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Title: Oeuvres de Voltaire Tome XIX: Siècle de Louis XIV.—Tome I
Author: Voltaire
Language: French
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*** Start of this LibraryBlog Digital Book "Oeuvres de Voltaire Tome XIX: Siècle de Louis XIV.—Tome I" ***

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XIX ***



                                ŒUVRES

                                  DE

                               VOLTAIRE

                                 AVEC

                       PRÉFACES, AVERTISSEMENTS,
                              NOTES, ETC.

                            PAR M. BEUCHOT.

                               TOME XIX.
                     SIÈCLE DE LOUIS XIV.--TOME I.

                        [Illustration: colophon]


                               A PARIS,

                        CHEZ LEFÈVRE, LIBRAIRE,
                        RUE DE L’ÉPERON, Nº 6.

                FIRMIN DIDOT FRÈRES, RUE JACOB, Nº 24.
                        WERDET ET LEQUIEN FILS,
                        RUE DU BATTOIR, Nº 20.

                              M DCCC XXX.



PRÉFACE

DU NOUVEL ÉDITEUR.


Voltaire pensait, dès 1732, à donner l’histoire du _Siècle de Louis
XIV_[1]. Ce ne fut toutefois qu’à la fin de 1739 qu’il publia un _Essai
sur le Siècle de Louis XIV_. Ce morceau, composé de ce qui forme
aujourd’hui à-peu-près les deux premiers chapitres de l’ouvrage, fait
partie d’un _Recueil de pièces fugitives en prose et en vers, par M. de
V_***, 1740, in-8º. Mais, malgré la date qu’il porte, ce volume avait
paru à la fin de 1739, puisqu’un arrêt du conseil, du 4 décembre 1739,
en ordonne la suppression. Parmi les variantes que présente l’_Essai_,
j’ai conservé et mis en note (pages 267 et 268) deux passages qui m’ont
semblé dignes de remarque. Je dirai, à cette occasion, que je n’ai pas
trouvé dans l’édition de l’_Essai_ autant de fautes que le croyait
l’auteur[2].

Ce ne fut que dix à douze ans après que Voltaire publia enfin
tout l’ouvrage. On fixe communément à l’année 1752 la publication
du _Siècle de Louis XIV_. Cependant Voltaire lui-même, dans le
XIIIᵉ de ses _Fragments sur l’histoire générale_ (voyez
tome XLVII), dit que son livre, composé en 1745, fut imprimé en 1750.
Mais cela est contredit par une lettre à madame Denis, du 20 février
1751: Voltaire écrit qu’il s’amuse à finir le _Siècle de Louis XIV_.
L’édition était commencée six mois après[3], et dut être achevée la
même année. Il existe une édition en deux volumes petit in-12, sous le
millésime de 1751. Elle a pour titre: _Le Siècle de Louis XIV, publié
par M. de Francheville, conseiller aulique de sa majesté, et membre de
l’académie royale des sciences et belles-lettres de Prusse_.

On conçoit que Voltaire, à la cour de Berlin, comblé «de bontés à
tourner la tête[4],» occupé, non seulement de la composition de ses
ouvrages, mais encore de la correction de ceux du roi[5], ait eu
recours à quelqu’un pour les soins qu’exigeait l’impression de son
livre. Le nom de Francheville, mis sur le titre de la première édition
du _Siècle_, et conservé dans plusieurs des éditions suivantes, a fait
dire à quelques personnes que cet ouvrage n’était pas de Voltaire, mais
d’un Prussien. Voltaire déclare dans le _Supplément_ (voyez tome XX)
que M. de Francheville, Français réfugié, «voulut bien présider à la
première édition du _Siècle de Louis XIV_,» c’est-à-dire se charger
des détails et embarras de l’impression, qui durent être d’autant plus
grands, que c’est, à ma connaissance, le premier livre imprimé tout
entier avec l’orthographe de l’auteur.

A peine le _Siècle_ parut-il, qu’il fut la proie des libraires. On en
donna des éditions sous les noms de La Haye, deux volumes in-12; Dresde
(Lyon ou Trévoux), deux volumes in-12; Leipsic (Paris), deux volumes,
en quatre parties, in-12; Édimbourg, deux volumes in-12, etc. L’édition
de Dresde (Lyon ou Trévoux), 1752, deux volumes in-12, est intitulée
_troisième_. L’auteur n’avait pas encore donné sa _seconde_, qui
parut à Leipsic, deux volumes in-12, ayant chacun deux parties. Cette
_seconde_ édition contient des additions et un _Avis du libraire_, qui
parle de _huit_ éditions faites en moins de dix mois. Elle avait été
précédée de deux _Avertissements_ imprimés successivement dans les
journaux (_Mercure_, juin et novembre 1752). Je les ai imprimés tome
XXXIX, pages 465 et 468.

C’est sur l’édition de La Haye, copie de celle de Berlin, 1751, que La
Beaumelle donna son édition, Francfort, 1753, trois volumes in-12, dont
je parlerai plus longuement (tome XX), dans ma _Préface du Supplément
au Siècle de Louis XIV_, dont cette édition de La Beaumelle fut
l’origine.

L’édition de Dresde, 1753, deux volumes petit in-8º, quoique donnée
pour _revue par l’auteur et considérablement augmentée_, ne contient
rien qui ne fût dans la _seconde_ édition déjà mentionnée.

Voltaire ne cessa pourtant pas de revoir, corriger et augmenter
son _Siècle de Louis XIV_. Lorsqu’en 1756 il donna son _Essai sur
l’histoire générale_ (voyez ma _Préface_ du tome XV), il mit à la
suite le _Siècle de Louis XIV_, qui y forme les chapitres CLXV à CCX.
Le chapitre CCXI, intitulé: _Résumé de toute cette histoire_, est
aujourd’hui le chapitre CXCVII de l’_Essai sur les mœurs_ (voyez t.
XVIII, p. 473). Le chapitre CCXII de 1756 est, depuis 1763, le chapitre
XXXIV du _Siècle de Louis XIV_. Les chapitres CCXIII-CCXV forment,
depuis 1768, les préliminaires du _Siècle de Louis XIV_.

Peu de temps après la publication de l’édition de 1756, Voltaire reçut
de Lausanne le certificat de trois pasteurs, que j’ai rapporté dans
une note, page 208. Empressé de faire usage de cette pièce favorable à
Saurin, et ne voulant pas attendre la réimpression, il fit réimprimer
les dernières feuilles du septième et dernier volume. Il put ainsi
faire des additions aux articles FONTENELLE, GÉDOIN, LA MOTTE, et
ajouter en entier les articles DESTOUCHES, NIVELLE DE LA CHAUSSÉE, et
Joseph SAURIN. Il lui fallut en même temps changer les frontispices de
l’ouvrage, qui, datés de 1756, ne pouvaient plus convenir à un ouvrage
contenant un certificat du 30 mars 1757. Il n’en coûtait pas davantage
de mettre à ces frontispices, _seconde édition_; cela fut fait. Mais
les brocheurs et relieurs laissèrent souvent le frontispice de 1756 à
des exemplaires qui contiennent le certificat.

Un nommé Lervêche[6], mécontent des expressions de l’article SAURIN,
et regardant le certificat comme surpris ou supposé, fit insérer,
sans la signer, une assez longue lettre dans le _Journal helvétique_,
d’octobre 1758. C’est pour répondre à Lervêche que Voltaire composa
la _Réfutation d’un écrit anonyme concernant la mémoire de feu M.
Joseph Saurin_[7], à laquelle Lervêche répliqua. Les pièces de cette
querelle font partie de la _Guerre littéraire, ou Choix de quelques
pièces de M. de V***_, 1759, in-12, de CXL et 183 pages,
imprimé à Lausanne, chez Grasset. Voltaire, blessé de la publication
de ce volume, composa _Mémoire_ et _Requête_[8], pour en obtenir la
suppression. Grasset, malgré la protection de Haller, craignant qu’on
n’accédât à la demande de Voltaire, changea le titre du volume, et,
sur le nouveau frontispice, mit seulement: _Choix de quelques pièces
polémiques de M. de V***_[9]. C’était une précaution inutile; la
demande de Voltaire n’eut aucune suite.

La réimpression de l’_Essai sur l’histoire générale_, en Hollande,
1757, sept volumes in-8º, fut faite sur un exemplaire de 1756, mais
augmentée d’une table assez ample. Elle ne contient aucune des
additions faites par l’auteur en réimprimant les dernières feuilles
de son volume, ni conséquemment le certificat du 30 mars 1757, que
Voltaire, au reste, supprima dans l’édition de l’_Essai sur l’histoire
générale_, 1761-63, en huit volumes in-8º.

Dans cette édition de 1761-63 c’est au sixième volume que commence
le _Siècle de Louis XIV_, volume qui est intitulé: _Essai sur
l’histoire générale, etc., tome sixième: ou suite, tome premier_. Le
_Siècle de Louis XIV_ n’y a pas moins de soixante-deux chapitres. Le
quarante-deuxième est consacré aux _Artistes célèbres_. Tous ceux qui
le suivent sont relatifs à ce qui s’est passé après la mort de Louis
XIV, et font, depuis 1768, partie du _Précis du Siècle de Louis XV_
(voyez tome XXI). Le chapitre LXI, intitulé: _D’un fait
singulier concernant la littérature_, et que les éditeurs divers ont
placé les uns dans une division, les autres dans une autre, sera, dans
la présente édition, au tome XLI (parmi les _Mélanges_, année 1763).
C’est dans le même volume que je mettrai le chap. LXII
de l’édition de 1763, sous son titre de: _Conclusion et examen de
ce tableau historique_. C’est ce chapitre que les éditeurs de Kehl
ont intitulé: _Nouvelles remarques sur l’histoire à l’occasion de
l’Essai sur les mœurs_ (et ont placé sous le nº XXIV
des _Fragments sur l’histoire_); titre inexact, car ce morceau est
antérieur aux _Remarques_ publiées séparément en 1763, et qu’on peut
voir aussi dans le tome XLI.

En 1768 parut le _Siècle de Louis XIV, nouvelle édition, revue,
corrigée, et augmentée, à laquelle on a ajouté un Précis du Siècle de
Louis XV_, quatre volumes in-8º. Le _Précis du Siècle de Louis XV_
commence dans le troisième volume, et a trente-neuf chapitres (voyez ma
_Préface_ du tome XXI). C’est aussi en trente-neuf chapitres qu’est le
_Siècle de Louis XIV_, qui est précédé de l’_Avertissement_ que voici:

    On a cru devoir commencer cette nouvelle édition du _Siècle
    de Louis XIV_ par la liste de la maison royale et de tous les
    princes du sang de son temps. Elle est suivie de celle de tous les
    souverains contemporains, des maréchaux de France, des amiraux et
    généraux des galères, des ministres et secrétaires d’état, qui ont
    servi sous ce monarque. Après quoi vient le catalogue alphabétique
    des savants et artistes en tout genre. Cette instruction
    préliminaire est une espèce de dictionnaire dans lequel le lecteur
    peut choisir les sujets à son gré, pour se mettre au fait des
    grands événements arrivés sous ce règne.

Jusque-là, en effet, c’était à la fin du _Siècle de Louis XIV_, et
quelquefois sous la forme de trois chapitres, qu’avaient été placés:
1º la _Liste des enfants de Louis XIV, des souverains contemporains,
etc._; 2º le _Catalogue des écrivains_; 3º les _Artistes célèbres_;
objets qui, depuis 1768 (l’édition de madame de Genlis exceptée), ont
été conservés en tête de l’ouvrage: voyez, dans le présent volume,
pages 1, 47 et 223. C’était, ainsi que je l’ai dit, ce qui formait, en
1756 et 1757, les chap. CCXIII-CCXXV de l’_Essai_; et en
1763, les chap. XL-XLII du _Siècle_.

Dans l’édition in-4º des _Œuvres de Voltaire_, le _Siècle de Louis XIV_
forme, avec le _Précis du Siècle de Louis XV_, les tomes XI et XII,
datés de 1769. Le _Siècle de Louis XIV_ se trouve dans les tomes XVIII
et XIX de l’édition encadrée, ou de 1775: c’est la dernière édition
authentique donnée du vivant de l’auteur.

Les éditions de Kehl contiennent quelques additions posthumes,
parmi lesquelles il en est une qui me laisse quelques doutes de son
authenticité. Dans la liste des maréchaux, à l’article BERWICK (voyez
page 20), on parle des _Mémoires de Berwick_, publiés par l’abbé Hook,
en 1778. Ce sont les véritables mémoires du maréchal. Dans deux notes
du chapitre XXI, Voltaire cite, pour les critiquer, ceux qui avaient
été fabriqués par l’abbé Margon, et publiés en 1737. A-t-il vu la
publication de l’édition de l’abbé Hook? Voltaire est mort dans la nuit
du 30 au 31 mai 1778, après quelque temps de maladie. Le _Catalogue
hebdomadaire_ n’annonce les _Mémoires_ que dans sa fouille du 13
juin. L’_Année littéraire_, en rendant compte des _Mémoires_, année
1778 (tome V, page 181 et suiv.), parle de Voltaire comme n’existant
plus. Toutes les notes du _Siècle de Louis XIV_, où il est question
des _Mémoires_ publiés par Hook, sont des éditeurs de Kehl, qui, dans
le chapitre XXI, à la suite d’une note de Voltaire, établissent que
les _Mémoires de Berwick_, cités par Voltaire, ne sont pas ceux qu’a
publiés l’abbé Hook.

De toutes les éditions qui ont paru depuis celles de Kehl, je ne
parlerai que d’une qui fut publiée, il y a dix ans, sous ce titre:
_Siècle de Louis XIV, par Voltaire; nouvelle édition, avec des
retranchements, des notes et une préface, par madame la comtesse de
Genlis_, 1820, trois volumes in-12. L’éditeur moderne annonce avoir
ôté «tout ce qui souillait et déparait» cet ouvrage, qu’elle trouve
«instructif et rempli de faits intéressants.» Ce qui choque surtout
madame de Genlis, ce sont les «épigrammes sans nombre sur les prêtres;
et la satire calomnieuse et continuelle de la religion et de la piété.»
Aussi, en réduisant à trente-six les trente-neuf chapitres de Voltaire,
a-t-elle supprimé le chapitre du _Calvinisme_, celui du _Jansénisme_,
celui sur les _Cérémonies chinoises_; et çà et là beaucoup de morceaux.
Les préliminaires ont été reportés à la fin du troisième volume.

Avant d’être mutilé par madame de Genlis, le _Siècle de Louis XIV_
avait été condamné à Rome les 22 février et 16 mai 1753.

Dans le chapitre 1ᵉʳ de son livre (voyez pages 237-38), Voltaire parle
des quatre siècles des lettres et des arts. A.-J. Roustan, à qui
Voltaire adressa, en 1768, des _Remontrances_ et des _Instructions_
(voyez tome XLIV), en publiant, en 1764, un volume in-8º, intitulé:
_Offrande aux autels et à la patrie_, y comprit un _Examen historique
des quatre beaux siècles de M. de Voltaire_. Roustan pense que Voltaire
loue beaucoup trop Louis XIV. C’est aussi l’opinion de feu Lémontey,
dans son _Essai sur l’établissement monarchique de Louis XIV_, 1818,
in-8º.

Peu après les premières impressions du _Siècle de Louis XIV_, avait
paru le _Siècle politique de Louis XIV, ou Lettres du vicomte de
Bolingbroke sur ce sujet, avec les pièces qui forment l’histoire
du siècle de M. F. de Voltaire, et de ses querelles avec MM. de
Maupertuis et La Beaumelle_, à Sieclopolie, 1753, in-8º. Ce volume,
dont je parlerai aussi dans ma _Préface_ du _Supplément au Siècle de
Louis XIV_, a eu plusieurs éditions en 1754 et 1755. On en a fait le
tome IV des éditions du _Siècle_ en trois volumes, et le tome V des
éditions en quatre. Sur le faux titre de l’édition de 1753, on lit:
_Nouveau volume du Siècle de Louis XIV, pour suppléer à ce qui manque à
cet ouvrage de M. de Voltaire_. L’éditeur de ce volume fut Maubert de
Gouvest; il y donne un fragment d’une lettre et deux lettres entières
de Bolingbroke (voyez ma note, tome XXXIX, page 574), et un _Recueil
de pièces concernant le Siècle de Louis XIV, et les querelles de son
auteur avec MM. de Maupertuis et de La Beaumelle_.

Il est à remarquer que ni le _Mercure_, ni les _Lettres sur quelques
écrits de ce temps_ (par Fréron), n’aient rendu compte de la première
édition du _Siècle de Louis XIV_, qui fut déchirée dans le _Journal
de Gottingue_. Voltaire répondit par l’_Avis à l’auteur du Journal de
Gottingue_[10].

J’ai dit que Voltaire n’avait cessé de revoir son livre. Ses notes
surtout ont été successivement ajoutées: de là vient que quelques
unes semblent contradictoires. Il dit quelque part[11] n’avoir point
eu connaissance des _Annales_ de l’abbé de Saint-Pierre, dont il
rapporte cependant des passages. C’est pourquoi j’ai indiqué la date de
quelques notes. J’ai fait la même chose pour quelques phrases du texte
seulement. Il eût été fatigant, ce me semble, pour le lecteur, d’avoir,
pour ainsi dire, l’acte de naissance de chacune.

Fontenelle était, en 1752, le seul qui fît exception à la règle que
l’auteur s’était faite de ne mettre dans son Catalogue des écrivains
aucun homme vivant (voyez ma note, p. 114). Voltaire fit en 1768 deux
nouvelles exceptions en faveur de D’Olivet et du président Hénault
(voyez pages 99-100 et 122). Mais plusieurs auteurs, sans y avoir
d’article ont eu le plaisir de se voir louer dans le _Siècle de Louis
XIV_: le président Hénault dès 1751 (v. ma note, p. 122); le duc de
Nivernais dès 1756 (v. p. 269); B.-J. Saurin dès 1763 (v. p. 208); M.
Jacques-Dominique Cassini, âgé aujourd’hui de quatre-vingts dix ans,
dans les éditions posthumes (v. p. 75).

Je donne peu de variantes: il n’était nécessaire ni de les relever
toutes, ni d’indiquer à quelle place se trouvaient, dans les premières
éditions du _Siècle de Louis XIV_, des alinéa qui ont, depuis, été
transportés dans l’_Essai sur les mœurs_.

Je possède un exemplaire de l’édition de 1751, avec un grand nombre
d’additions et corrections, dont plusieurs sont de la main de Voltaire.
J’ai eu en communication d’autres exemplaires corrigés aussi de la main
de l’auteur, ou de celles de ses secrétaires[12]. Mais j’ai retrouvé
toutes ces corrections employées dans les éditions subséquentes, à
l’exception d’une seule, dont j’ai fait mon profit: c’est à la fin d’un
alinéa du chapitre XXXVI (_Du calvinisme_).

Pour l’ordre alphabétique du _Catalogue des écrivains_, j’ai suivi
plusieurs des éditeurs modernes; mais je dois faire remarquer que cet
ordre n’est pas tout-à-fait celui de Voltaire lui-même.

Dans quelques éditions du _Siècle de Louis XIV_, on a imprimé à la
suite plusieurs morceaux de Voltaire, que j’ai distribués autrement,
savoir:

I. _Éclaircissements sur quelques anecdotes_; c’est le neuvième des
_Fragments sur l’histoire générale_ (voyez tome XLVII).

II. _Sur la Révocation de l’édit de Nantes_; c’est le quinzième des
mêmes _Fragments_.

III. _Défense de Louis XIV contre les Annales politiques de l’abbé de
Saint-Pierre_; c’est le treizième des _Fragments_.

IV. _Extrait d’un mémoire sur les calomnies contre Louis XIV et contre
Louis XV_, etc.; c’est le onzième des _Fragments_.

V. _Défense de Louis XIV contre l’auteur des Éphémérides du citoyen_,
qu’on trouvera dans le tome XLVI.

VI. _Avis à l’auteur du journal de Gottingue._ J’en ai déjà parlé, et
je l’ai imprimé tome XXXIX, page 514.

VII. _Anecdotes sur Louis XIV._ Elles avaient paru avant le _Siècle de
Louis XIV_ (en 1748), et sont dans le tome XXXIX, page 3.

VIII. _Journal de la cour de Louis XIV, avec des notes._ C’est
l’extrait des _Mémoires de Dangeau_, qu’on verra au tome XLVI.

IX. _Extrait des Souvenirs de madame de Caylus, avec des notes_, que je
réserve aussi pour le tome XLVI.

X. _Fragment sur le Siècle de Louis XIV._ C’était, en effet, un lambeau
de la _Préface_ d’un volume publié par Voltaire, en 1754, et que j’ai
imprimée tome XXXIX, pages 564-577. Le morceau donné sous le titre de
_Fragment_ commence à la page 573.

Les derniers passages du chapitre LXII de l’édition de
1763, dont j’ai parlé ci-dessus, sont aussi relatifs au _Siècle de
Louis XIV_.

J’ai peur d’avoir fait cette _Préface_ trop longue, et je me hâte de la
terminer.

Les notes sans signature, et qui sont indiquées par des lettres, sont
de Voltaire.

Les deux ou trois notes signées L sont prises dans l’édition de La
Beaumelle.

Les notes signées d’un K sont des éditeurs de Kehl, MM. Condorcet et
Decroix. Il est impossible de faire rigoureusement la part de chacun.

C’est avec l’autorisation de M. Clogenson que j’ai reproduit un grand
nombre de ses notes. Elles sont signées CL.

Les additions que j’ai faites à diverses de ces notes en sont séparées
par un--, et sont, comme mes notes, signées de l’initiale de mon nom.

                                                               BEUCHOT.

    Ce 9 mai 1830, anniversaire de la réception de Voltaire à
    l’académie française.



LISTE RAISONNÉE DES ENFANTS DE LOUIS XIV,

DES PRINCES DE LA MAISON DE FRANCE DE SON TEMPS, DES SOUVERAINS
CONTEMPORAINS, DES MARÉCHAUX DE FRANCE, DES MINISTRES, DE LA PLUPART
DES ÉCRIVAINS, ET DES ARTISTES QUI ONT FLEURI DANS CE SIÈCLE.


Louis XIV n’eut qu’une femme[13], Marie-Thérèse d’Autriche, née
comme lui en 1638, fille unique de Philippe IV, roi d’Espagne, de
son premier mariage avec Élisabeth de France, et sœur de Charles II
et de Marguerite-Thérèse, que Philippe IV eut de son second mariage
avec Marie-Anne d’Autriche. Ce second mariage de Philippe IV est très
remarquable. Marie-Anne d’Autriche était sa nièce, et elle avait été
fiancée, en 1648, à Philippe-Balthazar, infant d’Espagne; de sorte que
Philippe IV épousa à-la-fois sa nièce et la fiancée de son fils.

Les noces de Louis XIV furent célébrées le 9 juin 1660. Marie-Thérèse
mourut en 1683. Les historiens se sont fatigués à dire quelque chose
d’elle. On a prétendu qu’une religieuse lui ayant demandé si elle
n’avait pas cherché à plaire aux jeunes gens de la cour du roi son
père, elle répondit: «Non, il n’y avait point de rois.» On ne nomme
point cette religieuse, elle aurait été plus qu’indiscrète. Les
infantes ne pouvaient parler à aucun jeune homme de la cour; et lorsque
Charles Iᵉʳ, roi d’Angleterre, étant prince de Galles, alla à Madrid
pour épouser la fille de Philippe III, il ne put même lui parler. Ce
discours de Marie-Thérèse semble d’ailleurs supposer que s’il y avait
eu des rois à la cour de son père, elle aurait cherché à s’en faire
aimer. Une telle réponse eût été convenable à la sœur d’Alexandre,
mais non pas à la modeste simplicité de Marie-Thérèse. La plupart des
historiens se plaisent à faire dire aux princes ce qu’ils n’ont ni dit
ni dû dire.

Le seul enfant de ce mariage de Louis XIV qui vécut fut Louis, dauphin,
nommé _Monseigneur_, né le 1ᵉʳ novembre 1661, mort le 14 avril 1711.
Rien n’était plus commun, long-temps avant la mort de ce prince, que
ce proverbe qui courait sur lui: «Fils de roi, père de roi, jamais
roi.» L’événement semble favoriser la crédulité de ceux qui ont foi aux
prédictions; mais ce mot n’était qu’une répétition de ce qu’on avait
dit du père de Philippe de Valois, et était fondé d’ailleurs sur la
santé de Louis XIV, plus robuste que celle de son fils.

La vérité oblige de dire qu’il ne faut avoir aucun égard aux livres
scandaleux sur la vie privée de ce prince. Les _Mémoires de madame de
Maintenon_, compilés par La Beaumelle, sont remplis de ces ridicules
anecdotes. Une des plus extravagantes est que Monseigneur fut amoureux
de sa sœur, et qu’il épousa mademoiselle Choin[14]. Ces sottises
doivent être réfutées, puisqu’elles ont été imprimées.

Il épousa Marie-Anne-Christine-Victoire de Bavière, le 8 mars 1680,
morte le 20 avril 1690: il en eut

1º LOUIS, duc de Bourgogne, né le 6 auguste 1682, mort le 18 février
1712, d’une rougeole épidémique; lequel eut de Marie-Adélaïde de
Savoie, fille du premier roi de Sardaigne, morte le 12 février 1712,

LOUIS, duc de Bretagne, né en 1705, mort en 1712;

Et Louis XV, né le 15 février 1710.

La mort prématurée du duc de Bourgogne causa des regrets à la France
et à l’Europe. Il était très instruit, juste, pacifique, ennemi de la
vaine gloire, digne élève du duc de Beauvilliers et du célèbre Fénélon.
Nous avons, à la honte de l’esprit humain, cent volumes contre Louis
XIV, son fils Monseigneur, le duc d’Orléans son neveu, et pas un qui
fasse connaître les vertus de ce prince, qui aurait mérité d’être
célèbre s’il n’eût été que particulier.

2º PHILIPPE, duc d’Anjou, roi d’Espagne, né le 19 décembre 1683, mort
le 9 juillet 1746;

3º CHARLES, duc de Berri, né le 31 auguste 1686, mort le 4 mai 1714.

Louis XIV eut encore deux fils et trois filles, morts jeunes.


ENFANTS NATURELS ET LÉGITIMÉS.

Louis XIV eut de madame la duchesse de La Vallière, laquelle s’étant
rendue religieuse carmélite, le 2 juin 1674, fit profession le 4 juin
1675, et mourut le 6 juin 1710, âgée de soixante-cinq ans,

LOUIS DE BOURBON, né le 27 décembre 1663, mort le 15 juillet 1666;

LOUIS DE BOURBON, comte de Vermandois, né le 2 octobre 1667, mort en
1683;

MARIE-ANNE, dite Mademoiselle _de Blois_, née en 1666, mariée à
Louis-Armand, prince de Conti, morte en 1739.


AUTRES ENFANTS NATURELS ET LÉGITIMÉS.

De Françoise-Athénaïs de Rochechouart Mortemar, femme de Louis de
Gondrin, marquis de Montespan. Comme ils naquirent tous pendant la vie
du marquis de Montespan, le nom de la mère ne se trouve point dans les
actes relatifs à leur naissance et leur légitimation:

LOUIS-AUGUSTE DE BOURBON, duc du Maine, né le 31 mars 1670, mort en
1736;

LOUIS-CÉSAR, comte de Vexin, abbé de Saint-Denys et de
Saint-Germain-des-Prés, né en 1672, mort en 1683;

LOUIS-ALEXANDRE DE BOURBON, comte de Toulouse, né le 6 juin 1678, mort
en 1737;

LOUISE-FRANÇOISE DE BOURBON, dite Mademoiselle _de Nantes_, née en
1673, mariée à Louis III, duc de Bourbon-Condé, morte en 1743;
LOUISE-MARIE DE BOURBON, dite Mademoiselle _de Tours_, morte en 1681;

FRANÇOISE-MARIE DE BOURBON, dite Mademoiselle _de Blois_, née en 1677,
mariée à Philippe II, duc d’Orléans, régent de France, morte en 1749.

Deux autres fils, morts jeunes, dont l’un de mademoiselle de Fontanges.

LOUIS, dauphin, a laissé une fille naturelle. Après la mort de son
père on voulut la faire religieuse; madame la duchesse de Bourgogne,
apprenant que cette vocation était forcée, s’y opposa, lui donna une
dot, et la maria.


PRINCES ET PRINCESSES DU SANG ROYAL,

QUI VÉCURENT DANS LE SIÈCLE DE LOUIS XIV.

JEAN-BAPTISTE GASTON, duc d’Orléans, second fils de Henri IV et
de Marie de Médicis, né à Fontainebleau en 1608, presque toujours
infortuné, haï de son frère, persécuté par le cardinal de Richelieu,
entrant dans toutes les intrigues, et abandonnant souvent ses amis.
Il fut la cause de la mort du duc de Montmorenci, de Cinq-Mars, du
vertueux de Thou. Jaloux de son rang et de l’étiquette, il fit un jour
changer de place toutes les personnes de la cour à une fête qu’il
donnait; et prenant le duc de Montbazon par la main pour le faire
descendre d’un gradin, le duc de Montbazon lui dit: «Je suis le premier
de vos amis que vous ayez aidé à descendre de l’échafaud.» Il joua un
rôle considérable, mais triste, pendant la régence, et mourut relégué à
Blois, en 1660.

ÉLISABETH, fille de Henri IV, née en 1602, épouse de Philippe IV, très
malheureuse en Espagne, où elle vécut sans crédit et sans consolation:
morte en 1644.

CHRISTINE, seconde fille de Henri IV, femme de Victor-Amédée, duc de
Savoie. Sa vie fut un continuel orage à la cour et dans les affaires.
On lui disputa la tutèle de son fils, on attaqua son pouvoir et sa
réputation. Morte en 1663.

HENRIETTE-MARIE, épouse de Charles Iᵉʳ, roi de la Grande-Bretagne, la
plus malheureuse princesse de cette maison; elle avait presque toutes
les qualités de son père. Morte en 1669.

Mademoiselle DE MONTPENSIER[15], nommée _la Grande Mademoiselle_, fille
de Gaston et de Marie de Bourbon-Montpensier, dont nous avons les
_Mémoires_, et dont il est beaucoup parlé dans cette histoire; morte en
1693.

MARGUERITE-LOUISE, femme de Cosme de Médicis, laquelle abandonna son
mari et se retira en France.

FRANÇOISE-MAGDELEINE, femme de Charles-Emmanuel, duc de Savoie.

PHILIPPE, _Monsieur_, frère unique de Louis XIV, mort le 9 juin
1701. Il épousa Henriette, fille de Charles Iᵉʳ, roi d’Angleterre,
petite-fille de Henri-le-Grand, princesse chère à la France par son
esprit et par ses graces, morte à la fleur de son âge en 1670. Il eut
de cette princesse Marie-Louise, mariée à Charles II, roi d’Espagne, en
1679, morte à 27 ans, en 1689; et Anne-Marie, mariée à Victor-Amédée,
duc de Savoie, depuis roi de Sardaigne. C’est à cause de ce mariage
que dans la plupart des mémoires sur la guerre de la succession, on
nomme le duc d’Orléans oncle[16] de Philippe V.

Ce fut lui qui commença la nouvelle maison d’Orléans. Il eut de la
fille de l’électeur palatin, morte en 1722,

PHILIPPE D’ORLÉANS, régent de France, célèbre par le courage, par
l’esprit, et les plaisirs; né pour la société encore plus que pour les
affaires; et l’un des plus aimables hommes qui aient jamais été. Sa
sœur a été la dernière duchesse de Lorraine. Mort en 1723.


LA BRANCHE DE CONDÉ EUT UN TRÈS GRAND ÉCLAT.

HENRI, prince de CONDÉ, second du nom, premier prince du sang, jouit
d’un crédit solide pendant la régence, et de la réputation d’une
probité rare dans ces temps de trouble. Possédant environ deux millions
de rente selon la manière de compter d’aujourd’hui, il donna dans sa
maison l’exemple d’une économie que le cardinal Mazarin aurait dû
imiter dans le gouvernement de l’état, mais qui était trop difficile.
Sa plus grande gloire fut d’être le père du grand Condé. Mort en 1646.

LE GRAND CONDÉ, LOUIS II du nom, fils du précédent et de
Charlotte-Marguerite de Montmorenci, neveu de l’illustre et malheureux
duc de Montmorenci, décapité à Toulouse, réunit en sa personne tout
ce qui avait caractérisé pendant tant de siècles ces deux maisons de
héros. Né le 8 septembre 1621: mort le 11 décembre 1686.

Il eut de Clémence de Maillé de Brézé, nièce du cardinal de Richelieu,

HENRI-JULES, nommé communément _Monsieur le Prince_, mort en 1709.

Henri-Jules eut d’Anne de Bavière, palatine du Rhin,

LOUIS DE BOURBON, nommé _Monsieur le duc_, père de celui qui fut le
premier ministre sous Louis XV: mort en 1710.


BRANCHE DE CONTI.

Le premier prince DE CONTI[17], ARMAND, était frère du grand Condé; il
joua un rôle dans la fronde. Mort en 1666.

Il laissa d’Anne Martinozzi, nièce du cardinal Mazarin,

LOUIS, mort sans enfant de sa femme Marie-Anne, fille de Louis XIV et
de la duchesse de La Vallière, en 1685;

Et FRANÇOIS-LOUIS, prince de la Roche-sur-Yon, puis de Conti, qui fut
élu roi de Pologne en 1697; prince dont la mémoire a été long-temps
chère à la France, ressemblant au grand Condé par l’esprit et le
courage, et toujours animé du désir de plaire, qualité qui manqua
quelquefois au grand Condé: mort en 1709.

Il eut d’Adélaïde de Bourbon, sa cousine,

LOUIS-ARMAND, né en 1695, qui survécut à Louis XIV[18].


BRANCHE DE BOURBON-SOISSONS.

Il n’y eut de cette branche que LOUIS, comte de Soissons: tué à la
bataille de La Marfée, en 1641.

Toutes les autres branches de la maison de Bourbon étaient éteintes.

Les COURTENAI n’étaient reconnus princes du sang que par la voix
publique, et ils n’en avaient point le rang. Ils descendaient de
Louis-le-Gros; mais leurs ancêtres ayant pris les armoiries de
l’héritière de Courtenai, ils n’avaient pas eu la précaution de
s’attacher à la maison royale, dans un temps où les grands terriens
ne connaissaient de prérogative que celle des grands fiefs et de la
pairie. Cette branche avait produit des empereurs de Constantinople, et
ne put fournir un prince du sang reconnu. Le cardinal Mazarin voulut,
pour mortifier la maison de Condé, faire donner aux Courtenai le rang
et les honneurs qu’ils demandaient depuis long-temps; mais il ne trouva
pas en eux un grand appui pour exécuter ce dessein.


SOUVERAINS CONTEMPORAINS.

PAPES.

Barberini, URBAIN VIII. Ce fut lui qui donna aux cardinaux le titre
d’_éminence_. Il abolit les jésuitesses[19]: il n’était pas encore
question d’abolir les jésuites. Nous avons de lui un gros recueil de
vers latins. Il faut avouer que l’Arioste et le Tasse ont mieux réussi.
Mort en 1644.

Pamphilo, INNOCENT X, connu pour avoir chassé de Rome les deux neveux
d’Urbain VIII, auxquels il devait tout; pour avoir condamné les cinq
propositions de Jansénius sans avoir eu l’ennui de lire le livre, et
pour avoir été gouverné par la _Dona Olympia_, sa belle-sœur, qui
vendit sous son pontificat tout ce qui pouvait se vendre: mort en 1655.

Chigi, ALEXANDRE VII. C’est lui qui demanda pardon à Louis XIV, par
un légat _a latere_. Il était plus mauvais poëte qu’Urbain VIII.
Long-temps loué pour avoir négligé le népotisme, il finit par le mettre
sur le trône. Mort en 1667.

Rospigliosi, CLÉMENT IX, ami des lettres sans faire de vers, pacifique,
économe, et libéral, père du peuple. Il avait à cœur deux choses dont
il ne put venir à bout: d’empêcher les Turcs de prendre Candie, et de
mettre la paix dans l’Église de France. Mort en 1669.

Altieri, CLÉMENT X, honnête homme et pacifique comme son prédécesseur,
mais gouverné: mort en 1676.

Odescalchi, INNOCENT XI, fier ennemi de Louis XIV, oubliant les
intérêts de l’Église en faveur de la ligue formée contre ce monarque.
Il en est beaucoup parlé dans cette histoire[20]. Mort en 1689.

Ottoboni, Vénitien, ALEXANDRE VIII. Nul ne secourut plus les pauvres,
et n’enrichit plus ses parents. Mort en 1691.

Pignatelli, INNOCENT XII. Il condamna l’illustre Fénélon; d’ailleurs il
fut aimé et estimé. Mort en 1700.

Albani, CLÉMENT XI. Sa bulle contre Quesnel, qui n’a qu’une feuille,
est beaucoup plus connue que ses ouvrages en six volumes in-folio. Mort
en 1721.


MAISON OTTOMANE.

IBRAHIM. C’est lui dont Racine dit avec juste raison,

    L’imbécile Ibrahim, sans craindre sa naissance,
    Traine, exempt de péril, une éternelle enfance.

Tiré de sa prison pour régner après la mort d’Amurat, son frère. Tout
imbécile qu’il était, les Turcs conquirent l’île de Candie sous son
règne. Étranglé en 1649.

MAHOMET IV, fils d’Ibrahim, déposé et mort en 1687[21].

SOLIMAN III, fils d’Ibrahim, et frère de Mahomet IV, après des succès
divers dans ses guerres contre l’Allemagne, meurt de sa mort naturelle
en 1691.

ACHMET II, frère du précédent, poëte et musicien. Son armée fut battue
à Salenkemen par le prince Louis de Bade. Mort en 1695.

MUSTAPHA II, fils de Mahomet IV, vainqueur à Témesvar, vaincu par le
prince Eugène à la bataille de Zenta sur le Tibisk, en septembre 1697,
déposé dans Andrinople, et mort dans le sérail de Constantinople en
1703.

ACHMET III, frère du précédent, battu encore par le prince Eugène à
Peterwaradin et à Belgrade, déposé en 1730.


EMPEREURS D’ALLEMAGNE.

On n’en dira rien ici, parcequ’il en est beaucoup parlé dans le corps
de l’histoire.

FERDINAND III, mort en 1657[22].

LÉOPOLD Iᵉʳ, mort en 1705.

JOSEPH Iᵉʳ, mort en 1711.

CHARLES VI, mort en 1740.


ROIS D’ESPAGNE.

_Idem._

PHILIPPE IV, mort en 1665.

CHARLES II, mort en 1700.

PHILIPPE V, mort en 1746.


ROIS DE PORTUGAL.

JEAN IV, duc de Bragance, surnommé _le Fortuné_. Sa femme, Louise de
Gusman, le fit roi de Portugal. Mort en 1656.

ALFONSE VI, fils du précédent. Si Jean fut roi par le courage de sa
femme, Alfonse fut détrôné par la sienne en 1667; confiné dans l’île de
Tercère, où il mourut en 1683[23].

DOM PÈDRE, frère du précédent, lui ravit sa couronne et sa femme; et
pour l’épouser légitimement le fit déclarer impuissant, tout débauché
qu’il était. Mort en 1706.

JEAN V, mort en 1750.


ROIS D’ANGLETERRE, D’ÉCOSSE, ET D’IRLANDE,

DONT IL EST PARLÉ DANS LE SIÈCLE DE LOUIS XIV.

CHARLES Iᵉʳ, assassiné juridiquement sur un échafaud, en 1649.

CROMWELL (Olivier), protecteur, le 22 décembre 1653, plus puissant
qu’un roi: mort le 13 septembre 1658.

CROMWELL (Richard), protecteur immédiatement après la mort de son père,
dépossédé paisiblement au mois de juin 1659: mort en 1685[24].

CHARLES II, mort en 1685.

JACQUES II, détrôné en 1688: mort en 1701.

GUILLAUME III, mort en 1702.

ANNE STUART, morte en 1714.

GEORGE Iᵉʳ, mort en 1727.


ROIS DE DANEMARK.

CHRISTIAN IV, mort en 1648.

FRÉDÉRIC III, reconnu, en 1661, par le clergé et les bourgeois, pour
souverain absolu, supérieur aux lois, pouvant les faire, les abroger,
les négliger, à sa volonté. La noblesse fut obligée de se conformer aux
vœux des deux autres ordres de l’état. Par cette étrange loi, les rois
de Danemark ont été les seuls princes despotiques de droit; et ce qui
est encore plus étrange, c’est que ni ce roi ni ses successeurs n’en
ont abusé que rarement. Mort le 19 février 1670.

CHRISTIAN V, mort en 1699.

FRÉDÉRIC IV, mort en 1730.


ROIS DE SUÈDE.

CHRISTINE. Il en est parlé beaucoup dans le siècle de Louis XIV. Elle
avait abdiqué en 1654. Morte à Rome en 1689.

CHARLES X, plus communément appelé _Charles-Gustave_: il était de la
maison palatine, et neveu de Gustave-Adolphe par sa mère. Il voulut
établir en Suède la puissance arbitraire. Mort en 1660.

CHARLES XI, qui établit cette puissance: mort en 1697.

CHARLES XII, qui en abusa, et qui, par cet abus, fut cause de la
liberté du royaume: mort en 1718[25].


ROIS DE POLOGNE.

LADISLAS-SIGISMOND, vainqueur des Turcs. Ce fut lui qui, en 1645,
envoya une magnifique ambassade pour épouser par procureur la princesse
Marie de Gonzague de Nevers. Les personnes, les habits, les chevaux,
les carrosses des ambassadeurs polonais, éclipsèrent la splendeur de la
cour de France, à qui Louis XIV n’avait pas encore donné cet éclat qui
éclipsa depuis toutes les autres cours du monde. Mort en 1648.

JEAN-CASIMIR, frère du précédent, jésuite, puis cardinal, puis roi,
épousa la veuve de son frère, s’ennuya de la Pologne, la quitta en
1670[26], se retira à Paris, fut abbé de Saint-Germain-des-Prés, vécut
beaucoup avec Ninon. Mort en 1672.

MICHEL VIESNOVIESKI, élu en 1670. Il laissa prendre par les Turcs
Kaminieck, la seule ville fortifiée et la clef du royaume, et se soumit
à être leur tributaire: mort en 1673.

JEAN SOBIESKI, élu en 1674, vainqueur des Turcs et libérateur de
Vienne. Sa vie a été écrite par l’abbé Coyer, homme d’esprit et
philosophe. Il épousa une Française, ainsi que Ladislas et Casimir[27];
c’était mademoiselle d’Arquien. Mort en 1696.

AUGUSTE Iᵉʳ[28], électeur de Saxe, élu en 1697, par une partie de la
noblesse, pendant que le prince de Conti était choisi par l’autre.
Bientôt seul roi; détrôné par Charles XII, rétabli par le czar Pierre
Iᵉʳ: mort en 1733.

STANISLAS, établi au contraire par Charles XII, et détrôné par Pierre
Iᵉʳ: mort en 1765[29].


ROIS DE PRUSSE.

FRÉDÉRIC, le premier roi: mort en 1700[30].

FRÉDÉRIC-GUILLAUME, le premier qui eut une grande armée et qui la
disciplina, père de Frédéric-le-Grand, le premier qui vainquit avec
cette armée: mort en 1740.


CZARS DE RUSSIE,

DEPUIS EMPEREURS.

MICHEL ROMANOV[31], fils de Philarète, archevêque de Rostou, élu en
1613, à l’âge de quinze ans. De son temps les czars n’épousaient que
leurs sujettes; ils fesaient venir à leur cour un certain nombre de
filles, et choisissaient. Ce sont les anciennes mœurs asiatiques. C’est
ainsi que Michel épousa la fille d’un pauvre gentilhomme qui cultivait
ses champs lui-même: mort en juillet 1645.

ALEXIS, fils de Michel, qui combattit les Ottomans avec succès: mort en
février 1676[32].

FÉDOR, fils d’Alexis, qui voulut policer les Russes, ouvrage réservé à
Pierre-le-Grand: mort en 1682.

IVAN, frère de Fédor, et aîné de Pierre, incapable du trône: mort en
1696.

PIERRE-LE-GRAND, vrai fondateur: mort en janvier 1725[33].


GOUVERNEURS DE FLANDRE.

    Les Pays-Bas ayant presque toujours été le théâtre de la guerre
    sous Louis XIV, il paraît convenable de placer ici la suite des
    gouverneurs de cette province, qui ne vit aucun de ses rois depuis
    Philippe II.

Le marquis FRANCISCO DE MELLO D’ASUMAR, le même qui fut battu par le
grand Condé: démis en 1644.

Le grand commandeur CASTEL RODRIGO: mort en 1647[34].

LÉOPOLD-GUILLAUME, archiduc d’Autriche, c’est-à-dire portant le titre
d’archiduc, mais n’ayant rien dans l’Autriche, frère de Ferdinand II.
Ce fut lui qui envoya un député au parlement de Paris pour s’unir avec
lui contre le cardinal Mazarin. Mort en 1656.

DON JUAN D’AUTRICHE, fils naturel de Philippe IV, fameux ennemi du
premier ministre d’Espagne, le jésuite Nitard, comme le prince de Condé
du cardinal Mazarin, mais plus heureux que le prince de Condé, en ce
qu’il fit chasser Nitard pour jamais. Ce fut lui qui fut battu par
Turenne à la bataille des Dunes. Mort en 1659[35].

Le marquis DE CARACÈNE: mort en 1664.

Le marquis DE CASTEL RODRIGO, qui soutint mal la guerre contre Louis
XIV, et qui ne pouvait pas la bien soutenir: mort en 1668.

FERNANDÈS DE VELASCO, connétable de Castille: mort en 1669.

Le comte DE MONTEREY, qui secourut sous main les Hollandais contre
Louis XIV: mort en 1675.

Le duc DE VILLA HERMOSA, l’homme le plus généreux de son temps: mort en
1678.

ALEXANDRE FARNÈSE, second fils du duc de Parme. Ce nom d’Alexandre
était difficile à soutenir: démis en 1682.

Le marquis DE GRANA: mort en 1685.

Le marquis DE CASTANAGA: mort en 1692.

MAXIMILIEN-EMMANUEL, électeur de Bavière, fut gouverneur des Pays-Bas,
après la bataille d’Hochstedt, et en garda le titre jusqu’à la paix
d’Utrecht en 1714. Mort la même année.

Le prince EUGÈNE, vicaire général des Pays-Bas. Il n’y résida jamais.
Mort en 1736.


MARÉCHAUX DE FRANCE

MORTS SOUS LOUIS XIV, OU QUI ONT SERVI SOUS LUI.

ALBRET (César-Phœbus d’), de la maison des rois de Navarre, maréchal
de France en 1653[36]. Il ne fit point de difficulté d’épouser la
fille de Guénégaud, trésorier de l’épargne, qui fut une dame d’un très
grand mérite. Saint-Évremond l’a célébrée. Il fut amant de madame de
Maintenon et de la fameuse Ninon; chéri dans la société, estimé à la
guerre. Mort en 1676.

ALÈGRE (Yves d’), ayant servi près de soixante ans sous Louis XIV, n’a
été maréchal qu’en 1724: mort en 1733.

ASFELD (Claude-François Bidal d’) s’acquit une grande réputation pour
l’attaque et la défense des places. Il contribua beaucoup à la bataille
d’Almanza: maréchal en 1734: mort en 1743.

AUBUSSON DE LA FEUILLADE (François d’), maréchal en 1675. C’est lui
qui, par reconnaissance, fit élever la statue de Louis XIV à la place
des Victoires. Mort en 1691. Son fils ne fut maréchal que long-temps
après, en 1725.

AUMONT (Antoine d’), petit-fils du célèbre Jean, maréchal d’Aumont,
l’un des grands capitaines de Henri IV. Antoine contribua beaucoup au
gain de la bataille de Rethel en 1650. Il eut le bâton de maréchal pour
récompense, et mourut en 1669.

BALINCOURT (Testu de), maréchal en 1746.

BARWICK, ou plutôt BERWICK (Jacques Fitzjames, duc de), fils naturel du
roi d’Angleterre, Jacques II, et d’une sœur du duc de Marlborough. Son
père le fit duc de Barwick en Angleterre. Il fut aussi duc en Espagne.
Il le fut en France. Maréchal en 1706; tué au siége de Philipsbourg en
1734. Il a laissé des Mémoires que M. l’abbé Hook a publiés en 1778; on
y trouve des anecdotes curieuses, et des détails instructifs sur ses
campagnes[37].

BASSOMPIERRE (François de), né en avril 1579, colonel général des
Suisses, maréchal en 1622; détenu à la Bastille depuis 1631 jusqu’à la
mort du cardinal de Richelieu. Il y composa ses Mémoires qui roulent
sur des intrigues de cour et ses galanteries. César, dans ses Mémoires,
ne parle point de ses bonnes fortunes. L’on ignore assez communément
qu’il fit revêtir de pierres, à ses dépens, le fossé du Cours-la-Reine,
qu’on vient de combler. Mort en 1646.

BELLEFONDS (Bernardin Gigault, marquis de), maréchal en 1668; il gagna
une bataille en Catalogne, en 1684. Mort en 1694.

BELLE-ISLE (Charles-Louis-Auguste Fouquet, comte de), petit-fils du
surintendant, distingué dans les guerres de 1701; duc et pair, prince
de l’empire, maréchal en 1741. Il fit avec son frère (Louis-Charles)
tout le plan de la guerre contre la reine de Hongrie[38], où son frère
fut tué. Mort ministre et secrétaire d’état de la guerre, en 1761.

BEZONS (Jacques Bazin de), maréchal en 1709: mort en 1733.

BIRON (Armand-Charles de Gontaut, duc de), qui a fait revivre le duché
de sa maison[39]. Ayant servi dans toutes les guerres de Louis XIV, et
perdu un bras au siége de Landau, n’a été maréchal qu’en 1734.

BOUFFLERS (Louis-François, duc de), l’un des meilleurs officiers de
Louis XIV; maréchal en 1693: mort en 1711.

BOURG (Éléonor-Marie du Maine, comte du), gagna un combat important
sous Louis XIV, et ne fut maréchal qu’en 1725. Mort la même année.

BRANCAS (Henri de), ayant servi long-temps sous Louis XIV, fut maréchal
en 1734.

BRÉZÉ (Urbain de Maillé, marquis de), beau-frère du cardinal de
Richelieu, maréchal en 1632, vice-roi de Catalogne: mort en 1650.

BROGLIO (Victor-Maurice), ayant servi dans toutes les guerres de Louis
XIV, maréchal en 1724: mort en 1727.

BROGLIO (François-Marie, duc de), fils du précédent. L’un des meilleurs
lieutenants-généraux dans les guerres de Louis XIV, maréchal en 1734;
père d’un autre maréchal de Broglio[40], qui a réuni les talents de ses
ancêtres.

CASTELNAU (Jacques de), maréchal en 1658, blessé à mort, la même
année[41], au siége de Calais.

CATINAT (Nicolas de), maréchal en 1693. Il mêla la philosophie aux
talents de la guerre. Le dernier jour qu’il commanda en Italie, il
donna pour mot, _Paris_ et _Saint-Gratien_, qui était le nom de sa
maison de campagne. Il y mourut en sage, après avoir refusé le cordon
bleu, en 1712.

CHAMILLI (Noël Bouton, marquis de), avait été au siége de Candie;
maréchal en 1703, il s’est rendu célèbre par la défense de Grave en
1675; le siége de cette petite place dura quatre mois, et coûta seize
mille hommes à l’armée des alliés. Les gens de l’art regardent encore
cette défense comme un modèle. Mort en 1715.

CHATEAU-REGNAUD (François-Louis Rousselet, comte de), vice-amiral de
France, servit également bien sur terre et sur mer, nettoya la mer des
pirates, battit les Anglais dans la baie de Bantri, bombarda Alger en
1688, mit en sûreté les îles de l’Amérique. Maréchal en 1703: mort en
1716.

CHAULNES (Honoré d’Albert, duc de), maréchal en 1620: mort en 1649.

CHOISEUL-FRANCIÈRES (Claude, comte de), troisième maréchal de France de
ce nom, en 1693: mort en 1711.

CLÉREMBAULT (Philippe de), comte de Palluau, maréchal en 1653: mort en
1665.

CLERMONT-TONNERRE (Gaspard, marquis de), ayant servi dans la guerre de
1701, maréchal en 1747.

COIGNI (François de Franquetot, duc de), long-temps officier général
sous Louis XIV, maréchal en 1734, a gagné deux batailles en Italie[42].

COLIGNI (Gaspard de), petit-fils de l’amiral; maréchal en 1622; il
commanda l’armée de Louis XIII contre les troupes rebelles du comte de
Soissons. Tué à La Marfée: mort en 1646.

CRÉQUI (François de Bonne de), maréchal en 1668; mort avec la
réputation d’un homme qui devait remplacer le vicomte de Turenne, en
1687. Il était de la maison de Blanchefort.

DURAS (Jacques-Henri de Durfort, duc de), neveu du vicomte de Turenne,
fut maréchal en 1675, immédiatement après la mort de son oncle: mort en
1704.

DURAS (Jean-Baptiste de Durfort, duc de), maréchal de camp sous Louis
XIV; maréchal de France en 1741[43]; fils de Jacques-Henri, et père du
maréchal de Duras actuellement vivant.

ESTAMPES (Jacques de La Ferté-Imbaut d’), maréchal en 1651: mort en
1668[44].

ESTRÉES (François-Annibal, duc d’), maréchal en 1626. Ce qui est très
singulier, c’est qu’à l’âge de quatre-vingt-treize ans il se remaria
avec mademoiselle de Manicamp, qui fit une fausse couche. Il mourut à
plus de cent ans, en 1670.

ESTRÉES (Jean, comte d’), vice-amiral en 1670, et maréchal en 1681:
mort en 1707.

ESTRÉES (Victor-Marie, duc d’), fils de Jean d’Estrées, vice-amiral
de France, comme son père, avant d’être maréchal. Il est à remarquer
qu’en cette qualité de vice-amiral de France il commandait les flottes
française et espagnole en 1701; maréchal en 1703. Mort en 1737.

FABERT (Abraham), maréchal en 1658. On s’est obstiné à vouloir
attribuer sa fortune et sa mort à des causes surnaturelles. Il n’y eut
d’extraordinaire en lui que d’avoir fait sa fortune uniquement par son
mérite, et d’avoir refusé le cordon de l’ordre, quoiqu’on le dispensât
de faire des preuves[45]. On prétend que le cardinal Mazarin lui
proposant de lui servir d’espion dans l’armée, il lui dit: «Peut-être
faut-il à un ministre de braves gens et des fripons. Je ne puis être
que du nombre des premiers.» Mort en 1662.

FARE (de LA), fils du marquis de La Fare, célèbre par ses poésies
agréables; officier dans la guerre de 1701, maréchal en 1746.

FERTÉ-SENNECTERRE (Henri, duc de LA), fait maréchal de camp sur la
brèche de Hesdin, commanda l’aile gauche à la bataille de Rocroi;
maréchal en 1651: mort en 1681.

FORCE (Jacques Nompar de Caumont, duc de LA), maréchal en 1622. C’est
lui qui échappa au massacre de la Saint-Barthélemi, et qui a écrit
cet événement dans des Mémoires[46] conservés dans sa maison. Mort à
quatre-vingt-dix-sept ans, en 1652.

FOUCAULT (Louis), comte de Daugnon, maréchal en 1653: mort en 1659.

GASSION (Jean de), élève du grand Gustave, maréchal en 1643. Il était
calviniste. Il ne voulut jamais se marier, disant qu’il fesait trop peu
de cas de la vie pour en faire part à quelqu’un. Tué au siége de Lens,
en 1647.

GRAMMONT (Antoine de), maréchal en 1641: mort en 1678.

GRAMMONT (Antoine de), petit-fils du précédent, maréchal en 1724, père
du duc de Grammont, tué à la bataille de Fontenoi: mort en 1725.

GRANCEI (Jacques Rouxel, comte de), maréchal en 1651: mort en 1680.

GUÉBRIANT (Jean-Baptiste Budes, comte de), maréchal en 1642, l’un
des grands hommes de guerre de son temps; tué, en 1643, au siége de
Rotveil, enterré avec pompe à Notre-Dame.

HARCOURT (Henri, duc d’). On peut dire que c’est lui qui mit fin à
l’ancienne inimitié des Français et des Espagnols, lorsqu’il était
ambassadeur à Madrid. Sa dextérité et son art de plaire disposèrent
si favorablement la cour d’Espagne, qu’enfin Charles II n’eut point
de répugnance à instituer son héritier un petit-fils de Louis XIV. Il
devait commander à la place du maréchal de Villars, l’année de la belle
campagne de Denain; mais il lui aurait été difficile de mieux faire.
Maréchal en 1703: mort en 1718. Son fils maréchal depuis, en 1746.

HOCQUINCOURT (Charles de Monchi), maréchal en 1651: tué en servant les
ennemis devant Dunkerque, en 1658.

HOSPITAL-VITRI (Nicolas de L’), capitaine des gardes de Louis XIII;
maréchal en 1617, pour avoir tué le maréchal d’Ancre: mais il mérita
d’ailleurs cette dignité par de belles actions. On le compte parmi les
maréchaux de ce siècle, parcequ’il mourut sous Louis XIV, en 1644.

HUMIÈRES (Louis de Crevant, duc d’), maréchal en 1668: mort en 1694.

ISENGHIEN (d’), de la maison de Gand, officier sous Louis XIV, maréchal
en 1741.

JOYEUSE (Jean-Armand de), maréchal de France en 1693: mort en 1710.

LORGES (Gui-Aldonce de Durfort, duc de), neveu du vicomte de Turenne;
maréchal en 1676: mort en 1702.

LUXEMBOURG (François-Henri de Montmorenci, duc de), l’élève du
grand Condé; maréchal en 1675. Il y a eu sept maréchaux de ce nom,
indépendamment des connétables; et depuis le onzième siècle, on n’a
guère vu de règne sans un homme de cette maison à la tête des armées.
Mort en 1695.

LUXEMBOURG (Christian-Louis de Montmorenci), petit-fils du précédent,
s’est signalé dans la guerre de 1701. Maréchal en 1747.

MAILLEBOIS (Jean-Baptiste-François, marquis de), fils du ministre
d’état Desmarets, s’étant signalé dans toutes les occasions pendant la
guerre de 1701; fait maréchal en 1741.

MARSIN ou MARCHIN (Ferdinand, comte de), ayant passé du service de la
maison d’Autriche à celui de France; maréchal en 1703: tué à Turin en
1706.

MATIGNON (Charles-Auguste Goyon de Gacé de), maréchal en 1708: mort en
1729.

MAULEVRIER-LANGERON, maréchal en 1745.

MÉDAVI (Jacques-Léonor Rouxel de Grancei, comte de), n’a été fait
maréchal qu’en 1724, quoiqu’il eût gagné une bataille complète en 1706:
mort en 1725.

MEILLERAYE (Charles de La Porte, duc de LA), fait maréchal en 1639,
sous Louis XIII, qui lui donna le bâton de maréchal sur la brèche de
la ville de Hesdin. Il était grand-maître de l’artillerie, et avait la
réputation d’être le meilleur général pour les siéges. Mort en 1664.

MONTESQUIOU-D’ARTAGNAN (Pierre de), maréchal en 1709: mort en 1725.

MONTREVEL (Nicolas-Auguste de La Baume, marquis de), maréchal en 1703:
mort en 1716.

MOTHE-HOUDANCOURT (Philippe de LA), maréchal en 1642. Il fut mis au
château de Pierre-Encise en 1645; et il est à remarquer qu’il n’y a
aucun général qui n’ait été emprisonné ou exilé sous les ministères de
Richelieu et Mazarin. Mort en 1657. Son petit-fils, maréchal en 1747.

NANGIS (Louis-Armand de Brichanteau, marquis de), servit avec
distinction, sous le maréchal de Villars, dans la guerre de 1701.
Maréchal sous Louis XIV: mort en 1742.

NAVAILLES (Philippe de Montault-Bénac, duc de), maréchal en 1675,
commanda à Candie sous le duc de Beaufort, et après lui. Mort en 1684.

NOAILLES (Anne-Jules, duc de), maréchal en 1693. Il se signala en
Espagne, où il gagna la bataille du Ter. Mort en 1708.

NOAILLES (Adrien-Maurice de), fils du précédent, général d’armée dans
le Roussillon, en 1706, grand d’Espagne en 1711, après avoir pris
Gironne. Il n’a été maréchal de France qu’en 1734. Il gouverna les
finances en 1715, et a été depuis ministre d’état. Personne n’a écrit
des dépêches mieux que lui. M. l’abbé Millot a publié, en 1777, des
_Mémoires_[47] tirés de ses manuscrits; on y trouve des anecdotes
curieuses sur les deux règnes où il a vécu. Ses deux fils ont été faits
maréchaux de France en 1755. Mort en 1766.

PLESSIS-PRASLIN (César, duc de Choiseul, comte de), maréchal en 1645.
Ce fut lui qui eut la gloire de battre le vicomte de Turenne à Rethel,
en 1650. Mort en 1675.

PUYSÉGUR (Jacques de Chastenet, marquis de), maréchal en 1734, fils de
Jacques, lieutenant général sous Louis XIII et Louis XIV, qui s’est
acquis beaucoup de considération, et qui a laissé des Mémoires. Le
maréchal a écrit sur la guerre[48]. C’était un homme que le ministère
consultait dans toutes les affaires critiques.

RANTZAU (Josias, comte de), d’une famille originaire du duché de
Holstein, maréchal en 1645, catholique la même année, mis en prison en
1649, pendant les troubles, relâché ensuite: mort en 1650. Il avait été
souvent blessé; et Bautru disait de lui «qu’il ne lui était resté qu’un
de tout ce dont les hommes peuvent avoir deux.» On lui fit une épitaphe
qui finissait par ce vers:

    Et Mars ne lui laissa rien d’entier que le cœur.

RICHELIEU (Louis-François-Armand du Plessis, duc de), brigadier sous
Louis XIV, général d’armée à Gênes, maréchal en 1748, a pris l’île de
Minorque sur les Anglais, en 1756.

ROCHEFORT (Henri-Louis d’Aloigni, marquis de), maréchal en 1675: mort
en 1776.

ROQUELAURE (Gaston-Jean-Baptiste-Antoine, duc de), maréchal en 1724.

ROSEN ou ROSE (Conrad de), d’une ancienne maison de Livonie, vint
d’abord servir simple cavalier dans le régiment de Brinon; mais son
mérite et sa naissance ayant été bientôt connus, il fut élevé de
grade en grade. Jacques II le fit général de ses troupes en Irlande.
Maréchal de France en 1703: mort à l’âge de quatre-vingt-sept ans, en
1715.

SAINT-LUC (Timoléon d’Épinai, seigneur de), fils du brave Saint-Luc,
dont l’éloge est dans Brantôme; maréchal en 1628: mort en 1644.

SCHOMBERG (Frédéric-Armand), élève de Frédéric-Henri, prince
d’Orange; maréchal en 1675, duc de Mertola en Portugal, gouverneur
et généralissime de Prusse, duc et général en Angleterre. Il était
protestant zélé, et quitta la France à la révocation de l’édit de
Nantes. Tué à la bataille de La Boyne, en 1690.

SCHULEMBERG (Jean de), comte de Mondejeu, originaire de Prusse;
maréchal en 1658: mort en 1671.

TALLARD (Camille de Hostun, duc de). Ce fut lui qui conclut les deux
traités de partage. Maréchal en 1703, ministre d’état en 1726: mort en
1728.

TESSÉ (René de Froulai, comte de), maréchal en 1703: mort en 1725.

TOURVILLE (Anne-Hilarion de Costentin, comte de), se fit connaître,
étant chevalier de Malte, par ses exploits contre les Turcs et les
Barbaresques. Vice-amiral en 1690, il remporta une victoire complète
sur les flottes d’Angleterre et de Hollande, et perdit, en 1692, celle
de La Hogue; défaite qui l’a rendu plus célèbre que ses victoires.
Maréchal de France en 1693: mort en 1701.

TURENNE (Henri de La Tour d’Auvergne, vicomte de), né en 1611; maréchal
de France en 1644, maréchal général en 1660: mort en 1675.

UXELLES (Nicolas Châlon du Blé, marquis d’), maréchal en 1703,
président du conseil des affaires étrangères en 1718: mort en 1730.

VAUBAN (Sébastien Le Prêtre, marquis de), maréchal en 1703: mort en
1707[49].

VILLARS (Louis-Claude, duc de), qui prit le nom d’Hector, maréchal
en 1702, président du conseil de guerre en 1718[50], représenta le
connétable au sacre de Louis XV en 1722. Mort en 1734. Il est assez
mention de lui dans cette histoire, ainsi que de Turenne.

VILLEROI (Nicolas de Neuville, duc de), gouverneur de Louis XIV en
1646; maréchal la même année: mort en 1685.

VILLEROI (François de Neuville, duc de), fils du précédent, gouverneur
de Louis XV, maréchal en 1693. Son père et lui ont été chefs du conseil
des finances, titre sans fonction qui leur donnait entrée au conseil.
Mort en 1730.

VIVONNE (Louis-Victor de Rochechouart, duc de), gonfalonier de
l’Église, général des galères, vice-roi de Messine; maréchal de France
en 1675. On ne le compte point comme le premier maréchal de la marine,
parcequ’il servit long-temps sur terre: mort en 1688.


GRANDS AMIRAUX DE FRANCE

SOUS LE RÈGNE DE LOUIS XIV.

Armand DE MAILLÉ, marquis de BRÉZÉ, grand-maître, chef et
surintendant-général de la navigation et du commerce de France en 1643:
tué sur mer d’un coup de canon, le 14 juin 1646.

Anne D’AUTRICHE, reine régente, surintendante des mers de France en
1646: elle s’en démit en 1650.

César, duc DE VENDÔME et de Beaufort, grand-maître et
surintendant-général de la navigation et du commerce de France en 1650.

François DE VENDÔME, duc de Beaufort, fils de César, tué au combat de
Candie le 25 juin 1669.

Louis de Bourbon, comte de VERMANDOIS, légitimé de France, amiral au
mois d’août 1669, âgé de deux ans: mort en 1683.

Louis-Alexandre DE BOURBON, légitimé de France, comte de Toulouse,
amiral en 1683, et mort en 1737.


GÉNÉRAUX DES GALÈRES DE FRANCE

SOUS LE RÈGNE DE LOUIS XIV.

Armand-Jean du Plessis, duc DE RICHELIEU, pair de France en 1643, du
vivant de François son père; et se démit de cette charge en 1661.

François, marquis DE CRÉQUI, lui succéda, et se démit en 1669, un an
après avoir été nommé maréchal de France.

Louis-Victor DE ROCHECHOUART, comte, puis duc DE VIVONNE, prince de
Tonnai-Charente, en 1669.

Louis DE ROCHECHOUART, duc DE MORTEMAR, en survivance de son père: mort
le 3 avril 1688.

Louis-Auguste DE BOURBON, légitimé de France, prince de Dombes, duc du
Maine et d’Aumale, en 1688; et s’en démit en 1694.

Louis-Joseph, duc DE VENDÔME, en 1694: mort en 1712.

René, sire DE FROULAI, comte DE TESSÉ, maréchal de France en 1712, et
s’en démit en 1716.

Le chevalier D’ORLÉANS[51], en 1716: mort en 1748. Après lui cette
dignité a été réunie à l’amirauté.


MINISTRE D’ÉTAT.

Giulio MAZARINI, cardinal, premier ministre, d’une ancienne famille
de Sicile transplantée à Rome, fils de Pietro Mazarini et d’Hortenzia
Bufalini, né en 1602; employé d’abord par le cardinal Sacchetti. Il
arrêta les deux armées française et espagnole prêtes à se charger
auprès de Casal, et fit conclure la paix de Quérasque, en 1631.
Vice-légat à Avignon, et nonce extraordinaire en France en 1634. Il
apaisa les troubles de Savoie, en 1640, en qualité d’ambassadeur
extraordinaire du roi. Cardinal en 1641, à la recommandation de Louis
XIII. Entièrement attaché à la France depuis ce temps-là. Admis
au conseil suprême, le 5 décembre 1642, sous le nom de _spécial
conseiller_. Il y prit place au-dessus du chancelier. Déclaré seul
conseiller de la reine régente pour les affaires ecclésiastiques, par
le testament de Louis XIII. Parrain de Louis XIV avec la princesse
de Condé-Montmorenci. Il se désista d’abord de la préséance sur les
princes du sang, que le cardinal de Richelieu avait usurpée; mais il
précédait les maisons de Vendôme et de Longueville: après le traité
des Pyrénées, il prit le pas en lieu tiers sur le grand Condé. Il
n’eut point de lettres patentes de premier ministre, mais il en fit
les fonctions. On en a expédié pour le cardinal Dubois. Philippe
d’Orléans, petit-fils de France, a daigné en recevoir après sa régence.
Le cardinal de Fleuri n’a jamais eu ni la patente, ni le titre. Le
cardinal Mazarin, mort en 1661.


CHANCELIERS.

Charles DE L’AUBESPINE, marquis de Châteauneuf, long-temps employé dans
les ambassades. Garde des sceaux en 1630, mis en prison en 1633 au
château d’Angoulême, où il resta dix ans prisonnier. Garde des sceaux
en 1650, démis en 1651, vécut et mourut dans les orages de la cour.
Mort en 1653.

Pierre SÉGUIER, chancelier, duc de Villemor, pair de France. Il apaisa
les troubles de la Normandie en 1639, hasarda sa vie à la journée
des barricades. Il fut toujours fidèle dans un temps où c’était
un mérite de ne l’être pas. Il ne contesta point au père du grand
Condé la préséance dans les cérémonies, quand il y assistait avec le
parlement. Homme équitable, savant, aimant les gens de lettres, il fut
le protecteur de l’Académie française[52] avant que ce corps libre,
composé des premiers seigneurs du royaume et des premiers écrivains,
fût en état de n’avoir jamais d’autre protecteur que le roi. Mort à
quatre-vingt-quatre ans, en 1672.

Matthieu MOLÉ, premier président du parlement de Paris en 1641, garde
des sceaux en 1651, magistrat juste et intrépide. Il n’est pas vrai,
comme le disent deux nouveaux dictionnaires[53], que le peuple voulut
l’assassiner; mais il est vrai qu’il en imposa toujours aux séditieux
par son courage tranquille. Mort en 1656.

Étienne D’ALIGRE, chancelier en 1674, fils d’un autre Étienne,
chancelier sous Louis XIII. Mort en 1677.

Michel LE TELLIER, chancelier en 1677, père de l’illustre marquis de
Louvois. Sa mémoire a été honorée d’une oraison funèbre par le grand
Bossuet. Mort en 1685.

Louis BOUCHERAT, chancelier en 1685. Sa devise était un coq sous un
soleil, par allusion à la devise de Louis XIV. Les paroles étaient,
_Sol reperit vigilem_. Mort en 1699.

Louis PHÉLYPEAUX, comte de Pontchartrain, descendant de plusieurs
secrétaires d’état, chancelier en 1699. Se retira à l’institution de
l’Oratoire en 1714. Mort en 1727.

Daniel-François VOISIN, mort en 1717, prédécesseur du célèbre
D’Aguesseau.


SURINTENDANTS DES FINANCES[54].

Claude LE BOUTHILLIER, d’abord surintendant, conjointement avec Claude
de Bullion, en 1632; seul en 1640. Ce fut lui qui le premier fit
imposer les tailles par les intendants. Retiré en 1643. Mort en 1655.

Nicolas BAILLEUL, marquis de Château-Gontier, président du parlement,
surintendant des finances, en 1643 jusqu’en 1648; mort en 1652: plus
versé dans la connaissance du barreau que dans celle des finances. Il
eut sous lui, pour contrôleur-général, Particelli, dit Émeri, connu par
ses déprédations[55].

Cet Émeri était le fils d’un paysan de Sienne, placé par le cardinal
Mazarin. Il disait que les ministres des finances n’étaient faits que
pour être maudits.

Émeri imagina bien des sortes d’impôts, de nouveaux offices de jurés
mesureurs et porteurs de charbon; de mouleurs, chargeurs et porteurs de
bois; de premiers commis de la taille et des ponts-et-chaussées, du sou
pour livre, d’augmentations de gages; de contrôleurs des amendes et des
épices, etc.

Le même Émeri fut surintendant en 1648; mais, quelques mois après, on
le sacrifia à la haine publique en l’exilant.

Le maréchal duc DE LA MEILLERAYE, surintendant en 1648, pendant
l’exil d’Émeri. On avait déjà vu des guerriers dans cette place. Il
avait la probité du duc de Sulli, mais non pas ses ressources. Il vint
dans le temps le plus difficile, et le duc de Sulli n’avait eu la
surintendance qu’après la guerre civile. Il taxa tous les financiers et
tous les traitants. La plupart firent banqueroute, et on ne trouva plus
d’argent. Il abandonna la surintendance en 1649. Mort en 1664.

ÉMERI reprit la surintendance immédiatement après la démission du
maréchal. Un Italien, nommé Tonti, imagina alors les emprunts en rentes
viagères, rentes distribuées en plusieurs classes, et qui sont payées
au dernier vivant de chaque classe. Elles furent appelées Tontines,
du nom de l’inventeur. Il y en eut pour un million vingt-cinq mille
livres annuelles, ce qui forma un revenu prodigieux pour le dernier
qui survécut; invention qui charge l’état pour un siècle, mais moins
onéreuse que celle des rentes perpétuelles, qui chargent l’état pour
toujours. Mort en 1650.

Claude DE MESME, comte D’AVAUX, d’une ancienne maison en Guienne,
homme de lettres qui unissait l’esprit et les graces à la science;
plénipotentiaire avec Servien; chéri de tous les négociateurs autant
que Servien en était redouté. Surintendant en 1650: mort la même année.

Charles, duc DE LA VIEUVILLE, le même que le cardinal de Richelieu
avait fait chasser du conseil, et enfermer dans le château d’Amboise,
en 1624, qui, échappé de ce château, avait fui en Angleterre, et qui
avait été condamné à mort par contumace. Créé duc et pair en 1651, et
surintendant la même année. Mort en 1653.

René DE LONGUEIL, marquis DE MAISONS, président à mortier, surintendant
en 1651. Il ne le fut qu’un an. On a prétendu qu’il avait bâti pendant
cette année le château de Maisons[56] qui est un des plus beaux de
l’Europe; mais il fut construit un an auparavant. C’est le coup d’essai
et le chef-d’œuvre de François Mansard, qui était alors un jeune homme,
et simple maçon. Il y a sur cela une singulière anecdote, que plusieurs
personnes ont apprise comme moi du petit-fils[57] du surintendant.
Son hôtel, démoli aujourd’hui, formait un impasse dans la rue des
Prouvaires. Un jour, en fesant fouiller dans un ancien petit caveau, il
y trouva quarante mille pièces d’or au coin de Charles IX. C’est avec
cet argent que le château de Maisons fut bâti. Mort en 1677.

On voit que les surintendants se succédaient rapidement dans ces
troubles.

Abel SERVIEN, après avoir négocié la paix de Westphalie avec le duc de
Longueville et le comte d’Avaux, et en ayant eu le principal honneur,
surintendant en 1653, conjointement avec Nicolas Fouquet, administra
jusqu’à sa mort, arrivée en 1659. Mais Fouquet eut toujours la
principale direction.

Nicolas FOUQUET, marquis DE BELLE-ISLE, surintendant en 1653, quoiqu’il
fût procureur-général du parlement de Paris. On a imprimé par erreur,
dans les premières éditions du _Siècle de Louis XIV_, qu’il dépensa
dix-huit cent mille francs à bâtir son palais de Vaux, aujourd’hui
Villars; c’est une erreur de typographie; il y prodigua dix-huit
millions de son temps, qui en feraient près de trente-six du nôtre.

Le cardinal Mazarin, depuis son retour en 1653, se fesait donner,
par le surintendant, vingt-trois millions par an pour les dépenses
secrètes. Il achetait à vil prix de vieux billets décriés, et se
fesait payer la somme entière. Ce fut ce qui perdit Fouquet. Jamais
dissipateur des finances royales ne fut plus noble et plus généreux que
ce surintendant. Jamais homme en place n’eut plus d’amis personnels, et
jamais homme persécuté ne fut mieux servi dans son malheur. Condamné
cependant au bannissement perpétuel[58], par commissaires, en 1664:
mort ignoré en 1680[59].

Après sa disgrace, la place de surintendant fut supprimée.

Sous les surintendants il y avait des contrôleurs-généraux. Le cardinal
Mazarin nomma à cette place un étranger, calviniste d’Augsbourg, nommé
Barthélemi Hervart, qui était son banquier. Cet Hervart avait en effet
rendu les plus grands services à la couronne. Ce fut lui qui, après la
mort du duc Bernard de Saxe-Veimar, donna son armée à la France, en
avançant tout l’argent nécessaire. Ce fut lui qui retint cette même
armée et d’autres régiments dans le service du roi, lorsque le vicomte
de Turenne voulut la faire révolter, en 1648. Il avança deux millions
cinq cent mille livres de la monnaie d’alors pour la retenir dans le
devoir; deux importants services qui prouvent qu’on n’est le maître
qu’avec de l’argent.

Lorsqu’on arrêta le surintendant Fouquet, il prêta encore au roi deux
millions. Il jouait un jeu prodigieux, et perdit souvent cent mille
écus dans une séance. Cette profusion l’empêcha d’avoir la première
place. Le roi eut avec raison plus de confiance en Colbert. Hervart,
mort simple conseiller d’état, en 1676.

Sa famille quitta le royaume après la révocation de l’édit de Nantes,
et porta des biens immenses dans les pays étrangers.


SECRÉTAIRES D’ÉTAT

ET CONTROLEURS-GÉNÉRAUX DES FINANCES.

Henri-Auguste DE LOMÉNIE, comte DE BRIENNE, eut le département des
affaires étrangères pendant la minorité de Louis XIV. Sa fierté ne
lui fit point de tort, parcequ’elle était fondée sur des sentiments
d’honneur. Nous avons de lui des _Mémoires_[60] instructifs. Mort en
1666.

François SUBLET DES NOYERS, retiré en 1643, mort en 1645.

Léon LE BOUTHILLIER DE CHAVIGNI, fils de Claude Le Bouthillier, eut le
département de la guerre: mort en 1652.

Louis PHELYPEAUX, marquis DE LA VRILLIÈRE, eut le département des
affaires du royaume: mort en 1681.

Louis PHELYPEAUX, son fils, fut reçu en survivance; mais la charge fut
donnée à un autre de ses enfants, Balthasar Phelypeaux, qui eut pour
successeur un autre Louis Phelypeaux, son fils. Balthasar Phelypeaux,
reçu en survivance en 1669, entre en exercice en 1676: mort en 1700.
Tous trois estimés pour leurs vertus, et aimés pour leur douceur.
Cette charge de secrétaire d’état est restée sans interruption dans
la famille des Phelypeaux pendant cent soixante-cinq ans, depuis Paul
Phelypeaux, fait secrétaire d’état en 1610, jusqu’à Louis Phelypeaux,
duc de la Vrillière, retiré en 1775[61].

Henri-Louis DE LOMÉNIE, comte DE BRIENNE, fils de Henri-Auguste, eut
la vivacité de son père, mais n’en eut pas les autres qualités. Étant
conseiller d’état dès l’âge de seize ans, et destiné aux affaires
étrangères, envoyé en Allemagne pour s’instruire, il alla jusqu’en
Finlande, et écrivit ses voyages en latin. Il exerça la charge de
secrétaire d’état des affaires étrangères à vingt-trois ans; mais ayant
perdu sa femme, Henriette de Chavigni, il en fut si affligé que son
esprit s’aliéna; on fut obligé de l’éloigner de la société. Le reste de
sa vie fut très malheureux. On a déchiré sa mémoire dans les derniers
_Dictionnaires historiques_[62]; on devait montrer de la compassion
pour son état et de la considération pour son nom[63].

HUGUES, marquis de LYONNE, d’une ancienne maison de Dauphiné, eut les
affaires étrangères jusqu’en 1670. On a de lui des Mémoires. C’était un
homme aussi laborieux qu’aimable: son fils avait obtenu la survivance
de sa charge; mais à la mort du père elle fut donnée à M. de Pomponne.
Mort en 1671.

Jean-Baptiste COLBERT s’avança uniquement par son mérite. Il parvint à
être intendant du cardinal Mazarin. S’étant instruit à fond de toutes
les parties du gouvernement, et particulièrement des finances, il
devint un homme nécessaire dans le délabrement où le cardinal Mazarin,
le surintendant Fouquet, et encore plus le malheur des temps, avaient
mis les finances. Louis XIV le fit travailler secrètement avec lui
pour s’instruire. Il perdit Fouquet de concert avec Le Tellier, alors
secrétaire d’état; mais il se fit pardonner cet acharnement par l’ordre
invariable qu’il mit dans les finances, et par des services dont on ne
doit point perdre la mémoire. Contrôleur-général en 1664, on peut le
regarder comme le fondateur du commerce et le protecteur de tous les
arts: il n’a point négligé l’agriculture, comme on le dit dans tant de
livres nouveaux. Son génie et ses soins ne pouvaient négliger cette
partie essentielle. On ne peut lui reprocher peut-être que d’avoir
cédé au préjugé qui ne voulait pas que le commerce des grains avec
l’étranger restât libre. Mort en 1683.

Jean-Baptiste COLBERT, marquis de SEIGNELAI, fils du précédent, d’un
esprit plus vaste encore que son père, beaucoup plus brillant et plus
cultivé: secrétaire d’état de la marine, qu’il rendit la plus belle de
l’Europe. Mort en 1690.

Charles COLBERT DE CROISSI, frère du grand Colbert; secrétaire
d’état des affaires étrangères, en 1679, après plusieurs ambassades
glorieuses. Il eut la place de secrétaire d’état d’Arnauld de Pomponne;
mais on le place ici pour ne pas interrompre la liste des Colbert. Mort
en 1696.

Jean-Baptiste COLBERT, marquis de TORCI, fils du précédent, secrétaire
d’état des affaires étrangères, à la mort de son père. Il joignit la
dextérité à la probité, ne donna jamais de promesse qu’il ne tînt, fut
aimé et respecté des étrangers. Mort en 1746.

Simon ARNAULD DE POMPONNE, secrétaire d’état des affaires étrangères en
1671, homme savant et de beaucoup d’esprit, ainsi que presque tous les
Arnauld, chéri dans la société, et préférant quelquefois les agréments
de cette société aux affaires, renvoyé en 1679, et remplacé par le
marquis de Croissi. Il ne fut point secrétaire d’état toute sa vie,
comme le disent les nouveaux Dictionnaires historiques; mais le roi lui
conserva le titre de ministre d’état, avec la permission d’entrer au
conseil, permission dont il n’usa pas. Mort en 1699.

Michel LE TELLIER, le chancelier, secrétaire d’état jusqu’en 1666.

François-Michel LE TELLIER, marquis de Louvois, le plus grand ministre
de la guerre qu’on eût vu jusqu’alors, secrétaire d’état en 1666. Il
fut plus estimé qu’aimé du roi, de la cour, et du public; il eut le
bonheur, comme Colbert, d’avoir des descendants qui ont fait honneur
à sa maison, et même des maréchaux de France; il n’est pas vrai qu’il
mourut subitement au sortir du conseil, comme on l’a dit dans tant de
livres et de dictionnaires. Il prenait les eaux de Balaruc, et voulait
travailler en les prenant: cette ardeur indiscrète de travail causa sa
mort, en 1691[64].

Louis-François-Marie LE TELLIER, marquis de BARBESIEUX, fils du marquis
de Louvois, secrétaire d’état de la guerre, après la mort de son père,
jeune homme qui commença par préférer les plaisirs et le faste au
travail. Mort à trente-trois ans, en 1701.

Claude LE PELLETIER, président aux enquêtes, prevôt des marchands,
homme de bien, modeste, retiré, travailla au code de droit canon. Cette
étude ne paraissait pas le désigner pour successeur du grand Colbert;
cependant il le fut en 1683. On dit[65] au roi qu’il n’était pas propre
pour cette place, parcequ’il n’était pas assez dur: c’est pour cela que
je le choisis, répondit Louis XIV. Il quitta le ministère et la cour au
bout de six ans. Toute sa famille a été renommée, comme lui, pour son
intégrité. Mort en 1711.

Louis PHELYPEAUX, comte de Pontchartrain, le même qui fut chancelier,
commença par être premier président du parlement de Bretagne;
contrôleur-général en 1690, après la retraite du contrôleur-général Le
Pelletier; secrétaire d’état après la mort du marquis de Seignelai, la
même année 1690. C’est lui qui, par l’avis de l’abbé Bignon, soumit
toutes les académies aux secrétaires d’état, excepté l’académie
française, qui ne pouvait dépendre que du roi.

Jérôme PHELYPEAUX, comte de Pontchartrain, fils du précédent,
secrétaire d’état du vivant de son père le chancelier, exclu par le duc
d’Orléans, à la mort de Louis XIV.

Michel DE CHAMILLART, conseiller d’état, contrôleur-général en 1699,
secrétaire d’état de la guerre en 1701, homme modéré et doux, ne put
porter ces deux fardeaux dans des temps difficiles, obligé bientôt
de les quitter: son fils, qui avait la survivance du ministère de la
guerre, se démit, en 1709, en même temps que lui. Mort en 1721.

Daniel VOISIN, secrétaire d’état de la guerre en 1709, exerça le
ministère, quoique chancelier, en 1714, jusqu’à la mort de Louis XIV.

Nicolas DESMARETS, contrôleur-général en 1708, zélé, laborieux,
intelligent, ne put réparer les maux de la guerre. Démis après la mort
de Louis XIV. En quittant sa place, il donna au régent une apologie de
son administration qu’on a imprimée depuis. Il y parle avec franchise
des opérations injustes en elles-mêmes auxquelles il a été forcé, par
le malheur des temps, pour prévenir de nouveaux malheurs et de plus
grandes injustices. Ce mémoire prouve qu’il avait des talents, une
grande modestie, et des intentions droites. On peut le regarder comme
un modèle de la manière simple, noble, respectueuse, et ferme, qui
convient à un ministre obligé de rendre compte de son administration.
Il fut immolé à la haine publique, et ses successeurs le firent
regretter. Mort en 1721.



CATALOGUE DE LA PLUPART DES ÉCRIVAINS FRANÇAIS QUI ONT PARU DANS LE
SIÈCLE DE LOUIS XIV, POUR SERVIR A L’HISTOIRE LITTÉRAIRE DE CE TEMPS.


ABADIE ou LABADIE[66] (Jean), né en Guienne, en 1610, jésuite, puis
janséniste, puis protestant, voulut faire enfin une secte et s’unir
avec Antoinette Bourignon, qui lui répondit que chacun avait son
Saint-Esprit, et que le sien était fort supérieur à celui d’Abadie. On
a de lui trente et un volumes[67] de fanatisme. On n’en parle ici que
pour montrer l’aveuglement de l’esprit humain. Il ne laissa pas d’avoir
des disciples. Mort à Altena, en 1674.

ABBADIE (Jacques), né en Béarn, en 1658, célèbre par son traité _de la
Religion chrétienne_, mais qui fit tort ensuite à cet ouvrage par celui
de l’_Ouverture des sept sceaux_. Mort en Irlande[68], en 1727.

ACHERI (Dom Jean-Luc d’), bénédictin, grand et judicieux compilateur.
Né en 1608, mort en 1685.

ALEXANDRE (Noël), né à Rouen, en 1639, dominicain. Il a fait beaucoup
d’ouvrages de théologie, et disputé beaucoup sur les usages de la Chine
contre les jésuites qui en revenaient. Mort en 1724.

AMELOT DE LA HOUSSAIE (Nicolas), né à Orléans, en 1634. Ses traductions
avec des notes politiques et ses histoires sont fort recherchées; ses
Mémoires, par ordre alphabétique, sont très fautifs. Il est le premier
qui ait fait connaître le gouvernement de Venise. Son histoire déplut
au sénat, qui était encore dans l’ancien préjugé qu’il y a des mystères
politiques qu’il ne faut pas révéler. On a appris depuis qu’il n’y
a plus de mystères, et que la politique consiste à être riche et à
entretenir de bonnes armées. Amelot traduisit et commenta _le Prince
de Machiavel_, livre long-temps cher aux petits seigneurs qui se
disputaient de petits états mal gouvernés, devenu inutile dans un temps
où tant de grandes puissances, toujours armées, étouffent l’ambition
des faibles. Amelot se croyait le plus grand politique de l’Europe;
cependant il ne sut jamais se tirer de la médiocrité, et il mourut dans
la misère: c’est qu’il était politique par son esprit, et non par son
caractère. Mort en 1706.

AMELOTTE (Denys), né en Saintonge, en 1606, de l’Oratoire. Il
est principalement connu par une assez bonne version du _Nouveau
Testament_: mort en 1678.

AMONTONS (Guillaume), né à Paris, en 1663, excellent mécanicien: mort
le 11 octobre en 1705.

ANCILLON (David), né à Metz, en 1617, calviniste, et son fils Charles,
mort à Berlin en 1715, ont eu quelque réputation dans la littérature.

ANSELME[69], moine augustin, le premier qui ait fait une histoire
généalogique des grands officiers de la couronne, continuée et
augmentée par Dufourni, auditeur des comptes. On a une notion très
vague de ce qui constitue les grands officiers. On s’imagine que ce
sont ceux à qui leur charge donne le titre de _grand_, comme _grand
écuyer_, _grand échanson_; mais le connétable, les maréchaux, le
chancelier, sont grands officiers, et n’ont point ce titre de _grand_,
et d’autres qui l’ont ne sont point réputés grands officiers. Les
capitaines des gardes, les premiers gentilshommes de la chambre, sont
devenus réellement de grands officiers, et ne sont pas comptés par le
père Anselme. Rien n’est décidé sur cette matière, et il y a autant de
confusion et d’incertitude sur tous les droits et sur tous les titres
en France, qu’il y a d’ordre dans l’administration. Mort en 1694.

ARNAULD (Antoine), vingtième fils de celui qui plaida contre les
jésuites, docteur en Sorbonne, né en 1612. Rien n’est plus connu que
son éloquence, son érudition, et ses disputes, qui le rendirent si
célèbre et en même temps si malheureux, selon les idées ordinaires qui
mettent le malheur dans l’exil et dans la pauvreté, sans considérer la
gloire, les amis, et une vieillesse saine, qui furent le partage de cet
homme fameux. Il est dit dans le supplément au _Moréri_ qu’Arnauld, en
1689, pour avoir les bonnes graces de la cour, fit un libelle contre
le roi Guillaume, intitulé: «Le vrai portrait de Guillaume-Henri de
Nassau, nouvel Absalon, nouvel Hérode, nouveau Cromwell, nouveau
Néron.» Ce style, qui ressemble à celui du père Garasse, n’est guère
celui d’Arnauld. Il ne songea jamais à flatter la cour. Louis XIV
eût fort mal reçu un livre si grossièrement intitulé; et ceux qui
attribuent cet ouvrage et cette intention au fameux Arnauld[70] ne
savent pas qu’on ne réussit point à la cour par des livres. Mort à
Bruxelles, en 1694.

L’auteur du Dictionnaire historique, littéraire, critique, et
janséniste[71], dit à l’article _Arnauld_ qu’aussitôt que son livre
sur _la Fréquente Communion_ parut, _l’enfer en frémit, et que le
jésuite Nouet fit la première attaque_. Il est difficile de savoir
au juste quelle est l’opinion de l’enfer sur un livre nouveau; et, à
l’égard des hommes, ils ont entièrement oublié le P. Nouet. Il est
très vrai que la plupart des écrits polémiques d’Arnauld ne sont plus
connus aujourd’hui. C’est le sort de presque toutes les disputes. Le
Dictionnaire historique, littéraire, critique, et janséniste, s’emporte
un peu contre cette vérité; il a raison: mais l’auteur devrait savoir
que les injures prodiguées au sujet des querelles théologiques sont
aujourd’hui aussi méprisées que ces querelles mêmes, et c’est beaucoup
dire.

ARNAULD-D’ANDILLI (Robert), frère aîné du précédent, né en 1588, l’un
des plus grands écrivains de Port-Royal. Il présenta à Louis XIV, à
l’âge de quatre-vingt-cinq ans, sa traduction de _Josèphe_, qui de
tous ses ouvrages est le plus recherché. Il fut père de Simon Arnauld,
marquis de Pomponne, ministre d’état; et ce ministre ne put empêcher ni
les disputes ni les disgraces de son oncle le docteur de Sorbonne. Mort
en 1674.

AUBERI (Antoine), né en 1616. On a de lui les vies des cardinaux de
Richelieu et de Mazarin, ouvrages médiocres, mais dans lesquels on peut
s’instruire. Mort en 1695. C’est lui qui le premier fit connaître la
fourberie de l’auteur du _Testament politique du cardinal de Richelieu_.

AUBIGNAC (François d’), né en 1604. Il n’eut jamais de maître que
lui-même. Attaché au cardinal de Richelieu, il était l’ennemi de
Corneille. Sa _Pratique du théâtre_ est peu lue; il prouva par sa
tragédie de _Zénobie_ que les connaissances ne donnent pas les talents.
Mort en 1676.

AULNOI (La comtesse d’). Son _Voyage_ et ses _Mémoires d’Espagne_, et
des romans écrits avec légèreté, lui firent quelque réputation. Morte
en 1705.

AVRIGNI (Hyacinthe Robillard d’), jésuite[72] auteur d’une nouvelle
manière d’écrire l’histoire. On a de lui des _Annales chronologiques
depuis 1601 jusqu’à 1715_. On y voit ce qui s’est passé de plus
important dans l’Europe exactement discuté, et en peu de mots; les
dates sont exactes. Jamais on n’a mieux su discerner le vrai, le faux,
et le douteux. Il a fait aussi des _Mémoires ecclésiastiques_[73];
mais ils sont malheureusement infectés de l’esprit de parti. Marcel et
lui ont été tous deux effacés par l’_Histoire chronologique de France_
du président Hénault, l’ouvrage à-la-fois le plus court, le plus plein
que nous ayons en ce genre, et le plus commode pour les lecteurs.

BAILLET (Adrien), né près de Beauvais, en 1649; critique célèbre. Mort
en 1706.

BALUZE (Étienne), du Limousin, né en 1630. C’est lui qui a formé le
recueil des manuscrits de la bibliothèque de Colbert. Il a travaillé
jusqu’à l’âge de quatre-vingt-huit ans. On lui doit sept volumes
d’anciens monuments. Exilé pour avoir soutenu les prétentions du
cardinal de Bouillon, qui se croyait indépendant du roi, et qui fondait
son droit sur ce qu’il était né d’une maison souveraine, et dans la
principauté de Sédan, avant que l’échange de cette souveraineté avec le
roi eût été consommé. Mort en 1718.

BALZAC (Jean-Louis Guer, de), né en 1594. Homme éloquent, et le premier
qui fonda un prix d’éloquence. Il eut le brevet d’historiographe
de France et de conseiller d’état, qu’il appelait de magnifiques
bagatelles. La langue française lui a une très grande obligation. Il
donna le premier du nombre et de l’harmonie à la prose. Il eut de son
vivant tant de réputation, qu’un nommé Goulu, général des feuillants,
écrivit contre lui deux volumes d’injures. Mort en 1654[74].

BARATIER, le plus singulier peut-être de tous les enfants célèbres.
Il doit être compté parmi les Français, quoique né en Allemagne[75].
Son père était un prédicant réfugié. Il sut le grec à six ans, et
l’hébreu à neuf. C’est à lui que nous devons la traduction des voyages
du Juif _Benjamin de Tudèle_ avec des dissertations curieuses. Le
jeune Baratier était déjà savant en histoire, en philosophie, en
mathématique. Il étonna tous ceux qui le connurent pendant sa vie, et
en fut regretté à sa mort; il n’avait que dix-neuf ans lorsqu’il fut
ravi au monde; il est vrai que son père travailla beaucoup aux ouvrages
de cet enfant.

BARBEYRAC (Jean), né à Béziers, en 1674; calviniste, professeur
en droit et en histoire à Lausanne, traducteur et commentateur de
_Puffendorf_ et de _Grotius_. Il semble que ces _Traités du droit
des gens, de la guerre, et de la paix_, qui n’ont jamais servi ni à
aucun traité de paix, ni à aucune déclaration de guerre, ni à assurer
le droit d’aucun homme, soient une consolation pour les peuples des
maux qu’ont faits la politique et la force. Ils donnent l’idée de la
justice, comme on a les portraits des personnes célèbres qu’on ne peut
voir. Sa préface de _Puffendorf_ mérite d’être lue: il y prouve que la
morale des Pères est fort inférieure à celle des philosophes modernes.
Mort en 1729.

BARBIER D’AUCOUR (Jean), connu chez les jésuites sous le nom de
l’_Avocat Sacrus_, et dans le monde par sa _Critique des entretiens
du P. Bouhours_, et par l’excellent plaidoyer pour un homme innocent
appliqué à la question et mort dans ce supplice; il fut long-temps
protégé par Colbert, qui le fit contrôleur des bâtiments du roi; mais
ayant perdu son protecteur, il mourut dans la misère, en 1694.

BARBIER (Mademoiselle) a fait quelques tragédies[76].

BARON (Michel). On ne croit pas que les pièces qu’il donna sous son nom
soient de lui[77]. Son mérite plus reconnu était dans la perfection de
l’art du comédien, perfection très rare, et qui n’appartint qu’à lui.
Cet art demande tous les dons de la nature, une grande intelligence,
un travail assidu, une mémoire imperturbable, et surtout cet art si
rare de se transformer en la personne qu’on représente. Voilà pourtant
ce qu’on s’obstine à mépriser. Les prédicateurs venaient souvent à la
comédie dans une loge grillée étudier Baron, et de là ils allaient
déclamer contre la comédie. C’est la coutume que les confesseurs
exigent des comédiens mourants qu’ils renoncent à leur profession.
Baron avait quitté le théâtre en 1691, par dégoût. Il y avait remonté
en 1720, à l’âge de 68 ans: et il y fut encore admiré, jusqu’en l’année
1729. Il était alors âgé de près de soixante et dix-huit ans: il se
retira encore et mourut la même année, en protestant qu’il n’avait
jamais eu le moindre scrupule d’avoir déclamé devant le public les
chefs-d’œuvre de génie et de morale des grands auteurs de la nation; et
que rien n’est plus impertinent que d’attacher de la honte à réciter ce
qu’il est glorieux de composer.

BASNAGE (Jacques), né à Rouen en 1653. Calviniste, pasteur à La Haye,
plus propre à être ministre d’état que d’une paroisse. De tous ses
livres, son _Histoire des Juifs_, celles _des Provinces-Unies_ et
_de l’Église_, sont les plus estimés. Les livres sur les affaires du
temps meurent avec les affaires; les ouvrages d’une utilité générale
subsistent. Mort en 1723.

BASNAGE DE BEAUVAL (Henri), de Rouen, frère du précédent, avocat en
Hollande, mais encore plus philosophe, qui a écrit _De la tolérance des
Religions_. Il était laborieux, et nous avons de lui le _Dictionnaire
de Furetière_ augmenté. Mort en 1710.

BASSOMPIERRE (François, maréchal de). Quoique ses _Mémoires_[78]
appartiennent au siècle précédent, on peut le compter dans cette liste,
étant mort en 1646.

_Baudrand_ (Michel-Antoine), né à Paris en 1633, géographe, moins
estimé que Sanson. Mort en 1700.

_Bayle_[79] (Pierre), né au Carlat dans le comté de Foix, en 1647,
retiré en Hollande plutôt comme philosophe que comme calviniste,
persécuté pendant sa vie par Jurieu, et après sa mort par les ennemis
de la philosophie. Ce savant, que Louis Racine appelle un _homme
affreux_[80], donnait aux pauvres son superflu: et quand Jurieu lui eut
fait retrancher sa pension, il refusa une augmentation de l’honoraire
que lui donnait Reiniers Leers, son imprimeur. S’il avait prévu
combien son Dictionnaire serait recherché, il l’aurait rendu encore
plus utile, en retranchant les noms obscurs, et en y ajoutant plus de
noms illustres. C’est par son excellente manière de raisonner qu’il
est surtout recommandable, non par sa manière d’écrire, trop souvent
diffuse, lâche, incorrecte, et d’une familiarité qui tombe quelquefois
dans la bassesse. Dialecticien admirable, plus que profond philosophe,
il ne savait presque rien en physique. Il ignorait les découvertes du
grand Newton. Presque tous ses articles philosophiques supposent ou
combattent un cartésianisme qui ne subsiste plus. Il ne connaissait
d’autre définition de la matière que l’étendue: ses autres propriétés
reconnues ou soupçonnées ont fait naître enfin la vraie philosophie.
On a eu des démonstrations nouvelles, et des doutes nouveaux: de sorte
qu’en plus d’un endroit le sceptique Bayle n’est pas encore assez
sceptique. Il a vécu et il est mort en sage. Des-Maizeaux a écrit sa
vie en un gros volume[81]; elle ne devait pas contenir six pages: la
vie d’un écrivain sédentaire est dans ses écrits. Mort en 1706.

Il ne faut jamais oublier la persécution que le fanatique Jurieu
suscita dans un pays libre à ce philosophe. Il arma contre lui
le consistoire calviniste sous plusieurs prétextes, et surtout à
l’occasion du fameux article de David. Bayle avait fortement relevé
les excès, les trahisons, et les barbaries, que ce prince juif avait
commises dans les temps où la grâce de Dieu l’abandonnait. Il n’eût
pas été indécent à ce consistoire d’engager Bayle à célébrer ce
prince juif qui fit une si belle pénitence, et qui obtint de Dieu que
soixante et dix mille de ses sujets mourussent de la peste, pour expier
le crime de leur roi qui avait osé faire le dénombrement du peuple.
Mais ce qui doit être soigneusement observé, c’est que ces pasteurs,
dans leur censure, le reprennent d’avoir quelquefois donné des éloges
à des papes gens de bien, et lui enjoignent de ne jamais justifier
aucun pape, parceque, disent-ils expressément, ils ne sont pas de leur
Église. Ce trait est un de ceux qui caractérisent le mieux l’esprit de
parti. Au reste, on a voulu continuer son Dictionnaire; mais on n’a
pu l’imiter[82]. Les continuateurs ont cru qu’il ne s’agissait que de
compiler. Il fallait avoir le génie et la dialectique de Bayle pour
oser travailler dans le même genre.

BEAUMONT DE PÉRÉFIXE (Hardouin), précepteur de Louis XIV, archevêque de
Paris. Son _Histoire de Henri IV_, qui n’est qu’un abrégé, fait aimer
ce grand prince, et est propre à former un bon roi. Il la composa
pour son élève. On crut que Mézerai y avait eu part; en effet, il
s’y trouve beaucoup de ses manières de parler; mais Mézerai n’avait
pas ce style touchant et digne, en plusieurs endroits, du prince
dont Péréfixe écrivait la vie, et de celui à qui il l’adressait. Les
excellents conseils qui s’y trouvent pour gouverner par soi-même ne
furent insérés que dans la seconde édition, après la mort du cardinal
Mazarin. On apprend d’ailleurs à connaître Henri IV beaucoup plus dans
cette histoire que dans celle de Daniel, écrite un peu sèchement, et
où il est trop parlé du P. Coton, et trop peu des grandes qualités de
Henri IV, et des particularités de la vie de ce bon roi. Péréfixe émeut
tout cœur né sensible, et fait adorer la mémoire de ce prince, dont les
faiblesses n’étaient que celles d’un homme aimable, et dont les vertus
étaient celles d’un grand homme. Mort en 1670.

BEAUSOBRE (Isaac de), né à Niort, en 1659, d’une maison distinguée
dans la profession des armes, l’un de ceux qui ont fait honneur à
leur patrie qu’ils ont été forcés d’abandonner. Son _Histoire du
manichéisme_ est un des livres les plus profonds, les plus curieux, et
les mieux faits. On y développe cette religion philosophique de Manès,
qui était la suite des dogmes de l’ancien Zoroastre et de l’ancien
Hermès; religion qui séduisit long-temps saint Augustin. Cette histoire
est enrichie de connaissances de l’antiquité; mais enfin ce n’est
(comme tant d’autres livres moins bons) qu’un recueil des erreurs
humaines. Mort à Berlin, en 1738.

BENSERADE (Isaac de), né en Normandie, en 1612. Sa petite maison
de Gentilli, où il se retira sur la fin de sa vie, était remplie
d’inscriptions en vers, qui valaient bien ses autres ouvrages; c’est
dommage qu’on ne les ait pas recueillies. Mort en 1691.

BERGIER (Nicolas) a eu le titre d’historiographe de France; mais il est
plus connu par sa curieuse _Histoire des grands chemins de l’empire
romain_, surpassés aujourd’hui par les nôtres en beauté, mais non pas
en solidité. Son fils mit la dernière main à cet ouvrage utile, et le
fit imprimer sous Louis XIV[83]. Mort en 1623.

