]



                UNE GRANDE DAME DE LA COUR DE LOUIS XV


                                  LA

                         DUCHESSE D’AIGUILLON

                              (1726-1796)

                    _d’après des documents inédits_

                                  PAR

                    PAUL D’ESTRÉE et ALBERT CALLET

                     PRÉFACE DE F. FUNCK-BRENTANO


                           TROISIÈME ÉDITION


                                 PARIS
                         ÉMILE-PAUL, ÉDITEURS
                100, RUE DU FAUBOURG-SAINT-HONORÉ, 100

                                 1912



                  A MADAME LA MARQUISE DE CHABRILLAN,


_Ce livre est dédié en témoignage de notre profonde et respectueuse
gratitude._

_C’est à elle, c’est aux documents d’archives familiales dont sa
bienveillance nous ouvrit le trésor, que nous avons dû de mieux
connaître, de mieux apprécier les vertus de son illustre aïeule, la
duchesse d’Aiguillon, cette noble inspiratrice de notre travail._

_Ainsi se perpétue d’âge en âge, entre de pieuses mains et pour le plus
grand honneur de l’Histoire, ce culte éclairé de la tradition qui n’est
pas une des moindres gloires de notre chère France._

                  Paul D’ESTRÉE.      Albert CALLET.



PRÉFACE


Deux charmants érudits, M. Paul d’Estrée et M. A. Callet, ont uni leur
savoir et leur talent pour écrire ce livre, dont le cadre est beaucoup
plus vaste que le titre en sa modestie ne consent à nous l’indiquer; car
voici en réalité une histoire de la fin du règne de Louis XV et du
commencement de celui de Louis XVI, de cette époque inquiète, troublée,
troublante, où, sans que les contemporains s’en doutassent, se jouaient,
autour de futiles intrigues de Cour, les destinées d’un peuple, on peut
dire d’une civilisation.

La bonne et intelligente duchesse d’Aiguillon sert de guide en ce dédale
souvent confus--confus, non par le fait des auteurs, mais par celui des
événements, multiples et complexes, qu’ils avaient à présenter. M. Paul
d’Estrée est un historien du théâtre, un des plus brillants lauréats de
la Société de l’Histoire du Théâtre, et peut-être nous pardonnera-t-il
la familiarité trop grande de la comparaison que nous oserons hasarder,
et sans doute nous la pardonnera-t-il d’autant plus volontiers que
c’est du «petit» théâtre, du théâtre de foire et de tréteaux, qu’il
s’est occupé avec le plus d’érudition et de succès. Mᵐᵉ la duchesse
d’Aiguillon nous fait penser en ce livre à une commère de revue; oh! à
une commère très distinguée, très réservée, très grande dame; mais en
somme à une commère qui joue en réalité un rôle secondaire dans
l’ouvrage, mais qui en est le guide, parmi tant de faits divers et
pressés l’un sur l’autre; guide gracieux qui permet au spectateur, je
veux dire au lecteur, de comprendre et de s’y retrouver.

Et comme il s’agit d’un livre, notre commère ne parle pas comme en une
pièce de théâtre, elle écrit--d’une plume alerte, limpide, intelligente
et gracieusement française--des lettres qui sont autant de foyers de
lumière dans l’ensemble du récit. Ces lettres, pour la plupart inédites,
retrouvées par MM. Paul d’Estrée et A. Callet en des sources diverses,
éclairent non seulement le caractère de l’active et charmante duchesse,
mais les nombreux événements auxquels, de par les fonctions et les faits
et gestes de son mari, elle s’est trouvée directement mêlée.

Nouvelle et importante contribution à cette histoire, tant discutée
depuis quelques années, du duc d’Aiguillon, de son administration, de sa
direction au ministère des Affaires étrangères, et dont Balzac, par ce
génie de divination historique qui l’a si étonnamment caractérisé,
prévoyait dès 1828 les conclusions de plus en plus généralement admises
aujourd’hui, quand il écrivait dans la préface de ce livre admirable,
_les Chouans_:

«La prospérité de la Bretagne était le fond même du procès entre La
Chalotais et d’Aiguillon. Le mouvement rapide des esprits vers la
Révolution a empêché jusqu’ici la révision de ce célèbre procès, mais
lorsqu’un ami de la vérité jettera quelque lumière sur cette lutte, les
physionomies historiques de l’oppresseur et de l’opprimé prendront des
aspects bien différents de ceux que leur a donnés l’opinion des
contemporains. Le patriotisme national d’un homme (Aiguillon), qui ne
cherchait peut-être qu’à faire le bien qu’au profit du fisc et de la
royauté, rencontra ce patriotisme de localité si funeste au progrès des
lumières. Le ministre avait raison, mais il opprimait; la victime avait
tort, mais elle était dans les fers; et en France le sentiment de la
générosité étouffe même la raison. L’oppression est aussi odieuse au nom
de la vérité qu’au nom de l’erreur.

«M. d’Aiguillon avait tenté d’abattre les haies de la Bretagne, de lui
donner du pain en introduisant la culture du blé, d’y tracer des
chemins, des canaux, d’y faire parler le français, d’y perfectionner le
commerce et l’agriculture, enfin d’y mettre le germe de l’aisance pour
le plus grand nombre et la lumière pour tous: tels étaient les
résultats éloignés des mesures dont la pensée donna lieu à ce grand
débat. L’avenir du pays devenait une riche et féconde espérance.

«Que de gens de bonne foi seraient étonnés d’apprendre que la victime
(La Chalotais) défendait les abus, l’ignorance, la féodalité,
l’aristocratie et n’invoquait la tolérance que pour perpétuer le mal
dans son pays! Il y avait deux hommes dans cet homme: le Français qui,
dans les hautes questions d’intérêt général, proclamait, d’une voix
généreuse, les plus salutaires principes; le Breton, auquel d’antiques
préjugés étaient si chers que, semblable au héros de Cervantès, il
déraisonnait avec éloquence et fermeté, aussitôt qu’il s’agissait de
guérir les plaies de la Bretagne.»

Ces pages, admirables de clairvoyance et d’intelligence historique,
méritaient d’être imprimées en tête de ce livre consacré, en grande
partie, au duc d’Aiguillon et à sa lutte en Bretagne contre les
partisans des traditions et des coutumes locales. Balzac s’y est montré
une fois de plus l’écrivain du XIXᵉ siècle qui a été le mieux doué pour
écrire l’histoire; de quoi il a d’ailleurs laissé des preuves
ineffaçables dans les _Mémoires de deux jeunes mariées_, dans le
_Cabinet des Antiques_, dans l’_Envers de l’Histoire contemporaine_ et
dans _les Chouans_ que nous venons de citer.

On aura notamment remarqué le passage où il oppose l’esprit «national»
du duc d’Aiguillon à l’esprit tout imprégné d’idées locales et
particularistes de La Chalotais; c’est déjà le «patriotisme» des hommes
de la Révolution, opposé au «fédéralisme» qu’ils combattront avec une si
terrifiante rigueur.

Le duc d’Aiguillon avait compris la nécessité de la réforme
administrative qui s’imposait dans la seconde moitié du XVIIIᵉ siècle à
la France entière.

Les hommes qui, comme lui, comme Maupeou, comme Vergennes, et quelques
autres, eurent l’intelligence des besoins d’une société nouvelle, ne
purent malheureusement réaliser leur tâche: les La Chalotais se
trouvèrent trop nombreux devant eux pour que les réformes pussent
aboutir par des voies de douceur. La Révolution les accomplira avec
l’aide efficace de la guillotine; et la Restauration, en pleine
réaction, ne songera plus un instant à revenir sur l’œuvre accomplie.

Pour Maupeou, l’un des collaborateurs du duc d’Aiguillon, MM. Paul
d’Estrée et A. Callet se montrent sévères, trop sévères à notre avis.
Maupeou poursuivait, dans le domaine de la justice, le même but que son
collègue, l’ancien gouverneur de la Bretagne, dans le domaine
administratif; il le poursuivit par les mêmes moyens, et l’histoire doit
aujourd’hui lui donner raison, à lui également. Maupeou tombe du
ministère et les parlementaires qui voudront résister aux réformes qu’il
avait préconisées ne tarderont pas à expier leur résistance sous le
couperet de la guillotine. Après quoi, nous avons eu les réformes
judiciaires que Maupeou avait voulu nous donner.

Aiguillon et Maupeou ont donc connu le destin des précurseurs. Problèmes
aux vastes horizons, mais où le lecteur se promène en ce charmant
ouvrage, dû à la plume attentive de MM. d’Estrée et Callet, comme en une
campagne infiniment accidentée et pittoresque, où l’on ne circule que
par mille agréables détours, non sans être captivé, de-ci, de-là, par
les points de vue les plus «flatteurs»--comme on disait au temps de la
bonne et séduisante duchesse d’Aiguillon.

                                                 Frantz FUNCK-BRENTANO.



LA

DUCHESSE D’AIGUILLON



I

     _Mère et fille.--Parallèle de la duchesse de Choiseul et de la
     duchesse d’Aiguillon: analogies de leurs destinées
     respectives.--Pourquoi l’Histoire les a traitées inégalement.--La
     Correspondance et les Correspondants de Mᵐᵉ d’Aiguillon.--Son style
     et son écriture.--Les papiers du chevalier de Balleroy.--Utilité
     documentaire des lettres de Mᵐᵉ d’Aiguillon.--Leur corrélation avec
     la biographie du ministre de Louis XV._


Une très grande dame de la Cour de Louis XV, la duchesse d’Aiguillon,
était fille du comte de Bréhan-Plélo, ambassadeur de France à
Copenhague, qui fut tué au siège de Dantzick en 1734 et de
Louise-Françoise Phélypeaux de la Vrillière, morte trois ans après, en
mars 1737.

A l’exemple de cette martyre de l’amour conjugal, Louise-Félicité de
Bréhan-Plélo, sa fille, qui devait se marier, le 4 février 1740[628],
avec le comte d’Agénois[2], depuis duc d’Aiguillon, fut l’épouse
accomplie, la mère attentive, la gardienne, vigilante et irréprochable,
de la fortune familiale et de l’honneur du nom, en un mot la femme forte
de l’Écriture.

Si la nature, trop souvent ingrate aux belles âmes, ne départit pas à la
mère et à la fille les avantages physiques, toutes deux reçurent, en
compensation, les dons les plus heureux de l’esprit et du cœur. Mais,
hélas! combien ces qualités, moins brillantes que solides, pèsent peu
dans les balances, où, trop souvent, la seule frivolité détermine la
valeur des réputations mondaines!

Aussi les noms de la comtesse de Plélo et de la duchesse d’Aiguillon
n’ont-ils laissé qu’une trace à peine visible dans les _Mémoires_ et
_Souvenirs contemporains_. Depuis, le premier dut à une étude, parue ces
dernières années, de sortir de l’oubli, où il était resté si longtemps
enseveli[3].

Le second a droit à la même justice.

Un des rares écrivains qui l’aient signalé, et le premier qui ait pris
l’initiative de cette tardive réparation, n’a, il est vrai, qu’une
autorité très discutable.

Il importe néanmoins de citer la mention que Soulavie, ce publiciste
discrédité, a consacrée à la duchesse d’Aiguillon; car, non seulement,
elle en résume, avec une rigoureuse exactitude, la vie si droite et si
pure, mais encore elle lui associe, par le plus ingénieux des
rapprochements, celle d’une autre femme qui, ayant connu, dans les rangs
adverses, la même fortune, subit la même disgrâce, sans rien perdre de
la noblesse de son attitude, ni du souci de sa dignité.

«Mᵐᵉˢ d’Aiguillon et de Choiseul, écrit Soulavie, veuves respectables
par leur caractère et leurs vertus, modestes et pleines de réserve
pendant le ministère de leurs époux, ne voulurent jamais se mêler
d’aucune intrigue[4].»

A peu près oubliées par une Révolution qui devenait moins sanglante et
plus humaine, ces deux femmes vivaient encore, au moment où elles
recevaient un hommage si justement mérité.

L’une d’elles n’était déjà plus et l’autre allait, à son tour,
disparaître, quand, dix ans plus tard, Soulavie reprenait ce double
éloge, au cours d’une[5] de ses nombreuses publications[6], dans un
parallèle moins concis et fort judicieux. Les portraits restaient les
mêmes, avec des nuances toutefois dans l’expression de la physionomie.

«Mᵐᵉ de Choiseul, dit Soulavie, développa, comme son mari, un très grand
caractère... Elle voulut le défendre contre les dernières injustices de
Louis XV... Elle fut courageuse, patiente, résignée, mais fière comme
son époux...

Mᵐᵉ d’Aiguillon était d’un caractère opposé, simple, timide,
silencieuse, mais vertueuse et sensible...»

Le panégyriste qui, partout ailleurs, s’est heurté à de si vives
contradictions, n’a reçu ici aucun démenti: il a trouvé la note juste.

Le crayon qu’il a tracé de Mᵐᵉ de Choiseul est en effet des plus
ressemblants: celui de Mᵐᵉ d’Aiguillon n’est pas moins exact. Mais ce
que Soulavie a certainement ignoré, c’est que, tout en paraissant
«timide et silencieuse» à côté de Mᵐᵉ de Choiseul, Mᵐᵉ d’Aiguillon a su,
comme elle, défendre vaillamment son mari, le soutenir et l’encourager
dans les circonstances les plus critiques.

D’ailleurs que d’analogies entre les destinées respectives de ces deux
femmes!

Elles étaient mariées à des hommes d’Etat, qui, sous le même roi, en
devinrent successivement le premier, ou «principal» ministre. Si elles
leur gardèrent pieusement la foi conjugale, elles ne furent certes pas
payées de retour. Les bonnes fortunes de Choiseul et de d’Aiguillon ne
se comptaient plus; et chacun d’eux, s’il faut en croire la chronique
scandaleuse du temps, put inscrire, sur la liste de ses conquêtes, au
moins une favorite royale.

L’un et l’autre, frappés par la disgrâce, furent exilés dans leurs
terres; et la vie de château, à laquelle ils étaient désormais
condamnés, démontra avec quelle dignité souriante leurs femmes
s’entendaient à leur en abréger les trop longues heures par la variété
des plus ingénieuses distractions.

Choiseul et d’Aiguillon, ces irréconciliables ennemis, se suivirent
d’assez près dans la tombe. Il fallut alors payer les dettes qu’avaient
accumulées leur faste et l’honneur d’avoir servi un maître ingrat. Leur
fortune en fut singulièrement amoindrie. Puis la Révolution survint qui
en acheva la ruine. Les deux veuves vécurent ignorées; et la mort les
trouva pauvres.

Alors, pourquoi ce caprice du sort, qui, plus d’un demi-siècle après,
met l’une en belle lumière et laisse l’autre en pleine obscurité?

C’est qu’en restituant dans leur intégrité les lettres de Mᵐᵉ Du Deffand
et de ses amis, dont le XIXᵉ siècle n’avait connu jusqu’alors qu’une
copie maladroite et une version imparfaite, l’inspiration heureuse, et
presque simultanée, de deux érudits sut dégager de cette correspondance
la noble et touchante figure de la duchesse de Choiseul, hier ignorée,
inoubliable aujourd’hui.

       *       *       *       *       *

La femme naît épistolière. D’illustres exemples le prouvent de reste.
Ils déterminent mieux encore le degré de perfection auquel peut
atteindre un don naturel sous l’influence d’une culture intellectuelle
raffinée et continue.

Or, dans la vie familiale et dans la vie mondaine--les deux pôles
contraires de notre organisme social--la femme trouve des éléments
d’observation qui aiguisent ses relations épistolaires, si banales
soient-elles, des traits les plus fins et les plus délicats. Et la plus
humble, la moins lettrée saisira le détail qui sait peindre, le mot qui
sait toucher, s’agirait-il de l’incident le plus vulgaire de la vie
courante; car la femme écrit presque toujours sous l’impression de son
imagination ou de sa sensibilité.

C’est ainsi que nous apparaît Mᵐᵉ de Choiseul dans sa correspondance.
Elle se souvient quelquefois encore qu’elle fut la femme du ministre,
mais elle est surtout son amie vigilante et dévouée, soucieuse de son
repos bien que glorieuse de son nom, bonne, obligeante, affectueuse pour
chacun, en un mot, la «grand’maman» comme se plaisaient à l’appeler ses
familiers.

Par sa disgrâce, son mari, cet égoïste voluptueux, l’avait, pour ainsi
dire, mise en vedette. L’opposition avait pris fait et cause pour
Choiseul exilé à Chanteloup[7]. Chanteloup n’était pas trop éloigné de
Versailles. Ce fut du dernier bon goût--le _snobisme_ d’alors--de faire
le pèlerinage de Chanteloup. Les princes, les rois eux-mêmes y
coururent. Et, pour comble de fortune, Mᵐᵉ Du Deffand, l’amie des
philosophes, et ses entours devinrent les gazetiers de la magnifique
retraite, dont la duchesse faisait, avec la meilleure grâce du monde,
les fatigants honneurs.

       *       *       *       *       *

Mᵐᵉ d’Aiguillon eut un exil moins riant et moins doré. Son mari était
tombé du pouvoir, ne laissant de regrets qu’à ses créatures. Odieux à
cette même opposition parlementaire qui lui reprochait la détention des
La Chalotais et la disgrâce de Choiseul, méprisé des philosophes qui le
croyaient acquis aux jésuites, exécré à la Cour et détesté surtout de
Marie-Antoinette qui ne lui avait jamais pardonné son alliance avec la
Du Barry, le duc d’Aiguillon avait dû se confiner à l’extrémité de la
France, dans son domaine de l’Agénois, où les visites du peu d’amis
restés fidèles à son infortune ne rappelaient que de très loin la cohue
brillante des défilés de Chanteloup.

La duchesse n’eut pas à lutter contre ce torrent de haine où se
débattait vainement son époux. Elle était ignorée de tous. D’ailleurs,
sa personnalité s’était déjà effacée dans l’ombre d’une autre duchesse
d’Aiguillon, née Crussol, sa belle-mère la douairière, qui, elle aussi,
était grande amie de Mᵐᵉ Du Deffand et de sa coterie. Et cette coterie,
celle des philosophes, des encyclopédistes, des économistes, fut, il
faut bien le reconnaître, la meilleure des agences de publicité pour les
réputations du XVIIIᵉ siècle.

... _Nul n’aura d’esprit hors nous et nos amis._

La douairière d’Aiguillon lui doit ce surnom-réclame, qui la fit passer
à la postérité: _la sœur du pot des philosophes_.

Sa belle-fille, qui se serait bien gardée d’en briguer la survivance, ne
reçut donc pas des dispensateurs de renommée contemporaine l’investiture
dont bénéficièrent la douairière d’Aiguillon et la duchesse de Choiseul.
Et cependant sa correspondance la désignerait pour occuper un rang
presque égal, quoiqu’elle n’ait eu pour destinataires qu’un très petit
nombre de privilégiés, eux-mêmes fort peu connus.

Car Mᵐᵉ d’Aiguillon est bien l’épistolière qui sommeille dans le cœur de
toute femme, mais l’épistolière d’élite. Elle a son originalité propre;
elle a le mot qui fait image, le trait qui porte loin. Ses lettres sont
courtes d’ordinaire, mais substantielles. Le style en est simple, net et
concis, plutôt négligé; il ne vise pas à l’effet: il veut surtout
persuader.

Mᵐᵉ d’Aiguillon n’écrit pas, en effet, pour la galerie: elle cause en
toute sincérité avec des amis à qui elle ouvre son cœur, à qui elle
confie successivement ses espérances, ses joies, ses déceptions, ses
rancœurs, ses tristesses, ses douleurs, sa résignation. Elle sait
d’avance la solidité de leur affection et peut compter sur leur
discrétion, surtout sur leur indulgence, d’autant qu’elle est affligée
d’un terrible défaut--même une tare pour quiconque veut avoir avec ses
parents et ses amis une correspondance suivie. Mᵐᵉ d’Aiguillon est
illisible dans toute l’acception du mot. Outre que l’orthographe est le
moindre de ses soucis, elle a une écriture déconcertante: c’est un
fouillis de pattes de mouches, trop souvent microscopiques, dépourvu de
toute ponctuation, dans lequel un mot se trouve étroitement soudé à un
autre ou découpé en deux et même trois tranches.

«J’avais oublié de vous dire, de la part de la Reine, lui raconte,
certain jour, sa belle-mère, que votre écriture est indéchiffrable,
qu’elle (la Reine) a mis 2 paires de lunettes et Mᵐᵉ de Villars autant,
sans en venir à bout.»

C’est peut-être à cette infirmité graphique qu’il faut attribuer sinon
le peu de lettres, du moins le peu de correspondants qu’ait jamais eus
la duchesse d’Aiguillon.

La douairière et la comtesse de Maurepas se plaignent fréquemment de son
silence. La femme de l’ancien ministre était une La Vrillière, par
conséquent la tante propre de la duchesse: celle-ci lui rendait
cependant de nombreuses visites à Pontchartrain[8]; et nous verrons plus
loin qu’elle avait pour sa belle-mère le plus tendre attachement. Mais
elle ne paraît jamais avoir eu de correspondance suivie qu’avec Mᵐᵉ de
Chauvelin, le comte de Scheffer et le chevalier de Balleroy.

C’est dans les papiers de ce dernier que nous avons découvert une liasse
considérable de lettres qui lui furent adressées par la duchesse
d’Aiguillon, accompagnées de quelques billets de son mari.

Le chevalier François-Auguste de Balleroy était petit-fils de cette
marquise de La Cour Balleroy, née Caumartin, qui, pendant la Régence,
recevait, en son château, près de Bayeux, des lettres parisiennes, si
intéressantes et si piquantes, publiées en 1883 par E. de Barthélemy.

François-Auguste avait, comme son frère aîné, Charles-Auguste, marquis
de Balleroy, coopéré à la campagne menée victorieusement en Bretagne par
le duc d’Aiguillon contre les Anglais. Les deux frères furent
guillotinés le 6 germinal an II. Le marquis séjournait à Balleroy. Le
chevalier, quand il fut arrêté, demeurait alors rue Saint-Dominique[9] à
Paris. Les papiers, saisis à son domicile, furent versés, après sa
condamnation, aux Archives Nationales.

On n’y trouve, pas plus du reste qu’au château de Balleroy, aucune
lettre, ni aucun document revêtu de sa signature.

Par contre, un carton des Archives[10] est, en partie, occupé par toute
une série de lettres à l’adresse du chevalier, lettres émanées de divers
correspondants.

Celles de la duchesse d’Aiguillon, les seules qui nous intéressent, ne
font pas seulement valoir un beau caractère; elles apportent encore une
contribution, qui n’est pas à dédaigner, à l’histoire des dernières
années du règne de Louis XV et des premières du règne de Louis XVI.

Cette correspondance commence à la fin de 1767 et se termine en 1785.
Elle accompagne en quelque sorte le duc d’Aiguillon dans une des
périodes les plus agitées et les plus brillantes de sa vie politique,
depuis l’heure où il quitte la Bretagne, chargé de toutes les
malédictions de la province, jusqu’au jour où sa victoire sur ses
adversaires, singulièrement appuyée par Mᵐᵉ Du Barry, reçoit la plus
éclatante des sanctions, dans la nomination de M. d’Aiguillon comme
ministre des affaires étrangères. Chemin faisant, la duchesse note les
nouvelles de Cour les plus importantes: la mort de la Reine, le mariage
du comte de Provence,--sans parler des intrigues et des cabales qui
amèneront, après la mort du maître, la chute du favori. L’exil dans ce
domaine d’Aiguillon n’empêche pas la duchesse de donner, par
intermittences, quelques lignes à la politique: cadre qui s’élargira,
quand il sera permis au courtisan disgrâcié de rentrer à Paris. Et
brusquement, la correspondance s’arrête, trois années avant la mort de
M. d’Aiguillon.

Notre étude serait incomplète, si nous la bornions à cet intervalle de
dix-huit années que remplit la correspondance. Il importe de rétablir
intégralement la biographie de la duchesse, d’après les documents que
nous avons pu recueillir, et qui, nous ne saurions trop le répéter, sont
en fort petit nombre. Rapprochés de ceux que l’histoire a conservés sur
le duc d’Aiguillon, leur intérêt s’augmente de cette comparaison et
n’en accuse que d’un plus saisissant relief la noble figure de la digne
fille des Plélo.

Enfin, une autre série de lettres et de pièces, dont nous devons la
communication à la bienveillance de M. le marquis de Chabrillan, nous a
permis de continuer la biographie de la duchesse, jusqu’à la mort de la
veuve du premier ministre.



II

     _Les premières années de Louise de Plélo: son conseil de
     famille.--Son mariage avec le duc d’Agénois.--Le digne cousin du
     maréchal de Richelieu.--Ses amours avec la marquise de la
     Tournelle.--Une scapinade de Richelieu.--Hésitations d’une amante
     et coquetteries d’une maîtresse.--La duchesse d’Agénois et sa
     protectrice.--Amitié véritable entre bru et belle-mère.--Une lettre
     de la grosse duchesse.--D’Agénois un Caton!--Mᵐᵉ d’Agénois dame du
     palais._


Louise-Félicité de Bréhan Plélo était encore une enfant (elle avait onze
ans à peine), quand la mort de sa mère la laissa, sinon sans fortune, du
moins dans une situation fort embarrassée. L’orpheline était, surtout,
moralement abandonnée. Ce n’était pas qu’elle n’eût une famille
nombreuse et bien en cour: malheureusement, ses plus proches parents
n’avaient guère qualité pour lui donner l’éducation qui convînt à
l’héritière des Plélo. La marquise de la Vrillière devenue, contre
échange de cent mille écus, duchesse de Mazarin, était la grand’mère de
Louise-Félicité, et, de ce fait, sa tutrice; mais elle n’était pas d’une
conduite exemplaire[11]. Saint-Florentin, le ministre, frère de la
comtesse de Plélo, qui avait été désigné comme tuteur de sa nièce,
n’était pas non plus le modèle de toutes les vertus. C’était un
courtisan aussi plat qu’il était orgueilleux, autoritaire, opiniâtre et
ne reculant devant aucune mesure arbitraire pour satisfaire au moindre
caprice de son maître. Il déclina la mission qui lui incombait; et, à
son défaut, Maurepas, ministre lui aussi, qui avait épousé une sœur de
Mᵐᵉ de Plélo, accepta la tutelle de l’orpheline. Aussi souple d’échine
que Saint-Florentin, mais plus fin, plus délié et plus aimable, quoique
très vain et très frivole, le comte de Maurepas ne professait, comme
tant d’autres de ses contemporains, que des principes d’une morale
facile et sans préjugés.

Dans ses lettres, Louise-Félicité rappelle fort peu cette période de sa
vie. Nous avons été même assez surpris de n’y point trouver le souvenir
de sa mère. Une seule fois elle parle de son enfance, et à propos d’un
mariage: la note ne laisse pas d’être piquante.

«Ma vieillesse, écrit-elle, le 12 novembre 1769, au chevalier de
Balleroy--et elle n’a encore que quarante-trois ans--ma vieillesse me
retient prisonnière chez moi, ce qui, comme vous jugez bien, ne me coûte
pas beaucoup, mais je sens que j’aurais de l’humeur, si elle m’empêchait
d’aller à la noce du cousin Quélen qui, enfin, va passer sous le joug
matrimonial. Ce n’est pas sans peine, en vérité, et il n’a pas perdu
pour attendre. Il épouse Mˡˡᵉ Hocquart, nièce de l’ancien intendant de
la marine, qui a 200.000 livres en mariage et à qui on en assure encore
autant. J’en suis aussi aise que lui. Vous savez combien je m’y
intéresse personnellement, _et les obligations que j’ai eues dans ma
jeunesse à son père_[12]. Si je parviens après à marier mon oncle
Bréhan, je ne désespérerai de rien, pas même pour vous[13].»

Quand elle s’était inclinée sous «ce joug matrimonial», qu’il lui semble
si plaisant de voir imposer aux autres, Mˡˡᵉ de Plélo n’était pas encore
entrée dans sa quinzième année.--S’il est des tuteurs qui ne sont jamais
pressés d’établir leurs pupilles, combien ont hâte d’en finir avec une
responsabilité qu’ils repassent volontiers à un mari! Maurepas
s’était-il lassé de sa mission ou craignait-il de ne pas rencontrer pour
sa nièce un parti plus sortable? Toujours est-il qu’assisté de
Saint-Florentin, il demandait au roi son agrément pour le prochain
mariage de Mˡˡᵉ de Plélo avec le comte d’Agénois «à qui son père cédait
son duché[14]». L’alliance d’Emmanuel-Armand Du Plessis-Richelieu, qui
devait, à la mort de son père, porter le titre de duc d’Aiguillon, ne
pouvait que jeter un nouvel éclat sur les familles de Mailly et
de Phélypeaux. Le nouveau duc d’Agénois descendait par une
ligne collatérale, comme son parent le duc de Richelieu, du
cardinal-ministre. Il était âgé de vingt ans; et une physionomie des
plus heureuses, une noble prestance[15], une rare élégance de manières
le faisaient passer pour un des plus beaux hommes de la Cour. Les
avantages physiques de Mˡˡᵉ de Plélo ne répondaient certes pas à ceux de
M. d’Agénois: la jeune fiancée était plutôt laide et son «teint
échauffé» avait des variations de coloris sur lesquelles nous
reviendrons plus tard.

Le mariage se fit néanmoins. Fut-il heureux? Il est permis d’en douter,
étant donné l’humeur volage et le tempérament passionné de l’époux,
qu’il fût duc d’Agénois ou duc d’Aiguillon. La duchesse ne put en
ignorer; elle était intelligente et fine; et elle dut beaucoup en
souffrir; car elle avait en même temps qu’un véritable culte pour la
famille dans laquelle elle était entrée, un profond et sincère amour
pour l’homme qui en était un des représentants. Mais, comme elle était
également très digne, il ne semble pas qu’elle se soit jamais plainte
des nombreuses infidélités de son mari. En tout cas, aucune de ses
lettres n’en laisse percer la moindre trace; elles respirent au
contraire un vif enjouement, tempéré d’une douce sérénité, si ce n’est
quand elle croit ou qu’elle voit son époux en butte à la calomnie ou à
des manœuvres perfides. Une telle égalité d’humeur, discrète et
souriante, chez une femme trompée, est plus et mieux que de la
résignation: c’est, en quelque sorte, un héroïsme élégant.

Les illusions de Mᵐᵉ d’Agénois furent de courte durée. Elle était mariée
du 4 février 1740; et, vers la fin de cette même année, le duc la
trompait avec la marquise de La Tournelle[16].

Peut-être se demandera-t-on s’il n’en avait pas été pour les d’Agénois
comme pour les Plélo. Louise-Félicité n’avait pas, nous l’avons dit,
quinze ans, le jour de son mariage. Voulut-on séparer momentanément un
couple qu’avaient uni des raisons d’intérêt ou des questions de
convenance, et qui n’était pas encore mûr pour les réalités du mariage?
C’est fort possible. En tout cas, d’Agénois se serait bien gardé
d’enlever, à l’exemple de feu son beau-père[17], sa jeune femme; il
était trop occupé avec la maîtresse, si captivante dans son orgueilleuse
beauté, qui l’avait choisi comme le plus désirable des amants.

La liaison de la future duchesse de Châteauroux avec d’Agénois
appartient à l’histoire; et les Goncourt lui ont consacré quelques pages
de leur curieuse monographie sur la favorite, si longuement recherchée
et si ardemment aimée du plus indifférent des rois.

Le marquis d’Argenson, avec son philosophisme sceptique, grincheux, mais
presque toujours exact, définit, dans une note de ses _Mémoires_, la
raison de l’irrésistible entraînement de la Châteauroux pour d’Agénois,
devenu son parent par son mariage avec Mˡˡᵉ de Plélo: «Elle a eu jusqu’à
trois affaires, M. de la Trémoïlle, M. de Soubise, M. d’Agénois. Le
premier la séduisit par ses charmes, M. de Soubise par intérêt et par
vues: elle avait besoin de lui pour que la maison de Rohan et Mᵐᵉ de
Tallard s’intéressassent à elle, en vue d’entrer chez la dauphine; elle
ne lui permit que la _petite oie_, et elle eut M. d’Agénois, pour se
procurer les conseils de M. de Richelieu, qui était en partie carrée
avec elle, son cousin le petit d’Agénois et Mᵐᵉ de Flavacourt[18].»

En effet, le duc de Richelieu joua dans cette «affaire» un singulier
rôle, mais qui ne saurait surprendre chez un courtisan aussi adroit et
toujours si empressé à devancer les désirs du maître. Certes, il aimait
bien son cousin; et la correspondance de Mᵐᵉ d’Aiguillon atteste que
cette affection familiale était partagée. Mais, précisément, parce qu’il
était «en partie carrée», c’est-à-dire en communauté d’intérêts
politiques avec d’Agénois et Mᵐᵉ de la Tournelle, il n’entendit pas
sacrifier à leur délicieux roman la satisfaction de ses vues
ambitieuses. Il voulut assurer au roi l’entière et définitive possession
d’une femme que le prince convoitait depuis longtemps; et peut-être
aussi dans l’intérêt, bien compris, d’un parent dont l’obstination
amoureuse pouvait compromettre la fortune et le crédit, il imagina, lui
aussi, un roman, ou plutôt une comédie à la Marivaux pour rompre une
liaison qui menaçait de s’éterniser.

Au cours d’un voyage en Languedoc, d’Agénois rencontre une jeune femme
fort jolie, très spirituelle et d’une grâce exquise, qui, à l’aspect de
ce beau gentilhomme, semble avoir reçu le coup de foudre. Jamais
coquette ne fut plus aguichante, ni ne mit autant de charmes dans un
sourire. D’Agénois se laisse séduire par cette sirène. Tous deux ne
sauraient d’ailleurs se résigner à ce que l’aventure n’eût pas de
lendemain. On se sépare, mais en jurant de s’écrire, très secrètement
bien entendu; et d’Agénois compte bien que la marquise de la Tournelle
ignorera toujours son infidélité; mais, un matin, celle-ci voit entrer
le Roi qui lui met sous les yeux tout un paquet de lettres, brûlantes de
passion: Ah! lui dit-il, le beau billet qu’a la Châtre! tenez, voilà ce
que m’envoie la poste.

La ruse de Richelieu avait réussi... C’était lui, en effet, qui, sous
promesse d’une «grande situation à Paris», avait «aposté»
l’enchanteresse, chargée d’ensorceler d’Agénois; c’était lui encore qui
avait tendu le piège de la correspondance; et... le _Cabinet Noir_ avait
fait le reste.

Richelieu avait voulu que Mᵐᵉ de la Tournelle oubliât son amant; les
railleries continuelles du roi sur la prétendue fidélité de d’Agénois
hâtèrent cette solution.

Et cependant la marquise lutta longtemps encore contre l’idée d’une
telle rupture. Elle écrivait à Richelieu pour lui déclarer tout net
qu’elle n’était pas dupe de «sa fourberie»; mais elle sentait bien que,
si elle congédiait d’Agénois, celui-ci ne lui pardonnerait jamais cette
injure: aussi voulait-elle qu’il lui rendît ses lettres, car elle ne se
souciait pas qu’il les communiquât à sa mère, et surtout à Maurepas.
Puis elle se ravisait: elle «revenait» à d’Agénois. Les lettres,
interceptées par la poste, disait-elle, ne prouvent pas que le duc ait
trahi ses serments; tout au plus s’est-il permis un caprice...[19], une
passade.

Sans se prononcer aussi catégoriquement que le marquis d’Argenson, mais
en se gardant bien d’exposer la savante et perfide stratégie de
Richelieu, le duc de Luynes ne dissimule pas, dans ses _Mémoires_, que
Mᵐᵉ de la Tournelle, après la disgrâce de sa sœur, Mᵐᵉ de Mailly, se
conduisit, en coquette consommée, envers le roi. Soulavie[20], de son
côté, précise le manège de l’artificieuse créature. Elle prenait un faux
air de modestie. Elle cachait son joli minois sous une baigneuse que le
roi relevait doucement pour l’admirer, puis pour dévorer ses joues
d’ardents baisers, alors qu’elle dardait sur lui des yeux étincelants.
Et, tout aussitôt, elle se ressaisissait... «elle faisait la fière.»
C’était alors une autre antienne. Elle continuait à dire et à faire
dire, écrit le duc de Luynes[21], «qu’elle était aimée de M. d’Agénois,
et qu’elle l’aimait, qu’elle n’avait nul désir d’avoir le roi, qu’il lui
ferait plaisir de la laisser comme elle est et qu’elle ne veut consentir
à ses propositions qu’à des conditions sûres et avantageuses». Mise en
scène évidemment réglée par Richelieu.

Elle les eut ces «conditions sûres et avantageuses» avec son brevet de
duchesse de Châteauroux. Mais elle avait su jouer, bien qu’on en fît
une sotte, du duc d’Agénois. Elle l’aimait cependant, et d’un amour qui
survécut à leur séparation..., peut-être moins réelle qu’on n’a voulu le
prétendre. Lorsque d’Agénois, qui était entré au service à dix-sept ans
et s’était fait remarquer par sa vaillance pendant la guerre de la
succession d’Autriche, fut très grièvement blessé à la tête, au siège de
Château Dauphin, «la marquise de la Tournelle se sentit blessée du même
coup[22]». On ajoute qu’elle s’évanouit à cette nouvelle. Le roi en fut
très vivement piqué. Il la tança d’importance. Et ce ne fut pas la seule
fois qu’il la querella pour des retours de tendresse dont elle ne
pouvait se défendre.

       *       *       *       *       *

Que devenait, au milieu de ces intrigues de cour et de cœur, la petite
duchesse d’Agénois, si délaissée, si oubliée, si inconnue même du grand
public, qu’elle semblait n’avoir jamais existé?

Elle avait pour protectrice, pour amie, pour consolatrice peut-être, une
grande dame, la première de France, qui, elle aussi, était oubliée et
délaissée pour la même femme, si profondément énamourée du beau
d’Agénois.

Marie Lesczinska s’était toujours souvenue que Plélo avait sacrifié sa
vie à la cause du roi de Pologne Stanislas; elle tenait à payer à la
fille la dette de reconnaissance qu’elle avait contractée envers le
père. Si, en raison des exigences du protocole et de la tyrannie de
l’étiquette, il lui fut d’abord impossible d’attacher directement à sa
personne Mᵐᵉ d’Agénois, elle lui fit assurer une pension honorable sur
la cassette royale et favorisa de toute son influence (hélas! bien
restreinte) l’accession de la jeune femme aux emplois et dignités de la
cour. Le 21 septembre 1742, alors que la duchesse d’Agénois était une
des «six dames du deuil de la duchesse de Mazarin», le roi «fit envoyer
chez elle un de ses gentilshommes[23]». A un an de distance[24] la
fatalité voulut (que de larmes coûtaient de tels honneurs!) que Mᵐᵉ
d’Agénois «fût à la présentation de Mᵐᵉ de la Tournelle comme duchesse
de Châteauroux»; elle était «parmi les huit dames dont cinq assises»; et
sa belle-mère, la duchesse d’Aiguillon, était également du nombre.

Mais, en dehors de cette vie officielle, Mᵐᵉ d’Agénois était du cercle
de la reine; admise dans l’intimité de la princesse et l’une de ses plus
chères favorites, elle garda toujours, comme nous le verrons plus tard
par sa correspondance, un souvenir attendri de Marie Lesczinska. Elle
devait vouer la même gratitude à la mémoire de sa belle-mère Mᵐᵉ
d’Aiguillon, la _grosse duchesse_, la _bonne duchesse_, comme on
l’appelait encore dans le salon de Mᵐᵉ Du Deffand.

«Mon arrivée dans cette maison[25], écrit-elle de Paris, le 27 août
1772, a renouvelé l’horreur de la perte que j’ai faite (la duchesse
douairière était morte le 15 juin); j’étais accoutumée que, quand je
revenais, la première personne que je voyais, c’était ma malheureuse
belle-mère.»

Et à quelques mois de là (6 décembre 1772), elle parle encore avec
émotion de la _bonne duchesse_, «qu’elle n’aurait ni plus aimée, ni plus
respectée, quand elle aurait été sa propre mère».

C’était justice. Car l’excellente femme qu’était la douairière avait su,
dans les circonstances les plus difficiles, conserver l’estime et
l’affection de tous, sans rien abdiquer de ses croyances, ni se
soustraire à ses devoirs. Née Crussol, elle avait épousé le duc
d’Aiguillon, personnage «de la première distinction», mais le plus
insignifiant, le plus nul des hommes. Tout son orgueil d’épouse s’était
alors confondu avec ses espérances de mère. Et désormais elle ne vécut
que par son fils, ce séduisant gentilhomme qui avait si brillamment
débuté à la cour.

Elle a pour lui une admiration qui fait sourire. Mᵐᵉ de Maurepas s’étant
plaint de voir trop rarement sa nièce, et le duc d’Agénois ayant opiné,
sans doute par calcul, dans le même sens, la grosse duchesse avait cru
devoir présenter à sa bru «des exhortations d’économie et d’honnêteté
pour ses parents». Louise-Félicité lui avait répondu un peu vivement. Et
sa belle-mère s’était efforcée de calmer ce semblant d’irritation
s’adressant aussi bien à son intervention personnelle qu’aux
observations de Mᵐᵉ de Maurepas: «C’est par amitié qu’on se plaint de
vous. Ce qui doit vous occuper et conduire votre marche, est ce qui
plaît à votre mari, et lui convient. C’est le devoir d’une femme en
général, mais bien avec lui qui est un Caton et qui pourrait gouverner
père, mère, et toute la famille, et jusqu’aux cousins![26]»

D’Agénois, un Caton! C’était un peu excessif. Mais pourquoi ce mouvement
d’humeur chez la jeune femme? Toute sa vie, elle fut pour sa tante une
nièce respectueuse et même dévouée. Mais il semble qu’elle éprouvât
vis-à-vis d’elle une certaine gêne, et même quelque froideur.
L’insistance de son mari avait-elle fait ombrage à ses sentiments de
délicatesse? Il y eut certainement dans les rapports de la nièce avec la
tante un de ces mystères du cœur féminin dont il est souvent impossible
de découvrir la clef.

La douairière d’Aiguillon s’était prise d’une tendresse sincère pour sa
bru, compagne aimante et fidèle de son fils, qui méritait mieux que les
regards distraits et l’affection intermittente de son mari, mais qui
avait l’âme assez haute pour ne jamais se plaindre. Et cependant Mᵐᵉ
d’Aiguillon avait pénétré les secrètes douleurs de Mᵐᵉ d’Agénois. Elle
ne l’en aima que plus tendrement, la consolant sans en avoir reçu les
confidences, la réconfortant toutefois, si elle voyait fléchir une
énergie qui n’accusait personne de son découragement.

--Eh! si la vie est sans attrait pour vous, lui écrivait-elle[27], pour
qui peut-elle avoir des charmes?

Ce billet date de 1760. Et nous connaîtrons bientôt la cause probable de
cette tendance à la mélancolie que ne laisse certes pas supposer la
correspondance adressée au chevalier de Balleroy.

D’autre part, les Mémoires de Luynes nous disent assez avec quelle
ardeur la _bonne duchesse_, trop heureuse de servir les intentions de la
reine, s’employait à la fortune de Mᵐᵉ d’Agénois:

_Mai 1744._--«Mᵐᵉ d’Aiguillon sollicitait le maréchal de Richelieu pour
que sa belle-fille pût être attachée à la Dauphine; et M. de Richelieu
lui répondit en badinant que la nièce de deux ministres n’avait pas
besoin de protections.»

Enfin, le 2 mars 1748, la reine obtenait gain de cause et Mᵐᵉ d’Agénois
«était présentée comme nouvelle dame du palais».



III

     _Les maternités de Mᵐᵉ d’Aiguillon.--Débuts de la guerre de Sept
     Ans.--Bataille de Saint-Cast en Bretagne.--Félicitations de Mᵐᵉ de
     Pompadour au vainqueur.--Flirt de la Grande Marquise.--Maussaderie
     de d’Aiguillon.--Cavendish.--Les «fols de Bretons».--D’Aiguillon
     eût préféré le Languedoc.--Le commencement des «Affaires de
     Bretagne»._


Le duc d’Agénois, ce bourreau des cœurs, trompait ouvertement et
copieusement sa femme; mais, à l’exemple de la plupart des grands
seigneurs du XVIIIᵉ siècle, il estimait qu’il devait à son nom et à la
conservation de sa race, de ne pas oublier, quand l’occasion s’en
présentait, qu’il existait encore de par le monde une duchesse
d’Agénois. D’où les six maternités qu’eut à _subir_ Louise-Félicité,
pendant une période de vingt années (1746-1765); nous disons _subir_,
parce qu’elle eut encore ce trait commun de ressemblance avec sa mère,
qu’elle passa par des couches particulièrement laborieuses qui mirent
ses jours en péril. La naissance de son premier enfant, une fille,
Armande-Félicité, qui devait mourir en 1751, avait provoqué une certaine
émotion dans le monde médical; et ce ne fut pas la dernière.
L’accouchement était difficile, et Pérat, l’opérateur, avait fait venir
un chirurgien célèbre, Pujos, qui, contrairement à l’avis de son
confrère, avait réussi à délivrer la patiente par l’application du
forceps. Or, les ennemis de Pérat prétendirent qu’en raison de son âge,
le bonhomme n’avait plus ni la tête, ni la force voulue pour continuer
son service à la Cour, d’autant qu’il était désigné pour accoucher la
Dauphine. Et Pérat, un très honnête homme, à qui la dévotion donnait des
scrupules, écrivit à Bouillon, Helvétius et La Peyronie, médecins et
chirurgiens du roi, pour décliner la mission qui lui était confiée. Il
avouait humblement qu’il «s’était trompé à la couche de la duchesse
d’Agénois». Mais on ne voulut pas tenir compte à la Cour de cette
résignation si touchante, et on le maintint dans ses fonctions[28].

La duchesse d’Agénois s’était rétablie, non sans peine, d’une telle
alerte, lorsqu’on apprit, dans les premiers mois de 1747, sa nouvelle
grossesse: «L’état où elle avait été à sa dernière couche, écrit le duc
de Luynes, faisait beaucoup craindre pour celle-ci[29], d’autant plus
que Mᵐᵉ de Plélo, sa mère, était toujours fort mal en accouchante.» On
en fut quitte cette fois pour la peur, et, le 20 décembre, Mᵐᵉ d’Agénois
donnait facilement naissance à une seconde fille[30], Innocente-Aglaë,
qui devait être un jour la marquise de Chabrillan.

Cependant, le jeune duc, après avoir guerroyé fort honorablement à
l’étranger, était rentré en France, dans le courant de février 1749; et,
devenu duc d’Aiguillon par la mort de son père, en 1750, avait été nommé
successivement lieutenant général au comté Nantais, et commandant en
chef de Bretagne--province dont M. de Penthièvre était le gouverneur.

De cette époque date l’ascension[31], lente, mais sûre, aux premières
dignités de l’État, de cet homme que la tourbe de ses ennemis,
grossissant à mesure qu’il s’élevait, nommait un «courtisan noir et
profond».

La cause déterminante d’une faveur, si jalousée, fut le rôle décisif
joué par d’Aiguillon, en Bretagne, au commencement de cette guerre de
Sept Ans, dont l’issue devait être désastreuse pour la fortune et
l’honneur de la France. Et, ici encore, le cœur de la jeune duchesse eut
peut-être à souffrir d’une profonde et cuisante blessure. Car, si le
triomphe du nouveau commandant de Bretagne sur les armes anglaises fut
mis à cette époque en pleine et belle lumière, ce fut grâce à la
marquise de Pompadour qui s’était prise d’un vif et tendre enthousiasme
pour le vainqueur.

Est-ce l’explication de la lettre, datée de 1760, où la jeune duchesse
confiait à sa belle-mère que «la vie était pour elle sans attrait»?

La suite de ce récit dira si notre hypothèse est fondée, si Mᵐᵉ
d’Aiguillon était en droit de reprocher à son mari--et jamais, que nous
sachions, le grief n’est sorti de sa bouche--de nouveaux torts et de
graves infidélités.

On sait quelle fut une des causes principales de la guerre de Sept
Ans[32]: la haine irréductible de Mᵐᵉ de Pompadour contre Frédéric II
qui avait cyniquement raillé l’influence de la maîtresse du roi dans les
conseils du prince et sa participation aux affaires de l’État. La Grande
Marquise voulut prouver à l’insolent monarque qu’il avait deviné juste,
en alliant la France à l’Autriche contre la Prusse et l’Angleterre. Ce
fut _sa guerre à elle_; et ce furent ses plus chers favoris, les hommes
d’État ou les généraux qui s’employèrent à servir sa cause, c’est-à-dire
ses rancunes, pendant cette période de sept années.

L’expédition, dirigée en 1758 par l’Angleterre contre les côtes de
France, marqua la première phase des hostilités. Une flotte
considérable, qui avait embarqué un corps d’armée de 15.000 hommes,
cingla

[Illustration: Le Duc d’Aiguillon

(Galerie du Marquis de Chabrillan)]

vers la Normandie et la Bretagne, semant la terreur et la ruine sur son
passage. Cherbourg fut détruit et Saint-Malo bombardé: la flotte ennemie
menaçait le littoral, du Havre à Brest. Enfin, elle débarqua, sur les
Côtes-du-Nord, 13.000 hommes, qui étaient à peine descendus à terre,
qu’ils étaient aussitôt attaqués et battus à Saint-Cast[33]. En effet,
d’Aiguillon, accouru à leur rencontre, à la tête des miliciens bretons,
les avait enveloppés et culbutés, leur avait tué 3.000 hommes et fait
800 prisonniers, au nombre desquels se trouvait lord Cavendish,
troisième fils du duc de Devonshire. Le reste avait repris
précipitamment la mer, sous la protection de la flotte, qui avait dû
assister, impuissante, à ce désastre.

Ce fut par toute la France un cri de triomphe, un élan de reconnaissance
pour les vaillants soldats qui avaient si bien défendu le sol de la
patrie, pour le chef et pour les officiers qui les avaient si
valeureusement conduits à la victoire. Des estampes furent gravées qui
représentaient le commandant à Saint-Cast, et des médailles
commémoratives de ce haut fait d’armes furent frappées aux frais des
Etats de Bretagne; enfin d’Aiguillon recevait de la marquise de
Pompadour la lettre suivante:

«C’est avec bien du regret, Monsieur, que je ne vous ai pas dit tout ce
que je pensais, avant-hier, sur la gloire dont vous venez de vous
couvrir; mais ma tête était si douloureuse que je n’eus de force que
pour vous dire un mot.

«Nous avons chanté aujourd’hui votre _Te Deum_, et je vous assure que
ç’a été avec la plus grande satisfaction; j’avais prédit vos succès et,
en effet, comment était-il possible qu’avec autant de zèle,
d’intelligence, une tête aussi froide et des troupes qui brûlaient,
ainsi que leur chef, de venger le roi, vous ne fussiez pas vainqueur?
Cela ne se pouvait pas. Un petit billet, que je vous ai écrit avant
votre brillante journée, a dû vous faire connaître ma façon de penser
pour vous et la justice dont je fais profession. Dites-moi, je vous
prie, actuellement, si vous êtes bien fâché contre moi de n’avoir pas
cédé à vos instances et aux belles raisons que vous m’avez contées.
Elles ne valaient rien dans le temps; et je les trouverais encore plus
détestables aujourd’hui. Un autre n’aurait pas fait aussi bien que vous;
je serais dans la douleur au lieu d’être dans la joie. Vous seriez perdu
et il y aurait bien de quoi. Osez dire maintenant que ma tête ne vaut
pas mieux que la vôtre, je vous en défie[34].»

Cette lettre, si affectueuse, vibre en même temps comme une fanfare.
Elle célèbre la gloire d’un brillant protégé; mais il s’y mêle des
accents de doux reproche. Vraisemblablement, grâce à l’entremise de
Richelieu qui avait tant de droits à la bienveillance de la marquise,
celle-ci s’était intéressée au nouveau duc d’Aiguillon et l’avait fait
nommer au commandement de Bretagne, d’autant que par sa femme, une
Plélo, il pouvait y prétendre, sans que cette grâce fût taxée de
favoritisme. Mais les Bretons étaient gens peu maniables, têtus et
violents: d’Aiguillon ne s’en était que trop aperçu et il est probable
qu’avant l’affaire de Saint-Cast il s’était déjà adressé à Mᵐᵉ de
Pompadour pour être relevé d’un commandement de gestion si difficile.
D’où l’allusion de ton si amical qui perce dans les dernières lignes de
la lettre, et le petit air de bravoure qui la termine de si gentille
façon.

Cette aimable familiarité se continue dans les billets suivants. La
marquise, suivant l’habitude qu’elle a prise avec ses entours, donne à
son correspondant un surnom, celui de M. de Cavendish, qui rappelle la
capture faite par d’Aiguillon à Saint-Cast. Le billet du 25 septembre
1758 est caractéristique. Elle lutte de délicatesse avec le commandant
de Bretagne: celui-ci avait «sollicité des grâces» pour ses compagnons
d’armes, le marquis de Balleroy entre autres, qui fut un des héros de la
journée. Mais Mᵐᵉ de Pompadour n’entend intervenir que pour d’Aiguillon,
qui d’ailleurs sera nommé lieutenant général. Bientôt la conversation
tourne au _flirt_, ainsi qu’on appelle aujourd’hui le galant badinage si
prompt, en maintes circonstances, à changer de voie.

«Vous voulez donc, absolument, écrit la marquise, que je compte sur
votre cœur, mais vraiment je ne me ferai pas une grande violence pour
désirer que vous soyiez capable d’une amitié digne de celle que je suis
très disposée à avoir pour vous.»

C’est du Marivaux et du meilleur. Mais, au diapason atteint déjà par le
dialogue, ne semble-t-il pas qu’il doive en sortir l’aveu d’un sentiment
plus tendre que l’amitié; et n’est-on pas autorisé, de ce fait, à
rechercher quelle était et quelle fut par la suite la nature des
relations qui s’établirent entre le duc d’Aiguillon et la marquise de
Pompadour[35]?

Or, la plus intelligente des maîtresses de Louis XV en fut aussi la
moins passionnée. Elle en convenait d’ailleurs elle-même, puisqu’elle
disait qu’elle avait un tempérament de «macreuse»[36]. Et quoique en
aient prétendu des pamphlétaires, aux gages de rivales plus ou moins
agréées, il n’a jamais été prouvé que Mᵐᵉ de Pompadour, pendant son
règne, ait honoré tel ou tel de ses faveurs, le maréchal de Richelieu,
par exemple, ou même le duc de Choiseul. On a parlé moins encore de M.
d’Aiguillon.

Mais si, chez la marquise, les sens étaient en léthargie, le cerveau,
par contre, était toujours en ébullition. Elle avait une grande activité
d’esprit; elle adorait la politique, qui était alors un jeu d’intrigues,
comme les grandes coquettes du théâtre de ce temps se plaisaient aux
intrigues qui sont la politique de l’amour. Mᵐᵉ de Pompadour avait de
plus infiniment de charme et savait employer le trésor de ses séductions
à se constituer une petite cour de fidèles, d’alliés et d’amis, dévoués
à sa fortune qui était en même temps la leur. Aussi, dans ses relations
avec ceux qu’elle distinguait plus particulièrement, jouait-elle à
merveille de ce sentiment qu’un de nos modernes a si bien dénommé
_amitié amoureuse_ et qui devait donner aux familiers de la marquise des
espérances suivies, hélas! de promptes désillusions.

A notre avis, les lettres ou billets de Mᵐᵉ de Pompadour au duc
d’Aiguillon sont écrits sous l’inspiration de l’_amitié amoureuse_, en
cette langue spirituelle, un peu subtile, légèrement maniérée, d’allure
indépendante et de ton plaisant, qui caractérise la correspondance de
cette femme supérieure.

Mᵐᵉ d’Aiguillon ne s’y trouve pas oubliée: elle reçut même une lettre de
la marquise qui la félicitait du succès retentissant de son mari. Mais
eut-elle jamais connaissance des missives où l’expression un peu vive de
la pensée pouvait lui suggérer de fâcheuses interprétations?

Cependant, tout en échangeant de la quintessence de sentiment avec le
vainqueur de Saint-Cast, Mᵐᵉ de Pompadour ne perdait pas de vue la
direction d’une guerre dont les résultats, du moins l’espérait-elle,
devaient la venger de l’outrage reçu. Et pour mieux y inciter
d’Aiguillon, elle le couvrait de fleurs: elle le reconnaissait «citoyen,
sujet zélé et éclairé, et une petite tête très bonne dans ce moment,
dont elle disait tous les biens du monde parce qu’elle les pensait».

Dans une autre lettre[37], elle le remerciait de «chercher des
ressources pour nos affaires». Le premier éditeur de cette
correspondance croit voir dans la phrase qui précède (et nous partageons
son avis) une allusion aux préparatifs d’une descente en Angleterre,
pour laquelle d’Aiguillon réunissait secrètement à Vannes une armée et
des moyens de transport. Mais pourquoi faut-il que de tout temps
l’argent soit le nerf de la guerre? Et la vindicative marquise de
s’écrier douloureusement: «Où trouver les quarante millions?» Le Trésor
français n’a que trop connu de telles impossibilités. Néanmoins, à dix
mois de là, alors que d’Aiguillon est encore à Vannes (il avait été
désigné pour commander l’expédition)[38], Mᵐᵉ de Pompadour lui écrit une
lettre des plus réconfortantes. Elle a vu le contrôleur général, Bertin,
qui lui a «donné de l’espérance sur notre projet», d’autant que «celui
que va exécuter la marine est grand».

Autant de rêves qu’une réalité cruelle se chargea de dissiper. Le projet
de descente sur la côte anglaise fut abandonné; et la marine française
subit dans cette funeste guerre des échecs dont elle ne put se relever.

Que le duc d’Aiguillon ait été ambitieux et, à ce titre, dépourvu de
scrupules, comme d’ailleurs tous les hommes d’Etat soucieux de parvenir,
rien n’est moins contestable; mais que, pour donner libre cours à ses
aspirations politiques, il ait été précisément choisir la Bretagne comme
champ d’expérience, la seule lecture de la correspondance à laquelle
nous avons déjà fait divers emprunts, démontrerait, de reste, l’inanité
d’une telle hypothèse.

Que de fois, au contraire, d’Aiguillon, parlant du commandement de
Bretagne à sa protectrice, dut lui écrire: Détournez de moi ce calice
d’amertume! Car Mᵐᵉ de Pompadour ne cesse de le morigéner sur ce
chapitre, tout en s’excusant de la liberté grande:

«... J’ai osé vous dire qu’avec les meilleures et les plus grandes
qualités vous aviez une petite tête qui s’échauffait vite!... Vous
voulez quitter la Bretagne, belle folie qui vous passe par la tête!...
Souvenez-vous bien que si vous aviez suivi votre premier mouvement, vous
ne seriez pas Cavendish... Ah! fi, je rougis de vous voir moins de
courage que moi. Vous avez le désagrément de votre petit commandement et
moi ceux de toutes les administrations, puisqu’il n’est point de
ministre qui ne vienne me conter ses chagrins![39]»

Les parlements sont en révolte contre l’autorité royale et d’Aiguillon
s’en irrite, d’autant que celui de Bretagne lui a déjà donné de la
tablature: «Le projet d’arrangement de M. de Choiseul, adopté par le
Conseil, écrit la marquise, m’a fait le plus grand plaisir, parce qu’il
nous donne le moyen de nous passer de ces indignes citoyens qui abusent
des besoins de l’Etat pour faire faire à leur maître des actes de
faiblesse. Il ne faut pas songer à quitter pendant la guerre ces _fols
de Bretons_; cherchez cependant qui pourra vous remplacer, je n’ai
personne en vue...[40]»

D’Aiguillon devait donc rester à son poste; cette contrainte
l’exaspérait et la marquise recevait les éclaboussures de sa méchante
humeur. Aussi ne lui épargne-t-elle pas les reproches, mais toujours
avec enjouement. Pourquoi «monte-t-il sur ses grands chevaux» pour une
inoffensive plaisanterie? Et voudrait-il la «pouiller», comme il l’a
fait pour le contrôleur général; mais, qu’il prenne garde; elle n’est
pas «si douce» que ce ministre; et «s’ensuivrait que nous nous battrions
et que j’aurais peut-être la tête cassée[41]». Son protégé eût échangé
volontiers le gouvernement de Bretagne contre celui où se trouvait son
domaine patrimonial d’Aiguillon; et cependant, après la mort de son
père, il n’avait guère eu à se louer du «corps de ville d’Agen et de
Condom» qui, lors de «son entrée dans son fief, s’étaient distingués par
leurs mauvaises façons, en voulant lui refuser les mêmes honneurs rendus
en 1642, à la duchesse d’Aiguillon, nièce du grand cardinal[42]. Il est
vrai que le nouveau duc avait exigé et obtenu ce cérémonial pour
contenir les républicains du pays[43]». Mais Mᵐᵉ de Pompadour lui dit
positivement de ne pas compter sur le gouvernement de son choix, en lui
laissant toutefois cette fiche de consolation: «Il faudra bien vous
débarrasser de votre Bretagne, si elle vous chagrine trop».

Elle le chagrinait si bien qu’en 1761 il voulait donner sa démission. Et
Mᵐᵉ de Pompadour de l’admonester vivement, mais comme on gronde un
enfant gâté: «L’âme de M. d’Aiguillon doit être au-dessus de pareilles
misères et n’avoir pour but que l’utilité dont il peut être à son
maître... Je suis fâchée, mais très fâchée contre vous. La petite tête
dont je vous parlais, le jour de votre départ, a joué un trop grand
rôle... Je ne sais quand je vous pardonnerai: vous mériteriez bien que
je ne m’intéresse pas à vous. Bonsoir, Monsieur, rancune tenante, et
très fort.[44]»

Et «la rancune» tenait si peu que, quelque temps après, la marquise,
sortant d’une de ces poussées de tuberculose qui devait bientôt
l’emporter, écrivait gaîment à cet ami naturellement grincheux et
maussade: «Réjouissez-vous, monsieur de Cavendish, je ne suis pas morte
et (malgré votre méchant petit cœur) je veux me flatter que vous n’en
êtes pas fâché...»

       *       *       *       *       *

Ce qui ressort de ce gracieux caquetage, c’est que d’Aiguillon, à peine
arrivé en Bretagne, y jouait déjà le rôle du commandant malgré lui. Par
conséquent, les premières années de son principat, si calmes, si belles,
si heureuses, dont parlent plusieurs historiens, furent peut-être l’âge
d’or pour les Bretons, mais nullement pour leur gouverneur. En effet,
ils l’avaient pris en telle affection que les députés des États vinrent,
de leur part, solliciter l’honneur--Mᵐᵉ d’Aiguillon se trouvant sur la
fin d’une grossesse--de tenir l’enfant, s’il était mâle, sur les fonts
baptismaux. Mais l’enfant mourut avant terme. Et les députés
recommencèrent leur démarche en 1764, lors d’une nouvelle grossesse de
Mᵐᵉ d’Aiguillon: la couche, cette fois, fut heureuse; seulement ce fut
une fille, Agathe-Rosalie, le sixième et dernier enfant de la duchesse,
qui naquit en 1765 et qui devait mourir en 1770. En somme, la Bretagne
avait eu à cœur de donner un témoignage solennel de sa
reconnaissance[45] à l’homme qui lui rendait chaque jour de nouveaux
services, par son administration éclairée et paternelle, s’efforçant
d’importer en France les grains de la province, défrichant les landes,
ouvrant des canaux et jusqu’à huit cent lieues de voies de
communication, alors qu’à la veille de son avènement, il n’y avait
encore qu’une seule route, celle de Rennes à Brest.

Donc la désaffection des Bretons pour leur commandant ne se produisit
guère qu’en 1765. Et la tempête qu’elle souleva ne resta pas
circonscrite à la province; elle gagna Paris, envahit toute la France et
déborda même à l’étranger. On ne parla bientôt plus que des _Affaires de
Bretagne_ et pendant combien d’années! Les parlements, les ministres, le
roi lui-même furent mêlés à une querelle qu’envenimaient les plus
violents factums et les plus mordants pamphlets. Toujours très ardente,
au moment où commence la correspondance que nous avons retrouvée de Mᵐᵉ
d’Aiguillon, la lutte s’était cependant déplacée et, comme nous l’avons
dit, généralisée. La duchesse y soutint énergiquement, d’après les rares
témoignages que nous en ont conservés ses contemporains, la cause de
son mari. Ses lettres au chevalier de Balleroy le prouvent également,
et--particularité qu’il est intéressant de relever--chaque fois qu’elles
mettent en cause les Bretons, c’est pour apprécier leur conduite dans
les termes mêmes dont s’est servi Mᵐᵉ de Pompadour.

Aujourd’hui encore, les _Affaires de Bretagne_ ont eu le privilège de
réveiller des polémiques qui se sont traduites, soit par des thèses ou
par des livres spécialement écrits sur ce sujet, soit par des
discussions dans divers ouvrages consacrés à d’autres études. Nous
aurons l’occasion d’y revenir au cours de ce travail; mais d’ores et
déjà, nous devons constater qu’à l’encontre des _Correspondances_ et
_Mémoires_ contemporains, presque unanimes à flétrir d’Aiguillon des
termes les plus ignominieux, un certain nombre de nos publicistes
modernes ont entrepris, et non sans succès, la réhabilitation de ce
grand coupable qui, pour être désagréable et antipathique au premier
chef, n’en fut pas moins un fonctionnaire intègre et pénétré de son
devoir.



IV

     _Privilèges et résistances des Bretons.--Premières
     escarmouches.--Griefs réciproques de d’Aiguillon et de La
     Chalotais.--Attaques du Parlement.--D’Aiguillon dissout les
     États.--La duchesse est son auxiliaire le plus dévoué.--Un impair
     de la Noue.--D’Aiguillon se dit de plus en plus dégoûté de sa
     tâche: il part pour Veretz.--Beautés de cette résidence
     seigneuriale.--L’amour de la retraite chez le duc d’Aiguillon et
     chez la marquise de Pompadour.--Vie de château.--La science
     économique de la duchesse.--Une histoire de chiens: Balleroy grand
     veneur._


Le premier grief de d’Aiguillon contre ces Bretons, alors si contents de
lui, grief que l’on perçoit entre les lignes de la correspondance de Mᵐᵉ
de Pompadour, ce fut la résistance opiniâtre de ses administrés aux
impôts, chaque jour plus nombreux et plus lourds qu’il en réclamait, de
la part d’un gouvernement prodigue, dissipateur, partant toujours
besogneux.

Depuis la réunion de la Bretagne à la Couronne de France, cette province
dont une administration habile et sage s’était efforcée de gagner et de
conserver le cœur, jouissait de privilèges séculaires. Pour prendre un
exemple, elle n’avait à payer que le minimum de taille par tête, alors
que, dans d’autres pays, la capitation s’élevait au double. Mais les
besoins du Trésor augmentant, les gouverneurs de Bretagne durent
demander aux États des suppléments de ressources qui étaient
régulièrement et catégoriquement repoussés. Il suffit de parcourir les
lettres de Mᵐᵉ de Sévigné, soit aux Rochers, soit à Vitré, soit à
Rennes, pour constater les luttes formidables et parfois sanglantes que
soutint, à ce sujet, le duc de Chaulnes, représentant fastueux d’un roi
qui n’était économe, ni du sang, ni de l’or de son peuple.

D’Aiguillon, qui devait occuper le poste et exercer les fonctions de
gouverneur, avec le titre de lieutenant général de Bretagne (1ᵉʳ janvier
1762)[46] joua tout d’abord son rôle avec autant de modération que de
fermeté[47]. Car si, dans le Conseil du roi, il _combattait_
l’aggravation des charges imposées aux contribuables, il lui fallait
encore _combattre_, pour faire accepter des États celles qu’il n’avait
pu leur éviter.

Néanmoins, les Bretons ne lui en gardaient pas rigueur; et, d’autre
part, son zèle avait été apprécié à la Cour, puisqu’en 1762 il avait pu
obtenir, favorisé évidemment par la protection de la marquise, «ses
entrées à la Chambre» et sa nomination de Gouverneur en second, le duc
de Penthièvre restant toujours gouverneur titulaire de la province.

Il n’en persistait pas moins à réclamer son changement de poste; et le
motif, suffisamment avouable, qu’il alléguait à l’appui de sa demande,
c’était qu’il était «écrasé par les frais de représentation». Le
Contrôleur général, qui s’était définitivement brouillé avec lui,
malgré l’obligeante intervention de la Pompadour, disait, avec sa
brusquerie ordinaire, au prince de Croÿ, candidat, en 1763, à cette
succession éventuelle, qu’il doutait fort de la gêne du plaignant,
attendu «que celui-ci portait tout sur ses états de dépense jusqu’à une
chaise»; et le contrôleur général en concluait que le duc d’Aiguillon
aspirait, au contraire, à retourner dans son gouvernement de
Bretagne[48].

Il y retourna; mais de nouveaux tracas l’y attendaient. La reine avait
écrit à Mᵐᵉ d’Aiguillon que son mari profitât de la tenue des États pour
protester contre les arrêts du Parlement et provoquer le rappel des
Jésuites; de son côté, le Dauphin, qui protégeait d’Aiguillon, insistait
auprès de lui pour qu’il s’opposât à la ruine des maisons de la Société
en Bretagne[49]. Et déjà le bruit courait dans la province que le
commandant prenait fait et cause pour les Jésuites. D’Aiguillon, énervé,
en écrivit à son oncle Saint-Florentin qui lui répondit immédiatement
d’observer la plus stricte neutralité[50].

Le Parlement de Rennes avait alors, comme procureur général parmi les
gens du roi, un homme d’une parfaite honnêteté mais de caractère entier,
autoritaire, emporté, orgueilleux, janséniste convaincu, à l’égal de
presque tous les parlementaires et prévenu jusqu’à la haine contre le
duc d’Aiguillon: Caradeuc de la Chalotais. Voici, au dire d’un
historien[51], l’origine d’une telle animosité. Dans sa morgue d’homme
d’épée, le commandant de Bretagne s’était amusé aux dépens de la vanité
du robin: il prétendait que celui-ci ou l’un de ses ascendants avait
transformé, dans un tableau de famille, la toque et la toge d’un échevin
en casque et en cuirasse de chevalier. La Chalotais rendit coup pour
coup au mauvais plaisant qui l’avait ainsi drapé.

Il rappela malicieusement que le vainqueur de Saint-Cast s’était abrité,
pendant une bonne partie de l’action (ce qui était inexact), dans un
moulin, comme pour diriger de cet observatoire les opérations
militaires; cette attitude lui avait inspiré une épigramme que les
_Mémoires de Bachaumont_ publièrent sous cette forme:

    Couvert de farine et de gloire,
    De Saint-Cast héros trop fameux,
    Sois plus modeste en ta victoire;
    On peut, d’un souffle dangereux,
    Te les enlever toutes deux[52].

Ce fut à cette époque (1764), qu’à la suite de conférences tenues chez
Mᵐᵉ de Pompadour, entre La Chalotais et Choiseul, s’organisa, s’il faut
en croire Soulavie[53], une entente de ces trois personnages pour
perdre le duc d’Aiguillon. Ce coup de théâtre est inexplicable et
invraisemblable, surtout en ce qui concerne Mᵐᵉ de Pompadour. Quelle
faute, ou plutôt quel crime avait donc commis le favori de la maîtresse
du roi, pour que celle-ci cherchât à l’abaisser autant qu’elle l’avait
élevé? Serait-ce qu’elle eût ajouté foi aux bruits de Cour qui faisaient
du gouverneur de Bretagne l’allié de ces jésuites qu’elle avait
proscrits, et surtout le confident du Dauphin de qui elle avait reçu le
plus outrageant des surnoms? Toutefois, malgré le peu de créance qu’on
accorde aux assertions de Soulavie[54], et bien qu’on assigne à la
rivalité de Choiseul et d’Aiguillon une date postérieure, nombre
d’historiens admettent l’existence de ce pacte et en considèrent la mise
à exécution comme le point de départ des _Affaires de Bretagne_.

Ce qui est indiscutable, c’est qu’en 1765 le Parlement partit en guerre
contre d’Aiguillon, l’accusant d’abus de pouvoir, de tyrannie,
d’exactions, méconnaissant ainsi les ordres du Roi, feignant même de les
ignorer, pour s’en tenir à la seule responsabilité du sous-gouverneur,
qu’avait mise en jeu, et dans les termes les plus véhéments, le
procureur général La Chalotais.

Encore aux yeux du chevalier de Fontette, grand ami de M. d’Aiguillon,
La Chalotais n’est-il pas le vrai coupable, mais son intime Kerguézec,
dont «les intrigues ont mis toute la province en combustion»[55].

Or, le duc qui n’entendait pas être sacrifié, comme l’avaient été
certains de ses collègues dans leur lutte contre les parlements
provinciaux, se défendit énergiquement et fit dissoudre les États[56].
Pendant la lutte, il avait trouvé, combattant à ses côtés, le plus
infatigable et le plus dévoué des auxiliaires dans la personne de la
duchesse «qui aimait son mari et qui poussait plus loin que lui le désir
de tirer une vengeance éclatante de la vilaine conduite du Parlement
envers lui»[57]. En raison de son origine bretonne, elle parcourait le
pays pour y chercher des armes contre les adversaires de son mari. Ce
fut ainsi qu’elle fit demander, de très bonne foi, à M. de Robien,
l’ennemi des Caradeuc de La Chalotais (le père et le fils détenus
étaient sous le coup d’un procès criminel) les preuves de culpabilité
qu’il pouvait produire, au cours de l’instance, contre les accusés.
Robien ne connaissait rien à leur charge: il le dit. La Noue, l’agent
trop zélé de la duchesse, n’inscrivit pas moins Robien sur la liste des
témoins appelés à déposer contre les La Chalotais. Or le témoin...
malgré lui vint trouver, tout estomaqué, Mᵐᵉ d’Aiguillon qui le pria
simplement de «ne pas se faire le chevalier de ces Messieurs». Mais le
duc, à qui La Noue envoya sa fameuse liste à Bagnères où il était en
traitement, se fâcha de ce qu’il appelait «une bêtise et une platitude»
et refusa de s’en servir[58].

L’anecdote tendrait à démontrer la sincérité des dénégations qu’avait
opposées d’Aiguillon à la déclaration du Parlement de Bretagne qui le
représentait comme l’auteur de la poursuite criminelle dirigée contre La
Chalotais[59].

Le duc, rentré à Paris, dans le courant de mars 1765, après la
dissolution des États, avait rencontré Croÿ et lui avait annoncé
l’apaisement des Bretons. Il comptait bien achever «les Grands Chemins»
de la province, mais il paraissait profondément dégoûté, comme du reste
presque tous ses collaborateurs[60], de la tâche ingrate à laquelle
l’avait trop longtemps rivé le despotisme d’une jolie femme.

En attendant de nouvelles luttes, il allait se refaire et goûter, dans
sa magnifique résidence de Veretz, les douceurs d’un repos bien
mérité--si toutefois on peut donner le nom de repos à cette vie de
plaisirs et de fêtes, agitée, tumultueuse, turbulente que menaient alors
les grands seigneurs en leurs maisons des champs.

       *       *       *       *       *

Par un de ces contrastes qui n’attestent que trop la vanité des choses
humaines, il ne reste rien ou presque rien de l’œuvre lapidaire créée
par le grand ministre à qui la France doit l’achèvement de son
indestructible unité.

N’était le Palais-Royal--et encore combien semblerait-il méconnaissable
à Richelieu si cette ombre illustre revenait jamais errer dans son
ancien jardin!--tous les

[Illustration:

Cliché Lauzun.

Le Château de Veretz en 1771, d’après Van Blarenberghe.

(Le Château de Veretz par Philippe Lauzun)]

bâtiments, constructions et travaux entrepris par le ministre de Louis
XIII n’existent plus, à l’heure présente, qu’à l’état de vestiges.
Richelieu, ce château grandiose, édifié si amoureusement en quelque
sorte par le cardinal dans le bourg qui rappelle son nom, n’est plus
qu’une ruine. A Ruel, on a peine à trouver les traces du superbe manoir,
dont Richelieu avait fait sa maison de campagne. Brouage, qui, dans la
pensée du premier ministre, devait anéantir la fortune commerciale et
politique de La Rochelle, n’est plus aujourd’hui, dans l’enceinte de ses
fortifications délaissées, qu’un misérable village de pêcheurs, et son
port un marais fangeux.

La même fatalité s’est acharnée après les domaines des petits-neveux du
cardinal, qu’ils fussent Richelieu ou d’Aiguillon.

Veretz a même complètement disparu comme château et presque entièrement
comme propriété. Sans les jolies gouaches de Vanblarenberghe[61] qui
datent de 1771 et se trouvent actuellement à la préfecture d’Agen, on
n’aurait plus aujourd’hui le moindre aspect de l’antique demeure des De
La Barre[62], édifiée au commencement de la Renaissance et transformée,
dans le cours des XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles, par les La Porte et les
d’Aiguillon.

Arrière-petit-neveu de Richelieu par son père, et de Mazarin par sa mère
Marie-Charlotte de la Porte de la Meilleraye, le duc d’Aiguillon, qui
mourut en 1750, avait fait un «Versailles en miniature»--un mot du
temps--de cette propriété campée sur un coteau dominant le Cher, aux
portes de Veretz, petite ville à deux lieues de Tours. C’était, disent
les biographes, «un rendez-vous de lettrés et d’artistes»; mais la
chronique scandaleuse ajoute: un cabaret élégant s’ouvrant, dans un site
admirable, sur de voluptueux boudoirs, où le maître composa (et ce fut
son seul titre de gloire) le recueil de Veretz, qui n’est pas
précisément un recueil de morale, en compagnie de l’abbé de Grécourt et
de Louise Elisabeth de Condé, princesse de Conti. Au reste, tous les
embellissements apportés par le duc d’Aiguillon aux constructions et au
parc de Veretz, étaient autant de témoignages d’une affection aussi
tendre que respectueuse à l’adresse de cette grande dame, qui était une
protectrice, et mieux peut-être pour le châtelain, s’il faut en croire
les mauvaises langues du temps[63].

Nous ne connaissons qu’une seule description de ce beau domaine[64]:
elle remonte à 1736, et, sous forme d’une «lettre à M. D...», s’étend,
avec une abondante complaisance, rehaussée d’allégories mythologiques,
sur toutes les merveilles réunies dans ce ravissant séjour, pour la plus
grande satisfaction de «la Déesse»; ce qui, par parenthèse, ne l’était
guère pour celle de la bonne «grosse duchesse».

Le château, féodal par ses deux tours massives, dans la partie qui
regardait le plateau, tout à fait moderne, avec son vaste corps de logis
que flanquaient deux pavillons carrés faisant face au vallon et à la
rivière, accédait, en pente douce, jusqu’au Cher, par un quai large de 8
toises et long de plus de 100, dans l’encadrement vert et fleuri d’un
parterre à jets d’eau.

Dans l’épaisseur du mur de la construction principale, se dressait,
comme pour faire un grandiose accueil au visiteur, qui entrait par la
cour d’honneur, la statue équestre de François Iᵉʳ, toute bardée de fer,
dont la dorure avait résisté aux injures du temps. L’effigie du
roi-chevalier, celle des salamandres qui couraient sur la façade du
château, en indiquaient, de reste, la date et les origines. Mais les
hautes et larges croisées qui laissaient passer à flots l’air et la
lumière dans les bâtiments, les balcons ajourés qui les décoraient, et
mieux encore la disposition élégante d’appartements spacieux et commodes
disait assez que le grand style du XVIIᵉ siècle et la grâce du XVIIIᵉ
avaient contribué à faire du château de Veretz une des plus belles
résidences du «beau pays de la Touraine».

C’était surtout dans l’appartement du premier étage, réservé à la
princesse de Conti, que les embellissements, réalisés par le duc
d’Aiguillon, avaient multiplié des créations d’un goût raffiné. Le grand
salon, éclairé par quatre fenêtres très élevées sur des balcons à
courbes artistiques; les boudoirs délicieusement meublés de bergères, de
guéridons, de consoles délicatement ouvrés; la bibliothèque et le
cabinet de travail étaient ornés de glaces d’une pureté impeccable,
hautes de six pieds sur quatre de large, reflétant, à l’infini, les
soirs de réception, le blanc et doux éclat des lustres de cristal.

Une partie des pièces donnait sur le parc, dont les vues, très variées,
étaient un des plus grands attraits de Veretz et en constituaient, aux
yeux de la princesse, le véritable charme. Dans cette enceinte immense,
où des prairies, que traversait une superbe avenue, étaient également
coupées de bouquets d’arbres et de ruisseaux, le terrain montait
jusqu’au sommet du coteau, pour y former une terrasse, jadis chantée par
les poètes et célébrée par Mᵐᵉ de Sévigné. Cette merveille de la nature,
qu’avait embellie encore la main de l’homme, ne comptait pas moins de
1.600 pieds de long sur 45 de large. Elle atteignait, sur certains
points, une hauteur de 80 pieds, et se fermait, dans toute sa longueur,
d’une balustrade en pierre de taille à hauteur d’appui; la roche opposée
disparaissait sous une odorante tapisserie de roses, de chèvrefeuille et
de jasmin. Une autre terrasse, de plain-pied avec le bois et le reste du
parc, venait croiser la première, pour aboutir avec elle à un belvédère
dominant tout le paysage.

Comme si cette grandiose simplicité n’eût pas été une beauté suffisante,
d’Aiguillon lui avait prodigué tous les ornements d’une architecture à
la fois savante et gracieuse; à l’extrémité de la grande terrasse, en
face du belvédère, la statue d’Esculape; au milieu de la balustrade un
balcon en saillie et vis-à-vis un escalier accédant de la première à la
seconde terrasse; sur les degrés des statues et des urnes, le long des
pilastres de riches motifs d’architecture; contre le balcon central un
salon élégamment décoré. Plus loin se dressait avec son «toit en
impériale» un pavillon, s’ouvrant du côté de la rivière, dans lequel
pouvaient s’asseoir vingt-cinq personnes; en dessous, un salon voûté,
qui prenait vue sur le vallon et qui offrait au visiteur, lassé par la
fatigue et la chaleur, la fraîcheur d’un agréable repos.

C’était à l’intersection de la seconde terrasse par la première, sur le
prolongement du vallon, et près d’un petit belvédère ménageant à la vue
un horizon de plusieurs lieues, que la princesse de Conti s’était fait
aménager le «petit ermitage», où elle se confinait volontiers. Les
pièces en étaient de moyenne grandeur mais délicieusement ornées, les
murs revêtus de carreaux de faïence qui formaient les plus jolis dessins
du monde. Cette galante retraite, entourée de bosquets, s’étendait par
une suite de parterres, qui s’encadraient d’arceaux de jasmin, jusqu’à
la grande allée descendant vers la rivière. Une glacière se trouvait
dans les environs; et l’inspiration d’un aimable poète, qui sait?
peut-être de Grécourt? lui avait fait graver cette inscription:

    Près d’un antre où l’hiver a renfermé ses glaces,
    Il était un réduit ignoré de l’Amour.
    Elisabeth y vient; elle y conduit les Grâces;
    Et l’Amour à jamais y fixe son séjour.

On a souvent prétendu que le XVIIIᵉ siècle, partagé entre les
conceptions d’une audacieuse philosophie, le goût très prononcé des
voluptés terrestres et le culte d’un pastoralisme aussi mièvre qu’il
était faux, n’a jamais eu le sentiment bien net des beautés réelles de
la nature, à ce point qu’il admira toujours moins, dans Jean-Jacques,
leur prestigieux évocateur que le déclamateur maladif des plus malsains
paradoxes.

Eh bien! il est facile de se convaincre par la lecture de la relation à
laquelle nous empruntons ses principales lignes, que le metteur en scène
des sites de Veretz, et l’écrivain, qui en trace la description, avaient
la vision exacte de ces incomparables paysages. Sans doute, notre
narrateur s’attendrit à l’aspect des brebis et des agneaux bondissant
dans les grasses prairies, du fier taureau et des vaches «tigrées blanc
et noir», couchées au milieu des herbages; il note les cascades, les
digues et les moulins, il croque les honnêtes villageois qui peuplent
ces riches vallées; mais il admire, avec une émotion qui n’est pas
factice, cette vue du fleuve et des prairies jusqu’à Tours, embrassant
une partie de la ville, l’abbaye de Marmoutier et la ligne sinueuse des
coteaux de la Loire. Au Nord, c’est la plaine entre le Cher et la Loire
avec la «maison» historique des La Bourdaisière, et courant aux pieds du
château de Veretz les eaux vives et transparentes de la rivière, que
divisent, sans les ralentir, les deux îles où le narrateur relevait tous
les... accessoires de son tableau champêtre.

Et, comme s’il éprouvait quelque regret de s’être attardé à un aussi
beau spectacle, il termine, après avoir visité la «ménagerie» où il
compte les paons et les pintades, sur la description de la fête donnée
par le duc d’Aiguillon à Mᵐᵉ de Conti (l’abbesse). Que de splendeurs! le
noble châtelain avait «illuminé tout le parc avec quatre mille
lampions!»[65].

       *       *       *       *       *

Après la mort de ce père prodigue, sa femme, la bonne duchesse, ayant
conservé comme habitation Ruel, ancienne propriété du cardinal, le duc
d’Agénois, devenu duc d’Aiguillon, avait, comme bien on pense, préféré à
sa gentilhommière du Midi, la somptueuse demeure de Veretz.

Le pays était à mi-chemin de Rennes et de Versailles; et, depuis
plusieurs années déjà, le gouverneur de Bretagne y venait passer l’été
au milieu de réceptions et de fêtes, qui apportaient un puissant
dérivatif à ses soucis d’homme d’État. Mais comme il savait dissimuler
son ambition sous un détachement affecté des vanités terrestres! Mᵐᵉ de
Pompadour était seule capable de lui donner à cet égard la réplique. En
1760, alors que, dans une de ces heures de découragement, qui lui
avaient déjà valu de si tendres reproches, il avait sans doute exprimé à
sa correspondante son intention de finir ses jours dans la retraite, la
marquise lui avait répondu, le 28 juin:

«Tout ce que vous me dites des âmes de Bretons n’est rien en comparaison
des âmes de ce pays-ci; et je pense absolument pour Ménars, comme vous
pour Verest... Quoique je ne me propose pas de vivre avec mon voisinage,
vous serez excepté de la loi générale. Vous voyez que je ne vous cède en
rien pour l’horreur du monde...»

Mᵐᵉ de Pompadour n’alla guère à son château de Ménars.

Quant à cet autre amant de la solitude, il ne la comprenait que peuplée
de ses familiers, de ses amis, de sa petite cour.

En 1765[66] et en 1766[67], il mena grand train et joyeuse vie à Veretz,
surtout en 1766; il ne pensait qu’aux prochaines noces de sa fille avec
M. de Chabrillan. C’était, chaque jour, fête nouvelle et réjouissances
de toute sorte, en compagnie de ses fidèles et féaux de la Châtre, de
Broc, de Balleroy, de la Noue, etc.

Et Mᵐᵉ d’Aiguillon, qui avait révélé, depuis longtemps déjà, des talents
d’organisation et d’administration de premier ordre, faisait les
honneurs de Veretz, avec ce tact de la femme intelligente qui ne veut
paraître que l’auxiliaire de son mari, avec l’attention délicate de la
maîtresse de maison qui tient à prévenir le moindre désir de ses hôtes.

Elle est en quelque sorte la surintendante du château. Elle en ordonne
les réparations et les aménagements. Elle surveille les plantations et
reçoit les fermiers. Mais c’est elle aussi qui s’occupe des pièces qui
seront jouées au château, des décors, des costumes, des partitions. Elle
pense aux livres et aux gazettes. Il n’est pas jusqu’à la chasse qui ne
soit de son département. En 1768, avant que la vie de château ne soit
commencée, elle écrit de Paris, le 16 août, au chevalier de Balleroy,
toujours empressé à la servir, d’autant qu’il y trouve son intérêt,
comme elle le laisse finement entendre à ce grand chasseur devant
l’Eternel:

«... Je vous réponds courrier par courrier; mais c’est qu’il est
question d’une grande nouvelle, d’une chienne de nouvelle, d’une
nouvelle de chiens, oui de chiens, très fort de chiens, puisque c’est de
ces fameux chiens que Milord Ken fait venir à Veretz. On a avis qu’ils
sont arrivés à Nantes, non en quatre bateaux, mais dans un seul vaisseau
et qu’ils étaient accompagnés de plusieurs autres, mais ce qui est
fâcheux, c’est qu’on les avait adressés au bonhomme Laker, à qui M.
d’Aiguillon avait oublié d’en faire donner avis, qui a été très étonné
de voir arriver chez lui 18 chiens et 1 conducteur, lesquelles 19
créatures ne disent pas un mot de français, et ledit Laker pas un mot
d’anglais. Cela fait que, très poliment, il a mis tout cela à la porte;
et il faut que vous, qui êtes le grand veneur, vous vous mettiez à la
poursuite de mes dits chiens et de leur gouverneur, et que vous donniez
ordre pour faire embarquer tout cela sur la Loire, pour se rendre à
Veretz.»



V

     _Le cure-dents de La Chalotais.--Le «bailliage d’Aiguillon».--Un
     échafaud fantastique.--Le Gouvernement ne veut pas rappeler
     d’Aiguillon.--Ours et Bretons.--Le Nouveau Parlement et les Etats
     de 1767.--Les trois duchesses.--La politique du Gouvernement et
     celle de d’Aiguillon.--Le roi et la duchesse d’Aiguillon chez la
     reine.--«Vous vous êtes conduit comme un ange!»_


Le 11 novembre 1765[68], La Chalotais avait été arrêté avec son fils,
sur la dénonciation de Saint-Florentin et de Calonne, maître des
requêtes, qui lui reprochaient, tous deux, entre autres griefs, d’avoir
écrit des lettres anonymes[69] peu respectueuses pour le roi. Toujours
avec son fils, La Chalotais fut enfermé dans une tour de Saint-Malo, où
«son cure-dent, écrit Voltaire, grave pour l’immortalité sur les murs de
son cachot[70]».

D’autre part, d’Aiguillon s’était rendu de Bagnères à Fontainebleau[71],
où séjournait alors la Cour, pour soumettre à Louis XV un projet de
reconstitution du Parlement de Bretagne, avec les débris de l’ancien. Le
roi y consentit, mais réduisit le nouveau à soixante charges. Or le
gouverneur ne parvint que très péniblement à les remplir[72]. Fort peu
de conseillers étaient restés ses partisans; et ce que ses adversaires
appelaient, non sans dédain, le _Bailliage d’Aiguillon_, ne fut
constitué que le 16 janvier 1766.

Siégeant à Rennes, le nouveau Parlement dut juger les prisonniers, dont
la Chambre royale de Saint-Malo avait déjà commencé le procès.

Au dire de Soulavie, ce fut, pendant les deux premiers mois, une entente
cordiale. Les magistrats ne pouvaient évidemment oublier qu’ils étaient
les créatures du commandant: et, d’autre part, leur était-il facile de
se soustraire à la pression de l’opinion publique favorable aux accusés?
Toujours est-il que, le 3 mars, «de concert avec le premier président,
le futur chancelier Maupeou», d’Aiguillon «faisait _parler le roi en
souverain_[73]». La duchesse dut en être charmée; car--nous le verrons
plus tard--elle tient pour le principe d’autorité, en un temps où le
monarque, très soucieux cependant de son pouvoir absolu, semblait le
compromettre par son indolence et son apathie. A l’encontre de son
aïeul Louis XIV, il fuyait le tracas des affaires et laissait à ses
ministres tout le poids des responsabilités.

L’année avait donc commencé, au Parlement de Bretagne, sous les plus
favorables auspices. Le gouverneur venait à bout de toutes les
difficultés; et, pour un peu, Soulavie proclamerait le duc d’Aiguillon
«un génie». Mais, comme il arrivait si souvent à cette époque, les
passions religieuses donnèrent à une affaire purement administrative une
orientation toute politique. Les Bretons prenaient chaque jour plus à
cœur la cause de La Chalotais qui était, nous l’avons dit, un janséniste
renforcé. On vit dans les persécutions[74], réelles ou fausses, dont
souffraient les captifs, une revanche des Jésuites chassés de France. Il
faut reconnaître aussi que l’instruction avait commis maladresses sur
maladresses. On avait éventré les bureaux du père et du fils pour y
trouver des preuves de leur félonie. Et le rapporteur Le Noir[75], aussi
bien que l’accusateur Calonne, avait fait du récit de ces perquisitions
un pur «amphigouri[76]».

Il n’en fallut pas tant pour présenter les La Chalotais comme des
martyrs: ils subissaient la plus étroite captivité[77] et les plus
perfides interrogatoires. On affirma même, très sérieusement, que,
pendant une nuit, on avait dressé un échafaud pour les exécuter dans
l’intérieur de la prison; on avait vu entrer les planches et les
madriers: on avait entendu les coups de marteau qui les assemblaient.
Et, naturellement, les condamnés étaient innocents. C’était d’Aiguillon
qui avait fabriqué les lettres anonymes. L’indignation fut générale; et
le Parlement de Paris lui-même en murmura.

«La seule affaire dont on parlât, dit le prince de Croÿ dans son
_Journal_ (1766), c’était la suite du procès criminel de MM. de La
Chalotais où M. d’Aiguillon paraissait avoir le dessous.»

Or, toutes ces nouvelles n’étaient, en majeure partie, que des
_racontars_, ou, si l’on préfère cette autre expression empruntée au
même vocabulaire, un _bluff_ politique imaginé pour impressionner les
masses. Ce sinistre convoi de planches, entré nuitamment dans la tour,
pour y être affecté à une destination plus sinistre encore, était le
matériel d’une équipe d’ouvriers qu’appelaient des réparations urgentes.
On avait imprimé que le ministre de la marine, Praslin, cousin de
Choiseul, avait expédié en toute hâte un courrier pour empêcher
l’exécution. Cette fable avait été imaginée, afin d’«en jeter l’odieux
sur d’Aiguillon, qui n’avait pas plus influé dans l’affaire de M. de la
Chalotais que le roi de Prusse[78]».

Choiseul, lui-même, à qui les pamphlétaires attribuaient également
l’expédition mise au compte de Praslin, protestait contre une telle
invention, dans une lettre qu’il adressait, le 27 mai 1770, au duc
d’Aiguillon: «Rien n’est si faux, si criminel et si bête que l’assertion
de l’envoi d’un courrier de ma part, pour empêcher une exécution
quelconque, en Bretagne[79]».

Entre temps, la reconstitution du Parlement de Bretagne, qui s’opérait
si péniblement, quoiqu’en dise l’enthousiaste Soulavie, n’en restait pas
moins une source très vive de griefs toujours renaissants contre le
gouverneur, que l’opinion rendait responsable de l’ordonnance royale.
Lui, d’Aiguillon, qui voyait l’orage s’amonceler sur sa tête, reprenait
son éternelle antienne: il demandait, une fois de plus, les 11 et 16
février, à quitter la Bretagne[80]. Vainement, il avait déconseillé une
procédure qui pouvait mettre en péril le prestige du pouvoir central et
la tranquillité de la province; le ministre, indécis, irrésolu,
s’arrêtait aux mesures les plus violentes, pour désavouer presque
aussitôt ses agents, en prêtant l’oreille aux intrigues de Cour. Pas
plus qu’il n’avait adhéré à la politique de sage et ferme modération
préconisée par d’Aiguillon, il n’eut égard à sa demande de rappel.

Le roi ne voulut pas en entendre parler: il fut convenu, cependant, que
d’Aiguillon ne «tiendrait pas les Etats» à la fin de l’année. Déjà, le
26 février, Saint-Florentin lui avait écrit[81]: «Il n’y a que votre
présence à Rennes qui puisse maintenir le zèle des bons serviteurs du
roi.»

Et puis Choiseul, alors grand favori de Louis XV, «cherchait à tenir
éloigné, et en Bretagne, le duc d’Aiguillon, celui de ses ennemis qu’il
craignait le plus[82]». Aussi avait-il su gré au prince de Croÿ d’avoir
suivi ses conseils, en cessant de prétendre à la succession d’un
gouverneur qui voulait toujours s’en aller. Mais, ajoute le
mémorialiste, «le duc d’Aiguillon en fit tant qu’il fallut le rappeler
(1766)». La phrase est ambiguë: elle semble laisser entendre que le
fonctionnaire commit de tels excès de pouvoir qu’on dût en débarrasser
le pays.

Ce qui est certain, c’est que les attaques redoublaient contre le
despote, le «Bacha», comme l’appellera plus tard Mᵐᵉ Du Deffand.
Choiseul, qui, en 1765, opinait pour «l’extrême rigueur», affirme
d’Aiguillon, mais à la condition que celui-ci la conseillât
d’abord,--tactique devant inévitablement servir à le discréditer
davantage--Choiseul, en bon ami des philosophes, penchait secrètement
pour les prisonniers de Saint-Malo. Il le prouva, du reste, par une
manœuvre, que les ennemis de d’Aiguillon purent croire dirigée contre un
homme, qu’on supposait acharné à la perte des détenus.

Ceux-ci furent, en effet, transférés de Rennes, où ils étaient
incarcérés depuis le Iᵉʳ août, au château de la Bastille. Puis, en
novembre, Louis XV, évoquant l’affaire à son conseil, s’y faisait rendre
compte de la procédure, et, pour en finir, exilait, le 20 décembre, à
Saintes les La Chalotais.

Au reste, leur procès ne fut jamais jugé; mais, déjà, en 1767, les
violences du procureur général l’avaient singulièrement diminué auprès
du grand public: car il faut reconnaître que ce «patriote» qui, du fond
de son noir cachot, acceptait, de Saint-Florentin, la permission
d’assister au mariage de sa fille, n’avait, ni épargné les sarcasmes, ni
ménagé les injures aux «gens du roi» et au nouveau Parlement, qu’il
prétendait vendus à la Cour et au duc d’Aiguillon, son ennemi personnel.
C’était ainsi qu’il considérait le commandant de Bretagne, bien que
celui-ci eût plutôt prêché l’indulgence et «voulu qu’on épuisât tous les
moyens de justification de la Chalotais[83]». Car, aux yeux des juges,
les fameux billets anonymes, dont l’origine restait mystérieuse, ne
pouvaient plus avoir qu’une importance secondaire: mais, ce qui était
d’ordre supérieur et de vérité indiscutable dans ce procès
essentiellement politique, c’est qu’un agent du pouvoir avait résisté
aux injonctions du roi et méconnu les ordres du gouvernement,
prévariqué, en un mot, pour seconder les vues d’une aristocratie
turbulente et rebelle, décidée à frapper d’impuissance l’autorité
royale, sous le prétexte spécieux, perpétuellement invoqué, que la
«religion du prince» avait été surprise par le ministre.

Mais alors que La Chalotais disparaissait en quelque sorte de la scène,
cette noblesse bretonne, loin de désarmer, continuait la lutte avec plus
d’acharnement que jamais.

Pendant que d’Aiguillon était en Touraine, tout entier au charme d’une
villégiature que goûtait avec lui sa petite cour, on racontait à Paris
qu’il était exilé à Veretz. Lui n’en savait pas un traître mot et ne
s’en portait que mieux. Son médecin l’avait mis au lait d’ânesse[84].
D’Aiguillon, comme la plupart des ambitieux et surtout des ambitieux qui
cachent leur jeu, était bilieux de tempérament; et la moitié de sa vie
(la correspondance de la duchesse le dit assez), se passa en traitements
de toute sorte chez lui, ou dans les stations d’eaux thermales, sans que
son teint couleur citron en fût sensiblement modifié.

Mais cette quiétude devait bientôt finir. La convocation des Etats, où
d’Aiguillon allait paraître en qualité de premier commissaire, était
urgente: la tradition voulait que cette réunion fût biennale, en raison
du vote des impôts. Et l’aristocratie bretonne, bien que peu satisfaite
de l’issue du procès Chalotiste, avait conscience que son ennemi en
revenait à Rennes singulièrement amoindri. Aussi lui ménageait-elle de
nouvelles et désagréables surprises. D’Aiguillon s’y attendait
d’ailleurs et s’y préparait peu philosophiquement, nous dit Belleval[85]
admis dans son intimité. Le 9 octobre 1766, le jeune officier avait été
prié à souper par la duchesse; et comme il n’était pas de service, il
s’était rendu à l’invitation, d’autant que le duc, ainsi que la
duchesse, lui avaient «toujours témoigné beaucoup de bonté». Ce soir-là,
d’Aiguillon avait convié quelques amis. Il leur annonça qu’il avait pris
congé du roi pour aller tenir les États de Bretagne. Il n’en était pas
autrement charmé, et il l’avouait d’un ton si piteux que tout le monde
se mit à rire.

--Et vous, le premier, dit-il, en marchant sur Belleval, vous, monsieur
le rieur, «allez-y donc à ma place, si cela vous amuse ou si vous croyez
que je plaisante: j’aimerais mieux brider des ours que des Bretons.

«Je lui répondis, continue Belleval, que je le croyais sur parole et
qu’il s’entendait mieux que moi à faire le service du roi, attendu que
je ne sais ni brider les ours, ni les Bretons.»

Avant de risquer toutes ces plaisanteries, on s’était assuré qu’il ne se
trouvait aucun fils d’Armor dans l’assemblée. L’entrée de la marquise de
Guesbriant mit fin à ce badinage, que la duchesse n’eût d’ailleurs pas
toléré, en présence de cette dame, sa parente, qu’elle aimait beaucoup
et qu’elle avait présentée au roi pour être dame d’honneur de la
princesse de Lamballe.

La Noue, un fidèle, lui aussi, de M. d’Aiguillon, n’était guère plus
optimiste que le principal intéressé. Il confie ses inquiétudes et même
ses angoisses à Fontette[86], de passage à Rennes, où la duchesse le
reverra avec plaisir, car elle le «maintient honnête et galant homme».
La Noue ne tarit pas d’éloges sur Mᵐᵉ d’Aiguillon: «C’est une femme
pleine de sens, de connaissance, bonne, vraie, droite, courageuse,
capable d’amitié».