BERNARD[84] (mademoiselle), auteur de quelques pièces de théâtre,
conjointement avec le célèbre _Bernard_ de Fontenelle, qui a fait
presque tout le _Brutus_. Il est bon d’observer que la _Fable
allégorique de l’imagination et du bonheur_, qu’on a imprimée sous son
nom, est de l’évêque de Nîmes, La Parisière, successeur de Fléchier.

BERNARD (Jacques), du Dauphiné, né en 1658, savant littérateur. Ses
journaux ont été estimés. Mort en Hollande, en 1718.

BERNIER (François), surnommé _le Mogol_; né à Angers, vers l’an 1625.
Il fut huit ans médecin de l’empereur des Indes. Ses Voyages sont
curieux. Il voulut, avec Gassendi, renouveler en partie le système des
atomes d’Épicure; en quoi certes il avait très grande raison, les
espèces ne pouvant être toujours reproduites les mêmes, si les premiers
principes ne sont invariables: mais alors les romans de Descartes
prévalaient. Mort en vrai philosophe, en 1688.

BIGNON (Jérôme), né en 1589. Il a laissé un plus grand nom que de
grands ouvrages. Il n’était pas encore du bon temps de la littérature.
Le parlement, dont il fut avocat général, chérit avec raison sa
mémoire. Mort en 1656.

BILLAUT (Adam), connu sous le nom de _Maître Adam_, menuisier à
Nevers. Il ne faut pas oublier cet homme singulier qui, sans aucune
littérature, devint poëte dans sa boutique. On ne peut s’empêcher de
citer de lui ce rondeau, qui vaut mieux que beaucoup de rondeaux de
Benserade:

    Pour te guérir de cette sciatique
    Qui te retient comme un paralytique
    Dedans ton lit sans aucun mouvement,
    Prends-moi deux brocs d’un fin jus de sarment,
    Puis lis comment on le met en pratique.

    Prends-en deux doigts, et bien chauds les applique
    Dessus l’externe où la douleur te pique;
    Et tu boiras le reste promptement
              Pour te guérir.

    Sur cet avis ne sois point hérétique;
    Car je te fais un serment authentique
    Que si tu crains ce doux médicament,
    Ton médecin, pour ton soulagement,
    Fera l’essai de ce qu’il communique
              Pour te guérir.

Il eut des pensions du cardinal de Richelieu, et de Gaston frère de
Louis XIII. Mort en 1662.

BOCHART (Samuel), né à Rouen, en 1599, calviniste, un des plus
savants hommes de l’Europe dans les langues et dans l’histoire, mais
systématique, comme tous les savants. Il fut un de ceux qui allèrent
en Suède instruire et admirer la reine Christine. Mort en 1667. [85]
BOILEAU DESPRÉAUX (Nicolas), de l’académie, né au village de Crône
auprès de Paris, en 1636. Il essaya du barreau, et ensuite de la
Sorbonne. Dégoûté de ces deux chicanes, il ne se livra qu’à son talent,
et devint l’honneur de la France. On a tant commenté ses ouvrages, on a
chargé ces commentaires de tant de minuties, que tout ce qu’on pourrait
dire ici serait superflu.

On fera seulement une remarque qui paraît essentielle; c’est qu’il
faut distinguer soigneusement dans ses vers ce qui est devenu proverbe
d’avec ce qui mérite de devenir maxime. Les maximes sont nobles, sages,
et utiles. Elles sont faites pour les hommes d’esprit et de goût, pour
la bonne compagnie. Les proverbes ne sont que pour le vulgaire, et l’on
sait que le vulgaire est de tous les états.

    Pour paraître honnête homme, en un mot il faut l’être.
    On me verra dormir au branle de sa roue[86].
    Chaque âge a ses plaisirs, son esprit, et ses mœurs.

    L’esprit n’est point ému de ce qu’il ne croit pas.
    Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable.

Voilà ce qu’on doit appeler des maximes dignes des honnêtes gens. Mais
pour des vers tels que ceux-ci,

    J’appelle un chat un chat, et Rolet un fripon.
    S’en va chercher son pain de cuisine en cuisine.
    Quand je veux dire blanc, la quinteuse dit noir.
    Aimez-vous la muscade? on en a mis partout.
    La raison dit Virgile, et la rime Quinault.

ce sont là plutôt des proverbes du peuple que des vers dignes d’être
retenus par les connaisseurs. Mort en 1711.

BOILEAU (Gilles), né à Paris, en 1631, frère aîné du fameux Boileau. Il
a fait quelques traductions qui valent mieux que ses vers: mort en 1669.

BOILEAU (Jacques), autre aîné de Despréaux, docteur de Sorbonne:
esprit bizarre, qui a fait des livres bizarres, écrits dans un latin
extraordinaire, comme l’_Histoire des flagellants_, _les Attouchements
impudiques_, _les Habits des prêtres_, etc. On lui demandait pourquoi
il écrivait toujours en latin: C’est, dit-il, de peur que les évêques
ne me lisent; ils me persécuteraient. Mort en 1716.

BOINDIN (Nicolas), trésorier de France et procureur du roi de sa
compagnie, de l’académie des belles-lettres, connu par d’excellentes
recherches sur les théâtres anciens, et sur les tribus romaines,
par la jolie comédie du _Port de mer_. C’était un critique dur; le
Dictionnaire historique et janséniste[87] le traite d’athée. Il n’a
jamais rien écrit sur la religion. Pourquoi insulter ainsi à la mémoire
d’un magistrat que les auteurs de ce Dictionnaire n’ont point connu?
Quelle insolence punissable! Comme il était mort sans sacrements, les
prêtres de sa paroisse voulaient lui refuser la sépulture, espèce
de juridiction qu’ils prétendent avoir droit d’exercer; mais le
gouvernement et les magistrats, qui veillent au maintien des lois, de
la décence, et des mœurs, répriment avec soin ces actes de superstition
et de barbarie. Cependant on craignit que ces prêtres n’ameutassent le
petit peuple contre le convoi de Boindin, ainsi qu’ils l’avaient ameuté
contre celui de Molière; et Boindin fut enterré sans cérémonie: mort en
1751.

BOISROBERT (François LE METEL de), plus célèbre par sa faveur auprès
du cardinal de Richelieu, et par sa fortune, que par son mérite. Il
composa dix-huit pièces de théâtre qui ne réussirent guère qu’auprès de
son patron. Mort en 1662.

BOIVIN (Jean), né en Normandie, en 1663, frère de Louis Boivin, et
utile comme lui pour l’intelligence des beautés des auteurs grecs: mort
en 1726.

BOSSUET (Jacques-Bénigne), de Dijon, né en 1627, évêque de Condom, et
ensuite de Meaux. On a de lui cinquante-un[88] ouvrages; mais ce sont
ses _Oraisons funèbres_ et son _Discours sur l’Histoire universelle_
qui l’ont conduit à l’immortalité. On a imprimé plusieurs fois que
cet évêque a vécu marié; et Saint-Hyacinthe[89], connu par la part
qu’il eut à la plaisanterie de Mathanasius, a passé pour son fils;
mais c’est une fausseté reconnue. La famille des Secousses, considérée
dans Paris, et qui a produit des personnes de mérite, assure qu’il y
eut un contrat de mariage secret entre Bossuet, encore très jeune, et
mademoiselle Desvieux[90]; que cette demoiselle fit le sacrifice de sa
passion et de son état à la fortune que l’éloquence de son amant devait
lui procurer dans l’Église; qu’elle consentit à ne jamais se prévaloir
de ce contrat, qui ne fut point suivi de la célébration; que Bossuet,
cessant ainsi d’être son mari, entra dans les ordres; et qu’après la
mort du prélat, ce fut cette même famille qui régla les reprises et
les conventions matrimoniales. Jamais cette demoiselle n’abusa, dit
cette famille, du secret dangereux qu’elle avait entre les mains. Elle
vécut toujours l’amie de l’évêque de Meaux, dans une union sévère et
respectée. Il lui donna de quoi acheter la petite terre de Mauléon,
à cinq lieues de Paris. Elle prit alors le nom de Mauléon, et a vécu
près de cent années. On raconte qu’ayant dit au jésuite La Chaise,
confesseur de Louis XIV: «On sait que je ne suis pas janséniste,» La
Chaise répondit: «On sait que vous n’êtes que mauléoniste.» Au reste,
on a prétendu que ce grand homme avait des sentiments philosophiques
différents de sa théologie, à peu près comme un savant magistrat qui,
jugeant selon la lettre de la loi, s’élèverait quelquefois en secret
au-dessus d’elle par la force de son génie. Mort en 1704.

BOUDIER (Réné), de La Jousselinière[91], auteur de quelques vers
naturels. Il fit en mourant, à quatre-vingt-dix ans, son épitaphe:

    J’étais poëte, historien;
    Et maintenant je ne suis rien.

BOUHIER (Jean), président du parlement de Dijon, né en 1673. Son
érudition l’a rendu célèbre. Il a traduit en vers français quelques
morceaux d’anciens poëtes latins. Il pensait qu’on ne doit pas
les traduire autrement; mais ses vers font voir combien c’est une
entreprise difficile. Mort en 1746[92].

BOUHOURS (Dominique), jésuite, né à Paris, en 1628. La langue et le bon
goût lui ont beaucoup d’obligations. Il a fait quelques bons ouvrages
dont on a fait de bonnes critiques: _Ex privatis odiis respublica
crescit_.

La vie de saint _Ignace_ de Loyola, qu’il composa, n’a réussi ni chez
les gens du monde, ni chez les savants, ni chez les philosophes. Celle
de Xavier a été plus mal reçue. Ses _Remarques sur la langue_, et
surtout sa _Manière de bien penser sur les ouvrages d’esprit_, seront
toujours utiles aux jeunes gens qui voudront se former le goût: il leur
enseigne à éviter l’enflure, l’obscurité, le recherché, et le faux:
s’il juge trop sévèrement en quelques endroits le Tasse et d’autres
auteurs italiens, il les condamne souvent avec raison. Son style est
pur et agréable. Ce petit livre de _la Manière de bien penser_ blessa
les Italiens, et devint une querelle de nation; on sentait que les
opinions de Bouhours, appuyées de celles de Boileau, pouvaient tenir
lieu de lois. Le marquis Orsi et quelques autres composèrent deux gros
volumes pour justifier quelques vers du Tasse.

Remarquons que le P. Bouhours ne serait guère en droit de reprocher des
pensées fausses aux Italiens, lui qui compare Ignace de Loyola à César,
et François Xavier à Alexandre, s’il n’était tombé rarement dans ces
fautes. Mort en 1702.

BOUILLAUD[93] (Ismaël), de Loudun, né en 1605, savant dans l’histoire
et dans les mathématiques. Comme tous les astronomes de ce siècle,
il se mêla d’astrologie, ainsi qu’on le voit dans les lettres que
lui écrivait Desnoyers, ambassadeur en Pologne, et depuis secrétaire
d’état; c’était alors un moyen de faire la cour aux gens puissants.
_Confugiendum ad astrologiam, astronomiæ altricem_, disait Kepler. Mort
en 1694.

BOULAINVILLIERS (Henri, comte de), de la maison de Crouï, le plus
savant gentilhomme du royaume dans l’histoire, et le plus capable
d’écrire celle de France, s’il n’avait pas été trop systématique. Il
appelle notre gouvernement féodal _le chef-d’œuvre de l’esprit humain_.
Le système féodal pourrait mériter le nom de chef-d’œuvre en Allemagne;
mais en France il ne fut qu’un chef-d’œuvre d’anarchie. Il regrette les
temps où les peuples, esclaves de petits tyrans ignorants et barbares,
n’avaient ni industrie, ni commerce, ni propriété; et il croit qu’une
centaine de seigneurs, oppresseurs de la terre et ennemis du roi,
composaient le plus parfait des gouvernements. Malgré ce système, il
était excellent citoyen, comme, malgré son faible pour l’astrologie
judiciaire, il était philosophe de cette philosophie qui compte la vie
pour peu de chose, et qui méprise la mort. Ses écrits, qu’il faut lire
avec précaution, sont profonds et utiles. On a imprimé, à la fin de ses
ouvrages, un gros Mémoire _pour rendre le roi de France plus riche que
tous les autres monarques ensemble_[94]. Il est évident que cet ouvrage
n’est pas du comte de Boulainvilliers; cependant tous ces petits
écrivains politiques, qui gouvernent l’état dans leur grenier, citent
cette rapsodie. Mort vers l’an 1720[95].

BOURCHENU (Jean-Pierre Moret de), marquis de Valbonais, né à Grenoble,
en 1651. Il voyagea dans sa jeunesse, et se trouva sur la flotte
d’Angleterre à la bataille de Solbaye. Il fut depuis premier président
de la chambre des comptes du Dauphiné. Sa mémoire est chère à Grenoble
pour le bien qu’il fit, et aux gens de lettres pour ses grandes
recherches. Ses _Mémoires sur le Dauphiné_[96] furent composés dans le
temps qu’il était aveugle, et sur les lectures qu’on lui fesait. Mort
en 1730.

BOURDALOUE (Louis), né à Bourges, en 1632, jésuite; le premier modèle
des bons prédicateurs en Europe: mort en 1704.

BOURSAULT (Edme), né en Bourgogne, en 1638. Ses _Lettres à Babet_,
estimées de son temps, sont devenues, comme toutes les lettres dans ce
goût, l’amusement des jeunes provinciaux. On joue encore sa comédie
d’_Ésope_[97]. Mort en 1701.

BOURSIER (Laurent-François), de la société de Sorbonne, né en 1679,
auteur du fameux livre de l’_action de Dieu sur les créatures_,
ou de la _prémotion physique_. C’est un ouvrage profond par les
raisonnements, fortifié par beaucoup d’érudition, et orné quelquefois
d’une grande éloquence; mais l’attachement à certains dogmes peut ravir
à ce célèbre écrit beaucoup de sa solidité et de sa force. L’auteur
ressemble à un homme d’état qui, en voulant établir des lois générales,
les corrompt par des intérêts de famille. Il est trop difficile
d’allier les systèmes sur la grace avec le grand système de l’action
éternelle et immuable de Dieu sur tout ce qui existe. Il faut avouer
qu’il n’y a que deux manières philosophiques d’expliquer la machine
du monde: ou Dieu a ordonné une fois, et la nature obéit toujours; ou
Dieu donne continuellement à tout l’être et toutes les modifications de
l’être: un troisième parti est inexplicable.

Il est dit dans le nouveau Dictionnaire historique[98], littéraire,
critique, et janséniste, que «Boursier, semblable à l’aigle, s’élève
en haut, et trempe sa plume dans le sein de Dieu.» On ne voit pas trop
comment Dieu peut servir de cornet à M. Boursier. Voilà la première
fois qu’on ait comparé Dieu à la bouteille à l’encre. Mort en 1749.

BOURZEIS (Amable de), né en Auvergne en 1606, auteur de plusieurs
ouvrages de politique et de controverse. Silhon[99] et lui sont
soupçonnés d’avoir composé le _Testament politique_ attribué au
cardinal de Richelieu[100]. Mort en 1672.

BRÉBEUF (Guillaume de), né en Normandie en 1618. Il est connu par sa
_traduction de la Pharsale_; mais on ignore communément qu’il a fait le
_Lucain travesti_[101]. Mort en 1661.

BRETEUIL (Gabrielle-Émilie Le Tonnelier de), marquise du Châtelet, née
en 1706. Elle a éclairci Leibnitz, traduit et commenté Newton, mérite
fort inutile à la cour, mais révéré chez toutes les nations qui se
piquent de savoir, et qui ont admiré la profondeur de son génie et de
son éloquence. De toutes les femmes qui ont illustré la France, c’est
celle qui a eu le plus de véritable esprit, et qui a moins affecté le
bel esprit[102]. Morte en 1749.

BRIENNE (Henri-Auguste de Loménie de), secrétaire d’état. Il a laissé
des Mémoires. Il serait utile que les ministres en écrivissent, mais
non tels[103] que ceux qui sont rédigés depuis peu[104] sous le nom du
duc de Sulli. Mort en 1666.

BRUEYS (l’abbé de), né en Languedoc en 1639[105]. Dix volumes de
controverse qu’il a faits auraient laissé son nom dans l’oubli; mais
la petite comédie du _Grondeur_, supérieure à toutes les farces de
Molière, et celle de l’_Avocat Patelin_, ancien monument de la naïveté
gauloise qu’il rajeunit, le feront connaître tant qu’il y aura en
France un théâtre. Palaprat l’aida dans ces deux jolies pièces. Ce sont
les seuls ouvrages de génie que deux auteurs aient composés ensemble.
Mort en 1723.

On croit devoir relever ici un fait très singulier qui se trouve dans
un _recueil d’Anecdotes littéraires_[106], 1750, chez Durand, tome II,
page 369. Voici les paroles de l’auteur: «Les amours de Louis XIV
ayant été jouées en Angleterre, Louis XIV voulut faire jouer aussi
celles du roi Guillaume. L’abbé Brueys fut chargé par M. de Torci de
faire la pièce; mais, quoique applaudie, elle ne fut pas jouée.»

Remarquez que ce _recueil d’Anecdotes_, qui est rempli de pareils
contes, est imprimé avec approbation et privilége; jamais on ne joua
les amours de Louis XIV sur aucun théâtre de Londres, et on sait que
le roi Guillaume n’eut jamais de maîtresse. Quand il en aurait eu,
Louis XIV était trop attaché aux bienséances pour ordonner qu’on fît
une comédie des amours de Guillaume; M. de Torci n’était pas homme
à proposer une chose si impertinente; enfin l’abbé Brueys ne songea
jamais à composer ce ridicule ouvrage qu’on lui attribue. On ne peut
trop répéter que la plupart de ces recueils d’anecdotes, de ces _ana_,
de ces mémoires secrets, dont le public est inondé, ne sont que des
compilations faites au hasard par des écrivains mercenaires.

BRUMOY (Pierre), jésuite, né à Rouen en 1688. Son _Théâtre des Grecs_
passe pour le meilleur ouvrage qu’on ait en ce genre, malgré ses fautes
et l’infidélité de la traduction. Il a prouvé par ses poésies qu’il
est bien plus aisé de traduire et de louer les anciens, que d’égaler
par ses propres productions les grands modernes. On peut d’ailleurs
lui reprocher de n’avoir pas assez senti la supériorité du théâtre
français sur le grec, et la prodigieuse différence qui se trouve entre
le _Misanthrope_ et les _Grenouilles_. Mort en 1742[107].

BUFFIER (Claude), jésuite. Sa _Mémoire artificielle_ est d’un grand
secours pour ceux qui veulent avoir les principaux faits de l’histoire
toujours présents à l’esprit. Il a fait servir les vers (je ne dis pas
la poésie) à leur premier usage, qui était d’imprimer dans la mémoire
des hommes les événements dont on voulait garder le souvenir. Il y
a dans ses traités de métaphysique des morceaux que Locke n’aurait
pas désavoués; et c’est le seul jésuite qui ait mis une philosophie
raisonnable dans ses ouvrages. Mort en 1737.

BUSSI RABUTIN (Roger de Rabutin, comte de), né dans le Nivernois, en
1618. Il écrivit avec pureté. On connaît ses malheurs et ses ouvrages.
Ses _Amours des Gaules_ passent pour un ouvrage médiocre dans lequel
il n’imita Pétrone que de fort loin. La manie des Français a été
long-temps de croire que toute l’Europe devait s’occuper de leurs
intrigues galantes. Vingt courtisans ont écrit l’histoire de leurs
amours, à peine lue des femmes de chambre de leurs maîtresses. Mort à
Autun, en 1693.

CAILLI (Le chevalier de), qui n’est connu que sous le nom _d’Aceilli_,
était attaché au ministre Colbert. On ignore le temps de sa naissance
et de sa mort[108]. Il y a de lui un recueil de quelques centaines
d’épigrammes, parmi lesquelles il y en a beaucoup de mauvaises, et
quelques unes de jolies. Il écrit naturellement, mais sans aucune
imagination dans l’expression.

CALMET (Augustin), bénédictin, né en 1672. Rien n’est plus utile que la
compilation de ses recherches sur la Bible. Les faits y sont exacts,
les citations fidèles. Il ne pense point, mais en mettant tout dans un
grand jour, il donne beaucoup à penser. Mort en 1757.

CALPRENÈDE (Gautier-Coste de La), né à Cahors[109] vers l’an 1612,
gentilhomme ordinaire du roi. Ce fut lui qui mit les longs romans à
la mode. Le mérite de ces romans consistait dans des aventures dont
l’intrigue n’était pas sans art et qui n’étaient pas impossibles,
quoiqu’elles fussent presque incroyables. Le Boiardo, l’Arioste,
le Tasse, au contraire, avaient chargé leurs romans poétiques de
fictions qui sont entièrement hors de la nature: mais les charmes de
leur poésie, les beautés innombrables de détail, leurs allégories
admirables, surtout celles de l’Arioste, tout cela rend ces poëmes
immortels, et les ouvrages de La Calprenède, ainsi que les autres
grands romans, sont tombés. Ce qui a contribué à leur chute, c’est la
perfection du théâtre. On a vu dans les bonnes tragédies et dans les
opéras beaucoup plus de sentiments qu’on n’en trouve dans ces énormes
volumes: ces sentiments y sont bien mieux exprimés, et la connaissance
du cœur humain beaucoup plus approfondie. Ainsi Racine et Quinault,
qui ont un peu imité le style de ces romans, les ont fait oublier en
parlant au cœur un langage plus vrai, plus tendre, et plus harmonieux.
Mort en 1663.

CAMPISTRON (Jean-Galbert de), né à Toulouse en 1656, élève et imitateur
de Racine. Le duc de Vendôme, dont il fut secrétaire, fit sa fortune,
et le comédien Baron une partie de sa réputation. Il y a des choses
touchantes dans ses pièces; elles sont faiblement écrites, mais au
moins le langage est assez pur: après lui on a tellement négligé la
langue dans les pièces de théâtre, qu’on a fini par écrire d’un style
entièrement barbare. C’est ce que Boileau déplorait en mourant[110].
Mort en 1723.

CASSANDRE (François), a rendu, aussi bien que Dacier, plus de services
à la réputation d’Aristote que tous les prétendus philosophes ensemble.
Il traduisit la _Rhétorique_, comme Dacier a traduit la _Poétique_
de ce fameux Grec. On ne peut s’empêcher d’admirer Aristote et le
siècle d’Alexandre, quand on voit que le précepteur de ce grand homme,
tant décrié sur la physique, a connu à fond tous les principes de
l’éloquence et de la poésie. Où est le physicien de nos jours chez qui
on puisse apprendre à composer un discours et une tragédie? Cassandre
vécut et mourut dans la plus grande pauvreté. Ce fut la faute non
pas de ses talents, mais de son caractère intraitable, farouche, et
solitaire. Ceux qui se plaignent de la fortune n’ont souvent à se
plaindre que d’eux-mêmes. Mort en 1695.

CASSINI (Jean-Dominique), né dans le comté de Nice en 1625, appelé
par Colbert en 1666. Il a été le premier des astronomes de son temps,
du moins suivant les Italiens et les Français; mais il commença comme
les autres par l’astrologie. Puisqu’il fut naturalisé en France,
qu’il s’y maria, qu’il y eut des enfants, et qu’il est mort à Paris,
on doit le compter au nombre des Français. Il a immortalisé son nom
par sa _Méridienne de Saint-Pétrone_ à Bologne; elle servit à faire
voir les variations de la vitesse du mouvement de la terre autour du
soleil. On lui doit les premières tables des satellites de Jupiter, la
connaissance de la rotation de Jupiter et de Mars, ou de la durée de
leurs jours, la découverte de quatre des satellites de Saturne. Huygens
n’en avait aperçu qu’un; et cette découverte de Cassini fut célébrée
par une médaille dans l’histoire métallique de Louis XIV. Il a le
premier observé et fait connaître la lumière zodiacale. Il a donné une
méthode pour déterminer la parallaxe d’un astre par des observations
faites dans un même lieu, et s’en servir pour déterminer la distance
des astres à la terre, avec plus de précision qu’on ne l’avait encore
fait; mais la première idée de cette méthode est due à Morin[111].

Le fils[112], le petit-fils de Cassini[113], ont été de l’académie des
sciences, et son arrière-petit-fils[114] y est entré en 1772: cette
espèce d’illustration est plus réelle et sera plus durable que celle
dont la famille de Cassini avait joui en Italie, quelques siècles
auparavant, et que les révolutions de ce pays lui avaient fait perdre.
Mort en 1712.

CATROU (François), né en 1659, jésuite. Il a fait avec le P. Rouillé
vingt tomes de l’_Histoire romaine_. Ils ont cherché l’éloquence, et
n’ont pas trouvé la précision. Mort en 1737.

CERISI (Germain Habert de) était du temps de l’aurore du bon goût et de
l’établissement de l’académie française. Sa _Métamorphose des yeux de
Philis en astres_ fut vantée comme un chef-d’œuvre, et a cessé de le
paraître dès que les bons auteurs sont venus. Mort en 1655[115].

CHANTEREAU LE FÈVRE (Louis), né en 1588. Très savant homme, l’un des
premiers qui ont débrouillé l’histoire de France; mais il a accrédité
une grande erreur, c’est que les fiefs héréditaires n’ont commencé
qu’après _Hugues_ Capet. Quand il n’y aurait que l’exemple de la
Normandie, donnée ou plutôt extorquée à titre de fief héréditaire
en 912, cela suffirait pour détruire l’opinion de Chantereau, que
plusieurs historiens ont adoptée. Il est d’ailleurs certain que
Charlemagne institua en France des fiefs avec propriété, et que cette
forme de gouvernement était connue avant lui dans la Lombardie et dans
la Germanie. Mort en 1658.

CHAPELAIN (Jean), né en 1595. Sans _la Pucelle_ il aurait eu de la
réputation parmi les gens de lettres. Ce mauvais poëme lui valut
beaucoup plus que _l’Iliade_ à Homère. Chapelain fut pourtant utile
par sa littérature. Ce fut lui qui corrigea les premiers vers de
Racine. Il commença par être l’oracle des auteurs, et finit par en être
l’opprobre. Mort en 1674.

CHAPELLE (Jean de LA). _Voyez_ LA CHAPELLE.

CHAPELLE[116] (Claude-Emmanuel Luillier), fils naturel de François
Luillier, maître des comptes. Il n’est pas vrai qu’il fut le premier
qui se servit des rimes redoublées; Dassouci[117] s’en servait avant
lui, et même avec quelque succès.

    Pourquoi donc, sexe au teint de rose,
    Quand la charité vous impose
    La loi d’aimer votre prochain,
    Pouvez-vous me haïr sans cause,
    Moi qui ne vous fis jamais rien?
    Ah! pour mon honneur je vois bien
    Qu’il faut vous faire quelque chose, etc.

On trouve beaucoup de rimes redoublées dans Voiture. Chapelle
réussit mieux que les autres dans ce genre qui a de l’harmonie et de
la grace, mais dans lequel il a préféré quelquefois une abondance
stérile de rimes à la pensée et au tour. Sa vie voluptueuse et son
peu de prétention contribuèrent encore à la célébrité de ces petits
ouvrages. On sait qu’il y a dans son _Voyage de Montpellier_ beaucoup
de traits de Bachaumont[118], fils du président Le Coigneux, l’un des
plus aimables hommes de son temps. Chapelle était d’ailleurs un des
meilleurs élèves de Gassendi. Au reste, il faut bien distinguer les
éloges que tant de gens de lettres ont donnés à Chapelle et à des
esprits de cette trempe, d’avec les éloges dus aux grands maîtres. Le
caractère de Chapelle, de Bachaumont, du Broussin[119], et de toute
cette société du Marais, était la facilité, la gaîté, la liberté. On
peut juger de Chapelle par cet impromptu, que je n’ai point vu encore
imprimé. Il le fit à table, après que Boileau eut récité une épigramme.

    Qu’avec plaisir de ton haut style
    Je te vois descendre au quatrain;
    Et que je t’épargnai de bile
    Et d’injures au genre humain,
    Quand, renversant ta cruche à l’huile,
    Je te mis le verre à la main!

Mort en 1686.

CHARAS (Moyse), de l’académie des sciences, le premier qui ait bien
écrit sur la pharmacie; tant il est vrai que sous Louis XIV tous les
arts élargirent leur sphère. Ce pharmacien, voyageant à Madrid, fut mis
dans les cachots de l’inquisition, parcequ’il était calviniste. Une
prompte abjuration et les sollicitations de l’ambassadeur de France lui
sauvèrent la vie et la liberté. Il s’occupa long-temps d’expériences
sur les vipères, et des moyens d’empêcher les effets souvent mortels
de leur morsure: mais il se trompa en soutenant contre Redi[120] que
le venin des vipères n’était pas contenu dans le suc jaune qui sort de
deux vésicules placées derrière les crochets de leurs mâchoires. Dans
le cours de ses expériences, il fut mordu plusieurs fois, sans qu’il en
résultât d’accidents très graves. Mort en 1698.

CHARDIN (Jean), né à Paris en 1643. Nul voyageur n’a laissé des
Mémoires plus curieux. Mort à Londres en 1713.

CHARLEVAL (Charles Faucon de Ris), l’un de ceux qui acquirent de la
célébrité par la délicatesse de leur esprit, sans se livrer trop au
public. La fameuse _Conversation du maréchal d’Hocquincourt et du
P. Canaye_, imprimée dans les _Œuvres de Saint-Évremond_, est de
Charleval, jusqu’à la petite Dissertation sur le jansénisme et sur le
molinisme que Saint-Évremond y a ajoutée. Le style de cette fin est
très différent de celui du commencement. Feu M. de Caumartin[121], le
conseiller d’état, avait l’écrit de Charleval, de la main de l’auteur.
On trouve dans le _Moréri_[122] que le président de Ris, neveu de
Charleval, ne voulut pas faire imprimer les ouvrages de son oncle, de
peur que _le nom d’auteur peut-être ne fût une tache dans sa famille_.
Il faut être d’un état et d’un esprit bien abject pour avancer une
telle idée dans le siècle où nous sommes; et c’eût été dans un homme
de robe un orgueil digne des temps militaires et barbares, où l’on
abandonnait l’étude purement à la robe, par mépris pour la robe et pour
l’étude. Mort en 1693[123].

CHARPENTIER (François), né à Paris en 1620, académicien utile. On a de
lui une traduction de _la Cyropédie_. Il soutint vivement l’opinion
que les inscriptions des monuments publics de France doivent être en
français. En effet, c’est dégrader une langue qu’on parle dans toute
l’Europe, que de ne pas oser s’en servir; c’est aller contre son but,
que de parler à tout le public dans une langue que les trois quarts
au moins de ce public n’entendent pas. Il y a une espèce de barbarie
à latiniser des noms français que la postérité méconnaîtrait, et les
noms de Rocroi et de Fontenoi font un plus grand effet que les noms de
_Rocrosium_ et _Fonteniacum_. Mort en 1702.

CHASTRE (Edme de La Chastre-Nançay, comte de LA), a laissé des
Mémoires. Mort en 1645.

CHAULIEU (Guillaume Anfrye de), né en Normandie en 1639, connu par
ses poésies négligées, et par les beautés hardies et voluptueuses qui
s’y trouvent. La plupart respirent la liberté, le plaisir, et une
philosophie au-dessus des préjugés; tel était son caractère. Il vécut
dans les délices, et mourut avec intrépidité en 1720.

Les vers qu’on cite le plus de lui sont la pièce intitulée _la Goutte_,
qui commence ainsi,

    Le destructeur impitoyable
    Et des marbres et de l’airain;

mais surtout l’Épître sur la Mort, au marquis de La Fare:

    Plus j’approche du terme, et moins je le redoute;
    Sur des principes sûrs mon esprit affermi,
    Content, persuadé, ne connaît plus le doute;
    Je ne suis libertin, ni dévot à demi.
    Exempt des préjugés, j’affronte l’imposture
          Des vaines superstitions,
          Et me ris des préventions
    De ces faibles esprits dont la triste censure
          Fait un crime à la créature
    De l’usage des biens que lui fit son auteur.

Une autre épître au même fit encore plus de bruit: elle commence ainsi:

    J’ai vu de près le Styx, j’ai vu les Euménides;
    Déjà venaient frapper mes oreilles timides
    Les affreux cris du chien de l’empire des morts;
    Et les noires vapeurs, et les brûlants transports
    Allaient de ma raison offusquer la lumière:
    C’est lors que j’ai senti mon ame tout entière,
    Se ramenant en soi, faire un dernier effort
    Pour braver les erreurs que l’on joint à la mort.
    Ma raison m’a montré, tant qu’elle a pu paraître,
    Que rien n’est en effet de ce qui ne peut être;
    Que ces fantômes vains sont enfants de la peur
    Qu’une faible nourrice imprime en notre cœur,
    Lorsque de loups-garoux, qu’elle-même elle pense,
    De démons et d’enfers elle endort notre enfance.

Ces pièces ne sont pas châtiées; ce sont des statues de Michel-Ange
ébauchées. Le stoïcisme de ces sentiments ne lui attira point de
persécution; car, quoique abbé, il était ignoré des théologiens, et
ne vivait qu’avec ses amis. Il n’aurait tenu qu’à lui de mettre la
dernière main à ses ouvrages, mais il ne savait pas corriger. On a
imprimé de lui trop de bagatelles insipides de société; c’est le
mauvais goût et l’avarice des éditeurs qui en est cause. Les préfaces
qui sont à la tête du recueil sont de ces gens obscurs qui croient être
de bonne compagnie en imprimant toutes les fadaises d’un homme de bonne
compagnie.

CHEMINAIS, jésuite. On l’appelait le _Racine_ des prédicateurs, et
Bourdaloue le _Corneille_. Mort en 1689.

CHERON (Élisabeth-Sophie), née à Paris en 1648, célèbre par la musique,
la peinture, et les vers, et plus connue sous son nom que sous celui de
son mari, le sieur Le Hay: morte en 1711.

CHEVREAU (Urbain), né à Loudun en 1613, savant et bel esprit qui eut
beaucoup de réputation: mort en 1701.

CHIFFLET (Jean-Jacques), né à Besançon en 1588. On a de lui plusieurs
recherches: mort en 1660. Il y a eu sept écrivains de ce nom.

CHOISI (François-Timoléon de), de l’Académie, né à Paris en 1644,
envoyé à Siam. On a sa relation. Il n’était que tonsuré à son départ;
mais à Siam il se fit ordonner prêtre en quatre jours. Il a composé
plusieurs histoires, une _Traduction de l’Imitation de Jésus-Christ_,
dédiée à madame de Maintenon, avec cette épigraphe, _Concupiscet rex
decorem tuum_[124]; et des _Mémoires de la comtesse des Barres_. Cette
comtesse des Barres, c’était lui-même. Il s’habilla et vécut en femme
plusieurs années. Il acheta, sous le nom de la comtesse des Barres, une
terre auprès de Tours. Ces _Mémoires_ racontent avec naïveté comment
il eut impunément des maîtresses sous ce déguisement. Mais quand le
roi fut devenu dévot, il écrivit l’histoire de l’Église. Dans ses
_Mémoires_[125] sur la cour on trouve des choses vraies, quelques unes
fausses, et beaucoup de hasardées; ils sont écrits dans un style trop
familier. Mort en 1724.

CLAUDE (Jean), né en Agénois en 1619, ministre de Charenton, et
l’oracle de son parti, émule digne des Bossuet, des Arnauld, et des
Nicole. Il a composé quinze ouvrages, qu’on lut avec avidité dans le
temps des disputes. Presque tous les livres polémiques n’ont qu’un
temps. Les fables de La Fontaine, l’Arioste, passeront à la dernière
postérité. Cinq ou six mille volumes de controverse sont déjà oubliés.
Mort à La Haye en 1687.

COLBERT (Jean-Baptiste), marquis de Torci, neveu du grand Colbert,
ministre d’état sous Louis XIV, a laissé des Mémoires depuis la paix
de Risvick jusqu’à celle d’Utrecht: ils ont été imprimés pendant qu’on
achevait l’édition de cet _Essai sur le siècle de Louis XIV_[126]. Ils
confirment tout ce qu’on y avance. Ces Mémoires renferment des détails
qui ne conviennent qu’à ceux qui veulent s’instruire à fond: ils sont
écrits plus purement que tous les Mémoires de ses prédécesseurs: on y
reconnaît le goût de la cour de Louis XIV. Mais leur plus grand prix
est dans la sincérité de l’auteur: c’est la vérité, c’est la modération
elle-même, qui ont conduit sa plume. Mort en 1746.

COLLET (Philibert), né à Châtillon-les-Dombes, en 1643, jurisconsulte
et homme libre. Excommunié par l’archevêque de Lyon pour une querelle
de paroisse, il écrivit contre l’excommunication, il combattit la
clôture des religieuses; et, dans son _Traité de l’usure_, il soutint
vivement l’usage autorisé en Bresse de stipuler les intérêts avec le
capital, usage approuvé dans plus de la moitié de l’Europe, et reçu
dans l’autre par tous les négociants, malgré les lois qu’on élude. Il
assura aussi que les dîmes qu’on paie aux ecclésiastiques ne sont pas
de droit divin. Mort en 1718.

COLOMIEZ (Paul). Le temps de sa naissance est inconnu[127]: la plupart
de ses ouvrages commencent à l’être; mais ils sont utiles à ceux qui
aiment les recherches littéraires. Mort à Londres, en 1692.

COMMIRE (Jean), jésuite. Il réussit parmi ceux qui croient qu’on peut
faire de bons vers latins, et qui pensent que des étrangers peuvent
ressusciter le siècle d’Auguste dans une langue qu’ils ne peuvent pas
même prononcer. Mort en 1702.

    «In silvam non ligna feras.»
               HOR., sat. X, lib. I.

CONTI (Armand de Bourbon, prince de), frère du grand Condé[128],
destiné d’abord pour l’état ecclésiastique, dans un temps où le préjugé
rendait encore la dignité de cardinal supérieure à celle d’un prince du
sang de France. Ce fut lui qui eut le malheur d’être généralissime de
la fronde contre la cour et même contre son frère. Il fut depuis dévot
et janséniste. Nous avons de lui _le Devoir des grands_. Il écrivit
sur la grace contre le jésuite De Champs, son ancien préfet[129]. Il
écrivit aussi contre la comédie; il eût peut-être mieux fait d’écrire
contre la guerre civile. _Cinna_ et _Polyeucte_ étaient aussi utiles
et aussi respectables que la guerre des portes cochères et des pots de
chambre était injuste et ridicule.

CORDEMOI (Géraud de), né à Paris. Il a le premier débrouillé le
chaos des deux premières races des rois de France; on doit cette
utile entreprise au duc de Montausier, qui chargea Cordemoi de faire
l’histoire de Charlemagne, pour l’éducation de Monseigneur. Il ne
trouva guère dans les anciens auteurs que des absurdités et des
contradictions. La difficulté l’encouragea, et il débrouilla les deux
premières races. Mort en 1684.

CORNEILLE (Pierre), né à Rouen, en 1606. Quoiqu’on ne représente plus
que six ou sept pièces de trente-trois qu’il a composées, il sera
toujours le père du théâtre. Il est le premier qui ait élevé le génie
de la nation, et cela demande grace pour environ vingt de ses pièces
qui sont, à quelques endroits près, ce que nous avons de plus mauvais
par le style, par la froideur de l’intrigue, par les amours déplacés
et insipides, et par un entassement de raisonnements alambiqués qui
sont l’opposé du tragique. Mais on ne juge d’un grand homme que par
ses chefs-d’œuvre, et non par ses fautes. On dit que sa traduction de
l’_Imitation de Jésus-Christ_ a été imprimée trente-deux fois: il est
aussi difficile de le croire que de la lire une seule. Il reçut une
gratification du roi dans sa dernière maladie. Mort en 1684.

On a imprimé dans plusieurs recueils d’anecdotes qu’il avait sa place
marquée toutes les fois qu’il allait au spectacle, qu’on se levait pour
lui, qu’on battait des mains. Malheureusement les hommes ne rendent
pas tant de justice. Le fait est que les comédiens du roi refusèrent
de jouer ses dernières pièces, et qu’il fut obligé de les donner à une
autre troupe[130].

CORNEILLE (Thomas), né à Rouen, en 1625, homme qui aurait eu une grande
réputation, s’il n’avait point eu de frère. On a de lui trente-quatre
pièces de théâtre. Mort pauvre, en 1709.

COURTILZ DE SANDRAS (Gatien de), né à Paris, en 1644. On ne place
ici son nom que pour avertir les Français, et surtout les étrangers,
combien ils doivent se défier de tous ces faux Mémoires imprimés en
Hollande. Courtilz fut un des plus coupables écrivains de ce genre. Il
inonda l’Europe de fictions sous le nom d’histoires. Il était bien
honteux qu’un capitaine du régiment de Champagne allât en Hollande
vendre des mensonges aux libraires. Lui et ses imitateurs qui ont écrit
tant de libelles contre leur propre patrie, contre de bons princes qui
dédaignent de se venger, et contre des citoyens qui ne le peuvent, ont
mérité l’exécration publique. Il a composé _la Conduite de la France
depuis la paix de Nimègue_, et _la Réponse_ au même livre; _l’État de
la France sous Louis XIII et sous Louis XIV_; _la Conduite de Mars dans
les guerres de Hollande_; _les Conquêtes amoureuses du grand Alcandre_;
_les Intrigues amoureuses de la France_; _la Vie de Turenne_; _celle
de l’amiral Coligni_; _les Mémoires de Rochefort_, _d’Artagnan_, _de
Montbrun_, _de Vordac_[131], _de la marquise de Fresne_; _le Testament
politique de Colbert_, et beaucoup d’autres ouvrages qui ont amusé et
trompé les ignorants. Il a été imité par les auteurs de ces misérables
brochures contre la France, _le Glaneur_[132], _l’Épilogueur_, et tant
d’autres bêtises périodiques que la faim a inspirées, que la sottise et
le mensonge ont dictées, à peine lues de la canaille. Mort à Paris, en
1712.

COUSIN (Louis), né à Paris, en 1627, président à la cour des monnaies.
Personne n’a plus ouvert que lui les sources de l’histoire. Ses
traductions de la collection Bysantine et d’Eusèbe de Césarée ont mis
tout le monde en état de juger du vrai et du faux, et de connaître
avec quels préjugés et quel esprit de parti l’histoire a été presque
toujours écrite. On lui doit beaucoup de traductions d’historiens
grecs, que lui seul a fait connaître. Mort en 1707.

CRÉBILLON (Prosper Jolyot de), né à Dijon, en 1674. Nous ignorons
si un procureur, nommée Prieur, le fit poëte, comme il est dit dans
le _Dictionnaire historique portatif_, en quatre volumes[133]. Nous
croyons que le génie y eut plus de part que le procureur. Nous ne
croyons pas que l’anecdote rapportée dans le même ouvrage contre son
fils soit vraie. On ne peut trop se défier de tous ces petits contes.
Il faut ranger Crébillon parmi les génies qui illustrèrent le siècle
de Louis XIV, puisque sa tragédie de _Rhadamiste_, la meilleure de ses
pièces, fut jouée en 1710[134]. Si Despréaux, qui se mourait alors,
trouva cette tragédie plus mauvaise que celle de Pradon[135], c’est
qu’il était dans un âge et dans un état où l’on n’est sensible qu’aux
défauts, et insensible aux beautés. Mort à quatre-vingt-huit ans, en
1762[136].

DACIER (André), né à Castres, en 1651, calviniste comme sa femme,
et devenu catholique comme elle, garde des livres du cabinet du roi
à Paris, charge qui ne subsiste plus. Homme plus savant qu’écrivain
élégant, mais à jamais utile par ses traductions et par quelques unes
de ses notes. Mort au Louvre, en 1722. Nous devons à madame Dacier la
traduction d’Homère la plus fidèle par le style, quoiqu’elle manque
de force, et la plus instructive par les notes, quoiqu’on y desire
la finesse du goût. On remarque surtout qu’elle n’a jamais senti que
ce qui devait plaire aux Grecs dans des temps grossiers, et ce qu’on
respectait déjà comme ancien dans des temps postérieurs plus éclairés,
aurait pu déplaire s’il avait été écrit du temps de Platon et de
Démosthène; mais enfin nulle femme n’a jamais rendu plus de services
aux lettres. Madame Dacier est un des prodiges du siècle de Louis XIV.

DACIER (Anne Lefèvre, madame), née calviniste à Saumur, en 1651,
illustre par sa science. Le duc de Montausier la fit travailler à l’un
de ces livres qu’on nomme _Dauphins_, pour l’éducation de Monseigneur.
Le _Florus_ avec des notes latines est d’elle. Ses traductions de
_Térence_ et d’_Homère_ lui font un honneur immortel. On ne pouvait lui
reprocher que trop d’admiration pour tout ce qu’elle avait traduit. La
Motte ne l’attaqua qu’avec de l’esprit, et elle ne combattit qu’avec de
l’érudition. Morte en 1720, au Louvre.

D’AGUESSEAU[137] (Henri-François), chancelier, le plus savant magistrat
que jamais la France ait eu, possédant la moitié des langues modernes
de l’Europe, outre le latin, le grec, et un peu d’hébreu; très
instruit dans l’histoire, profond dans la jurisprudence, et, ce qui
est plus rare, éloquent. Il fut le premier au barreau qui parla avec
force et pureté à-la-fois; avant lui on fesait des phrases. Il conçut
le projet de réformer les lois, mais il ne put faire que quatre ou cinq
ordonnances utiles. Un seul homme ne peut suffire à ce travail immense
que Louis XIV avait entrepris avec le secours d’un grand nombre de
magistrats. Mort en 1750.

DANCHET (Antoine), né à Riom, en 1671, a réussi à l’aide du musicien
dans quelques opéra, qui sont moins mauvais que ses tragédies. Son
prologue des Jeux séculaires au-devant d’_Hésione_ passe même pour un
très bon ouvrage, et peut être comparé à celui d’_Amadis_. On a retenu
ces beaux vers imités d’Horace:

          Père des saisons et des jours,
    Fais naître en ces climats un siècle mémorable.
    Puisse à ses ennemis ce peuple redoutable
    Être à jamais heureux, et triompher toujours!
    Nous avons à nos lois asservi la victoire;
    Aussi loin que tes feux nous portons notre gloire.
    Fais dans tout l’univers craindre notre pouvoir.
          Toi, qui vois tout ce qui respire,
          Soleil, puisses-tu ne rien voir
          De si puissant que cet empire!

C’est dans ce prologue qu’on trouve les ariettes qui servirent depuis
de canevas au poëte Rousseau pour composer les couplets effrénés
qui causèrent sa disgrace. Les couplets originaux de Danchet valent
peut-être mieux que les parodies de Rousseau. Voici surtout celui de
Danchet qu’on a le plus retenu:

    Que l’amant qui devient heureux
    En devienne encor plus fidèle!
    Que toujours dans les mêmes nœuds
    Il trouve une douceur nouvelle!
    Que les soupirs et les langueurs
    Puissent seuls fléchir les rigueurs
    De la beauté la plus sévère!
    Que l’amant comblé de faveurs
    Sache les goûter et les taire!

Mort en 1748.

DANCOURT (Florent Carton), avocat, né à Fontainebleau, en 1661, aima
mieux se livrer au théâtre qu’au barreau. Ce que Regnard était à
l’égard de Molière dans la haute comédie, le comédien Dancourt l’était
dans la farce. Beaucoup de ses pièces attirent encore un assez grand
concours; elles sont gaies; le dialogue en est naïf. La quantité de
pièces qu’on a faites dans ce genre facile est immense; elles sont plus
du goût du peuple que des esprits délicats; mais l’amusement est un des
besoins de l’homme, et cette espèce de comédie, aisée à représenter,
plaît dans Paris et dans les provinces au grand nombre, qui n’est pas
susceptible de plaisirs plus relevés. Mort en 1726.

DANET (Pierre), l’un de ces hommes qui ont été plus utiles qu’ils
n’ont eu de réputation. Ses Dictionnaires de la langue latine et
des antiquités furent au nombre de ces livres mémorables faits pour
l’éducation du dauphin, Monseigneur, et qui, s’ils ne firent pas de ce
prince un savant homme, contribuèrent beaucoup à éclairer la France.
Mort en 1709.

DANGEAU (Louis de Courcillon, abbé de), né en 1643, excellent
académicien[138]. Mort en 1723.

DANIEL (Gabriel), jésuite, historiographe de France, né à Rouen, en
1649, a rectifié les fautes de Mézerai sur la première et seconde race.
On lui a reproché que sa diction n’est pas toujours pure, que son style
est trop faible, qu’il n’intéresse pas, qu’il n’est pas peintre, qu’il
n’a pas assez fait connaître les usages, les mœurs, les lois; que son
histoire est un long détail d’opérations de guerre dans lesquelles un
historien de son état se trompe presque toujours. Mort en 1728.

Le comte de Boulainvilliers dit, dans ses Mémoires sur le gouvernement
de France, qu’on peut reprocher à Daniel dix mille erreurs: c’est
beaucoup; mais heureusement la plupart de ces erreurs sont aussi
indifférentes que les vérités qu’il aurait mises à la place; car
qu’importe que ce soit l’aile gauche ou l’aile droite qui ait plié à
la bataille de Montlhéri? Qu’importe par quel endroit Louis-le-Gros
entra dans les masures du Puiset[139]? Un citoyen veut savoir par
quels degrés le gouvernement a changé de forme, quels ont été les
droits et les usurpations des différents corps, ce qu’ont fait les
états-généraux, quel a été l’esprit de la nation. Le grand défaut de
Daniel est de n’avoir pas été instruit des droits de la nation, ou
de les avoir dissimulés. Il a omis entièrement les célèbres états de
1355. Il n’a parlé des papes, et surtout du grand et bon roi Henri IV,
qu’en jésuite; nulle connaissance des finances, nulle de l’intérieur du
royaume ni des mœurs.

Il prétend dans sa préface, et[140] le président Hénault a dit
après lui, que les premiers temps de l’histoire de France sont plus
intéressants que ceux de Rome, parceque Clovis et Dagobert avaient
plus de terrain que Romulus et Tarquin. Il ne s’est pas aperçu que les
faibles commencements de tout ce qui est grand intéressent toujours les
hommes; on aime à voir la petite origine d’un peuple dont la France
n’était qu’une province, et qui étendit son empire jusqu’à l’Elbe,
l’Euphrate et le Niger. Il faut avouer que notre histoire et celle des
autres peuples, depuis le cinquième siècle de l’ère vulgaire jusqu’au
quinzième, n’est qu’un chaos d’aventures barbares, sous des noms
barbares.

D’ARGONNE (Noël), né à Paris, en 1634, chartreux à Gaillon. C’est le
seul chartreux qui ait cultivé la littérature. Ses _Mélanges_, sous le
nom de _Vigneul de Marville_, sont remplis d’anecdotes curieuses et
hasardées. Mort en 1704.

DELISLE (Guillaume), né à Paris, en 1675, a réformé la géographie, qui
aura long-temps besoin d’être perfectionnée. C’est lui qui a changé
toute la position de notre hémisphère en longitude. Il a enseigné
à Louis XV la géographie, et n’a point fait de meilleur élève. Ce
monarque a composé[141], après la mort de son maître, un _Traité du
cours de tous les fleuves_. Guillaume Delisle est le premier qui ait eu
le titre de premier géographe du roi. Mort en 1726.

DESCARTES (René), né en Touraine, en 1596, fils d’un conseiller au
parlement de Bretagne, le plus grand mathématicien de son temps, mais
le philosophe qui connut moins la nature, si on le compare à ceux
qui l’ont suivi. Il passa presque toute sa vie hors de France, pour
philosopher en liberté, à l’exemple de Saumaise qui avait pris ce
parti. On a remarqué qu’il avait un frère aîné, conseiller au parlement
de Bretagne, qui le méprisait beaucoup, et qui disait qu’il était
indigne du frère d’un conseiller de s’abaisser à être mathématicien.
Ayant cherché le repos dans des solitudes en Hollande, il ne l’y
trouva pas. Un nommé Voët, et un nommé Shockius, deux professeurs du
galimatias scolastique qu’on enseignait encore, intentèrent contre
lui cette ridicule accusation d’athéisme dont les écrivains méprisés
ont toujours chargé les philosophes. En vain Descartes avait épuisé
son génie à rassembler les preuves de la Divinité, et à en chercher
de nouvelles; ses infâmes ennemis le comparèrent à Vanini dans un
écrit public: ce n’est pas que Vanini eût été athée, le contraire est
démontré[142]; mais il avait été brûlé comme tel, et on ne pouvait
faire une comparaison plus odieuse. Descartes eut beaucoup de peine
à obtenir une très légère satisfaction par sentence de l’Académie
de Groningue. Ses _Méditations_, son _Discours sur la méthode_, sont
encore estimés; toute sa physique est tombée, parcequ’elle n’est
fondée ni sur la géométrie, ni sur l’expérience. Ses _Recherches sur
la dioptrique_, où l’on trouve la loi fondamentale de cette science
soupçonnée par Snellius, et des applications de cette loi, qui ne
pouvaient être que l’ouvrage d’un très grand géomètre; ses travaux sur
les lois du choc des corps, objet dont il a eu le premier l’idée de
s’occuper, seront toujours, malgré les erreurs qui lui sont échappées,
des monuments d’un génie extraordinaire; et le petit livre connu sous
le nom de _Géométrie_ de Descartes, lui assure la supériorité sur tous
les mathématiciens de son temps. Il a eu long-temps une si prodigieuse
réputation, que La Fontaine, ignorant à la vérité, mais écho de la voix
publique, a dit de lui:

    Descartes, ce mortel dont on eût fait un dieu
    Dans les siècles passés, et qui tient le milieu
    Entre l’homme et l’esprit, comme entre l’huître et l’homme
    Le tient tel de nos gens, franche bête de somme.

L’abbé Genest, dans le siècle présent, s’est donné la malheureuse peine
de mettre en vers français la physique de Descartes[143].

Ce n’est guère que depuis l’année 1730 qu’on a commencé à revenir en
France de toutes les erreurs de cette philosophie chimérique, quand
la géométrie et la physique expérimentale ont été plus cultivées. Le
sort de Descartes en physique a été celui de Ronsard en poésie. Mort à
Stockholm, en 1650.

DES BARREAUX (Jacques de La Vallée, seigneur) est connu des gens de
lettres et de goût par plusieurs petites pièces de vers agréables dans
le goût de Sarasin et de Chapelle. Il était conseiller au parlement.
On sait qu’ennuyé d’un procès dont il était rapporteur, il paya de son
argent ce que le demandeur exigeait, jeta le procès au feu, et se démit
de sa charge. Ses petites pièces de poésie sont encore entre les mains
des curieux; elles sont toutes assez hardies. La voix publique lui
attribua un sonnet aussi médiocre que fameux, qui finit par ces vers:

    Tonne, frappe, il est temps, rends-moi guerre pour guerre:
    J’adore en périssant la raison qui t’aigrit;
    Mais dessus quel endroit tombera ton tonnerre,
    Qui ne soit tout couvert du sang de Jésus-Christ?

Il est très faux que ce sonnet soit de Des Barreaux[144], il était très
fâché qu’on le lui imputât. Il est de l’abbé de Lavau, qui était alors
jeune et inconsidéré; j’en ai vu la preuve dans une lettre de Lavau à
l’abbé Servien. Des Barreaux est mort en 1673.

DES COUTURES (Le baron) traduisit en prose et commenta _Lucrèce_, vers
le milieu du règne de Louis XIV. Il pensait comme ce philosophe sur la
plupart des premiers principes des choses[145]; il croyait la matière
éternelle, à l’exemple de tous les anciens. La religion chrétienne a
seule combattu cette opinion.

DESHOULIÈRES (Antoinette du Ligier de La Garde). De toutes les dames
françaises qui ont cultivé la poésie, c’est celle qui a le plus réussi,
puisque c’est celle dont on a retenu le plus de vers. C’est dommage
qu’elle soit l’auteur du mauvais sonnet contre l’admirable _Phèdre_
de Racine. Ce sonnet ne fut bien reçu du public que parcequ’il était
satirique. N’est-ce pas assez que les femmes soient jalouses en
amour? faut-il encore qu’elles le soient en belles-lettres? Une femme
satirique ressemble à Méduse et à Scylla, deux beautés changées en
monstres. Morte en 1694.

DESLYONS (Jean), né à Pontoise, en 1616, docteur de Sorbonne, homme
singulier, auteur de plusieurs ouvrages polémiques. Il voulut prouver
que les réjouissances à la fête des rois sont des profanations, et que
le monde allait bientôt finir. Mort en 1700.

DESMARETS DE SAINT-SORLIN (Jean), né à Paris, en 1595. Il travailla
beaucoup à la tragédie de _Mirame_ du cardinal de Richelieu. Sa
comédie des _Visionnaires_ passa pour un chef-d’œuvre, mais c’est
que Molière n’avait pas encore paru. Il fut contrôleur-général de
l’extraordinaire des guerres et secrétaire de la marine du Levant. Sur
la fin de sa vie, il fut plus connu par son fanatisme[146] que par ses
ouvrages. Mort en 1676.

DESTOUCHES (Philippe Néricault), né à Tours, en 1680, avait été
comédien dans sa jeunesse. Après avoir fait plusieurs comédies, il
fut chargé long-temps des affaires de France en Angleterre; et ayant
rempli ce ministère avec succès, il se remit à faire des comédies.
On ne trouve pas dans ses pièces la force et la gaîté de Regnard,
encore moins ces peintures du cœur humain, ce naturel, cette vraie
plaisanterie, cet excellent comique, qui fait le mérite de l’inimitable
Molière; mais il n’a pas laissé de se faire de la réputation après eux.
On a de lui quelques pièces qui ont eu du succès, quoique le comique en
soit un peu forcé. Il a du moins évité le genre de la comédie qui n’est
que langoureuse, de cette espèce de tragédie bourgeoise, qui n’est ni
tragique, ni comique, monstre né de l’impuissance des auteurs et de la
satiété du public après les beaux jours du siècle de Louis XIV[147]. Sa
comédie du _Glorieux_ est son meilleur ouvrage[148], et probablement
restera au théâtre, quoique le personnage du _Glorieux_ soit, dit-on,
manqué; mais les autres caractères paraissent traités supérieurement.
Mort en 1754.

D’HOSIER (Pierre), né à Marseille, en 1592, fils d’un avocat. Il fut
le premier qui débrouilla les généalogies, et qui en fit une science.
Louis XIII le fit gentilhomme servant, maître d’hôtel, et gentilhomme
ordinaire de sa chambre. Louis XIV lui donna un brevet de conseiller
d’état. De véritablement grands hommes ont été bien moins récompensés;
leurs travaux n’étaient pas si nécessaires à la vanité humaine[149].
Mort en 1660.

D’OLIVET (Joseph Thoulier), abbé, conseiller d’honneur de la chambre
des comptes de Dôle, de l’académie française, né à Salins, en 1682;
célèbre dans la littérature par son _Histoire de l’Académie_, lorsqu’on
désespérait d’en avoir jamais une qui égalât celle de Pellisson. Nous
lui devons les traductions les plus élégantes et les plus fidèles des
ouvrages philosophiques de Cicéron, enrichies de remarques judicieuses.
Toutes les œuvres de Cicéron, imprimées par ses soins et ornées de ses
remarques, sont un beau monument qui prouve que la lecture des anciens
n’est point abandonnée dans ce siècle. Il a parlé sa langue avec la
même pureté que Cicéron parlait la sienne, et il a rendu service à la
grammaire française par les observations les plus fines et les plus
exactes. On lui doit aussi l’édition du livre de _la Faiblesse de
l’Esprit humain_, composé par l’évêque d’Avranches, Huet, lorsqu’une
longue expérience l’eut fait enfin revenir des absurdes futilités
de l’école, et du fatras des recherches des siècles barbares. Les
jésuites, auteurs du _Journal de Trévoux_[150], se déchaînèrent contre
l’abbé d’Olivet, et soutinrent que l’ouvrage n’était pas de l’évêque
Huet, sur le seul prétexte qu’il ne convenait pas à un ancien prélat de
Normandie d’avouer que la scolastique est ridicule, et que les légendes
ressemblent aux quatre fils Aimon, comme s’il était nécessaire, pour
l’édification publique, qu’un évêque normand fût imbécile. C’est ainsi
à peu près qu’ils avaient soutenu que les Mémoires du cardinal de Retz
n’étaient pas de ce cardinal. L’abbé d’Olivet leur répondit, et sa
meilleure réponse fut de montrer à l’académie l’ouvrage de l’ancien
évêque d’Avranches, écrit de la main de l’auteur. Son âge et son mérite
sont notre excuse de l’avoir placé, ainsi que le président Hénault,
dans une liste où nous nous étions fait une loi de ne parler que des
morts[151].

DOMAT (Jean), célèbre jurisconsulte. Son livre des _Lois civiles_ a eu
beaucoup d’approbation. Mort en 1696.

DORLÉANS (Pierre-Joseph), jésuite, le premier qui ait choisi dans
l’histoire les révolutions pour son seul objet. Celles d’Angleterre
qu’il écrivit sont d’un style éloquent; mais depuis le règne de Henri
VIII il est plus disert que fidèle. Mort en 1698.

DOUJAT (Jean), né à Toulouse, en 1609, jurisconsulte et homme de
lettres. Il fesait tous les ans un enfant à sa femme, et un livre.
On en dit autant de Tiraqueau. Le _Journal des Savants_ l’appelle
_grand homme_; il ne faut pas prodiguer ce titre. Mort en 1688, à
soixante-dix-neuf ans.

DUBOIS (Gérard), né à Orléans, en 1629, de l’Oratoire. Il a fait
l’_Histoire de l’Église de Paris_. Mort en 1696.

DUBOS (L’abbé). Son _Histoire de la ligue de Cambrai_ est profonde,
politique, intéressante; elle fait connaître les usages et les mœurs
du temps, et est un modèle en ce genre. Tous les artistes lisent avec
fruit ses _Réflexions sur la poésie, la peinture et la musique_. C’est
le livre le plus utile qu’on ait jamais écrit sur ces matières chez
aucune des nations de l’Europe. Ce qui fait la bonté de cet ouvrage,
c’est qu’il n’y a que peu d’erreurs et beaucoup de réflexions vraies,
nouvelles et profondes. Ce n’est pas un livre méthodique; mais l’auteur
pense, et fait penser. Il ne savait pourtant pas la musique; il n’avait
jamais pu faire de vers, et n’avait pas un tableau; mais il avait
beaucoup lu, vu, entendu et réfléchi[152]. Il publia, pendant la guerre
de la succession, un ouvrage intitulé _les Intérêts de l’Angleterre
mal entendus dans la guerre présente_[153]. Il y prédit la séparation
des colonies anglaises, comme la suite nécessaire de la destruction
de la puissance française dans l’Amérique septentrionale, du besoin
qu’aurait l’Angleterre d’imposer des taxes sur ses colonies, et du
refus qu’elles feraient de se soumettre à ces taxes. Mort en 1712.

DUCANGE (Charles Dufresne), né à Amiens, en 1610. On sait combien ses
deux _Glossaires_ sont utiles pour l’intelligence de tous les usages du
Bas-Empire et des siècles suivants. On est effrayé de l’immensité de
ses connaissances et de ses travaux. De pareils hommes méritent notre
éternelle reconnaissance, après ceux qui ont fait servir leur génie à
nos plaisirs. Il fut un de ceux que Louis XIV récompensa. Mort en 1688.

DUCERCEAU (Jean-Antoine), né en 1670, jésuite. On trouve dans ses
poésies françaises, qui sont du genre médiocre, quelques vers naïfs
et heureux. Il a mêlé à la langue épurée de son siècle le langage
marotique, qui énerve la poésie par sa malheureuse facilité, et qui
gâte la langue de nos jours par des mots et des tours surannés. Mort en
1730.

DU CHATELET (madame). Voyez BRETEUIL.

DUCHÉ DE VANCI (Joseph-François), valet de chambre de Louis XIV, fit
pour la cour quelques tragédies tirées de l’_Écriture_, à l’exemple
de Racine, non avec le même succès. L’opéra d’_Iphigénie en Tauride_
est son meilleur ouvrage. Il est dans le grand goût; et, quoique ce ne
soit qu’un opéra, il retrace une grande idée de ce que les tragédies
grecques avaient de meilleur. Ce goût n’a pas subsisté long-temps; même
bientôt après on s’est réduit aux simples ballets, composés d’actes
détachés, faits uniquement pour amener des danses; ainsi l’opéra même
a dégénéré dans le temps que presque tout le reste tombait dans la
décadence.

Madame de Maintenon fit la fortune de cet auteur: elle le recommanda si
fortement à M. de Pontchartrain, secrétaire d’état, que ce ministre,
prenant Duché pour un homme considérable, alla lui rendre visite.
Duché, homme alors très obscur, voyant entrer chez lui un secrétaire
d’état, crut qu’on allait le conduire à la Bastille. Mort en 1704.

DUCHESNE (André), né en Touraine, en 1584; historiographe du roi,
auteur de beaucoup d’histoires et de recherches généalogiques. On
l’appelait _le Père de l’Histoire de France_. Mort en 1640.

DUFRESNOI (Charles-Alfonse), né à Paris en 1611, peintre et poëte.
Son poëme _de la Peinture_ a réussi auprès de ceux qui peuvent lire
d’autres vers latins que ceux du siècle d’Auguste. Mort en 1665.

DUFRESNY (Charles Rivière), né à Paris en 1648. Il passait pour
petit-fils de Henri IV, et lui ressemblait. Son père avait été valet de
garde-robe de Louis XIII, et le fils l’était de Louis XIV, qui lui fit
toujours du bien, malgré son dérangement, mais qui ne put l’empêcher de
mourir pauvre. Avec beaucoup d’esprit et plus d’un talent, il ne put
jamais rien faire de régulier. On a de lui beaucoup de comédies, et il
n’y en a guère où l’on ne trouve des scènes jolies et singulières. Mort
en 1724.

DU GUAI-TROUIN (René), né à Saint-Malo en 1673, d’armateur devenu
lieutenant-général des armées navales, l’un des plus grands hommes en
son genre, a donné des _Mémoires_[154] écrits du style d’un soldat, et
propres à exciter l’émulation chez ses compatriotes. Mort en 1736.

DUGUET (Jacques-Joseph), né en Forez en 1649; l’une des meilleures
plumes du parti janséniste. Son livre de l’_Éducation d’un roi_ n’a
point été fait pour le roi de Sardaigne, comme on l’a dit, et il a
été achevé par une autre main[155]. Le style de Duguet est formé sur
celui des bons écrivains de Port-Royal. Il aurait pu comme eux rendre
de grands services aux lettres; trois volumes sur vingt-cinq chapitres
d’_Isaïe_ prouvent qu’il n’était avare ni de son temps ni de sa plume.
Mort en 1733.

DUHALDE (Jean-Baptiste), jésuite, quoiqu’il ne soit point sorti de
Paris, et qu’il n’ait point su le chinois, a donné sur les Mémoires de
ses confrères la plus ample et la meilleure description de l’empire de
la Chine[156] qu’on ait dans le monde. Mort en 1743.

L’insatiable curiosité que nous avons de connaître à fond la religion,
les lois, les mœurs des Chinois, n’est point encore satisfaite: un
bourgmestre de Middelbourg, nommé _Hudde_[157], homme très riche,
guidé par cette seule curiosité, alla à la Chine vers l’an 1700.
Il employa une grande partie de son bien à s’instruire de tout. Il
apprit si parfaitement la langue, qu’on le prenait pour un Chinois.
Heureusement pour lui la forme de son visage ne le trahissait pas.
Enfin il sut parvenir au grade de mandarin; il parcourut toutes les
provinces en cette qualité, et revint ensuite en Europe avec un
recueil de trente années d’observations; elles ont été perdues dans
un naufrage: c’est peut-être la plus grande perte qu’ait faite la
république des lettres.

DUHAMEL (Jean-Baptiste), de Normandie, né en 1624, secrétaire de
l’académie des sciences. Quoique philosophe, il était théologien. La
philosophie, qui s’est perfectionnée depuis lui, a nui à ses ouvrages,
mais son nom a subsisté. Mort en 1706.

DUMARSAIS (César Chesneau), né à Marseille en 1676. Personne n’a
connu mieux que lui la métaphysique de la grammaire; personne n’a
plus approfondi les principes des langues. Son livre des _Tropes_ est
devenu insensiblement nécessaire, et tout ce qu’il a écrit sur la
grammaire mérite d’être étudié. Il y a dans le grand _Dictionnaire
encyclopédique_ beaucoup d’articles de lui, qui sont d’une grande
utilité. Il était du nombre de ces philosophes obscurs dont Paris est
plein, qui jugent sainement de tout, qui vivent entre eux dans la paix
et dans la communication de la raison, ignorés des grands, et très
redoutés de ces charlatans en tout genre qui veulent dominer sur les
esprits. La foule de ces hommes sages est une suite de l’esprit du
siècle. Mort en 1756.

DUPIN (Louis Ellies), né en 1657, docteur de Sorbonne. Sa _Bibliothèque
des auteurs ecclésiastiques_ lui a fait beaucoup de réputation et
quelques ennemis. Mort en 1719.

DUPLEIX (Scipion), de Condom, quoique né en 1569, peut être compté
dans le siècle de Louis XIV, ayant encore vécu sous son règne. Il est
le premier historien qui ait cité en marge ses autorités, précaution
absolument nécessaire quand on n’écrit pas l’histoire de son temps,
à moins qu’on ne s’en tienne aux faits connus. On ne lit plus son
_Histoire de France_, parceque depuis lui on a mieux fait et mieux
écrit. Mort en 1661.

DUPUY (Pierre), fils de Claude Dupuy, conseiller au parlement, très
savant homme, naquit en 1583. La science de Pierre Dupuy fut utile à
l’état. Il travailla plus que personne à l’inventaire des chartes, et
aux recherches des droits du roi sur plusieurs états. Il débrouilla,
autant qu’on le peut, la _loi Salique_, et défendit les libertés de
l’Église gallicane, en prouvant qu’elles ne sont qu’une partie des
anciens droits des anciennes Églises. Il résulte de son _Histoire des
Templiers_ qu’il y avait quelques coupables dans cet ordre, mais que
la condamnation de l’ordre entier et le supplice de tant de chevaliers
furent une des plus horribles injustices qu’on ait jamais commises.
Mort en 1651.

DURYER (André), gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, long-temps
employé à Constantinople et en Égypte. Nous avons de lui la traduction
de _l’Alcoran_ et de l’_Histoire de Perse_[158].

DURYER (Pierre), né à Paris en 1605, secrétaire du roi, historiographe
de France, pauvre malgré ses charges. Il fit dix-neuf pièces de
théâtre, et treize traductions, qui furent toutes bien reçues de son
temps: mort en 1658.

ESPRIT (Jacques), né à Béziers en 1611, auteur du livre _de la Fausseté
des vertus humaines_, qui n’est qu’un commentaire du duc de La
Rochefoucauld. Le chancelier Séguier, qui goûta sa littérature, lui fit
avoir un brevet de conseiller d’état. Mort en 1678.

ESTRADES (Godefroi, maréchal d’). Ses _Lettres_[159] sont aussi
estimées que celles du cardinal d’Ossat; et c’est une chose
particulière aux Français, que de simples dépêches aient été souvent
d’excellents ouvrages. Mort en 1686.

FÉLIBIEN (André), né à Chartres en 1619. Il est le premier qui, dans
les inscriptions de l’hôtel-de-ville, ait donné à Louis XIV le nom de
_Grand_. Ses _Entretiens sur la vie des peintres_ sont l’ouvrage qui
lui a fait le plus d’honneur. Il est élégant, profond, et il respire
le goût: mais il dit trop peu de choses en trop de paroles, et est
absolument sans méthode. Mort en 1695.

FÉNÉLON (François de Salignac de La Mothe), archevêque de Cambrai, né
en Périgord en 1651. On a de lui cinquante-cinq ouvrages différents.
Tous partent d’un cœur plein de vertu, mais son _Télémaque_ l’inspire.
Il a été vainement blâmé par Gueudeville, et par l’abbé Faydit[160].
Mort à Cambrai en 1715.

Après la mort de Fénélon, Louis XIV brûla lui-même tous les manuscrits
que le duc de Bourgogne avait conservés de son précepteur. Ramsay,
élève de ce célèbre archevêque, m’a écrit ces mots: «S’il était né
en Angleterre, il aurait développé son génie, et donné l’essor sans
crainte à ses principes, que personne n’a connus.»

FERRAND (Antoine), conseiller de la cour des aides. On a de lui de très
jolis vers. Il joutait avec Rousseau dans l’épigramme et le madrigal.
Voici dans quel goût Ferrand écrivait:

    D’amour et de mélancolie
    Célemnus enfin consumé,
    En fontaine fut transformé;
    Et qui boit de ses eaux oublie
    Jusqu’au nom de l’objet aimé.
    Pour mieux oublier Égérie,
    J’y courus hier vainement;
    A force de changer d’amant,
    L’infidèle l’avait tarie.

On voit que Ferrand mettait plus de naturel, de grâce, et de
délicatesse, dans ses sujets galants, et Rousseau plus de force et de
recherche dans des sujets de débauche. Mort en 1719.

FEUQUIÈRES (Antoine de Pas, marquis de), né à Paris en 1648. Officier
consommé dans l’art de la guerre, et excellent guide s’il est critique
trop sévère. Mort en 1711.

FLÉCHIER (Esprit), du comtat d’Avignon, né en 1632, évêque de Lavaur et
puis de Nîmes; poëte français et latin, historien, prédicateur, mais
connu surtout par ses belles oraisons funèbres[161]. Son _Histoire
de Théodose_ a été faite pour l’éducation de Monseigneur. Le duc de
Montausier avait engagé les meilleurs esprits de France à travailler,
par de bons ouvrages, à cette éducation. Mort en 1710.

FLEURY (Claude), né en 1640, sous-précepteur du duc de Bourgogne, et
confesseur de Louis XV son fils, vécut à la cour dans la solitude et
dans le travail. Son _Histoire de l’Église_ est la meilleure qu’on ait
jamais faite, et les discours préliminaires sont fort au-dessus de
l’histoire. Ils sont presque d’un philosophe, mais l’histoire n’en est
pas. Mort en 1723.

FONTAINE (Jean de La). _Voyez_ LA FONTAINE.

FONTENELLE (Bernard Le Bovier[162] de), né à Rouen le 11 février 1657.
On peut le regarder comme l’esprit le plus universel que le siècle
de Louis XIV ait produit. Il a ressemblé à ces terres heureusement
situées qui portent toutes les espèces de fruits. Il n’avait pas
vingt ans lorsqu’il fit une grande partie de la tragédie-opéra de
_Bellérophon_, et depuis il donna l’opéra de _Thétis et Pélée_, dans
lequel il imita beaucoup Quinault, et qui eut un grand succès. Celui
d’_Énée et Lavinie_ en eut moins. Il essaya ses forces au théâtre
tragique; il aida mademoiselle Bernard dans quelques pièces. Il en
composa deux, dont une fut jouée en 1680, et jamais imprimée[163].
Elle lui attira trop long-temps de très injustes reproches: car il
avait eu le mérite de reconnaître que, bien que son esprit s’étendît à
tout, il n’avait pas le talent de Pierre Corneille, son oncle, pour la
tragédie[164].

En 1686, il fit l’allégorie de _Méro_ et d’_Énégu_[165]; c’est Rome
et Genève. Cette plaisanterie si connue, jointe à l’_Histoire des
oracles_, excita depuis contre lui une persécution. Il en essuya une
moins dangereuse, et qui n’était que littéraire, pour avoir soutenu
qu’à plusieurs égards les modernes valaient bien les anciens. Racine
et Boileau, qui avaient pourtant intérêt que Fontenelle eût raison,
affectèrent de le mépriser, et lui fermèrent long-temps les portes de
l’académie. Ils firent contre lui des épigrammes; il en fit contre eux,
et ils furent toujours ses ennemis. Il fit beaucoup d’ouvrages légers,
dans lesquels on remarquait déjà cette finesse et cette profondeur qui
décèlent un homme supérieur à ses ouvrages mêmes. On remarqua dans ses
vers et dans ses _Dialogues des morts_ l’esprit de Voiture, mais plus
étendu et plus philosophique. Sa _Pluralité des mondes_ fut un ouvrage
unique en son genre[166]. Il sut faire, des _Oracles_ de Van-Dale,
un livre agréable. Les matières délicates auxquelles on touche dans
ce livre lui attirèrent des ennemis violents, auxquels il eut le
bonheur d’échapper. Il vit combien il est dangereux d’avoir raison
dans des choses où des hommes accrédités ont tort. Il se tourna vers
la géométrie et vers la physique avec autant de facilité qu’il avait
cultivé les arts d’agrément. Nommé secrétaire perpétuel de l’académie
des sciences, il exerça cet emploi pendant plus de quarante ans avec
un applaudissement universel. Son _Histoire de l’académie_ jette très
souvent une clarté lumineuse sur les mémoires les plus obscurs. Il fut
le premier qui porta cette élégance dans les sciences. Si quelquefois
il y répandit trop d’ornement, c’était de ces moissons abondantes dans
lesquelles les fleurs croissent naturellement avec les épis.

Cette _Histoire de l’académie des sciences_ serait aussi utile
qu’elle est bien faite, s’il n’avait eu à rendre compte que de vérités
découvertes: mais il fallait souvent qu’il expliquât des opinions
combattues les unes par les autres, et dont la plupart sont détruites.

Les éloges[167] qu’il prononça des académiciens morts ont le mérite
singulier de rendre les sciences respectables, et ont rendu tel leur
auteur. En vain l’abbé Desfontaines et d’autres gens de cette espèce
ont voulu obscurcir sa réputation; c’est le propre des grands hommes
d’avoir de méprisables ennemis. S’il fit imprimer depuis des comédies
froides, peu théâtrales, et une apologie des tourbillons de Descartes,
on a pardonné ces comédies en faveur de sa vieillesse, et son
cartésianisme, en faveur des anciennes opinions qui, dans sa jeunesse,
avaient été celles de l’Europe.

Enfin, on l’a regardé comme le premier des hommes dans l’art nouveau
de répandre de la lumière et des graces sur les sciences abstraites,
et il a eu du mérite dans tous les autres genres qu’il a traités. Tant
de talents ont été soutenus par la connaissance des langues et de
l’histoire; et il a été, sans contredit, au-dessus de tous les savants
qui n’ont pas eu le don de l’invention.

Son _Histoire des Oracles_, qui n’est qu’un abrégé très sage et
très modéré de la grande histoire de Van-Dale, lui fit une querelle
assez violente avec quelques jésuites compilateurs de la _Vie des
saints_[168], qui avaient précisément l’esprit des compilateurs. Ils
écrivirent à leur manière contre le sentiment raisonnable de Van-Dale
et de Fontenelle. Le philosophe de Paris ne répondit point[169]; mais
son ami, le savant Basnage, philosophe de Hollande, répondit, et le
livre des compilateurs ne fut pas lu. Plusieurs années après, le
jésuite Le Tellier, confesseur de Louis XIV, ce malheureux auteur de
toutes les querelles qui ont produit tant de mal et tant de ridicule
en France, déféra Fontenelle à Louis XIV, comme un athée, et rappela
l’allégorie de _Méro_ et d’_Énégu_. _Marc-René_ de Paulmi, marquis
d’Argenson, alors lieutenant de police, et depuis garde des sceaux,
écarta la persécution qui allait éclater contre Fontenelle, et ce
philosophe le fait assez entendre dans l’éloge du garde des sceaux
d’Argenson, prononcé dans l’académie des sciences. Cette anecdote est
plus curieuse que tout ce qu’a dit l’abbé Trublet de Fontenelle. Mort
le 9 janvier 1757, âgé de cent ans moins un mois et deux jours[170].

FORBIN (Claude, chevalier de), chef d’escadre en France, grand-amiral
du roi de Siam. Il a laissé des Mémoires curieux qu’on a rédigés, et
l’on peut juger entre lui et du Guai-Trouin. Mort en 1733.

FRAGUIER (Claude), né à Paris, en 1666, bon littérateur et plein de
goût. Il a mis la philosophie de Platon en bons vers latins. Il eût
mieux valu faire de bons vers français. On a de lui d’excellentes
dissertations dans le recueil utile de l’académie des belles-lettres.
Mort en 1728.

FURETIÈRE (Antoine), né en 1620, fameux par son Dictionnaire et par sa
querelle: mort en 1688.

GACON (François), né à Lyon, en 1667, mis par le P. Nicéron dans le
catalogue des hommes illustres, et qui n’a été fameux que par de
grossières plaisanteries, qu’on appelle _brevets de la calotte_. Ces
turpitudes ont pris leur source dans je ne sais quelle association
qu’on appelait _le régiment des fous et de la calotte_. Ce n’est pas
là assurément du bon goût. Les honnêtes gens ne voient qu’avec mépris
de tels ouvrages et leurs auteurs, qui ne peuvent être cités que pour
faire abhorrer leur exemple. Gacon n’écrivit presque que de mauvaises
satires en mauvais vers contre les auteurs les plus estimés de son
temps. Ceux qui n’en écrivent aujourd’hui qu’en mauvaise prose sont
encore plus méprisés que lui. On n’en parle ici que pour inspirer le
même mépris envers ceux qui pourraient l’imiter. Mort en 1725.

GALLAND (Antoine), né en Picardie, en 1646. Il apprit à Constantinople
les langues orientales, et traduisit une partie des _Contes arabes_,
qu’on connaît sous le titre de _Mille et une nuits_; il y mit beaucoup
du sien: c’est un des livres les plus connus en Europe; il est amusant
pour toutes les nations. Mort en 1715.

GALLOIS (L’abbé Jean), né à Paris, en 1632, savant universel, fut le
premier qui travailla au _Journal des savants_ avec le conseiller-clerc
Sallo, qui avait conçu l’idée de ce travail. Il enseigna depuis un peu
de latin au ministre d’état Colbert, qui, malgré ses occupations, crut
avoir assez de temps pour apprendre cette langue; il prenait surtout
ses leçons en carrosse dans ses voyages de Versailles à Paris. On
disait, avec vraisemblance, que c’était en vue d’être chancelier. On
peut observer que les deux hommes qui ont le plus protégé les lettres
ne savaient pas le latin, Louis XIV et M. Colbert. On prétend que
l’abbé Gallois disait: «M. Colbert veut quelquefois se familiariser
avec moi, mais je le repousse par le respect.» On attribue ce même mot
à Fontenelle à l’égard du régent: il est plus dans le caractère de
Fontenelle, et le régent avait dans le sien plus de familiarité que
Colbert. Mort en 1707.

GASSENDI (Pierre Gassend, plus connu sous le nom de), né en Provence,
en 1592, restaurateur d’une partie de la physique d’Épicure. Il sentit
la nécessité des atomes et du vide. Newton et d’autres ont démontré
depuis ce que Gassendi avait affirmé. Il eut moins de réputation que
Descartes, parcequ’il était plus raisonnable, et qu’il n’était pas
inventeur; mais on l’accusa, comme Descartes, d’athéisme. Quelques uns
crurent que celui qui admettait le vide, comme Épicure, niait un Dieu,
comme lui. C’est ainsi que raisonnent les calomniateurs. Gassendi en
Provence, où l’on n’était point jaloux de lui, était appelé le _saint
Prêtre_; à Paris, quelques envieux l’appelaient l’_athée_. Il est vrai
qu’il était sceptique, et que la philosophie lui avait appris à douter
de tout, mais non pas de l’existence d’un Être suprême[171]. Il avait
avancé long-temps avant Locke, dans une grande lettre à Descartes,
qu’on ne connaît point du tout l’ame, que Dieu peut accorder la pensée
à l’autre être inconnu qu’on nomme matière, et la lui conserver
éternellement. Mort en octobre 1655.

GÉDOIN (Nicolas), chanoine de la Sainte-Chapelle à Paris, auteur d’une
excellente traduction de Quintilien[172] et de Pausanias. Il était
entré chez les jésuites à l’âge de quinze ans, et en sortit dans un âge
mûr. Il était si passionné pour les bons auteurs de l’antiquité qu’il
aurait voulu qu’on eût pardonné à leur religion en faveur des beautés
de leurs ouvrages et de leur mythologie: il trouvait dans la fable une
philosophie naturelle, admirable, et des emblèmes frappants de toutes
les opérations de la Divinité. Il croyait que l’esprit de toutes les
nations s’était rétréci, et que la grande poésie et la grande éloquence
avaient disparu du monde avec la mythologie des Grecs. Le poëme de
Milton lui paraissait un poëme barbare et d’un fanatisme sombre et
dégoûtant, dans lequel le diable hurle sans cesse contre le Messie.
Il écrivit sur ce sujet quatre dissertations très curieuses: on croit
qu’elles seront bientôt imprimées[173]. Mort en 1744.

_N. B._ On a imprimé dans quelques dictionnaires que Ninon lui accorda
ses faveurs à quatre-vingts ans. En ce cas on aurait dû dire plutôt que
l’abbé Gédoin lui accorda les siennes; mais c’est un conte ridicule. Ce
fut à l’abbé de Châteauneuf que Ninon donna un rendez-vous pour le jour
auquel elle aurait soixante ans accomplis[174].

GENEST (Charles-Claude), né en 1635[175], aumônier de la duchesse
d’Orléans, philosophe et poëte. Sa tragédie de _Pénélope_ a encore du
succès sur le théâtre, et c’est la seule de ses pièces qui s’y soit
conservée. Elle est au rang de ces pièces écrites d’un style lâche et
prosaïque, que les situations font tolérer dans la représentation. Son
laborieux ouvrage _de la Philosophie de Descartes_, en rimes plutôt
qu’en vers, signala plus sa patience que son génie; et il n’eut guère
rien de commun avec Lucrèce que de versifier une philosophie erronée
presque en tout: il eut part aux bienfaits de Louis XIV. Mort en 1719.

GIRARD (l’abbé Gabriel), de l’académie. Son livre des _Synonymes_ est
très utile; il subsistera autant que la langue, et servira même à la
faire subsister. Mort fort vieux, en 1748.

GODEAU (Antoine), l’un de ceux qui servirent à l’établissement de
l’académie française, poëte, orateur, et historien. On sait que pour
faire un jeu de mots, le cardinal de Richelieu lui donna l’évêché de
Grasse pour le _Benedicite_ mis en vers. Son _Histoire ecclésiastique_
en prose fut plus estimée que son poëme sur les _Fastes de l’Église_.
Il se trompa en croyant égaler les Fastes d’Ovide: ni son sujet ni son
génie n’y pouvaient suffire. C’est une grande erreur de penser que les
sujets chrétiens puissent convenir à la poésie comme ceux du paganisme,
dont la mythologie aussi agréable que fausse animait toute la nature.
Mort en 1672.

GODEFROI (Théodore), fils de Denys Godefroi, Parisien; homme savant, né
à Genève, en 1580, historiographe de France sous Louis XIII et Louis
XIV. Il s’appliqua surtout aux titres et au cérémonial. Mort en 1648.

_N. B._ Son père, Denys, a rendu un service important à l’Europe par
son travail immense sur le _Corpus juris civilis_.

GODEFROI (Denys), son fils, né à Paris, en 1615, historiographe de
France, comme son père: mort en 1681. Toute cette famille a été
illustre dans la littérature.

GOMBAULD (Jean Ogier de), quoique né sous Charles IX[176], vécut
long-temps sous Louis XIV. Il y a de lui quelques bonnes épigrammes,
dont même on a retenu des vers. Mort en 1666.

GOMBERVILLE (Marin Le Roi de), né à Paris, en 1600, l’un des premiers
académiciens. Il écrivit de grands romans avant le temps du bon goût,
et sa réputation mourut avec lui. Mort en 1674.

GONDI (Jean-François-Paul de), cardinal de Retz[177], né en 1613, qui
vécut en Catilina dans sa jeunesse, et en Atticus dans sa vieillesse.
Plusieurs endroits de ses Mémoires sont dignes de Salluste; mais tout
n’est pas égal. Mort en 1679.

GOURVILLE, valet de chambre du duc de La Rochefoucauld, devenu son
ami et même celui du grand Condé; dans le même temps pendu à Paris en
effigie, et envoyé du roi en Allemagne; ensuite proposé pour succéder
au grand Colbert dans le ministère. Nous avons de lui des Mémoires de
sa vie, écrits avec naïveté, dans lesquels il parle de sa naissance
et de sa fortune avec indifférence. Il y a des anecdotes vraies et
curieuses. Né en 1625, mort en 1703.

GRÉCOURT, chanoine de Tours. Son poëme de _Philotanus_ eut un succès
prodigieux. Le mérite de ces sortes d’ouvrages n’est d’ordinaire que
dans le choix du sujet, et dans la malignité humaine. Ce n’est pas
qu’il n’y ait quelques vers bien faits dans ce poëme. Le commencement
en est très heureux; mais la suite n’y répond pas. Le diable n’y parle
pas aussi plaisamment qu’il est amené. Le style est bas, uniforme,
sans dialogue, sans graces, sans finesse, sans pureté de style, sans
imagination dans l’expression; et ce n’est enfin qu’une histoire
satirique de la bulle _Unigenitus_ en vers burlesques, parmi lesquels
il s’en trouve de très plaisants. Mort en 1743.

GUERET (Gabriel), né à Paris en 1641, connu dans son temps par son
_Parnasse réformé_, et par la _Guerre des auteurs_. Il avait du goût;
mais son discours, _Si l’empire de l’éloquence est plus grand que celui
de l’amour_, ne prouverait pas qu’il en eût. Il a fait le _Journal
du palais_, conjointement avec Blondeau: ce journal du palais est
un recueil des arrêts des parlements de France, jugements souvent
différents dans des causes semblables. Rien ne fait mieux voir combien
la jurisprudence a besoin d’être réformée, que cette nécessité où l’on
est de recueillir des arrêts. Mort en 1688.

HAMILTON (Antoine, comte d’), né à Caen[178]. On a de lui quelques
jolies poésies, et il est le premier qui ait fait des romans dans un
goût plaisant, qui n’est pas le burlesque de Scarron. Ses _Mémoires
du comte de Grammont_, son beau-frère, sont de tous les livres celui
où le fond le plus mince est paré du style le plus gai, le plus vif,
et le plus agréable. C’est le modèle d’une conversation enjouée, plus
que le modèle d’un livre. Son héros n’a guère d’autres rôles dans
ses mémoires que celui de friponner ses amis au jeu, d’être volé par
son valet de chambre, et de dire quelques prétendus bons mots sur les
aventures des autres.

HARDOUIN (Jean), jésuite, né à Quimper en 1646, profond dans l’histoire
et chimérique dans les sentiments. _Il faut s’enquérir_, dit Montaigne,
_non quel est le plus savant, mais le mieux savant_. Hardouin poussa la
bizarrerie jusqu’à prétendre que l’_Énéide_ et les Odes d’Horace ont
été composées par des moines du treizième siècle: il veut qu’Énée soit
Jésus-Christ, et Lalagé, la maîtresse d’Horace, la religion chrétienne.
Le même discernement qui fesait voir au père Hardouin le Messie dans
Énée, lui découvrait des athées dans les pères Thomassin, Quesnel,
Malebranche, dans Arnauld, dans Nicole, et Pascal[179]. Sa folie ôta à
sa calomnie toute son atrocité; mais tous ceux qui renouvellent cette
accusation d’athéisme contre des sages ne sont pas toujours reconnus
pour fous, et sont souvent très dangereux. On a vu des hommes abuser de
leur ministère, en employant ces armes contre lesquelles il n’y a point
de bouclier, pour perdre, sans ressource, des personnes respectables
auprès des princes trop peu instruits. Mort en 1729.

HECQUET (Philippe), médecin[180], mit au jour, en 1722, le système
raisonné de la _Trituration_, idée ingénieuse qui n’explique pas la
manière dont se fait la digestion. Les autres médecins y ont joint le
suc gastrique, et la chaleur des viscères; mais nul n’a pu découvrir le
secret de la nature, qui se cache dans toutes ses opérations.

HELVÉTIUS (Jean-Claude-Adrien), fameux médecin, qui a très bien écrit
sur l’économie animale et sur la fièvre. Mort en 1755. Il était père
d’un vrai philosophe qui renonça à la place de fermier-général pour
cultiver les lettres, et qui a eu le sort de plusieurs philosophes;
persécuté pour un livre et pour sa vertu[181].

HÉNAULT (Charles-Jean-François), président aux enquêtes du parlement,
surintendant de la maison de la reine, de l’académie française, né à
Paris le 8 février 1685. Nous avons déjà parlé de son livre utile de
l’Abrégé de l’Histoire de la France. Les recherches pénibles qu’une
telle étude doit avoir coûtées ne l’ont pas empêché de sacrifier aux
graces, et il a été du très petit nombre de savants qui ont joint
aux travaux utiles les agréments de la société qui ne s’acquièrent
point. Il a été dans l’histoire ce que Fontenelle a été dans la
philosophie. Il l’a rendue familière; aussi lui avons-nous rendu, comme
à Fontenelle, justice de son vivant[182]. Mort en 1770.

HESNAULT (Jean), connu par le sonnet de _l’Avorton_, par d’autres
pièces, et qui aurait une très grande réputation si les trois premiers
chants de sa traduction de _Lucrèce_, qui furent perdus, avaient paru
et avaient été écrits comme ce qui nous est resté du commencement de
cet ouvrage. Mort en 1682. Au reste, la postérité ne le confondra
pas avec un homme du même nom, et d’un mérite supérieur, à qui nous
devons la plus courte et la meilleure histoire de France, et peut-être
la seule manière dont il faudra désormais écrire toutes les grandes
histoires; car la multiplicité des faits et des écrits devient
si grande qu’il faudra bientôt tout réduire aux extraits et aux
dictionnaires: mais il sera difficile d’imiter l’auteur de l’_Abrégé
chronologique_, d’approfondir tant de choses, en paraissant les
effleurer.

HERBELOT (Barthélemi d’), né à Paris en 1625, le premier parmi les
Français qui connut bien les langues et les histoires orientales: peu
célèbre d’abord dans sa patrie; reçu par le grand-duc de Toscane,
Ferdinand II, avec une distinction qui apprit à la France à connaître
son mérite; rappelé ensuite et encouragé par Colbert qui encourageait
tout. Sa _Bibliothèque orientale_ est aussi curieuse que profonde. Mort
en 1695.

HERMANT (Godefroi), né à Beauvais en 1616. Il n’a fait que des ouvrages
polémiques qui s’anéantissent avec la dispute. Mort en 1690.

HERMANT (Jean), né à Caen en 1650, auteur de l’_Histoire des conciles,
des ordres religieux, des hérésies_. Cette _Histoire des hérésies_ ne
vaut pas celle de M. Pluquet[183]. Mort en 1725.

HUET (Pierre-Daniel), né à Caen en 1630, savant universel, et qui
conserva la même ardeur pour l’étude jusqu’à l’âge de quatre-vingt-onze
ans. Appelé auprès de la reine Christine, à Stockholm, il fut ensuite
un des hommes illustres qui contribuèrent à l’éducation du dauphin.
Jamais prince n’eut de pareils maîtres. Huet se fit prêtre à quarante
ans; il eut l’évêché d’Avranches, qu’il abdiqua ensuite pour se livrer
tout entier à l’étude dans la retraite. De tous ses livres, _le
Commerce et la Navigation des anciens_, et _l’Origine des Romans_,
sont le plus d’usage. Son _Traité sur la Faiblesse de l’esprit humain_
a fait beaucoup de bruit, et a paru démentir sa _Démonstration
évangélique_. Mort en 1721.

JACQUELOT (Isaac), né en Champagne en 1647, calviniste, pasteur à La
Haye, et ensuite à Berlin. Il a fait quelques ouvrages sur la religion.
Mort en 1708.

JOLI (Gui), conseiller au châtelet, secrétaire du cardinal de Retz, a
laissé des Mémoires qui sont à ceux du cardinal ce qu’est le domestique
au maître; mais il y a des particularités curieuses.

JOUVENCI (Joseph), jésuite, né à Paris en 1643. C’est encore un homme
qui a eu le mérite obscur d’écrire en latin aussi bien qu’on le puisse
de nos jours. Son livre _De ratione discendi et docendi_ est un des
meilleurs qu’on ait en ce genre, et des moins connus depuis Quintilien.
Il publia en 1710, à Rome, une partie de l’histoire de son ordre. Il
l’écrivit en jésuite, et en homme qui était à Rome[184]. Le parlement
de Paris, qui pense tout différemment de Rome et des jésuites, condamna
ce livre, dans lequel on justifiait le P. Guignard, condamné à être
pendu par ce même parlement, pour l’assassinat commis sur la personne
de Henri IV par l’écolier Châtel. Il est vrai que Guignard n’était
nullement complice, et qu’on le jugea à la rigueur: mais il n’est
pas moins vrai que cette rigueur était nécessaire dans ces temps
malheureux, où une partie de l’Europe, aveuglée par le plus horrible
fanatisme, regardait comme un acte de religion de poignarder le
meilleur des rois et le meilleur des hommes. Mort en 1719.

LABADIE, voyez ABADIE.

LABBE (Philippe), né à Bourges en 1607, jésuite. Il a rendu de grands
services à l’histoire. On a de lui soixante et seize ouvrages. Mort en
1667.

LA BRUYÈRE (Jean de), né à Dourdan en 1644. Il est certain qu’il
peignit dans ses _Caractères_ des personnes connues et considérables.
Son livre a fait beaucoup de mauvais imitateurs. Ce qu’il dit à la fin
contre les athées est estimé; mais quand il se mêle de théologie, il
est au-dessous même des théologiens. Mort en 1696.

LA CHAMBRE (Marin Cureau de), né au Mans en 1594. L’un des premiers
membres de l’académie française, et ensuite de celle des sciences: mort
en 1669. Lui, et son fils, curé de Saint-Barthélemi, et académicien,
ont eu de la réputation.

LA CHAPELLE (Jean de), receveur général des finances, auteur de
quelques tragédies qui eurent du succès en leur temps. Il était un de
ceux qui tâchaient d’imiter Racine; car Racine forma, sans le vouloir,
une école comme les grands peintres. Ce fut un Raphaël qui ne fit point
de Jules Romain: mais au moins ses premiers disciples écrivirent avec
quelque pureté de langage; et, dans la décadence qui a suivi, on a
vu de nos jours des tragédies entières où il n’y a pas douze vers de
suite dans lesquels il n’y ait des fautes grossières. Voilà d’où l’on
est tombé, et à quels excès on est parvenu après avoir eu de si grands
modèles. Mort en 1723.

LA CHAUSSÉE, voyez NIVELLE.

LA CROZE (Mathurin Veissière de), né à Nantes en 1661, bénédictin à
Paris. Sa liberté de penser, et un prieur contraire à cette liberté,
lui firent quitter son ordre et sa religion. C’était une bibliothèque
vivante, et sa mémoire était un prodige. Outre les choses utiles et
agréables qu’il savait, il en avait étudié d’autres qu’on ne peut
savoir, comme l’ancienne langue égyptienne. Il y a de lui un ouvrage
estimé, c’est _le Christianisme des Indes_. Ce qu’on y trouve de plus
curieux, c’est que les bramins croient l’unité d’un Dieu, en laissant
les idoles aux peuples. La fureur d’écrire est telle, qu’on a écrit la
vie de cet homme en un volume aussi gros que la _Vie d’Alexandre_. Ce
petit extrait, encore trop long, aurait suffi[185]. Mort à Berlin en
1739.

LA FARE (Charles-Auguste, marquis de), connu par ses Mémoires et par
quelques vers agréables. Son talent pour la poésie ne se développa qu’à
l’âge de près de soixante ans. Ce fut madame de Caylus[186], l’une des
plus aimables personnes de ce siècle par sa beauté et par son esprit,
pour laquelle il fit ses premiers vers, et peut-être les plus délicats
qu’on ait de lui:

    M’abandonnant un jour à la tristesse,
    Sans espérance et même sans désirs,
    Je regrettais les sensibles plaisirs
    Dont la douceur enchanta ma jeunesse.
    Sont-ils perdus, disais-je, sans retour?
        Et n’es-tu pas cruel, Amour!
        Toi que je fis, dès mon enfance,
        Le maître de mes plus beaux jours,
        D’en laisser terminer le cours
        A l’ennuyeuse indifférence?

        Alors j’aperçus dans les airs
        L’enfant maître de l’univers,
        Qui, plein d’une joie inhumaine,
    Me dit en souriant: Tircis, ne te plains plus,
        Je vais mettre fin à ta peine,
    Je te promets un regard de Caylus.

Né en 1644, mort le 22 mai 1712.

LA FAYETTE (Marie-Magdeleine Pioche de La Vergne, comtesse de). Sa
_Princesse de Clèves_ et sa _Zaïde_ furent les premiers romans où l’on
vit les mœurs des honnêtes gens, et des aventures naturelles décrites
avec grace. Avant elle on écrivait d’un style ampoulé des choses peu
vraisemblables. Morte en 1693.

LA FONTAINE (Jean), né à Château-Thierri en 1621; le plus simple des
hommes, mais admirable dans son genre, quoique négligé et inégal. Il
fut le seul des grands hommes de son temps qui n’eut point de part
aux bienfaits de Louis XIV. Il y avait droit par son mérite et par sa
pauvreté. Dans la plupart de ses fables, il est infiniment au-dessus
de tous ceux qui ont écrit avant et après lui, en quelque langue que
ce puisse être. Dans les contes qu’il a imités de l’Arioste, il n’a
pas son élégance et sa pureté; il n’est pas, à beaucoup près, si grand
peintre, et c’est ce que Boileau n’a pas aperçu dans sa Dissertation
sur _Joconde_, parceque Despréaux ne savait presque pas l’italien:
mais dans les contes puisés chez Boccace, La Fontaine lui est bien
supérieur, parcequ’il a beaucoup plus d’esprit, de graces, de finesse.
Boccace n’a d’autre mérite que la naïveté, la clarté et l’exactitude
dans le langage. Il a fixé sa langue, et La Fontaine a souvent corrompu
la sienne. Mort en 1695.

Il faut que les jeunes gens, et surtout ceux qui dirigent leurs
lectures, prennent bien garde à ne pas confondre avec son beau naturel,
le familier, le bas, le négligé, le trivial; défauts dans lesquels il
tombe trop souvent. Il commence par dire au Dauphin dans son prologue:

    Et si de t’agréer je n’emporte le prix,
    J’aurai du moins l’honneur de l’avoir entrepris.

On sent assez qu’il n’y aurait nul honneur à ne pas emporter le prix
d’agréer. La pensée est aussi fausse que l’expression est mauvaise.

    Vous chantiez! j’en suis fort aise;
    Hé bien! dansez maintenant.
               Livre Iᵉʳ, fable 1ʳᵉ.

Comment une fourmi peut-elle dire ce proverbe du peuple à une cigale?

    Sp j’apprenais l’hébreu, les sciences, l’histoire!
            Tout cela c’est la mer à boire.
               Livre VIII, 25.

Il faut avouer que Phèdre écrit avec une pureté qui n’a rien de cette
bassesse.

    Le gibier du lion, ce ne sont pas moineaux,
    Mais beaux et bons sangliers, daims et cerfs bons et beaux.
               Livre II, 19.

    Un jour, sur ses longs pieds, allait, je ne sais où,
    Le héron au long bec emmanché d’un long cou;
               Livre VII, 4.

Et le renard qui a _cent tours dans son sac_; et le chat qui _n’en a
qu’un dans son bissac_[187].

Distinguons bien ces négligences, ces puérilités, qui sont en très
grand nombre, des traits admirables de ce charmant auteur, qui sont en
plus grand nombre encore.

Quel est donc le pouvoir naturel des vers naturels, puisque, par ce
seul charme, La Fontaine, avec de grandes négligences, a une réputation
si universelle et si méritée, sans avoir jamais rien inventé! mais
aussi quel mérite dans les anciens Asiatiques, inventeurs de ces fables
connues dans toute la terre habitable!

LA FOSSE (Antoine de), né en 1653. _Manlius_ est sa meilleure pièce de
théâtre. Mort en 1708.

LA HIRE (Philippe de), né à Paris, en 1640, fils d’un bon peintre. Il
a été un savant mathématicien, et a beaucoup contribué à la fameuse
Méridienne de France. Mort en 1718.

LAINÉ ou LAINEZ (Alexandre), né dans le Hainaut, en 1650, poëte
singulier, dont on a recueilli un petit nombre de vers heureux. Un
homme[188] qui s’est donné la peine de faire élever à grands frais un
_Parnasse_ en bronze, couvert de figures en relief de tous les poëtes
et musiciens dont il s’est avisé, a mis ce Lainez au rang des plus
illustres. Les seuls vers délicats qu’on ait de lui sont ceux qu’il fit
pour madame Martel:

    Le tendre Apelle un jour, dans ces jeux si vantés
    Qu’Athènes sur ses bords consacrait à Neptune,
    Vit au sortir de l’onde éclater cent beautés;
          Et, prenant un trait de chacune,
    Il fit de sa Vénus le portrait immortel.
    Hélas! s’il avait vu l’adorable Martel,
          Il n’en aurait employé qu’une.

On ne sait pas que ces vers sont une traduction un peu longue de ce
beau morceau de l’Arioste:

    «Non avea da torre altra, che costei,
    Che tutte le bellezze erano in lei.»
               C. XI, Ott. LXXI.

Mort en 1710.

LAINET ou LENET (Pierre), conseiller d’état, natif de Dijon, attaché
au grand Condé, a laissé des Mémoires sur la guerre civile. Tous les
Mémoires de ce temps sont éclaircis et justifiés les uns par les
autres. Ils mettent la vérité de l’histoire dans le plus grand jour.
Ceux de Lenet[189] ont une anecdote très remarquable. Une dame de
qualité, de Franche-Comté, se trouvant à Paris, grosse de huit mois,
en 1664, son mari, absent depuis un an, arrive: elle craint qu’il ne
la tue; elle s’adresse à Lenet, sans le connaître. Celui-ci consulte
l’ambassadeur d’Espagne; tous deux imaginent de faire enfermer le mari,
par lettre de cachet, à la Bastille, jusqu’à ce que la femme soit
relevée de couche. Ils s’adressent à la reine. Le roi, en riant, fait
et signe la lettre de cachet lui-même; il sauve la vie de la femme
et de l’enfant; ensuite il demande pardon au mari, et lui fait un
présent[190].

LA LOUBÈRE (Simon de), né à Toulouse en 1642, et envoyé à Siam en 1687.
On a de lui des Mémoires de ce pays, meilleurs que ses sonnets et ses
odes. Mort en 1729.

Il y a un jésuite du même pays et du même nom[191], savant
mathématicien, mais qui n’est plus connu que pour avoir voulu partager
avec Pascal la gloire d’avoir résolu les problèmes sur la cicloïde.

LA MARE (Nicolas de), né à Paris, en 1641[192], commissaire au
châtelet. Il a fait un ouvrage qui était de son ressort, l’_Histoire
de la police_. Il n’est bon que pour les Parisiens, et meilleur à
consulter qu’à lire. Il eut pour récompense une part sur le produit de
la Comédie, dont il ne jouit jamais; il aurait autant valu assigner aux
comédiens une pension sur les gages du guet.

LAMBERT (Anne-Thérèse de Marguenat de Courcelles, marquise de), née
en 1647, dame de beaucoup d’esprit, a laissé quelques écrits d’une
morale utile et d’un style agréable. Son traité _De l’Amitié_ fait voir
qu’elle méritait d’avoir des amis. Le nombre des dames qui ont illustré
ce beau siècle est une des grandes preuves des progrès de l’esprit
humain:

    «Le donne son venute in eccellenza
    Di ciascun’arte ove hanno posto cura.»
               _Orl. fur._, c. XX, ott. II.

Morte à Paris, en 1733.

LAMI (Bernard), né au Mans, en 1645, de l’Oratoire, savant dans plus
d’un genre. Il composa ses _Éléments de Mathématiques_ dans un voyage
qu’il fit à pied de Grenoble à Paris. Mort en 1715.

LA MONNOYE (Bernard de), né à Dijon, en 1641, excellent littérateur. Il
fut le premier qui remporta le prix de poésie à l’académie française;
et même son poëme du _Duel aboli_, qui remporta ce prix, est à peu
de chose près un des meilleurs ouvrages de poésie qu’on ait faits en
France. Mort en 1728. Je ne sais pourquoi le docteur de Sorbonne
Ladvocat, dans son Dictionnaire, dit que les _Noëls_ de La Monnoye,
en patois bourguignon, sont ce qu’il a fait de mieux: est-ce parceque
la Sorbonne, qui ne sait pas le patois bourguignon, a fait un décret
contre ce livre sans l’entendre?

LA MOTHE LE VAYER (François de), né à Paris[193], en 1588. Précepteur
de Monsieur, frère de Louis XIV, et qui enseigna le roi un an;
historiographe de France, conseiller d’état, grand pyrrhonien, et
connu pour tel. Son pyrrhonisme n’empêcha pas qu’on ne lui confiât une
éducation si précieuse. On trouve beaucoup de science et de raison dans
ses ouvrages trop diffus. Il combattit le premier avec succès cette
opinion qui nous sied si mal, que notre morale vaut mieux que celle de
l’antiquité.

Son traité de _la Vertu des païens_ est estimé des sages. Sa devise
était,

    «De las cosas más seguras
    «La más segura es dudar.»

comme celle de Montaigne était, _Que sais-je?_ Mort en 1672.

LA MOTTE-HOUDAR[194] (Antoine de), né à Paris, en 1672, célèbre par sa
tragédie d’_Inès de Castro_, l’une des plus intéressantes qui soient
restées au théâtre, par de très jolis opéra, et surtout par quelques
odes qui lui firent d’abord une grande réputation; il y a presque
autant de choses que de vers; il est philosophe et poëte. Sa prose est
encore très estimée. Il fit les Discours du marquis de Mimeure et du
cardinal Dubois, lorsqu’ils furent reçus à l’académie française; le
Manifeste de la guerre de 1718; le Discours que prononça le cardinal de
Tencin au petit concile d’Embrun. Ce fait est mémorable: un archevêque
condamne un évêque[195]; et c’est un auteur d’opéra et de comédies qui
fait le sermon de l’archevêque. Il avait beaucoup d’amis, c’est-à-dire
qu’il y avait beaucoup de gens qui se plaisaient dans sa société.
Je l’ai vu mourir, sans qu’il eût personne auprès de son lit, en
1731[196]. L’abbé Trublet dit qu’il y avait du monde; apparemment il y
vint à d’autres heures que moi[197]. [198] L’intérêt seul de la vérité
oblige à passer ici les bornes ordinaires de ces articles.

Cet homme de mœurs si douces, et de qui jamais personne n’eut à se
plaindre, a été accusé après sa mort, presque juridiquement, d’un crime
énorme, d’avoir composé les horribles couplets qui perdirent Rousseau
en 1710, et d’avoir conduit plusieurs années toute la manœuvre qui
fit condamner un innocent. Cette accusation a d’autant plus de poids
qu’elle est faite par un homme très instruit de cette affaire, et faite
comme une espèce de testament de mort. Nicolas Boindin, procureur du
roi des trésoriers de France, en mourant en 1751, laisse un Mémoire
très circonstancié, dans lequel il charge, après plus de quarante
années, La Motte-Houdar, de l’académie française, Joseph Saurin, de
l’académie des sciences, et Malafer, marchand bijoutier, d’avoir
ourdi toute cette trame; et le châtelet et le parlement d’avoir rendu
consécutivement les jugements les plus injustes.

1º Si N. Boindin était en effet persuadé de l’innocence de Rousseau,
pourquoi tant tarder à la faire connaître? pourquoi ne pas la
manifester au moins immédiatement après la mort de ses ennemis?
pourquoi ne pas donner ce mémoire écrit il y a plus de vingt années?

2º Qui ne voit clairement que le Mémoire de Boindin est un libelle
diffamatoire, et que cet homme haïssait également tous ceux dont il
parle dans cette dénonciation faite à la postérité?

3º Il commence par des faits dont on connaît toute la fausseté. Il
prétend que le comte de Nocé[199] et N. Melon[200], secrétaire du
régent, étaient les associés de Malafer, petit marchand joaillier. Tous
ceux qui les ont fréquentés savent que c’est une insigne calomnie.
Ensuite il confond N. La Faye[201], secrétaire du cabinet du roi, avec
son frère le capitaine aux gardes. Enfin comment peut-on imputer à un
joaillier d’avoir eu part à toute cette manœuvre des couplets?

4º Boindin[202] prétend que ce joaillier et Saurin le géomètre
s’unirent avec La Motte pour empêcher Rousseau d’obtenir la pension
de Boileau, qui vivait encore en 1710. Serait-il possible que trois
personnes de professions si différentes se fussent unies et eussent
médité ensemble une manœuvre si réfléchie, si infâme, et si difficile,
pour priver un citoyen, alors obscur, d’une pension qui ne vaquait
pas, que Rousseau n’aurait pas eue, et à laquelle aucun de ces trois
associés ne pouvait prétendre?

5º Après être convenu que Rousseau avait fait les cinq premiers
couplets, suivis de ceux qui lui attirèrent sa disgrace, il fait tomber
sur La Motte-Houdar le soupçon d’une douzaine d’autres dans le même
goût; et, pour unique preuve de cette accusation, il dit que ces douze
couplets contre une douzaine de personnes qui devaient s’assembler
chez N. de Villiers furent apportés par La Motte-Houdar lui-même chez
le sieur de Villiers, une heure après que Rousseau avait été informé
que les intéressés devaient s’assembler dans cette maison. Or, dit-il,
Rousseau n’avait pu en une heure de temps composer et transcrire ces
vers diffamatoires. C’est La Motte qui les apporta; donc La Motte
en est l’auteur. Au contraire, c’est, ce me semble, parcequ’il a la
bonne foi de les apporter, qu’il ne doit pas être soupçonné de la
scélératesse de les avoir faits. On les a jetés à sa porte, ainsi qu’à
la porte de quelques autres particuliers. Il a ouvert le paquet; il a
trouvé des injures atroces contre tous ses amis et contre lui-même; il
vient en rendre compte: rien n’a plus l’air de l’innocence.

6º Ceux qui s’intéressent à l’histoire de ce mystère d’iniquité doivent
savoir que l’on s’assemblait depuis un mois chez N. de Villiers, et
que ceux qui s’y assemblaient étaient, pour la plupart, les mêmes
que Rousseau avait déjà outragés dans cinq couplets qu’il avait
imprudemment récités à quelques personnes. Le premier même de ces douze
nouveaux couplets marquait assez que les intéressés s’assemblaient
tantôt au café[203], tantôt chez Villiers.

    Sots assemblés chez de Villiers,
    Parmi les sots troupe d’élite,
    D’un vil café dignes piliers,
    Craignez la fureur qui m’irrite.
    Je vais vous poursuivre en tous lieux,
    Vous noircir, vous rendre odieux;
    Je veux que partout on vous chante;
    Vous percer et rire à vos yeux
    Est une douceur qui m’enchante.

7º Il est très faux que les cinq premiers couplets, reconnus pour
être de Rousseau, ne fissent qu’effleurer le ridicule de cinq ou six
particuliers, comme le dit le Mémoire; on y voit les mêmes horreurs que
dans les autres.

    Que le bourreau, par son valet,
    Fasse un jour serrer le sifflet
    De Bérin et de sa séquelle;
    Que Pécourt[204], qui fait le ballet,
    Ait le fouet au pied de l’échelle.

C’est là le style des cinq premiers couplets avoués par Rousseau.
Certainement ce n’est pas là de la fine plaisanterie. C’est le même
style que celui de tous les couplets qui suivirent.

8º Quant aux derniers couplets sur le même air, qui furent, en 1710,
la matière du procès intenté à Saurin, de l’académie des sciences,
le Mémoire ne dit rien que ce que les pièces du procès ont appris
depuis long-temps. Il prétend seulement que le malheureux[205] qui fut
condamné au bannissement, pour avoir été suborné par Rousseau, devait
être condamné aux galères, si en effet il avait été faux témoin. C’est
en quoi le sieur Boindin se trompe; car, en premier lieu, il eût été
d’une injustice ridicule de condamner aux galères le suborné, quand
on ne décernait que la peine du bannissement au suborneur; en second
lieu, ce malheureux ne s’était pas porté accusateur contre Saurin.
Il n’avait pu être entièrement suborné. Il avait fait plusieurs
déclarations contradictoires; la nature de sa faute et la faiblesse de
son esprit ne comportaient pas une peine exemplaire.

9º N. Boindin fait entendre expressément dans son Mémoire que la maison
de Noailles et les jésuites servirent à perdre Rousseau dans cette
affaire, et que Saurin fit agir le crédit et la faveur. Je sais avec
certitude, et plusieurs personnes vivantes encore le savent comme
moi, que ni la maison de Noailles ni les jésuites ne sollicitèrent.
La faveur fut d’abord tout entière pour Rousseau; car, quoique le cri
public s’élevât contre lui, il avait gagné deux secrétaires d’état,
M. de Pontchartrain et M. Voisin, que ce cri public n’épouvantait
pas. Ce fut sur leurs ordres, en forme de sollicitations, que le
lieutenant-criminel Lecomte décréta et emprisonna Saurin[206],
l’interrogea, le confronta, le récola, le tout en moins de vingt-quatre
heures, par une procédure précipitée. Le chancelier réprimanda le
lieutenant-criminel sur cette procédure violente et inusitée.

Quant aux jésuites, il est si faux qu’ils se fussent déclarés contre
Rousseau, qu’immédiatement après la sentence contradictoire du
châtelet, par laquelle il fut unanimement condamné, il fit une retraite
au noviciat des jésuites, sous la direction du P. Sanadon, dans le
temps qu’il appelait au parlement. Cette retraite chez les jésuites
prouve deux choses: la première, qu’ils n’étaient pas ses ennemis;
la seconde, qu’il voulait opposer les pratiques de la religion aux
accusations de libertinage que d’ailleurs on lui suscitait. Il avait
déjà fait ses meilleurs psaumes, en même temps que ses épigrammes
licencieuses, qu’il appelait les _gloria patri_ de ses psaumes, et
Danchet lui avait adressé ces vers:

    A te masquer habile,
      Traduis tour à tour
      Pétrone à la ville,
      David à la cour, etc.

Il ne serait donc pas étonnant qu’ayant pris le manteau de la religion,
comme tant d’autres, tandis qu’il portait celui de cynique, il eût
depuis conservé le premier, qui lui était devenu absolument nécessaire.
On ne veut tirer aucune conséquence de cette induction; il n’y a que
Dieu qui connaisse le cœur de l’homme.

10º Il est important d’observer que pendant plus de trente années que
La Motte-Houdar, Saurin, et Malafer, ont survécu à ce procès, aucun
d’eux n’a été soupçonné ni de la moindre mauvaise manœuvre, ni de la
plus légère satire. La Motte-Houdar n’a jamais même répondu à ces
invectives atroces, connues sous le nom de _Calottes_, et sous d’autres
titres, dont un ou deux hommes, qui étaient en horreur à tout le monde,
l’accablèrent si long-temps. Il ne déshonora jamais son talent par la
satire, et même, lorsqu’en 1709, outragé continuellement par Rousseau,
il fit cette belle ode,

    On ne se choisit point son père;
    Par un reproche populaire
    Le sage n’est point abattu.
    Oui, quoi que le vulgaire pense,
    Rousseau, la plus vile naissance
    Donne du lustre à la vertu, etc.

quand, dis-je, il fit cet ouvrage, ce fut bien plutôt une leçon de
morale et de philosophie qu’une satire. Il exhortait Rousseau, qui
reniait son père, à ne point rougir de sa naissance. Il l’exhortait à
dompter l’esprit d’envie et de satire. Rien ne ressemble moins à la
rage qui respire dans les couplets dont on l’accuse.

Mais Rousseau, après une condamnation qui devait le rendre sage,
soit qu’il fût innocent ou coupable, ne put dompter son penchant. Il
outragea souvent, par des épigrammes, les mêmes personnes attaquées
dans les couplets, La Faye, Danchet, La Motte-Houdar, etc. Il fit
des vers contre ses anciens et nouveaux protecteurs. On en retrouve
quelques uns dans des lettres, peu dignes d’être connues, qu’on a
imprimées; et la plupart de ces vers sont du style de ces couplets
pour lesquels le parlement l’avait condamné; témoin ceux-ci contre
l’illustre musicien Rameau:

    Distillateurs d’accords baroques,
    Dont tant d’idiots sont férus,
    Chez les Thraces et les Iroques
    Portez vos opéra bourrus, etc.

On en retrouve du même goût dans le recueil intitulé _Portefeuille de
Rousseau_[207], contre l’abbé D’Olivet, qui avait formé un projet de
le faire revenir en France. Enfin, lorsque, sur la fin de sa vie, il
vint se cacher quelque temps à Paris, affichant la dévotion, il ne put
s’empêcher de faire encore des épigrammes violentes. Il est vrai que
l’âge avait gâté son style, mais il ne réforma point son caractère,
soit que par un mélange bizarre, mais ordinaire chez les hommes, il
joignît cette atrocité à la dévotion, soit que, par une méchanceté non
moins ordinaire, cette dévotion fût hypocrisie.

11º Si Saurin, La Motte, et Malafer, avaient comploté le crime dont
on les accuse, ces trois hommes ayant été depuis assez mal ensemble,
il est bien difficile qu’il n’eût rien transpiré de leur crime. Cette
réflexion n’est pas une preuve; mais, jointe aux autres, elle est d’un
grand poids.

12º Si un garçon aussi simple et aussi grossier que le nommé _Guillaume
Arnoult_, condamné comme témoin suborné par Rousseau, n’avait point
été en effet coupable, il l’aurait dit, il l’aurait crié toute sa vie
à tout le monde. Je l’ai connu. Sa mère aidait dans la cuisine de mon
père, ainsi qu’il est dit dans le factum de Saurin; et sa mère et lui
ont dit plusieurs fois à toute ma famille, en ma présence, qu’il avait
été justement condamné.

Pourquoi donc, au bout de quarante-deux ans, N. Boindin a-t-il voulu
laisser, en mourant, cette accusation authentique contre trois hommes
qui ne sont plus? C’est que le Mémoire était composé il y a plus de
vingt ans; c’est que Boindin les haïssait tous trois; c’est qu’il ne
pouvait pardonner à La Motte de n’avoir pas sollicité pour lui une
place à l’académie française, et de lui avoir avoué que ses ennemis,
qui l’accusaient d’athéisme, lui donneraient l’exclusion. Il s’était
brouillé avec Saurin, qui était, comme lui, un esprit altier et
inflexible. Il s’était brouillé de même avec Malafer, homme dur et
impoli. Il était devenu l’ennemi de Lériget de La Faye, qui avait fait
contre lui cette épigramme:

    Oui, Vadius, on connaît votre esprit;
    Savoir s’y joint; et quand le cas arrive
    Qu’œuvre paraît par quelque coin fautive,
    Plus aigrement qui jamais la reprit?
    Mais on ne voit qu’en vous aussi se montre
    L’art de louer le beau qui s’y rencontre,
    Dont cependant maints beaux esprits font cas.
    De vos pareils que voulez-vous qu’on pense?
    Eh quoi! qu’ils sont connaisseurs délicats?
    Pas n’en voudrais tirer la conséquence;
    Mais bien qu’ils sont gens à fuir de cent pas.

C’était là en effet le caractère de Boindin, et c’est lui qui est
peint dans le _Temple du goût_, sous le nom de Bardou. Il fut dans son
Mémoire la dupe de sa haine, incapable de dire ce qu’il ne croyait pas,
et incapable de changer d’avis sur ce que son humeur lui inspirait. Ses
mœurs étaient irréprochables; il vécut toujours en philosophe rigide;
il fit des actions de générosité; mais cette humeur dure et insociable
lui donnait des préventions dont il ne revenait jamais.

Toute cette funeste affaire, qui a eu de si longues suites, et dont
il n’y a guère d’hommes plus instruits que moi, dut son origine au
plaisir innocent que prenaient plusieurs personnes de mérite de
s’assembler dans un café. On n’y respectait pas assez la première
loi de la société, de se ménager les uns les autres. On se critiquait
durement, et de simples impolitesses donnèrent lieu à des haines
durables et à des crimes. C’est au lecteur à juger si dans cette
affaire il y a eu trois criminels ou un seul. [208] On a dit qu’il
se pourrait à toute force que Saurin eût été l’auteur des derniers
couplets attribués à Rousseau. Il se pourrait que Rousseau ayant été
reconnu coupable des cinq premiers, qui étaient de la même atrocité,
Saurin eût fait les derniers pour le perdre, quoiqu’il n’y eût aucune
rivalité entre ces deux hommes, quoique Saurin fût alors plongé dans
les calculs de l’algèbre, quoique lui-même fût cruellement outragé
dans ces derniers couplets, quoique tous les offensés les imputassent
unanimement à Rousseau, enfin quoiqu’un jugement solennel ait déclaré
Saurin innocent. Mais, si la chose est physiquement dans l’ordre des
possibles, elle n’est nullement vraisemblable. Rousseau l’en accusa
toute sa vie: il le chargea de ce crime par son testament; mais le
professeur Rollin, auquel Rousseau montra ce testament quand il vint
clandestinement à Paris, l’obligea de rayer cette accusation. Rousseau
se contenta de protester de son innocence à l’article de la mort; mais
il n’osa jamais accuser La Motte, ni pendant le cours du procès, ni
durant le reste de sa vie, ni à ses derniers moments. Il se contenta
de faire toujours des vers contre lui. (Voyez l’article _Joseph_
SAURIN[209].)

LANCELOT (Claude), né à Paris, en 1616. Il eut part à des ouvrages très
utiles, que firent les solitaires de Port-Royal pour l’éducation de la
jeunesse. Mort en 1695.

LAPLACETTE (Jean de), de Béarn, né en 1639, ministre protestant à
Copenhague et en Hollande; estimé pour ses divers ouvrages. Mort à
Utrecht, en 1718.

LA PORTE[210] (Pierre de), premier valet de chambre de la reine-mère,
et quelque temps de Louis XIV; mis en prison par le cardinal de
Richelieu, et menacé de la mort pour le forcer à trahir les secrets
de sa maîtresse, qu’il ne trahit point. Dans la foule des mémoires
qui développent l’histoire de cet âge, ceux de La Porte ne sont pas
à mépriser; ils sont d’un honnête homme, ennemi de l’intrigue et de
la flatterie, sévère jusqu’au pédantisme. Il avoue qu’il avertissait
la reine que sa familiarité avec le cardinal Mazarin diminuait le
respect des grands et des peuples pour elle. Il y a dans ses Mémoires
une anecdote sur l’enfance de Louis XIV, qui rendrait la mémoire du
cardinal Mazarin exécrable, s’il avait été coupable du crime honteux
que La Porte semble lui imputer. Il paraît que La Porte fut trop
scrupuleux et trop mauvais physicien; il ne savait pas qu’il y a des
tempéraments fort avancés. Il devait surtout se taire; il se perdit
pour avoir parlé, et pour avoir attribué à la débauche un accident fort
naturel. Mort à Paris, vers la fin de 1680.

LA QUINTINIE (Jean de), né près de Poitiers, en 1626[211]. Il a créé
l’art de la culture des arbres, et celui de les transplanter. Ses
préceptes ont été suivis de toute l’Europe, et ses talents récompensés
magnifiquement par Louis XIV. Mort vers 1700.

ROCHEFOUCAULD (François, duc de La), né en 1613. Ses Mémoires sont lus,
et on sait par cœur ses _Pensées_. Mort en 1680.

LARREY (Isaac de), né en Normandie, en 1638. Son _Histoire
d’Angleterre_ fut estimée avant celle de Rapin de Thoiras, et son
_Histoire de Louis XIV_ ne le fut jamais. Mort à Berlin, en 1719.

LA RUE (Charles de), né en 1643, jésuite, poëte latin, poëte français,
et prédicateur, l’un de ceux qui travaillèrent à ces livres nommés
_Dauphins_, pour l’éducation de Monseigneur. _Virgile_ lui tomba en
partage. Il a fait plusieurs tragédies et comédies; sa tragédie de
_Sylla_ fut présentée aux comédiens, et refusée. Il a fait encore celle
de _Lysimachus_. On croit qu’il a beaucoup travaillé à l’_Andrienne_.
Il était très lié avec le comédien Baron, dont il apprit à déclamer. Il
y avait deux sermons de lui qui étaient fort en vogue; l’un était le
_Pécheur mourant_, et l’autre le _Pécheur mort_; on les affichait quand
il devait les prononcer. Mort en 1725.

LAUNAY (François de), né à Angers, en 1612, jurisconsulte et homme de
lettres. Il fut le premier qui enseigna le droit français à Paris. Mort
en 1693.

LAUNOY (Jean de), né en Normandie en 1603, docteur en théologie, savant
laborieux, et critique intrépide. Il détrompa de plusieurs erreurs,
et surtout de l’existence de plusieurs saints. On sait qu’un curé de
Saint-Eustache disait: «Je lui fais toujours de profondes révérences,
de peur qu’il ne m’ôte mon saint Eustache.» Mort en 1678.

LAURIÈRE (Eusèbe-Jacob de), né à Paris, en 1659, avocat. Personne n’a
plus approfondi la jurisprudence et l’origine des lois. C’est lui qui
dressa le plan du Recueil des ordonnances, ouvrage immense qui signale
le règne de Louis XIV. C’est un monument de l’inconstance des choses
humaines. Un recueil d’ordonnances n’est que l’histoire des variations.
Mort en 1728.

LEBŒUF (L’abbé), né en 1687, l’un des plus savants hommes dans les
détails de l’histoire de France. Il aurait été employé par un Colbert,
mais il vint trop tard. Mort en 1760.

LEBOSSU (Réné), né à Paris, en 1631, chanoine régulier de
Sainte-Geneviève. Il voulut concilier Aristote avec Descartes; il ne
savait pas qu’il fallait les abandonner l’un et l’autre. Son _Traité
sur le poëme épique_ a beaucoup de réputation, mais il ne fera jamais
de poëtes. Mort en 1680.

LEBRUN (Pierre), né à Aix, en 1661, de l’Oratoire. Son livre critique
_des Pratiques superstitieuses_ a été recherché; mais c’est un médecin
qui ne parle que de très peu de maladies, et qui est lui-même malade.
Mort en 1729.

LE CLERC (Jean), né à Genève, en 1657, mais originaire de Beauvais. Il
n’était pas le seul savant de sa famille, mais il était le plus savant.
Sa _Bibliothèque universelle_, dans laquelle il imita la _République
des lettres_ de Bayle, est son meilleur ouvrage. Son plus grand mérite
est d’avoir alors approché de Bayle, qu’il a combattu souvent. Il a
beaucoup plus écrit que ce grand homme; mais il n’a pas connu comme lui
l’art de plaire et d’instruire qui est si au-dessus de la science. Mort
à Amsterdam, en 1736.

LECOINTE (Charles), né à Troyes, en 1611; de l’Oratoire. Ses _Annales
ecclésiastiques_, imprimées au Louvre par ordre du roi, sont un
monument utile. Mort en 1681.

LEFÈVRE (Tannegui), né à Caen, en 1615, calviniste, professeur à
Saumur, méprisant ceux de sa secte, et demeurant parmi eux; plus
philosophe que huguenot, écrivant aussi bien en latin qu’on puisse
écrire dans une langue morte, fesant des vers grecs qui doivent avoir
eu peu de lecteurs. La plus grande obligation que lui aient les lettres
est d’avoir produit madame Dacier. Mort en 1672.

LEFÈVRE (Anne). _Voyez_ madame DACIER.

LEGENDRE (Louis), né à Rouen, en 1659, a fait une _Histoire de France_.
Pour bien faire cette histoire, il faudrait la plume et la liberté du
président de Thou; et il serait encore très difficile de rendre les
premiers siècles intéressants. Mort en 1733.

LEGRAND (Joachim), né en Normandie, en 1653, élève du P. Lecointe. Il a
été l’un des hommes les plus profonds dans l’histoire. Mort en 1733.

LE LABOUREUR (Jean), né à Montmorenci, en 1623, gentilhomme servant
de Louis XIV, et ensuite son aumônier. Sa relation du voyage de
Pologne, qu’il fit avec madame la maréchale de Guébriant, la seule
femme qui ait jamais eu le titre et fait les fonctions d’ambassadrice
plénipotentiaire, est assez curieuse. Les commentaires historiques dont
il a enrichi les Mémoires de Castelnau ont répandu beaucoup de jour sur
l’histoire de France. Le mauvais poëme de _Charlemagne_ n’est pas de
lui, mais de son frère. Mort en 1675.

LE LONG (Jacques), né à Paris, en 1665; de l’Oratoire. Sa _Bibliothèque
historique de la France_[212] est d’une grande recherche et d’une
grande utilité, à quelques fautes près. Mort en 1721.

LÉMERY (Nicolas), né à Rouen, en 1645, fut le premier chimiste
raisonnable, et le premier qui ait donné une _Pharmacopée universelle_.
Mort en 1715.

LE MOINE (Pierre), jésuite, né en 1602. Sa _Dévotion aisée_ le
rendit ridicule; mais il eût pu se faire un grand nom par sa
_Louisiade_[213]. Il avait une prodigieuse imagination. Pourquoi donc
ne réussit-il pas? C’est qu’il n’avait ni goût, ni connaissance du
génie de sa langue, ni des amis sévères. Mort en 1671.

LENAIN DE TILLEMONT (Louis-Sébastien), fils de Jean Lenain, maître
des requêtes, né à Paris, en 1637, élève de Nicole, et l’un des plus
savants écrivains de Port-Royal. Son _Histoire des empereurs_, et ses
seize volumes de l’_Histoire ecclésiastique_, sont écrits avec autant
de vérité que peuvent l’être des compilations d’anciens historiens; car
l’histoire, avant l’invention de l’imprimerie, étant peu contredite,
était peu exacte. Mort en 1698.

LENFANT (Jacques), né en Beauce, en 1661, pasteur calviniste à Berlin.
Il contribua plus que personne à répandre les graces et la force de
la langue française aux extrémités de l’Allemagne. Son _Histoire
du concile de Constance_, bien faite et bien écrite, sera, jusqu’à
la dernière postérité, un témoignage du bien et du mal qui peuvent
résulter de ces grandes assemblées, et que du sein des passions, de
l’intérêt, et de la cruauté même, il peut encore sortir de bonnes lois.
Mort en 1728.

LE QUIEN (Michel), né en 1661, dominicain; homme très savant. Il a
beaucoup travaillé sur les Églises d’Orient et sur celle d’Angleterre.
Il a surtout écrit contre Le Courayer sur la validité des évêques
anglicans: mais les Anglais ne font pas plus de cas de ces disputes,
que les Turcs n’en font des dissertations sur l’Église grecque. Mort en
1733.

LE SAGE, né à Vannes[214], en Basse-Bretagne, en 1667. Son roman de
_Gil Blas_ est demeuré, parcequ’il y a du naturel; il est entièrement
pris[215] du roman espagnol intitulé: _La Vida del escudero don Marcos
de Obrego_. Mort en 1747.

LE TOURNEUX (Nicolas), né en 1640. Son _Année chrétienne_ est dans
beaucoup de mains, quoique mise à Rome à l’index des livres prohibés,
ou plutôt parcequ’elle y est mise. Mort en 1686.

LEVASSOR (Michel), de l’Oratoire, réfugié en Angleterre. Son _Histoire
de Louis XIII_[216], diffuse, pesante, et satirique, a été recherchée
pour beaucoup de faits singuliers qui s’y trouvent; mais c’est un
déclamateur odieux, qui, dans l’_Histoire de Louis XIII_, ne cherche
qu’à décrier Louis XIV, qui attaque les morts et les vivants; il ne se
trompe que sur peu de faits, et passe pour s’être trompé dans tous ses
jugements. Mort en 1718.

L’HOSPITAL (François, marquis de), né en 1661, le premier qui ait
écrit en France sur le calcul inventé par Newton, qu’il appela _les
infiniment petits_; c’était alors un prodige. Mort en 1704.

LONGEPIERRE (Hilaire-Bernard de Requeleyne, baron de), né en Bourgogne
en 1658. Il possédait toutes les beautés de la langue grecque,
mérite très rare en ce temps-là; on a de lui des traductions en vers
d’Anacréon, Sapho, Bion, et Moschus. Sa tragédie de _Médée_, quoique
inégale et trop remplie de déclamations, est fort supérieure à celle de
Pierre Corneille: mais la _Médée_ de Corneille n’était pas de son bon
temps. Longepierre fit beaucoup d’autres tragédies d’après les poëtes
grecs, et il les imita en ne mêlant point l’amour à ces sujets sévères
et terribles; mais aussi il les imita dans la prolixité des lieux
communs, et dans le vide d’action et d’intrigue, et ne les égala point,
dans la beauté de l’élocution, qui fait le grand mérite des poëtes. Il
n’a donné au théâtre que _Médée_ et _Électre_[217]. Mort en 1721.

LONGUERUE (Louis Dufour de), né à Charleville en 1652. Abbé du Jard.
Il savait, outre les langues savantes, toutes celles de l’Europe.
Apprendre plusieurs langues médiocrement, c’est le fruit du travail de
quelques années; parler purement et éloquemment la sienne, le travail
de toute la vie. Il savait l’histoire universelle; et on prétend qu’il
composa de mémoire la description historique et géographique de la
France ancienne et moderne. Mort vers l’an 1733.

LONGUEVAL (Jacques), né en 1680, jésuite. Il a fait huit volumes de
l’_Histoire de l’Église gallicane_, continuée par le P. Fontenay[218].
Mort en 1735.

MABILLON (Jean), né en Champagne en 1632, bénédictin. C’est lui qui,
étant chargé de montrer le trésor de Saint-Denys, demanda à quitter
cet emploi, _parcequ’il n’aimait pas à mêler la fable avec la vérité_.
Il a fait de profondes recherches. Colbert l’employa à rechercher les
anciens titres.

MAIGNAN (Emmanuel), né à Toulouse en 1601, minime. L’un de ceux qui ont
appris les mathématiques sans maître. Professeur de mathématiques à
Rome, où il y a toujours eu depuis un professeur minime français. Mort
à Toulouse, en 1676.

MAILLET (Benoît de), consul au Grand-Caire. On a de lui des lettres
instructives sur l’Égypte, et des ouvrages manuscrits d’une philosophie
hardie. L’ouvrage intitulé _Telliamed_ est de lui, ou du moins a été
fait d’après ses idées. On y trouve l’opinion que la terre a été toute
couverte d’eau, opinion adoptée par M. de Buffon, qui l’a fortifiée
de preuves nouvelles; mais ce n’est et ce ne sera long-temps qu’une
opinion. Il est même certain qu’il existe de grands espaces où l’on ne
trouve aucun vestige du séjour des eaux; d’autres où l’on n’aperçoit
que des dépôts laissés par les eaux terrestres. Mort en 1738.

MAIMBOURG (Louis), jésuite, né en 1610. Il y a encore quelques unes
de ses histoires qu’on ne lit pas sans plaisir. Il eut d’abord trop
de vogue, et on l’a trop négligé ensuite. Ce qui est singulier, c’est
qu’il fut obligé de quitter les jésuites, pour avoir écrit en faveur du
clergé de France. Mort à Saint-Victor, en 1686.

MAINTENON[219] (Françoise d’Aubigné Scarron, marquise de). Elle
est auteur, comme madame de Sévigné, parcequ’on a imprimé ses
_Lettres_[220] après sa mort. Les unes et les autres sont écrites
avec beaucoup d’esprit, mais avec un esprit différent. Le cœur et
l’imagination ont dicté celles de madame de Sévigné; elles ont plus
de gaîté, plus de liberté: celles de madame de Maintenon sont plus
contraintes; il semble qu’elle ait toujours prévu qu’elles seraient un
jour publiques. Madame de Sévigné, en écrivant à sa fille, n’écrivait
que pour sa fille. On trouve quelques anecdotes dans les unes et dans
les autres. On voit par celles de madame de Maintenon, qu’elle avait
épousé Louis XIV, qu’elle influait dans les affaires d’état, mais
qu’elle ne les gouvernait pas; qu’elle ne pressa point la révocation
de l’_Édit de Nantes_ et ses suites, mais qu’elle ne s’y opposa point;
qu’elle prit le parti des molinistes, parceque Louis XIV l’avait pris,
et qu’ensuite elle s’attacha à ce parti; que Louis XIV, sur la fin de
sa vie, portait des reliques; et beaucoup d’autres particularités. Mais
les connaissances qu’on peut puiser dans ce recueil sont trop achetées
par la quantité de lettres inutiles qu’il renferme; défaut commun à
tous ces recueils. Si l’on n’imprimait que l’utile, il y aurait cent
fois moins de livres. Morte à Saint-Cyr, en 1719.

[221]Un nommé La Beaumelle, qui a été précepteur à Genève, a fait
imprimer des _Mémoires de Maintenon_ remplis de faussetés[222].

MALEBRANCHE (Nicolas), né à Paris en 1638, de l’Oratoire, l’un des plus
profonds méditatifs qui aient jamais écrit. Animé de cette imagination
forte qui fait plus de disciples que la vérité, il en eut: de son temps
il y avait des _malebranchistes_. Il a montré admirablement les erreurs
des sens et de l’imagination; et quand il a voulu sonder la nature de
l’ame, il s’est perdu dans cet abîme comme les autres. Il est, ainsi
que Descartes, un grand homme, avec lequel on apprend bien peu de
chose; et il n’était pas un grand géomètre comme Descartes. Mort en
1715.

MALEZIEU (Nicolas), né à Paris en 1650. Les _Éléments de géométrie du
duc de Bourgogne_ sont les leçons qu’il donna à ce prince. Il se fit
une réputation par sa profonde littérature. Madame la duchesse du Maine
fit sa fortune. Mort en 1727.

MALLEVILLE (Claude de), l’un des premiers académiciens. Le seul sonnet
de la _Belle matineuse_ en fit un homme célèbre. On ne parlerait pas
aujourd’hui d’un tel ouvrage; mais le bon en tout genre était alors
aussi rare qu’il est devenu commun depuis. Mort en 1647.

MARCA (Pierre de), né en 1594. Étant veuf et ayant plusieurs enfants,
il entra dans l’Église, et fut nommé à l’archevêché de Paris. Son livre
de _la Concorde de l’empire et du sacerdoce_ est estimé. Mort en 1662.

MAROLLES (Michel de), né en Touraine en 1600, fils du célèbre Claude de
Marolles, capitaine des cent suisses, connu par son combat singulier, à
la tête de l’armée de Henri IV, contre Marivault[223]. Michel, abbé de
Villeloin, composa soixante-neuf ouvrages[224], dont plusieurs étaient
des traductions très utiles dans leur temps. Mort en 1681.

MARSOLLIER (Jacques), né à Paris en 1647, chanoine régulier de
Sainte-Geneviève, connu par plusieurs histoires bien écrites. Mort en
1724.

MARTIGNAC (Étienne Algai de), né en 1628, le premier qui donna une
traduction supportable en prose de Virgile, d’Horace, etc. Je doute
qu’on les traduise jamais heureusement en vers. Ce ne serait pas assez
d’avoir leur génie: la différence des langues est un obstacle presque
invincible. Mort en 1698.

MASCARON (Jules), de Marseille, né en 1634, évêque de Tulles, et puis
d’Agen. Ses Oraisons funèbres balancèrent d’abord celles de Bossuet;
mais aujourd’hui elles ne servent qu’à faire voir combien Bossuet était
un grand homme. Mort en 1703.

MASSILLON (Jean-Baptiste), né à Hières, en Provence, en 1633, de
l’Oratoire, évêque de Clermont. Le prédicateur qui a le mieux connu le
monde; plus fleuri que Bourdaloue, plus agréable, et dont l’éloquence
sent l’homme de cour, l’académicien, et l’homme d’esprit; de plus,
philosophe modéré et tolérant. Mort en 1742.

MAUCROIX (François de), né à Noyon en 1619, historien, poëte, et
littérateur. On a retenu quelques uns de ses vers, tels que ceux-ci,
qu’il fit à l’âge de plus de quatre-vingts ans:

    Chaque jour est un bien que du ciel je reçoi;
    Jouissons aujourd’hui de celui qu’il nous donne.
    Il n’appartient pas plus aux jeunes gens qu’à moi,
    Et celui de demain n’appartient à personne.

Mort en 1708.

MAYNARD (François), président d’Aurillac, né à Toulouse vers 1582. On
peut le compter parmi ceux qui ont annoncé le siècle de Louis XIV. Il
reste de lui un assez grand nombre de vers heureux purement écrits.
C’est un des auteurs qui s’est plaint le plus de la mauvaise fortune
attachée aux talents. Il ignorait que le succès d’un bon ouvrage est
la seule récompense digne d’un artiste; que, si les princes et les
ministres veulent se faire honneur en récompensant cette espèce de
mérite, il y a plus d’honneur encore d’attendre ces faveurs sans les
demander; et que, si un bon écrivain ambitionne la fortune, il doit la
faire soi-même.

Rien n’est plus connu que son beau sonnet[225] pour le cardinal de
Richelieu; et cette réponse dure du ministre, ce mot cruel, _rien_. Le
président Maynard, retiré enfin à Aurillac, fit ces vers[226], qui
méritent autant d’être connus que son sonnet:

    Par votre humeur le monde est gouverné;
    Vos volontés font le calme et l’orage;
    Vous vous riez de me voir confiné
    Loin de la cour dans mon petit ménage:
    Mais n’est-ce rien que d’être tout à soi,
    De n’avoir point le fardeau d’un emploi,
    D’avoir dompté la crainte et l’espérance?
    Ah! si le ciel, qui me traite si bien,
    Avait pitié de vous et de la France,
    Votre bonheur serait égal au mien.

Depuis la mort du cardinal, il dit dans d’autres vers que le tyran est
mort, et qu’il n’en est pas plus heureux. Si le cardinal lui avait fait
du bien, ce ministre eût été un dieu pour lui: il n’est un tyran que
parcequ’il ne lui donna rien. C’est trop ressembler à ces mendiants
qui appellent les passants monseigneur, et qui les maudissent s’ils
n’en reçoivent point d’aumône. Les vers de Maynard étaient fort beaux.
Il eût été plus beau de passer sa vie sans demander et sans murmurer.
L’épitaphe qu’il fit pour lui-même est dans la bouche de tout le monde:

    Las d’espérer et de me plaindre
    Des muses, des grands, et du sort,
    C’est ici que j’attends la mort,
    Sans la desirer ni la craindre.

Les deux derniers vers sont la traduction de cet ancien vers latin:

    «Summum nec metuas diem, nec optes.»
               MART., lib. X, ep. 47.

La plupart des beaux vers de morale sont des traductions. Il est
bien commun de ne pas desirer la mort; il est bien rare de ne pas la
craindre, et il eût été grand de ne pas seulement songer s’il y a des
grands au monde. Mort en 1646.

MÉNAGE (Gilles), d’Angers, né en 1613. Il a prouvé qu’il est plus
aisé de faire des vers en italien qu’en français. Ses vers italiens
sont estimés, même en Italie; et notre langue doit beaucoup à ses
recherches. Il était savant en plus d’un genre. Sa _Requête des
dictionnaires_ l’empêcha d’entrer à l’académie. Il adressa au cardinal
Mazarin, sur son retour en France, une pièce latine, où l’on trouve ce
vers:

    «Et puto tam viles despicis ipse togas[227].»

Le parlement, qui, après avoir mis à prix la tête du cardinal, l’avait
complimenté, se crut désigné par ce vers, et voulait sévir contre
l’auteur; mais Ménage prouva au parlement que _toga_ signifiait un
habit de cour. Mort en 1692. La Monnoye a augmenté et rectifié le
_Menagiana_.

MÉNESTRIER (Claude-François), né en 1631, a beaucoup servi à la science
du blason, des emblèmes, et des devises. Mort en 1705.

MÉRY (Jean), né en Berri, en 1645, l’un de ceux qui ont le plus
illustré la chirurgie. Il a laissé des observations utiles. Mort en
1722.

MÉZERAI (François-Eudes de), né à Argentan[228], en Normandie, en
1610. Son _Histoire de France_ est très connue; ses autres écrits le
sont moins. Il perdit ses pensions, pour avoir dit ce qu’il croyait la
vérité. D’ailleurs plus hardi qu’exact, et inégal dans son style. Son
nom de famille était Eudes; il était frère du P. Eudes, fondateur de
la congrégation très répandue et très peu connue des eudistes. Mort en
1683.

MIMEURE[229] (Le marquis de), menin de Monseigneur, fils de Louis XIV.
On a de lui quelques morceaux de poésies qui ne sont pas inférieures à
celles de Racan et de Maynard: mais comme ils parurent dans un temps
où le bon était très rare, et le marquis de Mimeure dans un temps où
l’art était perfectionné, ils eurent beaucoup de réputation, et à peine
fut-il connu. Son _Ode à Vénus_, imitée d’Horace, n’est pas indigne de
l’original[230].

MOLIÈRE (Jean-Baptiste Poquelin de), né à Paris[231], en 1620, le
meilleur des poëtes comiques de toutes les nations. Cet article a
engagé à relire les poëtes comiques de l’antiquité. Il faut avouer
que si l’on compare l’art et la régularité de notre théâtre avec ces
scènes décousues des anciens, ces intrigues faibles, cet usage grossier
de faire annoncer par des acteurs, dans des monologues froids et sans
vraisemblance, ce qu’ils ont fait, et ce qu’ils veulent faire; il faut
avouer, dis-je, que Molière a tiré la comédie du chaos, ainsi que
Corneille en a tiré la tragédie; et que les Français ont été supérieurs
en ce point à tous les peuples de la terre. Molière avait d’ailleurs
une autre sorte de mérite, que ni Corneille, ni Racine, ni Boileau, ni
La Fontaine, n’avaient pas. Il était philosophe, et il l’était dans la
théorie et dans la pratique. C’est à ce philosophe que l’archevêque de
Paris, Harlai, si décrié pour ses mœurs[232], refusa les vains honneurs
de la sépulture: il fallut que le roi engageât ce prélat à souffrir que
Molière fût enterré secrètement dans le cimetière de la petite chapelle
de Saint-Joseph, rue Montmartre. Mort en 1673.

On s’est piqué à l’envi dans quelques dictionnaires nouveaux de
décrier les vers de Molière, en faveur de sa prose, sur la parole
de l’archevêque de Cambrai, Fénélon, qui semble en effet donner la
préférence à la prose de ce grand comique, et qui avait ses raisons
pour n’aimer que la prose poétique; mais Boileau ne pensait pas ainsi.
Il faut convenir qu’à quelques négligences près, négligences que la
comédie tolère, Molière est plein de vers admirables, qui s’impriment
facilement dans la mémoire. _Le Misanthrope_, _les Femmes savantes_,
_le Tartufe_, sont écrits comme les satires de Boileau. L’_Amphitryon_
est un recueil d’épigrammes et de madrigaux, faits avec un art qu’on
n’a point imité depuis. La bonne poésie est à la bonne prose ce que
la danse est à une simple démarche noble, ce que la musique est au
récit ordinaire, ce que les couleurs d’un tableau sont à des dessins
au crayon. De là vient que les Grecs et les Romains n’ont jamais eu de
comédie en prose.

MONGAULT[233] (L’abbé de). La meilleure traduction qu’on ait faite des
Lettres de Cicéron est de lui. Elle est enrichie de notes judicieuses
et utiles. Il avait été précepteur du fils du duc d’Orléans, régent du
royaume, et mourut, dit-on, de chagrin de n’avoir pu faire auprès de
son élève la même fortune que l’abbé Dubois. Il ignorait apparemment
que c’est par le caractère, et non par l’esprit, que l’on fait fortune.

MONTESQUIEU (Charles de Secondat, baron de La Brède et de), président
au parlement de Bordeaux, né en 1689, donna à l’âge de trente-deux ans
les _Lettres persanes_, ouvrage de plaisanterie, plein de traits qui
annoncent un esprit plus solide que son livre. C’est une imitation du
_Siamois_ de Dufresni et de _l’Espion Turc_[234]; mais imitation qui
fait voir comment ces originaux devaient être écrits. Ces ouvrages
d’ordinaire ne réussissent qu’à la faveur de l’air étranger; on met
avec succès dans la bouche d’un Asiatique la satire de notre pays,
qui serait bien moins accueillie dans la bouche d’un compatriote: ce
qui est commun par soi-même devient alors singulier. Le génie qui
règne dans les _Lettres persanes_ ouvrit au président de Montesquieu
les portes de l’académie française, quoique l’académie fût maltraitée
dans son livre; mais en même temps la liberté avec laquelle il parle
du gouvernement, et des abus de la religion, lui attira une exclusion
de la part du cardinal de Fleury. Il prit un tour très adroit pour
mettre le ministre dans ses intérêts; il fit faire en peu de jours
une nouvelle édition de son livre[235], dans laquelle on retrancha ou
on adoucit tout ce qui pouvait être condamné par un cardinal et par
un ministre. M. de Montesquieu porta lui-même l’ouvrage au cardinal,
qui ne lisait guère, et qui en lut une partie. Cet air de confiance,
soutenu par l’empressement de quelques personnes de crédit, ramena le
cardinal, et Montesquieu entra dans l’académie.

Il donna ensuite le traité _sur la Grandeur et la Décadence des
Romains_, matière usée, qu’il rendit neuve par des réflexions très
fines et des peintures très fortes: c’est une histoire politique de
l’empire romain. Enfin on vit son _Esprit des lois_. On a trouvé dans
ce livre beaucoup plus de génie que dans Grotius et dans Puffendorf.
On se fait quelque violence pour lire ces auteurs; on lit l’_Esprit
des lois_ autant pour son plaisir que pour son instruction. Ce livre
est écrit avec autant de liberté que les _Lettres persanes_; et cette
liberté n’a pas peu servi au succès: elle lui attira des ennemis qui
augmentèrent sa réputation, par la haine qu’ils inspiraient contre eux:
ce sont ces hommes nourris dans les factions obscures des querelles
ecclésiastiques, qui regardent leurs opinions comme sacrées, et ceux
qui les méprisent comme sacriléges. Ils écrivirent violemment contre
le président de Montesquieu; ils engagèrent la Sorbonne à examiner son
livre, mais le mépris dont ils furent couverts arrêta la Sorbonne. Le
principal mérite de l’_Esprit des lois_[236] est l’amour des lois qui
règne dans cet ouvrage; et cet amour des lois est fondé sur l’amour du
genre humain. Ce qu’il y a de plus singulier, c’est que l’éloge qu’il
fait du gouvernement anglais est ce qui a plu davantage en France. La
vive et piquante ironie qu’on y trouve contre l’inquisition a charmé
tout le monde, hors les inquisiteurs. Ses réflexions, presque toujours
profondes, sont appuyées d’exemples tirés de l’histoire de toutes les
nations. Il est vrai qu’on lui a reproché de prendre trop souvent des
exemples dans de petites nations sauvages et presque inconnues, sur
les relations trop suspectes des voyageurs. Il ne cite pas toujours
avec beaucoup d’exactitude; il fait dire, par exemple, à l’auteur du
_Testament politique_ attribué au cardinal de Richelieu, «que s’il se
trouve dans le peuple quelque malheureux honnête homme, il ne faut
pas s’en servir.» Le _Testament politique_ dit seulement, à l’endroit
cité, qu’il vaut mieux se servir des hommes riches et bien élevés,
parcequ’ils sont moins corruptibles. Montesquieu s’est trompé dans
d’autres citations, jusqu’à dire que François Iᵉʳ (qui n’était pas
né lorsque Christophe Colomb découvrit l’Amérique) avait refusé les
offres de Christophe Colomb[237]. Le défaut continuel de méthode dans
cet ouvrage, la singulière affectation de ne mettre souvent que trois
ou quatre lignes dans un chapitre, et encore de ne faire de ces quatre
lignes qu’une plaisanterie, ont indisposé beaucoup de lecteurs; on
s’est plaint de trouver trop souvent des saillies où l’on attendait
des raisonnements; on a reproché à l’auteur d’avoir trop donné d’idées
douteuses pour des idées certaines: mais, s’il n’instruit pas toujours
son lecteur, il le fait toujours penser; et c’est là un très grand
mérite. Ses expressions vives et ingénieuses, dans lesquelles on trouve
l’imagination de Montaigne, son compatriote, ont contribué surtout à
la grande réputation de l’_Esprit des lois_; les mêmes choses dites
par un homme savant, et même plus savant que lui, n’auraient pas été
lues. Enfin, il n’y a guère d’ouvrages où il y ait plus d’esprit, plus
d’idées profondes, plus de choses hardies, et où l’on trouve plus à
s’instruire, soit en approuvant ses opinions, soit en les combattant.
On doit le mettre au rang des livres originaux qui ont illustré le
siècle de Louis XIV[238], et qui n’ont aucun modèle dans l’antiquité.

Il est mort en 1755, en philosophe[239], comme il avait vécu.

MONTFAUCON (Bernard de), né en 1655, bénédictin, l’un des plus savants
antiquaires de l’Europe. Mort en 1741.

MONTFAUCON DE VILLARS (l’abbé), né en 1635, célèbre par le _Comte
de Gabalis_. C’est une partie de l’ancienne mythologie des Perses.
L’auteur fut tué, en 1675, d’un coup de pistolet. On dit que les
sylphes l’avaient assassiné pour avoir révélé leurs mystères.

MONTPENSIER (Anne-Marie-Louise d’Orléans), connue sous le nom de
_Mademoiselle_, fille de Gaston d’Orléans, née à Paris, en 1627. Ses
Mémoires sont plus d’une femme occupée d’elle, que d’une princesse
témoin de grands événements; mais il s’y trouve des choses très
curieuses; on a aussi quelques petits romans d’elle, qu’on ne lit
guère. Les princes, dans leurs écrits, sont au rang des autres hommes.
Si Alexandre et Sémiramis avaient fait des ouvrages ennuyeux, ils
seraient négligés. On trouve plus aisément des courtisans que des
lecteurs. Morte en 1693.

MONTREUIL (Matthieu de), né à Paris, en 1621, l’un de ces écrivains
agréables et faciles dont le siècle de Louis XIV a produit un grand
nombre, et qui n’ont pas laissé de réussir dans le genre médiocre. Il y
a peu de vrais génies; mais l’esprit du temps et l’imitation ont fait
beaucoup d’auteurs agréables. Mort à Aix, en 1692[240].

MORÉRI (Louis), né en Provence, en 1643. On ne s’attendait pas que
l’auteur du _Pays d’amour_, et le traducteur de _Rodriguez_, entreprît
dans sa jeunesse le premier dictionnaire de faits qu’on eût encore
vu[241]. Ce grand travail lui coûta la vie. L’ouvrage réformé et très
augmenté porte encore son nom, et n’est plus de lui. C’est une ville
nouvelle bâtie sur le plan ancien. Trop de généalogies suspectes ont
fait tort surtout à cet ouvrage si utile. Mort en 1680. On a fait des
suppléments remplis d’erreurs.

MORIN (Michel-Jean-Baptiste), né en Beaujolais, en 1583, médecin,
mathématicien, et, par les préjugés du temps, astrologue. Il tira
l’horoscope de Louis XIV. Malgré cette charlatanerie, il était savant.
Il proposa d’employer les observations de la lune à la détermination
des longitudes en mer; mais cette méthode exigeait dans les tables
des mouvements de cette planète ce degré d’exactitude que les travaux
réunis des premiers géomètres de ce siècle ont pu à peine leur donner.
_Voyez_ l’article CASSINI. Mort en 1656.

MORIN (Jean), né à Blois, en 1591, très savant dans les langues
orientales et dans la critique. Mort à l’Oratoire, en 1659.

MORIN (Simon), né en Normandie, en 1623. On ne parle ici de lui que
pour déplorer sa fatale folie et celle de Desmarets Saint-Sorlin, son
accusateur[242]. Saint-Sorlin fut un fanatique qui en dénonça un autre.
Morin, qui ne méritait que les Petites-Maisons, fut brûlé vif en 1663,
avant que la philosophie eût fait assez de progrès pour empêcher les
savants de dogmatiser, et les juges d’être si cruels.

MOTTEVILLE (Françoise Bertaut[243] de), née en 1615, en Normandie.
Cette dame a écrit des Mémoires qui regardent particulièrement la reine
Anne, mère de Louis XIV. On y trouve beaucoup de petits faits, avec un
grand air de sincérité. Morte en 1689.

NAUDÉ (Gabriel), né à Paris, en 1600; médecin, et plus philosophe que
médecin. Attaché d’abord au cardinal Barberin, à Rome, puis au cardinal
de Richelieu, au cardinal Mazarin, et ensuite à la reine Christine,
dont il alla quelque temps grossir la cour savante; retiré enfin à
Abbeville, où il mourut dès qu’il fut libre. De tous ses livres, son
_Apologie des grands hommes accusés de magie_ est presque le seul qui
soit demeuré. On ferait un plus gros livre des grands hommes accusés
d’impiété depuis Socrate.

    «...... _Populus nam_ solos credit habendos
    Esse Deos quos ipse colit.»
               JUV., sat. XV, v. 37.

Mort en 1653.

NEMOURS (Marie de Longueville, duchesse de), née en 1625. On a
d’elle des Mémoires où l’on trouve quelques particularités des temps
malheureux de la fronde. Morte en 1707.

NEVERS (Philippe-Julien Mazarin Mancini, duc de). On a de lui des
pièces de poésie d’un goût très singulier. Il ne faut pas s’en
rapporter au sonnet parodié par Racine et Despréaux:

    Dans un palais doré, Nevers jaloux et blême
    Fait des vers où jamais personne n’entend rien.

Il en fesait qu’on entendait très aisément et avec grand plaisir, comme
ceux-ci contre Rancé, le fameux réformateur de la Trappe, qui avait
écrit contre l’archevêque Fénélon:

    Cet abbé qu’on croyait pétri de sainteté,
    Vieilli dans la retraite et dans l’humilité,
    Orgueilleux de ses croix, bouffi de sa souffrance,
    Rompt ses sacrés statuts en rompant le silence;
    Et, contre un saint prélat s’animant aujourd’hui,
    Du fond de ses déserts déclame contre lui;
    Et moins humble de cœur que fier de sa doctrine,
    Il ose décider ce que Rome examine.

Son esprit et ses talents se sont perfectionnés dans son
petit-fils[244]. Mort en 1707.

NICÉRON (Jean-Pierre), barnabite, né à Paris, en 1685, auteur des
_Mémoires sur les hommes illustres dans les lettres_. Tous ne sont pas
illustres, mais il parle de chacun convenablement; il n’appelle point
un orfèvre grand homme. Il mérite d’avoir place parmi les savants
utiles. Mort en 1738.

NICOLE (Pierre), né à Chartres, en 1625, un des meilleurs écrivains
de Port-Royal. Ce qu’il a écrit contre les jésuites n’est guère lu
aujourd’hui; et ses _Essais de morale_, qui sont utiles au genre
humain, ne périront pas. Le chapitre, surtout, des moyens de conserver
la paix dans la société, est un chef-d’œuvre auquel on ne trouve rien
d’égal en ce genre dans l’antiquité; mais cette paix est peut-être
aussi difficile à établir que celle de l’abbé de Saint-Pierre. Mort en
1695.

NIVELLE DE LA CHAUSSÉE (Pierre-Claude). Il a fait quelques comédies
dans un genre nouveau et attendrissant, qui ont eu du succès. Il est
vrai que pour faire des comédies il lui manquait le génie comique.
Beaucoup de personnes de goût ne peuvent souffrir des comédies où l’on
ne trouve pas un trait de bonne plaisanterie; mais il y a du mérite à
savoir toucher, à bien traiter la morale, à faire des vers bien tournés
et purement écrits: c’est le mérite de cet auteur. Il était né sous
Louis XIV[245]. On lui a reproché que ce qui approche du tragique dans
ses pièces n’est pas toujours assez intéressant, et que ce qui est du
ton de la comédie n’est pas plaisant. L’alliage de ces deux métaux est
difficile à trouver. On croit que La Chaussée est un des premiers
après ceux qui ont eu du génie. Il est mort vers l’année 1750[246].

NODOT, n’est connu que par ses fragments de Pétrone, qu’il dit avoir
trouvés à Belgrade, en 1688. Les lacunes qu’il a en effet remplies
ne me paraissent pas d’un aussi mauvais latin que ses adversaires
le disent. Il y a des expressions, à la vérité, dont ni Cicéron, ni
Virgile, ni Horace, ne se servent; mais le vrai Pétrone est plein
d’expressions pareilles, que de nouvelles mœurs et de nouveaux usages
avaient mises à la mode. Au reste, je ne fais cet article touchant
Nodot que pour faire voir que la satire de Pétrone n’est point du
tout celle que le consul Pétrone envoya, dit-on, à Néron, avant de se
faire ouvrir les veines: «Flagitia principis sub nominibus exoletorum
feminarumque, et novitate cujusque stupri perscripsit, atque obsignata
misit Neroni[247].»

On a prétendu que le professeur Agamemnon est Sénèque; mais le style
de Sénèque est précisément le contraire de celui d’Agamemnon, _turgida
oratio_; Agamemnon est un plat déclamateur de collége.

On ose dire que Trimalcion est Néron. Comment un jeune empereur, qui
après tout avait de l’esprit et des talents, peut-il être représenté
par un vieux financier ridicule, qui donne à dîner à des parasites plus
ridicules encore, et qui parle avec autant d’ignorance et de sottise
que le Bourgeois gentilhomme de Molière?

Comment la crasseuse et idiote Fortunata, qui est fort au-dessous de
madame Jourdain, pourrait-elle être la femme ou la maîtresse de Néron?
quel rapport des polissons de collége, qui vivent de petits larcins
dans des lieux de débauche obscurs, peuvent-ils avoir avec la cour
magnifique et voluptueuse d’un empereur? Quel homme sensé, en lisant
cet ouvrage licencieux, ne jugera pas qu’il est d’un homme effréné,
qui a de l’esprit, mais dont le goût n’est pas encore formé; qui fait
tantôt des vers très agréables, et tantôt de très mauvais; qui mêle les
plus basses plaisanteries aux plus délicates, et qui est lui-même un
exemple de la décadence du goût dont il se plaint?

La clef qu’on a donnée de Pétrone ressemble à celle des _Caractères de
La Bruyère_; elle est faite au hasard.

OZANAM (Jacques), Juif d’origine, né près de Dombes, en 1642. Il
apprit la géométrie sans maître, dès l’âge de quinze ans. Il est le
premier qui ait fait un dictionnaire de mathématiques. Ses _Récréations
mathématiques et physiques_ ont toujours un grand débit; mais ce n’est
plus l’ouvrage d’Ozanam, comme les dernières éditions de Moréri ne sont
plus son ouvrage. Mort en 1717.

PAGI (Antoine), Provençal, né en 1624, franciscain. Il a corrigé
Baronius, et a eu pension du clergé pour cet ouvrage. Mort en 1699.

PAPIN (Isaac), né à Blois en 1657, calviniste. Ayant quitté sa
religion, il écrivit contre elle. Mort en 1709.

PARDIES (Ignace-Gaston), jésuite, né à Pau, en 1636, connu par ses
_Éléments de géométrie_, et par son livre _sur l’Ame des bêtes_[248].
Prétendre avec Descartes que les animaux sont de pures machines privées
du sentiment dont ils ont les organes, c’est démentir l’expérience et
insulter la nature. Avancer qu’un esprit pur les anime, c’est dire
ce qu’on ne peut prouver. Reconnaître que les animaux sont doués de
sensations et de mémoire, sans savoir comment cela s’opère, ce serait
parler en sage qui sait que l’ignorance vaut mieux que l’erreur:
car quel est l’ouvrage de la nature dont on connaisse les premiers
principes? Mort en 1673.

PARENT (Antoine), né à Paris, en 1666, bon mathématicien. Il est encore
un de ceux qui apprirent la géométrie sans maître. Ce qu’il y a de
plus singulier de lui, c’est qu’il vécut long-temps à Paris, libre et
heureux, avec moins de deux cents livres de rente. Mort en 1716.

PASCAL (Blaise), fils du premier intendant qu’il y eut à Rouen, né en
1623, génie prématuré. Il voulut se servir de la supériorité de ce
génie comme les rois de leur puissance; il crut tout soumettre et tout
abaisser par la force. Ce qui a le plus révolté certains lecteurs dans
ses _Pensées_[249], c’est l’air despotique et méprisant dont il débute.
Il ne fallait commencer que par avoir raison. Au reste, la langue et
l’éloquence lui doivent beaucoup. Les ennemis de Pascal et d’Arnauld
firent supprimer leurs éloges dans le livre des _Hommes illustres_
de Perrault. Sur quoi on cita ce passage de Tacite (Ann. III, 76),
«Præfulgebant Cassius atque Brutus eo ipso quod effigies eorum non
visebantur.» Mort en 1662.

PATIN (Gui), né à Houdan, en 1601, médecin, plus fameux par ses
Lettres médisantes que par sa médecine. Son recueil de Lettres a
été lu avec avidité, parcequ’elles contiennent des nouvelles et des
anecdotes que tout le monde aime, et des satires qu’on aime davantage.
Il sert à faire voir combien les auteurs contemporains qui écrivent
précipitamment les nouvelles du jour, sont des guides infidèles pour
l’histoire. Ces nouvelles se trouvent souvent fausses ou défigurées par
la malignité; d’ailleurs, cette multitude de petits faits n’est guère
précieuse qu’aux petits esprits. Mort en 1672.

PATIN (Charles), né à Paris, en 1633, fils de _Gui_ Patin. Ses ouvrages
sont lus des savants, et les Lettres de son père le sont des gens
oisifs. _Charles_ Patin, très savant antiquaire, quitta la France, et
mourut professeur en médecine à Padoue, en 1693.

PATRU (Olivier), né à Paris en 1604, le premier qui ait introduit la
pureté de la langue dans le barreau. Il reçut dans sa dernière maladie
une gratification de Louis XIV, à qui l’on dit qu’il n’était pas riche.
Mort en 1681.

PAVILLON (Étienne), né à Paris, en 1632, avocat général au parlement de
Metz, connu par quelques poésies écrites naturellement. Mort en 1705.

PELLISSON-FONTANIER (Paul), né calviniste à Béziers, en 1624; poëte
médiocre, à la vérité, mais homme très savant et très éloquent; premier
commis et confident du surintendant Fouquet; mis à la Bastille en 1661.
Il y resta quatre ans et demi, pour avoir été fidèle à son maître. Il
passa le reste de sa vie à prodiguer des éloges au roi, qui lui avait
ôté sa liberté: c’est une chose qu’on ne voit que dans les monarchies.
Beaucoup plus courtisan que philosophe, il changea de religion, et fit
sa fortune. Maître des comptes, maître des requêtes, et abbé, il fut
chargé d’employer le revenu du tiers des économats à faire quitter
aux huguenots leur religion, qu’il avait quittée. Son _Histoire de
l’académie_ fut très applaudie. On a de lui beaucoup d’ouvrages, des
_Prières pendant la messe_, un _Recueil de pièces galantes_, un _Traité
sur l’Eucharistie_, beaucoup de vers amoureux à Olympe. Cette Olympe
était mademoiselle Desvieux, qu’on prétend avoir épousé le célèbre
Bossuet avant qu’il entrât dans l’Église[250]. Mais ce qui a fait
le plus d’honneur à Pellisson, ce sont ses excellents discours pour
M. Fouquet, et son _Histoire de la conquête de la Franche-Comté_.
Les protestants ont prétendu qu’il était mort avec indifférence; les
catholiques ont soutenu le contraire, et tous sont convenus qu’il
mourut sans sacrements. Mort en 1693.

PERRAULT (Claude), né à Paris en 1613[251]. Il fut médecin, mais
il n’exerça la médecine que pour ses amis. Il devint, sans aucun
maître, habile dans tous les arts qui ont rapport au dessin, et dans
les mécaniques. Bon physicien, grand architecte, il encouragea les
arts sous la protection de Colbert, et eut de la réputation malgré
Boileau. Il a publié plusieurs Mémoires sur l’anatomie comparée, dans
les recueils de l’académie des sciences, et une magnifique édition de
Vitruve. La traduction et les dessins qui l’embellissent sont également
ses ouvrages. Mort en 1688.

PERRAULT (Charles), né en 1633, frère de Claude. Contrôleur-général
des bâtiments sous Colbert, donna la forme aux académies de peinture,
de sculpture, et d’architecture. Utile aux gens de lettres, qui le
recherchèrent pendant la vie de son protecteur, et qui l’abandonnèrent
ensuite. Ou lui a reproché d’avoir trouvé trop de défauts dans
les anciens; mais sa grande faute est de les avoir critiqués
maladroitement, et de s’être fait des ennemis de ceux même qu’il
pouvait opposer aux anciens. Cette dispute a été et sera long-temps une
affaire de parti, comme elle l’était du temps d’Horace. Que de gens
encore en Italie qui, ne pouvant lire Homère qu’avec dégoût, et lisant
tous les jours l’Arioste et le Tasse avec transport, appellent encore
Homère incomparable! Mort en 1703.

_N. B._ Il est dit dans les _Anecdotes littéraires_, tome II, page 27,
qu’Addison ayant fait présent de ses ouvrages à Despréaux, celui-ci
lui répondit qu’il n’aurait jamais écrit contre Perrault, s’il eût
vu de si excellentes pièces d’un moderne. Comment peut-on imprimer
un tel mensonge? Boileau ne savait pas un mot d’anglais, aucun
Français n’étudiait alors cette langue. Ce n’est que vers l’an 1730
qu’on commença à se familiariser avec elle. Et d’ailleurs, quand même
Addison, qui s’est moqué de Boileau, aurait été connu de lui, pourquoi
Boileau n’aurait-il pas écrit contre Perrault, en faveur des anciens
dont Addison fait l’éloge dans tous ses ouvrages? Encore une fois[252],
défions-nous de tous ces _ana_, de toutes ces petites anecdotes. Un sûr
moyen de dire des sottises est de répéter au hasard ce qu’on a entendu
dire.

PERROT D’ABLANCOURT (Nicolas), d’une ancienne famille du parlement de
Paris, né à Vitri[253] en 1606, traducteur élégant, et dont on appela
chaque traduction _la belle infidèle_: mort pauvre en 1664.

PETAU (Denys), né à Orléans, en 1583, jésuite. Il a réformé la
chronologie. On a de lui soixante et dix ouvrages. Mort en 1652.

PETIS DE LA CROIX (François), l’un de ceux dont le grand ministre
Colbert encouragea et récompensa le mérite. Louis XIV l’envoya en
Turquie et en Perse, à l’âge de seize ans, pour apprendre les langues
orientales. Qui croirait qu’il a composé une partie de la vie de
Louis XIV en arabe, et que ce livre est estimé dans l’Orient? On a de
lui l’_Histoire de Gengis-Kan[254] et de Tamerlan, tirée des anciens
auteurs arabes_, et plusieurs livres utiles; mais sa traduction des
_Mille et un jours_ est ce qu’on lit le plus:

    L’homme est de glace aux vérités,
    Il est de feu pour les mensonges.
               LA FONTAINE, IX, 6.

Mort en 1713.

PETIT (Pierre), né à Paris, en 1617, philosophe et savant. Il n’a écrit
qu’en latin. Mort en 1687.

PEZRON (Paul), de l’ordre de Citeaux, né en Bretagne, en 1639, grand
antiquaire, qui a travaillé sur l’origine de la langue des Celtes. Mort
en 1706.

POLIGNAC (Melchior de), cardinal, né au Puy, en Vélay, en 1661, aussi
bon poëte latin qu’on peut l’être dans une langue morte; très éloquent
dans la sienne; l’un de ceux qui ont prouvé qu’il est plus aisé de
faire des vers latins que des vers français. Malheureusement pour lui,
en combattant Lucrèce il combat Newton. Mort en 1741[255].

PONTIS (Louis de). Ses Mémoires ont été tellement en vogue, qu’il est
nécessaire de dire que cet homme, qui a fait tant de belles choses
pour le service du roi, est le seul qui en ait jamais parlé. Aussi
ses _Mémoires_ ne sont pas de lui; ils sont de Dufossé, écrivain de
Port-Royal. Il feint que son héros portait le nom de sa terre en
Dauphiné. Il n’y a point en Dauphiné de seigneurie de Pontis. Il
est même fort douteux que Pontis ait existé[256]. Le _Dictionnaire
historique portatif_[257], en quatre volumes, assure que ces Mémoires
sont vrais. Ils sont cependant remplis de fables, comme l’a démontré
le P. d’Avrigni, dans la préface de ses _Mémoires historiques_.

PORÉE (Charles), né en Normandie[258] en 1675, jésuite; du petit
nombre de professeurs qui ont eu de la célébrité chez les gens du
monde; éloquent dans le goût de Sénèque; poëte, et très bel esprit.
Son plus grand mérite fut de faire aimer les lettres et la vertu à ses
disciples. Mort en 1741.

PUYSÉGUR (Jacques de Chastenet, maréchal de). Il nous a laissé l’_Art
de la guerre_, comme Boileau a donné l’_Art poétique_[259].

QUESNEL (Pasquier), né en 1634, de l’Oratoire. Il a été malheureux,
en ce qu’il s’est vu le sujet d’une grande division parmi ses
compatriotes. D’ailleurs, il a vécu pauvre et dans l’exil. Ses mœurs
étaient sévères comme celles de tous ceux qui ne sont occupés que de
disputes. Trente pages changées et adoucies dans son livre auraient
épargné des querelles à sa patrie; mais il eût été moins célèbre. Mort
en 1719.

QUINAULT (Philippe), né à Paris en 1636, auditeur des comptes, célèbre
par ses belles poésies lyriques, et par la douceur qu’il opposa aux
satires très injustes de Boileau. Quinault était, dans son genre, très
supérieur à Lulli. On le lira toujours; et Lulli, à son récitatif près,
ne peut plus être chanté. Cependant on croyait, du temps de Quinault,
qu’il devait à Lulli sa réputation. Le temps apprécie tout. Il eut
part, comme les autres grands hommes, aux récompenses que donna Louis
XIV, mais une part médiocre; les grandes graces furent pour Lulli. Mort
en 1688.

_N. B._ Il est rapporté dans les _Anecdotes littéraires_[260] que
Boileau, étant à la salle de l’Opéra de Versailles, dit à l’officier
qui plaçait: _Monsieur, mettez-moi dans un endroit où je n’entende
point les paroles. J’estime fort la musique de Lulli, mais je méprise
souverainement les vers de Quinault._

Il n’y a nulle apparence que Boileau ait dit cette grossièreté. S’il
s’était borné à dire, mettez-moi dans un endroit où je n’entende que
la musique, cela n’eût été que plaisant, mais n’eût pas été moins
injuste. On a surpassé prodigieusement Lulli dans tout ce qui n’est pas
récitatif; mais personne n’a jamais égalé Quinault.

QUINCI (le marquis de), lieutenant-général d’artillerie, auteur de
l’_Histoire militaire de Louis XIV_. Il entre dans de grands détails,
utiles pour ceux qui veulent suivre dans leur lecture les opérations
d’une campagne. Ces détails pourraient fournir des exemples, s’il
y avait des cas pareils; mais il ne s’en trouve jamais, ni dans
les affaires, ni dans la guerre. Les ressemblances sont toujours
imparfaites, les différences toujours grandes. La conduite de la guerre
est comme les jeux d’adresse, qu’on n’apprend que par l’usage; et les
jours d’action sont quelquefois des jeux de hasard.

RACINE (Jean), né à la Ferté-Milon en 1639, élevé à Port-Royal. Il
portait encore l’habit ecclésiastique quand il fit la tragédie de
_Théagène_, qu’il présenta à Molière, et celle des _Frères ennemis_,
dont Molière lui donna le sujet. Il est intitulé prieur de l’Épinai
dans le privilége de l’_Andromaque_. Louis XIV fut sensible à son
extrême mérite. Il lui donna une charge de gentilhomme ordinaire, le
nomma quelquefois des voyages de Marli, le fit coucher dans sa chambre,
dans une de ses maladies, et le combla de gratifications. Cependant
Racine mourut de chagrin ou de crainte de lui avoir déplu. Il n’était
pas aussi philosophe que grand poëte. On lui a rendu justice fort
tard. «Nous avons été touchés, dit Saint-Évremond, de _Mariamne_, de
_Sophonisbe_, d’_Alcyonée_, d’_Andromaque_, et de _Britannicus_.»
C’est ainsi qu’on mettait non seulement la mauvaise _Sophonisbe_ de
Corneille, mais encore les impertinentes pièces d’_Alcyonée_ et de
_Mariamne_[261], à côté de ces chefs-d’œuvre immortels. L’or est
confondu avec la boue pendant la vie des artistes, et la mort les
sépare.

Il est à remarquer que Racine ayant consulté Corneille sur sa tragédie
d’_Alexandre_, Corneille lui conseilla de ne plus faire de tragédies,
et lui dit qu’il n’avait nul talent pour ce genre d’écrire[262].
N’oublions pas qu’il écrivit contre les jansénistes, et qu’il se fit
ensuite janséniste. Mort en 1699.

RACINE[263] (Louis), fils de l’immortel Jean Racine, a marché sur les
traces de son père, mais dans un sentier plus étroit et moins fait
pour les muses. Il entendait la mécanique des vers aussi bien que son
père, mais il n’en avait ni l’ame ni les graces. Il manquait d’ailleurs
d’invention et d’imagination. Janséniste comme son père, il ne fit des
vers que pour le jansénisme. On en trouve de très beaux dans le poëme
de _la Grace_, et dans celui de _la Religion_, ouvrage trop didactique
et trop monotone, copié des _Pensées de Pascal_, mais rempli de beaux
détails, tels que ces vers du chant second, dans lequel il traduit
Lucrèce pour le réfuter:

    Cet esprit, ô mortels, qui vous rend si jaloux,
    N’est qu’un feu qui s’allume et s’éteint avec nous.
    Quand par d’affreux sillons l’implacable vieillesse
    A sur un front hideux imprimé la tristesse;
    Que, dans un corps courbé sous un amas de jours,
    Le sang, comme à regret, semble achever son cours;
    Lorsqu’en des yeux couverts d’un lugubre nuage
    Il n’entre des objets qu’une infidèle image;
    Qu’en débris chaque jour le corps tombe et périt:
    En ruines _aussi_ je vois tomber l’esprit.
    L’ame mourante alors, flambeau sans nourriture,
    Jette par intervalle une lueur obscure.
    Triste destin de l’homme! il arrive au tombeau
    Plus faible, plus enfant qu’il ne l’est au berceau.
    La mort d’un coup fatal frappe enfin l’édifice;
    Dans un dernier soupir, achevant son supplice,
    Lorsque, vide de sang, le cœur reste glacé,
    Son ame s’évapore, et tout l’homme est passé.

Il s’élève quelquefois dans ce poëme contre le _tout est bien_ des
lords Shaftesbury et Bolingbroke, si bien mis en vers par Pope.

    Sans doute qu’à ces mots, des bords de la Tamise,
    Quelque abstrait raisonneur qui ne se plaint de rien,
    Dans son flegme anglican répondra: Tout est bien.

Racine, en qualité de janséniste, croyait que presque tout est mal
depuis long-temps; il accuse Pope d’irréligion. Pope était fils d’un
papiste, c’est ainsi qu’on appelle en Angleterre les catholiques
romains. Pope, élevé dans cette religion qu’il tourne quelquefois en
ridicule dans ses épîtres, ne voulut cependant pas la quitter quoiqu’il
fût philosophe, où plutôt parcequ’il était assez philosophe pour
croire que ce n’était pas la peine de changer. Il fut très piqué des
accusations de Louis Racine. Ramsay entreprit de les concilier. C’était
un Écossais du clan des Ramsay, et qui en avait pris le nom, suivant
l’usage de ce pays. Il était venu en France après avoir essayé du
presbytérianisme, de l’église anglicane, et du quakerisme, et s’était
attaché à l’illustre Fénélon, dont il a depuis écrit la vie. C’est
lui qui est l’auteur des _Voyages de Cyrus_, très faible imitation du
_Télémaque_. Il imagina d’écrire à Louis Racine une lettre sous le nom
de Pope, dans laquelle celui-ci semble se justifier.

J’avais vécu une année entière avec Pope; je savais qu’il était
incapable d’écrire en français, qu’il ne parlait point du tout notre
langue, et qu’à peine il pouvait lire nos auteurs; c’était une chose
publique en Angleterre. J’avertis Louis Racine que cette lettre était
de Ramsay, et non de Pope. Je voulus lui faire sentir le ridicule de
cette supercherie: j’en instruisis même le public dans un chapitre sur
Pope[264], qui a été imprimé plusieurs fois du vivant de Pope même.
Cependant, après sa mort, l’abbé Ladvocat a imprimé cette lettre,
forgée par Ramsay, et l’a imputée à Pope, dans son _Dictionnaire
historique portatif_, où il copie plusieurs articles des premières
éditions de cette liste des écrivains du siècle de Louis XIV, mais où
il insère des anecdotes entièrement fausses. Il est juste de faire
connaître au public la vérité.

RANCÉ (Armand-Jean Le Bouthillier de), né en 1626, commença par
traduire _Anacréon_, et institua la réforme effrayante de la Trappe,
en 1664. Il se dispensa, comme législateur, de la loi qui force ceux
qui vivent dans ce tombeau, à ignorer ce qui se passe sur la terre. Il
écrivit avec éloquence. Quelle inconstance dans l’homme! Après avoir
fondé et gouverné son institut, il se démit de sa place, et voulut la
reprendre. Mort en 1700[265].

RAPIN (Réné), né à Tours, en 1621, jésuite, connu par le _Poëme des
jardins_ en latin, et par beaucoup d’ouvrages de littérature. Mort en
1687.

RAPIN DE THOIRAS (Paul), né à Castres en 1661, réfugié en Angleterre,
et long-temps officier. L’Angleterre lui fut long-temps redevable de la
seule bonne histoire complète qu’on eût faite de ce royaume, et de la
seule impartiale qu’on eût d’un pays où l’on n’écrivait que par esprit
de parti; c’était même la seule histoire qu’on pût citer en Europe
comme approchante de la perfection qu’on exige de ces ouvrages, jusqu’à
ce qu’enfin on ait vu paraître celle du célèbre Hume, qui a su écrire
l’histoire en philosophe. Mort à Vésel, en 1725.

RÉGIS (Pierre-Silvain), né en Agenois, en 1632. Ses livres de
philosophie n’ont plus de cours depuis les grandes découvertes qu’on a
faites. Mort en 1707.

REGNARD (Jean-François), né à Paris, en 1656[266]. Il eût été célèbre
par ses seuls voyages. C’est le premier Français qui alla jusqu’en
Laponie. Il grava sur un rocher ce vers:

    «Hic tandem stetimus, nobis ubi defuit orbis.»

Pris sur la mer de Provence par des corsaires, esclave à Alger,
racheté, établi en France dans les charges de trésorier de France et de
lieutenant des eaux et forêts, il vécut en voluptueux et en philosophe.
Né avec un génie vif, gai, et vraiment comique, sa comédie du _Joueur_
est mise à côté de celles de Molière. Il faut se connaître peu aux
talents et au génie des auteurs pour penser qu’il ait dérobé cette
pièce à Dufresni. Il dédia la comédie des _Ménechmes_ à Despréaux, et
ensuite il écrivit contre lui[267], parceque Boileau ne lui rendit
pas assez de justice. Cet homme si gai mourut de chagrin[268] à
cinquante-quatre ans. On prétend même qu’il avança ses jours. Mort en
1710.

REGNIER DESMARETS (François-Séraphin), né à Paris, en 1632. Il a rendu
de grands services à la langue, et est auteur de quelques poésies
françaises et italiennes. Il fit passer une de ses pièces italiennes
pour être de _Pétrarque_. Il n’eût pas fait passer ses vers français
sous le nom d’un grand poëte. Mort en 1713.

RENAUDOT (Théophraste), médecin, très savant en plus d’un genre, le
premier auteur des gazettes en France[269]. Mort en 1658.

RENAUDOT (Eusèbe), né en 1646, très savant dans l’histoire, et dans
les langues de l’Orient. On peut lui reprocher d’avoir empêché que le
dictionnaire de Bayle ne fût imprimé en France. Mort en 1720.

RETZ. Voyez GONDI.

REYNAU (Charles-Réné), de l’Oratoire, de l’académie des sciences, né
en 1656, auteur de l’_Analyse démontrée_, publiée en 1708. On l’appela
l’Euclide de la haute géométrie. Mort en 1728.

RICHELET (César-Pierre), né en 1631, le premier qui ait donné un
dictionnaire presque tout satirique, exemple plus dangereux qu’utile.
Il est aussi le premier auteur des dictionnaires de rimes, tristes
ouvrages, qui font voir combien il est peu de rimes nobles et riches
dans notre poésie, et qui prouvent l’extrême difficulté de faire de
bons vers dans notre langue. Mort en 1698.

RICHELIEU[270] (Armand-Jean Duplessis, cardinal de), né à Paris, en
1585. Puisque Louis XIV naquit pendant son ministère, on doit mettre
parmi les écrivains de ce siècle illustre le fondateur de l’académie
française, auteur lui-même de plusieurs ouvrages. Il fit la _Méthode
des controverses_[271] dans son exil à Avignon, après l’assassinat
du maréchal d’Ancre, et de la Galigaï, ses protecteurs. _Les
principaux points de la Religion catholique défendus_, l’_Instruction
du Chrétien_, et la _Perfection du Chrétien_, sont à peu près de
ce temps-là. Il est bien sûr qu’il ne composait pas la _Perfection
du Chrétien_ du temps qu’il fesait condamner à mort le maréchal de
Marillac dans sa propre maison de Ruel, et qu’il était avec Marion
Delorme dans un appartement, lorsque les commissaires prononcèrent
l’arrêt de mort dicté par lui. On sait aussi qu’il y a beaucoup de vers
de sa façon dans la tragi-comédie allégorique intitulée _Europe_, et
dans la tragédie de _Mirame_. On sait qu’il donnait à cinq auteurs[272]
les sujets des pièces représentées au palais-cardinal, et qu’il eût
mieux fait de s’en tenir au seul Corneille, sans même lui fournir de
sujet. Le plus beau de ses ouvrages est la digue de La Rochelle.

L’abbé Ladvocat, bibliothécaire de Sorbonne, prétend, dans son
_Dictionnaire historique_, que le cardinal de Richelieu est l’auteur
de ce testament[273] qui a fait tant de bruit, et qui est supposé. Il
croit devoir ce respect à la mémoire du bienfaiteur de la Sorbonne;
mais c’est rendre un mauvais service à sa mémoire, que de l’accuser
d’avoir fait un livre où il n’y a que des erreurs et des fautes de
toute espèce. Si malheureusement un ministre d’état avait pu composer
un si mauvais ouvrage, tout ce qu’on en devrait conclure, c’est qu’on
pourrait être un grand ministre, ou plutôt un ministre heureux,
avec une grande ignorance des faits les plus communs, des erreurs
grossières, et des projets ridicules. C’est donc venger la mémoire du
cardinal de Richelieu, que de démontrer, comme on l’a fait, qu’il ne
peut être l’auteur de ce testament qui, sans son nom, aurait été ignoré
à jamais.

L’abbé Ladvocat, tout bibliothécaire qu’il était de la Sorbonne,
s’est trompé en disant qu’on avait retrouvé dans cette bibliothèque
un manuscrit de cet ouvrage apostillé de la main du cardinal. Le seul
manuscrit apostillé ainsi est au dépôt des affaires étrangères; il n’y
fut porté qu’en 1705. Ce n’est point le testament qui est apostillé,
c’est une narration succincte composée par l’abbé de Bourzeis, à
laquelle on avait, long-temps après, ajouté ce testament prétendu: et
les notes marginales même, écrites de la main du cardinal, prouvent
que cette narration succincte n’était pas de lui; elles indiquent les
omissions de l’abbé de Bourzeis, et ce qu’il devait résoudre. Voyez la
réponse à M. de Foncemagne[274].

On attribue encore au cardinal de Richelieu une _Histoire de la mère
et du fils_; c’est un récit assez infidèle des malheureux démêlés
de Louis XIII avec sa mère. Cette histoire faible et tronquée est
probablement de Mézerai: mais dans la multitude des livres dont nous
sommes accablés aujourd’hui, qu’importe de quelle main soit un ouvrage
médiocre[275]? Mort en 1642.

ROHAULT (Jacques), né à Amiens, en 1620. Il abrégea et il exposa avec
clarté et méthode la philosophie de Descartes: mais aujourd’hui cette
philosophie, erronée presque en tout, n’a d’autre mérite que celui
d’avoir été opposée aux erreurs anciennes. Mort en 1675.

ROLLIN (Charles), né à Paris, en 1661, recteur de l’université. Le
premier de ce corps qui a écrit en français avec pureté et noblesse.
Quoique les derniers tomes de son _Histoire ancienne_, faits trop à
la hâte, ne répondent pas aux premiers, c’est encore la meilleure
compilation qu’on ait en aucune langue, parceque les compilateurs
sont rarement éloquents, et que Rollin l’était. Son livre vaudrait
beaucoup mieux si l’auteur avait été philosophe. Il y a beaucoup
d’histoires anciennes; il n’y en a aucune dans laquelle on aperçoive
cet esprit philosophique qui distingue le faux du vrai, l’incroyable
du vraisemblable, et qui sacrifie l’inutile. Mort en 1740.

ROTROU (Jean), né en 1609, le fondateur du théâtre. La première scène
et une partie du quatrième acte de _Venceslas_ sont des chefs-d’œuvre.
Corneille l’appelait son père. On sait combien le père fut surpassé
par le fils. _Venceslas_ ne fut composé qu’après _le Cid_; il est tiré
entièrement, comme _le Cid_, d’une tragédie espagnole. Mort en 1650.

ROUSSEAU (Jean-Baptiste), né à Paris en 1669[276]. De beaux vers,
de grandes fautes et de longs malheurs le rendirent très fameux. Il
faut, ou lui imputer les couplets qui le firent bannir, couplets
semblables à plusieurs qu’il avait avoués, ou flétrir deux tribunaux
qui prononcèrent contre lui. Ce n’est pas que deux tribunaux, et même
des corps plus nombreux, ne puissent commettre unanimement de très
violentes injustices, quand l’esprit de parti domine. Il y avait un
parti furieux acharné contre Rousseau. Peu d’hommes ont autant excité
et senti la haine. Tout le public fut soulevé contre lui jusqu’à
son bannissement, et même encore quelques années après; mais enfin
les succès de La Motte, son rival, l’accueil qu’on lui fesait, sa
réputation qu’on croyait usurpée, l’art qu’il avait eu de s’établir une
espèce d’empire dans la littérature, révoltèrent contre lui tous les
gens de lettres, et les ramenèrent à Rousseau, qu’ils ne craignaient
plus. Ils lui rendirent presque tout le public. La Motte leur parut
trop heureux, parcequ’il était riche et accueilli. Ils oubliaient
que cet homme était aveugle et accablé de maladies. Ils voyaient dans
Rousseau un banni infortuné, sans songer qu’il est plus triste d’être
aveugle et malade que de vivre à Vienne et à Bruxelles. Tous deux
étaient en effet très malheureux; l’un par la nature, l’autre par
l’aventure funeste qui le fit condamner. Tous deux servent à faire
voir combien les hommes sont injustes, combien ils varient dans leurs
jugements, et qu’il y a de la folie à se tourmenter pour arracher leurs
suffrages. Mort à Bruxelles, en 1740[277].

Rousseau eut rarement dans ses ouvrages de l’aménité, des graces, du
sentiment, de l’invention; il savait très bien tourner une épigramme
licencieuse et une stance. Ses épîtres sont écrites avec une plume de
fer trempée dans le fiel le plus dégoûtant. Il appelle mesdemoiselles
Louvancourt, qui étaient trois sœurs très aimables, _trio de louves
acharnées_[278]: il appelle le conseiller d’état Rouillé _tabarin
mordant, caustique et rustre_, après lui avoir prodigué des louanges
dans une ode assez médiocre[279]. Les mots de _maroufles_, de
_bélîtres_, salissent ses épîtres. Il faut, sans doute, opposer une
noble fierté à ses ennemis; mais ces basses injures sans gaîté, sans
agréments, sont le contraire d’une ame noble.

Quant aux couplets qui le firent bannir, _voyez_ les articles LA MOTTE
et SAURIN.

On se contentera de remarquer ici que Rousseau ayant avoué qu’il avait
fait cinq de ces malheureux couplets, il était coupable de tous les
autres au tribunal de tous les juges et de tous les honnêtes gens. Sa
conduite après sa condamnation n’est nullement une preuve en sa faveur;
on a entre les mains des lettres du sieur Médine[280] de Bruxelles, du
7 mai 1737, conçues en ces termes: «Rousseau n’avait d’autre table que
la mienne, d’autre asile que chez moi; il m’avait baisé et embrassé
cent fois le jour qu’il força mes créanciers à me faire arrêter.»

Qu’on joigne à cela un pélerinage fait par Rousseau à Notre-Dame de
Hall, et qu’on juge s’il doit en être cru sur sa parole dans l’affaire
des couplets[281].

RUINART (Thierri), bénédictin, né en 1657, laborieux critique. Il
a soutenu contre Dodwell[282] l’opinion que l’_Église eut dans
les premiers temps une foule prodigieuse de martyrs_. Peut-être
n’a-t-il pas assez distingué les martyrs et les morts ordinaires; les
persécutions pour cause de religion, et les persécutions politiques.
Quoi qu’il en soit, il est au nombre des savants hommes du temps.
C’est principalement dans ce siècle que les bénédictins ont fait les
plus profondes recherches, comme Martène[283] sur les anciens rites
de l’Église. Thuillier[284] et tant d’autres ont achevé de tirer de
dessous terre les décombres du moyen âge. C’est encore un genre nouveau
qui n’appartient qu’au siècle de Louis XIV; et ce n’est qu’en France
que les bénédictins y ont excellé. Mort en 1709.

SABLIÈRE (Antoine Rambouillet de La). Ses madrigaux sont écrits avec
une finesse qui n’exclut pas le naturel. Mort en 1680.

SACI (Louis-Isaac Le Maistre de), né en 1613, l’un des bons écrivains
de Port-Royal. C’est de lui qu’est la _Bible de Royaumont_[285], et
une traduction des comédies de Térence. Mort en 1684. Son frère,
Antoine Le Maistre[286], se retira comme lui à Port-Royal. Il avait été
avocat; on le croyait un homme très éloquent, mais on ne le crut plus
dès qu’il eut cédé à la vanité de faire imprimer ses plaidoyers. Un
autre Saci[287], avocat, et de l’académie française, mais d’une autre
famille, a donné une traduction estimée des _Lettres de Pline_, en 1701.

SAINT-AULAIRE (François-Joseph de Beaupoil, marquis de). C’est une
chose très singulière que les plus jolis vers qu’on ait de lui aient
été faits lorsqu’il était plus que nonagénaire. Il ne cultiva guère
le talent de la poésie qu’à l’âge de plus de soixante ans, comme le
marquis de La Fare. Dans les premiers vers qu’on connut de lui, on
trouve ceux-ci qu’on attribua à La Fare:

        O muse légère et facile,
        Qui, sur le coteau d’Hélicon,
    Vîntes offrir au vieil Anacréon
        Cet art charmant, cet art utile
        Qui sait rendre douce et tranquille
        La plus incommode saison;
    Vous qui de tant de fleurs sur le Parnasse écloses,
    Orniez à ses côtés les Graces et les Ris,
        Et qui cachiez ses cheveux gris
        Sous tant de couronnes de roses, etc.

Ce fut sur cette pièce qu’il fut reçu à l’académie; et Boileau
alléguait cette même pièce pour lui refuser son suffrage. Il est mort
en 1742, à près de cent ans, d’autres disent à cent deux. Un jour, à
l’âge de plus de quatre-vingt-quinze ans, il soupait avec madame la
duchesse du Maine: elle l’appelait Apollon, et lui demandait je ne sais
quel secret; il lui répondit:

            La divinité qui s’amuse
            A me demander mon secret,
    Si j’étais Apollon ne serait point ma muse,
    Elle serait Thétis, et le jour finirait.

Anacréon moins vieux fit de bien moins jolies choses. Si les Grecs
avaient eu des écrivains tels que nos bons auteurs, ils auraient été
encore plus vains; nous leur applaudirions aujourd’hui avec encore plus
de raison.

SAINTE-MARTHE (Gaucher de). Cette famille a été pendant plus de cent
années féconde en savants. Le premier Gaucher de Sainte-Marthe fut
Charles, qui fut éloquent pour son temps. Mort en 1555.

Scévole, neveu de Charles, se distingua dans les lettres et dans les
affaires. Ce fut lui qui réduisit Poitiers sous l’obéissance de Henri
IV. Il mourut à Loudun, en 1623, et le fameux Urbain Grandier prononça
son oraison funèbre.

Abel de Sainte-Marthe, son fils, cultiva les lettres comme son père, et
mourut en 1652. Son fils, nommé Abel comme lui, marcha sur ses traces:
mort en 1706.

Scévole et Louis de Sainte-Marthe, frères jumeaux, fils du premier
Scévole, enterrés tous deux à Paris, dans le même tombeau, à
Saint-Severin, furent illustres par leur savoir. Ils composèrent
ensemble le _Gallia christiana_. Scévole, mort en 1650; Louis, mort en
1656.

Denys de Sainte-Marthe[288], leur cousin, acheva cet ouvrage[289]. Mort
à Paris, en 1725.

Pierre-Scévole de Sainte-Marthe, frère aîné[290] du dernier Scévole,
fut historiographe de France. Mort en 1690.

SAINT-ÉVREMOND (Charles de Saint-Denys, de), né en Normandie, en 1613.
Une morale voluptueuse, des lettres écrites à des gens de cour, dans
un temps où ce mot de cour était prononcé avec emphase par tout le
monde, des vers médiocres, qu’on appelle vers de _société_, faits dans
des sociétés illustres, tout cela avec beaucoup d’esprit contribua
à la réputation de ses ouvrages. Un nommé Des-Maizeaux les a fait
imprimer, avec une vie de l’auteur, qui contient seule un gros volume;
et dans ce gros volume il n’y a pas quatre pages intéressantes. Il
n’est grossi que des mêmes choses qu’on trouve dans les _Œuvres_ de
Saint-Évremond[291]: c’est un artifice du libraire, un abus du métier
d’éditeur. C’est par de tels artifices qu’on a trouvé le secret de
multiplier les livres à l’infini, sans multiplier les connaissances.
On connaît son exil, sa philosophie, et ses ouvrages. Quand on lui
demanda, à sa mort, s’il voulait se _réconcilier_, il répondit: «Je
voudrais me réconcilier avec l’appétit.» Il est enterré à Westminster,
avec les rois et les hommes illustres d’Angleterre. Mort en 1703.

SAINT-PAVIN (Denys Sanguin de). Il était au nombre des hommes de
mérite que Despréaux confondit dans ses satires avec les mauvais
écrivains[292]. Le peu qu’on a de lui passe pour être d’un goût
délicat. On peut connaître son mérite personnel par cette épitaphe, que
fit pour lui Fieubet[293], le maître des requêtes, l’un des esprits
les plus polis de ce siècle:

    Sous ce tombeau gît Saint-Pavin;
    Donne des larmes à sa fin.
    Tu fus de ses amis peut-être?
    Pleure sur ton sort et le sien:
    Tu n’en fus pas? pleure le tien,
    Passant, d’avoir manqué d’en être.

Mort en 1670.

SAINT-PIERRE (Charles-Irénée Castel, abbé de), né en 1658, gentilhomme
de Normandie[294], n’ayant qu’une fortune médiocre, la partagea
quelque temps avec les célèbres Varignon et Fontenelle. Il écrivit
beaucoup sur la politique. La meilleure définition qu’on ait faite
en général de ses ouvrages, est ce qu’en disait le cardinal Dubois,
que c’étaient les rêves d’un bon citoyen. Il avait la simplicité de
rebattre, dans ses livres, les vérités les plus triviales de la morale,
et par une autre simplicité, il proposait presque toujours des choses
impossibles comme praticables. Il ne cessa d’insister sur le projet
d’une paix perpétuelle, et d’une espèce de parlement de l’Europe, qu’il
appelle _la diète europaine_. On avait imputé une partie de ce projet
chimérique au roi Henri IV, et l’abbé de Saint-Pierre, pour appuyer ses
idées, prétendait que cette _diète europaine_ avait été approuvée et
rédigée par le dauphin, duc de Bourgogne, et qu’on en avait trouvé le
plan dans les papiers de ce prince. Il se permettait cette fiction pour
mieux faire goûter son projet. Il rapporte, avec bonne foi, la lettre
par laquelle le cardinal de Fleury répondit à ses propositions: «Vous
avez oublié, monsieur, pour article préliminaire, de commencer par
envoyer une troupe de missionnaires pour disposer le cœur et l’esprit
des princes.» Cependant l’abbé de Saint-Pierre ne laissa pas enfin
d’être très utile. Il travailla beaucoup pour délivrer la France de
la tyrannie de la taille arbitraire; il écrivit et il agit en homme
d’état sur cette seule matière. Il fut unanimement exclu de l’académie
française, pour avoir, sous la régence du duc d’Orléans, préféré un
peu durement, dans sa _Polisynodie_, l’établissement des conseils, à
la manière de gouverner de Louis XIV, protecteur de l’académie[295].
Ce fut le cardinal de Polignac qui fit une brigue pour l’exclure, et
qui en vint à bout. Ce qu’il y a d’étrange, c’est que, dans ce temps-là
même, le cardinal de Polignac conspirait contre le régent, et que ce
prince, qui donnait un logement au Palais-Royal à Saint-Pierre, et
qui avait toute sa famille à son service, souffrit cette exclusion.
L’abbé de Saint-Pierre ne se plaignit point. Il continua de vivre en
philosophe avec ceux mêmes qui l’avaient exclu. Boyer, ancien évêque
de Mirepoix, son confrère, empêcha qu’à sa mort on ne prononçât son
éloge à l’académie, selon la coutume. Ces vaines fleurs qu’on jette
sur le tombeau d’un académicien n’ajoutent rien ni à sa réputation ni
à son mérite; mais le refus fut un outrage; et les services que l’abbé
de Saint-Pierre avait rendus, sa probité, et sa douceur, méritaient un
autre traitement. Il mourut en 1743, âgé de quatre-vingt-six ans. Je
lui demandai, quelques jours avant sa mort, comment il regardait ce
passage; il me répondit: «Comme un voyage à la campagne.»

Le traité le plus singulier qu’on trouve dans ses ouvrages est
l’anéantissement futur du mahométisme. Il assure qu’un temps viendra
où la raison l’emportera chez les hommes sur la superstition. Les
hommes comprendront, dit-il, qu’il suffit de la patience, de la
politesse, et de la bienfesance, pour plaire à Dieu. Il est impossible,
dit-il encore, qu’un livre où l’on trouve des propositions fausses
données comme vraies, des choses absurdes opposées au sens commun,
des louanges données à des actions injustes, ait été révélé par un
être parfait. Il prétend que dans cinq cents ans tous les esprits,
jusqu’aux plus grossiers, seront éclairés sur ce livre: que le grand
muphti même et les cadis verront qu’il est de leur intérêt de détromper
la multitude, et de se rendre plus nécessaires et plus respectés en
rendant la religion plus simple. Ce traité est curieux[296]. Dans
ses _Annales_ de Louis XIV, il dit que l’état devrait bâtir des
loges aux Petites-Maisons pour les théologiens intolérants, et qu’il
serait à propos de jouer ces espèces de fous sur le théâtre. [297]
C’est ici l’occasion d’observer que l’auteur du _Siècle de Louis XIV_
n’a donné cette liste des écrivains et des artistes qui ont fleuri
sous Louis XIV, qu’après avoir vu leurs ouvrages, et souvent connu
leurs personnes, recherchant tous les moyens de s’instruire sur ce
siècle célèbre, depuis qu’il fut nommé historiographe de France. Il
ne pouvait, dans cette liste, parler des _Annales politiques_[298]
de l’abbé de Saint-Pierre sous Louis XIV, puisque le _Siècle_ fut
imprimé en 1752 pour la première fois, et que les _Annales_ de l’abbé
de Saint-Pierre ne parurent qu’en 1758, ayant été imprimées en 1757.
Ces _Annales_, il le faut avouer, sont une satire continuelle du
gouvernement de ce monarque qui méritait plus d’estime; et cette satire
n’est pas assez bien écrite pour faire pardonner son injustice. La
famille de l’abbé, sentant quel dangereux effet cet ouvrage pouvait
produire, engagea son auteur à le dérober au public: il ne fut imprimé
qu’après sa mort. Comment donc l’abbé Sabatier, natif de Castres, qui
a donné depuis la liste des écrivains de _Trois siècles_[299], a-t-il
pu dire «que l’auteur du _Siècle de Louis XIV_ en a puisé l’idée mal
remplie dans ces _Annales politiques_ qui offrent un tableau frappant
des progrès de l’esprit chez notre nation?»

Premièrement, il est impossible que l’auteur du _Siècle_ ait pu rien
prendre des _Annales_ de l’abbé de Saint-Pierre, qu’il ne pouvait
connaître[300], et desquelles il a vengé la mémoire de Louis XIV,
dès qu’il les a connues. Secondement, il est très faux que l’abbé de
Saint-Pierre se soit étendu dans son livre sur les progrès de l’esprit
humain chez notre nation. A peine en dit-il quelques mots; et quand il
parle des beaux-arts, c’est pour les avilir.

Voici comme il s’explique, page 155: «La peinture, la sculpture, la
musique, la poésie, la comédie, l’architecture, prouvent le nombre des
fainéants, leur goût pour la fainéantise, qui suffit à nourrir et à
entretenir d’autres espèces de fainéants, gens qui se piquent d’esprit
agréable, mais non pas d’esprit utile, etc.»