La situation du commandant de Bretagne était, en effet, assez difficile
à Rennes, en cette année qu’on aurait pu appeler l’_année des trois
duchesses_. Des questions d’étiquette venaient encore la
compliquer[87]. Nous voyons sur le registre des délibérations des Etats
qu’on avait nommé trois députations des membres des trois ordres pour
aller «complimenter suivant l’usage» la douairière, la duchesse
d’Aiguillon et la duchesse de la Trémoïlle--le mari de cette dame devant
présider l’ordre de la noblesse aux Etats.

Or, le duc d’Aiguillon, avec sa morgue native, qu’exaspérait encore sa
rancune, acquise, contre l’aristocratie bretonne, avait froissé le duc
de la Trémoïlle, en ne faisant pas arrêter sa voiture pour recevoir ce
personnage, alors qu’il était à la tête de la noblesse[88]. Faut-il
attribuer à ce manque d’égards la mollesse que le ministère reprochait
au nouveau président? Le rôle de la Trémoïlle ne laissait pas d’ailleurs
que d’être difficile. L’opposition avait des prétentions inadmissibles
et des exigences inacceptables. La Trémoïlle résistait de son mieux.
Alors le tumulte se déchaînait dans la salle. C’était, au milieu de cris
d’animaux, une obstruction perpétuelle. Le duc, qui n’avait pas
l’habitude des tempêtes parlementaires, restait souvent muet. Etait-ce
là «composer avec les brouillons et les mutins?» Ceux-ci, en tout cas,
ne lui ménageaient guère les avanies. Aussi, MMᵐᵉˢ de la Trémoïlle--la
mère et la fille, également duchesse--avaient-elles suspendu leurs
réceptions; et il avait fallu que Mᵐᵉ d’Aiguillon reprît les siennes,
quoique à peine remise d’une «forte migraine et d’une petite
ébullition». Son salon n’en avait été que «plus honnêtement rempli[89]».

Entre temps, Fontette signalait à son ami un épisode de la guerre de
pamphlets qui sévissait alors en Bretagne: c’était l’apparition d’un
«écrit abominable et plat, en forme de dialogue des morts» où le
cardinal de Richelieu et son arrière-petit-neveu d’Aiguillon étaient
drapés de la belle façon: hélas! disait Fontette, on ne punit pas assez
sévèrement les auteurs de libelles--comme si le camp ennemi eût été seul
à se servir de telles armes.

En sa qualité de premier commissaire, d’Aiguillon avait lu aux Etats, le
10 janvier 1767, une lettre qu’il disait avoir reçue du roi et qui
défendait formellement «aux Bretons de s’occuper des affaires de son
Parlement». Les Etats répondirent par un éclat de rire. Mais d’Aiguillon
était pressé d’agir par le contrôleur général Laverdy qui avait besoin
d’argent; et il ne cessait de répéter aux ministres ses perpétuelles
variations sur le proverbe: _Patience et longueur de temps_, etc. Il les
accompagnait de récriminations amères contre l’incohérence et les
inconséquences du pouvoir central, qui avait si lestement soustrait le
procès des Chalotistes à la juridiction du Parlement de Rennes, et
contre la correspondance scandaleuse des princes du sang avec les
factieux.

Le ministère le savait de reste; il en souffrait, mais n’aimait pas
qu’on lui en rabattît les oreilles. Il eût voulu que d’Aiguillon
montrât plus d’initiative et surtout moins de lenteur, d’autant que
Louis XV, passant, suivant son habitude, par-dessus la tête de ses
ministres, correspondait directement avec «les mutins»--c’était
l’anarchie et le gâchis[90].

Et cependant le gouvernement ne pouvait nier que d’Aiguillon ne fût un
agent consciencieux, préoccupé de faire prévaloir les droits de
l’autorité royale. Laverdy n’écrivait-il pas, le 16 mars 1767, que
«d’Aiguillon et Flesselles avaient tiré le meilleur parti d’une
situation désespérée[91]».

Les Etats venaient seulement de voter les impôts et ne devaient se
séparer que le 23 mai, au milieu d’une recrudescence d’injures, de
calomnies et de libelles à l’adresse du gouverneur--campagne à laquelle
se mêlait une ténébreuse histoire de poisons, imaginée par les
Chalotistes et visant un partisan de d’Aiguillon, l’ex-jésuite
Clémenceau.

C’est probablement à cette époque qu’il faut placer un billet écrit en
1767[92], mais sans date précise, par le duc au chevalier de Balleroy,
billet où il parle, à mots couverts, de ses négociations, d’intrigues
multiples, etc... D’Aiguillon est bien l’homme de son style, méfiant,
timoré, indécis, mystérieux, sous l’aspect sombre et l’attitude hautaine
que lui prêtent ses ennemis et qu’il croit être de la dignité.

La duchesse avait une allure bien différente. Elle était franche, crâne
même et marchait droit au but.--Elle était venue à Paris pendant que son
mari restait en Bretagne. Fontette l’eût désirée à Rennes. Mais «elle ne
peut être partout. Elle est bien aussi utile à M. d’Aiguillon à Paris
qu’ici, et par cela seul je suis consolé de l’y savoir[93]».

La Noue, d’ailleurs, ne tarde pas à rassurer son ami. Il dit même que
l’«absence» ou la «présence» du principal intéressé à la Cour semble
«indifférente», Mᵐᵉ d’Aiguillon ne quittant pas Versailles. «Favorite de
la reine, elle est appelée chez sa maîtresse dans les moments les plus
particuliers» et, là, le roi «peut causer avec Mᵐᵉ d’Aiguillon, qui le
guide sur toutes les affaires de l’Etat et particulièrement de la
Bretagne».

Nous ne croyons pas que la duchesse ait jamais eu la prétention d’être
l’Egérie d’un monarque qui n’était ni sûr dans ses relations, ni
constant dans ses idées. Les ambitions de Mᵐᵉ d’Aiguillon se bornaient à
défendre la réputation et l’honneur de son mari, comme elle employait
son crédit (La Noue l’avait bien jugée) à servir les intérêts de ses
amis. Et ce sera le duc, il fallait s’y attendre, qui en aura toute la
gloire. N’écrit-elle pas de Versailles, en octobre 1767, au chevalier de
Balleroy[94], que le concours de M. d’Aiguillon lui était tout acquis.

A cette époque, en effet, le gouverneur de Bretagne avait repris faveur
à la Cour. Et l’on a vu que la duchesse n’y avait épargné ni son temps,
ni sa peine.

Mais la tâche n’avait pas laissé que d’être difficile. La résistance de
la noblesse aux demandes du roi, sa turbulence avaient provoqué un tel
scandale que, peu de temps avant la clôture des Etats, le gouvernement
avait invité son premier commissaire à lui établir un projet de
règlement pour la tenue de ces mêmes Etats. D’Aiguillon obéit; mais,
comme il avait toujours l’appréhension des responsabilités, il voulut
renvoyer à une session ultérieure la lecture et l’application du
règlement. Il fallut que le ministère insistât énergiquement, pour que
le duc se décidât à lire son projet le 23 mai, c’est-à-dire le jour même
de la clôture des Etats.

Et, convaincu, d’autre part, que cette nouvelle exigence du pouvoir
central le rendrait, lui d’Aiguillon, encore plus odieux aux Bretons, il
eut hâte de les quitter. Mais, comme toujours, Saint-Florentin
s’opposait au départ de son neveu. La duchesse douairière quitta
immédiatement Rennes pour Versailles, et, le 2 juin, elle obtenait haut
la main le rappel de son fils[95].

D’Aiguillon, malgré qu’il eût, par intervalles, en raison de son
tempérament bilieux, de terribles colères contre cette noblesse qui le
vilipendait, d’Aiguillon s’appliquait encore à la ménager. Sans tenir
compte des objurgations de ses amis qui lui reprochaient de s’obstiner à
«vouloir être bon», il usait à peine des pouvoirs discrétionnaires qu’il
tenait du gouvernement, même contre les «bastionnaires»--on appelait
ainsi les chefs du _bloc_ formé par l’opposition de l’aristocratie.

D’Aiguillon avait pour lui, aux Etats, le Tiers et une notable partie du
clergé: il aurait même eu la grande majorité de la noblesse, sans une
poignée de cabaleurs qui menaçaient leurs collègues hésitants de
vengeances terribles, le jour où les démissionnaires remonteraient sur
leurs sièges du Parlement: car ils savaient bien qu’il n’y avait pas de
coalition possible entre les Etats et le _bailliage d’Aiguillon_.

En tout cas, quoique le ministère appelât «irrésolution et timidité» ce
que le commandant de Bretagne nommait «circonspection et fermeté»,
d’Aiguillon trouva, quand il revint à Versailles, tout un cortège
d’admirateurs. D’ardentes imaginations, éprises de couleur locale, le
représentèrent, sur ce littoral semé de récifs, «rocher au milieu des
vagues». Et le jour où il parut devant le roi pour lui faire sa cour:

--Vous vous êtes conduit comme un ange, lui dit Louis XV.



VI

     _Les Etats «intermédiaires».--Chasse aux «Mandrins».--La coterie
     des «Bastionnaires» et la pacification de la Bretagne.--Les
     variations du contrôleur général, d’après
     d’Aiguillon.--Démission.--Cérémonial des obsèques d’une reine.--Un
     cocher en couches.--Le duc de Penthièvre jugé par Mᵐᵉ
     d’Aiguillon.--La duchesse est ravie de voir son mari «hors d’une
     indigne galère».--Ce qu’en pense d’Aiguillon._


C’est dans le courant de l’année 1768 que s’engage réellement la double
correspondance de la duchesse d’Aiguillon et de son mari avec le
chevalier de Balleroy, l’une plus rare et roulant de préférence sur les
choses de la politique, celle de la duchesse autrement variée, souvent à
bâtons rompus, mais vive et piquante, volontiers pittoresque, demandant
et acceptant sans arrière-pensée les mêmes services que peut lui rendre
le complaisant célibataire, et s’employant pour lui, à la Cour, avec
autant de désintéressement empressé et sincère, qu’il en apporte
lui-même à témoigner de son loyalisme envers ses nobles patrons.

«Je n’ai pas besoin de vous dire, Monsieur le Chevalier, lui écrit-elle,
combien votre situation m’occupe: vous n’en devez pas douter,
connaissant ma façon de penser... Mais il est bien difficile de
raisonner par lettre, comme on voudrait. Il y a des choses sur
lesquelles, en se voyant, en quatre paroles, on s’explique très
aisément, au lieu que, par lettre, il faut tant de phrases et de
périphrases, encore souvent pour ne se pas entendre[96]...»

Aussi, comme elle est sur le point de partir pour Veretz, invite-t-elle
Balleroy à l’y rejoindre; au moins pourront-ils y causer librement.
L’appréhension du Cabinet noir--cette institution permanente--se laisse
pressentir ici, comme dans toutes les correspondances du temps.

Mais le départ de Mᵐᵉ d’Aiguillon avait été précédé de notables
événements qu’il importe de rappeler.

Des Etats extraordinaires--_intermédiaires_ ainsi qu’on les nommait
encore--s’étaient ouverts à Saint-Brieuc, au commencement de 1768,
présidés par l’évêque du diocèse, Girac[97], un des rares prélats qui
fussent hostiles à d’Aiguillon, par le duc de Duras, et par un
magistrat, Ogier, qui était le premier commissaire, «en réalité le
porte-parole» du gouverneur[98].

Un bon billet qu’avait là le duc d’Aiguillon!

La «réalité», c’était l’entente tacite des deux représentants de la
noblesse et du clergé «pour ramener la réconciliation de l’opposition
bretonne avec le ministère, réconciliation dont le gouverneur devait
faire les frais[99]».

Celui-ci n’avait été, même à Versailles, que le héros d’un jour. Les
amis des «bastionnaires» recommençaient la campagne: «Le duc de Rohan,
écrit La Noue à Fontette, le 10 février, a refusé le salut à M.
d’Aiguillon, et sa femme à notre duchesse, sans qu’ils sachent l’un et
l’autre d’où provient cette bouderie[100]».

A Saint-Brieuc, les opérations se poursuivaient activement. «Les Etats
prennent une délibération, pour rembarquer les généraux de Broc,
Balleroy, Barrin, La Noue, qui mangent la province et que M. d’Aiguillon
y avait entrés contre l’usage; et il faut espérer qu’ils en viendront à
bout, et que, peu à peu, on chassera en détail ces Mandrins[101]...»

On comprend si cette exécution dut toucher «notre duchesse».

M. de Calan, qui n’est certes pas un apologiste du gouverneur, est bien
obligé cependant de reconnaître et de signaler les petites vilenies
mises en œuvre pour forcer la main au roi et lui faire remplacer un
ministre «désagréable au parti dominateur», par un homme qui sera
«l’instrument de ce même parti». Cet impôt, qui semblait écrasant quand
il était réclamé par d’Aiguillon, est voté avec enthousiasme sur la
proposition de M. de Duras. Les pamphlets gémissent sur la misère du
peuple; et «à Saint-Brieuc c’est un bal perpétuel».

Bientôt il semble qu’un mot d’ordre soit donné, exprimé à peu près
partout dans les mêmes termes, «que la tranquillité ne peut se rétablir
en Bretagne que par la retraite de d’Aiguillon[102]»... Maupeou doit le
démontrer, s’il veut obtenir la place de chancelier. Et Mᵐᵉ Du Deffand
écrit, le 10 mai, à l’abbé Barthélemy: «Je fus lundi à souper, à Ruel,
chez Mᵐᵉ d’Aiguillon (la mère, sa grande amie) avec le chevalier de
Listenoy et l’évêque de Saint-Brieuc. Celui-ci me raconta toute la
Bretagne... Un honnête homme, sur son récit, en doit conclure que jamais
l’ordre ne sera rétabli dans cette province, tant que le duc d’Aiguillon
y commandera. Si j’étais le maître, je n’hésiterais pas un moment à
envoyer M. de Penthièvre tenir les prochains Etats jusqu’à ce que la
paix y fût complètement rétablie[103].»

Et ce n’était pas seulement l’entente commune d’une opposition marchant
avec une exacte discipline qui avait entraîné ainsi l’opinion; c’était
encore la presse, par ses journaux-pamphlets et par ses libelles, échos
des philosophes, des jansénistes et des parlementaires, qui mettaient
habilement en scène le martyre de la Chalotais, pour expliquer le
soulèvement de la Bretagne tout entière contre son tyran. Celui-ci avait
assurément des amis qualifiés pour répondre, amis qui s’acquittaient
avec conviction de cette tâche, mais par intermittences et non sans
hésitations. Car d’Aiguillon les désavouait en quelque sorte. Il
méprisait les traits, pour la plupart anonymes, de l’ennemi. Il se
croyait suffisamment protégé par le respect dû au représentant de
l’autorité royale; et le gouvernement n’admettait pas de polémique même
à son profit, et surtout une polémique soutenue par ses agents. «Les
gens en place, comme le dit fort bien M. Carré, devaient se taire par
respect pour le maître[104].»

Il en résulta que d’Aiguillon dut jouer ce que notre modernisme appelle
«le guillotiné par persuasion». Certes, il ne demandait qu’à secouer la
poussière de ses sandales sur cette Bretagne qui lui avait si souvent
échauffé la bile. Que de fois il avait prié qu’on acceptât sa démission!
Mais, alors, il se retirait avec les honneurs de la guerre. C’était lui
qui se refusait à «brider» plus longtemps les Bretons, tandis
qu’aujourd’hui l’opinion semblait imposer au gouvernement le rappel d’un
fonctionnaire exécré. Et avant de se résigner à l’acte décisif qui, au
dire de la coterie des _bastionnaires_, devait amener la pacification de
la Bretagne, par quelles tergiversations passait un homme confondant
trop volontiers la circonspection et le calme avec la lenteur et
l’irrésolution! Il écrivait, de Paris, le 22 juin, au chevalier de
Balleroy qui s’en allait rejoindre «son général» à Rennes[105]:

«... Le dernier système du contrôleur général, dont, heureusement, il
change souvent, est qu’il faut que je retourne au plus tôt en Bretagne,
parce que personne ne peut faire les affaires du roi, si je la quitte,
et que, d’ailleurs dans tout ce qui s’est passé, il n’y a rien eu de
personnel contre moi, que, par conséquent, ce n’est pas le cas où il
faut mettre sur la scène un acteur nouveau; c’est en ma présence qu’il
tient ce propos aux autres ministres... Il avait dit tout le contraire
un mois auparavant... A cela je répétai mon refrain ordinaire: je désire
ardemment sortir de Bretagne; je n’y crois plus ma présence utile aux
affaires du roi; mais s’il le veut absolument, j’obéirai, après qu’il
aura écouté mes représentations tant sur le fond que sur la forme.»

Et il terminait par cet autre «refrain» qu’on retrouve sans cesse sur
les lèvres ou sous la plume du politicien soucieux de paraître détaché
de toute préoccupation ou calcul ambitieux:

«Je continue mon train de vie ordinaire; je passe quatre jours de la
semaine à Versailles et trois à Paris. Je dors et digère bien et je ne
m’ennuie pas.»

A six semaines de là, le ton change. D’Aiguillon a fait le cruel
sacrifice et il s’en explique, non sans mélancolie, mais avec une
confiance en soi, qui semble le comble de l’illusion, sinon de la
duplicité[106].

«C’est sur l’avis du contrôleur général, écrit-il encore à Balleroy, que
le roi s’est décidé à me permettre de me retirer et je suis bien
convaincu qu’il ne s’y est déterminé, que parce qu’il a prévu que je
serais encore une fois trahi et abandonné par un ministre qui veut
absolument qu’on croie que c’est l’animosité qu’on a personnellement
contre moi en Bretagne, et non sa mauvaise administration, qui est cause
du désordre dans lequel est cette province... Je ne regrette pas le
gouvernement de Bretagne, mais d’y laisser des gens sages et de bons
serviteurs qui seront exposés à la méchanceté et à la violence des
brouillons..... On prétend que M. de la Chalotais donnera sa démission
aussitôt que j’aurai donné la mienne.»

Entre temps, la duchesse, malgré toute sa vigilance, avait été absorbée
par d’autres soins et par d’autres devoirs, qu’elle n’eût pu décliner
sans être taxée d’indifférence et même d’ingratitude.

La reine Marie Lesczinska se mourait. La maladie n’avait pas été seule à
miner ses jours. Délaissée, en raison peut-être des exigences d’une
dévotion trop austère, pour des rivales souvent indignes, qui ne se
comptaient plus et qu’il fallait cependant accueillir, ne fût-ce que
d’un signe de tête, la reine s’était peu à peu consumée en un désespoir
profond, muet, dissimulé sous un sourire de Cour, mais rongeant, comme
un cancer, les sources vives de l’existence.

Une lettre de La Noue met en opposition, dans une phrase qui fait
portrait, la physionomie officielle des deux époux: «Le roi est plus
beau et plus frais que jamais...» mais «sa femme est dans un état
affreux[107]...» Aussi Mᵐᵉ d’Aiguillon ne l’avait-elle plus quittée: il
avait fallu, pour qu’elle revînt passer quelques jours à Paris, qu’elle
y fût rappelée par une maladie assez sérieuse de son fils et de l’une de
ses filles: encore, aussitôt leur rétablissement, avait-elle repris le
chemin de Versailles.

La lente et douloureuse agonie de Marie Lesczinska dura plus de six
mois: «L’état de la reine, écrit la duchesse, est toujours le même,
c’est-à-dire que cette malheureuse princesse ne peut ni vivre, ni
mourir; elle a, de plus, depuis quelques jours, une fièvre d’une
violence extrême qui lui cause du délire tous les matins... Ne prenant
presque plus de nourriture, il y a aujourd’hui cinq semaines que cet
état violent dure; cela fait horreur à penser, même aux gens les plus
indifférents. Jugez de l’effet que cela fait sur moi qui aime la reine,
non parce qu’elle est reine, mais parce qu’elle est aimable et
vertueuse, et que, dès ma plus tendre enfance, elle m’a toujours comblée
de bontés, j’ose même dire d’amitié[108].»

Pour qui savait les habitudes d’infidélité d’un mari, déjà tout disposé
à suivre l’exemple du maître, le mot _vertueuse_ laissait percer une
allusion suffisamment claire; car la duchesse, aussi discrète et aussi
intelligente qu’elle était énergique et forte, connaissait trop bien les
procédés de la poste pour livrer naïvement à cette auxiliaire de l’Etat
le fond de sa pensée.

Mais la reine est enfin délivrée de ses souffrances; et la douleur de la
duchesse, déjà si profonde et si sincère, éclate plus intense encore, à
la vue d’une sorte de profanation qu’exigeait alors le protocole des
funérailles royales[109].

«Ce qui m’a fait une impression que je ne peux pas rendre, c’est le
moment du transport, de voir sortir cette respectable princesse de ses
appartements par pièces et par morceaux, d’abord le cœur porté par
l’évêque de Chartres sur un carreau, ensuite ses entrailles, puis sa
personne...»

De même, à Saint-Denis, le minutieux cérémonial qui accompagne l’arrivée
de la défunte, est pénible pour une femme aussi peu éprise de
l’étiquette que l’était Mᵐᵉ d’Aiguillon. L’évêque adresse un discours au
prieur de l’abbaye qui s’empresse de lui rendre la politesse: puis la
reine est portée, toujours «par pièces et par morceaux», dans le chœur,
sur une estrade et sous un dais; prières, aspersions, discours, tout
recommence, et même la «promenade de ce malheureux corps» jusqu’à une
chapelle où il restera déposé en attendant le jour de l’inhumation.

Enfin l’heure fatale a sonné[110]:

«... Le spectacle de Saint-Denis était très beau et bien ordonné:
c’était une bien belle horreur. J’ai été en place en grand habit et
grande mante, depuis 10 heures du matin jusqu’à 5 h. 1/2, sur une petite
banquette, qui n’avait pas un demi-pied de large. Vous croirez sans
peine que j’étais fort lasse quand la cérémonie a été finie.»

Son affliction est alors plus grave et plus expressive. Tant que le
corps était resté à Versailles et à Saint-Denis, la duchesse était
toujours au service de la reine: «enfin elle était encore parmi nous»;
mais «quand on l’a descendue dans le caveau», cette nouvelle et
définitive séparation détermina chez Mᵐᵉ d’Aiguillon «un trouble inouï
qui fit rire, à ce qu’il paraît, bien des gens à portée de voir... il
fallait assurément en avoir bien envie» remarque-t-elle non sans
amertume.

Il semble, à vrai dire, que la Cour fût en humeur de folâtrer ce
jour-là; car les commentaires de l’oraison funèbre s’accompagnent de
«toutes les gentillesses et de toutes les pointes» imaginables. On
prétendait, avant que le prédicateur--l’évêque du Puy--prît la parole
«qu’il fallait se garantir de la fraîcheur du puits[111]». Au reste, ce
morceau d’éloquence était, de l’avis des meilleurs juges, d’une valeur
très discutable: «Il n’y a rien de si difficile à faire, conclut la
duchesse, qu’une oraison funèbre; et depuis M. Fléchier, il n’y en a pas
eu une complètement bonne».

Après s’être exclusivement consacrée à l’accomplissement du pieux devoir
que lui imposait sa dette de reconnaissance, Mᵐᵉ d’Aiguillon reprit peu
à peu avec le chevalier de Balleroy le cours de ces entretiens
familiers, où se confondaient les nouvelles de la politique et les
incidents de la vie mondaine. Les préoccupations familiales tiennent une
certaine place dans ces causeries intimes: «Notre cousine de
Valentinois, écrit-elle le 26 juillet, est toujours très mal; les uns
disent que c’est une fièvre maligne, d’autres que sa tête est partie. Ce
qui est sûr, c’est qu’elle est très mal et qu’elle a un délire continuel
et très extraordinaire. Le dernier était de vouloir que son cocher fût
dans sa chambre, sur une chaise longue, coiffé en femme, avec un
couvre-pieds de dentelle, parce qu’il était en couches[112].»

C’est à quelques jours de là qu’elle chargera Balleroy, «en sa qualité
de grand veneur», de courir après les chiens et «leur gouverneur»,
expédiés d’Angleterre à Veretz et refusés par un garde à qui d’Aiguillon
avait omis d’en parler. Et, dans cette même lettre, la duchesse, le
cerveau toujours hanté des «affaires de Bretagne», ne peut s’empêcher
d’en parler, avec une pointe d’aigreur, inséparable désormais des
souvenirs que lui a laissés son séjour dans la province:

«M. de Broc[113] aura beau faire, il ne donnera jamais de courage à M.
le duc de Penthièvre[114], parce que ce n’est pas à son âge ce que l’on
acquiert. De plus, il est entouré de gens qui ont promis ou qui
souhaitent qu’il en soit ainsi. Je serai bien surprise, si je vois
sortir quelque coup un peu ferme de cette boutique. Il est l’homme du
royaume qui a les vues les plus droites et les plus honnêtes, qui est le
plus vertueux dans toutes les règles; mais il est faible par nature et
par principes; et vous conviendrez que ce n’est pas le moment de se
flatter de donner du nerf. Il y en a tant d’autres à qui il en manque.»

On ne saurait tracer un portrait plus exact et plus vrai de ce prince
estimable, mais toujours hésitant et irrésolu, que le sentiment de ses
responsabilités aurait dû faire partir, depuis longtemps, pour une
province dont il était le gouverneur titulaire, afin d’y étouffer le
désordre si savamment entretenu par ses propres cousins.

En s’exprimant avec autant de netteté et de fermeté, Mᵐᵉ d’Aiguillon
était absolument désintéressée. Elle avait dit un adieu définitif à la
Bretagne: «le sort de M. d’Aiguillon est décidé, écrivait-elle[115]. Qui
sera son successeur? Vraisemblablement M. de Duras.» En ce qui la
concerne, elle est fort aise que son mari soit débarrassé d’un aussi
lourd fardeau; il était «barré sur tous les points», partant impuissant
«à faire le bien». «Je suis ravie, répète-t-elle, qu’il soit dehors de
cette indigne galère.» Il ne s’éloigne pas cependant sans tristesse; il
avait des partisans, des amis qu’il laisse derrière lui. Et nous avons
dit avec quelle joie féroce les Chalotistes s’apprêtaient à les
persécuter. Aussi la duchesse priait-elle Balleroy d’exprimer à ces
fidèles tous ses regrets.

Le duc, moins sincère ou plus emphatique, donnait sa démission pour un
acte d’héroïsme. Il écrivait à sa nièce (?), Mˡˡᵉ de Vedec à Vannes, une
sorte de lettre apologétique, où il faisait sonner bien haut l’éclat de
son abnégation: «La place n’était plus tenable pour lui; et il compte
sur la bonté, sur l’esprit de justice de sa parente pour qu’elle
approuve «le parti forcé» qu’il a pris. Il devait _le sacrifice de sa
place à ses amis_ qu’il eût autrement «précipités dans la boue». Au
reste, il affirmait «n’avoir rien fait en Bretagne qui ne fût utile à la
loi»; et il n’avait pour amis dans la province que «les honnêtes gens,
les vrais serviteurs du roi, les bons citoyens[116].»

Assurément son sacrifice fut volontaire. Depuis tantôt dix ans,
d’Aiguillon avait trop souvent réclamé son rappel pour n’en avoir pas
envisagé quelquefois l’éventualité comme un soulagement. Mais, par la
force des choses, ceux-là mêmes qui n’en voulaient pas entendre parler,
durent s’y résigner; et comme dit fort bien M. Marcel Marion,
d’Aiguillon fut «sacrifié à l’espérance chimérique de rétablir le calme
en Bretagne[117]».



VII

     _La première rencontre de d’Aiguillon avec Choiseul: présence
     d’esprit de la duchesse.--Le régiment du roi: lettre de Mᵐᵉ
     d’Aiguillon à Louis XV.--Mᵐᵉ Du Barry devient l’alliée de
     d’Aiguillon.--Maupeou et Terray négociateurs du
     traité.--D’Aiguillon capitaine-lieutenant des chevau-légers: le
     «beau cortège» de la duchesse.--Un amoureux fou mais platonique de
     la Du Barry.--Le déserteur._


Le rédacteur des _Mémoires du ministère du duc d’Aiguillon_ dit que le
commandant de Bretagne «visait, en 1768, au ministère». Cette ambition
datait assurément de plus loin; car, déjà--toujours d’après les
_Mémoires_--le Dauphin l’avait «porté pour la marine[118]». En tout cas,
Choiseul pressentait depuis longtemps dans le duc d’Aiguillon un
redoutable rival, puisque, systématiquement, il l’obligeait à rester en
Bretagne, ployant sous le faix de l’impopularité, jusqu’à ce que la
situation n’y fût plus tenable.

La lutte entre les deux adversaires allait donc s’engager, plus ardente
et plus directe, sur un terrain moins éloigné, mais autrement périlleux,
celui de la Cour.

Ces hommes s’étaient rencontrés, pour la première fois, dix années
auparavant, en complète opposition, dans une circonstance mémorable, où
la duchesse d’Aiguillon avait témoigné, pour le plus grand bien de son
mari, de cette sagacité et de cet esprit de décision qui la
caractérisaient.

C’était dans les premiers jours de janvier 1757. Damiens venait de
frapper le roi. La duchesse était restée à Paris, pendant que son mari
luttait désespérément contre les États de Bretagne, s’obstinant à
refuser les subsides qu’il leur réclamait pour la guerre. Mᵐᵉ
d’Aiguillon suivait ces débats irritants, dont le dénouement semblait
devoir s’éterniser, quand l’attentat de Damiens fit surgir dans son
esprit une inspiration soudaine. Le mercredi 5, à 10 heures du soir,
elle expédie à son mari un courrier porteur d’une lettre, qui lui
apprend la nouvelle, et lui indique peut-être le parti qu’il en doit
tirer. L’homme, voyageant à franc étrier, arrive à Rennes dans la nuit
du jeudi au vendredi. D’Aiguillon fait assembler immédiatement les
États, trace un tableau à la fois si terrifiant et si émouvant des
horreurs d’un tel régicide, qu’en moins d’un quart d’heure les États
renoncent à leurs prétentions, accordent au roi plus qu’il ne demande et
décident qu’ils «enverront des députés en Cour» attester leur
«sensibilité» et leur loyalisme.[119]

D’Aiguillon renvoie aussitôt à sa femme le même courrier avec le
résultat de la séance. Et quand les délégués arrivent peu de temps après
à Versailles, ils y sont acclamés et fêtés avec un enthousiasme qui
tient du délire.

Lorsque le procès criminel fut évoqué devant le Parlement, d’Aiguillon
vint y siéger, en sa qualité de pair. De son côté, le comte de Choiseul,
alors en mission à Venise, partit aussitôt, pour se rendre à Versailles
où il ne tarda pas à se rencontrer avec le duc. Celui-ci, suivant son
habitude, très hautain et très rancunier--peut-être avait-il sur le cœur
les perpétuelles avanies des États bretons--déclarait formellement que
«le fanatisme des énergumènes du Parlement avait armé le bras du
parricide et qu’on en avait de bonnes preuves». Il faisait ainsi
indirectement sa cour au Dauphin. Le comte de Choiseul répliquait qu’il
apportait, lui aussi, des «preuves», non moins «bonnes», mais de Rome,
où il avait appris que les jésuites, surtout ceux de la Silésie,
n’étaient pas étrangers au crime. Choiseul abondait dans le sens de la
Pompadour, qui méditait déjà l’expulsion des Jésuites et qui, en
attendant, avait fait déclarer la guerre à la Prusse[120].

Nous avons vu, dans les chapitres précédents, comment cette opposition
de principes avait dégénéré peu à peu, chez les deux hommes d’État, en
rivalité politique, dissimulée d’abord par l’attitude réciproque du
fonctionnaire et du ministre, dans un conflit où l’autorité royale était
en jeu. Mais l’un et l’autre, dès qu’ils eurent les mains libres, ne
tardèrent pas à démasquer leurs batteries. Les adversaires devinrent des
ennemis mortels.

Des conflits d’influence avaient marqué les premières escarmouches. Une
coutume, qui n’est pas prêt de tomber en désuétude, voulait que tout
ministre gorgeât de faveurs ses créatures. Choiseul n’avait pas manqué
à la règle. Et d’Aiguillon[121], qui s’était «morfondu» en Bretagne,
pour reprendre l’expression des _Mémoires_, réclamait énergiquement,
mais vainement, des compensations, en raison même du prodigieux surcroît
de dépenses qu’avait entraîné pour lui chaque tenue des États. Il avait
jeté ses vues sur le _Régiment du Roi_. Sa femme écrivit directement à
Louis XV pour solliciter cette grâce. Comme elle allait toujours droit
au but et que son horreur de l’intrigue lui faisait mépriser les petits
moyens, elle ne parla ni des tracasseries, ni des humiliations dont le
Parlement de Rennes avait abreuvé son mari; elle rappela simplement les
services de d’Aiguillon, l’affaire de Saint-Cast et les promesses de
Belle-Isle, alors ministre de la Guerre, qui n’avait pu lui accorder le
bâton de maréchal, parce qu’il était depuis trop peu de temps lieutenant
général, mais qui lui eût réservé la première place vacante. Belle-Isle
était mort trop tôt pour tenir ses engagements. La lettre de la duchesse
fut remise au roi par la reine.

Mais Duras insinua au contrôleur général Laverdy que l’octroi d’une
telle distinction à un personnage aussi impopulaire que l’était
d’Aiguillon, ferait renaître les troubles en Bretagne. D’autre part,
Choiseul, qui avait son candidat, dit tout haut «à son café»: La reine
demande pour M. d’Aiguillon, moi pour M. Du Chatelet, nous verrons qui
l’emportera. Et naturellement ce fut le protégé de Choiseul, Du
Chatelet, qui eut la préférence: faveur que ne put pardonner au premier
ministre le duc d’Aiguillon, chez qui «la suffisance et la prétention»
n’avaient d’égale que «la nullité du mérite»--les termes mêmes de
Choiseul[122].

Mais l’ancien commandant de Bretagne allait bientôt avoir dans son jeu
un atout imprévu qui devait lui assurer une éclatante revanche.

A ce moment même, Mᵐᵉ Du Barry, remarquée du roi à Compiègne, puis
«frénétiquement» désirée par lui, se voyait engagée, un peu malgré elle,
dans la mêlée des compétitions politiques.

Au dire de Sénac de Meilhan, elle avait chargé un ami de cet intendant
de déclarer à Choiseul qu’elle désirait vivre en bonne intelligence avec
lui. Le ministre accueillit assez dédaigneusement de telles avances. Il
promit, dans les termes les plus vagues, d’accorder les «grâces» qui lui
sembleraient justes et raisonnables[123]. En réalité, il détestait et
méprisait la nouvelle sultane. Il prétendit, depuis, que le choix du
prince l’avait écœuré; il le trouvait indigne d’un «aussi grand
monarque». Après la mort de son amie, la marquise, il avait discrètement
autorisé, même dans ses entours, les espérances de nobles dames
impatientes de la remplacer. Mais aucune n’avait eu l’heur de plaire
absolument au roi. Louis XV avait des goûts bourgeois. Son ministre ne
chercha pas à les combattre; et le prudent Hardy va jusqu’à
dire--toujours suivant son habitude, d’après la voix publique--que
Choiseul les encouragea même, mais en opposant «au Soleil levant» (un
mot du premier commis Cromot)[124] un astre, un peu moins éclatant, mais
cependant de belle apparence, la femme du docteur Millin[125].

Certes la Du Barry n’avait ni la marotte des hautes conceptions
politiques, ni les rêves d’ambition mondiale auxquels Mᵐᵉ de Pompadour
avait sacrifié les soins d’une santé précaire et la durée d’une vie déjà
compromise. Elle était dans tout l’épanouissement d’une saine et
triomphante beauté: et, devenue, avec sa joyeuse humeur de bonne fille,
son esprit avisé de grisette parisienne et ses appétits de courtisane à
la mode, la maîtresse en titre du «plus grand roi du monde», elle
trouvait la place à son goût et prétendait la garder. Aussi l’orgueil
revêche de Choiseul lui donna-t-il à réfléchir. Et puisque ce ministre
hautain lui faisait grise mine, elle chercha autour d’elle d’autres
alliés, dût-elle les prendre dans les rangs ennemis.

«A Fontainebleau, dit M. Claude Saint-André, d’Aiguillon arriva,
le premier, dans le salon de la favorite, aussi amoureux
qu’intéressé[126].»

D’Aiguillon était donc tout indiqué. Mᵐᵉ Du Barry lui accorda ses
faveurs, dit nettement Choiseul.

Dans le portrait élégant que, d’après Brissot[127], Mirabeau a laissé de
la dame, le célèbre tribun est moins affirmatif. Il avait les meilleures
raisons pour ménager un client comme l’était le rival de Choiseul. Aussi
écrivait-il: «Le duc d’Aiguillon avait une marche réglée, l’esprit
d’ordre, de la suite dans le travail, un plan accommodé aux
circonstances (un opportuniste de la veille!). Il était aimable sans
être frivole. On prétendait qu’il avait imité le duc de Choiseul, qui
commença par lier sa destinée à Mᵐᵉ de Pompadour de la manière
accoutumée. Si cela n’est pas vrai, c’est bien vraisemblable; lorsqu’on
signe en tête-à-tête un traité d’alliance, il n’est pas à présumer qu’on
oublie les préliminaires.»

Le raisonnement est humain. Puis d’Aiguillon savait plaire aux femmes.
Qu’il fût le fils de la grosse duchesse ou le neveu de la comtesse de
Maurepas, il était, pour l’une comme pour l’autre, un homme délicieux,
pourvu de toutes les qualités, orné de toutes les vertus. Dans des
régions moins familiales, c’était, en dépit de son teint «jaune», le
beau gentilhomme, le séducteur irrésistible.

Quoi qu’il en soit et sans affirmer, avec la coterie des Choiseul, que
le duc était l’amant de la Du Barry, ni conclure, comme M. Vatel, qu’il
était simplement son ami, leur intérêt commun les avait amenés à signer
ce «traité d’alliance» dont parle Mirabeau, et qui, lui, était bien
réel.

Deux hommes l’avaient secrètement préparé: le chancelier Maupeou et
l’abbé Terray, contrôleur général.

Le premier était une créature de Choiseul. C’était un ambitieux «d’une
froide scélératesse», dont le visage, au teint blême, reflétait toute la
bassesse d’âme[128]. Choiseul en appréciait cependant l’activité et
l’intelligence: «Il n’y a personne, disait-il, plus capable que lui
d’être chancelier: au reste, s’il se conduit mal, je le chasserai».
Maupeou connut-il le propos? En tout cas, ce fut Choiseul qui fut
«chassé» avant Maupeou.

L’abbé Terray, l’âme damnée du chancelier[129], valait moins encore;
c’était un audacieux coquin, cynique, impudent, fripon, sans conscience
et sans foi, fondant sa fortune et celle de ses entours sur les plus
odieuses exactions et sur la dilapidation des deniers publics. Ce qui ne
l’empêchait pas, dans son effronterie, d’exagérer le déficit du Trésor,
pour en perdre plus sûrement l’agent responsable, le duc de Choiseul.

D’Aiguillon, déjà peu sympathique, entrait donc en rapport avec Mᵐᵉ Du
Barry sous les auspices de deux fâcheux parrains. Il est vrai qu’il
amenait avec lui l’élite du parti dévot qui comptait parmi ses chefs le
maréchal de Richelieu et le duc de la Vauguyon. Et ce n’est certes pas
un des spectacles les moins piquants pour l’observateur, que l’aspect de
cette jolie et fringante Mˡˡᵉ Lange, marchant, la main dans la main,
avec les amis des Jésuites, à l’assaut d’un gouvernement qui, par
l’expulsion des fils de Loyola, avait assuré l’avènement de ceux de
Jansénius, c’est-à-dire des Parlementaires.

Au reste, la politique a des raisons que l’honnêteté ne connaît pas. Il
avait fallu, pour hâter la chute du favori, que l’aimable fille (et c’en
était bien une) qu’était la Du Barry, eût pris rang à la Cour, qu’elle
fût _présentée_. Et Belleval, notant un bruit d’antichambre, dit, à la
date du 20 décembre 1768, que Richelieu, d’Aiguillon et Bertin, l’un des
prédécesseurs de Terray, «mènent la présentation de la comtesse[130]».

L’ambition--suggérée--de la petite modiste devenue grande dame, ne fut
complètement satisfaite que le 22 avril 1769. L’opération avait été
laborieuse. Quand ce pince-sans-rire de Richelieu avait envoyé, suivant
les règles de l’étiquette, le duc de la Vauguyon annoncer officiellement
la présentation de la comtesse à Madame Adélaïde, la princesse lui avait
brusquement tourné le dos[131].

La protection de la Du Barry (car maintenant elle n’était plus une
protégée) arrivait fort à propos pour d’Aiguillon.

Choiseul, sur la demande des États, avait rétabli l’ancien Parlement de
Bretagne[132], le 12 juillet 1769, et celui-ci, qui avait encore sur le
cœur sa disgrâce, s’entraînait à une campagne de revendications avec
l’exilé de Saintes, La Chalotais, non moins vindicatif que ces Bretons,
dont les pamphlets toujours virulents, échappaient aux «lacérations» et
aux «brûlures judiciaires» indéfiniment réclamées par d’Aiguillon[133].

Le duc obtenait, entre temps, de Louis XV, une compensation qui devait
quelque peu adoucir les cuisantes blessures d’un amour-propre si prompt
à s’ulcérer.

Il avait jeté son dévolu sur le régiment des chevau-légers. Or, son
rival le demandait pour le vicomte de Choiseul. Mais, affirme Belleval,
qui paraît bien informé, Mᵐᵉ Du Barry «a parlé très fort au roi pour le
duc d’Aiguillon»; et le prince n’a «rien à lui refuser». Au surplus, le
candidat de Mᵐᵉ Du Barry «a beaucoup d’esprit et de finesse; il connaît
le Roi et la Cour en homme qui l’a pratiquée toute sa vie».

En effet, Louis XV, après les tergiversations dont il était coutumier,
s’était décidé à nommer d’Aiguillon au commandement des chevau-légers.
La duchesse en fait part, le 24 septembre, à Balleroy: «Ce n’est que
d’avant-hier que M. d’Aiguillon a reçu la lettre du roi par laquelle il
lui accorde les chevau-légers. Jusque-là, il n’y avait que des
apparences et des vraisemblances; et par cela seul, il était bien
difficile d’en rien dire et encore moins d’en écrire avec le _peu de
sûreté de la poste_ (toujours la hantise du cabinet noir). Vous
trouverez sûrement que cette charge est fortement payée: douze cent
mille francs! C’est bien de l’argent, mais, par la suite, c’est un si
grand avantage pour mon fils que c’est à cela que nous avons sacrifié
notre aisance actuelle[134].»

Cependant, la réception tardait: «cela dépend, disait plaisamment la
duchesse, de son habit qui est très long à broder[135]».

Pour n’être pas encore officielle, la nomination n’en était pas moins
certaine. Le bruit s’en était répandu dans le public et Belleval, qui se
savait _persona grata_, vint complimenter le nouveau commandant[136],
mais d’Aiguillon, toujours mystérieux et toujours cachottier,
l’accueille d’un propos narquois:

--Il y a donc des sorciers dans votre pays; et peut-être en êtes-vous
un?

Belleval insiste: il se porte garant de la respectueuse sympathie de ses
camarades.

--Peut-être, fait d’Aiguillon qui, vraisemblablement en Bretagne, est
devenu Normand; je ne dis ni oui, ni non. En attendant, mon cher
marquis, gardez au dedans de vous-même l’impression que peut faire
naître notre conversation et n’en sonnez mot à personne. Soyez persuadé
que je serai particulièrement charmé, si je suis votre capitaine, de
pouvoir m’occuper de vous satisfaire et de vous être agréable.

Voilà bien le grand seigneur, cérémonieux et méfiant que nous
connaissons, multipliant les chut! chut! autour d’un secret qui est, en
somme, celui de Polichinelle.

Mais son bel habit est enfin brodé; et la réception officielle fut un
triomphe pour le mari et... pour la femme. La duchesse est aux anges, et
son écriture n’en est que plus illisible.

                                       Fontainebleau, 20 octobre 1769.

«... M. d’Aiguillon est tout à fait en possession de la compagnie de
chevau-légers. Il a été reçu mercredi. Voici comment cela s’est passé.

La troupe a monté à cheval à 10 heures, ayant à leur tête les officiers
de service actuel. Deux de ceux qui n’en sont pas sont venus prendre M.
d’Aiguillon et sont montés à cheval avec lui pour rejoindre les autres.
Le roi est venu à 11 heures à cheval. M. d’Aiguillon l’a suivi et s’est
rangé à côté de lui, en face de la troupe à qui le roi dit:

--Mes chevau-légers, je vous donne mon cousin le duc d’Aiguillon pour
capitaine-lieutenant; et je vous ordonne de lui obéir en ce qui concerne
mon service.

Ensuite, en partant, le roi lui a fait un geste de la main rempli de
bonté. Les maréchaux de Soubise et de Richelieu se sont avancés et ont
reçu son serment: après quoi, il s’est mis à la tête de la troupe et l’a
emmenée au pas. Il leur a donné à dîner. En tout ils étaient 80.

J’ai été les voir, quand ils sont sortis de table, et leur ai dit toutes
les gentillesses dont j’ai pu m’aviser: je me suis rappelé toute ma
coquetterie des États... Ils m’ont ramenée chez moi et j’ai traversé
toutes les rues à leur tête, ce qui faisait un beau cortège. Voilà une
description exacte...»

En tout cas, elle ne manque pas d’un certain brio, qui était bien dans
le caractère ferme et décidé de la duchesse; mais nous ne voyons pas que
le beau régiment ait donné, avec la fougue brillante qui lui était
familière, le temps de galop traditionnel en pareil cas. Le duc «l’a
emmenée au pas». Un court billet de la duchesse nous révèle le secret de
cette paisible allure.

«M. d’Aiguillon est encore à Fontainebleau. Il en revient mardi,
escortant le Roi à la tête des chevau-légers. Il prendra Sa Majesté à la
Cour de France et la conduira jusqu’à Choisy: la course est un peu
forte, _n’étant pas habitué d’être à cheval_. Aussi j’ai de l’impatience
qu’elle soit finie. Il donne, en attendant le roi, une _halte_ aux
troupes qui sont d’autant plus sensibles à cette attention, qu’ils ne
sont pas gâtés sur cet article, M. de Chaulnes (son prédécesseur qui
venait de mourir) ne leur ayant jamais donné un verre d’eau[137].»

Belleval rend compte, lui aussi, dans ses _Souvenirs_, de la cérémonie
d’investiture, mais en termes techniques et surtout plus concis. Par
exemple, il nous en apprend ce que dut ignorer Balleroy de sa
correspondante, les préliminaires; et l’information est d’autant plus
vraie qu’il la tient de Mᵐᵉ d’Aiguillon elle-même[138]. Il était
constant que le roi avait promis à Choiseul les chevau-légers pour le
vicomte, son parent; et quand Mᵐᵉ Du Barry vint le harceler avec la
candidature de d’Aiguillon, il ne sut comment se dédire vis-à-vis d’un
ministre qui exerçait encore sur lui un si grand empire. Il opposa à sa
maîtresse sa parole:

--Tant mieux, répliqua Mᵐᵉ Du Barry; c’est une raison pour me
l’accorder. Ne faut-il pas punir Choiseul de ses méchancetés à mon
égard?

Le roi ne put réprimer un sourire.

--Allons, allons, dites à M. d’Aiguillon qu’il a ma parole.

C’était Mᵐᵉ Du Barry qui avait rapporté la conversation à la duchesse.
Et Belleval, en la consignant pieusement dans son journal, de l’appuyer
de cette conclusion doucement ironique: «Ce qui prouve que les paroles
des rois ne sont pas toujours des paroles d’évangile».

Au reste, n’ayant qu’à se louer de la bonhomie bienveillante de son
commandant, alors qu’il voyait en Choiseul un grand seigneur si hautain
et si sec, Belleval glisse légèrement sur la nature des relations qui
s’étaient établies entre d’Aiguillon et la Du Barry. Il les tient plutôt
pour deux alliés devenus deux amis. Et si la comtesse se rend aussi
fréquemment chez la duchesse, c’est en raison du sentiment très vif que
celle-ci lui inspire, du fait même de son accord avec le duc.

Mᵐᵉ d’Aiguillon n’est pas moins discrète. A peine cite-t-elle une ou
deux fois, et incidemment, le nom de Mᵐᵉ Du Barry dans ses lettres à
Balleroy. Nous aurons l’occasion de reparler de son attitude à la Cour
devant la favorite, attitude qu’on sent commandée par le mari, mais qui
n’était pas dépourvue d’une certaine gratitude affectueuse. Si
d’Aiguillon était monté jusqu’au faîte des grandeurs, c’était bien à Mᵐᵉ
Du Barry qu’il le devait.

Et il a fallu que cette femme, en dépit de l’obscurité de sa naissance,
de l’indignité de ses débuts et du laisser-aller de sa vie à la Cour,
eût encore des qualités de charme et de bonté exceptionnelles, pour que
les libellistes qui la traînèrent si volontiers dans la boue, en aient
éprouvé quelque remords: car leurs pamphlets ignominieux rapportent des
faits qui sont tout à la louange de la favorite royale.

Bien avant M. Vatel, dont le livre restera classique, Belleval commença
la réhabilitation--quoique le mot soit un peu gros--de Mᵐᵉ Du Barry à
laquelle il avait voué un culte, qui fut presque de l’adoration, dans
des circonstances qu’il n’est pas inutile de faire connaître.

Un de ses camarades, nommé Carpentier, pris d’un subit accès de folie,
avait déserté avec armes et bagages. Il avait été bientôt arrêté, jugé
et condamné; il devait, dans les vingt-quatre heures, avoir «la tête
cassée», comme on disait alors. Carpentier était très aimé du régiment;
ses camarades s’émurent et Belleval, qu’on savait au mieux avec
d’Aiguillon, «courut» à son hôtel lui demander la grâce du déserteur.

--Ce n’est pas par moi, lui répondit le duc, que vous l’obtiendrez du
roi, mais par Mᵐᵉ Du Barry. Revenez tantôt avec votre supplique et je
vous mènerai chez elle.

A l’heure indiquée, Belleval, en grand uniforme, est reçu par
d’Aiguillon qui l’attendait et l’introduit chez la favorite, «comme un
homme devant qui les portes sont toujours ouvertes».

Quand Belleval pénétra dans le sanctuaire, ce fut pour lui un
éblouissement.

«Elle était, dit-il, nonchalamment assise, plutôt même couchée dans un
grand fauteuil et avait une robe fond blanc, à guirlande de roses que je
vois encore. Mᵐᵉ Du Barry était une des plus jolies femmes de la Cour...
et certainement la plus séduisante par la perfection de toute sa
personne. Ses cheveux qu’elle portait souvent sans poudre étaient du
plus beau blond. Ses yeux bleus, bien ouverts, avaient un regard
caressant et franc qui s’attachait sur celui à qui elle parlait et
semblait suivre sur son visage l’effet de sa parole. Elle avait le nez
mignon, une bouche petite et une peau d’une blancheur de la santé.

«Enfin on était bientôt sous le charme et c’est ce qui m’arriva si fort
que j’en oubliai presque ma supplique dans le ravissement où j’étais de
la contempler. J’avais vingt-cinq ans alors. Elle s’aperçut bien de mon
trouble que d’ailleurs le duc d’Aiguillon lui fit remarquer avec
beaucoup de finesse et en lui tournant un compliment comme il savait les
faire.»

Belleval se ressaisit et présenta sa requête avec une éloquence si
pressante, eu égard au peu de temps dont il disposait, que Mᵐᵉ Du Barry
lui promit de parler immédiatement au roi, lui laissant espérer la grâce
de son protégé.

--Monsieur le duc, ajouta-t-elle, sait bien que ses amis sont aussi les
miens et je le remercie de ne pas l’oublier.

Puis, après quelques questions obligeantes sur la famille de Belleval et
ses états de service, elle congédia les deux auditeurs en disant au
jeune officier qu’il «aurait bientôt de ses nouvelles».

«Elle tendit la main au duc d’Aiguillon qui la baisa en lui disant:

--C’est pour le capitaine-lieutenant. N’y aura-t-il rien pour la
compagnie?

Ce qui la fit rire et me valut la même faveur qu’au duc.»

Naturellement le _déserteur_ fut gracié[139].

Comment s’étonner si, après une telle audience, Belleval devint un
adorateur passionné de cette Déesse... des petits Appartements!



VIII

     _Le Conseil accorde à d’Aiguillon l’évocation de son procès de
     Rennes devant le parlement de Paris.--Appui prêté par Mᵐᵉ Du Barry,
     malgré la résistance de Louis XV.--Le mémoire justificatif de
     Linguet; un collaborateur masqué; récompense de Marmontel.--La
     procédure du parlement de Paris.--Trêve
     matrimoniale.--Incidents.--Reprise des séances: récit de Mᵐᵉ
     d’Aiguillon.--Le roi arrête le procès.--La vengeance du
     parlement.--D’Aiguillon entaché._


Les _Mémoires secrets_ publiaient, à la date du 12 mars 1770[140], comme
information, qu’on venait d’imprimer furtivement «la procédure de
Bretagne, ou procès extraordinairement instruit et jugé, au sujet
d’assemblées illicites, discours injurieux, subornation de témoins,
complots de poison et incident de calomnies, précédé d’un discours
préliminaire, où le duc d’Aiguillon est représenté comme l’ennemi
implacable, l’instigateur et presque le bourreau de six exilés, un sujet
indigne de la confiance de son prince, un chef de conjurés, un suborneur
de témoins, le fauteur d’un projet d’empoisonnement, le complice et
peut-être même le premier auteur de ces crimes».

Autant déclarer avec le fabuliste que la mort était seule capable
d’expier de tels forfaits.

Choiseul n’allait pas jusque-là; car, si, dans les _Mémoires_ qui
parurent sous son nom, en 1790[141], il dit, à propos de cette instance
judiciaire: «J’ai cru que M. d’Aiguillon était déshonoré et je le
regarde encore comme tel», il ajoute, par manière de correctif: «mais je
n’ai jamais cru qu’on pût le faire pendre». Il plaide même, avec une
sorte de pitié dédaigneuse, les circonstances atténuantes en faveur d’un
adversaire qui, victime d’un atavisme vaguement défini, n’est peut-être
pas entièrement responsable de son indignité: «Il avait porté dans son
commandement le caractère malheureux de despotisme, de basse vengeance
et même de cruauté _avec lequel il était né_.» Mais Choiseul ne
l’était-il pas, lui aussi, responsable de ces prétendus excès de
pouvoir, pour en avoir si longtemps maintenu l’auteur dans son
commandement?

La situation devenait donc, sinon menaçante, du moins irritante pour
d’Aiguillon. Maupeou, par politique, beaucoup plus que par sympathie
pour le rival de Choiseul, estima que le procès devait être évoqué
devant le parlement de Paris; et, comme Maupeou, d’Aiguillon demanda et
obtint du roi, le 24 mars, cette juridiction qui était celle de ses
pairs[142].

Ce n’était pas sans peine que le Conseil s’était arrêté à cette
solution. D’abord le parlement de Rennes, à qui Louis XV avait
énergiquement refusé le rappel des La Chalotais, n’entendait pas qu’on
lui infligeât encore une nouvelle déception, en lui retirant le procès
de M. d’Aiguillon, cette proie sur laquelle il s’était rejeté avec
délices. Jusqu’au 17 mars, il s’obstinait à ne point s’en dessaisir,
sachant de reste que nombre de parlementaires parisiens étaient de cœur
avec lui[143].

D’Aiguillon, lui, ne pouvait oublier qu’à deux reprises différentes, en
1767 et 1769, il avait supplié le roi de lui laisser porter devant ses
pairs une plainte en règle contre ses accusateurs, et que chaque fois le
Conseil lui avait répondu par une fin de non-recevoir. Mais,
aujourd’hui, en présence de ces histoires de brigands auxquelles
semblait croire le duc de Choiseul, il ne pouvait point ne pas rompre ce
silence, que le roi, dans son horreur de tout bruit, avait si souvent
exigé de la longanimité de son représentant. Le maréchal de Richelieu et
la comtesse de Forcalquier--une amie bien chère[144]--appuyaient les
revendications de l’ancien commandant de Bretagne:

--Il lui faut, disaient-ils, une justification triomphante.

Dans le principe, Maupeou avait longtemps hésité: il savait le secret
des répugnances royales; et ce «Pantalon au regard faux et perfide»,
comme l’appelait Sénac de Meilhan, mais déjà tacticien consommé, se
demandait peut-être l’avantage qu’il pouvait tirer du salut ou de la
perte d’un homme que protégeait si visiblement la sultane favorite.

Ne lui avait-elle pas déjà donné une preuve indéniable de sa
bienveillance, alors qu’il négociait l’achat des chevau-légers[145]?
D’Aiguillon sut l’amener à lui en ménager une nouvelle, à cette heure
décisive pour sa fortune. Richelieu, adroit et complaisant, obtint de
Mᵐᵉ Du Barry des entrevues, où, sous prétexte de l’intéresser à un
procès, qu’au dire des contemporains elle eut toujours beaucoup de mal à
comprendre, d’Aiguillon continua sur elle ce travail d’emprise qui
devait le conduire au pouvoir. «Doucement tendre, peu à peu, il s’empara
d’elle. Sa mère, la vieille duchesse, «au regard fol», plaida aussi la
cause de son fils, avec une éloquence passionnée» qui parvint à
convaincre la comtesse[146].

Tant d’influences, et de si diverses natures, finirent par l’emporter.
Maupeou et les autres ministres opinèrent en faveur de d’Aiguillon.

--Vous le voulez, dit Louis XV, qui fit un dernier semblant de
résistance, au Conseil du 24 mars; vous verrez ce qui arrivera.

Maupeou le pressentait peut-être.

Toujours est-il que des lettres patentes ordonnèrent au parlement de
Rennes de passer les procédures à celui de Paris, qui fut convoqué, à
Versailles, où devait s’ouvrir, le 4 avril, ce procès célèbre, prélude
d’un plus célèbre encore.

La première séance fut solennelle et magnifique: nos pères aimaient
l’apparat judiciaire. Le 7 avril, le procureur général concluait--et
l’assemblée adopta cette solution--à l’annulation des procédures de
Bretagne. Tout était à recommencer; informations, réassignations et
auditions de témoins; et du 16 avril au 7 mai, ce fut une série
interminable de dépositions--entre autres, celles d’Hévin et de
Cornulier de Lucinière--rebrassant, avec quelle animosité, les
accusations d’assassinat, des crimes les plus vils et les plus odieux,
qui mettaient infailliblement d’Aiguillon au ban de la société.
L’émotion fut intense. Maupeou se rappela le mot du roi: car ce n’était
pas seulement le procès d’un agent de l’autorité, mais celui de cette
même autorité qui s’instruisait en public.

«Le gouvernement, écrit Linguet, à titre d’avocat-conseil, était donc
forcé d’arrêter cette explosion formidable.»

D’Aiguillon avait, en effet, choisi pour rédiger les mémoires
justificatifs qu’il voulait présenter au parlement, cet homme, dont la
personnalité stimulait déjà singulièrement la curiosité publique. Assez
froidement accueilli, lors de ses débuts, par d’Alembert qui s’était
défendu d’appuyer sa candidature à l’Académie, Linguet avait juré une
haine éternelle aux Encyclopédistes. Il avait fait une active campagne
contre leurs idées philosophiques et leurs doctrines d’économie
politique, dans des livres où il avait donné libre cours à la fougue de
sa polémique outrancière qu’avivait encore l’âpreté d’un esprit
naturellement paradoxal et sarcastique. Puis, estimant sans doute que
ses contemporains ne lui décernaient pas assez de couronnes, il se fit
inscrire au barreau, où son plaidoyer en faveur du chevalier de la
Barre--cher pourtant aux philosophes--avait trouvé, à juste titre,
nombre d’approbateurs, quand d’Aiguillon lui confia sa défense.

S’il faut en croire un passage fort intéressant des _Mémoires_[147] de
Marmontel, le duc ne fut que médiocrement satisfait du travail de
Linguet; il en déplorait le ton déclamatoire et le verbiage ampoulé.
C’étaient ses propres expressions qu’un certain Garville, «honnête
homme» et grand ami de la Clairon, citait à Marmontel, chez Mᵐᵉ
Geoffrin.

--J’ai appris, disait-il, à connaître M. d’Aiguillon au cours de mes
voyages en Bretagne et je suis convaincu que le procès qui lui est
intenté est tout simplement «une affaire de parti et d’intrigue.
Malheureusement il n’a pu trouver pour avocat qu’un enfant perdu»,
Linguet, «de qui le talent n’est pas encore formé».

C’était le duc d’Aiguillon qui parlait, en ces termes, à Garville de son
défenseur et du mémoire qui l’avait si fort mécontenté.

--Mais, lui répliquait son interlocuteur, «voyez un homme de lettres...»

--Ils sont tous contre moi, interrompait le duc.

C’est alors, dit Garville, en s’adressant à Marmontel, que je «vous ai
nommé comme un ennemi-né de l’injustice et du mensonge».

Aussitôt le duc d’embrasser Garville: «Vous me rendrez le plus grand des
services, si vous engagez M. Marmontel à travailler à mon mémoire».

L’invite était formelle et pressante; et peut-être bien la rencontre de
«l’homme de lettres» avec le confident de M. d’Aiguillon n’était-elle
pas aussi fortuite que semble vouloir le dire le narrateur.

En tout cas, Marmontel déclare solennellement:

«--Ma plume ne se refuse pas à servir une bonne cause. Je veux connaître
celle du duc d’Aiguillon pour savoir si je dois travailler pour lui:
qu’il me confie ses papiers. Je m’emploierais de même à servir la cause
de l’homme du peuple (toujours l’humanitarisme vrai ou faux du XVIIIᵉ
siècle!). Je ne mets à mon acquiescement que deux conditions, que le
secret me sera gardé et qu’il ne sera jamais question de lui à moi de
remercîments ou de reconnaissance; je ne veux même pas le voir.»

Le petit couplet en l’honneur de la fierté et de l’indépendance du
lettré serait le plus joli du monde, s’il n’avait reçu, et même dans
cette occurrence, de forts accrocs, hélas! trop humiliants pour le
siècle de la philosophie.

Donc, dès le lendemain, Garville apporte les papiers. Marmontel y
découvre la preuve que «le procès n’est qu’une persécution suscitée par
des animosités personnelles». Il prend alors le mémoire de Linguet, le
«refond, y met de l’ordre et de la clarté, en élague les métaphores
incohérentes», complète enfin le travail d’un «nouvel exorde (celui de
Linguet était trop impertinent) et d’une conclusion également nouvelle,
la première n’étant pas suffisamment serrée».

D’Aiguillon, enchanté, «fait venir Linguet et le prie d’adopter les
changements» qu’il a introduits dans le mémoire.

Linguet jette feu et flamme: «C’est, dit-il, un homme de l’art qui a mis
la main à mon ouvrage: vous voulez me déshonorer, car je n’entends être
l’écolier de personne. Cherchez un avocat qui veuille être le vôtre: ce
n’est plus moi.»

D’Aiguillon, le personnage si hautain et si vaniteux, se voit obligé de
subir ces rebuffades, «puisqu’il ne pouvait trouver d’autre avocat». Il
finit donc par apaiser Linguet, qui reprend son mémoire pour y mettre la
dernière main. Il refait l’exorde et la conclusion, mais il conserve
l’ordre suivi par Marmontel et ne rétablit pas les bizarreries de style
biffées par le correcteur.

Nous avons cru qu’il ne serait pas indifférent au lecteur de connaître
le dénouement de cet épisode de la vie littéraire au XVIIIᵉ siècle.

Linguet, écrit Marmontel, parvint à savoir le nom du confrère qui avait
ainsi rhabillé sa prose: il fut dès lors «son plus cruel ennemi».

Quant à Marmontel qui, si l’histoire est exacte, serait le premier
apôtre de la réhabilitation du commandant de Bretagne, il ne tarda pas,
de son propre aveu, à rabattre quelque peu de son attitude républicaine
vis-à-vis le duc d’Aiguillon. L’obligeant Garville redoubla si fort ses
instances qu’il décida Marmontel à venir dîner chez son client de
circonstance; et celui-ci, quelque temps après, lui adressait, _manu
propria_, ce succulent poulet:

«Je viens, monsieur, de demander pour vous au roi la place
d’historiographe de France, vacante par la mort de M. Duclos. Sa Majesté
vous l’a accordée. Je m’empresse de vous l’annoncer. Venez remercier le
roi.»

       *       *       *       *       *

Quoi qu’il en soit, le «secret» exigé par Marmontel fut bien «gardé»;
car les malicieux rédacteurs des _Mémoires_ dits de Bachaumont, toujours
à l’affût des échos scandaleux, ne soufflent mot de ce passage à la
teinture de l’œuvre de Linguet. Lorsqu’ils signalent l’apparition de
celle-ci dans leur article du 21 juin 1770, ils démontrent, quoique
plutôt hostiles à l’ancien commandant de Bretagne, avec quelle habileté
l’avocat avait fait valoir la cause de son client. D’après Linguet, le
duc avait su concilier les exigences de l’Etat avec les intérêts de la
province, à tel point que ses ennemis eux-mêmes n’avaient osé lui
refuser leurs éloges; mais le défenseur n’avait pu «dissimuler que, dans
la septième tenue des États, en 1768, le duc d’Aiguillon n’eut pas le
même succès et que, le trouble parvenu à son comble, il crut devoir, par
une retraite prudente, prévenir un plus grand et plus long désordre».

C’était alors la conviction qu’avait l’avocat[148] ou qu’il prétendait
avoir. Car, depuis, quand il fut en contestation avec le duc pour le
chiffre de ses honoraires, il s’infligea à lui-même le plus sanglant
démenti dans des invectives restées classiques: palinodie écœurante, que
constate, non sans une joie maligne, dans ses _Souvenirs_, Brissot de
Warville, et qu’y vient confirmer une anecdote des plus piquantes. Le
futur conventionnel avouait, en effet, que d’Aiguillon «défendu par les
mémoires de Linguet ne lui semblait pas coupable» et il les appelle, ces
«mémoires», un «monument éternel de honte et d’infamie». A Mᵐᵉ Lem qui
les lui avait reprochés, Linguet n’avait-il pas eu le cynisme de
déclarer:

«--Pourquoi les États de Bretagne ne se sont-ils pas adressés à moi? Je
les aurais défendus![149]»

Le parlement de Paris avait pris en main leur cause, de façon si
ostensible, et dans un esprit de malveillance si prononcé contre
d’Aiguillon, que, le 8 mai, le chancelier enjoignait, de l’ordre du roi,
au premier président d’apporter la grosse de l’information, close la
veille. Le 9, le parlement obéissait, mais avec cette raideur dont il
était coutumier: il usait de son arme familière,--les remontrances--pour
déclarer solennellement que «l’honneur ne se rétablit pas par voie
d’autorité» et qu’«interrompre la procédure serait porter préjudice à
l’accusé, au bien de la justice et au service du roi».

Une trève de courte durée interrompit ces premières hostilités.

Louis XV mariait le Dauphin, son petit-fils, avec l’archiduchesse
d’Autriche, Marie-Antoinette, fille de l’impératrice-reine
Marie-Thérèse. Dans les fêtes mêmes qui marquèrent cette nouvelle
alliance entre deux maisons si longtemps rivales, les ennemis de
d’Aiguillon trouvèrent amplement matière à exercer leur malignité contre
l’ancien commandant de Bretagne. Ils se montraient dans les allées,
brillamment illuminées, du parc de Versailles, alors que Choiseul
donnait le bras à la princesse de Beauvau[150], d’Aiguillon offrant
gracieusement le sien à l’ancienne maîtresse du Roué. Et qui sait?
peut-être signalèrent-ils le couple odieux, par une allusion perfide, à
l’adolescente, qui, devenue femme et plus tard reine de France, devait
envelopper dans la même exécration le favori et la favorite de Louis XV.
Car, si chastement que l’eût élevée sa mère, la future Dauphine ne
pouvait ignorer en quel milieu les exigences de la diplomatie
l’appelaient à vivre. Mais, Marie-Thérèse, qui avait un sens politique
si développé, lui avait recommandé une extrême prudence, la meilleure
forme de déférence que la jeune épousée dût observer envers un roi et un
vieillard.

S’il faut en croire les _Anecdotes de la comtesse Du Barry_[151] qui
parfois sont bien informées, des émissaires de M. de Choiseul auraient
tenté de dissuader la maîtresse du roi d’assister à l’«entrée» de la
Dauphine; ces officieux l’engageaient même à prétexter une saison à
Barèges, pour éviter une rencontre qui pourrait désobliger la jeune
princesse.

--Ah! madame, lui dit Richelieu, ignorez-vous les dangers de l’absence?

Et d’Aiguillon d’appuyer fortement l’argumentation de son cousin.

«Ils avaient raison, conclut le rédacteur des _Anecdotes_; car la chose
se passa fort bien.»

En apparence peut-être, mais nous ne serions pas autrement surpris si
les intrigues de cour, toujours souterraines et mystérieuses, n’avaient
agi dans le sens que nous indiquions plus haut.

       *       *       *       *       *

Les fêtes officielles du mariage étaient à peine terminées que le
parlement, impatient de reprendre la piste, faisait prier le roi, le 26
mai, de lui donner son jour pour prononcer sur deux requêtes qu’il avait
reçues, l’une de d’Aiguillon, l’autre de la Chalotais qui se portait
partie civile.

--Je répondrai, dit Louis XV, quand j’aurai la grosse de la seconde
information.

Le parlement s’ajourne au 19 juin, mais avec le vague pressentiment que
se préparait un coup de force, d’ailleurs proposé au Conseil par
Maupeou.

Le 19, les gens du roi viennent annoncer que le prince «parlerait» le
27. Louis XV ne «parla» que le 28.

Ici nous laisserons «parler» aussi Mᵐᵉ d’Aiguillon: car elle a très
véridiquement retracé la physionomie de la journée. Dès le lendemain, le
29, elle écrit au chevalier; elle est encore sous l’impression de
l’événement; et l’émotion qu’elle en éprouve n’altère ni la fermeté de
son esprit, ni la souplesse de sa belle humeur. Elle montre combien,
dans ces heures critiques, elle reste à la hauteur de son devoir,
multipliant ses bons offices auprès de son mari et prêchant d’exemple,
par son attitude énergique, mais enjouée, à cet homme que semble effarer
la nécessité de prendre une décision.

Elle dit tout d’abord à son confident combien elle est «affairée,
quoique n’ayant rien à faire» et s’excuse d’être en retard avec lui: ne
s’est-elle pas «persuadée que qui n’écrit pas de mémoires, ne doit pas
écrire?»

Mais, par contre, ce qu’elle en lit! «Tout autre genre de littérature
est banni de chez moi: le code et le code criminel, voilà les livres que
l’on trouve dans mon boudoir et sur ma toilette.» Aussi dans quelle
solitude vit-elle! «Depuis votre départ, je n’ai vu qui que ce soit le
soir: je reste seule jusqu’à dix heures, dix heures et demie que M.
d’Aiguillon revient et cause avec moi jusqu’à près de minuit.» Comme son
mari rentre très fatigué--elle n’ose dire très déprimé--elle s’efforce
de le distraire: elle court toute la journée «pour attraper quelques
nouvelles ou quelques histoires qui puissent l’amuser un moment[152]».

Mais, sous ce badinage de surface, sa perspicacité reste toujours en
éveil et son raisonnement immuable: «Ce qui peut nous arriver de mieux
serait d’être jugé.»

Malheureusement «le ministère n’a pas pensé de même» ajoute-t-elle sans
commentaires. Et elle résume, à l’intention de son correspondant, les
divers épisodes du «lit de justice» qui s’est tenu la veille, «pour
faire enregistrer les lettres patentes par lesquelles le roi arrête la
procédure et défend de la continuer». Là-dessus, «le chancelier a fait
un beau discours» (la pointe d’ironie est à peine sensible) pour
expliquer la pensée du prince. «Le roi, dit-il, qui n’avait pas permis à
M. d’Aiguillon, l’an passé, malgré ses instances, de rendre publiques
les requêtes qu’il lui avait présentées, a voulu, cette année, savoir
quelles étaient les accusations. Il a permis, en conséquence, que les
instructions se fissent avec le plus grand appareil judiciaire. Mais,
très surpris de voir que quelques témoins avaient parlé de choses
étrangères au sujet et compromis ainsi l’administration, il défendait la
suite de cette affaire et ordonnait le silence le plus absolu.»

Ici se place un incident assez piquant:

«Comme, au moment de l’enregistrement, le duc d’Orléans avait paru y
mettre quelque obstacle, le roi lui a dit qu’il lui permettait ainsi
qu’aux autres pairs d’aller au Palais, mais qu’il lui ordonnait, au cas
où l’on parlerait de cette affaire, de lever le siège et de sortir.»

Une consolation restait à la duchesse, c’est que «dans les lettres
patentes, le roi disait qu’il n’avait jamais vu dans la conduite de M.
d’Aiguillon que le plus grand zèle pour son service et pour le bien de
l’État[153]».

Pas plus qu’elle, aucun des amis, ni même des ennemis de M. d’Aiguillon
n’avait été dupe de cette solution inattendue. En vain, Louis XV
avait-il justifié publiquement le représentant de sa politique; en vain,
pour lui donner une preuve nouvelle de sa confiance, l’avait-il emmené
souper avec lui à Marly. Le duc n’en était pas moins victime d’un déni
de justice. Et son entourage en exprimait très haut son mécontentement;
Mᵐᵉ Du Deffand le note dans ses lettres. Le chevalier d’Abrieu,
secrétaire intime de d’Aiguillon, de Laigle, le vicomte de Barrin,
Becdelièvre, Tinténiac et combien d’autres déplorent un tel
dénouement[154]. De la Guerre en écrit à la duchesse. Tous stigmatisent
la perfidie de Maupeou qui a voulu faire coup double, et contre
d’Aiguillon, et contre le parlement.

Voltaire, lui-même, écrit que le duc d’Aiguillon fut victime d’une
persécution publique et acharnée presque semblable à celle dont mourut
Lally. Avait-il oublié par hasard la _galéjade_ que lui avait inspirée
le cure-dent de la Chalotais? Ou ne vaut-il pas mieux croire qu’il
obéissait au premier élan de son cœur qui le portait d’instinct vers
les victimes de l’injustice et de la calomnie? Et puis l’affection, un
peu aveugle, qu’il avait toujours vouée à Richelieu, ne pouvait-elle
rejaillir sur un des plus proches parents de son héros?

Pour nous, autrement précise est l’opinion de Condorcet, quand il écrit
à Turgot, le 29 juin, le même jour que la duchesse à Balleroy: «S’il est
vrai que le parlement de Rennes l’ait (le duc d’Aiguillon) calomnié en
1764 et n’ait cessé de le faire calomnier depuis, j’avoue que la haine
parlementaire est aussi cruelle que le despotisme ministériel[155].»

Cette «haine parlementaire» allait singulièrement justifier
l’appréciation, presque prophétique, de Condorcet.

La duchesse, dans sa lettre à Balleroy, qui dut partir fort tard le 29
juin, disait que le jour même, le parlement avait tenu une très longue
séance de onze heures du matin à neuf heures et demie du soir. Le
résultat en était resté indécis et confus: «Vingt avis s’étaient ouverts
plus biscornus les uns que les autres et plus impertinents envers le
roi.» De guerre lasse, on s’était ajourné au lendemain. Mais la duchesse
prenait facilement son parti d’orages qu’elle avait vus tant de fois
au-dessus de sa tête: «C’est l’affaire du roi, écrit-elle, ce n’est plus
la nôtre... Nous allons partir bientôt pour Véret.»

Pouvait-elle prévoir le coup de tonnerre qui allait si brusquement
retentir par tout le royaume?

Le 2 juillet, le parlement assemblé sans les princes et les pairs qui
s’étaient, sur les ordres de Louis XV, abstenus de siéger, rédigeait
les remontrances et l’arrêt, dont il devait être, dans un avenir
prochain, le mauvais marchand.

Il s’élevait contre l’abus de pouvoir qui interrompait le cours de la
justice, violait les formes les plus précises et garantissait l’impunité
aux gouverneurs de province; il retenait ces dépositions qu’avait
frappées de suspicion le gouvernement et, sans débats, sans même que
l’accusé eût été entendu, il fulminait cet arrêt célèbre qui entachait
d’Aiguillon et l’excluait des fonctions de la pairie; «ces lettres
patentes à lui données par le roi, étaient des lettres d’abolition».

On eût dit que l’auteur de la _Lettre d’un gentilhomme breton_, le plus
vigoureux des pamphlets dirigés contre le commandant de Bretagne, avait
eu comme le pressentiment de cet arrêt inique et l’avait frappé, par
anticipation, de flétrissure, quand il déclarait que retenir les La
Chalotais en exil, après les avoir pour ainsi dire réhabilités, était un
déni de justice: «Les commencements de preuves, déclarait le
pamphlétaire anonyme, ne sont pas des preuves».

Cet aphorisme, bien qu’émané d’un adversaire, se retournait contre
l’arrêt du parlement; car c’était également un déni de justice que
d’avoir noté d’infamie le duc d’Aiguillon, en violant, avec une telle
désinvolture, les lois de la raison et de l’équité[156].

Mais, dans ces affaires de Bretagne, les illégalités ne se comptaient
déjà plus.



IX

     _Riposte de Maupeou: cassation de l’arrêté.--Pluie de couplets et
     d’anecdotes satiriques.--Avanies prodiguées à Mᵐᵉ Du
     Barry.--Insolences et mécomptes des parlementaires bretons d’après
     Mᵐᵉ d’Aiguillon.--La journée du 3 septembre.--Louis XV revient aux
     traditions de son bisaïeul.--Le sac du roi et le char de la
     blanchisseuse de d’Aiguillon.--Indulgence et pitié.--Le Parlement
     de Paris courbe la tête.--Mᵐᵉ d’Aiguillon et ses «chers Bretons»._


L’arme qui blessait d’Aiguillon atteignait du même coup la royauté.
Maupeou, tout satisfait qu’il dût être de la flétrissure du
fonctionnaire, ne pouvait cependant admettre qu’elle s’étendît jusqu’au
prince. Aussi envoyait-il à Saint-Hubert, pavillon de chasse où
séjournait volontiers Louis XV, l’arrêté du parlement avec un projet de
cassation que signa le roi et que le chancelier envoya immédiatement à
l’impression.

Cette riposte de Maupeou ne suffisait pas à laver d’Aiguillon de la
honte qu’il avait subie et que n’avait su lui éviter Mᵐᵉ Du Barry, si
bien préparée pourtant à ce rôle de sauveteur. La malignité des
libellistes en prenait texte pour cribler d’épigrammes la protectrice et
le protégé. Un couplet de vaudeville, écrit «sur l’air du _Déserteur_»
fait dire au duc:

    Oublions jusqu’à la trace
    De mon procès suspendu.
    Avec des lettres de grâce
    On ne peut être pendu.

    Je triomphe de l’envie,
    Je jouis de la faveur.
    Grâces aux soins d’une amie,
    J’en suis quitte pour l’honneur[157].

Le duc de Brissac prétendait que d’Aiguillon «avait sauvé sa tête, mais
qu’on lui avait tordu le col». Et Maurepas qui ne laissait jamais
échapper l’occasion de placer un mot, fût-ce aux dépens d’un parent ou
d’un ami, ajoutait: «Je crains bien que de tout ceci, il ne reste à mon
neveu que le jaune[158].» On sait que d’Aiguillon avait le teint
safrané.

Louis XV le voyait d’une autre couleur.

«--Comme il est pâle! disait-il, à son petit lever, en l’apercevant de
loin.

--Votre Majesté juge toujours les gens bien favorablement, répliqua le
duc d’Ayen: tout le monde le voit bien noir[159].»

Un mauvais plaisant eut, paraît-il, l’audace d’envoyer à d’Aiguillon un
dégraisseur auquel il persuada que le duc était très sourd et qui lui
cria en présence d’une brillante assemblée: «On m’a dit que vous me
demandiez pour laver les taches qui sont sur votre cordon bleu[160]».

Des faits autrement graves que le colportage de couplets ou d’anecdotes
satiriques ne pouvaient échapper à l’observation du principal intéressé.
La future reine de France, qui n’avait pas encore atteint sa quinzième
année, était manifestement prévenue contre Mᵐᵉ Du Barry: il ne manquait
pas de bonnes volontés pour remplir cet office, ne fût-ce que celle de
M. de Choiseul, d’autant mieux écouté de la Dauphine, que la fille de
Marie-Thérèse devait son mariage à ce partisan résolu de l’alliance
autrichienne. Aussi, dès le 9 juillet, donnait-elle à sa mère cette
impression de la Du Barry, qu’«elle était la plus sotte et la plus
impertinente créature qui fût imaginable». Marie-Antoinette s’était
trouvée à côté d’elle au jeu du roi: «elle lui avait cependant parlé
quand il le fallait[161]».

De leur côté, les ennemis de d’Aiguillon entendaient profiter de leur
victoire. L’arrêt du Parlement était à peine rendu, qu’ils le
répandaient dans tout Paris par des colporteurs, que pourchassait
vainement d’Hémery, l’inspecteur de police, chargé de la surveillance de
la librairie[162]. La rumeur publique voulait que la duchesse de
Gramont[163], sœur de Choiseul, traversant la Provence et le Languedoc
pour aller à Barèges, eût tenté de soulever les Parlements de ces deux
provinces contre la décision du conseil suspendant le procès de
d’Aiguillon. Et le maréchal de Richelieu avait eu à cet égard une
explication des plus vives avec le duc de Choiseul.

L’ambassadeur d’Autriche en France, Mercy-Argenteau, relate l’anecdote à
Marie-Thérèse, puis lui en raconte une autre, démontrant de reste
comment d’habiles courtisans savaient développer chez Marie-Antoinette
une antipathie qui trouvait là un terrain si propice et qui devait
bientôt rejaillir de Mᵐᵉ Du Barry sur d’Aiguillon. La dauphine avait vu,
non sans déplaisir, qu’on entraînait son mari dans les soupers du
pavillon de l’Hermitage, où le roi, revenant de la chasse, se
rencontrait avec sa maîtresse. Or, Mᵐᵉ de Noailles, dame d’honneur de
Marie-Antoinette, avait conseillé à la jeune princesse d’y accompagner
par politique le dauphin. Choiseul, qu’avait consulté la dauphine, avait
estimé que la place de Marie-Antoinette n’était pas aux soupers de
l’Hermitage, qu’elle «ne devait pas le demander», mais que «si le roi le
lui proposait, elle devait s’y prêter avec une apparence de
plaisir[164]».

Des avanies, visant plus directement la favorite, et de ce fait
autrement outrageantes, ne lui étaient pas épargnées par l’entourage et
surtout par la famille de Choiseul. La duchesse de Gramont, beauté
arrogante et superbe, qui avait convoité la succession de Mᵐᵉ de
Pompadour auprès de Louis XV, se faisait remarquer plus particulièrement
par son insolence envers Mᵐᵉ Du Barry. Si, certain jour, à Choisy, les
dames de la cour s’étaient refusées à laisser la maîtresse du roi
prendre place au milieu d’elles, c’est que la duchesse de Gramont était
une des instigatrices les plus actives de ce complot féminin. Sa
parente, la comtesse, n’était pas une des ennemies les moins acharnées
de Mᵐᵉ Du Barry; et les propos injurieux dont elle l’avait accablée lui
avaient valu un exil à quinze lieues de Paris[165].

Ce dut être surtout à cette heure critique, dans le courant de juillet
1770, que l’alliance se scella définitivement, sous les auspices du
chancelier, entre la femme si cruellement offensée par les affronts «des
Choiseul» et l’homme, au cœur débordant de rancune, que le Parlement
croyait avoir marqué d’une flétrissure indélébile.

D’Aiguillon n’était pas parti pour Veretz, comme l’avait écrit la
duchesse; mais il était toujours sur les chemins, suivant de près une
affaire qui touchait si fort à son honneur, alors que sa femme, fidèle
au programme qu’elle s’était précédemment tracé, restait à Paris pour
surveiller les intérêts de M. d’Aiguillon et pour lui apporter, dès son
retour, le réconfort d’un accueil toujours souriant.

Nous ne voyons pas, à moins que ses lettres ne se soient égarées,
qu’elle ait appris ni commenté à son correspondant l’arrêt qui avait
noté d’infamie le duc d’Aiguillon et provoqué, de ce fait, un tel
retentissement dans le pays.

La première lettre que nous retrouvions de sa main, depuis ce coup de
foudre, date du 23 août 1770 et ne parle que des affaires de Bretagne.
Il n’avait pas suffi au Parlement de Rennes de voir «entaché» l’ancien
commandant de la province; il avait voulu encore protester contre les
lettres patentes du 27 juin qui en avaient suspendu le procès; et rêvant
d’une de ces coalitions, qui étaient la négation même du pouvoir royal,
il avait invité les autres Parlements à se fédérer pour demander des
explications au souverain sur la punition infligée aux deux procureurs
généraux de Rennes.

La réplique ne s’était pas fait attendre. Dix-huit bretons avaient été
mandés à la Cour où ils devaient se rendre le 20 août[166]:

«Je ne veux pas, écrit Mᵐᵉ d’Aiguillon à Balleroy, sur un ton d’aimable
ironie, que vous appreniez par d’autres que par moi la détention de
votre cher cousin, M. de Lohéac[167]: l’intimité qui était entre vous
vous y rendra sûrement très sensible. Voici le fait: Vous avez vu toutes
les sottises de notre Sénat breton et surtout celle des 18 membres qui
se sont distingués, à la tête desquels étaient MM. de Lohéac et La Noue:
ce qui a déterminé le roi à en faire justice. On dit qu’ils ont été
menés au Château de Vincennes. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’ils ont été
arrêtés en sortant de chez le roi... Ces messieurs s’étaient présentés,
la veille, chez tous les ministres qui avaient refusé de les voir. Ils
ont voulu aller voir le _Grand Couvert_. L’huissier leur a dit de la
part du premier gentilhomme qu’ils eussent à se retirer. Vous voyez
qu’ils n’ont pas été tant fêtés. On croyait que cette nouvelle ferait
plus de bruit à Paris... et tout ce que le crédit du ministre qui les
protège (Choiseul) a pu faire, ce fut de suspendre leur peine...

«... Ces messieurs nous ont fait l’honneur de faire brûler notre
mémoire (celui de Linguet) par la main du bourreau. L’arrêt est lui-même
un mémoire. Si je peux en avoir, je vous l’enverrai: il vous paraîtra
aussi plat qu’il est long[168].»

Fut-ce l’effervescence nouvelle de ces incorrigibles bretons; ou la
malveillance avérée des Parlements de Bordeaux et de Toulouse, en ce
même mois d’août à l’égard de d’Aiguillon[169]; ou bien encore
l’influence de la Du Barry à qui le duc avait enfin fait comprendre que
l’arrêt du conseil du 3 juillet n’était pas une solution[170], influence
qui précipita la détermination d’un «homme dont on n’obtenait jamais ni
un _oui_, ni un _non_[171]?»--Toujours est-il que Louis XV prit, le 2
septembre, une décision inattendue et que Maupeou reçut l’ordre, le même
jour, d’en préparer l’exécution.

Le 3, comme si le souvenir de son bisaïeul, entrant, botté et le fouet à
la main, au Parlement, pour lui dicter ses volontés, eût enfin secoué la
torpeur du plus indolent des monarques, Louis XV arrivait au Palais,
dans sa voiture de chasse, «ventre à terre, précédé des quatre
compagnies rouges et du vol[172]».

Mais laissons la parole à Mᵐᵉ d’Aiguillon, qui, le lendemain, racontait
la scène au chevalier:

«Voilà donc enfin le roi tout à fait roi, Dieu soit loué! Sa Majesté a
été hier au Parlement et voici le détail de la bonne besogne qu’il y a
faite: il a ordonné qu’on lui apportât toutes les minutes et autres
papiers ci-dessus nommés (les informations relatives aux affaires de
Bretagne) et les a fait mettre dans un sac qu’il avait apporté tout
exprès, ainsi que le registre sur lequel était l’arrêt du 2 juillet, et
celui dans lequel ils demandaient réparation au roi...» Avant cette
opération, Louis XV avait répondu aux remontrances du Parlement sur la
détention des magistrats de Rennes, qu’ils avaient été justement punis
et qu’il sévirait contre tous ceux qui imiteraient leur conduite. Quand
il eut enlevé jusqu’à la dernière pièce d’une procédure aussi
filandreuse qu’elle avait été irritante, le roi signifia au Parlement
qu’il eût à «se retirer dans ses chambres pour y remplir sa seule
fonction, qui est d’administrer la justice». La duchesse avait remarqué
le discours du chancelier, au nom du roi, discours «très long et très
fort[173]». Elle ajoute que Paris «n’a pas applaudi généralement» à cet
acte d’autorité. Mais en vérité «la folie et l’insolence des parlements
étaient poussées trop loin». Elle s’étonne cependant que le maréchal de
Richelieu n’ait pas agi aussi énergiquement avec celui de Bordeaux.
Pourquoi n’a-t-il pas fait biffer sur le registre du Parlement un arrêt
identique à celui du 2 juillet, quoiqu’il en eût l’ordre? Il faut qu’il
ait eu quelques raisons particulières qu’il est difficile
d’élucider[174].

Quand Mᵐᵉ d’Aiguillon dit que «Paris n’a pas applaudi généralement»,
elle est, en vérité, bien indulgente, car le roi avait à peine enlevé
«le sac qu’il avait apporté avec lui», que les épigrammes pleuvaient de
nouveau dru comme grêle, sur la Du Barry et son obligé. Cette peste de
Mairobert ouvrit le premier le feu[175]. Avec quel luxe de détails il
décrit l’élégant «vis-à-vis» donné, prétend-il, à la comtesse par
d’Aiguillon reconnaissant! Cette voiture surpasse en magnificence les
carrosses envoyés jadis à Vienne pour la dauphine (encore une cause
d’animadversion, si l’anecdote est vraie, contre le duc et son amie).
Sur les panneaux, les armoiries de la dame avec son fameux cri: _Boute
en avant!_ Et que de galantes peintures! Colombes se becquetant sur des
nids semés de roses; cœurs transpercés de flèches, au milieu des
attributs de Cupidon coquettement enguirlandés. Les housses du siège des
cochers, les supports des laquais par derrière les roues, les moyeux et
jusqu’aux marchepieds, tout était du dernier fini. D’Aiguillon l’avait
payé, paraît-il, 52.000 livres. Il eut la douleur de constater que la
comtesse ne s’en servait pas. Le roi l’avait trouvé trop somptueux pour
sa maîtresse et celle-ci le bouda. Que l’anecdote fût vraie ou fausse,
un bel esprit la saisit au vol et la métamorphosa en huitain:

    Pourquoi ce brillant vis-à-vis?
    Est-ce le char d’une déesse,
    Ou de quelque jeune princesse?
    S’écriait un badaud surpris,
    --Non!... de la foule curieuse
    Lui répond un caustique... non!
    C’est le char de la blanchisseuse
    De cet infâme d’Aiguillon.

Alors que Louis XV opérait son coup de force, Choiseul était en
villégiature, au château de la Ferté, chez le banquier de la cour,
Laborde. Mais son parti veillait. Estomaqués, un instant, par la séance
du 3 septembre, comme l’avaient été les d’Aiguillon par l’arrêt
déshonorant du Parlement du 2 juillet, les Choiseul s’étaient ressaisis,
pour abominer, avec moins d’anecdotes, il est vrai, «l’infamie, les
bassesses et les fourberies» de leurs adversaires. Mᵐᵉ Du Deffand avait
envoyé à Walpole «l’imprimé du Parlement», le bulletin qu’elle avait
reçu de «la grosse duchesse» (la douairière d’Aiguillon) n’étant «ni
exact, ni fidèle[176]». Et ce qui avait le plus particulièrement irrité
les amis de Choiseul, c’est que le chancelier, dans son discours, avait
représenté d’Aiguillon comme «honoré de la confiance du roi et chargé de
ses ordres»; c’est qu’il avait déclaré «sa conduite irréprochable».

Quelques jours auparavant, la correspondante de Balleroy avait insisté
sur la signification véritable d’un acte qui exaspérait le parti
Choiseul:

«Je comprends que vous ayiez été très aise en apprenant le détail de la
_journée_ du 3: en vérité, on peut, à mon avis, l’appeler _journée_; car
c’est une vraie victoire que le roi a remportée sur les ennemis de son
autorité, victoire dont je fais plus de cas, que de celles de tous les
conquérants, en ce qu’elle peut et doit procurer la paix et qu’elle n’a
fait répandre que de l’encre et non du sang. Enfin, de ce moment, si le
roi veut soutenir ce qu’il a fait et seulement ne pas vaciller, il
redevient roi, et, en vérité, il ne l’était pas.»

Après cet hommage, si ferme et si net, rendu au principe d’autorité, la
duchesse revient à ses «chers bretons», qui, quoiqu’elle en ait, la
préoccupent toujours. Une nièce de Lohéac, protégée de Mᵐᵉ d’Aiguillon
vraisemblablement à cause de sa parenté avec Balleroy, Mˡˡᵉ de
Quéhillac, vient d’écrire à la grande dame. Sollicitée par un autre de
ses oncles, M. de Goyon, de tenter une démarche auprès de la duchesse,
pour qu’elle intéressât La Vrillière (Saint-Florentin)[177] à la cause
de Lohéac, Mˡˡᵉ de Quéhillac s’en était d’abord défendue, ne sachant si
M. et Mᵐᵉ d’Aiguillon ne déclineraient pas une telle mission. Puis,
cédant à un mouvement de pitié, et pour n’être pas taxée d’indifférence,
elle avait déféré au désir de Goyon. La duchesse lui répondit par une
«lettre ostensible»--terme employé jadis pour désigner ce que nous
appelons aujourd’hui une «lettre ouverte».

Celle de la duchesse prouve une bonté d’âme, une générosité plus fortes
que le juste ressentiment d’outrages et d’humiliations si longtemps
endurés. Depuis que M. d’Aiguillon a quitté le commandement de Bretagne,
écrit sa femme, il ne s’est plus mêlé en rien des affaires de la
province, sinon pour rendre service aux hommes «dont il connaît les
bonnes qualités». Il ignore donc «la punition» que le roi, «très
mécontent», se réserve d’infliger au Parlement de Bretagne; mais par
amitié pour Mˡˡᵉ de Quéhillac, Mᵐᵉ d’Aiguillon ira recommander à la
bienveillance de son oncle M. de Lohéac.

Quelle délicatesse et quel tact chez cette femme que sa correspondance,
sa conduite, toute sa vie enfin présentent comme une énergique! Elle
laisse à son mari, ce personnage plutôt haineux et vindicatif, l’honneur
d’une décision, dont elle assurera, messagère officieuse, l’exécution.

Mais, comme chez elle, l’esprit d’observation, que nous savons très vif
et très aiguisé, ne perd jamais ses droits, elle termine sur ce trait le
récit de son anecdote: «M. de Goyon en a été très reconnaissant, mais il
n’a pas donné un écu à sa nièce; seulement elle a ainsi acquis le droit
de lui dire tout ce qu’elle veut». Droit de bien maigre rapport: car Mᵐᵉ
d’Aiguillon dut pourvoir, toujours en considération de Balleroy, à
l’établissement de Mˡˡᵉ de Quéhillac; et ce fut pour la duchesse un de
ses plus cruels soucis. Sa protégée était d’une famille où les facultés
mentales étaient fort mal équilibrées; et ses prétentions pécuniaires
étaient si bizarres et si exorbitantes que Mᵐᵉ d’Aiguillon s’en lamente
à maintes reprises au cours de sa correspondance avec Balleroy.

Le 4 septembre, le Parlement de Paris s’était assemblé. Encore tout
étourdi du coup qu’il venait de recevoir, il se débattit dans une lutte
longue et ardente sans pouvoir prendre de décision. La séance fut remise
au lendemain; et ce fut le 6 seulement que se terminèrent les débats. Le
parti de la modération l’avait emporté. D’un commun accord, on
«ajournait l’affaire au 3 décembre». Mais la cour rendait en même temps
un arrêt pour protester contre le piège tendu à sa bonne foi et contre
les agissements, injurieux pour elle, du chancelier et du contrôleur
général[178].

Paris, loin «d’applaudir», s’était révolté... «généralement». La
province avait suivi le mouvement. «Tous les parlements se donnent la
main, écrit Mᵐᵉ Du Deffand; ils marquent leur mépris et leur indignation
contre le chancelier; le contrôleur général rendra bientôt sa déroute
complète[179].»

La circonspection du Parlement de Paris déconcerta bien des gens, dit le
libraire Hardy[180]. Et comme s’ils avaient eu la prescience de
l’avenir, les mécontents regrettèrent que les parlementaires n’eussent
pas porté un coup plus vigoureux «pour ne pas laisser au chancelier le
temps de faire de nouvelles entreprises et de couronner son plan
destructif de l’autorité des magistrats».

L’effervescence, ainsi que l’écrivait Mᵐᵉ Du Deffand, n’en couvait pas
moins dans tous les parlements de province, au détriment des
représentants de l’autorité royale. Et la duchesse d’Aiguillon, si
indulgente qu’elle fût, ne pratiquait pas assez le pardon des injures
pour ne pas éprouver un malin plaisir à voir patauger dans le plus
effroyable gâchis les politiciens de Bretagne et le successeur de son
mari, naguère si durs, si injustes, si méprisants vis-à-vis de M.
d’Aiguillon. Tenue au courant des affaires de la province, elle en
devisait allègrement avec Balleroy[181].

En vain, disait-elle, a-t-on pu apaiser l’agitation qui menaçait de
reprendre, en avisant la noblesse que sa turbulence «donnerait gain de
cause» à ses puissants ennemis. «Cet expédient a déjà réussi deux ou
trois fois; mais tout s’use à la longue»: sachant qu’ils sont redoutés
du commandant, ces brouillons finiront, à la tenue des Etats, par
«s’échapper; et aucun frein ne pourra les arrêter... Je compte que ce
sera sur la demande du roi et à la rentrée du Parlement qu’on jouera les
grands jeux». Mᵐᵉ d’Aiguillon ne «le regrette pas». «Il est juste que ce
gentil prélat, ainsi que vous l’appelez (Girac l’évêque de Rennes) et le
premier commissaire (Duras) ressentent les biens de la paix qu’ils ont
mis dans cette province... Ce qui ne laissera pas que de les y
acheminer, c’est que l’on me mande que l’évêque et le premier
commissaire sont brouillés à tout jamais avec l’intendant. Faux et sot,
comme il est, il peut leur donner du fil à retordre... Quand il est
question de nuire, il n’y a pas de sot qui ne trouve de l’assurance...»

La duchesse n’a plus d’autre pensée que la Bretagne. Toutes les lettres
qui vont se succéder jusqu’à la rentrée du Parlement de Paris sont
uniquement consacrées au malaise intérieur d’une province dont les
hommes politiques prétendent singer l’Angleterre (l’anglomanie était
alors fort à la mode). Or le Parlement britannique rentre le 20
novembre. Celui de Rennes ne tardera pas à reprendre séance. Les Etats y
comptent bien. «En attendant, on pelote... On a nommé une commission
pour répondre au mémoire de Linguet.» Les évêques se récusent; celui de
Rennes tout le premier, «parce que M. d’Aiguillon est son plus mortel
ennemi». Et la duchesse de protester. «Le fat! ce serait lui faire trop
d’honneur que d’avoir pour lui d’autre sentiment que celui du mépris.»
Le haut clergé se refusant d’ailleurs à siéger dans cette commission,
«trois abbés Chalotinistes» furent nommés qui durent «travailler à
force» et nous «verrons leur bonne besogne: elle ne m’inquiète pas
beaucoup[182]».

Les distractions des villégiatures suburbaines ne détournent guère Mᵐᵉ
d’Aiguillon de son unique pensée: il est vrai qu’elle se trouve dans la
«thébaïde» d’Aulnay[183], la propriété de Mᵐᵉ de Laigle, dont la
solitude ne lui est pas désagréable: «ce n’est pas la beauté du lieu, je
n’en connais pas de plus triste; ce n’est pas la beauté du temps, il en
fait un à ne pas mettre le nez dehors». Elle n’en pense pas moins à «la
chère Bretagne».

«Il me semble, dit-elle, que les cartes se brouillent tant qu’elles
peuvent; et je vous avoue que je n’en suis pas fâchée... M. de Duras et
le joli évêque sont dans le plus grand embarras: Dieu les y maintienne!
On dit que l’on envoie 40 bataillons en Bretagne...»

Evidemment, la duchesse exagère: mais la fermentation d’un pays qu’elle
connaissait trop bien ne lui échappait pas; et malgré qu’un autre
théâtre, qu’un drame bien plus grandiose, s’imposent désormais à son
attention, elle ne cessera de suivre, parallèlement à l’action dirigée
par Maupeou contre le Parlement de Paris, le mouvement de la Cour de
Rennes, condamnée cependant à s’effacer dans l’ombre de sa grande sœur.



X

     _Maupeou «la Bigarade».--Sa double action contre Choiseul et contre
     le Parlement.--Le «beau pacte de famille».--Les larmes de Mᵐᵉ Du
     Barry.--Remontrances du Parlement et refus d’enregistrer
     l’édit.--Choiseul pressent sa disgrâce.--Duplicité de Louis
     XV.--Lettres de cachet.--Impressions de la duchesse
     d’Aiguillon.--Exil des parlementaires.--Le Parlement Maupeou._


Tous les fourbes ne sont pas nécessairement des hommes d’Etat; mais
combien d’hommes d’Etat sont des fourbes! Et Maupeou, «la
Bigarade[184]», en était un de première force, comme il était un homme
d’Etat supérieur. Il ne procédait pas par la ruse, ainsi que l’avait
fait Mazarin avec le Parlement de Paris, mais par la brutalité[185]: car
il avait conscience qu’il ne pouvait triompher autrement d’une
usurpation de pouvoir, encouragée par la mollesse du gouvernement et
menaçant d’amoindrir, voire d’asservir, l’autorité royale.

S’il avait tout d’abord usé de duplicité avec le duc d’Aiguillon, il
comprit bientôt qu’il faisait fausse route et que le procès, gagné ou
perdu, de l’inculpé découvrait la personne même du roi. D’où cette
suppression, par à-coups successifs et précipités, d’une procédure dans
laquelle il ne pouvait se flatter d’avoir le dernier mot; car il sentait
bien que le Parlement irait jusqu’aux dernières limites d’une inlassable
résistance, protégé qu’il était, et cette fois ouvertement, par le duc
de Choiseul.

Le ministre ayant partie liée avec les magistrats, Maupeou estima qu’il
devait combattre les coalisés simultanément. Ses auxiliaires, nous les
connaissons: le souci de leurs intérêts était le plus sûr garant de leur
loyauté.

Les escarmouches avaient commencé dès les premiers jours de 1770.
Choiseul, fastueux pour l’Etat comme il l’était pour lui-même,
dédaignait de tenir des comptes. Il avait reçu 64 millions, affectés au
département de la guerre et ne se pressait pas d’en spécifier l’emploi.
Terray, avisé et poussé par des ennemis du ministre, réclama cette
justification. La scène fut vive au Conseil; et Choiseul alla jusqu’à
offrir les diamants de sa femme[186], la petite-fille du riche financier
Crozat.

Maupeou l’attaqua sur un autre terrain. Il lui reprocha de vouloir
provoquer une guerre entre l’Angleterre et les puissances de la Maison
de Bourbon[187]. Il avait dû, sinon persuader, du moins être écouté
avec un certain intérêt; car Marie-Thérèse annonçait, dès le 1ᵉʳ
septembre, à Mercy-Argenteau, que la disgrâce de Choiseul était chose
résolue. Et l’ambassadeur d’Autriche, qui, de son côté, avait pris ses
informations, douta, pendant deux mois, du maintien de la paix.

C’était, d’ailleurs, l’opinion générale: «On parle beaucoup de guerre,
écrit Mᵐᵉ d’Aiguillon, qui se montre toujours pacifiste convaincue. Dieu
veuille que ce soit en vain! Mais, en vérité, nous n’en avons pas
besoin. C’est un produit du beau _pacte de famille_ qui a retardé la
paix d’un an et l’a rendue plus mauvaise[188]».

Coup de griffe, en passant, au duc de Choiseul, le principal artisan de
ce fameux traité signé, le 15 août 1761, entre les rois de France,
d’Espagne et le duc de Parme, pour faire échec, par l’union des
puissances de la maison de Bourbon, à la supériorité de la marine
anglaise!

Rarement la duchesse d’Aiguillon prend à partie, même par voie
d’allusion, le premier ministre. Mais son mari allait, parallèlement à
Maupeou, entrer en guerre ouverte avec Choiseul, et suivant le mot de
Soulavie, «travailler à renverser le visir par la maîtresse».

«La coquine me donne bien de l’embarras» disait, en plaisantant,
Choiseul, de Mᵐᵉ Du Barry. D’Aiguillon avait, il est vrai, manœuvré dans
la coulisse, pour compliquer encore la situation, déjà difficile, du
«visir». N’ayant plus à se défendre, il pouvait prendre l’offensive. Un
homme qui l’a bien étudié et bien compris, Sénac de Meilhan, définit, à
souhait, le rôle de ce courtisan qui «possédait l’art et le jargon de la
galanterie[189]».

«Il fit insinuer par ses conseils à la Du Barry qu’elle n’aurait aucun
crédit tant que Choiseul serait au pouvoir et de le remplacer par un
homme qui jouerait, grâce à son rang, le même rôle et lui serait tout
reconnaissant de l’y avoir poussé.»

Bien stylée par d’Aiguillon, soufflée par Maupeou, cette femme, qui
n’avait été jusqu’alors qu’une bonne fille, devint une adroite
comédienne. Par intervalles, elle semblait toute mélancolique.

--Qu’avez-vous donc? disait le roi, qu’amusait d’ordinaire la bruyante
gaîté de sa maîtresse.

--Les Choiseul débitent des horreurs sur mon compte.

Et elle citait tel ou tel mot du ministre ou de son entourage. Elle
n’avait pas besoin d’inventer.

Un autre jour, elle versait des torrents de larmes: «Les vilains
Choiseul, disait-elle en sanglotant, me tourmentent.

--Patience, répliquait le roi, qui ne se décidait pas encore, cela
finira[190].»

A en croire Mᵐᵉ Campan, la Du Barry «sifflée par ses amis» (et c’était
Maupeou qui devait lui seriner l’air) se retournait contre le Parlement,
quand le roi restait irrésolu devant les manœuvres des magistrats. Elle
le menait alors devant le magnifique portrait de Charles Iᵉʳ par Van
Dyck, portrait acheté à Londres et devenu depuis la propriété de la
favorite. Quelle leçon que cette fin d’un roi qui avait fléchi devant
son Parlement!

La comtesse n’avait pas besoin de cette mise en scène--si tant est que
Mᵐᵉ Campan ne l’ait pas imaginée comme un avertissement
prophétique--pour inspirer à son royal amant l’horreur et la haine des
parlementaires. C’était déjà chez lui de l’atavisme. Puis, ne se
plaignait-il pas volontiers de ces «grandes robes qui prétendaient le
mettre en tutelle» et qui inscrivaient, en tête de leur programme, la
Convocation des Etats Généraux[191]?

Maupeou trouvait donc le terrain tout préparé pour mener à fond son
attaque contre les parlements.

Quelques jours avant la rentrée des magistrats, le 27 novembre, il
faisait signer au roi l’_Edit de règlement ou de discipline_--rappel de
la déclaration du 3 mars 1766--interdisant au Parlement de Paris toute
correspondance avec les autres parlements du royaume, la cessation du
service judiciaire, les démissions en corps. L’_Edit_ leur défendait
enfin de retarder la publication des édits royaux par l’ajournement de
leur enregistrement; Louis XV déclarait dans le même document qu’il ne
tenait sa couronne que de Dieu et qu’à lui seul appartenait le droit de
faire des lois.

Le Parlement de Paris rentrait le 4 décembre. Son premier acte fut de
repousser l’édit; il est vrai qu’il l’enregistrait trois jours plus
tard.

Mᵐᵉ d’Aiguillon raconte le conflit. Le premier Président, écrit-elle,
avait été délégué auprès du roi pour lui faire «les remontrances les
plus vives». Et le prince lui avait répondu: «J’ordonne que mon
Parlement enregistre mon édit demain dans la journée; et je vous charge,
Monsieur, de m’en rendre compte à 7 heures du soir... Cette réponse ne
les a pas contentés: ils ont fait d’itératives représentations dans
lesquelles ils disaient qu’ils ne devaient, ni ne pouvaient enregistrer
l’édit». Mais le vendredi 7, au lit de justice à Versailles, le
chancelier «avait fait un beau discours» au nom du roi, pour démontrer
«l’attention de S. M. à veiller au bonheur du peuple, etc., etc.». Le
premier Président avait répliqué par «des lieux communs et très
platement...» L’édit avait été enregistré immédiatement; et «à midi et
demi tout était dit[192]».

Mais la duchesse ne dissimulait pas cette fois l’agitation des
Parisiens, surexcitée encore par les protestations des parlementaires
rentrés à Paris. De fait, la cabale philosophique et le parti des
Encyclopédistes se rangeaient résolument de leur côté, après les avoir
si rudement combattus. Mais, là encore, la question religieuse était en
jeu. Un prédicateur n’avait-il pas eu l’étrange idée d’appeler Mᵐᵉ Du
Barry, la nouvelle Esther et le duc de Choiseul le nouvel Aman? A ce
compte, Maupeou devait être le nouveau Mardochée. Aussi les chefs des
Philosophes, d’Alembert et Duclos, prirent-ils parti pour Choiseul
qu’ils avaient jusqu’alors cordialement détesté, et décidèrent-ils de
lui offrir un fauteuil à l’Académie, en le dispensant des visites
traditionnelles. L’homme d’Etat, qui était encore ministre, avait,
paraît-il, accepté la combinaison[193].

Cependant, le Parlement, escomptant l’appui de Choiseul, entendait avoir
le dernier mot dans ce conflit d’autorité. Le 10 décembre, il se
défendit formellement de rendre la justice, en dépit de cinq sommations
successives que lui fit adresser Maupeou.

«Les esprits sont si échauffés, dit la duchesse d’Aiguillon, qu’ils (les
parlementaires) prendront quelque parti violent; les esprits ne sont pas
plus calmes en Bretagne, suivant les dernières nouvelles; et l’évêque,
malgré son insolente confiance, et le duc sa sotte méchanceté, sont très
embarrassés[194].»

En présence de l’acharnement que mettait le chancelier à briser la
résistance du Parlement de Paris, Choiseul commençait à perdre sa belle
assurance. On parlait à la Cour de l’avènement prochain de d’Aiguillon.
Impatient d’en finir avec des commérages qui l’agaçaient, le ministre
écrivit au roi pour les lui signaler. Louis XV tint à rassurer Choiseul,
tout en lui donnant l’explication de l’intérêt qu’il portait à
d’Aiguillon: «Comment pouvez-vous croire, lui disait-il, qu’il puisse
vous remplacer!... Je l’aime assez, il est vrai, à cause du tour que je
lui ai joué, il y a bien longtemps; mais, haï comme il est, quel bien
pourrait-il faire[195]?»

Duplicité insigne et pure comédie! Car Sénac de Meilhan affirme que «le
roi haïssait le duc d’Aiguillon comme ayant été l’amant de Mᵐᵉ de
Châteauroux» et raconte en même temps par quelle voie détournée Louis XV
apprit à Mᵐᵉ Du Barry le succès, presque définitif, de sa campagne
contre le premier ministre.

«Un jour, elle le vit occupé à cacheter une enveloppe:

--Voilà, lui dit-il, une lettre qui vous intéresse.

Elle supplie le prince de lui montrer au moins l’adresse; et elle lit:
_Au Roi d’Espagne_.

--Qu’ai-je de commun avec ce monarque? demande la favorite.

--Comme c’est Choiseul qui a donné l’idée du pacte de famille et que le
roi d’Espagne a la plus grande confiance en lui, je crois devoir, par
déférence, le prévenir avant de renvoyer le duc, ce qui ne tardera
pas[196].»

Bientôt, s’il faut en croire une anecdote, rappelée en juin 1774 par
l’abbé Baudeau, le ministre n’eut plus à douter de son sort[197]: «Peu
de jours avant son renvoi, il trouve la porte du roi fermée; et avisant
d’Aiguillon vers une croisée, il lui dit:

--Vous me chassez donc? J’espère qu’ils m’enverront à Chanteloup.

Vous prendrez ma place; quelque autre vous chassera; ils vous enverront
à Veretz; nous serons voisins; nous n’aurons plus d’affaires politiques,
nous voisinerons et nous en dirons de bonnes.

D’Aiguillon ne répondit rien.»

La disgrâce éclata. En se servant d’un billet de Choiseul, non daté, à
l’adresse des Jésuites (déjà le coup de la fausse dépêche!) Maupeou
avait su persuader au roi que son premier ministre excitait sous main le
Parlement dans sa révolte[198]. Et le 24 décembre, Choiseul recevait de
Louis XV cette lettre de cachet:

«J’ordonne à mon cousin, le duc de Choiseul, de remettre la démission de
sa charge de secrétaire d’Etat et de surintendant des Postes entre les
mains du duc de la Vrillière et de se retirer à Chanteloup jusqu’à
nouvel ordre.»

Le lendemain, Mᵐᵉ d’Aiguillon écrivait à Balleroy:

«Si vous avez quelques affaires à la guerre, aux affaires étrangères, ou
à la marine, différez-les, Monsieur le chevalier; car ces trois
départements sont actuellement nuls, les ministres qui les possédaient
ayant été exilés, l’un à Chanteloup et l’autre à Praslin, cela
s’appelle une nouvelle: aussi ne vous en dirai-je pas d’autre: en voilà
assez pour aujourd’hui[199].»

Malgré son empressement à lancer «la nouvelle», la duchesse avait été
devancée auprès de Balleroy; et peut-être le chevalier lui en avait-il
fait l’observation, non sans malice, car elle lui écrit, presque dix
jours après, et plus longuement, sur un sujet qui lui tient si fort au
cœur. Pour la première fois, elle n’a plus peur du cabinet noir; mais
elle donne l’impression exacte de l’inquiétude, de l’angoisse même
qu’elle ressentait auparavant de la présence de Choiseul aux affaires:
et comme elle parle tout aussitôt du contre-coup qui s’est produit en
Bretagne, à la chute du ministre, il semble que, par une association
d’idées bien excusable, la duchesse rende Choiseul responsable des
tribulations qui avaient assailli son mari pendant et après l’exercice
de son commandement.

«Je suis bien fâchée, Monsieur le chevalier, de n’avoir pas été la
première à vous apprendre la grande nouvelle; mais enfin, je respire et
je respire en paix, ce que je n’aurais jamais pu faire, tant que cet
homme y (_sic_) aurait été. Je suis comme des gens qui échappent d’un
violent orage, qui sur terre croient encore sentir l’agitation des
vagues. J’ai encore de la peine à le croire.» Le «petit faquin d’évêque
de Rennes, en apprenant la nouvelle» avait paru, mandait-on à la
duchesse, ne point s’en émouvoir; mais, «malgré toute sa fausseté, on
voyait la rage qui perçait... M. de Duras est arrivé à Versailles, le
jour de l’an, pour prendre son service: il m’a paru--et d’autres gens
que moi l’ont trouvé--qu’il avait le visage bien long: il ne l’a pas
autant qu’il le mérite et que je lui souhaite[200]».

La disgrâce de Choiseul était le prélude du coup d’état que Maupeou
méditait contre le Parlement de Paris. Ce dénouement était inévitable:
si l’imprévoyance du premier ministre, le désordre qui régnait dans
toutes les administrations, le gaspillage et la gabegie dont la Cour
était la première à donner l’exemple, avaient amené le déficit creusé
dans les finances, il fallait, pour le combler, une nouvelle série
d’impôts; et le chancelier savait que le Parlement se refuserait
énergiquement à les voter. Ce fut la cause, non avouée, mais réelle, qui
détermina Maupeou.

En outre, les Etats de Bretagne menaçaient de lui donner de nouveau de
la tablature. Un pamphlet, répondant au Mémoire de Linguet, avait
reproduit les éternels griefs des Bretons contre un homme «qui était
l’auteur des troubles de la province, du procès de M. de la Chalotais et
des autres magistrats», un homme «qui avait tout mis en usage à Rennes
et à Saint-Malo pour faire périr les détenus et surtout M. de la
Chalotais».

Les Etats n’avaient pas, il est vrai, osé couvrir de leur approbation un
tel factum; mais leur propre réponse au Mémoire de Linguet n’en avait
pas été moins frappée, le 2 janvier 1771, d’un arrêt du Conseil, comme
«attentatoire à l’autorité du roi et contenant des propos injurieux
contre une personne honorée de la confiance de S. M. et dont elle a de
tout temps approuvé l’administration.»

Estimant qu’il n’avait plus de ménagements à garder avec des magistrats
qui pratiquaient une politique d’irréductible obstruction, qui allaient
même jusqu’à refuser l’impôt, Maupeou leur envoya, dans la nuit du 19 au
20 janvier 1771, par des mousquetaires, une dernière sommation d’avoir à
reprendre leurs fonctions. Les récalcitrants, bientôt suivis d’une
minorité à qui la frayeur avait arraché tout d’abord une sorte de
soumission, durent partir pour l’exil; et le 24 janvier, Maupeou
confiait à une Commission du Conseil d’Etat le soin de rendre
provisoirement la justice. Sans tenir compte des protestations que
formulèrent aussitôt les autres Chambres de la Cour et les Parlements de
province, Maupeou reconstitua péniblement celui de Paris avec des
membres de la Cour des Aides et des juristes de mince notoriété. On sait
quelle pluie de quolibets, d’épigrammes, de satires, de libelles se
déchaîna sur ce nouvel organe judiciaire, sur son initiateur Maupeou, et
sur ses zélateurs. Ce fut, en quelque sorte, un recommencement des
affaires de Bretagne. Presque toute la France fit partie de l’opposition
anti-gouvernementale: il n’y eut pas jusqu’aux princes du sang--excepté
cependant le prince de Condé--qui ne se montrèrent hostiles à l’œuvre du
chancelier: mais celui-ci était enfin le maître; et, moins d’un an
après, la pacification était presque complète.



XI

     _Six mois d’attente!--«Le tyran breton le deviendra de toute
     l’Europe».--Le futur roi de Suède à Ruel: enthousiasme de la
     «grosse duchesse».--L’«Agrippine» de Mᵐᵉ Du Deffand et le
     «triumvirat» du Président de Brosses.--Mariage du comte de
     Provence.--Comment Mᵐᵉ Du Barry fait entrer d’Aiguillon au
     Ministère; ce qu’en pense la duchesse; ce qu’en pense le
     public.--Hostilité de la comtesse d’Egmont; avanie subie par Mᵐᵉ
     d’Aiguillon et colère de M. de Richelieu.--Débuts du nouveau
     ministère.--Appréciation de Mercy-Argenteau._


La lettre, dans laquelle Louis XV évoquait, pour rassurer Choiseul, le
souvenir du «bon tour qu’il avait joué» à d’Aiguillon, retarda de six
mois, dit M. Marcel Marion, l’entrée de l’ancien commandant de Bretagne
au ministère.--La Vrillière était devenu, par intérim, secrétaire d’Etat
aux affaires étrangères.

De fait, Choiseul était à peine tombé, que la voix publique lui
désignait déjà pour successeur le duc d’Aiguillon.

«Le tyran breton le deviendra de toute l’Europe, écrit Mᵐᵉ Du Deffand:
cela veut dire qu’il aura les affaires étrangères.» Et la duchesse de
Choiseul lui répond, non sans malice, que ce serait son vœu le plus
cher, si le Parlement, du même coup, reprenait le procès de M.
d’Aiguillon[201].

Voltaire s’en inquiétait dans sa retraite: «Nomme-t-on toujours le duc
d’Aiguillon? demandait-il. On peut être très entaché par le Parlement et
bien servir le roi». Opinion que ne lui pardonna pas facilement
Choiseul.

Or, dans la correspondance saisie chez le chevalier de Balleroy, nous ne
voyons pas la moindre allusion à des bruits qui circulaient, avec
insistance, aussi bien dans les cercles mondains que dans les sphères
politiques. Il semble même que la duchesse d’Aiguillon--à moins que ses
lettres n’aient disparu--ait cessé d’écrire, pendant quelques mois, au
chevalier. Et pourtant, des événements s’étaient produits, dans
l’intervalle, qui devaient éveiller en sa mémoire des réminiscences bien
flatteuses pour l’honneur du nom--légitime orgueil dont elle n’avait pu
se défendre, depuis qu’elle était entrée dans la maison des Richelieu.
Sa belle-mère, la «grosse duchesse», ne s’était même pas fait faute
d’évoquer la grande ombre du cardinal, quand elle avait reçu, le 9 mars,
dans son château de Ruel, Gustave de Suède, avec le duc et la duchesse
d’Aiguillon, le comte de Maurepas et le duc de Nivernois[202]. Au cours
d’un souper, «arrangé comme par hasard», n’avait-elle pas souhaité la
bienvenue, «en vers vigoureux», au prince voyageur, au nom du Cardinal?

[Illustration: Le Château de Ruel et ses jardins

d’après Israël Silvestre]

Mᵐᵉ Du Deffand note un convive de plus, d’ailleurs bien indiqué pour la
circonstance: le maréchal de Richelieu. Le comte de Haga--le futur
Gustave III--attendait précisément, ce jour-là, un frère de l’ancien
ambassadeur de Suède, M. de Scheffer qui fut un grand ami des
d’Aiguillon, au temps de leur prospérité et qui, nous le verrons plus
tard, leur resta fidèle dans les mauvais jours[203].

La duchesse de Choiseul ne put s’empêcher de remarquer, dans sa réponse
à Mᵐᵉ Du Deffand[204], que le prince «ménageait bien les d’Aiguillon». A
son point de vue, elle était dans le vrai; et M. Vatel a dit, avec juste
raison, que le comte de Haga avait agi, en cette occurrence, comme un
«fourbe parfait», donnant de l’encensoir aux deux partis opposés. Il
envoyait le matin ses compliments à Chanteloup, soupait le soir à Ruel,
et, le lendemain, obtenait l’insigne honneur d’offrir un riche collier
au petit chien de Mᵐᵉ Du Barry.

La veille de ce fameux souper, il avait reçu à sa table les d’Aiguillon;
et Mᵐᵉ Du Deffand, qui était du repas, en écrit à Mᵐᵉ de Choiseul, avec
une abondance de maladresse, dont elle n’allait pas tarder à se
repentir: «Rien de si aimable que le roi... Mᵐᵉ d’Aiguillon (la mère)
est toujours très gaie... elle est charmante, elle ne tire point tout à
elle, quoique très parlante... elle m’a mis en valeur autant qu’elle a
pu... Après le souper, Mᵐᵉ d’Aiguillon fit chanter la _Chanson des
Philosophes_[205]».

Et--brusque changement de langage--à un mois de là, en corneille
étourdie qui abat des noix, Mᵐᵉ Du Deffand s’écrie: «Mᵐᵉ d’Aiguillon me
parut fort sérieuse; je me figure qu’elle est occupée de tous les
changements qui pourront arriver. Je lui trouve bien des rapports avec
Agrippine, avec la différence que le trône de son Néron ne lui aura pas
coûté de crimes, mais elle pourra bien être une de ses victimes[206]».

On n’est pas plus obligeant[207].

Au reste, par un singulier contraste, en ce siècle léger et futile, où
la plaisanterie a souvent tant de grâce, et le scepticisme de si fine
ironie, la note mélodramatique vibre à plaisir. Elle se continue sur le
mode romain, dans les lettres du Président de Brosses, qui, bien
entendu, en sa qualité de parlementaire, abomine les ennemis de la
«grande robe[208]»:

«Voilà donc le _triumvirat_ bien établi (Maupeou, d’Aiguillon, Terray)
et cordialement uni, si ce n’est dans l’intérieur, du moins pour tout
détruire au dehors.»

Ce pacte n’était pas officiel, puisque d’Aiguillon n’était pas encore
ministre; mais il se laissait pressentir par le crédit et la faveur dont
jouissait déjà le rival de Choiseul. Ses amis commençaient à en éprouver
les effets. La duchesse nous l’apprend dans la première lettre que nous
trouvons d’elle en 1771. Elle vient d’«embrasser son mari de tout cœur»,
heureuse que le duc ait pu rendre service au chevalier. Et en même
temps, comme elle a été, malgré elle, «dans les fêtes jusqu’au cou»,
elle lui décrit méthodiquement celles qui ont accompagné le mariage du
comte de Provence avec une princesse de la maison de Savoie. Elle fait
un portrait fort exact de cette fille de sang royal[209]:

«J’ai été à Choisy attendre le roi qui nous a amené Mᵐᵉ la comtesse de
Provence qu’il est de mode de trouver épouvantable. Moi, qui, comme bien
savez, ne suis pas la mode, je ne la trouve pas mal; elle est petite,
assez bien faite, surtout une belle gorge; elle a les yeux noirs comme
jais, fort grands et fort beaux, les cheveux noirs bien plantés,
peut-être un peu bas, mais qui ne choquent, le teint de brune, mais uni
et mat, le nez gros, la bouche un peu avancée et la forme du visage
longue. Ce qui choque au premier coup d’œil, ce sont ses sourcils qui
sont très arqués et qui s’éloignent de ses yeux et lui donnent, quand
ses yeux sont baissés, par la distance qu’il y a, l’air chinois. Quand
elle a les yeux ouverts, cela choque moins, parce que ses paupières qui
sont grandes et fort noires, remplissent l’intervalle. En tout, elle a
de la physionomie, et l’air de bonté et d’esprit, ce qui fait que sa
figure est, à mon gré, loin de déplaire.» Et, raison qui prime toutes
les autres, «le comte de Provence en est fort content». La duchesse
parle de la cérémonie nuptiale, avec cette sincérité et cette
indépendance d’allures que ne sauraient entamer les cailletages de cour:

«Le mariage s’est fait à midi; et il y a eu, le soir, appartement et
banquet... Il est encore de mode de dire qu’il n’y avait personne: ce
que je puis vous dire en toute vérité, c’est qu’il y avait des barrières
depuis l’appartement du roi jusqu’à la chapelle, et que, derrière, sur
des gradins, il y avait du monde à s’étouffer, qu’à la chapelle tous les
gradins derrière les travées étaient pleins, ainsi que le bas de la
chapelle (il me semble que cela s’appelle du monde) et que, pour le
banquet, je voulus aller voir la salle et qu’il me fut impossible
d’entrer, tant la foule était grande.»

En bonne historiographe, Mᵐᵉ d’Aiguillon signale les illuminations du
mercredi «autour des terrasses... en feux de couleur... le portrait du
roi, celui de M. le Dauphin, de Mᵐᵉ la Dauphine, de M. et Mᵐᵉ le comte
et la comtesse de Provence, au milieu d’une gloire de feu»; le jeudi, au
théâtre, _la Reine de Golconde_ qui, comme spectacle, c’est-à-dire pour
la décoration et la beauté de la salle, était superbe; comme opéra,
c’était le plus mauvais de tous: il n’y a ni musique, ni paroles, mais
force cabrioles et décorations...»

Enfin le bal du lundi. La duchesse en est enthousiasmée: «Je n’avais pas
d’idée de la beauté de ce spectacle-là. La salle était superbe, éclairée
à merveille, remplie jusqu’en haut d’hommes et de femmes extrêmement
parés, le carré de la danse, de même environné de femmes très parées;
c’est le plus beau spectacle que j’aie vu de ma vie.»

Après ces fêtes, comme après celles du mariage du Dauphin, la politique
reprit ses droits. Le duc de la Vrillière, chargé de l’intérim des
affaires étrangères, restait inactif, alors que toutes les ambassades
frémissaient d’impatience devant les difficultés diplomatiques qui
surgissaient à l’horizon.

--C’est bien de tailler, disait Catherine de Médicis à ses fils: il faut
recoudre maintenant.

Mᵐᵉ Du Barry n’était pas une Catherine de Médicis. Et l’habileté toute
féminine dont elle usa, d’abord pour renverser Choiseul, puis pour lui
substituer d’Aiguillon, serait fort invraisemblable chez un esprit aussi
court, si l’on ne savait qu’elle suivait ponctuellement les instructions
de Maupeou et d’Aiguillon, et mieux encore, comme nous le croyons avec
M. Claude Saint-André, les conseils de sa très fine et très déliée
belle-sœur Mˡˡᵉ Claire-Félicité Du Barry[210]. Cette intelligente
personne était absolument dévouée à l’ancien commandant de Bretagne.
Elle avait compris de quel poids pouvait être pour la fortune de sa
famille le crédit d’un grand seigneur tel que le duc d’Aiguillon. Et,
certainement, elle ne dut pas être étrangère au second acte de la
comédie que la comtesse joua, pendant six mois, avec un monarque, chez
qui l’impatience de la volupté promise finissait toujours par l’emporter
sur la résistance d’une méfiance instinctive.

«C’est un fait certain et connu des amis de M. d’Aiguillon, raconte
Chamfort, que le roi ne l’a jamais nommé ministre des affaires
étrangères. Ce fut Mᵐᵉ Du Barry qui lui dit: Il faut que tout ceci
finisse; et je veux que vous alliez demain remercier le roi de vous
avoir nommé à la place. Elle dit au roi: M. d’Aiguillon ira demain vous
remercier de sa nomination à la place de secrétaire d’Etat des affaires
étrangères. Le roi ne dit mot. M. d’Aiguillon n’osait pas y aller. Mᵐᵉ
Du Barry le lui ordonna. Il y alla. Le roi le lui dit, et M. d’Aiguillon
entra en fonctions sur le champ[211].»

Cette nomination à la muette datait du 2 juin. Mᵐᵉ d’Aiguillon, alors à
Pontchartrain chez Maurepas, écrivait, le 8, à Balleroy:

«On vous a sûrement mandé que le voilà maintenant ministre des affaires
étrangères: il y a si longtemps que le public avait désigné cette
nomination que l’on a eu du reste le temps de réfléchir à ce que l’on
doit en penser.» La nouvelle ministresse ne paraît pas autrement ravie
de ce changement de fortune; elle dit sans phrase: «Mon parti est pris
et je sacrifie ma liberté aux volontés de mon maître... Je suis accablée
déjà de lettres plus plates et plus basses les unes que les autres, qui
m’inspirent pour le plus grand nombre des écrivains le plus profond
mépris, mais auxquelles il faut pourtant répondre comme si elles étaient
sincères.»

La duchesse était assez perspicace pour ne pas ignorer quel venin
distillait cette adulation.

Ce n’était pas que son mari ne fût pris directement à partie, au milieu
de son triomphe, par des libelles, des vaudevilles, des épigrammes,
presque tous anonymes, il est vrai. Le roi lui-même n’était pas épargné.
Dans tous les salons courait ce huitain sous le titre: _La Clique de Mᵐᵉ
Du Barry_:[212]

    Par elle on devient ministre.
    C’est, sur son ordre sinistre,
    Que d’Aiguillon tient registre
    Des élus et des proscrits[213].
    Le public indigné crie;
    Mais du roi l’âme avilie,
    Sûre de son infamie,
    Est insensible au mépris.

Il était cependant des outrages auxquels le nouveau ministre était plus
particulièrement sensible, et sa femme par contre-coup: ceux qu’ils
recevaient de leur propre famille, de ces Richelieu auxquels la duchesse
était si fière d’appartenir et qui ne se cachaient pas pour leur cingler
au visage leur insolent dédain.

La comtesse Septimanie d’Egmont, la propre fille du maréchal, leur
meilleur ami, était précisément de ces adversaires implacables, trop
hautaine et trop franche pour rien dissimuler de son aversion. Mᵐᵉ
d’Armaillé, biographe de la comtesse, explique cette animosité par la
rancune des «tyrannies intérieures» que Septimanie avait eues à subir du
fait de «ce personnage peu sympathique, son cousin d’Aiguillon[214]».

Peut-être Mˡˡᵉ de Richelieu avait-elle raison; mais oubliait-elle que
«la grosse duchesse» lui avait toujours témoigné une si vive sollicitude
et une si ardente tendresse, que sa bru et ses petites-filles en avaient
un instant pris ombrage? Cette bonne personne qu’était la douairière
avait voulu consoler Septimanie dans sa tristesse d’orpheline: car le
maréchal, si délicieux homme de cour, était un père autoritaire et
despote jusqu’à la dureté. Après s’être débarrassé de la surveillance de
sa fille adolescente, en la confiant à l’affection bruyante de sa
cousine d’Aiguillon, Richelieu avait marié Septimanie, sans même la
consulter, au comte d’Egmont, alliance qui flattait sa vanité. Cet
égoïste, d’une sécheresse de cœur égale à la fatuité de son esprit,
n’avait jamais pratiqué qu’à ce point de vue le culte de la famille. Il
semble que sa fille, quoiqu’en disent ses panégyristes, ne l’ait pas
mieux connu. En tout cas, dans une circonstance où les lois de la
solidarité familiale étaient en jeu, elle ne sut pas faire le sacrifice
de ses ressentiments à la reconnaissance dont elle aurait dû se sentir
pénétrée pour la douairière d’Aiguillon.

Il était d’usage, à la Cour, que la femme d’un ministre vînt, peu de
jours après la nomination de son mari, remercier le roi, accompagnée
d’une de ses plus proches parentes. La duchesse d’Aiguillon avait prié
sa cousine Septimanie de lui rendre ce service. Mᵐᵉ d’Egmont refusa
net, sous prétexte que le roi devait ordonner aux deux dames de faire
également visite, d’abord aux «princesses», puis à Mᵐᵉ Du Barry.
Entraînée par son exemple, la douairière se récusa, elle aussi. Le
maréchal de Richelieu s’emporta avec la dernière violence contre sa
fille: certes, ce n’était pas l’amour de la famille, mais l’orgueil du
nom qui excitait sa colère. Celui de la comtesse d’Egmont fut plus fort,
et la duchesse subit cet affront de se présenter devant le roi avec une
parente très éloignée, alors que son mari était déjà mal reçu par la
Dauphine. Le maréchal, exaspéré, chassa Septimanie de sa présence et, de
plus, exigea de la douairière qu’elle cessât de la voir et de lui
écrire.

Aussi intransigeante que son père, la comtesse ne désarma pas. Quand
elle devint la correspondante du roi de Suède, Gustave III, elle ne
cessa de vilipender, par écrit, son cousin d’Aiguillon:

«Son orgueil est tel, dit une de ses lettres, qu’il ne conçoit pas qu’on
puisse soupçonner l’art qu’il emploie, si grossier qu’il soit. Par
exemple, il croit qu’il lui suffit de dire à propos de la grande affaire
de Bretagne: «J’étais à Bannière (_sic_) quand M. de la Chalotais a été
arrêté», pour qu’on reste persuadé qu’il n’y a eu aucune part.»

Mᵐᵉ d’Egmont reconnaît cependant que «si son amour-propre ne se trouve
point en opposition avec le bien, il pourra faire de grandes choses, nul
homme n’ayant plus de moyens pour réussir à ce qu’il entreprend, tant
par la fermeté de son caractère que par l’application et la suite qu’il
met aux affaires».

A vrai dire, les avis étaient bien partagés sur le rôle qu’allait jouer
d’Aiguillon, parvenu au pouvoir. Ils se ressentaient, en général, de
l’opinion qu’on s’était faite, vraie ou fausse, des affaires de
Bretagne. Horace Walpole, le familier du salon Du Deffand, déclarait
qu’«avec des talents médiocres, le nouveau ministre s’était hissé près
du trône en se faisant l’instrument de sa tyrannie».

Le comte de Mercy-Argenteau, ambassadeur d’Autriche, qui sera désormais
en relations suivies avec d’Aiguillon, en parle sur un ton moins
dédaigneux. Mais il le voit sous l’angle où l’envisage Mᵐᵉ d’Egmont:
peut-il oublier que Choiseul fut le grand artisan de l’alliance entre la
France et l’Autriche? Aussi écrit-il, le 22 juin, à Kaunitz, le ministre
des affaires étrangères de Marie-Thérèse:

«Il est de notoriété publique que M. d’Aiguillon a de l’esprit, un cœur
haineux et méchant, qu’il est intrigant, adroit, grand travailleur,
ennemi implacable, mais aussi ami très constant du peu de gens auxquels
il a voué ce sentiment. Son début vis-à-vis des ministres étrangers
annonce un grand désir de plaire; et il ne serait peut-être pas
impossible que, par nécessité et par système, il réformât en partie les
vices qu’on attribue à son caractère. Il y a grande apparence que, dans
les premiers temps, il s’occupera moins des affaires d’Etat que
d’intrigues de cour; et malheureusement, il y a ici, dans ce genre, de
quoi remplir la vie d’un homme[215].»

En effet, la première rencontre du nouveau ministre avec les
représentants des autres puissances leur avait laissé une impression
plutôt favorable. Elle s’était faite sous les plus heureux auspices et
sur un terrain où l’on se met presque toujours d’accord. D’Aiguillon
avait donné le 5 juin son premier dîner diplomatique; et Mᵐᵉ Du Deffand,
qui semble vouloir se tourner vers le soleil levant, décrit avec une
certaine complaisance la solennité. Cinquante-cinq convives prenaient
part au festin; et la douairière en faisait les honneurs avec sa bru.
Tous les diplomates avaient trouvé «la grosse duchesse» charmante,
simple et naturelle dans sa joie, «exempte de hauteur et de fausse
gloire et si éloignée d’être avantageuse que tous les partis sont
contents d’elle, l’estiment, l’aiment et lui veulent du bien[216]».

Pour n’être pas aussi démonstrative, la «joie» de sa belle-fille n’était
pas moindre. C’était, pour elle, comme la revanche des mauvais jours et
l’espoir d’une vie meilleure, sinon moins agitée, ce qu’elle eût
préféré, sans nul doute, à tout ce tumulte triomphal. Elle savait
reconnaître ses vrais amis. Belleval nous dit comme elle fut touchée de
la démarche du jeune officier «revenu de si loin» à Versailles pour lui
présenter ses félicitations; elle n’ignorait pas «le fond d’affection
qu’elle peut faire sur lui[217]».

Balleroy avait sa part, comme bien on pense, dans cette distribution,
entre intimes, de bonnes paroles. Le billet qu’elle lui adresse de
Versailles, le 8 juillet, témoigne assez de sa quiétude d’âme: elle ne
lui parle plus politique; elle le plaisante sur un sujet qui devait
revenir souvent dans leurs conversations. «Vous aurez encore le temps de
déchiffrer ma lettre: vous êtes assez habile pour cela»; puis elle a
d’autres préoccupations, mais qui n’altèrent en rien sa belle humeur:
«je ne compte retourner à Paris que mercredi matin; ma fille n’est pas
encore accouchée; je me flatte que, puisqu’elle a eu la complaisance
d’attendre jusqu’à présent, elle n’accouchera que mercredi; ce serait
faire les choses bien galamment...» Tout enfin serait pour le mieux, si
son mari n’était recrû de fatigue, avec ses exercices de chevau-légers.



XII

     _Pronostics sur le futur ministère.--Dîners
     diplomatiques.--Entrevue de Mercy-Argenteau avec la favorite et
     Louis XV.--Echange de lettres aigres-douces entre Mᵐᵉ Du Deffand et
     la duchesse de Choiseul.--Le dîner de Luciennes.--Jugement sévère
     de la duchesse de Choiseul.--Au décintrement du pont de
     Neuilly.--Conspiration de Mesdames contre la Du Barry.--Le régiment
     des Suisses._


Le duc d’Aiguillon allait connaître un travail autrement difficile,
délicat et pénible que celui d’une cavalcade sur un champ de manœuvres,
un travail auquel il n’était pas suffisamment préparé, mais que son
ambition, servie par une présomption sans bornes, se croyait assuré de
mener à bonne fin.

Or la situation que lui avait laissée Choiseul était, à l’extérieur
comme à l’intérieur, enchevêtrée de telles complications, qu’eût-il
pratiqué une politique toute personnelle, ou continué celle de son
prédécesseur, il ne pouvait s’attendre à d’éclatantes victoires
diplomatiques. Et, de fait, dans les trois années de son ministère, il
ne compta guère que des insuccès et des échecs: son manque de décision,
sa crainte de déplaire et surtout sa complète ignorance de la mentalité
royale, ondoyante et diverse en son indolence voulue, le condamnaient
fatalement à cette politique sans résultats. Habile administrateur en
Bretagne, il devait être à Versailles le plus médiocre des ministres.

Son avènement avait exercé néanmoins l’imagination, toujours en éveil,
des courtisans. On lui prêtait, ainsi qu’à ses collègues, les
combinaisons les plus subtiles. On le voyait déjà, avec le chancelier et
M. de Boynes[218] «se porter au grand pouvoir» et travailler «longtemps
de front» à l’expédition des affaires. Mais, disait-on, des causes de
conflit divisaient Maupeou et d’Aiguillon: celui-ci, en prévision des
«troubles de l’Europe» qui pourraient «entraîner la France», demandait
au conseil des impôts que refusait le chancelier; mais son esprit souple
et avisé l’emporterait enfin sur l’autoritarisme de Maupeou pour être
mis à son tour en échec par la pondération de M. de Boynes[219].

Mᵐᵉ Du Deffand n’édifiait pas de moindres romans. Elle voyait déjà
Terray «sauter», pour s’être permis d’avoir payé, sans consulter le
ministre, les sommes dues à la Chalotais[220]. Or, c’était d’Aiguillon
qui, soucieux de se rendre populaire, avait pris l’initiative de faire
restituer ses pensions à l’exilé de Saintes.

Il mettait à profit les dîners que donnaient en son honneur «ses amis»,
pour pratiquer le plus largement possible avec les cours étrangères
cette politique d’apaisement qu’il avait inaugurée dès son entrée au
ministère. Le 28 juillet, à Compiègne, la duchesse de Valentinois, dame
d’atours de la comtesse de Provence, avait prié à souper, avec le duc et
la duchesse d’Aiguillon et le duc de la Vrillière, une partie du corps
diplomatique, le nonce, les ambassadeurs d’Autriche et de Sardaigne. Il
est vrai que, Mᵐᵉ Du Barry étant de la fête, Fuentès et Carracioli,
représentants de l’Espagne et des Deux-Siciles, s’étaient fait excuser.
Mercy-Argenteau a raconté la scène. C’était la première fois qu’il se
rencontrait avec la sultane favorite: à celle-ci le nonce et
l’ambassadeur de Sardaigne prodiguaient leurs grâces. Mercy attendit
qu’elle lui adressât la parole; et, très sensible à cet accueil, le
diplomate écrit: «Je reçus plus de distinction que n’en avaient éprouvé
les autres». Aussi, quand le duc d’Aiguillon, toujours dans l’esprit de
son rôle, le prit à part et l’avertit que le roi lui donnait un
rendez-vous pour le surlendemain chez Mᵐᵉ Du Barry, Mercy n’eut-il garde
d’y manquer. D’ailleurs d’Aiguillon l’y conduisit, et, sous prétexte
d’aller examiner des estampes dans une pièce voisine, laissa Mercy en
tête-à-tête avec la dame du logis, qui s’empressa de faire asseoir le
diplomate à côté d’elle et de lui conter ses doléances. Elle était
désolée «qu’on l’eût prévenue auprès de la Dauphine par les calomnies
les plus atroces, en lui attribuant des propos irrespectueux pour son
Altesse Royale», alors qu’elle avait «fait les plus justes éloges des
charmes» de la princesse.

On sait en effet le mot prêté à la Du Barry et
rapporté--naturellement--à Marie-Antoinette; elle aurait appelé la
vigilance du vieux monarque sur les périlleuses inconséquences de cette
«petite rousse»; paroles imprudentes autant que cyniques, si jamais
elles furent prononcées;[221] car elles ne pouvaient que révolter la
pudeur de la femme et blesser cruellement l’orgueil de la future reine.

La Dauphine, poursuit la comtesse, «n’a cessé de me témoigner une sorte
de mépris».

Mercy lui prodiguant de bonnes paroles, Mᵐᵉ Du Barry entre en confiance,
et, le cœur sur la main, ne lui cache rien de son histoire. Elle lui
parle de son entrée à Versailles, lui dit comme elle s’ingénie à
désennuyer le roi et ce qu’elle pense des gens de la cour: si elle
s’exprime ainsi en toute liberté, c’est que sa belle-sœur,
«_surveillante qui la garde à vue pour le duc d’Aiguillon_», est
absente. Et cet aimable bavardage (au fait Mercy est-il bien exact?) se
continue jusqu’au moment où paraît le roi.

--Dois-je me retirer, Monsieur? dit-elle (elle ne l’appelle pas encore
la France).

Louis XV est seul avec l’ambassadeur. Lui aussi se plaint amèrement. Son
petit-fils est incapable de diriger la Dauphine, dont la jeunesse trop
exubérante a besoin d’être mise en garde contre les pièges qui
l’entourent. Aussi veut-il confier à Mercy-Argenteau la surveillance de
la princesse. Il remarque chez elle «des préventions et des haines qui
lui sont suggérées». Il invite donc le diplomate à «voir souvent»
Marie-Antoinette: il l’autorise même à lui parler en son nom.

Mercy trouve la mission délicate: il le dit. Le roi, embarrassé à son
tour, rappelle d’Aiguillon et la comtesse restés dans le cabinet de
toilette. Il se lève:

--Il est tard, je vais souper avec mes enfants.

Quand il est parti, le premier ministre et la favorite pressent Mercy
de revenir souvent causer aussi simplement avec le roi[222].

Louis XV, volontiers timide, n’avait pas dit à son interlocuteur d’où
venaient ces «préventions», ces «haines». Et Mercy, qui en connaît la
source et qui veut répondre à la confiance du roi, ne dissimule pas que
ses tentatives de conciliation trouvent du côté de Mesdames une
opposition irréductible.

En effet, ce n’étaient pas seulement de grandes dames, mais les propres
filles de Louis XV et surtout Madame Adélaïde, qui menaient la campagne,
poussant devant elles la Dauphine, déjà fort entraînée à subir cette
pression familiale. Mercy-Argenteau, redoutant un éclat, s’était
efforcé, le 31 juillet, après son entretien avec le roi, de faire appel
à la prudence de la jeune princesse, si impulsive de sa nature.
Reprenant le thème cher à Marie-Thérèse et à Kaunitz, Mercy redoublait
d’instances et de prières auprès de Marie-Antoinette, pour qu’elle eût
«l’air d’ignorer le vrai état de la favorite et la traitât sans
affectation comme toute femme présentée...» et surtout pour qu’à aucun
prix elle ne suivît «les directions de Mesdames». Il crut l’avoir
persuadée: car elle lui promit d’adresser la parole à Mᵐᵉ Du Barry,
lorsqu’elle entrerait au cercle de la cour. Et comme il la suppliait de
persévérer dans sa résolution, sans, bien entendu, en instruire
Mesdames, la Dauphine parut choquée d’une insistance qui semblait mettre
en doute la parole donnée. Il est vrai qu’elle ne la tint guère; car, le
11 août, alors que, suivant sa convention avec Mercy, elle s’approchait
de l’ambassadeur, debout à côté de la comtesse, elle rebroussa aussitôt
chemin: la voix impérieuse de Mᵐᵉ Adélaïde lui avait crié qu’il était
temps de partir; et la petite Dauphine avait suivi docilement sa tante.

Mᵐᵉ Du Barry ne put dissimuler au roi le dépit qu’elle avait ressenti
d’un tel affront, et Louis XV qui, de bonne foi, avait supposé à
l’ambassadeur d’Autriche une influence réelle sur l’esprit de
Marie-Antoinette, lui dit, le lendemain, d’un ton moqueur:

--M. de Mercy, vos avis ne fructifient guère; il faudra que je vienne à
votre secours[223].

D’autre part, les débuts de d’Aiguillon qu’avait accueillis, avec une
certaine faveur, la diplomatie étrangère, avaient rencontré plutôt de la
méfiance chez les Choiseul. Et même la duchesse avait failli se
brouiller avec Mᵐᵉ Du Deffand, après un échange de lettres où elle
s’était départie quelque peu de son aménité coutumière, dans une note de
vivacité et d’aigreur que ne méritait pas sa correspondante. Mᵐᵉ de
Choiseul lui avait écrit le 9 juillet[224] que, si elle respectait la
mère, elle n’était pas éblouie de la politesse qu’affectait le fils. «Je
suis seulement ennuyée d’en entendre parler. Il fait le mort, mais gare
à la résurrection! Car les bons ne seront pas assis à sa droite.» Du
fait même de cette déclaration, Mᵐᵉ Du Deffand, qui rêvait peut-être
d’accommodements futurs, s’était crue autorisée à des avances qu’elle
trouvait toutes naturelles:

«Je dirai à Mᵐᵉ d’Aiguillon tout ce que vous me dites d’elle,
mande-t-elle à la duchesse de Choiseul. La fortune de son fils ne lui
tourne pas la tête: c’est une très aimable femme.»

La dame de Chanteloup se montra excessivement froissée que sa
correspondante eût répété un éloge qui serait «une bassesse indigne
d’elle», car elle aurait «l’air de quémander la bienveillance» de la
douairière.

Pendant un long mois, la «petite-fille» et la «grand’maman» disputèrent,
à perte de vue, sur cette question de... point d’honneur, qui semblait
tout de même au bon abbé Barthélemy, intermédiaire bénévole entre les
deux parties, un raffinement de «délicatesse» chez la duchesse de
Choiseul. Mais cette exagération de susceptibilité allait trouver en
quelque sorte sa justification dans un de ces petits événements de cour,
qui prenaient alors les proportions d’un gros scandale et dont parle
incidemment une lettre de Mᵐᵉ d’Aiguillon au chevalier de Balleroy. La
femme du ministre raconte à son confident ses petites misères. Elle a
souffert d’un rhume qui «dégénéra en fluxion sur un œil qu’elle eut
poché» pendant quelques jours:

«Comme j’étais engagée à dîner chez Mᵐᵉ Du Barry à Luciennes avec tout
le corps diplomatique et que ma belle-mère devait y débuter, j’avais
fort à cœur de n’y pas manquer. J’ai imaginé de mettre ma tête sur de
l’eau bouillante pour finir plus tôt cette fluxion. La chaleur de l’eau
et peut-être la disposition m’ont fait porter le sang à la tête.» Ce
beau remède lui valut presque une attaque d’apoplexie. Elle eut un
«étourdissement suivi de perte de la parole» et des «douleurs dans la
tête qui la firent crier comme une femme qui accouche». Aussitôt on la
saigna; elle garda le lit le samedi et le dimanche; et «le lundi, j’ai
été à Luciennes, de là à Versailles où j’ai donné à souper et le mardi
à dîner[225]».

Le «début» de la «grosse duchesse» à Luciennes fait sensation. Le clan
des philosophes en reste abasourdi, Mᵐᵉ Du Deffand, qui, jusqu’alors,
n’a cessé de rompre des lances en l’honneur de la «sœur du pot», semble
fort embarrassée pour annoncer une telle défection à la «grand’maman».
Elle lui écrit le 1ᵉʳ octobre: «La mère du Bacha (c’est le nom dont elle
se plaît à flétrir d’Aiguillon) est franche, désintéressée; tous ses
sentiments sont honnêtes. Elle fit hier une action qui ne vous paraîtra
pas une preuve de ce que je dis. Elle dîna chez la sultane. Il y avait
huit jours qu’elle résistait au Bacha. Elle se serait brouillée avec
lui, si elle avait persisté à résister[226].»

Mᵐᵉ de Choiseul triomphe: «Vous avez beau dire, Mᵐᵉ d’Aiguillon s’est
souillée et je rabats de l’estime. Il n’y a point d’autorité, ni de
considération qui puisse excuser une infamie[227].»

Si dure pour la belle-mère, Mᵐᵉ de Choiseul se tait sur la bru. Elle qui
se sacrifia toujours, sans jamais se plaindre, pour un époux volage,
autoritaire et prodigue, elle n’ignore pas que la femme du ministre
actuel n’est guère plus heureuse avec son mari. Si M. d’Aiguillon a pu
décider sa mère à la plus pénible des démarches, quelle pression ne
dût-il pas exercer sur l’esprit de sa femme, pour exiger une absolue
soumission aux caprices de ses visées ambitieuses! Désormais la
duchesse sera en quelque sorte la dame d’honneur de la favorite: le duc
entend qu’elle soit l’inséparable compagne de Mᵐᵉ Du Barry. Et Mᵐᵉ
d’Aiguillon subira cette contrainte avec une résignation qui semblera de
l’enjouement, tant elle s’applique à ne laisser voir à personne qu’elle
obéit à un ordre. Pidansat de Mairobert, observateur perspicace, quand
il n’est pas préoccupé de la fabrication de ses nouvelles scandaleuses,
a bien compris le caractère de Mᵐᵉ d’Aiguillon jeune[228]. C’est «pour
complaire à son mari», qu’elle fait une «cour assidue» à la protectrice
de cet époux peu scrupuleux. Elle y gagne l’insigne honneur d’une
«familiarité» qui la met souvent dans l’embarras. Un jour, elle
complimente, par bienséance, la comtesse Du Barry sur le goût exquis
d’une toilette qu’on vient de lui apporter. Là-dessus, la bonne fille
qu’est la maîtresse du roi, prend feu: elle court embrasser la duchesse
et la supplie, au nom de leur amitié, d’accepter la robe. Mᵐᵉ
d’Aiguillon se défend de recevoir un cadeau «qui ne convient pas à une
aussi vieille femme»--aveu qui ne lui coûte guère, et qu’on trouve
fréquemment dans sa correspondance. Sur ces entrefaites arrive le roi
qui donne gain de cause à la comtesse; et les courtisans de trouver
l’aventure plaisante.

Mᵐᵉ d’Aiguillon était donc devenue le chaperon de la Du Barry dans les
cérémonies officielles. L’année suivante, au décintrement du pont de
Neuilly (22 décembre 1772), la famille royale brillant par son absence,
«la favorite, écrit Mairobert, resta seule en possession de tous les
honneurs». On avait «dressé une loge» à son intention. Elle arriva dans
un carrosse dont le fond était occupé par la maréchale de Mirepoix et la
duchesse d’Aiguillon: elle se tenait sur le devant avec le comte de la
Marche, le seul prince du sang qui fût présent et qui lui servit
d’écuyer pour la circonstance[229].

Malgré son peu de goût pour la représentation, la femme du nouveau
ministre s’était décidée à «faire ses visites», puis elle s’était
«suivant l’usage livrée au public[230]».

De Fontainebleau où elle n’était «pas aussi bien logée qu’à Compiègne»,
elle continuait ses confidences à Balleroy qu’elle priait, par la même
occasion, de lui rapporter un manchon d’hermine doublé de taffetas[231].
Ce n’était pas sans une certaine ironie qu’elle recevait les courbettes
empressées de tous ces gens de cour qui l’avaient fuie comme la peste,
pendant les heures difficiles des Etats de Bretagne et du procès de
Paris: «tout ce qui est ici a passé chez moi indistinctement; même Mᵐᵉ
de Chauvelin, que vous avez vue à Compiègne si hautaine, est douce comme
un mouton et ne bouge de chez moi. Il n’y a que quatre femmes qui n’y
ont pas mis les pieds: Mᵐᵉ d’Egmont et sa grosse belle-fille[232] et
Mᵐᵉ de Duras». Elle est d’ailleurs animée du plus grand esprit de
conciliation; et les aphorismes qu’elle énonce pour en témoigner seront
repris cinquante ans plus tard par Brillat-Savarin: «Il ne faut changer
mon cuisinier: il met d’accord les gens les plus opposés: aussi je nomme
Martin le pacificateur de la cour». Toutefois l’attitude hostile de Mᵐᵉ
d’Egmont avait quelque peu altéré sa bonne humeur: «Ma chère cousine a
été ridicule avec moi; et il n’aurait tenu qu’à moi, si je n’avais pas
été plus sage qu’elle, d’avoir quelques scènes avec elle; mais je les ai
évitées avec soin; je respecte en elle le nom que je porte et la fille
d’un homme qui, depuis mon mariage, m’a toujours traitée en père...»

D’autres haines, plus implacables encore et partant de plus haut, sur
lesquelles la duchesse se garde bien de s’expliquer, menaçaient déjà son
mari, trop fidèle allié de la Du Barry. M. d’Aiguillon devait son poste
de premier ministre à la maîtresse du roi: c’était de toute justice
qu’il intervînt en sa faveur dans la lutte qui s’engageait contre elle,
plus ardente que jamais: «il la gouverne moins par un ascendant décidé
que par la souplesse, les égards et les soins», écrit Mercy-Argenteau, à
Kaunitz.

Marie-Antoinette ne pardonna jamais à d’Aiguillon l’appui qu’il prêta à
Mᵐᵉ Du Barry.

Mesdames applaudissaient à des sentiments d’animosité qui se
retournaient contre la maîtresse de leur père; et, dans l’horreur que
celle-ci leur inspirait, elles en étaient arrivées à se rapprocher de
Choiseul, que l’expulsion des jésuites leur avait rendu plus
particulièrement odieux[233]. L’affectation qu’elles apportaient à
défendre le ministre disgracié ne pouvait qu’indisposer davantage Mᵐᵉ Du
Barry contre un homme qui s’était affirmé si résolument son ennemi. Au
reste, Louis XV n’attendait pas après des influences étrangères pour
prendre en grippe son ancien favori. L’exil triomphal de Chanteloup et
toutes les manifestations en l’honneur du vaincu dont une publicité
savante amplifiait l’éclat, avaient fini par énerver ce monarque,
parfois si ombrageux sous son apparente indifférence. Aussi, quand on
vint lui proposer d’enlever à Choiseul, un an à peine après sa chute, sa
charge de _colonel-général des Suisses et Grisons_ (et d’Aiguillon dut
participer à la manœuvre), Louis XV se laissa-t-il facilement persuader.

D’ailleurs, le principal intéressé, dès qu’il reçut l’ordre de se
démettre, ne put s’y tromper un seul instant. Vainement il avait cru à
la parole royale l’assurant, en 1762, qu’il resterait toujours titulaire
et possesseur de sa charge. Or, d’Aiguillon venait d’écrire à M. Du
Chatelet, l’ami et le représentant de l’ancien ministre, qu’elle n’était
pas «inamovible», déclaration confirmée en ces termes de la main même du
prince: «ce que dessus ma façon de vouloir[234]!» Et Choiseul d’en tirer
cette conclusion qui fait peu d’honneur à sa clairvoyance, si toutefois
elle est bien l’expression sincère de sa pensée: «Je n’ai commencé que
de ce moment à être vraiment l’ennemi personnel de M. d’Aiguillon et la
conduite du roi à mon égard achève l’opinion que j’avais de lui et le
dégoût que sa faiblesse cruelle m’inspirait[235]».

Les _Mémoires_, parus en 1790 sous le nom de Choiseul, sont consacrés en
grande partie, le deuxième volume surtout, à l’histoire des négociations
qui s’engagèrent et des correspondances qui furent échangées pour la
cession de ce brevet de colonel-général. La charge rapportait cent mille
livres[236] et les dettes du titulaire étaient énormes. Du Chatelet,
intermédiaire très actif et très dévoué, en dépit de tous les tracas que
lui valent la raideur et l’aigreur de Choiseul, a trop bien pénétré la
volonté arrêtée et irréductible du roi pour ne pas inviter instamment
son ami à donner sa démission. Enfin Choiseul cède. Les lettres de
continuer.

Il s’agit du prix à débattre. Du Chatelet rend compte à Chanteloup de
ses conférences, tantôt avec Mᵐᵉ Du Barry, tantôt avec d’Aiguillon. S’il
faut en croire la favorite, le nouveau ministre ne témoigne d’aucun
«acharnement» contre son prédécesseur, elle encore moins; c’est le roi
qui estime intolérables les chroniques de Chanteloup. Au surplus,
«d’Aiguillon ne la gouverne pas; elle écoute tout le monde et ne fait
que ce qu’elle veut[237]».

Ce qui n’est pas douteux, c’est que Mᵐᵉ Du Barry se montra, dans la
circonstance, plus conciliante que Choiseul ne pouvait raisonnablement
l’espérer: «M. Du Chatelet, écrit Mᵐᵉ Du Deffand à Walpole, ne trouvant
pas de facilité auprès de M. d’Aiguillon, se détermina à parler à Mᵐᵉ
Du Barry, en qui il trouva plus de douceur et de facilité».

Choiseul, dont cette intervention humiliait la fierté, conservait son
ton cassant et son attitude de grande victime. Il crut devoir à son
orgueil de faire passer sous les yeux du roi, dans les salons de Choisy,
une lettre qui l’irritât au possible. Mais la favorite se tourna vers
d’Aiguillon et lui dit tout haut:

--Il faut bien que cela soit comme cela.

Enfin, après une conversation des plus animées entre Louis XV, sa
maîtresse et son premier ministre, le roi laissa tomber ces mots, en se
mettant au jeu:

--Cent mille écus argent comptant, soixante mille livres de pension dont
cinquante mille reversibles sur Mᵐᵉ de Choiseul[238].

D’Aiguillon fit part à Du Châtelet de la décision royale. Le
dédommagement dépassait les prévisions de l’ex-colonel-général[239];
mais son amour-propre sortait singulièrement froissé de l’aventure:

--Ni moi, ni Mᵐᵉ de Choiseul, écrit l’ancien ministre, ne fîmes de
remerciement. L’injustice et surtout la manière dure qu’on avait
employée nous dispensaient de la reconnaissance.

Dans l’origine, c’était le comte de Provence que Louis XV avait donné
pour successeur à Choiseul. Mais, devant l’opposition du Dauphin, la
charge fut attribuée au comte d’Artois.

N’importe, dans l’âme vindicative de d’Aiguillon, l’affaire du régiment
des Suisses dut être la contrepartie de celle du régiment du roi.



XIII

     _Le partage de la Pologne et ses responsabilités.--Ambitions du
     comte de Broglie.--Le cardinal de Rohan nommé ambassadeur à
     Vienne.--Tactique autrichienne: condescendance de la
     Dauphine.--L’amitié suédoise et le lyrisme de la duchesse
     d’Aiguillon.--«Deux brigands et une dévote».--Les gémissements de
     Marie-Thérèse.--L’irréparable.--Conseils du comte de Provence.--La
     révolte de la Dauphine.--La vie à Fontainebleau.--La «croquante» de
     Versailles.--Mort de «la grosse duchesse»._


Trop longtemps, le duc d’Aiguillon a supporté, à lui seul, devant
l’Histoire la responsabilité du partage de la Pologne. Certes ce fut,
sous son principat, que cette iniquité fut consommée; mais il la subit,
comme, cent ans plus tard, des ministres français signaient, contraints
et forcés, le traité qui arrachait à leur patrie l’Alsace-Lorraine.
Aurait-il pu, avec plus de décision et de fermeté, conjurer la
catastrophe? Rien n’est moins certain. Choiseul n’avait pas surveillé
d’assez près la coalition qui se formait dans le Nord: il avait trop
laissé décliner en ces pays lointains le prestige de la France. Surpris,
il voulut faire face au danger; il lança Dumouriez comme un brûlot; mais
il était trop tard. N’eût-il pas été atteint par la disgrâce, que tout
son brio de diplomate, toute sa vigueur d’homme d’État auraient échoué
devant l’irréparable.

Le duc de Broglie le reconnaît dans son _Secret du roi_, de même qu’il
y fait le procès en règle de d’Aiguillon, qu’il accuse presque
d’aveuglement et d’imbécillité. Il est vrai qu’il est un peu juge et
partie dans l’affaire: car il semble sous-entendre qu’un de ses
ancêtres, le comte de Broglie, aurait pu sauver la situation, s’il avait
été appelé alors au secrétariat des affaires étrangères.

Le comte de Broglie était le principal agent, très perspicace, il faut
le reconnaître, de la politique secrète, que menait, à l’insu du cabinet
de Versailles, le roi Louis XV, ce prince déconcertant, qui paraissait
indifférent aux tractations de ses ministres, alors qu’il en
contrecarrait la plupart du temps la stratégie diplomatique par des
instructions données à des acteurs restant dans la coulisse[240].
Aussitôt Choiseul disgracié, le comte de Broglie s’était mis sur les
rangs pour lui succéder[241]: il était cependant un des bons amis de
d’Aiguillon; mais le roi, estimant sans doute le mystérieux concours du
comte trop précieux pour s’en priver, avait fait la sourde oreille.
Broglie, lassé d’une besogne sans gloire et sans profit, se retourna
vers d’Aiguillon, dès qu’il le sut pourvu du ministère et lui écrivit,
le 8 juin 1771, pour postuler l’ambassade de Vienne. Mais le successeur
de Choiseul, dit amèrement le duc de Broglie, «n’y voulait avoir un
ambassadeur qui comprît une ligne politique et fût en état de la suivre,
pour la raison très simple que n’ayant lui aucune politique, il ne
pouvait lui plaire qu’un autre en eût à sa place[242]». Peut-être aussi
avait-il appris par son alliée, Mᵐᵉ Du Barry, les compétitions d’un ami
dont il ignorait encore le rôle auprès de Louis XV.

Assurément, le poste, alors vacant, de Vienne exigeait un diplomate
avisé, actif et très ferme, sans cesser un instant d’être souple et
conciliant. Le ministre qui remplissait alors par intérim ces fonctions,
M. Durand, était un homme de réelle valeur, mais il n’était pas _né_.
D’Aiguillon eut donc la malencontreuse idée d’envoyer à Vienne le
cardinal de Rohan, un très grand seigneur, mais le personnage le moins
propre à s’acquitter avec succès de la délicate mission qui lui était
confiée. Ce prélat bellâtre, infatué de son nom et de son titre, était
étourdi, frivole, dissipé, libertin, fastueux jusqu’à la plus folle
prodigalité, incapable de la moindre direction politique et dépourvu de
tout scrupule. D’Aiguillon, en le nommant, s’était attiré les bonnes
grâces de la puissante maison de Rohan, du prince de Soubise et de la
comtesse de Marsan; mais pouvait-il ignorer combien ce choix était
déplorable, étant donnés le caractère et les principes de Marie-Thérèse,
cette impératrice qui avait une si haute idée de ses devoirs comme
souveraine et que la dignité de sa vie avait toujours imposée au respect
de l’Europe?

A vrai dire, cette rigidité de mœurs n’excluait, ni les calculs
ambitieux qui ont le pressentiment des annexions futures, ni les
accommodements de conscience qu’expliquent, qu’excusent au besoin les
intérêts supérieurs de l’État.

Ceux-ci, néanmoins, n’exigeaient-ils pas qu’en présence d’un nouveau
ministre, évidemment prévenu contre la politique de son prédécesseur,
son plus mortel ennemi, on lui prodiguât toutes les promesses, on lui
consentît toutes les concessions susceptibles d’endormir sa défiance?

Tactique, en vérité bien superflue, que révèlent les réponses de Mercy
aux instructions précises de sa souveraine! Car notre secrétariat des
affaires étrangères ne savait pas appuyer sa conception d’une Pologne
intangible et libre, d’un ultimatum inflexible; et d’autre part, Louis
XV ne se désintéressait que trop de ses devoirs de roi.

Mais un revirement était possible. Et c’était pour s’assurer une
neutralité bienveillante, autant que pour maintenir l’alliance des deux
pays, que Marie-Thérèse d’abord, puis son ambassadeur, s’efforçaient
d’amener la Dauphine à montrer moins d’hostilité contre Mᵐᵉ Du Barry et
contre le duc d’Aiguillon. Mercy n’en prisait pas mieux celui-ci qu’il
appelait «ministre médiocre à petites ruses et manœuvres sourdes». Mais
il se faisait fort d’y porter remède, si Mᵐᵉ l’archiduchesse «moins
légère et moins obstinée» dans sa conduite envers Mᵐᵉ Du Barry «lui
donnait un peu de jeu[243]». Les instances de Mercy auprès de
Marie-Antoinette finirent par obtenir gain de cause. Le 1ᵉʳ janvier
1772, quand Mᵐᵉ Du Barry, accompagnée de la maréchale de Mirepoix et de
Mᵐᵉ d’Aiguillon, se présenta chez la Dauphine, celle-ci dit à la
duchesse, en regardant la favorite: «Il y a bien du monde
aujourd’hui[244]». Et chacun, dans l’entourage du premier ministre, de
célébrer la grâce, l’aménité, la modération de la jeune princesse. En
vérité, on se contentait de peu. Par contre, la coterie de Mesdames
était indignée; et les filles du roi firent grise mine à leur nièce.

Cependant, malgré ses tâtonnements, ses incertitudes, son désir de ne
déplaire à personne, d’Aiguillon avait encore un certain respect des
traditions. Il ne pouvait oublier par quelle ligne de conduite son
illustre ancêtre, le cardinal de Richelieu, avait assuré la
prépondérance européenne de la France et rendu son propre nom immortel.
Il était, par exemple, telles amitiés séculaires qu’il fallait
pieusement conserver, tel engagement sacré qu’il importait de tenir. La
Suède attendait les subsides, promis, de la grande nation, dont elle
défendait les intérêts politiques dans le Nord.

Mais, hélas! le trésor de la France était vide. Creutz, l’adroit
ministre de Suède à Versailles, écrivit alors au roi Gustave d’envoyer à
Louis XV «une lettre touchante, une très flatteuse à Mᵐᵉ Du Barry et une
pleine de confiance et d’amitié à M. d’Aiguillon[245]». En dépit de Mᵐᵉ
d’Egmont, qui ne voulait donner son portrait au roi de Suède que si le
jeune souverain s’engageait à ne pas réclamer celui de la comtesse Du
Barry, Gustave suivit le conseil de son ministre et reçut les subsides.
D’Aiguillon continua cet accord amical; et le coup d’état du 19 août
1772, qui libéra le roi de Suède du joug de sa turbulente noblesse, et
qu’avaient si bien préparé les conseils de Vergennes, le représentant de
la France, fut presque un triomphe pour d’Aiguillon. Aussi la duchesse,
chez qui nous avons déjà signalé la préoccupation constante de l’honneur
du nom, écrivait-elle, sur le mode lyrique, elle d’ordinaire si simple
de ton et si naturelle d’allure:

«... Je ne vous manderai aucunes nouvelles d’ici: celle de Suède les a
toutes absorbées: je ne doute pas du plaisir qu’elle y a fait. Votre
amitié vous fait partager tout ce qui est à la gloire de M. d’Aiguillon.
Il est vrai que le nom de Gustave et celui de Richelieu ne peuvent se
séparer pour les grandes choses. Il est plaisant que la France n’ait
bien secondé la Suède que sous le règne d’un Gustave et le ministère
d’un Richelieu[246].»

Par contre, Mᵐᵉ d’Aiguillon ne parle jamais de la gloire de son époux en
Pologne.

Celui-ci, vers la fin de 1771, soit qu’il fût hanté des souvenirs de la
politique d’antan, soit qu’il voulût répondre aux «cajoleries» de
Frédéric, s’était avisé de lui faire connaître «les pourparlers qui lui
étaient offerts du côté de Vienne et de Saint-Pétersbourg». Et,
naturellement, le roi de Prusse ne l’avait pas laissé ignorer à
Marie-Thérèse. Mais, quand Mercy, quelque peu interloqué, vint demander
au ministre si ce fait était réel, d’Aiguillon en convint très
volontiers, et, par réciprocité, s’empressa de montrer à l’ambassadeur
sa correspondance avec Frédéric, qui le priait «de ne pas s’opposer à la
prise de possession de Dantzick[247]».

Louis XV expliquait ainsi cette double indiscrétion au comte de Broglie:
«C’est pour marquer toute notre confiance à la Cour de Vienne que M.
d’Aiguillon a communiqué la lettre de Prusse à M. de Mercy et pour juger
si elle ne voudrait pas avoir sa part du gâteau, comme il y a tout lieu
de le croire[248]».

En tout cas, au point de vue des usages diplomatiques, le procédé
n’était pas banal. Certes, il justifie l’irritation hargneuse de Mercy,
dans sa dépêche du 23 janvier à Kaunitz; il exprime le très vif désir de
trouver «le moyen de retirer Mᵐᵉ Du Barry de la dépendance de M.
d’Aiguillon» pour être débarrassé au plus tôt de «cet homme faux,
vindicatif et méchant».

Mais, en somme, cette... franchise, qui était presque une pantalonnade,
n’apprenait rien aux puissances intéressées, puisque, d’après la
correspondance de Frédéric, bien avant le départ de Rohan pour Vienne,
le projet de partage de la Pologne était arrêté entre la Russie et la
Prusse, avec le consentement tacite de l’Autriche[249]. On comprend donc
le mot de Louis XV, déjà renseigné par de Broglie sur cet accord, ainsi
que le sera d’Aiguillon, le 12 février, par Gaulard de Saudray, chargé
d’affaires à Berlin[250]. Aussi, avons-nous peine à croire qu’à la même
époque Mercy-Argenteau ait tenté, avec beaucoup de mystère toutefois,
mais sans succès, une démarche auprès du successeur de Choiseul, pour
donner plus de cohésion à l’alliance austro-française et empêcher ainsi
le partage de la Pologne, «marché qui révoltait la conscience de
Marie-Thérèse et fut le remords de sa vie[251]». A quoi bon resserrer
les liens de l’alliance, puisque d’Aiguillon avait écrit, le 6 février,
à Rohan: «le roi n’a contracté qu’une obligation formelle, celle de
secourir la Maison d’Autriche si elle est attaquée dans ses
possessions[252]»? Et de l’avis même de M. de Broglie, grand admirateur
de Marie-Thérèse, l’impératrice-reine, qui occupait déjà une partie de
la Pologne, espérait bien continuer et «finir» la conversation sur la
base de l’_uti possidetis_. Ces scrupules, un peu tardifs et si
atténués, de Marie-Thérèse, mettaient en joie son cynique voisin de
Potsdam. Il en écrivait à d’Alembert qu’il savait un écho complaisant:
«L’impératrice Catherine et moi sommes deux brigands; mais cette dévote
d’impératrice-reine, comment a-t-elle arrangé cela avec son confesseur?»

Marie-Thérèse avait donc, par grâce d’Etat, la conscience absolument
tranquille; et la correspondance de Mercy-Argenteau le démontre de
reste, comme elle nous fait assister aux tergiversations, aux
inquiétudes et surtout à la veulerie de ce malheureux d’Aiguillon, qui
pressentait l’imminente catastrophe, mais ne savait l’enrayer: tout au
plus risquait-il une épigramme pour prouver qu’il n’était pas dupe de la
comédie.

«M. d’Aiguillon traite les affaires sans énergie, sans nerf et sans
vues: son génie le porte à employer des petits moyens de
fausseté...[253]»

Mercy note en même temps les intrigues de Cour qui se nouent autour des
deux antagonistes, le ministre des affaires étrangères et le chancelier
Maupeou. Le roi les estime peu et ne semble guère disposé à intervenir
dans la lutte[254].

Déjà l’ambassadeur d’Autriche avait signalé, dans sa lettre du 23
janvier à Kaunitz, la «guerre très rude» que préparait le
chancelier[255] au ministre «généralement haï» et dont «le despotisme»
commençait à fatiguer la favorite.

Cependant, le bruit s’est répandu en France de l’accord conclu entre les
trois puissances. D’Aiguillon veut parler haut et ferme à Mercy; mais il
est bien obligé de baisser de ton: l’argent manque, la France est
discréditée et l’Angleterre lui refuse son concours[256]. Il n’en écrit
pas moins à Rohan le 5 mai, après avoir reçu les dépêches de Kaunitz et
de Marie-Thérèse, transmises par l’ambassadeur que, la Cour de Vienne
gémissant sur la triste nécessité où elle se voyait réduite de donner
les mains à l’arrangement prusso-russe, le roi ne pourrait sans doute
que gémir avec elle[257].

«J’ai lieu de croire, dit Mercy, blessé de ce persiflage, à M. de
Kaunitz, j’ai lieu de croire que vous serez surpris de la médiocrité du
langage tenu par M. d’Aiguillon à cette nouvelle importante. Depuis que
M. d’Aiguillon traite les affaires de l’Etat, sa réputation d’homme
d’esprit s’éclipse chaque jour davantage; je crois que l’on ne doit être
en garde que contre sa bonne volonté qui ne peut même pas produire de
grands effets dans la position où tout se trouve maintenant à la
Cour[258].»

D’autre part, d’après l’abbé Georgel[259], secrétaire de Rohan, le
cardinal, que l’évidence obligeait à parler, adressait à son ministre
cette fameuse dépêche qui renforçait le croquis esquissé par
d’Aiguillon, en accentuant d’un trait plus vif la duplicité de
l’impératrice: «Elle paraît avoir les larmes à son commandement; d’une
main, elle a le mouchoir pour essuyer ses pleurs, de l’autre elle manie
le glaive des négociations». Toujours au dire de Georgel, le ministre
des affaires étrangères avait eu la coupable indiscrétion de montrer
cette dépêche à Mᵐᵉ Du Barry et la favorite en avait fait des gorges
chaudes dans ses salons, laissant croire qu’elle en était la
destinataire.

Le duc de Broglie accepte l’anecdote comme authentique dans son _Secret
du Roi_. Mais Vatel la déclare controuvée. L’ambassadeur de France se
serait permis une telle inconvenance, que Marie-Thérèse, déjà très
mécontente de la légèreté et des incorrections du cardinal, en eût
aussitôt exigé le rappel. D’ailleurs, la correspondance de Marie-Thérèse
et de Mercy-Argenteau ne fait aucune allusion à cette mystérieuse
dépêche, qui, par parenthèse, ne se trouve pas au dépôt des affaires
étrangères. C’est à se demander si celle que nous avons citée de M.
d’Aiguillon sur les «gémissements» de l’impératrice-reine, n’aurait pas
quelque peu stimulé l’imagination, naturellement très vive, de l’abbé
Georgel[260].

Mercy avait surtout pour instruction de bien persuader au ministre
français que l’Autriche resterait en état d’infériorité devant la Prusse
et la Russie qui arrondissaient leur domaine, si elle ne suivait leur
exemple... la part du gâteau dont Louis XV parlait au comte de Broglie!
«Le Roi Très Chrétien, écrit l’ambassadeur, envisage cet objet d’un œil
de justice et de modération...» «Et, concluait-il, il ne restera plus
qu’à calmer les effets de l’amour-propre du duc d’Aiguillon qui est
piqué du triste rôle qu’il joue dans le début de son ministère.» Mais
pour le «ramener», il faudrait que lui, Mercy-Argenteau, pût compter sur
l’accueil que la Dauphine, préalablement «avertie» par sa mère, ferait à
la comtesse Du Barry[261].

«L’intérêt personnel, dit encore le diplomate, rend méfiant M.
d’Aiguillon.» Sa «mauvaise volonté» des premiers jours venait de ses
appréhensions. Il craignait que Marie-Thérèse «n’accordât une trop haute
protection à M. de Choiseul». Mais il commence à parler avec un peu plus
de modération sur les affaires de Pologne; et Mercy ne désespère pas
d’en avoir raison, si «Madame la Dauphine veut bien appuyer ses
démarches[262]».

De fait, il semble que cette princesse, considérée par Kaunitz «comme un
mauvais payeur dont il faut se contenter de tirer ce que l’on
peut[263]», veuille maintenant en devenir un bon; car, à quelque temps
de là, rencontrant d’Aiguillon chez le roi, elle lui parle fort
longuement: «Jamais, confie le ministre à l’ambassadeur, je n’avais été
si bien traité[264]». Un autre jour, Mᵐᵉ Du Barry s’étant rendue à la
messe avec la duchesse d’Aiguillon, la Dauphine adresse d’abord la
parole à la grande dame, puis se tournant vers la favorite, elle donne
un tour si adroit à la conversation que les deux femmes peuvent se
croire également visées par la princesse. Le roi et Mᵐᵉ Du Barry étaient
aux anges[265].

Louis XV, fier de ce succès, encourage sa maîtresse à se présenter chez
la Dauphine; Mercy, à qui d’Aiguillon fait la confidence, approuve la
démarche pour «éviter toute fermentation dans la famille royale»; mais
il estime que la comtesse «devrait se contenter d’être bien reçue deux à
trois fois par an[266]».

Entre temps, l’acte diplomatique du 5 août consacre officiellement le
dépeçage hypocrite de la malheureuse Pologne; et d’Aiguillon conserve
l’attitude favorable déjà signalée par Mercy. Mais l’ambassadeur
d’Autriche se tient toujours sur ses gardes. Le caractère du ministre
français est trop faux et trop suspect aux yeux de Mercy, pour qu’on
puisse «s’en reposer sur ses assertions». D’Aiguillon, ne prenant
d’autre guide que «sa convenance personnelle», n’a «ni la force, ni le
génie, ni la connaissance des affaires pour résoudre un système».
Toutefois comme Louis XV reste inviolablement attaché à la politique
actuelle, son secrétaire d’État aux affaires étrangères ne «tentera pas
d’entreprises impraticables». Il s’accommodera même très volontiers de
l’alliance autrichienne, dès qu’il pensera y trouver sûreté et profit,
ce que d’ailleurs lui «laisse prévoir» son interlocuteur[267].

L’impératrice partage l’opinion de son représentant sur d’Aiguillon
qu’il surveille de près. Il constate que le Premier tient toujours «un
langage très modéré», quoique «la confection des arrangements relatifs à
la Pologne devienne une nouvelle mortification pour le ministre
français; mais le Roi Très Chrétien envisage ces mêmes arrangements avec
plus de raison et de justice[268]».

Ah! le beau bill d’indemnité pour la conscience de Marie-Thérèse! Mais
aussi quel triomphe pour l’adresse de l’ambassadeur!

Il parviendra également à prévenir les tracasseries que peut susciter
d’Aiguillon, si «malhabile» et si discrédité qu’il soit, par ses
démarches auprès de l’Angleterre, de même qu’il compte «barrer» à
Madrid, les «insinuations» du ministre[269].

Or, cet homme qui savait si bien se faire valoir et qui, somme toute,
n’avait eu qu’à enfoncer des portes ouvertes, n’avait pas prévu un
incident susceptible de démolir l’échafaudage de combinaisons qu’il
avait si artificiellement accumulées pour soutenir «l’alliance». Un
matin, la Dauphine lui montre, en lui demandant «le secret absolu», une
lettre que vient de lui adresser le comte de Provence[270]. C’était tout
une suite de conseils, écrits de la main du prince, pour apprendre à sa
belle-sœur comment elle réussirait à se concilier l’amitié du roi, la
considération de sa famille, le dévouement de la Cour et de la Nation.
Ils se résumaient ainsi:

1º Dépeindre, au monarque, le duc d’Aiguillon, «ce monstre», sous les
couleurs les plus noires; car c’est à lui qu’il faut imputer la discorde
où se débat la famille royale; il n’est pas question toutefois de la
liaison du ministre avec la favorite.

2º Pour que d’Aiguillon ne puisse inspirer aucune méfiance au roi sur la
correspondance de la Dauphine, cette princesse devra faire lire à Louis
XV les lettres qu’elle envoie et qu’elle reçoit.

3º Parler moins souvent en particulier à Mercy.

Mais déjà Marie-Antoinette n’était que trop disposée à suivre ces
conseils, sauf bien entendu le dernier, ou tout au moins à reprendre la
liberté de son attitude envers le duc d’Aiguillon. L’avant-veille de
cette confidence, le 12 novembre, à sa toilette, elle avait très
nettement demandé à Mercy-Argenteau s’il y avait «danger de
refroidissement entre les deux cours»; puis, sur la réponse négative de
son interlocuteur, elle avait fait une sortie très vive contre le
premier ministre qu’elle «dépeignait au naturel», soit du côté du
caractère, soit du côté des moyens d’agir et des talents[271].

Il semble que l’animosité, jusqu’alors si mal contenue de la Dauphine,
se soit principalement portée sur d’Aiguillon; car, quelques jours
auparavant, Mᵐᵉ Du Barry, survenue au moment du dîner, avec son
inséparable compagne, Mᵐᵉ d’Aiguillon, avait reçu de la princesse cet
accueil de bienveillante indifférence, qui se traduisait, d’ordinaire,
par une appréciation banale sur les variations climatériques de la
saison.

Évidemment la boutade de Marie-Antoinette, l’intervention inattendue de
son beau-frère durent faire trembler Mercy; mais il en fut quitte pour
la peur; car nous ne voyons pas que cette double manifestation
d’hostilité ait aggravé la situation. La correspondance de l’ambassadeur
jusqu’aux premiers mois de 1773 ne s’occupe guère que du cardinal de
Rohan. Les entrevues de Mercy avec d’Aiguillon et Mᵐᵉ Du Barry
établissent que l’étourdi et présomptueux prélat eût été volontiers
sacrifié au mécontentement, chaque jour plus intense, de Marie-Thérèse
contre ce «panier percé»[272] (le nom que lui donnait le ministre), s’il
n’eût été de la dernière imprudence de froisser le maréchal de Soubise
et la comtesse de Marsan, grands partisans du chancelier Maupeou.

Pendant la marche ascensionnelle, quoique peu triomphale, de son époux,
Mᵐᵉ d’Aiguillon, cette victime du devoir, que nous voyons toujours à la
remorque de la Du Barry, attirait peu l’attention sur sa propre
personne. Elle s’effaçait, de la meilleure grâce, devant un maître aussi
franchement admiré que ponctuellement obéi, bien qu’elle goutât peu la
fièvre et l’agitation de la vie des cours. Et cependant comme elle se
trouve entraînée dans ce tourbillon! Elle est occupée, lors du séjour à
Fontainebleau, depuis huit heures du matin jusqu’à une heure après
minuit. Et cependant «elle n’a rien fait et dit des riens». Tout,
d’ailleurs, en cette résidence, se trouve «dans l’ordre accoutumé, on y
chasse, on y joue, on s’y promène, car il fait le plus beau temps du
monde... je le sais par ouï-dire, car je n’ai pas mis le nez
dehors[273]».

Mᵐᵉ d’Aiguillon continua-t-elle, à Versailles, cette série de dîners
magnifiques que son mari jugeait nécessaires à sa gloire, dîners dont
elle était la savante ordonnatrice et qui mettait en si puissant relief
le génie du cuisinier Martin? Présida-t-elle, par exemple, aux apprêts
du somptueux festin qui fut l’objet de cet écho des _Mémoires secrets_
du 13 février 1772[274]?

«On raconte que dernièrement à une fête que donnait le duc d’Aiguillon,
il se trouvait au dessert une croquante figurée représentant les
diverses parties de l’Europe et du globe auxquelles correspond son
ministère. Ce seigneur en offrit à Mᵐᵉ la vicomtesse de Fleury et lui
demanda ce qu’elle voulait. Après les petites simagrées des jolies
femmes:

--Eh bien! Monsieur le duc, s’écria-t-elle, donnez-moi la France, je la
croquerai aussi bien qu’une autre.»

Cette période de réceptions fut interrompue, dans le courant de l’année,
par un deuil dont souffrit cruellement la duchesse d’Aiguillon, et que
ravivait, en toutes circonstances, une sensibilité fort rare à cette
époque où la philosophie sceptique de la bonne compagnie prétendait
cuirasser le cœur humain contre les émotions les plus légitimes.

La «grosse duchesse» était morte subitement, au sortir du bain, d’une
indigestion, prétendent les _Mémoires secrets_, qui signalent le décès à
la date du 15 juin et font l’oraison funèbre de la défunte sur le ton
moqueur dont ils sont coutumiers:

«Beaucoup d’esprit, très instruite et fort entichée de la philosophie
moderne, c’est-à-dire de matérialisme et d’athéisme.»

Et la maligne gazette rappelait que la douairière était la protectrice
attitrée de l’Encyclopédie et des Encyclopédistes. L’abbé de Prades,
auteur d’une thèse des plus hardies, avait dû à la grosse duchesse un
asile et des secours qui lui avaient permis de se soustraire au
fanatisme de ses ennemis.

Nous avons vu précédemment[275] quels regrets Mᵐᵉ d’Aiguillon avait
donnés à la mémoire de sa belle-mère. Six mois après, le souvenir des
bienfaits reçus lui arrachait encore des larmes, alors qu’elle «était
allée en Sorbonne», dans cette église dont les caveaux servaient de
sépulture aux Richelieu[276]. C’était là encore que reposaient les
cendres de «ce qu’elle avait le plus aimé», des enfants qu’elle avait
perdus. «Il a fallu tout mon courage, gémit-elle, pour y être sans qu’il
y parût; j’y suis parvenue: il n’y a eu que mes enfants qui s’en soient
aperçus... Plus j’ai souffert et plus j’ai été aise que M. d’Aiguillon
n’ait pas pu y venir. Je craignais ce moment-là pour lui...[277]»

Joli trait de tendresse conjugale! Attention délicate pour un homme à
qui la seule politique donnât vraisemblablement de l’émotion!



XIV

     _Un mauvais jour de l’an pour Mᵐᵉ d’Aiguillon.--Conseils de
     prudence.--Les galas de d’Aiguillon et de Mᵐᵉ du Barry: «le noir
     serpent» et l’œuf d’autruche.--On s’écrase chez Mᵐᵉ
     d’Aiguillon.--Bouderies entre le ministre et la favorite.--«Le
     mauvais sujet».--Confidences de Mˡˡᵉ Chon: Mercy-Argenteau
     serait-il berné?--L’intrigue Narbonne.--Réconciliation des deux
     alliés.--La contre-police de d’Aiguillon: Dumouriez et consorts
     embastillés.--L’exil du comte de Broglie, d’après Mᵐᵉ
     d’Aiguillon.--Indiscrétions de Septimanie.--Récriminations de
     Rohan.--Insuccès diplomatiques du premier ministre._


L’affaire de la Pologne était moins instante. De ce fait,
Marie-Antoinette crut avoir retrouvé sa liberté d’allures; et le parti
d’Aiguillon ne tarda pas à s’en apercevoir.

Aux réceptions officielles de janvier 1773, Mᵐᵉ Du Barry s’était
présentée chez la Dauphine, accompagnée de ses deux dames, la maréchale
de Mirepoix[278] et la duchesse d’Aiguillon, et, de plus, flanquée de
Mˡˡᵉ Chon, sa belle-sœur. La princesse ne leur dit pas un mot.
Seulement, la fine mouche, pressentant quelque orage, prit les devants,
et, dans une lettre qu’elle écrivait, le 13 janvier, à sa mère: Je
crois, insinue-t-elle, que M. d’Aiguillon a voulu persuader à Mesdames
Du Barry qu’elles avaient été mal traitées... J’ai parlé à tout le monde
en général... Mais le ministre ne s’est jamais plaint de moi pour
lui[279].

En tout cas, écrit de son côté Mercy, «je n’en fus pas quitte à si bon
marché vis-à-vis de M. d’Aiguillon, qui me dit, entr’autres choses
piquantes, qu’il semblait que Mᵐᵉ la Dauphine eût le projet de narguer
le roi par la façon dont elle traitait les personnes qu’il affectionnait
le plus». A son tour, Mercy se fâche: il réplique qu’il ne faut pas
rejeter «l’odiosité» du conflit sur la princesse, qui serait en droit de
suivre l’exemple de son époux et de ses tantes à l’égard de la favorite.
Il conclut qu’on a lieu d’être «satisfait de la Dauphine», mais que si
elle était forcée de «se révolter», il répéterait au roi son entretien
avec d’Aiguillon. Aussitôt celui-ci de se radoucir, de protester de «son
zèle pour la Dauphine»; mais, «il désirerait qu’elle employât, pour
plaire au roi, toutes les grâces dont la nature l’a douée[280]».

Marie-Thérèse morigène vertement sa fille. Déjà, en souvenir sans doute
des prévenances qu’elle-même avait prodiguées à Mᵐᵉ de Pompadour, elle
avait écrit, le 30 septembre 1771, à Marie-Antoinette: «Vous ne devez
connaître ni voir la Barry d’un autre œil que d’être une dame admise à
la Cour et à la société du roi».

Aujourd’hui elle veut que, «sans affectation», Marie-Antoinette «adresse
quatre à cinq fois par an la parole à la favorite», elle ne «saurait
mieux confondre M. d’Aiguillon[281]».

Mais, en vérité, ce pauvre Mercy a fort à faire avec l’humeur changeante
de son «archiduchesse». La semonce de Marie-Thérèse a-t-elle eu raison
de l’intransigeance de la jeune femme? Celle-ci a-t-elle «réparé» comme
elle l’avait promis à son conseiller intime? Toujours est-il que, quinze
jours après la mercuriale de la mère, la fille «se conduit avec plus de
sagesse, de prudence et de succès que ne semblent le comporter son âge»,
les ennuis dont l’accablent ses entours et les «vilaines intrigues» qui
l’enveloppent[282].

Deux mois plus tard, le vent a tourné; et voici que notre ambassadeur,
désorienté, explique, la mort dans l’âme, à sa souveraine, tous les
efforts qu’il a tentés, en pure perte, pour rendre un peu de stabilité à
un esprit aussi mobile. Il s’est évertué à lui faire comprendre,
s’autorisant en cela de toutes les règles de la diplomatie, qu’elle ne
doit laisser jamais «apercevoir aux gens qu’elle les a démasqués»,
attendu qu’elle «doit un jour gouverner ce royaume[283]».

Toutefois, ces piqûres d’amour-propre étaient loin de décourager ceux
qu’elles blessaient si sûrement. Ils n’en sentaient que mieux la
nécessité d’«affirmer hautement leur ligue», pour nous servir d’un mot
de Pidansat de Mairobert. D’où ces deux fêtes magnifiques que se
donnèrent réciproquement à Versailles les d’Aiguillon et Mᵐᵉ Du Barry,
fêtes que le chroniqueur décrit avec complaisance, et dans ses
_Anecdotes_, et dans les _Mémoires de Bachaumont_[284].

C’était à son hôtel de la place d’Armes, que la femme du ministre avait
reçu, le 18 février, la maîtresse du roi, au milieu d’un cercle de
grandes dames richement parées. Dans les salons aménagés avec un goût
exquis, on avait joué des petites pièces de circonstance, dansé un
ballet, qu’avait suivi un superbe souper; et cette brillante soirée
s’était terminée par un bal masqué d’un entrain extraordinaire. Parmi
les divertissements, la _Fête villageoise_, due à la plume alerte de
l’abbé de Voisenon, l’oncle de Mᵐᵉ Favart, avait été plus
particulièrement applaudie. L’auteur y parlait d’un certain «serpent
noir», où le roi, présent à la fête, voulut voir le chancelier Maupeou.
L’application était peut-être exacte. La haine grandissait chaque jour
entre les deux anciens alliés; et la galerie comptait les coups:

«On dit, prétend Mᵐᵉ Du Deffand, que le chancelier _chancelle_, que le
duc d’Aiguillon _aiguillonne_... que le combat est un combat à mort. Le
ciel en soit loué, qu’ils périssent tous deux...[285]»

Or, Maupeou saisit, comme le roi, l’allusion, mais trouva la
plaisanterie mauvaise, et la reprocha très âprement à Voisenon qui,
l’année précédente, avait écrit des couplets en son honneur.

La politesse que rendit la comtesse à d’Aiguillon dans un hôtel acheté
par elle à Versailles, était plus encore l’apothéose de la maîtresse du
logis, apothéose à laquelle le spectacle coupé, porté sur le programme,
offrait un cadre complaisant[286]. Un œuf d’autruche occupe le centre du
grand salon: une voix appelle Mᵐᵉ Du Barry dans cette direction; et, dès
qu’elle s’approche, Cupidon sort tout armé de l’œuf. Ce qui signifie
qu’un seul regard de la comtesse fait éclore l’amour. Mais ce
«proverbe»--ainsi qu’on dénommait les allégories mythologiques, alors si
fort à la mode--en comportait un second de sens moins précis ou passible
tout au moins de double sens, car les mauvais plaisants de la Cour
pouvaient en appliquer le mot à d’Aiguillon aussi bien qu’au roi:
l’Amour perdait son bandeau, démonstration évidente de la tendresse
«éclairée (!!)» du prince pour la déesse de ce délicieux palais[287].

La correspondance de Mᵐᵉ d’Aiguillon avec M. de Balleroy ne dit mot de
ces fabuleuses réceptions. D’ailleurs, nous avions déjà remarqué combien
elle est sobre de détails, quand il s’agit de Mᵐᵉ Du Barry. L’impression
qui se dégage d’abord (et nous l’avons également signalée) du compte
rendu que la duchesse croit devoir donner au chevalier de toutes ces
fêtes officielles, c’est son profond dégoût pour la basse adulation des
courtisans courant s’aplatir devant l’idole que, la veille encore, ils
salissaient de leurs injures. En effet dans ce même mois de février
1773, quelle ruée d’appétits serviles aux sportules ministérielles! La
lettre suivante, adressée au prince Henri de Prusse, en dit plus que de
banales déclamations sur une telle frénésie:

«L’empressement de se rendre chez M. le duc d’Aiguillon continue
tellement qu’on se cogne et se serre de tous côtés. Il y a tous les
jours autant de monde qu’il y peut en tenir. On s’appuie l’un sur
l’autre en se haussant sur la pointe du pied pour être aperçu. M. le
prince de Tingry, enterré dans la foule, élève la voix tout à coup en
criant:

--Je ne sais si Mᵐᵉ la duchesse m’entrevoit, mais je lui rends mes
hommages bien sincèrement[288].»

Que de palinodies et même sur le degré le plus rapproché du trône! La
Dauphine qui, malgré l’étourderie naturelle à son âge et à son
caractère, est entretenue par son entourage dans un état perpétuel de
méfiance, s’inquiète de la «façon de penser et d’agir» du comte de
Provence, l’homme aux petits papiers[289]. Le voici maintenant en
rapports continus, par un commis des affaires étrangères, avec le
«monstre», ainsi qu’il appelait d’Aiguillon dans ses instructions à sa
belle-sœur. Aussi l’ombrageux Mercy-Argenteau, consulté par
Marie-Antoinette, lui conseille-t-il fort sagement, lui qui a peut-être
pénétré le louche et tortueux personnage qu’est déjà le comte de
Provence, «de ne jamais mêler dans ses entretiens avec lui aucune
confidence, ni discussion, sur des matières d’intrigue, ni sur les
différentes personnes qui y sont intéressées[290]».

Dans cette correspondance secrète qu’il entretient avec
l’impératrice-reine et qui, à côté de commérages insignifiants, ouvre
souvent sur l’histoire du temps des horizons inattendus, l’ambassadeur
d’Autriche ne définit pas autrement l’esprit, les vues, les tendances,
les projets du comte de Provence; mais nous ne serions pas surpris si
les conférences mystérieuses qui rapprochaient le frère du roi du
premier ministre ne se rattachaient pas à une nouvelle intrigue où le
duc d’Aiguillon, tremblant toujours pour la solidité de son crédit,
s’était embarqué fort inconsidérément.

Depuis quelque temps, il était en froid avec la trop nombreuse et trop
avide parenté de Mᵐᵉ Du Barry. Il s’était très nettement refusé, après
l’abbé Terray,--honnête homme ce jour-là--à payer les dettes de jeu du
_Roué_. Et Mˡˡᵉ Chon en avait pris de l’humeur, d’autant que sa
belle-sœur avait approuvé la résistance du ministre des affaires
étrangères[291]. Mais la comtesse n’en avait pas moins une absolue
confiance dans cette astucieuse personne qu’était Mˡˡᵉ Chon. Aussi
d’Aiguillon, redoutant une rupture définitive et voulant la prévenir en
se créant des titres essentiels à la gratitude de Mᵐᵉ Du Barry,
proposa-t-il à la maîtresse de Louis XV de la «faire rentrer en grâce
auprès de la famille royale». Le comte de Provence était tout désigné,
en raison de l’amitié que lui témoignait Mᵐᵉ Adélaïde, pour favoriser la
combinaison du ministre; et vraisemblablement d’Aiguillon dut le
pressentir à cet égard; mais l’intermédiaire qu’il jugea plus apte
encore à le seconder directement fut la comtesse de Narbonne, dame
d’atours de Mᵐᵉ Adélaïde, fort en faveur auprès de la fille de Louis XV.
Et Mercy admire la grandeur d’âme de Mᵐᵉ de Narbonne, gardant si peu
rancune à d’Aiguillon d’avoir voulu la faire chasser jadis du service de
la princesse, qu’elle se dévoue aujourd’hui aux intérêts du premier
ministre. Il est vrai que le duc lui avait promis, en cas de réussite,
de l’intéresser[292] dans le renouvellement des fermes générales et
d’attribuer la mairie de Bordeaux à son fils--le futur et le dernier
conseiller de Napoléon. M. d’Aiguillon, s’exclame Mercy, ignore donc le
peu d’influence de Mᵐᵉ Adélaïde, «caractère faible, inconséquent, léger»
sur l’esprit de la Dauphine? Mais l’obligeante Narbonne entretient par
ses mensonges les illusions du ministre. Vain espoir en effet: un jour
Marie-Antoinette, à qui son mentor recommande instamment de «ne jamais
parler de ce qui pourra se dire dans la famille royale sur le compte de
M. d’Aiguillon» lui rapporte un mot très significatif de son mari à Mᵐᵉ
Adélaïde. Cette princesse l’entretenait des pourparlers du ministre; le
Dauphin lui répondit sèchement:

«--Ma tante, je vous conseille de ne point vous mêler dans les intrigues
du duc d’Aiguillon; c’est _un mauvais sujet_[293].»

«Mᵐᵉ Adélaïde, écrit Mercy-Argenteau, en eut la parole coupée[294].»

Marie-Thérèse s’indigne, à son tour, des «démarches du ministre aussi
déplacées que ses lumières sont bornées». Mais elle est «tranquille»,
parce qu’elle voit que son ambassadeur met sa fille en «bon chemin».

Ainsi encouragé, Mercy provoque les confidences de Mˡˡᵉ Chon, devenue
l’ennemie de M. d’Aiguillon. Elle lui dit «tout ce qu’il veut». Elle se
gausse de la présomption de l’homme d’Etat qui prétend «amener à ses
vues» la famille royale par l’intermédiaire de Mᵐᵉ de Narbonne. Et elle
a prévenu sa belle-sœur, (elle le lui répète même devant l’ambassadeur),
qu’elle serait «la dupe» de ce chimérique projet. Lui, Mercy-Argenteau,
s’étonne. Mᵐᵉ Du Barry et M. d’Aiguillon le tourmentèrent jadis pour
qu’il combattît l’influence de Mᵐᵉ Adélaïde sur la Dauphine et pour
qu’il inspirât à Marie-Antoinette une salutaire défiance contre les
manœuvres de Mᵐᵉ de Narbonne. Il réussit. Et voici maintenant qu’on suit
«des voies que l’on avait pris tant de soin à détruire!» La favorite est
toute déconcertée et prie le diplomate étranger de l’aider à sortir
d’embarras.

Entre temps Mᵐᵉ Adélaïde, sur le conseil de sa confidente, écrit au roi;
et celui-ci de lui répondre aussitôt, en l’invitant à user de son
ascendant sur l’esprit du Dauphin pour l’engager à se montrer plus
sociable, etc... Colère de la Dauphine, partagée par la famille royale,
contre Mᵐᵉ Adélaïde, colère si peu dissimulée que cette princesse
déclare à Mᵐᵉ de Narbonne (et Mercy tient le fait de Marie-Antoinette)
que, tout en l’aimant beaucoup, elle «se brouillerait avec elle,» si
cette dame continuait à l’entretenir «d’idées suggérées par M.
d’Aiguillon et par la comtesse Du Barry». A quelques jours de là, le duc
somme l’intermédiaire de remplir sa mission; et Mᵐᵉ de Narbonne est
obligée de reconnaître qu’elle a trop présumé de son crédit. Le
ministre, à la fois irrité et mortifié, la tance de la belle façon: il
avait promis à Louis XV qu’elle emporterait l’affaire haut la main: à
elle maintenant de s’en tirer comme elle pourra[295].