Il est rare, sans doute, d’entendre un académicien dire que des arts
qui exigent le travail le plus assidu sont des occupations de fainéants.

Quant à la personne de Louis XIV, il veut l’avilir aussi bien que
les arts dont ce roi fut le protecteur. On ne peut rapporter qu’avec
indignation ce qu’il en dit, page 265: «Louis se gouvernait à l’égard
de ses voisins et de ses sujets comme s’il eût adopté la maxime
d’un célèbre tyran»; qu’ils me haïssent, pourvu qu’ils me craignent.
«Il sacrifiait tout au plaisir de se venger, et de montrer au public
qu’il était redoutable; c’est le goût des ames médiocres, de tous les
enfants, et de tous les hommes du commun.»

Il traite enfin Louis XIV, en vingt endroits, de grand enfant. Et lui,
qui était sans contredit un vieil enfant, finit son livre par cette
formule, _Paradis aux bienfesants_; mais il n’ose pas dire, _Paradis
aux médisants_.

A l’égard de l’abbé Sabatier, natif de Castres, qui est venu à Paris
faire le métier de calomniateur pour quelque argent, il est difficile
d’espérer pour lui le paradis. C’est même un grand effort que de le lui
souhaiter[301].

SAINT-RÉAL (César Vichard de), né à Chambéri, mais élevé en France. Son
_Histoire de la conjuration de Venise_ est un chef-d’œuvre. Sa _Vie de
Jésus-Christ_ est bien différente. Mort en 1692.

SALLO (Denys de), né en 1626, conseiller au parlement de Paris,
inventeur des journaux[302]. Bayle perfectionna ce genre, déshonoré
ensuite par quelques journaux que publièrent à l’envi des libraires
avides, et que des écrivains obscurs remplirent d’extraits infidèles,
d’inepties, et de mensonges. Enfin on est parvenu jusqu’à faire un
trafic public d’éloges et de censures, surtout dans des feuilles
périodiques; et la littérature a éprouvé le plus grand avilissement par
ces infames manéges. Mort en 1669.

SANDRAS, _voyez_ COURTILZ.

SANLECQUE (Louis), né à Paris en 1650[303], chanoine régulier, poëte
qui a fait quelques jolis vers. C’est un des effets du siècle de Louis
XIV que le nombre prodigieux de poëtes médiocres dans lesquels on
trouve des vers heureux. La plupart de ces vers appartiennent au temps,
et non au génie. Mort en 1714.

SANSON (Nicolas), né à Abbeville en 1600; le père de la géographie,
avant Guillaume Delisle. Mort en 1667. Ses deux fils[304] héritèrent de
son mérite.

SANTEUL (Jean-Baptiste), né à Paris en 1630. Il passe pour excellent
poëte latin, si on peut l’être, et ne pouvait faire des vers français.
Ses hymnes sont chantées dans l’Église. Comme je n’ai point vécu chez
Mécène entre Horace et Virgile, j’ignore si ces hymnes sont aussi
bonnes qu’on le dit; si, par exemple, _Orbis redemptor, nunc redemptus_
n’est pas un jeu de mots puéril. Je me défie beaucoup des vers modernes
latins. Mort en 1697.

SARASIN (Jean-François), né près de Caen[305] en 1603, a écrit
agréablement en prose et en vers: mort en 1654.

SAUMAISE (Claude), né en Bourgogne en 1588, retiré à Leyde pour être
libre, homme d’une érudition immense. On prétend que le cardinal de
Richelieu lui offrit une pension de douze mille francs pour revenir
en France, à condition qu’il écrirait à la gloire de ce ministre, et
même qu’il écrirait sa vie; mais Saumaise aimait trop la liberté, et
haïssait trop celui qu’il regardait comme le plus grand ennemi de cette
même liberté, pour accepter ses offres. Le roi d’Angleterre, Charles
II, l’engagea à composer _le Cri du sang royal_ contre les parricides
de Charles Iᵉʳ. Le livre[306] ne répondit pas à la réputation de
l’auteur: Milton, auteur d’un poëme barbare, quelquefois sublime, sur
la pomme d’Adam, et le modèle de tous les poëmes barbares tirés de
l’ancien Testament, réfuta Saumaise; mais le réfuta comme une bête
féroce combat un sauvage. Ces deux ouvrages, d’un pédantisme dégoûtant,
sont tombés dans l’oubli[307]. Les noms des auteurs n’ont pas péri.
Mort en 1653.

SAURIN (Jacques), né à Nîmes en 1677. Il passa pour le meilleur
prédicateur des églises réformées. Cependant on lui reproche, comme
à tous ses confrères, ce qu’on appelle le style réfugié. «Il est
difficile, dit-il, que ceux qui ont sacrifié leur patrie à leur
religion parlent leur langue avec pureté, etc.» De son temps,
cependant, le français ne s’était pas corrompu en Hollande comme il
l’est aujourd’hui. Bayle n’avait point le style réfugié; il ne péchait
que par une familiarité qui approche quelquefois de la bassesse. Les
défauts du langage des pasteurs calvinistes venaient de ce qu’ils
copiaient les phrases incorrectes des premiers réformateurs; de plus,
presque tous ayant été élevés à Saumur, en Poitou, en Dauphiné ou en
Languedoc, ils conservaient les manières de parler vicieuses de la
province. On créa pour Saurin une place de ministre de la noblesse à La
Haye. Il était savant, et homme de plaisir. Mort en 1730.

SAURIN (Joseph), né près d’Orange en 1659, de l’académie des sciences.
C’était un génie propre à tout; mais on n’a de lui que des extraits
du _Journal des savants_, quelques Mémoires de mathématiques, et son
fameux _Factum_ contre Rousseau. Ce procès, si malheureusement célèbre,
fit rechercher toute sa vie, et servit à susciter contre lui les plus
infames accusations. Rousseau, réfugié en Suisse, et sachant que son
ennemi avait été pasteur de l’église réformée à Bercher, dans le
bailliage d’Yverdun, remua tout pour avoir des témoignages contre lui.
Il faut savoir que Joseph Saurin, dégoûté de son ministère, livré à la
philosophie et aux mathématiques, avait préféré la France sa patrie, la
ville de Paris, et l’académie des sciences, au village de Bercher. Pour
remplir ce dessein, il avait fallu rentrer dans le sein de l’Église
romaine, et il y rentra dès l’année 1690. L’évêque de Meaux, Bossuet,
crut avoir converti un ministre, et il ne fit que servir à la petite
fortune d’un philosophe. Saurin retourna en Suisse plusieurs années
après, pour y recueillir quelques biens de sa femme, qu’il avait
persuadée de quitter aussi la religion réformée. Les magistrats le
décrétèrent de prise de corps, comme un pasteur apostat qui avait fait
apostasier sa femme. Cela se passait en 1712, après le fameux procès de
Rousseau; et Rousseau était à Soleure précisément dans ce temps-là. Ce
fut alors que les accusations les plus flétrissantes éclatèrent contre
Saurin. On lui imputa d’anciens délits qui auraient mérité la corde;
on produisit ensuite contre lui une ancienne lettre, dans laquelle
il avait fait lui-même, disait-on, la confession de ses crimes à un
pasteur de ses amis. Enfin, pour comble d’indignité, on eut la bassesse
cruelle d’imprimer ces accusations et cette lettre dans plusieurs
journaux, dans le supplément de Bayle[308], dans celui de Moréri;
nouveau moyen malheureusement inventé pour flétrir un homme dans
l’Europe. C’est étrangement avilir la littérature que de faire d’un
dictionnaire un greffe criminel, et de souiller d’opprobres scandaleux
des ouvrages qui ne doivent être que le dépôt des sciences; ce n’était
pas, sans doute, l’intention des premiers auteurs de ces archives de
la littérature, qu’on a depuis infectées de tant d’additions aussi
erronées qu’odieuses. L’art d’écrire est devenu souvent un vil métier,
dans lequel des libraires qui ne savent pas lire paient des mensonges
et des futilités, à tant la feuille, à des écrivains mercenaires qui
ont fait de la littérature la plus lâche des professions. Il n’est
pas permis au moins de consigner dans un dictionnaire des accusations
criminelles, et de s’ériger en délateur sans avoir des preuves
juridiques. J’ai été à portée d’examiner ces accusations contre
Joseph Saurin; j’ai parlé au seigneur de la terre de Bercher, dans
laquelle Saurin avait été pasteur; je me suis adressé à toute la
famille du seigneur de cette terre: lui et tous ses parents m’ont dit
unanimement qu’ils n’avaient jamais vu l’original de la lettre imputée
à Saurin: ils m’ont tous marqué la plus vive indignation contre l’abus
scandaleux dont on a chargé les suppléments aux dictionnaires de Bayle
et de Moréri; et cette juste indignation qu’ils m’ont témoignée doit
passer dans le cœur de tous les honnêtes gens[309]. J’ai en main les
attestations de trois pasteurs, qui avouent «qu’ils n’ont jamais vu
l’original de cette prétendue lettre de Saurin, ni connu personne qui
l’eût vue, ni ouï dire qu’elle eût été adressée à aucun pasteur du pays
de Vaud, et qu’ils ne peuvent qu’improuver l’usage qu’on a fait de
cette pièce[310].»

Joseph Saurin mourut en 1737[311], en philosophe intrépide qui
connaissait le néant de toutes les choses de ce monde, et plein du plus
profond mépris pour tous ces vains préjugés, pour toutes ces disputes,
pour ces opinions erronées qui surchargent d’un nouveau poids les
malheurs innombrables de la vie humaine[312].

Joseph Saurin a laissé un fils d’un vrai mérite, auteur d’une tragédie
de _Spartacus_[313], dans laquelle il y a des traits comparables à ceux
de la plus grande force de Corneille.

SAUVEUR (Joseph), né à La Flèche en 1663. Il apprit sans maître les
éléments de la géométrie. Il est un des premiers qui aient calculé
les avantages et les désavantages des jeux de hasard. Il disait que
tout ce que peut un homme en mathématique, un autre le peut aussi.
Cela s’entend pour ceux qui se bornent à apprendre, mais non pour les
inventeurs. Il avait été muet jusqu’à l’âge de sept ans. Mort en 1716.

SAVARI (Jacques), né en 1622, le premier qui ait écrit sur le
commerce. Il avait été long-temps négociant. Le conseil le consulta
sur l’ordonnance de 1673, dans tout ce qui regarde le négoce, et il
en rédigea presque tous les articles. Le _Dictionnaire de commerce_,
qui est de lui[314] et de Philémon, son frère, chanoine de Saint-Maur,
fut une entreprise aussi utile que nouvelle; mais il faut regarder ces
livres à peu près comme les intérêts des princes, qui changent en moins
de cinquante ans. Les objets et les canaux du commerce, les gains,
les finesses, ne sont plus aujourd’hui ce qu’ils étaient du temps de
Savari. Mort en 1690.

SCARRON (Paul), fils d’un conseiller de la grand’chambre, né en 1610.
Ses comédies sont plus burlesques que comiques. Son _Virgile travesti_
n’est pardonnable qu’à un bouffon. Son _Roman comique_ est presque le
seul de ses ouvrages que les gens de goût aiment encore; mais ils ne
l’aiment que comme un ouvrage gai, amusant, et médiocre. C’est ce que
Boileau avait prédit. Louis XIV épousa sa veuve en 1685. Mort en 1660.

SCUDÉRI (Georges de), né au Havre-de-Grace en 1601. Favorisé du
cardinal de Richelieu, il balança quelque temps la réputation de
Corneille. Son nom est plus connu que ses ouvrages. Mort en 1667.

SCUDÉRI (Magdeleine), sœur de Georges, née au Havre en 1607, plus
connue aujourd’hui par quelques vers agréables qui restent d’elle, que
par les énormes romans de la _Clélie_ et du _Cyrus_. Louis XIV lui
donna une pension, et l’accueillit avec distinction. Ce fut elle qui
remporta le premier prix d’éloquence fondé par l’académie. Morte en
1701.

SEGRAIS (Jean Regnault de), né à Caen en 1625. Mademoiselle l’appelle
_une manière de bel esprit_: mais c’était en effet un très bel esprit
et un véritable homme de lettres. Il fut obligé de quitter le service
de cette princesse, pour s’être opposé à son mariage avec le comte de
Lauzun. Ses églogues et sa traduction de _Virgile_ furent estimées;
mais aujourd’hui on ne les lit plus. Il est remarquable qu’on a retenu
des vers de la _Pharsale_ de Brébeuf, et aucun de _l’Énéide_ de
Segrais. Cependant Boileau loue Segrais et dénigre Brébeuf. Mort en
1701.

SENAULT (Jean-François), né en 1601, général de l’Oratoire. Prédicateur
qui fut à l’égard du P. Bourdaloue ce que Rotrou est pour Corneille,
son prédécesseur et rarement son égal. Il est compté parmi les premiers
restaurateurs de l’éloquence, plutôt que dans le petit nombre des
hommes véritablement éloquents. Mort en 1672[315].

SÉNECÉ (Antoine Bauderon de), né en 1643, premier valet de chambre
de Marie-Thérèse; poëte d’une imagination singulière. Son conte du
_Kaïmac_, à quelques endroits près, est un ouvrage distingué. C’est un
exemple qui apprend qu’on peut très bien conter d’une autre manière que
La Fontaine. On peut observer que cette pièce, la meilleure qu’il ait
faite, est la seule qui ne se trouve pas dans son recueil. Il y a aussi
dans ses _Travaux d’Apollon_ des beautés singulières et neuves. Mort en
1737.

SÉVIGNÉ (Marie de Rabutin-Chantal, marquise de), femme du marquis de
Sévigné, née en 1626[316]. Ses lettres, remplies d’anecdotes, écrites
avec liberté, et d’un style qui peint et anime tout, sont la meilleure
critique des lettres étudiées où l’on cherche l’esprit, et encore
plus de ces lettres supposées dans lesquelles on veut imiter le style
épistolaire, en étalant de faux sentiments et de fausses aventures
à des correspondants imaginaires[317]. C’est dommage qu’elle manque
absolument de goût, qu’elle ne sache pas rendre justice à Racine,
qu’elle égale l’Oraison funèbre de Turenne, prononcée par Mascaron, au
grand chef-d’œuvre de Fléchier[318]. Morte en 1696.

SILVA (Jean-Baptiste), né à Bordeaux, très célèbre médecin à Paris, a
fait un livre estimé sur la saignée; il était fort au-dessus de son
livre. C’était un de ces médecins que Molière n’eût pu ni osé rendre
ridicules. Né en 1684. Mort vers l’an 1746[319].

SIMON (Richard), né en 1638, de l’Oratoire; excellent critique. Son
_Histoire de l’origine et du progrès des revenus ecclésiastiques_, son
_Histoire critique du vieux Testament_, etc. sont lues de tous les
savants. Mort à Dieppe, en 1712.

SIRMOND (Jacques), jésuite, né vers l’an 1559. L’un des plus savants
et des plus aimables hommes de son temps. On sait à peine qu’il fut
confesseur de Louis XIII, parcequ’il fit à peine parler de lui dans ce
poste délicat. Il fut préféré par le pape à tous les savants d’Italie
pour faire la Préface de la collection des conciles. Ses nombreux
ouvrages furent très estimés, et sont très peu lus. Mort en 1651.

SIRMOND (Jean), neveu du précédent. Historiographe de France, avec
le brevet de conseiller d’état, qui était d’ordinaire attaché à la
charge d’historiographe. L’un de ses principaux ouvrages est la Vie
du cardinal d’Amboise, qu’il ne composa que pour mettre ce ministre
au-dessous du cardinal de Richelieu, son protecteur. Il fut un des
premiers académiciens. Mort en 1649.

SORBIÈRE (Samuel), né en Dauphiné, en 1615. L’un de ceux qui ont porté
le titre d’historiographe de France. Ami du pape Clément IX, avant son
exaltation; ne recevant que de faibles marques de la générosité de
ce pontife, il lui écrivit: «Saint père, vous envoyez des manchettes
à celui qui n’a point de chemise.» Il effleura beaucoup de genres de
science. Mort en 1670.

SUZE (Henriette de Coligni[320], comtesse de La), célèbre dans son
temps par son esprit et par ses élégies. C’est elle qui se fit
catholique parceque son mari était huguenot, et qui s’en sépara, afin,
disait la reine Christine, de ne voir son mari dans ce monde-ci ni dans
l’autre. Née à Paris, en 1618. Morte dans la même ville, en 1673.

TALLEMANT (François), né à La Rochelle, en 1620: second traducteur[321]
de _Plutarque_. Mort en 1693.

TALLEMANT (Paul), né à Paris, en 1642. Quoiqu’il fût petit-fils du
riche Montauron[322], et fils d’un maître des requêtes qui avait eu
deux cent mille livres de rente de notre monnaie d’aujourd’hui, il se
trouva presque sans fortune. Colbert lui fit du bien comme aux autres
gens de lettres. Il a eu la principale part à l’Histoire du roi par
médailles. Mort en 1712.

TALON (Omer), avocat-général du parlement de Paris, a laissé des
Mémoires utiles, dignes d’un bon magistrat et d’un bon citoyen; mais
son éloquence n’est pas encore celle du bon temps. Mort en 1652.

TARTERON (Jérôme), jésuite. Il a traduit les satires d’Horace, de
Perse, et de Juvénal, et a supprimé les obscénités grossières dont
il est étrange que Juvénal, et surtout Horace, aient souillé leurs
ouvrages. Il a ménagé en cela la jeunesse, pour laquelle il croyait
travailler; mais sa traduction n’est pas assez littérale pour elle; le
sens est rendu, mais non pas la valeur des mots. Mort en 1720.

TERRASSON (l’abbé Jean), né en 1669[323], philosophe pendant sa vie
et à sa mort. Il y a de beaux morceaux dans son _Séthos_[324]. Sa
traduction de _Diodore_ est utile: son examen d’Homère passe pour être
sans goût. Mort en 1750.

THIERS (Jean-Baptiste), né à Chartres, en 1641[325]. On a de lui
beaucoup de dissertations. C’est lui qui écrivit contre l’inscription
du couvent des cordeliers de Reims: _A Dieu et à saint François, tous
deux crucifiés_. Mort en 1703.

THOMASSIN (Louis), de l’Oratoire, né en Provence, en 1619, homme d’une
érudition profonde. Il fit le premier des conférences sur les pères,
sur les conciles, et sur l’histoire. Il oublia sur la fin de sa vie
tout ce qu’il avait su, et ne se souvint plus d’avoir écrit. Mort en
1695.

THOYNARD (Nicolas), né à Orléans, en 1629. On prétend qu’il a eu grande
part au traité du cardinal Noris sur les _Époques syriennes_. Sa
_Concordance des quatre évangélistes_, en grec, passe pour un ouvrage
curieux. Il n’était que savant, mais il l’était profondément. Mort en
1706.

TORCI (Jean-Baptiste Colbert de). _Voyez_ COLBERT.

TOURNEFORD (Joseph Pitton de), né en Provence, en 1656, le plus grand
botaniste de son temps. Il fut envoyé par Louis XIV en Espagne, en
Angleterre, en Hollande, en Grèce, et en Asie, pour perfectionner
l’histoire naturelle. Il rapporta treize cent trente-six nouvelles
espèces de plantes, et il nous apprit à connaître les nôtres. Mort en
1708.

TOURREIL (Jacques de), né à Toulouse, en 1656, célèbre par sa
traduction de _Démosthène_. Mort en 1715[326].

TRISTAN (François), surnommé _l’Ermite_, gentilhomme de Gaston
d’Orléans, frère de Louis XIII. Le prodigieux et long succès qu’eut
sa tragédie de _Mariamne_ fut le fruit de l’ignorance où l’on était
alors. On n’avait pas mieux; et quand la réputation de cette pièce
fut établie, il fallut plus d’une tragédie de Corneille pour la faire
oublier. Il y a encore des nations chez qui des ouvrages très médiocres
passent pour des chefs-d’œuvre, parcequ’il ne s’est pas trouvé de génie
qui les ait surpassés. On ignore communément que Tristan ait mis en
vers l’office de la Vierge, et il n’est pas étrange qu’on l’ignore.
Mort en 1655. Voici son épitaphe, qu’il composa:

    Je fis le chien couchant auprès d’un grand seigneur;
    Je me vis toujours pauvre, et tâchai de paraître:
    Je vécus dans la peine, espérant le bonheur,
    Et mourus sur un coffre, en attendant mon maître.

TURENNE. Ce grand homme nous a laissé aussi des Mémoires qu’on trouve
dans sa vie écrite par Ramsay[327]. Nous avons beaucoup de Mémoires de
nos généraux; mais ils n’ont pas écrit comme Xénophon et César.

VAILLANT (Jean-Foy), né à Beauvais, en 1632. Le public lui doit la
science des médailles; et le roi, la moitié de son cabinet. Le ministre
Colbert le fit voyager en Italie, en Grèce, en Égypte, en Turquie, en
Perse. Des corsaires d’Alger le prirent en 1674, avec l’architecte
Desgodets. Le roi les racheta tous deux. Jamais savant n’essuya plus de
dangers. Mort en 1706.

VAILLANT (Jean-François-Foy), né à Rome, en 1665, pendant les voyages
de son père: antiquaire comme lui. Mort en 1708.

VALINCOURT (Jean-Baptiste-Henri du Trousset de), né en 1653. Une
épître[328] que Despréaux lui a adressée fait sa plus grande
réputation. On a de lui quelques petits ouvrages: il était bon
littérateur. Il fit une assez grande fortune, qu’il n’eût pas faite
s’il n’eût été qu’homme de lettres. Les lettres seules, dénuées de
cette sagacité laborieuse qui rend un homme utile, ne procurent presque
jamais qu’une vie malheureuse et méprisée. Un des meilleurs discours
qu’on ait jamais prononcés à l’académie, est celui dans lequel M. de
Valincourt tâche de guérir l’erreur de ce nombre prodigieux de jeunes
gens qui, prenant leur fureur d’écrire pour du talent, vont présenter
de mauvais vers à des princes, inondent le public de leurs brochures,
et qui accusent l’ingratitude du siècle, parcequ’ils sont inutiles au
monde et à eux-mêmes. Il les avertit que les professions qu’on croit
les plus basses sont fort supérieures à celle qu’ils ont embrassée.
Mort en 1730.

VALOIS (Adrien de), né à Paris, en 1607, historiographe de France. Ses
meilleurs ouvrages sont sa _Notice des Gaules_, et son Histoire de la
première race[329]. Mort en 1692.

VALOIS (Henri de), frère du précédent, né en 1603. Ses ouvrages sont
moins utiles à des Français que ceux de son frère. Mort en 1676.

VARIGNON (Pierre), né à Caen, en 1654: mathématicien célèbre. Mort en
1722.

VARILLAS (Antoine), né dans la Marche, en 1624, historien plus agréable
qu’exact. Mort en 1696.

VAVASSEUR (François), né dans le Charolais, en 1605, jésuite, grand
littérateur. Il fit voir le premier que les Grecs et les Romains n’ont
jamais connu le style burlesque, qui n’est qu’un reste de barbarie.
Mort en 1681.

VAUBAN (Sébastien Le Prestre, maréchal de), né en 1633. La
_Dîme royale_ qu’on lui a imputée n’est pas de lui, mais de
Boisguillebert[330]. Elle n’a pu être exécutée, et est en effet
impraticable. On a de lui plusieurs Mémoires dignes d’un bon citoyen.
Il contribua beaucoup par ses conseils à la construction du canal
de Languedoc. Observons qu’il était très ignorant, qu’il l’avouait
avec franchise, mais qu’il ne s’en vantait pas. Un grand courage, un
zèle que rien ne rebutait, un talent naturel pour les sciences de
combinaisons, de l’opiniâtreté dans le travail, le coup d’œil dans les
occasions, qui ne se trouve pas toujours ni avec les connaissances
ni avec le talent; telles furent les qualités auxquelles il dut sa
réputation. Il a prouvé, par sa conduite, qu’il pouvait y avoir des
citoyens dans un gouvernement absolu. Mort en 1707.

VAUGELAS (Claude Favre de), né à Bourg-en-Bresse, en 1585. C’est un des
premiers qui ont épuré et réglé la langue, et de ceux qui pouvaient
faire des vers italiens sans en pouvoir faire de français. Il retoucha
pendant trente ans sa traduction de Quinte-Curce. Tout homme qui veut
bien écrire doit corriger ses ouvrages toute sa vie. Mort en 1650.

VERGIER (Jacques), né à Paris, en 1657[331]. Il est, à l’égard de
La Fontaine, ce que Campistron est à Racine; imitateur faible, mais
naturel: mort assassiné à Paris par des voleurs, en 1720. On laisse
entendre, dans le _Moréri_, qu’il avait fait une parodie contre un
prince puissant qui le fit tuer. Ce conte est faux[332].

VERTOT (Réné Auber de), né en Normandie[333], en 1655. Historien
agréable et élégant. Mort en 1735.

VILLARS (le maréchal, Louis-Claude duc de), né en 1652. Le premier tome
des Mémoires qui portent son nom est entièrement de lui[334]. Il savait
par cœur les beaux endroits de Corneille, de Racine, et de Molière. Je
lui ai entendu dire un jour à un homme d’état fort célèbre, qui était
étonné qu’il sût tant de vers de comédie: «J’en ai moins joué que vous,
mais j’en sais davantage.» Mort en 1734.

VILLEDIEU[335] (Marie-Catherine Desjardins, plus connue sous le nom
de madame de). Ses romans lui firent de la réputation. Au reste, on
est bien éloigné de vouloir donner ici quelque prix à tous ces romans
dont la France a été et est encore inondée; ils ont presque tous été,
excepté _Zaïde_, des productions d’esprits faibles qui écrivent avec
facilité des choses indignes d’être lues par les esprits solides: ils
sont même pour la plupart dénués d’imagination; et il y en a plus dans
quatre pages de l’Arioste que dans tous ces insipides écrits qui
gâtent le goût des jeunes gens. Née à Alençon, vers 1640; morte en 1683.

VILLIERS (Pierre de), né à Coignac, en 1648, jésuite. Il cultiva
les lettres, comme tous ceux qui sont sortis de cet ordre. Ses
sermons, et son _Poëme sur l’art de prêcher_, eurent de son temps
quelque réputation. Ses stances sur la solitude sont fort au-dessus
de celles de Saint-Amant, qu’on avait tant vantées, mais ne sont
pas encore tout-à-fait dignes d’un siècle si au-dessus de celui de
Saint-Amant[336]. Mort en 1728.

VOITURE (Vincent), né à Amiens, en 1598. C’est le premier qui fut en
France ce qu’on appelle un bel esprit. Il n’eut guère que ce mérite
dans ses écrits, sur lesquels on ne peut se former le goût[337]; mais
ce mérite était alors très rare. On a de lui de très jolis vers, mais
en petit nombre. Ceux qu’il fit pour la reine Anne d’Autriche, et qu’on
n’imprima pas dans son recueil, sont un monument de cette liberté
galante qui régnait à la cour de cette reine, dont les frondeurs
lassèrent la douceur et la bonté.

    ...
    ...
    Je pensois si le cardinal,
    J’entends celui de La Valette,
    Pouvoit voir l’éclat sans égal
    Dans lequel maintenant vous ête[338];
    J’entends celui de la beauté;
    Car auprès je n’estime guère,
    Cela soit dit sans vous déplaire,
    Tout l’éclat de la majesté[339].

Il fit aussi des vers italiens et espagnols avec succès. Mort en 1648.

Ce n’est pas la peine de pousser plus loin ce catalogue. On y voit
un petit nombre de grands génies, un assez grand d’imitateurs, et on
pourrait donner une liste beaucoup plus longue des savants. Il sera
difficile désormais qu’il s’élève des génies nouveaux, à moins que
d’autres mœurs, une autre sorte de gouvernement, ne donnent un tour
nouveau aux esprits. Il sera impossible qu’il se forme des savants
universels, parceque chaque science est devenue immense. Il faudra
nécessairement que chacun se réduise à cultiver une petite partie du
vaste champ que le siècle de Louis XIV a défriché.



ARTISTES CÉLÈBRES.


MUSICIENS.

La musique française, du moins la vocale, n’a été jusqu’ici du goût
d’aucune autre nation. Elle ne pouvait l’être, parceque la prosodie
française est différente de toutes celles de l’Europe. Nous appuyons
toujours sur la dernière syllabe, et toutes les autres nations pèsent
sur la pénultième ou sur l’antépénultième, ainsi que les Italiens.
Notre langue est la seule qui ait des mots terminés par des _e_ muets,
et ces _e_, qui ne sont pas prononcés dans la déclamation ordinaire,
le sont dans la déclamation notée, et le sont d’une manière uniforme
_gloi-reu_, _victoi-reu_, _barbari-eu_, _furi-eu_.... Voilà ce qui rend
la plupart de nos airs et notre récitatif insupportables à quiconque
n’y est pas accoutumé. Le climat refuse encore aux voix la légèreté
que donne celui d’Italie; nous n’avons point l’habitude qu’on a eue
long-temps chez le pape et dans les autres cours italiennes, de priver
les hommes de leur virilité pour leur donner une voix plus belle que
celle des femmes. Tout cela, joint à la lenteur de notre chant, qui
fait un étrange contraste avec la vivacité de notre nation, rendra
toujours la musique française propre pour les seuls Français.

Malgré toutes ces raisons, les étrangers qui ont été long-temps en
France conviennent que nos musiciens ont fait des chefs-d’œuvre en
ajustant leurs airs à nos paroles, et que cette déclamation notée
a souvent une expression admirable; mais elle ne l’a que pour des
oreilles très accoutumées, et il faut une exécution parfaite. Il faut
des acteurs: en Italie, il ne faut que des chanteurs.

La musique instrumentale s’est ressentie un peu de la monotonie
et de la lenteur qu’on reproche à la vocale; mais plusieurs de
nos symphonies, et surtout nos airs de danse, ont trouvé plus
d’applaudissements chez les autres nations. On les exécute dans
beaucoup d’opéra italiens; il n’y en a presque jamais d’autres chez un
roi[340] qui entretient un des meilleurs Opéra de l’Europe, et qui,
parmi ses autres talents singuliers, a cultivé avec un très grand soin
celui de la musique.

LULLI (Jean-Baptiste), né à Florence, en 1633, amené en France à l’âge
de quatorze ans, et ne sachant encore que jouer du violon, fut le père
de la vraie musique en France. Il sut accommoder son art au génie de la
langue; c’est l’unique moyen de réussir. Il est à remarquer qu’alors
la musique italienne ne s’éloignait pas de la gravité et de la noble
simplicité que nous admirons encore dans les récitatifs de Lulli.

Rien ne ressemble plus à ces récitatifs que le fameux motet de Luigi,
chanté en Italie avec tant de succès dans le dix-septième siècle, et
qui commence ainsi:

    «Sunt breves mundi rosæ,
    Sunt fugitivi flores;
    Frondes veluti annosæ
    Sunt labiles honores.»

Il faut bien observer que dans cette musique de pure déclamation, qui
est la _mélopée_ des anciens, c’est principalement la beauté naturelle
des paroles qui produit la beauté du chant; on ne peut bien déclamer
que ce qui mérite de l’être. C’est à quoi on se méprit beaucoup du
temps de Quinault et de Lulli. Les poëtes étaient jaloux du poëte, et
ne l’étaient pas du musicien. Boileau reproche à Quinault

    ...... ces lieux communs de morale lubrique,
    Que Lulli réchauffa des sons de sa musique.

Les passions tendres, que Quinault exprimait si bien, étaient,
sous sa plume, la peinture vraie du cœur humain bien plus qu’une
morale lubrique. Quinault, par sa diction, échauffait encore plus la
musique que l’art de Lulli n’échauffait ses paroles. Il fallait ces
deux hommes et des acteurs pour faire de quelques scènes d’_Atys_,
d’_Armide_, et de _Roland_, un spectacle tel que ni l’antiquité
ni aucun peuple contemporain n’en connut. Les airs détachés, les
ariettes, ne répondirent pas à la perfection de ces grandes scènes.
Ces airs, ces petites chansons, étaient dans le goût de nos _Noëls_;
ils ressemblaient aux _barcarolles_ de Venise: c’était tout ce qu’on
voulait alors. Plus cette musique était faible, plus on la retenait
aisément; mais le récitatif est si beau, que Rameau n’a jamais pu
l’égaler. Il me faut des chanteurs, disait-il, et à Lulli des acteurs.
Rameau a enchanté les oreilles, Lulli enchantait l’ame; c’est un des
grands avantages du siècle de Louis XIV, que Lulli ait rencontré un
Quinault.

Après Lulli, tous les musiciens, comme Colasse, Campra,
Destouches[341] et les autres, ont été ses imitateurs, jusqu’à ce
qu’enfin Rameau est venu, qui s’est élevé au-dessus d’eux par la
profondeur de son harmonie, et qui a fait de la musique un art nouveau.

A l’égard des musiciens de chapelle, quoiqu’il y en ait plusieurs
célèbres en France, leurs ouvrages n’ont point encore été exécutés
ailleurs.


PEINTRES.

Il n’en est pas de la peinture comme de la musique. Une nation peut
avoir un chant qui ne plaise qu’à elle, parceque le génie de sa langue
n’en admettra pas d’autres; mais les peintres doivent représenter la
nature, qui est la même dans tous les pays, et qui est vue avec les
mêmes yeux.

Il faut, pour qu’un peintre ait une juste réputation, que ses ouvrages
aient un prix chez les étrangers. Ce n’est pas assez d’avoir un petit
parti, et d’être loué dans de petits livres; il faut être acheté.

Ce qui resserre quelquefois les talents des peintres est ce qui
semblerait devoir les étendre; c’est le goût académique; c’est la
manière qu’ils prennent d’après ceux qui président. Les académies sont,
sans doute, très utiles pour former des élèves, surtout quand les
directeurs travaillent dans le grand goût: mais, si le chef a le goût
petit, si sa manière est aride et léchée, si ses figures grimacent, si
ses tableaux sont peints comme les éventails; les élèves, subjugués
par l’imitation ou par l’envie de plaire à un mauvais maître, perdent
entièrement l’idée de la belle nature. Il y a une fatalité sur les
académies: aucun ouvrage qu’on appelle académique n’a été encore, en
aucun genre, un ouvrage de génie. Donnez-moi un artiste tout occupé
de la crainte de ne pas saisir la manière de ses confrères, ses
productions seront compassées et contraintes. Donnez-moi un homme d’un
esprit libre, plein de la nature qu’il copie, il réussira. Presque
tous les artistes sublimes, ou ont fleuri avant les établissements des
académies, ou ont travaillé dans un goût différent de celui qui régnait
dans ces sociétés.

Corneille, Racine, Despréaux, Lesueur, Lemoine, non seulement prirent
une route différente de leurs confrères, mais ils les avaient presque
tous pour ennemis.

POUSSIN (Nicolas), né aux Andelis, en Normandie, en 1594, fut l’élève
de son génie; il se perfectionna à Rome. On l’appelle le peintre des
gens d’esprit; on pourrait aussi l’appeler celui des gens de goût. Il
n’a d’autre défaut que celui d’avoir outré le sombre du coloris de
l’école romaine. Il était, dans son temps, le plus grand peintre de
l’Europe. Rappelé de Rome à Paris, il y céda à l’envie et aux cabales;
il se retira: c’est ce qui est arrivé à plus d’un artiste. Le Poussin
retourna à Rome, où il vécut pauvre, mais content. Sa philosophie le
mit au-dessus de la fortune. Mort en 1665.

LESUEUR (Eustache), né a Paris, en 1617, n’ayant eu que Vouët pour
maître, devint cependant un peintre excellent. Il avait porté l’art
de la peinture au plus haut point, lorsqu’il mourut, à l’âge de
trente-huit ans, en 1655.

BOURDON et le VALENTIN[342] ont été célèbres. Trois des meilleurs
tableaux qui ornent l’église de Saint-Pierre de Rome sont du Poussin,
du Bourdon, et du Valentin.

LEBRUN (Charles), né à Paris, en 1619. A peine eut-il développé son
talent, que le surintendant Fouquet, l’un des plus généreux et des
plus malheureux hommes qui aient jamais été, lui donna une pension
de vingt-quatre mille livres de notre monnaie d’aujourd’hui. Il est
à remarquer que son tableau de _la Famille de Darius_, qui est à
Versailles, n’est point effacé par le coloris du tableau de Paul
Véronèse, qu’on voit à côté, et le surpasse beaucoup par le dessin, la
composition, la dignité, l’expression, et la fidélité du costume. Les
estampes de ses tableaux des _batailles d’Alexandre_ sont encore plus
recherchées que les _batailles de Constantin_, par Raphaël et par Jules
Romain. Mort en 1690.

MIGNARD (Pierre), né à Troyes en Champagne, en 1610, fut le rival de
Lebrun pendant quelque temps; mais il ne l’est pas aux yeux de la
postérité. Mort en 1695.

GELÉE (Claude), dit LE LORRAIN. Son père, qui en voulait faire
un garçon pâtissier, ne prévoyait pas qu’un jour son fils ferait
des tableaux qui seraient regardés comme ceux d’un des premiers
paysagistes de l’Europe. Mort à Rome, en 1678.

CAZES[343] (Pierre-Jacques). On a de lui des tableaux qui commencent
à être d’un grand prix. On rend trop tard justice, en France, aux
bons artistes. Leurs ouvrages médiocres y font trop de tort à leurs
chefs-d’œuvre. Les Italiens, au contraire, passent chez eux le médiocre
en faveur de l’excellent. Chaque nation cherche à se faire valoir. Les
Français font valoir les autres nations en tout genre.

PARROCEL (Joseph), né en 1648, bon peintre, et surpassé par son fils.
Mort en 1704.

JOUVENET (Jean), né à Rouen en 1644[344], élève de Lebrun, inférieur
à son maître, quoique bon peintre. Il a peint presque tous les objets
d’une couleur un peu jaune. Il les voyait de cette couleur par une
singulière conformation d’organes. Devenu paralytique du bras droit,
il s’exerça à peindre de la main gauche, et on a de lui de grandes
compositions exécutées de cette manière. Mort en 1717.

SANTERRE (Jean-Baptiste). Il y a de lui des tableaux de chevalet
admirables, d’un coloris vrai et tendre. Son tableau d’Adam et d’Ève
est un des plus beaux qu’il y ait en Europe. Celui de sainte Thérèse,
dans la chapelle de Versailles, est un chef-d’œuvre de graces; et on ne
lui a reproché que d’être trop voluptueux pour un tableau d’autel. Né
en 1651. Mort en 1717.

LA FOSSE[345] (Charles de) s’est distingué par un mérite à peu près
semblable.

BOULLONGNE[346] (Bon), excellent peintre; la preuve en est que ses
tableaux sont vendus fort cher.

BOULLONGNE[347] (Louis). Ses tableaux, qui ne sont pas sans mérite,
sont moins recherchés que ceux de son frère.

RAOUX[348], peintre inégal; mais, quand il a réussi, il a égalé le
Rembrandt.

RIGAUD (Hyacinthe), né à Perpignan en 1663. Quoiqu’il n’ait guère de
réputation que dans le portrait, le grand tableau où il a représenté le
cardinal de Bouillon ouvrant l’année sainte, est un chef-d’œuvre égal
aux plus beaux ouvrages de Rubens. Mort en 1743.

DETROY[349] (François) a travaillé dans le goût de Rigaud. On a de son
fils des tableaux d’histoire estimés.

WATTEAU[350] (Antoine) a été dans le gracieux à peu près ce que Téniers
a été dans le grotesque. Il a fait des disciples dont les tableaux sont
recherchés.

LEMOINE, né à Paris en 1688, a peut-être surpassé tous ces peintres
par la composition du _salon d’Hercule_, à Versailles. Cette apothéose
d’Hercule était une flatterie pour le cardinal Hercule de Fleury, qui
n’avait rien de commun avec l’Hercule de la fable. Il eût mieux valu,
dans le salon d’un roi de France, représenter l’apothéose de Henri
IV. Lemoine, envié de ses confrères, et se croyant mal récompensé du
cardinal, se tua de désespoir en 1737.

Quelques autres ont excellé à peindre des animaux, comme DESPORTES et
OUDRY[351]; d’autres ont réussi dans la miniature; plusieurs dans le
portrait. Quelques peintres, et surtout le célèbre VANLOO[352], se sont
distingués depuis dans de plus grands genres; et il est à croire que
cet art ne périra pas.


SCULPTEURS, ARCHITECTES, GRAVEURS, ETC.

La sculpture a été poussée à sa perfection sous Louis XIV, et s’est
soutenue dans sa force sous Louis XV.

SARASIN (Jacques), né en 1598, fit des chefs-d’œuvre à Rome pour le
pape Clément VIII. Il travailla à Paris avec le même succès. Mort en
1660.

PUGET (Pierre), né à Marseille en 1623, architecte, sculpteur, et
peintre; célèbre par plusieurs chefs-d’œuvre qu’on voit à Marseille et
à Versailles. Mort en 1694.

LEGROS et THÉODON[353] ont embelli l’Italie de leurs ouvrages. Ils
firent chacun, à Rome, deux modèles qui l’emportèrent au concours sur
tous les autres, et qui sont comptés parmi les chefs-d’œuvre. Legros
mourut à Rome en 1719.

GIRARDON (François), né en 1630, a égalé tout ce que l’antiquité a de
plus beau, par les bains d’_Apollon_, et par le tombeau du cardinal de
Richelieu. Mort en 1715[354].

Les COISEVOX[355] et les COUSTOU[356], et beaucoup d’autres, se sont
très distingués, et sont encore surpassés aujourd’hui par quatre ou
cinq de nos sculpteurs modernes.

CHAUVEAU[357], NANTEUIL[358], MELLAN[359], AUDRAN[360], EDELINCK[361],
LE CLERC[362], les DREVET[363], POILLY[364], PICART[365],
DUCHANGE[366], suivis encore par de meilleurs artistes, ont réussi
dans les tailles-douces; et leurs estampes ornent, dans l’Europe, les
cabinets de ceux qui ne peuvent avoir des tableaux.

De simples orfèvres, tels que Claude BALLIN et Pierre GERMAIN[367], ont
mérité d’être mis au rang des plus célèbres artistes, par la beauté de
leur dessin et par l’élégance de leur exécution.

Il n’est pas aussi facile à un génie né avec le bon goût de
l’architecture de faire valoir ses talents, qu’à tout autre artiste. Il
ne peut élever de grands monuments que quand des princes les ordonnent.
Plus d’un bon architecte a eu des talents inutiles.

MANSARD[368] (François) a été un des meilleurs architectes de l’Europe.
Le château ou plutôt le palais de Maisons, auprès de Saint-Germain, est
un chef-d’œuvre, parcequ’il eut la liberté entière de se livrer à son
génie.

MANSARD[369] (Jules Hardouin), son neveu, mort en 1708, fit une fortune
immense sous Louis XIV, et fut surintendant des bâtiments. La belle
chapelle des Invalides est de lui. Il ne put déployer tous ses talents
dans celle de Versailles, où il fut gêné par le terrain et par la
disposition du petit château qu’il fallut conserver.

On reproche à la ville de Paris de n’avoir que deux fontaines dans le
bon goût; l’ancienne, de Jean Goujon; et la nouvelle, de Bouchardon:
encore sont-elles toutes deux mal placées[370]. On lui reproche de
n’avoir d’autre théâtre magnifique que celui du Louvre, dont on ne fait
point d’usage, et de ne s’assembler que dans des salles de spectacle
sans goût, sans proportion, sans ornement, et aussi défectueuses dans
l’emplacement que dans la construction; tandis que les villes de
provinces donnent à la capitale des exemples quelle n’a pas encore
suivis[371].

La France a été distinguée par d’autres ouvrages publics d’une plus
grande importance: ce sont les vastes hôpitaux, les magasins, les
ponts de pierre, les quais, les immenses levées qui retiennent les
rivières dans leur lit, les canaux, les écluses, les ports, et surtout
l’architecture militaire de tant de places frontières, où la solidité
se joint à la beauté. On connaît assez les ouvrages élevés sur les
dessins de PERRAULT, de LEVAU, et de DORBAY[372].

L’art des jardins a été créé et perfectionné par LE NOSTRE pour
l’agréable, et par LA QUINTINIE pour l’utile. Il n’est pas vrai que Le
Nostre ait poussé la simplicité jusqu’à embrasser familièrement le roi
et le pape[373]. Son élève Collineau m’a protesté que ces historiettes,
rapportées dans tant de dictionnaires, sont fausses; et on n’a pas
besoin de ce témoignage pour savoir qu’un intendant des jardins ne
baise point les papes et les rois des deux côtés.

La gravure en pierres précieuses, les coins des médailles, les fontes
des caractères pour l’imprimerie, tout cela s’est ressenti des progrès
rapides des autres arts.

Les horlogers, qu’on peut regarder comme des physiciens de pratique,
ont fait admirer leur esprit dans leur travail.

On a nuancé les étoffes, et même l’or qui les embellit, avec une
intelligence et un goût si rare, que telle étoffe, qui n’a été
portée que par le luxe, méritait d’être conservée comme un monument
d’industrie.

Enfin le siècle passé a mis celui où nous sommes en état de rassembler
en un corps, et de transmettre à la postérité le dépôt de toutes les
sciences et de tous les arts, tous poussés aussi loin que l’industrie
humaine a pu aller; et c’est à quoi a travaillé une société de savants
remplis d’esprit et de lumières. Cet ouvrage immense et immortel semble
accuser la brièveté de la vie des hommes[374]. Il a été commencé par
messieurs d’Alembert et Diderot, traversé et persécuté par l’envie
et par l’ignorance, ce qui est le destin de toutes les grandes
entreprises. Il eût été à souhaiter que quelques mains étrangères
n’eussent pas défiguré cet important ouvrage par des déclamations
puériles et des lieux communs insipides, qui n’empêchent pas que le
reste de l’ouvrage ne soit utile au genre humain.



SIÈCLE

DE LOUIS XIV.



CHAPITRE I.

Introduction[375].


Ce n’est pas seulement la vie de Louis XIV qu’on prétend écrire; on se
propose un plus grand objet. On veut essayer de peindre à la postérité,
non les actions d’un seul homme, mais l’esprit des hommes dans le
siècle le plus éclairé qui fut jamais.

Tous les temps ont produit des héros et des politiques: tous les
peuples ont éprouvé des révolutions: toutes les histoires sont presque
égales pour qui ne veut mettre que des faits dans sa mémoire. Mais
quiconque pense, et, ce qui est encore plus rare, quiconque a du goût,
ne compte que quatre siècles dans l’histoire du monde. Ces quatre
âges heureux sont ceux où les arts ont été perfectionnés, et qui,
servant d’époque à la grandeur de l’esprit humain, sont l’exemple de la
postérité.

Le premier de ces siècles, à qui la véritable gloire est attachée,
est celui de Philippe et d’Alexandre, ou celui des Périclès, des
Démosthène, des Aristote, des Platon, des Apelle, des Phidias, des
Praxitèle; et cet honneur a été renfermé dans les limites de la Grèce;
le reste de la terre alors connue était barbare.

Le second âge est celui de César et d’Auguste, désigné encore par
les noms de Lucrèce, de Cicéron, de Tite-Live, de Virgile, d’Horace,
d’Ovide, de Varron, de Vitruve.

Le troisième est celui qui suivit la prise de Constantinople par
Mahomet II. Le lecteur peut se souvenir qu’on vit alors en Italie une
famille de simples citoyens faire ce que devaient entreprendre les
rois de l’Europe. Les Médicis appelèrent à Florence les savants, que
les Turcs chassaient de la Grèce: c’était le temps de la gloire de
l’Italie. Les beaux-arts y avaient déjà repris une vie nouvelle; les
Italiens les honorèrent du nom de vertu, comme les premiers Grecs les
avaient caractérisés du nom de sagesse. Tout tendait à la perfection.

Les arts, toujours transplantés de Grèce en Italie, se trouvaient dans
un terrain favorable, où ils fructifiaient tout-à-coup. La France,
l’Angleterre, l’Allemagne, l’Espagne, voulurent à leur tour avoir de
ces fruits: mais ou ils ne vinrent point dans ces climats, ou bien ils
dégénérèrent trop vite.

François Iᵉʳ encouragea des savants, mais qui ne furent que savants: il
eut des architectes; mais il n’eut ni des Michel-Ange, ni des Palladio:
il voulut en vain établir des écoles de peinture; les peintres italiens
qu’il appela ne firent point d’élèves français. Quelques épigrammes et
quelques contes libres composaient toute notre poésie. Rabelais était
notre seul livre de prose à la mode, du temps de Henri II.

En un mot, les Italiens seuls avaient tout, si vous en exceptez la
musique, qui n’était pas encore perfectionnée, et la philosophie
expérimentale, inconnue partout également, et qu’enfin Galilée fit
connaître.

Le quatrième siècle est celui qu’on nomme le siècle de Louis XIV; et
c’est peut-être celui des quatre qui approche le plus de la perfection.
Enrichi des découvertes des trois autres, il a plus fait en certains
genres que les trois ensemble. Tous les arts, à la vérité, n’ont point
été poussés plus loin que sous les Médicis, sous les Auguste et les
Alexandre; mais la raison humaine en général s’est perfectionnée.
La saine philosophie n’a été connue que dans ce temps; et il est
vrai de dire qu’à commencer depuis les dernières années du cardinal
de Richelieu, jusqu’à celles qui ont suivi la mort de Louis XIV, il
s’est fait dans nos arts, dans nos esprits, dans nos mœurs, comme
dans notre gouvernement, une révolution générale qui doit servir de
marque éternelle à la véritable gloire de notre patrie. Cette heureuse
influence ne s’est pas même arrêtée en France; elle s’est étendue en
Angleterre; elle a excité l’émulation dont avait alors besoin cette
nation spirituelle et hardie; elle a porté le goût en Allemagne, les
sciences en Russie; elle a même ranimé l’Italie qui languissait, et
l’Europe a dû sa politesse et l’esprit de société à la cour de Louis
XIV.

Il ne faut pas croire que ces quatre siècles aient été exempts de
malheurs et de crimes. La perfection des arts cultivés par des citoyens
paisibles n’empêche pas les princes d’être ambitieux; les peuples
d’être séditieux, les prêtres et les moines d’être quelquefois
remuants et fourbes. Tous les siècles se ressemblent par la méchanceté
des hommes; mais je ne connais que ces quatre âges distingués par les
grands talents.

Avant le siècle que j’appelle de Louis XIV, et qui commence à peu
près à l’établissement de l’académie française[376], les Italiens
appelaient tous les ultramontains du nom de barbares; il faut avouer
que les Français méritaient en quelque sorte cette injure. Leurs
pères joignaient la galanterie romanesque des Maures à la grossièreté
gothique. Ils n’avaient presque aucun des arts aimables, ce qui prouve
que les arts utiles étaient négligés; car lorsqu’on a perfectionné
ce qui est nécessaire, on trouve bientôt le beau et l’agréable; et
il n’est pas étonnant que la peinture, la sculpture, la poésie,
l’éloquence, la philosophie, fussent presque inconnues à une nation
qui, ayant des ports sur l’Océan et sur la Méditerranée, n’avait
pourtant point de flotte, et qui, aimant le luxe à l’excès, avait à
peine quelques manufactures grossières.

Les Juifs, les Génois, les Vénitiens, les Portugais, les Flamands,
les Hollandais, les Anglais, firent tour-à-tour le commerce de la
France, qui en ignorait les principes. Louis XIII, à son avènement à
la couronne, n’avait pas un vaisseau: Paris ne contenait pas quatre
cent mille hommes, et n’était pas décoré de quatre beaux édifices; les
autres villes du royaume ressemblaient à ces bourgs qu’on voit au-delà
de la Loire. Toute la noblesse, cantonnée à la campagne dans des
donjons entourés de fossés, opprimait ceux qui cultivent la terre. Les
grands chemins étaient presque impraticables; les villes étaient sans
police, l’état sans argent, et le gouvernement presque toujours sans
crédit parmi les nations étrangères.

On ne doit pas se dissimuler que, depuis la décadence de la famille de
Charlemagne, la France avait langui plus ou moins dans cette faiblesse,
parcequ’elle n’avait presque jamais joui d’un bon gouvernement.

Il faut, pour qu’un état soit puissant, ou que le peuple ait une
liberté fondée sur les lois, ou que l’autorité souveraine soit affermie
sans contradiction. En France, les peuples furent esclaves jusque vers
le temps de Philippe-Auguste; les seigneurs furent tyrans jusqu’à Louis
XI; et les rois, toujours occupés à soutenir leur autorité contre leurs
vassaux, n’eurent jamais ni le temps de songer au bonheur de leurs
sujets, ni le pouvoir de les rendre heureux.

Louis XI fit beaucoup pour la puissance royale, mais rien pour la
félicité et la gloire de la nation. François Iᵉʳ fit naître le
commerce, la navigation, les lettres, et tous les arts; mais il
fut trop malheureux pour leur faire prendre racine en France, et
tous périrent avec lui. Henri-le-Grand allait retirer la France des
calamités et de la barbarie où trente ans de discorde l’avaient
replongée, quand il fut assassiné dans sa capitale, au milieu du peuple
dont il commençait à faire le bonheur. Le cardinal de Richelieu, occupé
d’abaisser la maison d’Autriche, le calvinisme, et les grands, ne jouit
point d’une puissance assez paisible pour réformer la nation; mais au
moins il commença cet heureux ouvrage.

Ainsi, pendant neuf cents années, le génie des Français a été presque
toujours rétréci sous un gouvernement gothique, au milieu des divisions
et des guerres civiles, n’ayant ni lois ni coutumes fixes, changeant
de deux siècles en deux siècles un langage toujours grossier; les
nobles sans discipline, ne connaissant que la guerre et l’oisiveté; les
ecclésiastiques vivant dans le désordre et dans l’ignorance; et les
peuples sans industrie, croupissant dans leur misère.

Les Français n’eurent part, ni aux grandes découvertes ni aux
inventions admirables des autres nations: l’imprimerie, la poudre,
les glaces, les télescopes, le compas de proportion, la machine
pneumatique, le vrai système de l’univers, ne leur appartiennent point;
ils fesaient des tournois, pendant que les Portugais et les Espagnols
découvraient et conquéraient de nouveaux mondes à l’orient et à
l’occident du monde connu. Charles-Quint prodiguait déjà en Europe les
trésors du Mexique, avant que quelques sujets de François Iᵉʳ eussent
découvert la contrée inculte du Canada; mais par le peu même que firent
les Français dans le commencement du seizième siècle, on vit de quoi
ils sont capables quand ils sont conduits.

On se propose de montrer ce qu’ils ont été sous Louis XIV.

Il ne faut pas qu’on s’attende à trouver ici, plus que dans le tableau
des siècles précédents, les détails immenses des guerres, des attaques
de villes prises et reprises par les armes, données et rendues par des
traités. Mille circonstances intéressantes pour les contemporains se
perdent aux yeux de la postérité, et disparaissent pour ne laisser voir
que les grands événements qui ont fixé la destinée des empires. Tout
ce qui s’est fait ne mérite pas d’être écrit. On ne s’attachera, dans
cette histoire, qu’à ce qui mérite l’attention de tous les temps, à ce
qui peut peindre le génie et les mœurs des hommes, à ce qui peut servir
d’instruction, et conseiller l’amour de la vertu, des arts, et de la
patrie.

On a déjà vu[377] ce qu’étaient et la France et les autres états de
l’Europe avant la naissance de Louis XIV; on décrira ici les grands
événements politiques et militaires de son règne. Le gouvernement
intérieur du royaume, objet plus important pour les peuples, sera
traité à part. La vie privée de Louis XIV, les particularités de sa
cour et de son règne, tiendront une grande place. D’autres articles
seront pour les arts, pour les sciences, pour les progrès de l’esprit
humain dans ce siècle. Enfin on parlera de l’Église, qui depuis si
long-temps est liée au gouvernement; qui tantôt l’inquiète et tantôt le
fortifie; et qui, instituée pour enseigner la morale, se livre souvent
à la politique et aux passions humaines.



CHAPITRE II.

Des états de l’Europe avant Louis XIV.


Il y avait déjà long-temps qu’on pouvait regarder l’Europe chrétienne
(à la Russie près) comme une espèce de grande république partagée,
en plusieurs états, les uns monarchiques, les autres mixtes; ceux-ci
aristocratiques, ceux-là populaires, mais tous correspondants les uns
avec les autres; tous ayant un même fond de religion, quoique divisés
en plusieurs sectes; tous ayant les mêmes principes de droit public
et de politique, inconnus dans les autres parties du monde. C’est par
ces principes que les nations européanes ne font point esclaves leurs
prisonniers, qu’elles respectent les ambassadeurs de leurs ennemis,
qu’elles conviennent ensemble de la prééminence et de quelques droits
de certains princes, comme de l’empereur, des rois, et des autres
moindres potentats, et qu’elles s’accordent surtout dans la sage
politique de tenir entre elles, autant qu’elles peuvent, une balance
égale de pouvoir, employant sans cesse les négociations, même au milieu
de la guerre, et entretenant les unes chez les autres des ambassadeurs
ou des espions moins honorables, qui peuvent avertir toutes les cours
des desseins d’une seule, donner à-la-fois l’alarme à l’Europe, et
garantir les plus faibles des invasions que le plus fort est toujours
prêt d’entreprendre.

Depuis Charles-Quint la balance penchait du côté de la maison
d’Autriche. Cette maison puissante était, vers l’an 1630, maîtresse de
l’Espagne, du Portugal, et des trésors de l’Amérique; les Pays-Bas,
le Milanais, le royaume de Naples, la Bohême, la Hongrie, l’Allemagne
même (si on peut le dire), étaient devenus son patrimoine; et si tant
d’états avaient été réunis sous un seul chef de cette maison, il est à
croire que l’Europe lui aurait enfin été asservie.


DE L’ALLEMAGNE.

L’empire d’Allemagne est le plus puissant voisin qu’ait la France:
il est d’une plus grande étendue; moins riche peut-être en argent,
mais plus fécond en hommes robustes et patients dans le travail.
La nation allemande est gouvernée, peu s’en faut, comme l’était la
France sous les premiers rois _Capétiens_, qui étaient des chefs,
souvent mal obéis, de plusieurs grands vassaux et d’un grand nombre
de petits. Aujourd’hui soixante villes libres, et qu’on nomme
impériales, environ autant de souverains séculiers, près de quarante
princes ecclésiastiques, soit abbés, soit évêques, neuf électeurs,
parmi lesquels on peut compter aujourd’hui quatre rois[378], enfin
l’empereur, chef de tous ces potentats, composent ce grand corps
germanique, que le flegme allemand a fait subsister jusqu’à nos jours,
avec presque autant d’ordre qu’il y avait autrefois de confusion dans
le gouvernement français.

Chaque membre de l’empire a ses droits, ses priviléges, ses
obligations; et la connaissance difficile de tant de lois, souvent
contestées, fait ce que l’on appelle en Allemagne l’_étude du droit
public_, pour laquelle la nation germanique est si renommée.

L’empereur, par lui-même, ne serait guère à la vérité plus puissant ni
plus riche qu’un doge de Venise. Vous savez que l’Allemagne, partagée
en villes et en principautés, ne laisse au chef de tant d’états que la
prééminence avec d’extrêmes honneurs, sans domaines, sans argent, et
par conséquent sans pouvoir.

Il ne possède pas, à titre d’empereur, un seul village. Cependant cette
dignité, souvent aussi vaine que suprême, était devenue si puissante
entre les mains des Autrichiens, qu’on a craint souvent qu’ils ne
convertissent en monarchie absolue cette république de princes.

Deux partis divisaient alors, et partagent encore aujourd’hui l’Europe
chrétienne, et surtout l’Allemagne.

Le premier est celui des catholiques, plus ou moins soumis au pape; le
second est celui des ennemis de la domination spirituelle et temporelle
du pape et des prélats catholiques. Nous appelons ceux de ce parti du
nom général de protestants, quoiqu’ils soient divisés en luthériens,
calvinistes, et autres, qui se haïssent entre eux presque autant qu’ils
haïssent Rome.

En Allemagne, la Saxe, une partie du Brandebourg, le Palatinat,
une partie de la Bohême, de la Hongrie, les états de la maison de
Brunsvick, le Virtemberg, la Hesse, suivent la religion luthérienne,
qu’on nomme _évangélique_. Toutes les villes libres impériales ont
embrassé cette secte, qui a semblé plus convenable que la religion
catholique à des peuples jaloux de leur liberté.

Les calvinistes, répandus parmi les luthériens qui sont les plus forts,
ne font qu’un parti médiocre; les catholiques composent le reste de
l’empire, et ayant à leur tête la maison d’Autriche, ils étaient sans
doute les plus puissants.

Non seulement l’Allemagne, mais tous les états chrétiens, saignaient
encore des plaies qu’ils avaient reçues de tant de guerres de religion,
fureur particulière aux chrétiens, ignorée des idolâtres, et suite
malheureuse de l’esprit dogmatique introduit depuis si long-temps dans
toutes les conditions. Il y a peu de points de controverse qui n’aient
causé une guerre civile; et les nations étrangères (peut-être notre
postérité) ne pourront un jour comprendre que nos pères se soient
égorgés mutuellement, pendant tant d’années, en prêchant la patience.

Je vous ai déjà fait voir comment Ferdinand II[379] fut près de changer
l’aristocratie allemande en une monarchie absolue, et comment il fut
sur le point d’être détrôné par Gustave-Adolphe. Son fils, Ferdinand
III, qui hérita de sa politique, et fit comme lui la guerre de son
cabinet, régna pendant la minorité de Louis XIV.

L’Allemagne n’était point alors aussi florissante qu’elle l’est
devenue depuis; le luxe y était inconnu, et les commodités de la vie
étaient encore très rares chez les plus grands seigneurs. Elles n’y
ont été portées que vers l’an 1686 par les réfugiés français qui
allèrent y établir leurs manufactures. Ce pays fertile et peuplé
manquait de commerce et d’argent; la gravité des mœurs et la lenteur
particulière aux Allemands les privaient de ces plaisirs et de ces arts
agréables que la sagacité italienne cultivait depuis tant d’années,
et que l’industrie française commençait dès-lors à perfectionner.
Les Allemands, riches chez eux, étaient pauvres ailleurs; et cette
pauvreté, jointe à la difficulté de réunir en peu de temps sous les
mêmes étendards tant de peuples différents, les mettait à peu près,
comme aujourd’hui, dans l’impossibilité de porter et de soutenir
long-temps la guerre chez leurs voisins. Aussi c’est presque toujours
dans l’empire que les Français ont fait la guerre contre les empereurs.
La différence du gouvernement et du génie paraît rendre les Français
plus propres pour l’attaque, et les Allemands pour la défense.


DE L’ESPAGNE.

L’Espagne, gouvernée par la branche aînée de la maison d’Autriche,
avait imprimé, après la mort de Charles-Quint, plus de terreur que la
nation germanique. Les rois d’Espagne étaient incomparablement plus
absolus et plus riches. Les mines du Mexique et du Potosi semblaient
leur fournir de quoi acheter la liberté de l’Europe. Vous avez vu ce
projet de la monarchie, ou plutôt de la supériorité universelle sur
notre continent chrétien, commencé par Charles-Quint, et soutenu par
Philippe II.

La grandeur espagnole ne fut plus, sous Philippe III, qu’un vaste corps
sans substance, qui avait plus de réputation que de force.

Philippe IV, héritier de la faiblesse de son père, perdit le Portugal
par sa négligence, le Roussillon par la faiblesse de ses armes, et
la Catalogne par l’abus du despotisme. De tels rois ne pouvaient
être long-temps heureux dans leurs guerres contre la France. S’ils
obtenaient quelques avantages par les divisions et les fautes de leurs
ennemis, ils en perdaient le fruit par leur incapacité. De plus, ils
commandaient à des peuples que leurs priviléges mettaient en droit de
mal servir; les Castillans avaient la prérogative de ne point combattre
hors de leur patrie; les Aragonais disputaient sans cesse leur liberté
contre le conseil royal; et les Catalans, qui regardaient leurs rois
comme leurs ennemis, ne leur permettaient pas même de lever des milices
dans leurs provinces.

L’Espagne cependant, réunie avec l’empire, mettait un poids redoutable
dans la balance de l’Europe.


DU PORTUGAL.

Le Portugal redevenait alors un royaume. Jean, duc de Bragance, prince
qui passait pour faible, avait arraché cette province à un roi plus
faible que lui. Les Portugais cultivaient par nécessité le commerce,
que l’Espagne négligeait par fierté; ils venaient de se liguer avec la
France et la Hollande, en 1641, contre l’Espagne. Cette révolution du
Portugal valut à la France plus que n’eussent fait les plus signalées
victoires. Le ministère français, qui n’avait contribué en rien à cet
événement, en retira sans peine le plus grand avantage qu’on puisse
avoir contre son ennemi, celui de le voir attaqué par une puissance
irréconciliable.

Le Portugal, secouant le joug de l’Espagne, étendant son commerce,
et augmentant sa puissance, rappelle ici l’idée de la Hollande qui
jouissait des mêmes avantages d’une manière bien différente.


DES PROVINCES-UNIES.

Ce petit état des sept Provinces-Unies, pays fertile en pâturages, mais
stérile en grains, malsain, et presque submergé par la mer, était,
depuis environ un demi-siècle, un exemple presque unique sur la terre
de ce que peuvent l’amour de la liberté et le travail infatigable. Ces
peuples pauvres, peu nombreux, bien moins aguerris que les moindres
milices espagnoles, et qui n’étaient comptés encore pour rien dans
l’Europe, résistèrent à toutes les forces de leur maître et de leur
tyran, Philippe II, éludèrent les desseins de plusieurs princes, qui
voulaient les secourir pour les asservir, et fondèrent une puissance
que nous avons vue balancer le pouvoir de l’Espagne même. Le désespoir
qu’inspire la tyrannie les avait d’abord armés: la liberté avait
élevé leur courage, et les princes de la maison d’Orange en avaient
fait d’excellents soldats. A peine vainqueurs de leurs maîtres, ils
établirent une forme de gouvernement qui conserve, autant qu’il est
possible, l’égalité, le droit le plus naturel des hommes.

Cet état, d’une espèce si nouvelle, était, depuis sa fondation, attaché
intimement à la France: l’intérêt les réunissait; ils avaient les mêmes
ennemis; Henri-le-Grand et Louis XIII avaient été ses alliés et ses
protecteurs.


DE L’ANGLETERRE.

L’Angleterre, beaucoup plus puissante, affectait la souveraineté
des mers, et prétendait mettre une balance entre les dominations de
l’Europe; mais Charles Iᵉʳ, qui régnait depuis 1625, loin de pouvoir
soutenir le poids de cette balance, sentait le sceptre échapper déjà de
sa main: il avait voulu rendre son pouvoir en Angleterre indépendant
des lois, et changer la religion en Écosse. Trop opiniâtre pour se
désister de ses desseins, et trop faible pour les exécuter, bon mari,
bon maître, bon père, honnête homme, mais monarque mal conseillé, il
s’engagea dans une guerre civile, qui lui fit perdre enfin, comme nous
l’avons déjà dit[380], le trône et la vie sur un échafaud, par une
révolution presque inouïe.

Cette guerre civile, commencée dans la minorité de Louis XIV, empêcha
pour un temps l’Angleterre d’entrer dans les intérêts de ses voisins:
elle perdit sa considération avec son bonheur; son commerce fut
interrompu; les autres nations la crurent ensevelie sous ses ruines,
jusqu’au temps où elle devint tout-à-coup plus formidable que jamais,
sous la domination de Cromwell, qui l’assujettit en portant l’Évangile
dans une main, l’épée dans l’autre, le masque de la religion sur le
visage, et qui, dans son gouvernement, couvrit des qualités d’un grand
roi tous les crimes d’un usurpateur.


DE ROME.

Cette balance que l’Angleterre s’était long-temps flattée de maintenir
entre les rois par sa puissance, la cour de Rome essayait de la tenir
par sa politique. L’Italie était divisée, comme aujourd’hui, en
plusieurs souverainetés: celle que possède le pape est assez grande
pour le rendre respectable comme prince, et trop petite pour le
rendre redoutable. La nature du gouvernement ne sert pas à peupler
son pays, qui d’ailleurs a peu d’argent et de commerce; son autorité
spirituelle, toujours un peu mêlée de temporel, est détruite et
abhorrée dans la moitié de la chrétienté; et si dans l’autre il est
regardé comme un père, il a des enfants qui lui résistent quelquefois
avec raison et avec succès. La maxime de la France est de le regarder
comme une personne sacrée, mais entreprenante, à laquelle il faut
baiser les pieds, et lier quelquefois les mains. On voit encore, dans
tous les pays catholiques, les traces des pas que la cour de Rome a
faits autrefois vers la monarchie universelle. Tous les princes de la
religion catholique envoient au pape, à leur avènement, des ambassades
qu’on nomme d’_obédience_. Chaque couronne a dans Rome un cardinal,
qui prend le nom de protecteur. Le pape donne des bulles de tous
les évêchés, et s’exprime dans ses bulles comme s’il conférait ces
dignités de sa seule puissance. Tous les évêques italiens, espagnols,
flamands, se nomment évêques par la permission divine, et _par celle du
saint-siége_. Beaucoup de prélats français, vers l’an 1682, rejetèrent
cette formule si inconnue aux premiers siècles; et nous avons vu de
nos jours, en 1754, un évêque (Stuart Fitz-James, évêque de Soissons)
assez courageux pour l’omettre dans un mandement qui doit passer à la
postérité; mandement, ou plutôt instruction unique, dans laquelle il
est dit expressément ce que nul pontife n’avait encore osé dire, que
tous les hommes, et les infidèles mêmes, sont nos frères[381].

Enfin le pape a conservé, dans tous les états catholiques, des
prérogatives qu’assurément il n’obtiendrait pas si le temps ne les lui
avait pas données. Il n’y a point de royaume dans lequel il n’y ait
beaucoup de bénéfices à sa nomination; il reçoit en tribut les revenus
de la première année des bénéfices consistoriaux.

Les religieux, dont les chefs résident à Rome, sont encore autant de
sujets immédiats du pape, répandus dans tous les états. La coutume,
qui fait tout, et qui est cause que le monde est gouverné par des abus
comme par des lois, n’a pas toujours permis aux princes de remédier
entièrement à un danger qui tient d’ailleurs à des choses regardées
comme sacrées. Prêter serment à un autre qu’à son souverain est un
crime de lèse-majesté dans un laïque; c’est, dans le cloître, un acte
de religion. La difficulté de savoir à quel point on doit obéir à ce
souverain étranger, la facilité de se laisser séduire, le plaisir de
secouer un joug naturel pour en prendre un qu’on se donne soi-même,
l’esprit de trouble, le malheur des temps, n’ont que trop souvent porté
des ordres entiers de religieux à servir Rome contre leur patrie.

L’esprit éclairé qui règne en France depuis un siècle, et qui s’est
étendu dans presque toutes les conditions, a été le meilleur remède
a cet abus. Les bons livres écrits sur cette matière sont de vrais
services rendus aux rois et aux peuples; et un des grands changements
qui se soient faits par ce moyen dans nos mœurs sous Louis XIV, c’est
la persuasion dans laquelle les religieux commencent tous à être qu’ils
sont sujets du roi avant que d’être serviteurs du pape. La juridiction,
cette marque essentielle de la souveraineté, est encore demeurée au
pontife romain. La France même, malgré toutes ses libertés de l’Église
gallicane, souffre que l’on appelle au pape en dernier ressort dans
quelques causes ecclésiastiques.

Si l’on veut dissoudre un mariage, épouser sa cousine ou sa nièce, se
faire relever de ses vœux, c’est encore à Rome, et non à son évêque,
qu’on s’adresse; les graces y sont taxées[382], et les particuliers de
tous les états y achètent des dispenses à tout prix.

Ces avantages, regardés par beaucoup de personnes comme la suite des
plus grands abus, et par d’autres comme les restes des droits les plus
sacrés, sont toujours soutenus avec art. Rome ménage son crédit avec
autant de politique que la république romaine en mit à conquérir la
moitié du monde connu.

Jamais cour ne sut mieux se conduire selon les hommes et selon les
temps. Les papes sont presque toujours des Italiens blanchis dans les
affaires, sans passions qui les aveuglent; leur conseil est composé
de cardinaux qui leur ressemblent, et qui sont tous animés du même
esprit. De ce conseil émanent des ordres qui vont jusqu’à la Chine
et à l’Amérique: il embrasse en ce sens l’univers; et on a pu dire
quelquefois ce qu’avait dit autrefois un étranger du sénat de Rome:
«J’ai vu un consistoire de rois.» La plupart de nos écrivains se sont
élevés avec raison contre l’ambition de cette cour; mais je n’en vois
point qui ait rendu assez de justice à sa prudence. Je ne sais si une
autre nation eût pu conserver si long-temps dans l’Europe tant de
prérogatives toujours combattues: toute autre cour les eût peut-être
perdues, ou par sa fierté, ou par sa mollesse, ou par sa lenteur, ou
par sa vivacité; mais Rome, employant presque toujours à propos la
fermeté et la souplesse, a conservé tout ce qu’elle a pu humainement
garder. On la vit rampante sous Charles-Quint, terrible au roi de
France, Henri III, ennemie et amie tour-à-tour de Henri IV, adroite
avec Louis XIII, opposée ouvertement à Louis XIV dans le temps qu’il
fut à craindre, et souvent ennemie secrète des empereurs, dont elle se
défiait plus que du sultan des Turcs.

Quelques droits, beaucoup de prétentions, de la politique, et de la
patience, voilà ce qui reste aujourd’hui à Rome de cette ancienne
puissance qui, six siècles auparavant, avait voulu soumettre l’empire
et l’Europe à la tiare.

Naples[383] est un témoignage subsistant encore de ce droit que les
papes surent prendre autrefois avec tant d’art et de grandeur, de créer
et de donner des royaumes: mais le roi d’Espagne, possesseur de cet
état, ne laissait à la cour romaine que l’honneur et le danger d’avoir
un vassal trop puissant.

Au reste, l’état du pape était dans une paix heureuse qui n’avait été
altérée que par la petite guerre dont j’ai parlé entre les cardinaux
Barberin, neveux du pape Urbain VIII, et le duc de Parme[384].


DU RESTE DE L’ITALIE.

Les autres provinces d’Italie écoutaient des intérêts divers. Venise
craignait les Turcs et l’empereur; elle défendait à peine ses états
de terre-ferme des prétentions de l’Allemagne et de l’invasion du
grand-seigneur. Ce n’était plus cette Venise autrefois la maîtresse du
commerce du monde, qui, cent cinquante ans auparavant, avait excité la
jalousie de tant de rois. La sagesse de son gouvernement subsistait;
mais son grand commerce anéanti lui ôtait presque toute sa force, et la
ville de Venise était, par sa situation, incapable d’être domptée, et,
par sa faiblesse, incapable de faire des conquêtes.

L’état de Florence jouissait de la tranquillité et de l’abondance sous
le gouvernement des Médicis; les lettres, les arts, et la politesse,
que les Médicis avaient fait naître, florissaient encore. La Toscane
alors était en Italie ce qu’Athènes avait été en Grèce.

La Savoie, déchirée par une guerre civile et par les troupes françaises
et espagnoles, s’était enfin réunie tout entière en faveur de la
France, et contribuait en Italie à l’affaiblissement de la puissance
autrichienne.

Les Suisses conservaient, comme aujourd’hui, leur liberté, sans
chercher à opprimer personne. Ils vendaient leurs troupes à leurs
voisins plus riches qu’eux; ils étaient pauvres; ils ignoraient les
sciences et tous les arts que le luxe a fait naître; mais ils étaient
sages et heureux[385].


DES ÉTATS DU NORD.

Les nations du nord de l’Europe, la Pologne, la Suède, le Danemark,
la Russie, étaient, comme les autres puissances, toujours en défiance
ou en guerre entre elles. On voyait, comme aujourd’hui[386], dans la
Pologne, les mœurs et le gouvernement des Goths et des Francs, un roi
électif, des nobles partageant sa puissance, un peuple esclave, une
faible infanterie, une cavalerie composée de nobles; point de villes
fortifiées; presque point de commerce. Ces peuples étaient tantôt
attaqués par les Suédois ou par les Moscovites, et tantôt par les
Turcs. Les Suédois, nation plus libre encore par sa constitution,
qui admet les paysans mêmes dans les états-généraux, mais alors plus
soumise à ses rois que la Pologne, furent victorieux presque partout.
Le Danemark, autrefois formidable à la Suède, ne l’était plus à
personne; et sa véritable grandeur n’a commencé que sous ses deux
rois Frédéric III et Frédéric IV[387]. La Moscovie n’était encore que
barbare.


DES TURCS.

Les Turcs n’étaient pas ce qu’ils avaient été sous les Sélim, les
Mahomet, et les Soliman: la mollesse corrompait le sérail, sans en
bannir la cruauté. Les sultans étaient en même temps et les plus
despotiques des souverains dans leur sérail, et les moins assurés de
leur trône et de leur vie. Osman et Ibrahim venaient de mourir par le
cordeau. Mustapha avait été deux fois déposé. L’empire turc, ébranlé
par ces secousses, était encore attaqué par les Persans; mais, quand
les Persans le laissaient respirer, et que les révolutions du sérail
étaient finies, cet empire redevenait formidable à la chrétienté; car
depuis l’embouchure du Borysthène jusqu’aux états de Venise, on voyait
la Moscovie, la Hongrie, la Grèce, les îles, tour-à-tour en proie aux
armes des Turcs; et dès l’an 1644, ils fesaient constamment cette
guerre de Candie si funeste aux chrétiens. Telles étaient la situation,
les forces, et l’intérêt des principales nations européanes vers le
temps de la mort du roi de France, Louis XIII.


SITUATION DE LA FRANCE.

La France, alliée à la Suède, à la Hollande, à la Savoie, au Portugal,
et ayant pour elle les vœux des autres peuples demeurés dans
l’inaction, soutenait contre l’empire et l’Espagne une guerre ruineuse
aux deux partis, et funeste à la maison d’Autriche. Cette guerre était
semblable à toutes celles qui se font depuis tant de siècles entre
les princes chrétiens, dans lesquelles des millions d’hommes sont
sacrifiés et des provinces ravagées pour obtenir enfin quelques petites
villes frontières dont la possession vaut rarement ce qu’a coûté la
conquête.

Les généraux de Louis XIII avaient pris le Roussillon; les Catalans
venaient de se donner à la France, protectrice de la liberté qu’ils
défendaient contre leurs rois; mais ces succès n’avaient pas empêché
que les ennemis n’eussent pris Corbie en 1636, et ne fussent venus
jusqu’à Pontoise. La peur avait chassé de Paris la moitié de ses
habitants; et le cardinal de Richelieu, au milieu de ses vastes projets
d’abaisser la puissance autrichienne, avait été réduit à taxer les
portes cochères de Paris à fournir chacune un laquais pour aller à la
guerre, et pour repousser les ennemis des portes de la capitale.

Les Français avaient donc fait beaucoup de mal aux Espagnols et aux
Allemands, et n’en avaient pas moins essuyé.


FORCES DE LA FRANCE APRÈS LA MORT DE LOUIS XIII, ET MŒURS DU TEMPS.

Les guerres avaient produit des généraux illustres, tels qu’un
Gustave-Adolphe, un Valstein, un duc de Veimar, Piccolomini, Jean
de Vert, le maréchal de Guébriant, les princes d’Orange, le comte
d’Harcourt. Des ministres d’état ne s’étaient pas moins signalés.
Le chancelier Oxenstiern, le comte duc d’Olivarès, mais surtout le
cardinal de Richelieu, avaient attiré sur eux l’attention de l’Europe.
Il n’y a aucun siècle qui n’ait eu des hommes d’état et de guerre
célèbres: la politique et les armes semblent malheureusement être les
deux professions les plus naturelles à l’homme: il faut toujours ou
négocier ou se battre. Le plus heureux passe pour le plus grand, et le
public attribue souvent au mérite tous les succès de la fortune.

La guerre ne se fesait pas comme nous l’avons vu faire du temps de
Louis XIV; les armées n’étaient pas si nombreuses: aucun général,
depuis le siége de Metz par Charles-Quint, ne s’était vu à la tête de
cinquante mille hommes: on assiégeait et on défendait les places avec
moins de canons qu’aujourd’hui. L’art des fortifications était encore
dans son enfance. Les piques et les arquebuses étaient en usage: on se
servait beaucoup de l’épée, devenue inutile aujourd’hui. Il restait
encore des anciennes lois des nations celle de déclarer la guerre par
un héraut. Louis XIII fut le dernier qui observa cette coutume: il
envoya un héraut d’armes à Bruxelles déclarer la guerre à l’Espagne en
1635.

Vous savez que rien n’était plus commun alors que de voir des prêtres
commander des armées: le cardinal infant, le cardinal de Savoie,
Richelieu, La Valette, Sourdis, archevêque de Bordeaux, le cardinal
Théodore Trivulce, commandant de la cavalerie espagnole, avaient
endossé la cuirasse et fait la guerre eux-mêmes. Un évêque de Mende
avait été souvent intendant d’armées. Les papes menacèrent quelquefois
d’excommunication ces prêtres guerriers. Le pape Urbain VIII, fâché
contre la France, fit dire au cardinal de La Valette qu’il le
dépouillerait du cardinalat s’il ne quittait les armes; mais, réuni
avec la France, il le combla de bénédictions.

Les ambassadeurs, non moins ministres de paix que les ecclésiastiques,
ne fesaient nulle difficulté de servir dans les armées des puissances
alliées, auprès desquelles ils étaient employés. Charnacé, envoyé de
France en Hollande, y commandait un régiment en 1637, et depuis même
l’ambassadeur d’Estrades fut colonel à leur service.

La France n’avait en tout qu’environ quatre-vingt mille hommes
effectifs sur pied. La marine, anéantie depuis des siècles, rétablie un
peu par le cardinal de Richelieu, fut ruinée sous Mazarin. Louis XIII
n’avait qu’environ quarante-cinq millions réels de revenu ordinaire;
mais l’argent était à vingt-six livres le marc: ces quarante-cinq
millions revenaient à environ quatre-vingt-cinq millions de notre
temps, où la valeur arbitraire du marc d’argent monnayé est poussée
jusqu’à quarante-neuf livres et demie; celle de l’argent fin à
cinquante-quatre livres dix-sept sous; valeur que l’intérêt public et
la justice demandent qui ne soit jamais changée[388].

Le commerce, généralement répandu aujourd’hui, était en très peu de
mains; la police du royaume était entièrement négligée, preuve certaine
d’une administration peu heureuse. Le cardinal de Richelieu, occupé
de sa propre grandeur attachée à celle de l’état, avait commencé à
rendre la France formidable au-dehors, sans avoir encore pu la rendre
bien florissante au-dedans. Les grands chemins n’étaient ni réparés
ni gardés; les brigands les infestaient; les rues de Paris, étroites,
mal pavées, et couvertes d’immondices dégoûtantes, étaient remplies de
voleurs. On voit, par les registres du parlement, que le guet de cette
ville était réduit alors à quarante-cinq hommes mal payés, et qui même
ne servaient pas.

Depuis la mort de François II, la France avait été toujours ou déchirée
par des guerres civiles, ou troublée par des factions. Jamais le joug
n’avait été porté d’une manière paisible et volontaire. Les seigneurs
avaient été élevés dans les conspirations; c’était l’art de la cour,
comme celui de plaire au souverain l’a été depuis.

Cet esprit de discorde et de faction avait passé de la cour jusqu’aux
moindres villes, et possédait toutes les communautés du royaume: on
se disputait tout, parcequ’il n’y avait rien de réglé: il n’y avait
pas jusqu’aux paroisses de Paris qui n’en vinssent aux mains; les
processions se battaient les unes contre les autres pour l’honneur de
leurs bannières. On avait vu souvent les chanoines de Notre-Dame aux
prises avec ceux de la Sainte-Chapelle: le parlement et la chambre
des comptes s’étaient battus pour le pas dans l’église de Notre-Dame,
le jour que Louis XIII mit son royaume sous la protection de la vierge
Marie[389].

Presque toutes les communautés du royaume étaient armées; presque tous
les particuliers respiraient la fureur du duel. Cette barbarie gothique
autorisée autrefois par les rois mêmes, et devenue le caractère de
la nation, contribuait encore, autant que les guerres civiles et
étrangères, à dépeupler le pays. Ce n’est pas trop dire, que dans le
cours de vingt années, dont dix avaient été troublées par la guerre, il
était mort plus de gentilshommes français de la main des Français mêmes
que de celle des ennemis.

On ne dira rien ici de la manière dont les arts et les sciences étaient
cultivés; on trouvera cette partie de l’histoire de nos mœurs à sa
place. On remarquera seulement que la nation française était plongée
dans l’ignorance; sans excepter ceux qui croient n’être point peuple.

On consultait les astrologues, et on y croyait. Tous les mémoires
de ce temps-là, à commencer par l’_Histoire du président de Thou_,
sont remplis de prédictions. Le grave et sévère duc de Sulli rapporte
sérieusement celles qui furent faites à Henri IV. Cette crédulité, la
marque la plus infaillible de l’ignorance, était si accréditée qu’on
eut soin de tenir un astrologue[390] caché près de la chambre de la
reine Anne d’Autriche au moment de la naissance de Louis XIV.

Ce que l’on croira à peine, et ce qui est pourtant rapporté par l’abbé
Vittorio Siri, auteur contemporain très instruit, c’est que Louis XIII
eut dès son enfance le surnom de _Juste_, parcequ’il était né sous le
signe de la balance.

La même faiblesse, qui mettait en vogue cette chimère absurde de
l’astrologie judiciaire, fesait croire aux possessions et aux
sortiléges: on en fesait un point de religion; l’on ne voyait que
des prêtres qui conjuraient des démons. Les tribunaux, composés de
magistrats qui devaient être plus éclairés que le vulgaire, étaient
occupés à juger des sorciers. On reprochera toujours à la mémoire du
cardinal de Richelieu la mort de ce fameux curé de Loudun, Urbain
Grandier[391], condamné au feu comme magicien par une commission
du conseil. On s’indigne que le ministre et les juges aient eu la
faiblesse de croire aux diables de Loudun, ou la barbarie d’avoir fait
périr un innocent dans les flammes. On se souviendra avec étonnement
jusqu’à la dernière postérité que la maréchale d’Ancre fut brûlée en
place de Grève comme sorcière[392].

On voit encore, dans une copie de quelques registres du châtelet, un
procès commencé en 1610, au sujet d’un cheval qu’un maître industrieux
avait dressé à peu près de la manière dont nous avons vu des exemples à
la Foire; on voulait faire brûler et le maître et le cheval[393].

En voilà assez pour faire connaître en général les mœurs et l’esprit du
siècle qui précéda celui de Louis XIV.

Ce défaut de lumières dans tous les ordres de l’état fomentait chez
les plus honnêtes gens des pratiques superstitieuses qui déshonoraient
la religion. Les calvinistes, confondant avec le culte raisonnable
des catholiques les abus qu’on fesait de ce culte, n’en étaient que
plus affermis dans leur haine contre notre Église. Ils opposaient
à nos superstitions populaires, souvent remplies de débauches, une
dureté farouche et des mœurs féroces, caractère de presque tous les
réformateurs: ainsi l’esprit de parti déchirait et avilissait la
France; et l’esprit de société, qui rend aujourd’hui cette nation si
célèbre et si aimable, était absolument inconnu. Point de maisons où
les gens de mérite s’assemblassent pour se communiquer leurs lumières;
point d’académies, point de théâtres réguliers. Enfin, les mœurs,
les lois, les arts, la société, la religion, la paix, et la guerre,
n’avaient rien de ce qu’on vit depuis dans le siècle appelé le _siècle
de Louis XIV_.



CHAPITRE III.

Minorité de Louis XIV. Victoires des Français sous le grand Condé,
alors duc d’Enghien.


Le cardinal de Richelieu et Louis XIII venaient de mourir, l’un admiré
et haï, l’autre déjà oublié. Ils avaient laissé aux Français, alors
très inquiets, de l’aversion pour le nom seul du ministère, et peu de
respect pour le trône. Louis XIII, par son testament, établissait un
conseil de régence. Ce monarque, mal obéi pendant sa vie, se flatta
de l’être mieux après sa mort; mais la première démarche de sa veuve
Anne d’Autriche fut de faire annuler les volontés de son mari par un
arrêt du parlement de Paris. Ce corps, long-temps opposé à la cour,
et qui avait à peine conservé sous Louis XIII la liberté de faire des
remontrances, cassa le testament de son roi avec la même facilité qu’il
aurait jugé la cause d’un citoyen[394]. Anne d’Autriche s’adressa à
cette compagnie, pour avoir la régence illimitée, parceque Marie de
Médicis s’était servie du même tribunal après la mort de Henri IV; et
Marie de Médicis avait donné cet exemple, parceque toute autre voie eût
été longue et incertaine; que le parlement, entouré de ses gardes, ne
pouvait résister à ses volontés, et qu’un arrêt rendu au parlement et
par les pairs semblait assurer un droit incontestable.

L’usage qui donne la régence aux mères des rois parut donc alors aux
Français une loi presque aussi fondamentale que celle qui prive les
femmes de la couronne. Le parlement de Paris ayant décidé deux fois
cette question, c’est-à-dire ayant seul déclaré par des arrêts ce
droit des mères, parut en effet avoir donné la régence: il se regarda,
non sans quelque vraisemblance, comme le tuteur des rois, et chaque
conseiller crut être une partie de la souveraineté. Par le même arrêt,
Gaston, duc d’Orléans, jeune oncle du roi, eut le vain titre de
lieutenant-général du royaume sous la régente absolue.

Anne d’Autriche fut obligée d’abord de continuer la guerre contre le
roi d’Espagne, Philippe IV, son frère, qu’elle aimait. Il est difficile
de dire précisément pourquoi l’on fesait cette guerre; on ne demandait
rien à l’Espagne, pas même la Navarre, qui aurait dû être le patrimoine
des rois de France. On se battait depuis 1635 parceque le cardinal de
Richelieu l’avait voulu, et il est à croire qu’il l’avait voulu pour
se rendre nécessaire[395]. Il s’était lié contre l’empereur avec la
Suède, et avec le duc Bernard de Saxe-Veimar, l’un de ces généraux que
les Italiens nommaient _Condottieri_, c’est-à-dire qui vendaient leurs
troupes. Il attaquait aussi la branche autrichienne-espagnole dans
ces dix provinces que nous appelons en général du nom de Flandre; et
il avait partagé avec les Hollandais, alors nos alliés, cette Flandre
qu’on ne conquit point.

Le fort de la guerre était du côté de la Flandre; les troupes
espagnoles sortirent des frontières du Hainaut au nombre de vingt-six
mille hommes, sous la conduite d’un vieux général expérimenté, nommé
don Francisco de Mello. Ils vinrent ravager les frontières de la
Champagne; ils attaquèrent Rocroi, et ils crurent pénétrer bientôt
jusqu’aux portes de Paris, comme ils avaient fait huit ans auparavant.
La mort de Louis XIII, la faiblesse d’une minorité, relevaient leurs
espérances; et quand ils virent qu’on ne leur opposait qu’une armée
inférieure en nombre, commandée par un jeune homme de vingt-un ans,
leur espérance se changea en sécurité.

Ce jeune homme sans expérience, qu’ils méprisaient, était Louis de
Bourbon, alors duc d’Enghien, connu depuis sous le nom de grand
Condé. La plupart des grands capitaines sont devenus tels par degrés.
Ce prince était né général; l’art de la guerre semblait en lui un
instinct naturel: il n’y avait en Europe que lui et le Suédois
Torstenson qui eussent eu à vingt ans ce génie qui peut se passer de
l’expérience[396].

Le duc d’Enghien avait reçu, avec la nouvelle de la mort de Louis XIII,
l’ordre de ne point hasarder de bataille. Le maréchal de L’Hospital,
qui lui avait été donné pour le conseiller et pour le conduire,
secondait par sa circonspection ces ordres timides. Le prince ne crut
ni le maréchal ni la cour; il ne confia son dessein qu’à Gassion,
maréchal de camp, digne d’être consulté par lui; ils forcèrent le
maréchal à trouver la bataille nécessaire.

(19 mai 1643) On remarque que le prince, ayant tout réglé le soir,
veille de la bataille, s’endormit si profondément qu’il fallut le
réveiller pour combattre. On conte la même chose d’Alexandre. Il
est naturel qu’un jeune homme, épuisé des fatigues que demande
l’arrangement d’un si grand jour, tombe ensuite dans un sommeil
plein; il l’est aussi qu’un génie fait pour la guerre, agissant sans
inquiétude, laisse au corps assez de calme pour dormir. Le prince gagna
la bataille par lui-même, par un coup d’œil qui voyait à-la-fois
le danger et la ressource, par son activité exempte de trouble, qui
le portait à propos à tous les endroits. Ce fut lui qui, avec de la
cavalerie, attaqua cette infanterie espagnole jusque-là invincible,
aussi forte, aussi serrée que la phalange ancienne si estimée, et
qui s’ouvrait avec une agilité que la phalange n’avait pas, pour
laisser partir la décharge de dix-huit canons qu’elle renfermait au
milieu d’elle. Le prince l’entoura et l’attaqua trois fois. A peine
victorieux, il arrêta le carnage. Les officiers espagnols se jetaient
à ses genoux pour trouver auprès de lui un asile contre la fureur du
soldat vainqueur. Le duc d’Enghien eut autant de soin de les épargner,
qu’il en avait pris pour les vaincre.

Le vieux comte de Fuentes, qui commandait cette infanterie espagnole,
mourut percé de coups. Condé, en l’apprenant, dit «qu’il voudrait être
mort comme lui, s’il n’avait pas vaincu.»

Le respect qu’on avait en Europe pour les armées espagnoles se tourna
du côté des armées françaises, qui n’avaient point depuis cent ans
gagné de bataille si célèbre; car la sanglante journée de Marignan,
disputée plutôt que gagnée par François Iᵉʳ contre les Suisses, avait
été l’ouvrage des bandes noires allemandes autant que des troupes
françaises. Les journées de Pavie et de Saint-Quentin étaient encore
des époques fatales à la réputation de la France. Henri IV avait eu
le malheur de ne remporter des avantages mémorables que sur sa propre
nation. Sous Louis XIII, le maréchal de Guébriant avait eu de petits
succès, mais toujours balancés par des pertes. Les grandes batailles
qui ébranlent les états, et qui restent à jamais dans la mémoire des
hommes, n’avaient été livrées en ce temps que par Gustave-Adolphe.

Cette journée de Rocroi devint l’époque de la gloire française et de
celle de Condé. Il sut vaincre et profiter de la victoire. Ses lettres
à la cour firent résoudre le siége de Thionville, que le cardinal de
Richelieu n’avait pas osé hasarder; et au retour de ses courriers, tout
était déjà préparé pour cette expédition.

Le prince de Condé passa à travers le pays ennemi, trompa la vigilance
du général Beck, et prit enfin Thionville (8 août 1643). De là il
courut mettre le siége devant Syrck, et s’en rendit maître. Il fit
repasser le Rhin aux Allemands; il le passa après eux; il courut
réparer les pertes et les défaites que les Français avaient essuyées
sur ces frontières après la mort du maréchal de Guébriant. Il trouva
Fribourg pris, et le général Merci sous ses murs avec une armée
supérieure encore à la sienne. Condé avait sous lui deux maréchaux de
France, dont l’un était Grammont, et l’autre ce Turenne, fait maréchal
depuis peu de mois, après avoir servi heureusement en Piémont contre
les Espagnols. Il jetait alors les fondements de la grande réputation
qu’il eut depuis. Le prince, avec ces deux généraux, attaqua le camp
de Merci, retranché sur deux éminences. (31 août 1644) Le combat
recommença trois fois, à trois jours différents[397]. On dit que le
duc d’Enghien jeta son bâton de commandement dans les retranchements
des ennemis, et marcha pour le reprendre, l’épée à la main, à la tête
du régiment de Conti. Il fallait peut-être des actions aussi hardies
pour mener les troupes à des attaques si difficiles. Cette bataille
de Fribourg, plus meurtrière que décisive, fut la seconde victoire de
ce prince. Merci décampa quatre jours après. Philipsbourg et Mayence
rendus furent la preuve et le fruit de la victoire.

Le duc d’Enghien retourne à Paris, reçoit les acclamations du peuple,
et demande des récompenses à la cour; il laisse son armée au prince
maréchal de Turenne. Mais ce général, tout habile qu’il est déjà, est
battu à Mariendal. (Avril 1645) Le prince revole à l’armée, reprend le
commandement, et joint à la gloire de commander encore Turenne celle de
réparer sa défaite. Il attaque Merci dans les plaines de Nordlingen.
Il y gagne une bataille complète (3 août 1645), le maréchal de
Grammont y est pris; mais le général Glen, qui commandait sous Merci,
est fait prisonnier, et Merci est au nombre des morts. Ce général
regardé comme un des plus grands capitaines, fut enterré près du champ
de bataille; et on grava sur sa tombe, STA, VIATOR; HEROEM CALCAS:
_Arrête, voyageur; tu foules un héros_. Cette bataille mit le comble à
la gloire de Condé, et fit celle de Turenne, qui eut l’honneur d’aider
puissamment le prince à remporter une victoire dont il pouvait être
humilié. Peut-être ne fut-il jamais si grand qu’en servant ainsi celui
dont il fut depuis l’émule et le vainqueur.

Le nom du duc d’Enghien éclipsait alors tous les autres noms. (7
octobre 1646) Il assiégea ensuite Dunkerque, à la vue de l’armée
espagnole, et il fut le premier qui donna cette place à la France.

Tant de succès et de services, moins récompensés que suspects à la
cour, le fesaient craindre du ministère autant que des ennemis. On le
tira du théâtre de ses conquêtes et de sa gloire, et on l’envoya en
Catalogne avec de mauvaises troupes mal payées; il assiégea Lérida, et
fut obligé de lever le siége (1647). On l’accuse, dans quelques livres,
de fanfaronnade, pour avoir ouvert la tranchée avec des violons. On ne
savait pas que c’était l’usage en Espagne.

Bientôt les affaires chancelantes forcèrent la cour de rappeler
Condé[398] en Flandre. L’archiduc Léopold, frère de l’empereur
Ferdinand III, assiégeait Lens en Artois. Condé, rendu à ses troupes
qui avaient toujours vaincu sous lui, les mena droit à l’archiduc.
C’était pour la troisième fois qu’il donnait bataille avec le
désavantage du nombre. Il dit à ses soldats ces seules paroles: «Amis,
souvenez-vous de Rocroi, de Fribourg, et de Nordlingen.»

(10 août 1648) Il dégagea lui-même le maréchal de Grammont, qui pliait
avec l’aile gauche; il prit le général Beck. L’archiduc se sauva à
peine avec le comte de Fuensaldagne. Les Impériaux et les Espagnols,
qui composaient cette armée, furent dissipés; ils perdirent plus de
cent drapeaux, et trente-huit pièces de canon, ce qui était alors très
considérable. On leur fit cinq mille prisonniers, on leur tua trois
mille hommes, le reste déserta, et l’archiduc demeura sans armée.

Ceux qui veulent véritablement s’instruire peuvent remarquer que,
depuis la fondation de la monarchie, jamais les Français n’avaient
gagné de suite tant de batailles, et de si glorieuses par la conduite
et par le courage.

Tandis que le prince de Condé comptait ainsi les années de sa jeunesse
par des victoires, et que le duc d’Orléans, frère de Louis XIII, avait
aussi soutenu la réputation d’un fils de Henri IV et celle de la France
par la prise de Gravelines (juillet 1644), par celle de Courtrai et de
Mardick (novembre 1644)[399], le vicomte de Turenne avait pris Landau;
il avait chassé les Espagnols de Trèves, et rétabli l’électeur.

(Novembre 1647) Il gagna avec les Suédois la bataille de Lavingen,
celle de Sommerhausen, et contraignit le duc de Bavière à sortir de ses
états à l’âge de près de quatre-vingts ans. (1645) Le comte d’Harcourt
prit Balaguer, et battit les Espagnols. Ils perdirent en Italie
Porto-Longone (1646). Vingt vaisseaux et vingt galères de France, qui
composaient presque toute la marine rétablie par Richelieu, battirent
la flotte espagnole sur la côte d’Italie.

Ce n’était pas tout; les armes françaises avaient encore envahi la
Lorraine sur le duc Charles IV, prince guerrier, mais inconstant,
imprudent, et malheureux, qui se vit à-la-fois dépouillé de son état
par la France, et retenu prisonnier par les Espagnols. Les alliés de
la France pressaient la puissance autrichienne au midi et au nord.
Le duc d’Albuquerque, général des Portugais, gagna (mai 1644) contre
l’Espagne la bataille de Badajoz. Torstenson défit les Impériaux près
de Tabor (mars 1645), et remporta une victoire complète. Le prince
d’Orange, à la tête des Hollandais, pénétra jusque dans le Brabant.

Le roi d’Espagne, battu de tous côtés, voyait le Roussillon et la
Catalogne entre les mains des Français. Naples, révoltée contre lui,
venait de se donner au duc de Guise, dernier prince de cette branche
d’une maison si féconde en hommes illustres et dangereux. Celui-ci, qui
ne passa que pour un aventurier audacieux, parcequ’il ne réussit pas,
avait eu du moins la gloire d’aborder seul dans une barque au milieu de
la flotte d’Espagne, et de défendre Naples, sans autre secours que son
courage.

A voir tant de malheurs qui fondaient sur la maison d’Autriche, tant de
victoires accumulées par les Français, et secondées des succès de leurs
alliés, on croirait que Vienne et Madrid n’attendaient que le moment
d’ouvrir leurs portes, et que l’empereur et le roi d’Espagne étaient
presque sans états. Cependant cinq années de gloire, à peine traversées
par quelques revers, ne produisirent que très peu d’avantages réels,
beaucoup de sang répandu, et nulle révolution. S’il y en eut une à
craindre, ce fut pour la France; elle touchait à sa ruine au milieu de
ces prospérités apparentes.



CHAPITRE IV.

Guerre civile.


La reine Anne d’Autriche, régente absolue, avait fait du cardinal
Mazarin le maître de la France, et le sien. Il avait sur elle cet
empire qu’un homme adroit devait avoir sur une femme née avec assez de
faiblesse pour être dominée, et avec assez de fermeté pour persister
dans son choix.

On lit dans quelques mémoires de ces temps-là que la reine ne donna
sa confiance à Mazarin qu’au défaut de Potier, évêque de Beauvais,
qu’elle avait d’abord choisi pour son ministre. On peint cet évêque
comme un homme incapable: il est à croire qu’il l’était, et que la
reine ne s’en était servie quelque temps que comme d’un fantôme, pour
ne pas effaroucher d’abord la nation par le choix d’un second cardinal
et d’un étranger. Mais ce qu’on ne doit pas croire, c’est que Potier
eût commencé son ministère passager par déclarer aux Hollandais «qu’il
fallait qu’ils se fissent catholiques s’ils voulaient demeurer dans
l’alliance de la France.» Il aurait donc dû faire la même proposition
aux Suédois. Presque tous les historiens rapportent cette absurdité,
parcequ’ils l’ont lue dans les mémoires des courtisans et des
frondeurs. Il n’y a que trop de traits dans ces mémoires, ou falsifiés
par la passion, ou rapportés sur des bruits populaires. Le puéril
ne doit pas être cité, et l’absurde ne peut être cru. Il est très
vraisemblable que le cardinal Mazarin était ministre désigné depuis
long-temps dans l’esprit de la reine, et même du vivant de Louis XIII.
On ne peut en douter quand on a lu les _Mémoires_ de La Porte, premier
valet de chambre d’Anne d’Autriche. Les subalternes, témoins de tout
l’intérieur d’une cour, savent des choses que les parlements et les
chefs de parti même ignorent, ou ne font que soupçonner[400].

Mazarin usa d’abord avec modération de sa puissance. Il faudrait avoir
vécu long-temps avec un ministre pour peindre son caractère, pour dire
quel degré de courage ou de faiblesse il avait dans l’esprit, à quel
point il était ou prudent ou fourbe. Ainsi, sans vouloir deviner ce
qu’était Mazarin, on dira seulement ce qu’il fit. Il affecta, dans
les commencements de sa grandeur, autant de simplicité que Richelieu
avait déployé de hauteur. Loin de prendre des gardes et de marcher
avec un faste royal, il eut d’abord le train le plus modeste; il mit
de l’affabilité et même de la mollesse partout où son prédécesseur
avait fait paraître une fierté inflexible. La reine voulait faire
aimer sa régence et sa personne de la cour et des peuples, et elle y
réussissait. Gaston, duc d’Orléans, frère de Louis XIII, et le prince
de Condé, appuyaient son pouvoir, et n’avaient d’émulation que pour
servir l’état.