Il faut dire que Mercy tenait de Mˡˡᵉ Chon toute cette histoire qui
d’ailleurs était la fable de Paris[296]. Mais nous ne serions pas
autrement surpris que la malicieuse créature l’eût quelque peu
enjolivée, pour se divertir aux dépens du bonhomme, avec la complicité
de Mᵐᵉ Du Barry et de M. d’Aiguillon, dont l’affection réciproque, un
instant ébranlée, s’était mieux que jamais ressaisie; car un intérêt
commun et pressant leur commandait d’être en ce moment plus unis que
jamais.

Le comte de Broglie, toujours fort aigri contre le ministre, n’en
continuait pas moins sa correspondance avec le roi. Il avait fini par
lui conseiller de se chercher, lui aussi, un gâteau. Allait-il se
montrer partisan d’une politique à la Choiseul, politique qu’il avait si
durement critiquée[297]? Ce qui n’est pas[298] douteux, c’est qu’il
travaillait à renverser d’Aiguillon, s’il ne pouvait le supplanter.
Même, s’il faut en croire l’_Espion dévalisé_, atroce pamphlet du maître
des requêtes, Baudoin de Guémadeuc, il avait projeté de «donner à Mᵐᵉ Du
Barry le chevalier de Jaucourt[299]». Le ministre en conçut un très vif
dépit, d’autant que l’officieux de Broglie avait obtenu, grâce à la
favorite, d’être envoyé au-devant de la future comtesse d’Artois, à la
place de son frère le maréchal. Cependant, Dumouriez, qui prétendit plus
tard avoir voulu protester contre l’abandon de la Pologne et l’inanité
des promesses faites à la Suède, Dumouriez, secrètement encouragé par
Louis XV, préparait, ou était censé préparer à Hambourg une expédition,
qu’étouffèrent dans l’œuf son arrestation et celle de Favier, autre
agent du comte de Broglie et presque son oracle.

C’était M. de Creutz, le ministre de Suède, seul admis du corps
diplomatique aux fêtes de M. d’Aiguillon et de la Du Barry[300], qui
avait donné l’éveil à celui-là[301]; c’était encore la maîtresse du roi
qui avait révélé à son ami le secret de son amant[302]. Et d’Aiguillon,
pour en saisir les preuves, d’organiser aussitôt cette contre-police que
le baron de Gleichen[303] considérait, à défaut de tout autre mérite,
comme le seul titre de gloire du ministre français. Seulement, si
d’Aiguillon avait pu intercepter la correspondance échangée entre
Dumouriez et Favier[304], ses agents avaient négligé de mettre sous les
scellés les papiers de Favier; et le secrétaire du comte de Broglie,
Dubois-Martin, s’empressa de les subtiliser. Le premier ministre, qui
jusqu’alors avait mené grand bruit, constatant l’embarras du roi fort
peu soucieux d’expliquer son rôle dans l’affaire, jugea prudent de ne
pas le presser davantage. Au reste Louis XV lui avait fait comprendre
l’inutilité de ces recherches, en mettant sous ses yeux des notes
insignifiantes qu’il tenait du comte de Broglie. Puis il avait nommé une
commission chargée d’enquêter sur les faits et gestes de Dumouriez,
Favier et consorts qui avaient pris le chemin de la Bastille.

Mais Broglie entendait dégager pleinement sa responsabilité de
l’aventure: «Vous me rendrez la justice de croire, écrivait-il à
d’Aiguillon, que je n’ai jamais trempé et ne tremperai jamais dans de
pareilles saloperies[305].» Et il exigeait du ministre son entière
justification, pendant qu’il affirmait au roi: «C’est beaucoup plus à
moi qu’au sieur Favier qu’en veut M. d’Aiguillon.»

Le conflit s’envenima. Les amis du ministre allèrent répandre partout
(c’est la version adoptée par le duc de Broglie) que le comte avait usé
du secret du roi dans son intérêt personnel. Broglie, furieux, d’autant
que Louis XV lui avait amoindri sa mission auprès de la comtesse
d’Artois, adressa au ministre un insolent défi, dont la duchesse
d’Aiguillon nous apprend ainsi le châtiment:

«_23 septembre._--Les nouvelles du jour sont l’exil du comte de Broglie
qui est envoyé à Ruffec apprendre à écrire et à parler. On dit beaucoup
qu’il a intrigué avec les gens qui sont à la Bastille. Tout ce que je
sais, c’est qu’il en est très capable et qu’il a écrit à M. d’Aiguillon
une lettre dont le style n’a pas plu au roi et qui lui a valu son
exil[306].»

Ce dut être une décision pénible pour Louis XV, qui, tout égoïste qu’il
fût, affectionnait le comte de Broglie[307].

Car il savait pertinemment qu’il sacrifiait en lui un serviteur zélé et
qu’il était lui seul le vrai coupable, puisque, à force de vouloir
multiplier sa correspondance secrète, sans même en prévenir son
principal agent, il l’avait embrouillée au point de la rendre
inextricable. D’Aiguillon en avait profité pour compromettre Broglie
auprès de Mercy. Il lui reprochait d’avoir usé du secret royal pour
combattre l’alliance autrichienne (les lettres de Favier exaltaient la
Prusse). L’ambassadeur de Marie-Thérèse, qui avait fait jadis de Broglie
le confident de ses inquiétudes[308], s’indigna de ce qu’il appelait une
trahison. L’impératrice-reine et le Dauphin lui donnèrent raison.

Et cependant comme cette disgrâce dérouta toutes les prévisions! Peu de
jours auparavant, le bruit avait couru dans les galeries de Versailles
que le comte de Broglie serait appelé à recueillir la succession de M.
d’Aiguillon. Mercy en avait fait pressentir l’éventualité à
l’impératrice; et Marie-Thérèse lui avait répété à peu près dans les
mêmes termes que le 2 août: «M. le duc d’Aiguillon, tout _mauvais sujet_
qu’il est (le mot du Dauphin) nous convient mieux, dans les
circonstances présentes, que le comte de Broglie[309].»

Le ministre et son amie avaient compris le danger: ils oublièrent leurs
querelles. Mais d’Aiguillon n’en restait pas moins soupçonneux, inquiet,
agacé: car la crainte perpétuelle de se compromettre paralysait ses
moyens d’action. Il se sentait épié par des ennemis puissants et se
croyait trahi par ses plus fidèles auxiliaires. Le _cabinet noir_ dont
il usait largement, à l’égal d’ailleurs des autres ministres européens,
lui réservait souvent, à côté d’indications utiles, d’amères déceptions.
C’est ainsi que la correspondance de Septimanie d’Egmont avec le roi de
Suède l’avait désagréablement surpris. Sa chère cousine ne le ménageait
pas et l’accusait formellement d’avoir abandonné la Pologne pour une
misérable question d’écus[310]. Elle faisait en outre un éloge immodéré
de Choiseul. Passe encore, se dit d’Aiguillon; mais la comtesse
d’Egmont transmettait des nouvelles politiques à Gustave de la part de
Creutz! C’était intolérable. Et d’Aiguillon de s’en expliquer avec
l’ambassadeur de Suède. La scène vaut la peine d’être contée.

Le duc avise Creutz dans l’appartement du roi, le serre entre deux
portes, le saisit par un bouton de son habit et l’apostrophe:

--Comment voulez-vous que je réponde des secrets de votre maître,
puisqu’il passe son temps à les écrire aux belles dames de Paris?

--Oh! balbutia le Suédois, des bagatelles!

--Vous les connaissez donc? Et vous en avez parlé à la comtesse
d’Egmont!

Creutz, apeuré, court chez Septimanie et la supplie d’être à l’avenir
plus prudente[311].

D’Aiguillon n’est guère plus heureux avec Rohan. Cet écervelé
ambitionne, lui aussi, la place de premier ministre[312]. Et cependant
le duc a pour lui des trésors d’indulgence. Il ferme les yeux ou accepte
la misérable justification du prélat sur sa piteuse crédulité à Vienne,
sur ses fredaines dans les boudoirs et ses fraudes à la douane.
Evidemment l’inconséquence du prélat rend sa concurrence peu dangereuse;
mais son brusque rappel, impatiemment désiré par Marie-Thérèse,
rejetterait les Rohan dans le camp de Maupeou. Et le cardinal se pose en
victime: «On m’a cherché toutes les chicanes, jusqu’à vouloir éplucher
ma comptabilité![313]» Sa famille appuie ses revendications. Si
d’Aiguillon continue à rester neutre, le prince de Soubise, qui l’accuse
de «mauvais vouloir», exigera le retour immédiat de son parent, et le
ministre n’y saurait consentir qu’autant que le prélat rentrerait en
France disgracié[314].

Somme toute, l’année 1773 avait été plutôt mauvaise pour le prestige du
secrétaire d’Etat aux affaires étrangères; et Mercy soulignait
malicieusement les échecs successifs d’une politique s’ajustant trop
volontiers à la nonchalance du maître. La difficulté de «faire rentrer
le prince de Parme dans ses devoirs envers le roi d’Espagne»; l’obstacle
apporté par l’Angleterre à l’armement de Toulon[315]; la probabilité de
la paix entre la Turquie et la Russie laissant à cette dernière
puissance les mains libres: autant d’atouts dans celles de l’Autriche
qui devaient rendre son alliance précieuse et nécessaire pour la France,
but impatiemment poursuivi par Marie-Thérèse et favorable à l’extension
de son empire[316].

Il n’était pas jusqu’à la Curie romaine, d’ordinaire dans les meilleurs
termes avec le gouvernement du Roi Très Chrétien, qui ne lui donnât de
l’ennui. C’était surtout depuis l’expulsion des Jésuites. D’Aiguillon
qui passait pour leur ami et qui savait la dévotion de Louis XV si
souvent assiégé par la peur de l’enfer, avait préparé, avec Maupeou, une
déclaration rappelant la congrégation, mais en la mettant sous
l’autorité épiscopale. Or, les partisans des Jésuites étaient trop
exclusifs; et le savant ouvrage de M. Frédéric Masson démontre, de
reste, combien les négociations étaient épineuses[317] et le peu de
chances qu’elles avaient d’aboutir.

Aussi s’explique-t-on le jugement, peut-être trop sévère, car il ne
tenait pas assez compte des difficultés de l’heure, que portait
Marie-Thérèse, sur le premier ministre de son «bon frère» le roi de
France: «Doué de peu de génie et de talent et harcelé par les faits, il
ne se trouve pas en mesure de nous susciter des embarras. Notre besogne
serait bien plus difficile, si le duc de Choiseul, si bien intentionné
qu’il était, se trouvait encore en place.»

Soit; mais quel bénéfice la France avait-elle tiré de l’alliance
autrichienne?



XV

     _Comment d’Aiguillon devint ministre de la guerre.--Louis XV au
     Conseil.--Nouvelle attitude de la dauphine.--Projet de rappel de
     l’ancien Parlement.--Maladie et mort de Louis XV: départ de Mᵐᵉ Du
     Barry; les carrosses de Ruel.--Sérénité de d’Aiguillon.--Nouveaux
     brocards contre les anciens favoris.--Maurepas ministre d’Etat sans
     portefeuille.--Démission, acceptée, de
     d’Aiguillon.--Marie-Antoinette veut que le roi l’exile.--La joie du
     comte de Broglie et de Maupeou.--Deux portraits de d’Aiguillon._


Le 20 janvier 1774, écrit l’auteur des _Mémoires du ministère
d’Aiguillon_, le secrétaire d’Etat aux affaires étrangères était «à
l’apogée» de sa fortune. Le roi avait retiré le département de la guerre
à Monteynard, compromis dans l’aventure de Broglie, pour le confier par
interim à d’Aiguillon. La duchesse conte assez plaisamment ce coup de
théâtre:

                                       Ce lundi (sans date).

     «Eh bien! Monsieur le chevalier, voilà donc encore votre ami
     surchargé d’affaires. Hier, après le Conseil, le roi l’appelle et
     lui dit: Je vous charge du département de la guerre, jusqu’à ce que
     j’aie trouvé quelqu’un qui me convienne. Je vous avertis que cela
     est difficile et que j’en trouverai difficilement. Il lui répondit:

     --J’obéis aux volontés de Votre Majesté et je désire vivement
     qu’elle trouve quelqu’un à qui remettre ce dépôt.

     --Je vous répète que je serai difficile et que de travailler avec
     vous me le rendra encore davantage.

     Après ce beau discours, il est sorti. Vous jugez les courbettes et
     les sots compliments qu’il a reçus. Moi qui quittais le roi, je ne
     l’ai appris que chez moi, en rentrant, parce que je suis une bête,
     car il n’avait cessé de me rire au nez toute la journée. Simplement
     j’avais jugé qu’il était de bonne humeur[318].»

Moreau, dans ses _Souvenirs_, reproduit à peu près en ces termes le
dialogue du roi et du ministre. Rien de plus naturel: il allait
volontiers aux nouvelles chez le duc, dont il enregistrait ensuite les
confidences. Et nous citerons, à cet égard, l’idée que lui donnait
d’Aiguillon de la mentalité royale, les jours de Conseil, de même que
nous avons recueilli, dans la correspondance de la duchesse, le croquis
du prince en ses heures de familiarité.

«C’était un homme, disait d’Aiguillon à Moreau[319], quelque temps après
la mort de Louis XV, qui, sans beaucoup d’esprit, avait un jugement
droit et une telle habitude des affaires qu’il voyait d’ordinaire très
juste. Dans certains conseils où les ministres dissertaient à perte de
vue sur l’état de l’Europe ou les intérêts de ses princes, il avait
l’air distrait ou dormeur; mais, tout à coup, sortant de là, il
s’écriait: vous venez tous de battre la campagne: il n’est point
question de ceci ou de cela; ce n’est pas de telle manière qu’ils
agiraient: voici, au contraire, ce qu’ils feraient. Et il devinait
toujours bien.»

«Ce fut, le dimanche, au soir, 30, consigne Moreau dans son _Journal_ à
la date du mercredi 2 février, que le roi le nomma (le duc) au sortir du
Conseil. J’ai été voir M. et Mᵐᵉ d’Aiguillon qui m’ont accueilli. Toute
la terre était chez eux. Le ministre avait l’air honnête et affable, Mᵐᵉ
d’Aiguillon le contentement même[320].»

Mais cette nouvelle faveur ne surprit personne. Le prince de Croÿ[321],
la dauphine[322] avaient prévu la disgrâce de Monteynard, dont ils
rendaient responsable celui qui devait en profiter.

Quel jugement lumineux! s’écrie Mercy-Argenteau, en signalant à sa
souveraine la déclaration de Marie-Antoinette, deux mois avant la chute
du ministre de la Guerre. En effet, le 23 octobre, Mercy était venu
présenter à la dauphine les doléances de d’Aiguillon, navré que la jeune
princesse n’adressât plus un mot à sa femme au cercle de la cour. Et
Marie-Antoinette avait répondu à l’ambassadeur qui la suppliait d’user
de ménagements envers les d’Aiguillon, que ni l’un ni l’autre n’avaient
à se plaindre d’elle. Le comte de Broglie et ses émissaires étaient
seuls coupables, disait-elle, de la fermentation qui régnait dans le
ministère; et le duc d’Aiguillon «n’inculpait si gravement Monteynard
que parce qu’il convoitait sa place».

Au surplus, Marie-Antoinette devait y gagner. Car, d’Aiguillon, à peine
pourvu de son nouveau poste, avait prié Mercy d’assurer la dauphine
«qu’il se ferait une loi de lui obéir en tout». Marie-Antoinette l’avait
pris au mot; et les grâces avaient suivi de près les
recommandations[323]. Depuis, sa mère l’avait exhortée à reconnaître ces
témoignages de déférence par de notables concessions[324]. Aussi bien la
princesse n’avait pas fait preuve jusqu’alors de beaucoup de
discernement, ni de modération, au cours de ses relations avec le
ministre[325]. Elle n’en mit pas davantage, s’il faut en croire
Mercy[326], dans le nombre et dans le choix des protégés dont elle
encombra les bureaux de la guerre. Peut-être était-ce de l’espièglerie?

D’Aiguillon voulut-il encore donner une dernière preuve de son aveugle
résignation aux antipathies irréductibles de la dauphine, en témoignant
de son irritation contre l’ineptie, les exigences et la légèreté de la
favorite? C’est Mercy-Argenteau qui l’affirme[327]; il est vrai qu’il
est seul à signaler le fait; et nous nous en étonnons à bon droit; car
nous ne voyons pas que d’Aiguillon ait jamais eu vis-à-vis de Mᵐᵉ Du
Barry, même dans la disgrâce, d’autres sentiments que ceux de la
déférence et de la gratitude.

Parvenu enfin à la situation prépondérante qu’avait occupée Choiseul,
d’Aiguillon tenta de réaliser un projet qui s’imposait depuis longtemps
à son esprit et que la fatalité, s’attachant à la plupart de ses
conceptions, devait faire échouer: la restauration intégrale, sous son
principat, de l’ancien Parlement. Les magistrats qui le composaient
l’ayant frappé de flétrissure, c’eût été une noble revanche, bien
inattendue chez un homme à qui son intraitable orgueil conseillait les
plus implacables représailles. Voulut-il plutôt faire pièce à Maupeou?
Toujours est-il qu’à la fin de décembre 1772, dans le but d’une
réconciliation des exilés avec le pouvoir royal, il rapprocha d’abord de
Louis XV la maison d’Orléans, puis obtint de ces princes qu’ils
remissent au souverain un mémoire tendant au retour de l’Ancien
Parlement. La mort du roi dans les premiers jours de mai et «la
disgrâce de d’Aiguillon, le 2 juin, firent échouer le plan[328]» du
ministre. Louis XVI, en signant l’ordre de rappel, devait seul
bénéficier de la popularité qui récompense toutes les mesures
d’apaisement.

Dès que Louis XV était tombé malade (il était alors à Trianon avec Mᵐᵉ
Du Barry), d’Aiguillon, pénétré du sentiment de sa responsabilité, avait
décidé la comtesse à faire transporter le roi à Versailles. C’était
l’avis du chirurgien La Martinière. Lorry, médecin de M. d’Aiguillon,
avait conseillé d’avoir recours à celui de Mᵐᵉ Du Barry, Bordeu; et la
favorite était restée seule, avec le premier ministre, au chevet du
malade[329]. Toute la cour était en émoi. La foule se pressait aux
portes des appartements. Le duc d’Aumont, premier gentilhomme de la
chambre, après avoir consulté La Borde et d’Aiguillon, vient annoncer
que le roi entend rester seul. Mais les ducs de Bouillon et de Liancourt
refusent de se retirer, et l’intérieur du palais reste envahi.

Le 4, le roi s’entretient longuement avec le duc d’Orléans et M.
d’Aiguillon. Puis, vers minuit, il s’adresse à Mᵐᵉ Du Barry: «Je ne veux
pas recommencer Metz. Dites à M. d’Aiguillon de venir me parler demain
matin à dix heures.» D’après le _Journal de Hardy_, il avait déjà
précisé sa volonté: «Arrangez votre retraite avec M. d’Aiguillon; j’ai
donné des ordres pour que vous ne manquiez de rien.»

Le lendemain, le ministre était auprès du souverain: «Elle partira, lui
dit Louis XV, honnêtement, à quatre heures du soir, en évitant les
duretés de Metz et Mᵐᵉ la duchesse d’Aiguillon la mènera à Ruel.»

Le prince de Croÿ, racontant par le menu ce départ historique, qui ne
devait pas avoir, comme celui de la Châteauroux, un lendemain, ajoute,
en guise de commentaire: «Le duc d’Aiguillon jouait un très gros jeu
vis-à-vis de la famille royale et de madame la dauphine, très décidée
là-dessus si le roi manquait...[330]» Des ennemis du régime insinuaient
que Ruel était bien près de Versailles et que si Louis XV «en revenait»,
l’ami de la Du Barry la ramènerait promptement au maître.

En tout cas, le duc qui savait le roi irrémédiablement perdu, témoignait
d’une belle crânerie, en prenant, pour ainsi dire, sous son égide, la
favorite odieuse au futur règne. Et cette crânerie, c’était un acte de
reconnaissance honorant les deux alliés, quelles que puissent être leurs
erreurs ou leurs fautes devant l’Histoire. Au reste, le premier ministre
ne fut pas seul à donner cette preuve publique de sa gratitude envers la
femme qui avait si généreusement contribué à son salut et collaboré à sa
fortune. Après que la duchesse d’Aiguillon eût emmené Mᵐᵉ Du Barry,
plusieurs gens de cour allèrent présenter leurs devoirs à l’exilée; de
mauvaises langues s’amusèrent à dénombrer les douze ou quinze carrosses
stationnant à la porte du château de Ruel. On s’enquit du nom des
propriétaires; et longtemps après, dans les antichambres du nouveau roi,
on les désignait comme autant de candidats à la disgrâce, en disant:
c’était un des carrosses de Ruel[331].

Et cependant que de racontars odieux, que d’ignobles calomnies, ne
répandirent pas les ennemis de d’Aiguillon--les cendres du feu roi à
peine refroidies--pour démontrer que le ministre cherchait à se faire,
de son ingratitude envers sa bienfaitrice, un titre à la bienveillance
du nouveau régime!

En bon économiste, exécrant, à l’exemple de ses amis les philosophes,
celui qu’on disait affilié aux jésuites, l’abbé Baudeau consignait dans
sa chronique manuscrite, cette anecdote qu’il tenait de «quelqu’un assez
instruit»: «D’Aiguillon avait fait investir la Du Barry de maréchaussée
à Ruel, avait fait dire à Mᵐᵉ Adélaïde qu’elle n’échapperait pas et
avait mandé au nouveau roi que l’intention du défunt était qu’elle fût
mise dans un couvent, puisqu’elle avait le secret de l’Etat[332]».

L’historiette suivante appartient à la même catégorie d’informations:
Louis XV, agonisant, avait remis secrètement à d’Aiguillon trois
millions pour Mᵐᵉ Du Barry; et le dépositaire infidèle s’était empressé,
aussitôt la mort du roi, d’aller porter au petit-fils les millions de
l’aïeul[333].

Ce qui est certain, c’est qu’au lendemain d’un trépas ruinant l’édifice,
laborieusement construit, de sa fortune, d’Aiguillon affecta ou garda
une inébranlable sérénité. Sa compagne, si perspicace, si courageuse, si
aimante, lui avait, la première, donné le conseil de résigner
immédiatement ses fonctions[334]. Il voulut attendre quelques jours.

Croÿ, qui était avec lui en relations suivies, constate, à maintes
reprises, cette fermeté de l’homme d’Etat conservant le sourire à
l’approche de la disgrâce. Pendant la maladie de Louis XV, Croÿ avait
dîné chez le ministre, «il y avait trois tables et cinquante personnes».
Après la mort du roi, «tout Paris avait couru chez d’Aiguillon qui
faisait bonne mine à mauvais jeu[335]».

Et cependant, avant même que son sort fût décidé, ses anciens ennemis,
les Choiseul, les philosophes et les encyclopédistes, les parlementaires
et les vengeurs de la Chalotais, Maupeou et son groupe de fidèles, la
reine et la famille royale, puis toute une nuée de nouveaux adversaires,
le comte de Broglie et ses associés, des académisables évincés[336], des
journalistes étrangers frappés d’exclusion, des auteurs dramatiques tels
que Beaumarchais, atteints par la censure; enfin des courtisans aspirant
aux faveurs du nouveau régime et des libellistes de l’ancien soucieux de
placer avantageusement leur prose ou leurs poésies venimeuses,
partaient en guerre contre le favori--l’idole aux pieds d’argile.

A l’avènement de Louis XVI, avait déjà couru cette épigramme--jeu de
mots par à peu près--d’ailleurs inoffensive.

    Les Barils s’enfuirent,
    L’Aiguillon ne pique plus,
    La Vrille est usée,
    Le Pouls est lent.

Toutes les histoires de brigands qu’avaient ressassées les pamphlets
parisiens et français pendant les affaires de Bretagne retrouvaient un
regain d’actualité; et la chronique de Baudeau les reproduit avec une
rare complaisance.

Mais, en dépit de ces sollicitations plus ou moins directes, Louis XVI
ne prenait pas parti:

«Le roi, qui ne parle pas, écrivait Marie-Antoinette à sa mère, le 11
mai 1774, n’a pas dit un mot sur le choix d’un ministère. Il ne me
semble pas disposé à garder M. d’Aiguillon, l’âme damnée de la comtesse
Du Barry et qui a trop de penchant pour la Prusse. J’ai mis en avant le
nom de M. de Choiseul qui serait bien pris du pays, mais on ne m’a point
répondu; on ne me paraît pas lui être favorable[337].»

Le surlendemain, arrivait de Pontchartrain à Choisy le vieux comte de
Maurepas[338]: le roi l’avait nommé «ministre d’Etat sans portefeuille».
D’Aiguillon avait ménagé cette brillante rentrée à son oncle par
l’entremise de Mᵐᵉ Adélaïde[339]. Le ministre disgracié de Louis XV
était resté plus de vingt-cinq ans éloigné de la Cour: il était
septuagénaire.

--Je ne vous trouve pas changé, lui dit aimablement la tante du roi.

Les frères de Louis XVI ne virent pas sans appréhension l’apparition de
ce revenant. Il leur semblait qu’il dissimulât derrière sa caducité la
personnalité très vigoureuse et très agissante de M. d’Aiguillon.
Peut-être celui-ci nourrissait-il cette arrière-pensée[340]. Nous
saurons bientôt si elle fut jamais justifiée.

En tout cas, les 20 et 26 mai, l’ancien ministre de Louis XV travaillait
encore avec Louis XVI. «Il paraissait aussi radieux que le chancelier»,
dit l’abbé Baudeau.

Huit jours après, éclatait dans Paris la nouvelle de son départ:

«Le 6 juin, écrit en son journal le prince de Croÿ, je reçus une lettre
très curieuse de ma belle-fille, du 3, qui portait que, le 2, M. de
Maurepas était allé chez M. d’Aiguillon pour lui faire entendre qu’il
fallait donner ses deux démissions, que celui-ci lui avait demandé s’il
était porteur d’ordres, que M. de Maurepas l’avait assuré que non, mais
qu’il l’avertissait en ami qu’il était temps[341].

Sur quoi, le duc d’Aiguillon était monté au Conseil, à l’ordonnance, et,
avant de commencer, avait dit au roi que, ses services ne paraissant pas
lui être agréables et que, le bien de la chose demandant la confiance du
maître, il lui remettait sa double démission des deux ministères... que
le roi avait paru désirer qu’il les gardât encore, disant qu’il lui
fallait encore voir et se mettre au courant de son administration...
mais que le duc ayant insisté, le roi les avait prises en lui disant
qu’il pouvait garder sa charge de capitaine des chevau-légers et qu’il
la lui verrait exercer volontiers[342]...»

Pour être si bien renseigné, ce fin renard de Maurepas avait dû écouter
aux portes de Mᵐᵉ Adélaïde.

Mais il savait aussi à quoi s’en tenir sur les sentiments de
Marie-Antoinette à l’égard de son neveu.

La reine harcelait son époux afin de lui arracher l’ordre d’exil de M.
d’Aiguillon. D’autre part, Maurepas défendait, avec sa ténacité
coutumière, mais infiniment courtoise, le secrétaire d’Etat, pour lui
épargner un affront personnel et lui rendre sa chute moins rude, à
l’heure du remaniement général. Peut-être Maurepas, hypnotisé par la
perspective d’un contact journalier avec un collègue autoritaire et
ambitieux, ne fut-il pas suffisamment persuasif. Il devait cependant
plaider assez éloquemment la cause de son neveu, pour que le roi,
frappant du poing son bureau avec sa brutalité ordinaire, se soit écrié:

--Eh! parbleu, je sais qu’il fait bien, et c’est ce qui me fâche, mais
la porte par laquelle il est entré et les troubles que sa haine a
occasionnés[343]!

Tous les signes précurseurs de l’orage avaient dû ouvrir les yeux à
d’Aiguillon.

Peu de jours[344] avant que le duc ne donnât sa démission, la duchesse,
à la présentation chez la reine, avait subi la plus humiliante des
mortifications. Marie-Antoinette, aimable et gracieuse pour toutes les
dames, avait affecté de parler plus spécialement aux voisines de Mᵐᵉ
d’Aiguillon et non seulement n’avait rien dit à la duchesse, mais encore
«l’avait regardée sous le nez d’un air méprisant».

«Le duc et la duchesse d’Aiguillon, note Mercy-Argenteau, sont seuls
exceptés de la règle de bonté de la nouvelle reine[345].»

Au lendemain de la mort de Louis XV, l’ambassadeur de Vienne avait
insisté auprès de la jeune souveraine pour qu’elle ne pressât pas le
renvoi de l’homme qu’elle haïssait le plus, celui qui avait osé la
traiter, dans un cercle, de «coquette![346]» La reine ne devait pas
venger les injures de la dauphine. Malheureusement Mercy constatait, dès
le 17 mai, qu’elle était, au contraire, très disposée à ne pas mettre en
action le mot célèbre de Louis XII. Et la perspective du retour, qu’il
redoutait, de Choiseul, ne souriait pas davantage à l’impératrice-reine.

Mercy, qui avait l’illusion facile, crut avoir persuadé
Marie-Antoinette; mais il ne tarda pas à reconnaître son erreur. La
reine «n’a pu résister à sa petite animosité». Le roi voulait garder le
ministre; et c’est elle--preuve indubitable de son crédit--qui en a
obtenu le renvoi. «Le reste lui importe peu; car chez elle la
dissipation vient sans cesse effacer les impressions sérieuses[347].»

La nouvelle de cette démission, masquant mal une véritable disgrâce,
provoqua une explosion de joie plus insultante encore que celle de la
mort de Louis XV. Ce fut un feu roulant de chansons et d’épigrammes,
celle-ci entre autres:

    Amis, connaissez-vous l’enseigne ridicule
    Qu’un peintre de Saint-Luc fait pour les parfumeurs?
    Il met dans un flacon, en forme de pilule,
    Boynes, Maupeou, Terray sous leurs propres couleurs.
    Il y peint d’Aiguillon et puis il intitule:
              _Vinaigre des quatre voleurs_.

Quand le comte de Broglie apprit que son heureux concurrent «n’était
plus rien», il ne put modérer ses transports d’allégresse; mais, en
homme pratique, qui sait tirer parti de tout, il s’adressa, le 6 juin, à
Louis XVI pour lui offrir la correspondance secrète du feu roi. Le
nouveau lui répondit sèchement de la brûler[348]. L’année suivante, en
mai 1775, Broglie lui écrivait pour lui demander la communication des
pièces qui avaient précédé et suivi son exil à Ruffec. Louis XVI
l’invita tout simplement à se tenir tranquille: la procédure de
l’affaire de la Bastille, lui dit-il, a été brûlée[349].--Le feu purifie
tout; mais, dans l’espèce, il enlevait au comte de Broglie une partie de
ses moyens d’action contre l’ancien ministre de Louis XV.

Toutefois le procès de son beau-frère, le comte de Guines, ambassadeur
de France à Londres, allait lui offrir l’occasion de satisfaire plus
amplement sa rancune.

Un autre homme d’Etat qui ne dissimula pas la satisfaction qu’il
éprouvait de la chute du premier ministre, son collègue, ce fut le
chancelier Maupeou, que devait bientôt atteindre la même disgrâce. Il
avait rendu, prétendait-il, les services les plus essentiels (ce dont il
était permis de douter) au duc d’Aiguillon; et il en avait été payé par
la plus noire ingratitude. Les anecdotiers ne tarissaient pas sur ce
sujet.

--Un coquin que j’ai sauvé de la roue! affirmait le chancelier devant
un «prince aussi recommandable par sa haute naissance que par son mérite
personnel».

--Parbleu, monsieur, répliqua le grand seigneur, ce n’est pas ce que
vous avez fait de mieux dans votre vie[350].

A ce moment même où le duc d’Aiguillon descendait un peu tardivement,
mais non sans dignité, du pouvoir, deux hommes--des prêtres--traçaient
de son caractère, de son rôle politique, de ses tendances, un portrait
qu’il nous a paru curieux et utile de conserver.

L’abbé de Véri, auditeur de rote à Rome, qui a laissé un journal inédit
où M. de Ségur a puisé de précieux renseignements, étudie surtout le
ministre:

«Les ambassadeurs étrangers, dit-il, reconnaissaient sa manière douce,
juste, toujours ouverte et son humeur accueillante avec les militaires.»

Dans la _Chronique_ de l’abbé Baudeau la note change. Si le diplomate
flatte son modèle, l’économiste noircit singulièrement le sien, bien
qu’avec certaines atténuations, pour paraître impartial. Baudeau
constate, à la date du 6 juin, que d’Aiguillon a refusé la pension de
vingt mille livres à laquelle il avait droit comme ministre: il n’avait
jamais servi, disait-il, le roi pour de l’argent[351].

«Ouais, objecte l’abbé, c’était par orgueil et pour placer ses
adulateurs.» Mais il ajoute:

«Il était parcimonieux pour la chose publique dans un règne de
gaspillage, vétilleux, absolu, travailleur, colère, rancunier,
présomptueux, petit et vindicatif à l’excès--tous les vices du cardinal
de Richelieu, sans en avoir l’esprit!»



XVI

     _La comédie à Veretz.--Goûts et plaisirs champêtres.--Toujours les
     affaires de Bretagne.--Rentrée en scène de la Chalotais--Epidémie à
     Veretz et à Chanteloup.--Réintégration de l’ancien Parlement:
     d’Aiguillon y prend place sans que personne proteste.--Ce qu’on
     pense à Vienne de sa retraite.--Campagne de libelles contre la
     reine: le duc d’Aiguillon en est, dit-on, l’inspirateur._


«La duchesse, dit la chronique de Baudeau, à la date du 2 juin, est
partie pour Veretz, à ce qu’on assure: elle y va sans doute préparer le
logement de son cher époux.»

La nouvelle était peut-être prématurée, mais en somme très
vraisemblable, l’air de la Cour devant paraître irrespirable à Mᵐᵉ
d’Aiguillon, depuis l’avanie que lui avait infligée la reine.

Quoi qu’il en soit, la châtelaine de Veretz était en pleine villégiature
dans le courant du mois d’août; car une lettre du 26, à l’adresse de
Balleroy, lui décrit, dans cette langue, simple, naturelle et parfois un
peu négligée, dont nous connaissons la saveur, la vie agréable que
faisaient à leurs invités les possesseurs de ce beau domaine. La comédie
de salon n’en était pas une des moindres distractions:

«Notre comédie a été jouée avant-hier et a très bien réussi. Je vous
assure que l’on voit très bien que le rôle de Crispin est héréditaire
(le duc et jadis son père remplissaient-ils donc supérieurement cet
emploi?); car mon fils, qui n’avait jamais vu de théâtre que de loin, a
très bien joué. Quant à la duchesse (nous ignorons quelle était cette
grande dame, à moins que ce ne fût Mᵐᵉ d’Aiguillon elle-même qui se
nommait Louise) il lui aurait fallu une autre taille et un autre son de
voix pour bien jouer son rôle; mais, malgré cela, l’ensemble a été très
bien. Pour petite pièce on a joué une petite scène détachée, en son
honneur, qui a amené une fête champêtre, pour lui souhaiter la bonne
fête, attendu qu’elle se nomme Louise...»

Ces divertissements étaient alors très fréquents sur les théâtres de
société, qui furent eux-mêmes si nombreux pendant le XVIIIᵉ siècle. Le
_Journal_ de Collé[352], les _Sociétés badines_ de Dinaux[353] en ont
abondamment parlé.

Mais ce n’était peut-être pas «la comédie» qui plaisait le plus à la
duchesse dans cette vie de château. Nous avons dit ailleurs les goûts
champêtres de Mᵐᵉ d’Aiguillon qui cadraient si bien avec son humeur
plutôt indépendante. C’était la maîtresse femme qui s’entendait à
diriger, comme nos _gentleman farmer_ d’aujourd’hui, les plus vastes
exploitations. Et nous verrons plus tard comment elle sut transformer en
un séjour de rêve la triste et pauvre gentilhommière d’Aiguillon dans
l’Agénois.

Elle acceptait gaîment toutes les corvées de la ferme: «En votre
absence, la belle Candide[354] s’était avisée d’être malade. Comme
personne ne soignait les petits cochons, il a fallu que je les soignasse
moi-même.»

Elle ne... soignait pas avec moins de sollicitude l’humanité souffrante:
à l’exemple de toutes les châtelaines du temps, elle avait la douce
manie des «recettes» infaillibles contre telle ou telle maladie: elle
envoyait celles «de l’eau d’absinthe ou de coriandre» au chevalier qui
en ferait profiter sa sœur.

La retraite de son mari était de date encore trop récente, pour que Mᵐᵉ
d’Aiguillon se désintéressât complètement des affaires de la Cour.
Celles de Bretagne lui tiennent surtout au cœur. Elle admire M. de
Fitz-James[355] qui se défend de tenir les Etats, si on les fait
présider par l’évêque de Rennes. Et comme celui-ci est _persona grata_,
ce sera encore M. de Penthièvre qui aura «la plate faiblesse d’y aller».

Puis, elle jette un regard sur Versailles: «On me mande que M. de
Maurepas est plus brillant que jamais: je ne l’envie pas; grand bien lui
fasse!»

Sa perspicacité avait pénétré l’égoïsme du vieux courtisan sous ce
vernis d’affectueuse bienveillance dont il se piquait pour son
neveu[356].

Trois semaines après, Mᵐᵉ d’Aiguillon donne un souvenir aigre-doux à la
personnalité, alors bien oubliée, de La Chalotais, de qui elle
annonçait, dans une lettre précédente, le retour imminent en Bretagne:

«Je ne doute pas que vous n’ayez été sensible au plaisir de savoir que
M. de la Chalotais passait dans la ville que vous habitez[357].»

Louis XVI venait en effet de rendre au procureur général sa liberté et
sa place.

C’est encore un disgracié qui rentre en scène, à propos d’une épidémie
des plus graves dont la Touraine eut alors à souffrir. Veretz et ses
environs comptèrent plusieurs malades qui «tous s’en sont bien tirés».
Il n’en alla pas de même «à Chanteloup, où, sur quarante malades, il y
en a dix de morts, dont M. de Boufflers...» Ce grand seigneur n’avait
pas reçu les sacrements. M. de Choiseul, le châtelain, a «sûrement
oublié» avec «quel zèle ses sectateurs» agitèrent la question, pendant
«la maladie du roi[358]». C’était une allusion au conflit qui avait
marqué les dernières heures de Louis XV. D’Aiguillon et La Vrillière
demandaient qu’on retardât, pour ne pas épouvanter le moribond,
l’administration des sacrements. Le cardinal de la Roche-Aymon, qui la
voulait immédiate, obtint gain de cause[359], avec l’appui de La
Martinière, premier chirurgien du roi.

Cependant la saison touchait à sa fin. Les d’Aiguillon étaient rentrés à
Paris. Leur fille, Mᵐᵉ de Chabrillan, longtemps malade à Veretz, s’était
rétablie; et la duchesse, qui l’avait soignée, n’avait fait que passer
par Paris, où elle «n’avait même pas eu le temps d’entendre un acte
d’opéra», pour aller se reposer chez une amie, dans la calme solitude de
Trassey[360].

De plus graves soucis préoccupaient son mari. Maupeou était tombé[361]
et l’ancien Parlement rappelé. L’opinion publique attribuait à Maurepas
l’honneur de cette réintégration: aussi le «Mentor» de Louis XVI, comme
on se plaisait à le nommer, avait-il été acclamé à l’Opéra, le 8
novembre[362]. C’était le 12 que devait se réunir le Parlement, en
présence du roi. D’Aiguillon n’hésita pas. Malgré l’exclusion dont il
avait été frappé en 1770, hautain comme il l’était, et vraisemblablement
assuré de l’appui de Maurepas, il entra au Parlement; et pas un
conseiller ne protesta. Mais l’émotion fut grande dans Paris: «On a vu
avec étonnement M. le duc d’Aiguillon prendre place, comme pair de
France, dans une assemblée où toute la nation est persuadée qu’il ne
devrait paraître que pour essayer de se justifier[363]».

Il bravait ainsi le sentiment public. Peut-être voulut-il continuer
l’expérience, mais alors avec le roi et la Cour, quand il se présenta le
28 décembre, à Versailles, pour faire signer à Louis XVI son travail sur
les chevau-légers. Descendu chez Maurepas, il était passé, par
l’Œil-de-Bœuf pour entrer dans le cabinet du roi. Louis XVI l’avait fort
bien accueilli; il lui demanda même, après lui avoir donné sa signature,
s’il n’avait pas quelque requête à lui adresser. D’Aiguillon, toujours
avec sa superbe ordinaire, se contenta de reployer son portefeuille et
de dire «qu’il bornait toute son ambition à présenter personnellement
ses hommages au roi». Et il sortit: l’Œil-de-Bœuf était plein de
courtisans qui attendaient, montre en main, pour calculer le temps
qu’aurait duré l’audience. Louis XVI, à ce spectacle, fit entendre son
«gros rire». D’Aiguillon était remonté chez son oncle, et, après
quelques visites, était reparti pour Paris, «où il resta tout
l’hiver[364]».

Sa démission n’avait laissé aucun regret à Vienne. Je suis bien aise,
écrivait, le 16 juin, Marie-Thérèse à sa fille, de la retraite de MM.
d’Aiguillon et La Vrillière[365], sans lettre de cachet «méthode dure».
Toutefois, nous l’avons vu, Mercy n’avait pas dissimulé, dès la première
heure, son appréhension du lendemain. Puis, la haine furieuse, et comme
inassouvie, de Marie-Antoinette contre l’ex-ministre, l’inquiétait; et
l’impératrice-reine (lettre du 15 août) s’étonnait de cet «esprit de
vengeance». Mercy, tout en rendant hommage à la «bonté» naturelle de la
jeune femme, avait constaté combien cette aversion pour d’Aiguillon
avait arrêté les élans de franchise dont l’avait jusqu’alors honoré la
reine. Et Marie-Thérèse, qui voit se perdre ainsi tous les efforts de sa
politique, peint d’un trait une mentalité qui n’a échappé, ni à la mère,
ni à la souveraine. Le «caractère» de sa fille est à la fois «indécis et
volontaire» (lettre du 13 octobre).

D’autres soucis travaillent Mercy-Argenteau, par exemple la direction
que d’Aiguillon prétend donner désormais à sa vie. On le signale comme
un des meneurs les plus redoutables de la cabale formée contre la
reine[366]. L’aventure romanesque de Beaumarchais en Autriche semble
corroborer cette imputation.

L’auteur, déjà célèbre, du _Barbier de Séville_, aussi ardent faiseur
d’affaires que fécond remueur d’idées, était parti, sous l’anagramme de
Norac, pour l’Allemagne, afin d’y négocier, avec un certain Angelucci,
l’achat d’une édition tout entière d’un pamphlet dirigé contre
Marie-Antoinette[367]. Or, son vendeur, un juif d’insigne mauvaise foi,
après s’être fait largement payer, s’était enfui, emportant un
exemplaire de cette atroce publication. Beaumarchais avait raconté,
depuis, sur le mode tragique, toutes les péripéties de son histoire de
brigands. Mais, sur le moment, les autorités autrichiennes, qu’elle
avait trouvées incrédules, avaient mis le négociateur en état
d’arrestation. Mercy, à qui l’aventure avait paru également étrange, en
avait causé avec Sartine; et l’ancien lieutenant de police, alors
ministre de la marine, avait déchargé de toute culpabilité le
«délicieux» Beaumarchais, comme aimait à l’appeler le prince de Kaunitz,
pour laisser retomber par insinuation la responsabilité du pamphlet sur
le duc d’Aiguillon[368].

Mercy, plus d’un mois après[369], signale de nouveau le bruit public
attribuant au ministre déchu une part très active dans la campagne de
libelles dirigée contre la reine. C’est ainsi que M. de Ségur[370]
représente d’Aiguillon, rentré à Paris, las, découragé, aigri et
devenant le centre d’une opposition féroce: d’où cette nuée d’écrits
injurieux qui, suivant l’expression de Mercy «se sont répandus contre le
gouvernement, et en particulier, en vue de nuire à la reine[371]».



XVII

     _Influence et crédit de Mᵐᵉ de Maurepas.--Ses appels au calme et à
     la patience.--D’Aiguillon «embusqué» dans son hôtel.--Procès du
     comte de Guines.--Ce qu’était Tort de la Sonde.--Rôle de
     d’Aiguillon: griefs de Guines.--La reine prend parti pour
     l’ambassadeur de France à Londres.--Besenval excite M.-Antoinette
     contre d’Aiguillon.--Mémoires de Guines «tissus d’horreurs et de
     mensonges».--Guines gagne son procès.--La reine exige de Louis XVI
     l’exil du duc d’Aiguillon.--Incidents de la revue du Trou
     d’Enfer.--Entrevue de Maurepas avec la reine.--D’Aiguillon devra
     partir pour l’Agénois._


Les d’Aiguillon, au moment où leurs adulateurs de la veille
s’éloignaient d’eux, le lendemain, pour mieux faire leur cour à la
reine, trouvèrent un défenseur hardi, généreux, infatigable dans la
personne de leur tante, Mᵐᵉ de Maurepas, la digne sœur de la comtesse de
Plélo. Jusqu’alors elle s’était tenue discrètement à l’ombre, la
disgrâce si longue de son mari l’ayant privée de tout crédit. Mais le
soleil était revenu; et Mᵐᵉ de Maurepas avait reconquis une influence
qu’elle allait mettre au service de son neveu; car si elle était, comme
l’a fort bien dit Linguet, «toute puissante sur l’esprit de son mari,
elle était elle-même aveuglément soumise à toutes les impressions de
l’ancien commandant de Bretagne[372]. Enfin, elle avait la plus tendre
affection par sa nièce, accourait la soigner quand elle avait «ses
hépatiques (coliques)» et ne cessait de lui répéter dans ses lettres:
«Vous savez que je vous considère comme ma fille; croyez-le bien, nul ne
vous aime plus que moi». Et nous verrons, d’après sa correspondance,
avec quelle sollicitude elle embrassa la cause de Mᵐᵉ d’Aiguillon à
l’heure de l’adversité. Elle s’attristait cependant, elle la sérieuse
compagne de l’homme le plus léger du monde, à l’idée que sa nièce pût
douter du zèle de M. de Maurepas pour la défense de ses intérêts:

«Je suis pénétrée de douleur, lui écrit-elle, que vous croyiez que M. de
Maurepas ne mette pas toute la vivacité qu’il doit aux affaires qui vous
intéressent. M. d’Aiguillon doit savoir mieux que personne qu’on ne fait
pas parler les rois comme on veut. Nous serons toujours occupés de
saisir le moment qui pourra vous être utile[373].»

Son neveu perdait patience; peut-être n’avait-il, lui aussi, qu’une
médiocre confiance dans la sincérité d’un homme qui n’avait jamais pensé
qu’à lui[374]: «J’ai fait lire vos lettres à M. de Maurepas, disait
encore la tante à sa nièce; il prend aussi vivement que moi tout ce qui
peut intéresser M. d’Aiguillon... Au nom de Dieu, qu’il (le duc) se
calme! Tous les honnêtes gens lui rendent justice!»

Eh quoi! cet homme qu’on représente toujours si froid et si maître de
lui, se serait-il échappé en paroles violentes, dont ses ennemis,
empressés à les reproduire, pourraient se faire une arme contre lui?

L’hypothèse est admissible; car Augeard[375] affirme l’avoir vu, en
maintes circonstances, une fois par exemple à propos de Maupeou, entrer
dans une colère effroyable, presque convulsive, rappelant quelque peu
les crises de fureur dont, au dire de certaines chroniques, le cardinal
de Richelieu était coutumier.

Ce qui est certain, c’est que d’Aiguillon était resté tout l’hiver, à
Paris[376], «embusqué dans ce fastueux hôtel[377]» de la rue de
l’Université qu’il avait hérité de son père[378]. La cour de l’ancien
ministre avait bien diminué; mais les amis qui la composaient étaient si
dévoués au maître que Mercy en dénonçait les noirs complots. La
«cabale» avait même recruté des adhérents de marque, avec le cardinal de
Rohan et ses parents, entraînés par Mᵐᵉ de Maurepas, au grand déplaisir
de l’impératrice, qui trouvait excessives les rigueurs de sa fille
contre d’Aiguillon[379]. Et la duchesse, toujours attentive aux plaisirs
de son mari, donnait chaque soir, à ses fidèles, le régal de la comédie,
comme à Veretz, sur un théâtre de société[380].

Mais, Marie-Antoinette, qui «attribuait l’odieux de la désaffection
populaire[381]» à d’Aiguillon et à son groupe, s’était offusquée des
fréquentes réunions de ce cercle frondeur et s’était juré d’en perdre le
chef. L’incident de Guines lui fournit l’occasion cherchée.

Une «note sur la vie politique de Barthélemy Tort de la Sonde, habitant
de Bruxelles» fixe le début de ce conflit, où personne n’eut raison,
excepté peut-être l’homme sur qui s’amassaient tant de colères, et
principalement celle de la reine: M. d’Aiguillon.

«J’ai été mis à la Bastille en 1770, déclare Tort de la
Sonde,--d’ailleurs un parfait aventurier--à la réquisition du fameux duc
de Guines, alors ambassadeur de France en Angleterre, parce que je
m’étais fortement opposé à ce qu’il volât 300.000 livres à MM. Bourdier,
Chollet et Thélusson, banquiers de Londres.

Après être sorti de la Bastille en 1771, j’ai attaqué
l’escroc-ambassadeur au Parlement. La reine et toute la canaille
illustre de la Cour ont pris parti pour lui. J’ai fait justice des uns
et des autres, en publiant contre eux les plus sanglants mémoires, dans
des moments où les prétendus patriotes d’aujourd’hui faisaient les plats
valets et n’osaient pas trop regarder un grand seigneur en face[382]...»

Moreau, qui consacre plusieurs pages à cette affaire[383] et qui fut, il
faut le dire également, un des partisans les plus dévoués de l’ancien
ministre, expose, en quelques lignes, et avec impartialité, le différend
divisant le comte de Guines et son secrétaire Tort de la Sonde.

Celui-ci avait joué sur les fonds anglais, il avait perdu et s’était
refusé à régler les différences. Arrêté sur l’ordre de Guines, il
prétendit n’avoir opéré que pour le compte de l’ambassadeur. Il resta
huit mois à la Bastille; mais les créanciers anglais, qui voulaient être
désintéressés, appuyaient la version de Tort, l’homme de paille,
assuraient-ils, du comte de Guines. La «permission de rendre plainte»
contre le diplomate français fut accordée par le Conseil. D’Aiguillon
qui était alors aux affaires étrangères, mais qui ne s’y trouvait pas au
moment du conflit entre Guines et Tort de la Sonde, avisa l’ambassadeur
de la requête obtenue contre lui. Mais déjà Sartine, lieutenant de
police, avait ouvert une instruction, avant que Guines ne fût rentré en
France, procédure que lui reprocha d’Aiguillon. Le ministre fit mieux
encore: il offrit à l’ambassadeur d’arrêter la plainte. Guines lui-même
en convient dans ses Mémoires. Son procès ne commença réellement qu’en
août 1773. Il se dit victime d’une machination de son ministre qui
aurait prévenu contre lui le roi, au lieu de le soutenir, lui l’envoyé
de Louis XV[384].

Naturellement, d’Aiguillon avait pour adversaires le comte de Broglie,
Dumouriez, Favier et «tous les gens qu’il avait fait enfermer à la
Bastille». De Broglie, «rentré en grâce[385]», allait partout clabaudant
que si M. de Guines, son beau-frère, se trouvait lésé dans sa défense,
il devait en rendre responsable l’ancien secrétaire d’Etat aux affaires
étrangères. Et précisément il venait «d’imprimer que Tort n’ayant pas
d’ordres verbaux à objecter contre lui, les preuves testimoniales
étaient périmées dans l’intervalle de ces quatre années (1771-1774) et
qu’il ne lui était plus possible de se défendre aussi avantageusement en
1775 qu’il l’eût fait en 1771; enfin que M. d’Aiguillon avait corrompu
ceux qui avaient déposé dans l’instruction secrète[386]».

Le parti des Choiseul appuyait le comte de Guines; et Marie-Antoinette
apportait à protéger l’ambassadeur une animation extraordinaire.
Mercy-Argenteau regrettait même que, «pour faire pièce à d’Aiguillon»,
elle témoignât autant d’intérêt à M. de Guines «dont il voulait bien
croire la cause bonne». Il eût préféré que la reine déjouât, sans bruit,
les intrigues du ministre déchu, qui avait eu l’habileté, par son
ascendant sur la comtesse de Maurepas, d’exciter la jalousie de son
oncle contre le crédit de Marie-Antoinette. Mais la reine, plus irritée
que jamais, avait exigé de son époux qu’il exilât d’Aiguillon dans ses
terres ou dans son gouvernement, avec défense de paraître de longtemps.
Le roi avait d’abord consenti; puis il s’était ravisé, en faisant
observer à la reine qu’il ne pouvait éloigner de Paris le duc
d’Aiguillon, au moment où il était aux prises avec le comte de Guines
qui avait laissé planer sur l’ancien fonctionnaire «les plus fâcheux
soupçons». La reine garda le silence; «mais assurément, ajoute Mercy,
c’est M. de Maurepas qui a dû suggérer ces réflexions au roi[387]».

Marie-Antoinette avait obéi, elle aussi, à des suggestions, mais d’un
tout autre genre et aussi perfides que cyniques. Si d’Aiguillon peut
être représenté par ses ennemis comme un «homme noir», méditant les
complots les plus affreux, Besenval, le conseiller de la reine, ne lui
est certes pas inférieur, devant l’Histoire, pour la dextérité et
l’astuce avec laquelle il ourdit les plus ténébreuses intrigues[388]. Il
fallait décider Marie-Antoinette à précipiter, de toute son influence
sur Louis XVI, l’écrasement définitif du ministre tombé:

«... Je lui représentai avec feu le danger qu’il y avait pour elle de
laisser une cabale aussi inquiétante, ayant à sa tête le duc
d’Aiguillon, dont le caractère méchant, vindicatif et profond devait lui
faire tout craindre... Je lui fis comprendre la nécessité d’éloigner un
tel homme. Je lui conseillai de mettre en avant, vis-à-vis du roi,
l’audace avec laquelle il avait poussé le comte de Guines, quoiqu’il ne
pût douter de la protection qu’elle lui accordait et de lui faire
comprendre qu’on ne devait jamais s’attendre à aucun repos, tant qu’on
laisserait un tel homme au milieu de Paris.»

Mais l’_arrivisme_ du personnage, pour parler la langue à la mode, se
trahit bientôt:

«L’intérêt de la reine aurait suffi pour me faire attaquer M.
d’Aiguillon; mais d’autres considérations m’y portaient encore, c’était
lui qui était l’auteur de la chute de M. de Choiseul. Il convenait, à
mon sentiment, de l’en punir. Je ne pouvais me flatter d’aucun espoir de
retour pour M. de Choiseul, tant que M. d’Aiguillon serait à portée de
pouvoir quelque chose; et en l’éloignant, je croyais rendre un grand
service à mes amis[389].»

Guines, «soufflé par le parti Choiseul[390]», venait d’envoyer «un
violent billet» à Louis XVI, pour lui demander justice contre les
procédés de M. d’Aiguillon. Celui-ci, «mis en cause», riposte par deux
lettres que Vergennes, son ami, soumet au Conseil, en présence de Louis
XVI. Maurepas fait savoir à l’intéressé, par sa femme, le résultat
négatif de la séance[391]. «On (le roi) m’a répondu qu’on ne pouvait
empêcher l’affaire de suivre son cours, qu’on lui (à Guines) avait fait
dire très fortement qu’on était mécontent du billet, mais qu’on ne
voulait pas faire de bruit de cette affaire. On a même ajouté d’un ton à
me fermer la bouche que vous ne devriez pas chercher de nouvelles
affaires. Je ne puis trop vous recommander le silence en ce moment.»

Dès lors, la reine d’un côté, Vergennes et Maurepas de l’autre, se
combattent, «à coups fourrés» dit Besenval, sous les yeux de Louis XVI,
assez faible déjà pour subir alternativement toutes les influences.

D’Aiguillon avait obtenu l’autorisation de faire imprimer sa
correspondance ministérielle pour répondre aux imputations de
Guines[392]: elle prouverait plutôt qu’il avait pris parti contre Tort
de la Sonde. Son adversaire, «pour le noircir», fait mettre sous les
yeux du procureur général du Châtelet des extraits de sa correspondance
diplomatique avec d’Aiguillon et prétend donner ce second mémoire à
l’impression[393]. Vergennes s’y oppose: il démontre fort judicieusement
au roi que si l’on accorde cette permission à Guines, d’Aiguillon pourra
la réclamer pour d’autres dépêches: alors où s’arrêtera un tel abus?
Louis XVI approuve son ministre. Mais Guines passe outre; et le Conseil
d’ordonner la suppression et la destruction du mémoire imprimé:

«Si vous avez été surpris, écrit, le 24 mai, Mᵐᵉ d’Aiguillon au
chevalier de Balleroy, du ton du premier mémoire du comte de Guines,
vous le serez un peu plus du deuxième: c’est un tissu de noirceurs et de
mensonges. Je joins à ma lettre l’arrêt du Conseil qui a été rendu à
cette vacation, qui a porté lui et ses protecteurs au dernier degré de
la rage. Ils remuent ciel et terre pour trouver quelques nouvelles
misères à faire et à dire. Je suis, sur cet article, comme le sage pour
la mort: je les attends sans les craindre[2]...»

La vaillante femme sait bien qu’elle et ses amis sont impuissants contre
les «protecteurs» qu’elle ne veut pas nommer et qu’elle ne nommera
jamais. Mᵐᵉ de Maurepas lui dira qu’«on ne put tenir» contre une reine
qui use de son ascendant sur son mari pour satisfaire sa haine.
Marie-Antoinette fit croire au roi que sa religion avait été
surprise[395], lui rappelant, dans un retour vers le passé, «la conduite
atroce» de d’Aiguillon contre La Chalotais, contre la Bretagne, contre
le duc de Choiseul «protecteur» de Guines. Et Louis XVI manda au
Chatelet qu’il n’improuvait pas la publication des mémoires de Guines
pour sa justification[396]. Louis XVI défendait seulement au comte
d’attaquer le duc d’Aiguillon; et le 2 juin, par 7 voix contre 6, le
Chatelet déclarait calomnieuses les accusations de Tort de la Sonde.

«La justice de Louis XVI, conclut Mᵐᵉ Campan, fit triompher l’innocence
du duc de Guines[397].»

Qu’en savait-elle? Jamais affaire ne fut plus embrouillée; et si Tort de
la Sonde, qui d’ailleurs en rappela, eut souvent des allures assez
louches, la conduite de son adversaire ne fut pas toujours bien
correcte. La protection presque tendre que lui accorda la reine était
encore une de ces imprudences qui furent si cruellement reprochées à la
femme; et ce fut grâce à ses instances qu’il reçut ce titre de duc dont
Mᵐᵉ Campan le décore un peu trop tôt.

La joie des vainqueurs fut insolente: «La sentence du Chatelet en faveur
du comte de Guines est imprimée en caractères gigantesques et se trouve
affichée à tous les coins de rue[398]».

Il semblait, en vérité, que la fatalité s’acharnât après d’Aiguillon.
C’était comme une reprise de l’éternelle affaire de Bretagne, qu’elle
s’affirmât par la réhabilitation des soi-disant victimes de l’ancien
commandant ou par l’apparition de nouveaux ennemis dans les rangs de
ses propres défenseurs. Tel Linguet qui se plaignait de n’avoir pas été
suffisamment rémunéré par un client ingrat et superbe au point de ne
plus le reconnaître, une fois son procès gagné[399]. En outre, Linguet
avait été singulièrement persiflé, quand il était allé demander à
Maurepas la permission d’écrire contre d’Aiguillon: le vieil homme
d’Etat lui avait conseillé de se méfier de ses emportements. «--Ah!
Monseigneur, s’écria le publiciste, je vois qu’on vous a égaré sur mon
compte. Eh bien! je prends acte de vos préventions.»

Et Maurepas, ouvrant toute grande la porte de son cabinet:

--Vous êtes témoins, Messieurs, que je donne à M. Linguet la permission
de prendre acte de mon penchant à croire qu’il est quelquefois au delà
du vrai et que ses talents l’égarent[400].

Le gazetier, qui avait conté l’anecdote, annonçait un autre jour[401]
que La Chalotais venait de recevoir, à titre de compensation, 100.000
francs, 8.000 livres de pension, le titre de marquis et pour son fils
celui de Président. Mais il avait dû renoncer à «ses prétentions et
griefs contre d’Aiguillon...».... «Cela semblerait prouver que ce duc
avait agi en Bretagne par ordre du feu roi, ou que le monarque avait
approuvé les procédures de ses représentants en Bretagne. Cependant
l’odieux qui a rejailli de cette affaire sur MM. d’Aiguillon et de
Calonne subsiste toujours dans l’opinion publique.»

Mais des outrages plus sanglants, des humiliations plus pénibles, une
chute plus profonde, et celle-ci définitive, attendaient le duc
d’Aiguillon. Or, cet homme de cour, rompu cependant à toutes les
intrigues, n’avait jamais eu, pour sa propre destinée, la clairvoyance
dont sa femme était supérieurement douée. Les événements qui se
précipitaient auraient dû lui ouvrir les yeux; et ses oreilles restaient
obstinément fermées aux avertissements que ne lui ménageaient pas de
prudentes amitiés. Il se flattait qu’il reviendrait au pouvoir. Sa
fierté, réveillée par des voix autorisées, l’en avait fait, il est vrai,
spontanément descendre. Et la rapidité avec laquelle il fut remplacé ne
démontra que trop que sa révocation était imminente. Son optimisme
personnel en fut à peine effleuré: «J’avoue, disait-il à Belleval, que
la haine dont la reine me poursuit, après m’avoir honoré jadis de
quelque bienveillance, m’a trouvé moins résolu». Il était persuadé que,
s’il n’avait dépendu que du roi, il serait resté: «il n’est pas besoin
de s’adorer pourvu que les affaires de l’Etat marchent[402]». Faut-il
rappeler, d’après les _Mémoires du ministère d’Aiguillon_, ce rêve d’un
projet qui le ramenait au pouvoir pour en faire le coadjuteur de son
oncle? Sa belle confiance escomptait toujours l’avenir.

Le 24 septembre 1774, il avait annoncé à ses chevau-légers que la
compagnie serait passée en revue par le roi et qu’elle «irait au sacre
de Sa Majesté le printemps prochain».

Et Belleval, qui reçoit, en 1775 (avril), les confidences de son
commandant, déplore «l’état d’aveuglement où l’esprit le plus subtil
reste couvert de nuages». D’Aiguillon, sans prendre autrement garde au
sentiment du roi qui le tolère, ni à «la haine de la reine», qui ne le
tolère pas, organise, avec son faste ordinaire, pour les fêtes du sacre,
de luxueux préparatifs dont s’indigne Marie-Antoinette. Il annonce à ses
officiers qu’ils seront reçus à Reims, dans son hôtel et à sa propre
table. Mais tout à coup il reçoit un ordre qui le relève de son service
à cette fête grandiose. C’est le «coup de tonnerre» précurseur de la
tempête. Et quel désarroi parmi les chevau-légers! Belleval en esquisse
un leste croquis[403]. Le comte de la Coste lui apprend, dans la Grande
Galerie de Versailles, qu’il doit commander la compagnie à la cérémonie
du sacre: communication toute confidentielle. Mais les officiers
pressentent l’événement. Le duc de Villequier vient à Belleval qu’il
sait ami de d’Aiguillon et tente vainement de le faire parler. Mais le
lendemain:

--Eh! eh! la guêpe est écrasée. Il n’y a plus de coups d’aiguillon à
craindre.

Belleval s’échauffe:

--Parlons sérieusement, dit en riant Villequier. Aussi bien il serait
puéril de vouloir «cacher aujourd’hui ce que chacun sait».

Et Villequier lui confirme les nouvelles de la veille. Il lui annonce
que la reine, en raison de son estime pour Choiseul, l’a fait inviter au
sacre.

--Sans doute, ajoute-t-il, «si le roi avait été abandonné à lui-même,
il aurait gardé M. d’Aiguillon, malgré la violence du parti que son
imprudence avait laissé se former et grandir contre lui». Ce n’est pas
qu’il soit «un homme d’Etat», mais il a «l’esprit fin et adroit»;
courtisan délié, il avait une intelligence capable de le faire louvoyer
au milieu des écueils de l’entourage hostile de la reine.

Il fallut, pour enlever à d’Aiguillon ses dernières illusions, l’insulte
suprême de la revue du Trou-d’Enfer (le 30 mai), où les devoirs de sa
charge l’obligeaient à défiler, à la tête de sa compagnie. Quelques
jours auparavant, il était allé prendre les ordres de la reine pour
cette revue:

--Que n’allez-vous à Saint-Vrain, solliciter ceux de Mᵐᵉ Du Barry? lui
répondit durement Marie-Antoinette.

L’ancienne maîtresse de Louis XV avait obtenu depuis peu la permission
de quitter l’abbaye de Pont-aux-Dames où elle était exilée, pour la
résidence de Saint-Vrain située près d’Arpajon; et d’Aiguillon, à qui
ses ennemis faisaient un crime de cet acte de reconnaissance, était allé
présenter ses hommages, ainsi qu’il l’avait appris à Belleval, à la
châtelaine de Saint-Vrain[404].

Le «capitaine-lieutenant» des chevau-légers était donc venu de Paris au
camp de Marly pour la revue du Trou-d’Enfer. Le bruit de son exil avait
atteint le _rinforzando_ que Beaumarchais donne à la rumeur de la
calomnie; et la reine avait annoncé qu’elle s’abstiendrait de paraître,
si d’Aiguillon était présent. La compagnie était enchantée que le roi
n’eût pas interdit à son commandant de remplir son emploi[405].

Mais, au moment de monter à cheval, le duc reçoit ce billet de
Maurepas[406]: «Quand le roi passera, ne lui remettez pas le papier»,
c’est-à-dire «les grâces à demander», une liste que connaissait bien
Belleval, car son protecteur lui promettait souvent d’y faire figurer
son nom.

D’Aiguillon ne comprend rien au message de Maurepas, et perd la tête
lorsque, en arrivant sur le terrain de la revue, il aperçoit, contre
toute attente, le carrosse de la reine et partout une foule énorme de
curieux.

Le défilé commence. Au passage des chevau-légers devant le roi,
d’Aiguillon remet au prince «le papier». Louis XVI ne le regarde pas: le
parti de Guines affirma même plus tard qu’il l’avait refusé[407]. Mais
voici le capitaine-lieutenant, à la tête de sa compagnie, devant le
carrosse de la reine; Marie-Antoinette abaisse vivement le store de la
portière. Les Mémoires de d’Aiguillon disent même qu’«elle tira la
langue» à l’ex-ministre... «Les cheveux me dressent sur la tête quand
j’aperçois cet homme-là», déclare-t-elle le soir de la revue[408].

Le lendemain, le duc, qui voulait décidément faire contre mauvaise
fortune beau jeu, déclarait à Belleval qu’il «supportait légèrement
cette dureté».

Il n’était qu’au commencement de son calvaire.

[Illustration: Revue du Trou d’Enfer à Marly

(d’après Moreau et Le Paon)]

Le 5 juin, trois jours avant le sacre, Marie-Antoinette mande Maurepas
et lui tient ce langage[409]: «Monsieur, je ne vous vois point avec
peine avoir la confiance du roi. Je connais votre probité, la droiture
de vos intentions et votre désintéressement. Mais je ne puis vous
déguiser que vous me trouverez contraire à tout projet de voir votre
neveu dans ce pays-ci. J’ai lieu d’être mécontente de lui depuis
longtemps. Vous l’avez soutenu et nous avons combattu l’un contre
l’autre. Vous avez tenu des propos sur tout cela; j’en ai tenu de mon
côté qui ne vous auront pas contenté. Laissons votre neveu loin d’ici et
oublions de part et d’autre nos propos mutuels.»

Maurepas, pris au dépourvu, se confond en vagues protestations. La reine
redouble de véhémence. Elle déclare qu’elle a obtenu du roi
l’interdiction pour d’Aiguillon de se rendre à Reims et son ordre d’exil
dans ses terres.--Mais, demande Maurepas, quels sont les nouveaux torts
de mon neveu?

--Qu’importe? La mesure est comble. Il faut que le vase renverse.

--Mais, Madame, il semble que si le roi doit faire du mal à quelqu’un,
ce ne saurait être par vous.

--Vous pouvez avoir raison; et je compte dorénavant n’en plus faire,
mais je veux faire celui-là.

--Puis-je dire, Madame, que c’est votre volonté et non celle du roi?

--Soit, je prends tout sur moi.

Maurepas se rendit auprès de Louis XVI, qui, dès les premiers mots,
déclara qu’il ne voulait se mêler de rien et qu’il laissait à sa femme
le soin de régler le lieu et la durée de l’exil[410].

Est-il vrai que Guines et les Choiseul représentèrent à la reine que
Maurepas n’allant pas au sacre, les intrigues continueraient et que «des
courriers se croiseraient de Veretz à Pontchartrain[411]?» Ou bien que
d’Aiguillon, se sachant relégué à Veretz, ne tint aucun compte de cet
ordre et ne bougea de Paris[412]. Toujours est-il que, dans une
troisième et dernière conférence avec Maurepas, Marie-Antoinette lui
signifia que l’ex-ministre eût à prendre le chemin d’Aiguillon en
Agénois[413]. Ce fut La Vrillière qui remplit officiellement cette
mission auprès de son neveu, comme il s’était acquitté d’une semblable,
l’année précédente, auprès de Mᵐᵉ Du Barry.

Quand ce faible et irrésolu monarque qu’était Louis XVI fit, au moment
de son départ pour Reims, ses adieux à Maurepas, il eut comme conscience
de sa mollesse, il regretta l’ordre d’exil et parlait déjà de revenir
sur sa décision. Maurepas refusa net.

--Oubliez tout, dit-il au roi, ne songez plus qu’à la cérémonie de
Reims, moi, j’irai me tranquilliser à Pontchartrain avec mes carpes.
Votre Majesté me fait espérer qu’elle me donnera des nouvelles qui me
tiendront lieu de tout. Mon neveu est sujet trop respectueux pour rien
faire qui puisse déplaire à la reine: il partira dans quelques
jours[414].

Il est vrai que le roi n’avait pas consenti à signer de lettre de
cachet[415]. Et la reine s’attribuait tout l’honneur de cet «ordre
verbal»[416], qu’elle estimait moins dur et moins «barbare, quoique
lui-même s’en fût servi[417]».



XVIII

     _Impatience et joie exubérante de la reine.--Réaction de l’opinion
     publique en faveur de l’exilé.--Fausse philosophie de d’Aiguillon:
     billet à Balleroy, entretien avec Maurepas.--«Il n’y a rien perdu»,
     le mot de Marie-Antoinette justifié.--Les lettres de Mᵐᵉ de
     Maurepas.--La tâche de Mᵐᵉ d’Aiguillon.--Voyage de Mᵐᵉ Du Barry:
     l’anecdote des «Entretiens de l’autre monde»._


«Il partira dans quelques jours», avait dit Maurepas à la reine. Or,
Marie-Antoinette n’avait eu de cesse que M. d’Aiguillon fût déjà sur le
chemin de l’exil. Un courrier de La Vrillière était venu réveiller
Maurepas: «Rien ne m’a plus étonné que l’empressement de la reine à
savoir M. d’Aiguillon parti: il faut qu’on lui ait fait encore quelque
noire méchanceté», écrivait à sa nièce la femme du ministre. Un autre
émissaire avait couru chez la duchesse: «Que les ennemis du duc se
rassurent, dit Mᵐᵉ d’Aiguillon, il est parti ce matin[418]». Noble et
fière réponse qui laisse pressentir avec quelle dignité la vaillante
fille des Plélo s’efforcera d’adoucir pour son époux les rigueurs de la
disgrâce.

Jusqu’au dernier moment, elle avait douté de la catastrophe: elle ne
voulait pas que leur ami Balleroy pût y croire: «Cependant, à tout
hasard, lui disait-elle, je vous donne part qu’il n’en est rien, le roi
ayant dispensé M. d’Aiguillon d’aller à son sacre, et lui avancé son
voyage pour Veretz de huit jours.» Elle notait en passant que «le procès
de M. de Guines n’était rien moins que fini, puisque Tort en appelait».

Marie-Antoinette exultait de joie: «Ce départ, écrit-elle le 13 juillet
au comte de Rosemberg, est tout à fait mon ouvrage. La mesure était tout
à fait à son comble (l’avait-elle assez répété?). Ce vilain homme
entretenait toutes sortes d’espionnage et de fort mauvais propos. Il
avait cherché à me braver plus d’une fois dans l’affaire de Guines;
aussitôt après le jugement (le 2 juin) j’ai demandé au roi son
éloignement. Il est _vrai que je n’ai pas voulu de lettre de cachet;
mais il n’y a rien perdu_; car, au lieu de rester en Touraine, comme il
le voulait, on l’a prié de continuer sa route jusqu’à Aiguillon qui est
en Gascogne[419].»

Cette prétendue clémence n’était donc qu’un raffinement de vengeance
féminine. On en saura tout à l’heure le motif.

La persécution, si justifiable que le prétende le persécuteur, finit par
donner l’auréole des martyrs à ses victimes, fussent-elles les moins
sympathiques du monde. Ce fut le cas de l’exilé. L’opinion publique
réprouva un tel acharnement. Et Besenval le remarque d’un ton pincé: «Le
sentiment de vengeance et de justice fut étouffé par une compassion
philosophique que les femmes, qui s’étaient érigées en législateurs,
outrèrent, ainsi qu’elles outrent toujours à tort. On n’entendit que
les mots de _tyrannie, justice exacte, liberté du citoyen et loi_[420]».

Le public, note Belleval[421], blâma la sévérité du roi:

«M. d’Aiguillon n’était pas plus coupable alors qu’en quittant le
ministère. Aussi lui écrivait-on que «la partie n’était pas perdue et
qu’il y avait lieu de profiter de ce mouvement de l’opinion qui se
déclarait pour lui». Il répondit qu’il était au-dessous de lui
d’implorer sa grâce et qu’il laissait ses amis libres de faire pour lui
ce que bon leur semblerait. La question de retour fut proposée et
agitée; et la reine faiblit devant le bruit de la Cour et de la
ville...»

A notre avis, Belleval, que sa chaude amitié incita peut-être à cette
démarche, s’abuse sur la prétendue «faiblesse» de la reine. La fille des
Césars était trop férue de son autorité, trop absolue et trop pénétrée
de la sûreté de son jugement, pour ne pas persister dans sa résolution,
même en présence des protestations de l’opinion publique.

Puis elle se voyait enfin émancipée du joug de sa mère, et de plus, elle
avait conscience de l’infériorité intellectuelle de son époux. Comme une
autre Marie-Thérèse, elle gouvernait déjà. Dans les deux lettres qu’elle
écrivait à Rosemberg, cet ami d’enfance, elle affectait une indépendance
d’allures et un ton d’autorité vraiment étranges: elle s’était constitué
une petite cour «d’hommes aimables», et, de son boudoir, faisait marcher
la machine gouvernementale: «Nous allons être débarrassés de M. de la
Vrillière». Elle avait vu Choiseul à Reims et lui avait parlé, sans que
le roi l’ignorât, mais assez adroitement pour n’avoir pas l’air d’en
demander la permission au «pauvre homme» (elle appelait ainsi Louis
XVI).

Marie-Thérèse, qui se plaignait déjà amèrement de la «vivacité,
légèreté, inapplication, entêtement» de sa fille, sent qu’elle lui
échappe et ne peut retenir son indignation, surtout après la lecture de
la missive adressée à Rosemberg, qu’elle n’avait «connue, disait-elle,
que par tradition»:

«... Je l’ai fait copier, écrit-elle à Mercy, pour vous l’envoyer...
J’avoue que j’en suis pénétrée au fond du cœur. Quel style! Quelle façon
de penser! Cela ne confirme que trop mes inquiétudes. Elle court à
grands pas à sa ruine, trop heureuse encore, si, en se perdant, elle
conserve les vertus dues à son rang! Si Choiseul vient au ministère,
elle est perdue, il en fera moins de cas que de la Pompadour à qui il
devait tout et qu’il a perdue le premier...»

A ces sinistres prédictions qui se terminent sur une révélation
inattendue, l’archiduc Joseph avait voulu joindre une sévère
admonestation à sa sœur. Ce ne fut qu’un projet de lettre; mais le ton
en était vraiment dur: «De quoi vous mêlez-vous, ma chère sœur, de
déplacer des ministres, d’en faire envoyer un autre sur ses terres, de
faire donner tel département à celui-ci ou à celui-là, de faire gagner
un procès à l’un, etc..... Vous êtes-vous demandé une fois par quel
droit vous vous mêlez des affaires du gouvernement et de la monarchie
française... Quelles études avez-vous faites[422]?»

Marie-Thérèse brûla le brouillon de cette épître quelque peu cavalière,
quoique fort sensée. Mais elle invitait Mercy à redoubler «d’assiduités»
auprès de Marie-Antoinette: elle pressentait toutefois «l’éloignement»
de son autre agent, l’abbé de Vermond: alors, gémissait-elle, «ce serait
la perte totale de ma fille».

Au reste, la principale victime que l’impératrice-reine trouvait
elle-même trop rudement frappée, semblait accepter sa disgrâce avec un
sang-froid et un détachement philosophiques trop beaux pour être
sincères. Il adressait, le 7 juin[423], ce billet au chevalier de
Balleroy:

«Ce n’est plus à Veretz que je vous donne rendez-vous, mais à Aiguillon
où l’on m’envoie, sans que je puisse deviner la cause d’un traitement
aussi rigoureux, auquel je ne devais pas m’attendre après les services
que j’ai été assez heureux de rendre dans tous les genres depuis plus de
quarante ans. Vous serez mal logé; mais je compte sur votre amitié. Vous
tirerez mes lièvres et mes perdreaux; et je les mangerai[424].»

S’il faut ajouter foi à certains passages des _Mémoires_[425], dont
l’éditeur de 1792 affirme avoir «adouci» les termes, pour «ne pas
offenser la reine dans une circonstance malheureuse», d’Aiguillon, avant
de partir pour Veretz où il se croyait tout d’abord exilé, aurait eu, à
Pontchartrain, devant Maurepas, l’attitude d’un homme découragé, aigri
et devenu particulièrement amer. Il lui aurait dit toute sa lassitude de
la vie combative qu’il menait depuis un an, son dégoût du parti de la
reine capable de la compromettre et d’en faire une aventurière, sa pitié
pour sa faiblesse à lui Maurepas. Et son bonhomme d’oncle de s’excuser:
«Je ne suis qu’un lourdier et je traîne le timon; j’ai besoin d’aide...
Aujourd’hui c’est Turgot dont le roi s’engoue, mais vous savez si
l’engouement d’un Bourbon peut durer; mais tout cela ne durera pas, il
faudra changer d’_adjudant_». Un rêve dont Maurepas donnait le mirage à
son neveu pour le faire patienter et à sa femme pour avoir la paix!
D’Aiguillon gagna l’Agenois avec la persuasion qu’il n’y resterait que
quinze mois... «et voilà cinq ans!» dit le rédacteur des
_Mémoires_[426].

Si le duc ne se plaignait pas, prétend Belleval, Mᵐᵉ de Maurepas jetait
feu et flammes; elle gourmandait son mari, elle écrivait à Mᵐᵉ
d’Aiguillon lettres sur lettres et combien tendres, combien
désolées[427]:

                                    De Pontchartrain, ce lundi (12 juin 1775).

     «Jugez de ma douleur, ma chère nièce; j’ai cru jusqu’à présent que
     votre exil n’était que des propos. Je n’ai su qu’hier, après les
     démarches que M. de Maurepas avait faites, que ce n’était que trop
     vrai. J’espère que vous viendrez me voir ici. Que je suis fâchée
     de n’être pas plus jeune! J’irais vous trouver dans quelque lieu
     que vous soyiez; ne doutez jamais de ma tendre amitié; elle ne
     finira qu’avec ma vie.

     Dites mille choses tendres pour moi à M. d’Aiguillon; il doit
     savoir l’intérêt sincère que je prends à lui.»

Les «démarches» de M. de Maurepas! Nous avons vu plus haut ses
«conférences» avec la reine, d’après l’abbé de Véri. Or, la
correspondance de Mercy les présente sous un tout autre jour.
L’ambassadeur d’Autriche parle d’une «audience» que le ministre a
demandée. Marie-Antoinette a bien traité Maurepas. Elle lui adresse
les compliments que nous savons. Elle estime sa droiture en regard
de la méchanceté et des intrigues de son neveu. Et le rusé courtisan
se tut, ajoute Mercy, mais assura la reine de son «respectueux
attachement[428]».

Et quel était cet exil d’Aiguillon pour lequel Marie-Antoinette
insinuait que le duc «n’y avait rien perdu»?

Une lettre de la comtesse de Boisgelin à Balleroy[429] va nous le dire:

                                     6 juin 1775.

     «... On ne sait pour quel crime on traite le duc d’Aiguillon si
     cruellement. Le public prétend que la reine s’en prend à lui de ce
     que le peuple n’a pas crié aux deux dernières revues. Vous ne
     croirez pas plus que moi que c’est la raison d’un traitement aussi
     dur...»

Et Mᵐᵉ de Boisgelin s’apitoyant sur la duchesse: «La pauvre femme se
désespère de ne pouvoir suivre son mari, puisqu’il venait de jeter en
bas le château d’Aiguillon où l’on est à le rebâtir; et il ne reste pas
même de quoi le loger seul avec quelques domestiques...»

On a vu avec quelle hauteur méprisante la reine affectait de traiter la
duchesse d’Aiguillon. La femme devait donc prendre sa part du châtiment
infligé au mari. N’était-elle pas déjà prête, d’accord avec son époux,
disaient les mauvaises langues, à «faire sa cour», elle aussi, à la
châtelaine de Saint-Vrain, qui lui offrirait, pendant une bonne partie
de l’été[430], une hospitalité princière--digne remercîment de celle
qu’elle avait reçue, à Ruel, de Mᵐᵉ d’Aiguillon, dans des circonstances
que la reine ne pouvait oublier?

Pour de grands seigneurs habitués aux splendeurs de Veretz, la nouvelle
résidence imposée au duc était donc inhabitable. «Aiguillon n’était ni
bâti, ni meublé!» déplore l’historien Moreau. Et la duchesse se lamente
autant qu’elle s’indigne. La disgrâce qui vient de s’abattre sur son
époux est d’une rigueur inouïe. M. de Maurepas, M. de Choiseul lui-même
«dont le feu roi avait plus d’une raison de se plaindre» avaient été
envoyés dans leurs terres, et lui M. d’Aiguillon est exilé à deux cents
lieues de Versailles «dans un endroit non bâti et où je ne puis pas
aller[431]».

Elle y courut.

«J’ai su des nouvelles de votre arrivée par votre fille et par Mᵐᵉ de
Laigle, lui écrit, le 3 août, Mᵐᵉ de Maurepas. Vous devez avoir reçu
deux lettres de moi. Vous êtes, à ce que l’on m’a dit, très mal logée
avec toutes les incommodités possibles. Jugez de ma peine de ne pouvoir
vous en tirer. J’espère toujours avant l’hiver pouvoir faire parler aux
gens qui vous tiennent éloignés sans aucun sujet[432]...»

Une correspondance très active, surtout de la part de la comtesse de
Maurepas, dut s’engager entre elle et sa nièce.

Les lettres de celles-ci, relatives à cette néfaste période, ne se
trouvent pas dans les archives Chabrillan qui en contiennent déjà si peu
de la duchesse à d’autres époques. Ont-elles été détruites par Mᵐᵉ de
Maurepas? Ont-elles disparu pour des motifs que nous ignorons? En tout
cas elles ont existé: car celles qui subsistent de la comtesse répondent
à des missives reçues, témoin celle où l’oncle fait savoir au neveu
qu’il peut aller prendre, sans permission, les eaux de Bagnères,
puisqu’il n’a pas de lettre de cachet. Et ce billet encore, si
intéressant dans ses premières lignes, pour l’histoire de la disgrâce
qui frappa le ministre de Louis XV.

                                     Versailles, 22 août 1775.

     «M. de Maurepas n’écrit pas à M. d’Aiguillon (toujours l’homme
     prudent que hante la terreur du Cabinet noir) tant qu’il n’aura pas
     quelque chose d’agréable à lui mander, à l’égard des motifs qui
     l’ont éloigné; car il n’y en a point; il est difficile de les dire.
     Lorsque nous avons été à Bourges, je suis encore à savoir
     pourquoi; on dit que c’était pour des chansons dont nous n’avons
     jamais entendu parler. Il en est de même des discours que l’on vous
     prête qui seront bien prouvés qu’ils ne sont pas de vous.

... Si nous pouvons obtenir votre liberté, je crois que M.
     d’Aiguillon fera bien de n’en point profiter cet hiver pour Paris:
     il sera encore question de la maudite affaire de Guines; et il
     serait à craindre qu’on ne le fît encore parler...

     Il (évidemment Maurepas) a trouvé la reine avec la même
     résistance.»

En vérité, la comtesse fait un peu trop l’innocente. Elle ne pouvait
ignorer que son mari avait été bel et bien disgrâcié pour ces «chansons
dont elle n’a jamais entendu parler», sinon pour le couplet qui
fleurissait à l’excès Mᵐᵉ de Pompadour, du moins pour une infinité
d’autres que le ministre récoltait par les soins de la police, quand il
ne les composait pas lui-même[433]. Et même, en dépit de l’âge et de la
plus élémentaire prudence, il s’amusait encore à ces menues bagatelles.
Il s’adressait plus particulièrement à l’entourage de la reine sur
lequel il décochait ses traits les plus acérés. Il en déclinait
hautement la paternité: sinon, dit Belleval, on l’eût «déchiré». Seul,
d’Aiguillon était épargné; il est vrai que Mᵐᵉ de Maurepas n’eût pas
toléré que son neveu fût chansonné par son mari[434].

Parfois elle assaisonnait ses lettres d’un grain de philosophie; il
fallait bien revigorer un homme qui sortait de Bagnères et lui prouver,
par un exemple familial, que l’exil, à l’occasion, peut devenir un
brevet de santé:

«Vous savez, par mon expérience, qu’on peut vivre sans cela (la rentrée
en grâce). M. de Maurepas a été cinq ans sans pouvoir aller à Paris, et
s’en est fort bien porté.»

La saine raison, l’énergie et le sens pratique de Mᵐᵉ d’Aiguillon
devaient exercer une influence salutaire, non tant sur la santé, qui
resta toujours précaire, que sur le moral affaibli de l’homme politique,
encore meurtri de sa chute. Tout manquait à ce château d’Aiguillon qui
commençait à sortir des ruines de l’ancien. Et il fallait des prodiges
d’économie domestique, pour assurer rapidement à la nouvelle demeure le
grand air, la confortable opulence, l’attrait irrésistible et jusqu’aux
aspects pittoresques de l’inoubliable Veretz.

La châtelaine entreprit cette tâche avec l’esprit de suite, le goût, la
persévérance qui la caractérisaient, s’inspirant toujours de cet orgueil
du nom, mitigé d’une tendresse presque maternelle, dont le trait le plus
saillant était de laisser croire que le maître et seigneur du logis
était l’ordonnateur suprême de toutes ces magnificences. Elle, se
réléguant de la meilleure grâce au second plan, n’était plus qu’une
simple intendante, voire la fermière du château. C’est ainsi que nous
assisterons, dans sa correspondance, aux efforts continus, aux
développements successifs, aux améliorations progressives qui devaient
transformer une propriété, négligée jusqu’à l’abandon, en un domaine
prospère qu’allait ruiner de nouveau et bouleverser de fond en comble la
tempête révolutionnaire.

Nous n’avons aucune lettre de Mᵐᵉ d’Aiguillon, nous retraçant les
premières heures de ce que nous appellerions volontiers la période
d’incubation, c’est-à-dire les travaux d’installation et d’aménagement
qui suivirent l’arrivée des exilés dans les décombres du vieux manoir.
Mais il fallait que l’ensemble en fût assez satisfaisant pour que les
propriétaires en aient fait les honneurs, à deux reprises, pendant l’été
et l’automne de 1775, à la comtesse Du Barry[435].

Naturellement, la malignité publique s’empara de la nouvelle et la
grossit (sans jeu de mots) à plaisir. Nous en retrouvons l’écho dans un
pamphlet du temps. L’ignoble auteur des _Entretiens de l’autre monde_
fait dire à Turgot dans son Dialogue avec Louis XV: «Elle (la Du Barry)
a déjà eu la liberté d’aller à son château de Luciennes. Il paraît que
le duc d’Aiguillon en est toujours amoureux. Non seulement, pendant son
dernier séjour à Paris, il n’a pu contenir sa passion, au point d’en
devenir plus odieux à la reine et de se faire donner un ordre de se
retirer dans ses terres de Gascogne; mais, souffrant trop d’être éloigné
de cette beauté, il l’a engagée à venir le voir. La bretonne duchesse,
accoutumée à ses infidélités, s’est prêtée à ce concubinage; et le bruit
général est que Mᵐᵉ Du Barry est grosse des œuvres du duc[436].»

Nous avons cru devoir transcrire intégralement cette infâme calomnie
dirigée contre Mᵐᵉ d’Aiguillon, parce qu’elle est la seule que nous
ayons jamais trouvée à son adresse. Les pires ennemis du ministre,
Marie-Antoinette elle-même, n’ont jamais écrit une ligne, ni dit un mot
qui pût faire soupçonner la duchesse de la plus vile complaisance.

Quelques amis, plus fidèles au culte du souvenir qu’au souci de leur
bien-être et même de leur intérêt personnel, vinrent, à la fin de 1775,
consoler les solitaires dans leur retraite d’Aiguillon; entre autres M.
de Flesselles, qui devait finir si misérablement, le 14 juillet 1789, à
l’Hôtel de Ville de Paris, comme prévôt des marchands. Les services
qu’il avait rendus, en dépit de quelques désaccords passagers[437], au
duc d’Aiguillon, pendant les affaires de Bretagne, lui avaient valu
l’intendance de Lyon, après celle de Rennes.



XIX

     _Rappel imprévu du comte de Guines.--Pronostic qu’en déduit
     d’Aiguillon.--Conférence significative d’un ami de d’Aiguillon avec
     Maurepas.--Les fidèles courtisans du malheur.--Informations
     parisiennes: le procès Saint-Vincent et le mariage de
     Fronsac.--Opéra et ménagerie.--«Le grand Pan est à bas».--Mercy
     voit avec peine l’engouement de la reine pour le comte de
     Guines.--La nouvelle école de courtisans.--Mort de Mᵐᵉ de
     Chabrillan: lettre désespérée de la mère.--Emotion de
     M.-Antoinette.--Rappel de d’Aiguillon à Paris._


L’année 1776 devait marquer pour Mᵐᵉ d’Aiguillon l’époque la plus
douloureuse de sa vie; car la mort, et dans quelles cruelles
circonstances! allait lui arracher sa fille bien-aimée, en ce château
même, où pour elle, pour son mari--ses deux grandes affections!--elle
savait évoquer, ainsi qu’une fée de sa baguette magique, les spectacles
les plus variés et les plus attrayants.

Le duc souffrit, lui aussi, de cette perte irréparable; mais comme tous
les ambitieux et les ambitieux qui affectent de ne plus l’être, il fut
moins profondément touché au cœur que sa femme. L’année avait mal
commencé pour ses espérances: il avait constaté une fois de plus
l’égoïsme de son oncle, bien que dissimulé sous les plus belles
promesses et sous les plus chaudes protestations: le bonhomme, nous le
verrons, trouvait le duc fort heureux dans son exil d’Aiguillon et
l’invitait à s’y tenir en repos, regrettant de ne pouvoir l’imiter, mais
non sans l’amuser de ses entretiens avec le roi et la reine, qui
n’étaient nullement disposés à faire rentrer en grâce le courtisan
banni.

Et depuis, faut-il le dire, d’Aiguillon avait pu sentir, au milieu de
ses larmes, sourdre en son cœur l’espoir des revanches futures: car la
mort de sa fille avait levé son ordre d’exil.

       *       *       *       *       *

Le comte de Guines avait été subitement rappelé de son ambassade.
C’était, prétendait la princesse de Guéméné, qui était alors la favorite
de Marie-Antoinette, pour «avoir compromis la Cour de France au sujet du
_Pacte de famille_». Choiseul, auteur du traité, déclarait que la
conduite du comte était sans excuse; si Guines avait été son fils, il
eût demandé, à titre de grâce, qu’on ne lui fît pas son procès, mais
qu’on l’enfermât pour longtemps à la Bastille[438].

Le duc d’Aiguillon, tout en se défendant de sortir de sa tour d’ivoire,
épiait, avec un intérêt passionné, les faits et gestes du comte de
Guines. C’était par lui qu’il avait connu l’amertume des heures d’exil;
et on lui laissait entendre qu’il lui devrait peut-être de goûter les
joies du retour! Aussi le contenu de sa lettre du 25 février 1776 au
chevalier de Balleroy[439] ne roule-t-il, pour ainsi dire, que sur la
corrélation de ses intérêts avec ceux du comte de Guines.

Sa version du rappel de l’ambassadeur est aussi vague que celle de la
princesse de Guéméné: une correspondance, interceptée, entre Choiseul
et Guines, qui aurait piqué le roi, était cause de tout le mal; et c’est
probablement Turgot qui, en sa qualité de surintendant des postes, avait
découvert le pot aux roses. Le secret des lettres n’en était jamais un
pour le gouvernement. D’Aiguillon le savait mieux que personne. Mais il
était persuadé que Guines, quelque coupable qu’il pût être, se
justifierait et qu’il serait renvoyé à son poste avec une gratification
et la promesse du premier cordon bleu disponible. Quant à son procès, il
ne sera pas jugé, ce qui le laisse, lui d’Aiguillon, fort indifférent,
bien qu’on lui dise qu’il recouvrera sa liberté, à l’ouverture des
débats. Alors, aurait déclaré la reine à M. de Maurepas, il lui serait
loisible d’aller où bon lui semblerait, sauf à Paris. Il n’en profitera
certes pas; mais il n’en gardera ni humeur, ni mépris. Au reste, sa
réinstallation à Veretz lui coûterait trop cher, et il y serait
espionné; puis il a fort à faire à Aiguillon. Il termine sur un coup de
patte à l’adresse de Maurepas. Bien qu’il n’ait pas eu à se louer de son
oncle, il serait fâché qu’il lui arrivât malheur, crainte de pire.

Quelques jours après, la lettre, non signée, d’un ami, dut le confirmer
dans l’opinion peu flatteuse qu’il avait de son oncle. Sans nul doute,
d’Aiguillon avait envoyé cet ami pour tâter le terrain; mais la réponse
de son confident lui fit comprendre combien était chimérique l’espoir
qu’on entendait lui donner de lier ses destinées à celles de Guines,
puisque la reine le croyait, lui ou ses partisans, les auteurs du rappel
de son protégé. D’ailleurs, nous publions intégralement cette
conversation de l’ami anonyme avec Maurepas, qui dessine à souhait la
silhouette de l’homme d’Etat, ne laissant dans l’ombre aucune de ses
finesses, de ses subtilités, de ses roueries, pour ne pas dire de ses
mensonges[440].

                                     Paris, 11 mars 1776.

     Je prends mes mesures pour que cette lettre vous arrive sans
     obstacle. Je n’ai pas cru devoir attendre une occasion pour vous
     faire passer les détails que vous y lirez de la part d’un grand
     nombre d’amis qui soupirent après votre retour.

     Je fus samedi à Versailles avec le plan de votre château dans ma
     poche. Je passai près d’une heure avec M. de Maurepas. Je lui
     montrai sur le papier les incommodités que vous avez éprouvées
     pendant l’hiver; il s’y est montré sensible et m’a dit:

     «--Vous les avez laissés en bonne santé?

     --Ils se portaient à merveille.

     --Mᵐᵉ d’Aiguillon a été fort incommodée de la grippe. Est-ce vrai?

     --Elle a gardé le lit trois à quatre jours. Ils paraissent décidés
     à ne pas quitter Aiguillon.

     --Je penserais volontiers comme eux; ils y sont de grands
     seigneurs. A Veretz, ils ne seraient que des bourgeois. Je sais ce
     que c’est que l’exil; ils ont au moins l’agrément d’être chez eux.
     Moi, on m’envoya dans un pays où je ne connaissais personne.

     --Cela est vrai; mais vous étiez chez votre ami; et votre famille
     vint bientôt vous y joindre, de sorte que vous étiez comme à
     Paris.

     --Ils sont toujours éloignés, mais je suis charmé qu’ils soient
     contents.

     --Il est bien étonnant, Monsieur le comte, que sous votre
     gouvernement, qui n’est que liberté, on retienne un citoyen, un
     homme d’Etat, sans lui en dire les raisons.

     --Il ne les saura jamais, car il n’y a pas de pourquoi. La reine
     est irritée contre lui; et elle ne cesse en toute occasion de lui
     lancer des brocards, sur lui et sur son parti qui a fait rappeler
     M. de Guines; et tant que la reine et M. de Guines vivront, cette
     princesse pensera toujours de même. Le roi me l’a dit souvent: ils
     ne voient dans ce qui arrive à M. de Guines que les menées de M.
     d’Aiguillon et de ses partisans; et ils ont toujours M. d’Aiguillon
     à califourchon sur le nez. Le roi est tout le premier à dire qu’il
     n’y a aucun rapport entre un homme à 200 lieues de Paris et un
     homme rappelé de son ambassade. Mais la reine est aigrie par ses
     entours et surtout par Mᵐᵉ de Guéméné qui est la favorite. Le duc
     de Choiseul se remue aussi tant qu’il peut. Il a des conférences
     avec la reine. Ils ont été au bal de l’Opéra, masqués tous les
     deux, en dominos noirs; et cette princesse est toujours entretenue
     dans les dispositions les plus défavorables. On travaille aussi,
     autant que pour vous (??) à l’éloigner de moi. En public elle me
     traite honnêtement, parce qu’elle ne peut, à cause du roi, se
     comporter autrement; mais, dans le particulier, son maintien est
     bien différent.

Je crois qu’on ne me rend pas justice à Aiguillon.

Cependant j’ai fait pour lui tout ce qu’il m’a été possible de faire et
des choses mêmes qu’ils ignoreront toujours. A Fontainebleau,
connaissant les dispositions peu favorables de la reine pour moi, j’ai
mis en avant M. de Muy[441] et l’abbé de Vermond[442] pour rompre la
glace sur ce qui regardait M. d’Aiguillon. Ils lui en parlèrent tous
deux avec douceur et vivacité. Ils me rapportèrent qu’elle paraissait
étonnée que je ne lui en eusse pas parlé le premier. Je me rendis chez
elle. Je lui dis que j’avais voulu lui donner une marque de mon respect,
en ne prononçant pas devant elle un nom qui pourrait lui déplaire, mais
que, puisqu’elle le trouvait bon, je prendrais la liberté de lui
représenter que M. d’Aiguillon, ayant bien servi l’Etat, était traité
comme un homme qui l’aurait trahi, que, passant dans l’Europe pour la
douceur et la bienfaisance mêmes, il y aurait de la gloire de rendre la
liberté à un prisonnier qui était uniquement le sien, voulant lui faire
entendre que le roi n’y avait aucune part, que tout le monde avait les
yeux sur elle et que je la suppliais de rendre ses bontés à un homme qui
n’avait aucun reproche à se faire. Elle me parla de l’affaire de M. de
Guines. Je l’assurai et lui donnai ma parole que M. d’Aiguillon ne
reparaîtrait pas à Paris, tant que cette affaire ne serait pas finie; et
j’insistai fortement sur ce que sa gloire était intéressée à finir cette
captivité.

--Il n’est pas encore temps, me répondit-elle sèchement. Nous verrons
par la suite.

Quelques personnes m’ont parlé depuis et m’ont engagé d’aller
directement au roi; mais comment faire une pareille démarche, malgré la
reine et en dépit d’elle? Elle n’est pas praticable. Si cette princesse
me donnait mainlevée, le sort de M. d’Aiguillon serait bientôt décidé.
Le roi n’a rien contre lui et m’en a parlé cent fois: il connaît et
estime ses talents. Mais M. d’Aiguillon a un péché originel vis-à-vis du
roi, quoique j’aie travaillé inutilement à le faire oublier à ce prince:
c’est Mᵐᵉ Du Barry. J’ai eu beau lui représenter que le besoin d’une
protectrice puissante et ensuite la reconnaissance l’avaient forcé à
s’attacher à elle. Il m’a répondu que c’était toujours un vilain moyen
de parvenir. Croiriez-vous qu’on a poussé la méchanceté à l’égard de Mᵐᵉ
Du Barry et de M. d’Aiguillon, jusqu’à dire qu’elle était grosse de lui?
Mais cela est tombé et n’a pas été jusqu’au roi; car il ne m’en a pas
parlé. Cette femme avait demandé permission de venir à Paris dans un
couvent; on le lui avait accordé, mais je ne sais pourquoi elle n’a pas
profité de cette grâce. Le Roué est à Paris; le roi le sait et trouve
bon qu’il y reste.

Mais, pour revenir à M. d’Aiguillon, il fait fort bien de rester où il
est: il y est grand seigneur; il a chez lui de la compagnie; et, suivant
ce que vous me dites, il est heureux. Mais à quoi s’occupe-t-il? Car les
soirées sont longues. Il ne monte point à cheval, il ne chasse point; et
un esprit aussi actif que le sien ne peut demeurer à rien faire.

--Il s’occupe dans son cabinet; il vit de souvenirs et vaque à ses
affaires.

--Le séjour qu’il fera dans ce pays ne peut que les améliorer; car
elles ne sont pas entièrement en bon ordre. La retraite n’est pas un mal
dans les circonstances où nous sommes. Je me trouverais mieux à
Fontainebleau qu’ici: quand on est tourmenté de la goutte comme je le
suis, la prison (?) est maussade. Nous sommes dans une crise vis-à-vis
le Parlement. J’espère que nous nous en tirerons, en ne nous mettant
point en colère[443].»

Voilà, M. le duc, la solution (?) de la conversation que j’eus samedi
avec M. de Maurepas. A l’en croire, il se donne de grands mouvements
pour vous; mais la reine arrête d’un côté les efforts de ses démarches;
et il cherche, dit-il, délicatement, à faire oublier au roi les liaisons
avec Mᵐᵉ Du Barry qui sont la seule prévention que ce prince ait contre
vous.

       *       *       *       *       *

Quel peut bien être le narrateur de cette scène si vive, si animée, si
piquante, qui appartient à l’Histoire et qui relève par intervalles de
la Comédie, ces deux interprétations de la vie et de la pensée humaines
ayant tant de fois entre elles de nombreux points de contact?

Est-ce Flesselles, La Noue, Fontette, Balleroy, Belleval??... un petit
groupe, mais tous des cœurs sincères, amis dévoués et courtisans du
malheur[444].

Notre anonyme terminait ainsi sa lettre:

«Dès le mois de septembre ou d’octobre, si je suis libre, monsieur le
duc, la disgrâce d’un ami est une raison de plus pour moi de lui donner
toutes les preuves qui sont en mon pouvoir de mon fidèle attachement et
de ma reconnaissance.»

Mais, à toute époque de l’année, à toute heure du jour, la porte de la
maison était ouverte et la table servie, comme aux temps heureux de
Veretz et de l’hôtel d’Aiguillon, pour ces hôtes que n’effrayait pas le
ruban de 200 lieues qui les séparait de Versailles.

Nous en retrouverons les noms, les portraits, les habitudes et même les
aventures dans les lettres de la duchesse dont la gaîté, le naturel, la
vivacité d’impression contrastent avec le ton gourmé, mystérieux, morne
et presque mélancolique des épîtres maritales.

Si, comme l’affirme l’auteur des _Mémoires_, Mᵐᵉ d’Aiguillon ne s’est
jamais mêlée d’aucune intrigue politique, elle n’en a pas moins conservé
sa liberté d’appréciation sur les hommes du jour et sur leurs actes;
elle dit son mot, comme jadis à propos des affaires de Bretagne; elle
enregistre nouvelles et informations, elle rédige, en outre, la
chronique du château, le tout pour ce brave chevalier de Balleroy, où
qu’il soit, en garnison, chez son frère en Basse-Normandie, ou encore
dans son petit appartement du faubourg Saint-Germain.

M. de Maurepas se préoccupait, nous l’avons vu, d’une crise au
Parlement. «On me mande, écrit la duchesse au chevalier, qu’il y a eu un
lit de justice, j’en suis très aise, dans l’espérance que Messieurs,
n’ayant plus de discussions, ni de remontrances à faire, s’occuperont
de l’affaire de M. de Richelieu dont j’ai la plus grande impatience de
voir la fin[445].»

Elle attendait alors sa fille et son gendre. Mais il paraît qu’on
voulait faire un crime à Chabrillan de cette visite.

Aussi prend-elle la mouche: «Il vient ici en droiture; je trouverais
bien plat qu’il crût avoir besoin de feindre un autre voyage; il peut
sans embarras afficher sa liaison avec nous: il ne peut être blâmé de
qui que ce soit[446].»

A huit jours de là, elle revient sur «l’affaire de M. de Richelieu».
C’était une assez vilaine histoire. Une intrigante, nommée
Saint-Vincent, que le maréchal avait quelque peu chiffonnée en son jeune
temps, avait mis en circulation pour trois cent mille écus de billets
souscrits à son profit par Richelieu. Celui-ci prétendit qu’ils étaient
faux et fit enfermer la Saint-Vincent. Le procès fut évoqué devant le
Parlement; et le maréchal put constater une fois de plus ce que valait
la haine des «robins». La faussaire fut acquittée. Et Mᵐᵉ d’Aiguillon de
commenter l’arrêt, ainsi qu’un autre événement, non moins scandaleux,
survenu depuis peu dans la famille:

«Le pauvre maréchal finit d’une façon bien triste une carrière très
longue, très glorieuse et très brillante. Ce jugement est aussi injuste
qu’absurde. On me mande que Mᵐᵉˢ de Gramont, de Lyonne et de Chaulnes
ont sollicité indécemment pour cette scélérate de Saint-Vincent. Je le
croirais très facilement de ces trois femmes; mais quand des magistrats
se prêtent aux intrigues d’une cabale, c’est ce qui est incroyable et ce
qui révoltera tous ceux qui pensent honnêtement.»

Mᵐᵉ d’Aiguillon passe ensuite à l’autre scandale, la mésalliance de
Fronsac, le fils du maréchal: «Il fait un bien plat mariage, après avoir
refusé de très bons partis de filles de qualité. C’est le cas de dire:

    _Entre tant de héros choisir un Childebrand!_

Il a 60.000 livres de rente, avant peu 200.000, duc et pair à deux
pairies, une belle charge, fils d’un homme qui a joué les plus grands
rôles, que les persécutions qu’il éprouve rendent plus grand encore aux
yeux des honnêtes gens... qui épouse Mˡˡᵉ Galliffet!! la transition est
un peu forte et ce n’est plus le cas de dire:

    _La chute en est heureuse!_[447]»

D’ailleurs peu intéressant, ce Fronsac! C’était lui que Gilbert avait
flétri dans sa fameuse _Apologie_, joueur et libertin, se faisant
incendiaire pour enlever une fille, qu’il abandonnait après l’avoir
violée.

A ce moment, Mᵐᵉ de Maurepas qui tenait sa nièce au courant des
nouvelles familiales et lui avait annoncé, quelques mois auparavant, la
retraite définitive de son frère Saint-Florentin, duc de la Vrillière,
«s’arrangeant pour aller une fois encore la semaine à la Cour[448]», Mᵐᵉ
de Maurepas lui apprenait l’état très grave de cet oncle subitement
frappé de paralysie, et l’invitait à se rendre à Pontchartrain pour le
règlement futur de leurs intérêts respectifs. Mᵐᵉ d’Aiguillon fait part
de la nouvelle à Balleroy, prévoyant pour Saint-Florentin la même fin
qu’avait eue son beau-père, à la suite d’une attaque d’apoplexie. Elle
avait écrit à sa tante qu’elle s’en rapportait entièrement à elle et à
son mari de la question de partage. Cet oncle ne lui ayant jamais
témoigné--comme l’autre d’ailleurs--qu’une affection sans péril pour son
égoïsme, la duchesse revient bien vite à des sujets qui lui touchent
autrement au cœur. C’est encore de Chabrillan qu’il s’agit. Le pays lui
plaît, mais pas autant qu’elle l’eût espéré. Aussi est-il parti «en très
bonne santé: je prétends, ajoute-t-elle, qu’il ne tiendra pas huit jours
sans s’y ennuyer. C’est une si belle chose que la Cour!» dit-elle
malicieusement.

Enfin, elle renseigne Balleroy sur les distractions présentes
d’Aiguillon et sur les plaisirs qui l’attendent dans un avenir prochain:

«... Cette belle Candide nous a joué la _Servante maîtresse_ très
bien... Vous trouverez ma ménagerie fort augmentée. J’ai acquis un
perroquet qui fait les délices du château, surtout du maître. Je forme
une volière de toutes sortes d’oiseaux chantants, que je compte mettre
dans les bosquets. En attendant, ils sont tous dans la salle à manger en
cage; il y en a plus de 200, cela fait un beau bruit[449]...»

Balleroy est bien partagé: sa correspondante ne lui mesure pas les
informations:

«Pour le coup, monsieur le chevalier, on ne peut pas se plaindre de la
disette de nouvelles; il y en a de toutes les couleurs. 1º _Le Grand
Pan_ est à bas, puisque M. Turgot est renvoyé: que vont devenir les
philosophes, les encyclopédistes, les économistes? Que va dire M.
d’Anville? Je ne vois que ceux-là qui puissent s’en fâcher. Ce qui est
sûr, c’est que ce ne sera pas moi; et quand on aurait changé le conseil
tout entier, je n’en serais pas plus triste.»

Le compliment n’est guère flatteur pour l’oncle Maurepas; mais nous
savons que la duchesse ne s’était jamais fait la moindre illusion sur
l’homme, ni sur le parent. Elle aborde ensuite un sujet qui répond aux
préoccupations immédiates de son mari.

A propos de Guines «qu’on accuse d’assez vilaines choses et qui n’est
pas encore jugé, on ne lui rend pas encore son ambassade; c’est donc que
l’on continue à être mécontent de lui».

Mais, la duchesse, partageant la sagacité de M. d’Aiguillon, prévoit que
l’intéressant accusé sortira de l’épreuve avec les honneurs de la
guerre: «On lui fait une grâce que des gens qui ont bien servi demandent
en vain; le roi lui écrit une lettre de sa main, comme en recevrait un
général qui aurait sauvé l’Etat!» Allusion rétrospective à la victoire
de Saint-Cast[450].

Le diplomate chagrin, qui représentait l’Autriche à la Cour de France,
gémissait de cette nouvelle saute dans l’esprit léger et fantasque de
Marie-Antoinette; encore voulait-il y trouver des circonstances
atténuantes: «la reine est obsédée par ses entours pour M. de Guines».
Cet heureux mortel est sur le point d’être nommé duc. Et Mercy estime
quelque peu excessive une telle faveur, s’affichant au milieu de courses
et de paris, à travers un débordement de plaisirs et un déchaînement de
dissipation auxquels préside la princesse de Guéméné. Au reste la
question Guines est devenue comme un champ clos où se combattent les
Choiseul et les d’Aiguillon: ceux-ci continuent à lancer des épigrammes,
des chansons, des libelles où le roi et la reine ne sont guère ménagés:
l’irritation n’en est que plus vive contre le duc d’Aiguillon[451].

Et maintenant que faut-il croire de la prétendue intervention de Lauzun
en faveur de Guines, alors qu’à la suite d’un conciliabule entre Coigny,
la reine et lui, Marie-Antoinette voulut abandonner l’ambassadeur?
Lauzun se serait énergiquement opposé à cette défection. Et la reine, se
rangeant à cet avis, aurait obtenu de Louis XVI que Guines fût admis à
se justifier. Or celui-ci avait su se disculper. Aussi avait-il été
décidé entre Marie-Antoinette et son mari, que le roi écrirait à Guines
pour lui dire qu’il était content de ses services et lui accorderait
ensuite le brevet de duc. Bien mieux, la reine aurait envoyé chercher
Guines, à neuf heures du matin, pour lui annoncer cette bonne nouvelle
et lui remettre en mains propres le titre royal[452].

Ce qui résulte de tous ces racontars d’antichambre, de ces luttes
d’influences dans les salons de Versailles, de ces intrigues mesquines
ourdies au fond des boudoirs, de cette petite guerre à coups de bons
mots, de couplets et de libelles, c’est qu’une nouvelle école naissait à
la vie politique: école de vice, de corruption et de décadence. Sur les
débris de cette société en décomposition qu’était la Cour de Louis XV,
s’élevait toute une génération de jeunes et fringants gentilshommes,
vaniteux, suffisants, arrogants, déterminés viveurs, jouisseurs
effrénés, sans morale, sans religion, sans scrupules, escrocs à
l’occasion, aussi besogneux qu’assoiffés de plaisirs, braves et même
magnifiques par destination, mais poussant jusqu’aux dernières limites
l’effronterie, l’impudence et le cynisme. Ils estimaient aujourd’hui
que, pour arriver à la Cour, il n’était plus nécessaire d’assiéger et
d’enlever le cœur des reines de la main gauche, puisqu’il s’en trouvait
une véritable, et combien séduisante, sinon d’une beauté accomplie, du
moins d’une élégance exquise, d’un charme capiteux, d’une grâce
incomparable, accueillant, avec ivresse, dans un délicieux sourire, les
flots d’encens montant jusqu’à elle. Et comme la conquête pour ces
jeunes seigneurs devrait en être facile! Quel être dépourvu de prestige
et de poésie, que ce mari lourd, épais et brutal, honnête homme par
instinct, ayant pris, dans une atmosphère imprégnée de philosophisme,
comme une vague intention de faire le bien, mais trop faible et trop mou
pour la suivre, qui n’avait ni la majesté du Roi-Soleil, ni la suprême
beauté de Louis XV et qui ne tenait des Bourbons que la gloutonnerie, la
frénésie de la chasse et la passion du vin.

Ainsi pensait, ainsi même s’exprimait, sans la moindre contrainte, cette
jeunesse qui faisait litière de tous les grands sentiments et de toutes
les nobles idées, qui avait abjuré tous les cultes et principalement
celui de la famille, objet de son mépris et de ses risées.

Mais cette sainte piété, qui prépare les cœurs aux plus héroïques
sacrifices, parce qu’elle est la source vive de l’amour de la patrie,
n’était pas morte dans tous les cœurs. Avec quelle force et de quel
éclat elle brillait dans l’âme généreuse de la duchesse d’Aiguillon!

Les sanglots que lui arracha la mort prématurée de la marquise de
Chabrillan, victime elle-même de sa tendresse filiale, démontrent, de
reste, la puissance et l’étendue de cet amour maternel.

Sa lettre du 21 juin au chevalier de Balleroy est le cri exaspéré de la
douleur qui sera éternelle:

                                     Aiguillon, ce 21 juin 1776.

     «Je n’ai point de termes pour vous peindre ma douleur: l’affreux
     spectacle que je viens d’avoir m’a rouvert ma plaie qui n’était
     rien moins que fermée. Toutes les circonstances de la maladie de ma
     fille sont si semblables à celles qui m’ont enlevé ma fille aînée
     et qui sont toujours présentes à mon cœur, qu’à chaque instant je
     voyais mes deux filles mortes et mourantes.

     C’est un déchirement dont on n’a pas d’idée: l’une a passé au
     moment de se former, cette humeur s’est jetée sur sa poitrine; et
     sa malheureuse sœur a péri d’une fièvre de lait qui s’est de même
     jetée sur sa poitrine.

     Aussi le fait est que je les ai perdues toutes les deux, et que
     c’est l’acharnement de nos ennemis et de la reine en particulier
     qui l’ont tuée. Si on ne nous eût pas forcés à passer ici l’année
     passée, nous aurions été à Veretz, où elle serait venue avec nous;
     elle aurait été paisiblement faire ses couches à Paris, où elle
     aurait eu tout le temps nécessaire pour faire passer son lait; elle
     existerait encore; au lieu de cela, comme il y avait un an qu’elle
     n’avait vu ni son père, ni moi, elle en avait la plus grande
     impatience; elle s’est pressée et fait illusion à elle-même et est
     arrivée pour périr sous nos yeux, victime de son attachement pour
     nous et de la haine de M. de Guines; il est certain que nous sommes
     assez malheureux, nos ennemis doivent être contents. Vous savez
     mieux que personne combien nous étions heureux et contents ici; cet
     événement empoisonne un lieu qui est et doit être notre retraite.

     Je ne m’occupe qu’à diminuer ma douleur vis-à-vis de M. d’Aiguillon
     et de lui faire croire que je me distrais. Je tâche de ne pas
     augmenter sa douleur par la mienne. Je vois qu’il fait les mêmes
     efforts; nous nous contraignons l’un pour l’autre; il en résultera
     que nous en prendrons l’habitude peut-être, et véritablement nous
     nous désespérons.

     Il est impossible de recevoir plus de marques d’amitié que je n’en
     ai reçu dans cette malheureuse occasion[453].»

C’est la première fois et ce sera la dernière, que, dans le cours de sa
correspondance avec Balleroy, la mère parlera avec cette véhémence de la
femme à qui elle attribue la mort de son enfant. Elle, d’ordinaire si
prudente, ne peut retenir l’explosion de sa colère.

Sa lettre du 8 juillet cristallise en quelque sorte la souffrance qui
fut toujours son lot et qu’elle a soigneusement cachée sous sa gaîté
coutumière, par égard et par amour pour son mari: «Cette perte affreuse
m’a rappelé la mort de ma fille aînée... j’ai pleuré en même temps tous
mes enfants... Il est dur, avant cinquante ans, d’avoir éprouvé tout ce
qui m’est arrivé». Moins que jamais, elle veut quitter Aiguillon: «Le
parti que nous prenons de rester ici est celui que je crois être le plus
sage, vu l’acharnement très actif de nos ennemis et la tranquillité plus
que passive de ceux qui sont à portée de prendre notre parti et qui même
le devraient.»

La fin, si touchante, de cette pauvre jeune femme, accourue, avant que
sa santé ne fût rétablie, auprès de ses parents en exil, avait ému les
âmes sensibles à la Cour et à la Ville[454]. Le roi, dit Moreau, écrivit
au père qu’il pouvait quitter la tombe de sa fille[455]. Nous ne croyons
pas qu’un autre mémorialiste ait signalé le fait. Mais ce qui est
certain, c’est que l’Histoire réserve à Marie-Antoinette, seule,
l’honneur d’avoir spontanément réclamé le rappel de l’homme qu’elle
détestait, dès qu’elle apprit la situation, très grave, de Mᵐᵉ de
Chabrillan.

Le 20 juin, Mᵐᵉ de Maurepas adressait, toute affaire cessante, ce billet
à sa nièce:

«M. de Maurepas écrit à M. d’Aiguillon et lui mande que la reine, étant
touchée d’apprendre la maladie de votre malheureuse fille, est venue
chez le roi, où était M. de Maurepas et lui a dit qu’elle lui rendait
toute liberté et qu’il pouvait venir à Paris et dans tous les lieux
qu’il voudra, excepté la Cour. Si votre fille avait sa guérison, quel
plaisir j’aurais[456]!»

La lettre de Maurepas, expédiée de Marly et datée du même jour, est
conçue à peu près dans les mêmes termes: «quel que fût l’événement», la
reine «touchée enfin de votre situation» consentait etc...[457]

La dépêche envoyée, le 14 juillet, par Marie-Antoinette à
Marie-Thérèse[458] est très explicite: «Dès que j’ai su qu’elle (la
marquise) était en danger, j’ai trouvé que si M. d’Aiguillon venait à
perdre sa fille, il serait inhumain de l’obliger à rester dans l’endroit
où sa fille était morte. J’ai demandé au roi de lui laisser la liberté
d’aller partout où il voudra, excepté la Cour. Le roi me l’a accordé.»

Il est donc bien certain que Marie-Antoinette n’a pas attendu, comme
l’ont prétendu quelques historiens, la mort de la malheureuse jeune
femme survenue dans cette même journée du 20 juin, pour demander le
rappel de d’Aiguillon. Mais ce qui est non moins exact, à en croire
Mercy, c’est que la reine n’eut pas, la première, l’idée de cette
démarche. La comtesse de Polignac--une nouvelle amie--et le duc de
Guines l’avaient incitée à la faire «par politique». Ne valait-il pas
mieux, disaient-ils, prévenir un acte de clémence qui eût peut-être
accordé à d’Aiguillon sa grâce tout entière, en n’en demandant pour lui
que la moitié[459]?

Et le confident de l’impératrice démontre combien
Marie-Antoinette--aussi faible en cela de caractère que Louis XVI--se
laissait diriger par cette tourbe d’intrigants des deux sexes qui
aspiraient à devenir les maîtres de la Cour: «Je trouvai la reine fort
persuadée de l’adresse et de la sagacité de ses conseillers; mais sa
surprise fut grande, quand je lui fis voir la loucherie et la mauvaise
foi qui avaient dicté ces conseils.» Mᵐᵉ de Polignac et M. de Guines
n’étaient que des ambitieux, uniquement soucieux d’accaparer les bonnes
grâces de Maurepas. Et moi, disait avec amertume Mercy-Argenteau, en
s’adressant à Marie-Antoinette, quand je voulus m’employer également
pour M. d’Aiguillon, Votre Majesté «n’a mis aucunes bornes à ses
déclarations trop publiques et trop sévères!» Etait-ce une amende
honorable? En tout cas, l’ambassadeur termine sur ce mot: Il me semble
que la reine m’a «écouté avec attention[460]». Naïf diplomate, sous la
maussade apparence de sa défiance perpétuelle! Mais combien imprudente
cette jeune souveraine, qui devait expier plus tard si tragiquement dans
des angoisses familiales aussi douloureuses que celles de Mᵐᵉ
d’Aiguillon, les erreurs et les caprices d’une volonté, impatiente de
toute contrainte, qu’asservissait cependant à d’indignes courtisans la
soif immodérée des plaisirs.



XX

     _Arrêt dans la correspondance.--D’Aiguillon refuse de rentrer à
     Paris.--L’opinion publique n’en dénonce pas moins ses intrigues
     avec son oncle pour revenir à la Cour.--Action persistante de Mᵐᵉ
     de Maurepas dans l’intérêt de son neveu.--Le buste de Louis
     XVI.--La succession de La Vrillière et «la vilaine petite
     race».--Irritation de la duchesse contre Guines.--Une saison à
     Bagnères dans la plus stricte intimité.--Mᵐᵉ d’Aiguillon «écorchée
     comme saint Barthélemy».--«Mauvaise compagnie» des gens de
     Cour.--Retour au château: nouvelles récriminations du châtelain;
     «absorbement continuel» de la châtelaine._


La commotion avait été trop violente, le deuil était trop récent et trop
profond chez les d’Aiguillon, pour que, même dans un milieu où les
obligations mondaines créaient de tyranniques exigences, la vie du
château n’y restât de longtemps suspendue. Encore n’y reprit-elle, en
1777, que pour un petit nombre d’intimes, mais à porte entre-baîllée,
dans la tristesse des voiles funèbres, devant le souvenir sans cesse
rappelé de l’enfant à jamais disparue.

Plus de correspondance pendant près de neuf mois. La duchesse a brisé sa
plume; et il semble que le duc se soit désintéressé de la politique. Par
un sentiment de fierté très légitime, il avait refusé, «comme un
déshonneur[461]», cette demi-grâce qui lui interdisait de remplir une
des fonctions les plus précieuses de sa charge, celle de travailler
personnellement avec le roi. Il préférait, disait-il, vivre dans la
solitude et ne reviendrait à Paris que «si jamais le soin de ses
affaires l’y appelait». Ce fut son oncle qu’il chargea de «voir le roi
et de lui porter ses mémoires (pour les chevau-légers)». Maurepas les
lui retournait «approuvés et signés sans difficulté[462]».

Paris n’en préjugeait pas moins, en ce moment, les secrètes pensées du
neveu. Les Noëls pour l’année 1777, qui couraient déjà par la ville, le
confondaient avec l’oncle dans le même couplet:

    D’Aiguillon à l’intrigue
    Se borne maintenant.
    Le Mentor pour lui brigue
    Poste très important;
    Et ce vieillard, dit-on,
    Un peu dans la démence,
    Voudrait auprès de son poupon
    Placer le Docteur d’Aiguillon
    Pour enterrer la France.

De son côté, Hardy consignait, dans son _Journal_, les échos des
réflexions bourgeoises sur ce croisement de menées souterraines,
auxquelles se trouvait encore mêlé un homme que ses amis espéraient
enfin rendre sympathique par l’étendue même de ses malheurs:

«Quelques personnes mêmes regardaient le rappel de M. d’Aiguillon comme
une preuve de crédit qu’avait encore le sieur comte de Maurepas, en même
temps qu’ils imaginaient que son séjour dans la capitale pourrait bien
influencer sur les intrigues qui avaient pour but d’écarter le duc de
Choiseul que la reine paraissait désirer voir remonter au
ministère[463]...»

Hardy ajoutait que «s’il fallait s’en rapporter à des personnes qui se
disaient bien instruites, quoique le parti du duc d’Aiguillon se
fortifiât de jour en jour, au point que le roi, Monsieur et Mesdames de
France étaient notamment décidés en sa faveur, ledit comte de Maurepas
mettrait encore obstacle à ce qu’il rentrât dans le ministère, par la
seule crainte qu’il avait que son rétablissement ne vînt à diminuer le
crédit dont il jouissait fort tranquillement».

La détermination, réelle, de M. d’Aiguillon avait dû quelque peu
déconcerter Mᵐᵉ de Maurepas, non pas que la résolution des exilés lui
parût inexplicable; elle avait très vivement partagé leur désespoir et
même voulu arracher sa nièce au séjour qui lui en ravivait à toute heure
les transports; mais ce qu’elle ne pouvait comprendre, c’est que son
neveu coupât ainsi les ponts derrière soi. Elle qui s’était attachée si
étroitement à la fortune de M. d’Aiguillon, jusqu’à défendre sa cause en
pleine adversité et à lui assurer le concours d’un homme aussi ondoyant
que M. de Maurepas, elle verrait donc s’écrouler l’édifice si
laborieusement construit de ses propres mains!

Quelle curieuse figure que celle de la sœur de Mᵐᵉ de Plélo! Restant
volontiers dans l’ombre, comme l’ambassadrice de Danemarck, à ce point
que la plupart des historiens ne l’ont pas connue, elle n’en avait pas
moins cette préoccupation intéressée de la politique que ne connut
jamais sa sœur et qui s’appelle vulgairement de l’ambition. Mais de
l’ambition dans le noble sens du mot. Elle voulut travailler à la
grandeur des La Vrillière et à la gloire des Plélo; non pas pour elle,
mais pour les héritiers de ces deux noms et de ces deux familles.

Le rôle de cette femme active et intelligente n’a pas échappé à ses
contemporains, bien que, depuis la disgrâce, si longue, de son mari,
elle vécût peu à la Cour et qu’elle dirigeât plus volontiers de sa
chambre les opérations dont elle attendait le triomphe des siens.

C’est ainsi qu’avec les conseils et l’aide de l’abbé de Véri[464], au
dire de certains mémorialistes, elle soutenait le crédit de Maurepas,
pour le plus grand profit de son neveu d’Aiguillon, sur qui s’étaient
reportées toute son affection et toutes ses espérances.

L’exil de l’un avait en quelque sorte coïncidé avec le rappel de
l’autre. Et nous avons vu par quelles savantes manœuvres, en présence de
l’hostilité irréductible de Marie-Antoinette, Mᵐᵉ de Maurepas s’était
efforcée de stimuler le zèle intermittent de son mari, de calmer
l’irritation de son neveu, d’encourager les amis de d’Aiguillon, de
contre-carrer ses ennemis et cependant de ne pas mécontenter la reine.

Toutes occasions lui étaient bonnes pour mettre en jeu l’intervention de
Maurepas. Et nous trouvons une nouvelle preuve de cette habile tactique
dans deux anecdotes que nous empruntons encore au journal de Hardy.

Quand La Vrillière tomba en paralysie, Maurepas se rendit un jour chez
la reine, pour lui dire combien, dans une affaire toute privée, la
présence de son neveu devenait nécessaire à Paris. «Je ne consentirai
jamais au retour du duc d’Aiguillon, répondit la reine. Il s’est montré
mon ennemi personnel; et je répudierai comme mes ennemis tous ceux qui
oseront me parler en sa faveur[465].»

La démarche du ministre était cependant très rationnelle; mais la
judiciaire de Marie-Antoinette, entretenue dans son entêtement par la
coterie qui la dominait, était brouillée depuis longtemps avec la
logique. Mᵐᵉ de Maurepas se le tint pour dit. La mort, si cruelle, de
Mᵐᵉ de Chabrillan avait bien amené une sorte de trève. Mais l’habile
manœuvrière, avant de reprendre la campagne, voulut savoir si son mari
avait encore le crédit nécessaire pour la recommencer. Elle s’avisa en
conséquence d’une démonstration lui permettant en quelque sorte de tâter
le terrain. Elle fit persuader au roi de donner son buste à Maurepas,
qui en serait grandement honoré. C’était de tradition, depuis tantôt
deux siècles, chez les maîtres de la France, d’octroyer libéralement un
exemplaire de leur effigie à ceux de leurs sujets qu’ils en jugeaient
les plus dignes. Maurepas reçut donc de son souverain ce royal cadeau et
en témoigna une telle joie devant le prince, que celui-ci s’en montra
tout ému. La preuve était faite pour Mᵐᵉ de Maurepas, «le point central
et le nœud gordien de toutes les intrigues de la Cour», suivant l’image
quelque peu compliquée de l’honnête libraire[466].

On voulait donc servir ce neveu, malgré son obstination à s’enfermer
dans son castel de l’Agenois. Aussi fallait-il le garer de toutes les
chausse-trappes qui pourraient guetter son passage, si le désir lui
revenait de reprendre le chemin de Paris. Maurepas avait craint un
instant que d’Aiguillon ne fût impliqué dans l’affaire de la Cahouet de
Villers, une des femmes de la reine, qui avait jadis contribué à la
fortune de la Du Barry. Il s’agissait d’une de ces escroqueries qui
prirent si souvent la reine pour point de mire et dont l’_affaire du
collier_ devait être la synthèse la mieux réussie. Maurepas en fut
quitte pour la peur[467].

La mort, prévue, de son beau-frère La Vrillière, lui avait inspiré,
comme à sa femme, de nouvelles inquiétudes, mais celles-ci d’ordre
privé. La perte était médiocre: le secrétaire d’État avait été servile
et plutôt malfaisant pour ses administrés: ayant dans son département
les lettres de cachet, il en avait abusé, et même au profit de belles
dames, prétendait la légende. L’homme ne valait guère mieux: vain,
présomptueux, ignorant et sot, il faisait peu d’honneur à l’intelligente
famille des La Vrillière. Le parent était taillé sur le même modèle:
après la mort de sa femme, la comtesse de Platen, dont il n’avait pas eu
d’enfants, il s’était acoquiné avec une intrigante qui avait épousé
Sabatin, commis des finances; et cette maîtresse, méchante et perfide
créature, qui lui avait donné plusieurs bâtards, avait éloigné peu à peu
de sa famille cet imbécile vieillard. Il avait soutenu d’Aiguillon,
pendant ses procès avec les Parlements, mais sans grande conviction, et
parce qu’il n’eût pas osé faire acte d’indépendance devant Louis XV.
Qu’il eût éprouvé moins d’embarras, s’il n’avait craint, d’autre part,
de rompre en visière avec Choiseul! La disgrâce de son neveu l’avait
trouvé aussi perplexe: mais il lui avait fallu, comme sa fonction le
voulait, porter l’ordre d’exil au «mauvais sujet» qu’avait désigné la
reine.

Mᵐᵉ d’Aiguillon, qui, depuis la mort de sa fille, avait «donné beaucoup
d’inquiétudes[468]» aux Maurepas, avait dû sortir de son marasme pour
s’occuper de cette succession, sur laquelle, par parenthèse, elle
comptait fort peu. Comme elle l’annonce à Balleroy, après neuf mois de
silence, «la mort de M. de la Vrillière (27 février 1777) a donné
beaucoup à écrire».

«... Cet événement, tout prévu qu’il était, m’a fait de la peine;
c’était le frère de ma mère, dont je n’ai eu à me plaindre que de ses
faiblesses: tout le tort qu’il a jamais pu me faire ne vient que de
cette cause, d’autant qu’il était mené par des gens très mal
intentionnés.

Son testament était fort avantageux pour les Langeac (ses bâtards); mais
«très honnêtement, il l’avait révoqué huit jours avant sa mort». Tout ce
qui me fâche, c’est que cette révocation était au bas du testament et
subsiste; et c’est une preuve qui a été faite dans des termes bien
étranges. J’en suis fâchée pour sa mémoire et voudrais que l’héritage
fût moindre et qu’il fût imprimé(?).

On m’a mandé que ce qui l’a engagé au changement, était le
mécontentement où il était de cette vilaine petite race qui avait jeté
beaucoup d’amertume sur les derniers jours de sa vie.

Mes parents me mandent que je dois venir pour nos partages. Ma réponse a
été que, comme eux-mêmes ont pensé avec raison que je ne devrais pas
revenir, tant que l’affaire de M. de Guines ne serait pas jugée, qu’il y
aurait à craindre qu’on nous supposât des intrigues aussi faussement
qu’on l’a déjà fait, que nous croyons plus sage de rester ici, que nous
nous rapportons en entier à tout ce qu’ils jugeront approprié pour nos
affaires, que sur cela, je priais M. de Maurepas de me servir encore une
fois de tuteur[469]...»

Comme on voit, Mᵐᵉ d’Aiguillon était toujours préoccupée de l’affaire de
Guines. Elle y revient le mois suivant[470]:

«Vous me parlez de la requête de M. de Guines; mais vous ne savez pas:
1º que cette requête et la lettre qui l’accompagne et qu’il a envoyée à
tous ces messieurs du Parlement, est remplie d’atrocités personnelles
contre M. d’Aiguillon et qu’il a eu l’insolence d’envoyer à sa porte
(rue de l’Université) un paquet à son adresse, dont il a fait demander
un reçu du suisse, qui contient les deux derniers mémoires et la copie
de ladite lettre. J’en ai écrit à mes parents, pensant qu’il est plus
que temps de faire taire ce vilain chien enragé et que, actuellement que
son procès est fini, il serait possible de lui imposer silence. Il est
ennuyeux, quand on ne demande qu’à rester tranquille, de ne pouvoir pas
l’obtenir et d’être toujours en butte à une cabale infernale.

Si ma lettre arrive à temps et que vous puissiez voir M. de Maurepas,
vous me feriez plaisir de lui en parler sur le même ton...»

N’est-ce pas le langage d’une femme sincère, qui «ne demanda» toute sa
vie «qu’à rester tranquille» et que le sort jeta toute sa vie également
au milieu d’un enchevêtrement d’intrigues, auxquelles sa droiture lui
défendit de participer et dont elle prétend son mari--bel exemple
d’héroïsme conjugal!--l’éternelle victime?

Elle revient à la succession de son oncle: elle ignore si
Châteauneuf--actuellement La Vrillière--sera compris «dans son partage»;
elle préférerait qu’il fût attribué à son cousin Du Châtelet[471].
L’hôtel de La Vrillière était, dit M. d’Aiguillon, le lot de Mᵐᵉ de
Maurepas; et le duc de Fitz-James, qui venait de perdre sa femme,
voulait l’acheter. Mais M. de Maurepas lui en demandait un prix trop
élevé[472]. Chemin faisant, cet oncle, qui connut toujours si bien ses
intérêts, reçoit de sa nièce ce coup de griffe que nous ne nous
expliquons pas: «il dérange sa santé par de nouvelles imprudences qu’on
ne pardonnerait pas à un jeune homme[473]». M. de Maurepas était un
goutteux endurci. Il n’avait jamais eu, et pour cause, paraît-il, la
réputation d’un coureur de guilledou, mais il aimait les fins dîners et
les vins généreux; les chroniques du temps en font foi.

D’autres soins, plus pressants, s’imposaient à la vigilance de Mᵐᵉ
d’Aiguillon: de graves inquiétudes sur la santé de son mari venaient
raviver des plaies, qui, pour être déjà anciennes, n’en restaient pas
moins saignantes.

Vraisemblablement l’affection bilieuse qui tracassait le duc et qui
s’était jadis accusée par ces irruptions de jaunisse, sur lesquelles la
malignité des libellistes s’était si souvent égayée, avait reparu plus
pénible et plus menaçante, depuis le passage de la mort dans le château
d’Aiguillon. Des infiltrations et des tumeurs s’étaient manifestées, qui
avaient résisté à l’emploi de topiques et de l’eau de Vals. Les médecins
de Montpellier (ils étaient quatre) que, sur les instances de sa
femme[474], le malade avait consultés, lui ordonnèrent de se rendre à
Bagnères, puis à Barèges[475]. Mᵐᵉ d’Aiguillon accompagna son mari.
Quelle fut la durée de la cure? Nous l’ignorons; mais les deux
baigneurs, car la duchesse, sans doute par amour conjugal, voulut suivre
aussi un traitement, séjournèrent presque trois mois dans les Pyrénées.
Nous devons à leur correspondance avec Balleroy de piquants détails sur
la vie balnéaire à cette époque et sur le monde qui la pratiquait.

Le duc se plaint du temps qui est «affreux»; mais il est satisfait de sa
santé; il est à peu près guéri. Son fils, qui est fort bien portant,
boit tous les jours deux verres d’eau; et «il mange, dort et danse plus
que jamais[476]».

La duchesse note l’effet des eaux--boissons, douches et bains--sur son
mari. Si celui-ci est enchanté de son traitement, elle ne l’est guère
du sien: convenait-il seulement à son affection du foie? «Je suis prise
de la tête aux pieds et écorchée comme saint Barthélemy. On dit: c’est
une preuve que les eaux chassent toutes les mauvaises humeurs qui sont
en moi. Ce sera là une belle opération surtout si elles chassent tous
les sujets d’humeur que j’ai et que je dois avoir[477].»

Les excursions lui font prendre ses maux en patience: «Ce pays est
singulier et très pittoresque; il y a entre autres une promenade qui
offre des points de vue frappants, tels que de voir des montagnes qui se
perdent dans les nues, qui sont toutes couvertes de neige et ne
produisent que des rochers, et de l’autre côté, des autres montagnes qui
sont aussi très hautes, mais cultivées jusqu’au sommet et couvertes de
maisons et qui toutes ont un petit jardin et un petit bois. L’intervalle
de ces montagnes est un grand chemin bordé des deux côtés par la rivière
qui forme deux canaux très rapides lesquels coulent sur des roches
formant des cascades naturelles[478].»

Il était de mode, à cette époque, pour un grand seigneur, d’amener avec
soi quelques-uns de ses familiers aux stations balnéaires où l’on
fréquentait: c’était une petite cour qu’on se formait pour se garantir
de l’ennui. Les d’Aiguillon n’avaient voulu, en raison de leur deuil,
qu’une «société très bornée». Ils avaient, parmi leur commensaux, deux
dames que nous retrouverons bientôt au château d’Aiguillon, MMᵐᵉˢ
Dubois de la Motte et de la Muzanchère, qui ne pouvaient vivre côte à
côte sans se disputer. L’une d’elles, Mᵐᵉ Dubois de la Motte, semble une
caricature: elle est «parée, ajustée, coiffée comme pour une fête, et
très affligée d’avoir un aussi petit nombre d’admirateurs; il est vrai
que les gens se moquent d’elle[479]». Mᵐᵉ d’Aiguillon est toujours sur
le qui-vive avec ces deux femmes, «ne s’étant pas jetée dans le grand
monde qui est très nombreux ici», d’autant qu’il s’y trouve des
personnages peu faits pour donner bonne opinion des gens de Cour, «le
prince de Salm et le duc de Mazarin qui vivent dans la plus mauvaise
compagnie en tout genre[480]».

Comme le fait se présente fréquemment dans les villes d’eaux,
d’Aiguillon avait subi une rechute pour avoir abusé des douches. Le
médecin de Bagnères lui prescrivit de les cesser et lui défendit d’aller
à Barèges. Le mieux s’accentua: «Je ne vous parle pas de ma santé, écrit
la duchesse; elle ne peut être mauvaise quand M. d’Aiguillon se
rétablit[481]».

Le duc était guéri et revint au commencement de septembre dans son
château, ramenant Mᵐᵉ Dubois de la Motte, pour ne pas la laisser en
présence de Mᵐᵉ de la Muzanchère restée à Bagnères[482].

Pendant leur cure, les d’Aiguillon s’étaient tenus assez éloignés du
monde extérieur (comme souvent la Faculté le recommande à sa clientèle),
pour n’être pas ressaisi par ces liens de toute nature dont il est si
difficile de se détacher.

Un mois avant de partir, la duchesse avait encore commenté avec
indignation le dénouement définitif de «l’incroyable et atroce affaire
de M. de Richelieu, finie par un jugement tout aussi incroyable et aussi
atroce. Rien ne prouve mieux la justice de sa cause que la peine que ces
juges ont eue pour trouver une tournure pour le condamner aux dommages
et aux frais. Enfin il en est quitte pour de l’argent; et c’est beaucoup
qu’avec de telles gens l’honneur soit sauf[483]».

Aussitôt son retour, ce furent de nouvelles obligations mondaines qui
vinrent la reprendre, le mariage d’une parente avec M. de Galibert
«amoureux comme un roman... C’est encore un secret, mais qui ressemble à
celui de la Comédie[484]». Elle s’occupait avec Mᵐᵉ de Flesselles et Mᵐᵉ
de Caen de tous les achats de ce Galibert «qui se ruinerait, si elle n’y
mettait bon ordre». Il fallait bien amuser «le grand châtelain», qui
allait beaucoup mieux et qui daignait en convenir[485].

Lui, déclarait au chevalier de Balleroy qu’il ne voulait pas remettre
les pieds à Paris. Son obstination irritait Maurepas qui obéissait
évidemment aux directions de sa femme et ne voyait pas d’autre moyen
pour d’Aiguillon de recouvrir sa pleine et entière liberté[486].
Avait-il seulement fait part à son neveu de la démarche qu’il avait
tentée, et vraisemblablement à l’instigation de la comtesse, auprès du
futur empereur Joseph, de passage à Versailles, pour qu’il obtînt de sa
sœur le retour du duc d’Aiguillon à la Cour? L’auguste visiteur ne s’y
était pas engagé. D’autre part, Marie-Antoinette, très vivement
sollicitée par les amis de Choiseul, se défendait de faire entrer le
châtelain de Chanteloup dans le ministère: elle savait la répulsion de
son mari pour Choiseul; mais le parti de cet homme d’Etat, qui entourait
la reine, lui représentait qu’après la mort de Maurepas il n’y avait,
pour le remplacer, que «deux sujets, le duc de Choiseul ou le duc
d’Aiguillon». Et Mercy, qui raconte ces incidents au jour le jour dans
une sorte de gazette adressée à Marie-Thérèse, de s’écrier: Idée neuve
qui lui aura été suggérée par Coigny et par Esterhazy! En attendant il
priait l’archiduc de signaler à sa sœur le piège qui s’ouvrait sous ses
pas[487].

Dans une nouvelle lettre à Balleroy, d’Aiguillon se montrait cependant
plus explicite. Il le priait de l’aider à détruire cette calomnie qu’il
prétendait dicter au roi les conditions de son retour, en exigeant une
réparation authentique des injures qu’il avait subies. Non: il rentrera
simplement à Paris quand on lui permettra d’exercer les devoirs de sa
charge; mais, ignorant les motifs de son exil, il attend que la vérité
fasse connaître son innocence[488].

Or, au milieu des rêves d’ambition qu’il poursuivait, sous les
apparences d’un renoncement inspiré par son orgueil, cet égoïste avait
fini par constater que sa malheureuse femme se consumait de tristesse et
de douleur. «L’état moral» de la duchesse, écrivait-il, reste toujours
le même; et il redoutait que «cet absorbement continuel dans ses tristes
ressouvenirs ne détruisît à la fin sa santé; et malheureusement rien ne
peut la distraire quoi que je fasse». Il ne voyait donc pas que c’était
au contraire sa femme qui s’était toujours sacrifiée et qui se
sacrifiait encore pour le soigner et pour «le distraire[489]».



XXI

     _Programme de fêtes pour 1778.--Quelques invités et
     habitués.--Balleroy, toujours l’empressé commissionnaire.--Ferme et
     château.--Nouvelles du jour: mort de Jean-Jacques; procès du comte
     de Broglie, «le vilain petit homme»; les châtelains et la guerre
     des Insurgents.--Une lettre de d’Aiguillon à Mᵐᵉ Du Barry.--Autre
     année théâtrale; fêtes et bals.--D’Aiguillon donne également ses
     commissions à Balleroy.--Il fait le juge de paix au
     château.--Projets de mariage pour le comte
     d’Agénois.--Marie-Antoinette signifie de nouveau à Maurepas sa
     résolution de ne plus voir d’Aiguillon à la cour._


Le «Grand Châtelain», sincère ou non, se tient parole: il a dit un
solennel adieu à la Cour et à la Ville, aux affaires et à la politique:
il va s’enfermer un certain nombre d’années dans son domaine
d’Aiguillon.

Sa femme, qui a compris le désarroi de cet homme, réduit à une «société
bornée» après avoir vu ses salons regorger d’adulateurs, a su, par un
sursaut d’énergie, sortir de son «absorbement» pour préparer, avec son
entrain des jours heureux, des occupations et des plaisirs au maître,
oisif et ennuyé, sevré aujourd’hui de ce qu’il appellera demain «les
mouvements de la Cour».

Des invitations sont lancées, pour l’hiver de 1778, aux fidèles que
n’effraie pas une villégiature en un si lointain pays. Et Balleroy, cet
obligeant commissionnaire

[Illustration:

Cliché Lauzun.

Plan de la Ville et du Château d’Aiguillon à la fin du XVIIIᵉ siècle.
Mémoires de P. Verdolin, édités par M. René Bonnat 1907]

qu’on n’avait pas mis depuis longtemps à contribution, expédiera à la
châtelaine, soucieuse de s’approvisionner aux meilleures marques, des
poudres parfumées, des vinaigres de rose, de sauge et de millepertuis,
achetés chez «notre ami Maille», fournisseur des têtes couronnées[490].

Des réponses arrivent. On attend Mᵐᵉ d’Esparbès «qui aime le jeu autant
que la dévotion». Les Flesselles ne peuvent venir. Et Desnos, l’évêque
de Verdun[491], vieil ami de trente ans, retarde son voyage de quelques
jours pour assister aux débuts de Mᵐᵉ de la Muzanchère comme premier
rôle dans _La Bohémienne_[492].

Il n’est pas inutile de faire connaître cette dame, qui était veuve,
comme d’ailleurs son ennemie personnelle et rivale, Mᵐᵉ Dubois de la
Motte, née de Boisgelin de Cucé.

Le mari de celle-ci, d’une très bonne famille de Bretagne, ainsi que M.
de la Muzanchère, s’était montré, avec lui, un des plus chauds partisans
de l’ancien commandant. Quant à sa femme, elle avait, comme nous l’avons
vu, beaucoup de prétentions, mais son tempérament combatif la rendait
insupportable.

Mᵐᵉ de la Muzanchère n’était guère plus traitable. Mais c’était une
amazone des temps héroïques, une manière de Lucrèce... à rebours, dont
certaine aventure avait défrayé, pour la plus grande joie des curieux,
les échos de la chronique scandaleuse.

On annonce un jour--en 1766 ou 1767--à Mᵐᵉ de la Muzanchère, parente de
l’évêque de Nantes, la visite de l’évêque de Saint-Brieuc, Monseigneur
de Girac, fils d’un second président au bailliage d’Angoulême. Le
prélat, qui avait trente-six ans à peine, était un mondain fort empressé
auprès des dames et grand amateur de théâtre: c’était lui qui plaçait
les billets pour les représentations de la Clairon. Fut-ce sous ce
prétexte qu’il s’introduisit chez Mᵐᵉ de la Muzanchère, fort jolie femme
et très séduisante? Toujours est-il qu’il la serrait de très près, quand
soudain survint le mari. La jeune femme s’élance sur l’épée du
gentilhomme, la tire hors du fourreau et va la planter dans la cuisse de
son trop bouillant adorateur. On ne parla bientôt plus à la Cour que de
cet exploit, d’autant que M. de Girac, après avoir été le grand ami de
M. d’Aiguillon, en était devenu un des plus acharnés adversaires[493].

La duchesse ne dit pas à son correspondant si Mᵐᵉ de la Muzanchère, à
qui le rôle de bohémienne devait certainement convenir, était aussi
tragique au théâtre qu’à la ville. Elle ne lui donne plus de nouvelles
qu’en juin. A cette époque, la santé de son mari ne lui laisse plus
d’inquiétudes[494]. Mais celle du chevalier s’est trouvée fortement
atteinte. La duchesse l’invite à venir «se refaire» au château
d’Aiguillon qu’il devait avoir déjà visité; car elle lui annonce qu’il
«y trouvera bien des changements dans les constructions». Les travaux
actuels sont exécutés par un «maçon» (entrepreneur) qui «a travaillé à
l’Orangerie de Versailles et qui a fait tous les bassins de Veretz». A
la fin du mois d’août on commencera la salle de comédie[495]. La
basse-cour ne lui donne pas moins de soucis que le temple consacré à
Thalie et à Melpomène: «la mode est aux canards»; la duchesse en aura
bientôt une centaine[496].

Il est probable que le chevalier alla tuer, à cette époque de l’année,
«les perdreaux et les lièvres» du propriétaire d’Aiguillon, car la
correspondance ne reprend qu’en décembre avec Balleroy, qui passa
l’hiver à Paris.

Ses hôtes ne paraissent pas avoir pris un bien vif intérêt aux nouvelles
du jour: tout au plus quelques mots jetés de-ci de-là laissent voir
qu’ils ne les ignorent pas. Ainsi la duchesse qui connaît ses auteurs et
les cite à l’occasion, sans avoir la moindre prétention au bas-bleuisme,
a su la mort de Rousseau:

«Jean-Jacques a fait à votre ami M. Girardin une grande galanterie en
allant mourir chez lui. Il manquait vraiment à son jardin anglais un
tombeau; il en aura un véritable, puisqu’on dit qu’il le fait enterrer
dans une île de son jardin, que sûrement il décorera de tous les
ornements convenables[497].»

Un procès du comte de Broglie, pendant au Châtelet, éveille dans
l’esprit de la duchesse un mouvement d’humeur: «Tant que ce vilain petit
homme existera, il tracassera et tourmentera son prochain[498]».

Un mot dans la même lettre sur un fait de guerre: «Je suis humiliée du
_Te Deum_ chanté à Versailles: c’est un ridicule pour la nation[499]».

L’expédition d’Amérique trouvait, au surplus, la duchesse assez froide:

«--Je prends peu d’intérêt, comme bien savez, aux insurgents et pas
beaucoup plus aux Anglais[500].»

Le duc se prononçait plus catégoriquement, s’il faut en croire les
_Mémoires_ publiés sur son ministère: «M. d’Aiguillon a toujours dit que
c’était une faute que la guerre entreprise contre l’Angleterre en 1778,
à la sollicitation de Sartine (qui était alors ministre de la
marine)[501]».

En ce moment où la France jouait une si grosse partie, l’ancien
secrétaire d’État aux affaires étrangères dut ronger son frein d’être
confiné dans sa retraite d’Aiguillon. Se fût-il prononcé, s’il était
resté au pouvoir, pour la politique de neutralité? Laissa-t-il voir aux
siens son dépit de n’être plus employé? Nous ne pouvons que le supposer.
Car le langage de la duchesse a pris un ton inaccoutumé d’amertume et
d’aigreur, qui s’exhale à tout propos. Son pessimisme devient plus
sombre encore, à la suite d’une escroquerie au jeu commise par le
général Smitt à la table du roi et «du premier prince du sang». Le fait
ne se présentait que trop souvent. «Il faut se flatter, dit Mᵐᵉ
d’Aiguillon, que cette démence ne durera pas, et s’il y a quelqu’un à
être tout à fait perdu, je souhaite que ce soit plus tôt que plus tard,
afin qu’il ne soit plus question de jeu quand mon fils entrera dans le
monde[502].»

Précisément, à la même époque, venait de succomber en duel Adolphe Du
Barry, un neveu de la comtesse, que d’Aiguillon avait jadis nommé
cornette surnuméraire[503] de sa compagnie de chevau-légers, à la place
de Pecquigny, devenu, par la mort de son père, duc de Chaulnes. Il
écrivit à Mᵐᵉ Du Barry cette lettre de condoléances, d’une correction
parfaite, qui fait honneur à des sentiments de reconnaissance, dont se
gaussait alors si volontiers la nouvelle école des politiciens du
temps[504]:

     «J’ai bien imaginé, Madame la comtesse, que vous étiez aussi
     touchée qu’affectée de la perte cruelle que vous avez faite; et je
     n’ai point voulu ajouter, à la douleur que vous en ressentez,
     l’importunité d’un compliment.

     J’ai prié Mˡˡᵉ Du Barry (Mˡˡᵉ Chon) de vouloir bien y suppléer et
     de vous renouveler dans cette triste occasion les assurances bien
     sincères de la part que je ne cesserai de prendre à tous les
     événements qui vous intéressent.

     Je me flatte que vous n’en doutez point et que je n’ai pas besoin
     de vous répéter ma profession de foi à cet égard, dont vous devez
     être depuis longtemps convaincue de la vérité.

     Mᵐᵉ la vicomtesse Du Barry est certainement fort à plaindre dans ce
     moment, mais je connais trop bien votre tendresse pour elle, pour
     ne pas être persuadé que vous vous empresserez à adoucir son
     malheur et qu’elle trouvera auprès de vous les secours et les
     consolations qui lui sont nécessaires. Une amie telle que vous
     dédommage de tout; je désire que le triste spectacle qu’elle vous
     donnera et les soins que vous lui donnerez n’altèrent pas votre
     santé et qu’elle soit toujours aussi bonne et aussi brillante qu’on
     m’assure qu’elle l’est actuellement.

     Conservez-moi toujours vos bontés, Madame la comtesse, et ne doutez
     jamais de ma reconnaissance, de mon attachement et de mon respect.

                                     LE DUC D’AIGUILLON.

     Mᵐᵉ d’Aiguillon me charge de vous témoigner toute sa sensibilité.

     Aiguillon, ce 16 décembre 1778.»

L’année se termina sur une série de représentations dont Mᵐᵉ d’Aiguillon
salue les interprètes d’une critique assez dure et d’un mot quelque peu
osé qui, depuis, a conquis son droit de cité dans les coulisses de nos
salles de spectacle.

«Notre théâtre s’est ouvert hier par l’_Épreuve_ (_villageoise_) et la
_Famille extravagante_; nos actrices qui sont Mᵐᵉ de Galibert et MMˡˡᵉˢ
de Signac, de Fontette, Turpin et Notest (?) ont joué assez mal, surtout
la première qui a _joué comme un cochon_. Vous le croirez aisément...»

Puis la duchesse donnait au chevalier sa liste de commissions:

«... Faites-moi le plaisir de m’acheter l’_Élite des Almanachs_, un
_Recueil général des costumes et des modes_ chez Desnos, rue
Saint-Jacques (4 livres 10 sous) broché, le _Bijou des Dames_ avec les
nouvelles coiffures de 1778 et le _Souvenir à la Hollandaise_ qui a pour
frontispice les coiffures _à la Belle Poule_ et à l’_Insurgent_[505].»

Ce fut encore par des représentations théâtrales que les châtelains
inaugurèrent la nouvelle année, devant un public d’anciens amis venus de
loin et de connaissances, toutes récentes, accourues des environs. Dès
le 1ᵉʳ janvier, Mᵐᵉ d’Aiguillon donne à Balleroy, après les compliments
les plus tendres, le programme des fêtes...: «les nouvelles d’ici sont
l’ouverture de nos théâtres... Dimanche, nos bals recommencent; vous
êtes encore à temps pour y venir danser une allemande[506]».

Et trois semaines après: «Nos comédies vont leur train; heureusement nos
acteurs n’ont pas été enrhumés... M. de Clairfontaine, en dansant un
menuet avec Alexandrine, s’est cassé le tendon d’Achille; et lundi il
s’est fait emballer dans sa voiture et a voulu retourner à Agen pour se
guérir[507]».

Elle-même a été souffrante; elle a sans doute maigri beaucoup; car on la
bourre de soupe, de chocolat et de salep: «Je prétends, réclame-t-elle,
qu’on m’empâte comme un dindon[508]». Mais, en vérité, elle n’a point le
temps de s’occuper de ces misères: elle est fermière maintenant: «Je
vous ferai manger des œufs, comme il n’y en a point, pondus par mes
poules... et des canards élevés à la brochette par moi». Les travaux
continuent: «le maître du château s’en occupe et s’en amuse». Mᵐᵉ Dubois
de la Motte s’extasie sur «la beauté du teint et sur la gaîté» de M.
d’Aiguillon. Mᵐᵉ de la Muzanchère qui vient d’arriver--c’était
fatal--est, elle aussi, en bonne santé et paraît plus raisonnable. Elle
lui apprend que le chevalier «a tout lieu d’espérer le cordon». On en
parlait déjà depuis longtemps, «je souhaite vivement qu’elle ait
raison[509]».

Le duc se préoccupe également pour son ami de «ce beau ruban rouge» et
il désire que le chevalier le tienne au courant de ses démarches.
Lui-même, à son travail de décembre, demandera la commission de
capitaine pour M. de Montaigle (sans doute un intime du chevalier),
mais il n’a pas le temps voulu; il faut qu’il attende l’an prochain.
Balleroy est un correspondant précieux pour le duc comme il l’est pour
la duchesse. D’Aiguillon le prie de s’arrêter à Veretz pour y jeter un
coup d’œil sur les travaux en cours et lui en parler quand il reviendra
au château[510]; de même, il le chargera un mois après d’un règlement de
comptes[511] avec le duc de Fitz-James.

C’est un homme vraiment accablé de besogne que M. d’Aiguillon. A peine
a-t-il le temps de se remettre d’embarras gastriques, à force d’eau de
Vals en bain et en boisson, qu’il est obligé de s’interposer de nouveau
entre Mᵐᵉˢ Dubois de la Motte et de la Muzanchère. C’est maintenant
celle-ci qui devient intraitable, «malgré toutes les promesses qu’elles
m’a faites à son débarqué de n’avoir aucune tracasserie avec personne,
ni même de l’humeur. Elle m’a fait deux ou trois querelles d’allemand,
sans rime ni raison et sur des sujets aussi importants que celui de la
comédie qu’elle veut jouer sans acteurs... Je l’ai rembarrée fortement,
afin qu’elle prenne son parti, ou de s’en aller, ou d’être plus douce et
moins exigeante; et je lui ai déclaré que je ne lui passerais rien et
lui ferais des corrections publiques sans ménagement, si elle m’y
obligeait par ses incartades... Je ne m’en flatte pas, à moins que mon
fils à qui elle fait les coquetteries les plus fortes et qui ne paraît
pas éloigné d’y répondre, ne vienne à mon secours; mais il est aussi
froid au moral qu’au physique et bien nigaud encore...»

Voudrait-il, par hasard, ce père aux mœurs faciles, ce galant seigneur
qui ne connut jamais de cruelles, que son fils se fît déniaiser pour
calmer l’humeur belliqueuse d’une invitée encombrante?

Et puisqu’il parle de ce jeune comte d’Agénois, le seul survivant de ses
six enfants et si peu ressemblant à cet autre d’Agénois qui, lui,
n’avait pas attendu le nombre des années, il remercie Balleroy de la
réponse qu’il a faite à des propositions de mariage pour son fils et le
prie instamment «d’y persister», si on remet la question en train avant
son retour à Paris. «Continuez d’affirmer que j’ai moins de désir que
jamais de reparaître à la Cour, bien loin d’en chercher le moyen ou le
prétexte.» Oui, ses «résolutions sont invariables»; et son bonheur et
son honneur exigent qu’il ne s’en écarte jamais. Aussi concluait-il sur
cette péroraison qu’Horace eût pu lui envier, mais qui nous rappelle
plus encore la morale de l’immortelle fable _Le Renard et les Raisins_.
«... Mes bosquets sont effectivement charmants, mes terrasses
charmantes, ma cour commence à se démasquer et à s’ouvrir, ma salle de
comédie s’élève à vue d’œil... Il faudrait que je fusse bien fol pour
troquer une aussi belle habitation où je jouis de la plus heureuse et de
la plus complète tranquillité contre ma triste maison de Paris ou
quelque coin de grenier à Versailles, où je serais continuellement
tracassé, persécuté et vilipendé[512].»

Ce mariage pour M. d’Agénois, était-ce celui auquel faisait allusion,
six mois auparavant, Mᵐᵉ d’Aiguillon, en ces termes: «Il n’est
nullement question du mariage de mon fils, et moins encore avec Mˡˡᵉ de
Polignac[513] qu’avec personne. Je n’y ai jamais pensé. Chabrillan m’en
a parlé quand il est venu ici, et, pour toute réponse, nous lui avons
dit que nous n’y songions pas».

Il s’agissait cependant de Mˡˡᵉ de Polignac. On en avait discrètement
causé.

Mais le bruit avait fait du chemin; et la _Correspondance secrète_ le
recueillait prestement pour le servir à ses abonnés en mars 1779.

Le projet de mariage entre le comte d’Agénois et la fille de la comtesse
Jules de Polignac avait été amorcé, prétendait la petite gazette, par la
comtesse de Maurepas dans l’intérêt de son neveu et de son mari.

--Mon fils est bien jeune, avait objecté le duc d’Aiguillon, mais la
volonté de la reine sera la mienne.

En tout cas, remarquait le rédacteur de la feuille satirique, dont nous
avons signalé déjà l’âpre hostilité contre le duc, le futur beau-père de
Mˡˡᵉ de Polignac ne mettait pas beaucoup d’empressement à la prendre
comme bru. C’était évidemment la tactique de ce soi-disant désabusé des
ivresses du pouvoir, et c’était aussi un acte de soumission aux ordres
de la reine, marque de déférence dont le bon apôtre pouvait espérer
tirer quelque profit.

Les négociations se prolongèrent quelque temps encore, mais les ennemis
de d’Aiguillon y coupèrent bientôt court en faisant agréer au roi le
mariage de Mˡˡᵉ de Polignac avec le comte de Gramont, fils du duc[514].

La comtesse de Maurepas, qui s’était vraisemblablement entremise pour
son petit-neveu, ne se découragea pas: travailler pour le jeune
d’Agénois, c’était travailler pour le duc d’Aiguillon. Elle fit tenter,
par des tiers, une démarche à Marly auprès de Marie-Antoinette: le comte
était en âge de se marier; mais il faudrait, pour favoriser cet
établissement, que son père eût la liberté de reparaître à la Cour.

La reine manda immédiatement au château M. de Maurepas et lui déclara,
en toute franchise, qu’elle ne saurait se rendre aux désirs de la
comtesse. Elle ne voulait revoir de sa vie M. d’Aiguillon. Mais, en
somme, le duc avait-il besoin «d’aller à la Cour» pour marier son fils?
Ce n’était pas qu’elle eût la moindre prévention contre ce jeune homme:
au contraire, elle l’accueillerait avec bienveillance, quand il lui
serait présenté, ne voulant pas l’envelopper dans la disgrâce
paternelle. En même temps Marie-Antoinette couvrait de fleurs Maurepas.
Le ministre, dûment chapitré par sa femme, insistait dans l’intérêt de
son neveu; mais il fut bien vite éconduit[515].

Le jeune coquebin était donc réservé à d’autres hyménées; mais il se
souvint plus tard de la conférence et de bien d’autres humiliations qui
devaient passer par-dessus la tête de son père pour l’atteindre.



XXII

     _Illusions d’un ministre tombé: plan fantastique.--Le troisième
     mariage du maréchal de Richelieu: vengeance filiale.--L’année des
     évêques.--Oraison funèbre de Mᵐᵉ de Gisors et de M. de la
     Vallière.--Débuts dans le monde d’Armand, comte
     d’Agénois.--Félicitations réciproques de d’Aiguillon et de
     Balleroy.--La chasse aux pintades et la «Dédicace» de la
     comédie.--Nouvelle saison du duc à Bagnères: ses pertes énormes au
     reversi.--Nouveaux projets de mariage pour le comte
     d’Agénois.--Commérages mondains._


Il est certain qu’en 1779 un grand effort fut tenté pour enlever haut la
main le rappel du duc d’Aiguillon à la Cour. La Correspondance de
Mercy-Argenteau le dit assez; et nous en trouvons encore la preuve dans
les _Mémoires du ministère d’Aiguillon_, qu’il faut évidemment consulter
avec prudence, mais dont les assertions sont souvent corroborées par des
documents officiels.

Un moment, le duc crut si fermement au succès qu’il envoya un courrier à
son intendant pour lui réclamer dans le plus bref délai les fourrures de
la duchesse et pour lui faire commander une provision de vin[516].
C’était toujours Maurepas qui dirigeait la manœuvre; mais les _Mémoires_
ne parlent pas de sa femme; ils prétendent que l’unique Eminence grise
du ministre est un conseiller de Grand’chambre, M. d’Amécourt, ami de
Mᵐᵉ de Forcalquier, «la seule des nombreuses maîtresses de d’Aiguillon à
qui il ait accordé quelque confiance[517]».

Or, le retour de l’exilé était machiné comme un scénario de comédie:
dialogue entre le roi, la reine et Maurepas; monologue de Louis XVI;
puis scène finale consacrant l’abandon par Marie-Antoinette de ses
préventions.

C’est bien imaginé comme fantaisie; mais, le plan d’un nouveau ministère
pour 1780, consécutif à cette intrigue de théâtre et tel que l’exposent
les _Mémoires_, se rapproche beaucoup plus de la vraisemblance. On
dirait une réplique de la prétendue conversation qui s’était engagée
entre Maurepas et son neveu, quand celui-ci avait dû quitter Paris après
la revue du Trou-d’Enfer.

Aux termes de cette combinaison[518], d’Aiguillon était rappelé au
Conseil. Le neveu devenait alors le coadjuteur de l’oncle et «ferait
tout», pendant que M. de Maurepas irait donner à manger à ses carpes. M.
d’Aiguillon démontrerait au roi la nécessité d’étayer «la machine qui
croule»; et le prince lui répondrait: Vous n’en aurez que plus de
gloire; M. de Maurepas a fait ce qu’il a pu.

L’auteur du plan, après avoir jonglé avec toutes ces chimères, serre de
plus près son argumentation. Il est hors de doute, dit-il, qu’avec les
emprunts et le gaspillage dont souffre l’État, «le royaume va à sa
ruine». Pourquoi la reine veut-elle écarter l’homme qui ferait succéder
l’ordre à cette anarchie? Nul ne connaît mieux l’administration. Et quel
autre ministre pourrait-on lui préférer? Le cardinal de Bernis? Il
préfère rester à Rome. Choiseul? Il inspire au roi une antipathie dont
ce prince ne reviendra jamais. Marie-Antoinette, au lieu de s’occuper
d’affaires, serait chargée du «département des beaux-arts et des bonnes
œuvres»... Que la reine fasse terminer le Louvre; qu’on y trouve un
_Muséum_ préférable à ceux d’Italie. Les tableaux sont «cubiquement
empilés» dans le dépôt de Versailles; et les marines de Vernet
deviennent la proie des rats dans les combles du Luxembourg[519].

Or, Marie-Antoinette, que sa mère tenait toujours en haleine par
l’intermédiaire de Mercy-Argenteau, n’était pas femme à se désintéresser
de la marche des affaires. Et ses entours ne l’eussent pas permis. Elle
avait signifié catégoriquement à Maurepas qu’elle ne voudrait voir de
sa vie M. d’Aiguillon. Il était donc impossible de lui imposer la
présence du «coadjuteur», ce personnage providentiel qui allait «tout
remettre en état».

Celui-ci dut être avisé confidentiellement de l’échec d’une manœuvre
qu’il était censé ignorer. En tout cas, pour ne pas démentir l’apparente
fermeté de son attitude, et surtout pour obéir à un sentiment de
bouderie difficilement avouable, d’Aiguillon s’obstina à passer encore
près de trois années loin de Paris, dans un séjour que d’ailleurs
l’ingéniosité de sa femme rendait chaque jour plus vivant, plus animé,
plus délectable.

«... Nos santés, écrit la duchesse, vont assez joliment dans ce moment;
et nous ne sommes occupés que de bals, de comédies. Hier, il y a eu bal;
aujourd’hui on joue la _Métromanie_, suivie de la _Servante
justifiée_[520] et d’un ballet-bouffon de la composition de mon fils,
demain bal et après souper[521].»

Un événement mondain, s’il en fut, vint apporter un nouvel aliment,
mais... des plus légers, à la conversation des hôtes du château: le
mariage du maréchal de Richelieu (c’était le troisième) avec une jeune
veuve, Mᵐᵉ de Roothe: le vieux galantin avait quatre-vingt-deux ans;
mais il avait toujours de la vaillance. La légende veut qu’étant rentré
à son hôtel après la bénédiction nuptiale, pour changer de vêtements, il
ait jeté son cordon bleu sur le lit de grand apparat et dit à son valet
de chambre:

--Va, le Saint-Esprit fera le reste.

Mᵐᵉ d’Aiguillon ne semble pas très édifiée de cet appétit sénile: «Le
mariage de M. de Richelieu m’a surpris, comme vous pouvez bien le
croire; je suis fort aise qu’il ait bien pris dans le monde; je vous
avoue que je craignais le contraire; je fais des vœux pour que le parti
violent qu’il prend serve à faire le bonheur de ses dernières
années[522]».

Le duc, lui, plaint Fronsac «qui paiera chèrement le plaisir de son père
de jouir pendant quelques années d’une compagne aimable et de vivre en
meilleure compagnie[523]».

Le malin vieillard avait cru faire pièce à son misérable fils; mais
celui-ci se vengea odieusement, le Saint-Esprit ayant opéré contre toute
attente; il soudoya une femme de chambre de la maréchale qui lui fit
absorber, sans qu’elle s’en doutât, une boisson abortive[524].

Richelieu ne connaissait plus d’obstacles: à l’exemple des jeunes maris,
très fiers de montrer partout leur femme, il voulut promener la sienne
dans son gouvernement; et la duchesse blâme cette nouvelle crânerie: «Je
pense sur le voyage de M. de Richelieu tout comme Madame la maréchale;
et je crois qu’un aussi grand voyage entrepris à son âge et pour un
sujet tel que celui d’une nouvelle salle[525] peut paraître étrange. Je
crois aussi que, vu les circonstances, il éprouvera à Bordeaux des
désagréments de la part du Parlement et nommément du premier président
avec lequel il est brouillé... Si quelqu’un peut le faire changer
d’avis, ce ne peut être que Madame la maréchale qui a du crédit sur son
esprit et qui le voit journellement».

La duchesse est trop loin pour lui adresser des observations qui aient
quelques chances de succès. D’ailleurs il est fermement résolu à
entreprendre son voyage puisqu’il vient d’informer M. d’Aiguillon de son
itinéraire: il passera par Lyon où «il a demandé un logement à
Flesselles», prendra le chemin du Languedoc pour s’arrêter à Aiguillon
et, de là, se rendre à Bordeaux[526].

Cependant la duchesse s’est fait un cas de conscience d’écrire à son
cousin: «... Je n’espère pas qu’il se rende à mes représentations,
puisqu’il a résisté à celles de sa femme, qui a plus d’empire que moi
sur son esprit». Mais, s’il y persiste, «il ne prendra pas sa route par
le Languedoc... parce que nous irons le joindre à Fronsac, pour lui
éviter la peine de venir ici...[527]»

Autrement, le maréchal eût trouvé au château d’Aiguillon nombreuse et
brillante compagnie: les invités que nous connaissons déjà, puis le
comte de Chabrillan «gras comme un moine et frais comme une rose», et
l’évêque de Bayeux «bon et honnête homme» depuis longtemps attendu[528].

Car cette année aurait pu s’appeler l’année des évêques: les châtelains
en reçurent plusieurs. Le duc avait su conserver la dilection du clergé
qui l’avait toujours considéré, et pour ses attaches avec le Dauphin,
père de Louis XVI, et pour les outrages dont l’abreuvaient toujours
parlementaires et philosophes, comme un des plus solides défenseurs de
l’Église.

C’étaient encore, parmi les prélats si bien accueillis à la petite Cour
de l’ancien ministre: l’évêque de Vendôme qui aura, l’an prochain, la
visite des amphytrions quand ils iront en Touraine[529]; l’évêque de
Condom, «tout triomphant d’avoir gagné son procès», qui les attend à sa
maison de campagne[530]; Monsieur de Verdun «qui mange et boit comme de
coutume[531]» et qui doit être, avec Mᵐᵉ d’Aiguillon marraine, le
«parrain» pour le mariage de la fille d’un métayer: «Vous voyez Monsieur
le chevalier, que ni les changements de ministres, ni les nouvelles
publiques ne nous dérangent de nos occupations champêtres[532]».

Ce qui n’empêche pas la bonne duchesse de gloser tout à son aise sur les
nouvelles qui lui parviennent et dont Balleroy est assurément avisé:
telles la mort de Mᵐᵉ de Gisors et de M. de la Vallière: «la première
mérite les regrets de ceux qui l’ont connue; car, quoique dévote et
sévère, elle était on ne peut pas plus vraie: je n’ai jamais, dans aucun
temps, ni circonstance, eu qu’à me louer d’elle. Quant au deuxième, il
sera oublié aisément, à moins que l’on ne regrette un tripot de jeu de
plus dans Paris[533]».

En ce moment, une grave question préoccupait chez Mᵐᵉ d’Aiguillon, et la
mère, et la grande dame: les débuts de son fils. Armand, comte
d’Agénois, était entré dans sa vingtième année: si le père ne le
trouvait pas suffisamment dégourdi, la mère signalait en lui une âme
d’artiste. Mais, jadis, l’éducation d’un jeune gentilhomme exigeait des
connaissances un peu plus étendues; et l’avenir d’un futur d’Aiguillon
ne pouvait se borner à l’horizon trop restreint des collines de
l’Agénois. Quatre années auparavant, au plus fort de la disgrâce,
l’intermédiaire inconnu, de qui nous avons cité la longue et curieuse
lettre, y mettait ce post-scriptum: «J’avais oublié de vous dire que M.
de Maurepas m’avait beaucoup parlé de M. d’Agénois: il me dit que votre
intention était de rester à Aiguillon; mais sans doute vous ne garderiez
pas toujours cet enfant auprès de vous». L’invite était évidente. Nous
ne voyons pas que les parents l’aient relevée.[534]

Mais, dès le commencement de l’année 1780, le duc avait obtenu pour son
fils la survivance des chevau-légers[535]. Et, probablement, Maurepas,
qui avait gardé dans sa mémoire les promesses de la reine à l’adresse du
jeune d’Agénois, dut insister auprès de son neveu et de sa nièce pour
que leur fils fût présenté à la Cour[536]. C’eût été folie que de
bouder encore pour le compte et au détriment de M. d’Agénois. La
grand’tante dut évidemment le recevoir à Pontchartrain, l’interroger et
commencer son éducation de courtisan. Peut-être revivrait-elle un jour
dans la personne de ce dernier descendant mâle des La Vrillière et des
Plélo. Et sans doute le débutant répondit aux espérances de Mᵐᵉ de
Maurepas, car sa mère le laisse entendre à Balleroy, mais sur un ton
aigre-doux, qui reflète l’arrière-pensée, amère et revêche, du
politicien évincé: «On lui (à son fils) a su gré de n’être pas de la
plus grande maussaderie... On s’imaginait qu’un homme de son âge qui,
depuis cinq ans, était dans le fond d’une province, devait être une
espèce de petit sauvage... Et ma tante m’a mandé sérieusement que ce qui
l’avait le plus surpris, c’est qu’il était très bien élevé. Elle avait
oublié sûrement qu’il l’avait été par son père, qui a bien autant qu’un
autre ce qu’il faut pour cela[537]».

De son côté le duc avait répondu aux félicitations de Balleroy pour la
survivance, par des compliments qui visaient le nouveau grade acquis par
le chevalier: cette distinction autorisait le bénéficiaire à postuler un
gouvernement ou tout au moins une «grâce pécuniaire». Mais d’Aiguillon
eût regretté de le voir partir pour «les guerres d’outre-mer».
Décidément, il n’était pas «Américain», ainsi qu’on appelait alors les
amis des «insurgents»[538]. Vers la fin de l’année, il reparlait à
Balleroy de son différend, qui n’était pas encore terminé, avec le duc
de Fitz-James, et témoignait son mécontentement de «la plate et
indécente contestation» qui lui était opposée. Ce n’était pas pour
réclamer l’intervention du chevalier (il ne demandait peut-être pas
autre chose) mais pour que son porte-parole fût édifié sur la conduite
de Fitz-James[539].

Afin de n’en pas perdre l’habitude, la duchesse continue à entretenir
son correspondant de ces menus détails, petites anecdotes et grands
embellissements, qui furent de tout temps l’accompagnement obligé de la
vie de château.

A quelques «chiffonnages près», M. d’Aiguillon va bien; quant à elle,
«on dira bientôt, comme la princesse de Talmont, qu’elle a une santé
ignoble[540]». Plus tard, le duc se trouvera pris d’une «forte fonte de
cerveau». Aussi a-t-il «une grande et grosse perruque à trois marteaux
qui lui fait la tête la plus ridicule. Comme elle est pareille à celle
de M. de la Vrillière, je prétends que c’est un effet de sa succession
qu’il s’est approprié. Comme il en est presque quitte, il nous flatte de
reprendre bientôt ses cheveux à l’ordinaire».

Innocente plaisanterie digne d’inspirer un livret d’opéra-bouffe dans le
genre de ceux qu’élaborait le jeune M. d’Agénois!

Entre temps, Mᵐᵉ d’Aiguillon pensait au plaisir favori du chevalier:
«Quand vous viendrez, je vous ménage une chasse fort agréable, c’est la
chasse aux pintades; j’en ai 80 lâchées et nées dans les îles, qui,
l’année prochaine, peupleront même beaucoup et se reproduiront partout.
On les chasse comme des perdrix; et elles deviennent sauvages très
aisément. Ces 80 là sont les produits de 8 paires... C’est fort joli à
voir; elles vont par petites troupes de 8 à 10...»

Les travaux d’agrandissement et d’amélioration se poursuivaient, à peine
interrompus par la pluie: des constructions nouvelles s’élevaient: «on
commence les communs, on achève la Comédie[541]».

La _Comédie_! c’était la grande affaire. La duchesse avait trouvé pour
son mari la distraction par excellence:

«Je suis, en ce moment, écrit le duc, très occupé de ma salle de
spectacle, dont nous devons faire l’ouverture le 31. Elle est réellement
très belle: et je suis persuadé qu’elle aura le succès le plus complet
et que vous en serez content, lorsque vous la verrez: ce qui ne sera
jamais aussi tôt que je le désire[542].»

On devait l’inaugurer par le _Joueur_ et le _Babillard_[543]. Mais cette
«dédicace[544]», comme l’appelle Mᵐᵉ d’Aiguillon, fut reculée jusqu’au
milieu de janvier. Le même mois, le second spectacle se composa de la
_Métromanie_ et des _Chasseurs et la Laitière_[545]. La duchesse répète
le mot de son mari: «Vous serez content de la salle: elle est belle et
dans le genre noble». Le duc y revient pour la troisième fois: «Notre
nouvelle salle de spectacle a eu le plus grand succès. Elle fait
l’admiration de toute la province. Elle est effectivement belle,
agréable et commode. Il est vrai qu’elle m’a coûté un peu cher, mais
elle est payée et je n’y pense plus[546]». Et, à propos de tous ces
divertissements, comédies, concerts, bals, qui se succèdent au château,
le maître du logis a un de ces mots topiques où perce la mélancolie de
l’ambitieux rêvant d’autres plaisirs et d’autres jouissances: «Mon fils
se croit au comble du bonheur et n’imagine pas qu’on puisse être plus
heureux qu’il l’est». Mais si, doit penser intérieurement le père, quand
on détient seul le pouvoir.

Le théâtre vient de fermer sur une «superbe» représentation: celle de
_Mazet_ et des _Vacances du procureur_, suivie d’un non moins «superbe»
ballet. Et la duchesse annonce une grande nouvelle à Balleroy: elle se
décide à faire le voyage de Paris avec son fils en avril ou en mai. Or,
comme elle tient à voir le chevalier pendant le mois qu’elle doit rester
dans la capitale, elle le prie d’ajourner à l’automne sa villégiature
d’Aiguillon: «il verra ainsi les vendanges, chassera les petits oiseaux
et les pintades; elle mandera tous les lièvres du pays; et c’est à
Aiguillon la plus belle saison du monde[547]».

Puis elle passe à d’autres sujets, continuant la conversation avec sa
verve ordinaire, à bâtons rompus et sur ce ton de franchise dont elle
ne saurait se départir.

«... Je trouve que le Parlement s’est éveillé un peu tard sur le danger
des jeux de hasard: il serait à souhaiter pour le bien des familles
qu’ils y eussent pensé plus tôt; mais c’est le cas de dire qu’il vaut
mieux tard que jamais. Il y a longtemps que M. de Genlis tenait tripot.
Quant aux ambassadeurs, je doute qu’il soit du droit des gens de leur en
laisser tenir: ce droit me semble bien dangereux[548].

... Peu m’importe qui commande l’escadre, pourvu qu’il fasse bien; et je
doute qu’il y en ait un de meilleur que M. d’Estaing[549].»

Mᵐᵉ d’Aiguillon avait, avant tout, les sentiments d’un «citoyen», comme
on disait alors: «... Je désire que les changements qu’il y a eu et que
l’on dit qu’il y aura encore dans le ministère soient pour le mieux. Je
ne prends intérêt, comme bien vous savez, ni aux partants, ni aux
arrivants, ni même aux demeurants: je ne souhaite que la prospérité et
le bien de l’État[550].»

L’imprévu et le pittoresque sont le charme de cette correspondance
écrite à la diable: «Vous vous trompez, monsieur le chevalier, en disant
que le maréchal de Tonnerre n’a pas de maladie: il en a une incurable
qui est quatre-vingt-quatorze ans. Je ne me soucie pas d’aller à cet
âge; mais je souhaite que certain Lorrain, de vos amis, y parvienne. Il
en prend le chemin. Adieu, monsieur le chevalier; c’est au milieu de
douze ou quinze vases, ou pots de fleurs, que je vous assure de la
sincérité, etc...[551]»

Le duc est plus posé, plus compassé, plus solennel. Il n’a pas encore
dépouillé complètement le vieil homme, nous voulons dire le ministre.
Reparlant de son différend avec M. de Fitz-James, il informe Balleroy
que le duc a reconnu «l’absurdité des prétentions de son fils et
l’indécence des procédés de son homme d’affaires»; et le conflit s’est
terminé par un échange de «mots d’honnêtetés[552]».

Mais l’heure du départ a sonné pour les deux voyageurs; et la duchesse
l’annonce, le 20 avril, au chevalier qui est de passage à Paris. Elle le
prie, en conséquence, d’aller faire un tour à l’hôtel de la rue de
l’Université et de l’informer si la maison est en état de la recevoir.

Quand la mère et le fils furent partis, le duc, qui était malade, se
rendit, de son côté, sur les conseils de son médecin, à Bagnères. Le
temps était si mauvais qu’il ne pouvait se promener; il s’en consolait
au reversi, où il «perdait régulièrement 17 ou 18 sols, ce qui est
énorme[553]». Le déplacement de sa femme avait pour but l’établissement
d’Armand, comte d’Agénois. Un billet du père au chevalier énumérait les
alliances qui lui semblaient sortables pour son fils:

«Nous serions fort aises d’avoir Mˡˡᵉ d’Havré; et c’est de tous les
partis auxquels nous avons songé celui qui nous conviendrait le mieux à
tous égards. On a déjà fait quelques ouvertures à ce sujet, mais on a
demandé du temps pour une réponse positive. Je ne suis pas également
tenté de Mˡˡᵉ d’Harcourt à cause des ridicules de caractère et de figure
de la grand’mère et de son fanatisme pour M. de Choiseul et de la
passion effrénée du père pour le jeu. Vous raisonnerez de tout cela avec
Mᵐᵉ d’Aiguillon; et nous en parlerons quand vous serez ici[554].»

Déjà, le 25 février, le duc, à l’exemple de sa femme, avait prié
Balleroy qui voulait, très affectueusement, l’accompagner à Bagnères, de
remettre sa visite au mois de juillet; c’était le moment où «la
brillante et bruyante compagnie» affluait au château. Et Mᵐᵉ d’Aiguillon
serait de retour.

Elle revint, en effet, avec son fils, sans avoir atteint le but que
s’était proposé son mari. Mais cet échec ne l’avait pas autrement
attristée: car elle écrivait au chevalier qui n’avait pu assister aux
vendanges d’Aiguillon: «Nous faisons la cérémonie du baptême de la
cloche de l’hôpital; et Mˡˡᵉ Massac, que vous connaissez bien, a invité
tout ce qu’elle a pu trouver; nous y allons en grand _in fiocchi_; et la
curiosité est grande et l’église petite[555]».

L’entrain de la femme finit par gagner le mari; et ce sera aux dépens de
ses hôtes, que le châtelain se mettra en gaîté: «Le comte de Chabrillan
paraît enchanté de la réception que les carabiniers[556] lui ont faite.
Il n’a jamais vu un corps aussi bien composé en officiers, hommes et
chevaux; mais, comme il n’est jamais parfaitement content, il se
désespère de ne pouvoir le mener à la guerre et gagner à sa tête le
bâton (de maréchal).»

Autre portrait... «Mᵐᵉ de Sérignac est arrivée ici pendant que nous
étions chez l’évêque de Condom; et nous l’y avons trouvée établie. Elle
m’a paru très enlaidie, ce que je ne croyais pas possible, mais du reste
la même qu’elle était et nullement embarrassée avec nous. Son mari qui
l’était venue chercher à Nérac et n’a pu parvenir jusqu’ici faute de
chemise, l’a obligée de nous quitter plus tôt qu’elle ne l’avait
projeté, mais elle nous a annoncé qu’elle reviendrait, dès qu’elle
aurait rempli le devoir conjugal et satisfait les désirs violents de son
cher époux[557].» Or, la dame ne revint pas: peut-être avait-elle été
piquée des épigrammes de la galerie; mais le duc se consola de «ses
rigueurs», le château étant abondamment pourvu de «filles et de
femmes[558]».

La duchesse était déjà repartie, depuis un mois, avec son fils, pour
Paris. Le duc, qui en informait Balleroy, ajoutait que leur séjour ne
s’y prolongerait pas, «Mᵐᵉ de Maurepas ayant sa société qui lui permet
de ne pas avoir besoin de ses proches[559]». Au reste, disait le duc
dans une autre lettre «ce voyage avait déplu à Mᵐᵉ d’Aiguillon autant
qu’à moi, mais elle ne pouvait s’en dispenser[560]».

Toujours cachottier et mystérieux, suivant son habitude, le
correspondant de Balleroy ne donnait pas la moindre explication sur ce
nouveau voyage, entrepris presque au commencement de l’hiver.
S’agissait-il d’autres partis pour le comte d’Agénois? Ou les
négociations précédentes avaient-elles repris faveur? Mᵐᵉ de Maurepas,
toujours si dévouée aux intérêts de d’Aiguillon, avait-elle mal secondé
ces projets d’union? En un mot, quels sujets de mécontentement le neveu
pouvait-il avoir contre sa tante pour manifester à son égard autant
d’aigreur? Et n’était-ce pas, de la part de l’exilé volontaire, la
dernière des maladresses, à ce moment même où le vieux Maurepas
disparaissait pour toujours?

En effet le premier ministre de Louis XVI mourait à Versailles, le 21
novembre 1781[561]. Quand le duc d’Estissac, ami du défunt, vint
annoncer au roi, avec des larmes dans les yeux, le décès de Maurepas:
«Si vous faites une grande perte, lui dit Louis XVI, j’en fais, moi, une
bien plus grande». Mais l’influence de la comtesse, toujours si
considérable auprès du roi, ne pouvait-elle survivre à l’homme d’Etat?

Déjà, une année auparavant[562], et quelques jours après la mort de
Marie-Thérèse[563], Mercy avait envisagé l’éventualité de celle de
Maurepas et s’était préoccupé des candidats à une succession qui n’était
pas encore ouverte. De sa propre autorité, il avait pressenti
Marie-Antoinette à cet égard; et la princesse avait prié l’ambassadeur
de lui chercher «un sujet qui lui convînt ainsi qu’à la chose... Je ne
pourrais mieux m’en rapporter qu’à vous, lui disait-elle...».
Proposition illusoire! gémit Mercy-Argenteau qui se défend d’accepter
une telle responsabilité. «Sans cesse excité par la reine à lui dire ce
qu’il pense, il est perpétuellement déjoué par des alentours que le goût
immodéré de la dissipation rend nécessaires et qui par leurs
importunités obtiennent les choses les plus absurdes... Timide et
incertaine dans ses démarches», quand elle est livrée à elle-même,
Marie-Antoinette devient entreprenante et active..., dès qu’elle est
obsédée par sa société perfide et intrigante...»

Ce diplomate, qu’une pénible expérience a rendu enfin clairvoyant et
sage, est las d’une telle mobilité d’esprit qui tourne à l’incohérence:
peut-être même a-t-il constaté que cette prétendue franchise, après tant
de crises d’étourderie, masque une certaine dissimulation; et, dans son
découragement, il laisse entendre à son ministre qu’il serait bien aise
d’être remplacé.

Quant à d’Aiguillon, toujours terré dans son domaine, il ne semble pas
avoir regretté outre mesure son cher oncle, puisqu’il nous apparaît de
si belle humeur, au milieu de cette foule de «filles et de femmes» qui
le charment de leur présence.



XXIII

     _Une «crillonnade».--La requête de «monsieur Lustucru».--Voyages à
     Paris de Mᵐᵉ d’Aiguillon.--Mission infructueuse de Balleroy auprès
     de Mᵐᵉ de Maurepas.--Entrée sensationnelle à Paris.--Les Espagnols
     devant Gibraltar.--Les travaux de Cherbourg.--Mᵐᵉ d’Aiguillon, la
     politique et les voleurs.--Une créance sur Mᵐᵉ Du Barry.--Mariage
     du duc d’Agénois avec Mˡˡᵉ de Navailles.--La petite vérole de Mᵐᵉ
     d’Agénois et les perdreaux de Ruel.--«Laïus est mort».--Le procès
     Linguet.--Morts successives du duc de Richelieu et
     d’Aiguillon.--Mercier devant les caveaux de la Sorbonne._


A partir de 1782, la correspondance entre Balleroy et ses illustres amis
devient plus rare. Le chevalier n’en reste pas moins l’«attentif» aux
petits soins pour la duchesse, et l’homme de confiance de son ancien
chef. Il en est toujours récompensé par les compliments les plus
flatteurs, les billets les plus aimables, les invitations les plus
pressantes aux tirés du domaine d’Aiguillon.

Mais la duchesse est le plus souvent maintenant à Paris: il faut bien
produire M. d’Agénois et ne pas négliger Mᵐᵉ de Maurepas. Et le duc,
toujours mécontent et boudeur, sans vouloir le paraître, n’écrit que de
loin en loin, soit pour se plaindre de sa tante, soit pour jouer au
propriétaire surmené de besogne.

Mᵐᵉ d’Aiguillon était rentrée au mois de janvier. Elle dit à Balleroy
tout son bonheur de revoir son époux et de partager avec lui les
devoirs de l’hospitalité. Ils ont en ce moment les évêques d’Agen, de
Condom et de Couseran--la province mitrée--; et pour les divertir, ils
leur donneront les _Caquets_ et le _Devin de village_[564]. Il était
alors très bien reçu qu’on offrît à des prélats, sur un théâtre de
société, la représentation de telle ou telle pièce en vogue.
Beaumarchais, quand il protesta, vers la même époque, contre
l’interdiction de son _Figaro_, disait qu’il l’avait fait jouer devant
une «assemblée de prélats» qui en avait félicité l’auteur.

Avant son départ pour Paris, Mᵐᵉ d’Aiguillon commente, suivant son
habitude, une nouvelle qui lui arrive de la capitale et qui a trait à la
guerre maritime engagée entre la France et l’Angleterre: «Il est
certain, monsieur le chevalier, que le général Crillon nous a donné là
une très bonne crillonnade et que, dans le temps qu’il n’était connu que
pour cet amphigouri, on ne se serait pas douté qu’il dût si bien faire
parler de lui. Je souhaite qu’il réussisse aussi bien à Gibraltar, si on
l’y envoie...» Elle croyait d’ailleurs à une paix prochaine; et, après
avoir rappelé tous les services rendus à l’Etat par son mari, annoncé
l’affluence des habitués au château, elle terminait sur cette petite
phrase: «Monsieur Lustucru, de grognante et de gourmande mémoire, vous
présente requête pour lui apporter une provision de gimblettes et de
croquignoles[565]».

M. le chevalier disait connaître son Molière et pratiquer le fameux vers

    Jusqu’au chien du logis il s’efforce de plaire.

Quinze jours après, le duc lui écrivait pour l’instruire de la gravité
de ses occupations: les solliciteurs étaient si nombreux qu’il se voyait
obligé de _sérier_, comme on dit aujourd’hui, ses invitations: nous
relevons, entre autres noms, sur sa liste, ceux de Coniac, Saint-Aignan,
d’Esterno, Tinténiac, beaucoup de noblesse de Bretagne[566], l’ancien
«bailliage d’Aiguillon».

Depuis le retour de sa femme au château--sans doute au printemps--le
duc, visiblement tourmenté par les nouvelles qu’elle avait rapportées de
Paris, avait chargé son confident d’une mission délicate auprès de Mᵐᵉ
de Maurepas. La «négociation» avait été «malheureuse»; il n’en
remerciait pas moins le négociateur: «Il est bien difficile, concluait
d’Aiguillon, de persuader à des gens de leur âge, prévenus, opiniâtres
et accoutumés au despotisme le plus absolu dans leurs famille et
société, qu’ils ont tort». L’autoritarisme de Mᵐᵉ de Maurepas
s’expliquait, étant donnée l’influence qu’elle avait toujours exercée
sur l’esprit de son époux.

Il s’agissait, ainsi que le laisse comprendre la lettre de d’Aiguillon,
d’affaires d’intérêt; et les vieillards, même ceux qui ont, comme Mᵐᵉ de
Maurepas, des trésors de tendresse pour leurs neveux, sont bien souvent
intraitables sur les questions pécuniaires. Mais Mᵐᵉ d’Aiguillon, quand
elle serait auprès de sa tante, reprendrait la conversation et saurait
quelles étaient les exigences et les appréhensions de la vieille dame,
«pourvu que celle-ci en parlât préalablement à M. Amelot[567]».

Ce fut à cette époque que «Mᵐᵉˢ Du Barry» furent reçues au château. Mᵐᵉ
d’Aiguillon y signale simplement leur présence, à propos d’un dîner
donné pour l’évêque d’Agen[568]. Et quelques jours après, elle annonce
au chevalier son départ, le 17 ou le 18, «si elle n’a la maladie à la
mode (la grippe)», pour arriver à Paris le 22 ou le 23. Elle demande en
même temps: «Que dites-vous de la prise de Gibraltar? Il faut convenir
que M. de Crillon a eu une heureuse étoile[569]!» Une étoile bientôt
éteinte! La nouvelle était fausse.

Mais voici la duchesse aux portes de la «bonne ville». Son entrée ne
laisse pas que d’y faire sensation:

«Il n’y a que moi, je crois, qui arrive de 200 lieues, à pied, à Paris.
C’est exactement ainsi que j’ai fait mon entrée. Une des petites roues a
cassé net à Bourg-la-Reine, à cinq heures du matin, par un très vilain
temps. Je n’en suis pas moins partie...»

Vainement elle cherche un fiacre... déjà à cette époque!... Mais elle
continue son chemin: «A huit heures, nous sommes arrivés avec mon fils,
M. d’Abrieu, Mˡˡᵉ Delong (sans doute une femme de charge), mes chiens et
moi, à la barrière où je harangue le commis de l’octroi pour qu’il
n’arrêtât pas ma voiture. Il m’a d’abord pris pour fort mauvaise
compagnie»; et l’éloquence de la voyageuse eût été sans doute en pure
perte sans la croix du chevalier d’Abrieu et l’uniforme du comte
d’Agénois.

Mᵐᵉ d’Aiguillon écrit du jardin de Madrid où demeure sa tante: «Nous
avons tous les soirs, et même à dîner, les courtisans désœuvrés de la
Muette[570]». Elle annonce le bruit du jour, la banqueroute du prince de
Guéméné: «On dit qu’il emporte 28[571] millions. La maison de Rohan a
toujours voulu trancher du souverain; dans cette occasion, ce n’est pas
du bon côté; elle et les siens y sont pour la forte somme[572].»

Elle est retournée à Paris, dans son hôtel, d’où elle écrit à Balleroy
que le démon de la chasse entraîne un peu partout: «J’ai voulu, monsieur
le chevalier, vous laisser le temps de détruire tout le gibier de la
terre où vous êtes, pour ne prendre pour vous écrire que le moment où je
vous crois fatigué de carnage. Ne les tuez pas tous; laissez-en pour
renouveler vos plaisirs pour l’année qui vient». Et, sans plus de
préambule, la narratrice défile son chapelet de nouvelles: «On vous a
mandé que les Espagnols avaient pris ce généreux parti vis-à-vis les
Anglais; ils les ont laissé passer tranquilles, à leur barbe, jeter neuf
vaisseaux dans le port de Gibraltar, faire une promenade dans la
Méditerranée[573]». Elle note les impressions de la population
parisienne en présence d’une campagne menée avec autant d’incapacité et
d’inertie, et passe, sans autre transition, à des affaires d’ordre
privé. Malgré les «mots d’honnêteté» échangés entre M. d’Aiguillon et M.
de Fitz-James, celui-ci est encore à payer les dettes de son fils. Puis
la duchesse parle théâtre: «Les nouvelles des spectacles, dont vous
jugez bien que je suis plus instruite par mon fils que par moi, sont
qu’il y a eu hier aux Italiens deux pièces nouvelles, que toutes deux
sont tombées à plat, avec justice, ce dit-on[574]».

       *       *       *       *       *

La correspondance de 1783 est en déficit. Celle de 1784 se réduit à
trois lettres. Mais nous y découvrons cet intéressant détail que le duc
d’Aiguillon a renoncé enfin à son splendide isolement. Il est revenu à
Paris; et il en écrit au chevalier qui, lui, n’y est plus: «Le duc
d’Harcourt (gouverneur de la Normandie) mettra sûrement du zèle, de
l’activité et de l’économie dans la direction des travaux de Cherbourg;
mais, à en croire la marine, la réussite est physiquement impossible; et
tout l’argent qu’on y emploiera est inutilement perdu; je souhaite
qu’ils se trompent et ce ne sera pas la première fois[575]». D’Aiguillon
voyait encore Mᵐᵉ de Maurepas; car il dit l’avoir ramenée de la Comédie
à sa maison de Madrid.

Le chevalier était sans doute à Balleroy, dans le château ancestral; car
Mᵐᵉ d’Aiguillon lui écrit sur le ton moqueur qui lui est propre: «_Votre
province_ est dans ce moment favorisée du ciel, puisqu’elle possède Mᵐᵉ
de Flamarens et tous ses charmes, Mᵐᵉ Seguin (?) et toutes ses grâces,
Mᵍʳ l’archevêque de Bourges et toute sa sueur[576]».

Vers la fin de l’année, elle se décide à faire le voyage de Ruel, une
terre qu’elle n’aime pourtant pas, disait jadis la grosse duchesse. Elle
y va «prendre des alignements pour des plantations». Les promenades sont
belles et le parc regorge de lapins (ceci à l’intention du chevalier),
et brusquement: «Je ne vous parlerai pas politique, 1º parce que je n’y
entends rien, 2º parce que cela m’ennuie. Je ne vous parlerai pas plus
de voleurs, quoiqu’on en raconte de superbes histoires[577]».

Par une coïncidence assez curieuse, Mᵐᵉ Du Barry, qui avait précisément
passé à Ruel les premières heures de sa déchéance, réglait, dans cette
même année 1784, ses comptes avec M. d’Aiguillon. Le roi venait de
rembourser les millions qui étaient dus à l’ancienne maîtresse de Louis
XV. Mᵐᵉ Du Barry paya donc au duc 227.000 livres qu’il lui avait prêtés
sous le nom de Binet de Beaupré. Il avait même fait opposition pour le
montant de cette somme sur toutes les valeurs appartenant à
l’ex-favorite. Et M. Vatel en déduit cette assertion, un peu aventurée,
que si M. d’Aiguillon avait été réellement l’amant de la Du Barry, il
n’aurait pas exercé une aussi rigoureuse répétition[578].

       *       *       *       *       *

Le dossier Balleroy ne contient également, pour l’année 1785, que trois
lettres des d’Aiguillon; et ce sont les dernières. Elles nous apprennent
un nouvel événement survenu dans la famille, événement qui lui permet
d’espérer qu’elle ne s’éteindra pas du côté mâle: le duc d’Agénois[579]
s’est marié avec Mˡˡᵉ de Navailles. Mais le jeune ménage a cependant
éprouvé une déception: «Mᵐᵉ d’Agénois n’est plus grosse: elle en a pris
tout de suite son parti». Son médecin l’a trouvée en bon état. «En
conséquence, elle a été inoculée[580] hier matin. Elle est établie au
Gros-Caillou. M. d’Aiguillon y passe toutes les journées; et son mari
est établi avec elle: elle est très contente et jamais il n’y a eu un
tel zèle... Je l’ai vu partir (sans doute de l’hôtel d’Aiguillon) avec
attendrissement, mais je me suis bien gardée de le faire paraître[581]».

A son tour, le duc tient son ami au courant de la santé de sa bru, dont
il estime que «le caractère s’est un peu plus développé». Veut-il dire
(car c’est toujours le même homme de qui l’allure, le geste et la parole
sont volontiers énigmatiques), veut-il dire que la nouvelle duchesse
d’Agénois est moins sotte?... En tout cas l’inoculation a réussi: la
jeune femme ne sera pas marquée. Mais il a eu encore d’autres
tracasseries: le procès des Langeac (les bâtards de La Vrillière) sera
prochainement jugé; la santé de Mᵐᵉ de Maurepas est dérangée et il part
pour Madrid. Puis il tympanise le beau-père de son fils. Comme il attend
Balleroy pour chasser les perdreaux de Ruel, il tâchera de les lui
conserver «contre la rage de M. de Navailles qui, entre mille
prétentions, a celle d’être un grand chasseur: il n’a pas celle d’être
un bon père, à peine a-t-il vu sa fille dans sa maladie quoiqu’il dise
l’aimer à la folie[582].»