Il fallait des impôts pour soutenir la guerre contre l’Espagne et
contre l’empereur. Les finances en France étaient, depuis la mort du
grand Henri IV, aussi mal administrées qu’en Espagne et en Allemagne.
La régie était un chaos; l’ignorance extrême; le brigandage au comble:
mais ce brigandage ne s’étendait pas sur des objets aussi considérables
qu’aujourd’hui. L’état était huit fois moins endetté[401]; on n’avait
point des armées de deux cent mille hommes à soudoyer, point de
subsides immenses à payer, point de guerre maritime à soutenir. Les
revenus de l’état montaient, dans les premières années de la régence,
à près de soixante et quinze millions de livres de ce temps. C’était
assez s’il y avait eu de l’économie dans le ministère: mais en 1646 et
47 on eut besoin de nouveaux secours. Le surintendant était alors un
paysan siennois, nommé Particelli Émeri, dont l’ame était plus basse
que la naissance, et dont le faste et les débauches indignaient la
nation[402]. Cet homme inventait des ressources onéreuses et ridicules.
Il créa des charges de contrôleurs de fagots, de jurés vendeurs de
foin, de conseillers du roi crieurs de vin; il vendait des lettres de
noblesse. Les rentes sur l’hôtel de ville de Paris ne se montaient
alors qu’à près d’onze millions. On retrancha quelques quartiers aux
rentiers; on augmenta les droits d’entrée; on créa quelques charges
de maîtres des requêtes; on retint environ quatre-vingt mille écus de
gages aux magistrats.

Il est aisé de juger combien les esprits furent soulevés contre deux
Italiens, venus tous deux en France sans fortune, enrichis aux dépens
de la nation, et qui donnaient tant de prise sur eux. Le parlement
de Paris, les maîtres des requêtes, les autres cours, les rentiers
s’ameutèrent. En vain Mazarin ôta la surintendance à son confident
Émeri, et le relégua dans une de ses terres: on s’indignait encore que
cet homme eût des terres en France, et on eut le cardinal Mazarin en
horreur, quoique, dans ce temps-là même, il consommât le grand ouvrage
de la paix de Munster: car il faut bien remarquer que ce fameux traité
et les barricades sont de la même année 1648.

Les guerres civiles commencèrent à Paris comme elles avaient commencé à
Londres, pour un peu d’argent.

(1647) Le parlement de Paris, en possession de vérifier les édits de
ces taxes, s’opposa vivement aux nouveaux édits; il acquit la confiance
des peuples par les contradictions dont il fatigua le ministère.

On ne commença pas d’abord par la révolte; les esprits ne s’aigrirent
et ne s’enhardirent que par degrés. La populace peut d’abord courir aux
armes, et se choisir un chef, comme on avait fait à Naples[403]: mais
des magistrats, des hommes d’état procèdent avec plus de maturité, et
commencent par observer les bienséances, autant que l’esprit de parti
peut le permettre.

Le cardinal Mazarin avait cru qu’en divisant adroitement la
magistrature, il préviendrait tous les troubles; mais on opposa
l’inflexibilité à la souplesse. Il retranchait quatre années de
gages à toutes les cours supérieures, en leur remettant la paulette,
c’est-à-dire en les exemptant de payer la taxe inventée par Paulet[404]
sous Henri IV, pour s’assurer la propriété de leurs charges. Ce
retranchement n’était pas une lésion, mais il conservait les quatre
années au parlement, pensant le désarmer par cette faveur. Le parlement
méprisa cette grace qui l’exposait au reproche de préférer son intérêt
à celui des autres compagnies. (1648) Il n’en donna pas moins son arrêt
d’union[405] avec les autres cours de justice. Mazarin, qui n’avait
jamais bien pu prononcer le français, ayant dit que cet arrêt d’_ognon_
était attentatoire, et l’ayant fait casser par le conseil, ce seul mot
d’_ognon_ le rendit ridicule; et, comme on ne cède jamais à ceux qu’on
méprise, le parlement en devint plus entreprenant.

Il demanda hautement qu’on révoquât tous les intendants, regardés par
le peuple comme des exacteurs, et qu’on abolît cette magistrature de
nouvelle espèce, instituée sous Louis XIII sans l’appareil des formes
ordinaires; c’était plaire à la nation autant qu’irriter la cour. Il
voulait que, selon les anciennes lois, aucun citoyen ne fût mis en
prison, sans que ses juges naturels en connussent dans les vingt-quatre
heures; et rien ne paraissait si juste.

Le parlement fit plus; il abolit (14 mai 1648) les intendants par un
arrêt, avec ordre aux procureurs du roi de son ressort d’informer
contre eux.

Ainsi la haine contre le ministre, appuyée de l’amour du bien public,
menaçait la cour d’une révolution. La reine céda; elle offrit de casser
les intendants, et demanda seulement qu’on lui en laissât trois: elle
fut refusée.

(20 août 1648) Pendant que ces troubles commençaient, le prince de
Condé remporta la célèbre victoire de Lens, qui mettait le comble
à sa gloire. Le roi, qui n’avait alors que dix ans, s’écria: _Le
parlement sera bien fâché_. Ces paroles fesaient voir assez que la cour
ne regardait alors le parlement de Paris que comme une assemblée de
rebelles.

Le cardinal et ses courtisans ne lui donnaient pas un autre nom. Plus
les parlementaires se plaignaient d’être traités de rebelles, plus ils
fesaient de résistance.

La reine et le cardinal résolurent de faire enlever trois des plus
opiniâtres magistrats du parlement, Novion Blancménil, président qu’on
appelle à mortier, Charton, président d’une chambre des enquêtes, et
Broussel, ancien conseiller-clerc de la grand’chambre.

Ils n’étaient pas chefs de parti, mais les instruments des chefs.
Charton, homme très borné, était connu par le sobriquet du président
_Je dis ça_, parcequ’il ouvrait et concluait toujours ses avis par ces
mots. Broussel n’avait de recommandable que ses cheveux blancs, sa
haine contre le ministère, et la réputation d’élever toujours la voix
contre la cour sur quelque sujet que ce fût. Ses confrères en fesaient
peu de cas, mais la populace l’idolâtrait.

Au lieu de les enlever sans éclat dans le silence de la nuit, le
cardinal crut en imposer au peuple en les fesant arrêter en plein
midi, tandis qu’on chantait le _Te Deum_ à Notre-Dame pour la victoire
de Lens, et que les suisses de la chambre apportaient dans l’église
soixante et treize drapeaux pris sur les ennemis. Ce fut précisément
ce qui causa la subversion du royaume. Charton s’esquiva; on prit
Blancménil sans peine; il n’en fut pas de même de Broussel. Une vieille
servante seule, en voyant jeter son maître dans un carrosse par
Comminges, lieutenant des gardes-du-corps, ameute le peuple; on entoure
le carrosse; on le brise; les gardes-françaises prêtent main-forte. Le
prisonnier est conduit sur le chemin de Sedan. Son enlèvement, loin
d’intimider le peuple, l’irrite et l’enhardit. On ferme les boutiques,
on tend les grosses chaînes de fer qui étaient alors à l’entrée des
rues principales; on fait quelques barricades, quatre cent mille voix
crient: _Liberté_ et Broussel.

Il est difficile de concilier tous les détails rapportés par le
cardinal de Retz, madame de Motteville, l’avocat général Talon, et tant
d’autres; mais tous conviennent des principaux points. Pendant la nuit
qui suivit l’émeute, la reine fesait venir environ deux mille hommes
de troupes cantonnées à quelques lieues de Paris, pour soutenir la
maison du roi. Le chancelier Séguier se transportait déjà au parlement,
précédé d’un lieutenant et de plusieurs hoquetons, pour casser tous les
arrêts, et même, disait-on, pour interdire ce corps. Mais, dans la nuit
même, les factieux s’étaient assemblés chez le coadjuteur de Paris, si
fameux sous le nom de cardinal de Retz, et tout était disposé pour
mettre la ville en armes. Le peuple arrête le carrosse du chancelier
et le renverse. Il put à peine s’enfuir avec sa fille, la duchesse de
Sulli, qui, malgré lui, l’avait voulu accompagner; il se retire en
désordre dans l’hôtel de Luines, pressé et insulté par la populace.
Le lieutenant civil vient le prendre dans son carrosse, et le mène au
Palais-Royal, escorté de deux compagnies suisses, et d’une escouade de
gendarmes; le peuple tire sur eux, quelques uns sont tués: la duchesse
de Sulli est blessée au bras (26 août 1648). Deux cents barricades sont
formées en un instant; on les pousse jusqu’à cent pas du Palais-Royal.
Tous les soldats, après avoir vu tomber quelques uns des leurs,
reculent et regardent faire les bourgeois. Le parlement en corps marche
à pied vers la reine, à travers les barricades qui s’abaissent devant
lui, et redemande ses membres emprisonnés. La reine est obligée de
les rendre, et, par cela même, elle invite les factieux à de nouveaux
outrages.

Le cardinal de Retz se vante d’avoir seul armé tout Paris dans cette
journée, qui fut nommée des _barricades_, et qui était la seconde de
cette espèce. Cet homme singulier est le premier évêque en France qui
ait fait une guerre civile sans avoir la religion pour prétexte. Il
s’est peint lui-même dans ses Mémoires, écrits avec un air de grandeur,
une impétuosité de génie, et une inégalité, qui sont l’image de sa
conduite. C’était un homme qui, du sein de la débauche, et languissant
encore des suites infames qu’elle entraîne, prêchait le peuple et s’en
fesait idolâtrer. Il respirait la faction et les complots; il avait
été, à l’âge de vingt-trois ans, l’ame d’une conspiration contre
la vie de Richelieu; il fut l’auteur des barricades: il précipita
le parlement dans les cabales, et le peuple dans les séditions. Son
extrême vanité lui fesait entreprendre des crimes téméraires, afin
qu’on en parlât. C’est cette même vanité qui lui a fait répéter tant
de fois: Je suis d’une maison de Florence aussi ancienne que celle des
plus grands princes; lui, dont les ancêtres avaient été des marchands,
comme tant de ses compatriotes.

Ce qui paraît surprenant, c’est que le parlement, entraîné par lui,
leva l’étendard contre la cour, avant même d’être appuyé par aucun
prince.

Cette compagnie, depuis long-temps, était regardée bien différemment
par la cour et par le peuple. Si l’on en croyait la voix de tous les
ministres et de la cour, le parlement de Paris était une cour de
justice faite pour juger les causes des citoyens: il tenait cette
prérogative de la seule volonté des rois, il n’avait sur les autres
parlements du royaume d’autre prééminence que celle de l’ancienneté
et d’un ressort plus considérable; il n’était la cour des pairs que
parceque la cour résidait à Paris; il n’avait pas plus de droit de
faire des remontrances que les autres corps, et ce droit était encore
une pure grace: il avait succédé à ces parlements qui représentaient
autrefois la nation française; mais il n’avait de ces anciennes
assemblées rien que le seul nom; et pour preuve incontestable, c’est
qu’en effet les états généraux étaient substitués à la place des
assemblées de la nation; et le parlement de Paris ne ressemblait pas
plus aux parlements tenus par nos premiers rois, qu’un consul de
Smyrne ou d’Alep ne ressemble à un consul romain.

Cette seule erreur de nom était le prétexte des prétentions ambitieuses
d’une compagnie d’hommes de loi, qui tous, pour avoir acheté leurs
offices de robe, pensaient tenir la place des conquérants des Gaules,
et des seigneurs des fiefs de la couronne. Ce corps, en tous les
temps, avait abusé du pouvoir que s’arroge nécessairement un premier
tribunal, toujours subsistant dans une capitale. Il avait osé donner
un arrêt contre Charles VII, et le bannir du royaume[406]; il avait
commencé un procès criminel contre Henri III[407]: il avait en tous
les temps résisté, autant qu’il l’avait pu, à ses souverains; et dans
cette minorité de Louis XIV, sous le plus doux des gouvernements, et
sous la plus indulgente des reines, il voulait faire la guerre civile à
son prince, à l’exemple de ce parlement d’Angleterre qui tenait alors
son roi prisonnier, et qui lui fit trancher la tête. Tels étaient les
discours et les pensées du cabinet.

Mais les citoyens de Paris, et tout ce qui tenait à la robe, voyaient
dans le parlement un corps auguste, qui avait rendu la justice avec
une intégrité respectable, qui n’aimait que le bien de l’état, et qui
l’aimait au péril de sa fortune, qui bornait son ambition à la gloire
de réprimer l’ambition des favoris, et qui marchait d’un pas égal
entre le roi et le peuple; et, sans examiner l’origine de ses droits
et de son pouvoir, on lui supposait les droits les plus sacrés, et le
pouvoir le plus incontestable: quand on le voyait soutenir la cause
du peuple contre les ministres détestés, on l’appelait _le père de
l’état_; et on fesait peu de différence entre le droit qui donne la
couronne aux rois, et celui qui donnait au parlement le pouvoir de
modérer les volontés des rois.

Entre ces deux extrémités, un milieu juste était impossible à trouver;
car, enfin, il n’y avait de loi bien reconnue que celle de l’occasion
et du temps. Sous un gouvernement vigoureux le parlement n’était rien:
il était tout sous un roi faible; et l’on pouvait lui appliquer ce que
dit M. de Guémené, quand cette compagnie se plaignit, sous Louis XIII,
d’avoir été précédée par les députés de la noblesse: «Messieurs, vous
prendrez bien votre revanche dans la minorité.»

On ne veut point répéter ici tout ce qui a été écrit sur ces troubles,
et copier des livres pour remettre sous les yeux tant de détails alors
si chers et si importants, et aujourd’hui presque oubliés; mais on
doit dire ce qui caractérise l’esprit de la nation, et moins ce qui
appartient à toutes les guerres civiles, que ce qui distingue celle de
la Fronde.

Deux pouvoirs établis chez les hommes, uniquement pour le maintien de
la paix, un archevêque et un parlement de Paris ayant commencé les
troubles, le peuple crut tous ses emportements justifiés. La reine ne
pouvait paraître en public sans être outragée, on ne l’appelait que
_Dame Anne_; et si l’on y ajoutait quelque titre, c’était un opprobre.
Le peuple lui reprochait avec fureur de sacrifier l’état à son
amitié pour Mazarin; et, ce qu’il y avait de plus insupportable, elle
entendait de tous côtés ces chansons et ces vaudevilles, monuments de
plaisanterie et de malignité qui semblaient devoir éterniser le doute
où l’on affectait d’être de sa vertu. Madame de Motteville dit, avec
sa noble et sincère naïveté, que «ces insolences fesaient horreur à la
reine, et que les Parisiens trompés lui fesaient pitié.»

(6 janvier 1649) Elle s’enfuit de Paris avec ses enfants, son ministre,
le duc d’Orléans, frère de Louis XIII, le grand Condé lui-même, et alla
à Saint-Germain, où presque toute la cour coucha sur la paille[408].
On fut obligé de mettre en gage chez les usuriers les pierreries de la
couronne.

Le roi manqua souvent du nécessaire. Les pages de sa chambre furent
congédiés, parcequ’on n’avait pas de quoi les nourrir. En ce temps-là
même la tante de Louis XIV, fille de Henri-le-Grand, femme du roi
d’Angleterre, réfugiée à Paris, y était réduite aux extrémités de la
pauvreté; et sa fille, depuis mariée au frère de Louis XIV, restait
au lit, n’ayant pas de quoi se chauffer, sans que le peuple de Paris,
enivré de ses fureurs, fît seulement attention aux afflictions de tant
de personnes royales.

Anne d’Autriche, dont on vantait l’esprit, les graces, la bonté,
n’avait presque jamais été en France que malheureuse. Long-temps
traitée comme une criminelle par son époux, persécutée par le cardinal
de Richelieu, elle avait vu ses papiers saisis au Val-de-Grace; elle
avait été obligée de signer en plein conseil qu’elle était coupable
envers le roi son mari. Quand elle accoucha de Louis XIV, ce même mari
ne voulut jamais l’embrasser selon l’usage, et cet affront altéra sa
santé au point de mettre en danger sa vie. Enfin, dans sa régence,
après avoir comblé de graces tous ceux qui l’avaient implorée, elle se
voyait chassée de la capitale par un peuple volage et furieux. Elle et
la reine d’Angleterre, sa belle-sœur, étaient toutes deux un mémorable
exemple des révolutions que peuvent éprouver les têtes couronnées; et
sa belle-mère, Marie de Médicis, avait été encore plus malheureuse[409].

La reine, les larmes aux yeux, pressa le prince de Condé de servir de
protecteur au roi. Le vainqueur de Rocroi, de Fribourg, de Lens, et de
Nordlingen, ne put démentir tant de services passés: il fut flatté de
l’honneur de défendre une cour qu’il croyait ingrate, contre la fronde
qui recherchait son appui. Le parlement eut donc le grand Condé à
combattre, et il osa soutenir la guerre.

Le prince de Conti, frère du grand Condé, aussi jaloux de son aîné
qu’incapable de l’égaler; le duc de Longueville, le duc de Beaufort, le
duc de Bouillon, animés par l’esprit remuant du coadjuteur, et avides
de nouveautés, se flattant d’élever leur grandeur sur les ruines de
l’état, et de faire servir à leurs desseins particuliers les mouvements
aveugles du parlement, vinrent lui offrir leurs services. On nomma,
dans la grand’chambre, les généraux d’une armée qu’on n’avait pas.
Chacun se taxa pour lever des troupes: il y avait vingt conseillers
pourvus de charges nouvelles, créées par le cardinal de Richelieu.
Leurs confrères, par une petitesse d’esprit dont toute société est
susceptible, semblaient poursuivre sur eux la mémoire de Richelieu; ils
les accablaient de dégoûts, et ne les regardaient pas comme membres du
parlement: il fallut qu’ils donnassent chacun quinze mille livres pour
les frais de la guerre, et pour acheter la tolérance de leurs confrères.

La grand’chambre, les enquêtes, les requêtes, la chambre des comptes,
la cour des aides, qui avaient tant crié contre des impôts faibles
et nécessaires, et surtout contre l’augmentation du tarif, laquelle
n’allait qu’à deux cent mille livres, fournirent une somme de près de
dix millions de notre monnaie d’aujourd’hui, pour la subversion de la
patrie. On rendit un arrêt par lequel il fut ordonné de se saisir de
tout l’argent des partisans de la cour. On en prit pour douze cent
mille de nos livres. On leva douze mille hommes par arrêt du parlement
(15 février 1649): chaque porte cochère fournit un homme et un cheval.
Cette cavalerie fut appelée _la cavalerie des portes cochères_. Le
coadjuteur avait un régiment à lui, qu’on nommait le _régiment de
Corinthe_, parceque le coadjuteur était archevêque titulaire de
Corinthe.

Sans les noms de roi de France, de grand Condé, de capitale du royaume,
cette guerre de la fronde eût été aussi ridicule que celle des
Barberins; on ne savait pourquoi on était en armes. Le prince de Condé
assiégea cent mille bourgeois avec huit mille soldats. Les Parisiens
sortaient en campagne, ornés de plumes et de rubans; leurs évolutions
étaient le sujet de plaisanterie des gens du métier. Ils fuyaient
dès qu’ils rencontraient deux cents hommes de l’armée royale. Tout se
tournait en raillerie; le régiment de Corinthe ayant été battu par un
petit parti, on appela cet échec _la première aux Corinthiens_.

Ces vingt conseillers, qui avaient fourni chacun quinze mille livres,
n’eurent d’autre honneur que d’être appelés les _quinze-vingts_[410].

Le duc de Beaufort-Vendôme, petit-fils de Henri IV, l’idole du peuple,
et l’instrument dont on se servit pour le soulever, prince populaire,
mais d’un esprit borné, était publiquement l’objet des railleries de la
cour et de la fronde même. On ne parlait jamais de lui que sous le nom
de _roi des halles_. Une balle lui ayant fait une contusion au bras, il
disait que ce n’était qu’une confusion.

La duchesse de Nemours rapporte, dans ses Mémoires, que le prince de
Condé présenta à la reine un petit nain bossu, armé de pied en cap.
«Voilà, dit-il, le généralissime de l’armée parisienne.» Il voulait par
là désigner son frère, le prince de Conti, qui était en effet bossu,
et que les Parisiens avaient choisi pour leur général. Cependant ce
même Condé fut ensuite général des mêmes troupes; et madame de Nemours
ajoute qu’il disait que toute cette guerre ne méritait d’être écrite
qu’en vers burlesques. Il l’appelait aussi la guerre des pots de
chambre.

Les troupes parisiennes, qui sortaient de Paris et revenaient
toujours battues, étaient reçues avec des huées et des éclats de
rire. On ne réparait tous ces petits échecs que par des couplets
et des épigrammes. Les cabarets et les autres maisons de débauche
étaient les tentes où l’on tenait les conseils de guerre, au milieu
des plaisanteries, des chansons, et de la gaîté la plus dissolue. La
licence était si effrénée, qu’une nuit les principaux officiers de la
fronde, ayant rencontré le saint-sacrement qu’on portait dans les rues
à un homme qu’on soupçonnait d’être Mazarin, reconduisirent les prêtres
à coups de plat d’épée.

Enfin on vit le coadjuteur, archevêque de Paris, venir prendre séance
au parlement avec un poignard dans sa poche, dont on apercevait la
poignée, et on criait: _Voilà le bréviaire de notre archevêque_.

Il vint un héraut d’armes à la porte Saint-Antoine, accompagné d’un
gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, pour signifier des
propositions (1649). Le parlement ne voulut point le recevoir; mais il
admit dans la grand’chambre un envoyé de l’archiduc Léopold, qui fesait
alors la guerre à la France[411].

Au milieu de tous ces troubles, la noblesse s’assembla en corps aux
Augustins, nomma des syndics, tint publiquement des séances réglées.
On eût cru que c’était pour réformer la France, et pour assembler les
états généraux; c’était pour un tabouret que la reine avait accordé à
madame de Pons; peut-être n’y a-t-il jamais eu une preuve plus sensible
de la légèreté d’esprit qu’on reprochait aux Français.

Les discordes civiles qui désolaient l’Angleterre, précisément en même
temps, servent bien à faire voir les caractères des deux nations.
Les Anglais avaient mis dans leurs troubles civils un acharnement
mélancolique, et une fureur raisonnée: ils donnaient de sanglantes
batailles; le fer décidait tout; les échafauds étaient dressés pour les
vaincus; leur roi, pris en combattant, fut amené devant une cour de
justice, interrogé sur l’abus qu’on lui reprochait d’avoir fait de son
pouvoir, condamné à perdre la tête, et exécuté devant tout son peuple
(9 février 1649)[412], avec autant d’ordre, et avec le même appareil de
justice, que si on avait condamné un citoyen criminel, sans que, dans
le cours de ces troubles horribles, Londres se fût ressentie un moment
des calamités attachées aux guerres civiles.

Les Français, au contraire, se précipitaient dans les séditions par
caprice, et en riant: les femmes étaient à la tête des factions;
l’amour fesait et rompait les cabales. La duchesse de Longueville
engagea Turenne, à peine maréchal de France, à faire révolter l’armée
qu’il commandait pour le roi.

C’était la même armée que le célèbre duc de Saxe-Veimar avait
rassemblée. Elle était commandée, après la mort du duc de Veimar, par
le comte d’Erlach, d’une ancienne maison du canton de Berne. Ce fut
ce comte d’Erlach qui donna cette armée à la France, et qui lui valut
la possession de l’Alsace. Le vicomte de Turenne voulut le séduire;
l’Alsace eût été perdue pour Louis XIV, mais il fut inébranlable; il
contint les troupes veimariennes dans la fidélité qu’elles devaient à
leur serment. Il fut même chargé par le cardinal Mazarin d’arrêter le
vicomte. Ce grand homme, infidèle alors par faiblesse, fut obligé de
quitter en fugitif l’armée dont il était général, pour plaire à une
femme qui se moquait de sa passion: il devint, de général du roi de
France, lieutenant de don Estevan de Gamare, avec lequel il fut battu à
Rethel par le maréchal du Plessis-Praslin.

On connaît ce billet du maréchal d’Hocquincourt à la duchesse de
Montbazon: _Péronne est à la belle des belles_. On sait ces vers du duc
de La Rochefoucauld, pour la duchesse de Longueville, lorsqu’il reçut,
au combat de Saint-Antoine, un coup de mousquet qui lui fit perdre
quelque temps la vue:

    Pour mériter son cœur, pour plaire à ses beaux yeux,
    J’ai fait la guerre aux rois; je l’aurais faite aux dieux[413].

On voit, dans les Mémoires de Mademoiselle, une lettre de Gaston, duc
d’Orléans, son père, dont l’adresse est: _A mesdames les comtesses,
maréchales de camp dans l’armée de ma fille contre le Mazarin_.

La guerre finit, et recommença à plusieurs reprises; il n’y eut
personne qui ne changeât souvent de parti. Le prince de Condé, ayant
ramené dans Paris la cour triomphante, se livra au plaisir de la
mépriser après l’avoir défendue; et ne trouvant pas qu’on lui donnât
des récompenses proportionnées à sa gloire et à ses services, il fut
le premier à tourner Mazarin en ridicule, à braver la reine, et à
insulter le gouvernement qu’il dédaignait. Il écrivit, à ce qu’on
prétend, au cardinal, _all’ illustrissimo signor Faquino_. Il lui dit
un jour: _Adieu, Mars_. Il encouragea un marquis de Jarsai à faire une
déclaration d’amour à la reine, et trouva mauvais qu’elle osât s’en
offenser. Il se ligua avec le prince de Conti, son frère, et le duc de
Longueville, qui abandonnèrent le parti de la fronde. On avait appelé
la cabale du duc de Beaufort, au commencement de la régence, celle des
_importants_; on appelait celle de Condé le _parti des petits-maîtres_,
parcequ’ils voulaient être les maîtres de l’état. Il n’est resté de
tous ces troubles d’autres traces que ce nom de _petit-maître_, qu’on
applique aujourd’hui à la jeunesse avantageuse et mal élevée, et le nom
de _frondeurs_ qu’on donne aux censeurs du gouvernement.

On employa de tous côtés des moyens aussi bas qu’odieux. Joli,
conseiller au châtelet, depuis secrétaire du cardinal de Retz, imagina
de se faire une incision au bras, et de se faire tirer un coup de
pistolet dans son carrosse, pour faire accroire que la cour avait voulu
l’assassiner.

Quelques jours après, pour diviser le parti du prince de Condé et les
frondeurs, et pour les rendre irréconciliables, on tire des coups de
fusil dans les carrosses du grand Condé, et on tue un de ses valets
de pied, ce qui s’appelait une _joliade renforcée_. Qui fit cette
étrange entreprise? est-ce le parti du cardinal Mazarin? Il en fut très
soupçonné. On en accusa le cardinal de Retz, le duc de Beaufort, et le
vieux Broussel, en plein parlement, et ils furent justifiés.

Tous les partis se choquaient, négociaient, se trahissaient
tour-à-tour. Chaque homme important, ou qui voulait l’être, prétendait
établir sa fortune sur la ruine publique; et le bien public était dans
la bouche de tout le monde. Gaston était jaloux de la gloire du grand
Condé et du crédit de Mazarin. Condé ne les aimait ni ne les estimait.
Le coadjuteur de l’archevêché de Paris voulait être cardinal par la
nomination de la reine, et il se dévouait alors à elle pour obtenir
cette dignité étrangère qui ne donnait aucune autorité, mais un grand
relief. Telle était alors la force du préjugé, que le prince de Conti,
frère du grand Condé, voulait aussi couvrir sa couronne de prince d’un
chapeau rouge. Et tel était en même temps le pouvoir des intrigues,
qu’un abbé sans naissance et sans mérite, nommé La Rivière, disputait
ce chapeau romain au prince. Ils ne l’eurent ni l’un ni l’autre: le
prince, parcequ’enfin il sut le mépriser; La Rivière, parcequ’on se
moqua de son ambition; mais le coadjuteur l’obtint pour avoir abandonné
le prince de Condé aux ressentiments de la reine.

Ces ressentiments n’avaient d’autre fondement que de petites querelles
d’intérêt entre le grand Condé et Mazarin. Nul crime d’état ne pouvait
être imputé à Condé; cependant on l’arrêta dans le Louvre, lui,
son frère de Conti, et son beau-frère de Longueville, sans aucune
formalité, et uniquement parceque Mazarin le craignait (18 janvier
1650). Cette démarche était, à la vérité, contre toutes les lois; mais
on ne connaissait les lois dans aucun des partis[414].

Le cardinal, pour se rendre maître de ces princes, usa d’une fourberie
qu’on appela politique. Les frondeurs étaient accusés d’avoir tenté
d’assassiner le prince de Condé; Mazarin lui fait accroire qu’il s’agit
d’arrêter un des conjurés, et de tromper les frondeurs; que c’est à son
altesse à signer l’ordre aux gendarmes de la garde de se tenir prêts au
Louvre. Le grand Condé signe lui-même l’ordre de sa détention. On ne
vit jamais mieux que la politique consiste souvent dans le mensonge, et
que l’habileté est de pénétrer le menteur.

On lit dans la _Vie de la duchesse de Longueville_ que la reine-mère
se retira dans son petit oratoire pendant qu’on se saisissait des
princes, qu’elle fit mettre à genoux le roi son fils, âgé de onze ans,
et qu’ils prièrent Dieu dévotement ensemble pour l’heureux succès de
cette expédition. Si Mazarin en avait usé ainsi, c’eût été une momerie
atroce. Ce n’était dans Anne d’Autriche qu’une faiblesse ordinaire
aux femmes. La dévotion, chez elles, s’allie avec l’amour, avec la
politique, avec la cruauté même. Les femmes fortes sont au-dessus de
ces petitesses.

Le prince de Condé eût pu gouverner l’état s’il avait seulement voulu
plaire; mais il se contentait d’être admiré. Le peuple de Paris, qui
avait fait des barricades pour un conseiller-clerc presque imbécile,
fit des feux de joie lorsqu’on mena au donjon de Vincennes le défenseur
et le héros de la France.

Ce qui montre encore combien les événements trompent les hommes, c’est
que cette prison de trois princes, qui semblait devoir assoupir les
factions, fut ce qui les releva. La mère du prince de Condé, exilée,
resta dans Paris malgré la cour, et porta sa requête au parlement
(1650). Sa femme, après mille périls, se réfugia dans la ville de
Bordeaux; aidée des ducs de Bouillon et de La Rochefoucauld, elle
souleva cette ville, et arma l’Espagne.

Toute la France redemandait le grand Condé. S’il avait paru alors, la
cour était perdue. Gourville, qui, de simple valet de chambre du duc de
La Rochefoucauld, était devenu un homme considérable par son caractère
hardi et prudent, imagina un moyen sûr de délivrer les princes enfermés
alors à Vincennes. Un des conjurés eut la bêtise de se confesser à
un prêtre de la fronde. Ce malheureux prêtre avertit le coadjuteur,
persécuteur en ce temps-là du grand Condé. L’entreprise échoua par la
révélation de la confession, si ordinaire dans les guerres civiles.

On voit par les Mémoires du conseiller d’état Lenet, plus curieux que
connus, combien, dans ces temps de licence effrénée, de troubles,
d’iniquités, et même d’impiétés, les prêtres avaient encore de
pouvoir sur les esprits. Il rapporte qu’en Bourgogne le doyen de la
Sainte-Chapelle, attaché au prince de Condé, offrit pour tout secours
de faire parler en sa faveur tous les prédicateurs en chaire, et de
faire manœuvrer tous les prêtres dans la confession.

Pour mieux faire connaître encore les mœurs du temps, il dit que
lorsque la femme du grand Condé alla se réfugier dans Bordeaux, les
ducs de Bouillon et de La Rochefoucauld allèrent au-devant d’elle à la
tête d’une foule de jeunes gentilshommes qui crièrent à ses oreilles,
_vive Condé_, ajoutant un mot obscène pour Mazarin, et la priant de
joindre sa voix aux leurs.

(13 février 1651) Un an après, les mêmes frondeurs qui avaient vendu le
grand Condé et les princes à la vengeance timide de Mazarin, forcèrent
la reine à ouvrir leurs prisons, et à chasser du royaume son premier
ministre. Mazarin alla lui-même au Havre, où ils étaient détenus; il
leur rendit leur liberté, et ne fut reçu d’eux qu’avec le mépris qu’il
en devait attendre; après quoi il se retira à Liége. Condé revint dans
Paris aux acclamations de ce même peuple qui l’avait tant haï. Sa
présence renouvela les cabales, les dissensions, et les meurtres.

Le royaume resta dans cette combustion encore quelques années.
Le gouvernement ne prit presque jamais que des partis faibles et
incertains: il semblait devoir succomber; mais les révoltés furent
toujours désunis, et c’est ce qui sauva la cour. Le coadjuteur, tantôt
ami, tantôt ennemi du prince de Condé, suscita contre lui une partie du
parlement et du peuple: il osa en même temps servir la reine, en tenant
tête à ce prince, et l’outrager, en la forçant d’éloigner le cardinal
Mazarin, qui se retira à Cologne. La reine, par une contradiction trop
ordinaire aux gouvernements faibles, fut obligée de recevoir à-la-fois
ses services et ses offenses, et de nommer au cardinalat ce même
coadjuteur, l’auteur des barricades, qui avait contraint la famille
royale à sortir de la capitale, et à l’assiéger.



CHAPITRE V.

Suite de la guerre civile jusqu’à la fin de la rébellion, en 1653.


Enfin le prince de Condé se résolut à une guerre qu’il eût dû commencer
du temps de la fronde, s’il avait voulu être le maître de l’état, ou
qu’il n’aurait dû jamais faire s’il avait été citoyen. Il part de
Paris; il va soulever la Guienne, le Poitou, et l’Anjou, et mendier
contre la France le secours des Espagnols, dont il avait été le fléau
le plus terrible.

Rien ne marque mieux la manie de ce temps, et le dérèglement qui
déterminait toutes les démarches, que ce qui arriva alors à ce prince.
La reine lui envoya un courrier de Paris avec des propositions qui
devaient l’engager au retour et à la paix. Le courrier se trompa; et au
lieu d’aller à Angerville, où était le prince, il alla à Augerville.
La lettre vint trop tard. Condé dit que s’il l’avait reçue plus tôt,
il aurait accepté les propositions de paix; mais que, puisqu’il était
déjà assez loin de Paris, ce n’était pas la peine d’y retourner. Ainsi
la méprise d’un courrier et le pur caprice de ce prince replongèrent la
France dans la guerre civile.

(Décembre 1651) Alors le cardinal Mazarin, qui, du fond de son exil
à Cologne, avait gouverné la cour, rentra dans le royaume, moins
en ministre qui venait reprendre son poste, qu’en souverain qui se
remettait en possession de ses états; il était conduit par une petite
armée de sept mille hommes levés à ses dépens, c’est-à-dire avec
l’argent du royaume qu’il s’était approprié.

On fait dire au roi, dans une déclaration de ce temps-là, que le
cardinal avait en effet levé ces troupes de son argent; ce qui doit
confondre l’opinion de ceux qui ont écrit qu’à sa première sortie
du royaume Mazarin s’était trouvé dans l’indigence. Il donna le
commandement de sa petite armée au maréchal d’Hocquincourt. Tous
les officiers portaient des écharpes vertes; c’était la couleur des
livrées du cardinal. Chaque parti avait alors son écharpe: la blanche
était celle du roi; l’isabelle, celle du prince de Condé. Il était
étonnant que le cardinal Mazarin, qui avait jusqu’alors affecté tant de
modestie, eût la hardiesse de faire porter ses livrées à une armée,
comme s’il avait un parti différent de celui de son maître; mais il
ne put résister à cette vanité: c’était précisément ce qu’avait fait
le maréchal d’Ancre, et ce qui contribua beaucoup à sa perte. La même
témérité réussit au cardinal Mazarin: la reine l’approuva. Le roi, déjà
majeur, et son frère, allèrent au-devant de lui.

(Décembre 1651) Aux premières nouvelles de son retour, Gaston
d’Orléans, frère de Louis XIII, qui avait demandé l’éloignement
du cardinal, leva des troupes dans Paris sans savoir à quoi elles
seraient employées. Le parlement renouvela ses arrêts; il proscrivit
Mazarin, et mit sa tête à prix. Il fallut chercher dans les registres
quel était le prix d’une tête ennemie du royaume. On trouva que sous
Charles IX on avait promis, par arrêt, cinquante mille écus à celui qui
représenterait l’amiral Coligni mort ou vif. On crut très sérieusement
procéder en règle, en mettant ce même prix à l’assassinat d’un cardinal
premier ministre.

Cette proscription ne donna à personne la tentation de mériter les
cinquante mille écus, qui après tout n’eussent point été payés. Chez
une autre nation, et dans un autre temps, un tel arrêt eût trouvé des
exécuteurs; mais il ne servit qu’à faire de nouvelles plaisanteries.
Les Blot et les Marigni, beaux esprits, qui portaient la gaîté dans les
tumultes de ces troubles, firent afficher dans Paris une répartition
des cent cinquante mille livres; tant pour qui couperait le nez au
cardinal, tant pour une oreille, tant pour un œil, tant pour le faire
eunuque. Ce ridicule fut tout l’effet de la proscription contre la
personne du ministre; mais ses meubles et sa bibliothèque furent vendus
par un second arrêt; cet argent était destiné à payer un assassin; il
fut dissipé par les dépositaires, comme tout l’argent qu’on levait
alors. Le cardinal, de son côté, n’employait contre ses ennemis ni le
poison ni l’assassinat; et, malgré l’aigreur et la manie de tant de
partis et de tant de haines, on ne commit pas autant de grands crimes,
les chefs de parti furent moins cruels, et les peuples moins furieux
que du temps de la ligue; car ce n’était pas une guerre de religion.

(Décembre 1651) L’esprit de vertige qui régnait en ce temps posséda si
bien tout le corps du parlement de Paris, qu’après avoir solennellement
ordonné un assassinat dont on se moquait, il rendit un arrêt par
lequel plusieurs conseillers devaient se transporter sur la frontière
pour informer contre l’armée du cardinal Mazarin, c’est-à-dire contre
l’armée royale.

Deux conseillers furent assez imprudents pour aller avec quelques
paysans faire rompre les ponts par où le cardinal devait passer: l’un
d’eux, nommé Bitaut, fut fait prisonnier par les troupes du roi,
relâché avec indulgence, et moqué de tous les partis.

(6 août 1652) Cependant le roi majeur interdit le parlement de Paris,
et le transfère à Pontoise. Quatorze membres attachés à la cour
obéissent, les autres résistent. Voilà deux parlements qui, pour mettre
le comble à la confusion, se foudroient par des arrêts réciproques,
comme du temps de Henri IV et de Charles VI.

Précisément dans le temps que cette compagnie s’abandonnait à ces
extrémités contre le ministre du roi, elle déclarait criminel de
lèse-majesté le prince de Condé, qui n’était armé que contre ce
ministre; et, par un renversement d’esprit que toutes les démarches
précédentes rendent croyable, elle ordonna que les nouvelles troupes de
Gaston, duc d’Orléans, marcheraient contre Mazarin; et elle défendit en
même temps qu’on prît aucuns deniers dans les recettes publiques pour
les soudoyer.

On ne pouvait attendre autre chose d’une compagnie de magistrats qui,
jetée hors de sa sphère, et ne connaissant ni ses droits, ni son
pouvoir réel, ni les affaires politiques, ni la guerre, s’assemblant et
décidant en tumulte, prenait des partis auxquels elle n’avait pas pensé
le jour d’auparavant, et dont elle-même s’étonnait ensuite.

Le parlement de Bordeaux servait alors le prince de Condé; mais il tint
une conduite un peu plus uniforme, parcequ’étant plus éloigné de la
cour, il était moins agité par des factions opposées. Des objets plus
considérables intéressaient toute la France.

Condé, ligué avec les Espagnols, était en campagne contre le roi; et
Turenne, ayant quitté ces mêmes Espagnols, avec lesquels il avait été
battu à Réthel, venait de faire sa paix avec la cour, et commandait
l’armée royale. L’épuisement des finances ne permettait ni à l’un ni à
l’autre des deux partis d’avoir de grandes armées; mais de petites ne
décidaient pas moins du sort de l’état. Il y a des temps où cent mille
hommes en campagne peuvent à peine prendre deux villes: il y en a
d’autres où une bataille entre sept ou huit mille hommes peut renverser
un trône ou l’affermir.

Louis XIV, élevé dans l’adversité, allait avec sa mère, son frère, et
le cardinal Mazarin, de province en province, n’ayant pas autant de
troupes autour de sa personne, à beaucoup près, qu’il en eut depuis en
temps de paix pour sa seule garde. Cinq à six mille hommes, les uns
envoyés d’Espagne, les autres levés par les partisans du prince de
Condé, le poursuivaient au cœur de son royaume.

Le prince de Condé courait cependant de Bordeaux à Montauban, prenait
des villes, et grossissait partout son parti.

Toute l’espérance de la cour était dans le maréchal de Turenne. L’armée
royale se trouvait auprès de Gien sur la Loire. Celle du prince de
Condé était à quelques lieues sous les ordres du duc de Nemours et
du duc de Beaufort. Les divisions de ces deux généraux allaient être
funestes au parti du prince. Le duc de Beaufort était incapable du
moindre commandement. Le duc de Nemours passait pour être plus brave et
plus aimable qu’habile. Tous deux ensemble ruinaient leur armée. Les
soldats savaient que le grand Condé était à cent lieues de là, et se
croyaient perdus, lorsqu’au milieu de la nuit un courrier se présenta
dans la forêt d’Orléans devant les grandes gardes. Les sentinelles
reconnurent dans ce courrier le prince de Condé lui-même, qui venait
d’Agen, à travers mille aventures, et toujours déguisé, se mettre à la
tête de son armée.

Sa présence fesait beaucoup, et cette arrivée imprévue encore
davantage. Il savait que tout ce qui est soudain et inespéré transporte
les hommes. Il profita à l’instant de la confiance et de l’audace qu’il
venait d’inspirer. Le grand talent de ce prince dans la guerre était
de prendre en un instant les résolutions les plus hardies, et de les
exécuter avec non moins de conduite que de promptitude.

(7 avril 1652) L’armée royale était séparée en deux corps. Condé fondit
sur celui qui était à Blenau, commandé par le maréchal d’Hocquincourt;
et ce corps fut dissipé en même temps qu’attaqué. Turenne n’en put
être averti. Le cardinal Mazarin effrayé courut à Gien, au milieu
de la nuit, réveiller le roi qui dormait, pour lui apprendre cette
nouvelle. Sa petite cour fut consternée; on proposa de sauver le roi
par la fuite, et de le conduire secrètement à Bourges. Le prince de
Condé victorieux approchait de Gien; la désolation et la crainte
augmentaient. Turenne par sa fermeté rassura les esprits, et sauva
la cour par son habileté; il fit, avec le peu qui lui restait de
troupes, des mouvements si heureux, profita si bien du terrain et
du temps, qu’il empêcha Condé de poursuivre son avantage. Il fut
difficile alors de décider lequel avait acquis le plus d’honneur, ou
de Condé victorieux, ou de Turenne qui lui avait arraché le fruit de
sa victoire. Il est vrai que dans ce combat de Blenau, si long-temps
célèbre en France, il n’y avait pas eu quatre cents hommes de tués;
mais le prince de Condé n’en fut pas moins sur le point de se rendre
maître de toute la famille royale, et d’avoir entre ses mains son
ennemi, le cardinal Mazarin. On ne pouvait guère voir un plus petit
combat, de plus grands intérêts, et un danger plus pressant.

Condé, qui ne se flattait pas de surprendre Turenne, comme il avait
surpris d’Hocquincourt, fit marcher son armée vers Paris: il se hâta
d’aller dans cette ville jouir de sa gloire et des dispositions
favorables d’un peuple aveugle. L’admiration qu’on avait pour ce
dernier combat dont on exagérait encore toutes les circonstances, la
haine qu’on portait à Mazarin, le nom et la présence du grand Condé,
semblaient d’abord le rendre maître absolu de la capitale: mais dans
le fond tous les esprits étaient divisés; chaque parti était subdivisé
en factions, comme il arrive dans tous les troubles. Le coadjuteur,
devenu cardinal de Retz, raccommodé en apparence avec la cour, qui le
craignait et dont il se défiait, n’était plus le maître du peuple,
et ne jouait plus le principal rôle. Il gouvernait le duc d’Orléans,
et était opposé à Condé. Le parlement flottait entre la cour, le duc
d’Orléans, et le prince: quoique tout le monde s’accordât à crier
contre Mazarin, chacun ménageait en secret des intérêts particuliers;
le peuple était une mer orageuse, dont les vagues étaient poussées
au hasard par tant de vents contraires. On fit promener dans Paris
la châsse de sainte Geneviève, pour obtenir l’expulsion du cardinal
ministre; et la populace ne douta pas que cette sainte n’opérât ce
miracle, comme elle donne de la pluie.

On ne voyait que négociations entre les chefs de parti, députations du
parlement, assemblées de chambres, séditions dans la populace, gens de
guerre dans la campagne. On montait la garde à la porte des monastères.
Le prince avait appelé les Espagnols à son secours. Charles IV, ce
duc de Lorraine chassé de ses états, et à qui il restait pour tout
bien une armée de huit mille hommes, qu’il vendait tous les ans au roi
d’Espagne, vint auprès de Paris avec cette armée. Le cardinal Mazarin
lui offrit plus d’argent pour s’en retourner que le prince de Condé ne
lui en avait donné pour venir. Le duc de Lorraine quitta bientôt la
France, après l’avoir désolée sur son passage, emportant l’argent des
deux partis.

Condé resta donc dans Paris, avec un pouvoir qui diminua tous les
jours, et une armée plus faible encore. Turenne mena le roi et sa cour
vers Paris. Le roi, à l’âge de quinze ans, vit (juillet 1652) de la
hauteur de Charonne la bataille de Saint-Antoine, où ces deux généraux
firent avec si peu de troupes de si grandes choses, que la réputation
de l’un et de l’autre, qui semblait ne pouvoir plus croître, en fut
augmentée.

Le prince de Condé, avec un petit nombre de seigneurs de son parti,
suivi de peu de soldats, soutint et repoussa l’effort de l’armée
royale. Le duc d’Orléans, incertain du parti qu’il devait prendre,
restait dans son palais du Luxembourg. Le cardinal de Retz était
cantonné dans son archevêché. Le parlement attendait l’issue de la
bataille pour donner quelque arrêt. La reine en larmes était prosternée
dans une chapelle aux Carmélites. Le peuple, qui craignait alors
également et les troupes du roi et celles de monsieur le Prince,
avait fermé les portes de la ville, et ne laissait plus entrer ni
sortir personne, pendant que ce qu’il y avait de plus grand en France
s’acharnait au combat, et versait son sang dans le faubourg. Ce fut là
que le duc de La Rochefoucauld, si illustre par son courage et par son
esprit, reçut un coup au-dessus des yeux, qui lui fit perdre la vue
pour quelque temps[415]. Un neveu du cardinal Mazarin y fut tué, et le
peuple se crut vengé. On ne voyait que jeunes seigneurs tués ou blessés
qu’on rapportait à la porte Saint-Antoine, qui ne s’ouvrait point.

Enfin Mademoiselle, fille de Gaston, prenant le parti de Condé, que
son père n’osa secourir, fit ouvrir les portes aux blessés, et eut
la hardiesse de faire tirer sur les troupes du roi le canon de la
Bastille. L’armée royale se retira: Condé n’acquit que de la gloire;
mais Mademoiselle se perdit pour jamais dans l’esprit du roi, son
cousin, par cette action violente; et le cardinal Mazarin, qui savait
l’extrême envie qu’avait Mademoiselle d’épouser une tête couronnée, dit
alors: _Ce canon-là vient de tuer son mari_.

La plupart de nos historiens n’étalent à leurs lecteurs que ces combats
et ces prodiges de courage et de politique: mais qui saurait quels
ressorts honteux il fallait faire jouer, dans quelles misères on
était obligé de plonger les peuples, et à quelles bassesses on était
réduit, verrait la gloire des héros de ce temps-là avec plus de pitié
que d’admiration. On en peut juger par les seuls traits que rapporte
Gourville, homme attaché à monsieur le Prince. Il avoue que lui-même,
pour lui procurer de l’argent, vola celui d’une recette, et qu’il alla
prendre dans son logis un directeur des postes, à qui il fit payer une
rançon: et il rapporte ces violences comme des choses ordinaires.

La livre de pain valait alors à Paris vingt-quatre de nos sous. Le
peuple souffrait, les aumônes ne suffisaient pas; plusieurs provinces
étaient dans la disette.

Y a-t-il rien de plus funeste que ce qui se passa dans cette guerre
devant Bordeaux? Un gentilhomme est pris par les troupes royales,
on lui tranche la tête. Le duc de La Rochefoucauld fait pendre
par représailles un gentilhomme du parti du roi; et ce duc de La
Rochefoucauld passe pourtant pour un philosophe. Toutes ces horreurs
étaient bientôt oubliées pour les grands intérêts des chefs de parti.

Mais en même temps y a-t-il rien de plus ridicule que de voir le
grand Condé baiser la châsse de sainte Geneviève dans une procession,
y frotter son chapelet, le montrer au peuple, et prouver, par cette
facétie, que les héros sacrifient souvent à la canaille?

Nulle décence, nulle bienséance, ni dans les procédés, ni dans les
paroles. Omer Talon rapporte qu’il entendit des conseillers appeler, en
opinant, le cardinal premier ministre, _faquin_[416]. Un conseiller,
nommé Quatre-sous, apostropha rudement le grand Condé en plein
parlement; on se donna des gourmades dans le sanctuaire de la justice.

Il y avait eu des coups donnés à Notre-Dame[417] pour une place que les
présidents des enquêtes disputaient au doyen de la grand’chambre en
1644. On laissa entrer dans le parquet des gens du roi, en 1645, des
femmes du peuple qui demandèrent à genoux que le parlement fît révoquer
les impôts.

Ce désordre en tout genre continua depuis 1644 jusqu’en 1653, d’abord
sans trouble, enfin dans des séditions continuelles d’un bout du
royaume à l’autre.

(1652) Le grand Condé s’oublia jusqu’à donner un soufflet au comte de
Rieux, fils du prince d’Elbeuf, chez le duc d’Orléans: ce n’était pas
le moyen de regagner le cœur des Parisiens. Le comte de Rieux rendit
le soufflet au vainqueur de Rocroi, de Fribourg, de Nordlingen, et de
Lens. Cette étrange aventure ne produisit rien; Monsieur fit mettre
pour quelques jours le fils du duc d’Elbeuf à la Bastille, et il n’en
fut plus parlé[418].

La querelle du duc de Beaufort et du duc de Nemours, son beau-frère,
fut sérieuse. Ils s’appelèrent en duel, ayant chacun quatre seconds.
Le duc de Nemours fut tué par le duc de Beaufort; et le marquis
de Villars[419], surnommé _Orondate_, qui secondait Nemours, tua
son adversaire, Héricourt, qu’il n’avait jamais vu auparavant. De
justice, il n’y en avait pas l’ombre. Les duels étaient fréquents, les
déprédations continuelles, les débauches poussées jusqu’à l’impudence
publique; mais au milieu de ces désordres il régna toujours une gaîté
qui les rendit moins funestes.

Après le sanglant et inutile combat de Saint-Antoine, le roi ne put
rentrer dans Paris, et le prince n’y put demeurer long-temps. Une
émotion populaire, et le meurtre de plusieurs citoyens dont on le crut
l’auteur, le rendirent odieux au peuple. Cependant il avait encore sa
brigue au parlement. (20 juillet 1652) Ce corps, peu intimidé alors par
une cour errante et chassée en quelque façon de la capitale, pressé par
les cabales du duc d’Orléans et du prince, déclara par un arrêt le duc
d’Orléans lieutenant-général du royaume, quoique le roi fût majeur:
c’était le même titre qu’on avait donné au duc de Mayenne du temps de
la ligue. Le prince de Condé fut nommé généralissime des armées. Les
deux parlements de Paris et de Pontoise, se contestant l’un à l’autre
leur autorité, donnant des arrêts contraires, et qui par là se seraient
rendus le mépris du peuple, s’accordaient à demander l’expulsion de
Mazarin: tant la haine contre ce ministre semblait alors le devoir
essentiel d’un Français.

Il ne se trouva dans ce temps aucun parti qui ne fût faible: celui
de la cour l’était autant que les autres; l’argent et les forces
manquaient à tous; les factions se multipliaient; les combats n’avaient
produit de chaque côté que des pertes et des regrets. La cour se vit
obligée de sacrifier encore Mazarin, que tout le monde appelait la
cause des troubles, et qui n’en était que le prétexte. Il sortit une
seconde fois du royaume (12 août 1652): pour surcroît de honte, il
fallut que le roi donnât une déclaration publique, par laquelle il
renvoyait son ministre, en vantant ses services et en se plaignant de
son exil[420].

Charles Iᵉʳ, roi d’Angleterre, venait de perdre la tête sur un
échafaud[421], pour avoir, dans le commencement des troubles,
abandonné le sang de Strafford, son ami, à son parlement: Louis XIV,
au contraire, devint le maître paisible de son royaume en souffrant
l’exil de Mazarin. Ainsi les mêmes faiblesses eurent des succès bien
différents. Le roi d’Angleterre, en abandonnant son favori, enhardit un
peuple qui respirait la guerre, et qui haïssait les rois; et Louis XIV,
ou plutôt la reine-mère, en renvoyant le cardinal, ôta tout prétexte de
révolte à un peuple las de la guerre, et qui aimait la royauté.

(20 octobre 1652) Le cardinal à peine parti pour aller à Bouillon, lieu
de sa nouvelle retraite, les citoyens de Paris, de leur seul mouvement,
députèrent au roi pour le supplier de revenir dans sa capitale. Il y
rentra; et tout y fut si paisible qu’il eût été difficile d’imaginer
que quelques jours auparavant tout avait été dans la confusion. Gaston
d’Orléans, malheureux dans ses entreprises, qu’il ne sut jamais
soutenir, fut relégué à Blois, où il passa le reste de sa vie dans le
repentir; et il fut le deuxième fils de Henri-le-Grand qui mourut sans
beaucoup de gloire. Le cardinal de Retz, aussi imprudent qu’audacieux,
fut arrêté dans le Louvre, et, après avoir été conduit de prison en
prison, il mena long-temps une vie errante, qu’il finit enfin dans la
retraite, où il acquit des vertus que son grand courage n’avait pu
connaître dans les agitations de sa fortune.

Quelques conseillers[422] qui avaient le plus abusé de leur ministère
payèrent leurs démarches par l’exil; les autres se renfermèrent dans
les bornes de la magistrature, et quelques uns s’attachèrent à leur
devoir par une gratification annuelle de cinq cents écus, que Fouquet,
procureur-général et surintendant des finances, leur fit donner sous
main[423].

Le prince de Condé cependant, abandonné en France de presque tous ses
partisans, et mal secouru des Espagnols, continuait sur les frontières
de la Champagne une guerre malheureuse. Il restait encore des factions
dans Bordeaux, mais elles furent bientôt apaisées.

Ce calme du royaume était l’effet du bannissement du cardinal Mazarin;
cependant, à peine fut-il chassé par le cri général des Français et par
une déclaration du roi, que le roi le fit revenir (3 février 1653).
Il fut étonné de rentrer dans Paris tout puissant et tranquille. Louis
XIV le reçut comme un père, et le peuple comme un maître. On lui fit
un festin à l’hôtel-de-ville, au milieu des acclamations des citoyens:
il jeta de l’argent à la populace; mais on dit que, dans la joie d’un
si heureux changement, il marqua du mépris pour l’inconstance, ou
plutôt pour la folie des Parisiens. Les officiers du parlement, après
avoir mis sa tête à prix comme celle d’un voleur public, briguèrent
presque tous l’honneur de venir lui demander sa protection; et ce
même parlement, peu de temps après, condamna par contumace le prince
de Condé à perdre la vie (27 mars 1653); changement ordinaire dans de
pareils temps, et d’autant plus humiliant que l’on condamnait par des
arrêts celui dont on avait si long-temps partagé les fautes.

On vit le cardinal, qui pressait cette condamnation de Condé, marier
au prince de Conti, son frère, l’une de ses nièces (22 février 1654):
preuve que le pouvoir de ce ministre allait être sans bornes.

Le roi réunit les parlements de Paris et de Pontoise: il défendit les
assemblées des chambres. Le parlement voulut remontrer; on mit en
prison un conseiller, on en exila quelques autres; le parlement se tut:
tout était déjà changé.



CHAPITRE VI.

État de la France jusqu’à la mort du cardinal Mazarin, en 1661.


Pendant que l’état avait été ainsi déchiré au-dedans, il avait été
attaqué et affaibli au-dehors. Tout le fruit des batailles de Rocroi,
de Lens, et de Nordlingen, fut perdu. (1651) La place importante de
Dunkerque fut reprise par les Espagnols; ils chassèrent les Français de
Barcelone; ils reprirent Casal en Italie[424].

Cependant, malgré les tumultes d’une guerre civile et le poids d’une
guerre étrangère, le cardinal Mazarin avait été assez habile et assez
heureux pour conclure cette célèbre paix de Vestphalie par laquelle
l’empereur et l’empire vendirent au roi et à la couronne de France
la souveraineté de l’Alsace pour trois millions de livres payables
à l’archiduc, c’est-à-dire pour environ six millions d’aujourd’hui.
(1648) Par ce traité, devenu pour l’avenir la base de tous les traités,
un nouvel électorat fut créé pour la maison de Bavière[425]. Les
droits de tous les princes et des villes impériales, les priviléges
des moindres gentilshommes allemands, furent confirmés. Le pouvoir de
l’empereur fut restreint dans des bornes étroites, et les Français,
joints aux Suédois, devinrent les législateurs de l’empire. Cette
gloire de la France était due au moins en partie aux armes de la Suède.
Gustave-Adolphe avait commencé d’ébranler l’empire. Ses généraux
avaient encore poussé assez loin leurs conquêtes sous le gouvernement
de sa fille Christine. Son général Vrangel était prêt d’entrer en
Autriche. Le comte de Kœnigsmarck était maître de la moitié de la ville
de Prague, et assiégeait l’autre, lorsque cette paix fut conclue. Pour
accabler ainsi l’empereur, il n’en coûta guère à la France qu’environ
un million par an donné aux Suédois[426].

Aussi la Suède obtint par ces traités de plus grands avantages que la
France; elle eut la Poméranie, beaucoup de places, et de l’argent.
Elle força l’empereur de faire passer entre les mains des luthériens
des bénéfices qui appartenaient aux catholiques romains. Rome cria à
l’impiété, et dit que la cause de Dieu était trahie. Les protestants se
vantèrent qu’ils avaient sanctifié l’ouvrage de la paix, en dépouillant
des papistes. L’intérêt seul fit parler tout le monde.

L’Espagne n’entra point dans cette paix, et avec assez de raison;
car, voyant la France plongée dans les guerres civiles, le ministère
espagnol espéra profiter des divisions de la France. Les troupes
allemandes licenciées devinrent aux Espagnols un nouveau secours.
L’empereur, depuis la paix de Munster, fit passer en Flandre, en quatre
ans de temps, près de trente mille hommes. C’était une violation
manifeste des traités; mais ils ne sont presque jamais exécutés
autrement.

Les ministres de Madrid eurent, dans le commencement de ces
négociations de Vestphalie, l’adresse de faire une paix particulière
avec la Hollande. La monarchie espagnole fut enfin trop heureuse de
n’avoir plus pour ennemis, et de reconnaître pour souverains, ceux
qu’elle avait traités si long-temps de rebelles indignes de pardon. Ces
républicains augmentèrent leurs richesses, et affermirent leur grandeur
et leur tranquillité, en traitant avec l’Espagne, sans rompre avec la
France.

(1653) Ils étaient si puissants, que dans une guerre qu’ils eurent
quelque temps après avec l’Angleterre, ils mirent en mer cent vaisseaux
de ligne; et la victoire demeura souvent indécise entre Blake, l’amiral
anglais, et Tromp, l’amiral de Hollande, qui étaient tous deux sur mer
ce que les Condé et les Turenne étaient sur terre. La France n’avait
pas en ce temps dix vaisseaux de cinquante pièces de canon qu’elle pût
mettre en mer; sa marine s’anéantissait de jour en jour.

Louis XIV se trouva donc, en 1653, maître absolu d’un royaume encore
ébranlé des secousses qu’il avait reçues, rempli de désordres en tout
genre d’administration, mais plein de ressources, n’ayant aucun allié,
excepté la Savoie, pour faire une guerre offensive, et n’ayant plus
d’ennemis étrangers que l’Espagne, qui était alors en plus mauvais
état que la France. Tous les Français, qui avaient fait la guerre
civile, étaient soumis, hors le prince de Condé et quelques uns de ses
partisans, dont un ou deux lui étaient demeurés fidèles par amitié et
par grandeur d’ame, comme le comte de Coligni et Bouteville; et les
autres, parceque la cour ne voulut pas les acheter assez chèrement.

Condé, devenu général des armées espagnoles, ne put relever un parti
qu’il avait affaibli lui-même par la destruction de leur infanterie
aux journées de Rocroi et de Lens. Il combattait avec des troupes
nouvelles, dont il n’était pas le maître, contre les vieux régiments
français qui avaient appris à vaincre sous lui, et qui étaient
commandés par Turenne.

Le sort de Turenne et de Condé fut d’être toujours vainqueurs quand ils
combattirent ensemble à la tête des Français, et d’être battus quand
ils commandèrent les Espagnols.

Turenne avait à peine sauvé les débris de l’armée d’Espagne à la
bataille de Réthel, lorsque de général du roi de France il s’était fait
le lieutenant d’un général espagnol: le prince de Condé eut le même
sort devant Arras. (25 août 1654) L’archiduc et lui assiégeaient cette
ville. Turenne les assiégea dans leur camp, et força leurs lignes; les
troupes de l’archiduc furent mises en fuite. Condé, avec deux régiments
de Français et de Lorrains, soutint seul les efforts de l’armée de
Turenne; et, tandis que l’archiduc fuyait, il battit le maréchal
d’Hocquincourt, il repoussa le maréchal de La Ferté, et se retira
victorieux, en couvrant la retraite des Espagnols vaincus. Aussi le
roi d’Espagne lui écrivit ces propres paroles: «J’ai su que tout était
perdu, et que vous avez tout conservé.»

Il est difficile de dire ce qui fait perdre ou gagner les batailles;
mais il est certain que Condé était un des grands hommes de guerre qui
eussent jamais paru, et que l’archiduc et son conseil ne voulurent rien
faire dans cette journée de ce que Condé avait proposé.

Arras sauvé, les ligues forcées, et l’archiduc mis en fuite, comblèrent
Turenne de gloire; et on observa que dans la lettre écrite au nom du
roi au parlement[427] sur cette victoire, on y attribua le succès de
toute la campagne au cardinal Mazarin, et qu’on ne fit pas même mention
du nom de Turenne. Le cardinal s’était trouvé en effet à quelques
lieues d’Arras avec le roi. Il était même entré dans le camp au siége
de Stenai, que Turenne avait pris avant de secourir Arras. On avait
tenu devant le cardinal des conseils de guerre. Sur ce fondement il
s’attribua l’honneur des événements, et cette vanité lui donna un
ridicule que toute l’autorité du ministère ne put effacer.

Le roi ne se trouva point à la bataille d’Arras, et aurait pu y être:
il était allé à la tranchée au siége de Stenai; mais le cardinal
Mazarin ne voulut pas qu’il exposât davantage sa personne, à laquelle
le repos de l’état et la puissance du ministre semblaient attachés.

D’un côté Mazarin, maître absolu de la France et du jeune roi; de
l’autre, don Louis de Haro, qui gouvernait l’Espagne et Philippe IV,
continuaient sous le nom de leurs maîtres cette guerre peu vivement
soutenue. Il n’était pas encore question dans le monde du nom de Louis
XIV, et jamais on n’avait parlé du roi d’Espagne. Il n’y avait alors
qu’une tête couronnée en Europe qui eût une gloire personnelle: la
seule Christine, reine de Suède, gouvernait par elle-même, et soutenait
l’honneur du trône, abandonné, ou flétri, ou inconnu dans les autres
états.

Charles II, roi d’Angleterre, fugitif en France avec sa mère et son
frère, y traînait ses malheurs et ses espérances. Un simple citoyen
avait subjugué l’Angleterre, l’Écosse, et l’Irlande. Cromwell, cet
usurpateur digne de régner, avait pris le nom de _protecteur_, et non
celui de roi, parceque les Anglais savaient jusqu’où les droits de
leurs rois devaient s’étendre, et ne connaissaient pas quelles étaient
les bornes de l’autorité d’un protecteur.

Il affermit son pouvoir en sachant le réprimer à propos: il n’entreprit
point sur les priviléges dont le peuple était jaloux; il ne logea
jamais de gens de guerre dans la cité de Londres; il ne mit aucun impôt
dont on pût murmurer; il n’offensa point les yeux par trop de faste; il
ne se permit aucun plaisir; il n’accumula point de trésors; il eut soin
que la justice fût observée avec cette impartialité impitoyable, qui ne
distingue point les grands des petits.

Le frère de Pantaléon Sâ, ambassadeur de Portugal en Angleterre, ayant
cru que sa licence serait impunie parceque la personne de son frère
était sacrée, insulta des citoyens de Londres, et en fit assassiner
un pour se venger de la résistance des autres; il fut condamné à être
pendu. Cromwell, qui pouvait lui faire grace, le laissa exécuter, et
signa ensuite un traité avec l’ambassadeur.

Jamais le commerce ne fut si libre ni si florissant; jamais
l’Angleterre n’avait été si riche. Ses flottes victorieuses fesaient
respecter son nom sur toutes les mers; tandis que Mazarin, uniquement
occupé de dominer et de s’enrichir, laissait languir dans la France
la justice, le commerce, la marine, et même les finances. Maître de
la France, comme Cromwell l’était de l’Angleterre, après une guerre
civile, il eût pu faire pour le pays qu’il gouvernait ce que Cromwell
avait fait pour le sien; mais il était étranger, et l’ame de Mazarin,
qui n’avait pas la barbarie de celle de Cromwell, n’en avait pas aussi
la grandeur.

Toutes les nations de l’Europe qui avaient négligé l’alliance de
l’Angleterre sous Jacques Iᵉʳ, et sous Charles Iᵉʳ, la briguèrent sous
le protecteur. La reine Christine elle-même, quoiqu’elle eût détesté
le meurtre de Charles Iᵉʳ, entra dans l’alliance d’un tyran qu’elle
estimait.

Mazarin et don Louis de Haro prodiguèrent à l’envi leur politique pour
s’unir avec le protecteur. Il goûta quelque temps la satisfaction de se
voir courtisé par les deux plus puissants royaumes de la chrétienté.

Le ministre espagnol lui offrait de l’aider à prendre Calais;
Mazarin lui proposait d’assiéger Dunkerque, et de lui remettre cette
ville[428]. Cromwell avait à choisir entre les clefs de la France et
celles de la Flandre. Il fut beaucoup sollicité aussi par Condé; mais
il ne voulut point négocier avec un prince qui n’avait plus pour lui
que son nom, et qui était sans parti en France, et sans pouvoir chez
les Espagnols.

Le protecteur se détermina pour la France, mais sans faire de traité
particulier, et sans partager des conquêtes par avance: il voulait
illustrer son usurpation par de plus grandes entreprises. Son dessein
était d’enlever le Mexique aux Espagnols; mais ils furent avertis
à temps. Les amiraux de Cromwell leur prirent du moins la Jamaïque
(mai 1655), île que les Anglais possèdent encore, et qui assure leur
commerce dans le Nouveau-Monde. Ce ne fut qu’après l’expédition de la
Jamaïque que Cromwell signa son traité avec le roi de France, mais
sans faire encore mention de Dunkerque. Le protecteur traita d’égal à
égal; il força le roi à lui donner le titre de frère dans ses lettres.
(8 novembre 1655) Son secrétaire signa avant le plénipotentiaire de
France, dans la minute du traité qui resta en Angleterre; mais il
traita véritablement en supérieur, en obligeant le roi de France de
faire sortir de ses états Charles II et le duc d’York, petit-fils de
Henri IV, à qui la France devait un asile. On ne pouvait faire un plus
grand sacrifice de l’honneur à la fortune.

Tandis que Mazarin fesait ce traité, Charles II lui demandait une de
ses nièces en mariage. Le mauvais état de ses affaires, qui obligeait
ce prince à cette démarche, fut ce qui lui attira un refus. On a
même soupçonné le cardinal d’avoir voulu marier au fils de Cromwell
celle qu’il refusait au roi d’Angleterre. Ce qui est sûr, c’est que,
lorsqu’il vit ensuite le chemin du trône moins fermé à Charles II, il
voulut renouer ce mariage; mais il fut refusé à son tour.

La mère de ces deux princes, Henriette de France, fille de
Henri-le-Grand, demeurée en France sans secours, fut réduite à conjurer
le cardinal d’obtenir au moins de Cromwell qu’on lui payât son douaire.
C’était le comble des humiliations les plus douloureuses, de demander
une subsistance à celui qui avait versé le sang de son mari sur un
échafaud. Mazarin fit de faibles instances en Angleterre au nom de
cette reine, et lui annonça qu’il n’avait rien obtenu. Elle resta à
Paris dans la pauvreté, et dans la honte d’avoir imploré la pitié de
Cromwell, tandis que ses enfants allaient dans l’armée de Condé et de
don Juan d’Autriche apprendre le métier de la guerre contre la France
qui les abandonnait.

Les enfants de Charles Iᵉʳ, chassés de France, se réfugièrent en
Espagne. Les ministres espagnols éclatèrent dans toutes les cours,
et surtout à Rome, de vive voix et par écrit, contre un cardinal qui
sacrifiait, disaient-ils, les lois divines et humaines, l’honneur et
la religion, au meurtrier d’un roi, et qui chassait de France Charles
II et le duc d’York, cousins de Louis XIV, pour plaire au bourreau de
leur père. Pour toute réponse aux cris des Espagnols, on produisit les
offres qu’ils avaient faites eux-mêmes au protecteur.

La guerre continuait toujours en Flandre avec des succès divers.
Turenne, ayant assiégé Valenciennes avec le maréchal de La Ferté,
éprouva le même revers que Condé avait essuyé devant Arras. Le prince,
secondé alors de don Juan d’Autriche, plus digne de combattre à ses
côtés que n’était l’archiduc, força les lignes du maréchal de La
Ferté, le prit prisonnier, et délivra Valenciennes. Turenne fit ce
que Condé avait fait dans une déroute pareille. (17 juillet 1656) Il
sauva l’armée battue, et fit tête partout à l’ennemi; il alla même, un
mois après, assiéger et prendre la petite ville de La Capelle: c’était
peut-être la première fois qu’une armée battue avait osé faire un siége.

Cette marche de Turenne, si estimée, après laquelle il prit La Capelle,
fut éclipsée par une marche plus belle encore du prince de Condé
(avril 1657). Turenne assiégeait à peine Cambrai, que Condé, suivi de
deux mille chevaux, perça à travers l’armée des assiégeants; et ayant
renversé tout ce qui voulait l’arrêter, il se jeta dans la ville[429].
Les citoyens reçurent à genoux leur libérateur. Ainsi ces deux hommes
opposés l’un à l’autre déployaient les ressources de leur génie. On les
admirait dans leurs retraites comme dans leurs victoires, dans leur
bonne conduite et dans leurs fautes mêmes, qu’ils savaient toujours
réparer. Leurs talents arrêtaient tour-à-tour les progrès de l’une et
de l’autre monarchie; mais le désordre des finances en Espagne et en
France était encore un plus grand obstacle à leurs succès.

La ligue faite avec Cromwell donna enfin à la France une supériorité
plus marquée; d’un côté, l’amiral Blake alla brûler les galions
d’Espagne auprès des îles Canaries, et leur fit perdre les seuls
trésors avec lesquels la guerre pouvait se soutenir: de l’autre,
vingt vaisseaux anglais vinrent bloquer le port de Dunkerque, et six
mille vieux soldats, qui avaient fait la révolution d’Angleterre,
renforcèrent l’armée de Turenne.

Alors Dunkerque, la plus importante place de la Flandre, fut assiégée
par mer et par terre. Condé et don Juan d’Autriche, ayant ramassé
toutes leurs forces, se présentèrent pour la secourir. L’Europe avait
les yeux sur cet événement. Le cardinal Mazarin mena Louis XIV auprès
du théâtre de la guerre, sans lui permettre d’y monter, quoiqu’il
eût près de vingt ans. Ce prince se tint dans Calais. Ce fut là que
Cromwell lui envoya une ambassade fastueuse, à la tête de laquelle
était son gendre, le lord Falconbridge. Le roi lui envoya le duc de
Créqui, et Mancini, duc de Nevers, neveu du cardinal, suivis de deux
cents gentilshommes. Mancini présenta au protecteur une lettre du
cardinal. Cette lettre est remarquable; Mazarin lui dit «qu’il est
affligé de ne pouvoir lui rendre en personne les respects dus au plus
grand homme du monde.» C’est ainsi qu’il parlait à l’assassin du gendre
de Henri IV, et de l’oncle de Louis XIV, son maître.

Cependant le prince maréchal de Turenne attaqua l’armée d’Espagne, ou
plutôt l’armée de Flandre, près des Dunes. Elle était commandée par
don Juan d’Autriche, fils de Philippe IV et d’une comédienne[430], et
qui devint deux ans après beau-frère de Louis XIV. Le prince de Condé
était dans cette armée, mais il ne commandait pas: ainsi, il ne fut pas
difficile à Turenne de vaincre. Les six mille Anglais contribuèrent
à la victoire, elle fut complète (14 juin 1658). Les deux princes
d’Angleterre, qui furent depuis rois[431], virent leurs malheurs
augmentés dans cette journée par l’ascendant de Cromwell.

Le génie du grand Condé ne put rien contre les meilleures troupes de
France et d’Angleterre. L’armée espagnole fut détruite. Dunkerque se
rendit bientôt après. Le roi accourut avec son ministre pour voir
passer la garnison. Le cardinal ne laissa paraître Louis XIV ni comme
guerrier ni comme roi; il n’avait point d’argent à distribuer aux
soldats; à peine était-il servi: il allait manger chez Mazarin ou chez
le maréchal de Turenne, quand il était à l’armée. Cet oubli de la
dignité royale n’était pas dans Louis XIV l’effet du mépris pour le
faste, mais celui du dérangement de ses affaires, et du soin que le
cardinal avait de réunir pour soi-même la splendeur et l’autorité.

Louis n’entra dans Dunkerque que pour la rendre au lord Lockhart,
ambassadeur de Cromwell. Mazarin essaya si par quelque finesse il
pourrait éluder le traité, et ne pas remettre la place: mais Lockhart
menaça, et la fermeté anglaise l’emporta sur l’habileté italienne.

Plusieurs personnes ont assuré que le cardinal, qui s’était attribué
l’événement d’Arras, voulut engager Turenne à lui céder encore
l’honneur de la bataille des Dunes. Du Bec-Crépin, comte de Moret,
vint, dit-on, de la part du ministre, proposer au général d’écrire
une lettre par laquelle il parût que le cardinal avait arrangé
lui-même tout le plan des opérations. Turenne reçut avec mépris ces
insinuations, et ne voulut point donner un aveu qui eût produit la
honte d’un général d’armée et le ridicule d’un homme d’église. Mazarin,
qui avait eu cette faiblesse, eut celle de rester brouillé jusqu’à sa
mort avec Turenne.

Au milieu de ce premier triomphe, le roi tomba malade à Calais, et fut
plusieurs jours à la mort. Aussitôt tous les courtisans se tournèrent
vers son frère Monsieur. Mazarin prodigua les ménagements, les
flatteries, et les promesses, au maréchal Du Plessis-Praslin, ancien
gouverneur de ce jeune prince, et au comte de Guiche, son favori. Il se
forma dans Paris une cabale assez hardie pour écrire à Calais contre le
cardinal. Il prit ses mesures pour sortir du royaume, et pour mettre
à couvert ses richesses immenses. Un empirique d’Abbeville guérit
le roi avec du vin émétique que les médecins de la cour regardaient
comme un poison. Ce bon-homme s’asseyait sur le lit du roi, et disait:
Voilà un garçon bien malade, mais il n’en mourra pas. Dès qu’il fut
convalescent, le cardinal exila tous ceux qui avaient cabalé contre lui.

(13 septembre 1658) Peu de mois après mourut Cromwell, à l’âge de
cinquante-cinq ans[432], au milieu des projets qu’il fesait pour
l’affermissement de sa puissance et pour la gloire de sa nation.
Il avait humilié la Hollande, imposé les conditions d’un traité au
Portugal, vaincu l’Espagne, et forcé la France à briguer son alliance.
Il avait dit depuis peu, en apprenant avec quelle hauteur ses amiraux
s’étaient conduits à Lisbonne: «Je veux qu’on respecte la république
anglaise autant qu’on a respecté autrefois la république romaine.» Les
médecins lui annoncèrent la mort. Je ne sais s’il est vrai qu’il fit
dans ce moment l’enthousiaste et le prophète, et s’il leur répondit que
Dieu ferait un miracle en sa faveur. Thurloe, son secrétaire, prétend
qu’il leur dit: _La nature peut plus que les médecins_. Ces mots ne
sont point d’un prophète, mais d’un homme très sensé. Il se peut
qu’étant convaincu que les médecins pouvaient se tromper, il voulût, en
cas qu’il en réchappât, se donner auprès du peuple la gloire d’avoir
prédit sa guérison, et rendre par là sa personne plus respectable, et
même plus sacrée.

Il fut enterré en monarque légitime, et laissa dans l’Europe la
réputation d’un homme intrépide, tantôt fanatique, tantôt fourbe, et
d’un usurpateur qui avait su régner.

Le chevalier Temple prétend que Cromwell avait voulu, avant sa mort,
s’unir avec l’Espagne contre la France, et se faire donner Calais avec
le secours des Espagnols, comme il avait eu Dunkerque par les mains des
Français. Rien n’était plus dans son caractère et dans sa politique.
Il eût été l’idole du peuple anglais, en dépouillant ainsi l’une après
l’autre deux nations que la sienne haïssait également. La mort renversa
ses grands desseins, sa tyrannie, et la grandeur de l’Angleterre.

Il est à remarquer qu’on porta le deuil de Cromwell à la cour de
France, et que Mademoiselle fut la seule qui ne rendit point cet
hommage à la mémoire du meurtrier d’un roi son parent.

Nous avons vu déjà[433] que Richard Cromwell succéda paisiblement et
sans contradiction au protectorat de son père, comme un prince de
Galles aurait succédé à un roi d’Angleterre. Richard fit voir que du
caractère d’un seul homme dépend souvent la destinée de l’état. Il
avait un génie bien contraire à celui d’Olivier Cromwell, toute la
douceur des vertus civiles, et rien de cette intrépidité féroce qui
sacrifie tout à ses intérêts. Il eût conservé l’héritage acquis par
les travaux de son père, s’il eût voulu faire tuer trois ou quatre
principaux officiers de l’armée, qui s’opposaient à son élévation.
Il aima mieux se démettre du gouvernement que de régner par des
assassinats; il vécut particulier, et même ignoré, jusqu’à l’âge de
quatre-vingt-dix ans, dans le pays dont il avait été quelques jours le
souverain. Après sa démission du protectorat, il voyagea en France: on
sait qu’à Montpellier le prince de Conti, frère du grand Condé, en lui
parlant sans le connaître, lui dit un jour: «Olivier Cromwell était
un grand homme; mais son fils Richard est un misérable de n’avoir pas
su jouir du fruit des crimes de son père.» Cependant ce Richard vécut
heureux, et son père n’avait jamais connu le bonheur[434].

Quelque temps auparavant la France vit un autre exemple bien plus
mémorable du mépris d’une couronne. Christine, reine de Suède, vint à
Paris. On admira en elle une jeune reine, qui à vingt-sept ans avait
renoncé à la souveraineté dont elle était digne, pour vivre libre et
tranquille. Il est honteux aux écrivains protestants d’avoir osé dire,
sans la moindre preuve, qu’elle ne quitta sa couronne que parcequ’elle
ne pouvait plus la garder. Elle avait formé ce dessein dès l’âge de
vingt ans, et l’avait laissé mûrir sept années. Cette résolution, si
supérieure aux idées vulgaires, et si long-temps méditée, devait fermer
la bouche à ceux qui lui reprochaient de la légèreté et une abdication
involontaire. L’un de ces deux reproches détruisait l’autre; mais il
faut toujours que ce qui est grand soit attaqué par les petits esprits.

Pour connaître le génie unique de cette reine, on n’a qu’à lire ses
lettres. Elle dit dans celle qu’elle écrivit à Chanut, autrefois
ambassadeur de France auprès d’elle: «J’ai possédé sans faste, je
quitte avec facilité. Après cela ne craignez pas pour moi; mon bien
n’est pas au pouvoir de la fortune.» Elle écrivit au prince de Condé:
«Je me tiens autant honorée par votre estime que par la couronne que
j’ai portée. Si, après l’avoir quittée, vous m’en jugez moins digne,
j’avouerai que le repos que j’ai tant souhaité me coûte cher; mais
je ne me repentirai pourtant point de l’avoir acheté au prix d’une
couronne, et je ne noircirai jamais une action qui m’a semblé si belle
par un lâche repentir; et s’il arrive que vous condamniez cette action,
je vous dirai pour toute excuse que je n’aurais pas quitté les biens
que la fortune m’a donnés, si je les eusse crus nécessaires à ma
félicité, et que j’aurais prétendu à l’empire du monde, si j’eusse été
aussi assurée d’y réussir, ou de mourir, que le serait le grand Condé.»

Telle était l’ame de cette personne si singulière; tel était son style
dans notre langue, qu’elle avait parlée rarement. Elle savait huit
langues; elle avait été disciple et amie de Descartes, qui mourut à
Stockholm, dans son palais, après n’avoir pu obtenir seulement une
pension en France, où ses ouvrages furent même proscrits pour les
seules bonnes choses qui y fussent. Elle avait attiré en Suède tous
ceux qui pouvaient l’éclairer. Le chagrin de n’en trouver aucun parmi
ses sujets l’avait dégoûtée de régner sur un peuple qui n’était que
soldat. Elle crut qu’il valait mieux vivre avec des hommes qui pensent
que de commander à des hommes sans lettres ou sans génie. Elle avait
cultivé tous les arts, dans un climat où ils étaient alors inconnus.
Son dessein était d’aller se retirer au milieu d’eux en Italie. Elle
ne vint en France que pour y passer, parceque ces arts ne commençaient
qu’à y naître. Son goût la fixait à Rome. Dans cette vue elle avait
quitté la religion luthérienne pour la catholique; indifférente pour
l’une et pour l’autre, elle ne fit point scrupule de se conformer en
apparence aux sentiments du peuple chez lequel elle voulut passer sa
vie. Elle avait quitté son royaume en 1654, et fait publiquement à
Inspruck la cérémonie de son abjuration. Elle plut à la cour de France,
quoiqu’il ne s’y trouvât pas une femme dont le génie pût atteindre au
sien. Le roi la vit, et lui rendit de grands honneurs; mais il lui
parla à peine. Élevé dans l’ignorance, le bon sens avec lequel il
était né le rendait timide.

La plupart des femmes et des courtisans n’observèrent autre chose
dans cette reine philosophe, sinon quelle n’était pas coiffée à la
française, et qu’elle dansait mal. Les sages ne condamnèrent dans elle
que le meurtre de Monaldeschi, son écuyer, qu’elle fit assassiner
à Fontainebleau dans un second voyage. De quelque faute qu’il fût
coupable envers elle, ayant renoncé à la royauté, elle devait demander
justice, et non se la faire. Ce n’était pas une reine qui punissait un
sujet; c’était une femme qui terminait une galanterie par un meurtre;
c’était un Italien qui en fesait assassiner un autre par l’ordre d’une
Suédoise dans un palais d’un roi de France. Nul ne doit être mis à mort
que par les lois. Christine, en Suède, n’aurait eu le droit de faire
assassiner personne; et certes ce qui eût été un crime à Stockholm
n’était pas permis à Fontainebleau[435]. Ceux qui ont justifié cette
action méritent de servir de pareils maîtres. Cette honte et cette
cruauté ternirent la philosophie de Christine, qui lui avait fait
quitter un trône. Elle eût été punie en Angleterre, et dans tous les
pays où les lois règnent: mais la France ferma les yeux à cet attentat
contre l’autorité du roi, contre le droit des nations, et contre
l’humanité[436].

Après la mort de Cromwell, et la déposition de son fils, l’Angleterre
resta un an dans la confusion de l’anarchie. Charles Gustave, à qui la
reine Christine avait donné le royaume de Suède, se fesait redouter
dans le Nord et dans l’Allemagne. L’empereur Ferdinand III était mort
en 1657; son fils Léopold, âgé de dix-sept ans, déjà roi de Hongrie
et de Bohême, n’avait point été élu roi des Romains du vivant de son
père. Mazarin voulut essayer de faire Louis XIV empereur. Ce dessein
était chimérique; il eût fallu ou forcer les électeurs ou les séduire.
La France n’était ni assez forte pour ravir l’empire, ni assez riche
pour l’acheter; aussi les premières ouvertures, faites à Francfort,
par le maréchal de Grammont et par Lyonne, furent-elles abandonnées
aussitôt que proposées. Léopold fut élu. Tout ce que put la politique
de Mazarin, ce fut de faire une ligue avec des princes allemands pour
l’observation des traités de Munster, et pour donner un frein à
l’autorité de l’empereur sur l’empire (auguste 1658).

La France, après la bataille des Dunes, était puissante au-dehors par
la gloire de ses armes, et par l’état où étaient réduites les autres
nations: mais le dedans souffrait; il était épuisé d’argent; on avait
besoin de la paix.

Les nations, dans les monarchies chrétiennes, n’ont presque jamais
d’intérêt aux guerres de leurs souverains. Des armées mercenaires,
levées par ordre d’un ministre, et conduites par un général qui obéit
en aveugle à ce ministre, font plusieurs campagnes ruineuses, sans
que les rois au nom desquels elles combattent aient l’espérance ou
même le dessein de ravir tout le patrimoine l’un de l’autre. Le peuple
vainqueur ne profite jamais des dépouilles du peuple vaincu: il paie
tout; il souffre dans la prospérité des armes, comme dans l’adversité;
et la paix lui est presque aussi nécessaire, après la plus grande
victoire, que quand les ennemis ont pris ses places frontières.

Il fallait deux choses au cardinal pour consommer heureusement son
ministère; faire la paix, et assurer le repos de l’état par le mariage
du roi. Les cabales pendant sa maladie lui fesaient sentir combien un
héritier du trône était nécessaire à la grandeur du ministre. Toutes
ces considérations le déterminèrent à marier Louis XIV promptement.
Deux partis se présentaient, la fille du roi d’Espagne et la princesse
de Savoie. Le cœur du roi avait pris un autre engagement; il aimait
éperdument mademoiselle Mancini, l’une des nièces du cardinal; né avec
un cœur tendre et de la fermeté dans ses volontés, plein de passion et
sans expérience, il aurait pu se résoudre à épouser sa maîtresse.

Madame de Motteville, favorite de la reine-mère, dont les Mémoires
ont un grand air de vérité, prétend que Mazarin fut tenté de laisser
agir l’amour du roi, et de mettre sa nièce sur le trône. Il avait
déjà marié une autre nièce au prince de Conti, une au duc de Mercœur:
celle que Louis XIV aimait avait été demandée en mariage par le roi
d’Angleterre. C’étaient autant de titres qui pouvaient justifier son
ambition. Il pressentit adroitement la reine-mère: «Je crains bien,
lui dit-il, que le roi ne veuille trop fortement épouser ma nièce.» La
reine, qui connaissait le ministre, comprit qu’il souhaitait ce qu’il
feignait de craindre. Elle lui répondit avec la hauteur d’une princesse
du sang d’Autriche, fille, femme, et mère de rois, et avec l’aigreur
que lui inspirait depuis quelque temps un ministre qui affectait de ne
plus dépendre d’elle. Elle lui dit: «Si le roi était capable de cette
indignité, je me mettrais avec mon second fils à la tête de toute la
nation contre le roi et contre vous.»

Mazarin ne pardonna jamais, dit-on, cette réponse à la reine: mais il
prit le parti sage de penser comme elle: il se fit lui-même un honneur
et un mérite de s’opposer à la passion de Louis XIV. Son pouvoir
n’avait pas besoin d’une reine de son sang pour appui. Il craignait
même le caractère de sa nièce; et il crut affermir encore la puissance
de son ministère, en fuyant la gloire dangereuse d’élever trop sa
maison.

Dès l’année 1656 il avait envoyé Lyonne en Espagne solliciter la paix,
et demander l’infante; mais don Louis de Haro, persuadé que quelque
faible que fût l’Espagne, la France ne l’était pas moins, avait rejeté
les offres du cardinal. L’infante, fille du premier lit, était destinée
au jeune Léopold. Le roi d’Espagne, Philippe IV, n’avait alors de son
second mariage qu’un fils, dont l’enfance malsaine fesait craindre
pour sa vie. On voulait que l’infante, qui pouvait être héritière de
tant d’états, portât ses droits dans la maison d’Autriche, et non dans
une maison ennemie: mais enfin Philippe IV ayant eu un autre fils,
don Philippe Prosper, et sa femme étant encore enceinte, le danger de
donner l’infante au roi de France lui parut moins grand, et la bataille
des Dunes lui rendit la paix nécessaire.

Les Espagnols promirent l’infante, et demandèrent une suspension
d’armes. Mazarin et don Louis se rendirent sur les frontières d’Espagne
et de France, dans l’île des Faisans (1659). Quoique le mariage d’un
roi de France et la paix générale fussent l’objet de leurs conférences,
cependant plus d’un mois se passa à arranger les difficultés sur la
préséance, et à régler des cérémonies. Les cardinaux se disaient égaux
aux rois, et supérieurs aux autres souverains. La France prétendait
avec plus de justice la prééminence sur les autres puissances.
Cependant don Louis de Haro mit une égalité parfaite entre Mazarin et
lui, entre la France et l’Espagne.

Les conférences durèrent quatre mois. Mazarin et don Louis y
déployèrent toute leur politique: celle du cardinal était la finesse;
celle de don Louis, la lenteur. Celui-ci ne donnait presque jamais de
paroles, et celui-là en donnait toujours d’équivoques. Le génie du
ministre italien était de vouloir surprendre; celui de l’espagnol était
de s’empêcher d’être surpris. On prétend qu’il disait du cardinal: «Il
a un grand défaut en politique, c’est qu’il veut toujours tromper.»

Telle est la vicissitude des choses humaines, que de ce fameux traité
des Pyrénées il n’y a pas deux articles qui subsistent aujourd’hui. Le
roi de France garda le Roussillon, qu’il aurait toujours conservé sans
cette paix: mais à l’égard de la Flandre, la monarchie espagnole n’y a
plus rien. La France était alors l’amie nécessaire du Portugal; elle
ne l’est plus: tout est changé. Mais si don Louis de Haro avait dit
que le cardinal Mazarin savait tromper, on a dit depuis qu’il savait
prévoir. Il méditait dès long-temps l’alliance des maisons de France
et d’Espagne. On cite cette fameuse lettre de lui, écrite pendant les
négociations de Munster: «Si le roi très chrétien pouvait avoir les
Pays-Bas et la Franche-Comté en dot, en épousant l’infante, alors nous
pourrions aspirer à la succession d’Espagne, quelque renonciation qu’on
fît faire à l’infante: et ce ne serait pas une attente fort éloignée,
puisqu’il n’y a que la vie du prince son frère qui l’en pût exclure.»
Ce prince était alors Balthasar, qui mourut en 1649[437].

Le cardinal se trompait évidemment en pensant qu’on pourrait donner
les Pays-Bas et la Franche-Comté en mariage à l’infante. On ne
stipula pas une seule ville pour sa dot. Au contraire, on rendit à la
monarchie espagnole des villes considérables qu’on avait conquises,
comme Saint-Omer, Ypres, Menin, Oudenarde, et d’autres places. On en
garda quelques unes. Le cardinal ne se trompa point en croyant que la
renonciation serait un jour inutile; mais ceux qui lui font l’honneur
de cette prédiction, lui font donc prévoir que le prince don Balthasar
mourrait en 1649; qu’ensuite les trois enfants du second mariage
seraient enlevés au berceau; que Charles, le cinquième de tous ces
enfants mâles, mourrait sans postérité; et que ce roi autrichien ferait
un jour un testament en faveur d’un petit-fils de Louis XIV. Mais enfin
le cardinal Mazarin prévit ce que vaudraient des renonciations, en cas
que la postérité mâle de Philippe IV s’éteignît; et des événements
étrangers l’ont justifié après plus de cinquante années[438].

Marie-Thérèse, pouvant avoir pour dot les villes que la France rendait,
n’apporta, par son contrat de mariage, que cinq cent mille écus d’or
au soleil; il en coûta davantage au roi pour l’aller recevoir sur
la frontière. Ces cinq cent mille écus, valant alors deux millions
cinq cent mille livres, furent pourtant le sujet de beaucoup de
contestations entre les deux ministres. Enfin la France n’en reçut
jamais que cent mille francs.

Loin que ce mariage apportât aucun autre avantage, présent et réel, que
celui de la paix, l’infante renonça à tous les droits qu’elle pourrait
jamais avoir sur aucune des terres de son père; et Louis XIV ratifia
cette renonciation de la manière la plus solennelle, et la fit ensuite
enregistrer au parlement.

Ces renonciations et ces cinq cent mille écus de dot semblaient être
les clauses ordinaires des mariages des infantes d’Espagne avec les
rois de France. La reine Anne d’Autriche, fille de Philippe III, avait
été mariée à Louis XIII à ces mêmes conditions; et quand on avait donné
Isabelle, fille de Henri-le-Grand, à Philippe IV, roi d’Espagne, ou
n’avait pas stipulé plus de cinq cent mille écus d’or pour sa dot, dont
même on ne lui paya jamais rien; de sorte qu’il ne paraissait pas qu’il
y eût alors aucun avantage dans ces grands mariages: on n’y voyait que
des filles de rois mariées à des rois, ayant à peine un présent de
noces.

Le duc de Lorraine, Charles IV, de qui la France et l’Espagne avaient
beaucoup à se plaindre, ou plutôt, qui avait beaucoup à se plaindre
d’elles, fut compris dans le traité, mais en prince malheureux qu’on
punissait, parcequ’il ne pouvait se faire craindre. La France lui
rendit ses états, en démolissant Nanci, et en lui défendant d’avoir des
troupes. Don Louis de Haro obligea le cardinal Mazarin à faire recevoir
en grace le prince de Condé, en menaçant de lui laisser en souveraineté
Rocroi, Le Catelet, et d’autres places dont il était en possession.
Ainsi la France gagna à-la-fois ces villes et le grand Condé. Il perdit
sa charge de grand-maître de la maison du roi, qu’on donna ensuite à
son fils, et ne revint presque qu’avec sa gloire.

Charles II, roi titulaire d’Angleterre, plus malheureux alors que le
duc de Lorraine, vint près des Pyrénées, où l’on traitait cette paix.
Il implora le secours de don Louis et de Mazarin. Il se flattait que
leurs rois, ses cousins germains, réunis, oseraient enfin venger une
cause commune à tous les souverains, puisque enfin Cromwell n’était
plus; il ne put seulement obtenir une entrevue, ni avec Mazarin,
ni avec don Louis. Lockhart, cet ambassadeur de la république
d’Angleterre, était à Saint-Jean-de-Luz; il se fesait respecter
encore, même après la mort du protecteur; et les deux ministres, dans
la crainte de choquer cet Anglais, refusèrent de voir Charles II.
Ils pensaient que son rétablissement était impossible, et que toutes
les factions anglaises, quoique divisées entre elles, conspiraient
également à ne jamais reconnaître de rois. Ils se trompèrent tous
deux: la fortune fit, peu de mois après, ce que ces deux ministres
auraient pu avoir la gloire d’entreprendre. Charles fut rappelé dans
ses états par les Anglais, sans qu’un seul potentat de l’Europe se fût
jamais mis en devoir, ni d’empêcher le meurtre du père, ni de servir
au rétablissement du fils. Il fut reçu dans les plaines de Douvres
par vingt mille citoyens, qui se jetèrent à genoux devant lui. Des
vieillards qui étaient de ce nombre m’ont dit que presque tout le
monde fondait en larmes. Il n’y eut peut-être jamais de spectacle plus
touchant, ni de révolution plus subite (juin 1660). Ce changement se
fit en bien moins de temps que le traité des Pyrénées ne fut conclu: et
Charles II était déjà paisible possesseur de l’Angleterre, que Louis
XIV n’était pas même encore marié par procureur.

(Août 1660) Enfin le cardinal Mazarin ramena le roi et la nouvelle
reine à Paris. Un père qui aurait marié son fils sans lui donner
l’administration de son bien, n’en eût pas usé autrement que Mazarin;
il revint plus puissant et plus jaloux de sa puissance, et même des
honneurs, que jamais. Il exigea et il obtint que le parlement vînt
le haranguer par députés. C’était une chose sans exemple dans la
monarchie; mais ce n’était pas une trop grande réparation du mal que le
parlement lui avait fait. Il ne donna plus la main aux princes du sang,
en lieu tiers, comme autrefois. Celui qui avait traité don Louis de
Haro en égal, voulut traiter le grand Condé en inférieur. Il marchait
alors avec un faste royal, ayant, outre ses gardes, une compagnie
de mousquetaires, qui est aujourd’hui la seconde compagnie des
mousquetaires du roi[439]. On n’eut plus auprès de lui un accès libre:
si quelqu’un était assez mauvais courtisan pour demander une grace au
roi, il était perdu. La reine-mère, si long-temps protectrice obstinée
de Mazarin contre la France, resta sans crédit dès qu’il n’eut plus
besoin d’elle. Le roi, son fils, élevé dans une soumission aveugle
pour ce ministre, ne pouvait secouer le joug qu’elle lui avait imposé,
aussi bien qu’à elle-même; elle respectait son ouvrage, et Louis XIV
n’osait pas encore régner du vivant de Mazarin.

Un ministre est excusable du mal qu’il fait, lorsque le gouvernail de
l’état est forcé dans sa main par les tempêtes; mais dans le calme il
est coupable de tout le bien qu’il ne fait pas. Mazarin ne fit de bien
qu’à lui, et à sa famille par rapport à lui. Huit années de puissance
absolue et tranquille, depuis son dernier retour jusqu’à sa mort, ne
furent marquées par aucun établissement glorieux ou utile; car le
collége des Quatre-Nations ne fut que l’effet de son testament.

Il gouvernait les finances comme l’intendant d’un seigneur obéré. Le
roi demandait quelquefois de l’argent à Fouquet, qui lui répondait:
«Sire, il n’y a rien dans les coffres de votre majesté; mais monsieur
le cardinal vous en prêtera.» Mazarin était riche d’environ deux cents
millions, à compter comme on fait aujourd’hui. Plusieurs mémoires
disent qu’il en amassa une partie par des moyens trop au-dessous de
la grandeur de sa place. Ils rapportent qu’il partageait avec les
armateurs les profits de leurs courses: c’est ce qui ne fut jamais
prouvé; mais les Hollandais l’en soupçonnèrent, et ils n’auraient pas
soupçonné le cardinal de Richelieu.

On dit qu’en mourant il eut des scrupules, quoique au-dehors il montrât
du courage. Du moins il craignit pour ses biens, et il en fit au roi
une donation entière, croyant que le roi les lui rendrait. Il ne se
trompa point; le roi lui remit la donation au bout de trois jours.
Enfin il mourut (9 mars 1661); et il n’y eut que le roi qui semblât le
regretter, car ce prince savait déjà dissimuler. Le joug commençait à
lui peser; il était impatient de régner. Cependant il voulut paraître
sensible à une mort qui le mettait en possession de son trône.

Louis XIV et la cour portèrent le deuil du cardinal Mazarin, honneur
peu ordinaire, et que Henri IV avait fait à la mémoire de Gabrielle
d’Estrées.

On n’entreprendra pas ici d’examiner si le cardinal Mazarin a été un
grand ministre on non: c’est à ses actions de parler, et à la postérité
de juger. Le vulgaire suppose quelquefois une étendue d’esprit
prodigieuse, et un génie presque divin, dans ceux qui ont gouverné des
empires avec quelque succès. Ce n’est point une pénétration supérieure
qui fait les hommes d’état, c’est leur caractère. Les hommes, pour
peu qu’ils aient de bon sens, voient tous à peu près leurs intérêts.
Un bourgeois d’Amsterdam ou de Berne en sait sur ce point autant que
Séjan, Ximénès, Buckingham, Richelieu, ou Mazarin: mais notre conduite
et nos entreprises dépendent uniquement de la trempe de notre ame, et
nos succès dépendent de la fortune.

Par exemple, si un génie tel que le pape Alexandre VI, ou Borgia son
fils, avait eu la Rochelle à prendre, il aurait invité dans son camp
les principaux chefs, sous un serment sacré, et se serait défait d’eux;
Mazarin serait entré dans la ville deux ou trois ans plus tard, en
gagnant et en divisant les bourgeois; don Louis de Haro n’eût pas
hasardé l’entreprise. Richelieu fit une digue sur la mer, à l’exemple
d’Alexandre, et entra dans la Rochelle en conquérant; mais une marée
un peu forte, ou un peu plus de diligence de la part des Anglais,
délivraient la Rochelle, et fesaient passer Richelieu pour un téméraire.

On peut juger du caractère des hommes par leurs entreprises. On
peut bien assurer que l’ame de Richelieu respirait la hauteur et la
vengeance; que Mazarin était sage, souple, et avide de biens. Mais pour
connaître à quel point un ministre a de l’esprit, il faut ou l’entendre
souvent parler, ou lire ce qu’il a écrit. Il arrive souvent parmi les
hommes d’état ce qu’on voit tous les jours parmi les courtisans; celui
qui a le plus d’esprit échoue, et celui qui a dans le caractère plus de
patience, de force, de souplesse, et de suite, réussit.

En lisant les Lettres du cardinal Mazarin, et les Mémoires du cardinal
de Retz, on voit aisément que Retz était le génie supérieur. Cependant
Mazarin fut tout puissant, et Retz fut accablé. Enfin il est très
vrai que, pour faire un puissant ministre, il ne faut souvent qu’un
esprit médiocre, du bon sens, et de la fortune; mais pour être un bon
ministre, il faut avoir pour passion dominante l’amour du bien public.
Le grand homme d’état est celui dont il reste de grands monuments
utiles à la patrie. [440] Le monument qui immortalise le cardinal
Mazarin est l’acquisition de l’Alsace. Il donna cette province à la
France dans le temps que la France était déchaînée contre lui; et, par
une fatalité singulière, il fit plus de bien au royaume lorsqu’il y
était persécuté que dans la tranquillité d’une puissance absolue[441].



CHAPITRE VII.

    Louis XIV gouverne par lui-même. Il force la branche d’Autriche
    espagnole à lui céder partout la préséance, et la cour de Rome à
    lui faire satisfaction. Il achète Dunkerque. Il donne des secours
    à l’empereur, au Portugal, aux états-généraux, et rend son royaume
    florissant et redoutable.


Jamais il n’y eut dans une cour plus d’intrigues et d’espérances que
durant l’agonie du cardinal Mazarin. Les femmes qui prétendaient à la
beauté se flattaient de gouverner un prince de vingt-deux ans, que
l’amour avait déjà séduit jusqu’à lui faire offrir sa couronne à sa
maîtresse. Les jeunes courtisans croyaient renouveler le règne des
favoris. Chaque ministre espérait la première place. Aucun d’eux ne
pensait qu’un roi élevé dans l’éloignement des affaires osât prendre
sur lui le fardeau du gouvernement. Mazarin avait prolongé l’enfance
de ce monarque autant qu’il l’avait pu. Il ne l’instruisait que depuis
fort peu de temps, et parceque le roi avait voulu être instruit.

On était si loin d’espérer d’être gouverné par son souverain, que de
tous ceux qui avaient travaillé jusqu’alors avec le premier ministre,
il n’y en eut aucun qui demandât au roi quand il voudrait les entendre.
Ils lui demandèrent tous: «A qui nous adresserons-nous?» et Louis
XIV leur répondit: _A moi_. On fut encore plus surpris de le voir
persévérer. Il y avait quelque temps qu’il consultait ses forces, et
qu’il essayait en secret son génie pour régner. Sa résolution prise
une fois, il la maintint jusqu’au dernier moment de sa vie. Il fixa à
chacun de ses ministres les bornes de son pouvoir, se fesant rendre
compte de tout par eux à des heures réglées, leur donnant la confiance
qu’il fallait pour accréditer leur ministère, et veillant sur eux pour
les empêcher d’en trop abuser.

Madame de Motteville nous apprend que la réputation de Charles II, roi
d’Angleterre, qui passait alors pour gouverner par lui-même, inspira de
l’émulation à Louis XIV. Si cela est, il surpassa beaucoup son rival,
et il mérita toute sa vie ce qu’on avait dit d’abord de Charles.

Il commença par mettre de l’ordre dans les finances dérangées par un
long brigandage. La discipline fut rétablie dans les troupes, comme
l’ordre dans les finances. La magnificence et la décence embellirent sa
cour. Les plaisirs même eurent de l’éclat et de la grandeur. Tous les
arts furent encouragés, et tous employés à la gloire du roi et de la
France.