Mᵐᵉ d’Aiguillon était restée depuis quelque temps à Madrid auprès de sa
tante. Elle n’en est pas moins à l’affût des nouvelles et fait part au
chevalier de son butin:

«Je ne vous parle pas seulement de la mort de notre voisin de
Touraine[583]:

    _Laïus est mort; laissons en paix sa cendre_.

Vous savez que c’est M. Du Châtelet qui est exécuteur testamentaire.
S’il trouve moyen de payer ses dettes[584], je le tiens bien habile.

On dit qu’elles iront à huit millions...

La reine vient mardi à Paris et doit aller à l’Opéra et le soir voir les
illuminations[585]. Vous ne serez pas fâché d’apprendre que
l’ambassadeur d’Espagne tira hier un feu d’artifice sur le toit de sa
maison, ce qui effraya un peu ses voisins, surtout M. de la
Reynière[586].»

Ainsi l’adversaire acharné, l’ennemi implacable du duc d’Aiguillon,
Choiseul, qui, renversé par lui, avait réussi à l’abattre à son tour,
était mort, sans avoir pu remonter au pouvoir, malgré l’appui, non
dissimulé, de Marie-Antoinette. C’est qu’il était aussi odieux au roi
que d’Aiguillon l’était à la reine. Non pas que Louis XVI ait jamais
partagé contre Choiseul la prévention de certain parti qui le
représentait, suivant une note de Soulavie[587], comme _l’e.d.s.p._,
(_l’Empoisonneur de son père_), c’est-à-dire du Dauphin, fils de Louis
XV. Le roi, très dévot, éduqué par M. de la Vauguyon[588] et Mesdames,
ne pardonnait pas à Choiseul d’avoir été l’amant de la Pompadour, de
même que son vrai grief contre d’Aiguillon était la liaison du ministre
avec la Du Barry.

Le duc retourna-t-il jamais dans ce domaine qu’il avait habité pendant
près de huit années consécutives, qu’il avait amélioré, embelli et qui,
grâce à l’habile gestion d’une femme d’un dévouement infatigable, lui
avait permis de tenir une petite cour, moins brillante, il est vrai, que
celle de Choiseul, mais digne de son nom et de sa maison?

Nous ne voyons nulle part qu’il ait repris le chemin d’Aiguillon. Et il
n’en eut certes pas la pensée. Il était maintenant à Paris et l’espoir
lui était revenu en y fixant désormais ses pénates. Pourquoi ne
serait-il pas plus heureux que Choiseul, maintenant surtout que ce
formidable adversaire avait disparu?

Tombé du pouvoir, l’ambitieux, fût-il doué d’une perspicacité géniale,
s’illusionne toujours plus que personne. Il ne tient compte ni des
leçons du passé, ni des contingences futures. Il se croit victime des
injustices humaines, mais trop indispensable à la marche des affaires
pour ne pas obtenir un jour ou l’autre une éclatante réparation.
D’Aiguillon n’avait-il pas, dans sa propre famille, un exemple de ces
retours inespérés de la fortune? Maurepas, son oncle, après une disgrâce
qui avait duré plus d’un quart de siècle, n’était-il pas mort, les mains
au gouvernail?

La vie que traîna désormais d’Aiguillon, toujours malade, soit à Paris,
soit à Ruel, n’a pas assez occupé l’Histoire, pour qu’elle ait gardé les
moindres traces des faits et gestes du politicien déchu, pendant les
trois ou quatre années qui précédèrent sa mort. Les Mémoires du temps
citent à peine son nom: encore cet éphémère souvenir n’est-il qu’un
vague écho de l’interminable procès que soutenait le duc contre Linguet.
L’attitude du grand seigneur vis-à-vis du publiciste ne s’était pas
modifiée. Cet orgueil, renforcé de mépris, voulait ignorer le faquin
qui, se croyant insuffisamment payé pour ses peines et services, osait
attaquer un descendant du grand cardinal devant le Parlement. Le
journaliste, si âpre dans ses revendications, après s’être montré si peu
scrupuleux comme avocat, n’était guère intéressant; mais le duc et pair
qui apportait à défendre ses louis un tel esprit de chicane, l’était-il
davantage? En tout cas, Linguet n’était pour lui qu’une _espèce_ et sa
réclamation une fadaise. Dans leur correspondance avec Balleroy, ni le
duc, ni la duchesse ne soufflent mot d’un procès qui défraya si
longtemps les conversations de la Cour et de la Ville.

Persuadé que d’Aiguillon l’avait fait rayer du barreau, le 11 février
1774, par un arrêt du parlement Maupeou, Linguet entendit lui imputer la
responsabilité de toutes ses disgrâces. L’occasion lui parut favorable,
en 1786, une fois que le duc fut rentré à Paris, de lui intenter un
procès. Marie-Antoinette en tressaillit de joie. Et alors que, forçant
l’entrée de la grand’chambre, à la tête de 300 avocats nouvellement
inscrits, Linguet prononçait, au milieu d’une foule immense, une
plaidoirie triomphale, des amies de la reine notaient fidèlement tous
ces incidents d’audience que la malignité publique allait appuyer de si
perfides commentaires.

Linguet était-il si convaincu de la bonté de sa cause? On dit qu’à son
heure dernière, presque sur les marches de l’échafaud, il reconnut ses
torts envers d’Aiguillon.

Il en est de certaines existences officielles, qui furent longtemps
agitées et tumultueuses, se répandant au loin, soumises aux fluctuations
les plus diverses de l’opinion et ballottées par les souffles les plus
contraires, comme de ces grands fleuves qui, après un cours souvent
contrarié par les résistances du sol et par les lois de la nature, se
perdent et disparaissent pour ainsi dire avant de s’abîmer dans la mer.
Quand d’Aiguillon mourut le 1ᵉʳ septembre 1788[589], il était déjà bien
oublié dans la mémoire des hommes. Le _Journal de Paris_ n’enregistra
son décès que le 4, et la _Gazette de France_ n’en parla seulement que
le 9. Son cousin, le maréchal duc de Richelieu, l’avait «précédé de
trois semaines, dit Mercier, dans les caveaux de la Sorbonne». Tous deux
«rejoignaient ainsi le fameux ministre qu’ils avaient voulu singer».
Résumant le rôle de chacun au XVIIIᵉ siècle, le chroniqueur philosophe
ajoutait: «Nous devons nos mœurs modernes au duc (de Richelieu) et la
nouvelle fermentation politique à l’ancien commandant de Bretagne: sans
le duc de Richelieu mon _Tableau_ aurait eu certainement d’autres
couleurs». Et comme ce précurseur du romantisme, disciple convaincu de
Rousseau, ne manque jamais une occasion de chevaucher le trépied
sybillin, il conclut sur cette prosopopée que n’eût pas désavouée son
illustre maître:

«Sainte et véridique histoire, quand je voudrai t’écrire, je me
transporterai à la porte du caveau de la Sorbonne: et là, j’interrogerai
de mon mieux les singuliers personnages qu’elle renferme; et que
sait-on? si en faveur de mon amour pour la vérité, leurs voix ne me
répondraient pas[590].»

La duchesse d’Aiguillon, dans cette lugubre solitude, avait trouvé des
accents d’émotion plus sincères et d’expression moins ampoulée: il est
vrai qu’elle parlait, en mère et en fille désolée, devant les tombes
encore récentes de «ce qu’elle avait aimé le plus au monde».



XXIV

     _Effacement de la duchesse d’Aiguillon pendant plusieurs
     années.--Rôle de son fils au commencement de la
     Révolution.--Prétendues représailles contre la reine.--Le fils et
     la mère émigrent.--Rentrée en France de la duchesse.--Son
     incarcération.--Le 9 thermidor sauve Mᵐᵉ d’Aiguillon.--Vente et
     liquidation des propriétés du duc pour désintéresser les
     créanciers.--La duchesse se retire à Ruel pour exploiter la
     propriété.--Heures difficiles.--Deux lettres du baron de Scheffer._


La figure de la duchesse, qu’on avait jusqu’alors perçue dans l’ombre de
d’Aiguillon, s’efface, après la mort de celui-ci, pendant plusieurs
années. Elle ne reparaît, pour fuir définitivement quinze mois après,
que dans une correspondance de l’étranger et encore à l’état de reflet:
car les lettres où nous la retrouvons ne sont plus de la duchesse, mais
d’un ami aussi fidèle et aussi empressé que l’avait été Balleroy, de son
vivant.

Quelle détermination prit Mᵐᵉ d’Aiguillon après la mort de son mari?
Quelle fut sa part dans la liquidation d’une succession aussi
embarrassée que devait l’être celle d’un homme fastueux comme l’était
l’ancien ministre, qui pouvait bien avoir cinq cent mille livres de
revenu, ainsi que l’affirmait Linguet, mais qui était surchargé de
dettes? Nous n’avons eu à notre disposition aucun document qui nous
permît d’établir au vrai la situation financière de la duchesse. Elle
était désormais toute seule[591]: demeura-t-elle à Ruel ou se
résigna-t-elle à vivre auprès de sa tante, Mᵐᵉ de Maurepas, qui ne
devait mourir que cinq ans après le décès de son neveu, au plus fort de
la tourmente révolutionnaire et sans jamais en avoir éprouvé la moindre
secousse[592].

Peut-être aussi cette succession, qui s’ouvrait dix mois à peine avant
la période d’anarchie si funeste à la fortune française, en fut-elle,
comme tant d’autres, singulièrement retardée et finalement amoindrie:
nous verrons bientôt un exemple de ces désastreuses liquidations. Mais
l’heure eût été mal choisie pour s’en plaindre.

D’ailleurs la duchesse, qui s’était toujours défendue, sinon de parler,
du moins de faire de la politique, n’eût pas voulu se mêler à aucune
intrigue sous le nouveau régime, alors que, sous l’ancien, elle s’était
abstenue de participer à tant de misérables manœuvres. Son fils, Armand,
au dire des contemporains, n’eut pas les mêmes scrupules.

Député à la Constituante, il se rangea du côté des libéraux et même
accentua si énergiquement son opposition, qu’il ameuta contre lui, non
seulement ses collègues de la droite[593], mais encore toutes les
petites feuilles royalistes, où l’invective s’enveloppait souvent
d’amusantes pasquinades[594]. On alla jusqu’à écrire qu’aux 5 et 6
octobre 1789, le duc d’Aiguillon avait revêtu le casaquin et la jupe
d’une poissarde pour injurier, en toute sécurité, Marie-Antoinette. Il
est vrai que, dans la famille, on n’avait guère eu à se louer de la
reine. Et lui-même pouvait-il oublier qu’ayant obtenu la survivance de
son père pour les chevau-légers, ce régiment avait été licencié[595] et
que Marie-Antoinette en avait manifesté une joie insultante? Il serait
intéressant de savoir si Mᵐᵉ d’Aiguillon approuva l’attitude politique
de son fils, et dans quelle mesure? A vrai dire, cinq ans après, Armand,
inquiet de la tournure donnée aux événements par ses meilleurs amis,
s’empressait de fausser compagnie à ces démocrates convaincus, en
gagnant au plus vite la frontière[596]. Il devait mourir en 1800, à
Hambourg[597], sans postérité; et, de ce fait, toute la fortune de la
maison d’Aiguillon revenait à son unique héritier, le jeune Hippolyte de
Chabrillan.

D’après M. Claude Saint-André, la duchesse d’Aiguillon avait fui, elle
aussi, par la diligence de Calais où Mᵐᵉ Du Barry avait pris place,
l’emmenant avec elle en qualité de camériste.[598] Ainsi, Mᵐᵉ
d’Aiguillon, cette femme jusqu’alors si forte et si intrépide, avait
cédé au mouvement de panique qui emportait dans le torrent de
l’émigration tant de familles de l’aristocratie.

L’Assemblée législative avait voulu arrêter un exode qui menaçait de
dépeupler et d’appauvrir la France: d’où cette loi sur l’émigration,
dont les dispositions et le caractère provoquèrent, alors et depuis, des
débats si passionnés[599].

Un homme de loi, M. Bernet, à qui les d’Aiguillon avaient confié le soin
de leurs affaires, s’entendit sans doute avec un de leurs fidèles, nommé
Rousseau, pour les démarches que nécessitait l’observation de cette loi,
car il en recevait la lettre suivante:

«J’ai été au comité de législation; on m’a dit que les personnes hors de
France doivent, d’après la loi, y rentrer. Il n’y a pas un moment à
perdre pour _faire revenir Mᵐᵉ d’Aiguillon_. Le moyen le plus expéditif
est celui qu’il faut employer de préférence[600].»

Bien ou mal conseillée (car le point est encore discutable, tant
d’émigrés de la première heure ayant payé de leur tête leur rentrée en
France!) Mᵐᵉ d’Aiguillon revint donc à Paris.

La même obscurité règne toujours sur sa vie. Il était sage, d’ailleurs,
en ces heures difficiles, de se faire oublier. Mais le passif de la
succession d’Aiguillon était tellement énorme, qu’on avait dû vendre et
liquider les biens pour éteindre les dettes. La duchesse avait des
droits sur le domaine de l’Agenois[601]; car il fallut son consentement
pour la vente des «effets restés à Aiguillon». Elle donne sa
procuration, en conséquence, au «citoyen Gauthier», un ancien prêtre,
qui demeurait 12 rue des Marmousets et qui s’était établi «homme de
loi». Dans son pouvoir, la duchesse abandonnait tout, sauf «les
tableaux, c’est-à-dire les portraits de famille».

Or, l’administration n’avait pas attendu pour mettre la main, et sur le
château, et sur le mobilier qu’il contenait. Le tout avait été confisqué
en 1792 comme bien d’émigré[602].

Comment vécut Mᵐᵉ d’Aiguillon? Où se trouvait-elle, quand mourut Mᵐᵉ de
Maurepas, en 1793? Put-elle lui fermer les yeux? Autant de problèmes
dont nous avons vainement cherché la solution.

Ce qui est certain, c’est qu’en dépit de tous les sacrifices qu’elle
avait consentis, depuis son retour d’émigration et dans le cours d’une
vie restée silencieuse, elle ne sut désarmer la méfiance des sociétés
révolutionnaires qui encombraient de leurs dénonciations les comités de
Sûreté Générale et de Salut Public.

Victime de l’esprit de délation qui était à l’ordre du jour, Mᵐᵉ
d’Aiguillon fut arrêtée et enfermée aux _Filles anglaises_[603]. Le 9
thermidor la sauva[604]. Elle se résolut alors à quitter définitivement
Paris pour aller s’enfermer à Ruel avec les misérables débris que lui
avaient laissés tant de ventes après tant de confiscations. Elle se
remit à cette vie de fermière qu’elle menait si allègrement au temps des
splendeurs d’Aiguillon. L’ancienne propriété du cardinal, déjà très
morcelée et dépouillée de tous ses ornements, abrita les derniers jours
de cette grande dame qui avait vu les premières maisons de France
s’écraser dans ses salons trop étroits pour recevoir tant de servile
ingratitude et de basse méchanceté.

La duchesse d’Aiguillon fit valoir elle-même l’exploitation qu’elle créa
dans ce domaine abandonné. Elle le mit en culture maraîchère. Les
pelouses d’antan furent divisées en carrés de légumes; et là où
s’étaient promenés, en devisant de galanterie ou de politique et même
des deux, tant d’élégants cavaliers et de belles dames, poussèrent des
navets, des carottes, des choux que Mᵐᵉ d’Aiguillon allait vendre
elle-même sur les marchés de Paris. Elle installa, en outre, une
laiterie qui, assurément, n’avait rien de commun avec les étables
pomponnées et enrubannées de Marie-Antoinette à Trianon-Idylle.

La lettre suivante qu’elle dut écrire à son homme d’affaires, dès
qu’elle entreprit de gérer elle-même sa propriété, atteste une fois de
plus cet esprit de décision, ce sentiment de la vie pratique et cette
intelligence alerte dont elle ne cessa de faire preuve en tout temps:

     «Je vous renvoye le mémoire que vous m’avez envoyé à signer, parce
     que je le trouve trop verbiageux et que je suis persuadée que les
     mémoires longs ne sont pas bons et par conséquent (_quatre mots
     illisibles_) ne servent à rien.

     Le commencement est très bien, mais l’article qui veut prouver que
     je me serais opposée à l’émigration de mon fils se répète trop et
     ne signifie rien. Il y faut dire simplement que depuis un an je
     n’avais pas vu mon fils et qu’étant à cent lieues j’ignorais le
     parti qu’il prenait. J’ai barré l’endroit que je trouve trop long;
     renvoyez-le moi tout de suite pour le signer. Je crois, quoi que
     vous en disiez, que 5.000 francs ou même 4.500 valent mieux que
     rien, qu’une maison qui n’est pas habitée se dégrade et perd
     beaucoup de sa valeur. Ainsi donc, j’opine pour la laisser à ce
     prix, mais seulement pour trois ans: il ne faut pas faire comme la
     fille de la fable qui, à force de refus, n’a pu trouver à se
     marier. Quant au cheval, j’ai peine à me résoudre à en acheter un
     autre, que celui-là ne soit vendu. Au reste, vous verrez si cela
     est nécessaire.

     J’ai vu hier M. de Quélen qui m’a dit l’arrangement que vous aviez
     fait ensemble.

     On dit que, sous trois jours, le décret sur les réquisitions
     (?)[605]... Je le souhaite plus que je ne l’espère.

     Rien encore de fini pour la basse-cour; mandez-moi tout de suite si
     vous apprenez quelque chose de M. Joly. Je vous assure de toute la
     considération que j’ai pour vous.»

                                     PLÉLO D’AIGUILLON.


De quelle maison voulait-elle parler? De l’hôtel d’Aiguillon, du château
de Veretz, d’un immeuble ayant appartenu à Mᵐᵉ de Maurepas? Autant de
problèmes.

Mais, là encore, nous retrouvons l’influence bienfaisante d’un Quélen.
La fille, comme la mère, rencontrait appui, soutien, dévouement chez un
parent, héritier des mêmes traditions familiales.

Depuis un an, Mᵐᵉ d’Aiguillon demandait donc à son labeur rustique le
pain quotidien, quand elle reçut d’Ek, en Suède, les deux lettres
suivantes[606]:

                                     14 juillet 1795.

     «... La brebis égarée, Madame la duchesse, est retrouvée,
     c’est-à-dire que j’ai eu, cette semaine, deux lettres de vous...

                                     15 juillet 1795.

... J’ai tressailli de joie, Madame la duchesse, en recevant une
     lettre où j’ai reconnu vos caractères, où cette main si précieuse
     était peinte. La vivacité avec laquelle je l’ai ouverte est
     (_illisible_); mais ma surprise

a été grande en trouvant qu’elle a été écrite le 24 août de l’année
passée. Vous vous y plaigniez d’un concierge barbare qui vous a privée
de toute communication avec le reste du genre humain. Un nouveau
surveillant vous était donné plus humain; mais, malgré cela, votre
lettre du mois d’août 1794 ne m’est parvenue que dans un moment, un mois
(? sans doute un an) après qu’elle a été écrite.

Cette lettre vous apprendra toute la douleur dont mon âme est pénétrée
par les malheurs qui m’ont privé de vos nouvelles.

Etes-vous libre? Etes-vous enfermée entre quatre murs? Enfin, madame, si
ces lignes ont le bonheur de tomber entre vos mains, au nom de Dieu,
apprenez-moi quel est celui (sans doute le sort) de vos enfants. Je suis
(_illisible_) et je touche peut-être aux derniers moments de ma
vie[607]. Ne me refusez pas cette consolation: elle adoucira les peines
que j’ai souffertes, elle rendra les derniers jours de ma vie heureux.»

Le signataire de ces deux lettres était le baron de Scheffer, ancien
secrétaire d’Etat aux affaires étrangères en Suède et frère du comte du
même nom, ancien ambassadeur de Stockholm à Versailles. On sait la
particulière affection que les d’Aiguillon et les Richelieu avaient
vouée à la patrie de Gustave-Adolphe, constante alliée du cardinal. Nous
avons vu l’accueil fait, précisément à Ruel, par la grosse duchesse au
futur roi de Suède et la liaison très intime de son fils, le ministre,
avec le comte de Creutz, successeur du baron de Scheffer. Or celui-ci
avait gardé des relations d’amitié avec les d’Aiguillon, et son frère,
le comte était en correspondance réglée avec eux depuis 1754[608].

La duchesse lui avait écrit, après que la chute de Robespierre et de ses
partisans eût rendu aux prisonniers une liberté relative, en attendant
que la porte de leurs cachots s’ouvrît toute grande devant leur
impatience et celle de leurs amis. Mᵐᵉ d’Aiguillon avait cherché un peu
partout, comme ses compagnons de captivité, réconfort, consolation,
espérance, le souffle de la Terreur ayant balayé dans toutes les
directions, quand il ne les avait pas anéantis, les membres de cette
société polie et raffinée dont le premier crime était son blason.



XXV

     _Le baron de Scheffer, ancien ministre des affaires étrangères de
     Suède.--Sa joie quand il apprend que Mᵐᵉ d’Aiguillon a pu échapper
     «aux mains des tigres sanguinaires».--Il s’inquiète de la situation
     financière de Mᵐᵉ d’Aiguillon et se désole de la voir se rendre à
     Paris en charrette.--Que sont devenues les amies de la duchesse et
     surtout Mᵐᵉ de Laigle?--Travaux rustiques: basse-cour et arbres
     fruitiers.--Apparition des Mémoires de Richelieu, d’Aiguillon, de
     Maurepas: opinion de Scheffer sur des compilations que Mᵐᵉ
     d’Aiguillon déclare apocryphes.--La bru et le petit-fils de la
     duchesse sont avec elle.--La dernière lettre de Scheffer._


Les lettres du baron de Scheffer méritent de fixer l’attention, non
qu’elles soient des modèles de style, mais elles constituent une
documentation précieuse, qui, tout en permettant d’achever le crayon de
Mᵐᵉ d’Aiguillon, apporte des renseignements curieux sur la vie
économique et littéraire du temps.

La seconde lettre de Scheffer, datée du 22 juillet 1795, nous montre un
homme pleinement rassuré:

«Elle est libre, m’écriai-je! elle est sortie de prison, elle est
retournée à sa chère habitation de Ruel... Vous a-t-on rendu vos biens
en sortant des _mains (!!!) de ces tigres sanguinaires_?... Vous avez dû
renvoyer une partie de vos domestiques; et votre homme d’affaires a bien
mal géré les vôtres... Il faut qu’on vous ait dépouillée.

Mᵐᵉ de Laigle est-elle sortie du naufrage général?

J’ai adressé une lettre aux _Filles anglaises_ (Mᵐᵉ d’Aiguillon avait
écrit au baron de sa prison).

Nous avons un ministre accrédité du 2 juillet: c’est le citoyen Rival
(?)»

La Révolution avait si brusquement séparé, surtout depuis trois ans, la
France du reste de l’Europe, que les amis qui se revoyaient ou
reprenaient leur correspondance après un temps d’arrêt aussi long et
aussi imprévu, pressaient et précipitaient leurs questions, comme s’ils
eussent craint une nouvelle et brutale interruption: ce qui explique le
décousu de la lettre du baron de Scheffer, décousu qu’on retrouve dans
beaucoup d’autres correspondances du temps. Le gentilhomme suédois
reparlera souvent de Mᵐᵉ de Laigle, qui était une grande amie de la
duchesse et pour laquelle il manifestait en toute occasion la plus vive
sympathie. Cette dame avait une santé des plus précaires, et se soignait
peu ou mal: «Elle se croit encore à dix ans, écrit Mᵐᵉ d’Aiguillon à
Balleroy; son mari devrait l’avertir[609].»

En général, les lettres de Scheffer sont plutôt des billets, où les
phrases, courtes et heurtées, continuent à n’avoir aucune liaison entre
elles. Elles ne sont pas toujours datées. En voici cependant
quelques-unes qui paraissent se rapporter aux premiers mois de 1796.

Encore des questions sur la société de la duchesse, des dames que nous
avons vu se succéder au château d’Aiguillon: «Que sont devenues Mᵐᵉˢ
d’Esparbès, de Flamarens, si elles vivent encore? Et Mᵐᵉ de Laigle?»

La situation de fortune de sa correspondante préoccupe beaucoup
Scheffer. Il compte bien que les hommes du gouvernement lui rendront ses
biens séquestrés: «Je l’attends de leur équité pour chanter de loin
leurs louanges». «... Je vois que vous avez trouvé quelque ressource
pécuniaire, et j’en suis très aise; mais que cela ne soit que par
l’ouvrage de vos mains, cela fait toujours mon étonnement et ma peine.
Je reçois des détails fort intéressants sur votre genre de vie, sur la
société que vous recevez...» Les prisonniers s’étaient créé, sous les
verrous, des relations qu’ils conservèrent après leur mise en liberté:
«Si vous n’avez pas tiré quelque autre parti de votre captivité, écrit
Scheffer, c’est de vous avoir attaché quelques personnes qui peuvent
vous tenir compagnie».

Tous les siens n’étaient pas partis pour l’émigration ou quelques-uns en
étaient revenus: «Je vous félicite de recevoir chez vous Madame votre
belle-fille et votre Armand[610]. Il doit être bien grandi, depuis qu’il
était à demeure chez vous».

Mais voici l’avril. Mᵐᵉ d’Aiguillon doit tenir son ami au courant de ses
travaux, et lui de répondre: «Vous êtes en pleine occupation pour faire
labourer et semer vos champs et planter dans votre garenne». (7 avril
1796.)

Puis, c’est une publication qui fait grand bruit et dont la lecture a
certainement intéressé la duchesse: «Je viens de lire les _Mémoires_ du
maréchal de Richelieu. Louis XV est assez malmené. Je lui sais (à
l’auteur) pourtant gré d’avoir parlé fort avantageusement de M. le duc
d’Aiguillon. M. le duc de Choiseul n’y est rien moins que ménagé[611].»

L’horizon est moins sombre; et l’apparence de sécurité que le
gouvernement du Directoire, cependant si faible et si divisé, offre au
pays, a rendu à Mᵐᵉ d’Aiguillon un semblant de belle humeur: elle a
retrouvé la rondeur et la bonhomie de la fermière d’autrefois; et le
baron lui réplique sur le même ton:

«Votre lettre m’a fait grand plaisir par le détail qu’elle contient de
la société dont vous jouissez à présent, qui, quoique diminuée à raison
de ce qu’elle était auparavant, doit être fort bonne puisqu’elle vous
convient ainsi. Je vous en fais mon compliment, de même qu’aux petits
cochons de lait qui viennent de vous naître. C’est un bon produit de
votre basse-cour. Vous avez des boutons à vos arbres fruitiers (lettre
du 21 avril)... Je vous fais mille remercîments de votre lettre qui
m’apprend les malheurs arrivés dans votre basse-cour. Je vous ai fait
part de la mort d’une belle vache; mais ce n’est qu’entre nous que nous
pouvons nous confier de pareils chagrins; les gens de la ville se
moqueraient de nous.» (Lettre du 28 avril.)

Une lettre, datée du 5 mai 1796, nous apprend une particularité, tout à
fait inattendue, sur le domaine de Veretz. La duchesse avait annoncé à
Scheffer la mort de son homme d’affaires en Touraine, mort qui ne lui
avait pas laissé de profonds regrets; et le baron l’avait «félicitée» de
l’avoir «perdu». Puis il ajoutait: «C’est quelque chose d’avoir pu
disposer des meubles qui étaient à Veretz[612]; mais _cette terre vous
appartient en propre_». Elle venait cependant du père de M. d’Aiguillon.
Le fils l’avait-il reconnue, comme douaire, à sa mère?[613] En tout cas,
Scheffer argumentait sur ces prémisses: «Pourquoi ne la voulez-vous pas?
Vous n’êtes ni émigrée, ni vous n’avez jamais rien fait contre la
République et la Constitution. Avec la permission de votre gouvernement,
je trouve que cela n’est pas juste. Si l’administration, jadis violente
et tyrannique, l’a mise en séquestre, c’est à un gouvernement juste et
sage d’y remédier».

Notre octogénaire a, par moments, des velléités d’optimisme; il est vrai
qu’il rend ainsi, et par voie détournée, un délicat hommage à la bonté,
bien connue, de son amie: «Votre domestique est aujourd’hui peu
nombreux; quelquefois on n’en est que mieux servi. Et comme vos gens
vous ont été toujours fort attachés, je compte que vous ne regretterez
rien».

Mais le dévouement de la domesticité ne pouvant prévaloir contre la
maladie, Mᵐᵉ d’Aiguillon s’était plainte de ce que «ses chevaux étant
sur la paille, elle était obligée d’aller à Paris dans sa charrette». Et
ce brave Scheffer de déplorer l’aventure: «Je voudrais du moins vous
savoir hors de cette charrette, lorsque vous allez de Ruel à Paris et
dans une bonne berline où l’on est moins secoué».

Les intérêts de la duchesse nécessitaient alors sa présence à la ville:
elle devait assister à la levée des scellés apposés dans l’hôtel
d’Aiguillon (lettre du 3 juin).

Elle avait en conséquence élu domicile chez sa vieille amie Mᵐᵉ de
Laigle, qui était frappée de paralysie; elle craignait des rechutes. Et
le bon Scheffer, quoique comprenant ces appréhensions, se défendait de
croire à l’imminence d’une fin prochaine pour une personne dont il ne
cessait de réclamer des nouvelles dans chacune de ses lettres, car il
avait vu des paralytiques «vivre encore longtemps même avec la bouche de
travers».

Le frère de l’ancien ambassadeur de Suède aborde des sujets d’ordre
moins intime. Il annonce l’arrivée prochaine, comme envoyé de la
République, «du fameux Pichegru[614], qui a conquis la Flandre et la
Hollande: on le loue pour ses qualités morales». Et, tout en félicitant
«Madame la duchesse de sa correspondance bien rentrée dans son train
ordinaire»--elle devait être en effet fort irrégulière--il traite une
question intéressant au plus haut point la veuve de l’ancien ministre et
dont elle avait déjà entretenu son correspondant:

«Je n’ai point vu les _Mémoires du duc d’Aiguillon_ et du _comte de
Maurepas_[615], bien que je lirais avec le plus vif intérêt tout ce qui
regarde des personnes si illustres et avec qui j’ai été lié à Paris;
mais je voudrais alors voir la vérité et non un fatras d’anecdotes,
vraies ou fausses, mais à qui on donne une tournure odieuse et
(_illisible_) vers le but de l’objet que les auteurs se proposent.

Les _Mémoires de Richelieu_ sont venus dans ce pays. C’est un ouvrage de
deux gros volumes mais qui ne sont pas proprement la vie du maréchal.
L’objet principal a été de dire tout le mal possible de Louis XV, de la
reine et de la Cour. J’ai vu avec plaisir que vous n’étiez pas nommée;
apparemment qu’il n’a pas pu dire de mal de vous. Et votre mari, quoique
nommé, n’y est pas aussi barbouillé que d’autres; il n’est pas sans
avoir eu quelque coup de patte.» (Lettre du 9 juin 1796.)

Quand il pense à ses amies de Paris, avec lesquelles il a tant de
confidences à échanger «sur le bon vieux temps passé», l’honnête
diplomate se rassure et s’inquiète tour à tour, suivant les nouvelles
qu’il reçoit de la duchesse, ou qu’il lit dans la «Gazette». Mᵐᵉ
d’Aiguillon l’«instruit des carrés(?)» qu’elle se propose d’établir dans
sa propriété, et de la «situation de son économie de Ruel qui assurément
va mieux que la sienne à Ek, où il est entouré d’un grand lac». (Lettre
du 23 juin). Il est tout à fait tranquille, maintenant que ce travail
est «achevé sans accident ni événement fâcheux». Mais le voici dans des
transes nouvelles, depuis qu’il sait par la gazette «qu’une femme près
de Paris a été attaquée dans sa maison». (Lettre du 30.)

Evidemment les environs de la grande ville sont infestés de rôdeurs;
c’est une maladie endémique dont a souffert de tout temps la banlieue
suburbaine. Mais la duchesse n’est pas femme à s’effrayer: qu’a-t-elle à
craindre? écrit-elle; il n’y a rien à prendre chez une fermière; on ne
peut pas tondre un œuf. «Ce mépris du danger» fait de la peine à
Scheffer. Il est toutefois d’autres rapines dont se préoccuperait
davantage «la fermière». Nous l’apprenons par son correspondant:
«J’avais espéré qu’on vous rendrait justice sur vos justes prétentions;
mais je vois que vous êtes à la veille d’être inquiétée sur la garenne
de Ruel que vous possédez à si juste titre.» L’ami de la France
s’affirme dans ces petites phrases: «Je vous félicite du succès de vos
armées en Italie[616]. Si cela continue, on va vous gorger d’argent...
Votre ambassadeur Lehoc a été fort regretté[617]».

Puis le digne gentilhomme fait un retour sur lui-même et termine sa
lettre par un mot charmant:

«Dans quinze jours, j’entre dans ma quatre-vingtième année; ma main est
bien tremblante, mais mon cœur est toujours le même pour vous.» (Lettre
du 21 juillet.)

Cette noble affection s’affirme plus encore, à la réception d’une lettre
où Mᵐᵉ d’Aiguillon se désole de la situation de Mᵐᵉ de Laigle qui empire
chaque jour: «Que ne puis-je être auprès de vous pour vous sauver de
vous-même, pour vous prouver qu’il existe un ami tendre et fidèle; mais
cette consolation m’est refusée et j’en suis au désespoir». (Lettre du
28 juillet.)

Mᵐᵉ de Laigle s’était rétablie de sa crise; mais les intérêts de la
duchesse se trouvaient de jour en jour plus compromis. Et Mᵐᵉ
d’Aiguillon, qui avait reporté toute sa tendresse maternelle sur
l’enfant de son fils, dont elle n’était pas séparée, pressentait dans un
avenir prochain une spoliation qui l’eût ruinée infailliblement.
Scheffer s’indigne:

«Mais, s’écrie-t-il, votre petit-fils n’est pas sorti de France et on le
dépouille de ses biens! Vous n’avez jamais eu de part aux (_illisible_)
de ceux dont on est mécontent. Vous ne l’avez pas fait; et cependant on
vous punit! C’est inouï!» (Lettre du 2 août.)

Dans celle du 11 août, l’ancien diplomate revient sur un sujet dont
s’occupe volontiers la grande dame:

«Vous me parlez des mémoires d’Aiguillon, de Richelieu, de Maurepas et
vous les regardez tous comme apocryphes[618].

«Je suis assez de votre avis, surtout n’ayant point vu les deux premiers
et ne sachant s’ils existent. Quant à ceux du maréchal, comme il est
uniquement en vue de favoriser le gouvernement révolutionnaire chez
vous, il est assez naturel qu’on veuille se servir de noms aussi connus
pour remplir ce but. L’auteur des _Mémoires_ ne dit pas qu’ils soient
écrits sous sa dictée ou par lui-même; mais il peut avoir du maréchal un
amas immense de lettres, des annotations, des notes, sur lesquels il a
composé son livre. Ce livre se fait lire avidement; et bien des gens y
croient comme à l’Evangile.»

Ce fut la dernière lettre de son vieil ami que put lire, si elle la lut,
la duchesse d’Aiguillon. Elle lui était adressée le 11 août 1796; et la
grande dame, devenue fermière, mourait, dans son exploitation de Ruel,
le 15 septembre suivant[619], d’une maladie de langueur causée par ses
douleurs et ses deuils.

Par une cruelle ironie du sort, Scheffer lui écrivait dans cette même
lettre:

«Votre lettre, madame la duchesse, du 13 du passé (juillet) m’est bien
arrivée. Vous m’apprenez que votre amie est hors d’affaire, mais que les
craintes pour l’avenir vous restent. Dans la joie de mon âme, je me
réjouis de savoir qu’elle vous reste encore. Vous êtes trop nécessaires
l’une à l’autre pour jamais vous séparer et si mes vœux pour vous sont
exaucés, vous irez au moins aussi loin que Mᵐᵉ votre tante, Mᵐᵉ de
Maurepas. Dieu veuille seulement que les temps puissent changer pour
vous et que je vous sache plus heureuse que vous n’êtes actuellement!»

Mᵐᵉ de Laigle avait-elle survécu à son amie?

Ainsi disparaissait dans l’obscurité, dans la solitude, dans l’abandon
et presque dans la misère, une femme qui avait été jadis si entourée, si
fêtée, si courtisée, une des premières à la première cour du monde.
Elle avait habité de superbes palais, s’était assise à la table des rois
et avait présidé aux fêtes les plus somptueuses. Mais, au milieu du luxe
et des grandeurs, elle était restée simple, vraie et bienveillante. Dans
l’incessant conflit entre les passions les plus viles et les intrigues
les plus basses, elle avait conservé sa franchise, sa droiture, sa
loyauté. Car elle n’était ni vaine, ni ambitieuse. Elle n’avait dans le
cœur d’autre sentiment que celui de la famille, d’autre amour que celui
de son mari, d’autre idéal que l’honneur du nom. Aussi, frappée dans
toutes ses tendresses et dans toutes ses affections, passa-t-elle sa vie
à souffrir. Mais la douleur n’eut jamais raison de son énergie.
L’adversité fortifia son âme au lieu de l’abattre. Elle ne fut jamais si
grande, ni d’humeur si égale que lorsqu’elle fut le jouet de la tempête.
Elle fut tour à tour victime des manœuvres perfides de ses pairs et de
l’aveugle violence du populaire. Septuagénaire, elle se résigna, sans
récriminations, mais au contraire le sourire sur ses lèvres, à n’être
plus qu’une simple fermière; mais, dans un temps où des seigneurs de
l’ancienne cour se cachaient sous une défroque jacobine, elle signait
fièrement _Plélo d’Aiguillon_: les noms du héros que fut son père et de
l’admirable femme qu’était sa mère, associés à celui du prêtre génial
qui, le siècle précédent, avait assuré l’unité de la France.

La grande famille[620] à qui sont revenues d’aussi glorieuses
traditions, perpétuées par le trésor de magnifiques archives, ne pouvait
recueillir de plus noble héritage[621].



APPENDICE I

L’ŒUVRE DE SOULAVIE


Les diverses publications historiques ou prétendues telles, entreprises
de 1788 à 1801 par Soulavie, tiennent trop au cœur même de notre sujet,
pour que nous n’accordions pas quelques lignes à l’homme et à l’œuvre,
d’après M. MAZON (_Histoire de Soulavie_, Paris, 2 vol. in-8º 1893) et
d’après Soulavie lui-même.

Une société s’était formée, en 1790-91, pour imprimer et éditer à Paris,
rue de Condé, nº 7, une collection de _Mémoires relatifs à l’histoire du
règne de Louis XV_.

L’idée n’était pas neuve. Des spéculations de librairie, remontant à une
époque antérieure, avaient déjà attaché des aventuriers de lettres, à la
plume et à l’imagination faciles, à la confection de prétendus mémoires
historiques des règnes de Louis XIII et de Louis XIV. Quelques miettes
de vérité délayées dans un lourd fatras de faits douteux et d’anecdotes
controuvées, telle était la recette de ces indigestes compositions, dont
le secret n’est pas encore perdu.

Il semblait que la société de 1790 dût présenter plus de garanties. M.
de Laborde était, en grande partie, «propriétaire de la collection»
projetée; et Soulavie, ancien ecclésiastique, savant doublé d’un érudit,
devait diriger la publication.

Ce n’était pas, toutefois, qu’il ne fût, lui aussi, sujet à caution. Du
vivant du maréchal de Richelieu, et pendant trois années, il avait pu,
grâce à la confiance de ce grand seigneur, que ses attaches et ses
intrigues avaient mis en possession de si précieux documents, explorer
les portefeuilles mis à sa disposition par Losques, le bibliothécaire
du vieux courtisan. Il venait précisément d’en tirer les premiers
volumes des _Mémoires du duc de Richelieu_, récit, quelquefois fidèle et
amusant, mais trop souvent romanesque, invraisemblable et satirique,
d’événements auxquels le maréchal avait été si particulièrement mêlé.
Aussi le duc de Fronsac, qui avait pourtant fourni des notes à Soulavie,
crut-il devoir protester, au nom de la mémoire de son père, contre les
inexactitudes et l’esprit tendancieux d’une publication qu’il
condamnait. Soulavie affirma que le maréchal avait au contraire
encouragé un travail dont il avait fourni les matériaux.

Presque en même temps, paraissait dans la collection de Laborde, où
Soulavie était seul en nom, la première édition de ces Mémoires,
célèbres entre tous, monument littéraire et historique qui a rendu
impérissable le nom de Saint-Simon.

Nombreuses furent les publications, annoncées ou parues, connues ou
ignorées, qui, en se succédant, ne démontrèrent que trop avec quelle
déplorable désinvolture Soulavie traitait les documents historiques,
mutilant, défigurant, supprimant ou interpolant, suivant les besoins de
la cause.

Nous ne retiendrons de cette liste que trois ouvrages, plus ou moins
attribués à Soulavie, deux surtout que nous ne pouvions négliger pour la
mise au point de notre travail.

1º Les _Mémoires du comte de Maurepas_ qui s’arrêtent à la disgrâce de
ce ministre, sacrifié à la rancune de Mᵐᵉ de Pompadour.

2º Les _Mémoires du duc de Choiseul_, compilation, en diverses parties,
des pièces officielles émanées de cet homme d’Etat, en même temps qu’une
longue diatribe, sous son nom, contre le duc d’Aiguillon et Mᵐᵉ Du
Barry. Soulavie dut y ajouter certainement du sien. Nous verrons la
thèse contraire dans les _Mémoires du ministère du duc d’Aiguillon_.
Rien que cette façon de plaider le pour et le contre en dit assez sur la
probité littéraire et sur la moralité du rédacteur.

3º Les _Mémoires du ministère du duc d’Aiguillon_. C’est Soulavie qui
en déterminera lui-même l’attribution dans un passage de ses _Mémoires_
sur le règne de Louis XVI (tome I, p. 241). Il reconnaît qu’il a publié
ceux du ministère du duc d’Aiguillon d’après les notes fournies à
Mirabeau par le maréchal de Richelieu. Mais celles-ci, à en croire les
indications inédites de Soulavie recueillies par M. de Monmerqué,
subirent, avant et pendant l’impression, des modifications importantes
dont certaines méritent d’être signalées. D’abord, M. de Laborde, qui
n’aimait pas Choiseul, avait révisé soigneusement les chapitres
concernant l’ancien ministre. Il est de fait que soixante pages du livre
(110-172) sont une exécution en règle de Choiseul.

Une autre note inédite de Soulavie, transcrite par M. de Monmerqué à la
page 327, nous donne le mot du chapitre dont elle est l’en-tête et qui
est intitulé _Remarques sur les Mémoires du ministère du duc
d’Aiguillon_--autant de rectifications de certaines assertions contenues
dans le volume, rectifications ainsi affirmées: «Ces notes ont été
données à M. Soulavie par M. d’Aiguillon et sa mère, veuve, à condition
que tant qu’ils vivraient, M. Soulavie ne dirait jamais les tenir de
leurs mains».

Enfin, suivant son habitude, Soulavie apporte sa part de collaboration à
l’œuvre de Mirabeau; son biographe, M. Mazon, la signale à la fin du
volume, à propos d’un plan gouvernemental, que nous retrouverons en son
temps, et d’embellissements de Paris où Soulavie s’annonce comme un
précurseur du baron Haussmann.

Et cependant, en tenant compte de toutes ces réserves, il importe de
reconnaître que les _Mémoires du ministère du duc d’Aiguillon_
constituent pour l’étude qui nous occupe un document de premier ordre.
Il s’accorde mieux assurément avec les pièces officielles du temps que
toutes les autres compilations de Soulavie.

Cet homme avait le génie de l’inexactitude... voulue, qui ressemble
singulièrement à de la mauvaise foi, alors que les circonstances
l’avaient si bien servi. En bonne posture auprès des Jacobins, il avait
été chargé, après le 10 août, de dresser l’inventaire des papiers de
Louis XVI. Mieux encore, la protection de Robespierre--faveur si
rare--l’avait fait nommer ministre de la République à Genève. Et le
diplomate improvisé (à quoi mène le publicisme!) dut assurément profiter
de la bienveillance du maître pour consulter ces archives des affaires
étrangères que l’Incorruptible avait eu le bon sens de laisser, comme le
ministère lui-même, entre les mains expertes des premiers commis de
l’ancien régime.

Sans doute, la carrière diplomatique de Soulavie ne fut pas exempte de
déboires; mais cet infatigable compilateur sut s’en consoler par une
série de nouvelles publications qu’il faut contrôler aussi
minutieusement que les précédentes.--Ce fut ainsi qu’il fit paraître, en
1801, ses _Mémoires historiques et politiques du règne de Louis XVI_,
dans lesquels il reconnaît (tome I, p. 192) avoir composé cet ouvrage
diffus et prolixe, mais bourré de faits curieux, sur des notes que lui
avaient remises Richelieu, le duc de Fronsac, Mᵐᵉ d’Aiguillon, M. de
Laborde et le cardinal de Luynes.



APPENDICE II

NÉGOCIATIONS SECRÈTES DE BEAUMARCHAIS


Quelques mois auparavant, Louis XV avait employé Beaumarchais pour le
rachat d’un libelle de Théveneau de Morande contre Mᵐᵉ Du Barry. M.
Robiquet a donné dans son _Théveneau de Morande_ (Paris, 1882, p. 43) le
récit de cette négociation:

«C’est La Borde... qui désigna Beaumarchais au vieux roi, alors à la
recherche d’un homme supérieur dans la négociation...» pour avoir raison
du terrible biographe de Mᵐᵉ Du Barry.

Beaumarchais accepta la mission délicate qui lui était proposée et se
rendit à Londres, en mars 1774, sous le nom de Ronac, anagramme de
Caron.

Morande ne demandait qu’à se laisser corrompre. Dans les lettres qu’il
avait adressées au duc d’Aiguillon et à M. de Sartine, l’auteur des
_Mémoires secrets d’une fille publique_ avait lui-même fait son prix.
D’après ce que raconte Dutens dans les _Mémoires d’un voyageur qui se
repose_, il fut convenu, entre l’envoyé de Louis XV et le libelliste,
que ce dernier supprimerait toute l’édition, moyennant une somme de
32.000 livres et une pension de 4.000, dont la moitié serait reversible
sur la tête de sa femme.

M. de Loménie dit, nous ne savons sur la foi de quels témoignages, que
Morande ne toucha qu’un capital de 20.000 francs comptant; mais la
_Police dévoilée_ (de Manuel) et le _Diable dans un bénitier_ (de Lafite
de Pellepore) donnent le même chiffre que Dutens qui tenait ces
renseignements de Beaumarchais en personne.

Quant à la pension de 4.000 livres, d’autres disent 4.800, c’était un
contrat de rente bien authentique.

Tous les exemplaires de la biographie de Mᵐᵉ Du Barry furent brûlés dans
un foyer à briques aux environs de Londres. On n’épargna qu’un seul
exemplaire. Les feuillets furent coupés en deux moitiés: Beaumarchais
garda l’une et Morande l’autre. Si l’ouvrage reparaissait, le contrat
serait frappé de nullité...

... Le duc d’Aiguillon aurait bien voulu savoir quelles personnes de la
cour renseignaient Morande avec une perfidie et une exactitude si
dangereuses pour le repos du roi. Mais le pamphlétaire ne livra pas des
secrets qui faisaient sa force, et Beaumarchais affirme, dans un mémoire
adressé à Louis XVI, qu’il refusa, de son côté, de «jouer le rôle infâme
de délateur».



APPENDICE III

NOUVELLISTES A LA MAIN EN 1774


Le duc d’Aiguillon fut-il réellement, sinon l’inspirateur, du moins le
commanditaire de cette fabrique d’ignobles opuscules qui couvrirent de
fiel et de boue Marie-Antoinette? Cette œuvre de scandale et de calomnie
n’entra en activité, dans ce qui concerne, et la reine de France, et la
femme du roi, qu’à l’avènement de Louis XVI. Or, nos recherches
personnelles[622] nous ont fait découvrir un acte d’association, dans
cette même année, pour la composition et l’exploitation des _Nouvelles à
la main_, entre un gazetier famélique et le chevalier d’Abrieu,
secrétaire intime de M. d’Aiguillon. Le traité suivit-il son cours entre
les deux parties contractantes? Nous n’avons trouvé aucune pièce qui
autorise à l’affirmer.

Mais, dans un autre carton des archives de la Bastille[623], nous avons
rencontré, parmi les papiers d’un gazetier de la même époque, des pièces
intéressantes qui établissent une sorte de connexion entre l’abandon de
son industrie par le nouvelliste et la démission du ministre de Louis
XV. Signalons tout d’abord le registre d’abonnement de ce journaliste à
la main[624], registre où nous relevons, entre autres noms, ceux de «M.
le duc de Choiseul en son château à Chanteloup, par Amboise» et de
«Monseigneur le comte d’Artois» par l’intermédiaire de son premier valet
de chambre, avec cette mention: «Il faut mettre un point à l’A». Nous
retrouvons sur l’un des feuillets l’adresse du cardinal de Bernis à Rome
et celle du «chevalier de Balleroy, brigadier des armées du roi à
Bayeux», mais tous deux ont cessé leur abonnement depuis le 14 janvier
1774.

Le document le plus curieux du dossier Surgeon est encore cette note
qu’adresse, le 25 juillet 1774, au lieutenant général de police,
l’inspecteur Goupil.[625]

«... J’ai l’honneur de vous rendre compte que, dans les recherches et
démarches que j’ai faites à l’occasion des _Nouvelles à la main_ dont
vous avez bien voulu me charger, je suis parvenu à savoir du sieur
Renaud et son épouse que plusieurs personnes se mêlaient d’abonner pour
les provinces. J’ai même été sans succès dans les endroits qu’ils m’ont
indiqués, puisque j’ai appris des sieurs _Fréret_ et _Landriau_, avec la
plus grande ingénuité, _qu’ils ne s’en étaient pas occupés depuis la
retraite de M. le duc d’Aiguillon_.»

Personne n’ignore que la plupart de ces gazettes étaient souvent très
_mordicantes_, comme on disait alors, et valaient à leurs auteurs ou
leurs colporteurs les honneurs de la Bastille.

Goupil, poursuivant ses perquisitions, retourne chez les Renaud. Ceux-ci
lui disent de s’adresser au domestique de Pidansat de Mairobert, le
continuateur des Mémoires de Bachaumont, mais lui recommandent de
«prendre bien garde à trouver le maître». Mairobert n’était pas d’humeur
accommodante. Aussi le policier ne peut-il dissimuler sa répugnance à
tenter une telle démarche. D’où cette petite scène de ménage que note
scrupuleusement Goupil:

«L’épouse, en regardant avec bonté son époux, lui a dit:

--Evitez à monsieur ce nouvel embarras et lui dites au plus juste où il
s’adressera.

L’époux, d’un air courroucé, a juré contre son épouse en lui disant:

--Taisez-vous, madame, et ne me compromettez. Vous savez que j’ai des
défenses de la police et que, depuis un mois, je ne me mêle plus de ces
nouvelles.

Ce qui m’a déterminé à me retirer», conclut l’inspecteur. Peut-être
aussi avait-il constaté que sa véritable personnalité était découverte.

Mais il n’avait pas abandonné la partie.

Le motif avoué de toutes ces recherches était bien l’interdiction des
_Nouvelles à la main_, mais le but véritable, soigneusement dissimulé,
des enquêtes policières était la capture d’un pamphlétaire qui avait
lancé contre la reine un libelle infâme, _Le lever de l’Aurore_. Or,
Goupil le croyait, non sans raison, affilié à l’une de ces agences de
gazettes manuscrites, qui pullulaient alors à Paris et qui, fort
souvent, empruntaient leur misérable prose à un office central de
nouvelles dont elles étaient les abonnées. Goupil apprenait, en effet,
le 27 juillet 1774, les relations... littéraires de l’homme qu’il
filait--l’abbé Mercier, secrétaire de Marin, rédacteur à la _Gazette de
France_--avec les publicistes nommés Pignatel et Dubec. Et, pour en
finir au plus vite, l’inspecteur, armé de lettres de cachet, expédiait à
la Bastille, le 28, tout ce lot de journalistes de contrebande, y
compris Arnoux, directeur-caissier de la feuille officielle. Or, ce
Dubec était précisément l’associé éventuel du chevalier d’Abrieu; et
l’une de ses lettres, conservée dans son dossier, certifie qu’il était
le prête-nom du titulaire de la _Gazette de France_, le trop fameux
Marin-Quesaco de Beaumarchais; car, celui-ci, à côté de son organe
reconnu et commandité par le gouvernement, avait un service de
nouvelles, plus ou moins licites, qu’il faisait distribuer en province.
Dubec reconnaissait, sans difficulté, qu’il avait fait commerce de
nouvelles, mais qu’il avait cessé, sur l’ordre de la police et repassé à
son ancien associé Arnoux ses listes d’abonnés. Il avouait également,
comme d’ailleurs l’abbé Mercier, que le secrétaire de Marin, dénoncé par
son patron, avait collaboré à ses gazettes manuscrites.

Evidemment, les diverses coïncidences que nous venons de relater entre
la suppression des _Nouvelles_, l’arrestation du pamphlétaire Mercier et
la démission du duc d’Aiguillon, ne doivent pas être passées sous
silence; mais elles ne peuvent fournir les éléments d’un acte
d’accusation contre l’ancien ministre[626].



APPENDICE IV

     LE DERNIER D’AIGUILLON.--SON ROLE A LA CONSTITUANTE ET A
     L’ARMÉE.--SON SÉJOUR A LONDRES.


Harcelé et vilipendé par les épigrammes et les pamphlets qui le
représentaient, travesti en poissarde, au milieu des furies des 5 et 6
octobre, d’Aiguillon avait fini par s’émouvoir de tant d’outrages. Il en
écrivit au _Moniteur_ qui publia sa lettre dans le numéro du _21 janvier
1790_ (quelle coïncidence!). Après avoir «résisté longtemps», disait-il,
à sa mère, à ses parents, à ses amis qui le pressaient de démentir «les
lâches accusations» portées contre lui, d’Aiguillon s’était décidé à se
défendre, énumérait ses démarches auprès du comité des recherches de
l’Assemblée nationale, de la ville de Paris, etc., etc. Il leur avait
demandé de faire procéder à une enquête sur sa conduite. Il mettait au
défi ses accusateurs d’établir le bien-fondé de leurs griefs. Et il
poursuivrait, comme calomniateur, celui de ses ennemis qui renoncerait à
l’anonymat, pour déclarer que d’Aiguillon était réellement coupable des
«horreurs» qu’on lui prêtait.

Il ne paraît pas que cette invitation ait été relevée sur le terrain où
se plaçait d’Aiguillon... Mais, le _Journal général de la Cour et de la
Ville_, du 5 mai, ayant inséré un quatrain des plus injurieux, signé _De
Meude-Monpas_ où se lisait le mot _d’Aiguill_..., le député de la
Constituante somma le journal et l’auteur de l’épigramme de s’expliquer
catégoriquement. Meude-Monpas répondit qu’il n’avait pas entendu
désigner sous le nom _d’Aiguill_... le duc d’Aiguillon. Celui-ci fit
publier cette déclaration signée dans le nº 145 du _Moniteur_ (25 mai
1790) en l’accompagnant d’un rappel de sa lettre parue le 21 janvier.

Mais la haine politique n’avait pas encore lâché sa proie. Et ce fut à
la Constituante qu’elle vint la ressaisir, non plus dans sa
personnalité, mais dans celle de son père.

Le nº 343 du _Moniteur_ nous en fournit la preuve.

Au cours de la séance du mardi soir 7 décembre 1790, le député royaliste
Cazalès s’exprimait ainsi:

«... La suppression d’un acte de procédure est une tyrannie. Qu’il me
soit permis de rappeler à ces Bretons, qui siègent dans cette assemblée,
quelle fut leur juste indignation, quand le feu roi fit enlever du
greffe du Parlement de Paris la procédure dirigée contre M. d’Aiguillon.
Cette indignation fut juste: la France la partagea. Il n’y eut pas un
bon citoyen qui ne fût profondément affligé de voir le vertueux La
Chalotais rester sous le coup d’une accusation calomnieuse, quand le
coupable d’Aiguillon jouissait en paix des crimes qu’il avait commis
dans cette province.»

Des murmures éclatèrent sur un grand nombre de bancs, car c’était
surtout le fils qui était visé plus que le père. Et l’attaque était
d’autant plus illogique que celui-ci avait défendu les prérogatives
royales contre les Etats de Bretagne et que lui, Cazalès, combattait
pour elles au sein de l’Assemblée nationale.

D’Aiguillon fils avait demandé la parole; il répondit en ces termes à
l’attaque de son collègue:

«J’aurais plus tôt demandé la parole pour solliciter de l’Assemblée une
justice éclatante des injures et des calomnies que M. Cazalès s’est
permises contre la mémoire de mon père, si je n’avais considéré combien
les principes de M. Cazalès ont peu d’influence sur l’Assemblée
nationale et sur la nation (nombreux applaudissements), si je n’avais
pensé que je devais les outrageantes personnalités de M. Cazalès à la
différence d’opinion qui existe entre nous.

D’ailleurs les applaudissements que l’Assemblée a bien voulu me donner
vengent assez, et moi, et la mémoire de mon père. Je demande donc que,
pour ce qui me regarde personnellement, M. Cazalès ne soit pas rappelé à
l’ordre (applaudissements prolongés).»

Cazalès regretta publiquement son intempérance de langage; mais elle
n’en démontrait pas moins combien était encore vivace l’animosité qui
avait survécu au brusque dénouement des affaires de Bretagne.

La _Biographie universelle et portative des contemporains_ (1826) et les
_Papiers de Barthélemy_ (Paris, 1886, t. I) nous donnent la suite de la
biographie de «Richelieu d’Aiguillon» jusqu’au moment de son départ pour
l’émigration.

Après la clôture de l’Assemblée constituante, il reprend du service en
qualité de maréchal de camp. Remplaçant Custines dans son commandement
de Porentruy, il dut échanger des dépêches avec Dumouriez. (Autre
coïncidence! Le père avait fait mettre le futur vainqueur de Valmy à la
Bastille!)

Une lettre interceptée lui valut d’être dénoncé à la Convention et
décrété d’accusation, bien qu’il eût traité publiquement les émigrés et
leurs compagnons de «hordes de traîtres et d’embaucheurs». Ce qui ne
l’empêcha pas d’émigrer à son tour, mais, avant, il crut devoir
expliquer à ses soldats pourquoi il les abandonnait. Il quitta donc la
France pour se retirer à Londres où il fut fort mal reçu des émigrés. Il
en partit pour se fixer définitivement à Hambourg. Il y mourut le 4 mai
1800; mais, au dire de la _Biographie portative_, il venait d’obtenir sa
radiation de la liste des émigrés, ce que semble contredire la procédure
suivie pour la vente du domaine et du château d’Aiguillon.

       *       *       *       *       *

Les _Mémoires de Brissot_ (1832, 4 vol.) insèrent, à la page 179 du tome
III, cette note:

«Extrait des _Mémoires_ du chanteur anglais Michel Kelly qui était en
relations avec le duc d’Aiguillon pendant le séjour de celui-ci à
Londres:

«Un matin, le duc me fit appeler: «Je vous ai beaucoup d’obligation, me
dit-il, pour la bienveillance et l’hospitalité avec lesquelles vous
m’avez traité, ainsi que mes amis. Mais bien que je sois toujours
harcelé par le malheur, il m’est impossible d’oublier que je suis le duc
d’Aiguillon; et je ne saurais me résoudre à vivre d’emprunts et
d’aumônes. J’avoue que je suis réduit à mon dernier schelling,
cependant, je conserve ma santé et toutes mes facultés.

«Quand j’étais autrefois grand amateur, j’aimais beaucoup à copier de
la musique[627], c’était alors un amusement pour moi; ce serait, à
présent, mon bon ami, une précieuse ressource. La grâce que je vous
demande c’est de vouloir bien me faire copier de la musique pour vos
théâtres au prix que vous donneriez à un copiste ordinaire qui vous
serait totalement étranger. Je suis maintenant fait aux privations, j’ai
peu de besoins. Jadis logé dans des palais, je me contente aujourd’hui
d’une seule chambre à coucher au second étage, et si vous m’accordez ce
que j’attends de votre amitié, vous me procurerez la satisfaction après
laquelle je soupire de ne devoir ma subsistance qu’au travail de mes
mains.»

«Je fus ému jusqu’aux larmes en voyant l’extrémité où se trouvait réduit
un homme né dans la plus haute classe de la société et qui avait joui
d’une aussi grande fortune. Je lui promis de lui procurer toute la
musique qu’il pourrait copier; il parut au comble de ses vœux. Le
lendemain, je lui donnai de l’ouvrage.

«Depuis ce moment, il se levait avec le jour et travaillait jusqu’au
soir pour remplir sa tâche; ensuite il s’habillait proprement et se
rendait au parterre de l’Opéra. Là, il pouvait encore se croire le duc
d’Aiguillon, et personne n’eût deviné qu’il avait passé la journée à
copier de la musique pour un schelling la feuille.

«Dans cet état de gêne, il doit paraître étrange que son humeur ne se
soit jamais altérée et qu’il ait toujours conservé sa gaîté. Il n’est
pas douteux que sur dix Anglais placés dans les mêmes circonstances,
neuf au moins ne se fussent ôté la vie. Cependant la tranquillité
passagère que ce malheureux duc goûtait alors ne fut pas de longue
durée. Un ordre émané de l’_alien office_, aussi cruel qu’il était
inattendu, ne lui donna qu’un délai de deux jours pour quitter
l’Angleterre. Il partit pour Hambourg où il mourut bientôt après.»



APPENDICE V

THOLIN

     _Documents sur le mobilier du château d’Aiguillon confisqué en
     1792_, Agen 1882 (Biblioth. nat. Impr. LK7 24985.)


Résumé de ce précieux opuscule:

L’histoire du château d’Aiguillon et de ses hôtes tient une telle place
dans notre livre, la destruction de l’immeuble fut si rapide et la
dispersion de son mobilier si radicale, que nous avons cru devoir
résumer en quelques pages la brochure de M. Tholin, qui les fait revivre
par sa documentation précise et sincère, à l’exemple de ces pièces
d’archives, inventaires et procès-verbaux, dont les descriptions exactes
et détaillées permettent de reconstituer... sur le papier, les
appartements, et l’aspect général des intérieurs d’autrefois.

Ce fut le 18 septembre 1792 que la Commission du département de
Lot-et-Garonne apposa les scellés sur toutes les portes du château
d’Aiguillon, propriété de «Vignerot émigré». Huit mois après, le Conseil
de Lot-et-Garonne s’inspirait du décret de l’Assemblée nationale (14
novembre 1789) concernant la conservation des livres et objets

[Illustration: JEAN CAUSEUR,

_BOUCHER DE PROFESSION_,

_âgé de cent trente ans, né au Village de Ploumoguer, en Basse-Bretagne.
Peint en Août 1771 par Charles Caffieri Sculpteur Breveté du Roi pour la
Marine à Brest_

Jean Causeur, âgé de cent trente ans, d’après Charles Caffieri

(Collection Désiré Lacroix)]

précieux provenant des établissements supprimés, pour «empêcher le
pillage, régulariser la vente et faire exécuter le triage des livres,
archives et objets d’art».

Le 28 mai 1793, de concert avec l’administration de Tonneins, le Conseil
de Lot-et-Garonne nommait Lespinasse père, négociant, à fin
d’expertiser, le lendemain 29, les meubles et effets dudit château, à
lui présentés par Nugues aîné, administrateur du district de Tonneins,
et de se conformer aux prescriptions de Nugues, commissaire du district
et de Saint-Amans, commissaire particulier du département.

Le 5 juin 1793, le Conseil du département déléguait Durand, en qualité
de commissaire, à Aiguillon, pour y vendre, le 6, les effets
inventoriés, «conformément au mode usité pour la vente des meubles et
effets nationaux», l’administration se réservant tous les tableaux et
autres objets désignés dans l’état Saint-Amans et Noubel du 30 mai[629],
«ensemble deux lustres, celui dans le salon de compagnie et autre à
choisir dans les autres salles, poëles et cartons et papiers qui devront
être gardés au prix de l’estimation».

La vente sur place comporta 52 vacations du 6 juin au 4 septembre 1793
et s’éleva à 98.686 livres 17 sous. Le catalogue, qui ne compte pas
moins de 300 pages[630], ne donne cependant que des indications
sommaires sur les objets mis en vente: porcelaines, faïences,
chandeliers, candélabres en bronze et en argent, meubles en
marqueterie, tentures, canapés et fauteuils en tapisserie ne trouvèrent
acquéreur qu’à vil prix.

Vingt-deux glaces furent vendues de 165 à 570 livres; quatre
_cabriolets_ (petits meubles) garnis en damas, 105 livres; une pendule
portative montée sur rhinocéros, 340 livres; une pendule à l’antique,
210 livres... Dix-sept tableaux (portraits) de la famille Vignerot,
compris une gravure ovale et deux autres ovales, 400 livres... Un
tableau représentant Rennes; un autre, l’enlèvement d’Europe... Des
portraits, des vues et des monuments sans désignation.

A ce propos, M. Tholin cite le passage suivant du chroniqueur Proché:
«Dans une fête célébrée à Agen, le 22 septembre 1793, on livra aux
flammes tous les tableaux qu’on avait retirés des églises, ceux qui
représentaient des rois ou des princes, ou qui retraçaient quelques
vestiges de féodalité, en un mot tous ceux qu’on avait trouvés dans les
maisons des particuliers et _au château d’Aiguillon_. Tous ces tableaux,
dont quelques-uns étaient des chefs-d’œuvre, avaient été portés sur un
tombereau qui suivait le cortège. On y remarquait le portrait de Louis
XV, représenté en grand, le sceptre à la main, placé sur le devant du
tombereau.» La _Revue de l’Agenais_ (1878, tome V, p. 190) suppose que
ce fut sans doute ce jour-là qu’on brûla en même temps les tableaux
religieux et les portraits des souverains (Louis XIII et Henri IV,
inventaire de 1613) qui étaient à l’Hôtel de Ville d’Agen.

M. Tholin estime qu’il faut «en rabattre» de l’appréciation du
chroniqueur, et que l’autodafé se borna à la destruction des portraits
de roi ou de prince. C’était déjà trop: les vandales qui croyaient faire
œuvre de bon patriote en brûlant ces effigies royales, pouvaient-ils
savoir si, par exemple, ce portrait de Louis XV, en pied, avec les
attributs de la royauté, n’était pas l’œuvre d’un maître, sortant
surtout du château d’Aiguillon?

En 1795, le Directoire de Lot-et-Garonne, tenant ses séances dans
l’ancien couvent des Carmélites, sur l’emplacement du lycée actuel, se
préoccupa d’approprier un local pour le musée départemental. Le
directeur des travaux publics communiqua son rapport constatant
l’existence d’objets d’art dispersés dans tout le département et
l’arrivée de gravures et de moulages envoyés de Paris pour l’école de
dessin. Il fit préparer un local pour recevoir ces divers objets; et
Tonellé, conducteur des travaux publics, fut chargé de l’aménagement.

Dix jours auparavant, le 6 nivôse an III, le Directoire avait nommé une
commission pour inventorier les tableaux du château d’Aiguillon déposés
au musée. Ce travail, confié à Saint-Amans, qui l’exécuta avec deux
adjoints, fut terminé le 25 nivôse[631], «dans la forme imposée par la
Convention, le 8 pluviôse an II, pour les bibliothèques publiques». La
notation en usage vaut la peine d’être rappelée. + désignait les objets
d’une certaine valeur; ++ ceux qui étaient très remarquables; +++ les
plus rares et les plus précieux.

Bon nombre de ces tableaux se trouvent encore à la préfecture d’Agen; et
M. Tholin les signale, d’après l’étude critique qui en fut faite (1879)
par MM. Boudet, de Monbrison, A. Magen et Payen, architecte
départemental:

Pastel de Caffieri (portrait de J. Le Causeur, âgé de cent trente-deux
ans[632]); _en déficit_.

Pastels de Volaine;

Deux vues du château de Veretz par Van Blarenbergue. Travail fort beau
et dont la dimension contraste avec le genre du peintre qui était un
miniaturiste. Ces vues sont à la préfecture;

Saint-Jean-Baptiste dans le désert, d’après Raphaël (?);

Portrait d’Hortense Mancini (école de Mignard);

Portrait de Mᵐᵉ Du Barry, de Drouais «retouché pour M. d’Aiguillon».

Ne serait-ce pas cette «copie du portrait de Mᵐᵉ Du Barry en Flore
retouché d’après nature pour M. le duc d’Aiguillon, au prix de 600
livres» tel que l’indiquent les Goncourt dans leur livre _La Du Barry_,
p. 368? Ce portrait est à la préfecture.

De même ceux de la comtesse de Provence, par Drouais; de Mᵐᵉ de
Pompadour, par Nattier; de Mᵐᵉ de Mazarin-Mailly, attribué à Nattier; de
Louise de Crussol (école de Mignard); de Cinq-Mars, qu’on suppose
provenir des d’Effiat, propriétaires de Veretz avant les d’Aiguillon.

Douze tableaux, consignés par l’inventaire du 25 nivôse an III, ont
disparu, et parmi eux le _Passage de la mer Rouge_, attribué par les
experts au Poussin, qui avait travaillé pour Mᵐᵉ de Combalet, duchesse
d’Aiguillon et nièce du cardinal de Richelieu.

Nous avons simplement analysé le catalogue, annoté, de M. Tholin, sans
nous prononcer pour ou contre des attributions, qui ont d’ailleurs
varié, suivant les dates d’expertise.

Le _Museum_ d’Agen, qui devait être constitué avec le fonds d’Aiguillon,
dans l’Ecole centrale de Lot-et-Garonne, fondée le 21 novembre 1799, ne
semble pas avoir jamais existé. En tout cas, un inventaire du mobilier
de la préfecture en 1812, aussi incomplet qu’il est sommaire, porte que
les tableaux ont été «trouvés à l’administration centrale. Ils viennent
du château d’Aiguillon» et l’inventaire note «portraits de famille pour
mémoire». Ils ne sont catalogués que très imparfaitement.

En réalité, tableaux et meubles ont... émigré dans les salons de la
préfecture.

       *       *       *       *       *

L’opuscule de M. Tholin offre le plus grand intérêt, non seulement au
point de vue qui nous occupe, mais encore à un point de vue général. Il
ouvre de curieux horizons sur la vie économique dans les châteaux de
l’ancien régime, quelques années avant la Révolution. Déjà les lettres
de M. et Mᵐᵉ d’Aiguillon nous l’ont fait entrevoir. Ici, nous avons des
documents précis, des comptes et des chiffres. Voici, par exemple,
l’état du sommelier en 1782:

Dans cette année, 577 bouteilles de 60 crus différents parurent «à la
grande table». L’office, y compris le personnel du théâtre, qui fut
servi à part, consomma 888 bouteilles pour les hommes, 360 pour les
femmes, 101 pour les musiciens, 135 pour les garçons, soit un total de
1484 bouteilles.

La vente de la cave, en 1793, qui présentait à peu près la même
composition de vins qu’en 1782, ne comporte pas des renseignements moins
instructifs. Ce sont les vins de liqueur qui ont toutes les préférences:
Malvoisie, Chypre, Xérès, Malaga, Rancio, les muscats du pays (crus
Galibert et Reignac situés à la Croix-Blanche, près d’Agen). Certains
furent vendus jusqu’à 6 livres la bouteille. Pas de Bourgogne, ni de
Champagne. Les Margaux, Saint-Emilion et Barsac sont achetés 1 livre 16
sous, à peine quelques sous de plus que les vins de Cahors et
d’Aiguillon.

       *       *       *       *       *

Le château n’était pas terminé au moment de la Révolution; mais M.
Tholin estime, à juste raison, que le corps de logis principal devait
être très vaste et complètement meublé, en raison des réceptions qu’y
donnaient les châtelains et des hôtes qui venaient y villégiaturer. M.
Tholin ajoute que les invitations furent très nombreuses dans le
principe et qu’elles furent «acceptées avec reconnaissance», mais
bientôt les visites se firent plus rares: la noblesse agenaise était
pauvre et le duc d’Aiguillon trop hautain. C’était, en effet, un de ses
péchés mignons; mais nous avons vu, d’après la correspondance, qu’il y
avait toujours foule au château et même dans la salle de spectacle.

De celle-ci, qui existe encore, mais qui a reçu une autre appropriation,
M. Tholin nous donne une description assez précise. C’était une aile du
château consacrée à cette destination (nous savons qu’elle avait été
construite à cet effet par les d’Aiguillon). Cette salle contenait,
outre la scène et un amphithéâtre pour les spectateurs, un chauffoir
pour les dames et deux foyers isolés par des portes matelassées. Deux
portes, qui subsistent, devaient ouvrir, l’une sur l’escalier du
château, l’autre sur la rue. La salle était éclairée par des lustres de
cristal, et entourée de loges garnies d’accoudoirs, de banquettes
rembourrées et d’autres plus simples. C’est aujourd’hui l’_Hôtel du
Tapis Vert_.

Les décors, les costumes et la bibliothèque du théâtre ne furent pas
vendus. Isabeau, le conventionnel en mission, le même qui distribuait
aux acteurs de la région les ornements d’église pour s’en faire des
costumes, mit, le 16 octobre 1794, à la disposition du Comité dramatique
d’Agen le mobilier théâtral du château. Le 19, le Directoire de Tonneins
en fit dresser l’inventaire par la municipalité d’Aiguillon.

Les décors servirent quelque temps aux représentations données par le
Comité dramatique; mais, en 1797, certains de ses membres se refusant à
prendre la responsabilité de la conservation de ces décors, la
municipalité agenoise en référa au ministre de l’intérieur.

Celui-ci, d’autre part, avait reçu des citoyens Garnier et Cressant,
artistes du théâtre de Montauban, une requête pour l’obtention de ces
mêmes décors. Le ministre des finances, avisé, le 26 pluviôse an VI, par
son collègue de l’intérieur, lui répondit, le 29, qu’il en avait écrit
au département de Lot-et-Garonne. D’Aiguillon sollicitait alors sa
radiation de la liste des émigrés: si le Directoire exécutif rejetait la
demande, disait le ministre des finances, on pourrait mettre toiles et
décors à la disposition des comédiens montalbanais.

Les démarches de d’Aiguillon ne durent pas être accueillies
favorablement, car la ville d’Agen fut autorisée à prendre possession du
mobilier théâtral du château, sur l’évaluation qui en avait été faite à
478 livres 10 sous, le 10 avril 1798, par le commissaire délégué J.
Raymond.

La description des costumes et accessoires comprend trois grandes pages
de l’inventaire, pêle-mêle pittoresque de robes de soie de toutes
couleurs, corsets «variés», manteaux brodés, culottes à la musulmane,
toges romaines, habits espagnols, chapeaux de Scapin, cuirasses,
brassières, peau d’ours... Le répertoire, dont la correspondance de Mᵐᵉ
d’Aiguillon indique différentes pièces, appelait évidemment cette
variété de costumes.

Parmi les accessoires, nous voyons une «machine pour le tonnerre» et «un
tableau avec son chevalet» pour le _Tableau parlant_ de la
Comédie-Italienne.

Certes tous ces chiffons et ces fanfreluches, ces oripeaux et ce
clinquant, qu’avait déjà dû disperser et ternir l’âpre bise de la
tourmente révolutionnaire,--_ludibria ventis_--ne sont plus aujourd’hui
que de vains souvenirs. Mais il reste, de ce même théâtre d’Aiguillon,
d’impérissables monuments, actuellement à l’Hôtel de Ville d’Agen, 400
volumes in-folio d’œuvres musicales que le duc avait collectionnées. Ils
sont aux armes d’Aiguillon, et plusieurs portent l’ex-libris des grands
bibliophiles du XVIIIᵉ siècle, Bonnier de la Mosson, chevalier de
Polignac, Rouillé, Du Tillet, marquis de la Chétardie, etc. Il en est
qui contiennent des curiosités comme la mise en scène du ballet des
Turcs dans le _Bourgeois gentilhomme_, ou des pièces inédites, telles
les Cantatilles de Barthélemy sur le _Siège de Saint-Malo_ et la
_Bataille de Saint-Cast_.

M. Tholin constate, avec juste raison, d’après le catalogue de
l’importante bibliothèque musicale de Fétis, achetée par la ville de
Bruxelles, que cette collection est moins riche que celle de d’Aiguillon
pour certaines séries, «celle des auteurs français de musique
dramatique, tragédies mises en musique, comédies, pastorales et
ballets».



PIÈCES JUSTIFICATIVES I

_Archives de la Bastille_, 12391 fº 198

DOSSIER TORT


            Monsieur,

     Je m’étais déjà présenté à votre porte pour tâcher de vous rendre
     mes hommages respectueux, lorsque vous avez bien voulu me mander
     afin de me prévenir des intentions du roi et de son ministre
     relativement à la conduite que je dois tenir sur quelques points
     essentiels de mon affaire contre M. de Guines. Il a toujours été
     dans mon cœur, Monsieur, le désir le plus vif de ne pas déplaire à
     mes maîtres, et il n’y a pas de sacrifices que je ne sois prêt à
     faire pour éviter un pareil inconvénient.

     J’ai été malheureusement forcé d’intenter une action criminelle
     contre M. de Guines (non parce que ce même M. de Guines m’a
     cruellement persécuté en me faisant traîner dans différentes
     prisons après m’avoir enlevé toute ma fortune) mais parce qu’il a
     osé ajouter à ces injustices celle de m’avoir accusé auprès du roi,
     et publiquement, d’être un voleur domestique et d’avoir trahi les
     intérêts de la France en vendant à prix d’argent les secrets de
     l’Etat à différents négociants anglais, etc...

     Des accusations de cette espèce ne me laissaient que le choix de
     mourir dans l’opprobre, ou de me justifier en employant les voies
     de droit. Ce dernier parti était sans doute dangereux parce que mes
     démarches, quoique très légales, pouvaient choquer à tout instant
     les vues d’une administration à laquelle mon adversaire tenait par
     sa place.

     Voilà, Monsieur, quelle était ma position. Il fallut chercher des
     expédients pour tâcher d’en diminuer l’horreur; et je n’en trouvai
     pas de meilleur que celui de supplier M. de Sartine de vouloir bien
     être le juge de la conduite que je me proposais de tenir. Ce
     magistrat daigna m’écouter; il me promit même avec bonté de
     m’arrêter sur les objets qui pourraient m’attirer le blâme de la
     Cour, mais à cette condition _que je le préviendrais d’avance de
     tous les partis que je serais dans le cas de prendre relativement à
     l’instance que j’allais commencer_. Mes intentions étaient trop
     pures pour ne pas souscrire aux conditions que m’imposait M. de
     Sartine. Je lui ai tenu scrupuleusement parole. J’ose l’en prendre
     à témoin. Sa haute sagesse m’a préservé de mille écarts. Mon
     innocence et ma fermeté ont fait le reste.

     Vous devez être bien assuré, Monsieur, d’après ce détail, qu’étant
     heureusement parvenu au moment d’être jugé, je ne chercherai point
     à me compromettre en faisant insérer des faits qui puissent
     intéresser le Gouvernement dans les mémoires que je serai bientôt
     forcé de donner à mes juges et au public.

     M. de Sartine avait encore bien voulu me promettre d’entendre la
     lecture de ces mémoires avant qu’ils ne fussent mis sous la presse.

     Puis-je me flatter de trouver le même intérêt et les mêmes bontés
     dans son successeur? J’oserais l’espérer, Monsieur, si le désir de
     les mériter pouvait être compté pour quelque chose. Mais, puisque
     ce n’est pas un titre, je me bornerai à vous supplier de devenir
     l’interprète de mes sentiments, en daignant assurer le roi et ses
     ministres que S. M. n’aura jamais de sujet plus fidèle, plus soumis
     et plus respectueux que moi.

     Je suis, etc.

                                     TORT.

     Paris, le 22 septembre 1774.

_Lettre de Tort de la Sonde au lieutenant de police. Son dossier est
accompagné de ses interrogatoires et de lettres du comte de Guines au
duc de La Vrillière._



PIÈCES JUSTIFICATIVES II

ANT 243 LETTRE DE Mᵐᵉ D’AIGUILLON


                                     Paris, 16 juin 1775.

... Je n’ai pas besoin de vous dire ce que j’ai éprouvé, en voyant
partir lundi M. d’Aiguillon seul et sans savoir quand et comment je
pourrai l’aller trouver. Ce qui est certain, c’est que, si j’ai la
possibilité de voir ma tête à couvert, je partirai. Il faut convenir que
notre position est plus cruelle que celle de tous les autres exilés que
j’aie vus.

M. de M(aurepas) a été envoyé à Bourges dans la maison de son cousin et
de son ami; et sa femme a pu ne pas le quitter. De plus, cet éloignement
ne marquait pas un acharnement comme le nôtre le prouve. Il n’avait
qu’une terre bâtie (Pontchartrain) qui était à quatre lieues de
Versailles où le roi allait souvent chasser... Nous en avons une bien
bâtie à 60 lieues où nous serions bien à notre aise; c’est pour cela
qu’on nous envoie à 200 lieues dans un endroit non bâti et où je ne puis
aller... M. de Choiseul, dont assurément le feu roi avait plus d’une
raison de se plaindre, a été envoyé chez lui, où non seulement sa femme
et sa sœur, mais tous ses amis l’ont suivi. Jamais on n’a imaginé de
trouver 60 lieues trop près: cela était réservé pour nous.



PIÈCES JUSTIFICATIVES III

CERTIFICAT DE RÉSIDENCE

_Commune de Marly.--District de Versailles._


Extrait des Délibérations de la commune de Marly.

_Nous_, soussignés, _maire_, _officiers municipaux_, _membres du conseil
général de Marly_, sur la demande faite par la citoyenne ci-après
nommée, sur l’attestation des citoyens _Gervais_, _Mottet_, _J.-Louis
Chicaneau_, _Claude Blein_, _Jean-Pierre Leroy_, _L. Durand_, _Louis
Rousseau_, _J.-J. Hauvy_, _L. Talveau_.

Que la citoyenne _de Plélo_, _veuve d’Aiguillon_, _douairrière_ (_sic_),
âgée de soixante-six ans, taille de 4 pieds 10 pouces, visage plein,
yeux bleus, cheveux grisonnants, bouche grande, est demeurant
actuellement à Rueil[633], maison appartenant à elle-même et _qu’il_
(_sic_) y réside sans interruption depuis juin dernier jusqu’à ce jour,
qu’elle a payé ses impôts depuis 1789 et _qu’il_ nous a justifié de la
prestation du serment sur la Constitution.

             Fait en la maison commune le 5 février 1793.

   _Signé_: _Langevin_ (_maire_), _Gagne_, _Fournier_, _Couturier_.

      Enregistré à Versailles, le 28 février 1793 (reçu 20 sols).

             _Certificat d’affiches pendant quinze jours_

                              à Marly, _Langevin_, maire,

                    à Rueil, _Lavoipierre_, maire.

       Visa du Directoire du district de Versailles, _Chaillou_.

                        Visa du département, _Lavoltere_.



PIÈCES JUSTIFICATIVES IV

ARCH. CHABRILLAN, carton 7, p. 117.


Le 13 pluviôse, an II.--Vu la déclaration, le Comité de sûreté générale
arrête que la ci-devant duchesse d’Aiguillon, en son domaine à Ruel, d.
de Versailles, sera transférée en la maison d’arrêt, _dite_ des
Anglaises, à Paris, que préalablement, les scellés seront apposés sur
ses papiers, distraction faite de ceux qui se trouveront suspects et
apportés au Comité de sûreté générale avec le procès-verbal; charge de
l’exécution du présent arrêté les citoyens Caplain et Quitelette,
membres du comité de sûreté de Saint-Cloud, qui s’adjoindront deux
autres membres du comité de sûreté ou deux officiers de Ruel, lesquels
pourront requérir la force armée nécessaire dudit lieu.

                               Dubarran, Jagot, Louis du Bas-Rhin, Guffroy.



PIÈCES JUSTIFICATIVES V

ARCH. CHABRILLAN, carton 25, p. 122.


Le 30 vendémiaire, an III.--Vu les différentes attestations des
autorités constituées de la commune de Ruel, près Paris, en faveur de la
dame veuve d’Aiguillon, détenue aux Anglaises, rue Saint-Victor, le
Comité arrête qu’elle sera sur-le-champ mise en liberté et les scellés
levés au vu du présent.

              _Les membres du Comité de sûreté générale_.

          Legendre, Lesage-Senault, Laporte, Dumont, Clauzel,
          Reverchon.



PIÈCES JUSTIFICATIVES VI

     ARCHIVES DE LA COMMUNE DE RUEIL. Communiqué par G. TAUSEND. _Acte
     de décès et d’inhumation de Mᵐᵉ d’Aiguillon._

COMMUNE DE RUEIL.


Aujourd’hui trente fructidor an quatre de la République française, onze
heures du matin, devant nous, agents municipaux de la commune de Rueil,
département de Seine et Oise, est comparu le citoyen Jean Charles
Antoine Chauvet[634], âgé de 44 ans, lequel nous a dit que, le jour
d’hier, vers les sept heures du matin, est décédée, en sa demeure
ordinaire, rue ci-devant dite du Château, la citoyenne Louise Félicité
de Bréan de Plélo, veuve d’Emmanuel Armand Duplessis-Richelieu
d’Aiguillon, âgée de 70 ans, d’une maladie de langueur; nous, agents
municipaux de la dite commune, nous nous sommes transportés en la
demeure de la dite citoyenne d’Aiguillon pour nous assurer de son décès,
lequel avons reconnu vrai et l’avons conduite au lieu destiné au repos
des corps[635], en présence des citoyens A. N. J. Bonvalet, âgé de 30
ans, demeurant à Paris, rue de la Chaise, Section de la Croix Rouge et
de Jean Jacques Hauvy, officier invalide, âgé de 55 ans, demeurant en
cette commune, témoins qui ont signé avec nous;

                        _Signé_: Quelen[636]. Chauvet. Hauvi. Bonau. Hugues.
                         Chambel. Debourges.



PIÈCES JUSTIFICATIVES VII

     _Inventaire après décès de Mᵐᵉ d’Aiguillon_, morte le 15 septembre
     1796, fait par le citoyen ARDENT, juge de paix (extrait).


_Le 16 prairial an V._

1º..... Dans la chambre de Mᵐᵉ d’Aiguillon, ayant vue sur la pièce
d’eau, au 1ᵉʳ étage:

1º Devant de cheminée et garniture cuivre;

2º Une bergère couverte en toile coton blanc, brodé vert;

3º Grand lit à couverture brodée et rideaux;

4º Un lit de repos, 6 chaises, 4 fauteuils;

5º Chiffonnier avec métier à tapisserie;

6º Bercelonnette d’enfant, glaces, canapé, tableaux de paysage, vue de
_Veretz, portraits de famille_.

_Serre_: 26 orangers et autres plantes diverses.

Dans un grand salon: Glaces, fauteuils, portraits de famille. _Buste en
bronze représentant le cardinal de Richelieu._[637] Bustes en biscuit
représentant _M. d’Aiguillon_, _Mˡˡᵉ de Navailles_.

_Dans les caves_: Vins de Hongrie, de Veretz, de Cahors, de Chypre, de
Bordeaux, de Saumur.

Dans la ferme: tombereaux, charrues, herses, 20 têtes de mouton, bélier,
5 vaches, 61 têtes de volaille.



INDEX ALPHABÉTIQUE DES NOMS CITÉS

_N.--Les numéros indiquent les pages. Ceux suivis d’un astérisque
indiquent les notes. Les noms en italique désignent les noms de lieu et
d’ouvrages._


A

ABRIEU (Chevalier d’), _secrétaire du duc d’Aiguillon_, 116, 326*, 342,
380, 382.

_Actes des Apôtres_, 354*.

ADÉLAÏDE (Mᵐᵉ), _fille de Louis XV_, 92, 164, 201, 201*, 202, 202*,
203, 216, 222, 223.

_Agen_, 36, 49, 314, 339, 341, 387*, 390, 392, 394, 395.

AYEN (Duc d’), 119.

_Agénois_, ancien pays de France, 1, 254, 261, 295, 326.

_Agénois_ (Domaine d’), 357.

AGÉNOIS (Comte puis duc d’), 1, 1*, 14, 16, 17, 18, 19, 20, 25, 26, 53,
316.

AGÉNOIS (Armand, comte d’), _fils du duc d’Aiguillon_, 316, 317, 318,
326, 327, 328, 332, 335, 338, 342, 345, 345*.

AGÉNOIS (Duchesse), 16, 20, 21, 23, 24.

AGÉNOIS (Duchesse d’), née Navailles, 346.

_Agénois_ (Hôtel d’, puis d’_Aiguillon_), 239*, 277, 346, 360, 368,
388*.

_Aiguillon_ (Château d’), 6, 10, 254*, 256, 257, 260, 263, 266, 268,
269, 271, 272, 280, 285, 286, 300, 301, 305, 309*, 311, 312, 314, 326,
330, 333, 338, 355*, 357, 357*, 358, 365, 385, 386*, 387, 388*, 389,
390, 391, 392, 394, 395.

AIGUILLON (Duchesse d’), _nièce du cardinal de Richelieu_, 36, 36*, 392.

AIGUILLON (Duc d’), _père du duc d’Agénois_, 22, 47, 48, 48*, 49, 50,
52.

AIGUILLON (Duchesse douairière d’), _née Crussol_, 7, 21, 23, 24, 74,
127, 147, 154, 167.

AIGUILLON (Comte et duc d’Agénois, puis duc d’), 1, 4, 6, 9, 10, 27,
29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 38*, 39, 40, 41, 41*, 42, 42*,
43*, 44, 45*, 46*, 47, 54, 57, 58, 59, 60, 60*, 61, 62, 63, 64, 65,
65*, 66, 67, 68, 69, 70, 72, 72*, 73, 74, 75, 76, 79, 81*, 82, 83,
84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99, 102,
103, 104, 104*, 105, 106, 107, 108, 109, 110, 110*, 111, 112, 113, 114,
115, 116, 117, 118, 119, 120, 121, 124, 126, 127, 128, 130, 131, 133,
134, 135*, 136, 140, 141, 145, 146, 147, 148, 151, 152, 152*, 153, 154,
155, 156, 157, 159, 160, 161, 162, 163*, 165, 167, 168*, 170, 171, 172,
173, 174, 175, 175*, 176, 177, 178, 179, 179*, 180, 181, 182, 183,
183*, 183*, 183*, 184*, 185, 186, 186*, 187, 188, 188*, 189, 189*, 190,
191, 193, 194, 195, 196, 197, 198, 199, 200, 201, 202, 203, 204, 205,
205*, 206, 206*, 206*, 207, 208, 208*, 208*, 209, 209*, 210, 210*,
210*, 210*, 211, 212, 213*, 214, 214*, 215, 215*, 216, 217, 218, 219,
220, 220*, 221, 222, 223, 224, 225, 226, 227, 227*, 231*, 231*, 232,
233, 234, 234*, 235, 235*, 236, 237, 238, 239, 240, 240*, 241, 242,
242*, 243, 243*, 244, 244*, 245, 246, 247, 248, 249, 250, 251, 252,
253, 253*, 254, 256*, 256, 257, 258, 260, 260*, 261, 261*, 262, 268,
270, 271, 273, 274, 274*, 275, 281, 286, 287, 288, 289, 290, 291, 292,
292*, 294, 296, 296*, 298, 299, 301, 302, 302*, 302*, 303, 303*, 304,
307, 309, 310, 311, 312, 314, 315, 315*, 315*, 316*, 317, 318*, 319,
320, 320*, 321, 322, 324, 326, 327, 328, 329*, 330*, 335, 337, 340,
341, 341*, 343, 344, 345, 346, 347, 348, 349, 350, 350*, 352, 356, 362,
362*, 366, 367, 376, 377, 379, 380, 381, 382, 384, 388*, 391, 392, 393,
395.

AIGUILLON (Louise-Félicité de Bréhan Plélo, duchesse d’), 1, 2, 3, 4,
6, 7, 8, 9, 12, 13, 14, 17, 33, 37, 38*, 42, 43*, 45, 54, 64, 65, 66,
68, 71, 72, 77, 78, 79, 80, 81, 85, 96, 97, 104, 113, 124, 125*, 126,
127, 128, 129, 130, 131, 132, 135, 138, 139, 141, 146, 147, 148, 150,
152, 160, 165, 165*, 166, 167*, 178, 180, 186, 190, 191, 192, 194,
194*, 197, 198, 206, 214, 218, 224, 224*, 229, 230, 231, 231*, 232,
233, 237, 238, 246, 256, 261*, 261*, 263, 264, 265, 266, 267, 269, 272,
276*, 277, 278, 279, 280, 282, 284, 288*, 289, 290, 296, 298, 298*,
299, 299*, 300, 301, 302, 302*, 302*, 308, 311, 313, 317*, 322*, 323,
323*, 325, 326, 328, 329, 329*, 331, 333, 335, 338, 339, 339*, 340,
341, 342, 342*, 342*, 344, 346, 347*, 351, 353, 355, 356, 356*, 357,
358, 358*, 360, 362, 362*, 363, 364, 365, 366, 367, 369, 371, 372, 373,
378, 386*, 388*, 389*, 391, 392, 394.

AIGUILLON (Agathe-Rosalie d’), 38.

AIGUILLON (Armande-Félicité d’), 25.

AIGUILLON (Duchesse d’), née Navailles, 356*.

AIGUILLON (Armand, duc d’), 354, 354*, 355, 355*, 383, 384, 385, 386,
387*, 388*, 389*, 394.

_Aiguillon_ (Maison d’), 355, 361, 365*, 392.

ALEMBERT (D’), 106, 139, 182, 220*.

ALEXANDRINE, 314.

ALLEMAGNE, 235.

ALMERAS (Henri d’). _Les amoureux de Marie-Antoinette_, 219*, 235*.

_Alsace_, 42.

_Alsace-Lorraine_, 174.

_Amboise_, 380.

AMÉCOURT (D’), _conseiller à la Grand’Chambre_, 319.

AMELOT, _intendant_, 341, 341*.

_Amérique_, 310, 331*.

ANGELUCCI, _libelliste_, 235.

_Anglais_, 310, 343.

_Angleterre_, 80, 111, 135, 183, 188, 209*, 210, 241, 310, 339, 386.

_Angoulème_ (Bailliage d’), 308.

ANSEAUME, _auteur comique_, 329*.

ANVILLE (M. d’), 281.

_Apologie de_ GILBERT, 279.

_Archives de la Bastille_, 117, 296*, 303*, 380*, 382*.

_Archives d’Ille-et-Vilaine_, 67*, 81.

_Archives nationales_, 67*, 68*, 72*, 75*, 76*, 78*, 78*, 79*, 80*,
82*, 93*, 94*, 96*, 115*, 124*, 130*, 132*, 138*, 139*, 143*, 149*,
167*, 169*, 169*, 180*, 191*, 207*, 213*, 230*, 232*, 246*, 246*, 263*,
278*, 280*, 281*, 298*, 298*, 299*, 299*, 299*, 300*, 300*, 300*, 301*,
301*, 302*, 302*, 302*, 302*, 303*, 303*, 303*, 303*, 307*, 307*, 308*,
309*, 309*, 309*, 310*, 310*, 311*, 313*, 313*, 314*, 314*, 314*, 315*,
315*, 320*, 324*, 324*, 324*, 325*, 325*, 325*, 325*, 325*, 327*, 328*,
331*, 332*, 332*, 332*, 333*, 333*, 334*, 334*, 335*, 335*, 339*, 339*,
340*, 341*, 341*, 341*, 343*, 344*, 344*, 344*, 346*, 346*, 347*, 358*,
364*, 387*, 388.

ARGENSON (_Mémoires du marquis d’_), 16, 17*.

ARMAILLÉ (Mᵐᵉ d’), _La comtesse d’Egmont_, 154, 154*, 208*, 209*.

_Armes_ (Place d’), _Versailles_, 197.

ARNETH (Comte d’), 223*.

ARNETH-FLAMMERMONT (D’). _Correspondance secrète entre Mercy-Argenteau
et le prince de Kaunitz_, 156*, 163*, 178*, 185*, 186*, 187*, 196*,
210*, 336*.

ARNETH-GEFFROY (D’). _Correspondance de Marie-Thérèse et de
Marie-Antoinette_, 120*, 121*, 210*, 211*, 215*, 222*.

ARNETH-GEFFROY (D’), _Correspondance secrète entre Marie-Thérèse et
Mercy-Argenteau_, 163*, 187*, 187*, 188*, 188*, 190*, 196*, 196*, 221*,
224*, 225*, 227*, 236*, 236*.

ARNOUX, 382.

_Arpajon_, 251.

ARTOIS (Comte d’), 173, 206, 380.

_Asie_, 331*.

AUGEARD. _Mémoires secrets_, 239, 239*.

_Aulnay_, 132.

AUMONT (Duc d’), _premier gentilhomme de la Chambre_, 217.

_Autriche_, 20, 135, 156, 161, 163, 165, 181, 183, 185, 187, 188*, 200,
211, 235, 262, 281, 283*.


B

_Babillard_ (_Le_) de BOISSY, 329, 329*.

BACHA, _surnom d’Aiguillon_, 167.

BACHAUMONT (_Mémoires secrets dits de_), 43*, 43*, 82*, 93*, 101, 101*,
109, 110*, 112*, 119*, 120*, 137*, 191, 191*, 197, 247*, 263*, 296*,
320*.

_Bagnères_, 45, 57, 155, 264, 265, 300, 302, 332, 333.

_Bâle_, 387*.

BALLEROY (F.-A. Chevalier de), 8, 9, 13, 23, 31, 39, 54, 67, 68, 71,
72, 74, 76, 82, 93, 96, 97, 116, 127, 128, 129, 130, 141, 152, 158,
166, 169, 191*, 193*, 198*, 207*, 213*, 229, 231*, 246, 260, 262, 263*,
270, 276, 277, 280, 281, 284, 286, 297, 298*, 299*, 300, 303, 304, 305,
309, 309*, 313, 315, 316, 320, 322*, 323*, 325, 326*, 326*, 327, 328*,
330, 332, 333, 334, 335, 338, 343*, 344, 345, 346, 349, 352, 364, 380.

BALLEROY (Charles-Auguste, marquis de), 9, 73.

BALLEROY (Marquise de la Cour de), 9.

BARBIER (_Journal de_), 12*, 34*, 85*.

_Barbier de Séville_ (_Le_), 235.

_Barèges_, 112, 120, 300, 300*.

BARDIN (Abbé). _Châteauneuf_, 299*.

BARRIN (Général, vicomte de), 73, 115.

BARTHÉLEMY (Abbé), 166, 197, 385.

BARTHÉLEMY, 395.

BARTHÉLEMY (E. de), 9, 76.

_Basse-Normandie_, 277.

_Bastille_ (_Château de la_), 61, 206, 206*, 207, 225, 240, 241, 242,
270, 283*, 380, 382, 385.

BAUDEAU (_Chronique de l’abbé_) _Revue rétrospective_, 141, 141*, 219,
219*, 220, 222, 224, 227, 239.

BAUDRY, 65.

_Bayeux_, 9, 324, 380.

BAULIEU, général autrichien, 370*.

BEAUMARCHAIS (Caron de), 220*, 235, 236, 236*, 251, 339, 378, 379.

BEAUVAU (Princesse de), 151, 253*.

BEC-DE-LIÈVRE, 115.

BELLE-ISLE (Maréchal de), 32, 87.

_Belle-Poule_ (_Coiffure à la_), 313.

BELLEVAL (De). _Souvenirs d’un Chevau-Léger_, 63, 63*, 64, 89, 92, 92*,
94, 94*, 96, 96*, 97, 99, 100, 100*, 104*, 158, 158*, 249, 250, 250*,
251, 251*, 252, 252*, 252*, 254*, 258, 258*, 260, 261, 265, 265*, 276,
287, 290*, 311*, 355*.

_Berlin_, 181, 209*.

BERNET, homme d’affaires de la famille d’Aiguillon, 355, 356.

BERNIS (Cardinal de), ambassadeur à Rome, 321, 380.

BERTIN, contrôleur général, 34, 34*, 92.

BESENVAL (_Mémoires de_), 173*, 244, 244*, 245, 245*, 256*, 257, 258.

BOUILLON, médecin du Roi, 26.

_Bijou des Dames_, 313.

BINET DE BEAUPRÉ, 345.

_Biographie universelle des Contemporains_, 385.

BLACHE, 356*.

BLOME (Baron de), ministre de France en Danemark, 186.

_Bohémienne_ (_La_), 307, 307*.

BOIGNE (_Mémoires de Mᵐᵉ de_), 222*.

BOISGELIN (Comtesse de), 262, 263.

BOISSY, auteur comique, 329*.

BONAPARTE (Général), 370*.

BONNIER DE LA MOSSON, 395.

_Bordeaux_, 124, 125, 125*, 201, 323*, 324.

BORDEU, médecin de Mᵐᵉ Du Barry, 241.

BOSSEBEUF (Abbé), _Histoire du château de Veretz_, 52*, 367*.

BOUCHOT (Henri). _La miniature française_, 240*.

BOUDET _de Monbrison_, 391.

BOUFFLERS (De), 232.

BOUILLON (Duc de), 217.

BOURBON (Maison de), 134, 135, 188*, 235*, 261, 284.

BOURDIER, banquier de Londres, 241.

_Bourges_, 264, 344.

_Bourg-la-Reine_, 341.

BOUTARIC. _Correspondance de Louis XV_, 140*, 180*, 206*, 226*.

BOUTRY. _Autour de Marie-Antoinette_, 181, 182, 183*.

BOYNES (M. de), ministre de la Marine, 160, 160*, 209*, 210*, 210*, 225.

BOYSSE, 198*.

BREHAN PLELO (Le comte de), ambassadeur à Copenhague, 1, 14*, 16*, 20.

BREHAN PLELO (Louise-Françoise de la Vrillière, comtesse de), 1, 11,
12, 13.

BREHAN PLELO (Louise-Françoise-Félicité), 1, 2, 3, 4, 12, 13, 14, 15,
16.

BREHAN (Marquis de), frère consanguin du comte de Plelo, 14.

BREHAN (Marquis de), _Généalogie_ de la Maison de Brehan, 373*.

_Brest_, 29, 38.

_Bretagne_, 9, 10, 34, 35, 36, 37, 38, 40, 41, 42, 44, 46, 60, 60*, 63,
66, 68, 73, 74, 75, 76, 82, 83, 88, 94, 101, 106, 110, 117, 125, 128,
130, 132, 139, 143, 144, 145, 151, 155, 156, 159, 169, 220, 231, 231*,
232, 247, 248, 268, 277, 307, 350, 384.

_Bretagne féodale et militaire_ (_La_), 256*.

BRILLAT-SAVARIN, 170.

BRIONNE (Comtesse de), 240*.

BRISSAC (Duc de), 119, 133, 353*.

BRISSAC (Duchesse de), 342*.

BRISSOT (_Mémoires de_), 54, 90, 90*, 110*, 110, 385.

_British Museum_, 20.

BROC (Général de), 54, 73.

BROGLIE (Comte de), 143, 175, 175*, 176, 180, 181, 185, 204, 205, 206,
206*, 207, 208, 212, 215, 220, 225, 242, 310, 310*.

BROGLIE (Duc de). _Le Secret du Roi_, 67*, 146*, 174*, 175*, 176, 176*,
180, 182, 184, 184*, 185*, 188*, 204*, 205*, 205*, 206*, 206*, 207*,
209*, 225*, 225*, 310*.

BROSSES (_Lettres du Président de_), 148.

_Brouage_, 47.

_Bruxelles_, 240, 395.

BUFFENOIR. _Feuilles d’histoire_, 362*.

_Bulletin de la Société archéologique de Touraine_, 48.

_Bulletin du Bibliophile_, 76, 260*, 262*, 270*, 286*, 304*, 323*.


C

CAEN (Mᵐᵉ de), 303.

CAFFIERI, 391.

CAHOUET DE VILLERS (_Affaire de la_), 295.

_Calais_, 355.

CALAN, _Revue de Bretagne et Vendée_, 65*, 72*, 73*, 308*.

CALONNE, contrôleur général, 56, 56*, 58, 249.

CAMPAN (Mᵐᵉ). _Mémoires sur Marie-Antoinette_, 185*, 219*, 247, 247*,
355*.

_Canada_, 28.

CANDIDE, 230, 231*, 280.

_Caquets_ (_Les_), _Comédie de_ RICCOBONI, 339, 339*.

CARNÉ. _Etats de Bretagne_, 41*.

_Carnet historique_ (_Le_), 26*.

CARPENTIER, 98.

CARRACIOLI, ambassadeur des Deux-Siciles, 161.

CARRÉ. _La Chalotais et d’Aiguillon_, 44*, 60*, 62*, 63*, 64*, 65*,
66*, 67*, 68*, 69*, 72*, 73*, 74, 74*, 77*, 231*, 239*, 268*.

CATHERINE, impératrice de Russie, 182.

CATHERINE DE MÉDICIS, 151.

CAVENDISH (Lord), 29, 31, 35.

CAZALÈS, 354*, 384.

CEDOZ (Abbé). _Un couvent de Religieuses anglaises à Paris_, 358*.

CHABRILLAN (Comte de), 239*.

CHABRILLAN (Marquis de), mari de Mˡˡᵉ d’Aiguillon, 54, 278, 280, 317.

CHABRILLAN (Comte de), 324, 333, 334*.

CHABRILLAN (Innocente-Aglaë d’Aiguillon, marquise de), 27, 233, 284,
287, 295, 373*.

CHABRILLAN (Emmanuel, vicomte de), 355, 365.

CHABRILLAN (Hippolyte-César de Moreton de), 373*, 374*.

CHABRILLAN (Pierre-Charles-Fort-de-Moreton de), 374*.

CHABRILLAN (Marquis de), 11, 41*, 245*, 261*.

CHABRILLAN (_Archives_), 23*, 29*, 264, 272, 279*, 287*, 356*, 360*,
360*.

_Chaise_ (_Rue de la_), 353*.

CHAMFORT, 152*.

CHAMFORT. _Œuvres_, 152*.

_Chanson des Philosophes_, 147.

_Chanteloup._ _Château du duc de Choiseul_, 6, 141, 147, 166, 171, 172,
232*, 340, 380.

CHARLES Iᵉʳ, 137.

CHARTRES (Evêque de), 78.

CHARTRES (Duc de), 310*.

_Chasseurs et la Laitière_ (_Les_), d’ANSEAUME, musique de DUNI, 329,
329*.

_Châteauneuf-sur-Loire_ (Château patrimonial des La Vrillière), 299,
299*.

_Château-Dauphin_, château-fort près de Saluces, 20.

CHATELET (Du), 87, 171, 172, 173, 299, 299*, 347, 347*.

CHATEAUROUX (Marquise de la Tournelle, duchesse de), 16, 17, 18, 19,
20, 21, 140, 218.

CHAULNES (Duc de), 45, 96.

CHAULNES (Mᵐᵉ de), 278.

CHAUVELIN (Mᵐᵉ de), 8, 169.

CHESNAYE-DESBOIS (_Dictionnaire de la_), 1.

_Cher_, 48, 48*, 49.

_Cherbourg_, 29, 344, 344*, 344*.

CHÉTARDIE (Marquis de la), 395.

CHOISEUL (Duc de), 4, 6, 32, 35, 43, 44*, 59, 61, 78*, 84, 86, 87, 88,
89, 89*, 90, 91, 92, 96, 97, 102, 103, 104*, 111, 112, 120, 121, 127,
133*, 134, 135, 135*, 136, 137*, 139, 140, 141, 142, 142*, 143, 145,
146, 149, 151, 156, 159, 165, 170, 171, 172, 173, 173*, 174, 175, 176,
179*, 181, 186, 204, 208, 211, 214*, 216, 220, 221, 225, 232, 242, 244,
245, 247, 250, 254, 259, 263, 270, 271, 273, 282, 292, 296, 304, 321,
333, 346*, 347, 347*, 348, 366, 377, 380.

CHOISEUL (Duchesse de), 2, 3, 4, 5, 7, 127, 145, 145*, 147, 153*, 165,
166, 167, 173, 220, 356*.

CHOISEUL (Vicomte de), 93.

_Choisy_, 27, 96, 121, 149, 173, 221, 222*.

CHOLLET, banquier de Londres, 241.

_Chronique scandaleuse_, 354*.

CINQ MARS, 392.

CLAIRFONTAINE (M. de), 314.

CLAIRON (Mˡˡᵉ), 101, 308.

CLAUDE SAINT-ANDRÉ (_Mᵐᵉ du Barry_), 89*, 104*, 151, 151*, 311*, 355,
355*, 356*.

CLÉMENCEAU, jésuite, 67.

COIGNY (Duc de), 282, 304.

COLLÉ (_Journal et Mémoires de_), 230, 230*.

_Compiègne_, 88, 160, 169.

CONDÉ (Prince de), 89*, 144, 214*, 214*.

CONDOM (Evêque de), 36, 325, 339.

CONDORCET, 116.

CONIAC (M. de), 45, 340.

CONTANT, 387.

CONTI (Prince de), 342*.

CONTI (Louise-Elisabeth de Condé, princesse de), 48, 48*, 49, 51.

CONTI (Abbesse de), 52.

_Copenhague_, 14.

CORNULIER DE LUCINIÈRE, 105.

_Correspondance de Condorcet et de Turgot_, 116.

_Correspondance Fontette-de la Noue_, 268*.

_Correspondance littéraire_, 30*.

_Correspondance secrète_, 292*, 293*, 296*, 302*, 310*, 311*, 317,
318*, 342*, 342*, 343*, 344*, 345*, 347*, 354*.

_Côtes-du-Nord_, 29.

COUSERAN (Evêque de), 339.

COUTAUSSE, 387.

CRESSANT., 394.

CREUTZ (Baron de), ministre de Suède à Versailles, 179, 205, 209*, 283,
362.

CRILLON (Général duc de), 339, 339*, 341.

CROMOT, premier commis des Finances, 89, 89*, 214*.

CROZAT, financier, 134.

CROY (Prince de), 42, 46, 61, 214, 218, 220.

CROY (_Journal de_), 27*, 34*, 41*, 42*, 46*, 160*, 214*, 218*, 220*,
222*, 223*.

CRUSSOL (Louise de), 392.

CUSTINES, 385.


D

DAMIENS, 85.

_Danemark_, 292.

DANCOURT, 330*.

DANTON, 353*.

DANTZICK, 180.

DAUPHIN (Le), père de Louis XVI, 325, 348.

DAUPHIN (Le), 42, 44, 84, 86, 111, 150, 151, 173, 185, 185*, 202, 203,
207, 208, 274*.

DAUPHIN (Le), fils de Louis XVI, 347.

DAUPHINE (La), MARIE-ANTOINETTE, 111, 112, 122, 150, 155, 161, 162,
163*, 164, 169*, 178, 178*, 186, 187, 188, 189, 194, 195, 199*, 199,
201, 201*, 203, 214, 274*.

DELILLE (Abbé), 220.

DELONG (Mˡˡᵉ), 342.

DESNOS, évêque de Rennes puis évêque de Verdun, 132, 276*, 307, 307*.

DESNOS, imprimeur, 313.

_Déserteur_ (_Le_), 100, 118.

_Devin de village_, de J.-J. ROUSSEAU, 339, 339*.

DINAUX. _Sociétés Badines_, 230, 230*.

DINO (Duchesse de), _Chronique_, 323*.

DOILLOT, notaire, 342*.

DROUAIS, 391, 392.

DU BARRY (Marie-Jeanne Vaubernier, comtesse), 6, 10, 88, 88*, 91, 92,
93, 96, 97, 98, 99, 104*, 118, 120, 121, 124, 126, 135*, 136, 137,
137*, 139*, 140, 147, 151, 152, 153, 155, 161, 164, 165, 166, 168,
168*, 170, 171, 172, 175*, 178, 179, 181, 183*, 184, 185, 186, 187,
190, 194, 195, 197, 198, 200, 201, 202*, 203, 204, 205, 214, 214*, 216,
217, 218, 221, 251, 254, 267, 275, 276, 295, 311, 311*, 312, 341, 345,
353*, 353*, 355, 356*, 376, 378, 379, 391.

DU BARRY (Adolphe), neveu de la comtesse, 311.

DU BARRY (Claire-Félicité, surnommée CHON), belle-sœur de la Favorite,
151, 151*, 194, 195, 200, 202, 204, 312.

DUBEC, 382.

DUBOIS-MARTIN, secrétaire du comte de Broglie, 205.

DUBOIS DE LA MOTTE, (Mᵐᵉ), née BOISGELIN DE CUCÉ, 302, 307, 314, 315*.

DUCLOS. _Mémoires_, 109, 139.

DU DEFFAND (Mᵐᵉ), 5, 6, 7, 21*, 61, 73, 74*, 91*, 103*, 104, 104*, 115,
127, 130, 145, 145*, 147, 148, 156, 157, 160, 165, 167, 172, 173, 176,
197, 197*, 205*.

DU DEFFAND (_Lettres de Mᵐᵉ_), 127*, 130*, 145*, 147, 148, 153, 157,
160*, 165*, 205*.

DU GAS DU BOIS SAINT-JUST. _Paris, Versailles et les Provinces_, 119,
120.

DUMOURIEZ, 174, 176*, 205, 206, 206*, 206*, 214*, 241, 242, 385.

DUNI, compositeur de musique, 329*.

DURAS (Duc de), 72, 73, 82, 87, 110*, 131, 132, 142, 170, 231.

DUFORT DE CHEVERNY, _Mémoires_, 353*.

DURAND, 389.

DURAND, chargé d’affaires, 176, 176*.

DUTENS. _Mémoires d’un voyageur qui se repose_, 379.

DU TILLET, 395.


E

EFFIAT, 392.

EGMONT (Comtesse Septimanie d’), fille du maréchal de Richelieu, 153,
154, 155*, 156, 169, 170, 179, 208, 209*.

EGMONT (Comte d’), 154, 170*.

EGMONT (Alphonsine-Louise-Félicité d’), 170*.

_Ek._ _Domaine du baron de_ SCHEFFER, 360, 369.

_Elite des Almanachs_, 313.

_Entretiens de l’autre monde_ (_Les_), 267, 267*.

_Epreuve villageoise_ (_L’_), de GRETRY, 313, 313*.

ESCOURRE (Chevalier d’), écuyer du duc de Brissac, 353*.

_Espagne_, 135, 140, 216, 339*, 347.

_Espagnols_, 343.

ESPARBÈS (Mᵐᵉ), 307, 365.

_Espion anglais_ (_L’_), 204*, 238*.

_Espion dévalisé_ (_L’_), Baudoin de Guemadec, 204*.

_Espion français_ (_L’_), 308*.

ESTERHAZY, 304.

ESTERNO (D’), 340.

_Etats-Unis_, 310*, 331*.

_Europe_, 160, 186*, 188*, 191, 194, 274, 364.


F

FAGON, auteur comique, 822*.

_Famille extravagante, de_ LEGRAND, _musique de_ GUILLION, 313, 313*.

FAUCHET (Abbé), 353*.

FAVART, auteur comique, 322*.

FAVART (Mᵐᵉ), 197.

FAVIER, 175, 205, 206, 207, 242.

_Fête villageoise_ (_La_), _de_ VOISENON, 197.

FETIS, 395.

_Figaro_ (_Le mariage de_), de BEAUMARCHAIS, 339.

_Filles anglaises_ (_Les_). Couvent transformé en prison, 358, 364*.

FITZ JAMES (Duc de), gouverneur de Bretagne, 230, 231*, 299, 299*, 315,
327, 328*, 332, 343.

FLAMARENS (Mᵐᵉ de), nièce de Mᵐᵉ de Maurepas, 342*, 344, 353*, 365.

FLAMMERMONT. _Correspondance des agents diplomatiques étrangers_, 208*.

FLAMMERMONT. _Le chancelier Maupeou et les Parlements_, 125*, 134*,
163*.

_Flandre_, 368.

FLAVACOURT (Mᵐᵉ de), 17.

FLÉCHIER, 80.

FLESSELLES (De), intendant de Rennes et puis de Lyon, 67, 268, 276,
307, 324.

FLESSELLES (Mᵐᵉ de), 303, 307.

FLEURY (Vicomtesse de), 191.

FLEURY (Comte). _Louis XV, intime_, 217*.

FOISSET. _Le Président de Brosses_, 148*.

FONTAINE DE RESBECQ. _Les Tombeaux des Richelieu à la Sorbonne_, 192*.

_Fontainebleau_, 57, 87, 95, 167*, 169, 274, 276.

FONTETTE (Le chevalier de), 44, 58, 63, 66, 68, 73, 276.

FONTETTE (Mˡˡᵉ de), 313.

FORCALQUIER (Comtesse de), 103, 103*, 231*, 320, 320*.

FOUQUET, 326.

FOUQUIER-TINVILLE, 236*.

_France_, 111, 119, 135, 144, 146, 156, 163*, 174, 178*, 179, 180,
183*, 185, 186*, 191, 210, 211, 226, 233, 235, 241, 242, 270, 281, 291,
295*, 310, 310*, 339, 345*, 356, 356*, 358, 364, 364*, 370, 371, 373,
385.

FRANCE (M. et Mᵐᵉˢ de), 292.

FRANÇOIS Iᵉʳ, 49.

FRÉDÉRIC II, roi de Prusse, 28, 176*, 180, 181.

FRÉDÉRIC II (_Mémoires de_), 185.

_Fronsac, près Libourne_, 324.

FRONSAC (Duc de), fils du maréchal de Richelieu, 279, 323.

FUENTÈS, ambassadeur d’Espagne, 161.

FUNCK BRENTANO (Fr.). _Nouvelle revue rétrospective de Paul Cottin_,
206*.

FUNCK BRENTANO (Fr.). _Les Nouvellistes_, 175.

FUNCK BRENTANO (Fr.). _Figaro et ses devanciers_, 380*.


G

GAIGNEUX, 47.

GALIBERT (M. de), 303, 313.

GALLIFFET (Mˡˡᵉ de), 279.

GARNIER, 394.

GARVILLE, 106, 107, 108, 109.

_Gascogne_, 257, 267.

GASTON (Abbé), _Une prison parisienne sous la Terreur_, 358*.

GAULARD DE SAUDRAY, chargé d’affaires à Berlin, 181.

GAUTHIER, homme de loi, 357.

_Gazette de France_, 213*, 350, 369.

GEFFROY. _Gustave III et la Cour de France_, 179*, 207*.

GEOFFRIN (Mᵐᵉ), 106.

_Genève_, 378.

GENLIS (Mᵐᵉ de). _Souvenirs de Félicité_, 293*.

GENLIS (M. de), 331.

GEORGEL (Abbé), secrétaire du cardinal de Rohan, _Mémoires_, 84, 184*,
185, 310*.

_Gibraltar_, 339, 339*, 341, 343.

GILBERT, 279.

GIRAC, évêque de Saint-Brieuc, 72, 131, 132, 307*, 308.

GIRARDIN (M. de), 309.

GISORS (Mᵐᵉ de) née Fouquet, 325, 325*.

GLEICHEN (_Souvenirs du baron de_), 205, 205*.

GONCOURT (E. et J. de). _La Du Barry_, 111*, 135*, 151*, 153*, 214*,
392.

GONCOURT (E. et J. de). _Mᵐᵉ de Pompadour_, 32*.

GONCOURT (E. et J. de). _La Duchesse de Châteauroux et ses sœurs_, 16,
16*, 19*.

GOUPIL, inspecteur de police, 380, 381, 382.

GOYON (Comte de), 124*, 128, 129.

GRAMONT (Mᵐᵉ de), 278.

GRAMONT (Duchesse de), 120, 121, 347*.

GRAMONT (Comte de), 218.

GRASSET. _Mᵐᵉ de Choiseul et son temps_, 92.

GRÉCOURT (Abbé de), 48, 51.

_Grenelle_ (_Rue de_), 353*.

GRETRY, 313.

GRIMM (_Correspondance de_), 80*, 146*.

GRIMBLOT, 205*.

_Gros-Caillou_ (_Hôpital du_), 345.

GRÜN. _Feuillets d’histoire_, 103*.

GUEMÉNÉ (Princesse de), 270, 273, 282.

GUEMÉNÉ-MONTBAZON (Prince de), 199*, 342.

GUERRE (De la), 115.

_Guerre de Sept Ans_, 27, 28.

GUESBRIANT (Marquise de), 64.

GUIBERT (Comte de), auteur de la _Tactique_, 206*.

GUILLONEAU, notaire. _Inventaire du château de Veretz_, 367*.

GUILLIERS, compositeur de musique, 313*.

GUIMBAUD. _P. Auget de Montyon_, 353*.

GUINES (Comte, puis duc de), ambassadeur de France à Londres, 226, 240,
241, 242, 243, 243*, 244, 245, 246, 247, 247*, 252, 254, 257, 265, 270,
271, 273, 274, 281, 282, 282*, 283, 283*, 285, 288, 297, 298.

GRANDSAIGNE et H.-C. DUCHESNE, _Histoire du Château de Madrid_, 342*.

GUSTAVE-ADOLPHE, 361.

GUSTAVE, prince de Suède, 146, 146*.

GUSTAVE, roi de Suède, 155, 179, 180, 208*, 209, 209*.


H

HAGA (Comte de), 147.

_Hambourg_, 205*, 206*, 214*, 385, 386.

HARCOURT (Duc d’), 344.

HARCOURT (Mᵐᵉ d’), 333.

HARDY (_Journal de_), 58, 88, 89*, 130, 218, 291, 294, 294*.

HAUSSET (Mᵐᵉ du), _Souvenirs_, 32*.

HAVRÉ (Mᵐᵉ d’), 333.

HÉBERT, procureur de la Commune, 236*.

HELVÉTIUS, médecin du roi, 217.

HEMERY (D’), inspecteur de Police, 120.

HENRI IV, 390.

_Hermitage_ (_L’_), 121, 335.

HÉVIN, 105.

HOCQUART (Mˡˡᵉ), 13.

_Hollande_, 368.

HORST (D’), 208*.

HUNOLSTEIN (D’). _Correspondance inédite de Marie-Antoinette_, 221*.


I

_Insurgent_ (_Coiffure à l’_), 313.

_Intermédiaire des Chercheurs et des Curieux_, 391*.

ISABEAU, 394.

_Italie_, 321.


J

JACQUIN ET DUESBERG. _Histoire de Ruel_, 219*.

JEAN-JACQUES (Rousseau), 52.

JAUCOURT (Le chevalier de), 204.

JAUCOURT (Marquise de), 302*.

JOBEZ. _Histoire de Louis XV_, 42*, 43*, 205*.

JOLY, 360.

JOLY DE FLEURY, 103*.

JOSEPH, archiduc, 257*, 259, 304.

JOSEPH II, empereur d’Allemagne, 184*, 196*, 304*, 336*.

_Joueur_ (_Le_), de REGNARD, 229, 329*.

_Journal de la Cour et de la Ville_, 354*, 383.

_Journal historique de la Révolution opérée dans la Constitution de la
monarchie française par M. de Maupeou_, 307*.

_Journal de Paris_, 350.


K

KAUNITZ (Prince de), ministre des Affaires étrangères à la Cour de
Vienne, 96, 157*, 163*, 164, 170*, 180, 183, 186, 188, 196*, 210*, 236,
236*, 336*.

KELLY (Michel). _Mémoires_, 385.

KEN (Milord), 5.

KERGUEZEC, 44.


L

LA BORDE, banquier de la cour, 127, 217, 375, 377, 378.

LA BARRE (Le chevalier de), 47, 106.

LA BOURDAISIÈRE, 52.

LA CHALOTAIS (Caradeuc de), 6, 42, 43, 44, 45, 46, 56, 56*, 58, 58*,
59, 61, 67, 74, 76, 92, 102, 112, 115, 117, 143, 155, 160, 220, 232,
247, 248.

LA CHALOTAIS (Caradeuc de), fils du précédent, 45.

LA CHATRE, 54.

LA COSTE (Comte de), 250.

LACOUR, 270.

_La Ferté_ (_Château de_), 127.

LA FERTÉ (_Journal de_ PAPILLON de), 198.

LAFITE DE PELLEPORE. _Diable dans un bénitier_ (_Le_), 379.

LAKER, 55.

LA HARPE, 347*.

LAIGLE (De), 115.

LAIGLE (Mᵐᵉ de), 132, 264, 364, 364*, 365, 368, 371, 372.

LAFFRAY (Abbé), 347*.

LALANNE (_Correspondance de_), 30*, 33*.

LALLY TOLLENDAL (De), 115.

LA MARCHE (Comte de), 169.

LAMBALLE (Princesse de), 64.

LA MARTINIÈRE, premier chirurgien du roi, 217, 233.

LAMOIGNON, premier président du Parlement de Paris, 217*.

LA MOTTE (Mᵐᵉ de), 380*.

LANGE (Mˡˡᵉ), 91.

LANGEAC (Les), bâtards du comte de Saint-Florentin, 297, 346.

_Languedoc_, 120, 324.

LA NOUE, 41, 45, 54, 63, 64*, 68, 73, 77, 276.

LA PEYRONIE, médecin du roi, 26.

LA PORTE DE LA MEILLERAYE (De), 47.

LA REYNIÈRE (M. de la), 347.

_La Rochelle_, 47.

LA ROCHETERIE (De). _Marie-Antoinette_, 86*, 181*, 184.

LA TRÉMOILLE (Duc de), 17, 65.

LA TRÉMOILLE (Duchesse de), 65.

LA TRÉMOILLE (Duchesse de), fille des précédents, 65.

LAUZUN (Philippe). _Documents relatifs à l’entrée du duc d’Aiguillon à
Agen_, 36*.

LAUZUN (Duc de). _Mémoires_, 270*, 282*, 283*.

LA VALLIÈRE (M. de), 325, 326*.

LAVERDY (De), contrôleur général, 60, 66, 67, 87, 89*.

_La Vrillière_ (_Maison de_), 293, 296, 327.

_La Vrillière_ (_Hôtel_), _rue Saint-Dominique_, 299.

LEBRUN. _Opinions_, 184*.

LE CAUSEUR, 391.

LECLERC, 48*.

LESCZINSKY (Stanislas), 20.

LESCZINSKA (Marie), reine de France, 20, 21, 77.

LEGRAND, auteur comique, 313*.

_Le Havre_, 29.

LEHOC, ambassadeur de France en Suède, 370, 370*.

LEM (Mᵐᵉ), 56, 110*.

LEMOY. _Le Parlement de Bretagne et le Pouvoir royal_, 57*, 65*, 124,
231*.

LENOIR, conseiller d’Etat, 58, 58*.

LESCURE (De), 130*, 136*, 140, 157*, 205*, 238*, 292*, 293*, 296*,
302*, 310*, 311*, 318*, 320*, 342*, 343*, 344*, 345*, 354*.

LESPINASSE, 389.

LE TELLIER, peintre, 240*.

_Lever de l’aurore._ Pamphlet, 382.

LEVIS (Duc de). _Souvenirs_, 244*.

LIANCOURT (Duc de), 217.

LIBRI, 235*.

LINGUET, 32*, 103*, 105, 106, 108, 109, 110, 124, 127, 131, 133*, 248,
349, 350, 352.

LINGUET. _Aiguillonana_, 133*, 237*, 248*.

LISTENAY (Chevalier de), 74.

_Lodi_, 370*.

LOHÉAC (M. de), 128, 129.

_Loire_, 52, 55.

LOMÉNIE (L. de). _Beaumarchais et son temps_, 235*, 379.

_Londres_, 226, 241, 378, 379, 385.

LORRY, médecin du duc d’Aiguillon, 217.

_Lot-et-Garonne_, 387, 389, 390, 392, 394.

LOUIS, architecte, 323*.

LOUIS XII, 225.

LOUIS XIII, 47, 375, 388, 390.

LOUIS XIV, 58, 375.

LOUIS XV, 1, 1*, 3, 57, 61, 67*, 70, 87, 88, 93, 102, 105, 111, 112,
113, 115, 118, 119, 121, 122, 125, 127, 135*, 137*, 138, 140, 141, 145,
157*, 162, 163, 163*, 164, 165, 170, 173, 175, 175*, 175*, 176, 177,
179, 180, 181, 185, 187, 189, 201, 203, 205, 206, 207, 207*, 211, 214*,
214*, 216, 217, 217*, 218, 219, 220, 220*, 220*, 222, 224, 225, 232,
242, 251, 264, 267, 283, 284, 296, 345, 348, 366, 378, 379, 380, 390.

LOUIS XVI, 163*, 175*, 217, 221, 222, 225, 230, 233, 234, 235*, 244,
245, 246, 247, 252, 254, 255, 259, 276*, 282, 288, 320, 325, 331*, 335,
344*, 347, 377, 379, 380.

_Louvre_, 321.

_Luciennes_ (_Louveciennes_), 166, 167, 267.

_Luxembourg_ (_Palais du_), 321.

LUYNES (Cardinal de), 378.

_Lyon_, 268, 324.

LYONNE (Mᵐᵉ de), 278.


M

_Machines du gouvernement français._ _Pamphlet_, 276*.

_Madrid_, 188.

_Madrid_ (_Château de_), _au bois de Boulogne_, 342, 342*, 344, 346.

MAGEN, 391.

MAILLE, parfumeur, 307.

_Mailly_ (_Maison de_), 299*.

MAILLY (Comtesse de), 19.

MALESHERBES, 276*.

_Malouines_ (_Iles_), 135*.

MANCINI (H.), 391.

_Mannequins_ (_Les_), 276*.

MANUEL. _Police dévoilée_, 379.

MARCEL MARION. _La Bretagne et le duc d’Aiguillon_, 36*, 42*, 43*, 45,
45*, 54, 65, 83, 83*, 103, 115, 117*, 145.

MARIE-ANTOINETTE, 6, 24, 111, 120, 121, 163*, 165, 170, 189, 190, 194,
195, 195*, 196, 200, 201, 203, 210*, 215, 215*, 221, 222*, 223, 224,
225, 234, 234*, 235, 240, 240*, 243, 244, 246, 250, 251, 252, 253,
253*, 254, 256, 257, 260, 262, 268, 270, 282, 282*, 283*, 287, 288,
294, 304, 318, 320, 321, 336, 347, 348*, 349, 354, 354*, 359, 380.

MARIE-THÉRÈSE (L’impératrice), 111, 120, 135, 156, 163*, 164, 169*,
177, 178*, 180, 181, 181*, 182, 183, 184*, 184*, 185, 185*, 186, 188,
188*, 190, 195, 195*, 196, 199*, 200*, 202, 202*, 207, 208, 208*, 210,
211, 215*, 215*, 221*, 222*, 225*, 234, 235, 236*, 240, 243*, 258, 259,
259*, 260, 262*, 274*, 282*, 283*, 287, 289*, 296*, 304, 336, 336*.

MARIN, 382.

MARIVAUX, 17.

_Marly_, 115, 287, 311*, 318.

MARMONTEL, 106, 106*.

MARMONTEL (_Mémoires de_), 106, 107, 108, 109.

_Marmousets_ (_Rue des_), 357.

_Marmoutier_ (_Abbaye de_), 52.

MARSAN (Comtesse de), 177, 190.

MARTIN, cuisinier, 191, 240*.

MASSAC (Mˡˡᵉ), 338.

MASSON (Frédéric). _Le cardinal de Bernis_, 211, 211*.

MASSON (Frédéric). _Napoléon intime_, 237*.

MAUGRAS. _M. et Mᵐᵉ de Choiseul_, 91*, 121*, 135*, 137*, 139*, 141,
171*, 172*.

MAUGRAS. _Disgrâce de Choiseul_, 199*, 346*.

MAUPEOU (Le chancelier), 57, 73, 90, 91, 91*, 91*, 102, 103, 105, 112,
115, 118, 124, 125*, 132, 133, 133*, 134, 135, 135*, 136, 137, 139,
141, 143, 144, 148, 151, 160, 182, 183, 183*, 189*, 190, 197, 200, 211,
216, 217*, 220, 225, 226, 233, 239, 349.

MAUREPAS (Comte de), 12, 14, 18, 19*, 146, 152, 222, 222*, 222*, 223,
224, 231, 232*, 234, 234*, 238, 238*, 239, 245, 248, 252, 253, 253*,
254, 255, 256, 260, 260*, 261, 262, 263, 265, 266, 271, 272, 274*, 276,
277, 279*, 281, 287, 288, 291, 292, 293*, 294, 295, 296, 296*, 298,
299, 299*, 310*, 317, 319, 320, 320*, 321, 326, 334, 335, 335*, 335*,
340, 342*, 348, 353, 353*, 360.

MAUREPAS (Phélypeaux de la Vrillière, comtesse de), 8, 22, 90, 119,
146, 233, 233*, 237, 238*, 240, 240*, 243, 245*, 246, 253*, 253*, 264,
265, 279, 287, 292, 293*, 294, 294*, 295, 303, 318, 327, 335*, 338,
342*, 344, 346, 357, 372.

_Maurepas_ (_Hôtel_), _rue de Grenelle_, 299*.

MAXIMILIEN (Archiduc), 240*, 257*.

MAYNON D’INVAU, contrôleur général, 91*.

MAZARIN (Le cardinal de), 133.

MAZARIN (Marquise de la Vrillière, duchesse de), 12, 21, 392.

MAZARIN (Duc de), 302.

MAZET. _Comédie_ d’ANSEAUME et DUNI, 330*, 330.

MAZON. _Histoire de Soulavie_, 375, 377.

_Méditerranée_, 343.

_Mémoires historiques et politiques du règne de Louis XVI_, SOULAVIE,
3*, 102*, 111*, 179*, 194*, 350*, 377, 378.

_Mémoires historiques et anecdotes de la Cour de France_, 347*.

_Mémoires de Maurepas_, 20, 369, 369*, 371, 376.

_Mémoires du duc de Luynes_, 14, 19, 21, 23, 26*, 38*, 192.

_Mémoires relatifs à l’histoire du règne de Louis XV_, 101, 191, 191*,
247*, 263*, 296*, 320*.

_Mémoires secrets_ (_Nouveaux_). MUSSET-PATHAY, 191*, 293*.

_Mémoires du duc de Richelieu_, 17*, 136*, 366, 369, 371, 372, 376.

_Mémoires du ministère du duc d’Aiguillon_, 3*, 73*, 84, 84*, 87, 87*,
88, 92, 104*, 111*, 113*, 119*, 124, 124*, 134, 204*, 212, 217*, 232*,
233*, 234*, 239*, 242*, 242*, 246*, 249, 252*, 252*, 254*, 255, 256*,
260, 260*, 261, 271*, 277, 310, 310*, 319*, 320, 321*, 347*, 368, 371,
376, 377.

_Mémoires du duc de Choiseul_, 88, 102, 102*, 124, 172, 172*, 376.

_Ménars_ (_Château de_), 53.

MERCIER. _Tableau de Paris_, 347*, 350, 351*.

MERCIER (Abbé), 382.

MERCY-ARGENTEAU (_Correspondance secrète de_), 92*, 120, 120*, 135,
156*, 157*, 161, 162, 163, 163*, 165, 165*, 169*, 170, 177, 178, 178*,
178*, 178*, 178*, 180, 181, 181*, 182, 182*, 182*, 183, 183*, 184,
184*, 185, 186, 186*, 187, 188*, 189, 189*, 190, 195, 195*, 196*, 199,
199*, 200, 200*, 201, 202, 203, 204, 204*, 204*, 207, 208, 208*, 209*,
210*, 210*, 214*, 215, 215*, 216, 216*, 216*, 224, 225, 225*, 234, 235,
235*, 236, 240*, 243, 255*, 257*, 259, 259*, 260, 262, 262*, 274*, 282,
282*, 283*, 287*, 288, 289*, 304, 304*, 318*, 319, 321, 336, 336*, 348*.

METRA (_Correspondance secrète dite de_), 133*, 220*, 222*, 223*, 227*,
233*, 247*, 248, 248*.

_Métromanie_ (_La_), de PIRON, 322, 322*, 329, 329*.

_Metz_, 217, 218.

MILLIN, docteur, 89.

_Millesimo_, 370*.

_Ministère de M. de Maurepas. Pamphlet_, 213*, 341*.

MIRABEAU, 90, 347*, 377.

MIREPOIX (Maréchale de), 169, 178, 194, 194*.

MOLIÈRE, 340.

_Mondovi_, 370*.

_Moniteur_ (_Le_), 383, 384.

_Montenotte_, 370*.

MONTMERQUÉ (De), 3*, 377.

MONSTON, auteur comique, 307*.

MONTAIGLE (M. de), 314.

MONTBARREY (Princesse de), 238*.

_Montauban_, 394.

_Montcornet-les-Ardennes_, 388.

MONTEYNARD (M. de), ministre de la guerre, 206*, 212, 214, 214*, 214*,
215.

MONTIGNY (Mˡˡᵉ de), gouvernante de Mˡˡᵉ de PLELO D’AIGUILLON, 14*.

MONTYON (A. de), 353*.

_Montpellier_, 300.

MOREAU. _Mes souvenirs_, 56, 92*, 100, 213, 213*, 214, 214*, 217*,
222*, 223*, 225*, 241*, 253*, 255*, 263, 276*, 287, 287*.

_Morlaix_, 56*.

_Muette_ (_Château de la_), 342.

MOUFLE D’ANGERVILLE. _Histoire du règne de_ Louis XV, 161*, 168*, 213*.

MUZENCHÈRE (M. de la), 307.

MUZENCHÈRE (Mᵐᵉ de la), 302, 307, 308, 314, 315.

MUY (M. de), ministre de la guerre, 274, 274*.


N

_Nantes_, 54, 308.

_Naples_, 331*.

NAPOLÉON, 201, 238*.

NARBONNE (Comtesse de), 201, 201*, 202*, 203.

NATTIER, 392.

NAVAILLES (M. de), 346.

NAVAILLES (Mˡˡᵉ de), femme du duc d’Agenois, 345.

NENY, secrétaire intime de Marie-Thérèse, 92*, 163*, 165*, 182*, 208*.

NESLE (Mᵐᵉ de), 328*.

_Neuilly_ (_Pont de_), 169.

NIVERNOIS (Duc de), 146, 326, 342*.

NOLHAC (De). _La reine Marie-Antoinette_, 253*.

NOAILLES (Mᵐᵉ de), 121.

_Normandie_, 344.

NORAC. _Anagramme de_ CARON DE BEAUMARCHAIS, 235.

NOTEST (Mˡˡᵉ), 313.

NOUBEL, 389.

_Nouvelles à la main_, 26, 27, 380, 381, 382.

_Nouvellistes_ (_Les_), 175, 379.

NUGNES, 309.


O

_Observateur anglais_ (_L’_), 202*.

_Observateur hollandais_ (_L’_), 133.

OGIER, 72.

_Orléans_, 353*.

ORLÉANS (Duc d’), 114, 217.

_Orléans_ (_Maison d’_), 216.


P

_Pacte de famille_, 270.

_Paris_, 10, 38, 63, 68, 75, 76, 77, 85, 102, 105, 120, 125, 129, 130,
131, 132, 133, 133*, 139, 143, 144, 158, 169, 204, 209, 220, 222, 233,
234, 236, 239, 243, 244, 251, 254, 265, 266, 267, 268, 271, 272, 273,
274, 275, 285, 287, 291, 294, 295, 303, 304, 309, 316, 320, 322, 325,
330, 332, 334, 338, 339, 340, 341, 342, 343, 347, 348, 349, 353*, 356,
358, 359, 361*, 368, 369, 370, 391.

PARME (Duc de), 135, 210.

PAYEN, 391.

_Penthémont_ (_Abbaye de_), 14*.

PENTHIÈVRE (Duc de), 27, 41, 74, 81, 81*, 81*, 231, 299*.

PÉRAT, chirurgien, 25, 26.

PICHEGRU (Général), 368, 368*, 370*.

PIDANSAT DE MAIROBERT. _Anecdotes de la comtesse du Barry_, 112, 112*,
119, 126, 137*, 168, 168*, 169*, 197, 198*, 217*, 224*, 381.

PICQUIGNY (Duc de), puis duc de Chaulnes, 311.

PIMODAN (Comte de), 157*, 184*.

PINARD (Dame), 389*.

PIRON, 322*.

PLATEN (Comtesse de), 296.

_Plelo_ (_Maison de_), 256, 293, 327, 388*.

PLÉLO (Comtesse de), 2.

POCQUET. _Le duc d’Aiguillon et le Chalotais_, 43*, 65*.

POLIGNAC (Chevalier de), 395.

POLIGNAC (Comtesse de), 288, 317.

POLIGNAC (Mˡˡᵉ de), 317, 318.

_Politique de tous les gouvernements_ (_La_), 175*.

_Pologne_, 174, 176*, 177, 180, 181, 182, 184*, 186, 186*, 187, 188,
194, 205, 208, 209*.

POMPADOUR (Antoinette Poisson, marquise de), 28, 29, 30*, 31, 32, 32*,
33, 34, 35, 36, 39, 40, 42, 43, 44, 53, 86, 89, 90, 121, 195, 259, 265,
348, 392.

_Pont aux Dames_, 251.

_Pontchartrain. Château du comte de Maurepas_, 8*, 152, 221, 254, 255,
260, 261*, 280, 327, 342*.

_Pordic. Bourg de Bretagne_, 374*.

_Portugal_, 331*.

_Potsdam_, 182, 238*.

POUSSIN, 392.

POYANNE (Marquis de), 238*.

PRADES (Abbé de), 192.

PRASLIN (Duc de), 59, 137*, 142*.

_Praslin_ (_Château de_), 141.

PROCHÉ, 390.

PROVENCE (Comte de), 149, 150, 178, 188, 188*, 199, 200, 201, 276*.

PROVENCE (_Réflexions historiques du comte de_), 225*.

PROVENCE (Comtesse de), 149, 150, 160, 199, 199*, 200, 201, 202, 392.

_Provence_, 120.

PRUSSE (Prince Henri de), 199, 206*.

_Prusse_, 86, 146, 151*, 180, 181, 185*, 207, 221.

PUJOS, chirurgien, 25.

PUY (Evêque du), 79.

_Pyrénées_, 300.


Q

QUEHILLAC (Mˡˡᵉ de), 128, 129.

QUELEN (M. de), parent des d’Aiguillon, 14, 359*, 360, 401.


R

RAVAISSON, 147.

RAYMOND, 394.

_Recueil général des Costumes et des Modes_, 313.

_Reims_, 250, 253, 255, 259.

_Reine de Golconde_ (_La_), 150.

_Renard et les Raisins_ (_Le_), 316.

_Rennes_, 38, 41, 42, 53, 57, 61, 63, 64, 66, 68, 69, 75, 85, 102, 105,
110*, 116, 124, 125, 131, 132, 142, 143, 231, 268, 307*, 390.

_Revue de l’Agenais_, 267*, 390.

_Revue de Paris_, 140.

_Revue d’histoire littéraire de la France_, 265.

_Revue hebdomadaire. Une Idylle d’amour conjugal sous la Régence_, 2*,
16*.

RICHELIEU (Famille de), 192, 192*, 361.

RICHELIEU (Cardinal de), 15, 46, 47, 66, 178, 179, 180, 228, 239, 388.

RICHELIEU (Maréchal, duc de), 17, 91, 92, 95, 103, 104, 112, 116, 120,
125, 146, 147, 153, 209*, 220*, 278, 303, 322, 323, 347, 350, 366*,
375, 377, 378.

RICCOBONI, auteur comique, 339*.

RIVAL, 364.

ROBESPIERRE, 236*, 378.

ROBIEN (Le président de), 45, 45*, 73, 103*.

ROBIQUET. v. _Théveneau de Morande._

ROCHE-AYMON (Cardinal de la), 233.

_Rochers_ (_Les_), 41.

_Rohan_ (Maison de), 117, 209, 342.

ROHAN (Cardinal de), 176, 181, 181*, 183, 190, 202*, 209, 210*, 210*,
240.

ROLAND, 387*.

_Rome_, 86, 227, 321, 380.

RONAC, _anagramme de_ Caron de Beaumarchais, 378.

ROOTHE (Mᵐᵉ de), 373.

ROSEMBERG (Comte de), 257, 257*, 258, 259.

ROUÉ (Du Barry dit Le), 111, 200, 275.

ROUILLÉ, 395.

ROUSSEAU, intendant de la famille d’Aiguillon, 355*, 356, 356*.

ROUSSEAU (J.-J.), 309, 339*, 351.

_Ruel_ (_Château des d’Aiguillon_), 45, 53, 74, 146, 218, 219, 243,
344, 345, 346, 349, 353*, 357*, 358, 361, 363, 368, 369, 370, 372, 388*.

_Ruffec_, 207, 225.

_Russie_, 146, 176*, 181, 185, 206*, 211.


S

SAINT-AIGNAN (M. de), 340.

SAINT-AMANS, 389, 391.

SAINTE-AULAIRE, 145*, 147*, 153*, 160*, 165*, 167*, 197*.

_Saint-Barthélemy_, 301.

_Saint-Bihi_ (Château de), 388, 388*.

_Saint-Brieuc_, 72, 73, 74, 132, 308.

_Saint-Cast_, 29, 31*, 38, 43, 81*, 87, 281, 395.

_Saint-Denis_, 78, 79.

_Saint-Dominique_ (_Rue_), 9.

_Saintes_, 61*, 92, 160.

_Saint-Germain_ (_Boulevard_), 239*.

_Saint-Germain_ (_Faubourg_), 277.

SAINT-FLORENTIN (Duc de la Vrillière, comte de), 12, 14, 42, 56, 56*,
60, 62, 69, 128, 141, 151, 160, 176*, 213*, 232, 232*, 234, 234*, 254,
256, 258, 279, 279*, 280, 294, 296, 297, 298*, 328, 346.

_Saint-Florentin_ (_Hôtel_), 299*.

_Saint-Hubert._ _Rendez-vous de chasse._ 118.

_Saint-Jacques_ (_Rue_), 313.

_Saint-Malo_, 29, 56, 56*, 57, 58*, 61, 143, 310*, 395.

SAINT-SÉVERIN D’ARAGON (Alphonsine de), 170*.

_Saint-Pétersbourg_, 180, 209*.

SAINT-SIMON, 376.

SAINT-VINCENT (Mᵐᵉ de), 278, 303*.

_Saint-Vrain_, 251, 263.

SALÉ, secrétaire de Maurepas, 369*.

SALM KITZBOURG (Prince de), 302, 302*, 347*.

SALMON, 388*.

SANDOZ, envoyé de Prusse, 157*.

_Sardaigne_, 161.

SARTINES, ministre de la Marine, 236, 242, 379.

_Savoie_ (_Maison de_), 149.

SCHEFFER (Comte de), 8, 147.

SCHEFFER (Baron de), 231*, 358*, 361, 361*, 362, 363, 364, 364*, 365,
367, 368, 370, 371.

SEDAINE, 100.

SEGUIN (Mˡˡᵉ), 344.

SÉGUR (Marquis de). _Au couchant de la Monarchie_, 217, 224*, 225*,
236, 236*, 238*, 239*, 240*, 242*, 245*, 245*, 246*, 253*, 254*, 254*,
255*, 261*, 280, 293*.

SÉNAC DE MEILHAN. _Le Gouvernement, Les Mœurs_, 88*, 91*, 104, 140,
152, 258*.

SÉNAC DE MEILHAN. _Portraits et Caractères du XVIIIᵉ siècle_, 136,
136*, 140*.

_Servante justifiée_ (_La_), 322, 322*.

_Servante maîtresse_ (La), 280.

SÉVIGNÉ (Mᵐᵉ de), 41, 50.

SILHOUETTE, contrôleur général, 34*.

_Silésie_, 86.

SIGNAC (Mˡˡᵉ de), 313.

SMITT (Général), 311.

_Songe de M. de Maurepas._ _Pamphlet_, 276*.

_Sorbonne_, 192, 192*, 350, 351.

SOUBISE (Prince de), 95, 177, 190, 210.

SOULAVIE, 2, 3, 19, 20, 43, 43*, 44, 44*, 45, 57, 58, 60, 78, 88*, 102,
104, 111, 136, 175*, 179*, 347, 347*, 356*, 366*, 369*, 375, 376, 377,
378.

_Souvenir à la Hollandaise_, 313.

STAHREMBERG, 157*, 159*.

_Stockolm_, 179*, 361, 370*.

SUARD, 220*.

_Suède_, 146, 147, 179, 180, 205, 208, 361, 366, 368.

SURGEON, 380.


T

TALLARD (Mᵐᵉ de), 17.

TALMONT (Princesse de), 318.

_Taureau_ (_Château du_), 54*.

TERRAY (Abbé), contrôleur général, 89*, 90, 91, 91*, 92, 134, 148, 160,
160*, 200, 225.

THÉLUSSON, banquier de Londres, 241.

THÉVENEAU DE MORANDE, 378, 379.

THIÉBAULT (_Mémoires de_), 242*.

THOLIN (_Documents sur le mobillier du château d’Aiguillon_), 355*,
357*, 386*, 387, 389*, 390, 391, 392, 393, 395.

TINGRY (Prince de), 199.

TINTENIAC (De), 45, 340.

TONELLÉ, 391.

_Tonneins_, 389, 394.

TONNERRE (Maréchal de), 331.

TORT DE LA SONDE (Barthelemy), 240, 241, 242, 245, 247, 257.

_Toulon_, 209*, 210.

TOULOUSE (Comte de), 100*.

_Toulouse_, 124.

_Touraine_, 49, 62, 232, 325, 346, 367.

TOURNEUX, 80*, 146*.

TOURNY, 36*.

_Tours_, 42, 52, 388.

_Traité de Paris_, 28*.

_Trassé_ (Trappes?), 233, 233*.

TREVEDY. _Quelques mots à propos de Pordic_, 374*.

_Trianon_, 217, 359.

_Trou d’Enfer_, 251, 320.

TUETEY, 388.

TURGOT, 116, 238*, 261, 267, 271, 281, 283*.

TURPIN (Mˡˡᵉ), 313.

_Turquie_, 176*, 211.


U

_Université_ (_Rue de l’_). _Hôtel d’Aiguillon_, 9*, 239, 298, 332.


V

_Vacances du Procureur, comédie de_ DANCOURTE, 330, 330*.

VALENTINOIS (Mᵐᵉ de), 80, 160.

_Valmy_, 385.

_Vals_, 300, 315.

VAN BLARENBERGUE, 47, 391.

VAN DYCK, 137.

_Vannes_, 34, 82.

VATEL. _Mᵐᵉ Du Barry_, 96, 98, 124*, 147, 172*, 181*, 181*, 183*, 185*,
185*, 197*, 345, 345*.

VAUGUYON (Duc de la), 91, 92, 347*, 348, 348*.

VEDEC (Mˡˡᵉ de), 82, 82*.

_Vendôme_, 325.

_Venise_, 86.

_Verdun_, 307, 307*, 325.

_Veretz_ (_Château de_), 46, 47, 47*, 48, 48*, 49, 50, 52, 53, 54, 55,
63, 72, 80, 116, 141, 229, 232, 233, 240, 254, 254*, 257, 260, 263,
266, 271, 272, 277, 285, 309, 315, 360, 367, 367*, 388*, 391, 392.

VERGENNES (M. de), ministre des Affaires étrangères, 179, 179*, 245,
246, 283*.

VÉRI (Abbé de), auditeur de Rote, 227, 238*, 276*, 292, 304*, 342*.

VÉRI (_Journal de_), 253*, 293*.

VERMOND (Abbé de), confesseur de Marie-Antoinette, 163*, 260, 274, 274*.

VERNET, 321.

_Versailles_, 4, 8, 53, 68, 69, 70, 72, 74, 77, 85, 86, 105, 111, 125*,
142, 158, 159, 162, 163*, 167, 175, 191, 197, 198, 207, 217, 218, 231*,
234, 250, 251, 253*, 263, 264, 272, 277, 283, 293*, 304, 309, 310, 316,
321, 335, 335*, 353*, 361, 388*.

_Vienne_, 136, 157*, 163*, 176, 180, 181, 181*, 183, 186*, 188*, 209,
225, 234.

VILLARS (Duchesse de), 8.

VILLEQUIER (Comte de), 250.

_Vincennes_, 381*.

_Vitré_, 41.

VOISENON (Abbé de), 197, 198.

VOLAINE, 391.

VOLTAIRE, 28*, 56, 56*, 115, 146, 309*, 310*.


W

WALPOLE (Horace), 127, 127*, 130*, 156, 172, 205*.

WELWERT. _Feuilles d’histoire. Autour d’une dame d’honneur_, 171*, 201*.



TABLE DES MATIÈRES


CHAPITRE PREMIER

Mère et fille.--Parallèle de la duchesse de Choiseul et de
la duchesse d’Aiguillon; analogie de leurs destinées
respectives.--Pourquoi l’Histoire les a traitées inégalement.--La
Correspondance et les Correspondants de
Mᵐᵉ d’Aiguillon.--Son style et son écriture.--Les
papiers du Chevalier de Balleroy.--Utilité documentaire
des lettres de Mᵐᵉ d’Aiguillon.--Leur corrélation
avec la biographie du ministre de Louis XV                             1


CHAPITRE II

Les premières années de Louise de Plélo: son conseil de
famille.--Son mariage avec le duc d’Agénois.--Le
digne cousin du maréchal de Richelieu.--Ses amours
avec la marquise de la Tournelle.--Une scapinade de
Richelieu.--Hésitations d’une amante et coquetteries
d’une maîtresse.--La duchesse d’Agénois et sa protectrice.--Amitié
véritable entre bru et belle-mère.--Une
lettre de la «Grosse Duchesse».--D’Agénois un
«Caton!»--Mᵐᵉ d’Agénois dame du Palais                                12


CHAPITRE III

Les maternités de Mᵐᵉ d’Aiguillon.--Début de la guerre
de Sept ans.--Bataille de Saint-Cast en Bretagne.--Félicitations
de Mᵐᵉ de Pompadour au vainqueur.--Flirt
de la Grande Marquise.--Maussaderie de d’Aiguillon-Cavendish.--Les
«fols de Bretons».--D’Aiguillon
eût préféré le Languedoc.--Le commencement
des «Affaires de Bretagne»                                            25

CHAPITRE IV

Privilèges et résistances des Bretons.--Premières escarmouches.--Griefs
réciproques de d’Aiguillon et de la
Chalotais.--Attaques du Parlement.--D’Aiguillon
dissout les Etats.--La duchesse est son auxiliaire le
plus dévoué.--Un impair de La Noue.--D’Aiguillon
se dit de plus en plus dégoûté de sa tâche: il part pour
Veretz.--Beautés de cette résidence seigneuriale.--L’amour
de la retraite chez le duc d’Aiguillon et chez
la marquise de Pompadour.--Vie de château.--La
science économique de la duchesse.--Une histoire de
chasse: Balleroy grand-veneur                                         40


CHAPITRE V

Le cure-dents de la Chalotais.--Le «bailliage d’Aiguillon».--Un
échafaud fantastique.--Le Gouvernement
ne veut pas rappeler d’Aiguillon.--Ours et Bretons.--Le
nouveau Parlement et les Etats de 1767.--Les trois
duchesses.--La politique du Gouvernement et celle de
d’Aiguillon.--Le roi et la duchesse d’Aiguillon chez la
Reine.--«Vous vous êtes conduit comme un ange!»                       56


CHAPITRE VI

Les Etats «intermédiaires».--Chasse aux «Mandrins».--La
coterie des «Bastionnaires» et la pacification de
la Bretagne.--Les variations du Contrôleur général
d’après d’Aiguillon.--Démission.--Cérémonial aux
obsèques d’une Reine.--Un cocher en couches.--Le
duc de Penthièvre jugé par Mᵐᵉ d’Aiguillon.--La
duchesse est ravie de voir son mari «hors d’une indigne
galère».--Ce qu’en pense d’Aiguillon                                  71


CHAPITRE VII

La première rencontre de d’Aiguillon avec Choiseul: présence
d’esprit de la Duchesse.--Le Régiment du roi:
lettre de Mᵐᵉ d’Aiguillon à Louis XV.--Mᵐᵉ Du Barry
devient l’alliée de d’Aiguillon.--Maupeou et Terray,
négociateurs du traité.--D’Aiguillon capitaine-lieutenant
des chevau-légers: le «beau cortège» de la
duchesse.--Un amoureux fou, mais platonique, de la
Du Barry.--Le déserteur                                               84


CHAPITRE VIII

Le Conseil accorde à d’Aiguillon l’évocation de son procès
de Rennes devant le Parlement de Paris.--Appui prêté
par Mᵐᵉ Du Barry malgré la résistance de Louis XV.--Le
«Mémoire justificatif» de Linguet; un collaborateur
masqué; récompense de Marmontel.--Procédure du
Parlement de Paris.--Trêve matrimoniale: incidents.--Reprise
des séances: récit de Mᵐᵉ d’Aiguillon.--Le
roi arrête le procès.--Vengeance du Parlement.--D’Aiguillon
entaché                                                              101


CHAPITRE IX

Riposte de Maupeou: cassation de l’arrêté.--Pluie de
couplets et d’anecdotes satiriques.--Avanies prodiguées
à Mᵐᵉ Du Barry.--Insolences et mécomptes des parlementaires
bretons d’après Mᵐᵉ d’Aiguillon.--La journée
du 3 septembre.--Louis XV revient aux traditions de
son bisaïeul.--Le sac du roi et le char de la blanchisseuse
de d’Aiguillon.--Indulgence et pitié.--Le Parlement
de Paris courbe la tête.--Mᵐᵉ d’Aiguillon et ses
«chers Bretons»                                                      118


CHAPITRE X

Maupeou «la bigarade».--Sa double action contre Choiseul
et le Parlement.--Le «beau pacte de famille».--Les
larmes de Mᵐᵉ Du Barry.--Remontrances du Parlement
et refus d’enregistrer l’édit.--Choiseul pressent
sa disgrâce.--Duplicité de Louis XV.--Lettre de
cachet.--Impressions de la duchesse d’Aiguillon.--Exil
des parlementaires.--Le Parlement Maupeou                            133


CHAPITRE XI

Six mois d’attente!--«Le tyran breton le deviendra de
toute l’Europe».--Le futur roi de Suède à Ruel: enthousiasme
de la «Grosse Duchesse».--L’«Agrippine»
de Mᵐᵉ Du Deffand et «le Triumvirat» du président de
Brosses.--Mariage du comte de Provence.--Comment
Mᵐᵉ Du Barry fait entrer d’Aiguillon au ministère: ce
qu’en pense la duchesse; ce qu’en pense le public.--Hostilité
de la comtesse d’Egmont: avanie subie par
Mᵐᵉ d’Aiguillon et colère du maréchal de Richelieu.--Débuts
du nouveau ministre.--Appréciation de l’ambassadeur
d’Autriche, le comte de Mercy-Argenteau                              145


CHAPITRE XII

Pronostics sur le futur ministère.--Dîners diplomatiques.--Entrevue
de Mercy-Argenteau avec «la favorite» et
Louis XV.--Echange de lettres aigres-douces entre
Mᵐᵉ Du Deffand et la duchesse de Choiseul.--Le dîner
de Luciennes.--Jugement sévère de Mᵐᵉ de Choiseul.--Au
décintrement du pont de Neuilly.--Conspiration
de Mesdames contre la Du Barry.--Le Régiment des
Suisses                                                              159


CHAPITRE XIII

Le partage de la Pologne et ses responsabilités.--Ambitions
du comte de Broglie.--Le cardinal de Rohan nommé
ambassadeur à Vienne.--Tactique autrichienne: condescendance
de la Dauphine.--L’amitié suédoise et le
lyrisme de la duchesse d’Aiguillon.--«Deux brigands
et une dévote».--Les gémissements de Marie-Thérèse.--L’irréparable.--Conseils
du comte de Provence.--La
révolte de la Dauphine.--La vie à Fontainebleau.--La
«croquante» de Versailles.--Mort de la «Grosse
Duchesse»                                                            174


CHAPITRE XIV

Un mauvais jour de l’an pour Mᵐᵉ d’Aiguillon.--Conseils
de prudence.--Les galas de d’Aiguillon et de Mᵐᵉ Du
Barry: le «noir serpent» et l’œuf d’autruche.--On
s’écrase chez Mᵐᵉ d’Aiguillon.--Bouderies entre le
ministre et la favorite.--Le «mauvais sujet».--Confidences
de Mˡˡᵉ Chon: Mercy-Argenteau serait-il berné?--Réconciliation
des deux alliés.--La contre-police de
d’Aiguillon: Dumouriez et consorts embastillés.--L’exil
du comte de Broglie d’après Mᵐᵉ d’Aiguillon.--Indiscrétions
de Septimanie.--Récriminations de Rohan.--Insuccès
diplomatiques du premier ministre                                    194


CHAPITRE XV

Comment d’Aiguillon devint ministre de la Guerre.--Louis
XV au Conseil.--Nouvelle attitude de la Dauphine.--Projet
de rappel de l’ancien Parlement.--Maladie et
mort de Louis XV; départ de Mᵐᵉ Du Barry; les carrosses
de Ruel.--Sérénité de d’Aiguillon.--Nouveaux brocards
contre les anciens favoris.--Maurepas ministre
d’Etat sans portefeuille.--Démission, acceptée,
de d’Aiguillon.--Marie-Antoinette veut que le roi
l’exile.--La joie du comte de Broglie et de Maupeou.--Deux
portraits du duc d’Aiguillon                                         212


CHAPITRE XVI

La comédie à Veretz.--Goûts et plaisirs champêtres.--Toujours
les affaires de Bretagne.--Rentrée en scène
de La Chalotais.--Epidémie à Veretz et à Chanteloup.--Réintégration
de l’ancien Parlement; d’Aiguillon y
prend place sans que personne proteste.--Ce qu’on
pense à Vienne de sa retraite.--Campagne de libelles
contre la reine: d’Aiguillon en est, dit-on, l’inspirateur           229


CHAPITRE XVII

Influence et crédit de Mᵐᵉ de Maurepas.--Ses appels au
calme et à la patience.--D’Aiguillon «embusqué» dans
son hôtel.--Procès du comte de Guines.--Ce qu’était
Tort de la Sonde.--Rôle de d’Aiguillon: griefs de
Guines.--La reine prend parti pour l’ambassadeur de
France à Londres.--Besenval excite Marie-Antoinette
contre d’Aiguillon.--Mémoires de Guines «tissu d’horreurs
et de mensonges».--Guines gagne son procès.--La
reine exige de Louis XVI l’exil du duc d’Aiguillon.--Incidents
de la revue du Trou d’Enfer.--Entrevue de
Maurepas avec la reine.--D’Aiguillon devra partir pour
l’Agénois                                                            237


CHAPITRE XVIII

Impatience et joie exubérante de la reine.--Réaction de
l’opinion publique en faveur de l’exilé.--Fausse philosophie
de d’Aiguillon: billet à Balleroy; entretien avec
Maurepas.--«Il n’y a rien perdu»; le mot de Marie-Antoinette
justifié.--Les lettres de Mᵐᵉ de Maurepas.--La
tâche de Mᵐᵉ d’Aiguillon.--Voyage de Mᵐᵉ Du
Barry.--L’anecdote des «Entretiens de l’autre monde»                 256


CHAPITRE XIX

Rappel imprévu du comte de Guines.--Pronostics qu’en
déduit d’Aiguillon.--Conférence significative d’un ami
de d’Aiguillon avec Maurepas.--Les fidèles courtisans
du malheur.--Informations parisiennes: le procès
Saint-Vincent et le mariage de Fronsac.--Opéra et ménagerie.--«Le
grand Pan est à bas».--Mercy voit
avec peine l’engouement de la reine pour le comte de
Guines.--La nouvelle école de courtisans.--Mort de
Mᵐᵉ de Chabrillan; lettre désespérée de la mère.--Emotion
de Marie-Antoinette.--Rappel de d’Aiguillon à Paris                  269


CHAPITRE XX

Arrêt dans la correspondance.--D’Aiguillon refuse de
rentrer à Paris.--L’opinion n’en dénonce pas moins
ses intrigues avec son oncle pour revenir à la Cour.--Action
persistante de Mᵐᵉ de Maurepas dans l’intérêt de
son neveu.--Le buste de Louis XVI.--La succession
de La Vrillière et la «vilaine petite race».--Irritation
de la duchesse contre de Guines.--Une saison à Bagnères
dans la plus stricte intimité.--Mᵐᵉ d’Aiguillon
«écorchée comme saint Barthélemy».--«Mauvaise
compagnie» des gens de cour.--Retour au château:
nouvelles récriminations du châtelain; «absorbement
continuel» de la châtelaine                                          290


CHAPITRE XXI

Programme de fêtes pour 1778.--Quelques invités et
habitués.--Balleroy toujours l’empressé commissionnaire.--Ferme
et château.--Nouvelles du jour: mort
de Jean-Jacques; procès du comte de Broglie «le vilain
petit homme»; les châtelains et la guerre des Insurgents.--Une
lettre de d’Aiguillon à Mᵐᵉ Du Barry.--Autre
année théâtrale: fêtes et bals.--D’Aiguillon
donne également ses commissions à Balleroy.--Il fait
le juge de paix au château.--Projets de mariage pour
le comte d’Agénois.--Marie-Antoinette signifie de nouveau
à Maurepas sa résolution de ne plus voir d’Aiguillon
à la Cour                                                            306


CHAPITRE XXII

Illusions d’un ministre tombé: plan fantastique.--Le troisième
mariage du maréchal de Richelieu: vengeance
filiale.--L’année des évêques.--Oraison funèbre de
Mᵐᵉ de Gisors et de M. de la Vallière.--Débuts, dans
le monde, d’Armand, comte d’Agénois.--Félicitations
réciproques de d’Aiguillon et de Balleroy.--La chasse
aux pintades et la «Dédicace» de la Comédie.--Nouvelle
saison du duc à Bagnères: ses pertes énormes au
reversi.--Nouveaux projets de mariage pour le comte
d’Agénois.--Commérages mondains                                      319


CHAPITRE XXIII

Une «crillonnade».--La «requête de Monsieur Lustucru».--Voyages
à Paris de Mᵐᵉ d’Aiguillon.--Mission
infructueuse de Balleroy auprès de Mᵐᵉ de Maurepas.--Entrée
sensationnelle à Paris.--Les Espagnols
devant Gibraltar.--Les travaux de Cherbourg.--Mᵐᵉ
d’Aiguillon, la politique et les voleurs.--Une
créance sur Mᵐᵉ Du Barry.--Mariage du duc d’Agénois
avec Mˡˡᵉ de Navailles.--La petite vérole de Mᵐᵉ d’Agénois
et les perdreaux de Ruel.--«Laïus est mort».--Le
procès Linguet.--Morts successives des ducs de
Richelieu et d’Aiguillon.--Mercier devant les caveaux
de la Sorbonne                                                       338


CHAPITRE XXIV

Effacement de la duchesse d’Aiguillon pendant plusieurs
années.--Rôle de son fils au commencement de la Révolution.--Prétendues
représailles contre la reine.--Le
fils et la mère émigrent.--Rentrée en France de la
duchesse.--Son incarcération.--Le 9 thermidor
sauve Mᵐᵉ d’Aiguillon.--Vente et liquidation des propriétés
du duc pour désintéresser les créanciers.--La
duchesse se retire à Ruel pour exploiter la propriété.--Heures
difficiles.--Deux lettres du baron de Scheffer                       352


CHAPITRE XXV

Le baron de Scheffer, ancien ministre des affaires étrangères
de Suède.--Sa joie, quand il apprend que
Mᵐᵉ d’Aiguillon a pu échapper «aux mains des tigres
sanguinaires».--Il s’inquiète de la situation financière
de Mᵐᵉ d’Aiguillon et se désole de la voir se rendre à
Paris en charrette.--Que sont devenus les amis de la
duchesse et surtout Mᵐᵉ de Laigle?--Travaux rustiques:
basse-cour et arbres fruitiers.--Apparition des
Mémoires de Richelieu, de d’Aiguillon, de Maurepas: opinion
de Scheffer sur des compilations que Mᵐᵉ d’Aiguillon
déclare apocryphes.--La bru et le petit-fils de la
duchesse sont avec elle.--La dernière lettre de Scheffer             363


APPENDICES ET PIÈCES JUSTIFICATIVES                                  375


TABLE DES MATIÈRES                                                   403


ÉVREUX, IMPRIMERIE CH. HÉRISSEY, PAUL HÉRISSEY, SUCCʳ


NOTES:

[1] Date donnée par le Dictionnaire de La Chesnaye-Desbois.

[2] Son père avait obtenu très difficilement, de Louis XV, de lui
céder, en le mariant, le duché d’Agénois.

[3] _Revue hebdomadaire_ du 27 avril 1901. Une idylle sous la Régence.

[4] _Mémoires du ministère du duc d’Aiguillon_ (3ᵉ édition, 1792), p.
173.

L’exemplaire que nous avons consulté est catalogué à la Bibliothèque
de la ville de Paris sous le nº 10469. Il est accompagné de notes
autographes de M. de Monmerqué reproduisant des annotations inédites de
Soulavie.

[5] SOULAVIE. _Mémoires historiques et politiques du règne de Louis
XVI_ (Paris, 1801, 6 vol.), t. I, pp. 69-70.

[6] Voir Appendice nº I.

[7] Chanteloup, hameau de l’arrondissement d’Amboise (Indre-et-Loire).

[8] Pontchartrain, canton de Chevreuse (Seine-et-Oise).

[9] Le chevalier avait encore demeuré rue de l’Université. Mais il
restait rarement à Paris, soit que le devoir militaire le retînt en
province, soit qu’il partît en villégiature: «Je ne connais pas, M. le
Chevalier, lui écrit la duchesse, un être plus errant que vous.»

[10] _Archives nationales_, T 243.

[11] Saint-Simon donne de curieux détails, dans ses _Mémoires_, sur
la vie peu édifiante de cette grande dame; et le _Journal_ de Barbier
(t. III, p. 384) en signale simplement la mort en ces termes: «Mᵐᵉ la
duchesse de Mazarin, dame d’atours de la reine, est morte, en huit
jours de temps, le 11 du mois de septembre 1742, âgée de cinquante-cinq
ans.»

[12] AN.T. 243.

[13] Il n’est pas inutile de rappeler, à cet égard, la lettre (inédite)
qu’écrivait à ce même Quélen le comte de Plélo, le 30 janvier 1729, un
mois avant son départ pour Copenhague:

«Nous laissons nos enfants ici, mon fils encore quelques mois et ma
fille quelques années; le premier viendra me joindre cet été. A l’égard
de ma fille, elle restera au couvent jusqu’à six ou sept ans; et alors
je la ferai venir auprès de moi, si Dieu me la conserve jusque-là.»

Cette fille, c’était Louise-Félicité, qui avait alors trois ans.
Conformément aux intentions du père, elle fut mise au couvent de la rue
Bellechasse, la célèbre abbaye de Panthémont où sa mère avait fait son
éducation. Louise-Félicité avait pour gouvernante Mᵐᵉ de Montigny, à
qui Mᵐᵉ de Plélo avait légué 200 livres de rente viagère et qui resta
près d’un an à l’abbaye de Panthémont avec son élève.

[14] MÉMOIRES DU DUC DE LUYNES, t. III, pp. 105-106.

[15] Quoique très bien fait, il était de petite taille: aussi,
plus tard, à propos des affaires de Bretagne, ses adversaires le
désignaient-ils ironiquement sous le nom de _Petit duc_.

[16] EDMOND ET JULES DE GONCOURT. _La duchesse de Châteauroux et ses
sœurs_ (Paris, 1879).

[17] _Revue hebdomadaire_ du 27 avril 1901. Le comte de Plélo était
fort épris de sa femme; et sa correspondance dit assez quelles furent
sa tendresse et sa fidélité.

[18] _Mémoires du Mⁱˢ d’Argenson_ (t. IV, p. 44).--_Mémoires de
Richelieu_ par SOULAVIE, t. VI. A tort, les Goncourt appellent
d’Agénois le neveu de Richelieu. C’était Mᵐᵉ de Châteauroux qui lui
donnait ce nom et traitait de «cher oncle» le duc de Richelieu.

[19] LES GONCOURT. _Mᵐᵉ de Châteauroux_ (Collection Leber, 5815,
Lettres Mss. à la Bibl. de Rouen). Mᵐᵉ de Châteauroux avait une haine
féroce contre Maurepas: elle écrivait, le 3 juin 1744, à Richelieu que
Maurepas «avait fait le tourment de sa vie».

[20] SOULAVIE. _Anecdotes de la Cour de France_, 1802, p. 24.

[21] _Mémoires du duc de Luynes_, t. IV. p. 269.

[22] MAUREPAS. _Mémoires_, t. IV, p. 114-115. Ils sont de Soulavie
(voir appendice nº 1).

[23] DUC DE LUYNES. _Mémoires_, t. IV, septembre 1742, p. 240. Mᵐᵉ de
Mazarin était morte le 10.

[24] DUC DE LUYNES. _Mémoires_, t. V, octobre 1743, p. 22.

[25] AN.T. 243.

[26] Archives du marquis de Chabrillan. Lettre de 1747.

[27] Archives du marquis de Chabrillan.

[28] _Mémoires du duc de Luynes_, t. VII, mars 1746.

[29] Déjà les _Mémoires_ de Luynes, annonçant, en avril 1736, la mort
du dernier des fils de Plélo, parlaient d’une «fille de huit à dix ans
qui n’avait pas une bonne santé»: c’était Louise-Félicité.

[30] Les _Nouvelles à la main_ publiées, d’après les manuscrits Anisson
Duperron, par M. le vicomte de Grouchy dans le _Carnet historique_
de 1898 (t. II, p. 683) donnent, à la date du 4 février 1764, une
anecdote sur les couches de Mᵐᵉ d’Aiguillon, la représentant comme un
véritable phénomène: «Elle est très bien de figure, elle a la peau
assez blanche; dans sa première grossesse, elle devint, par degrés,
noire comme une négresse du Sénégal de la tête aux pieds. Après être
accouchée, elle reprit aussi par degrés son teint ordinaire. Elle est
grosse pour la deuxième fois et la même révolution se fait chez elle.
Elle n’est encore que mulâtresse parce qu’elle n’est pas avancée; dans
ses derniers mois, elle sera noire comme du jais. Au reste, l’enfant
qu’elle a mis au monde la première fois n’avait aucune teinte de noir;
il était comme l’enfant d’un blanc...» Mᵐᵉ d’Aiguillon accoucha, en
effet, en 1764, d’un enfant qui vint avant terme. Mais nous n’avons vu
nulle part, excepté dans un autre recueil de _Nouvelles à la main_,
que Mᵐᵉ d’Aiguillon ait présenté, pendant ses couches, les variations
de couleur dont parle le gazetier. Elle était sujette aux coliques
néphrétiques: peut-être eut-elle, comme son mari, des jaunisses.
Elle en parle, mais jamais du phénomène physiologique cité par les
_Nouvelles à la main_. D’ailleurs, sa deuxième grossesse datait de 1747
et non de 1764.

[31] D’Aiguillon n’était encore qu’en très mince faveur à la Cour:
le Roi se souvenait-il toujours des hésitations de la marquise de
la Tournelle? En tout cas d’après le _Journal de Cro _ (t. I, p.
150) d’Aiguillon n’était admis à Choisy qu’à titre «d’externe» ou de
«polisson».

[32] Cette guerre, si désastreuse pour la France, commença en 1756 et
finit en 1763 par le traité de Paris qui nous enleva le Canada, «ces
quelques arpents de neige», disait Voltaire.

[33] Village et baie dans le département des Côtes-du-Nord.

[34] Première lettre d’une correspondance autographe adressée par Mᵐᵉ
de Pompadour au duc d’Aiguillon et conservée au _British Museum_ (fonds
Egerton). Cette correspondance fut publiée pour la première fois en
1856-1857 (t. I, pp. 244 et suiv.), dans la _Correspondance littéraire_
de Ludovic Lalanne et comprend une période de cinq années (1758-1762).

[35] «M. d’Aiguillon, dit Linguet (_Aiguillonana_, 1777, p. 9) avait
toujours eu un ascendant marqué sur les maîtresses du feu roi. La
marquise de Pompadour l’avait protégé hautement: la trop prompte mort
du maréchal de Belle-Isle l’avait seule empêché de le lui donner pour
successeur (au ministère de la Guerre).»

[36] EDMOND et JULES DE GONCOURT. _Mᵐᵉ de Pompadour_ (1878, Paris), p.
147, d’après les _Souvenirs_ de Mᵐᵉ du Hausset.

[37] Lettre du 6 février 1759, _Correspondance_ de Lalanne, t. I, p.
246.

[38] _Journal de Cro _ (du duc) édité par le vicomte de Grouchy et Paul
Cottin (1906, 4 vol.), juillet 1759, pp. 476 et suiv.--Le _Journal de
Barbier_ (t. VII, p. 210) parle d’un imprimé, répandu dans Paris en
décembre 1759, qui énumère les préparatifs du débarquement.--Bertin
avait remplacé Silhouette le 24 novembre 1759 (Barbier, VIII, 119).

[39] Lettre de 1760.--Quel livre à écrire sur les politiciennes!

[40] Lettre du 10 septembre 1760: il est vrai que, le 14, elle le
complimentait d’avoir obtenu du «zèle des Bretons» un don gratuit de
700.000 livres pour le Roi.

[41] Lettre du 26 décembre.

[42] Lettre de Tourny à la duchesse d’Aiguillon, du 24 avril 1751
(d’après MARCEL MARION. _La Bretagne et le duc d’Aiguillon_, Paris,
1898).

[43] LAUZUN. _Documents inédits relatifs à l’entrée du duc d’Aiguillon
à Agen_, 1885.

[44] Lettre du 26 août 1761.

[45] Déjà, le 7 décembre 1754, le duc de Luynes écrit dans ses
_Mémoires_: «On continue à donner à M. le duc d’Aiguillon toutes les
louanges que méritent son esprit, sa politesse, son application aux
affaires... Mᵐᵉ la duchesse d’Aiguillon a aussi très bien réussi en ce
pays: il paraît que l’on est fort content de l’un et de l’autre.»

[46] _Journal de Cro _, t. II, p. 12.

[47] CARNÉ. _Etats de Bretagne_, t. II.--Cet historien a dû à
l’obligeance de M. le marquis de Chabrillan, possesseur des papiers du
duc d’Aiguillon, de pouvoir consulter le «Journal du Commandement de
Bretagne».

[48] _Journal de Cro _, t. II, p. 48.--Ce même journal signale,
également en 1763, le bruit qui s’était répandu que d’Aiguillon aurait
le commandement de l’Alsace; et il l’eut nominalement.

[49] MARCEL MARION. _La Bretagne et le duc d’Aiguillon_ (Paris, 1898),
p. 189.

[50] JOBEZ. _Histoire de Louis XV_, t. VI (Paris, 1864-1870, 6 vol.).

[51] JOBEZ. _Histoire de Louis XV_, t. VI. Les hostilités s’ouvrirent
le 1ᵉʳ octobre 1764, entre La Chalotais et d’Aiguillon, sur le refus de
celui-ci d’accepter le fils comme successeur du père.

[52] _Mémoires secrets_ dits _de Bachaumont_, 15 octobre 1764.--M.
POCQUET (_Le Pouvoir absolu et l’esprit provincial. Le duc d’Aiguillon
et La Chalotais_, 3 vol., 1900-1902) affirme que La Chalotais ne fut
pas l’auteur de l’épigramme.

[53] _Mémoires du ministère du duc d’Aiguillon_, p. 5.--M. Marcel
Marion adopte la version de Soulavie.

[54] Soulavie affirme encore que la marquise devint la maîtresse de
Choiseul.

[55] BIBL. NAT. IMPR. Ln²⁷ 41577. H. CARRÉ. _La Chalotais et
d’Aiguillon_ (Paris, 1893), _d’après la Correspondance du chevalier de
Fontette avec de la Noue_: «un forcené républicain» dit Fontette de
Kerguézec.

[56] SOULAVIE. _Mém. du min. du duc d’Aiguillon_, pp. 176 et suiv.

[57] MARCEL MARION. _La Bretagne et le duc d’Aiguillon_, p. 348.

[58] MARCEL MARION. _Id._, p. 361. Lettre de M. de Robien à M. de
Coniac (partisan d’Aiguillon), 3 décembre 1765.

[59] _Mémoires du minist. du duc d’Aiguillon_, p. 178.

[60] _Journal de Cro _, t. II, p. 192.

[61] Arrivé de Lille en 1771, cet artiste avait été accueilli avec
distinction par les châtelains de Veretz.

[62] Un dessin de Gaignières nous a cependant conservé le croquis du
château de Veretz en 1699.

[63] Bibl. Arsenal Mss. 10016 (Arch. Bastille). Rapport du policier Le
Clerc au lieutenant général de police, 20 août (?) «Etant à Tours, je
fus à Veretz, château situé sur le Cher. S. A. S. Mᵐᵉ la P(rincesse) de
C(onti), deuxième douairière, y était. Par respect, je n’oserai dire
ce que les habitants du pays disent de cette P(rincesse)» et du d(uc)
d’Aiguillon.»

[64] _Bulletin de la Société archéologique de Touraine_, t. X, pp. 247
et suiv. (1895-1896). Bibliothèque de Tours, Mss. 963.

[65] Nous signalons une très complète _Histoire du château de Veretz
et de ses environs_, par l’abbé BOSSEBŒUF (Tours, 1903, in-4º),
histoire dont certains documents, inédits, appartiennent à l’époque
révolutionnaire. Nous en donnons plus loin les intitulés.

[66] _Mémoires du ministère du duc d’Aiguillon_, p. 32.

[67] MARCEL MARION. _La Bretagne et le duc d’Aiguillon_, p. 417.

[68] MOREAU. _Mes Souvenirs_, t. II, pp. 54 et suiv.

[69] «Mais voilà de l’écriture de M. de La Chalotais!» s’était écrié
Calonne, quand Saint-Florentin lui avait présenté les lettres anonymes
(_Mém. du ministère d’Aiguillon_, pp. 5 et suiv.). Honnête prétexte! Le
véritable motif des poursuites, c’était l’assistance que La Chalotais,
agent du roi, prêtait aux revendications du Parlement de Bretagne.

[70] Sa première prison fut le château du Taureau près de Morlaix. Ce
fut à Saint-Malo qu’il écrivit, les 15 janvier et 17 février 1766, ses
deux premiers _Mémoires_. Ceux de Brissot (Paris, 1830, t. I, p. 158)
nous édifient sur la métaphore quelque peu prudhommesque de Voltaire:
«L’histoire de ces pages écrites avec de la suie, au fond d’un cachot,
sur des enveloppes de pain de sucre, m’avait toujours paru bien
romanesque. Mᵐᵉ Lem (attachée au Parlement et qui avait beaucoup vécu
chez M. de La Chalotais) m’a révélé que c’était elle qui avait fait
passer à La Chalotais, dans le château du Taureau, ce fameux _Mémoire_,
qu’il a prétendu avoir composé et écrit avec un cure-dents.»

[71] _Mém. du minist. d’Aiguillon_, p. 347.

[72] LEMOY. _Le Parlement de Bretagne et le pouvoir royal au XVIIIᵉ
siècle._ Angers, 1909, p. 382.

[73] _Mém. du minist. d’Aiguillon_, p. 14.

[74] Le _Journal de Hardy_ (Bibl. Nat. Mss. franç. 6680) en donne le 18
novembre une description terrifiante.

[75] Lenoir, conseiller d’Etat, rapporteur de la Chambre de Saint-Malo.

[76] _Mémoires du ministère d’Aiguillon_, p. 16.

[77] M. Carré établit, dans les premières pages de son livre, que La
Chalotais, toujours irascible et toujours violent, était plutôt le
persécuteur de Fontette, commandant du château de Saint-Malo.

[78] _Mémoires du ministère du duc d’Aiguillon_, p. 20.

[79] VATEL. _Madame Du Barry_ (Paris, 1883, 3 vol.), t. I, p. 385.

[80] AN. H. 439. M. Carré dit, avec raison (pp. 57 et suiv.) et sans
arrière-pensée de réhabilitation, qu’on s’est trop habitué à juger
les affaires de Bretagne et la conduite de d’Aiguillon d’après les
pamphlets contemporains, et que la vérité, comme la justification du
prétendu coupable, apparaît mieux dans les papiers du Contrôle général
et dans les _Bulletins de Bretagne_ adressés à cet égard à Laverdy par
le Commandant de Bretagne.

[81] AN. O¹ 462.

[82] _Journal du Prince de Cro _, t. II, p. 454.

[83] H. CARRÉ. _La Chalotais et d’Aiguillon_, p. 65.

[84] H. CARRÉ. _La Chalotais et d’Aiguillon._ Lettre de La Noue (à
Veretz), à Fontette, 25 septembre 1766.

[85] BELLEVAL. _Souvenirs d’un chevau-léger_ (Paris, 1866), p. 103.

[86] CARRÉ. _La Chalotais et d’Aiguillon. Lettre de La Noue à Fontette_
(Paris, 23 décembre et 23 février 1767).

[87] Dans sa thèse de doctorat, _Le Parlement de Bretagne et le pouvoir
royal au XVIIIᵉ siècle_. M. Le Moy donne (pp. 64 et suiv.) un croquis
intéressant de la _Société parlementaire_, pendant le principat de
d’Aiguillon, d’après les livres autorisés de MM. Carré, Pocquet, Marcel
Marion, Baudry et les papiers d’archives du temps.

[88] _Revue de Bretagne et de Vendée_, 1894. Article de Calan: _Chute
du duc d’Aiguillon_.

[89] H. CARRÉ. _La Chalotais_, etc. Lettres des 7 et 12 mars 1767, de
Fontette à La Noue.

[90] H. CARRÉ. _La Chalotais, etc._, pp. 79 et suiv. Louis XV
pratiquait le même système avec son ministre des Affaires étrangères.
(Voir: LE DUC DE BROGLIE. _Le secret du roi._)

[91] _Archives d’Ille-et-Vilaine_, C. 1780.

[92] _Archives nationales._ Dossier Balleroy, T. 243.

[93] H. CARRÉ. _La Chalotais, etc._.. Lettre du 2 juin, de Fontette à
La Noue.

[94] _Archiv. Nation._ Dossier Balleroy, T 243.

[95] H. CARRÉ. _La Chalotais, etc._, pp. 79-84.

[96] AN.T 243. Papiers Balleroy.

[97] «Ce n’est qu’un petit brigand qui veut jouer au personnage» dit
Fontette; jusqu’alors il avait été un des plus chauds partisans du
gouverneur.

[98] H. CARRÉ. _La Chalotais, etc._, p. 84.

[99] _Revue de Bretagne et de Vendée_, 1894. Article Calan sur la chute
du duc d’Aiguillon.

[100] H. CARRÉ. _La Chalotais, etc._, p. 524.

[101] _Revue de Bretagne, etc._ Article Calan.

[102] _Mém. d’Aiguillon_ (du ministère).

[103] _Correspondance Du Deffand_ (édit. Sainte-Aulaire), t. I, p. 162.
Lettre de Mᵐᵉ Du Deffand à l’abbé Barthélemy.

[104] H. CARRÉ. _La Chalotais, etc._, pp. 93 et suiv.

[105] AN.T 243.

[106] _Bulletin du bibliophile._ Année 1882, p. 119. Publication
(p. 104, p. 125) par M. Edouard de Barthélemy d’un choix de lettres
acquises dans la vente d’une correspondance adressée au chevalier de
Balleroy: celle-ci avait dû échapper aux perquisitions révolutionnaires
ou disparaître des _Archives nationales_.

[107] H. CARRÉ. _La Chalotais, etc._ Lettre du 3 février 1768.

[108] AN.T 243. Lettre du 24 juin.

[109] AN.T 243. Lettre du 10 juillet.--«La Reine, victime de M. le duc
de Choiseul» (note Soulavie).

[110] AN.T 243. Lettre du 16 août 1768.

[111] Le mot est rapporté par la _Correspondance de Grimm_ (Edit. M.
Tourneux), t. VIII, p. 184.

[112] AN.T 243.

[113] M. de Broc, lieutenant général, était un des vainqueurs de
Saint-Cast.

[114] Un mémoire pour la tenue des Etats de 1766-1767 (_Archives
d’Ille-et-Vilaine_, C. 1780) réglait ainsi la situation respective des
ducs de Penthièvre et d’Aiguillon: Celui-ci était désigné «pair de
France, chevalier des ordres du roi, _Gouverneur d’Alsace_, lieutenant
général, commandant en chef de Bretagne. Il réside dans la province,
en l’absence du duc de Penthièvre, le gouverneur. Placé à la tête de
l’ordre militaire, il est le premier et principal commissaire du Roi
aux Etats».

[115] AN.T 243. Lettre du 27 août 1768.

[116] _Mémoires secrets de Bachaumont_, 26 septembre 1768. Lettre du 29
août. Nous n’avons trouvé nulle part de trace de cette demoiselle de
Vedec.

[117] MARCEL MARION. _La Bretagne et le duc d’Aiguillon_, p. 574.

[118] Les _Remarques_ (renvoi à la page 27 des _Mém. du minist.
d’Aiguillon_) disent que le duc n’avait pas plus pensé au ministère que
le Dauphin n’y avait pensé pour lui.

[119] _Journal de Barbier_, t. VI, p. 446.

[120] DE LA ROCHETERIE. _Marie-Antoinette_ (1905), t. I, p. 302.

[121] _Mémoires du ministère du duc d’Aiguillon_, p. 35.

[122] _Mémoires du ministère d’Aiguillon_, p. 41.--_Mémoires du duc de
Choiseul_ (attribués à Soulavie), 1790, t. I, pp. 244 et suiv.

[123] SÉNAC DE MEILHAN. _Le gouvernement, les mœurs_, etc. _Portraits
des personnages les plus distingués du XVIIIᵉ siècle_ (édition
Lescure), p. 338. «S’il voulait se rapprocher d’elle, elle ferait la
moitié du chemin...»

[124] Ce premier commis des finances, chassé en 1768 par Choiseul pour
avoir poussé le contrôleur général Laverdy à entraver la marche du
tout-puissant ministre, avait été remis en place par Terray en 1769.
Cromot, par esprit de vengeance, laissait entrevoir au prince de Condé,
qui, seul des princes du sang, soutenait le gouvernement contre les
parlementaires, la possibilité de supplanter Choiseul.

[125] Biblioth. Nat. Mss. JOURNAL DE HARDY, 6680, t. I, p. 143, 15
janvier 1769.--BELLEVAL. Souvenirs, p. 118.

[126] CLAUDE SAINT-ANDRÉ. _Madame Du Barry_ (Paris, 1909), p. 82.

[127] BRISSOT. _Mémoires_, t. I, p. 268.

[128] MAUGRAS. _M. et Mᵐᵉ de Choiseul_, Paris, 1904, p. 449, «figure
de juif, au teint olivâtre» dit Sénac de Meilhan de Maupeou (_le
Gouvernement, les Mœurs_, etc., p. 407, édition Lescure). Il était
chancelier depuis le 15 septembre 1768.

[129] Maupeou avait remplacé par Terray, l’honnête, mais incapable
Maynon d’Invau, le 20 décembre 1769 (CORRESPONDANCE DU DEFFAND, édit.
Lescure, t. II, p. 19).

[130] BELLEVAL. _Souvenirs d’un chevau-léger_ (Paris, 1866), p. 116.

[131] GRASSET. _Mᵐᵉ de Choiseul et son temps_ (Paris, 1874), p. 109.
L’auteur donne tous les détails de cette présentation. Voir également
la lettre de Mercy-Argenteau à Nény du 3 mai 1769.

[132] MOREAU. _Mes Souvenirs_, t. II, p. 56.--_Mémoires du ministère
d’Aiguillon_, p. 43.

[133] _Mémoires secrets_, dits _de Bachaumont_, janvier 1769.

[134] AN.T 243.

[135] AN.T 243. Lettre du 5 octobre.

[136] BELLEVAL. _Souvenirs d’un chevau-léger_, octobre 1769, p. 126.

[137] AN.T 243. Lettre de 1769, s. d.

[138] BELLEVAL. _Souvenirs d’un chevau-léger_, 20 octobre 1769, p. 126.

[139] A la date où Belleval place l’anecdote, le _Déserteur_, la pièce
de Sedaine, avait déjà six mois d’existence: elle n’était d’ailleurs
que la dramatisation d’une historiette du même genre dont la comtesse
de Toulouse avait été l’héroïne en 1736.

[140] _Mémoires secrets_, dits _de Bachaumont_, t. V, p. 92.

[141] _Mémoires_, 1790, t. I, pp. 243-244. La même phrase se retrouve
dans les _Mémoires historiques et politiques_ de Soulavie (1801), t. I,
p. 141.

[142] MOREAU. _Mes souvenirs_, etc., t. II, p. 56.

[143] MARCEL MARION. _La Bretagne et le duc d’Aiguillon_, pp. 555-562.
Lettre du président de Robien.

[144] «On ne peut pas être plus jolie, dit Linguet, que Mᵐᵉ de
Forcalquier était; elle est petite, mais fort bien faite; un beau
teint, un visage rond, de grands yeux, un très beau regard, et tous les
mouvements de son visage l’embellissent.»

Citation de M. Grün dans son article sur la correspondance de Mᵐᵉ de
Forcalquier avec Joly de Fleury (_Feuillets d’histoire_ du 1ᵉʳ mai
1910).

C’était le _Bellissima_ de Mᵐᵉ Du Deffand.

Ayant reçu un soufflet de son mari, elle alla consulter, en vue d’une
séparation possible. Son avocat n’ayant pas sans doute trouvé la raison
suffisante, la comtesse rentra chez elle et administra un maître
soufflet à son mari:

«--Je vous le rends, Monsieur, lui dit-elle, je n’en puis rien faire.»

[145] _Mémoires du ministère d’Aiguillon_, p. 332. «Ce n’est pas
pendant son procès que M. d’Aiguillon a fait connaissance avec Mᵐᵉ Du
Barry, qu’il n’avait jamais vue. Comme elle n’aimait pas M. de Choiseul
parce qu’elle avait à se plaindre de lui, et comme elle voyait qu’il
cherchait à opprimer M. d’Aiguillon, elle fit offrir son crédit à
celui-ci qui n’avait fait aucune démarche pour se le procurer; et il a
eu ensuite avec elle des liaisons de reconnaissance et d’amitié.»

Cette note fait partie d’un des derniers chapitres du livre écrit pour
rectifier certaines erreurs qui se sont glissées dans les précédents.
Et comme on sent bien la pensée de la duchesse d’Aiguillon, avouée par
les remarques manuscrites de Soulavie! C’est évidemment une pieuse
inexactitude, commise par respect pour la mémoire du défunt; mais les
Souvenirs de Belleval nous apprennent précisément le contraire.

[146] CLAUDE SAINT-ANDRÉ. _Madame Du Barry_ (Paris, Emile Paul, 1909),
p. 101. C’est très discutable. Les Choiseul n’eussent pas manqué de
relever le fait. Et rien, dans la correspondance Du Deffand, à cette
époque, ne démontre que la douairière ait été en relation avec Mᵐᵉ Du
Barry.

[147] MÉMOIRES DE MARMONTEL. (Edition M. Tourneux, Paris, 1891), t. II,
p. 342-346.

[148] M. Cruppi, qui a consacré une étude, très documentée, à Linguet
(_Un avocat journaliste au XVIIIᵉ siècle_, 1895, pp. 222 et suiv.),
reconnaît, lui aussi, qu’il «n’y avait pas de preuves dans la procédure
de 1770 à l’appui des crimes dont on accusait d’Aiguillon. Après avoir
été remplacé par Duras, il présenta pour sa défense des pièces brûlées
à Rennes par le bourreau».

[149] BRISSOT. _Mémoires_, t. I, p. 152.

[150] _Mémoires du ministère d’Aiguillon_, p. 48.--SOULAVIE. _Mémoires
historiques et politiques du règne de Louis XVI_, an X, t. I, d’après
les Goncourt (_La Du Barry_).

[151] Assurément les _Anecdotes de la comtesse Du Barry_ ne sont pas
une autorité, mais tout n’est pas mensonge ni calomnie dans ce fatras,
dont le rédacteur Pidansat de Mairobert insérait la quintessence dans
les _Mémoires_ de Bachaumont. Ce reporter de grande allure puisait
directement aux sources.

[152] A rapprocher de cette phrase des _Mémoires du ministère
d’Aiguillon_ (chapitre des rectifications, p. 332) où l’on croit lire
les pattes de mouche de la duchesse: «Pendant tout le temps de ses
affaires, il n’a pas manqué de rentrer chez lui de très bonne heure
pour lire ou faire les écrits relatifs à son procès et n’en ressortait
point.» Pour un grand seigneur et un mondain, dix heures du soir,
c’était de «très bonne heure».

[153] AN.T 243. Lettre du 29 juin.

[154] MARCEL MARION. _La Bretagne et le duc d’Aiguillon_, pp. 563 et
suiv.

[155] _Correspondance de Condorcet et de Turgot_, éditée par Ch. Henry
(Paris, 1882), 16-29 juin 1770.

[156] MARCEL MARION. _Op. cit._, pp. 579-581. Le titre est: _Lettre
d’un gentilhomme breton à un noble espagnol_. Les auteurs de ce
pamphlet furent traqués et embastillés. Voir _Archives de la Bastille_
(Ravaisson), t. XIX. pp. 20 et suiv., et BN. Mss. nouv. acquis.
françaises. 1214, pp. 527 et suiv.

[157] _Mémoires secrets_, 3 juillet 1770, et _Anecdotes Du Barry_.

[158] _Mémoires d’Aiguillon_ (du ministère), p. 48.

[159] DU GAS DE BOIS-SAINT-JUST. _Paris, Versailles et les provinces_,
t. III, p. 113 et suiv.

[160] DU GAS DE BOIS-SAINT-JUST. _Paris, Versailles et les provinces_,
t. III, p. 113 et suiv.

[161] D’ARNETH. _Correspondance de Maria-Theresia und
Marie-Antoinette_, 1865, p. 1.

[162] _Mémoires secrets_, 21 juillet 1770.

[163] _Anecdotes de la comtesse Du Barry_, p. 145.--_Correspondance de
M. Argenteau_, I, 37. Les historiens ont attribué ce rôle à la comtesse
de Choiseul, parente, elle aussi, du ministre, et qui ne dissimulait
pas son insolent mépris pour la maîtresse du roi.

[164] D’ARNETH et GEFFROY. _Corresp. secrète entre Mercy-Argenteau et
M.-Thérèse_, t. I, pp. 37-39.

[165] MAUGRAS. _Le duc et la duchesse de Choiseul_, pp. 453 et suiv.
Bien que favorable à Choiseul, en considération de la duchesse, M.
Maugras ne méconnaît pas les imprudences et les maladresses d’un parti
qui fut le premier à précipiter la chute de son chef.--LES GONCOURT.
_La Du Barry_ (1878), p. 91.

[166] JULES FLAMMERMONT. _Le chancelier Maupeou et les Parlements_
(1883), pp. 98 et suiv.--LEMOY. _Le Parlement de Bretagne et le Pouvoir
royal au XVIIIᵉ siècle_ (1909), pp. 399 et suiv.

[167] Jean-Amaury Gouyon Angier de Lohéac.

[168] AN.T 243. L’arrêt du Parlement de Rennes était des 11 et 14 août.
Le comte de Goyon le fit casser à la Cour le 23 (LEMOY _loco citato_,
p. 413.)

[169] VATEL. _La Comtesse du Barry_, t. 1, p. 425.

[170] _Mémoires du ministère d’Aiguillon_, p. 49.

[171] _Mémoires du duc de Choiseul_, t. II, p. 80.

[172] _Mémoires du ministère d’Aiguillon_, p. 50.

[173] Flammermont dit que la séance dura trente minutes à peine et
qu’elle fut à peu près remplie par le discours de Maupeou.

[174] Dans une lettre du 25 septembre, Mᵐᵉ d’Aiguillon écrit que le
Roi a fait biffer devant lui cet arrêt par les députés du Parlement de
Bordeaux, mandés à Versailles pour le 22 et reçus en audience le 23.

[175] _Anecdotes de la comtesse Du Barry_, p. 148.

[176] _Lettres de Mᵐᵉ Du Deffand_ (édit. Lescure). Lettre à Walpole du
5 septembre 1770, p. 94.

[177] Le Roi avait nommé le comte de Saint-Florentin duc de la
Vrillière en 1770.

[178] FLAMMERMONT. _Loco cit._, p. 105.

[179] Lettre du 17 août à Walpole. (Correspondance de Mᵐᵉ Du Deffand,
édit. Lescure), p. 86.

[180] Journal, t. I, p. 183.

[181] AN.T 243. Lettre du 25 octobre.

[182] AN.T 243. Lettre du 4 novembre. Girac, l’évêque de Saint-Brieuc,
avait remplacé Desnos, un ami des d’Aiguillon, au siège épiscopal de
Rennes.

[183] AN.T 243. Lettre du 10 novembre.

[184] Le duc de Brissac avait donné ce surnom à Maupeou en raison de
son teint jaune et vert; et au dire de l’_Observateur Hollandais_
(_Correspondance secrète_ de Metra, t. V, p. 149), le chancelier, «pour
prévenir par la figure», se peignait le visage en blanc et mettait
ensuite une légère couche de rouge.

[185] «Aussi éloigné de l’impétuosité loyale et expéditive du duc
de Choiseul que de la circonspection oblique et laborieuse du duc
d’Aiguillon, écrit Linguet dans son _Aiguillonana_, Maupeou avait un
autre génie et n’était pas moins propre à jouer un grand rôle dans ce
tourbillon de cabales, de jalousies, de bassesses, de vengeances, de
perfidies qui s’appelle la Cour... Vindicatif avec petitesse, éprouvant
la haine en homme de cour et l’exerçant en bourgeois, il se distinguait
surtout par l’intrépidité d’un grenadier.»

[186] _Mémoires du ministère d’Aiguillon_, p. 76.

[187] FLAMMERMONT (_Le chancelier Maupeou et les Parlements_, p. 111),
affirme très nettement que Choiseul voulait la guerre.--M. MAUGRAS (_Le
duc et la duchesse de Choiseul_), soutient la version contraire. Mᵐᵉ Du
Barry fut chargée d’insinuer au roi que Choiseul désirait recommencer
la guerre avec l’Angleterre, alors qu’il l’avait évitée en faisant des
concessions à cette puissance à propos des îles Malouines.

De leur côté les Goncourt déclarent (_La Du Barry_, p. 96), que le plan
Maupeou-d’Aiguillon était de ruiner dans l’esprit de Louis XV cette
conviction, que la présence de Choiseul aux affaires (et ce fut une
des principales forces du ministre) était le maintien d’une paix dont
s’accommodait si bien l’égoïsme royal.

[188] Lettre du 25 octobre.

[189] SÉNAC DE MEILHAN. _Portraits et caractères du XVIIIᵉ siècle_
(édit. Lescure), p. 337.--SOULAVIE (_Mém. de Richelieu_, 1792, t. II,
p. 217) dit que Sénac était la créature de Choiseul.

[190] Notons à ce propos les gestes et les mots de... Gavroche que
les _Mémoires de Bachaumont_, les _Anecdotes de Mairobert_, la _Vie
privée de Louis XV_,--tous livres sortant, il est vrai, de la même
officine--prêtent à la Du Barry... Tantôt elle jongle avec deux oranges
en disant: «Saute Choiseul! Saute Praslin!» Tantôt elle raconte à
Louis XV qu’elle a «renvoyé son Choiseul»; c’était un cuisinier
qui ressemblait à l’homme d’Etat. Et bien d’autres gamineries dont
l’imprévu amusait l’ennui de Louis XV.