Ce n’est pas ici le lieu de le représenter dans sa vie privée, ni dans
l’intérieur de son gouvernement; c’est ce que nous ferons à part[442].
Il suffit de dire que ses peuples, qui depuis la mort de Henri-le-Grand
n’avaient point vu de véritable roi, et qui détestaient l’empire d’un
premier ministre, furent remplis d’admiration et d’espérance quand
ils virent Louis XIV faire à vingt-deux ans ce que Henri avait fait à
cinquante. Si Henri IV avait eu un premier ministre, il eût été perdu,
parceque la haine contre un particulier eût ranimé vingt factions
trop puissantes. Si Louis XIII n’en avait pas eu, ce prince, dont un
corps faible et malade énervait l’ame, eût succombé sous le poids.
Louis XIV pouvait sans péril avoir ou n’avoir pas de premier ministre.
Il ne restait pas la moindre trace des anciennes factions; il n’y
avait plus en France qu’un maître et des sujets. Il montra d’abord
qu’il ambitionnait toute sorte de gloire, et qu’il voulait être aussi
considéré au-dehors qu’absolu au-dedans.

Les anciens rois de l’Europe prétendent entre eux une entière égalité,
ce qui est très naturel; mais les rois de France ont toujours réclamé
la préséance que mérite l’antiquité de leur race et de leur royaume;
et s’ils ont cédé aux empereurs, c’est parceque les hommes ne sont
presque jamais assez hardis pour renverser un long usage. Le chef de la
république d’Allemagne, prince électif et peu puissant par lui-même, a
le pas, sans contredit, sur tous les souverains, à cause de ce titre
de César et d’héritier de Charlemagne. Sa chancellerie allemande ne
traitait pas même alors les autres rois de majesté. Les rois de France
pouvaient disputer la préséance aux empereurs, puisque la France avait
fondé le véritable empire d’Occident, dont le nom seul subsiste en
Allemagne. Ils avaient pour eux non seulement la supériorité d’une
couronne héréditaire sur une dignité élective, mais l’avantage d’être
issus, par une suite non interrompue, de souverains qui régnaient sur
une grande monarchie plusieurs siècles avant que, dans le monde entier,
aucune des maisons qui possèdent aujourd’hui des couronnes fût parvenue
à quelque élévation. Ils voulaient au moins précéder les autres
puissances de l’Europe. On alléguait en leur faveur le nom de _très
chrétien_. Les rois d’Espagne opposaient le titre de _catholique_; et
depuis que Charles-Quint avait eu un roi de France prisonnier à Madrid,
la fierté espagnole était bien loin de céder ce rang. Les Anglais
et les Suédois, qui n’allèguent aujourd’hui aucun de ces surnoms,
reconnaissent le moins qu’ils peuvent cette supériorité.

C’était à Rome que ces prétentions étaient autrefois débattues.
Les papes, qui donnaient les états avec une bulle, se croyaient, à
plus forte raison, en droit de décider du rang entre les couronnes.
Cette cour, où tout se passe en cérémonies, était le tribunal où se
jugeaient ces vanités de la grandeur. La France y avait eu toujours la
supériorité quand elle était plus puissante que l’Espagne; mais depuis
le règne de Charles-Quint, l’Espagne n’avait négligé aucune occasion
de se donner l’égalité. La dispute restait indécise; un pas de plus
ou de moins dans une procession; un fauteuil placé près d’un autel,
ou vis-à-vis la chaire d’un prédicateur, étaient des triomphes, et
établissaient des titres pour cette prééminence. La chimère du point
d’honneur était extrême alors sur cet article entre les couronnes,
comme la fureur des duels entre les particuliers.

(1661) Il arriva qu’à l’entrée d’un ambassadeur de Suède à Londres, le
comte d’Estrades, ambassadeur de France, et le baron de Vatteville,
ambassadeur d’Espagne, se disputèrent le pas. L’Espagnol, avec plus
d’argent et une plus nombreuse suite, avait gagné la populace anglaise:
il fait d’abord tuer les chevaux des carrosses français; et bientôt
les gens du comte d’Estrades, blessés et dispersés, laissèrent les
Espagnols marcher l’épée nue comme en triomphe.

Louis XIV, informé de cette insulte, rappela l’ambassadeur qu’il avait
à Madrid, fit sortir de France celui d’Espagne, rompit les conférences
qui se tenaient encore en Flandre au sujet des limites, et fit dire
au roi Philippe IV, son beau-père, que s’il ne reconnaissait la
supériorité de la couronne de France et ne réparait cet affront par
une satisfaction solennelle, la guerre allait recommencer. Philippe
IV ne voulut pas replonger son royaume dans une guerre nouvelle pour
la préséance d’un ambassadeur: il envoya le comte de Fuentes déclarer
au roi, à Fontainebleau, en présence de tous les ministres étrangers
qui étaient en France (24 mars 1662), «que les ministres espagnols
ne concourraient plus dorénavant avec ceux de France.» Ce n’en était
pas assez pour reconnaître nettement la prééminence du roi; mais
c’en était assez pour un aveu authentique de la faiblesse espagnole.
Cette cour, encore fière, murmura long-temps de son humiliation.
Depuis, plusieurs ministres espagnols ont renouvelé leurs anciennes
prétentions: ils ont obtenu l’égalité à Nimègue; mais Louis XIV acquit
alors, par sa fermeté, une supériorité réelle dans l’Europe, en fesant
voir combien il était à craindre.

A peine sorti de cette petite affaire avec tant de grandeur, il en
marqua encore davantage dans une occasion où sa gloire semblait moins
intéressée. Les jeunes Français, dans les guerres faites depuis
long-temps en Italie contre l’Espagne, avaient donné aux Italiens,
circonspects et jaloux, l’idée d’une nation impétueuse. L’Italie
regardait toutes les nations dont elle était inondée comme des
barbares, et les Français comme des barbares plus gais que les autres,
mais plus dangereux, qui portaient dans toutes les maisons les plaisirs
avec le mépris, et la débauche avec l’insulte. Ils étaient craints
partout, et surtout à Rome.

Le duc de Créqui, ambassadeur auprès du pape, avait révolté les Romains
par sa hauteur: ses domestiques, gens qui poussent toujours à l’extrême
les défauts de leur maître, commettaient dans Rome les mêmes désordres
que la jeunesse indisciplinable de Paris, qui se fesait alors un
honneur d’attaquer toutes les nuits le guet qui veille à la garde de la
ville.

Quelques laquais du duc de Créqui s’avisèrent de charger, l’épée à la
main, une escouade des Corses (ce sont des gardes du pape qui appuient
les exécutions de la justice). Tout le corps des Corses offensé,
et secrètement animé par don Mario Chigi, frère du pape Alexandre
VII, qui haïssait le duc de Créqui, vint en armes assiéger la maison
de l’ambassadeur (20 août 1662). Ils tirèrent sur le carrosse de
l’ambassadrice, qui rentrait alors dans son palais; ils lui tuèrent
un page[443], et blessèrent plusieurs domestiques. Le duc de Créqui
sortit de Rome, accusant les parents du pape, et le pape lui-même,
d’avoir favorisé cet assassinat. Le pape différa tant qu’il put la
réparation, persuadé qu’avec les Français il n’y a qu’à temporiser,
et que tout s’oublie. Il fit pendre un Corse et un sbire au bout de
quatre mois; et il fit sortir de Rome le gouverneur, soupçonné d’avoir
autorisé l’attentat: mais il fut consterné d’apprendre que le roi
menaçait de faire assiéger Rome, qu’il fesait déjà passer des troupes
en Italie, et que le maréchal du Plessis-Praslin était nommé pour les
commander. L’affaire était devenue une querelle de nation à nation, et
le roi voulait faire respecter la sienne. Le pape, avant de faire la
satisfaction qu’on demandait, implora la médiation de tous les princes
catholiques; il fit ce qu’il put pour les animer contre Louis XIV: mais
les circonstances n’étaient pas favorables au pape. L’empire était
attaqué par les Turcs: l’Espagne était embarrassée dans une guerre peu
heureuse contre le Portugal.

La cour romaine ne fit qu’irriter le roi sans pouvoir lui nuire. Le
parlement de Provence cita le pape, et fit saisir le comtat d’Avignon.
Dans d’autres temps les excommunications de Rome auraient suivi ces
outrages: mais c’étaient des armes usées et devenues ridicules: il
fallut que le pape pliât; il fut forcé d’exiler de Rome son propre
frère, d’envoyer son neveu, le cardinal Chigi, en qualité de légat _a
latere_[444], faire satisfaction au roi; de casser la garde corse, et
d’élever dans Rome une pyramide, avec une inscription qui contenait
l’injure et la réparation. Le cardinal Chigi fut le premier légat de la
cour romaine qui fut jamais envoyé pour demander pardon. Les légats,
auparavant, venaient donner des lois, et imposer des décimes. Le roi ne
s’en tint pas à faire réparer un outrage par des cérémonies passagères
et par des monuments qui le sont aussi (car il permit, quelques années
après, la destruction de la pyramide); mais il força la cour de Rome à
promettre de rendre Castro et Ronciglione au duc de Parme, à dédommager
le duc de Modène de ses droits sur Comacchio; et il tira ainsi d’une
insulte l’honneur solide d’être le protecteur des princes d’Italie.

En soutenant sa dignité, il n’oubliait pas d’augmenter son pouvoir. (27
octobre 1662) Ses finances, bien administrées par Colbert, le mirent
en état d’acheter Dunkerque et Mardick du roi d’Angleterre, pour cinq
millions de livres, à vingt-six livres dix sous le marc. Charles II,
prodigue et pauvre, eut la honte de vendre le prix du sang des Anglais.
Son chancelier Hyde, accusé d’avoir ou conseillé ou souffert cette
faiblesse, fut banni depuis par le parlement d’Angleterre, qui punit
souvent les fautes des favoris, et qui quelquefois même juge ses rois.

(1663) Louis fit travailler trente mille hommes à fortifier Dunkerque
du côté de la terre et de la mer. On creusa entre la ville et la
citadelle un bassin capable de contenir trente vaisseaux de guerre, de
sorte qu’à peine les Anglais eurent vendu cette ville, qu’elle devint
l’objet de leur terreur.

(30 août 1663) Quelque temps après le roi força le duc de Lorraine à
lui donner la forte ville de Marsal. Ce malheureux Charles IV, guerrier
assez illustre, mais prince faible, inconstant, et imprudent, venait
de faire un traité par lequel il donnait la Lorraine à la France après
sa mort, à condition que le roi lui permettrait de lever un million
sur l’état qu’il abandonnait, et que les princes du sang de Lorraine
seraient réputés princes du sang de France. Ce traité, vainement
vérifié au parlement de Paris, ne servit qu’à produire de nouvelles
inconstances dans le duc de Lorraine; trop heureux ensuite de donner
Marsal, et de se remettre à la clémence du roi.

Louis augmentait ses états même pendant la paix, et se tenait toujours
prêt pour la guerre, fesant fortifier ses frontières, tenant ses
troupes dans la discipline, augmentant leur nombre, fesant des revues
fréquentes.

Les Turcs étaient alors très redoutables en Europe; ils attaquaient
à-la-fois l’empereur d’Allemagne et les Vénitiens. La politique des
rois de France a toujours été, depuis François Iᵉʳ, d’être alliés des
empereurs turcs; non seulement pour les avantages du commerce, mais
pour empêcher la maison d’Autriche de trop prévaloir. Cependant, un roi
chrétien ne pouvait refuser du secours à l’empereur, trop en danger;
et l’intérêt de la France était bien que les Turcs inquiétassent la
Hongrie, mais non pas qu’ils l’envahissent: enfin ses traités avec
l’empire lui fesaient un devoir de cette démarche honorable. Il
envoya donc six mille hommes en Hongrie, sous les ordres du comte de
Coligni[445], seul reste de la maison de ce Coligni, autrefois si
célèbre dans nos guerres civiles, et qui mérite peut-être une aussi
grande renommée que cet amiral, par son courage et par sa vertu.
L’amitié l’avait attaché au grand Condé, et toutes les offres du
cardinal Mazarin n’avaient jamais pu l’engager à manquer à son ami.
Il mena avec lui l’élite de la noblesse de France, et entre autres
le jeune La Feuillade, homme entreprenant et avide de gloire et de
fortune. (1664) Ces Français allèrent servir en Hongrie sous le
général Montecuculli, qui tenait tête alors au grand-vizir Kiuperli
ou Kouprogli, et qui depuis, en servant contre la France, balança la
réputation de Turenne. Il y eut un grand combat à Saint-Gothard, au
bord du Raab, entre les Turcs et l’armée de l’empereur. Les Français y
firent des prodiges de valeur; les Allemands mêmes, qui ne les aimaient
point, furent obligés de leur rendre justice; mais ce n’est pas la
rendre aux Allemands, de dire, comme on a fait dans tant de livres,
que les Français eurent seuls l’honneur de la victoire.

Le roi, en mettant sa grandeur à secourir ouvertement l’empereur, et à
donner de l’éclat aux armes françaises, mettait sa politique à soutenir
secrètement le Portugal contre l’Espagne. Le cardinal Mazarin avait
abandonné formellement les Portugais, par le traité des Pyrénées; mais
l’Espagnol avait fait plusieurs petites infractions tacites à la paix.
Le Français en fit une hardie et décisive: le maréchal de Schomberg,
étranger et huguenot, passa en Portugal avec quatre mille soldats
français, qu’il payait de l’argent de Louis XIV, et qu’il feignait de
soudoyer au nom du roi de Portugal. Ces quatre mille soldats français,
joints aux troupes portugaises, remportèrent à Villa-Viciosa (17 juin
1665) une victoire complète, qui affermit le trône dans la maison de
Bragance. Ainsi Louis XIV passait déjà pour un prince guerrier et
politique, et l’Europe le redoutait même avant qu’il eût encore fait la
guerre.

Ce fut par cette politique qu’il évita, malgré ses promesses, de
joindre le peu de vaisseaux qu’il avait alors aux flottes hollandaises.
Il s’était allié avec la Hollande en 1662. Cette république, environ
vers ce temps-là, recommença la guerre contre l’Angleterre, au sujet
du vain et bizarre honneur du pavillon, et des intérêts réels de son
commerce dans les Indes. Louis voyait avec plaisir ces deux puissances
maritimes mettre en mer tous les ans, l’une contre l’autre, des
flottes de plus de cent vaisseaux, et se détruire mutuellement par les
batailles les plus opiniâtres qui se soient jamais données, dont tout
le fruit était l’affaiblissement des deux partis. Il s’en donna une qui
dura trois jours entiers (11, 12, et 13 juin 1666). Ce fut dans ces
combats que le Hollandais Ruyter acquit la réputation du plus grand
homme de mer qu’on eût vu encore. Ce fut lui qui alla brûler les plus
beaux vaisseaux d’Angleterre jusque dans ses ports, à quatre lieues de
Londres. Il fit triompher la Hollande sur les mers, dont les Anglais
avaient toujours eu l’empire, et où Louis XIV n’était rien encore.

La domination de l’Océan était partagée, depuis quelque temps, entre
ces deux nations. L’art de construire les vaisseaux, et de s’en servir
pour le commerce et pour la guerre, n’était bien connu que d’elles.
La France, sous le ministère de Richelieu, se croyait puissante sur
mer, parceque d’environ soixante vaisseaux ronds que l’on comptait
dans ses ports, elle pouvait en mettre en mer environ trente, dont
un seul portait soixante et dix canons. Sous Mazarin, on acheta des
Hollandais le peu de vaisseaux que l’on avait. On manquait de matelots,
d’officiers, de manufactures pour la construction et pour l’équipement.
Le roi entreprit de réparer les ruines de la marine, et de donner à
la France tout ce qui lui manquait, avec une diligence incroyable:
mais, en 1664 et 1665, tandis que les Anglais et les Hollandais
couvraient l’Océan de près de trois cents gros vaisseaux de guerre,
il n’en avait encore que quinze ou seize du dernier rang, que le duc
de Beaufort occupait contre les pirates de Barbarie; et lorsque les
états généraux pressèrent Louis XIV de joindre sa flotte à la leur,
il ne se trouva dans le port de Brest qu’un seul brûlot, qu’on eut
honte de faire partir, et qu’il fallut pourtant leur envoyer sur leurs
instances réitérées. Ce fut une honte que Louis XIV s’empressa bien
vite d’effacer.

(1665) Il donna aux états un secours de ses forces de terre plus
essentiel et plus honorable. Il leur envoya six mille Français pour
les défendre contre l’évêque de Munster, Christophe-Bernard Van-Galen,
prélat guerrier et ennemi implacable, soudoyé par l’Angleterre pour
désoler la Hollande; mais il leur fit payer chèrement ce secours,
et les traita comme un homme puissant qui vend sa protection à des
marchands opulents. Colbert mit sur leur compte non seulement la
solde de ses troupes, mais jusqu’aux frais d’une ambassade envoyée en
Angleterre pour conclure leur paix avec Charles II. Jamais secours ne
fut donné de si mauvaise grace, ni reçu avec moins de reconnaissance.

Le roi ayant ainsi aguerri ses troupes, et formé de nouveaux officiers
en Hongrie, en Hollande, en Portugal, respecté et vengé dans Rome, ne
voyait pas un seul potentat qu’il dût craindre. L’Angleterre ravagée
par la peste; Londres réduite en cendres par un incendie[446] attribué
injustement aux catholiques; la prodigalité et l’indigence continuelle
de Charles II, aussi dangereuse pour ses affaires que la contagion
et l’incendie, mettaient la France en sûreté du côté des Anglais.
L’empereur réparait à peine l’épuisement d’une guerre contre les
Turcs. Le roi d’Espagne, Philippe IV, mourant, et sa monarchie aussi
faible que lui, laissaient Louis XIV le seul puissant et le seul
redoutable. Il était jeune, riche, bien servi, obéi aveuglément, et
marquait l’impatience de se signaler, et d’être conquérant.



CHAPITRE VIII.

Conquête de la Flandre.


L’occasion se présenta bientôt à un roi qui la cherchait. Philippe IV,
son beau-père, mourut (1665): il avait eu de sa première femme, sœur de
Louis XIII, cette princesse Marie-Thérèse, mariée à son cousin Louis
XIV; mariage par lequel la monarchie espagnole est enfin tombée dans
la maison de Bourbon, si long-temps son ennemie. De son second mariage
avec Marie-Anne d’Autriche était né Charles II, enfant faible et
malsain, héritier de sa couronne, et seul reste de trois enfants mâles,
dont deux étaient morts en bas âge. Louis XIV prétendit que la Flandre,
le Brabant, et la Franche-Comté, provinces du royaume d’Espagne,
devaient, selon la jurisprudence de ces provinces, revenir à sa femme,
malgré sa renonciation. Si les causes des rois pouvaient se juger par
les lois des nations à un tribunal désintéressé, l’affaire eût été un
peu douteuse.

Louis fit examiner ses droits par son conseil, et par des théologiens,
qui les jugèrent incontestables; mais le conseil et le confesseur de
la veuve de Philippe IV les trouvaient bien mauvais. Elle avait pour
elle une puissante raison, la loi expresse de Charles-Quint; mais les
lois de Charles-Quint n’étaient guère suivies par la cour de France.

Un des prétextes que prenait le conseil du roi était que les cinq cent
mille écus donnés en dot à sa femme n’avaient point été payés; mais
on oubliait que la dot de la fille de Henri IV ne l’avait pas été
davantage. La France et l’Espagne combattirent d’abord par des écrits,
où l’on étala des calculs de banquier et des raisons d’avocat; mais
la seule raison d’état était écoutée. Cette raison d’état fut bien
extraordinaire. Louis XIV allait attaquer un enfant dont il devait être
naturellement le protecteur, puisqu’il avait épousé la sœur de cet
enfant. Comment pouvait-il croire que l’empereur Léopold, regardé comme
le chef de la maison d’Autriche, le laisserait opprimer cette maison,
et s’agrandir dans la Flandre? Qui croirait que l’empereur et le roi
de France eussent déjà partagé en idée les dépouilles du jeune Charles
d’Autriche, roi d’Espagne? On trouve quelques traces de cette triste
vérité dans les Mémoires du marquis de Torci[447]; mais elles sont peu
démêlées. Le temps a enfin dévoilé ce mystère, qui prouve qu’entre les
rois la convenance et le droit du plus fort tiennent lieu de justice,
surtout quand cette justice semble douteuse.

Tous les frères de Charles II, roi d’Espagne, étaient morts. Charles
était d’une complexion faible et malsaine. Louis XIV et Léopold
firent, dans son enfance, à peu près le même traité de partage qu’ils
entamèrent depuis à sa mort. Par ce traité, qui est actuellement dans
le dépôt du Louvre, Léopold devait laisser Louis XIV se mettre déjà en
possession de la Flandre, à condition qu’à la mort de Charles l’Espagne
passerait sous la domination de l’empereur. Il n’est pas dit s’il
en coûta de l’argent pour cette étrange négociation. D’ordinaire ce
principal article de tant de traités demeure secret.

Léopold n’eut pas sitôt signé l’acte qu’il s’en repentit: il exigea
au moins qu’aucune cour n’en eût connaissance; qu’on n’en fît point
une double copie selon l’usage; et que le seul instrument qui devait
subsister fût enfermé dans une cassette de métal, dont l’empereur
aurait une clef et le roi de France l’autre. Cette cassette dut être
déposée entre les mains du grand-duc de Florence. L’empereur la remit
pour cet effet entre les mains de l’ambassadeur de France à Vienne, et
le roi envoya seize de ses gardes-du-corps aux portes de Vienne pour
accompagner le courrier, de peur que l’empereur ne changeât d’avis et
ne fît enlever la cassette sur la route. Elle fut portée à Versailles,
et non à Florence; ce qui laisse soupçonner que Léopold avait reçu de
l’argent, puisqu’il n’osa se plaindre.

Voilà comment l’empereur laissa dépouiller le roi d’Espagne.

Le roi, comptant encore plus sur ses forces que sur ses raisons,
marcha en Flandre à des conquêtes assurées. (1667) Il était à la tête
de trente-cinq mille hommes; un autre corps de huit mille fut envoyé
vers Dunkerque; un de quatre mille vers Luxembourg. Turenne était sous
lui le général de cette armée. Colbert avait multiplié les ressources
de l’état pour fournir à ces dépenses. Louvois, nouveau ministre de
la guerre, avait fait des préparatifs immenses pour la campagne. Des
magasins de toute espèce étaient distribués sur la frontière. Il
introduisit le premier cette méthode avantageuse, que la faiblesse du
gouvernement avait jusqu’alors rendue impraticable, de faire subsister
les armées par magasins; quelque siége que le roi voulût faire, de
quelque côté qu’il tournât ses armes, les secours en tout genre étaient
prêts, les logements des troupes marqués, leurs marches réglées.
La discipline, rendue plus sévère de jour en jour par l’austérité
inflexible du ministre, enchaînait tous les officiers à leur devoir. La
présence d’un jeune roi, l’idole de son armée, leur rendait la dureté
de ce devoir aisée et chère. Le grade militaire commença dès-lors à
être un droit beaucoup au-dessus de celui de la naissance. Les services
et non les aïeux furent comptés, ce qui ne s’était guère vu encore:
par là l’officier de la plus médiocre naissance fut encouragé, sans
que ceux de la plus haute eussent à se plaindre. L’infanterie, sur qui
tombait tout le poids de la guerre, depuis l’inutilité reconnue des
lances, partagea les récompenses dont la cavalerie était en possession.
Les maximes nouvelles dans le gouvernement inspiraient un nouveau
courage.

Le roi, entre un chef et un ministre également habiles, tous deux
jaloux l’un de l’autre, et cependant ne l’en servant que mieux, suivi
des meilleures troupes de l’Europe, enfin, ligué de nouveau avec le
Portugal, attaquait avec tous ses avantages une province mal défendue
d’un royaume ruiné et déchiré. Il n’avait à faire qu’à sa belle-mère,
femme faible, gouvernée par un jésuite, dont l’administration méprisée
et malheureuse laissait la monarchie espagnole sans défense. Le roi de
France avait tout ce qui manquait à l’Espagne.

L’art d’attaquer les places n’était pas encore perfectionné comme
aujourd’hui, parceque celui de les bien fortifier et de les bien
défendre était plus ignoré. Les frontières de la Flandre espagnole
étaient presque sans fortifications et sans garnisons.

Louis n’eut qu’à se présenter devant elles. (Juin 1667) Il entra dans
Charleroi comme dans Paris; Ath, Tournai, furent prises en deux jours;
Furnes, Armentières, Courtrai, ne tinrent pas davantage. Il descendit
dans la tranchée devant Douai, qui se rendit le lendemain (6 juillet).
Lille, la plus florissante ville de ces pays, la seule bien fortifiée,
et qui avait une garnison de six mille hommes, capitula (27 août) après
neuf jours de siége. Les Espagnols n’avaient que huit mille hommes à
opposer à l’armée victorieuse; encore l’arrière-garde de cette petite
armée fut-elle taillée en pièces (31 août) par le marquis depuis
maréchal de Créqui. Le reste se cacha sous Bruxelles et sous Mons,
laissant le roi vaincre sans combattre.

Cette campagne, faite au milieu de la plus grande abondance, parmi
des succès si faciles, parut le voyage d’une cour. La bonne chère, le
luxe, et les plaisirs, s’introduisirent alors dans les armées, dans
le temps même que la discipline s’affermissait. Les officiers fesaient
le devoir militaire beaucoup plus exactement, mais avec des commodités
plus recherchées. Le maréchal de Turenne n’avait eu long-temps que des
assiettes de fer en campagne. Le marquis d’Humières fut le premier, au
siége d’Arras[448], en 1658, qui se fit servir en vaisselle d’argent
à la tranchée, et qui y fit manger des ragoûts et des entremets. Mais
dans cette campagne de 1667, où un jeune roi, aimant la magnificence,
étalait celle de sa cour dans les fatigues de la guerre, tout le monde
se piqua de somptuosité et de goût dans la bonne chère, dans les
habits, dans les équipages. Ce luxe, la marque certaine de la richesse
d’un grand état, et souvent la cause de la décadence d’un petit, était
cependant encore très peu de chose auprès de celui qu’on a vu depuis.
Le roi, ses généraux, et ses ministres, allaient au rendez-vous de
l’armée à cheval; au lieu qu’aujourd’hui il n’y a point de capitaine
de cavalerie, ni de secrétaire d’un officier général qui ne fasse
ce voyage en chaise de poste avec des glaces et des ressorts, plus
commodément et plus tranquillement qu’on ne fesait alors une visite
dans Paris d’un quartier à un autre.

La délicatesse des officiers ne les empêchait point alors d’aller à
la tranchée avec le pot en tête et la cuirasse sur le dos. Le roi en
donnait l’exemple: il alla ainsi à la tranchée devant Douai et devant
Lille. Cette conduite sage conserva plus d’un grand homme. Elle a
été trop négligée depuis par des jeunes gens peu robustes, pleins de
valeur, mais de mollesse, et qui semblent plus craindre la fatigue que
le danger.

La rapidité de ces conquêtes remplit d’alarmes Bruxelles; les citoyens
transportaient déjà leurs effets dans Anvers. La conquête de la Flandre
entière pouvait être l’ouvrage d’une campagne. Il ne manquait au
roi que des troupes assez nombreuses pour garder les places, prêtes
à s’ouvrir à ses armes. Louvois lui conseilla de mettre de grosses
garnisons dans les villes prises, et de les fortifier. Vauban, l’un de
ces grands hommes et de ces génies qui parurent dans ce siècle pour
le service de Louis XIV, fut chargé de ces fortifications. Il les fit
suivant sa nouvelle méthode, devenue aujourd’hui la règle de tous les
bons ingénieurs. On fut étonné de ne plus voir les places revêtues
que d’ouvrages presque au niveau de la campagne. Les fortifications
hautes et menaçantes n’en étaient que plus exposées à être foudroyées
par l’artillerie: plus il les rendit rasantes, moins elles étaient en
prise. Il construisit la citadelle de Lille sur ces principes (1668).
On n’avait point encore en France détaché le gouvernement d’une ville
de celui de la forteresse. L’exemple commença en faveur de Vauban; il
fut le premier gouverneur d’une citadelle. On peut encore observer
que le premier de ces plans en relief qu’on voit dans la galerie du
Louvre[449] fut celui des fortifications de Lille.

Le roi se hâta de venir jouir des acclamations des peuples, des
adorations de ses courtisans et de ses maîtresses, et des fêtes qu’il
donna à sa cour.



CHAPITRE IX.

Conquête de la Franche-Comté. Paix d’Aix-la-Chapelle.


(1668) On était plongé dans les divertissements à Saint-Germain,
lorsqu’au cœur de l’hiver, au mois de janvier, on fut étonné de voir
des troupes marcher de tous côtés, aller et revenir sur les chemins
de la Champagne, dans les Trois-Évêchés: des trains d’artillerie,
des chariots de munitions, s’arrêtaient, sous divers prétextes, dans
la route qui mène de Champagne en Bourgogne. Cette partie de la
France était remplie de mouvements dont on ignorait la cause. Les
étrangers par intérêt, et les courtisans par curiosité, s’épuisaient
en conjectures: l’Allemagne était alarmée: l’objet de ces préparatifs
et de ces marches irrégulières était inconnu à tout le monde. Le
secret dans les conspirations n’a jamais été mieux gardé qu’il le fut
dans cette entreprise de Louis XIV. Enfin le 2 de février il part de
Saint-Germain avec le jeune duc d’Enghien, fils du grand Condé, et
quelques courtisans: les autres officiers étaient au rendez-vous des
troupes. Il va à cheval à grandes journées, et arrive à Dijon. Vingt
mille hommes assemblés de vingt routes différentes se trouvent le même
jour en Franche-Comté, à quelques lieues de Besançon, et le grand
Condé paraît à leur tête, ayant pour son principal lieutenant-général
Montmorenci-Boutteville, son ami, devenu duc de Luxembourg, toujours
attaché à lui dans la bonne et dans la mauvaise fortune. Luxembourg
était l’élève de Condé dans l’art de la guerre; et il obligea, à force
de mérite, le roi, qui ne l’aimait pas, à l’employer.

Des intrigues eurent part à cette entreprise imprévue: le prince de
Condé était jaloux de la gloire de Turenne, et Louvois de sa faveur
auprès du roi; Condé était jaloux en héros, et Louvois en ministre.
Le prince, gouverneur de la Bourgogne, qui touche à la Franche-Comté,
avait formé le dessein de s’en rendre maître en hiver, en moins de
temps que Turenne n’en avait mis l’été précédent à conquérir la Flandre
française. Il communiqua d’abord son projet à Louvois, qui l’embrassa
avidement, pour éloigner et rendre inutile Turenne, et pour servir en
même temps son maître.

Cette province, assez pauvre alors en argent, mais très fertile,
bien peuplée, étendue en long de quarante lieues et large de vingt,
avait le nom de Franche[450], et l’était en effet. Les rois d’Espagne
en étaient plutôt les protecteurs que les maîtres. Quoique ce pays
fût du gouvernement de la Flandre, il n’en dépendait que peu. Toute
l’administration était partagée et disputée entre le parlement et
le gouverneur de la Franche-Comté. Le peuple jouissait de grands
priviléges, toujours respectés par la cour de Madrid, qui ménageait
une province jalouse de ses droits, et voisine de la France. Besançon
même se gouvernait comme une ville impériale. Jamais peuple ne vécut
sous une administration plus douce, et ne fut si attaché à ses
souverains. Leur amour pour la maison d’Autriche s’est conservé pendant
deux générations; mais cet amour était, au fond, celui de leur liberté.
Enfin la Franche-Comté était heureuse, mais pauvre, et puisqu’elle
était une espèce de république, il y avait des factions. Quoi qu’en
dise Pellisson, on ne se borna pas à employer la force.

On gagna d’abord quelques citoyens par des présents et des espérances.
On s’assura l’abbé Jean de Vatteville, frère de celui qui, ayant
insulté à Londres l’ambassadeur de France, avait procuré, par cet
outrage, l’humiliation de la branche d’Autriche espagnole. Cet abbé,
autrefois officier, puis chartreux, puis long-temps musulman chez les
Turcs, et enfin ecclésiastique, eut parole d’être grand doyen, et
d’avoir d’autres bénéfices. On acheta peu cher quelques magistrats,
quelques officiers; et à la fin même, le marquis d’Yenne, gouverneur
général, devint si traitable, qu’il accepta publiquement, après la
guerre, une grosse pension et le grade de lieutenant-général en France.
Ces intrigues secrètes, à peine commencées, furent soutenues par vingt
mille hommes. Besançon, la capitale de la province, est investie par
le prince de Condé, Luxembourg court à Salins: le lendemain Besançon
et Salins se rendirent. Besançon ne demanda pour capitulation que la
conservation d’un saint-suaire fort révéré dans cette ville; ce qu’on
lui accorda très aisément. Le roi arrivait à Dijon. Louvois, qui
avait volé sur la frontière pour diriger toutes ces marches, vient lui
apprendre que ces deux villes sont assiégées et prises. Le roi courut
aussitôt se montrer à la fortune qui fesait tout pour lui.

Il alla assiéger Dôle en personne. Cette place était réputée forte;
elle avait pour commandant le comte de Montrevel, homme d’un grand
courage, fidèle par grandeur d’ame aux Espagnols qu’il haïssait, et
au parlement qu’il méprisait. Il n’avait pour garnison que quatre
cents soldats et les citoyens, et il osa se défendre. La tranchée ne
fut point poussée dans les formes. A peine l’eut-on ouverte, qu’une
foule de jeunes volontaires, qui suivaient le roi, courut attaquer
la contrescarpe, et s’y logea: le prince de Condé, à qui l’âge et
l’expérience avaient donné un courage tranquille, les fit soutenir
à propos, et partagea leur péril pour les en tirer. Ce prince était
partout avec son fils, et venait ensuite rendre compte de tout au
roi, comme un officier qui aurait eu sa fortune à faire. Le roi,
dans son quartier, montrait plutôt la dignité d’un monarque dans sa
cour, qu’une ardeur impétueuse qui n’était pas nécessaire. Tout le
cérémonial de Saint-Germain était observé. Il avait son petit coucher,
ses grandes, ses petites entrées, une salle des audiences dans sa
tente. Il ne tempérait le faste du trône qu’en fesant manger à sa
table ses officiers généraux et ses aides de camp. On ne lui voyait
point, dans les travaux de la guerre, ce courage emporté de François
Iᵉʳ et de Henri IV, qui cherchaient toutes les espèces de danger. Il
se contentait de ne les pas craindre, et d’engager tout le monde à
s’y précipiter pour lui avec ardeur. Il entra dans Dôle (14 février
1668) au bout de quatre jours de siége, douze jours après son départ
de Saint-Germain; et enfin, en moins de trois semaines toute la
Franche-Comté lui fut soumise. Le conseil d’Espagne, étonné et indigné
du peu de résistance, écrivit au gouverneur «que le roi de France
aurait dû envoyer ses laquais prendre possession de ce pays, au lieu
d’y aller en personne.»

Tant de fortune et tant d’ambition réveillèrent l’Europe assoupie;
l’empire commença à se remuer, et l’empereur à lever des troupes. Les
Suisses, voisins des Francs-Comtois, et qui n’avaient guère alors
d’autre bien que leur liberté, tremblèrent pour elle. Le reste de la
Flandre pouvait être envahi au printemps prochain. Les Hollandais,
à qui il avait toujours importé d’avoir les Français pour amis,
frémissaient de les avoir pour voisins. L’Espagne alors eut recours à
ces mêmes Hollandais, et fut en effet protégée par cette petite nation,
qui ne lui paraissait auparavant que méprisable et rebelle.

La Hollande était gouvernée par Jean de Witt, qui dès l’âge de
vingt-huit ans avait été élu grand pensionnaire, homme amoureux de la
liberté de son pays, autant que de sa grandeur personnelle: assujetti
à la frugalité et à la modestie de sa république, il n’avait qu’un
laquais et une servante, et allait à pied dans La Haye, tandis que dans
les négociations de l’Europe son nom était compté avec les noms des
plus puissants rois: homme infatigable dans le travail, plein d’ordre,
de sagesse, d’industrie dans les affaires, excellent citoyen, grand
politique, et qui, cependant, fut depuis très malheureux[451].

Il avait contracté avec le chevalier Temple, ambassadeur d’Angleterre
à La Haye, une amitié bien rare entre des ministres. Temple était un
philosophe qui joignait les lettres aux affaires; homme de bien, malgré
les reproches que l’évêque Burnet lui a faits d’athéisme; né avec le
génie d’un sage républicain, aimant la Hollande comme son propre pays,
parcequ’elle était libre, et aussi jaloux de cette liberté que le grand
pensionnaire lui-même. Ces deux citoyens s’unirent avec le comte de
Dhona, ambassadeur de Suède, pour arrêter les progrès du roi de France.

Ce temps était marqué pour les événements rapides. La Flandre,
qu’on nomme Flandre française, avait été prise en trois mois; la
Franche-Comté en trois semaines. Le traité entre la Hollande,
l’Angleterre, et la Suède, pour tenir la balance de l’Europe et
réprimer l’ambition de Louis XIV, fut proposé et conclu en cinq jours.
Le conseil de l’empereur Léopold n’osa entrer dans cette intrigue. Il
était lié par le traité secret qu’il avait signé avec le roi de France
pour dépouiller le jeune roi d’Espagne. Il encourageait secrètement
l’union de l’Angleterre, de la Suède, et de la Hollande; mais il ne
prenait aucunes mesures ouvertes.

Louis XIV fut indigné qu’un petit état tel que la Hollande conçût
l’idée de borner ses conquêtes, et d’être l’arbitre des rois, et plus
encore qu’elle en fût capable. Cette entreprise des Provinces-Unies
lui fut un outrage sensible qu’il fallut dévorer, et dont il médita
dès-lors la vengeance.

Tout ambitieux, tout puissant, et tout irrité qu’il était, il détourna
l’orage qui allait s’élever de tous les côtés de l’Europe. Il proposa
lui-même la paix. La France et l’Espagne choisirent Aix-la-Chapelle
pour le lieu des conférences, et le nouveau pape Rospigliosi, Clément
IX, pour médiateur.

La cour de Rome, pour décorer sa faiblesse d’un crédit apparent,
rechercha par toutes sortes de moyens l’honneur d’être l’arbitre entre
les couronnes. Elle n’avait pu l’obtenir au traité des Pyrénées: elle
parut l’avoir au moins à la paix d’Aix-la-Chapelle. Un nonce fut
envoyé à ce congrès pour être un fantôme d’arbitre entre des fantômes
de plénipotentiaires. Les Hollandais, déjà jaloux de la gloire, ne
voulurent point partager celle de conclure ce qu’ils avaient commencé.
Tout se traitait en effet à Saint-Germain, par le ministère de leur
ambassadeur Van-Beuning. Ce qui avait été accordé en secret par lui
était envoyé à Aix-la-Chapelle, pour être signé avec appareil par les
ministres assemblés au congrès. Qui eût dit trente ans auparavant qu’un
bourgeois de Hollande obligerait la France et l’Espagne à recevoir sa
médiation?

Ce Van-Beuning, échevin d’Amsterdam, avait la vivacité d’un Français
et la fierté d’un Espagnol. Il se plaisait à choquer, dans toutes les
occasions, la hauteur impérieuse du roi, et apposait une inflexibilité
républicaine au ton de supériorité que les ministres de France
commençaient à prendre. «Ne vous fiez-vous pas à la parole du roi?»
lui disait M. de Lyonne dans une conférence. «J’ignore ce que veut le
roi, dit Van-Beuning, je considère ce qu’il peut.» Enfin, à la cour du
plus superbe monarque du monde, un bourgmestre conclut avec autorité
(2 mai 1668) une paix par laquelle le roi fut obligé de rendre la
Franche-Comté. Les Hollandais eussent bien mieux aimé qu’il eût rendu
la Flandre, et être délivrés d’un voisin si redoutable: mais toutes
les nations trouvèrent que le roi marquait assez de modération en se
privant de la Franche-Comté. Cependant il gagnait davantage en retenant
les villes de Flandre, et il s’ouvrait les portes de la Hollande, qu’il
songeait à détruire dans le temps qu’il lui cédait.



CHAPITRE X.

    Travaux et magnificence de Louis XIV. Aventure singulière en
    Portugal. Casimir en France. Secours en Candie. Conquête de la
    Hollande.


Louis XIV, forcé de rester quelque temps en paix, continua, comme il
avait commencé, à régler, à fortifier, et embellir son royaume. Il fit
voir qu’un roi absolu, qui veut le bien, vient à bout de tout sans
peine. Il n’avait qu’à commander, et les succès dans l’administration
étaient aussi rapides que l’avaient été ses conquêtes. C’était une
chose véritablement admirable de voir les ports de mer, auparavant
déserts, ruinés, maintenant entourés d’ouvrages qui fesaient leur
ornement et leur défense, couverts de navires et de matelots, et
contenant déjà près de soixante grands vaisseaux qu’il pouvait armer en
guerre. De nouvelles colonies, protégées par son pavillon, partaient
de tous cotés pour l’Amérique, pour les Indes orientales, pour les
côtes de l’Afrique. Cependant en France, et sous ses yeux, des édifices
immenses occupaient des milliers d’hommes, avec tous les arts que
l’architecture entraîne après elle; et dans l’intérieur de sa cour et
de sa capitale, des arts plus nobles et plus ingénieux donnaient à la
France des plaisirs et une gloire dont les siècles précédents n’avaient
pas eu même l’idée. Les lettres florissaient; le bon goût et la raison
pénétraient dans les écoles de la barbarie. Tous ces détails de la
gloire et de la félicité de la nation trouveront leur véritable place
dans cette histoire[452]; il ne s’agit ici que des affaires générales
et militaires.

Le Portugal donnait en ce temps un spectacle étrange à l’Europe. Dom
Alfonse, fils indigne de l’heureux dom Jean de Bragance, y régnait: il
était furieux et imbécile. Sa femme, fille du duc de Nemours, amoureuse
de dom Pèdre, frère d’Alfonse, osa concevoir le projet de détrôner
son mari, et d’épouser son amant. L’abrutissement du mari justifia
l’audace de la reine. Il était d’une force de corps au-dessus de
l’ordinaire; il avait eu publiquement d’une courtisane un enfant qu’il
avait reconnu: enfin, il avait couché très long-temps avec la reine.
Malgré tout cela, elle l’accusa d’impuissance; et ayant acquis dans le
royaume, par son habileté, l’autorité que son mari avait perdue par
ses fureurs, elle le fit enfermer (novembre 1667). Elle obtint bientôt
de Rome une bulle pour épouser son beau-frère. Il n’est pas étonnant
que Rome ait accordé cette bulle; mais il l’est que des personnes
toutes puissantes en aient besoin. Ce que Jules II avait accordé sans
difficulté au roi d’Angleterre Henri VIII[453], Clément IX l’accorda
à l’épouse d’un roi de Portugal. La plus petite intrigue fait dans un
temps ce que les plus grands ressorts ne peuvent opérer dans un autre.
Il y a toujours deux poids et deux mesures pour tous les droits des
rois et des peuples; et ces deux mesures étaient au Vatican depuis que
les papes influèrent sur les affaires de l’Europe. Il serait impossible
de comprendre comment tant de nations avaient laissé une si étrange
autorité au pontife de Rome, si l’on ne savait combien l’usage a de
force.

Cet événement, qui ne fut une révolution que dans la famille royale, et
non dans le royaume de Portugal, n’ayant rien changé aux affaires de
l’Europe, ne mérite d’attention que par sa singularité.

La France reçut bientôt après un roi qui descendait du trône d’une
autre manière. (1668) Jean-Casimir, roi de Pologne, renouvela l’exemple
de la reine Christine. Fatigué des embarras du gouvernement, et
voulant vivre heureux, il choisit sa retraite à Paris dans l’abbaye de
Saint-Germain dont il fut abbé. Paris, devenu depuis quelques années
le séjour de tous les arts, était une demeure délicieuse pour un roi
qui cherchait les douceurs de la société, et qui aimait les lettres. Il
avait été jésuite et cardinal avant d’être roi; et dégoûté également de
la royauté et de l’église, il ne cherchait qu’à vivre en particulier et
en sage, et ne voulut jamais souffrir qu’on lui donnât à Paris le titre
de majesté[454].

Mais une affaire plus intéressante tenait tous les princes chrétiens
attentifs.

Les Turcs, moins formidables à la vérité, que du temps des Mahomet, des
Sélim, et des Soliman, mais dangereux encore et forts de nos divisions,
après avoir bloqué Candie pendant huit années, l’assiégeaient
régulièrement avec toutes les forces de leur empire. On ne sait
s’il était plus étonnant que les Vénitiens se fussent défendus si
long-temps, ou que les rois de l’Europe les eussent abandonnés.

Les temps sont bien changés. Autrefois, lorsque l’Europe chrétienne
était barbare, un pape, ou même un moine, envoyait des millions
de chrétiens combattre les mahométans dans leur empire: nos états
s’épuisaient d’hommes et d’argent pour aller conquérir la misérable et
stérile province de Judée; et maintenant que l’île de Candie, réputée
le boulevard de la chrétienté, était inondée de soixante mille Turcs,
les rois chrétiens regardaient cette perte avec indifférence. Quelques
galères de Malte et du pape étaient le seul secours qui défendait
cette république contre l’empire ottoman. Le sénat de Venise, aussi
impuissant que sage, ne pouvait, avec ses soldats mercenaires et des
secours si faibles, résister au grand-vizir Kiuperli, bon ministre,
meilleur général, maître de l’empire de la Turquie, suivi de troupes
formidables, et qui même avait de bons ingénieurs.

Le roi donna inutilement aux autres princes l’exemple de secourir
Candie. Ses galères, et les vaisseaux nouvellement construits dans le
port de Toulon, y portèrent sept mille hommes commandés par le duc de
Beaufort: secours devenu trop faible dans un si grand danger, parceque
la générosité française ne fut imitée de personne.

La Feuillade, simple gentilhomme français, fit une action qui n’avait
d’exemple que dans les anciens temps de la chevalerie. Il mena près
de trois cents gentilshommes à Candie à ses dépens, quoiqu’il ne fût
pas riche. Si quelque autre nation avait fait pour les Vénitiens
à proportion de La Feuillade, il est à croire que Candie eût été
délivrée. Ce secours ne servit qu’à retarder la prise de quelques
jours, et à verser du sang inutilement. Le duc de Beaufort périt dans
une sortie[455], et Kiuperli entra enfin par capitulation dans cette
ville, qui n’était plus qu’un monceau de ruines (16 septembre 1669).

Les Turcs, dans ce siége, s’étaient montrés supérieurs aux chrétiens,
même dans la connaissance de l’art militaire. Les plus gros canons
qu’on eût vus encore en Europe furent fondus dans leur camp. Ils
firent, pour la première fois, des lignes parallèles dans les
tranchées. C’est d’eux que nous avons pris cet usage; mais ils ne le
tinrent que d’un ingénieur italien. Il est certain que des vainqueurs
tels que les Turcs, avec de l’expérience, du courage, des richesses,
et cette constance dans le travail qui fesait alors leur caractère,
devaient conquérir l’Italie et prendre Rome en bien peu de temps: mais
les lâches empereurs qu’ils ont eus depuis, leurs mauvais généraux, et
le vice de leur gouvernement, ont été le salut de la chrétienté.

Le roi, peu touché de ces événements éloignés, laissait mûrir son
grand dessein de conquérir tous les Pays-Bas, et de commencer par la
Hollande. L’occasion devenait tous les jours plus favorable. Cette
petite république dominait sur les mers: mais sur la terre rien n’était
plus faible. Liée avec l’Espagne et avec l’Angleterre, en paix avec
la France, elle se reposait avec trop de sécurité sur les traités et
sur les avantages d’un commerce immense. Autant que ses armées navales
étaient disciplinées et invincibles, autant ses troupes de terre
étaient mal tenues et méprisables. Leur cavalerie n’était composée
que de bourgeois, qui ne sortaient jamais de leurs maisons, et qui
payaient des gens de la lie du peuple pour faire le service en leur
place. L’infanterie était à peu près sur le même pied; les officiers,
les commandants même des places de guerre, étaient les enfants ou
les parents des bourgmestres, nourris dans l’inexpérience et dans
l’oisiveté, regardant leurs emplois comme des prêtres regardent leurs
bénéfices. Le pensionnaire Jean de Witt avait voulu corriger cet abus,
mais il ne l’avait pas assez voulu, et ce fut une des grandes fautes de
ce républicain.

(1670). Il fallait d’abord détacher l’Angleterre de la Hollande. Cet
appui venant à manquer aux Provinces-Unies, leur ruine paraissait
inévitable. Il ne fut pas difficile à Louis XIV d’engager Charles
dans ses desseins. Le monarque anglais n’était pas, à la vérité, fort
sensible à la honte que son règne et sa nation avaient reçue, lorsque
ses vaisseaux furent brûlés jusque dans la rivière de la Tamise par la
flotte hollandaise. Il ne respirait ni la vengeance ni les conquêtes.
Il voulait vivre dans les plaisirs, et régner avec un pouvoir moins
gêné; c’est par là qu’on le pouvait séduire. Louis, qui n’avait qu’à
parler alors pour avoir de l’argent, en promit beaucoup au roi Charles,
qui n’en pouvait avoir sans son parlement. Cette liaison secrète entre
les deux rois ne fut confiée en France qu’à Madame, sœur de Charles II
et épouse de Monsieur, frère unique du roi, à Turenne, et à Louvois.

(Mai 1670) Une princesse de vingt-six ans fut le plénipotentiaire qui
devait consommer ce traité avec le roi Charles. On prit pour prétexte
du passage de Madame en Angleterre, un voyage que le roi voulut faire
dans ses conquêtes nouvelles vers Dunkerque et vers Lille. La pompe et
la grandeur des anciens rois de l’Asie n’approchaient pas de l’éclat
de ce voyage. Trente mille hommes précédèrent ou suivirent la marche
du roi; les uns destinés à renforcer les garnisons des pays conquis,
les autres à travailler aux fortifications, quelques-uns à aplanir
les chemins. Le roi menait avec lui la reine sa femme, toutes les
princesses, et les plus belles femmes de sa cour. Madame brillait au
milieu d’elles, et goûtait dans le fond de son cœur le plaisir et la
gloire de tout cet appareil, qui couvrait son voyage. Ce fut une fête
continuelle depuis Saint-Germain jusqu’à Lille.

Le roi, qui voulait gagner les cœurs de ses nouveaux sujets, et éblouir
ses voisins, répandait partout ses libéralités avec profusion; l’or et
les pierreries étaient prodigués à quiconque avait le moindre prétexte
pour lui parler. La princesse Henriette s’embarqua à Calais, pour voir
son frère qui s’était avancé jusqu’à Cantorbéry. Charles, séduit par
son amitié pour sa sœur et par l’argent de la France, signa tout ce que
Louis XIV voulait, et prépara la ruine de la Hollande au milieu des
plaisirs et des fêtes.

La perte de Madame, morte à son retour d’une manière soudaine et
affreuse, jeta des soupçons injustes sur Monsieur[456], et ne changea
rien aux résolutions des deux rois[457]. Les dépouilles de la
république, qu’on devait détruire, étaient déjà partagées par le traité
secret entre les cours de France et d’Angleterre, comme en 1635 on
avait partagé la Flandre avec les Hollandais. Ainsi on change de vues,
d’alliés et d’ennemis, et on est souvent trompé dans tous ses projets.
Les bruits de cette entreprise prochaine commençaient à se répandre;
mais l’Europe les écoutait en silence. L’empereur, occupé des séditions
de la Hongrie; la Suède, endormie par des négociations; l’Espagne,
toujours faible, toujours irrésolue, et toujours lente, laissaient une
libre carrière à l’ambition de Louis XIV.

La Hollande, pour comble de malheur, était divisée en deux factions:
l’une, des républicains rigides à qui toute ombre d’autorité despotique
semblait un monstre contraire aux lois de l’humanité; l’autre, des
républicains mitigés, qui voulaient établir dans les charges de ses
ancêtres le jeune prince d’Orange, si célèbre depuis sous le nom de
Guillaume III. Le grand pensionnaire Jean de Witt, et Corneille son
frère, étaient à la tête des partisans austères de la liberté: mais
le parti du jeune prince commençait à prévaloir. La république, plus
occupée de ses dissensions domestiques que de son danger, contribuait
elle-même à sa ruine.

Des mœurs étonnantes, introduites depuis plus de sept cents ans chez
les chrétiens, permettaient que des prêtres fussent seigneurs temporels
et guerriers. Louis soudoya l’archevêque de Cologne, Maximilien de
Bavière, et ce même Van-Galen, évêque de Munster, abbé de Corbie[458]
en Vestphalie, comme il soudoyait le roi d’Angleterre, Charles II. Il
avait précédemment secouru les Hollandais contre cet évêque[459], et
maintenant il le paie pour les écraser. C’était un homme singulier
que l’histoire ne doit point négliger de faire connaître. Fils d’un
meurtrier, et né dans la prison ou son père fut enfermé quatorze ans,
il était parvenu à l’évêché de Munster par des intrigues secondées de
la fortune. A peine élu évêque il avait voulu dépouiller la ville de
ses priviléges. Elle résista, il l’assiégea; il mit à feu et à sang
le pays qui l’avait choisi pour son pasteur. Il traita de même son
abbaye de Corbie. On le regardait comme un brigand à gages, qui tantôt
recevait de l’argent des Hollandais pour faire la guerre à ses voisins,
tantôt en recevait de la France contre la république.

La Suède n’attaqua pas les Provinces-Unies; mais elle les abandonna dès
qu’elle les vit menacées, et rentra dans ses anciennes liaisons avec la
France moyennant quelques subsides. Tout conspirait à la destruction de
la Hollande.

Il est singulier et digne de remarque que de tous les ennemis qui
allaient fondre sur ce petit état il n’y en eût pas un qui pût alléguer
un prétexte de guerre. C’était une entreprise à peu près semblable
à cette ligue de Louis XII, de l’empereur Maximilien, et du roi
d’Espagne, qui avaient autrefois conjuré la perte de la république de
Venise, parcequ’elle était riche et fière.

Les États-Généraux consternés écrivirent au roi, lui demandant
humblement si les grands préparatifs qu’il fesait étaient en effet
destinés contre eux, ses anciens et fidèles alliés? en quoi ils
l’avaient offensé? quelle réparation il exigeait? Il répondit «qu’il
ferait de ses troupes l’usage que demanderait sa dignité, dont il ne
devait compte à personne.» Ses ministres alléguaient pour toute raison
que le gazetier de Hollande avait été trop insolent, et qu’on disait
que Van-Beuning avait fait frapper une médaille injurieuse à Louis XIV.
Le goût des devises régnait alors en France. On avait donné à Louis
XIV la devise du soleil avec cette légende: _Nec pluribus impar_. On
prétendait que Van-Beuning s’était fait représenter avec un soleil, et
ces mots pour ame: IN CONSPECTU MEO STETIT SOL; _A mon
aspect le soleil s’est arrêté_[460]. Cette médaille n’exista jamais. Il
est vrai que les états avaient fait frapper une médaille, dans laquelle
ils avaient exprimé tout ce que la république avait fait de glorieux:
«Assertis legibus; emendatis sacris; adjutis, defensis, conciliatis
regibus; vindicata marium libertate; stabilita orbis Europæ quiete.»
«Les lois affermies; la religion épurée; les rois secourus, défendus,
et réunis; la liberté des mers vengée; l’Europe pacifiée.»

Ils ne se vantaient en effet de rien qu’ils n’eussent fait: cependant
ils firent briser le coin de cette médaille pour apaiser Louis XIV.

Le roi d’Angleterre, de son côté, leur reprochait que leur flotte
n’avait pas baissé son pavillon devant un bateau anglais, et alléguait
encore un certain tableau, où Corneille de Witt, frère du pensionnaire,
était peint avec les attributs d’un vainqueur. On voyait des vaisseaux
pris et brûlés dans le fond du tableau. Ce Corneille de Witt, qui
en effet avait eu beaucoup de part aux exploits maritimes contre
l’Angleterre, avait souffert ce faible monument de sa gloire; mais ce
tableau presque ignoré était dans une chambre où l’on n’entrait presque
jamais. Les ministres anglais qui mirent par écrit les griefs de leur
roi contre la Hollande, y spécifièrent des tableaux injurieux, _abusive
pictures_. Les états, qui traduisaient toujours les mémoires des
ministres en français, ayant traduit _abusive_ par le mot _fautifs_,
_trompeurs_, répondirent qu’ils ne savaient ce que c’était que ces
_tableaux trompeurs_. En effet, ils ne devinèrent jamais qu’il était
question de ce portrait d’un de leurs concitoyens, et ils ne purent
imaginer ce prétexte de la guerre.

Tout ce que les efforts de l’ambition et de la prudence humaine peuvent
préparer pour détruire une nation, Louis XIV l’avait fait. Il n’y a
pas chez les hommes d’exemple d’une petite entreprise formée avec des
préparatifs plus formidables. De tous les conquérants qui ont envahi
une partie du monde, il n’y en a pas un qui ait commencé ses conquêtes
avec autant de troupes réglées et autant d’argent que Louis en employa
pour subjuguer le petit état des Provinces-Unies. Cinquante millions,
qui en feraient aujourd’hui quatre-vingt-dix-sept, furent consommés à
cet appareil. Trente vaisseaux de cinquante pièces de canon joignirent
la flotte anglaise, forte de cent voiles. Le roi, avec son frère, alla
sur les frontières de la Flandre espagnole et de la Hollande, vers
Mastricht et Charleroi, avec plus de cent douze mille hommes. L’évêque
de Munster et l’électeur de Cologne en avaient environ vingt mille.
Les généraux de l’armée du roi étaient Condé et Turenne. Luxembourg
commandait sous eux. Vauban devait conduire les siéges. Louvois était
partout avec sa vigilance ordinaire. Jamais on n’avait vu une armée
si magnifique, et en même temps mieux disciplinée. C’était surtout
un spectacle imposant, que la maison du roi nouvellement réformée. On
y voyait quatre compagnies des gardes-du-corps, chacune composée de
trois cents gentilshommes, entre lesquels il y avait beaucoup de jeunes
_cadets_ sans paie, assujettis comme les autres à la régularité du
service; deux cents gendarmes de la garde, deux cents chevau-légers,
cinq cents mousquetaires, tous gentilshommes choisis, parés de leur
jeunesse et de leur bonne mine; douze compagnies de la gendarmerie,
depuis augmentées jusqu’au nombre de seize; les cent-suisses même
accompagnaient le roi, et ses régiments des gardes-françaises et
suisses montaient la garde devant sa maison, ou devant sa tente. Ces
troupes, pour la plupart couvertes d’or et d’argent, étaient en même
temps un objet de terreur et d’admiration pour des peuples chez qui
toute espèce de magnificence était inconnue. Une discipline devenue
encore plus exacte avait mis dans l’armée un nouvel ordre. Il n’y avait
point encore d’inspecteurs de cavalerie et d’infanterie, comme nous en
avons vu depuis; mais deux hommes uniques chacun dans leur genre en
fesaient les fonctions. Martinet mettait alors l’infanterie sur le pied
de discipline où elle est aujourd’hui. Le chevalier de Fourilles fesait
la même charge[461] dans la cavalerie. Il y avait un an que Martinet
avait mis la baïonnette en usage dans quelques régiments. Avant lui on
ne s’en servait pas d’une manière constante et uniforme. Ce dernier
effort peut-être de ce que l’art militaire a inventé de plus terrible
était connu, mais peu pratiqué, parceque les piques prévalaient. Il
avait imaginé des pontons de cuivre, qu’on portait aisément sur des
charrettes. Le roi, avec tant d’avantages, sûr de sa fortune et de sa
gloire, menait avec lui un historien qui devait écrire ses victoires;
c’était Pellisson, homme dont il a été parlé dans l’article des
beaux-arts[462], plus capable de bien écrire que de ne pas flatter.

Ce qui avançait encore la chute des Hollandais, c’est que le marquis
de Louvois avait fait acheter chez eux par le comte de Bentheim,
secrètement gagné, une grande partie des munitions qui allaient servir
à les détruire, et avait ainsi dégarni beaucoup leurs magasins. Il
n’est point du tout étonnant que des marchands eussent vendu ces
provisions avant la déclaration de la guerre, eux qui en vendent tous
les jours à leurs ennemis pendant les plus vives campagnes. On sait
qu’un négociant de ce pays avait autrefois répondu au prince Maurice,
qui le réprimandait sur un tel négoce: «Monseigneur, si on pouvait par
mer faire quelque commerce avantageux avec l’enfer, je hasarderais
d’y aller brûler mes voiles.» Mais ce qui est surprenant, c’est qu’on
a imprimé que le marquis de Louvois alla lui-même, déguisé, conclure
ses marchés en Hollande. Comment peut-on avoir imaginé une aventure si
déplacée, si dangereuse, et si inutile?

Contre Turenne, Condé, Luxembourg, Vauban, cent trente mille
combattants, une artillerie prodigieuse, et de l’argent avec lequel
on attaquait encore la fidélité des commandants des places ennemies,
la Hollande n’avait à opposer qu’un jeune prince d’une constitution
faible, qui n’avait vu ni siéges ni combats, et environ vingt-cinq
mille mauvais soldats en quoi consistait alors toute la garde du pays.
Le prince Guillaume d’Orange, âgé de vingt-deux ans, venait d’être élu
capitaine-général des forces de terre par les vœux de la nation: Jean
de Witt, le grand-pensionnaire, y avait consenti par nécessité. Ce
prince nourrissait, sous le flegme hollandais, une ardeur d’ambition et
de gloire qui éclata toujours depuis dans sa conduite, sans s’échapper
jamais dans ses discours. Son humeur était froide et sévère, son génie
actif et perçant; son courage, qui ne se rebutait jamais, fit supporter
à son corps faible et languissant des fatigues au-dessus de ses forces.
Il était valeureux sans ostentation, ambitieux, mais ennemi du faste;
né avec une opiniâtreté flegmatique faite pour combattre l’adversité,
aimant les affaires et la guerre, ne connaissant ni les plaisirs
attachés à la grandeur, ni ceux de l’humanité, enfin presque en tout
l’opposé de Louis XIV.

Il ne put d’abord arrêter le torrent qui se débordait sur sa patrie.
Ses forces étaient trop peu de chose, son pouvoir même était limité
par les états. Les armes françaises venaient fondre tout-à-coup sur
la Hollande, que rien ne secourait. L’imprudent duc de Lorraine, qui
avait voulu lever des troupes pour joindre sa fortune à celle de cette
république, venait de voir toute la Lorraine saisie par les troupes
françaises, avec la même facilité qu’on s’empare d’Avignon quand on est
mécontent du pape.

Cependant le roi fesait avancer ses armées vers le Rhin, dans ces pays
qui confinent à la Hollande, à Cologne, et à la Flandre. Il fesait
distribuer de l’argent dans tous les villages, pour payer le dommage
que ses troupes y pouvaient faire. Si quelque gentilhomme des environs
venait se plaindre, il était sûr d’avoir un présent. Un envoyé du
gouverneur des Pays-Bas, étant venu faire une représentation au roi sur
quelques dégâts commis par les troupes, reçut de la main du roi son
portrait enrichi de diamants, estimé plus de douze mille francs. Cette
conduite attirait l’admiration des peuples, et augmentait la crainte de
sa puissance.

Le roi était à la tête de sa maison et de ses plus belles troupes, qui
composaient trente mille hommes: Turenne les commandait sous lui. Le
prince de Condé avait une armée aussi forte. Les autres corps, conduits
tantôt par Luxembourg, tantôt par Chamilli, fesaient dans l’occasion
des armées séparées, ou se rejoignaient selon le besoin. On commença
par assiéger à-la-fois quatre villes, dont le nom ne mérite de place
dans l’histoire que par cet événement: Rhinberg, Orsoy, Vésel, Burick.
Elles furent prises presque aussitôt qu’elles furent investies. Celle
de Rhinberg, que le roi voulut assiéger en personne, n’essuya pas un
coup de canon; et, pour assurer encore mieux sa prise, on eut soin
de corrompre le lieutenant de la place, Irlandais de nation, nommé
Dosseri, qui eut la lâcheté de se vendre, et l’imprudence de se retirer
ensuite à Mastricht, où le prince d’Orange le fit punir de mort.

Toutes les places qui bordent le Rhin et l’Issel se rendirent. Quelques
gouverneurs envoyèrent leurs clefs, dès qu’ils virent seulement passer
de loin un ou deux escadrons français: plusieurs officiers s’enfuirent
des villes où ils étaient en garnison, avant que l’ennemi fût dans
leur territoire; la consternation était générale. Le prince d’Orange
n’avait point encore assez de troupes pour paraître en campagne.
Toute la Hollande s’attendait à passer sous le joug, dès que le roi
serait au-delà du Rhin. Le prince d’Orange fit faire à la hâte des
lignes au-delà de ce fleuve, et après les avoir faites, il connut
l’impuissance de les garder. Il ne s’agissait plus que de savoir en
quel endroit les Français voudraient faire un pont de bateaux, et de
s’opposer, si on pouvait, à ce passage. En effet l’intention du roi
était de passer le fleuve sur un pont de ces petits bateaux inventés
par Martinet. Des gens du pays informèrent alors le prince de Condé
que la sécheresse de la saison avait formé un gué sur un bras du Rhin,
auprès d’une vieille tourelle qui sert de bureau de péage, qu’on nomme
_Tollhuys, la maison du péage_, dans laquelle il y avait dix-sept
soldats. Le roi fit sonder ce gué par le comte de Guiche. Il n’y avait
qu’environ vingt pas à nager au milieu de ce bras du fleuve, selon ce
que dit dans ses lettres Pellisson, témoin oculaire, et ce que m’ont
confirmé les habitants. Cet espace n’était rien, parceque plusieurs
chevaux de front rompaient le fil de l’eau très peu rapide. L’abord
était aisé: il n’y avait de l’autre côté de l’eau que quatre à cinq
cents cavaliers, et deux faibles régiments d’infanterie sans canon.
L’artillerie française les foudroyait en flanc. Tandis que la maison
du roi et les meilleures troupes de cavalerie passèrent, sans risque,
au nombre d’environ quinze mille hommes (12 juin 1672), le prince
de Condé les côtoyait dans un bateau de cuivre. A peine quelques
cavaliers hollandais entrèrent dans la rivière pour faire semblant de
combattre, ils s’enfuirent l’instant d’après devant la multitude qui
venait à eux. Leur infanterie mit aussitôt bas les armes, et demanda la
vie. On ne perdit dans le passage que le comte de Nogent et quelques
cavaliers qui, s’étant écartés du gué, se noyèrent; et il n’y aurait
eu personne de tué dans cette journée, sans l’imprudence du jeune duc
de Longueville. On dit qu’ayant la tête pleine des fumées du vin, il
tira un coup de pistolet sur les ennemis qui demandaient la vie à
genoux, en leur criant, _point de quartier pour cette canaille_. Il
tua du coup un de leurs officiers. L’infanterie hollandaise désespérée
reprit à l’instant ses armes, et fit une décharge dont le duc de
Longueville fut tué. Un capitaine de cavalerie nommé Ossembrœk[463],
qui ne s’était point enfui avec les autres, court au prince de Condé
qui montait alors à cheval en sortant de la rivière, et lui appuie son
pistolet à la tête. Le prince, par un mouvement, détourna le coup, qui
lui fracassa le poignet. Condé ne reçut jamais que cette blessure dans
toutes ses campagnes. Les Français irrités firent main-basse sur cette
infanterie, qui se mit à fuir de tous côtés. Louis XIV passa sur un
pont de bateaux avec l’infanterie, après avoir dirigé lui-même toute la
marche.

Tel fut ce passage du Rhin, action éclatante et unique, célébrée alors
comme un des grands événements qui dussent occuper la mémoire des
hommes. Cet air de grandeur dont le roi relevait toutes ses actions, le
bonheur rapide de ses conquêtes, la splendeur de son règne, l’idolâtrie
de ses courtisans; enfin, le goût que le peuple, et surtout les
Parisiens, ont pour l’exagération, joint à l’ignorance de la guerre où
l’on est dans l’oisiveté des grandes villes; tout cela fit regarder,
à Paris, le passage du Rhin comme un prodige qu’on exagérait encore.
L’opinion commune était que toute l’armée avait passé ce fleuve à la
nage, en présence d’une armée retranchée, et malgré l’artillerie d’une
forteresse imprenable, appelée le _Tholus_. Il était très vrai que rien
n’était plus imposant pour les ennemis que ce passage, et que s’ils
avaient eu un corps de bonnes troupes à l’autre bord, l’entreprise
était très périlleuse.

Dès qu’on eut passé le Rhin on prit Doesbourg, Zutphen, Arnheim,
Nosembourg, Nimègue, Schenck, Bommel, Crèvecœur, etc. Il n’y avait
guère d’heures dans la journée où le roi ne reçût la nouvelle de
quelque conquête. Un officier nommé Mazel mandait à M. de Turenne: «Si
vous voulez m’envoyer cinquante chevaux, je pourrai prendre avec cela
deux ou trois places.»

(20 juin 1672) Utrecht envoya ses clefs, et capitula avec toute la
province qui porte son nom. Louis fit son entrée triomphale dans cette
ville (30 juin), menant avec lui son grand aumônier, son confesseur et
l’archevêque titulaire d’Utrecht. On rendit avec solennité la grande
église aux catholiques. L’archevêque, qui n’en portait que le vain nom,
fut pour quelque temps établi dans une dignité réelle[464]. La religion
de Louis XIV fesait des conquêtes comme ses armes. C’était un droit
qu’il acquérait sur la Hollande dans l’esprit des catholiques.

Les provinces d’Utrecht, d’Over-Issel, de Gueldre, étaient soumises:
Amsterdam n’attendait plus que le moment de son esclavage ou de
sa ruine. Les Juifs qui y sont établis s’empressèrent d’offrir à
Gourville, intendant et ami du prince de Condé, deux millions de
florins pour se racheter du pillage.

Déjà Naerden, voisine d’Amsterdam, était prise. Quatre cavaliers
allant en maraude s’avancèrent jusqu’aux portes de Muiden, où sont
les écluses qui peuvent inonder le pays, et qui n’est qu’à une lieue
d’Amsterdam. Les magistrats de Muiden, éperdus de frayeur, vinrent
présenter leurs clefs à ces quatre soldats; mais enfin, voyant que les
troupes ne s’avançaient point, ils reprirent leurs clefs et fermèrent
les portes. Un instant de diligence eût mis Amsterdam dans les mains
du roi. Cette capitale une fois prise, non seulement la république
périssait, mais il n’y avait plus de nation hollandaise, et bientôt la
terre même de ce pays allait disparaître. Les plus riches familles, les
plus ardentes pour la liberté, se préparaient à fuir aux extrémités du
monde, et à s’embarquer pour Batavia. On fit le dénombrement de tous
les vaisseaux qui pouvaient faire ce voyage, et le calcul de ce qu’on
pouvait embarquer. On trouva que cinquante mille familles pouvaient se
réfugier dans leur nouvelle patrie. La Hollande n’eût plus existé qu’au
bout des Indes orientales: ses provinces d’Europe, qui n’achètent leur
blé qu’avec leurs richesses d’Asie, qui ne vivent que de leur commerce,
et, si on l’ose dire, de leur liberté, auraient été presque tout-à-coup
ruinées et dépeuplées. Amsterdam, l’entrepôt et le magasin de l’Europe,
où deux cent mille hommes cultivent le commerce et les arts, serait
devenue bientôt un vaste marais. Toutes les terres voisines demandent
des frais immenses, et des milliers d’hommes pour élever leurs digues:
elles eussent probablement à-la-fois manqué d’habitants comme de
richesses, et auraient été enfin submergées, ne laissant à Louis XIV
que la gloire déplorable d’avoir détruit le plus singulier et le plus
beau monument de l’industrie humaine.

La désolation de l’état était augmentée par les divisions ordinaires
aux malheureux, qui s’imputent les uns aux autres les calamités
publiques. Le grand pensionnaire de Witt ne croyait pouvoir sauver
ce qui restait de sa patrie qu’en demandant la paix au vainqueur.
Son esprit, à-la-fois tout républicain et jaloux de son autorité
particulière, craignait toujours l’élévation du prince d’Orange,
encore plus que les conquêtes du roi de France; il avait fait jurer à
ce prince même l’observation d’un édit perpétuel, par lequel le prince
était exclu de la charge de stathouder. L’honneur, l’autorité, l’esprit
de parti, l’intérêt, lièrent de Witt à ce serment. Il aimait mieux
voir sa république subjuguée par un roi vainqueur que soumise à un
stathouder.

Le prince d’Orange, de son coté, plus ambitieux que de Witt, aussi
attaché à sa patrie, plus patient dans les malheurs publics, attendant
tout du temps et de l’opiniâtreté de sa constance, briguait le
stathoudérat, et s’opposait à la paix avec la même ardeur. Les États
résolurent qu’on demanderait la paix malgré le prince; mais le prince
fut élevé au stathoudérat[465] malgré les de Witt.

Quatre députés vinrent au camp du roi implorer sa clémence au nom d’une
république qui, six mois auparavant, se croyait l’arbitre des rois.
Les députés ne furent point reçus des ministres de Louis XIV avec
cette politesse[466] française qui mêle la douceur de la civilité aux
rigueurs mêmes du gouvernement. Louvois, dur et altier, né pour bien
servir plutôt que pour faire aimer son maître, reçut les suppliants
avec hauteur, et même avec l’insulte de la raillerie. On les obligea de
revenir plusieurs fois. Enfin le roi leur fit déclarer ses volontés. Il
voulait que les États lui cédassent tout ce qu’ils avaient au-delà du
Rhin, Nimègue, des villes et des forts dans le sein de leur pays; qu’on
lui payât vingt millions; que les Français fussent les maîtres de tous
les grands chemins de la Hollande, par terre et par eau, sans qu’ils
payassent jamais aucun droit; que la religion catholique fût partout
rétablie; que la république lui envoyât tous les ans une ambassade
extraordinaire avec une médaille d’or, sur laquelle il fût gravé qu’ils
tenaient leur liberté de Louis XIV; enfin, qu’à ces satisfactions ils
joignissent celle qu’ils devaient au roi d’Angleterre et aux princes de
l’empire, tels que ceux de Cologne et de Munster, par qui la Hollande
était encore désolée.

Ces conditions d’une paix qui tenait tant de la servitude parurent
intolérables, et la fierté du vainqueur inspira un courage de
désespoir aux vaincus. On résolut de périr les armes à la main. Tous
les cœurs et toutes les espérances se tournèrent vers le prince
d’Orange. Le peuple en fureur éclata contre le grand pensionnaire,
qui avait demandé la paix. A ces séditions se joignirent la politique
du prince et l’animosité de son parti. On attente d’abord à la vie
du grand pensionnaire Jean de Witt; ensuite on accuse Corneille son
frère d’avoir attenté à celle du prince. Corneille est appliqué à la
question. Il récita dans les tourments le commencement de cette ode
d’Horace, _Justum et tenacem, etc._, convenable à son état et à son
courage, et qu’on peut traduire ainsi pour ceux qui ignorent le latin:

    Les torrents impétueux,
    La mer qui gronde et s’élance,
    La fureur et l’insolence
    D’un peuple tumultueux,
    Des fiers tyrans la vengeance,
    N’ébranlent pas la constance
    D’on cœur ferme et vertueux.

(20 août 1672) Enfin la populace effrénée massacra dans La Haye les
deux frères de Witt; l’un qui avait gouverné l’état pendant dix-neuf
ans avec vertu, et l’autre qui l’avait servi de son épée[467]. On
exerça sur leurs corps sanglants toutes les fureurs dont le peuple est
capable: horreurs communes à toutes les nations, et que les Français
avaient fait éprouver au maréchal d’Ancre, à l’amiral Coligni, etc.;
car la populace est presque partout la même. On poursuivit les amis
du pensionnaire. Ruyter même, l’amiral de la république, qui seul
combattait alors pour elle avec succès, se vit environné d’assassins
dans Amsterdam.

Au milieu de ces désordres et de ces désolations, les magistrats
montrèrent des vertus qu’on ne voit guère que dans les républiques.
Les particuliers qui avaient des billets de banque coururent en foule
à la banque d’Amsterdam; on craignait que l’on n’eût touché au trésor
public. Chacun s’empressait de se faire payer du peu d’argent qu’on
croyait pouvoir y être encore. Les magistrats firent ouvrir les caves
où le trésor se conserve. On le trouva tout entier tel qu’il avait
été déposé depuis soixante ans; l’argent même était encore noirci de
l’impression du feu qui avait, quelques années auparavant, consumé
l’hôtel de ville. Les billets de banque s’étaient toujours négociés
jusqu’à ce temps, sans que jamais on eût touché au trésor. On paya
alors avec cet argent tous ceux qui voulurent l’être. Tant de bonne foi
et tant de ressources étaient d’autant plus admirables, que Charles II,
roi d’Angleterre, pour avoir de quoi faire la guerre aux Hollandais et
fournir à ses plaisirs, non content de l’argent de la France, venait
de faire banqueroute à ses sujets. Autant il était honteux à ce roi de
violer ainsi la foi publique, autant il était glorieux aux magistrats
d’Amsterdam de la garder dans un temps où il semblait permis d’y
manquer.

A cette vertu républicaine ils joignirent ce courage d’esprit qui prend
les partis extrêmes dans les maux sans remède. Ils firent percer les
digues qui retiennent les eaux de la mer. Les maisons de campagne,
qui sont innombrables autour d’Amsterdam, les villages, les villes
voisines, Leyde, Delft, furent inondés. Le paysan ne murmura pas de
voir ses troupeaux noyés dans les campagnes. Amsterdam fut comme une
vaste forteresse au milieu des eaux, entourée de vaisseaux de guerre
qui eurent assez d’eau pour se ranger autour de la ville. La disette
fut grande chez ces peuples, ils manquèrent surtout d’eau douce; elle
se vendait six sous la pinte; mais ces extrémités parurent moindres que
l’esclavage. C’est une chose digne de l’observation de la postérité,
que la Hollande ainsi accablée sur terre, et n’étant plus un état,
demeurât encore redoutable sur la mer: c’était l’élément véritable de
ces peuples.

Tandis que Louis XIV passait le Rhin, et prenait trois provinces,
l’amiral Ruyter, avec environ cent vaisseaux de guerre et plus de
cinquante brûlots, alla chercher, près des côtes d’Angleterre, les
flottes des deux rois. Leurs puissances réunies n’avaient pu mettre
en mer une armée navale plus forte que celle de la république. Les
Anglais et les Hollandais combattirent comme des nations accoutumées à
se disputer l’empire de l’Océan. (7 juin 1672) Cette bataille, qu’on
nomme de Solbaie, dura un jour entier. Ruyter, qui en donna le signal,
attaqua le vaisseau amiral d’Angleterre, où était le duc d’York,
frère du roi. La gloire de ce combat particulier demeura à Ruyter.
Le duc d’York, obligé de changer de vaisseau, ne reparut plus devant
l’amiral hollandais. Les trente vaisseaux français eurent peu de part
à l’action; et tel fut le sort de cette journée, que les côtes de la
Hollande furent en sûreté.

Après cette bataille, Ruyter, malgré les craintes et les contradictions
de ses compatriotes, fit entrer la flotte marchande des Indes dans
le Texel; défendant ainsi, et enrichissant sa patrie d’un côté,
lorsqu’elle périssait de l’autre. Le commerce même des Hollandais se
soutenait; on ne voyait que leurs pavillons dans les mers des Indes. Un
jour qu’un consul de France disait au roi de Perse que Louis XIV avait
conquis presque toute la Hollande: «Comment cela peut-il être, répondit
ce monarque persan, puisqu’il y a toujours au port d’Ormus vingt
vaisseaux hollandais pour un français?»

Le prince d’Orange, cependant, avait l’ambition d’être bon citoyen.
Il offrit à l’état le revenu de ses charges, et tout son bien pour
soutenir la liberté. Il couvrit d’inondations les passages par où les
Français pouvaient pénétrer dans le reste du pays. Ses négociations
promptes et secrètes réveillèrent de leur assoupissement l’empereur,
l’empire, le conseil d’Espagne, le gouverneur de Flandre. Il disposa
même l’Angleterre à la paix. Enfin, le roi était entré au mois de mai
en Hollande, et dès le mois de juillet l’Europe commençait à être
conjurée contre lui.

Monterey, gouverneur de la Flandre, fit passer secrètement quelques
régiments au secours des Provinces-Unies. Le conseil de l’empereur
Léopold envoya Montecuculli à la tête de près de vingt mille hommes.
L’électeur de Brandebourg, qui avait à sa solde vingt-cinq mille
soldats, se mit en marche.

(Juillet 1672) Alors le roi quitta son armée. Il n’y avait plus de
conquêtes à faire dans un pays inondé. La garde des provinces conquises
devenait difficile. Louis voulait une gloire sûre; mais, en ne voulant
pas l’acheter par un travail infatigable, il la perdit. Satisfait
d’avoir pris tant de villes en deux mois, il revint à Saint-Germain au
milieu de l’été; et laissant Turenne et Luxembourg achever la guerre,
il jouit du triomphe. On éleva des monuments de sa conquête, tandis que
les puissances de l’Europe travaillaient à la lui ravir.



CHAPITRE XI.

    Évacuation de la Hollande. Seconde conquête de la Franche-Comté.


On croit nécessaire de dire à ceux qui pourront lire cet ouvrage,
qu’ils doivent se souvenir que ce n’est point ici une simple relation
de campagnes, mais plutôt une histoire des mœurs des hommes. Assez de
livres sont pleins de toutes les minuties des actions de guerre, et de
ces détails de la fureur et de la misère humaine. Le dessein de cet
essai est de peindre les principaux caractères de ces révolutions, et
d’écarter la multitude des petits faits, pour laisser voir les seuls
considérables, et, s’il se peut, l’esprit qui les a conduits.

La France fut alors au comble de sa gloire. Le nom de ses généraux
imprimait la vénération. Ses ministres étaient regardés comme des
génies supérieurs aux conseillers des autres princes; et Louis était en
Europe comme le seul roi. En effet, l’empereur Léopold ne paraissait
pas dans ses armées; Charles II, roi d’Espagne, fils de Philippe IV,
sortait à peine de l’enfance; celui d’Angleterre ne mettait d’activité
dans sa vie que celle des plaisirs.

Tous ces princes et leurs ministres firent de grandes fautes.
L’Angleterre agit contre les principes de la raison d’état en
s’unissant avec la France pour élever une puissance que son intérêt
était d’affaiblir. L’empereur, l’empire, le conseil espagnol, firent
encore plus mal de ne pas s’opposer d’abord à ce torrent. Enfin Louis
lui-même commit une si grande faute qu’eux tous en ne poursuivant pas
avec assez de rapidité des conquêtes si faciles. Condé et Turenne
voulaient qu’on démolît la plupart des places hollandaises. Ils
disaient que ce n’était point avec des garnisons que l’on prend des
états, mais avec des armées; et qu’en conservant une ou deux places de
guerre pour la retraite, on devait marcher rapidement à la conquête
entière. Louvois, au contraire, voulait que tout fût place et garnison;
c’était là son génie, c’était aussi le goût du roi. Louvois avait
par là plus d’emplois à sa disposition; il étendait le pouvoir de
son ministère; il s’applaudissait de contredire les deux plus grands
capitaines du siècle. Louis le crut, et se trompa, comme il l’avoua
depuis; il manqua le moment d’entrer dans la capitale de la Hollande;
il affaiblit son armée en la divisant dans trop de places; il laissa à
son ennemi le temps de respirer. L’histoire des plus grands princes est
souvent le récit des fautes des hommes.

Après le départ du roi, les affaires changèrent de face. Turenne fut
obligé de marcher vers la Vestphalie, pour s’opposer aux Impériaux.
Le gouverneur de Flandre, Monterey, sans être avoué du conseil timide
d’Espagne, renforça la petite armée du prince d’Orange d’environ dix
mille hommes. Alors ce prince fit tête aux Français jusqu’à l’hiver.
C’était déjà beaucoup de balancer la fortune. Enfin l’hiver vint; les
glaces couvrirent les inondations de la Hollande. Luxembourg, qui
commandait dans Utrecht, fit un nouveau genre de guerre inconnu aux
Français, et mit la Hollande dans un nouveau danger, aussi terrible que
les précédents.

Il assemble, une nuit, près de douze mille fantassins tirés des
garnisons voisines. On arme leurs souliers de crampons. Il se met à
leur tête, et marche sur la glace vers Leyde et vers La Haye. Un dégel
survint: La Haye fut sauvée. Son armée entourée d’eau, n’ayant plus
de chemin ni de vivres, était prête à périr. Il fallait, pour s’en
retourner à Utrecht, marcher sur une digue étroite et fangeuse, où
l’on pouvait à peine se traîner quatre de front. On ne pouvait arriver
à cette digue qu’en attaquant un fort qui semblait imprenable sans
artillerie. Quand ce fort n’eût arrêté l’armée qu’un seul jour, elle
serait morte de faim et de fatigue. Luxembourg était sans ressource;
mais la fortune, qui avait sauvé La Haye, sauva son armée par la
lâcheté du commandant du fort, qui abandonna son poste sans aucune
raison. Il y a mille événements dans la guerre comme dans la vie
civile, qui sont incompréhensibles: celui-là est de ce nombre. Tout
le fruit de cette entreprise fut une cruauté qui acheva de rendre
le nom français odieux dans ce pays. Bodegrave et Svammerdam, deux
bourgs considérables, riches et bien peuplés, semblables à nos villes
de la grandeur médiocre, furent abandonnés au pillage des soldats,
pour le prix de leur fatigue. Ils mirent le feu à ces deux villes;
et, à la lueur des flammes, ils se livrèrent à la débauche et à la
cruauté. Il est étonnant que le soldat français soit si barbare, étant
commandé par ce prodigieux nombre d’officiers, qui ont avec justice
la réputation d’être aussi humains que courageux. Ce pillage laissa
une impression si profonde, que, plus de quarante ans après, j’ai vu
les livres hollandais, dans lesquels on apprenait à lire aux enfants,
retracer cette aventure, et inspirer la haine contre les Français à des
générations nouvelles.

(1673) Cependant le roi agitait les cabinets de tous les princes
par ses négociations. Il gagna le duc de Hanovre. L’électeur de
Brandebourg, en commençant la guerre, fit un traité, mais qui fut
bientôt rompu. Il n’y avait pas une cour en Allemagne où Louis n’eût
des pensionnaires. Ses émissaires fomentaient en Hongrie les troubles
de cette province, sévèrement traitée par le conseil de Vienne.
L’argent fut prodigué au roi d’Angleterre, pour faire encore la guerre
à la Hollande, malgré les cris de toute la nation anglaise indignée de
servir la grandeur de Louis XIV, qu’elle eût voulu abaisser. L’Europe
était troublée par les armes et par les négociations de Louis. Enfin il
ne put empêcher que l’empereur, l’empire, et l’Espagne, ne s’alliassent
avec la Hollande, et ne lui déclarassent solennellement la guerre. Il
avait tellement changé le cours des choses, que les Hollandais, ses
alliés naturels, étaient devenus les amis de la maison d’Autriche.
L’empereur Léopold envoyait des secours lents; mais il montrait une
grande animosité. Il est rapporté qu’allant à Égra voir les troupes
qu’il y rassemblait, il communia en chemin, et qu’après la communion
il prit en main un crucifix, et appela Dieu à témoin de la justice de
sa cause. Cette action eût été à sa place du temps des croisades: et
la prière de Léopold n’empêcha point le progrès des armes du roi de
France.

Il parut d’abord combien sa marine était déjà perfectionnée. Au lieu
de trente vaisseaux qu’on avait joints, l’année d’auparavant, à la
flotte anglaise, on en joignit quarante, sans compter les brûlots.
Les officiers avaient appris les manœuvres savantes des Anglais, avec
lesquels ils avaient combattu celles des Hollandais, leurs ennemis.
C’était le duc d’York, depuis Jacques II, qui avait inventé l’art
de faire entendre les ordres sur mer par les mouvements divers des
pavillons. Avant ce temps les Français ne savaient pas ranger une
armée navale en bataille. Leur expérience consistait à faire battre
un vaisseau contre un vaisseau, non à en faire mouvoir plusieurs de
concert, et à imiter sur la mer les évolutions des armées de terre,
dont les corps séparés se soutiennent et se secourent mutuellement. Ils
firent à peu près comme les Romains, qui en une année apprirent des
Carthaginois l’art de combattre sur mer, et égalèrent leurs maîtres.

Le vice-amiral d’Estrées et son lieutenant Martel firent honneur à
l’industrie militaire de la nation française, dans trois batailles
navales consécutives, au mois de juin (les 7, 14 et 21 juin 1673),
entre la flotte hollandaise et celle de France et d’Angleterre.
L’amiral Ruyter fut plus admiré que jamais dans ces trois actions.
D’Estrées écrivit à Colbert: «Je voudrais avoir payé de ma vie la
gloire que Ruyter vient d’acquérir.» D’Estrées méritait que Ruyter eût
ainsi parlé de lui. La valeur et la conduite furent si égales de tous
côtés que la victoire resta toujours indécise.

Louis, ayant fait des hommes de mer de ses Français par les soins
de Colbert, perfectionna encore l’art de la guerre sur terre par
l’industrie de Vauban. Il vint en personne assiéger Mastricht dans le
même temps que ces trois batailles navales se donnaient. Mastricht
était pour lui une clef des Pays-Bas et des Provinces-Unies; c’était
une place forte défendue par un gouverneur intrépide, nommé Fariaux, né
Français, qui avait passé au service d’Espagne, et depuis à celui de
Hollande. La garnison était de cinq mille hommes. Vauban, qui conduisit
ce siége, se servit, pour la première fois, des parallèles inventées
par des ingénieurs italiens au service des Turcs devant Candie[468].
Il y ajouta les places d’armes que l’on fait dans les tranchées pour
y mettre les troupes en bataille, et pour les mieux rallier en cas de
sorties. Louis se montra, dans ce siége, plus exact et plus laborieux
qu’il ne l’avait été encore. Il accoutumait, par son exemple, à la
patience dans le travail, sa nation accusée jusqu’alors de n’avoir
qu’un courage bouillant que la fatigue épuise bientôt. Mastricht se
rendit au bout de huit jours (29 juin 1673).

Pour mieux affermir encore la discipline militaire, il usa d’une
sévérité qui parut même trop grande. Le prince d’Orange, qui n’avait eu
pour opposer à ces conquêtes rapides que des officiers sans émulation
et des soldats sans courage, les avait formés à force de rigueurs,
en fesant passer par la main du bourreau ceux qui avaient abandonné
leur poste. Le roi employa aussi les châtiments la première fois
qu’il perdit une place. Un très brave officier, nommé Du-Pas, rendit
Naerden au prince d’Orange (14 septembre 1673). Il ne tint à la vérité
que quatre jours; mais il ne remit sa ville qu’après un combat de
cinq heures, donné sur de mauvais ouvrages, et pour éviter un assaut
général, qu’une garnison faible et rebutée n’aurait point soutenu. Le
roi, irrité du premier affront que recevaient ses armes, fit condamner
Du-Pas[469] à être traîné dans Utrecht, une pelle à la main; et son
épée fut rompue: ignominie inutile pour les officiers français, qui
sont assez sensibles à la gloire pour qu’on ne les gouverne point par
la crainte de la honte. Il faut savoir qu’à la vérité les provisions
des commandants des places les obligent à soutenir trois assauts; mais
ce sont de ces lois qui ne sont jamais exécutées[470]. Du-Pas se fit
tuer, un an après, au siége de la petite ville de Grave, où il servit
volontaire. Son courage et sa mort dûrent laisser des regrets au
marquis de Louvois, qui l’avait fait punir si durement. La puissance
souveraine peut maltraiter un brave homme, mais non pas le déshonorer.

Les soins du roi, le génie de Vauban, la vigilance sévère de Louvois,
l’expérience et le grand art de Turenne, l’active intrépidité du prince
de Condé; tout cela ne put réparer la faute qu’on avait faite de garder
trop de places, d’affaiblir l’armée, et de manquer Amsterdam.

Le prince de Condé voulut en vain percer dans le cœur de la Hollande
inondée. Turenne ne put, ni mettre obstacle à la jonction de
Montecuculli et du prince d’Orange, ni empêcher le prince d’Orange
de prendre Bonn. L’évêque de Munster, qui avait juré la ruine des
états-généraux, fut attaqué lui-même par les Hollandais.

Le parlement d’Angleterre força son roi d’entrer sérieusement dans des
négociations de paix, et de cesser d’être l’instrument mercenaire de la
grandeur de la France. Alors il fallut abandonner les trois provinces
hollandaises avec autant de promptitude qu’on les avait conquises. Ce
ne fut pas sans les avoir rançonnées: l’intendant Robert tira de la
seule province d’Utrecht, en un an, seize cent soixante et huit mille
florins. On était si pressé d’évacuer un pays conquis avec tant de
rapidité, que vingt-huit mille prisonniers hollandais furent rendus
pour un écu par soldat. L’arc de triomphe de la porte Saint-Denys,
et les autres monuments de la conquête, étaient à peine achevés, que
la conquête était déjà abandonnée. Les Hollandais, dans le cours de
cette invasion, eurent la gloire de disputer l’empire de la mer, et
l’adresse de transporter sur terre le théâtre de la guerre hors de
leur pays. Louis XIV passa dans l’Europe pour avoir joui avec trop de
précipitation et trop de fierté de l’éclat d’un triomphe passager. Le
fruit de cette entreprise fut d’avoir une guerre sanglante à soutenir
contre l’Espagne, l’empire, et la Hollande réunis, d’être abandonné de
l’Angleterre, et enfin de Munster, de Cologne même, et de laisser dans
les pays qu’il avait envahis et quittés plus de haine que d’admiration
pour lui.

Le roi tint seul contre tous les ennemis qu’il s’était faits. La
prévoyance de son gouvernement et la force de son état parurent bien
davantage encore lorsqu’il fallut se défendre contre tant de puissances
liguées et contre de grands généraux, que quand il avait pris, en
voyageant, la Flandre française, la Franche-Comté, et la moitié de la
Hollande, sur des ennemis sans défense.

On vit surtout quel avantage un roi absolu, dont les finances sont
bien administrées, a sur les autres rois. Il fournit à-la-fois
une armée d’environ vingt-trois mille hommes à Turenne contre les
Impériaux, une de quarante mille à Condé contre le prince d’Orange:
un corps de troupes était sur la frontière du Roussillon; une flotte
chargée de soldats alla porter la guerre aux Espagnols jusque dans
Messine: lui-même marcha pour se rendre maître une seconde fois de la
Franche-Comté. Il se défendait, et il attaquait partout en même temps.

D’abord, dans sa nouvelle entreprise sur la Franche-Comté, la
supériorité de son gouvernement parut tout entière. Il s’agissait de
mettre dans son parti, ou du moins d’endormir les Suisses, nation
aussi redoutable que pauvre, toujours armée, toujours jalouse à
l’excès de sa liberté, invincible sur ses frontières, murmurant
déjà, et s’effarouchant de voir Louis XIV une seconde fois dans leur
voisinage. L’empereur et l’Espagne sollicitaient les treize cantons de
permettre au moins un passage libre à leurs troupes, pour secourir la
Franche-Comté, demeurée sans défense par la négligence du ministère
espagnol. Le roi, de son côté, pressait les Suisses de refuser ce
passage; mais l’empire et l’Espagne ne prodiguaient que des raisons et
des prières; le roi, avec de l’argent comptant, détermina les Suisses à
ce qu’il voulut: le passage fut refusé. Louis, accompagné de son frère
et du fils du grand Condé, assiégea Besançon. Il aimait la guerre de
siéges, et pouvait croire l’entendre aussi bien que les Condé et les
Turenne; mais, tout jaloux qu’il était de sa gloire, il avouait que ces
deux grands hommes entendaient mieux que lui la guerre de campagne.
D’ailleurs, il n’assiégea jamais une ville sans être moralement sûr de
la prendre. Louvois fesait si bien les préparatifs, les troupes étaient
si bien fournies, Vauban, qui conduisit presque tous les siéges, était
un si grand maître dans l’art de prendre les villes, que la gloire du
roi était en sûreté. Vauban dirigea les attaques de Besançon: elle fut
prise en neuf jours (15 mai 1674); et au bout de six semaines toute
la Franche-Comté fut soumise au roi. Elle est restée à la France,
et semble y être pour jamais annexée: monument de la faiblesse du
ministère autrichien-espagnol, et de la force de celui de Louis XIV.



CHAPITRE XII.

    Belle campagne et mort du maréchal de Turenne. Dernière bataille du
    grand Condé à Senef.


Tandis que le roi prenait rapidement la Franche-Comté, avec cette
facilité et cet éclat attaché encore à sa destinée, Turenne, qui ne
fesait que défendre les frontières du côté du Rhin, déployait ce que
l’art de la guerre peut avoir de plus grand et de plus habile. L’estime
des hommes se mesure par les difficultés surmontées, et c’est ce qui a
donné une si grande réputation à cette campagne de Turenne.

(Juin 1674) D’abord il fait une marche longue et vive, passe le
Rhin à Philipsbourg, marche toute la nuit à Sintzheim, force cette
ville; et en même temps il attaque et met en fuite Caprara, général
de l’empereur, et le vieux duc de Lorraine, Charles IV, ce prince
qui passa toute sa vie à perdre ses états et à lever des troupes,
et qui venait de réunir sa petite armée avec une partie de celle de
l’empereur. Turenne, après l’avoir battu, le poursuit, et bat encore
sa cavalerie à Ladenbourg (juillet 1674); de là il court à un autre
général des Impériaux, le prince de Bournonville, qui n’attendait que
de nouvelles troupes pour s’ouvrir le chemin de l’Alsace; il prévient
la jonction de ces troupes, l’attaque, et lui fait quitter le champ de
bataille (octobre 1674).

L’empire rassemble contre lui toutes ses forces; soixante et dix mille
Allemands sont dans l’Alsace; Brisach et Philipsbourg étaient bloqués
par eux. Turenne n’avait plus que vingt mille hommes effectifs tout
au plus. (Décembre) Le prince de Condé lui envoya de Flandre quelque
secours de cavalerie; alors il traverse, par Tanne et par Béfort, des
montagnes couvertes de neige; il se trouve tout d’un coup dans la
Haute-Alsace, au milieu des quartiers des ennemis, qui le croyaient en
repos en Lorraine, et qui pensaient que la campagne était finie. Il bat
à Mulhausen les quartiers qui résistent; il en fait deux prisonniers.
Il marche à Colmar, où l’électeur de Brandebourg, qu’on appelle le
grand électeur, alors général des armées de l’empire, avait son
quartier. Il arrive dans le temps que ce prince et les autres généraux
se mettaient à table; ils n’eurent que le temps de s’échapper; la
campagne était couverte de fuyards.

Turenne, croyant n’avoir rien fait tant qu’il restait quelque chose
à faire, attend encore auprès de Turkheim une partie de l’infanterie
ennemie. L’avantage du poste qu’il avait choisi rendait sa victoire
sûre: il défait cette infanterie (5 janvier 1675). Enfin une armée de
soixante et dix mille hommes se trouve vaincue et dispersée presque
sans grand combat. L’Alsace reste au roi, et les généraux de l’empire
sont obligés de repasser le Rhin.

Toutes ces actions consécutives, conduites avec tant d’art, si
patiemment digérées, exécutées avec tant de promptitude, furent
également admirées des Français et des ennemis. La gloire de Turenne
reçut un nouvel accroissement, quand on sut que tout ce qu’il avait
fait dans cette campagne, il l’avait fait malgré la cour, et malgré les
ordres réitérés de Louvois, donnés au nom du roi. Résister à Louvois
tout puissant, et se charger de l’événement, malgré les cris de la
cour, les ordres de Louis XIV, et la haine du ministre, ne fut pas
la moindre marque du courage de Turenne, ni le moindre exploit de la
campagne.

Il faut avouer que ceux qui ont plus d’humanité que d’estime pour
les exploits de guerre gémirent de cette campagne si glorieuse.
Elle fut célèbre par les malheurs des peuples, autant que par les
expéditions de Turenne. Après la bataille de Sintzheim, il mit à feu
et à sang le Palatinat, pays uni et fertile, couvert de villes et
de bourgs opulents. L’électeur palatin vit, du haut de son château
de Manheim, deux villes et vingt-cinq villages embrasés. Ce prince,
désespéré, défia Turenne à un combat singulier, par une lettre pleine
de reproches[471]. Turenne ayant envoyé la lettre au roi, qui lui
défendit d’accepter le cartel, ne répondit aux plaintes et au défi de
l’électeur que par un compliment vague, et qui ne signifiait rien.
C’était assez le style et l’usage de Turenne, de s’exprimer toujours
avec modération et ambiguité.

Il brûla avec le même sang froid les fours et une partie des campagnes
de l’Alsace, pour empêcher les ennemis de subsister. Il permit ensuite
à sa cavalerie de ravager la Lorraine. On y fit tant de désordre, que
l’intendant, qui, de son côté, désolait la Lorraine avec sa plume,
lui écrivit et lui parla souvent pour arrêter ces excès. Il répondait
froidement: «Je le ferai dire à l’ordre.» Il aimait mieux être appelé
le père des soldats qui lui étaient confiés, que des peuples qui,
selon les lois de la guerre, sont toujours sacrifiés. Tout le mal qu’il
fesait paraissait nécessaire; sa gloire couvrait tout: d’ailleurs les
soixante et dix mille Allemands qu’il empêcha de pénétrer en France
y auraient fait beaucoup plus de mal qu’il n’en fit à l’Alsace, à la
Lorraine, et au Palatinat.

Telle a été depuis le commencement du seizième siècle la situation
de la France, que, toutes les fois qu’elle a été en guerre, il a
fallu combattre à-la-fois vers l’Allemagne, la Flandre, l’Espagne, et
l’Italie. Le prince de Condé fesait tête en Flandre au jeune prince
d’Orange, tandis que Turenne chassait les Allemands de l’Alsace. La
campagne du maréchal de Turenne fut heureuse, et celle du prince de
Condé sanglante. Les petits combats de Sintzheim et de Turkheim furent
décisifs: la grande et célèbre bataille de Senef ne fut qu’un carnage.
Le grand Condé, qui la donna pendant les marches sourdes de Turenne
en Alsace, n’en tira aucun succès, soit que les circonstances des
lieux lui fussent moins favorables, soit qu’il eût pris des mesures
moins justes, soit plutôt qu’il eût des généraux plus habiles et de
meilleures troupes à combattre. Le marquis de Feuquières veut qu’on ne
donne à la bataille de Senef que le nom de combat, parceque l’action ne
se passa pas entre deux armées rangées, et que tous les corps n’agirent
point; mais il paraît qu’on s’accorde à nommer _bataille_ cette journée
si vive et si meurtrière. Le choc de trois mille hommes rangés, dont
tous les petits corps agiraient, ne serait qu’un combat. C’est
toujours l’importance qui décide du nom.

Le prince de Condé avait à tenir la campagne, avec environ
quarante-cinq mille hommes, contre le prince d’Orange, qui en avait,
dit-on, soixante mille. Il attendit que l’armée ennemie passât un
défilé à Senef, près de Mons. Il attaqua (11 août 1674) une partie de
l’arrière-garde, composée d’Espagnols, et y eut un grand avantage. On
blâma le prince d’Orange de n’avoir pas pris assez de précaution dans
le passage du défilé; mais on admira la manière dont il rétablit le
désordre, et on n’approuva pas que Condé voulût ensuite recommencer
le combat contre des ennemis trop bien retranchés. On se battit à
trois reprises. Les deux généraux, dans ce mélange de fautes et de
grandes actions, signalèrent également leur présence d’esprit et leur
courage. De tous les combats que donna le grand Condé, ce fut celui
où il prodigua le plus sa vie et celle de ses soldats. Il eut trois
chevaux tués sous lui. Il voulait, après trois attaques meurtrières,
en hasarder encore une quatrième. Il parut, dit un officier qui y
était, qu’il n’y avait plus que le prince de Condé _qui eût envie de
se battre_. Ce que cette action eut de plus singulier, c’est que les
troupes de part et d’autre, après les mêlées les plus sanglantes et les
plus acharnées, prirent la fuite le soir par une terreur panique. Le
lendemain, les deux armées se retirèrent chacune de son coté, aucune
n’ayant ni le champ de bataille, ni la victoire, toutes deux plutôt
également affaiblies et vaincues. Il y eut près de sept mille morts
et cinq mille prisonniers du côté des Français; les ennemis firent une
perte égale. Tant de sang inutilement répandu empêcha l’une et l’autre
armée de rien entreprendre de considérable. Il importe tant de donner
de la réputation à ses armes, que le prince d’Orange, pour faire croire
qu’il avait eu la victoire, assiégea Oudenarde; mais le prince de Condé
prouva qu’il n’avait pas perdu la bataille, en fesant aussitôt lever le
siége et en poursuivant le prince d’Orange.