[191] MAUGRAS. _M. et Mᵐᵉ de Choiseul_, p. 453, t. I.

[192] AN.T 243. Lettre du 9 décembre.

[193] MAUGRAS. _M. et Mᵐᵉ Choiseul_, p. 453.

[194] AN.T 243. Lettre du 12 décembre.

[195] _Revue de Paris_, 1829, t. IV, p. 59.--BOUTARIC. _Correspondance
de Louis XV_, t. I, p. 409.

[196] SÉNAC DE MEILHAN. _Portraits et caractères du XVIIIᵉ siècle_ (éd.
Lescure), p. 337.

[197] _Revue rétrospective_, t. III, 1ᵉʳ juin 1834.--Chronique de
l’abbé Baudeau, p. 69.

[198] MAUGRAS. _Le duc et la duchesse de Choiseul_, pp. 453 et suiv.

[199] AN.T 243. Lettre du 21 décembre. Choiseul avait les départements
des affaires étrangères et de la guerre; son cousin Praslin, celui de
la marine.

[200] AN.T 243. Lettre du 3 janvier 1771.

[201] _Correspondance de Mᵐᵉ Du Deffand_ (édit. Sainte-Aulaire), t. I,
pp. 308 et 312. Lettre de Mᵐᵉ Du Deffand à la duchesse de Choiseul, 8
janvier 1771; lettre de la duchesse à Mᵐᵉ Du Deffand, 12 janvier.

[202] GRIMM. _Correspondance_ (édit. M. Tourneux), t. IX, p. 279.

Le but réel du voyage de Gustave, dit le duc de Broglie dans le _Secret
du roi_, était d’obtenir des secours de la France pour la Suède, dont
les dissensions intestines pouvaient exciter, comme la Pologne, les
convoitises de la Prusse et de la Russie. Quand la mort de son père
rappela Gustave en Suède (mai 1771), il n’avait pas encore les subsides
espérés.

[203] CORRESP. DU DEFFAND (édit. Sainte-Aulaire), t. I, p. 368. Lettre
du 8 mars.

[204] CORRESP. DU DEFFAND (édit. Sainte-Aulaire). Lettre du 11 mars.

[205] CORRESP. DU DEFFAND (édit. Sainte-Aulaire). Lettre du 8 mars.

[206] CORRESP. DU DEFFAND (édit. Sainte-Aulaire). 15 avril, t. I, p.
402.

[207] Elle a, du reste, laissé de celle qu’elle appelait son amie ce
peu gracieux portrait:

«Sa bouche est enfoncée, son nez de travers, son regard fol et hardi.
Malgré cela elle est belle. L’éclat de son teint l’emporte sur
l’irrégularité de ses traits. Sa taille est grossière; sa gorge, ses
bras sont énormes... Son esprit a beaucoup de rapports à sa figure: il
est pour ainsi dire aussi mal dessiné que son visage et aussi éclatant:
l’abondance, l’activité, l’impétuosité sont ses qualités dominantes.
Sans goût, sans grâce et sans justesse, elle étonne, elle surprend,
mais elle ne plaît ni n’intéresse; sa physionomie n’a nulle expression.
Tout ce qu’elle dit sort d’une imagination déréglée. C’est quelquefois
un prophète, un démon agité, qui ne prévoit, ni n’a le choix de ce
qu’il va dire.»

[208] FOISSET. _Le Président de Brosses_ (Paris 1842), p. 287.

[209] AN.T 243. 24 mai 1771.

[210] CLAUDE SAINT ANDRÉ. _Mᵐᵉ Du Barry_, pp. 99 et suiv. On avait
surnommé _Chon_, la sœur de Du Barry le _Roué_, cette laide et
intelligente personne «légèrement boiteuse, légèrement bossue» disent
les Goncourt.

[211] CHAMFORT. _Œuvres_ (1851), p. 68.--SÉNAC DE MEILHAN (_loco
citato_, p. 337) raconte l’anecdote à peu près dans les mêmes termes
avec cette variante que d’Aiguillon avait fait la leçon à la comtesse
et qu’elle devait interpréter le silence, toujours obstiné du prince,
par le proverbe: «Qui ne dit mot, consent.»

[212] Nous trouvons le mot dans une lettre de Marie-Antoinette à sa
mère (D’ARNETH. _Correspondance de M.-Thérèse et de M.-Antoinette_,
1865, p. 37, 13 septembre 1771).

[213] GONCOURT. _La Du Barry_, p. 116. «Ce furent quelques mois de
terreur», disent les Goncourt, en parlant des exécutions ordonnées
par le nouveau ministre dans les rangs ennemis. N’est-ce pas, hélas!
l’histoire de tous les changements de ministère. «Il ressemble au
méchant génie des _Mille et une Nuits_» écrit Mᵐᵉ de Choiseul du
concurrent heureux de son mari (Lettre à Mᵐᵉ Du Deffand, 11 septembre
1771, édit. Sainte-Aulaire).

[214] COMTESSE D’ARMAILLÉ. _La comtesse d’Egmont_, Paris, 1898, pp. 29
et suiv.

[215] _Correspondance secrète entre Mercy-Argenteau et le prince de
Kaunitz_, par d’ARNETH (édit. Flammermont), 1889, 2 vol., t. II,
p. 396. Si Mercy-Argenteau avait des préventions contre le nouveau
ministre, celui-ci n’était guère mieux disposé pour la diplomatie
autrichienne: il se plaignit un jour à Sandoz, envoyé de Prusse, de la
morgue de Vienne (même correspondance, _Lettre de Kaunitz à Mercy_, 1ᵉʳ
novembre 1771, t. II, p. 399.)

Mercy-Argenteau avait succédé, en 1766, au comte de Stahremberg, grâce
à la protection de Kaunitz, qui l’avait eu comme attaché, pendant son
ambassade à la Cour de Louis XV. Ce brillant et magnifique diplomate
rendait justice à la douceur, à la prudence et à la sagesse de son
subordonné, bien qu’il le trouvât «timide, taciturne et gauche jusqu’à
la maussaderie». Le comte de Pimodan, biographe de Mercy, en loue le
bon sens, la mesure, l’adresse et la discrétion. Mais cette discrétion
«habile» alla, nous le verrons bientôt, jusqu’à la dissimulation,
et cette correction diplomatique n’était que l’attitude froide et
gourmée d’un homme qui se croyait très fort parce qu’il n’avait devant
lui qu’un prince indifférent et des ministres décriés. Il prétendit
_jouer_ au Mentor avec une adolescente que se disputaient de multiples
influences et qui avait déjà la volonté de ses caprices; et ce fut
lui qui fut _joué_ par une reine, lasse de ce conseiller, marionnette
docile d’une mère impérieuse.

[216] Correspondance de Mᵐᵉ Du Deffand (édit. Lescure, 1865), t. II, p.
175.

[217] BELLEVAL. _Souvenirs d’un chevau-léger_ (1868, Paris), juillet
1771, p. 150.

[218] De Boynes avait été nommé en avril 1771 au ministère de la
marine, après un intérim de trois mois rempli par Terray.

[219] _Journal de Cro _ (_loco citato_), t. II, p. 505.

[220] _Correspondance Du Deffand_ (édit. Sainte-Aulaire). Lettre de Mᵐᵉ
Du Deffand, du 27 juillet, t. II, p. 24.

[221] MOUFLE D’ANGERVILLE. _Histoire du règne de Louis XV_ (Londres, 6
volumes, 1783) t. VI, p. 365.

[222] D’ARNETH (édit. Geffroy). _Correspondance secrète entre
Marie-Thérèse et Mercy-Argenteau_ (1876, 3 v.), t. I, pp. 198-199.

Il n’est pas inutile d’indiquer ici l’origine de cette correspondance,
qui, réserve faite de la mentalité respective de ses deux principaux
protagonistes, apporte une contribution si précieuse à l’histoire des
dernières années du règne de Louis XV et des premières de celui de
Louis XVI.

Au moment où Marie-Antoinette allait échanger la discipline familiale,
mais austère, du gynécée de Vienne contre les mondanités frivoles, mais
séduisantes, du palais de Versailles, Marie-Thérèse avait voulu placer
sa fille sous une sorte de tutelle qu’elle avait confiée à son lecteur
l’abbé de Vermond et à l’ambassadeur comte de Mercy-Argenteau. Dès
lors, elle avait institué, avec celui-ci, une correspondance secrète,
pour être renseignée, et sur la politique de la Cour de Versailles,
et sur l’attitude de Marie-Antoinette comme Dauphine, puis comme
reine de France. Dans son esprit, Mercy-Argenteau était une sorte de
gouverneur qui devait régenter la jeune princesse, au nom de sa mère
et dans l’intérêt de l’Autriche. C’était bien l’homme qui convenait
à la mission: méthodique, méticuleux, méfiant, rigide observateur
de l’étiquette, il dut maintes fois fatiguer de ses observations
la Dauphine, et même l’irriter, surtout quand il lui disait qu’il
avertirait Marie-Thérèse du peu d’égards qu’elle marquait aux
avertissements réitérés de sa mère. Car celle-ci traitait encore comme
une petite fille Marie-Antoinette et ne lui ménageait pas les semonces.

Le prince de Kaunitz, ministre des affaires étrangères, aurait pu se
formaliser, comme le fit plus tard d’Aiguillon de la Correspondance
secrète de Louis XV avec le comte de Broglie. Il feignit, au
contraire, d’ignorer le plaisir innocent que prenait sa souveraine à
ces rapports secrets, mais à la condition que Mercy lui en rédigerait
un extrait... que l’on retrouve d’ailleurs, presque avec les mêmes
phrases, dans les lettres de l’ambassadeur d’Autriche au ministre de
Vienne (D’ARNETH-FLAMMERMONT. _Correspondance secrète_, 1889, 2 v., t.
II, p. 243, 11 novembre 1768). Mercy, dans sa réponse du 9 décembre,
prétendait n’avoir cédé qu’aux instances de Nény, secrétaire intime de
l’impératrice, et promettait à Kaunitz de lui donner la satisfaction
qu’il désirait.

Au reste, Mercy-Argenteau apportait, dans ses relations diplomatiques,
des sentiments de défiance tâtillonne, et presque grincheuse,
qu’alimentait encore un appétit démesuré de commérages. Il n’aimait ni
la France, ni son gouvernement: «Ce royaume, écrivait-il à Kaunitz, est
sans justice, sans ministère, sans argent.» Ah! la bonne alliance que
nous avions là.

[223] _Corresp. secrète de M. Argenteau._ Lettre de Mercy du 2
septembre 1771, t. I, pp. 200-214. Mercy n’était pas d’ailleurs sans
indulgence pour Mᵐᵉ Du Barry: «Elle n’est ni méchante, ni intrigante»
écrit-il le 15 septembre 1779 à Nény.

[224] CORRESP. DU DEFFAND (édition Sainte-Aulaire, 1866), t. II, pp.
13, 14 et suiv.

[225] AN. T. 243 Lettre du 9 octobre 1771 (de Fontainebleau).

[226] CORRESP. DU DEFFAND (édit. Sainte-Aulaire), 1ᵉʳ octobre 1771, t.
II, p. 59.

[227] CORRESP. DU DEFFAND (édit. Sainte-Aulaire), 3 octobre 1771, t.
II, p. 59.

[228] _Anecdotes de la comtesse Du Barry_, Londres, 1776, p.
249.--Moufle d’Angerville dit également dans sa _Vie privée de Louis
XV_ (t. IV, p. 285), à propos des complaisances de d’Aiguillon pour Mᵐᵉ
Du Barry, qu’il «forçait sa femme à s’associer à sa bassesse servile».

[229] _Anecdotes de la comtesse Du Barry._ La Dauphine y serait allée
sans l’opposition de Mesdames, affirme Mercy dans sa lettre du 16
octobre 1772 à M.-Thérèse. CORRESP., t. I, pp. 357-358.

[230] AN.T. 243. Lettre du 9 octobre 1771.

[231] AN.T. 243. Lettre du 12 novembre 1771.

[232] Alphonsine-Louise-Félicité, née en 1754, du premier mariage du
comte d’Egmont avec Alphonsine de Saint-Severin d’Aragon.

[233] WELVERT. _Feuilles d’histoire_, 1ᵉʳ juin 1910.

[234] MAUGRAS. _La disgrâce du duc et de la duchesse de Choiseul_, p.
149.

[235] VATEL. _La comtesse Du Barry_, t. II, pp. 100 et suiv.

[236] MAUGRAS. _Loco citato_, p. 149.

[237] Mémoires de Choiseul, t. II, p. 70.

[238] Mémoires de Besenval, t. II, pp. 148-50.

[239] Des historiens ont dit que Choiseul demandait 3 millions.

[240] Il est vraiment curieux de constater quelle activité ce prince,
toujours indolent et toujours ennuyé, apportait à sa correspondance
secrète, menant plusieurs intrigues à la fois, au point de les
confondre toutes dans un même imbroglio. Il avait un tempérament
d’auteur dramatique, voire de chroniqueur. Un livre, récemment paru,
les _Nouvellistes_, a démontré, d’après d’indiscutables documents,
combien Louis XV recherchait les échos du jour, les anecdotes
scandaleuses, les rapports de police, et pour dire le mot boulevardier,
les _potins_ qui défrayaient ses appétits de curiosité et mettaient à
sa merci la vie intime de ses courtisans.--Mais après lui, le Secret
du roi devint, qu’on nous passe le mot, le _Secret de Polichinelle_.
Et un livre de Soulavie parut en 1793 (Paris, 2 vol.), qui divulguait
la _Politique de tous les Cabinets de l’Europe pendant les règnes de
Louis XV et de Louis XVI, contenant des pièces authentiques sur la
correspondance secrète du comte de Broglie, un ouvrage dirigé par lui
et exécuté par M. Favier_.

[241] Il écrivait au roi, le 17 mars, qu’il venait de recevoir la
visite de M. d’Aiguillon, et que celui-ci, en présence de la résistance
opiniâtre opposée par le prince aux suggestions de Mᵐᵉ Du Barry,
déclinait toute prétention au ministère; et lui, de Broglie, ajoutait:
«J’attendrai avec respect ce qu’il plairait à Votre Majesté de faire de
moi».

[242] DUC DE BROGLIE. _Le Secret du Roi_, t. II, p. 375. Evidemment le
comte de Broglie était plutôt désigné pour la place que l’incapable
Rohan, même assisté de Durand. Dès le 20 janvier 1771, il avait prévenu
le roi des accords suggérés par Frédéric pour éviter une guerre entre
la Russie et l’Autriche à propos de la Turquie, accords dont la Pologne
devait payer les frais. L’inertie de La Vrillière et l’échauffourée de
Dumouriez firent le reste.

[243] _Corr. secrète d’Arneth-Flammermont._ Lettre de Mercy à Kaunitz,
du 19 décembre, t. II, p. 400.

[244] _Corresp. secrète d’Arneth-Geffroy._ Lettre de Mercy à
M.-Thérèse, du 23 janvier 1772, t. I, p. 263.

Il est vrai que, par manière de correctif, la Dauphine déclarait à
Mercy: «Je suis bien décidée à en rester là; et cette femme n’entendra
plus le son de ma voix».

[245] GEFFROY. _Gustave III et la Cour de France_ (Paris, 1867, 2
vol.), t. I, p. 249.--Vergennes, disgracié par Choiseul (SOULAVIE.
_Mémoires historiques_, I, 120), avait été envoyé à Stockolm en mai
1771 par d’Aiguillon.

[246] AN.T 243. Lettre du 15 septembre 1772.

[247] DUC DE BROGLIE. _Le secret du roi_, t. II, p. 385.

[248] Lettre du 12 janvier 1772, dans BOUTARIC. _Correspondance secrète
de Louis XV_, 1866, 2 vol., t. I, p. 430.

[249] VATEL. _Mᵐᵉ Du Barry_, t. II, p. 175.--Rohan fit son entrée à
Vienne le 6 janvier 1772.

[250] BOUTRY. _Autour de M.-Antoinette_ (Paris, 1906), p. 211.

[251] DE LA ROCHETERIE. _Marie-Antoinette_ (Paris, 1905), t. I, pp. 108
et suiv.

Vatel cite dans son _Histoire de Mᵐᵉ Du Barry_ (t. II, p. 163) une
dépêche de Marie-Thérèse à Mercy, datée du 31 janvier 1773, où elle
reconnaît que «contraire à cet inique partage si inégal et à se lier
avec ces deux monstres» le malheur des temps «l’a tellement accablée
qu’elle a cédé, mais bien contre sa conviction.»

[252] BOUTRY. _Autour de M.-Antoinette_, p. 208 (d’après les archives
des affaires étrangères).

[253] _Corresp. M. Argenteau_, I, 298. Lettre de Mercy du 15 avril 1772.

[254] _Corresp. M. Argenteau_, I, 298. Lettre de Mercy du 15 juin 1772
au baron Nény.

[255] Sans rappeler l’ancienne malveillance du Chancelier contre
d’Aiguillon, Lebrun, celui qui devait être plus tard le prince
architrésorier de l’Empire, donne dans ses _Opinions_ (1831, p.
40) l’origine de l’antagonisme signalé par Mercy. Quand la Du
Barry sollicitait pour son allié le poste des affaires étrangères,
d’Aiguillon envoya auprès de Lebrun, inspecteur général des domaines
de la Couronne, un de ses collègues, M. de C***, avec prière de
«déterminer Maupeou à parler pour le duc». Et l’émissaire ajoutait que
si d’Aiguillon «n’avait pas l’obligation de sa place» au chancelier,
il «serait son ennemi». Lebrun résume ainsi l’anecdote: «Le roi céda
de lassitude: M. d’Aiguillon fut nommé. Il se souvint bien qu’il ne le
devait pas à M. de Maupeou; et sans doute il me fit l’honneur de croire
que j’avais été pour quelque chose dans son silence.»

[256] VATEL. _Mᵐᵉ Du Barry_, t. II, pp. 175 et suiv.

[257] BOUTRY. _Autour de M.-Antoinette_, pp. 216 et suiv.

[258] D’ARNETH-FLAMMERMONT. _Corresp. Mercy-Kaunitz_, t. II, p. 408.
_Lettre de Mercy_ du 6 mai.

[259] L’ABBÉ GEORGEL. _Mémoires_ (1820, 6 vol.), t. I, p. 251.

Plusieurs historiens, entre autres le duc de Broglie et M. de la
Rocheterie, se sont apitoyés sur les angoisses de Marie-Thérèse, très
consciente cependant du coup de force qui se préparait, quand un mois
avant l’exécution (le 2 juillet 1772) elle écrivait à Mercy: «Rien au
monde ne m’a fait plus de peine, mais surtout le tort que nous avons
vis-à-vis de nos alliés et de l’Europe, comme si nous préférions un
intérêt particulier à toute honnêteté et égards.» Ce qui ne l’empêche
pas, à la fin de cette même lettre, d’invoquer la raison d’état qui
doit justifier à ses yeux l’attentat imminent du 5 août. Dans un livre
tout récent, M. de Pimodan exécute, lui aussi, mais avec certaines
réserves, la duplicité de l’impératrice-reine: il met, en effet,
le démembrement de la Pologne à l’actif de Joseph II, le fils de
Marie-Thérèse, que sa mère avait fait nommer pour la forme corégent,
après la mort de l’Empereur.

[260] Mᵐᵉ Campan raconte l’anecdote, mais sans commentaires, dans ses
_Souvenirs_, sur M.-Antoinette.

D’après le duc de Broglie (_Le Secret du Roi_, II, 390) et Vatel
(_Mᵐᵉ Du Barry_, II, 165), Frédéric II dit, dans ses _Mémoires_, de
Marie-Thérèse: «Elle pleurait et prenait toujours, et nous eûmes
beaucoup de peine à obtenir qu’elle se contentât de sa part de gâteau.»

[261] _Corresp. M. Argenteau_ (d’Arneth-Geffroy), II, p. 515. Lettre
de Mercy du 15 juin. Une note, insérée au bas de la page 315, rapporte
d’après le baron de Blöme, ministre de France en Danemarck, une réponse
que dut faire, à cette occasion, le duc d’Aiguillon: «qu’il convient
que la conduite de la Cour de Vienne est aussi juste que nécessaire,
mais que ce serait toujours un grand mal pour la balance de l’Europe,
si le partage en question venait à se réaliser. Au reste ce ministre
n’a avisé aucun moyen pour rétablir les choses sur l’ancien pied».
Telle était l’incertitude, la pusillanimité de cet homme d’Etat,
qu’il n’osait désavouer la parole du maître. Et, cependant, il avait
conscience de cette vérité essentielle, toujours hélas! d’actualité,
que l’existence d’une Pologne unie, forte, indépendante, était une
nécessité pour l’Europe continentale et surtout pour la France.

[262] CORRESP. M. ARGENTEAU (_d’Arneth-Geffroy_). Lettre de Mercy du 18
juillet.

[263] D’ARNETH-FLAMMERMONT. _Corresp. Mercy-Kaunitz._ Lettre de
Kaunitz, du 10 février 1772, t. II, p. 404.

[264] D’ARNETH-GEFFROY. _Corresp. M. Argenteau._ Lettre de Mercy à
M.-Thérèse, du 14 août.

[265] D’ARNETH-GEFFROY. _Corresp. M. Argenteau._ Lettre de Mercy à
M.-Thérèse, du 26 août.

[266] CORRESP. M. ARGENTEAU (_d’Arneth-Geffroy_). Lettre de Mercy, du
16 septembre 1772.

[267] CORRESP. M. ARGENTEAU (_d’Arneth-Flammermont_), t. II, p. 410.
Lettre de Mercy, du 14 août 1772, au prince de Kaunitz.--Le DUC DE
BROGLIE (_Secret du Roi_, II, 391), dit que d’Aiguillon, après le 5
août 1772, se plaignit à Vienne de «n’avoir pas été prévenu».

[268] CORRESP. M. ARGENTEAU (_d’Arneth-Geffroy_). Lettre de Mercy, du
16 septembre 1772.

[269] CORRESP. M. ARGENTEAU (_d’Arneth-Geffroy_). Lettre de Mercy, du
16 octobre 1772.

Ces manœuvres correspondaient à la politique de M.-Thérèse qui tendait
à faire prédominer l’Autriche en Europe par l’influence de ses
alliances familiales avec la maison de Bourbon.

[270] Lettre du 14 novembre. Le Comte de Provence, d’après M.
Argenteau, saisissait toutes les occasions de dire du mal de
d’Aiguillon et du bien de Maupeou.

[271] Lettre du 14 novembre.

[272] CORRESPONDANCE M. ARGENTEAU. Lettre à M.-Thérèse, 14 novembre
1772, p. 378.

[273] Lettre du 5 novembre 1772 à Balleroy, AN.T 243.

[274] _Mémoires secrets_, t. VI, p. 95.--Musset-Pathay a reproduit
cette anecdote dans ses _Nouveaux mémoires secrets_ (Paris, 1829), p.
248.

[275] Voir pp. 21-22.

[276] FONTAINE DE RESBECQ. _Les tombeaux de Richelieu à la Sorbonne_,
Paris, 1867.

[277] Lettre du 6 décembre 1772 au chevalier de Balleroy.

[278] «Mᵐᵉ de Mirepoix, éternelle joueuse qui avait besoin d’argent et
qui en recevait par le canal de la favorite, devint sa complaisante; et
Mᵐᵉ d’Aiguillon, qui avait dans les mœurs et le caractère bien plus de
décence et de retenue, fut contrainte par son mari de la fréquenter.»
(SOULAVIE. _Mém. histor. et politiq. du règne de Louis XV_, 1801, t. I,
p. 70.)

[279] _Corresp. secrète entre Marie-Thérèse et M. Argenteau._ Lettre de
M.-Antoinette à M.-Thérèse, t. I, p. 396.

[280] Lettre du 16 janvier, de M. Argenteau à Marie-Thérèse, t.
I, p. 402.--Mercy avait préalablement admonesté la Dauphine (p.
401); et celle-ci avait prié l’ambassadeur de mitiger son rapport
à sa souveraine, car Marie-Antoinette disait de sa mère: «J’aime
l’Impératrice, mais je la crains» (p. 404).

[281] Lettre du 31 janvier (_Corr. secrète M. Argenteau. Lettre de
M.-Thérèse_), t. I, p. 407.

[282] D’ARNETH-FLAMMERMONT. _Corresp. M. Argenteau, Pr. de Kaunitz et
Joseph._ Lettre de Mercy à Kaunitz, 17 février 1773, t. II, p. 415.

[283] D’ARNETH-GEFFROY. _Corr. M. Argenteau et M.-Thérèse._ Lettre
de Mercy, 20 avril 1773, t. I, p. 445-446. «Elle a conçu pour le duc
d’Aiguillon une horreur qui passe toute mesure...»

[284] Version de la Gazette Mss. de la Bibliothèque Mazarine et VATEL.
_Mᵐᵉ Du Barry_, t. II, pp. 216 et suiv.

[285] Lettre de Mᵐᵉ Du Deffand à l’abbé Barthélemy (édit.
Sainte-Aulaire), janvier 1773, t. II, p. 325.

[286] JOURNAL DE PAPILLON DE LA FERTÉ (édité par M. Boysse, Paris,
1887), p. 342, 18 février. «Nos ouvriers y travaillent jour et nuit,
malgré le mauvais temps qu’il fait.»

[287] _Anecdotes de la comtesse Du Barry_, pp. 252-253.

[288] Lettre inédite publiée par M. Maugras dans la _Disgrâce de
Choiseul_, p. 238.

[289] Lettre du 18 mai de M. Argenteau à M.-Thérèse, t. I, p. 454.
La Dauphine confesse à l’ambassadeur qu’elle a constaté «le peu de
sincérité» du comte de Provence.

[290] Lettre du 16 juin de M. Argenteau à Marie-Thérèse, t. I, p. 461.

[291] Lettre de M. Argenteau, du 16 juin 1773, t. I, p. 465.

[292] M. Welvert, dans un article très fouillé des _Feuilles
d’Histoire_ (mai-juin 1910), que suivit sa publication _Autour d’une
dame d’honneur_, met en doute l’acceptation par Mᵐᵉ de Narbonne des
offres du ministre. Mercy-Argenteau, dit-il, puisait ses renseignements
à des sources frelatées et obéissait à ses préventions autrichiennes
pour accuser à tort Mᵐᵉ Adélaïde et Mᵐᵉ de Narbonne d’avoir voulu faire
comprendre à la Dauphine ses nouveaux devoirs.

[293] Marie-Thérèse en avait dit autant de l’ambassadeur de France à
Mercy le 18 mars 1772: «Le prince de Rohan est un bien mauvais sujet;
je le verrais, avec plaisir, bientôt dénicher d’ici.»

_L’Observateur anglais_, t. I, p. 448. «Mᵐᵉ la comtesse de Narbonne,
dame d’atours de Mᵐᵉ Adélaïde, dans la vue de parvenir à la faveur qui
lui avait été promise, avait déterminé la princesse, sa maîtresse, et
Mesdames à ménager la comtesse Du Barry et à la recevoir désormais avec
des égards et de la bienveillance.

Mᵐᵉ la comtesse de Provence et le Comte s’étaient rendus à cet égard
et on y avait même engagé Mᵐᵉ la Dauphine, lorsque M. le Dauphin,
par un refus formel, a rompu cette réconciliation. Il a déclaré que,
lui, personnellement, était disposé à donner, en tout temps, au roi
des marques de sa tendresse, de son respect et de sa soumission, mais
qu’il était de son intérêt, ainsi que de son devoir, plus encore de son
attachement à Mᵐᵉ la Dauphine, de ne laisser approcher d’elle aucun
scandale.» _Corresp. secrète de M. Argenteau._ Lettre de Mercy du 12
juillet, t. II. p. 5.

[294] _Corresp. secrète de M. Argenteau._ Lettre de Mercy du 17, t. II,
p. 12.

[295] _Corresp. secrète de Mercy._ Lettres du 14 et 26 août 1773, t.
II, pp. 18 et suiv.

[296] _L’Espion anglais_ de 1779 (t. I. p. 37).

[297] DE BROGLIE. _Le Secret du roi._ t. II, p. 398.

[298] _Corresp. Mercy. Lettre de M.-Thérèse_, du 2 août, t. 2, p. 15.

[299] _Mémoires du Ministère d’Aiguillon_, t. II, p. 97.

[300] CORRESP. DU DEFFAND (Edit. Lescure). Lettre de Mᵐᵉ Du Deffand à
Walpole (27 février 1773), t. II, p. 310.

[301] DE BROGLIE. _Le Secret du Roi_, t. II, p. 441.

[302] JOBEZ. _Histoire de Louis XV_, t. VI.

[303] _Souvenirs du baron de Gleichen_ (traduction Grimblot, Paris,
1878).

[304] Le duc de Broglie l’a retrouvée dans les archives Chabrillan
(papiers d’Aiguillon).

[305] DE BROGLIE. _Le Secret du Roi_, t. II, p. 450.--BOUTARIC.
_Corresp. secrète de Louis XV_, t. II, p. 30.

Le roi avait écrit au comte de Broglie: «M. d’Aiguillon a découvert
une correspondance d’un nommé Dumouriez, qui est à Hambourg, avec M.
de Monteynard. Il parle aussi d’un fils de Guibert (l’auteur de la
_Tactique_), d’un nommé Favier en correspondance avec le prince de
Prusse et la Russie. Il dit que vous avez été en commerce avec M. de
Monteynard. Eclaircissez ce que vous pouvez savoir de tout cela; et, de
là, il (d’Aiguillon) tombe fort sur le ministre et sur vous.»

Voir l’article de M. Fr. FUNCK-BRENTANO, sur l’incarcération de
Dumouriez à la Bastille dans la _Nouvelle Revue rétrospective_ de M.
PAUL COTTIN.

[306] T. 243 (Arch. Nat.). Lettre au chevalier de Balleroy.

[307] D’après GEFFROY (_Gustave III et la Cour de France_, t. I,
p. 198), Louis XV envoya un billet confidentiel à Broglie où il
l’informait qu’il n’avait rien perdu de sa confiance; mais la
correspondance secrète ne se releva guère du coup qui l’avait frappée;
elle se continua, languissante, jusqu’à la mort du roi.

[308] DUC DE BROGLIE. _Le Secret du Roi_, t. II, p. 457.

[309] Lettre de M.-Thérèse à Mercy-Argenteau du 31 août. (_Corresp.
secrète_, t. II, p. 36).

[310] COMTESSE D’ARMAILLÉ. _La Comtesse d’Egmont_ (1880), p. 267: «J’ai
vu moi-même (daignez ne pas le répéter), écrivait, en 1772, la comtesse
à Gustave III, les promesses les plus positives de tout secours à la
Confédération, écrites de la propre main de M. d’Aiguillon.»--«Le
tout n’a tenu qu’à l’argent qu’il fallait fournir aux confédérés
pour continuer la guerre (5 mai 1772, lettre de d’Horst à Nény).
FLAMMERMONT. _Correspondance des agents diplomatiques étrangers_, 1896,
p. 66.

[311] COMTESSE D’ARMAILLÉ. _La Comtesse d’Egmont_, p. 288. La scène se
passe en avril 1773. Elle eut des conséquences tragiques. La colère de
Richelieu fut terrible. Et l’année suivante, la jeune femme, déjà très
affaiblie et gravement atteinte, succombait à tant d’émotions.

Le coup d’état de Gustave III avait démontré, comme le dit le duc
de Broglie dans le _Secret du roi_, «la supériorité d’une tradition
monarchique sur le déplorable principe d’élection qui avait perdu la
Pologne». Berlin et Pétersbourg, que le partage de celle-ci avait
mis en appétit, témoignèrent une vive irritation. D’Aiguillon voulut
envoyer une flotte de Toulon, mais se vit barré par la méfiance de
l’Angleterre.

[312] BOUTRY. _Autour de Marie-Antoinette_, p. 294.--_Lettre de M.
Argenteau_, I, 446.

[313] Lettre de Rohan du 19 décembre 1773. Cependant d’Aiguillon le
tançait: il lui apprenait qu’une indiscrétion commise dans l’entourage
du cardinal (BOUTRY, p. 214) avait fait découvrir «le chiffre»; et il
ne se faisait pas faute de rejeter sur l’incapacité du prélat tous ses
déboires dans la question polonaise (BOUTRY, p. 251-257).--_Corresp. M.
Argenteau_, t. II, p. 92, note.

[314] _Corresp. M. Argenteau._ Lettre à M.-Thérèse, 18 décembre 1771,
t. II, p. 75.--D’ARNETH-FLAMMERMONT. Lettre de Mercy au prince de
Kaunitz, 17 octobre 1773, t. II, p. 422. Il parle de Rohan: «Il serait
plus commode à M. d’Aiguillon d’écraser un de ses ennemis par la main
de l’Impératrice.»--Rohan ne fut définitivement rappelé que le 18 août
1774.

[315] D’ARNETH. _Corresp. de M.-Thérèse et de M.-Antoinette._ Lettre de
M.-Antoinette, 17 mars 1773, p. 81. «Je crois que M. d’Aiguillon est
un peu honteux de n’avoir pas mieux pris ses mesures pour l’escadre de
Toulon.»

[316] _Corresp. secrète de Mercy-Argenteau et de M.-Thérèse_, t. II,
passim.

[317] FRÉDÉRIC MASSON. _Le Cardinal de Bernis._ Année 1773 (septembre).

[318] AN.T 243. Lettre à Balleroy.--Nous retrouvons le même propos dans
MOUFLE D’ANGERVILLE. _Vie privée de Louis XV_ (1782, 6 vol.), t. IV. p.
295: «Je vous avoue que je suis difficile» dit le roi à M. d’Aiguillon.

Un pamphlet publié en 1781, _le ministère de M. de Maurepas_, fait
remarquer, à propos de la nomination de d’Aiguillon à la guerre: «Ce
choix parut si ridicule que, pour prévenir toutes les plaisanteries,
il fut défendu de l’annoncer dans la _Gazette de France_.» En effet,
la nomination ne s’y trouva pas; mais le pamphlétaire se garde bien de
dire que les _intérimaires_ n’y paraissaient pas. La Vrillière, qui
tint, en 1771, l’intérim des affaires étrangères, n’est pas plus cité
que ne le fut son neveu.

[319] MOREAU. _Mes Souvenirs_, t. I, p. 369.

[320] _Journal de Moreau._ Mercredi 2 février 1774.

[321] _Journal de Cro ._ T. III, p. 55.

[322] _Lettre de Mercy_ du 12 novembre 1773, t. II, p. 69 (Corresp.
secrète).--La nomination de Monteynard, à en croire les Goncourt, était
due à une surprise. Cromot, d’accord avec la Du Barry, avait laissé
espérer au prince de Condé qu’il remplacerait Choiseul. Mais Louis XV
ne s’en souciait nullement; il fit même cette mauvaise plaisanterie au
prince de Condé de le prier de lui choisir un ministre de la guerre.
Et l’autre, abasourdi, désigna Monteynard. Mais il s’en prit à la
favorite: «Vous m’aviez _promis_ de me faire nommer grand maître de
l’artillerie».--Eh bien! répliqua la Du Barry, je vous _dépromets_.

Monteynard servait l’antipathie du prince de Condé contre d’Aiguillon;
et ce fut peut-être la véritable cause de sa disgrâce, plutôt que
l’appui prêté par lui, à la recommandation de Louis XV, aux projets de
Dumouriez parti pour Hambourg.

[323] Lettre de Mercy du 22 mars 1774, II, p. 117-118 (Corresp.
secrète).

[324] _Correspondance de M.-Thérèse et de M.-Antoinette_ (1865), p. 97,
3 avril 1774. Lettre de M.-Thérèse: «M. d’Aiguillon, étant ministre de
la guerre, a commencé de vouloir gagner vos bonnes grâces; c’est en
règle, il faut que vous ayez de même de bons procédés tant qu’il les
méritera.»

[325] _Correspondance de Mercy._ Lettre de M.-Thérèse du 5 avril, II,
125.

[326] _Correspondance de Mercy._ Lettre de Mercy du 19 avril, II, 129.

[327] _Correspondance de Mercy._ Lettre de Mercy du 22 mars, II, 122.

[328] _Mémoires du ministère d’Aiguillon_, p. 58.--_Les Anecdotes de
Mᵐᵉ Du Barry_, par Pidansat de Mairobert, enregistrent également cette
version: d’après elles, la comtesse aurait «engagé loyalement» Louis XV
à signer l’ordre de rappel.--Moreau parle également d’une combinaison
qui aurait réintégré la grande majorité des parlementaires, à
l’exclusion de Maupeou. Celui-ci, pour parer à l’orage, avait consenti,
à la fin de janvier 1774, la rentrée de 80 parlementaires, Lamoignon en
tête.

[329] COMTE FLEURY. _Louis XV intime_ (1899), pp. 331 et suiv.

[330] _Journal de Cro _, t. III, p. 70 et suiv.

[331] JACQUIN et DUESBERG. _Histoire de Ruel_, p. 249.--L’anecdote a
été contée par Mᵐᵉ Campan dans ses _Mémoires sur M.-Antoinette_.

[332] _Revue rétrospective_, 1834, t. III, 1ʳᵉ série, p. 43.

[333] HENRI D’ALMÉRAS. _Les amoureux de Marie-Antoinette_, p. 68.

[334] MÉTRA. _Correspondance secrète_, t. I, p. 3.

[335] _Journal de Cro _, t. III, p. 118.

[336] On avait amèrement reproché à Richelieu, et par ricochet à
d’Aiguillon, d’avoir «croisé» d’Alembert qui faisait campagne pour
Delille et Suard et provoqué ainsi le veto opposé par Louis XV à leur
élection.

[337] D’HUNOLSTEIN. _Correspondance inédite de M.-Antoinette_ (1868).
Lettre de M.-Antoinette à M.-Thérèse, p. 70.--L’authenticité de cette
correspondance a été très vivement contestée par M. d’Arneth. Il est
certain que si cette lettre du 11 mai répond bien à l’état d’esprit
de la nouvelle reine, elle est trop correctement écrite pour une
princesse encore peu familiarisée avec notre langue, à en juger par la
publication d’Arneth-Geffroy.

[338] La comtesse de Boigne raconte de façon fort piquante (_Mémoires_,
1907, t. I, p. 62), mais sans indiquer la source de ses renseignements,
comment Maurepas devint ministre. Il avait été mandé à Choisy, pour les
funérailles du feu roi qu’on ne savait régler: Louis XVI s’entretenait
avec lui, quand l’huissier vint l’appeler pour le Conseil: «le roi
passe, sans oser lui dire adieu, M. de Maurepas suivit, s’assit au
Conseil et gouverna la France pendant dix ans.»... Pardon, sept ans.

[339] MOREAU. _Mes Souvenirs_, t. II, p. 3.--ARNETH. _Correspondance de
M.-Thérèse et de M.-Antoinette._ Lettre de M.-Thérèse, 30 mai. «Il n’y
a que le choix de Maurepas qui étonne, mais on l’attribue à Mesdames».

[340] MÉTRA _(Correspondance secrète_ dite de), t. I, pp. 23 et
suiv.--«C’était pour rester à la Cour», dit le _Journal de Cro _.

[341] C’est également la version de la _Correspondance de Métra_.

[342] _Journal de Cro _, t. III, p. 126.--MOREAU. (_Mes Souvenirs_)
tenait de la bouche même du ministre, que, sachant son exécution
prochaine, il voulait prendre les devants.

[343] MARQUIS DE SÉGUR. _Au couchant de la monarchie_ (Paris, C. Lévy,
1910), p. 168.

[344] Cet affront sanglant avait certainement précédé la double
démission du ministre, car Baudeau, qui le signale dans sa chronique,
date la scène du 2 juin (_Revue rétrospective_, 1834, t. III, p. 69).

[345] Lettre de M. Argenteau à Marie-Thérèse, 7 juin 1774, t. II, p.
163.--D’après les _Anecdotes de la comtesse Du Barry_ (p. 329), la
duchesse d’Aiguillon, piquée au vif de l’affront qu’elle venait de
subir, aurait exprimé à son mari son désir «d’aller s’ensevelir dans
ses terres».

[346] Mⁱˢ DE SÉGUR. _Loco citato_, d’après les _Réflexions historiques
du comte de Provence_, p. 66.--Coquette! La femme l’est volontiers, et
peut-être toujours, mais n’aime pas qu’on le dise trop haut.

[347] _Corresp. M. Argenteau._ Lettre de Mercy à M.-Thérèse du 15
juillet 1774, t. II, p. 197.

[348] DUC DE BROGLIE. _Le Secret du roi_, t. II, p. 529.

[349] DUC DE BROGLIE. _Le Secret du roi_, t. II, p. 546.--BOUTARIC.
_Corresp. secrète_, t. II, p. 497.

[350] MÉTRA. _Correspondance secrète_, t. I, p. 17.

[351] Une note de la _Corresp. secrète de M. Argenteau avec M.-Thérèse_
(t. II, p. 205) établit néanmoins que d’Aiguillon toucha cinq cent
mille livres de gratification comme dédommagement de ses dépenses au
cours de son ministère.

[352] COLLÉ. _Journal et Mémoires_ (édit. Honoré Bonhomme, 1868) 3 vol.
in-8º.

[353] DINAUX. _Sociétés badines_, Paris, 1867, 2 vol. in-8º.

[354] Ce nom revient souvent dans la Correspondance des Archives comme
dans celle de Fontette et La Noue publiée par M. Carré; et le savant
historien n’a pu identifier cette «belle Candide». M. Lemoy (_loco
citato_, p. 72) en fait le surnom de la duchesse d’Aiguillon. Ce
n’est guère vraisemblable, d’après cette lettre du 26 août adressée
à Balleroy. Nous ne croyons pas davantage qu’il s’agisse de la
«bellissima» Mᵐᵉ de Forcalquier, qu’on a dit maîtresse de d’Aiguillon
(_Mémoires sur son ministère_) ou encore du baron Scheffer, frère du
ministre suédois. En tout cas, elle fut la fidèle et constante amie
de d’Aiguillon, au point d’avoir donné la démission de sa charge à la
cour, le jour où le duc avait remis la sienne entre les mains du roi.
Notons seulement que, dans cette même lettre du 26 août, la duchesse
annonçait à Balleroy le départ de Mᵐᵉ de Forcalquier. Ailleurs (le
21 mai 1772) elle dit qu’elle «ne trouvera pas à Versailles sa chère
Candide».

[355] Devenu ministre, d’Aiguillon avait remplacé Duras au Gouvernement
de Bretagne par le duc de Fitz-James.

[356] Maurepas, disent les _Mémoires du ministère d’Aiguillon_ (p. 61),
regretta d’avoir abandonné son neveu le 2 juin 1774.--On l’appela à
cette époque _chasse-cousin_; d’aucuns prononçaient _Chasse-Coquin_.
On aurait dû dire _chasse-neveu_. Mais le mot visait plus encore La
Vrillière qui ne tarda pas du reste à se retirer.

[357] Lettre du 13 septembre 1774.

[358] Lettre du 13 septembre 1774. AN.T 243.

[359] COMTE FLEURY. _Louis XV intime_, p. 346.

[360] Lettre du 25 octobre. La mauvaise écriture de la duchesse nous
fait lire ce nom: ne serait-ce pas plutôt _Trappes_? En tout cas la
localité de _Trassey_ est inconnue.

[361] «Votre _ami_ le chancelier a été renvoyé aujourd’hui», écrivait
ironiquement le 24 août à sa nièce, Mᵐᵉ de Maurepas.

[362] _Mémoires du ministère d’Aiguillon_, p. 54 et suiv.

[363] _Correspondance secrète_ (Métra), I (15 décembre).--Le chapitre
des rectifications (_Mémoires du ministère d’Aiguillon_, p. 333) dit
que Maurepas envoya un courrier à la duchesse, avec ordre d’en dépêcher
un à son mari, pour lui mander que l’intention du roi était que M.
d’Aiguillon vînt siéger au Parlement.

[364] _Mémoires du ministère d’Aiguillon_, pp. 62 et suiv.

[365] La Vrillière n’avait pas encore résigné ses fonctions.

[366] _Corresp. M. Argenteau_, II, 163. Note donnant d’Aiguillon comme
un des «cabaleurs les plus redoutables pour relever les moindres
imprudences de la reine et la calomnier sans motif». Cette note ajoute
que d’Aiguillon persista dans cette voie, même après 1775.

[367] L. DE LOMÉNIE. _Beaumarchais et son temps_, 1856, I, pp. 392
et suiv.--Voici le titre de ce pamphlet, d’après H. D’ALMERAS. _Les
Amoureux de M.-Antoinette_, p. 192. «Avis à la branche espagnole sur
les droits de la Couronne de France, à défaut d’héritiers et qui peut
être utile à la famille des Bourbons, surtout à Louis XVI.»--Voir
APPENDICE II.

[368] _Corresp. M. Argenteau._ Lettres des 28 août et 11 septembre à
M.-Thérèse, t. II, p. 224 (note) et 230 (note).--Il est vrai que le 30
octobre, Kaunitz traitera Beaumarchais de «drôle».

[369] _Corresp. M. Argenteau._ Lettre de M.-Thérèse du 28 septembre, t.
II. 239.

[370] MARQUIS DE SÉGUR. _Au couchant de la monarchie_, p. 212.
«La reine était comparée à Messaline pour la débauche et pour la
cruauté.» Cordeliers et Jacobins, Hébert, Robespierre et F.-Tinville
se rappelleront cette ignoble injure avant et pendant le procès de la
reine.

[371] Voir APPENDICE III.

[372] LINGUET. _Aiguillonana_ (Londres, 1775).--Le _Napoléon inconnu_
de M. Frédéric Masson (1895, t. I, p. 454) donne, d’après le fonds
Libri, cette note prise par Napoléon dans sa jeunesse, sur l’_Espion
anglais_, en février 1789: «Madame (de Maurepas) gouvernait Monsieur,
qui était gouverné par l’abbé de Véri, auditeur de rote à Rome. L’abbé
de Véri était économiste et ami de Turgot, et il le fit choisir pour
occuper une place au ministère.»

Nous trouvons cette variante dans Sénac de Meilhan (_Le gouvernement,
les mœurs, etc., suivi des portraits des personnes distinguées de la
fin du XVIIIᵉ siècle_, édité par M. de Lescure):

«Le marquis de Poyanne, lieutenant-général et ancien militaire, était
un jour à souper à côté de lui (de Maurepas), cet officier lui dit:

--Monsieur le Comte, quel est ce jeune homme qui est au bout de la
table et qui paraît être de la maison? Il est militaire, à ce que je
vois, et je suis surpris de ne pas le connaître.

--Tant pis pour vous, lui dit M. de Maurepas, car c’est l’homme le plus
important qu’il y ait en France; il est l’amant de ma cousine *** (la
princesse de Montbarrey) qu’il gouverne; ma cousine gouverne ma femme,
laquelle me gouverne et je gouverne la France.»

[373] Ces lettres appartiennent aux archives du marquis de Chabrillan.
Consultées par M. de Ségur pour son livre _Au couchant de la monarchie_
(1910).

[374] Mⁱˢ DE SÉGUR. _Au couchant de la monarchie._

[375] AUGEARD. _Mémoires secrets_ (1866), p. 52.--H. CARRÉ. (_La
Chalotais et le duc d’Aiguillon_, p. 71), signale ces emportements
furieux.

[376] Mⁱˢ DE SÉGUR. _Au couchant de la monarchie_, p. 202.--D’Aiguillon
l’appelait une «triste demeure».

[377] _Mémoires du ministère d’Aiguillon_, p. 239.

[378] C’était l’hôtel dénommé primitivement hôtel d’Agénois, qui
appartint, de nos jours, au comte de Chabrillan et qui disparut dans le
tracé du boulevard Saint-Germain.

[379] _Corresp. M. Argenteau._ Lettre de M.-Thérèse, 1ᵉʳ avril 1775, t.
II, p. 316. L’impératrice répondait à une dépêche du 18 mars (t. II,
p. 315), où Mercy lui signalait la liaison de la comtesse de Marsan
avec Mᵐᵉ de Maurepas «qui conduit son mari» et qu’il soupçonnait de
«mauvaise volonté envers la reine».

Est-ce pour amener une réconciliation entre les partis hostiles qu’à
l’occasion du voyage incognito d’un frère de M.-Antoinette, l’archiduc
Maximilien, M. Argenteau avait prié, un mois auparavant, au même
dîner, d’Aiguillon et la comtesse de Brionne, deux irréconciliables
ennemis? Ce fut, en tout cas, un impair formidable. Car la comtesse
jeta feu et flamme, et pour refuser, usa d’un prétexte que lui fournit
complaisamment la reine.

[380] Dans sa _Miniature française_ (p. 93), M. H. Bouchot parle d’un
décor de ce théâtre, peint en 1775 d’après Le Tellier.

[381] Mⁱˢ DE SÉGUR. _Au couchant de la monarchie_, p. 202.

[382] _Suite aux Mémoires de Dumouriez_ (Paris, Laran, an IV de la
Répub.), p. 27 et _pièces justificatives_, I.

[383] MOREAU. _Mes Souvenirs_, t. II, pp. 132-137 et suiv.

[384] Mⁱˢ DE SÉGUR. _Au couchant de la monarchie_, pp. 207 et suiv.

Les _Mémoires_ de Thiébaut, le père du général, publiés en 1827,
prétendent au contraire, d’après Guines, et ce fut son véritable grief,
que d’Aiguillon ne parla même pas au roi de l’affaire.

[385] _Mémoires du ministère d’Aiguillon_, pp. 64 et suiv.

[386] _Mémoires du ministère d’Aiguillon_, pp. 64 et suiv.

[387] _Correspondance de M. Argenteau._ Lettre du 20 avril à
M.-Thérèse, II, 318-321. «On a fait voir à la reine dans la protection
qu’elle accorderait à M. de Guines un moyen de vengeance contre
le duc d’Aiguillon; et ce moyen est répréhensible... toutes mes
représentations n’ont rien arrêté.» Mercy ajoute, il est vrai, par
manière de correctif, qu’il a acquis la conviction que le duc est «le
principal acteur de toutes les intrigues contre la reine».

Marie-Thérèse abonde dans le sens de son agent, les «démarches de sa
fille contre le duc d’Aiguillon, tout mauvais sujet qu’il est (elle y
tient), lui fournissant une nouvelle preuve de son penchant à suivre
ses volontés et ses sentiments». (Lettre du 4 mai de M.-Thérèse, t. II,
p. 327.)

Cette mère, par trop autoritaire, prétendait-elle donc toujours imposer
à sa fille «ses volontés et ses sentiments» à elle?

[388] Le duc de Lévis (_Souvenirs_, p. 146) reproche à Besenval d’avoir
méconnu sciemment et perfidement «les incontestables talents de M. le
duc d’Aiguillon».

[389] BESENVAL. (_Mémoires_, 2 vol., collection Baudouin, 1821) t. II,
p. 311 et suiv.

[390] Mⁱˢ DE SÉGUR. _Au couchant de la monarchie_, p. 211.

[391] Mⁱˢ DE SÉGUR. _Au couchant de la monarchie._ Lettres de Mᵐᵉ de
Maurepas, communiquées par M. le Mⁱˢ de Chabrillan.

[392] MOREAU. _Mes Souvenirs_, t. II, p. 137 et suiv.

[393] Mⁱˢ DE SÉGUR. _Au couchant de la monarchie_, p. 214 et Arch. Nat.
K, 164.

[394] AN.T 243.

[395] Elle fit croire au roi, disent les _Mémoires du ministère
d’Aiguillon_ (p. 69), qu’il avait «intrigué, tripoté, trigaudé».

[396] _Mémoires secrets_, 8 juin 1775.

[397] Mᵐᵉ CAMPAN. _Mémoires_, édit. Didot, 1858, p. 190.

[398] _Corresp. secrète_ dite de _Métra_, t. II, p. 62.--Et les mauvais
plaisants de dire: M. de Guines peut avoir raison; mais il a eu _tort_
pendant trois ans.

[399] LINGUET. _Aiguillonana_, 1777.

[400] MÉTRA. _Correspondance secrète_, t. I, p. 360, 22 mai 1775.

[401] MÉTRA. _Correspondance secrète_, t. II, p. 115.

[402] BELLEVAL. _Souvenirs d’un chevau-léger_, pp. 182-186.

[403] BELLEVAL. _Souvenirs d’un chevau-léger_, pp. 182-186.

[404] BELLEVAL. _Souvenirs d’un chevau-léger_, p. 184.

[405] BELLEVAL. _Souvenirs d’un chevau-léger_, pp. 185-186.

[406] _Mémoires du ministère d’Aiguillon_, p. 70.

[407] _Mémoires du ministère d’Aiguillon_, p. 70.

[408] BELLEVAL. _Souvenirs_, p. 186.

[409] Mⁱˢ DE SÉGUR. _Au couchant de la monarchie._ (D’après le _Journal
de Véri_).--Par une coïncidence assez curieuse, Moreau (_Souvenirs_, t.
II, pp. 196-197), raconte une partie de ces conférences à peu près dans
les mêmes termes. «La princesse de Beauvau et la duchesse de Grammont
soufflaient, dit-il, la haine dans le cœur de la reine.» Mais Véri le
conseiller de Mᵐᵉ de Maurepas, Moreau celui de d’Aiguillon, avaient dû
recevoir une même impression des deux côtés.

«Chaque jour, écrit M. de Nolhac (_La Reine Marie-Antoinette_, 1890,
in-4º, p. 11), elle (la reine) attaque le ministre chez le roi: Mᵐᵉ
de Maurepas, qui est sa tante, le défend auprès de son mari; mais
celui-ci ne tient pas plus à ses amis qu’à ses principes: il abandonne
d’Aiguillon à la reine. C’était d’ailleurs un maigre service qu’il
rendait à Marie-Antoinette... Maurepas habite à Versailles très près
du roi et peut pénétrer chez lui à toute heure par un escalier privé.
Que de fois la reine est surprise de voir détruit le soir, sans qu’elle
sache comment, l’effet d’un entretien du matin avec son mari!»

[410] MARQUIS DE SÉGUR. _Au couchant de la monarchie_, p. 219.

[411] _Mémoires du ministère du duc d’Aiguillon_, p. 70.

[412] BELLEVAL. _Souvenirs d’un chevau-léger_, p. 187.--Le 7 juin,
Belleval reçut sa commission de capitaine de cavalerie, il la devait
aux démarches de d’Aiguillon.

[413] Mⁱˢ DE SÉGUR. _Au couchant de la monarchie._--A entendre Besenval
(_Mémoires_, I, p. 314), ce serait lui qui aurait indiqué le lieu
d’exil à la reine dans ses entretiens avec elle. «Il fallait qu’il
allât à Aiguillon: il tournait en ridicule l’ordre d’aller à Véretz.»

[414] _Mémoires du ministère d’Aiguillon_, p. 72.

[415] MOREAU. _Mes Souvenirs_, t. II, p. 197.

[416] Mⁱˢ DE SÉGUR. _Au couchant de la monarchie._

[417] _Corresp. secrète M. Argenteau. Lettre de M.-Antoinette à
M.-Thérèse_, 22 juin 1775, II, 344.

[418] _La Bretagne féodale et militaire_, 1879.--_Mémoires du ministère
d’Aiguillon_, p. 336.

[419] _Corresp. Mercy-Argenteau_, t. II, 362.--Le comte de Rosemberg
était un fidèle des archiducs Joseph et Maximilien.

[420] _Mémoires de Besenval_, t. I, p. 316.

[421] BELLEVAL. _Souvenirs d’un chevau-léger_, p. 189.

[422] _Corresp. M. Argenteau._ Lettre de M.-Thérèse, 31 juillet 1775,
t. II, p. 360. M.-Thérèse lui recommande de brûler sa lettre et la
copie.

[423] Belleval dit que d’Aiguillon reçut le 9 l’ordre verbal; mais
Maurepas l’avait évidemment prévenu deux ou trois jours à l’avance.

[424] Lettre publiée dans le _Bulletin du Bibliophile_ de 1882, p. 104.

[425] _Mémoires du ministère d’Aiguillon_, pp. 70 et suiv.

[426] Dans le chapitre des rectifications de ces _Mémoires_, écrit
évidemment sous l’inspiration et avec les notes de la duchesse, il
est dit (page 336) que «M. d’Aiguillon alla à Pontchartrain avec Mᵐᵉ
d’Aiguillon, faire ses adieux à M. de Maurepas, mais qu’il n’y eut
aucune explication».

[427] Une partie de ces lettres a paru dans le livre de M. le Mⁱˢ de
Ségur; nous devons la communication des autres à la bienveillance du
marquis de Chabrillan.

[428] _Lettre de M. Argenteau à M.-Thérèse_, 17 juillet.

[429] _Bulletin du Bibliophile_, 1882, p. 104.

[430] _Mémoires secrets_, 13 juin 1775.

[431] AN.T 243. Lettre du 16 juin à M. de Balleroy. _Pièces
justificatives_, II.

[432] Lettre datée de Paris, 3 août 1775.

[433] _Revue d’Histoire littéraire de la France_, t. III, pp. 332-347.

[434] BELLEVAL. _Souvenirs_, p. 187.

[435] _Revue de l’Agenais_, t. VI (1879), p. 469.

[436] _Les Entretiens de l’autre monde_ (Cythère, 1785).

[437] H. CARRÉ. _La Chalotais et le duc d’Aiguillon_, pp. 71-72 et
passim dans la Correspondance Fontette-de La Noue.

[438] Mémoires de Lauzun (édit. Lacour, 1858), p. 249.

[439] _Bulletin du Bibliophile_, année 1882.

[440] Cette lettre, si importante, appartient aux archives Chabrillan:
elle est assez difficile à déchiffrer; et plusieurs mots nous en sont
restés peu intelligibles.

[441] Le maréchal comte de Muy avait succédé à d’Aiguillon comme
ministre de la guerre. C’était un honnête homme et un ami de Maurepas.

[442] L’abbé Jacques de Vermond était alors lecteur de la reine.
C’était, nous l’avons dit, un surveillant, que, sur l’indication de
M. Argenteau, Marie-Thérèse avait donné à la Dauphine. Le Dauphin ne
l’aimait pas. Vermond reprit faveur à l’affaire du Collier.

[443] Sa situation était fortement battue en brèche. Et le comte de
Provence, tout le premier, lui décochait, le 1ᵉʳ avril 1776, sous
le voile de l’anonyme, un terrible pamphlet intitulé le _Songe de
M. de Maurepas_, ou les _Machines du gouvernement français_, ou
encore les _Mannequins_ (Louis XVI était le premier de tous), qui
daubait vigoureusement sur le ministre, sa femme et l’abbé de Véri.
L’appréciation de la duchesse d’Aiguillon (p. 281) ne manquait donc pas
d’à-propos sur ce f... ministère, comme l’appelait Malesherbes, d’après
les _Souvenirs_ de Moreau.

[444] Peut-être bien l’abbé de Véri, ou l’évêque Desnos.

[445] Lettre du 22 mars 1776.

[446] AN.T 243. Lettre du 5 avril.

[447] AN.T 243. Lettre du 12 avril.

[448] ARCHIVES CHABRILLAN. Lettre du 3 août 1775. La Vrillière, à
moitié gâteux, ne pouvait se résoudre à quitter sa place, malgré que
Maurepas l’eût averti qu’il était temps de partir. Il fallut que le roi
lui dise brutalement: «Oui, Monsieur, je trouve bon que vous songiez
à votre retraite». Une pension de 60.000 livres le consola de sa
démission forcée. (Mⁱˢ DE SÉGUR. _Au couchant de la monarchie_, p. 247.)

[449] AN.T 243. Lettre du 10 mai 1776.

[450] AN.T 243. Lettre du 24 mai.

[451] _Lettre de M. Argenteau à M.-Thérèse_, II, p. 447, 16 mai
1776.--Cet engouement de M.-Antoinette sera encore d’assez longue
durée. Mercy-Argenteau déplorait en 1779 que la reine eût accepté comme
garde-malade, pendant sa rougeole, le duc de Guines.

M.-Thérèse avait fini par écrire à sa fille que Guines passait pour la
diriger. M.-Antoinette répondit, non sans aigreur, à sa mère, pour nier
une telle influence. Mais la faveur de Guines commençait à baisser:
d’autres amitiés fixaient déjà pour quelques heures la frivolité de la
reine.

[452] MÉMOIRES DE LAUZUN. Edition L. Lacour (1858, Paris), p. 251.

Ce fut le 12 mai, écrit le comte de Creutz, que M. de Guines fut nommé
duc; et dans une lettre de Mercy à M.-Thérèse, du 16 mai, l’ambassadeur
d’Autriche écrit que la faveur accordée à Guines avait tellement
surexcité Marie-Antoinette, que, sans les observations de Mercy, elle
eût fait envoyer Turgot à la Bastille et chasser Vergennes (t. II, p.
446).

[453] _Bulletin du Bibliophile_, année 1882, p. 122.

[454] BELLEVAL. _Souvenirs d’un chevau-léger_, p. 189.

[455] MOREAU. _Mes souvenirs_, t. II, p. 197.

[456] _Archives Chabrillan._

[457] _Archives Chabrillan._

[458] _Correspondance secrète de M. Argenteau_, II, p. 462.

[459] Cette «demi-grâce», comme on dit alors, fut assez vivement
critiquée. «Je comprends, écrivait le 8 juillet la duchesse
d’Aiguillon, que la restriction, très dure et inutile, que la reine a
voulu mettre à notre liberté, ait choqué le public.»

[460] Lettre du 16 juillet 1776, t. II, p. 465. (_Corresp. secrète de
M. Argenteau._ Lettre de Mercy à M.-Thérèse.)

[461] BELLEVAL. _Mémoires d’un chevau-léger_, p. 189.

[462] Lettre de M. de Maurepas au duc d’Aiguillon, 20 décembre 1776.

[463] _La Correspondance secrète_, éditée par M. de Lescure (2 vol.,
1865), dit, les 24 janvier et 4 mars 1777, «qu’il est toujours bruit du
retour de d’Aiguillon au ministère».

[464] M. de Ségur, dans son livre si intéressant et si vrai, _Au
couchant de la monarchie_ (C. Lévy, 1910), donne un joli portrait de
Mᵐᵉ de Maurepas, d’après le _Journal inédit_ de l’abbé de Véri.

La comtesse était, comme sa sœur et sa nièce, dépourvue de beauté;
de plus elle n’avait ni «les grâces de l’esprit, ni les agréments de
l’étude, mais un sens droit, un jugement vrai, un sentiment noble, un
désir toujours soutenu de faire plaisir aux autres, un attachement
invariable pour ceux qu’elle aimait».

Elle avait soixante-seize ans quand son mari revint au pouvoir, et
si ce retour inespéré de fortune, à un âge aussi avancé, lui laissa
entrevoir ce que pouvait en attendre sa famille dans un avenir
prochain, elle en redouta le lourd fardeau pour Maurepas. Ses amis,
dit Mᵐᵉ de Genlis (_Souvenirs de Félicie_), appelaient ce couple,
toujours tendrement uni, Philémon et Baucis. «Il n’y a plus de Baucis à
Versailles, soupirait mélancoliquement Mᵐᵉ de Maurepas; je ne vois plus
mon mari; tout ce travail le tuera.»

Les nouvellistes ne lui épargnaient pas leurs moqueries. Ils les
représentaient à un bal paré de la Cour, le comte en Cupidon, la
comtesse en Vénus (_Corresp. secrète_, éditée par Lescure, I, 246).

Les _Mémoires secrets_ (t. XI, p. 233), sont autrement cruels pour Mᵐᵉ
de Maurepas. Invitée, en mai 1778, à Marly (c’était la première fois
que lui incombait un tel honneur), elle avait été reçue à dîner par la
reine; et comme elle n’osait rien refuser à M.-Antoinette, elle revint
à Versailles avec une effroyable indigestion. Les _Mémoires secrets_
profitent de la circonstance pour railler la vanité excessive de Mᵐᵉ de
Maurepas et pour parler de l’aversion qu’inspirent à la reine le mari
et la femme: «c’est un trait de politique de la reine pour plaire au
roi qui a beaucoup d’amitié pour la comtesse».

[465] _Journal de Hardy_ (BN. Mss. 6682), 18 mai 1776.

[466] _Journal de Hardy_ (BN. Mss. 6682), 17 août 1776.

[467] Lettre de Mercy à M.-Thérèse, t. III, p. 41, 16 avril 1777.--Voir
les _Archives de la Bastille_.--_Mémoires secrets._--_Correspondance
secrète_ (édit. Lescure), t. I, pp. 36 et suiv.

[468] Lettre de M. de Maurepas à M. d’Aiguillon, 20 décembre 1776.

[469] AN.T 243. Lettre au chevalier de Balleroy, 10 mars 1779.--Le 14,
Mᵐᵉ d’Aiguillon lui demande si «M. de la Vrillière est mort de chagrin,
comme on le lui a dit».

[470] AN.T 243. Lettre du 21 avril.

[471] AN.T 243. _Lettre du 14 mars 1777._ Ce Du Châtelet devait être
de la branche Clémont et, de ce fait, parent, par les Mailly, de
la duchesse d’Aiguillon. Châteauneuf-La Vrillière fut vendu, après
la mort de son propriétaire, huit cent mille livres au prince de
Guéméné-Montbazon, de qui le duc de Penthièvre l’acheta en 1783.
(L’ABBÉ BARDIN. _Châteauneuf_, 1864, pp. 79 et suivantes.)

[472] AN.T 243. _Lettre du 14 septembre 1777._--C’était un hôtel de
la rue qui porte aujourd’hui le nom de Saint-Florentin. Maurepas en
demandait 250.000 francs. Le duc de Fitz-James en fut l’acquéreur.
L’hôtel des Maurepas était situé rue de Grenelle (nº 75 actuel).

[473] AN.T 243. _Lettre du 7 avril 1777._--En mars, Maurepas était
souffrant; et Balleroy était allé prendre de ses nouvelles dont la
duchesse le remerciait: «Votre lettre, lui disait-elle, est une liste
de malades».

[474] AN.T 243. Lettre du 5 mai.

[475] AN.T 243. Lettre du 19 mai.

[476] AN.T 243. Lettre du 25 juin.

[477] AN.T 243. Lettre du 26 juin.

[478] AN.T 243. Lettre du 26 juillet 1777.

[479] AN.T 243. Lettre du 25 juin (du duc d’Aiguillon).

[480] AN.T 243. Lettre du 7 août (de Mᵐᵉ d’Aiguillon). Le prince de
Salm-Kirtzbourg était un viveur qui ruina toutes ses maîtresses, la
marquise de Jaucourt entre autres. _Corresp. secrète_ (édit. Lescure)
I, 269.--Le duc de Mazarin devait être lord Mazarene, perdu de dettes
et de débauches, toujours sous le coup de la contrainte par corps.

[481] AN.T 243. Lettre du 7 août (de Mᵐᵉ d’Aiguillon).

[482] AN.T 243. Lettre du 14 septembre (de M. d’Aiguillon).

[483] AN.T 243. Lettre du 19 mai.--Voir le dossier _Saint-Vincent_ aux
_Archives de la Bastille_, 12437.

[484] AN.T 243. Lettre du 12 septembre.

[485] AN.T 213. Lettre du 3 octobre.

[486] AN.T 243. Lettre du 14 septembre, du duc d’Aiguillon.

[487] _Corresp. M. Argenteau_, t. III, 15 juin 1777.--Dans ce même
journal (p. 75), Mercy note que l’empereur Joseph et l’abbé de Véri
sont restés une heure ensemble et seuls.

[488] _Bulletin du Bibliophile_, 1882 (lettre de décembre 1777).

[489] Lettre du duc, 3 novembre 1777.

[490] AN.T 243. Lettre du 3 janvier 1778.

[491] Ce Desnos avait été envoyé en disgrâce de Rennes à Verdun, après
une querelle des plus vives avec Girac, cet évêque de Saint-Brieuc
qui avait si prestement tourné casaque à d’Aiguillon. La cause du
conflit qui s’était élevé entre les deux prélats ne laissait pas d’être
curieuse: les jésuites avaient fait vendre leur argenterie; et Desnos
prétendait que Girac s’était approprié le produit de la vente. Les
haines des évêques entre eux sont bien des haines de dévots. Girac
remplaça Desnos à Rennes le 22 décembre 1769. (_Journal historique de
la Révolution opérée dans la Constitution de la Monarchie française par
M. de Maupeou_, 7 vol., t. III, p. 170.)

[492] AN.T 243. Lettre du 21 janvier 1778.--_La Bohémienne_, comédie en
2 actes de Monston (Opéra Comique, 1755).

[493] _Revue de Bretagne et de Vendée_, 1894 (article de
Calan).--_L’Espion français_, t. VIII, p. 91.

[494] AN.T 243. Lettre du 22 juin 1778.

[495] AN.T 243. Lettre du 28 août 1778.

[496] AN.T 243. Lettre du 21 septembre 1778.

[497] AN.T 243. Lettre du 24 juillet.--Nous sommes étonné que la
duchesse n’ait pas parlé à Balleroy de la mort de Voltaire, survenue
près de trois mois auparavant. Les œuvres du philosophe lui étaient
cependant familières: car elle envoyait, en juillet 1768, au chevalier,
une pièce de vers de Voltaire sur un navire de Saint-Malo qui portait
le nom du poète. Elle appréciait cette œuvre, d’ailleurs médiocre, avec
l’ironie qui perce sous le fait-divers du 24 juillet 1778.

[498] ANT. 243. Lettre du 21 août.--Le comte de Broglie avait intenté
un procès à l’abbé Georgel, sous prétexte que ce jésuite l’avait
calomnié auprès de Maurepas. Le Parlement le débouta purement et
simplement. (DE BROGLIE. _Le secret du roi_, II, 586.)

[499] C’était, dit la _Correspondance secrète_ (édit. Lescure, I,
202), beaucoup plus pour la grossesse de la reine que pour «la petite
victoire navale du duc de Chartres».

[500] AN.T 243. Lettre du 22 décembre.

[501] _Mémoires du ministère d’Aiguillon_, p. 198.--Le 6 février 1778,
un traité d’alliance et de commerce avait été conclu entre la France et
les Etats-Unis.

[502] AN.T 243. Lettre du 25 décembre.--S’agit-il de ce rouleau de
louis faux donné comme payement à Marly, dont parle la _Correspondance
secrète_ (édit. Lescure), t. I, p. 236.

[503] BELLEVAL. _Souvenirs_, p. 132.

[504] Cette lettre est reproduite en fac-similé dans l’édition
illustrée du livre de M. Claude Saint-André sur Mᵐᵉ Du Barry (éditeur
Emile-Paul).

[505] AN.T 243. Lettre du 21 décembre.--_L’épreuve villageoise de
Grétry._--_La famille extravagante_, 1 acte, de Legrand, musique de
Guilliers (Comédie Française, 1769).

[506] AN.T 243. Lettre du 1ᵉʳ janvier 1779.

[507] AN.T 243. Lettre du 22 janvier 1779.

[508] AN.T 243. Lettre du 29 mars 1779.

[509] AN.T 243. Lettre du 3 avril.--Le 16 août, le duc le félicitera
«par avance» de sa nomination de commandeur.

[510] AN.T 243. Lettre du 26 juillet (lettre du duc d’Aiguillon).

[511] AN.T 243. Lettre du 28 août (lettre du duc d’Aiguillon).

[512] AN.T 243. Lettre du duc d’Aiguillon, du 8 mai 1779.

[513] AN.T 243. Lettre de la duchesse d’Aiguillon, du 11 décembre 1778.

[514] _Corresp. secrète_ (édit. Lescure), 2 juillet 1779.

[515] _Lettre M. Argenteau_, t. III, p. 371. Lettre du 17 mars 1779.

[516] _Mémoires du ministère d’Aiguillon_, p. 266.

[517] Cette assertion sur les rapports de Mᵐᵉ de Forcalquier avec
d’Aiguillon a toujours été très discutée.

[518] Là, encore, le chapitre des rectifications oppose un démenti
formel (p. 334) à ce roman. «Jamais M. de Maurepas n’a eu envie de
s’associer M. d’Aiguillon au ministère; jamais, ni en 1776, ni en 1780,
ni en aucun autre temps, il n’a voulu s’étayer de lui, ni le consulter;
ni même celui-ci n’a pensé lui être associé.» Il est certain que la
correspondance, conservée par les Archives nationales, à l’adresse
de Balleroy, ne laisse rien percer de ces prétendues intentions de
Maurepas, ni de l’espoir du duc d’Aiguillon de reparaître à la Cour.
Cependant, les bruits répandus à cet égard dans le public et surtout la
longue lettre que nous avons reproduite intégralement ici--conversation
d’un ami de d’Aiguillon avec Maurepas--pourraient faire croire que
l’ancien ministre avait encore, malgré qu’il s’en défendît, de longs
espoirs et de vastes pensers. Mais quand furent publiés les _Mémoires
du ministère d’Aiguillon_, tout était bien fini pour la veuve; et elle
ne voulut point laisser planer sur la mémoire de son mari le ridicule
d’illusions indignes de son caractère. Au reste sa correspondance
démontre assez le peu de confiance qu’elle avait dans les promesses de
Maurepas.

En tout cas, les _Mémoires secrets_ (édit. Lescure), du 8 octobre
1780, notent que Maurepas fait l’impossible pour ramener son neveu au
ministère.

[519] _Mémoires du ministère d’Aiguillon_, pp. 236 et suiv.

[520] PIRON. _La Métromanie._--FAGON et FAVART. _La Servante
justifiée_, 1 acte (1740, théâtre de la foire Saint-Germain).

[521] AN.T 243. Lettre de Mᵐᵉ d’Aiguillon à Balleroy, 7 janvier 1780.

[522] AN.T 243. Lettre de Mᵐᵉ d’Aiguillon à Balleroy, 25 janvier 1780.

[523] _Bulletin du Bibliophile_, 1882. Lettre du duc à Balleroy, 2 mars
1780.

[524] DUCHESSE DE DINO. _Chronique_ (2 vol. Plon 1909), t. II, p. 379.

[525] Le grand théâtre de Bordeaux, construit par l’architecte Louis.

[526] AN.T 243. Lettre du 17 mars 1780.

[527] AN.T 243. Lettre du 23 mars 1780.

[528] AN.T 243. Lettre du 14 avril 1780.

[529] AN.T 243. Lettre du 5 octobre 1780.

[530] AN.T 243. Lettre du 28 août 1780.

[531] AN.T 243. Lettre du 5 novembre 1780.

[532] AN.T 243. Lettre du 3 novembre 1780.

[533] AN.T 253. Lettre du 27 novembre 1780. Mᵐᵉ de Gisors née Fouquet
et belle-fille du duc de Nivernois, était veuve. M. de la Vallière
était un terrible joueur; mais quel bibliophile!

[534] Voir plus haut pp. 272-276.

[535] AN.T 243. Lettre du 31 janvier. (Remerciements aux félicitations
de Balleroy.)

[536] AN.T 243. Lettre du 26 juin. La duchesse annonce à Balleroy le
départ de son fils «pour la bonne ville et pour la Cour». Elle ajoute:
«Ce départ m’a coûté; vous savez quelles sont mes craintes sur son
début et sur les exemples qu’il verra... M. d’Abrieu (le secrétaire),
comme vous le pouvez bien croire, est avec lui».

[537] AN.T 243. Lettre du 13 août.

[538] Lettre du duc du 23 mars.

[539] AN.T 243. Lettre du duc du 24 décembre. En septembre il avait
annoncé à Balleroy qu’il avait gagné son procès contre Fitz-James et
contre Mᵐᵉ de Nesle.

[540] Lettre de la duchesse du 27 novembre.

[541] AN.T 243. Lettre du 15 septembre.

[542] AN.T 243. Lettre du 24 décembre (du duc d’Aiguillon).

[543] AN.T 243. Lettre du 22 décembre (de la duchesse d’Aiguillon). _Le
Joueur_, de Regnard (1696).--_Le Babillard_, de Boissy, comédie en 1
acte et en vers (1725).

[544] AN.T Lettre du 26 janvier 1781.

[545] _La Métromanie_, de Piron.--_Les Chasseurs et la Laitière_
(1763), d’Anseaume, musique de Duni.

[546] AN.T 243. Lettre du duc d’Aiguillon, 1ᵉʳ février 1781.

[547] AN.T 243. Lettre de la duchesse du 26 janvier.--ANSEAUME et DUNI.
_Mazet_, comédie en 2 actes (Théâtre italien. 1761).--DANCOURT. _Les
Vacances du procureur_, 1 acte (Comédie Française, 1706).

[548] Une ordonnance de Louis XVI du 1ᵉʳ mars 1781 interdit les jeux de
hasard dont les chances étaient inégales, mais ne put avoir raison des
tripots que certains ambassadeurs, ceux de Hollande, de Portugal et de
Naples, par exemple, tenaient impunément ouverts (voir les pamphlets du
temps).

[549] Le comte d’Estaing, vice-amiral des mers d’Asie et d’Amérique,
était rentré en triomphateur de sa campagne des Etats-Unis, dans les
premiers mois de 1780.

[550] AN.T 243. Lettre de la duchesse du 16 janvier.

[551] AN.T 243. Lettre de la duchesse du 23 mars.

[552] AN.T 243. Lettre du duc du 1ᵉʳ février.

[553] AN.T 243. Lettre du duc du 24 mai.

[554] AN.T 243. Lettre du duc du 8 avril.

[555] AN.T 243. Lettre de la duchesse du 23 septembre.

[556] Le comte de Chabrillan (de la branche Chabrillan-Boisson), fut
présenté au roi, le 2 octobre 1781, comme mestre-de-camp, lieutenant
inspecteur des carabiniers; et le livre récent de M. Dubois-Corneau
_Le comte de Provence à Brunoy_ (Paris, 1909), contient un portrait
de «Jacques Aymar, comte de Moreton-Chabrillan, lieutenant-général
colonel, l’inspecteur des carabiniers de Monsieur.»

[557] AN.T 243. Lettre du duc du 20 octobre.

[558] AN.T 243. Lettre du duc du 12 décembre.

[559] AN.T 243. Lettre du duc du 23 novembre 1781.

[560] AN.T 243. Lettre du duc du 12 décembre 1781.

[561] _Mémoires secrets de Bachaumont_, t. XVIII. pp. 171-172. Les
Maurepas étaient logés à l’Hermitage, petite maison dans le parc de
Versailles, que Louis XVI leur avait donnée à vie. La comtesse la
quitta cependant: elle avait demandé un délai de six heures pour
déménager.

[562] _Correspondance secrète de M. Argenteau avec le Pr. de Kaunitz
et Joseph II_ (édit. d’Arneth-Flammermont, t. I, p. 7). Lettre du 22
décembre 1780, de Mercy à Kaunitz.

[563] Marie-Thérèse était morte le 29 novembre 1780.

[564] AN.T 243. 27 janvier 1782.--RICCOBONI. _Les Caquets_, comédie
en 3 actes (Comédie Italienne, 1761).--J.-J. ROUSSEAU. _Le Devin de
village._

[565] AN.T 243. 14 novembre 1782. Lettre de Mᵐᵉ d’Aiguillon.--Le duc de
Crillon-Mahon, qui était, depuis 1782, au service de l’Espagne, échoua
précisément devant Gibraltar.

[566] AN.T 243. 27 mars 1782.

[567] AN.T 243. Lettre du duc d’Aiguillon du 4 août 1782.--Un pamphlet
que nous avons déjà signalé, _le Ministère de M. de Maurepas_, (1781)
prétend que cet Amelot était le fils naturel du ministre, ou du moins
que celui-ci s’en croyait le père. En tout cas, ce qui serait piquant,
ce serait que ce même Amelot fût le maître des requêtes qui, en 1768,
était le plus ardent distributeur des libelles bretons, lancés à cette
époque contre le duc d’Aiguillon.

[568] AN.T 243. Lettre de la duchesse du 18 août 1782.

[569] AN.T 243. Lettre de la duchesse du 8 septembre 1782.

[570] C’est un trait fort exact de la mentalité des gens de cour que
vient confirmer cette note de la _Correspondance secrète_, éditée par
Lescure (I, 505, 24 septembre 1782): «L’ombre du comte de Maurepas
continue à nous gouverner. Mᵐᵉ de Maurepas et l’abbé de Véri, son homme
de confiance, en sont les organes. Le roi les consulte sur toutes les
affaires importantes».

Mᵐᵉ de Maurepas avait acheté le 27 février (acte notarié Doillot),
au prince de Conti, un domaine tout meublé qui prit le nom de
Madrid-Maurepas, grâce aux 100.000 livres qu’elle avait reçues du roi,
comme elle l’écrit à la duchesse d’Aiguillon. Elle l’avait payé 150.000
francs, et par la suite, elle devait se montrer peu satisfaite de son
acquisition. Elle la légua à Mᵐᵉ de Flamarens, une de ses nièces,
«engagiste du domaine». (H. DE GRANDSAIGNE et H.-G. DUCHESNE. _Histoire
du Château de Madrid_, 1911.)--Quant à la propriété de Pontchartrain,
elle était revenue, par héritage, à une petite-nièce de Maurepas, la
duchesse de Brissac, fille du duc de Nivernois.

[571] «Quinze» dit la _Correspondance Lescure_ (t. I, pp. 509 et suiv.).

[572] AN.T 243. Lettre de la duchesse d’Aiguillon, du 11 octobre 1782.

[573] _Corresp. secrète_ (édition Lescure), t. I, p. 515.

[574] AN.T 243. Lettre de la duchesse, 6 novembre 1782.

[575] AN.T 243. Lettre du duc, 2 octobre 1784. Louis XVI (_Corresp.
secrète_, édit. Lescure, I, 244), partit, en juillet 1786, pour
présider aux opérations qui devaient assurer définitivement l’avenir
maritime de Cherbourg.

[576] AN.T 243. Lettre de la duchesse, 7 juillet 1784.

[577] AN.T 243. Lettre de la duchesse, 28 octobre 1784.

[578] VATEL. _La comtesse Du Barry_, t. III, p. 51.

[579] _Corresp. secrète_ (édit. Lescure), I. 588. Le comte d’Agénois
fut nommé duc en août 1785.

[580] D’abord inconnue, puis interdite en France, l’inoculation ne
fut autorisée qu’en 1764; et ce fut bientôt la mode dans les cercles
mondains de se faire inoculer.

[581] AN.T 243. Lettre de la duchesse, 12 juin 1785.

[582] AN.T 243. Lettre du duc, 7 juillet.

[583] Le duc de Choiseul était mort le 8 mai 1775. (MAUGRAS. _La
disgrâce du duc et de la duchesse de Choiseul_, p. 395.)

[584] Du Châtelet était bien l’exécuteur testamentaire. La duchesse de
Gramont était héritière et légataire universelle: elle n’accepta que le
legs universel.

[585] _Corresp. secrète_ (édit. Lescure), t. I, 571.

[586] AN.T 243. Lettre de la duchesse du 21 mai 1785.

[587] _Mémoires du ministère d’Aiguillon_ (exemplaire de la
Bibliothèque de la ville de Paris), p. 198.--Le Dauphin mourut
tuberculeux.

Le propos, dit la note Soulavie, venait de la Vauguyon. Du reste,
l’auteur des _Mémoires_ se défend, en ces termes, de l’avoir tenu
dans ses _Mémoires historiques et anecdotes de la Cour de France_
(_Considérations, etc._, LX.):

«M. de la Harpe m’attribue l’opinion qui accuse M. de Choiseul des
empoisonnements (du Dauphin, de la Dauphine, etc., etc.), quand je
suis seul et le premier qui ai réfuté à cet égard Mercier, Mirabeau,
le prince de Salm, son précepteur l’abbé de Laffrey l’auteur d’une
_Histoire de Louis XV_; l’auteur anonyme du Noël de la Cour, chanté en
1766; Mᵐᵉ la duchesse d’Aiguillon et son fils, député à l’Assemblée
Constituante, le Maréchal de Richelieu, etc. Les accusations de tous
ces personnages ont été imprimées dans différents ouvrages.»

[588] Marie-Antoinette, quand elle était Dauphine, traitait la Vauguyon
de «fripon». (_Correspondance secrète Mercy-Argenteau_, I, p. 35.)

[589] _Les Mémoires du règne de Louis XVI_ (6 vol. an X, t. I, p.
148) disent que d’Aiguillon mourut «les os liquéfiés comme de la cire
pendant la canicule».

[590] MERCIER. _Tableaux de Paris_ (Amsterdam, 1789).

[591] Une annotation de Fouquier-Tinville sur une pièce du procès Du
Barry assigne Ruel comme domicile à Mᵐᵉ d’Aiguillon en septembre 1793.
Voir _Pièces justificatives_, III et _Appendice_ V, note (p. 388).

[592] Il semble même qu’elle ait joui d’un certain crédit auprès des
maîtres du jour et de... l’heure, alors que personne, à Paris, ne
pouvait plus en être sûr. Nous lisons, dans une lettre du 6 septembre
1792 à Mᵐᵉ Du Barry, attribuée au chevalier d’Escourre, écuyer du duc
de Brissac, qui venait d’apprendre le départ des prisonniers d’Orléans:

«Mᵐᵉ de Maurepas, instruite de la translation de M. le duc (de
Brissac), voulait tout de suite aller à l’Assemblée. On l’a retenue.
Elle a écrit à Danton et à l’abbé Fauchet...»

D’Escourre et Mᵐᵉ de Flamarens allèrent porter ses lettres aux
destinataires (AN. W. 16, dossier Du Barry).

Les massacres des 2 et 3 septembre à Paris, ne laissaient que trop
pressentir ceux des prisonniers d’Orléans à Versailles. Les lettres de
Mᵐᵉ de Maurepas furent vaines. On prétend même que Danton, qui porte
la responsabilité de ces abominables tueries, déclara qu’il avait été
impuissant à les empêcher.

Mᵐᵉ de Maurepas mourut le 11 février 1793, rue de la Chaise, nº 519. En
tout cas, telle que nous la représente d’Escourre, elle ne ressemble
guère au portrait qu’en trace Dufort de Cheverny dans ses _Mémoires_
(1886), t. I, p. 406. «La vieille Mᵐᵉ de Maurepas, sourde et mourante,
ne se doutait de rien. Tout fuit, excepté elle...» Il fallait, en tout
cas, qu’elle fût au mieux, comme nous l’avons dit, avec le nouveau
Gouvernement, pour que la section l’eût autorisée, en raison de son
grand âge, à garder trois chevaux.

Un dernier trait de cette curieuse figure, laquelle appellerait
une étude moins sommaire. Par un acte devant le notaire Gondouin,
du 24 mars 1789, Mᵐᵉ de Maurepas vendit son usufruit de l’hôtel de
son mari (aujourd’hui 75 rue de Grenelle), à l’ancien intendant
de Montyon, moyennant cent mille livres. Le bénéficiaire restaura
l’immeuble, depuis longtemps abandonné, de cette belle propriété, dont
M. L. Guimbaud (_Auget de Montyon_, Paris, 1909), donne la curieuse
description d’après les termes mêmes de l’acte notarié.

[593] Voir APPENDICE IV.--_Correspond. secrète_ (édit. Lescure), t. II,
p. 403 et suiv. Duel (?) du duc d’Aiguillon avec Cazalès, qui avait
attaqué la mémoire de son père en 1789.

[594] Entre autres, les _Actes des Apôtres_, le _Journal de la Cour et
de la Ville_, la _Chronique scandaleuse_, etc.

[595] Ce fut en septembre 1787: «Tant mieux, s’écria Marie-Antoinette;
nous ne verrons plus ces habits rouges dans la galerie de Versailles».
(BELLEVAL. _Souvenirs._ p. 258 et Mᵐᵉ CAMPAN, _Mémoires_. I,
180.)--Déjà en 1769, alors qu’elle n’était que Dauphine, l’imprudente
princesse avait dit hautement qu’elle «n’aimait pas ces habits rouges»
(BELLEVAL. _Souvenirs_).

[596] Lettre de Rousseau à Bernet (voir p. 356):

«Il y a un siècle que je n’ai rien reçu de vous. J’ai appris avec
peine que M. d’Aiguillon est porté émigré: cela m’a causé une grande
affliction, n’ayant jamais pu croire que ce citoyen si zélé pour la
Constitution se fût déterminé à émigrer, d’autant que lui et les siens
n’avaient pas eu à se louer de la famille ci-devant royale. Ce parti de
quitter le territoire de la République m’afflige d’autant plus que sa
respectable mère en aura, j’en suis sûr, l’âme déchirée. J’ai un absolu
dévouement pour cette maison.»--Voir APPENDICE IV.

[597] Armand avait dû introduire, dès l’an VI, sa demande en radiation
de la liste des émigrés et, de ce fait, s’opposer à la vente du
domaine et des meubles d’Aiguillon, car le ministre avait recommandé
aux autorités du Département d’attendre, pour réaliser une opération
consentie par elles, que «le directoire exécutif eût prononcé sur la
radiation définitive de l’émigré d’Aiguillon». M. Tholin (Documents sur
le mobilier du château d’Aiguillon), croit qu’Armand ne put l’obtenir.

[598] CLAUDE SAINT-ANDRÉ. _Mᵐᵉ Du Barry_, p. 382.--D’autre part dans
la déposition de Blache (AN. W. 16), nous lisons: «A cette époque
(octobre 1792, la date donnée par M. Claude Saint-André), la Du Barry
fit émigrer la d’Aiguillon, _la jeune_, qu’elle avait fait passer pour
une de ses filles de chambre». Il y aurait donc eu confusion entre la
bru et la belle-mère. Soulavie, de son côté, dans son parallèle de Mᵐᵉ
de Choiseul et de Mᵐᵉ d’Aiguillon, affirme que celle-ci n’a pas émigré.
Et cependant la lettre de Rousseau est formelle. La duchesse, d’après
certaines versions, aurait émigré après les journées des 5 et 6 octobre
1789.

[599] Le décret de l’Assemblée législative (novembre 1791) déclarait
coupable du crime de lèse-nation tout émigré qui ne serait pas rentré
en France avant le 1ᵉʳ janvier 1792.

[600] _Archives Chabrillan._

[601] Voir la note de l’appendice V.

[602] Voir APPENDICE V.--Nous donnons le résumé d’un excellent travail
publié par M. Tholin sous le titre: _Documents sur le mobilier du
château confisqué en 1792_, Agen 1882.--Nous n’avons voulu nous
occuper, pour cette étude un peu aride, que des deux domaines dont
la gestion mit en relief l’intéressante personnalité de la duchesse:
_Aiguillon_ où sa constante activité avait fait merveille; _Ruel_
où son indomptable énergie combattit jusqu’à son dernier souffle la
mauvaise fortune.

[603] Le baron de Scheffer lui enverra, en 1795, des lettres à cette
prison; mais, nous n’avons trouvé, ni dans le livre de l’abbé CÉDOZ,
_Un couvent de religieuses anglaises à Paris_, 1891, ni dans l’opuscule
de l’abbé GASTON, _Une prison parisienne sous la Terreur_ (1908), parmi
les détenues, le nom de la duchesse d’Aiguillon. Cependant, il reste
aux Archives Nationales un document officiel attestant l’arrestation de
la duchesse (voir _Pièces justificatives_, IV).

[604] Voir _Pièces justificatives_, V.

[605] On peut lire «va les réquisitionner» (_Archives Chabrillan_).

[606] Ces deux lettres et celles qui suivent appartiennent aux Archives
du marquis de Chabrillan.

[607] Le baron Ulrich de Scheffer avait alors quatre-vingts ans. Il
avait remplacé le comte, comme ministre à Paris, de 1761 à 1769. Il fut
un des principaux instruments de la révolution de 1772. Il mourut le 4
mars 1799.

[608] Dans les _Feuilles d’histoire_ (T. 2 1909), M. Buffenoir a publié
un certain nombre de lettres adressées au comte Ch. Frédéric Scheffer
par diverses notabilités françaises de 1753 à 1784. Nous n’y relevons
aucune lettre des d’Aiguillon.

[609] AN.T. 243, 7 janvier 1780 (lettre du).--Scheffer dira lui-même
de Mᵐᵉ de Laigle (lettre du 4 août 1796): «Il y a trente-deux ans que
j’ai quitté la France; votre amie était bien longtemps auparavant d’une
santé faible et languissante: elle passait la plus grande partie de
sa vie dans son lit; c’est un miracle qu’elle ait pu aller jusqu’à ce
moment.»

[610] Ce n’était pas Armand, mais Emmanuel que s’appelait le petit-fils
de la duchesse. Il mourut en 1798.

[611] Ce sont les fameux Mémoires rédigés par Soulavie et qui
constituent à peu près la seule biographie qu’on ait jusqu’ici du
maréchal duc de Richelieu. Soulavie s’était servi de notes et documents
trouvés dans les papiers du maréchal; mais il y ajouta, paraît-il,
singulièrement du sien.

[612] Le livre déjà cité de l’abbé Bossebœuf (_Le Château de Veretz_,
Tours, 1903), donne entre autres pièces justificatives, p. 548,
_Mobilier de Veretz réservé par la Citoyenne d’Aiguillon lors de
la vente faite en 1792, 1ʳᵉ année de la République_ (étude de Mᵉ
Guillonneau, notaire à Saint-Avertin)--p. 551, _Expertise du château en
1796--Comptes de la démolition du château--Expertise en 1797._

[613] _Appendice_ V (note) p. 388.

[614] Le Directoire avait, en effet, offert l’ambassade de Suède à
Pichegru, mais celui-ci refusa.

[615] D’après la préface de Soulavie, les _Mémoires de Maurepas_,
se rapportant surtout à son premier ministère, seraient l’œuvre de
Salé, secrétaire de l’homme d’Etat. Soulavie, qui en est considéré
d’ordinaire comme l’auteur, dit n’avoir ajouté qu’un volume aux trois
de la première édition.--Ces quatre volumes sont datés de 1792.

[616] Après Montenotte, Millesimo, Mondovi et Lodi, après avoir culbuté
Beaulieu, le plus renommé des généraux autrichiens, Bonaparte était
entré à Milan le 15 mai 1796.

[617] Ce dut être une absence temporaire: car Lehoc fut ministre
plénipotentiaire à Stockolm de 1795 à 1799. Peut-être le Directoire
l’avait-il rappelé éventuellement, croyant que Pichegru accepterait le
poste.

[618] Voir APPENDICE I.

[619] Voir _Pièces justificatives_, VIIᵉ.

[620] Extrait de la _Généalogie de la Maison Brehant_, par le comte DE
BRÉHANT (1867):

«D’Innocente Aglaé et de Joseph Guignes de Moreton de Chabrillan:

1º Hippolyte-César de Moreton de Chabrillan, père du marquis de
Chabrillan.

2º Pierre-Charles Fort de Moreton de Chabrillan.

Ont réuni sur leurs têtes les successions des La Vrillière et des
d’Aiguillon.»

[621] TRÉVEDY. _Quelques mots à propos de Pordic_, 1902, pp. 88-89.

«Hippolyte-César de Moreton de Chabrillan, sous la Restauration, obtint
la restitution des biens de sa grand’mère non aliénés par la nation.»

[622] FR. FUNCK-BRENTANO. _Figaro et ses devanciers_ (Hachette, 1909),
p. 47.

[623] Archives Bastille 12438. Dossier Surgeon.

[624] _Figaro et ses devanciers_ (Hachette, 1909), p. 68.

[625] Le type achevé du policier adroit, intelligent, bel-esprit et...
fripon, assez fréquent à cette époque, toujours à la piste des libelles
et qui au besoin les fabrique pour s’en faire des rentes. Grâce à sa
femme, très jolie et très fine personne, qui avait su capter, comme le
fera plus tard l’astucieuse La Motte, la bienveillance de la Reine, il
proposait à cette princesse l’achat d’odieuses publications dirigées
contre elle, achat qu’il négociait à des prix fabuleux... et dont il
était l’auteur. Sa prévarication fut découverte; et il fut enfermé à
Vincennes où il mourut subitement d’apoplexie.

[626] ARCH. BASTILLE 12240. Dossier Pignatel, Mercier, Dubec, Arnoux.

[627] Nous avons vu, dans la correspondance de Mᵐᵉ d’Aiguillon, les
goûts artistiques du comte d’Agénois; et les documents rassemblés
par M. Tholin disent assez en quel honneur était tenue la musique au
château d’Aiguillon.

[628] Des pièces retrouvées aux _Archives nationales_ (F⁷ 5255³),
nous ont fait connaître, et les origines de cette confiscation,
et l’argumentation captieuse qui permit à l’Etat de justifier une
spoliation absolument inique. Elles nous renseignent en outre sur la
succession d’Aiguillon (p. 352).

Le 7 octobre 1792, Coutausse, procureur général, syndic de
Lot-et-Garonne, écrivait d’Agen à Roland, ministre de l’intérieur, que
le Directoire du Département avait reçu du maréchal de camp d’Aiguillon
un imprimé lui annonçant qu’il était «sorti de la République». Le
Directoire du Département estimait qu’en conséquence les biens de cet
officier supérieur devaient être mis «à la disposition de la Nation»;
mais «comme l’émigration n’était pas légalement constatée à ses yeux»,
le procureur général syndic priait Roland de «lui donner, sans perte
de temps, la connaissance certaine de l’état du maréchal de camp
d’Aiguillon». Il joignait en même temps à sa lettre l’imprimé, que nous
n’avons pas retrouvé, par parenthèse, dans le dossier des Archives.

A cette même date du 7 octobre 1792, une autre pièce, émanée du
Directoire, certifiait l’existence de l’imprimé, arrivé de Bâle sous le
nom de Vignerot, «dit d’Aiguillon», et que lui, Directoire, «instruit,
par les nouvelles politiques, de l’émigration» du maréchal de camp,
avait rendu un arrêté, sur le rapport du procureur syndic général,
concluant au séquestre des biens de d’Aiguillon.

Or, consécutivement à cet arr
êté, le 5 décembre 1792, une déclaration,
signée Salmon, établissait, en raison du contrat de mariage entre le
duc et la duchesse d’Aiguillon, la situation de la mère et du fils par
rapport à leurs intérêts respectifs. Pendant la communauté de biens qui
existait entre les deux époux et à laquelle pouvait renoncer la veuve,
pour «s’en tenir à ses reprises et conventions matrimoniales, il avait
été fait des emprunts considérables tant en viager qu’en perpétuel,
auxquels elle s’était obligée et avait même aliéné de ses propres»; de
ce fait, la succession de son mari lui devait une indemnité.

La duchesse s’en était d’abord tenue à ses reprises et son fils, qui
s’était «porté héritier bénéficiaire», avait recueilli, en 1790, la
succession de son père, à charge d’en payer les dettes; mais il l’avait
bientôt rétrocédée à sa mère, qui s’était engagée à désintéresser les
créanciers de son mari et de plus à loger son fils et sa bru, en leur
servant une rente annuelle de 24.000 livres.

La déclaration Salmon n’accepte pas cet arrangement familial: «M.
d’Aiguillon s’étant émigré, aux termes de la loi concernant les
émigrés, l’acte de 1790 ne peut se soutenir; et la Nation a le droit
de faire poser les scellés sur tous les meubles et papiers qui sont à
_l’hôtel de Paris_, à _celui de Versailles_, au _château de Ruel_, à
_celui de Véretz_, près de Tours, à _celui d’Aiguillon_ département du
Lot (_sic_), à _celui de Saint-Bihy_{*} près Saint-Brieuc en Bretagne;
de faire reprendre ces terres, excepté celles de Saint-Bihy (propriété
de la duchesse), par les départements de leur situation, et celle de
Montcornet-les-Ardennes, par le département de celui-ci, sans que les
revenus du duché d’Aiguillon puissent être tenus des dettes du père et
des reprises de la mère; et, dans le cas contraire, la nation pourrait,
dès ce moment, rentrer dans les objets compris dans la donation de
Louis XIII (au cardinal de Richelieu).»

La duchesse douairière d’Aiguillon était donc rentrée d’émigration,
quand Salmon donnait sa consultation sur le cas du maréchal de camp
Vignerot: autrement, il n’eût pas manqué d’argumenter contre la mère,
comme il l’avait fait contre le fils.

Mais ce qui dépasse les limites de la vraisemblance, c’est la note
que nous donne le répertoire Tuetey, d’après cette pièce des Archives
nationales (F. IV, 1470) des 3 et 5 avril 1793: «On dénonce la présence
à Paris des ci-devant duc et duchesse d’Aiguillon: celle-ci, déguisée
en petite ouvrière, allait même au spectacle aux places de 12 sols. La
dame Pinard, de leur intimité, a dit à son mari que s’il n’était pas si
patriote, elle lui confierait bien des choses et que, pour l’empêcher
d’être assassiné, elle lui donnerait sous peu une médaille à l’effigie
de Louis Capet».

Que la jeune duchesse d’Aiguillon soit revenue en France, ce n’est pas
improbable; mais que le duc ait eu la témérité d’y reparaître, après
son bruyant départ de l’armée, c’est inadmissible. A vrai dire, les
trois quarts des dénonciations que dictait alors l’esprit de délation
et qu’enregistrait la police étaient aussi absurdes que celle-ci.

{A} Le château de Saint-Bihi, demeure patrimoniale des Mauron-Plélo,
avait été reconstruit, vers 1750, par le duc d’Aiguillon. Ce château
sert aujourd’hui de magasin à fourrages.

[629] Cet état, dit M. Tholin, n’existe plus.

[630] Archives départementales, série 9.

[631] Se trouve aux archives départementales.

[632] Ce très beau portrait se trouve dans l’_Intermédiaire des
chercheurs et des curieux_ du 10 septembre 1911.

[633] _Ruel_ (orthographe du XVIIIᵉ siècle que nous
avons adoptée) devint _Rueil_ avec la Révolution.

[634] Fermier-régisseur de la duchesse d’Aiguillon.

[635] Le cimetière se trouvait, à cette époque, dans un emplacement
situé maintenant rue de la Réunion et où se tient le marché.

[636] Comte de Quelen, cousin de la duchesse d’Aiguillon.

[637] Ce buste se trouve actuellement chez le marquis de Chabrillan.





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