On observa également en France et chez les alliés la vaine cérémonie
de rendre graces à Dieu d’une victoire qu’on n’avait point remportée:
usage établi pour encourager les peuples, qu’il faut toujours tromper.

Turenne en Allemagne, avec une petite armée, continua des progrès qui
étaient le fruit de son génie. Le conseil de Vienne, n’osant plus
confier la fortune de l’empire à des princes qui l’avaient mal défendu,
remit à la tête de ses armées le général Montecuculli, celui qui avait
vaincu les Turcs à la journée de Saint-Gothard, et qui, malgré Turenne
et Condé, avait joint le prince d’Orange, et avait arrêté la fortune de
Louis XIV, après la conquête de trois provinces de Hollande.

On a remarqué que les plus grands généraux de l’empire ont souvent
été tirés d’Italie. Ce pays, dans sa décadence et dans son esclavage,
porte encore des hommes qui font souvenir de ce qu’il était autrefois.
Montecuculli était seul digne d’être opposé à Turenne. Tous deux
avaient réduit la guerre en art. Ils passèrent quatre mois à se suivre,
à s’observer dans des marches et dans des campements plus estimés que
des victoires par les officiers allemands et français. L’un et l’autre
jugeait de ce que son adversaire allait tenter, par les démarches que
lui-même eût voulu faire à sa place; et ils ne se trompèrent jamais.
Ils opposaient l’un à l’autre la patience, la ruse, et l’activité;
enfin, ils étaient prêts d’en venir aux mains, et de commettre leur
réputation au sort d’une bataille, auprès du village de Saltzbach,
lorsque Turenne, en allant choisir une place pour dresser une batterie,
fut tué d’un coup de canon (27 juillet 1675). Il n’y a personne qui ne
sache les circonstances de cette mort; mais on ne peut se défendre d’en
retracer les principales, par le même esprit qui fait qu’on en parle
encore tous les jours.

Il semble qu’on ne puisse trop redire que le même boulet qui le
tua ayant emporté le bras de Saint-Hilaire, lieutenant-général de
l’artillerie, son fils, se jetant en larmes auprès de lui, _Ce n’est
pas moi_, lui dit Saint-Hilaire, _c’est ce grand homme qu’il faut
pleurer_; paroles comparables à tout ce que l’histoire a consacré de
plus héroïque, et le plus digne éloge de Turenne. Il est très rare
que sous un gouvernement monarchique, où les hommes ne sont occupés
que de leur intérêt particulier, ceux qui ont servi la patrie meurent
regrettés du public. Cependant Turenne fut pleuré des soldats et des
peuples. Louvois fut le seul qui ne le regretta pas: la voix publique
l’accusa même lui et son frère, l’archevêque de Reims, de s’être
réjouis indécemment de la perte de ce grand homme. On sait les honneurs
que le roi fit rendre à sa mémoire, et qu’il fut enterré à Saint-Denys
comme le connétable Du Guesclin[472], au-dessus duquel l’opinion
générale l’élève autant que le siècle de Turenne est supérieur au
siècle du connétable.

Turenne n’avait pas eu toujours des succès heureux à la guerre; il
avait été battu à Mariendal, à Rethel, à Cambrai; aussi disait-il
qu’il avait fait des fautes, et il était assez grand pour l’avouer.
Il ne fit jamais de conquêtes éclatantes, et ne donna point de ces
grandes batailles rangées dont la décision rend quelquefois une
nation maîtresse de l’autre; mais ayant toujours réparé ses défaites
et fait beaucoup avec peu, il passa pour le plus habile capitaine de
l’Europe, dans un temps où l’art de la guerre était plus approfondi
que jamais. De même, quoiqu’on lui eût reproché sa défection dans les
guerres de la fronde; quoiqu’à l’âge de près de soixante ans l’amour
lui eût fait révéler le secret de l’état[473]; quoiqu’il eût exercé
dans le Palatinat des cruautés qui ne semblaient pas nécessaires, il
conserva la réputation d’un homme de bien, sage, et modéré, parceque
ses vertus et ses grands talents, qui n’étaient qu’à lui, devaient
faire oublier des faiblesses et des fautes qui lui étaient communes
avec tant d’autres hommes. Si on pouvait le comparer à quelqu’un, on
oserait dire que de tous les généraux des siècles passés, Gonsalve de
Cordoue, surnommé _le grand capitaine_, est celui auquel il ressemblait
davantage.

Né calviniste, il s’était fait catholique l’an 1668. Aucun protestant,
et même aucun philosophe ne pensa que la persuasion seule eût fait ce
changement dans un homme de guerre, dans un politique âgé de cinquante
années[474], qui avait encore des maîtresses. On sait que Louis XIV,
en le créant maréchal général de ses armées, lui avait dit ces propres
paroles rapportées dans les lettres de Pellisson et ailleurs: «Je
voudrais que vous m’obligeassiez à faire quelque chose de plus pour
vous.» Ces paroles (selon eux) pouvaient, avec le temps, opérer une
conversion. La place de connétable pouvait tenter un cœur ambitieux. Il
était possible aussi que cette conversion fut sincère. Le cœur humain
rassemble souvent la politique, l’ambition, les faiblesses de l’amour,
les sentiments de la religion. Enfin il était très vraisemblable que
Turenne ne quitta la religion de ses pères que par politique; mais les
catholiques, qui triomphèrent de ce changement, ne voulurent pas croire
l’ame de Turenne capable de feindre[475].

Ce qui arriva en Alsace, immédiatement après la mort de Turenne, rendit
sa perte encore plus sensible. Montecuculli, retenu par l’habileté du
général français trois mois entiers au-delà du Rhin, passa ce fleuve
dès qu’il sut qu’il n’avait plus Turenne à craindre. Il tomba sur une
partie de l’armée qui demeurait éperdue entre les mains de Lorges et de
Vaubrun, deux lieutenants-généraux désunis et incertains. Cette armée,
se défendant avec courage, ne put empêcher les Impériaux de pénétrer
dans l’Alsace, dont Turenne les avait tenus écartés. Elle avait besoin
d’un chef non seulement pour la conduire, mais pour réparer la défaite
récente du maréchal de Créqui, homme d’un courage entreprenant, capable
des actions les plus belles et les plus téméraires, dangereux à sa
patrie autant qu’aux ennemis.

Créqui venait d’être vaincu, par sa faute, à Consarbruck. (11 août
1675) Un corps de vingt mille Allemands, qui assiégeait Trèves,
tailla en pièces et mit en fuite sa petite armée. Il échappe à peine
lui quatrième. Il court, à travers de nouveaux périls, se jeter dans
Trèves, qu’il aurait dû secourir avec prudence, et qu’il défendit avec
courage. Il voulait s’ensevelir sous les ruines de la place; la brèche
était praticable: il s’obstine à tenir encore. La garnison murmure. Le
capitaine Bois-Jourdain, à la tête des séditieux, va capituler sur la
brèche. On n’a point vu commettre une lâcheté avec tant d’audace. Il
menace le maréchal de le tuer s’il ne signe. Créqui se retire, avec
quelques officiers fidèles, dans une église: il aima mieux être pris à
discrétion que de capituler[476].

Pour remplacer les hommes que la France avait perdus dans tant de
siéges et de combats, Louis XIV fut conseillé de ne se point tenir aux
recrues de milice comme à l’ordinaire, mais de faire marcher le ban et
l’arrière-ban. Par une ancienne coutume, aujourd’hui hors d’usage, les
possesseurs des fiefs étaient dans l’obligation d’aller à leurs dépens
à la guerre pour le service de leur seigneur suzerain, et de rester
armés un certain nombre de jours. Ce service composait la plus grande
partie des lois de nos nations barbares. Tout est changé aujourd’hui
en Europe; il n’y a aucun état qui ne lève des soldats, qu’on retient
toujours sous le drapeau, et qui forment des corps disciplinés.

Louis XIII convoqua une fois la noblesse de son royaume. Louis XIV
suivit alors cet exemple. Le corps de la noblesse marcha sous les
ordres du marquis depuis maréchal de Rochefort, sur les frontières
de Flandre; et après sur celles d’Allemagne; mais ce corps ne fut ni
considérable ni utile, et ne pouvait l’être. Les gentilshommes, aimant
la guerre et capables de bien servir, étaient officiers dans les
troupes; ceux que l’âge où le mécontentement tenait renfermés chez eux
n’en sortirent point; les autres, qui s’occupaient à cultiver leurs
héritages, vinrent avec répugnance au nombre d’environ quatre mille.
Rien ne ressemblait moins à une troupe guerrière. Tous montés et armés
inégalement, sans expérience et sans exercice, ne pouvant ni ne voulant
faire un service régulier, ils ne causèrent que de l’embarras, et on
fut dégoûté d’eux pour jamais. Ce fut la dernière trace, dans nos
armées réglées, qu’on ait vue de l’ancienne chevalerie, qui composait
autrefois ces armées, et qui, avec le courage naturel à la nation, ne
fit jamais bien la guerre.

(Août et septembre 1675) Turenne mort, Créqui battu et prisonnier,
Trèves prise, Montecuculli fesant contribuer l’Alsace, le roi crut que
le prince de Condé pouvait seul ranimer la confiance des troupes, que
décourageait la mort de Turenne. Condé laissa le maréchal de Luxembourg
soutenir en Flandre la fortune de la France, et alla arrêter les
progrès de Montecuculli. Autant il venait de montrer d’impétuosité à
Senef, autant il eut alors de patience. Son génie, qui se pliait à
tout, déploya le même art que Turenne. Deux seuls campements arrêtèrent
les progrès de l’armée allemande, et firent lever à Montecuculli les
sieges d’Haguenau et de Saverne. Après cette campagne, moins éclatante
que celle de Senef, et plus estimée, ce prince cessa de paraître à la
guerre. Il eût voulu que son fils commandât; il offrait de lui servir
de conseil; mais le roi ne voulait pour généraux ni de jeunes gens ni
de princes; c’était avec quelque peine qu’il s’était servi même du
prince de Condé. La jalousie de Louvois contre Turenne avait contribué,
autant que le nom de Condé, à le mettre à la tête des armées.

Ce prince se retira à Chantilli, d’où il vint très rarement à
Versailles voir sa gloire éclipsée dans un lieu où le courtisan ne
considère que la faveur. Il passa le reste de sa vie tourmenté de
la goutte, se consolant de ses douleurs et de sa retraite dans la
conversation des hommes de génie en tout genre, dont la France était
alors remplie. Il était digne de les entendre; et n’était étranger dans
aucune des sciences ni des arts où ils brillaient. Il fut admiré encore
dans sa retraite: mais enfin ce feu dévorant qui en avait fait dans
sa jeunesse un héros impétueux et plein de passions, ayant consumé les
forces de son corps, né plus agile que robuste, il éprouva la caducité
avant le temps, et son esprit s’affaiblissant avec son corps, il ne
resta rien du grand Condé, les deux dernières années de sa vie: il
mourut en 1686[477]. Montecuculli se retira du service de l’empereur,
en même temps que le prince de Condé cessa de commander les armées de
France.

C’est un conte bien répandu et bien méprisable que Montecuculli renonça
au commandement des armées après la mort de Turenne, parcequ’il
n’avait, disait-il, plus d’émule digne de lui. Il aurait dit une
sottise, quand même il ne fût pas resté un Condé. Loin de dire cette
sottise dont on lui fait honneur, il combattit contre les Français, et
leur fit repasser le Rhin cette année. D’ailleurs, quel général d’armée
aurait jamais dit à son maître: «Je ne veux plus vous servir, parceque
vos ennemis sont trop faibles, et que j’ai un mérite trop supérieur?»



CHAPITRE XIII.

    Depuis la mort de Turenne jusqu’à la paix de Nimègue, en 1678.


Après la mort de Turenne et la retraite du prince de Condé, le roi
n’en continua pas la guerre avec moins d’avantage contre l’empire,
l’Espagne, et la Hollande. Il avait des officiers formés par ces deux
grands hommes. Il avait Louvois, qui lui, valait plus qu’un général,
parceque sa prévoyance mettait les généraux en état d’entreprendre tout
ce qu’ils voulaient. Les troupes, long-temps victorieuses, étaient
animées du même esprit qu’excitait encore la présence d’un roi toujours
heureux.

Il prit en personne, dans le cours de cette guerre, (26 avril 1676)
Condé, (11 mai 1676) Bouchain, (17 mars 1677) Valenciennes, (5 avril
1677) Cambrai. On l’accusa, au siége de Bouchain, d’avoir craint de
combattre le prince d’Orange, qui vint se présenter devant lui avec
cinquante mille hommes pour tenter de jeter du secours dans la place.
On reprocha aussi au prince d’Orange d’avoir pu livrer bataille à Louis
XIV, et de ne l’avoir pas fait. Car tel est le sort des rois et des
généraux, qu’on les blâme toujours de ce qu’ils font et de ce qu’ils
ne font pas; mais ni lui ni le prince d’Orange n’étaient blâmables.
Le prince ne donna point la bataille quoiqu’il le voulût, parceque
Monterey, gouverneur des Pays-Bas, qui était dans son armée, ne voulut
point exposer son gouvernement au hasard d’un événement décisif; la
gloire de la campagne demeura au roi, puisqu’il fit ce qu’il voulut, et
qu’il prit une ville en présence de son ennemi.

A l’égard de Valenciennes, elle fut prise d’assaut, par un de ces
événements singuliers qui caractérisent le courage impétueux de la
nation.

Le roi fesait ce siége, ayant avec lui son frère et cinq maréchaux de
France, d’Humières, Schomberg, La Feuillade, Luxembourg, et de Lorge.
Les maréchaux commandaient chacun leur jour l’un après l’autre. Vauban
dirigeait toutes les opérations.

On n’avait pris encore aucun des dehors de la place. Il fallait d’abord
attaquer deux demi-lunes. Derrière ces demi-lunes était un grand
ouvrage à couronne, palissade et fraisé, entouré d’un fossé coupé de
plusieurs traverses. Dans cet ouvrage à couronne était encore un autre
ouvrage, entouré d’un autre fossé. Il fallait, après s’être rendu
maître de tous ces retranchements, franchir un bras de l’Escaut. Ce
bras franchi, on trouvait encore un autre ouvrage, qu’on nomme pâté.
Derrière ce pâté coulait le grand cours de l’Escaut, profond et rapide,
qui sert de fossé à la muraille. Enfin la muraille était soutenue par
de larges remparts. Tous ces ouvrages étaient couverts de canons. Une
garnison de trois mille hommes préparait une longue résistance.

Le roi tint conseil de guerre pour attaquer les ouvrages du dehors.
C’était l’usage que ces attaques se fissent toujours pendant la nuit,
afin de marcher aux ennemis sans être aperçu, et d’épargner le sang
du soldat. Vauban proposa de faire l’attaque en plein jour. Tous les
maréchaux de France se récrièrent contre cette proposition. Louvois
la condamna. Vauban tint ferme, avec la confiance d’un homme certain
de ce qu’il avance. «Vous voulez, dit-il, ménager le sang du soldat:
vous l’épargnerez bien davantage quand il combattra de jour, sans
confusion et sans tumulte, sans craindre qu’une partie de nos gens
tire sur l’autre, comme il n’arrive que trop souvent. Il s’agit de
surprendre l’ennemi, il s’attend toujours aux attaques de nuit: nous
le surprendrons en effet, lorsqu’il faudra qu’épuisé des fatigues
d’une veille il soutienne les efforts de nos troupes fraîches. Ajoutez
à cette raison que s’il y a dans cette armée des soldats de peu de
courage, la nuit favorise leur timidité; mais que pendant le jour
l’œil du général inspire la valeur, et élève les hommes au-dessus
d’eux-mêmes.»

Le roi se rendit aux raisons de Vauban, malgré Louvois et cinq
maréchaux de France.

(17 mars 1677) A neuf heures du matin les deux compagnies de
mousquetaires, une centaine de grenadiers, un bataillon des gardes, un
du régiment de Picardie, montent de tous côtés sur ce grand ouvrage à
couronne. L’ordre était simplement de s’y loger, et c’était beaucoup:
mais quelques mousquetaires noirs, ayant pénétré par un petit-sentier
jusqu’au retranchement intérieur qui était dans cette fortification,
ils s’en rendent d’abord les maîtres. Dans le même temps, les
mousquetaires gris y abordent par un autre endroit. Les bataillons
des gardes les suivent: on tue et on poursuit les assiégés: les
mousquetaires baissent le pont-levis qui joint cet ouvrage aux autres:
ils suivent l’ennemi de retranchement en retranchement, sur le petit
bras de l’Escaut et sur le grand. Les gardes s’avancent en foule. Les
mousquetaires sont déjà dans la ville, avant que le roi sache que le
premier ouvrage attaqué est emporté.

Ce n’était pas encore ce qu’il y eut de plus étrange dans cette
action. Il était vraisemblable que de jeunes mousquetaires, emportés
par l’ardeur du succès, se jetteraient aveuglément sur les troupes
et sur les bourgeois qui venaient à eux dans la rue; qu’ils y
périraient, ou que la ville allait être pillée: mais ces jeunes
gens, conduits par un cornette, nommé Moissac, se mirent en bataille
derrière des charrettes; et, tandis que les troupes qui venaient se
formaient sans précipitation, d’autres mousquetaires s’emparaient des
maisons voisines, pour protéger par le feu ceux qui étaient dans la
rue: on donnait des otages de part et d’autre: le conseil de ville
s’assemblait: on députait vers le roi: tout cela se fesait sans qu’il
y eût rien de pillé, sans confusion, sans faire de fautes d’aucune
espèce. Le roi fit la garnison prisonnière de guerre, et entra dans
Valenciennes, étonné d’en être le maître. La singularité de l’action a
engagé à entrer dans ce détail.

(9 mars 1678) Il eut encore la gloire de prendre Gand[478] en quatre
jours, et Ypres en sept (25 mars). Voilà ce qu’il fit par lui-même. Ses
succès furent encore plus grands par ses généraux.

(Septembre 1676) Du côté de l’Allemagne, le maréchal duc de Luxembourg
laissa d’abord, à la vérité, prendre Philipsbourg à sa vue, essayant
en vain de la secourir avec une armée de cinquante mille hommes. Le
général qui prit Philipsbourg était Charles V, nouveau duc de Lorraine,
héritier de son oncle Charles IV, et dépouillé comme lui de ses états.
Il avait toutes les qualités de son malheureux oncle, sans en avoir les
défauts. Il commanda long-temps les armées de l’empire avec gloire:
mais, malgré la prise de Philipsbourg, et quoiqu’il fût à la tête de
soixante mille combattants, il ne put jamais rentrer dans ses états. En
vain il mit sur ses étendards, _aut nunc, aut nunquam_, ou maintenant,
ou jamais.

Le maréchal de Créqui racheté de sa prison, et devenu plus prudent par
sa défaite de Consarbruck, lui ferma toujours l’entrée de la Lorraine.
(7 octobre 1677) Il le battit dans le petit combat de Kochersberg en
Alsace. Il le harcela et le fatigua sans relâche. (14 novembre 1677)
Il prit Fribourg à sa vue; et quelque temps après il battit encore un
détachement de son armée à Rhinfeld. (Juillet 1678) Il passa la rivière
de Kins[479] en sa présence, le poursuivit vers Offenbourg, le chargea
dans sa retraite; et ayant immédiatement après emporté le fort de Kehl,
l’epée à la main, il alla brûler le pont de Strasbourg, par lequel
cette ville, qui était libre encore, avait donné tant de fois passage
aux armées impériales. Ainsi le maréchal de Créqui répara un jour de
témérité par une suite de succès dus à sa prudence; et il eût peut-être
acquis une réputation égale à celle de Turenne, s’il eût vécu.

Le prince d’Orange ne fut pas plus heureux en Flandre que le duc de
Lorraine en Allemagne: non seulement il fut obligé de lever le siége
de Mastricht et de Charleroi; mais, après avoir laissé tomber Condé,
Bouchain, et Valenciennes, sous la puissance de Louis XIV, il perdit
la bataille de Mont-Cassel contre Monsieur (11 avril 1677), en
voulant secourir Saint-Omer. Les maréchaux de Luxembourg et d’Humières
commandaient l’armée sous Monsieur. On prétend qu’une faute du prince
d’Orange et un mouvement habile de Luxembourg décidèrent du gain de la
bataille. Monsieur chargea avec une valeur et une présence d’esprit
qu’on n’attendait pas d’un prince efféminé. Jamais on ne vit un
plus grand exemple que le courage n’est point incompatible avec la
mollesse. Ce prince, qui s’habillait souvent en femme, qui en avait les
inclinations, agit en capitaine et en soldat. Le roi, son frère, parut
jaloux de sa gloire. Il parla peu à Monsieur de sa victoire. Il n’alla
pas même voir le champ de bataille, quoiqu’il se trouvât tout auprès.
Quelques serviteurs de Monsieur, plus pénétrants que les autres, lui
prédirent alors qu’il ne commanderait plus d’armée; et ils ne se
trompèrent pas.

Tant de villes prises, tant de combats gagnés en Flandre et en
Allemagne, n’étaient pas les seuls succès de Louis XIV dans cette
guerre. Le comte de Schomberg et le maréchal de Navailles battaient les
Espagnols dans le Lampourdan, au pied des Pyrénées. On les attaquait
jusque dans la Sicile.

La Sicile, depuis le temps des tyrans de Syracuse, sous lesquels au
moins elle avait été comptée pour quelque chose dans le monde, a
toujours été subjuguée par des étrangers; asservie successivement aux
Romains, aux Vandales, aux Arabes, aux Normands, sous le vasselage
des papes, aux Français, aux Allemands, aux Espagnols; haïssant
presque toujours ses maîtres, se révoltant contre eux, sans faire de
véritables efforts dignes de la liberté, et excitant continuellement
des séditions pour changer de chaînes.

Les magistrats de Messine venaient d’allumer une guerre civile contre
leurs gouverneurs, et d’appeler la France à leur secours. Une flotte
espagnole bloquait leur port. Ils étaient réduits aux extrémités de la
famine.

D’abord le chevalier de Valbelle vint avec quelques frégates à travers
la flotte espagnole. Il apporte à Messine des vivres, des armes, et
des soldats. Ensuite le duc de Vivonne arrive avec sept vaisseaux de
guerre de soixante pièces de canon, deux de quatre-vingts, et plusieurs
brûlots; il bat la flotte ennemie (9 février 1675), et entre victorieux
dans Messine.

L’Espagne est obligée d’implorer, pour la défense de la Sicile, les
Hollandais ses anciens ennemis, qu’on regardait toujours comme les
maîtres de la mer. Ruyter vient à son secours du fond du Zuiderzée,
passe le détroit, et joint à vingt vaisseaux espagnols vingt-trois
grands vaisseaux de guerre.

Alors les Français qui, joints avec les Anglais, n’avaient pu battre
les flottes de Hollande, l’emportèrent seuls sur les Hollandais et
les Espagnols réunis. (8 janvier 1676) Le duc de Vivonne, obligé de
rester dans Messine pour contenir le peuple déjà mécontent de ses
défenseurs, laissa donner cette bataille par Duquesne, lieutenant
général des armées navales, homme aussi singulier que Ruyter, parvenu
comme lui au commandement par son seul mérite, mais n’ayant encore
jamais commandé d’armée navale, et plus signalé jusqu’à ce moment dans
l’art d’un armateur que dans celui d’un général. Mais quiconque a le
génie de son art et du commandement, passe bien vite et sans effort du
petit au grand. Duquesne se montra grand général de mer contre Ruyter.
C’était l’être que de remporter sur ce Hollandais un faible avantage.
Il livra encore une seconde bataille navale aux deux flottes ennemies
près d’Agouste[480] (12 mars 1676). Ruyter blessé dans cette bataille
y termina sa glorieuse vie. C’est un des hommes dont la mémoire est
encore dans la plus grande vénération en Hollande. Il avait commencé
par être valet et mousse de vaisseau; il n’en fut que plus respectable.
Le nom des princes de Nassau n’est pas au-dessus du sien. Le conseil
d’Espagne lui donna le titre et les patentes de duc, dignité étrangère
et frivole pour un républicain. Ces patentes ne vinrent qu’après sa
mort. Les enfants de Ruyter, dignes de leur père, refusèrent ce titre
si brigué dans nos monarchies, mais qui n’est pas préférable au nom de
bon citoyen.

Louis XIV eut assez de grandeur d’ame pour être affligé de sa mort. On
lui représenta qu’il était défait d’un ennemi dangereux. Il répondit
«qu’on ne pouvait s’empêcher d’être sensible à la mort d’un grand
homme.»

Duquesne, le Ruyter de la France, attaqua une troisième fois les deux
flottes après la mort du général hollandais. Il leur coula à fond,
brûla, et prit plusieurs vaisseaux. Le maréchal duc de Vivonne avait
le commandement en chef dans cette bataille; mais ce n’en fut pas
moins Duquesne qui remporta la victoire[481]. L’Europe était étonnée
que la France fût devenue en si peu de temps aussi redoutable sur mer
que sur terre. Il est vrai que ces armements et ces batailles gagnées
ne servirent qu’à répandre l’alarme dans tous les états. Le roi
d’Angleterre, ayant commencé la guerre pour l’intérêt de la France,
était prêt enfin de se liguer avec le prince d’Orange, qui venait
d’épouser sa nièce. De plus, la gloire acquise en Sicile coûtait trop
de trésors. Enfin les Français évacuèrent Messine (8 avril 1678), dans
le temps qu’on croyait qu’ils se rendraient maîtres de toute l’île. On
blâma beaucoup Louis XIV d’avoir fait dans cette guerre des entreprises
qu’il ne soutint pas, et d’avoir abandonné Messine, ainsi que la
Hollande, après des victoires inutiles.

Cependant c’était être bien redoutable de n’avoir d’autre malheur que
de ne pas conserver toutes ses conquêtes. Il pressait ses ennemis
d’un bout de l’Europe à l’autre. La guerre de Sicile lui avait coûté
beaucoup moins qu’à l’Espagne épuisée et battue en tous lieux. Il
suscitait encore de nouveaux ennemis à la maison d’Autriche. Il
fomentait les troubles de Hongrie; et ses ambassadeurs à la Porte
ottomane la pressaient de porter la guerre dans l’Allemagne, dût-il
envoyer encore, par bienséance, quelque secours contre les Turcs,
appelés par sa politique. Il accablait seul tous ses ennemis. Car
alors la Suède, son unique alliée, ne fesait qu’une guerre malheureuse
contre l’électeur de Brandebourg. Cet électeur, père du premier roi de
Prusse, commençait à donner à son pays une considération qui s’est bien
augmentée depuis: il enlevait alors la Poméranie aux Suédois.

Il est remarquable que dans le cours de cette guerre il y eut presque
toujours des conférences ouvertes pour la paix; d’abord à Cologne,
par la médiation inutile de la Suède; ensuite à Nimègue, par celle de
l’Angleterre. La médiation anglaise fut une cérémonie presque aussi
vaine que l’avait été l’arbitrage du pape au traité d’Aix-la-Chapelle.
Louis XIV fut en effet le seul arbitre. Il fit ses propositions, le
9 d’avril 1678, au milieu de ses conquêtes, et donna à ses ennemis
jusqu’au 10 de mai pour les accepter. Il accorda ensuite un délai de
six semaines aux états-généraux, qui le demandèrent avec soumission.

Son ambition ne se tournait plus alors du côté de la Hollande. Cette
république avait été assez heureuse ou assez adroite pour ne paraître
plus qu’auxiliaire dans une guerre entreprise pour sa ruine. L’empire
et l’Espagne, d’abord auxiliaires, étaient devenus les principales
parties.

Le roi, dans les conditions qu’il imposa, favorisait le commerce des
Hollandais; il leur rendait Mastricht, et remettait aux Espagnols
quelques villes qui devaient servir de barrières aux Provinces-Unies,
comme Charleroi, Courtrai, Oudenarde, Ath, Gand, Limbourg; mais il se
réservait Bouchain, Condé, Ypres, Valenciennes, Cambrai, Maubeuge,
Aire, Saint-Omer, Cassel, Charlemont, Popering, Bailleul, etc.; ce qui
fesait une bonne partie de la Flandre. Il y ajoutait la Franche-Comté,
qu’il avait deux fois conquise; et ces deux provinces étaient un assez
digne fruit de la guerre.

Il ne voulait dans l’Allemagne que Fribourg ou Philipsbourg, et
laissait le choix à l’empereur. Il rétablissait dans l’évêché de
Strasbourg et dans leurs terres les deux frères Furstenberg, que
l’empereur avait dépouillés, et dont l’un était en prison.

Il fut hautement le protecteur de la Suède, son alliée, et alliée
malheureuse, contre le roi de Danemark et l’électeur de Brandebourg. Il
exigea que le Danemark rendît tout ce qu’il avait pris sur la Suède;
qu’il modérât les droits de passage dans la mer Baltique; que le duc
de Holstein fût rétabli dans ses états; que le Brandebourg cédât la
Poméranie qu’il avait conquise; que les traités de Vestphalie fussent
rétablis de point en point. Sa volonté était une loi d’un bout de
l’Europe à l’autre. En vain l’électeur de Brandebourg lui écrivit la
lettre la plus soumise, l’appelant monseigneur, selon l’usage, le
conjurant de lui laisser ce qu’il avait acquis, l’assurant de son
zèle et de son service: ses soumissions furent aussi inutiles que sa
résistance, et il fallut que le vainqueur des Suédois rendît toutes ses
conquêtes.

Alors les ambassadeurs de France prétendaient la main sur les
électeurs. Celui de Brandebourg offrit tous les tempéraments pour
traiter à Clèves avec le comte depuis maréchal d’Estrades, ambassadeur
auprès des États-Généraux. Le roi ne voulut jamais permettre qu’un
homme qui le représentait cédât à un électeur, et le comte d’Estrades
ne put traiter.

Charles-Quint avait mis l’égalité entre les grands d’Espagne et les
électeurs. Les pairs de France par conséquent la prétendaient. On voit
aujourd’hui à quel point les choses sont changées, puisque aux diètes
de l’empire les ambassadeurs des électeurs sont traités comme ceux des
rois.

Quant à la Lorraine, il offrait de rétablir le nouveau duc Charles V;
mais il voulait rester maître de Nanci et de tous les grands chemins.

Ces conditions furent fixées avec la hauteur d’un conquérant; cependant
elles n’étaient pas si outrées qu’elles dussent désespérer ses ennemis,
et les obliger à se réunir contre lui par un dernier effort: il parlait
à l’Europe en maître, et agissait en même temps en politique.

Il sut aux conférences de Nimègue semer la jalousie parmi les alliés.
Les Hollandais s’empressèrent de signer, malgré le prince d’Orange,
qui, à quelque prix que ce fut, voulait faire la guerre; ils disaient
que les Espagnols étaient trop faibles pour les secourir s’ils ne
signaient pas.

Les Espagnols, voyant que les Hollandais avaient accepté la paix, la
reçurent aussi, disant que l’empire ne fesait pas assez d’efforts pour
la cause commune.

Enfin les Allemands, abandonnés de la Hollande et de l’Espagne,
signèrent les derniers, en laissant Fribourg au roi, et confirmant les
traités de Vestphalie.

Rien ne fut changé aux conditions prescrites par Louis XIV. Ses
ennemis eurent beau faire des propositions outrées pour colorer leur
faiblesse, l’Europe reçut de lui des lois et la paix. Il n’y eut que
le duc de Lorraine qui osa refuser l’acceptation d’un traité qui lui
semblait trop odieux. Il aima mieux être un prince errant dans l’empire
qu’un souverain sans pouvoir et sans considération dans ses états: il
attendit sa fortune du temps et de son courage.

(10 août 1678) Dans le temps des conférences de Nimègue, et quatre
jours après que les plénipotentiaires de France et de Hollande avaient
signé la paix, le prince d’Orange fit voir combien Louis XIV avait
en lui un ennemi dangereux. Le maréchal de Luxembourg, qui bloquait
Mons, venait de recevoir la nouvelle de la paix. Il était tranquille
dans le village de Saint-Denys, et dînait chez l’intendant de l’armée.
(14 août) Le prince d’Orange, avec toutes ses troupes, fond sur le
quartier du maréchal, le force, et engage un combat sanglant, long,
et opiniâtre, dont il espérait avec raison une victoire signalée, car
non seulement il attaquait, ce qui est un avantage, mais il attaquait
des troupes qui se reposaient sur la foi du traité. Le maréchal de
Luxembourg eut beaucoup de peine à résister; et s’il y eut quelque
avantage dans ce combat, il fut du côté du prince d’Orange, puisque son
infanterie demeura maîtresse du terrain où elle avait combattu.

Si les hommes ambitieux comptaient pour quelque chose le sang des
autres hommes, le prince d’Orange n’eût point donné ce combat. Il
savait certainement que la paix était signée; il savait que cette paix
était avantageuse à son pays; cependant il prodiguait sa vie et celle
de plusieurs milliers d’hommes pour prémices d’une paix générale qu’il
n’aurait pu empêcher, même en battant les Français. Cette action,
pleine d’inhumanité non moins que de grandeur, et plus admirée alors
que blâmée, ne produisit pas un nouvel article de paix, et coûta, sans
aucun fruit, la vie à deux mille Français et à autant d’ennemis. On
vit dans cette paix combien les événements contredisent les projets.
La Hollande, contre qui seule la guerre avait été entreprise, et qui
aurait dû être détruite, n’y perdit rien; au contraire, elle y gagna
une barrière: et toutes les autres puissances qui l’avaient garantie de
la destruction y perdirent.

Le roi fut en ce temps au comble de la grandeur. Victorieux depuis
qu’il régnait, n’ayant assiégé aucune place qu’il n’eût prise,
supérieur en tout genre à ses ennemis réunis, la terreur de l’Europe
pendant six années de suite, enfin son arbitre et son pacificateur,
ajoutant à ses états la Franche-Comté, Dunkerque, et la moitié de
la Flandre; et, ce qu’il devait compter pour le plus grand de ses
avantages, roi d’une nation alors heureuse, et alors le modèle
des autres nations. L’hôtel-de-ville de Paris lui déféra quelque
temps après le nom de _grand_ avec solennité (1680), et ordonna que
dorénavant ce titre seul serait employé dans tous les monuments
publics. On avait, dès 1673, frappé quelques médailles chargées de ce
surnom. L’Europe, quoique jalouse, ne réclama pas contre ces honneurs.
Cependant le nom de Louis XIV a prévalu dans le public sur celui de
_grand_. L’usage est le maître de tout. Henri, qui fut surnommé _le
grand_ à si juste titre après sa mort, est appelé communément Henri
IV; et ce nom seul en dit assez. M. le Prince est toujours appelé _le
grand_ Condé, non seulement à cause de ses actions héroïques, mais par
la facilité qui se trouve à le distinguer, par ce surnom, des autres
princes de Condé. Si on l’avait nommé Condé _le grand_, ce titre ne lui
fût pas demeuré. On dit _le grand_ Corneille, pour le distinguer de son
frère[482]. On ne dit pas _le grand_ Virgile, ni _le grand_ Homère, ni
_le grand_ Tasse. Alexandre-le-Grand n’est plus connu que sous le nom
d’Alexandre. On ne dit point César _le grand_. Charles-Quint, dont la
fortune fut plus éclatante que celle de Louis XIV, n’a jamais eu le nom
de _grand_: il n’est resté à Charlemagne que comme un nom propre. Les
titres ne servent de rien pour la postérité, le nom d’un homme qui a
fait de grandes choses impose plus de respect que toutes les épithètes.



CHAPITRE XIV.

    Prise de Strasbourg. Bombardement d’Alger. Soumission de Gênes.
    Ambassade de Siam. Le pape bravé dans Rome. Électorat de Cologne
    disputé.


L’ambition de Louis XIV ne fut point retenue par cette paix générale.
L’empire, l’Espagne, la Hollande, licencièrent leurs troupes
extraordinaires. Il garda toutes les siennes; il fit de la paix un
temps de conquêtes (1680): il était même si sûr alors de son pouvoir,
qu’il établit dans Metz et dans Brisach[483] des juridictions pour
réunir à sa couronne toutes les terres qui pouvaient avoir été
autrefois de la dépendance de l’Alsace ou des Trois-Évêchés, mais
qui depuis un temps immémorial avaient passé sous d’autres maîtres.
Beaucoup de souverains de l’empire, l’électeur palatin, le roi
d’Espagne même, qui avait quelques bailliages dans ces pays, le roi
de Suède, comme duc des Deux-Ponts, furent cités devant ces chambres
pour rendre hommage au roi de France, ou pour subir la confiscation de
leurs biens. Depuis Charlemagne on n’avait vu aucun prince agir ainsi
en maître et en juge des souverains, et conquérir des pays par des
arrêts.

L’électeur palatin et celui de Trèves furent dépouillés des seigneuries
de Falkenbourg, de Germersheim, de Veldentz, etc. Ils portèrent en vain
leurs plaintes à l’empire assemblé à Ratisbonne, qui se contenta de
faire des protestations.

Ce n’était pas assez au roi d’avoir la préfecture des dix villes
libres de l’Alsace au même titre que l’avaient eue les empereurs;
déjà dans aucune de ces villes on n’osait plus parler de liberté.
Restait Strasbourg, ville grande et riche, maîtresse du Rhin par le
pont qu’elle avait sur ce fleuve; elle formait seule une puissante
république, fameuse par son arsenal qui renfermait neuf cents pièces
d’artillerie.

Louvois avait formé dès long-temps le dessein de la donner à son
maître. L’or, l’intrigue, et la terreur, qui lui avaient ouvert
les portes de tant de villes, préparèrent l’entrée de Louvois dans
Strasbourg. (30 septembre 1681) Les magistrats furent gagnés. Le
peuple fut consterné de voir à-la-fois vingt mille Français autour de
ses remparts; les forts qui les défendaient près du Rhin, insultés et
pris dans un moment; Louvois aux portes, et les bourgmestres parlant
de se rendre: les pleurs et le désespoir des citoyens, amoureux de la
liberté, n’empêchèrent point qu’en un même jour le traité de reddition
ne fût proposé par les magistrats, et que Louvois ne prît possession
de la ville. Vauban en a fait depuis, par les fortifications qui
l’entourent, la barrière la plus forte de la France.

Le roi ne ménageait pas plus l’Espagne; il demandait dans les Pays-Bas
la ville d’Alost et tout son bailliage, que les ministres avaient
oublié, disait-il, d’insérer dans les conditions de la paix; et, sur
les délais de l’Espagne, il fit bloquer la ville de Luxembourg (1682).

En même temps il achetait la forte ville de Casal d’un petit prince duc
de Mantoue (1681), qui aurait vendu tout son état pour fournir à ses
plaisirs.

En voyant cette puissance qui s’étendait ainsi de tous côtés, et qui
acquérait pendant la paix plus que dix rois prédécesseurs de Louis
XIV n’avaient acquis par leurs guerres, les alarmes de l’Europe
recommencèrent. L’empire, la Hollande, la Suède même, mécontente du
roi, firent un traité d’association. Les Anglais menacèrent; les
Espagnols voulurent la guerre: le prince d’Orange remua tout pour
la faire commencer; mais aucune puissance n’osait alors porter les
premiers coups[484].

Le roi, craint partout, ne songea qu’à se faire craindre davantage.
(1680) Il portait enfin sa marine au-delà des espérances des Français
et des craintes de l’Europe: il eut soixante mille matelots (1681,
1682). Des lois aussi sévères que celles de la discipline des armées de
terre retenaient tous ces hommes grossiers dans le devoir. L’Angleterre
et la Hollande, ces puissances maritimes, n’avaient ni tant d’hommes
de mer, ni de si bonnes lois. Des compagnies de cadets dans les places
frontières, et des gardes-marines dans les ports, furent instituées et
composées de jeunes gens qui apprenaient tous les arts convenables à
leur profession, sous des maîtres payés du trésor public.

Le port de Toulon, sur la Méditerranée, fut construit à frais immenses
pour contenir cent vaisseaux de guerre, avec un arsenal et des magasins
magnifiques. Sur l’Océan, le port de Brest se formait avec la même
grandeur. Dunkerque, le Havre-de-Grace, se remplissaient de vaisseaux:
la nature était forcée à Rochefort.

Enfin le roi avait plus de cent vaisseaux de ligne, dont plusieurs
portaient cent canons, et quelques uns davantage. Ils ne restaient
pas oisifs dans les ports. Ses escadres, sous le commandement de
Duquesne, nettoyaient les mers infestées par les corsaires de Tripoli
et d’Alger. Il se vengea d’Alger avec le secours d’un art nouveau, dont
la découverte fut due à cette attention qu’il avait d’exciter tous les
génies de son siècle. Cet art funeste, mais admirable, est celui des
galiotes à bombes, avec lesquelles on peut réduire des villes maritimes
en cendres. Il y avait un jeune homme, nommé Bernard Renaud, connu
sous le nom de _petit Renaud_, qui, sans avoir jamais servi sur les
vaisseaux, était un excellent marin à force de génie. Colbert, qui
déterrait le mérite dans l’obscurité, l’avait souvent appelé au conseil
de marine, même en présence du roi. C’était par les soins et sur les
lumières de Renaud, que l’on suivait depuis peu une méthode plus
régulière et plus facile pour la construction des vaisseaux. Il osa
proposer dans le conseil de bombarder Alger avec une flotte. On n’avait
pas d’idée que les mortiers à bombes pussent n’être pas posés sur un
terrain solide. La proposition révolta. Il essuya les contradictions et
les railleries que tout inventeur doit attendre; mais sa fermeté, et
cette éloquence qu’ont d’ordinaire les hommes vivement frappés de leurs
inventions, déterminèrent le roi à permettre l’essai de cette nouveauté.

Renaud fit construire cinq vaisseaux plus petits que les vaisseaux
ordinaires, mais plus forts de bois, sans ponts, avec un faux tillac à
fond de cale, sur lequel on maçonna des creux où l’on mit les mortiers.
Il partit avec cet équipage sous les ordres du vieux Duquesne, qui
était chargé de l’entreprise, et n’en attendait aucun succès. Duquesne
et les Algériens furent étonnés de l’effet des bombes. (28 octobre
1681) Une partie de la ville fut écrasée et consumée: mais cet art,
porté bientôt chez les autres nations, ne servit qu’à multiplier les
calamités humaines, et fut plus d’une fois redoutable à la France, où
il fut inventé[485].

La marine, ainsi perfectionnée en peu d’années, était le fruit des
soins de Colbert. Louvois fesait à l’envi fortifier plus de cent
citadelles. De plus, on bâtissait Huningue, Sar-Louis, les forteresses
de Strasbourg, Mont-Royal, etc.; et pendant que le royaume acquérait
tant de force au dehors, on ne voyait au-dedans que les arts en
honneur, l’abondance, les plaisirs. Les étrangers venaient en foule
admirer la cour de Louis XIV. Son nom pénétrait chez tous les peuples
du monde.

Son bonheur et sa gloire étaient encore relevés par la faiblesse de la
plupart des autres rois, et par le malheur de leurs peuples. L’empereur
Léopold avait alors à craindre les Hongrois révoltés, et surtout les
Turcs qui, appelés par les Hongrois, venaient inonder l’Allemagne. La
politique de Louis persécutait les protestants en France, parcequ’il
croyait devoir les mettre hors d’état de lui nuire; mais protégeait
sous main les protestants et les révoltés de Hongrie, qui pouvaient le
servir. Son ambassadeur à la Porte avait pressé l’armement des Turcs
avant la paix de Nimègue. Le divan, par une singularité bizarre, a
presque toujours attendu que l’empereur fût en paix pour se déclarer
contre lui. Il ne lui fit la guerre en Hongrie qu’en 1682; et, l’année
d’après, l’armée ottomane, forte, dit-on, de plus de deux cent mille
combattants, augmentée encore des troupes hongroises, ne trouvant
sur son passage ni villes fortifiées, telles que la France en avait,
ni corps d’armée capables de l’arrêter, pénétra jusqu’aux portes de
Vienne, après avoir tout renversé sur son passage.

L’empereur Léopold quitta d’abord Vienne avec précipitation, et se
retira jusqu’à Lintz, à l’approche des Turcs; et quand il sut qu’ils
avaient investi Vienne, il ne prit d’autre parti que d’aller encore
plus loin jusqu’à Passau, laissant le duc de Lorraine à la tête d’une
petite armée, déjà entamée en chemin par les Turcs, soutenir comme il
pourrait la fortune de l’empire[486].

Personne ne doutait que le grand-vizir Kara Mustapha, qui commandait
l’armée ottomane, ne se rendît bientôt maître de Vienne, ville mal
fortifiée, abandonnée de son maître, défendue à la vérité par une
garnison dont le fonds devait être de seize mille hommes, mais dont
l’effectif n’était pas de plus de huit mille. On touchait au moment de
la plus terrible révolution.

Louis XIV espéra, avec beaucoup de vraisemblance, que l’Allemagne,
désolée par les Turcs, et n’ayant contre eux qu’un chef dont la
fuite augmentait la terreur commune, serait obligée de recourir à
la protection de la France. Il avait une armée sur les frontières
de l’empire, prête à le défendre contre ces mêmes Turcs que ses
précédentes négociations y avaient amenés. Il pouvait ainsi devenir le
protecteur de l’empire, et faire son fils roi des Romains.

Il avait joint d’abord les démarches généreuses à ses desseins
politiques, dès que les Turcs avaient menacé l’Autriche; non qu’il eût
envoyé une seconde fois des secours à l’empereur, mais il avait déclaré
qu’il n’attaquerait point les Pays-Bas, et qu’il laisserait ainsi à la
branche d’Autriche espagnole le pouvoir d’aider la branche allemande,
prête à succomber: il voulait pour prix de son inaction qu’on le
satisfît sur plusieurs points équivoques du traité de Nimègue, et
principalement sur ce bailliage d’Alost, qu’on avait oublié d’insérer
dans le traité. Il fit lever le blocus de Luxembourg, en 1682, sans
attendre qu’on le satisfît, et il s’abstint de toute hostilité une
année entière. Cette générosité se démentit enfin pendant le siége
de Vienne. Le conseil d’Espagne, au lieu de l’apaiser, l’aigrit; et
Louis XIV reprit les armes dans les Pays-Bas, précisément lorsque
Vienne était prête de succomber: c’était au commencement de septembre;
mais, contre toute attente, Vienne fut délivrée. La présomption du
grand-vizir, sa mollesse, son mépris brutal pour les chrétiens, son
ignorance, sa lenteur, le perdirent: il fallait l’excès de toutes
ces fautes pour que Vienne ne fût pas prise. Le roi de Pologne,
Jean Sobieski, eut le temps d’arriver; et avec le secours du duc de
Lorraine, il n’eut qu’à se présenter devant la multitude ottomane
pour la mettre en déroute (12 septembre 1683). L’empereur revint dans
sa capitale avec la douleur de l’avoir quittée. Il y rentra lorsque
son libérateur sortait de l’église[487], où l’on avait chanté le _Te
Deum_, et où le prédicateur avait pris pour son texte: «Il fut un homme
envoyé de Dieu, nommé Jean.» Vous avez déjà vu[488] que le pape Pie V
avait appliqué ces paroles à don Juan d’Autriche, après la victoire
de Lépante. Vous savez que ce qui paraît neuf n’est souvent qu’une
redite. L’empereur Léopold fut à-la-fois triomphant et humilié. Le
roi de France, n’ayant plus rien à ménager, fit bombarder Luxembourg.
Il se saisit de Courtrai (novembre 1683), de Dixmude en Flandre. Il
s’empara de Trèves, et en démolit les fortifications; tout cela pour
remplir, disait-on, l’esprit des traités de Nimègue. Les Impériaux et
les Espagnols négociaient avec lui à Ratisbonne, pendant qu’il prenait
leurs villes; et la paix de Nimègue enfreinte fut changée en une
trêve (août 1684) de vingt ans, par laquelle le roi garda la ville de
Luxembourg et sa principauté, qu’il venait de prendre.

(Avril 1684) Il était encore plus redouté sur les côtes de l’Afrique,
où les Français n’étaient connus, avant lui, que par les esclaves que
fesaient les barbares.

Alger, deux fois bombardée, envoya des députés lui demander pardon,
et recevoir la paix; ils rendirent tous les esclaves chrétiens, et
payèrent encore de l’argent, ce qui est la plus grande punition des
corsaires.

Tunis, Tripoli, firent les mêmes soumissions. Il n’est pas inutile de
dire que lorsque Damfreville, capitaine de vaisseau, vint délivrer
dans Alger tous les esclaves chrétiens au nom du roi de France, il se
trouva parmi eux beaucoup d’Anglais qui, étant déjà à bord, soutinrent
à Damfreville que c’était en considération du roi d’Angleterre qu’ils
étaient mis en liberté. Alors le capitaine français fit appeler les
Algériens, et remettant les Anglais à terre: «Ces gens-ci, dit-il,
prétendent n’être délivrés qu’au nom de leur roi, le mien ne prend pas
la liberté de leur offrir sa protection; je vous les remets; c’est à
vous à montrer ce que vous devez au roi d’Angleterre.» Tous les Anglais
furent remis aux fers. La fierté anglaise, la faiblesse du gouvernement
de Charles II, et le respect des nations pour Louis XIV, se font
connaître par ce trait.

Tel était ce respect universel, qu’on accordait de nouveaux honneurs
à son ambassadeur à la Porte ottomane, tel que celui du sopha; tandis
qu’il humiliait les peuples d’Afrique qui sont sous la protection du
grand-seigneur.

La république de Gênes s’abaissa encore plus devant lui que celle
d’Alger. Gênes avait vendu de la poudre et des bombes aux Algériens.
Elle construisait quatre galères pour le service de l’Espagne. Le roi
lui défendit par son envoyé Saint-Olon, l’un de ses gentilshommes
ordinaires, de lancer à l’eau les galères, et la menaça d’un châtiment
prompt si elle ne se soumettait à ses volontés. Les Génois, irrités
de cette entreprise sur leur liberté, et comptant trop sur le secours
de l’Espagne, ne firent aucune satisfaction. Aussitôt quatorze gros
vaisseaux, vingt galères, dix galiotes à bombes, plusieurs frégates,
sortent du port de Toulon. Seignelai, nouveau secrétaire de la marine,
et à qui le fameux Colbert, son père, avait déjà fait exercer cet
emploi avant sa mort, était lui-même sur la flotte. Ce jeune homme,
plein d’ambition, de courage, d’esprit, d’activité, voulait être
à-la-fois guerrier et ministre, avide de toute espèce de gloire, ardent
à tout ce qu’il entreprenait, et mêlant les plaisirs aux affaires sans
qu’elles en souffrissent. Le vieux Duquesne commandait les vaisseaux,
le duc de Mortemar les galères; mais tous deux étaient les courtisans
du secrétaire d’état. On arrive devant Gênes; les dix galiotes y
jettent quatorze mille bombes (17 mars 1684)[489], et réduisent en
cendres une partie de ces édifices de marbre, qui ont fait donner à
la ville le nom de _Gênes la superbe_. Quatorze[490] mille soldats
débarqués s’avancent jusqu’aux portes, et brûlent le faubourg de
Saint-Pierre d’Arène. Alors, il fallut s’humilier pour prévenir une
ruine totale. (22 février 1685) Le roi exigea que le doge de Gênes et
quatre principaux sénateurs vinssent implorer sa clémence dans son
palais de Versailles; et, de peur que les Génois n’éludassent la
satisfaction, et ne dérobassent quelque chose à sa gloire, il voulut
que le doge qui viendrait lui demander pardon fût continué dans sa
principauté, malgré la loi perpétuelle de Gênes, qui ôte cette dignité
à tout doge absent un moment de la ville.

Impériale Lescaro, doge de Gênes, avec les sénateurs Lomellino,
Garibaldi, Durazzo, et Salvago, vinrent à Versailles[491] faire tout
ce que le roi exigeait d’eux. Le doge, en habit de cérémonie, parla,
couvert d’un bonnet de velours rouge qu’il ôtait souvent: son discours
et ses marques de soumission étaient dictés par Seignelai. Le roi
l’écouta, assis et couvert; mais, comme dans toutes les actions de sa
vie il joignait la politesse à la dignité, il traita Lescaro et les
sénateurs avec autant de bonté que de faste. Les ministres Louvois,
Croissi, et Seignelai, lui firent sentir plus de fierté. Aussi le doge
disait: «Le roi ôte à nos cœurs la liberté, par la manière dont il nous
reçoit; mais ses ministres nous la rendent.» Ce doge était un homme
de beaucoup d’esprit. Tout le monde sait que le marquis de Seignelai
lui ayant demandé ce qu’il trouvait de plus singulier à Versailles, il
répondit: _C’est de m’y voir_.

(1684) L’extrême goût que Louis XIV avait pour les choses d’éclat fut
encore bien plus flatté par l’ambassade qu’il reçut de Siam[492],
pays où l’on avait ignoré jusqu’alors que la France existât. Il était
arrivé, par une de ces singularités qui prouvent la supériorité des
Européans sur les autres nations, qu’un Grec, fils d’un cabaretier
de Céphalonie, nommé Phalk Constance[493], était devenu _Barcalon_,
c’est-à-dire premier ministre ou grand-vizir du royaume de Siam. Cet
homme, dans le dessein de s’affermir et de s’élever encore, et dans
le besoin qu’il avait de secours étrangers, n’avait osé se confier
ni aux Anglais ni aux Hollandais; ce sont des voisins trop dangereux
dans les Indes. Les Français venaient d’établir des comptoirs sur les
côtes de Coromandel, et avaient porté dans ces extrémités de l’Asie la
réputation de leur roi. Constance crut Louis XIV propre à être flatté
par un hommage qui viendrait de si loin sans être attendu. La religion,
dont les ressorts font jouer la politique du monde depuis Siam jusqu’à
Paris, servit encore à ses desseins. Il envoya, au nom du roi de Siam,
son maître, une solennelle ambassade avec de grands présents à Louis
XIV, pour lui faire entendre que ce roi indien, charmé de sa gloire,
ne voulait faire de traité de commerce qu’avec la nation française, et
qu’il n’était pas même éloigné de se faire chrétien. La grandeur du roi
flattée, et sa religion trompée, l’engagèrent à envoyer au roi de Siam
deux ambassadeurs et six jésuites; et depuis il y joignit des officiers
avec huit cents soldats: mais l’éclat de cette ambassade siamoise
fut le seul fruit qu’on en retira. Constance périt quatre ans après,
victime de son ambition: quelque peu des Français qui restèrent auprès
de lui furent massacrés, d’autres obligés de fuir; et sa veuve, après
avoir été sur le point d’être reine, fut condamnée, par le successeur
du roi de Siam, à servir dans la cuisine, emploi pour lequel elle était
née.

Cette soif de gloire, qui portait Louis XIV à se distinguer en tout
des autres rois, paraissait encore dans la hauteur qu’il affectait
avec la cour de Rome. Odescalchi, Innocent XI, fils d’un banquier du
Milanais, était sur le trône de l’Église. C’était un homme vertueux, un
pontife sage, peu théologien, prince courageux, ferme, et magnifique.
Il secourut contre les Turcs l’empire et la Pologne de son argent, et
les Vénitiens de ses galères. Il condamnait avec hauteur la conduite
de Louis XIV, uni contre des chrétiens avec les Turcs. On s’étonnait
qu’un pape prît si vivement le parti des empereurs qui se disent rois
des Romains, et qui, s’ils le pouvaient, règneraient dans Rome; mais
Odescalchi était né sous la domination autrichienne. Il avait fait
deux campagnes dans les troupes du Milanais. L’habitude et l’humeur
gouvernent les hommes. Sa fierté s’irritait contre celle du roi qui,
de son côté, lui donnait toutes les mortifications qu’un roi de France
peut donner à un pape, sans rompre de communion avec lui. Il y avait
depuis long-temps dans Rome un abus difficile à déraciner, parcequ’il
était fondé sur un point d’honneur dont se piquaient tous les rois
catholiques. Leurs ambassadeurs à Rome étendaient le droit de franchise
et d’asile, affecté à leur maison, jusqu’à une très grande distance,
qu’on nomme _quartier_. Ces prétentions, toujours soutenues, rendaient
la moitié de Rome un asile sûr à tous les crimes. Par un autre abus,
ce qui entrait dans Rome sous le nom des ambassadeurs ne payait jamais
d’entrée. Le commerce en souffrait, et le fisc en était appauvri.

Le pape Innocent XI obtint enfin de l’empereur, du roi d’Espagne,
de celui de Pologne, et du nouveau roi d’Angleterre, Jacques II,
prince catholique, qu’ils renonçassent à ces droits odieux. Le nonce
Ranucci proposa à Louis XIV de concourir, comme les autres rois, à la
tranquillité et au bon ordre de Rome. Louis, très mécontent du pape,
répondit «Qu’il ne s’était jamais réglé sur l’exemple d’autrui, et que
c’était à lui de servir d’exemple[494].» Il envoya à Rome le marquis de
Lavardin en ambassade pour braver le pape. (16 novembre 1687) Lavardin
entra dans Rome, malgré les défenses du pontife, escorté de quatre
cents gardes de la marine, de quatre cents officiers volontaires, et
de deux cents hommes de livrée, tous armés. Il prit possession de
son palais, de ses quartiers, et de l’église de Saint-Louis, autour
desquels il fit poster des sentinelles, et faire la ronde comme dans
une place de guerre. Le pape est le seul souverain à qui on pût envoyer
une telle ambassade: car la supériorité qu’il affecte sur les têtes
couronnées leur donne toujours envie de l’humilier; et la faiblesse de
son état fait qu’on l’outrage toujours impunément. Tout ce qu’Innocent
XI put faire, fut de se servir, contre le marquis de Lavardin, des
armes usées de l’excommunication; armes dont on ne fait pas même
plus de cas à Rome qu’ailleurs, mais qu’on ne laisse pas d’employer
comme une ancienne formule, ainsi que les soldats du pape sont armés
seulement pour la forme.

Le cardinal d’Estrées, homme d’esprit, mais négociateur souvent
malheureux, était alors chargé des affaires de France à Rome.
D’Estrées, ayant été obligé de voir souvent le marquis de Lavardin, ne
put être ensuite admis à l’audience du pape sans recevoir l’absolution:
en vain il s’en défendit, Innocent XI s’obstina à la lui donner,
pour conserver toujours cette autorité imaginaire par les usages sur
lesquels elle est fondée.

Louis, avec la même hauteur, mais toujours soutenu par les souterrains
de la politique, voulut donner un électeur à Cologne. Occupé du soin de
diviser ou de combattre l’empire, il prétendait élever à cet électorat
le cardinal de Furstenberg, évêque de Strasbourg, sa créature et la
victime de ses intérêts, ennemi irréconciliable de l’empereur, qui
l’avait fait emprisonner dans la dernière guerre, comme un Allemand
vendu à la France.

Le chapitre de Cologne, comme tous les autres chapitres d’Allemagne, a
le droit de nommer son évêque, qui par là devient électeur. Celui qui
remplissait ce siége était Ferdinand de Bavière, autrefois l’allié,
et depuis l’ennemi du roi, comme tant d’autres princes. Il était
malade à l’extrémité. L’argent du roi, répandu à propos parmi les
chanoines, les intrigues et les promesses, firent élire le cardinal
de Furstenberg comme coadjuteur; et après la mort du prince, il fut
élu une seconde fois par la pluralité des suffrages. Le pape, par le
concordat germanique, a le droit de conférer l’évêché à l’élu, et
l’empereur a celui de confirmer à l’électorat. L’empereur et le pape
Innocent XI, persuadés que c’était presque la même chose, de laisser
Furstenberg sur ce trône électoral et d’y mettre Louis XIV, s’unirent,
pour donner cette principauté au jeune Bavière[495], frère du dernier
mort. (Octobre 1688) Le roi se vengea du pape en lui ôtant Avignon, et
prépara la guerre à l’empereur. Il inquiétait en même temps l’électeur
palatin, au sujet des droits de la princesse palatine, Madame, seconde
femme de Monsieur; droits auxquels elle avait renoncé par son contrat
de mariage. La guerre faite à l’Espagne, en 1667, pour les droits de
Marie-Thérèse, malgré une pareille renonciation, prouve bien que les
contrats sont faits pour les particuliers. Voilà comme le roi, au
comble de sa grandeur, indisposa, ou dépouilla, ou humilia, presque
tous les princes; aussi presque tous se réunissaient contre lui.



CHAPITRE XV.

    Le roi Jacques détrôné par son gendre Guillaume III, et protégé par
    Louis XIV.


Le prince d’Orange, plus ambitieux que Louis XIV, avait conçu des
projets vastes qui pouvaient paraître chimériques dans un stathouder de
Hollande, mais qu’il justifia par son habileté et par son courage. Il
voulait abaisser le roi de France, et détrôner le roi d’Angleterre. Il
n’eut pas de peine à liguer petit à petit l’Europe contre la France.
L’empereur, une partie de l’empire, la Hollande, le duc de Lorraine,
s’étaient d’abord secrètement ligués à Augsbourg (1687); ensuite
l’Espagne et la Savoie s’unirent à ces puissances. Le pape, sans être
expressément un des confédérés, les animait tous par ses intrigues.
Venise les favorisait, sans se déclarer ouvertement. Tous les princes
d’Italie étaient pour eux. Dans le nord, la Suède était alors du parti
des Impériaux, et le Danemark était un allié inutile de la France. Plus
de cinq cent mille protestants, fuyant la persécution de Louis, et
emportant avec eux hors de France leur industrie et leur haine contre
le roi, étaient de nouveaux ennemis qui allaient dans toute l’Europe
exciter les puissances déjà animées à la guerre. (On parlera de cette
fuite dans le chapitre de la religion[496].) Le roi était de tous
côtés entouré d’ennemis, et n’avait d’ami que le roi Jacques.

Jacques, roi d’Angleterre, successeur de Charles II, son frère, était
catholique comme lui; mais Charles n’avait bien voulu souffrir qu’on
le fît catholique, sur la fin de sa vie, que par complaisance pour ses
maîtresses et pour son frère: il n’avait en effet d’autre religion
qu’un pur déisme. Son extrême indifférence sur toutes les disputes
qui partagent les hommes n’avait pas peu contribué à le faire régner
paisiblement en Angleterre. Jacques, au contraire, attaché depuis sa
jeunesse à la communion romaine par persuasion, joignit à sa créance
l’esprit de parti et de zèle. S’il eût été mahométan, ou de la religion
de Confucius, les Anglais n’eussent jamais troublé son règne; mais
il avait formé le dessein de rétablir dans son royaume[497] le
catholicisme, regardé avec horreur par ces royalistes républicains
comme la religion de l’esclavage. C’est une entreprise quelquefois
très aisée de rendre une religion dominante dans un pays. Constantin,
Clovis, Gustave-Vasa, la reine Élisabeth, firent recevoir sans danger,
chacun par des moyens différents, une religion nouvelle; mais pour
de pareils changements, deux choses sont absolument nécessaires, une
profonde politique et des circonstances heureuses: l’une et l’autre
manquaient à Jacques.

Il était indigné de voir que tant de rois dans l’Europe étaient
despotiques; que ceux de Suède et de Danemark le devenaient alors;
qu’enfin il ne restait plus dans le monde que la Pologne et
l’Angleterre où la liberté des peuples subsistât avec la royauté.
Louis XIV l’encourageait à devenir absolu chez lui, et les jésuites
le pressaient de rétablir leur religion avec leur crédit. Il s’y prit
si malheureusement, qu’il ne fit que révolter tous les esprits. Il
agit d’abord comme s’il fût venu à bout de ce qu’il avait envie de
faire; ayant publiquement à sa cour un nonce du pape, des jésuites,
des capucins; mettant en prison sept évêques anglicans, qu’il eût pu
gagner; ôtant les priviléges à la ville de Londres, à laquelle il
devait plutôt en accorder de nouveaux; renversant avec hauteur des
lois qu’il fallait saper en silence; enfin, se conduisant avec si peu
de ménagement, que les cardinaux de Rome disaient en plaisantant,
«qu’il fallait l’excommunier, comme un homme qui allait perdre le
peu de catholicisme qui restait en Angleterre.» Le pape Innocent XI
n’espérait rien des entreprises de Jacques, et refusait constamment
un chapeau de cardinal, que ce roi demandait pour son confesseur le
jésuite Peters. Ce jésuite était un intrigant impétueux qui, dévoré
de l’ambition d’être cardinal et primat d’Angleterre, poussait son
maître au précipice. Les principales têtes de l’état se réunirent
en secret contre les desseins du roi. Ils députèrent vers le prince
d’Orange. Leur conspiration fut tramée avec une prudence et un secret
qui endormirent la confiance de la cour. [498] Le prince d’Orange
équipa une flotte qui devait porter quatorze à quinze mille hommes.
Ce prince n’était rien autre chose qu’un particulier illustre, qui
jouissait à peine de cinq cent mille florins de rente; mais telle
était sa politique heureuse, que l’argent, la flotte, les cœurs des
États-Généraux, étaient à lui. Il était roi véritablement en Hollande
par sa conduite habile, et Jacques cessait de l’être en Angleterre
par sa précipitation. On publia d’abord que cet armement était destiné
contre la France. Le secret fut gardé par plus de deux cents personnes.
Barillon, ambassadeur de France à Londres, homme de plaisir, plus
instruit des intrigues des maîtresses de Jacques que de celles de
l’Europe, fut trompé le premier. Louis XIV ne le fut pas; il offrit
des secours à son allié, qui les refusa d’abord avec sécurité, et qui
les demanda ensuite, lorsqu’il n’était plus temps, et que la flotte
du prince, son gendre, était à la voile. Tout lui manqua à-la-fois
comme il se manqua à lui-même. (Octobre 1688) Il écrivit en vain à
l’empereur Léopold, qui lui répondit: «Il ne vous est arrivé que ce
que nous vous avions prédit.» Il comptait sur sa flotte; mais ses
vaisseaux laissèrent passer ceux de son ennemi. Il pouvait au moins se
défendre sur terre: il avait une armée de vingt mille hommes; et s’il
les avait menés au combat sans leur donner le temps de la réflexion,
il est à croire qu’ils eussent combattu; mais il leur laissa le loisir
de se déterminer. Plusieurs officiers généraux l’abandonnèrent; entre
autres, ce fameux Churchill, aussi fatal depuis à Louis qu’à Jacques,
et si illustre sous le nom de duc de Marlborough. Il était favori de
Jacques, sa créature, le frère de sa maîtresse, son lieutenant-général
dans l’armée; cependant il le quitta, et passa dans le camp du prince
d’Orange. Le prince de Danemark, gendre de Jacques, enfin sa propre
fille, la princesse Anne, l’abandonnèrent.

Alors, se voyant attaqué et poursuivi par un de ses gendres, quitté
par l’autre; ayant contre lui ses deux filles, ses propres amis; haï
des sujets mêmes qui étaient encore dans son parti, il désespéra de sa
fortune: la fuite, dernière ressource d’un prince vaincu, fut le parti
qu’il prit sans combattre. Enfin, après avoir été arrêté dans sa fuite
par la populace, maltraité par elle, reconduit à Londres; après avoir
reçu paisiblement les ordres du prince d’Orange dans son propre palais;
après avoir vu sa garde relevée, sans coup férir, par celle du prince,
chassé de sa maison, prisonnier à Rochester, il profita de la liberté
qu’on lui donnait d’abandonner son royaume; il alla chercher un asile
en France[499].

Ce fut là l’époque de la vraie liberté de l’Angleterre. La nation,
représentée par son parlement, fixa les bornes, si long-temps
contestées, des droits du roi et de ceux du peuple; et ayant prescrit
au prince d’Orange les conditions auxquelles il devait régner, elle
le choisit pour son roi, conjointement avec sa femme Marie, fille du
roi Jacques. Dès lors ce prince ne fut plus connu, dans la plus grande
partie de l’Europe, que sous le nom de Guillaume III, roi légitime
d’Angleterre et libérateur de la nation. Mais en France il ne fut
regardé que comme le prince d’Orange, usurpateur des états de son
beau-père.

(Janvier 1689) Le roi fugitif vint avec sa femme, fille d’un duc de
Modène, et le prince de Galles encore enfant, implorer la protection
de Louis XIV. La reine d’Angleterre, arrivée avant son mari, fut
étonnée de la splendeur qui environnait le roi de France, de cette
profusion de magnificence qu’on voyait à Versailles, et surtout de
la manière dont elle fut reçue. Le roi alla au-devant d’elle jusqu’à
Chatou. «[500]Je vous rends, madame, lui dit-il, un triste service:
mais j’espère vous en rendre bientôt de plus grands et de plus
heureux.» Ce furent ses propres paroles. Il la conduisit au château de
Saint-Germain, où elle trouva le même service qu’aurait eu la reine de
France: tout ce qui sert à la commodité et au luxe, des présents de
toute espèce, en argent, en or, en vaisselle, en bijoux, en étoffes.

Il y avait parmi tous ces présents une bourse de dix mille louis d’or
sur sa toilette. Les mêmes attentions furent observées pour son mari,
qui arriva un jour après elle. On lui régla six cent mille francs
par an pour l’entretien de sa maison, outre les présents sans nombre
qu’on lui fit. Il eut les officiers du roi et ses gardes. Toute cette
réception était bien peu de chose, auprès des préparatifs qu’on fesait
pour le rétablir sur son trône. Jamais le roi ne parut si grand; mais
Jacques parut petit. Ceux qui, à la cour et à la ville, décident de la
réputation des hommes, conçurent pour lui peu d’estime. Il ne voyait
guère que des jésuites. Il alla descendre chez eux à Paris, dans la rue
Saint-Antoine. Il leur dit qu’il était jésuite lui-même; et ce qui est
de plus singulier, c’est que la chose était vraie. Il s’était fait
associer à cet ordre, avec de certaines cérémonies, par quatre jésuites
anglais, étant encore duc d’York. Cette pusillanimité dans un prince,
jointe à la manière dont il avait perdu sa couronne, l’avilit au point
que les courtisans s’égayaient tous les jours à faire des chansons sur
lui. Chassé d’Angleterre, on s’en moquait en France. On ne lui savait
nul gré d’être catholique. L’archevêque de Reims, frère de Louvois, dit
tout haut à Saint-Germain dans son antichambre: «Voilà un bon-homme
qui a quitté trois royaumes pour une messe[501].» Il ne recevait de
Rome que des indulgences et des pasquinades. Enfin, dans toute cette
révolution, sa religion lui rendit si peu de services, que, lorsque le
prince d’Orange, le chef du calvinisme, avait mis à la voile pour aller
détrôner le roi son beau-père, le ministre du roi catholique à La Haye
avait fait dire des messes pour l’heureux succès de ce voyage.

Au milieu des humiliations de ce roi fugitif, et des libéralités de
Louis XIV envers lui, c’était un spectacle digne de quelque attention
de voir Jacques toucher les écrouelles[502] au petit couvent des
Anglaises; soit que les rois anglais se soient attribué ce singulier
privilége, comme prétendants à la couronne de la France, soit que cette
cérémonie soit établie chez eux depuis le temps du premier Édouard.

Le roi le fit bientôt conduire en Irlande, où les catholiques formaient
encore un parti qui paraissait considérable. Une escadre de treize
vaisseaux du premier rang était à la rade de Brest pour le transport.
Tous les officiers, les courtisans, les prêtres même, qui étaient
venus trouver Jacques à Saint-Germain, furent défrayés jusqu’à Brest
aux dépens du roi de France. Le jésuite Innès, recteur du collége des
Écossais à Paris, était son secrétaire d’état. Un ambassadeur (c’était
M. d’Avaux) était nommé auprès du roi détrôné, et le suivit avec
pompe. Des armes, des munitions de toute espèce, furent embarquées sur
la flotte; on y porta jusqu’aux meubles les plus vils et jusqu’aux
plus recherchés. Le roi lui alla dire adieu à Saint-Germain. Là, pour
dernier présent, il lui donna sa cuirasse, et lui dit en l’embrassant:
«Tout ce que je peux vous souhaiter de mieux est de ne nous jamais
revoir.» (12 mai 1689) A peine le roi Jacques était-il débarqué en
Irlande avec cet appareil, que vingt-trois autres grands vaisseaux de
guerre, sous les ordres de Château-Renaud, et une infinité de navires
de transport le suivirent. Cette flotte ayant mis en fuite et dispersé
la flotte anglaise qui s’opposait à son passage, débarqua heureusement;
et ayant pris dans son retour sept vaisseaux marchands hollandais,
revint à Brest, victorieuse de l’Angleterre, et chargée des dépouilles
de la Hollande.

(Mars 1690) Bientôt après un troisième secours partit encore de Brest,
de Toulon, de Rochefort. Les ports d’Irlande et la mer de la Manche
étaient couverts de vaisseaux français.

Enfin Tourville, vice-amiral de France, avec soixante et douze grands
vaisseaux, rencontra une flotte anglaise et hollandaise d’environ
soixante voiles. On se battit pendant dix heures (juillet 1690):
Tourville, Château-Renaud, d’Estrées, Nemond, signalèrent leur courage
et une habileté qui donnèrent à la France un honneur auquel elle
n’était pas accoutumée. Les Anglais et les Hollandais, jusqu’alors
maîtres de l’Océan, et de qui les Français avaient appris depuis si peu
de temps à donner des batailles rangées, furent entièrement vaincus.
Dix-sept de leurs vaisseaux brisés et démâtés allèrent échouer et se
brûler sur leurs côtes. Le reste alla se cacher vers la Tamise, ou
entre les bancs de la Hollande. Il n’en coûta pas une seule chaloupe
aux Français. Alors ce que Louis XIV souhaitait depuis vingt années,
et ce qui avait paru si peu vraisemblable, arriva; il eut l’empire
de la mer, empire qui fut à la vérité de peu de durée. Les vaisseaux
de guerre ennemis se cachaient devant ses flottes. Seignelai, qui
osait tout, fit venir les galères de Marseille sur l’Océan. Les côtes
d’Angleterre virent des galères pour la première fois. On fit, par leur
moyen, une descente aisée à Tingmouth.

On brûla dans cette baie plus de trente vaisseaux marchands.
Les armateurs de Saint-Malo et du nouveau port de Dunkerque
s’enrichissaient, eux et l’état, de prises continuelles. Enfin, pendant
près de deux années, on ne connaissait plus sur les mers que les
vaisseaux français.

Le roi Jacques ne seconda pas en Irlande ces secours de Louis XIV. Il
avait avec lui près de six mille Français et quinze mille Irlandais.
Les trois quarts de ce royaume se déclaraient en sa faveur. Son
concurrent Guillaume était absent; cependant il ne profita d’aucun de
ses avantages. Sa fortune échoua d’abord devant la petite ville de
Londonderry; il la pressa par un siége opiniâtre, mais mal dirigé,
pendant quatre mois. Cette ville ne fut défendue que par un prêtre
presbytérien, nommé Walker. Ce prédicant s’était mis à la tête de la
milice bourgeoise. Il la menait au prêche et au combat. Il fesait
braver aux habitants la famine et la mort. Enfin le prêtre contraignit
le roi de lever le siége.

Cette première disgrace en Irlande fut bientôt suivie d’un plus grand
malheur: Guillaume arriva, et marcha à lui. La rivière de Boyne était
entre eux. (11 juillet 1690) Guillaume entreprend de la franchir à
la vue de l’ennemi. Elle était à peine guéable en trois endroits. La
cavalerie passa à la nage, l’infanterie était dans l’eau jusqu’aux
épaules; mais à l’autre bord il fallait encore traverser un marais;
ensuite on trouvait un terrain escarpé qui formait un retranchement
naturel. Le roi Guillaume fit passer son armée en trois endroits, et
engagea la bataille. Les Irlandais, que nous avons vus de si bons
soldats en France et en Espagne, ont toujours mal combattu chez
eux[503]. Il y a des nations, dont l’une semble faite pour être
soumise à l’autre. Les Anglais ont toujours eu sur les Irlandais
la supériorité du génie, des richesses, et des armes[504]. Jamais
l’Irlande n’a pu secouer le joug de l’Angleterre, depuis qu’un simple
seigneur anglais la subjugua. Les Français combattirent à la journée
de la Boyne, les Irlandais s’enfuirent. Leur roi Jacques n’ayant
paru, dans l’engagement, ni à la tête des Français ni à la tête des
Irlandais, se retira le premier[505]. Il avait toujours cependant
montré beaucoup de valeur; mais il y a des occasions où l’abattement
d’esprit l’emporte sur le courage. Le roi Guillaume, qui avait eu
l’épaule effleurée d’un coup de canon avant la bataille, passa pour
mort en France. Cette fausse nouvelle fut reçue à Paris avec une joie
indécente et honteuse. Quelques magistrats subalternes encouragèrent
les bourgeois et le peuple à faire des illuminations. On sonna les
cloches. On brûla dans plusieurs quartiers des figures d’osier qui
représentaient le prince d’Orange, comme on brûle le pape dans
Londres. On tira le canon de la Bastille, non point par ordre du roi,
mais par le zèle inconsidéré d’un commandant. On croirait, sur ces
marques d’allégresse et sur la foi de tant d’écrivains, que cette joie
effrénée, à la mort prétendue d’un ennemi, était l’effet de la crainte
extrême qu’il inspirait. Tous ceux qui ont écrit, et Français et
étrangers, ont dit que ces réjouissances étaient le plus grand éloge du
roi Guillaume. Cependant, si on veut faire attention aux circonstances
du temps et à l’esprit qui régnait alors, on verra bien que la crainte
ne produisit pas ces transports de joie. Les bourgeois et le peuple
ne savent guère craindre un ennemi que quand il menace leur ville.
Loin d’avoir de la terreur au nom de Guillaume, le commun des Français
avait alors l’injustice de le mépriser. Il avait presque toujours été
battu par les généraux français. Le vulgaire ignorait combien ce prince
avait acquis de véritable gloire, même dans ses défaites. Guillaume,
vainqueur de Jacques en Irlande, ne paraissait pas encore aux yeux des
Français un ennemi digne de Louis XIV. Paris, idolâtre de son roi, le
croyait réellement invincible. Les réjouissances ne furent donc point
le fruit de la crainte, mais de la haine. La plupart des Parisiens,
nés sous le règne de Louis, et façonnés au joug despotique, regardaient
alors un roi comme une divinité, et un usurpateur comme un sacrilége.
Le petit peuple, qui avait vu Jacques aller tous les jours à la messe,
détestait Guillaume hérétique. L’image d’un gendre et d’une fille ayant
chassé leur père, d’un protestant régnant à la place d’un catholique,
enfin d’un ennemi de Louis XIV, transportait les Parisiens d’une espèce
de fureur; mais les gens sages pensaient modérément.

Jacques revint en France, laissant son rival gagner en Irlande de
nouvelles batailles, et s’affermir sur le trône. Les flottes françaises
furent occupées alors à ramener les Français qui avaient inutilement
combattu, et les familles irlandaises catholiques qui, étant très
pauvres dans leur patrie, voulurent aller subsister en France des
libéralités du roi.

Il est à croire que la fortune eut peu de part à toute cette révolution
depuis son commencement jusqu’à sa fin. Les caractères de Guillaume et
de Jacques firent tout. Ceux qui aiment à voir dans la conduite des
hommes les causes des événements remarqueront que le roi Guillaume,
après sa victoire, fit publier un pardon général; et que le roi Jacques
vaincu, en passant par une petite ville, nommée Galloway, fit pendre
quelques citoyens qui avaient été d’avis de lui fermer les portes[506].
De deux hommes qui se conduisaient ainsi, il était bien aisé de voir
qui devait l’emporter.

Il restait à Jacques quelques villes en Irlande; entre autres Limerick,
où il y avait plus de douze mille soldats. Le roi de France, soutenant
toujours la fortune de Jacques, fit passer encore trois mille hommes
de troupes réglées dans Limerick. Pour surcroît de libéralité, il
envoya tout ce qui peut servir aux besoins d’un grand peuple et à
ceux des soldats. Quarante vaisseaux de transport, escortés de douze
vaisseaux de guerre, apportèrent tous les secours possibles en hommes,
en ustensiles, en équipages; des ingénieurs, des canonniers, des
bombardiers, deux cents maçons; des selles, des brides, des housses,
pour plus de vingt mille chevaux; des canons avec leurs affûts, des
fusils, des pistolets, des épées, pour armer vingt-six mille hommes;
des vivres, des habits, et jusqu’à vingt-six mille paires de souliers.
Limerick assiégée, mais munie de tant de secours, espérait de voir
son roi combattre pour sa défense. Jacques ne vint point. Limerick
se rendit: les vaisseaux français retournèrent encore vers les côtes
d’Irlande, et ramenèrent en France environ vingt mille Irlandais, tant
soldats que citoyens fugitifs.

Ce qu’il y a peut-être de plus étonnant, c’est que Louis XIV ne se
rebuta pas. Il soutenait alors une guerre difficile contre presque
toute l’Europe. Cependant il tenta encore de changer la fortune
de Jacques par une entreprise décisive, et de faire une descente
en Angleterre avec vingt mille hommes. Il comptait sur le parti
que Jacques avait conservé en Angleterre. Les troupes étaient
assemblées entre Cherbourg et La Hogue. Plus de trois cents navires
de transport étaient prêts à Brest. Tourville, avec quarante-quatre
grands vaisseaux de guerre, les attendait aux côtes de Normandie.
D’Estrées arrivait du port de Toulon avec trente autres vaisseaux.
S’il y a des malheurs causés par la mauvaise conduite, il en est
qu’on ne peut imputer qu’à la fortune. Le vent, d’abord favorable à
l’escadre de d’Estrées, changea; il ne put joindre Tourville, dont les
quarante-quatre vaisseaux furent attaqués par les flottes d’Angleterre
et de Hollande, fortes de près de cent voiles. La supériorité du nombre
l’emporta. Les Français cédèrent après un combat de dix heures (29
juillet 1692[507]). Russel, amiral anglais, les poursuivit deux jours.
Quatorze grands vaisseaux, dont deux portaient cent quatre pièces de
canon, échouèrent sur la côte; et les capitaines y firent mettre le
feu, pour ne les pas laisser brûler par les ennemis. Le roi Jacques,
qui du rivage avait vu ce désastre, perdit toutes ses espérances[508].

Ce fut le premier échec que reçut sur la mer la puissance de Louis
XIV. Seignelai, qui après Colbert, son père, avait perfectionné la
marine, était mort à la fin de 1690. Ponchartrain, élevé de la première
présidence de Bretagne à l’emploi de secrétaire d’état de la marine,
ne la laissa point périr. Le même esprit régnait toujours dans le
gouvernement. La France eut, dès l’année qui suivit la disgrace de
La Hogue, des flottes aussi nombreuses qu’elle en avait eu déjà; car
Tourville se trouva à la tête de soixante vaisseaux de ligne, et
d’Estrées en avait trente, sans compter ceux qui étaient dans les
ports (1696); et même, quatre ans après, le roi fit encore un armement
plus considérable que tous les précédents, pour conduire Jacques en
Angleterre à la tête de vingt mille Français; mais cette flotte ne fit
que se montrer, les mesures du parti de Jacques ayant été aussi mal
concertées à Londres que celles de son protecteur avaient été bien
prises en France.

Il ne resta de ressource au parti du roi détrôné que dans quelques
conspirations contre la vie de son rival. Ceux qui les tramèrent
périrent presque tous du dernier supplice; et il est à croire que,
quand même elles eussent réussi, il n’eût jamais recouvré son royaume.
Il passa le reste de ses jours à Saint-Germain, où il vécut des
bienfaits de Louis et d’une pension de soixante et dix mille francs,
qu’il eut la faiblesse de recevoir en secret de sa fille Marie,
par laquelle il avait été détrôné[509]. Il mourut en 1700[510] à
Saint-Germain. Quelques jésuites irlandais prétendirent qu’il se fesait
des miracles à son tombeau[511]. On parla même de faire canoniser à
Rome, après sa mort, ce roi que Rome avait abandonné pendant sa vie.

Peu de princes furent plus malheureux que lui; et il n’y a aucun
exemple dans l’histoire d’une maison si long-temps infortunée. Le
premier des rois d’Écosse ses aïeux, qui eut le nom de Jacques, après
avoir été dix-huit ans prisonnier en Angleterre, mourut assassiné avec
sa femme par la main de ses sujets. Jacques II, son fils, fut tué à
vingt-neuf ans, en combattant contre les Anglais. Jacques III, mis
en prison par son peuple, fut tué ensuite par les révoltés dans une
bataille. Jacques IV périt dans un combat qu’il perdit. Marie-Stuart,
sa petite-fille, chassée de son trône, fugitive en Angleterre, ayant
langui dix-huit ans en prison, se vit condamnée à mort par des juges
anglais, et eut la tête tranchée. Charles Iᵉʳ, petit-fils de Marie, roi
d’Écosse et d’Angleterre, vendu par les Écossais, et jugé à mort par
les Anglais, mourut sur un échafaud dans la place publique. Jacques
son fils, septième du nom et deuxième en Angleterre, dont il est ici
question, fut chassé de ses trois royaumes; et, pour comble de malheur,
on contesta à son fils jusqu’à sa naissance. Ce fils ne tenta de
remonter sur le trône de ses pères que pour faire périr ses amis par
des bourreaux; et nous avons vu le prince Charles Édouard, réunissant
en vain les vertus de ses pères et le courage du roi Jean Sobieski,
son aïeul maternel, exécuter les exploits et essuyer les malheurs les
plus incroyables[512]. Si quelque chose justifie ceux qui croient une
fatalité à laquelle rien ne peut se soustraire, c’est cette suite
continuelle de malheurs qui a persécuté la maison de Stuart pendant
plus de trois cents années.



CHAPITRE XVI.

    De ce qui se passait dans le continent, tandis que Guillaume III
    envahissait l’Angleterre, l’Écosse, et l’Irlande, jusqu’en 1697.
    Nouvel embrasement du Palatinat. Victoires des maréchaux de Catinat
    et de Luxembourg, etc.


N’ayant pas voulu rompre le fil des affaires d’Angleterre, je me ramène
à ce qui se passait dans le continent.

Le roi, en formant ainsi une puissance maritime, telle qu’aucun état
n’en a jamais eu de supérieure, avait à combattre l’empereur et
l’empire, l’Espagne, les deux puissances maritimes, l’Angleterre et
la Hollande, devenues toutes deux plus terribles sous un seul chef;
la Savoie et presque toute l’Italie. Un seul de ces ennemis, tel que
l’Anglais et l’Espagnol, avait suffi autrefois pour désoler la France;
et tous ensemble ne purent alors l’entamer. Louis XIV eut presque
toujours cinq corps d’armée dans le cours de cette guerre, quelquefois
six, jamais moins de quatre. Les armées en Allemagne et en Flandre
se montèrent plus d’une fois à cent mille combattants. Les places
frontières ne furent pas cependant dégarnies. Le roi avait quatre cent
cinquante mille hommes en armes, en comptant les troupes de la marine.
L’empire turc, si puissant en Europe, en Asie, et en Afrique, n’en a
jamais eu autant, et l’empire romain n’en eut jamais davantage, et
n’eut en aucun temps autant de guerres à soutenir à-la-fois. Ceux qui
blâmaient Louis XIV de s’être fait tant d’ennemis, l’admiraient d’avoir
pris tant de mesures pour s’en défendre, et même pour les prévenir.

Ils n’étaient encore ni entièrement déclarés, ni tous réunis: le prince
d’Orange n’était pas encore sorti du Texel pour aller chasser le roi
son beau-père, et déjà la France avait des armées sur les frontières de
la Hollande et sur le Rhin. Le roi avait envoyé en Allemagne, à la tête
d’une armée de cent mille hommes, son fils le dauphin, qu’on nommait
Monseigneur: prince doux dans ses mœurs, modeste dans sa conduite, qui
paraissait tenir en tout de sa mère. Il était âgé de vingt-sept ans.
C’était pour la première fois qu’on lui confiait un commandement, après
s’être bien assuré, par son caractère, qu’il n’en abuserait pas. Le
roi lui dit publiquement à son départ (22 septembre 1688): «Mon fils,
en vous envoyant commander mes armées, je vous donne les occasions de
faire connaître votre mérite: allez le montrer à toute l’Europe, afin
que, quand je viendrai à mourir, on ne s’aperçoive pas que le roi soit
mort.»

Ce prince eut une commission spéciale pour commander, comme s’il eût
été simplement l’un des généraux que le roi eût choisi. Son père lui
écrivait: «A mon fils le dauphin, mon lieutenant-général, commandant
mes armées en Allemagne.»

On avait tout prévu et tout disposé pour que le fils de Louis XIV,
contribuant à cette expédition de son nom et de sa présence, ne
reçût pas un affront. Le maréchal de Duras commandait réellement
l’armée. Boufflers avait un corps de troupes en-deçà du Rhin; le
maréchal d’Humières, un autre vers Cologne, pour observer les ennemis.
Heidelberg, Mayence, étaient pris. Le siége de Philipsbourg, préalable
toujours nécessaire quand la France fait la guerre à l’Allemagne, était
commencé. Vauban conduisait le siége. Tous les détails qui n’étaient
point de son ressort roulaient sur Catinat, alors lieutenant-général,
homme capable de tout, et fait pour tous les emplois. Monseigneur
arriva après six jours de tranchée ouverte. Il imitait la conduite de
son père, s’exposant autant qu’il le fallait, jamais en téméraire,
affable à tout le monde, libéral envers les soldats. Le roi goûtait
une joie pure d’avoir un fils qui l’imitait sans l’effacer, et qui se
fesait aimer de tout le monde sans se faire craindre de son père.

Philipsbourg fut pris en dix-neuf jours[513]: on prit Manheim en trois
jours (11 novembre 1688); Franckendal en deux; Spire, Trèves, Vorms, et
Oppenheim, se rendirent dès que les Français furent à leurs portes (15
novembre 1688).

Le roi avait résolu de faire un désert du Palatinat dès que ces villes
seraient prises. Il avait la vue d’empêcher les ennemis d’y subsister,
plus que celle de se venger de l’électeur palatin, qui n’avait
d’autre crime que d’avoir fait son devoir, en s’unissant au reste de
l’Allemagne contre la France. (Février 1689) Il vint à l’armée un ordre
de Louis, signé Louvois, de tout réduire en cendres. Les généraux
français, qui ne pouvaient qu’obéir, firent donc signifier, dans le
cœur de l’hiver, aux citoyens de toutes ces villes si florissantes et
si bien réparées, aux habitants des villages, aux maîtres de plus de
cinquante châteaux, qu’il fallait quitter leurs demeures, et qu’on
allait les détruire par le fer et par les flammes. Hommes, femmes,
vieillards, enfants, sortirent en hâte. Une partie fut errante dans
les campagnes; une autre se réfugia dans les pays voisins, pendant que
le soldat qui passe toujours les ordres de rigueur, et qui n’exécute
jamais ceux de clémence, brûlait et saccageait leur patrie. On commença
par Manheim et par Heidelberg, séjour des électeurs: leurs palais
furent détruits comme les maisons des citoyens; leurs tombeaux furent
ouverts par la rapacité du soldat, qui croyait y trouver des trésors;
leurs cendres furent dispersées. C’était pour la seconde fois que ce
beau pays était désolé sous Louis XIV; mais les flammes dont Turenne
avait brûlé deux villes et vingt villages du Palatinat n’étaient que
des étincelles, en comparaison de ce dernier incendie. L’Europe en eut
horreur. Les officiers qui l’exécutèrent étaient honteux d’être les
instruments de ces duretés. On les rejetait sur le marquis de Louvois,
devenu plus inhumain par cet endurcissement de cœur que produit un
long ministère. Il avait en effet donné ces conseils; mais Louis avait
été le maître de ne les pas suivre. Si le roi avait été témoin de ce
spectacle, il aurait lui-même éteint les flammes. Il signa, du fond de
son palais de Versailles et au milieu des plaisirs, la destruction de
tout un pays, parcequ’il ne voyait dans cet ordre que son pouvoir et le
malheureux droit de la guerre; mais de plus près, il n’en eût vu que
l’horreur. Les nations, qui jusque-là n’avaient blâmé que son ambition
en l’admirant, crièrent alors contre sa dureté, et blâmèrent même sa
politique; car, si les ennemis avaient pénétré dans ses états, comme
lui chez les ennemis, ils eussent mis ses villes en cendres.

Ce danger était à craindre: Louis, en couvrant ses frontières de
cent mille soldats, avait appris à l’Allemagne à faire de pareils
efforts. Cette contrée, plus peuplée que la France, peut aussi fournir
de plus grandes armées. On les lève, on les assemble, on les paie
plus difficilement: elles paraissent plus tard en campagne; mais la
discipline, la patience dans les fatigues, les rendent sur la fin d’une
campagne aussi redoutables que les Français le sont au commencement.
Le duc de Lorraine, Charles V, les commandait. Ce prince, toujours
dépouillé de son état par Louis XIV, ne pouvant y rentrer, avait
conservé l’empire à l’empereur Léopold: il l’avait rendu vainqueur
des Turcs et des Hongrois. Il vint, avec l’électeur de Brandebourg,
balancer la fortune du roi de France. Il reprit Bonn et Mayence, villes
très mal fortifiées, mais défendues d’une manière qui fut regardée
comme un modèle de défense de places. Bonn ne se rendit qu’au bout
de trois mois et demi de siége (12 octobre 1689), après que le baron
d’Asfeld, qui y commandait, eut été blessé dans un assaut général.

Le marquis d’Uxelles, depuis maréchal de France, l’un des hommes les
plus sages et les plus prévoyants, fit, pour défendre Mayence, des
dispositions si bien entendues, que sa garnison n’était presque point
fatiguée en servant beaucoup. Outre les soins qu’il eut au-dedans, il
fit vingt et une sorties sur les ennemis, et leur tua plus de cinq
mille hommes. Il fit même quelquefois deux sorties en plein jour;
enfin il fallut se rendre, faute de poudre, au bout de sept semaines.
Cette défense mérite place dans l’histoire, et par elle-même, et par
la manière dont elle fut reçue dans le public. Paris, cette ville
immense, pleine d’un peuple oisif qui veut juger de tout, et qui a tant
d’oreilles et tant de langues avec si peu d’yeux, regarda d’Uxelles
comme un homme timide et sans jugement. Cet homme, à qui tous les
bons officiers donnaient de justes éloges, étant, au retour de la
campagne, à la comédie sur le théâtre, reçut des huées du public; on
lui cria, _Mayence_. Il fut obligé de se retirer, non sans mépriser,
avec les gens sages, un peuple si mauvais estimateur du mérite, et dont
cependant on ambitionne les louanges.

(Juin 1689) Environ dans le même temps, le maréchal d’Humières fut
battu à Valcour sur la Sambre, aux Pays-Bas, par le prince de Valdeck;
mais cet échec, qui fit tort à sa réputation, en fit peu aux armes de
la France. Louvois, dont il était la créature et l’ami, fut obligé de
lui ôter le commandement de cette armée. Il fallait le remplacer.

Le roi choisit le maréchal de Luxembourg, malgré son ministre qui le
haïssait, comme il avait haï Turenne. «Je vous promets, lui dit le roi,
que j’aurai soin que Louvois aille droit. Je l’obligerai de sacrifier
au bien de mon service la haine qu’il a pour vous: vous n’écrirez qu’à
moi, vos lettres ne passeront point par lui[514].» Luxembourg commanda
donc en Flandre, et Catinat en Italie. On se défendit bien en Allemagne
sous le maréchal de Lorges. Le duc de Noailles avait quelques succès en
Catalogne; mais en Flandre sous Luxembourg, et en Italie sous Catinat,
ce ne fut qu’une suite continuelle de victoires. Ces deux généraux
étaient alors les plus estimés en Europe.

Le maréchal duc de Luxembourg avait dans le caractère des traits du
grand Condé, dont il était l’élève; un génie ardent, une exécution
prompte, un coup d’œil juste, un esprit avide de connaissances, mais
vaste et peu réglé; plongé dans les intrigues des femmes; toujours
amoureux, et même souvent aimé, quoique contrefait et d’un visage peu
agréable, ayant plus de qualités d’un héros que d’un sage[515]. [516]
Catinat avait dans l’esprit une application et une agilité qui le
rendaient capable de tout, sans qu’il se piquât jamais de rien. Il eût
été bon ministre, bon chancelier, comme bon général. Il avait commencé
par être avocat, et avait quitté cette profession à vingt-trois ans,
pour avoir perdu une cause qui était juste. Il prit le parti des armes,
et fut d’abord enseigne aux gardes-françaises. En 1667 il fit aux
yeux du roi, à l’attaque de la contrescarpe de Lille, une action qui
demandait de la tête et du courage. Le roi la remarqua, et ce fut le
commencement de sa fortune. Il s’éleva par degrés, sans aucune brigue;
philosophe au milieu de la grandeur et de la guerre, les deux plus
grands écueils de la modération; libre de tous préjugés, et n’ayant
point l’affectation de paraître trop les mépriser. La galanterie et le
métier de courtisan furent ignorés de lui; il en cultiva plus l’amitié,
et en fut plus honnête homme. Il vécut aussi ennemi de l’intérêt que
du faste; philosophe en tout, à sa mort comme dans sa vie.

Catinat commandait alors en Italie. Il avait en tête le duc de Savoie,
Victor-Amédée, prince alors sage, politique, et encore plus malheureux;
guerrier plein de courage, conduisant lui-même ses armées, s’exposant
en soldat, entendant aussi bien que personne cette guerre de chicane
qui se fait sur des terrains coupés et montagneux, tels que son pays;
actif, vigilant, aimant l’ordre, mais fesant des fautes et comme prince
et comme général. Il en fit une, à ce qu’on prétend, en disposant mal
son armée devant celle de Catinat. (18 août 1690) Le général français
en profita, et gagna une pleine victoire, à la vue de Saluces, auprès
de l’abbaye de Staffarde, dont cette bataille a eu le nom. Lorsqu’il
y a beaucoup de morts d’un côté et presque point de l’autre, c’est
une preuve incontestable que l’armée battue était dans un terrain où
elle devait être nécessairement accablée. L’armée française n’eut que
trois cents hommes de tués; celle des alliés, commandée par le duc de
Savoie, en eut quatre mille. Après cette bataille, toute la Savoie,
excepté Montmélian, fut soumise au roi. (1691) Catinat passe dans le
Piémont, force les lignes des ennemis retranchés près de Suse, prend
Suse, Villefranche, Montalban, Nice, réputée imprenable, Veillane,
Carmagnole, et revient enfin à Montmélian dont il se rend maître par un
siége opiniâtre.

Après tant de succès, le ministère diminua l’armée qu’il commandait, et
le duc de Savoie augmenta la sienne. Catinat, moins fort que l’ennemi
vaincu, fut long-temps sur la défensive; mais enfin, ayant reçu des
renforts, il descendit des Alpes vers la Marsaille, et là il gagna une
seconde bataille rangée (4 octobre 1693), d’autant plus glorieuse, que
le prince Eugène de Savoie était un des généraux ennemis.

(30 juin 1690) A l’autre bout de la France, vers les Pays-Bas, le
maréchal de Luxembourg gagnait la bataille de Fleurus[517]; et, de
l’aveu de tous les officiers, cette victoire était due à la supériorité
de génie que le général français avait sur le prince de Valdeck, alors
général de l’armée des alliés. Huit mille prisonniers, six mille morts,
deux cents drapeaux ou étendards, le canon, les bagages, la fuite des
ennemis, furent les marques de la victoire.

Le roi Guillaume, victorieux de son beau-père, venait de repasser
la mer. Ce génie fécond en ressources tirait plus d’avantage d’une
défaite de son parti, que souvent les Français n’en tiraient de leurs
victoires. Il lui fallait employer les intrigues, les négociations,
pour avoir des troupes et de l’argent, contre un roi qui n’avait qu’à
dire, _je veux_. (19 septembre 1691) Cependant, après la défaite de
Fleurus, il vint opposer au maréchal de Luxembourg une armée aussi
forte que la française.

Elles étaient composées chacune d’environ quatre-vingt mille hommes; (9
avril 1691) mais Mons était déjà investi par le maréchal de Luxembourg;
et le roi Guillaume ne croyait pas les troupes françaises sorties de
leurs quartiers. Louis XIV vint au siége. Il entra dans la ville au
bout de neuf jours de tranchée ouverte, en présence de l’armée ennemie.
Aussitôt il reprit le chemin de Versailles, et il laissa Luxembourg
disputer le terrain pendant toute la campagne, qui finit par le combat
de Leuse (19 septembre 1691); action très singulière, où vingt-huit
escadrons de la maison du roi et de la gendarmerie défirent soixante et
quinze escadrons de l’armée ennemie.

Le roi reparut encore au siége de Namur, la plus forte place des
Pays-Bas, par sa situation au confluent de la Sambre et de la Meuse,
et par une citadelle bâtie sur des rochers. Il prit la ville en huit
jours (juin 1692), et les châteaux en vingt-deux, pendant que le duc de
Luxembourg empêchait le roi Guillaume de passer la Méhaigne à la tête
de quatre-vingt mille hommes, et de venir faire lever le siége. Louis
retourna encore à Versailles après cette conquête, et Luxembourg tint
encore tête à toutes les forces des ennemis. Ce fut alors que se donna
la bataille de Steinkerque, célèbre par l’artifice et par la valeur.
Un espion que le général français avait auprès du roi Guillaume est
découvert. On le force, avant de le faire mourir, d’écrire un faux
avis au maréchal de Luxembourg. Sur ce faux avis, Luxembourg prend,
avec raison, des mesures qui le devaient faire battre. Son armée
endormie est attaquée à la pointe du jour: une brigade est déjà mise en
fuite, et le général le sait à peine. Sans un excès de diligence et de
bravoure, tout était perdu.

Ce n’était pas assez d’être grand général, pour n’être pas mis en
déroute, il fallait avoir des troupes aguerries, capables de se
rallier; des officiers généraux assez habiles pour rétablir le
désordre, et qui eussent la bonne volonté de le faire; car un seul
officier supérieur qui eût voulu profiter de la confusion pour faire
battre son général, le pouvait aisément sans se commettre.

Luxembourg était malade: circonstance funeste dans un moment qui
demande une activité nouvelle: (3 août 1692) le danger lui rendit ses
forces: il fallait des prodiges pour n’être pas vaincu, et il en fit.
Changer de terrain, donner un champ de bataille à son armée qui n’en
avait point; rétablir la droite tout en désordre, rallier trois fois
ses troupes, charger trois fois à la tête de la maison du roi, fut
l’ouvrage de moins de deux heures. Il avait dans son armée Philippe duc
d’Orléans, alors duc de Chartres, depuis régent du royaume, petit-fils
de France, qui n’avait pas alors quinze ans[518]. Il ne pouvait être
utile pour un coup décisif; mais c’était beaucoup pour animer les
soldats, qu’un petit-fils de France encore enfant, chargeant avec la
maison du roi, blessé dans le combat, et revenant encore à la charge
malgré sa blessure.

Un petit-fils et un petit-neveu du grand Condé servaient tous deux
de lieutenants-généraux: l’un était Louis de Bourbon, nommé Monsieur
le Duc; l’autre, François-Louis prince de Conti, rivaux de courage,
d’esprit, d’ambition, de réputation; Monsieur le Duc, d’un naturel plus
austère, ayant peut-être des qualités plus solides, et le prince de
Conti de plus brillantes. Appelés tous deux par la voix publique au
commandement des armées, ils desiraient passionnément cette gloire:
mais ils n’y parvinrent jamais, parceque Louis, qui connaissait leur
ambition comme leur mérite, se souvenait toujours que le prince de
Condé lui avait fait la guerre.

Le prince de Conti fut le premier qui rétablit le désordre, ralliant
des brigades, en fesant avancer d’autres; Monsieur le Duc fesant la
même manœuvre, sans avoir besoin d’émulation. Le duc de Vendôme,
petit-fils de Henri IV, était aussi lieutenant-général dans cette
armée. Il servait depuis l’âge de douze ans; et quoiqu’il en eût
alors quarante, il n’avait pas encore commandé en chef. Son frère le
grand-prieur était auprès de lui.

Il fallut que tous ces princes se missent à la tête de la maison du
roi, avec le duc de Choiseul, pour chasser un corps d’Anglais qui
gardait un poste avantageux, dont le succès de la bataille dépendait.
La maison du roi et les Anglais étaient les meilleures troupes qui
fussent dans le monde. Le carnage fut grand. Les Français, encouragés
par cette foule de princes et de jeunes seigneurs qui combattaient
autour du général, l’emportèrent enfin. Le régiment de Champagne défit
les gardes anglaises du roi Guillaume; et quand les Anglais furent
vaincus, il fallut que le reste cédât.

Boufflers, depuis maréchal de France, accourait dans ce moment même de
quelques lieues du champ de bataille avec des dragons, et acheva la
victoire.

Le roi Guillaume, ayant perdu environ sept mille hommes, se retira avec
autant d’ordre qu’il avait attaqué; et toujours vaincu, mais toujours à
craindre, il tint encore la campagne. La victoire, due à la valeur de
tous ces jeunes princes et de la plus florissante noblesse du royaume,
fit à la cour, à Paris, et dans les provinces, un effet qu’aucune
bataille gagnée n’avait fait encore.

Monsieur le Duc, le prince de Conti, MM. de Vendôme et leurs amis
trouvaient, en s’en retournant, les chemins bordés de peuple. Les
acclamations et la joie allaient jusqu’à la démence. Toutes les femmes
s’empressaient d’attirer leurs regards. Les hommes portaient alors des
cravates de dentelle, qu’on arrangeait avec assez de peine et de temps.
Les princes s’étant habillés avec précipitation pour le combat, avaient
passé négligemment ces cravates autour du cou: les femmes portèrent des
ornements faits sur ce modèle; on les appela des Steinkerques. Toutes
les bijouteries nouvelles étaient à la Steinkerque. Un jeune homme
qui s’était trouvé à cette bataille était regardé avec empressement.
Le peuple s’attroupait partout autour des princes; et on les aimait
d’autant plus que leur faveur à la cour n’était pas égale à leur gloire.

Ce fut à cette bataille qu’on perdit le jeune prince de Turenne, neveu
du héros tué en Allemagne: il donnait déjà des espérances d’égaler son
oncle. Ses graces et son esprit l’avaient rendu cher à la ville, à la
cour, et à l’armée.

Le général, en rendant compte au roi de cette bataille mémorable,
ne daigna pas seulement l’instruire qu’il était malade quand il fut
attaqué.

Le même général, avec ces mêmes princes et ces mêmes troupes surprises
et victorieuses à Steinkerque, alla surprendre, la campagne suivante,
le roi Guillaume par une marche de sept lieues, et l’atteignit à
Nervinde. Nervinde est un village près de la Guette, à quelques lieues
de Bruxelles. Guillaume eut le temps de se retrancher pendant la nuit,
et de se mettre en bataille. On l’attaque à la pointe du jour (29
juillet 1693); on le trouve à la tête du régiment de Ruvigni, tout
composé de gentilshommes français que la fatale révocation de l’édit
de Nantes et les dragonnades avaient forcés de quitter et de haïr leur
patrie. Ils se vengeaient sur elle des intrigues du jésuite La Chaise
et des cruautés de Louvois. Guillaume, suivi d’une troupe si animée,
renversa d’abord les escadrons qui se présentèrent contre lui: mais
enfin il fut renversé lui-même sous son cheval tué. Il se releva, et
continua le combat avec les efforts les plus obstinés.

Luxembourg entra deux fois l’épée à la main dans le village de
Nervinde. Le duc de Villeroi fut le premier qui sauta dans les
retranchements des ennemis. Deux fois le village fut emporté et repris.

Ce fut encore à Nervinde que ce même Philippe, duc de Chartres, se
montra digne petit-fils de Henri IV. Il chargeait pour la troisième
fois à la tête d’un escadron. Cette troupe étant repoussée, il se
trouva dans un terrain creux, environné de tous côtés d’hommes et de
chevaux tués ou blessés. Un escadron ennemi s’avance à lui, lui crie
de se rendre; on le saisit, il se défend seul, il blesse l’officier qui
le retenait prisonnier, il s’en débarrasse. On revole à lui dans le
moment, et on le dégage. Le prince de Condé, qu’on nommait _Monsieur
le Duc_, le prince de Conti, son émule, qui s’étaient tant signalés à
Steinkerque, combattaient de même à Nervinde pour leur vie comme pour
leur gloire, et furent obligés de tuer des ennemis de leur main, ce qui
n’arrive aujourd’hui presque jamais aux officiers généraux, depuis que
le feu décide de tout dans les batailles.

Le maréchal de Luxembourg se signala et s’exposa plus que jamais: son
fils, le duc de Montmorenci, se mit au-devant de lui lorsqu’on le
tirait, et reçut le coup porté à son père. Enfin le général et les
princes reprirent le village une troisième fois, et la bataille fut
gagnée.

Peu de journées furent plus meurtrières. Il y eut environ vingt mille
morts, douze mille du côté des alliés, et huit de celui des Français.
C’est à cette occasion qu’on disait qu’il fallait chanter plus de _De
profundis_ que de _Te Deum_.

Si quelque chose pouvait consoler des horreurs attachées à la guerre,
ce serait ce que dit le comte de Salm, blessé et prisonnier dans
Tirlemont. Le maréchal de Luxembourg lui rendait des soins assidus:
«Quelle nation êtes-vous! lui dit ce prince; il n’y a point d’ennemis
plus à craindre dans une bataille, ni de plus généreux amis après la
victoire[519].»

Toutes ces batailles produisaient beaucoup de gloire, mais peu de
grands avantages. Les alliés, battus à Fleurus, à Steinkerque, à
Nervinde, ne l’avaient jamais été d’une manière complète. Le roi
Guillaume fit toujours de belles retraites, et quinze jours après une
bataille, il eût fallu lui en livrer une autre pour être le maître de
la campagne. La cathédrale de Paris était remplie des drapeaux ennemis.
Le prince de Conti appelait le maréchal de Luxembourg _le Tapissier de
Notre-Dame_. On ne parlait que de victoires. Cependant Louis XIV avait
autrefois conquis la moitié de la Hollande et de la Flandre, toute la
Franche-Comté, sans donner un seul combat; et maintenant, après les
plus grands efforts et les victoires les plus sanglantes, on ne pouvait
entamer les Provinces-Unies: on ne pouvait même faire le siége de
Bruxelles.

(1 et 2 septembre 1692) Le maréchal de Lorges avait aussi, de son
côté, gagné un grand combat près de Spire-bach: il avait même pris le
vieux duc de Virtemberg: il avait pénétré dans son pays; mais après
l’avoir envahi par une victoire, il avait été contraint d’en sortir.
Monseigneur vint prendre une seconde fois et saccager Heidelberg que
les ennemis avaient repris; et ensuite il fallut se tenir sur la
défensive contre les Impériaux.

Le maréchal de Catinat ne put, après sa victoire de Staffarde et la
conquête de la Savoie, garantir le Dauphiné d’une irruption de ce
même duc de Savoie, ni, après sa victoire de la Marsaille, sauver
l’importante ville de Casal.

En Espagne, le maréchal de Noailles gagna aussi une bataille (27 mai
1694) sur le bord du Ter. Il prit Gironne et quelques petites places;
mais il n’avait qu’une armée faible; et il fut obligé, après sa
victoire, de se retirer devant Barcelone. Les Français, vainqueurs de
tous côtés, et affaiblis par leurs succès, combattaient dans les alliés
une hydre toujours renaissante. Il commençait à devenir difficile en
France de faire des recrues, et encore plus de trouver de l’argent. La
rigueur de la saison, qui détruisit les biens de la terre en ce temps,
apporta la famine. On périssait de misère au bruit des _Te Deum_ et
parmi les réjouissances. Cet esprit de confiance et de supériorité,
l’ame des troupes françaises, diminuait déjà un peu. Louis XIV cessa
de paraître à leur tête. Louvois[520] était mort (16 juillet 1691); on
était très mécontent de Barbesieux[521], son fils. (Janvier 1695) Enfin
la mort du maréchal de Luxembourg, sous qui les soldats se croyaient
invincibles, sembla mettre un terme à la suite rapide des victoires de
la France.

L’art de bombarder les villes maritimes avec des vaisseaux retomba
alors sur ses inventeurs. Ce n’est pas que la machine infernale avec
laquelle les Anglais voulurent brûler Saint-Malo, et qui échoua sans
faire d’effet, dût son origine à l’industrie des Français. Il y
avait déjà long-temps qu’on avait hasardé de pareilles machines en
Europe. C’était l’art de faire partir les bombes aussi juste d’une
assiette mouvante que d’un terrain solide, que les Français avaient
inventé[522]; et ce fut par cet art que Dieppe, le Havre-de-Grace,
Saint-Malo, Dunkerque, et Calais, furent bombardés par les flottes
anglaises. (Juillet 1694 et 1695) Dieppe, dont on peut approcher plus
facilement, fut la seule qui souffrit un véritable dommage. Cette
ville, agréable aujourd’hui par ses maisons régulières, et qui doit ses
embellissements à son malheur, fut presque toute réduite en cendres.
Vingt maisons seulement au Havre-de-Grace furent écrasées et brûlées
par les bombes; mais les fortifications du port furent renversées.
C’est en ce sens que la médaille frappée en Hollande est vraie, quoique
tant d’auteurs français se soient récriés sur sa fausseté. On lit dans
l’exergue en latin: _Le port du Havre brûlé et renversé, etc._ Cette
inscription ne dit pas que la ville fut consumée, ce qui eût été faux;
mais qu’on avait brûlé le port, ce qui était vrai.

Quelque temps après, la conquête de Namur fut perdue. On avait, en
France, prodigué[523] des éloges à Louis XIV pour l’avoir prise, et
des railleries et des satires indécentes contre le roi Guillaume,
pour ne l’avoir pu secourir avec une armée de quatre-vingt mille
hommes. Guillaume s’en rendit maître de la même manière qu’il l’avait
vu prendre. Il l’attaqua aux yeux d’une armée encore plus forte que
n’avait été la sienne, quand Louis XIV l’assiégea. Il y trouva
de nouvelles fortifications que Vauban avait faites. La garnison
française, qui la défendit, était une armée; car dans le temps qu’il en
forma l’investissement, le maréchal de Boufflers se jeta dans la place
avec sept régiments de dragons. Ainsi Namur était défendue par seize
mille hommes, et prête à tout moment d’être secourue par près de cent
mille.

Le maréchal de Boufflers était un homme de beaucoup de mérite, un
général actif et appliqué, un bon citoyen, ne songeant qu’au bien du
service, ne ménageant pas plus ses soins que sa vie. Les Mémoires du
marquis de Feuquières lui reprochent plusieurs fautes dans la défense
de la place et de la citadelle; ils lui en reprochent encore dans la
défense de Lille, qui lui a fait tant d’honneur. Ceux qui ont écrit
l’histoire de Louis XIV ont copié servilement le marquis de Feuquières
pour la guerre, ainsi que l’abbé de Choisi pour les anecdotes. Ils ne
pouvaient pas savoir que Feuquières, d’ailleurs excellent officier, et
connaissant la guerre par principes et par expérience, était un esprit
non moins chagrin qu’éclairé, l’Aristarque et quelquefois le Zoïle des
généraux; il altère des faits pour avoir le plaisir de censurer des
fautes. Il se plaignait de tout le monde, et tout le monde se plaignait
de lui. On disait qu’il était le plus brave homme de l’Europe,
parcequ’il dormait au milieu de cent mille de ses ennemis. Sa capacité
n’ayant pas été récompensée par le bâton de maréchal de France, il
employa trop contre ceux qui servaient l’état des lumières qui eussent
été très utiles, s’il eût eu l’esprit aussi conciliant que pénétrant,
appliqué, et hardi.

Il reprocha au maréchal de Villeroi plus de fautes, et de plus
essentielles qu’à Boufflers. Villeroi, à la tête d’environ quatre-vingt
mille hommes, devait secourir Namur; mais, quand même les maréchaux
de Villeroi et de Boufflers eussent fait généralement tout ce qui se
pouvait faire (ce qui est bien rare), il fallait, par la situation du
terrain, que Namur ne fût point secourue, et se rendît tôt ou tard.
Les bords de la Méhaigne, couverts d’une armée d’observation qui avait
arrêté les secours du roi Guillaume, arrêtèrent alors nécessairement
ceux du maréchal de Villeroi.

Le maréchal de Boufflers, le comte de Guiscard, gouverneur de la ville,
le comte du Châtelet de Lomont, commandant de l’infanterie, tous les
officiers et les soldats défendirent la ville avec une opiniâtreté et
une bravoure admirable, mais qui ne recula pas la prise de deux jours.
Quand une ville est assiégée par une armée supérieure, que les travaux
sont bien conduits, et que la saison est favorable, on sait à peu près
en combien de temps elle sera prise, quelque vigoureuse que la défense
puisse être. Le roi Guillaume se rendit maître de la ville et de la
citadelle, qui lui coûtèrent plus de temps qu’à Louis XIV (septembre
1695).

Le roi, pendant qu’il perdait Namur, fit bombarder Bruxelles: vengeance
inutile, qu’il prenait sur le roi d’Espagne, de ses villes bombardées
par les Anglais. Tout cela fesait une guerre ruineuse et funeste aux
deux partis.

C’est, depuis deux siècles, un des effets de l’industrie et de la
fureur des hommes, que les désolations de nos guerres ne se bornent
pas à notre Europe. Nous nous épuisons d’hommes et d’argent pour
aller nous détruire aux extrémités de l’Asie et de l’Amérique. Les
Indiens, que nous avons obligés par force et par adresse à recevoir nos
établissements, et les Américains dont nous avons ensanglanté et ravi
le continent, nous regardent comme des ennemis de la nature humaine,
qui accourent du bout du monde pour les égorger, et pour se détruire
ensuite eux-mêmes.

Les Français n’avaient de colonies dans les grandes Indes que celle de
Pondichéri, formée par les soins de Colbert avec des dépenses immenses,
dont le fruit ne pouvait être recueilli qu’au bout de plusieurs années.
Les Hollandais s’en saisirent aisément, et ruinèrent aux Indes le
commerce de la France à peine établi.

(1695) Les Anglais détruisirent les plantations de la France à
Saint-Domingue. (1696) Un armateur de Brest ravagea celles qu’ils
avaient à Gambie dans l’Afrique. Les armateurs de Saint-Malo
portèrent le fer et le feu à Terre-Neuve sur la côte orientale qu’ils
possédaient. Leur île de la Jamaïque fut insultée par les escadres
françaises, leurs vaisseaux pris et brûlés, leurs côtes saccagées.

Pointis, chef d’escadre, à la tête de plusieurs vaisseaux du roi et de
quelques corsaires de l’Amérique, alla surprendre (mai 1697) auprès de
la ligne la ville de Carthagène, magasin et entrepôt des trésors que
l’Espagne tire du Mexique. Le dommage qu’il y causa fut estimé vingt
millions de nos livres, et le gain, dix millions. Il y a toujours
quelque chose à rabattre de ces calculs, mais rien des calamités
extrêmes que causent ces expéditions glorieuses.

Les vaisseaux marchands de Hollande et d’Angleterre étaient tous les
jours la proie des armateurs de France, et surtout de Du Guay-Trouin,
homme unique en son genre, auquel il ne manquait que de grandes
flottes, pour avoir la réputation de Dragut ou de Barberousse.

Jean Bart se fit aussi une grande réputation parmi les corsaires.
De simple matelot il devint enfin chef d’escadre, ainsi que Du
Guay-Trouin. Leurs noms sont encore illustres.

Les ennemis prenaient moins de vaisseaux marchands français, parcequ’il
y en avait moins. La mort de Colbert et la guerre avaient beaucoup
diminué le commerce.

Le résultat des expéditions de terre et de mer était donc le malheur
universel. Ceux qui ont plus d’humanité que de politique remarqueront
que, dans cette guerre, Louis XIV était armé contre son beau-frère, le
roi d’Espagne; contre l’électeur de Bavière, dont il avait donné la
sœur à son fils le dauphin; contre l’électeur palatin, dont il brûla
les états après avoir marié Monsieur à la princesse palatine. Le roi
Jacques fut chassé du trône par son gendre et par sa fille. Depuis même
on a vu[524] le duc de Savoie ligué encore contre la France, où l’une
de ses filles était dauphine, et contre l’Espagne, où l’autre était
reine. La plupart des guerres entre les princes chrétiens sont des
espèces de guerres civiles.

L’entreprise la plus criminelle de toute cette guerre fut la seule
véritablement heureuse. Guillaume réussit toujours pleinement en
Angleterre et en Irlande. Ailleurs les succès furent balancés. Quand
j’appelle cette entreprise criminelle, je n’examine pas si la nation,
après avoir répandu le sang du père, avait tort ou raison de proscrire
le fils, et de défendre sa religion et ses droits; je dis seulement
que, s’il y a quelque justice sur la terre, il n’appartenait pas à la
fille et au gendre du roi Jacques de le chasser de sa maison. Cette
action serait horrible entre des particuliers; l’intérêt des peuples
semble établir une autre morale pour les princes.



CHAPITRE XVII.

    Traité avec la Savoie. Mariage du duc de Bourgogne. Paix de
    Rysvick. État de la France et de l’Europe. Mort et Testament de
    Charles II, roi d’Espagne.


La France conservait encore sa supériorité sur tous ses ennemis. Elle
en avait accablé quelques uns, comme la Savoie et le Palatinat. Elle
fesait la guerre sur les frontières des autres. C’était un corps
puissant et robuste, fatigué d’une longue résistance, et épuisé par ses
victoires. Un coup porté à propos l’eût fait chanceler. Quiconque a
plusieurs ennemis à-la-fois, ne peut avoir, à la longue, de salut que
dans leur division ou dans la paix. Louis XIV obtint bientôt l’un et
l’autre.

Victor-Amédée, duc de Savoie, était celui de tous les princes qui
prenait le plus tôt son parti, quand il s’agissait de rompre ses
engagements pour ses intérêts. Ce fut à lui que la cour de France
s’adressa. Le comte de Tessé, depuis maréchal de France, homme habile
et aimable, d’un génie fait pour plaire, qui est le premier talent
des négociateurs, agit d’abord sourdement à Turin. Le maréchal de
Catinat, aussi propre à faire la paix que la guerre, acheva la
négociation. Il n’était pas besoin de deux hommes habiles pour
déterminer le duc de Savoie à recevoir ses avantages. On lui rendait
son pays; on lui donnait de l’argent; on proposait le mariage de sa
fille avec le jeune duc de Bourgogne, fils de Monseigneur, héritier
de la couronne de France. On fut bientôt d’accord (juillet 1696): le
duc et Catinat conclurent le traité à Notre-Dame de Lorette, où ils
allèrent sous prétexte d’un pèlerinage de dévotion qui ne fit prendre
le change à personne. Le pape (c’était alors Innocent XII) entrait
ardemment dans cette négociation. Son but était de délivrer à-la-fois
l’Italie, et des invasions des Français, et des taxes continuelles
que l’empereur exigeait pour payer ses armées. On voulait que les
Impériaux laissassent l’Italie neutre. Le duc de Savoie s’engageait
par le traité à obtenir cette neutralité. L’empereur répondit d’abord
par des refus: car la cour de Vienne ne se déterminait guère qu’à
l’extrémité. Alors le duc de Savoie joignit ses troupes à l’armée
française. Ce prince devint, en moins d’un mois, de généralissime de
l’empereur, généralissime de Louis XIV. On amena sa fille en France,
pour épouser, à onze ans (1697), le duc de Bourgogne qui en avait
treize. Après la défection du duc de Savoie, il arriva, comme à la paix
de Nimègue, que chacun des alliés prit le parti de traiter. L’empereur
accepta d’abord la neutralité d’Italie. Les Hollandais proposèrent le
château de Rysvick, près de La Haye, pour les conférences d’une paix
générale. Quatre armées que le roi avait sur pied servirent à hâter
les conclusions. Quatre-vingt mille hommes étaient en Flandre sous
Villeroi. Le maréchal de Choiseul en avait quarante mille sur les bords
du Rhin. Catinat en avait encore autant en Piémont. Le duc de Vendôme,
parvenu enfin au généralat, après avoir passé par tous les degrés
depuis celui de garde du roi, comme un soldat de fortune, commandait
en Catalogne, où il gagna un combat, et où il prit Barcelone (août
1697). Ces nouveaux efforts et ces nouveaux succès furent la médiation
la plus efficace. La cour de Rome offrit encore son arbitrage, et
fut refusée comme à Nimègue. Le roi de Suède, Charles XI, fut le
médiateur. (Septembre, octobre 1697) Enfin la paix se fit, non plus
avec cette hauteur et ces conditions avantageuses qui avaient signalé
la grandeur de Louis XIV, mais avec une facilité et un relâchement de
ses droits qui étonnèrent également les Français et les alliés. On a
cru long-temps que cette paix avait été préparée par la plus profonde
politique.

On prétendait que le grand projet du roi de France était et devait être
de ne pas laisser tomber toute la succession de la vaste monarchie
espagnole dans l’autre branche de la maison d’Autriche. Il espérait,
disait-on, que la maison de Bourbon en arracherait au moins quelque
démembrement; et que peut-être un jour elle l’aurait tout entière. Les
renonciations authentiques de la femme et de la mère de Louis XIV ne
paraissaient que de vaines signatures, que des conjonctures nouvelles
devaient anéantir. Dans ce dessein, qui agrandissait ou la France ou la
maison de Bourbon, il était nécessaire de montrer quelque modération
à l’Europe, pour ne pas effaroucher tant de puissances toujours
soupçonneuses. La paix donnait le temps de se faire de nouveaux alliés,
de rétablir les finances, de gagner ceux dont on aurait besoin, et
de laisser former dans l’état de nouvelles milices. Il fallait céder
quelque chose dans l’espérance d’obtenir beaucoup plus.

On pensa que c’étaient là les motifs secrets de cette paix de Rysvick,
qui en effet procura par l’événement le trône d’Espagne au petit-fils
de Louis XIV. Cette idée, si vraisemblable, n’est pas vraie; ni Louis
XIV ni son conseil n’eurent ces vues qui semblaient devoir se présenter
à eux. C’est un grand exemple de cet enchaînement des révolutions de ce
monde, qui entraînent les hommes par lesquels elles semblent conduites.
L’intérêt visible de posséder bientôt l’Espagne, ou une partie de cette
monarchie, n’influa en rien dans la paix de Rysvick. Le marquis de
Torci en fait l’aveu dans ses Mémoires[525] manuscrits. On fit la paix
par lassitude de la guerre, et cette guerre avait été presque sans
objet: du moins elle n’avait été, du côté des alliés, que le dessein
vague d’abaisser la grandeur de Louis XIV; et dans ce monarque, que
la suite de cette même grandeur qui n’avait pas voulu plier. Le roi
Guillaume avait entraîné dans sa cause l’empereur, l’empire, l’Espagne,
les Provinces-Unies, la Savoie. Louis XIV s’était vu trop engagé pour
reculer. La plus belle partie de l’Europe avait été ravagée, parceque
le roi de France avait usé avec trop de hauteur de ses avantages après
la paix de Nimègue. C’était contre sa personne qu’on s’était ligué
plutôt que contre la France. Le roi croyait avoir mis en sûreté la
gloire que donnent les armes; il voulut avoir celle de la modération;
et l’épuisement qui se fesait sentir dans les finances ne lui rendit
pas cette modération difficile.

Les affaires politiques se traitaient dans le conseil: les résolutions
s’y prenaient. Le marquis de Torci, encore jeune, n’était chargé que de
l’exécution. Tout le conseil voulait la paix. Le duc de Beauvilliers,
surtout, y représentait avec force la misère des peuples: madame de
Maintenon en était touchée; le roi n’y était pas insensible. Cette
misère fesait d’autant plus d’impression, qu’on tombait de cet état
florissant où le ministre Colbert avait mis le royaume. Les grands
établissements en tout genre avaient prodigieusement coûté, et
l’économie ne réparait pas le dérangement de ces dépenses forcées. Ce
mal intérieur étonnait, parcequ’on ne l’avait jamais senti depuis
que Louis XIV gouvernait par lui-même. Voilà les causes de la paix
de Rysvick[526]. Des sentiments vertueux y influèrent certainement.
Ceux qui pensent que les rois et leurs ministres sacrifient sans cesse
et sans mesure à l’ambition, ne se trompent pas moins que celui qui
penserait qu’ils sacrifient toujours au bonheur du monde.

Le roi rendit donc à la branche autrichienne d’Espagne tout ce qu’il
lui avait pris vers les Pyrénées, et ce qu’il venait de lui prendre en
Flandre dans cette dernière guerre; Luxembourg, Mons, Ath, Courtrai.
Il reconnut pour roi légitime d’Angleterre le roi Guillaume, traité
jusqu’alors de prince d’Orange, d’usurpateur, et de tyran. Il promit de
ne donner aucun secours à ses ennemis. Le roi Jacques, dont le nom fut
omis dans le traité, resta dans Saint-Germain, avec le nom inutile de
roi, et des pensions de Louis XIV. Il ne fit plus que des manifestes,
sacrifié par son protecteur à la nécessité, et déjà oublié de l’Europe.

Les jugements rendus par les chambres de Brisach[527] et de Metz contre
tant de souverains, et les réunions faites à l’Alsace, monuments d’une
puissance et d’une fierté dangereuse, furent abolis; et les bailliages
juridiquement saisis furent rendus à leurs maîtres légitimes.

Outre ces désistements, on restitua à l’empire Fribourg, Brisach,
Kehl, Philipsbourg. On se soumit à raser les forteresses de Strasbourg
sur le Rhin, le Fort-Louis, Trarbach, le Mont-Royal; ouvrages où Vauban
avait épuisé son art, et le roi ses finances. On fut surpris dans
l’Europe, et mécontent en France, que Louis XIV eût fait la paix comme
s’il eût été vaincu. Harlai, Créci, et Callières, qui avaient signé
cette paix, n’osaient se montrer, ni à la cour, ni à la ville; on les
accablait de reproches et de ridicules, comme s’ils avaient fait un
seul pas qui n’eût été ordonné par le ministère. La cour de Louis XIV
leur reprochait d’avoir trahi l’honneur de la France, et depuis on
les loua d’avoir préparé, par ce traité, la succession à la monarchie
espagnole; mais ils ne méritèrent ni les critiques ni les louanges.

Ce fut enfin par cette paix que la France rendit la Lorraine à la
maison qui la possédait depuis sept cents années. Le duc Charles V,
appui de l’empire et vainqueur des Turcs, était mort. Son fils Léopold
prit, à la paix de Rysvick, possession de sa souveraineté; dépouillé à
la vérité de ses droits réels, car il n’était pas permis au duc d’avoir
des remparts à sa capitale; mais on ne put lui ôter un droit plus beau,
celui de faire du bien à ses sujets; droit dont jamais aucun prince n’a
si bien usé que lui.

Il est à souhaiter que la dernière postérité apprenne qu’un des moins
grands souverains de l’Europe a été celui qui a fait le plus de bien à
son peuple. Il trouva la Lorraine désolée et déserte: il la repeupla,
il l’enrichit. Il l’a conservée toujours en paix, pendant que le
reste de l’Europe a été ravagé par la guerre. Il a eu la prudence
d’être toujours bien avec la France, et d’être aimé dans l’empire;
tenant heureusement ce juste milieu qu’un prince sans pouvoir n’a
presque jamais pu garder entre deux grandes puissances. Il a procuré
à ses peuples l’abondance qu’ils ne connaissaient plus. Sa noblesse,
réduite à la dernière misère, a été mise dans l’opulence par ses seuls
bienfaits. Voyait-il la maison d’un gentilhomme en ruine, il la fesait
rebâtir à ses dépens: il payait leurs dettes; il mariait leurs filles;
il prodiguait des présents, avec cet art de donner, qui est encore
au-dessus des bienfaits: il mettait dans ses dons la magnificence d’un
prince et la politesse d’un ami. Les arts, en honneur dans sa petite
province, produisaient une circulation nouvelle qui fait la richesse
des états. Sa cour était formée sur le modèle de celle de France.
On ne croyait presque pas avoir changé de lieu quand on passait de
Versailles à Lunéville. A l’exemple de Louis XIV, il fesait fleurir
les belles-lettres. Il a établi dans Lunéville une espèce d’université
sans pédantisme, où la jeune noblesse d’Allemagne venait se former.
On y apprenait de véritables sciences dans des écoles où la physique
était démontrée aux yeux par des machines admirables. Il a cherché les
talents jusque dans les boutiques et dans les forêts, pour les mettre
au jour et les encourager. Enfin, pendant tout son règne, il ne s’est
occupé que du soin de procurer à sa nation de la tranquillité, des
richesses, des connaissances, et des plaisirs. «Je quitterais demain ma
souveraineté, disait-il, si je ne pouvais faire du bien.» Aussi a-t-il
goûté le bonheur d’être aimé; et j’ai vu, long-temps après sa mort,
ses sujets verser des larmes en prononçant son nom. Il a laissé, en
mourant, son exemple à suivre aux plus grands rois, et il n’a pas peu
servi à préparer à son fils[528] le chemin du trône de l’empire.

Dans le temps que Louis XIV ménageait la paix de Rysvick, qui devait
lui valoir la succession d’Espagne, la couronne de Pologne vint à
vaquer. C’était la seule couronne royale au monde qui fût alors
élective: citoyens et étrangers y peuvent prétendre. Il faut, pour
y parvenir, ou un mérite assez éclatant et assez soutenu par les
intrigues pour entraîner les suffrages, comme il était arrivé à Jean
Sobieski, dernier roi; ou bien des trésors assez grands pour acheter ce
royaume, qui est presque toujours à l’enchère.

L’abbé de Polignac, depuis cardinal, eut d’abord l’habileté de disposer
les suffrages en faveur de ce prince de Conti connu par les actions
de valeur qu’il avait faites à Steinkerque et à Nervinde. Il n’avait
jamais commandé en chef; il n’entrait point dans les conseils du
roi; Monsieur le Duc avait autant de réputation que lui à la guerre;
monsieur de Vendôme en avait davantage: cependant sa renommée effaçait
alors les autres noms par le grand art de plaire et de se faire valoir,
que jamais on ne posséda mieux que lui. Polignac, qui avait celui de
persuader, détermina d’abord les esprits en sa faveur. Il balança, avec
de l’éloquence et des promesses, l’argent qu’Auguste, électeur de Saxe,
prodiguait. Louis-François, prince de Conti, fut élu (27 juin 1697)
roi par le plus grand parti, et proclamé par le primat du royaume.
Auguste fut élu deux heures après par un parti beaucoup moins nombreux:
mais il était prince souverain et puissant; il avait des troupes prêtes
sur les frontières de Pologne. Le prince de Conti était absent, sans
argent, sans troupes, sans pouvoir; il n’avait pour lui que son nom et
le cardinal de Polignac. Il fallait, ou que Louis XIV l’empêchât de
recevoir l’offre de la couronne, ou qu’il lui donnât de quoi l’emporter
sur son rival. Le ministère français passa pour en avoir fait trop
en envoyant le prince de Conti, et trop peu en ne lui donnant qu’une
faible escadre et quelques lettres-de-change, avec lesquelles il arriva
à la rade de Dantzick. On parut se conduire avec cette politique
mitigée qui commence les affaires pour les abandonner. Le prince de
Conti ne fut pas seulement reçu à Dantzick. Ses lettres-de-change
y furent protestées. Les intrigues du pape, celles de l’empereur,
l’argent et les troupes de Saxe, assuraient déjà la couronne à son
rival. Il revint avec la gloire d’avoir été élu. La France eut la
mortification de faire voir qu’elle n’avait pas assez de force pour
faire un roi de Pologne.

Cette disgrace du prince de Conti ne troubla point la paix du Nord
entre les chrétiens. Le midi de l’Europe fut tranquille bientôt après
par la paix de Rysvick. Il ne restait plus de guerre que celle que les
Turcs fesaient à l’Allemagne, à la Pologne, à Venise, et à la Russie.
Les chrétiens, quoique mal gouvernés et divisés entre eux, avaient
dans cette guerre la supériorité. (1ᵉʳ septembre 1697) La bataille
de Zenta, où le prince Eugène battit le grand-seigneur en personne,
fameuse par la mort d’un grand-vizir, de dix-sept bachas, et de plus
de vingt mille Turcs, abaissa l’orgueil ottoman, et procura la paix de
Carlovitz (1699), où les Turcs reçurent la loi. Les Vénitiens eurent
la Morée; les Moscovites, Azof; les Polonais, Kaminieck; l’empereur,
la Transylvanie. La chrétienté fut alors tranquille et heureuse; on
n’entendait parler de guerre ni en Asie ni en Afrique. Toute la terre
était en paix vers les deux dernières années du dix-septième siècle,
époque d’une trop courte durée.

Les malheurs publics recommencèrent bientôt. Le Nord fut troublé, dès
l’an 1700, par les deux hommes les plus singuliers qui fussent sur la
terre. L’un était le czar Pierre Alexiovitz, empereur de Russie, et
l’autre le jeune Charles XII, roi de Suède. Le czar Pierre, supérieur
à son siècle et à sa nation, a été, par son génie et par ses travaux,
le réformateur ou plutôt le fondateur de son empire. Charles XII, plus
courageux, mais moins utile à ses sujets, fait pour commander à des
soldats et non à des peuples, a été le premier des héros de son temps;
mais il est mort avec la réputation d’un roi imprudent. La désolation
du Nord, dans une guerre de dix-huit années, a dû son origine à la
politique ambitieuse du czar, du roi de Danemark, et du roi de Pologne,
qui voulurent profiter de la jeunesse de Charles XII pour lui ravir une
partie de ses états. (1700) Le roi Charles, à l’âge de seize ans[529],
les vainquit tous trois. Il fut la terreur du Nord, et passa déjà pour
un grand homme dans un âge où les autres hommes n’ont pas reçu encore
toute leur éducation. Il fut neuf ans le roi le plus redoutable qui fût
au monde, et neuf autres années le plus malheureux.

Les troubles du midi de l’Europe ont eu une autre origine. Il
s’agissait de recueillir les dépouilles du roi d’Espagne, dont la
mort s’approchait. Les puissances qui dévoraient déjà en idée cette
succession immense, fesaient ce que nous voyons souvent dans la
maladie d’un riche vieillard sans enfants. Sa femme, ses parents, des
prêtres, des officiers préposés pour recevoir les dernières volontés
des mourants, l’assiégent de tous côtés pour arracher de lui un mot
favorable: quelques héritiers consentent à partager ses dépouilles;
d’autres s’apprêtent à les disputer.

Louis XIV et l’empereur Léopold étaient au même degré: tous deux
descendaient de Philippe III par les femmes; mais Louis était fils de
l’aînée. Le dauphin avait un plus grand avantage encore sur les enfants
de l’empereur, c’est qu’il était petit-fils de Philippe IV, et les
enfants de Léopold n’en descendaient pas. Tous les droits de la nature
étaient donc dans la maison de France. On n’a qu’à jeter un coup d’œil
sur la table suivante.


 _Branche française._    |  ROIS D’ESPAGNE.   |    _Branche allemande._


                             PHILIPPE III.
/--------------------------------/ \---------------------------------------\
                                  |
ANNE-MARIE, l’aînée,         PHILIPPE IV.        MARIE-ANNE, la cadette,
  femme de LOUIS XIII,            |                épouse de FERDINAND III,
  en 1615.                        |                empereur, en 1631.
          |                       |                         |
          |                       |                         |
          |                       |                         |
          |                       |                         |
LOUIS XIV épouse, en          CHARLES II.        LÉOPOLD, fils de FERDINAND
  1660, MARIE-THÉRÈSE,                             III et de MARIE-ANNE,
  fille aînée de PHILIPPE                          épouse, en 1666,
  IV.                                              MARGUERITE-THÉRÈSE,
          |                                        fille cadette de PHILIPPE
          |                                        IV, dont il eut,
          |                                                 |
          |                                                 |
          |                                                 |
          |                                                 |
          |                                                 |
    MONSEIGNEUR.                                 MARIE-ANTOINETTE-JOSÈPHE,
          |                                        mariée à l’électeur
          |                                        de Bavière MAXIMILIEN-EMMANUEL,
          |                                        qui
          |                                        eut d’elle,
          |                                                 |
          |                                                 |
          |                                                 |
          |                                                 |
Le duc de Bourgogne.                             JOSEPH-FERDINAND-LÉOPOLD
                                                   DE BAVIÈRE, nommé
Le duc d’Anjou, roi                                héritier de toute la
  d’Espagne.                                       monarchie-espagnole, à
                                                   l’âge de quatre ans.
Le duc de Berri.

Mais la maison de l’empereur comptait pour ses droits, premièrement
les renonciations authentiques et ratifiées de Louis XIII et de Louis
XIV à la couronne d’Espagne, ensuite le nom d’Autriche; le sang de
Maximilien, dont Léopold et Charles II descendaient; l’union presque
toujours constante des deux branches autrichiennes; la haine encore
plus constante de ces deux branches contre les Bourbons; l’aversion
que la nation espagnole avait alors pour la nation française; enfin,
les ressorts d’une politique en possession de gouverner le conseil
d’Espagne.

Rien ne paraissait plus naturel alors que de perpétuer le trône
d’Espagne dans la maison d’Autriche. L’Europe entière s’y attendait
avant la paix de Rysvick; mais la faiblesse de Charles II avait dérangé
dès l’année 1696 cet ordre de succession; et le nom autrichien avait
déjà été sacrifié en secret. Le roi d’Espagne avait un petit-neveu,
fils de l’électeur de Bavière Maximilien-Emmanuel[530]. La mère du
roi, qui vivait encore, était bisaïeule de ce jeune prince de Bavière,
âgé alors de quatre ans; et quoique cette reine-mère fût de la maison
d’Autriche, étant fille de l’empereur Ferdinand III, elle obtint de son
fils que la race impériale fût déshéritée. Elle était piquée contre la
cour de Vienne. Elle jeta les yeux sur ce prince bavarois sortant du
berceau pour le destiner à la monarchie d’Espagne et du Nouveau-Monde.
Charles II, alors gouverné par elle[531], fit un testament secret
en faveur du prince électoral de Bavière, en 1696. Charles, ayant
depuis perdu sa mère, fut gouverné par sa femme, Marie-Anne de
Bavière-Neubourg. Cette princesse bavaroise, belle-sœur de l’empereur
Léopold, était aussi attachée à la maison d’Autriche que la reine-mère
autrichienne avait été affectionnée au sang de Bavière. Ainsi le
cours naturel des choses fut toujours interverti dans cette affaire,
où il s’agissait de la plus vaste monarchie du monde. Marie-Anne de
Bavière fit déchirer le testament qui appelait le jeune Bavarois à la
succession, et le roi promit à sa femme qu’il n’aurait jamais d’autre
héritier qu’un fils de l’empereur Léopold, et qu’il ne ruinerait pas
la maison d’Autriche. Les choses étaient en ces termes à la paix
de Rysvick. Les maisons de France et d’Autriche se craignaient et
s’observaient, et elles avaient l’Europe à craindre. L’Angleterre, et
la Hollande alors puissante, dont l’intérêt était de tenir la balance
entre les souverains, ne voulaient point souffrir que la même tête pût
porter avec la couronne d’Espagne celle de l’empire, ou celle de France.

Ce qu’il y eut de plus étrange, c’est que le roi de Portugal, Pierre
II, se mit au rang des prétendants. Cela était absurde; il ne pouvait
tirer son droit que d’un Jean Iᵉʳ, fils naturel de Pierre-le-Justicier,
au quinzième siècle; mais cette prétention chimérique était soutenue
par le comte d’Oropesa de la maison de Bragance; il était membre du
conseil. Il osa en parler; il fut disgracié et renvoyé.

Louis XIV ne pouvait souffrir qu’un fils de l’empereur recueillît la
succession, et il ne pouvait la demander. On ne sait pas positivement
quel homme imagina le premier de faire un partage prématuré et inouï
de la monarchie espagnole pendant la vie de Charles II. Il est très
vraisemblable que ce fut le ministre Torci; car ce fut lui qui en fit
l’ouverture au comte de Portland Bentinck, ambassadeur de Guillaume III
auprès de Louis XIV[532].

(Octobre 1698) Le roi Guillaume entra vivement dans ce projet nouveau.
Il disposa dans La Haye, avec le comte de Tallard, de la succession
d’Espagne. On donnait au jeune prince de Bavière l’Espagne et les
Indes occidentales, sans savoir que Charles II lui avait déjà légué
auparavant tous ses états. Le dauphin, fils de Louis XIV, devait
posséder Naples, Sicile, et la province de Guipuscoa, avec quelques
villes. On ne laissait à l’archiduc Charles, second fils de l’empereur
Léopold, que le Milanais, et rien à l’archiduc Joseph, fils aîné de
Léopold, héritier de l’empire.

Le sort d’une partie de l’Europe et de la moitié de l’Amérique ainsi
réglé, Louis promit, par ce traité de partage, de renoncer à la
succession entière de l’Espagne. Le dauphin promit et signa la même
chose. La France croyait gagner des états; l’Angleterre et la Hollande
croyaient affermir le repos d’une partie de l’Europe; toute cette
politique fut vaine. Le roi moribond, apprenant qu’on déchirait
sa monarchie de son vivant, fut indigné. On s’attendait qu’à cette
nouvelle il déclarerait pour son successeur ou l’empereur Léopold,
ou un fils de cet empereur; qu’il lui donnerait cette récompense, de
n’avoir point trempé dans ce partage; que la grandeur et l’intérêt de
la maison d’Autriche lui dicteraient un testament. Il en fit un en
effet; mais il déclara pour la seconde fois ce même prince de Bavière
unique héritier de tous ses états (novembre 1698). La nation espagnole,
qui ne craignait rien tant que le démembrement de sa monarchie,
applaudissait à cette disposition. La paix semblait devoir en être le
fruit. Cette espérance fut encore aussi vaine que le traité de partage.
Le prince de Bavière[533], désigné roi, mourut à Bruxelles[534] (6
février 1699).

On accusa injustement de cette mort précipitée la maison d’Autriche,
sur cette seule vraisemblance que ceux-là commettent le crime à qui
le crime est utile. Alors recommencèrent les intrigues à la cour de
Madrid, à Vienne, à Versailles, à Londres, à La Haye, et à Rome.

Louis XIV, le roi Guillaume, et les États-Généraux, disposèrent encore
une fois en idée de la monarchie espagnole. (Mars 1700) Ils assignaient
à l’archiduc Charles, fils puîné de l’empereur, la part qu’ils avaient
auparavant donnée à l’enfant qui venait de mourir. Le fils de Louis XIV
devait posséder Naples et Sicile, et tout ce qu’on lui avait assigné
par la première convention.

On donnait Milan au duc de Lorraine; et la Lorraine, si souvent
envahie, et si souvent rendue par la France, devait y être annexée
pour jamais. Ce traité, qui mit en mouvement la politique de tous les
princes pour le traverser ou pour le soutenir, fut tout aussi inutile
que le premier. L’Europe fut encore trompée dans son attente, comme il
arrive presque toujours.

L’empereur, à qui on proposait ce traité de partage à signer, n’en
voulait point, parcequ’il espérait avoir toute la succession. Le roi de
France, qui en avait pressé la signature, attendait les événements avec
incertitude. Quand ce nouvel affront fut connu à la cour de Madrid, le
roi fut sur le point de succomber à sa douleur; et la reine, sa femme,
fut transportée d’une si vive colère qu’elle brisa les meubles de son
appartement, et surtout les glaces et les autres ornements qui venaient
de France; tant les passions sont les mêmes dans tous les rangs! Ces
partages imaginaires, ces intrigues, ces querelles, tout cela n’était
qu’un intérêt personnel. La nation espagnole était comptée pour rien.
On ne la consultait pas, on ne lui demandait pas quel roi elle voulait.
On proposa d’assembler _las cortes_, les états-généraux; mais Charles
frémissait à ce seul nom.

Alors ce malheureux prince, qui se voyait mourir à la fleur de son
âge, voulut donner tous ses états à l’archiduc Charles, neveu de sa
femme, second fils de l’empereur Léopold. Il n’osait les laisser au
fils aîné, tant le système de l’équilibre prévalait dans les esprits,
et tant il était sûr que la crainte de voir l’Espagne, le Mexique, le
Pérou, de grands établissements dans l’Inde, l’Empire, la Hongrie,
la Bohème, la Lombardie, dans les mêmes mains, armerait le reste de
l’Europe! Il demandait que l’empereur Léopold envoyât son second fils
Charles à Madrid, à la tête de dix mille hommes; mais ni la France,
ni l’Angleterre, ni la Hollande, ni l’Italie, ne l’auraient alors
souffert: toutes voulaient le partage. L’empereur ne voulait point
envoyer son fils seul à la merci du conseil d’Espagne, et ne pouvait
y faire passer dix mille hommes. Il voulait seulement faire marcher
des troupes en Italie, pour s’assurer cette partie des états de la
monarchie autrichienne-espagnole. Il arriva, pour le plus important
intérêt entre deux grands rois, ce qui arrive tous les jours entre
des particuliers pour des affaires légères. On disputa, on s’aigrit:
la fierté allemande révoltait la hauteur castillane. La comtesse de
Perlipz[535], qui gouvernait la femme du roi mourant, aliénait les
esprits qu’elle eût dû gagner à Madrid; et le conseil de Vienne les
éloignait encore davantage par ses hauteurs.

Le jeune archiduc, qui fut depuis l’empereur Charles VI, appelait
toujours les Espagnols d’un nom injurieux. Il apprit alors combien les
princes doivent peser leurs paroles. Un évêque de Lérida, ambassadeur
de Madrid à Vienne, mécontent des Allemands, releva ces discours,
les envenima dans ses dépêches, et écrivit lui-même des choses plus
injurieuses pour le conseil d’Autriche que l’archiduc n’en avait
prononcé contre les Espagnols. «Les ministres de Léopold, écrivait-il,
ont l’esprit fait comme les cornes des chèvres de mon pays, petit,
dur, et tortu.» Cette lettre devint publique. L’évêque de Lérida fut
rappelé; et à son retour à Madrid, il ne fit qu’accroître l’aversion
des Espagnols contre les Allemands.

Autant le parti autrichien révoltait la cour de Madrid, autant le
marquis depuis duc d’Harcourt, ambassadeur de France, se conciliait
tous les cœurs par la profusion de sa magnificence, par sa dextérité,
et par le grand art de plaire. Reçu d’abord fort mal à la cour de
Madrid, il souffrit tous les dégoûts sans se plaindre; trois mois
entiers s’écoulèrent sans qu’il pût avoir audience du roi[536]. Il
employa ce temps à gagner les esprits. Ce fut lui qui le premier fit
changer en bienveillance cette antipathie que la nation espagnole
nourrissait contre la française depuis Ferdinand-le-Catholique; et sa
prudence prépara les temps où la France et l’Espagne ont renoué les
anciens nœuds qui les avaient unies avant ce Ferdinand, _de couronne
à couronne, de peuple à peuple, et d’homme à homme_. Il accoutuma la
cour espagnole à aimer la maison de France; ses ministres, à ne plus
s’effrayer des renonciations de Marie-Thérèse et d’Anne d’Autriche;
et Charles II lui-même, à balancer entre sa propre maison et celle de
Bourbon. Il fut ainsi le premier mobile de la plus grande révolution
dans le gouvernement et dans les esprits. Cependant ce changement était
encore éloigné[537].

L’empereur priait, menaçait. Le roi de France représentait ses
droits, mais sans oser jamais demander pour un de ses petits-fils la
succession entière. Il ne s’occupait qu’à flatter le malade. Les Maures
assiégeaient Ceuta. Aussitôt le marquis d’Harcourt offre des vaisseaux
et des troupes à Charles, qui en fut sensiblement touché; mais la
reine, sa femme, en fut effrayée; elle craignit que son mari n’eût trop
de reconnaissance, et refusa sèchement ce secours.

On ne savait encore quel parti prendre dans le conseil de Madrid, et
Charles II approchait du tombeau, plus incertain que jamais. L’empereur
Léopold piqué rappela son ambassadeur, le comte de Harrach; mais
bientôt après il le renvoya à Madrid, et les espérances en faveur
de la maison d’Autriche se rétablirent. Le roi d’Espagne écrivit à
l’empereur qu’il choisirait l’archiduc pour son successeur. Alors
le roi de France, menaçant à son tour, assembla une armée vers les
frontières d’Espagne; et ce même marquis d’Harcourt fut rappelé de
son ambassade pour commander cette armée. Il ne resta à Madrid qu’un
officier d’infanterie qui avait servi de secrétaire d’ambassade, et qui
fut chargé des affaires, comme le dit le marquis de Torci. Ainsi le roi
moribond, menacé tour-à-tour par ceux qui prétendaient à sa succession,
voyant que le jour de sa mort serait celui de la guerre, que ses
états allaient être déchirés, tendait à sa fin sans consolation, sans
résolution, et au milieu des inquiétudes.

Dans cette crise violente, le cardinal Portocarrero, archevêque de
Tolède, le comte de Monterey, et d’autres grands d’Espagne, voulurent
sauver la patrie. Ils se réunirent pour prévenir le démembrement de
la monarchie. Leur haine contre le gouvernement allemand fortifia
dans leurs esprits la raison d’état, et servit la cour de France sans
qu’elle le sût. Ils persuadèrent à Charles II de préférer un petit-fils
de Louis XIV à un prince éloigné d’eux, hors d’état de les défendre. Ce
n’était point anéantir les renonciations solennelles de la mère et de
la femme de Louis XIV à la couronne d’Espagne, puisqu’elles n’avaient
été faites que pour empêcher les aînés de leurs descendants de réunir
sous leur domination les deux royaumes, et qu’on ne choisissait
point un aîné. C’était en même temps rendre justice aux droits du
sang; c’était conserver la monarchie espagnole sans partage. Le roi
scrupuleux fit consulter des théologiens, qui furent de l’avis de
son conseil; ensuite, tout malade qu’il était, il écrivit de sa main
au pape Innocent XII, et lui fit la même consultation. Le pape, qui
croyait voir dans l’affaiblissement de la maison d’Autriche la liberté
de l’Italie, écrivit au roi «que les lois d’Espagne et le bien de la
chrétienté exigeaient de lui qu’il donnât la préférence à la maison
de France.» La lettre du pape était du 16 juillet 1700. Il traita ce
cas de conscience d’un souverain comme une affaire d’état, tandis
que le roi d’Espagne fesait de cette grande affaire d’état un cas de
conscience.

Louis XIV en fut informé par le cardinal de Janson, qui résidait
alors à Rome: c’est toute la part que le cabinet de Versailles eut
à cet événement. Six mois s’étaient écoulés depuis qu’on n’avait
plus d’ambassadeur à Madrid. C’était peut-être une faute, et ce fut
peut-être encore cette faute qui valut la monarchie espagnole à la
maison de France. (2 octobre 1700) Le roi d’Espagne fit son troisième
testament, qu’on crut long-temps être le seul, et donna tous ses
états au duc d’Anjou[538]. On saisit un moment où sa femme n’était
pas auprès de lui pour le faire signer. C’est ainsi que toute cette
intrigue fut terminée.

L’Europe a pensé que ce testament de Charles II avait été dicté à
Versailles. Le roi mourant n’avait consulté que l’intérêt de son
royaume, les vœux de ses sujets, et même leurs craintes; car le roi de
France fesait avancer des troupes sur la frontière pour s’assurer une
partie de l’héritage, tandis que le roi moribond se résolvait à lui
tout donner. Rien n’est plus vrai que la réputation de Louis XIV, et
l’idée de sa puissance, furent les seuls négociateurs qui consommèrent
cette révolution.

Charles d’Autriche, après avoir signé la ruine de sa maison et la
grandeur de celle de France, languit encore un mois, et acheva enfin,
à l’âge de trente-neuf ans (1ᵉʳ novembre 1700), la vie obscure qu’il
avait menée sur le trône. Peut-être n’est-il pas inutile, pour faire
connaître l’esprit humain, de dire que, quelques mois avant sa mort,
ce monarque fit ouvrir à l’Escurial les tombeaux de son père, de
sa mère, et de sa première femme, Marie-Louise d’Orléans, dont il
était soupçonné d’avoir souffert l’empoisonnement[539]. Il baisa ce
qui restait de ces cadavres, soit qu’en cela il suivît l’exemple de
quelques anciens rois d’Espagne, soit qu’il voulût s’accoutumer aux
horreurs de la mort, soit qu’une secrète superstition lui fît croire
que l’ouverture de ces tombes retarderait l’heure où il devait être
porté dans la sienne.

Ce prince était né aussi faible d’esprit que de corps; et cette
faiblesse s’était répandue sur ses états. C’est le sort des monarchies
que leur prospérité dépende du caractère d’un seul homme. Telle était
la profonde ignorance dans laquelle Charles II avait été élevé,
que, quand les Français assiégèrent Mons, il crut que cette place
appartenait au roi d’Angleterre. Il ne savait ni où était la Flandre,
ni ce qui lui appartenait en Flandre[540]. Ce roi laissa au duc
d’Anjou, petit-fils de Louis XIV, tous ses états, sans connaître ce
qu’il lui laissait.

Son testament fut si secret que le comte de Harrach, ambassadeur de
l’empereur, se flattait encore que l’archiduc était reconnu successeur.
Il attendit long-temps l’issue du grand conseil, qui se tint
immédiatement après la mort du roi. Le duc d’Abrantès vint à lui les
bras ouverts: l’ambassadeur ne douta plus dans ce moment que l’archiduc
ne fût roi, quand le duc d’Abrantès lui dit en l’embrassant: _Vengo a
despedirme de la casa de Austria_. «Je viens prendre congé de la maison
d’Autriche.»

Ainsi, après deux cents ans de guerres et de négociations pour quelques
frontières des états espagnols, la maison de France eut, d’un trait
de plume, la monarchie entière, sans traités, sans intrigues, et sans
même avoir eu l’espérance de cette succession. On s’est cru obligé de
faire connaître la simple vérité d’un fait jusqu’à présent obscurci
par tant de ministres et d’historiens séduits par leurs préjugés et par
les apparences qui séduisent presque toujours. Tout ce qu’on a débité
dans tant de volumes, d’argent répandu par le maréchal d’Harcourt, et
des ministres espagnols gagnés pour faire signer ce testament, est au
rang des mensonges politiques et des erreurs populaires. Mais le roi
d’Espagne, en choisissant pour son héritier le petit-fils d’un roi si
long-temps son ennemi, pensait toujours, aux suites que l’idée d’un
équilibre général devait entraîner. Le duc d’Anjou, petit-fils de
Louis XIV, n’était appelé à la succession d’Espagne que parcequ’il ne
devait pas espérer celle de France; et le même testament qui, au défaut
des puînés du sang de Louis XIV, rappelait l’archiduc Charles, depuis
l’empereur Charles VI, portait expressément que l’empire et l’Espagne
ne seraient jamais réunis sous un même souverain.

Louis XIV pouvait s’en tenir encore au traité de partage, qui était
un gain pour la France. Il pouvait accepter le testament, qui était
un avantage pour sa maison. Il est certain que la matière fut mise
en délibération dans un conseil extraordinaire. Le chancelier de
Ponchartrain et le duc de Beauvilliers furent d’avis de s’en tenir au
traité; ils voyaient les dangers d’une nouvelle guerre à soutenir[541].
Louis les voyait aussi; mais il était accoutumé à ne les pas craindre.
Il accepta le testament (11 novembre 1700); et rencontrant, au sortir
du conseil, les princesses de Conti avec Madame la duchesse: «Eh bien,
leur dit-il en souriant, quel parti prendriez-vous?» Puis sans attendre
leur réponse: «Quelque parti que je prenne, ajouta-t-il, je sais bien
que je serai blâmé[542].»

Les actions des rois, tout flattés qu’ils sont, éprouvent toujours tant
de critiques, que le roi d’Angleterre lui-même essuya des reproches
dans son parlement; et ses ministres furent poursuivis pour avoir
fait le traité de partage. Les Anglais, qui raisonnent mieux qu’aucun
peuple, mais en qui la fureur de l’esprit de parti éteint quelquefois
la raison, criaient à-la-fois, et contre Guillaume qui avait fait le
traité, et contre Louis XIV qui le rompait.

L’Europe parut d’abord dans l’engourdissement de la surprise et de
l’impuissance, quand elle vit la monarchie d’Espagne soumise à la
France, dont elle avait été trois cents ans la rivale. Louis XIV
semblait le monarque le plus heureux et le plus puissant de la terre.
Il se voyait à soixante et deux ans entouré d’une nombreuse postérité;
un de ses petit-fils allait gouverner, sous ses ordres, l’Espagne,
l’Amérique, la moitié de l’Italie, et les Pays-Bas. L’empereur n’osait
encore que se plaindre.

Le roi Guillaume, à l’âge de cinquante-deux ans[543], devenu infirme
et faible, ne paraissait plus un ennemi dangereux. Il lui fallait le
consentement de son parlement pour faire la guerre; et Louis avait fait
passer de l’argent en Angleterre, avec lequel il espérait disposer de
plusieurs voix de ce parlement. Guillaume et la Hollande, n’étant pas
assez forts pour se déclarer, écrivirent à Philippe V, comme au roi
légitime d’Espagne (février 1701). Louis XIV était assuré de l’électeur
de Bavière, père du jeune prince qui était mort désigné roi. Cet
électeur, gouverneur des Pays-Bas au nom du dernier roi Charles II,
assurait tout d’un coup à Philippe V la possession de la Flandre, et
ouvrait dans son électorat le chemin de Vienne aux armées françaises,
en cas que l’empereur osât faire la guerre. L’électeur de Cologne,
frère de l’électeur de Bavière, était aussi intimement lié à la France
que son frère; et ces deux princes semblaient avoir raison, le parti
de la maison de Bourbon étant alors incomparablement le plus fort. Le
duc de Savoie, déjà beau-père du duc de Bourgogne, allait l’être encore
du roi d’Espagne; il devait commander les armées françaises en Italie.
On ne s’attendait pas que le père de la duchesse de Bourgogne et de la
reine d’Espagne dût jamais faire la guerre à ses deux gendres.

Le duc de Mantoue, vendu à la France par son ministre, se vendit
aussi lui-même, et reçut garnison française dans Mantoue. Le Milanais
reconnut le petit-fils de Louis XIV sans balancer. Le Portugal même,
ennemi naturel de l’Espagne, s’unit d’abord avec elle. Enfin, de
Gibraltar à Anvers, et du Danube à Naples, tout paraissait être aux
Bourbons. Le roi était si fier de sa prospérité, qu’en parlant au duc
de La Rochefoucauld au sujet des propositions que l’empereur lui fesait
alors, il se servit de ces termes: «Vous les trouverez encore plus
insolentes qu’on ne vous l’a dit[544].»

(Septembre 1701) Le roi Guillaume, ennemi jusqu’au tombeau de
la grandeur de Louis XIV, promit à l’empereur d’armer pour lui
l’Angleterre et la Hollande: il mit encore le Danemark dans ses
intérêts; enfin il signa à La Haye la ligue déjà tramée contre la
maison de France. Mais le roi s’en étonna peu; et comptant sur les
divisions que son argent devait jeter dans le parlement anglais, et
plus encore sur les forces réunies de la France et de l’Espagne, il
sembla mépriser ses ennemis.

Jacques mourut alors à Saint-Germain. (16 septembre 1701) Louis pouvait
accorder ce qui paraissait être de la bienséance et de la politique,
en ne se hâtant pas de reconnaître le prince de Galles pour roi
d’Angleterre, d’Écosse, et d’Irlande, après avoir reconnu Guillaume par
le traité de Rysvick. Un pur sentiment de générosité le porta d’abord
à donner au fils du roi Jacques la consolation d’un honneur et d’un
titre que son malheureux père avait eus jusqu’à sa mort, et que ce
traité de Rysvick ne lui ôtait pas. Toutes les têtes du conseil furent
d’une opinion contraire. Le duc de Beauvilliers surtout fit voir, avec
une éloquence forte, tous les fléaux de la guerre qui devaient être
le fruit de cette magnanimité dangereuse. Il était gouverneur du duc
de Bourgogne, et pensait en tout comme le précepteur de ce prince,
le célèbre archevêque de Cambrai, si connu par ses maximes humaines
de gouvernement, et par la préférence qu’il donnait aux intérêts des
peuples sur la grandeur des rois. Le marquis de Torci appuya, par des
principes de politique, ce que le duc de Beauvilliers avait dit comme
citoyen. Il représenta qu’il ne convenait pas d’irriter la nation
anglaise par une démarche précipitée. Louis se rendit à l’avis unanime
de son conseil; et il fut résolu de ne point reconnaître le fils de
Jacques II pour roi. [545] Le jour même, Marie de Modène[546], veuve
de Jacques, vient parler à Louis XIV dans l’appartement de madame de
Maintenon. Elle le conjure en larmes de ne point faire à son fils,
à elle, à la mémoire d’un roi qu’il a protégé, l’outrage de refuser
un simple titre, seul reste de tant de grandeurs: on a toujours
rendu à son fils les honneurs d’un prince de Galles; on le doit donc
traiter en roi après la mort de son père: le roi Guillaume ne peut
s’en plaindre, pourvu qu’on le laisse jouir de son usurpation. Elle
fortifie ces raisons par l’intérêt de la gloire de Louis XIV. Qu’il
reconnaisse ou non le fils de Jacques II, les Anglais ne prendront pas
moins parti contre la France, et il aura seulement la douleur d’avoir
sacrifié la grandeur de ses sentiments à des ménagements inutiles. Ces
représentations et ces larmes furent appuyées par madame de Maintenon.
Le roi revint à son premier sentiment, et à la gloire de soutenir
autant qu’il pouvait des rois opprimés. Enfin Jacques III fut reconnu
le même jour qu’il avait été arrêté dans le conseil qu’on ne le
reconnaîtrait pas.

Le marquis de Torci a fait souvent l’aveu de cette anecdote singulière.
Il ne l’a pas insérée dans ses mémoires manuscrits, parcequ’il pensait,
disait-il, qu’il n’était pas honorable à son maître que deux femmes lui
eussent fait changer une résolution prise dans son conseil. Quelques
Anglais[547] m’ont dit que, peut-être, sans cette démarche, leur
parlement n’eût point pris de parti entre les maisons de Bourbon et
d’Autriche; mais que reconnaître ainsi pour leur roi un prince proscrit
par eux, leur parut une injure à la nation, et un despotisme qu’on
voulait exercer dans l’Europe. Les instructions données par la ville de
Londres à ses représentants furent violentes.

«Le roi de France se donne un vice-roi en conférant le titre de notre
souverain à un prétendu prince de Galles. Notre condition serait bien
malheureuse, si nous devions être gouvernés au gré d’un prince qui a
employé le fer, le feu, et les galères, pour détruire les protestants
de ses états: aurait-il plus d’humanité pour nous que pour ses propres
sujets?»

Guillaume s’expliqua dans le parlement avec la même force. On
déclara le nouveau roi Jacques coupable de haute trahison: un bill
d’_attainder_ fut porté contre lui, c’est-à-dire qu’il fut condamné
à mort comme son grand-père; et c’est en vertu de ce bill qu’on mit
depuis sa tête à prix. Tel était le sort de cette famille infortunée,
dont les malheurs n’étaient pas encore épuisés[548]. Il faut avouer que
c’était opposer de la barbarie à la générosité du roi de France.

Il paraît très vraisemblable que l’Angleterre se serait toujours
déclarée contre Louis XIV, quand même il eût refusé le vain titre de
roi au fils de Jacques II. La monarchie d’Espagne, entre les mains de
son petit-fils, semblait devoir armer nécessairement contre lui les
puissances maritimes. Quelques membres du parlement gagnés n’auraient
pas arrêté le torrent de la nation. C’est un problème à résoudre, si
madame de Maintenon ne pensa pas mieux que tout le conseil, et si Louis
XIV n’eut pas raison de laisser agir la hauteur et la sensibilité de
son ame.

L’empereur Léopold commença d’abord cette guerre en Italie, dès le
printemps de l’année 1701. L’Italie a toujours été le pays le plus
cher aux intérêts des empereurs. C’était celui où ses armes pouvaient
le plus aisément pénétrer par le Tyrol et par l’état de Venise; car
Venise, quoique neutre en apparence, penchait plus, cependant, pour la
maison d’Autriche que pour celle de France. Obligée d’ailleurs, par des
traités, de donner passage aux troupes allemandes, elle accomplissait
ces traités sans peine.

L’empereur, pour attaquer Louis XIV du côté de l’Allemagne, attendait
que le corps germanique se fût ébranlé en sa faveur. Il avait
des intelligences et un parti en Espagne; mais les fruits de ces
intelligences ne pouvaient éclore, si l’un des fils de Léopold ne se
présentait pour les recueillir; et ce fils de l’empereur ne pouvait
s’y rendre qu’à l’aide des flottes d’Angleterre et de Hollande. Le roi
Guillaume hâtait les préparatifs. Son esprit, plus agissant que jamais
dans un corps sans force et presque sans vie, remuait tout, moins pour
servir la maison d’Autriche que pour abaisser Louis XIV.

Il devait, au commencement de 1702, se mettre à la tête des armées. La
mort le prévint dans ce dessein. Une chute de cheval acheva de déranger
ses organes affaiblis; une petite fièvre l’emporta. Il mourut (16 mars
1702), ne répondant rien à ce que des prêtres anglais, qui étaient
auprès de son lit, lui dirent sur leur religion, et ne marquant d’autre
inquiétude que celle dont le tourmentaient les affaires de l’Europe.

Il laissa la réputation d’un grand politique, quoiqu’il n’eût point
été populaire; et d’un général à craindre, quoiqu’il eût perdu
beaucoup de batailles. Toujours mesuré dans sa conduite, et jamais vif
que dans un jour de combat, il ne régna paisiblement en Angleterre
que parcequ’il ne voulut pas y être absolu. On l’appelait, comme on
sait, le stathouder des Anglais et le roi des Hollandais. Il savait
toutes les langues de l’Europe, et n’en parlait aucune avec agrément,
ayant beaucoup plus de réflexion dans l’esprit que d’imagination.
Son caractère était en tout l’opposé de Louis XIV; sombre, retiré,
sévère, sec, silencieux autant que Louis était affable. Il haïssait
les femmes[549] autant que Louis les aimait. Louis fesait la guerre
en roi, et Guillaume en soldat. Il avait combattu contre le grand
Condé et contre Luxembourg, laissant la victoire indécise entre Condé
et lui à Senef, et réparant en peu de temps ses défaites à Fleurus,
à Steinkerque, à Nervinde; aussi fier que Louis XIV, mais de cette
fierté triste et mélancolique, qui rebute plus qu’elle n’impose. Si
les beaux-arts fleurirent en France par le soin de son roi, ils furent
négligés en Angleterre, où l’on ne connut plus qu’une politique dure et
inquiète, conforme au génie du prince.

Ceux qui estiment plus le mérite d’avoir défendu sa patrie, et
l’avantage d’avoir acquis un royaume sans aucun droit de la nature, de
s’y être maintenu sans être aimé, d’avoir gouverné souverainement la
Hollande sans la subjuguer, d’avoir été l’ame et le chef de la moitié
de l’Europe, d’avoir eu les ressources d’un général et la valeur d’un
soldat, de n’avoir jamais persécuté personne pour la religion, d’avoir
méprisé toutes les superstitions des hommes, d’avoir été simple et
modeste dans ses mœurs; ceux-là, sans doute, donneront le nom de
grand à Guillaume plutôt qu’à Louis. Ceux qui sont plus touchés des
plaisirs et de l’éclat d’une cour brillante, de la magnificence, de
la protection donnée aux arts, du zèle pour le bien public, de la
passion pour la gloire, du talent de régner; qui sont plus frappés de
cette hauteur avec laquelle des ministres et des généraux ont ajouté
des provinces à la France, sur un ordre de leur roi; qui s’étonnent
davantage d’avoir vu un seul état résister à tant de puissances; ceux
qui estiment plus un roi de France qui sait donner l’Espagne à son
petit-fils, qu’un gendre qui détrône son beau-père; enfin, ceux qui
admirent davantage le protecteur que le persécuteur du roi Jacques,
ceux-là donneront à Louis XIV la préférence.


FIN DU TOME PREMIER

DU SIÈCLE DE LOUIS XIV.



TABLE

DES MATIÈRES DU PREMIER VOLUME

DU SIÈCLE DE LOUIS XIV.


    PRÉFACE DU NOUVEL ÉDITEUR, _page_ j.

    LISTE RAISONNÉE DES ENFANTS DE LOUIS XIV, des princes de la maison
    de France de son temps, des souverains contemporains, des maréchaux
    de France, des ministres, de la plupart des écrivains et des
    artistes qui ont fleuri dans ce siècle, 1.--Enfants légitimes,
    ibid.--Enfants naturels et légitimés, 4.--Autres enfants naturels
    et légitimés, ibid.--Princes et princesses du sang royal, qui
    vécurent dans le siècle de Louis XIV, 5.--La branche de Condé
    eut un très grand éclat, 7.--Branche de Conti, 8.--Branche de
    Bourbon-Soissons, 9.

    SOUVERAINS CONTEMPORAINS.--Papes, 9.--Maison Ottomane,
    11.--Empereurs d’Allemagne, 12.--Rois d’Espagne, ibid.--Rois de
    Portugal, ibid.--Rois d’Angleterre, d’Écosse, et d’Irlande, dont
    il est parlé dans le siècle de Louis XIV, 13.--Rois de Danemark,
    14.--Rois de Suède, ibid.--Rois de Pologne, 15.--Rois de Prusse,
    16.--Czars de Russie, depuis empereurs, ibid.--Gouverneurs de
    Flandre, 17.--Maréchaux de France, 19.--Grands amiraux de France
    sous le règne de Louis XIV, 29.--Généraux des galères de France
    sous le règne de Louis XIV, 32.--Ministre d’état, 33.--Chanceliers,
    34.--Surintendants des finances, 36.--Secrétaires d’état et
    contrôleurs-généraux des finances, 40.

    CATALOGUE ALPHABÉTIQUE de la plupart des écrivains français qui
    ont paru dans le siècle de Louis XIV, pour servir à l’histoire
    littéraire de ce temps, 47.

    ARTISTES CÉLÈBRES.--Musiciens, 199.--Peintres, 226.--Sculpteurs,
    architectes, graveurs, etc., 231.


    SIÈCLE DE LOUIS XIV.

    CHAPITRE PREMIER. Introduction, 237.

    CHAP. II. Des états de l’Europe avant Louis XIV, 244.--De
    l’Allemagne, 245.--De l’Espagne, 249.--Du Portugal, 250.--Des
    Provinces-Unies, ibid.--De l’Angleterre, 251.--De Rome, 252.--Du
    reste de l’Italie, 257.--Des états du Nord, 258.--Des Turcs,
    259.--Situation de la France, ibid.--Forces de la France après la
    mort de Louis XIII, et mœurs du temps, 260.

    CHAP. III. Minorité de Louis XIV. Victoires des Français sous
    le grand Condé, alors duc d’Enghien, 269.--Anne d’Autriche ou
    d’Espagne, régente, ibid.--Bataille de Rocroi, 271.--Bataille de
    Fribourg, 274.--Mariendal, 275. Nordlingen, ibid.--Bataille de
    Lens, 276.--Le dernier duc de Guise à Naples, 278.

    CHAP. IV. Guerre civile, 279.--Mazarin, premier ministre,
    ibid.--Potier, évêque de Beauvais, ibid.--Finances, principe
    de tout, 281.--Le surintendant Émeri, ibid.--Murmures,
    ibid.--Parlement, 282.--Barricades, 286.--Parlement de Paris,
    ibid.--Le parlement et l’archevêque de Paris se déclarent contre
    le roi, 287.--Le parlement de Paris ordonne la guerre civile,
    291.--Il lève des troupes, 292.--Guerre de la fronde, ridicule,
    ibid.--Folies et débauches, 293.--L’archevêque va au parlement
    armé d’un poignard, 294.--Différences entre les guerres civiles
    de France et d’Angleterre, ibid.--Factions aussi ridicules que
    la guerre, 296.--Les princes de Condé et de Conti, et le duc de
    Longueville, arrêtés, 298.

    CHAP. V. Suite de la guerre civile jusqu’à la fin de la
    rébellion, en 1653, 302.--Le grand Condé fait la guerre civile,
    ibid.--Mazarin rentre dans le royaume, 303.--Il vient avec une
    armée levée à ses frais, ibid.--Le parlement met sa tête à prix,
    304.--Conseillers députés contre l’armée de Mazarin, 305.--Le
    parlement condamne le prince de Condé, et fait la guerre au roi,
    ibid.--Turenne reprend le parti de la cour, 306.--Louis XIV fuit
    dans son royaume, 307.--Condé bat l’armée du roi, et Turenne la
    sauve, 308.--On marche vers Paris, 309.--Bataille du faubourg
    Saint-Antoine, 310.--Le parlement se déclare encore contre la
    cour, 314.--Faiblesse de tous les partis, 315.--Le cardinal encore
    renvoyé, ibid.--Le roi rentre dans Paris, ibid.--Le cardinal
    revient, 316.

    CHAP. VI. État de la France jusqu’à la mort du cardinal Mazarin,
    en 1661, 318.--Paix de Munster, ibid.--État de la France,
    320.--Le prince de Condé à la tête des Espagnols contre la
    France, 321.--Turenne opposé à Condé, ibid.--Turenne victorieux,
    ibid.--Mazarin gouverne la France, et Louis de Haro l’Espagne,
    322.--Cromwell gouverne l’Angleterre, 323.--Sa conduite,
    ibid.--Cromwell courtisé par la France et l’Espagne, 324.--Il prend
    la Jamaïque, 325.--Il traite avec le roi de France de couronne à
    couronne, ibid.--La fille de Henri IV, la veuve de Charles Iᵉʳ,
    demande à Cromwell son douaire; il le refuse, ibid.--Turenne contre
    Condé, 326.--Ambassade et lettre singulière de Mazarin à Cromwell,
    328.--Bataille des Dunes, ibid.--Mort de Cromwell, 330.--Voyage de
    Christine, reine de Suède, en France, 332.--La gloire de Christine
    à jamais souillée par l’assassinat de Monaldeschi, 335.--Léopold,
    empereur, 336.--Ligue du Rhin, ibid.--Louis XIV veut épouser la
    nièce du cardinal Mazarin, 337.--Conférences de Mazarin et de
    Haro, 339.--Paix des Pyrénées, 340.--Conditions du mariage de
    Louis XIV, 341.--Rétablissement de Charles II, roi d’Angleterre,
    343.--Mazarin devenu aussi fastueux que puissant, 344.--Mort de
    Mazarin, 346.--La cour porte le deuil de Mazarin, ibid.

    CHAP. VII. Louis XIV gouverne par lui-même. Il force la branche
    d’Autriche espagnole à lui céder partout la préséance, et la cour
    de Rome à lui faire satisfaction. Il achète Dunkerque. Il donne
    des secours à l’empereur, au Portugal, aux États-généraux, et rend
    son royaume florissant et redoutable, 348.--Ordre rétabli partout,
    349.--Le roi d’Espagne cède la préséance au roi, 350.--Il force le
    pape à lui demander pardon, 353.--Il achète Dunkerque, 355.--Louis
    XIV envoie du secours à l’empereur contre les Turcs, 356.--Il
    secourt encore le Portugal, 358.--Il secourt aussi la Hollande,
    359.--Il devient le plus puissant prince de l’Europe, 360.

    CHAP. VIII. Conquête de la Flandre, 361.--Raisons ou prétextes de
    la conquête de Flandre, 362.--Traité secret de l’empereur et de
    Louis XIV, pour dépouiller le roi d’Espagne, 363.--Succès rapides,
    365.

    CHAP. IX. Conquête de la Franche-Comté. Paix d’Aix-la-Chapelle,
    368.--Préparations habiles, ibid.--Le grand Condé chargé de
    la conquête, 369.--Manœuvres, 370.--La Franche-Comté prise,
    371.--Europe alarmée, 372.--Jean de Witt, ibid.--Chevalier
    Temple, 373.--La cour de Rome ne préside plus aux traités,
    374.--Van-Beuning, bourgeois d’Amsterdam, tient tête à Louis XIV,
    ibid.

    CHAP. X. Travaux et magnificence de Louis XIV. Aventure singulière
    en Portugal. Casimir en France. Secours en Candie. Conquête de
    la Hollande, 375.--Roi de Portugal déclaré impuissant malgré
    ses bâtards, et détrôné, 376.--Jean Casimir, roi de Pologne,
    retiré à Paris, 378.--Turcs en Candie, ibid.--Duc de Beaufort
    à Candie, 379.--Mauvais gouvernement en Hollande, 380.--France
    et Angleterre contre la Hollande, 381.--Factions en Hollande,
    383.--Van-Galen, évêque de Munster, brigand, 384.--Terreur en
    Hollande, 385.--Préparatifs contre la Hollande, 387.--Discipline
    militaire, 388.--Munitions achetées dans la Hollande même pour la
    détruire, 389.--Guillaume, prince d’Orange, 390.--Marche de Louis
    XIV, 391.--Passage du Rhin, 392.--Villes prises, 394.--Amsterdam
    prête d’être prise, 395.--Le prince d’Orange stathouder, 397.--Les
    États-généraux demandent la paix, ibid.--Les de Witt assassinés,
    398.--Généreuse résolution des magistrats d’Amsterdam, 399.--Ils
    inondent leur pays, 400.--Les Hollandais se défendent sur mer,
    401.--Le prince d’Orange offre tous ses biens pour défendre le
    pays, 402.

    CHAP. XI. Évacuation de la Hollande. Seconde conquête de la
    Franche-Comté, 403.--Fautes commises dans la conquête de la
    Hollande, ibid.--Pillages et cruautés, 405.--Négociations,
    406.--L’empereur Léopold se déclare contre Louis XIV, un crucifix
    à la main, ibid.--Batailles navales, 407.--Sévérité, 408.--Presque
    toute l’Europe contre Louis XIV, 411.

    CHAP. XII. Belle campagne et mort du maréchal de Turenne. Dernière
    bataille du grand Condé à Senef, 413.--Le Palatinat dévasté,
    415.--Bataille de Senef, 417.--Montecuculli opposé à Turenne,
    419.--Turenne tué, 420.--Combat de Consarbruck, 423.--Arrière-ban
    convoqué, ibid.--Retraite du grand Condé, 425.

    CHAP. XIII. Depuis la mort de Turenne jusqu’à la paix de Nimègue,
    en 1678, 426.--Attaque de Valenciennes, en plein jour contre la
    coutume, 427.--Monsieur, frère du roi, bat le prince d’Orange,
    431.--Mort de Ruyter, 434.--Duquesne, ibid.--Négociations de paix,
    436.--Conditions de la paix, ibid.--Ambassadeurs de France ne
    cèdent pas aux électeurs, 437.--Paix signée, 438.--Bataille après
    la paix, 439.--Louis XIV arbitre de l’Europe, 440.

    CHAP. XIV. Prise de Strasbourg. Bombardement d’Alger. Soumission
    de Gênes. Ambassade de Siam. Le pape bravé dans Rome. Électorat de
    Cologne disputé, 442.--Juridictions sur les princes de l’empire,
    ibid.--Louis s’empare de Strasbourg, 443.--Il veut Luxembourg,
    444.--Sa puissance sur mer, 445.--Port de Toulon construit,
    ibid.--Invention de galiotes à bombes, ibid.--Les Algériens punis,
    et pas assez, 446.--Établissements, forteresses, 447.--L’empereur
    Léopold faible, ibid.--Il fuit de Vienne assiégée par les Turcs,
    448.--Louis XIV ne veut pas l’attaquer pendant que les Turcs le
    poursuivent, 449.--Enfin Louis se lasse, et prend Luxembourg,
    450.--Les Turcs battus, ibid.--Louis XIV trop fastueux avec
    les faibles, 451.--Doge de Gênes, 452.--Ambassade des Siamois,
    ibid.--Querelle avec le pape; et cependant le pape a raison,
    455.--Tous les rois acquiescent à ce que veut le pape, excepté
    Louis XIV, 456.--Louis XIV fait un électeur, 457.--L’empereur et le
    pape ne veulent point de l’électeur de Louis XIV, 458.

    CHAP. XV. Le roi Jacques détrôné par son gendre Guillaume III, et
    protégé par Louis XIV, 459.--Ligue universelle contre Louis XIV,
    ibid.--Jacques-le-Catholique, 460.--Jacques veut être despotique,
    461.--Le jésuite Peters, 462.--Armement public de Guillaume contre
    Jacques, sans que Jacques le sache, ibid.--Jacques, abandonné de
    tout le monde, s’enfuit, 463.--Guillaume III, roi d’Angleterre,
    464.--Jacques chez Louis XIV, ibid.--Générosité de Louis XIV,
    465.--Jacques peu considéré, ibid.--Jacques touche les écrouelles,
    466.--Efforts généreux de Louis XIV pour Jacques, 467.--Louis XIV
    vainqueur des Anglais et des Hollandais sur mer, ibid.--Époque
    rare, ibid.--Bataille de la Boyne qui assure le trône à Guillaume,
    469.--Sottise des Parisiens, 471.--Jacques revient en France,
    472.--La flotte de Louis XIV battue pour s’être obstinée à secourir
    Jacques, 473.--Malheurs étonnants de la maison de Stuart, 476.

    CHAP. XVI. De ce qui se passait dans le continent, tandis que
    Guillaume III envahissait l’Angleterre, l’Écosse, et l’Irlande,
    jusqu’en 1697. Nouvel embrasement du Palatinat. Victoires des
    maréchaux de Catinat et de Luxembourg, etc. 477.--Prodigieuses
    armées de Louis XIV, 478.--Le dauphin commande les armées,
    ibid.--Incendie du Palatinat, 480.--Le maréchal d’Uxelles hué pour
    avoir bien fait, 482.--Le maréchal d’Humières battu, 483.--Maréchal
    de Luxembourg, ibid.--Maréchal de Catinat, 484.--Victoires,
    485.--De Staffarde, ibid.--De la Marsaille, 486.--De Fleurus,
    ibid.--De Leuse, 487.--De Steinkerque, ibid.--De Nervinde,
    491.--De Spire-bach, 493.--Du Ter, 494.--Places maritimes de
    France bombardées, ibid.--Guillaume prend Namur, 495.--Bruxelles
    bombardée, 497.--La France perd Pondichéri, 498.--Déprédations en
    Amérique, ibid.--Du Guay-Trouin, 499.--Toute cette guerre est une
    espèce de guerre civile, ibid.

    CHAP. XVII. Traité avec la Savoie. Mariage du duc de Bourgogne.
    Paix de Rysvick. État de la France et de l’Europe. Mort et
    Testament de Charles II, roi d’Espagne, 500.--Victor-Amédée,
    501.--Duchesse de Bourgogne, ibid.--Paix de Rysvick, 502.--Motifs
    de cette paix, ibid.--Restitutions faites par Louis XIV,
    505.--Éloge de Léopold, duc de Lorraine, père de l’empereur
    François Iᵉʳ, 506.--Prince de Conti vainement élu roi de Pologne,
    508.--Paix générale et courte dans le monde entier, 509.--Troubles
    du Nord, 510.--Pierre Iᵉʳ, ibid.--Charles XII, ibid.--Troubles du
    Midi, 511.--Succession d’Espagne, ibid.--Droit à cette succession,
    ibid.--Intrigues pour la succession d’Espagne, 513.--Traité
    de partage, 515.--Testament de Charles II, roi d’Espagne,
    516.--Autre traité de partage, 517.--Autres intrigues pour la
    succession, 520.--Le roi d’Espagne consulte le pape, 522.--Dernier
    testament de Charles II, ibid.--Mort de Charles II, 523.--Toute
    l’Europe surprise du testament, ibid.--Louis XIV acceptera-t-il
    le testament? 525.--Mesures pour faire valoir le testament,
    527.--Premiers succès de la maison de France, 528.--Louis XIV
    conserve au fils de Jacques II le titre et les honneurs de la
    royauté malgré tout son conseil, 529.--Philippe V, roi d’Espagne,
    532.--Commencement de la guerre contre Louis XIV, ibid.--Mort de
    Guillaume III, 533.--Caractère du roi Guillaume, ibid.--Comparaison
    de ce prince avec Louis XIV, ibid.

FIN DE LA TABLE.


NOTES:

[1] Lettre à Formont, septembre 1732.

[2] Lettre à milord Harvey, juillet 1740.

[3] Lettre au duc de Richelieu, du 31 août 1751.

[4] Id. ibid.

[5] Lettre à madame Denis, du 2 septembre 1751.

[6] Voyez la lettre de Voltaire à Haller, du 13 février 1759.

[7] Voyez cette _Réfutation_, tome XXXIX, page 617.

[8] Voyez le _Mémoire_ et la _Requête_ dans le tome XL.

[9] Voici ce que contient le volume sous l’un ou l’autre de ses titres:
1. Trois _Lettres sur la nature de notre ame_ (par Boullier). Ces
lettres sont celles dont j’ai parlé dans ma _Préface_ des _Lettres
philosophiques_, tome XXXVII, page 116. II. _Avis à l’auteur du journal
de Gottingue_ (imprimé, dans la présente édition, tome XXXIX, page
514). III. _Mémoire sur l’Avis._ C’est la réponse du journaliste.
IV. _Défense de milord Bolingbroke_ (voyez tome XXXIX, page 454). V.
_Remarques sur la défense de milord Bolingbroke._ Ce sont celles dont
j’ai parlé dans ma note, tome XXXIX, page 455. VI. _Lettre de M. de
Voltaire à M. T._ (Thieriot). C’est la lettre du 26 mars 1757, qu’on
peut voir dans la _Correspondance_. VII. _Réponse à la précédente
lettre, par une société de gens de lettres_. VIII. _Lettre écrite
de Genève, où l’on examine deux chapitres de l’Essai sur l’histoire
générale._ Cette lettre est de Vernet; j’en ai déjà parlé tome XVII,
page 272. IX. _Les torts à M. de V. sur son démêlé avec M. V._
(Vernet); pièce de vers à laquelle Voltaire répondit par les stances
aussi intitulées: _Les Torts_ (voyez t. XII). X. _Lettre à l’occasion
d’un article concernant Saurin._ C’est la lettre de Lervêche. XI.
_Réponse de M. de Voltaire._ C’est la _Réfutation d’un écrit anonyme_,
etc. XII. _Réponse à la réfutation_; réponse qui n’avait point été
imprimée dans le _Journal helvétique_ (voyez ma note, tome XXXIX, page
617).

[10] Voyez tome XXXIX, page 514; et ci-dessus, ma note 9.

[11] Voyez ma note, page 201.

[12] Il n’est pas rare de trouver des exemplaires des diverses éditions
des _Œuvres de Voltaire_, avec des corrections de sa main ou de
celles de ses secrétaires. Pour mon compte, j’ai ainsi les éditions
d’Amsterdam, 1738-39, et de Dresde, 1748-54. M. F.-A. Ebert, dans le
tome II de son _Dictionnaire général de Bibliographie_ (en allemand),
1830, dit, à l’article VOLTAIRE, qu’on a retrouvé l’exemplaire de
la première édition imprimée chez Walther, à Dresde (1748-54), avec
des corrections et des changements pour une édition nouvelle. Il
paraît, dit la _Revue encyclopédique_, de mars 1830, page 668, que
l’on se propose de publier ces corrections autographes de l’auteur.
L’exemplaire de 1748-54, que j’ai, est peut être un double de celui
qu’on vient de retrouver, et dont il me semble bien extraordinaire
que les corrections soient restées inédites jusqu’à ce jour. Voyez ma
_Préface_ du tome XXIV (_Histoire de Charles XII_), pages ij et iij.

[13] Le mariage avec madame de Maintenon étant resté secret, Voltaire
n’en parle pas ici; mais voyez les articles MAINTENON et SCARRON
dans le _Catalogue des écrivains_; et dans le tome XX, le chapitre
XXVII. B.

[14] Voyez, dans la _Correspondance_, la lettre à D’Argental du 15 juin
1756. B.

[15] Voyez son article dans le _Catalogue des écrivains_. B.

[16] Il en était l’arrière-grand-père par Anne-Marie, qui donna le jour
à Marie-Adélaïde de Savoie, épouse du duc de Bourgogne: voyez page 3. B.

[17] Voyez son article dans le _Catalogue des écrivains_. B.

[18] Mort le 4 mai 1727; il est auteur des vers à Voltaire, qu’on peut
voir dans le tome Iᵉʳ, parmi les _Pièces justificatives_, à la suite de
la _Vie de Voltaire_. B.

[19] Le bref qui abolit les jésuitesses est du 13 janvier 1631. Voyez,
sur cet ordre, la _Bibliothèque critique de Saint-Jorre_ (Richard
Simon), tome Iᵉʳ, page 289. B.

[20] Voyez les chapitres XIV et XXXV. B.

[21] Déposé le 5 novembre 1687, il vécut cinq ans renfermé dans son
appartement, et mourut en janvier 1693. B.

[22] Voyez aussi les _Annales de l’Empire_, tome XXIII, page 609 et
suivantes. B.

[23] Il en sortit en 1675, et vint à Cintra, château à sept lieues de
Lisbonne, où il mourut le 12 septembre 1683. CL.

[24] R. Cromwell n’est mort qu’en 1712, à quatre-vingt-six ans; voyez
tome XXVIII, page 269. B.

[25] L’_Histoire de Charles XII_, par Voltaire, forme le tome XXIV de
la présente édition. B.

[26] En 1668, ainsi que Voltaire le dit au chapitre X. B.

[27] Voyez ma note du chapitre X. B.

[28] Sur les _Auguste_, rois de Pologne, voyez ma note, tome XXIII,
page 27. B.

[29] C’était le beau-père de Louis XV; voyez, tome XXI, le chapitre
IV du _Précis du Siècle de Louis XV_. Il est mort le 23
février 1766. B.

[30] C’est ainsi qu’on lit dans toutes les éditions données du vivant
de l’auteur, et dans l’édition de Kehl. Frédéric prit le titre de roi
en 1700; mais il ne mourut que le 25 février 1713. B.

[31] C’est ainsi que ce mot est écrit dans toutes les éditions données
du vivant de l’auteur; voyez, au reste, sa note, tome XXV, page 79. B.

[32] Le 8 février, nouveau style, selon l’_Art de vérifier les dates_.
Voltaire s’est trompé (tome XXV, page 85) en disant 1677. B.

[33] Son _Histoire_, par Voltaire, forme le tome XXV de la présente
édition. B.

[34] Dans cet article et dans quelques-uns des suivants, Voltaire
donne pour date de la mort, la date de la retraite ou du rappel des
gouverneurs de Flandre. B.

[35] La bataille des Dunes est du 14 juin 1658. Don Juan ne mourut que
le 17 septembre 1679; mais il n’avait pas reparu dans les Pays-Bas
depuis l’évacuation, suite de la bataille des Dunes. B.

[36] Fut d’abord connu sous le nom de comte de Miossens: voyez une note
du chapitre IV. B.

[37] Voyez ma _Préface_ en tête du présent volume. Les _Mémoires de
Berwick_, publiés en 1737, deux volumes in-12, sont l’ouvrage de
Margon. B.

[38] Voyez, tome XXI, le chapitre VII du _Précis du
Siècle de Louis XV_. B.

[39] Il est même plus connu sous le nom de marquis de Biron. B.

[40] Ce troisième maréchal de Broglio est Victor-François, né en 1718,
nommé maréchal en 1759, mort à Munster en 1804. Son père était mort le
22 mai 1745. C’est de Victor-François que parle Voltaire dans sa satire
intitulée: _Le pauvre diable_, 1760 (voyez tome XIV). Les mots qu’il
lui consacre ici sont de 1768. B.

[41] Au camp devant Dunkerque, et transporté à Calais, où il mourut de
sa blessure. CL.

[42] Voyez, tome XXI, le chapitre IV du _Précis du
Siècle de Louis XV_. B.

[43] La fin de cet alinéa est posthume. J.-B. de Duras est mort en
1770; son fils Emmanuel-Félicité, créé maréchal le 24 mars 1775, est
mort en 1789. B.

[44] Après ESTAMPES aurait dû être placé ESTRADES, qui, oublié ici
comme maréchal, ne l’a pas été dans le _Catalogue des écrivains_. B.

[45] Fabert ne fut pas dispensé des preuves de noblesse; ce fut lui qui
refusa ce que le roi lui offrait, parceque, dit-il dans sa lettre du 11
décembre 1668, «pour recevoir cet honneur il faudrait que je mentisse.»
Louis XIV, dans sa réponse à Fabert, témoigne son admiration pour ce
rare exemple de probité, et exprime ses regrets de ne pouvoir accorder
de dispense; ce qui serait renverser le fondement des ordres du roi:
voyez, dans le _Mercure_, 1769, second volume d’octobre, page 134, la
lettre de Saint-Foix, dans laquelle sont rapportées celles de Fabert et
du roi. B.

[46] On en trouve un fragment dans le _Mercure_ de novembre 1765, pages
31-51; et c’est sans doute sur ce fragment qu’a été rédigé le récit qui
forme une des dernières notes du second chant de _la Henriade_: voyez
tome X. B.

[47] Voyez, tome L, l’article de Voltaire sur ces _Mémoires_, parmi les
_Articles extraits du journal de politique et de littérature_. B.

[48] Voyez son article dans le _Catalogue des écrivains_. B.

[49] Il a place, ci-après, dans le _Catalogue des écrivains_. B.

[50] Ce fut au conseil de régence que Villars fut admis en 1718; il
était président du conseil de guerre dès 1715. Villars a aussi place
dans le _Catalogue des écrivains_. B.

[51] Jean-Philippe, dit le chevalier d’Orléans, né en 1702, enfant
naturel de Philippe d’Orléans, régent, et d’une demoiselle Lebel, fille
d’honneur de la duchesse d’Orléans. CL.

[52] Voyez tome XXII, page 249. B.

[53] L’un de ces dictionnaires est celui de Barral et Guibaud, dont il
est parlé tome XXVIII, page 348; l’autre est le dictionnaire connu sous
le nom de Chaudon, son premier et principal auteur, dont la première
édition est de 1766, en quatre volumes in-8º. La phrase de Voltaire fut
ajoutée dans l’édition de 1768 du _Siècle de Louis XIV_. B.

[54] La place de surintendant était la première au conseil quand il
n’y avait point de premier ministre. De là vient que le cardinal de
Richelieu fut obligé de briguer, en 1623 et 1624, la faveur du marquis,
depuis duc de La Vieuville, surintendant, pour entrer au conseil. K.

[55] Voyez tome XXII, pages 255 et 264; et, ci-après, le chap.
IV. B.

[56] Près de Saint-Germain. Voyez, dans la _Correspondance_, la lettre
au baron de Breteuil, janvier 1724. B.

[57] Ce petit-fils, ami de Voltaire, mourut en 1731; voyez, dans la
_Correspondance_, la lettre à Cideville du 27 septembre 1731. B.

[58] Voyez, ci-après, tome XX, le chap. XXV. B.

[59] Voyez ma note, tome XXVI, page 319, et tome XX, chapitre 25. B.

[60] 1719, trois volumes in-12. B.

[61] Mort en 1777. Il avait porté successivement les noms de
Phelippeaux, comte de Saint-Florentin, duc de la Vrillière. On lui fit
cette épitaphe:

    Ci gît un petit homme à l’air assez commun,
    Ayant porté trois noms, et n’en laissant aucun. B.


[62] Voyez ma note, page 35. B.

[63] Né le 13 janvier 1636, Henri-Louis, ou plutôt Louis-Henri, est
mort le 17 avril 1698. Ses _Mémoires_ ont été publiés en 1828, deux
volumes in-8º, qui ont des préliminaires et des éclaircissements aussi
amples que l’ouvrage. B.

[64] Le 16 juillet. Voyez, tome XX, une des notes sur le chap.
XXVII. B.

[65] Ce fut le chancelier Le Tellier: voyez tome XX, chap.
XXX. B.

[66] Son nom est Labadie. B.

[67] Dans l’article sur Labadie, inséré au dix-huitième volume des
_Mémoires_ de Nicéron, on ne parle que de trente et un volumes ou
ouvrages; mais on donne les titres de cinq autres dans le vingtième
volume de Nicéron. B.

[68] Mort à Sainte-Mary-le-bone, aujourd’hui renfermé dans l’enceinte
de Londres. B.

[69] Pierre de Guibours, communément appelé le P. Anselme de
Sainte-Marie. B.

[70] _Le véritable portrait de Guillaume-Henri de Nassau_, imprimé
d’abord en 1689, in-4º, in-8º et in-12, fait aujourd’hui partie du tome
XXXVI des _Œuvres d’Arnauld_. B.

[71] Voyez ma note, tome XXVIII, page 348. B.

[72] Dans les _Mémoires_ de D’Artigny, tome VII, page 21, on avait,
en 1756, reproché à Voltaire de n’avoir pas parlé de D’Avrigny ni
de Bougeant. L’omission sur D’Avrigny fut réparée en 1763, dans les
termes qu’on lit aujourd’hui. Voltaire n’a point donné d’article au P.
Bougeant. B.

[73] Les ouvrages de D’Avrigny sont intitulés, l’un: _Mémoires
chronologiques et dogmatiques pour servir à l’histoire ecclésiastique
depuis 1600 jusqu’en 1716_, quatre volumes; l’autre: _Mémoires pour
servir à l’histoire universelle de l’Europe, depuis 1600 jusqu’en
1716_, quatre volumes. Le P. Griffet a donné de ces derniers une
édition en 1757, cinq volumes in-12, avec additions et corrections. B.

[74] Le 18 février 1654, suivant D’Olivet, dans son _Histoire de
l’académie française_. B.

[75] Né en 1721, plus de cinq ans après la mort de Louis XIV, il n’est
pas de son siècle. B.

[76] Voyez, tome IV, la _Préface_ (de 1738) de la _Mort de César_. B.

[77] On les attribue au jésuite Larue et à D’Alègre. Baron, né en 1653,
est mort en 1729: voyez ma note, tome XXXVII, page 95. B.

[78] Les _Mémoires de Bassompierre_, avec une suite jusqu’alors
inédite, sont imprimés aux tomes XIX-XXI de la deuxième série de la
COLLECTION DES MÉMOIRES RELATIFS À L’HISTOIRE DE FRANCE, par Petitot et
M. Monmerqué. B.

[79] Bayle a un autre article dans les _Questions sur l’Encyclopédie_
(voyez tome XXVII, page 309); et dans la septième des _Lettres à son
altesse sérénissime le prince de ***_ (voyez tome XLIII). Voltaire en
reparle encore dans l’article RENAUDOT. B.

[80] Dans une _Épître à J.-B. Rousseau_; voyez tome XXVII, page 309; et
tome XXXVII, page 516. B.

[81] Elle est en deux petits volumes in-12. B.

[82] J.-G. de Chaufepié, dont Voltaire a déjà parlé tome XXVII, page
318, est auteur du _Nouveau Dictionnaire historique et critique, pour
servir de supplément ou de continuation au Dictionnaire de M. P.
Bayle_, 1750, quatre volumes in-folio. B.

[83] Dans les _Mémoires_ de l’abbé D’Artigny, tome VII, publié en
1756, on observe, page 22, qu’il fallait ici _Louis XIII_. La première
édition de l’_Histoire des grands chemins_ est de Paris, 1622, in-4º. B.

[84] Catherine Bernard, parente de Corneille, et conséquemment de
Fontenelle, née à Rouen, est morte en 1712: voyez, ci-après, l’article
FONTENELLE. B.

[85] Dans l’édition de 1751 cet article avait quatre lignes que voici:
«Boileau Despréaux (Nicolas), né à Paris, en 1636, le plus correct
de nos poëtes. On a tant commenté ses ouvrages, qu’un éloge est ici
superflu; mort en 1711.» Voltaire a successivement augmenté son
article: le texte actuel est de 1768. B.

[86] La roue de la Fortune.

[87] Voltaire désigne ainsi le _Dictionnaire de Barral et Guibaud_
(voyez ma note, tome XXVIII, page 348). B.

[88] C’est le nombre donné dans les tomes II et X (première partie)
des _Mémoires de Nicéron_; mais, dans la seconde partie du tome
X de ces _Mémoires_, publiée en 1731, on nomme deux ouvrages de
plus. La _Biographie universelle_ en énumère quatre-vingt-onze ou
quatre-vingt-quinze. B.

[89] Hyacinthe Cordonnier, connu sous le nom de Thémiseuil de
Saint-Hyacinthe, né à Orléans le 24 septembre 1684, mort en 1746. Il
fut l’un des ennemis de Voltaire, qui, de son côté, ne le ménagea pas:
voyez tome XXXVII, page 382; et, dans la _Correspondance_, plusieurs
lettres, entre autres celles à Berger, du 16 février 1739, et à
Levesque de Pouilly, du 27 février 1739. On trouvera, dans les _Pièces
justificatives_, à la suite de la _Vie de Voltaire_ (voyez tome Iᵉʳ),
une lettre de Saint-Hyacinthe à M. de Burigny. B.

[90] Voyez l’article PELLISSON. B.

[91] Né à Alençon en 1634, mort en 1723. B.

[92] Ce fut à lui que Voltaire succéda dans la place de membre de
l’académie française: voyez son _Discours de réception_, tome XXXVIII,
page 545. B.

[93] C’est d’après Nicéron que Voltaire appelle ainsi cet auteur, dont
le vrai nom est BOULLIAU: voyez la _Bibliothèque du Poitou_, par Dreux
du Radier, tome IV, pages 275-76. B.

[94] Voltaire veut probablement parler des _Mémoires présentés au duc
d’Orléans, régent de France, contenant les moyens de rendre ce royaume
très puissant_, La Haye, 1727, deux volumes in-12. B.

[95] Il est mort le 23 janvier 1722. B.

[96] 1711, in-folio, réimprimés après avoir été revus par A. Lancelot,
sous le titre de: _Histoire de Dauphiné_, 1722, deux volumes in-folio.
B.

[97] Boursault a fait un _Ésope à la ville_ et un _Ésope à la cour_.
Cette dernière comédie est restée au théâtre plus long-temps que
l’autre. B.

[98] Voyez ma note, tome XXVIII, page 348. B.

[99] Jean Silhon, conseiller d’état, l’un des premiers membres de
l’académie française, est mort en 1667. B.

[100] Voyez tome XXXIX, page 282. B.

[101] Il n’en a fait que le premier livre. B.

[102] Voyez son _Éloge_ par Voltaire, tome XXXIX, page 411. B.

[103] Toutes les éditions, depuis 1751 jusqu’à la présente, portent:
_mais tels_; j’ai mis _mais non tels_, parceque le sens de la phrase
l’indique, et parceque cela est d’accord avec une note de Voltaire
dans son _Histoire du parlement_; voyez tome XXII, pages 182-3. (Avril
1830.) B.

[104] Voltaire écrivait cela en 1751. Les _Mémoires de Sulli_, rédigés
par Lécluse, sont de 1745: voyez ma note, tome XXII, page 183. B.

[105] David-Augustin de Brueys est né à Aix, en Provence, en 1640. B.

[106] Par l’abbé Raynal. Une édition de 1752 a trois volumes in-12. B.

[107] Le 16 avril. Voyez, ci-après, l’article LONGUEVAL. B.

[108] Voltaire ajouta l’article de Cailly en 1752. Le Moréri de 1759 ne
donne pas la date de sa naissance, et dit qu’il mourut avant 1674. De
Cailly était né à Orléans en 1604. B.

[109] C’est-à-dire dans le diocèse de Cahors. B.

[110] Au sujet de Crébillon, voyez, ci-après, son article, page 88;
tome II, page 4; et tome XXXII, page 444. B.

[111] Michel-Jean Baptiste: voyez, ci-après, son article. B.

[112] Jacques Cassini, né en 1677, mort en 1756. Ce qui concerne lui et
ses descendants est posthume. B.

[113] César-François Cassini, né en 1714, mort en 1784. B.

[114] M. Jacques-Dominique Cassini, aujourd’hui (mai 1830) membre de
l’Institut, est né en 1740. B.

[115] C’est la date donnée par D’Olivet. B.

[116] Né en 1626. B.

[117] Né en 1604, mort vers 1679. B.

[118] Né en 1624, mort en 1702. B.

[119] Voyez ma note, tome XXXII, page 285. B.

[120] Depuis Redi (François), né à Arezzo, en 1626, mort en 1694,
un autre Italien, Félix Fontana, né en 1730, mort le 9 mars 1805, a
multiplié les expériences sur le venin de la vipère. B.

[121] Il s’agit d’Antoine-Louis-François Lefèvre de Caumartin, né le
6 septembre 1696, conseiller d’état en juillet 1745, mort le 14 avril
1748. Voltaire publia son article CHARLEVAL en 1751. B.

[122] Édition de 1740. Le passage rapporté par Voltaire est une
réflexion de l’abbé Goujet, et non du président de Ris, et n’est plus
dans le Moréri de 1759. B.

[123] En 1688, suivant le Moréri de 1759. B.

[124] Ce n’est pas à madame de Maintenon, c’est à Louis XIV que
Choisi dédia sa _Traduction de l’Imitation_. La première édition de
1692 est la seule qui contienne la dédicace. Elle a aussi (ainsi que
les deuxième et troisième, qui sont de 1692 et 1694), en tête du
second livre, une figure dans laquelle on peut reconnaître madame de
Maintenon; mais au bas on ne lit que ces deux mots: _Audi, filia_.
Amelot de la Houssaie, dans ses _Mémoires historiques_, au lieu de
citer ces deux mots du verset 2 du psaume XLIV, cite
le verset entier et les mots du verset 12: _Concupiscet rex decorem
tuum_, qu’on a ensuite seuls cités. La figure ne se trouve plus dans la
quatrième édition. B.

[125] 1727, trois volumes in-12, publiés par Camusat. B.

[126] Cet article est de 1756. Le _Catalogue des écrivains_ était alors
à la fin de l’ouvrage de Voltaire. Les _Mémoires de Torci_ ont paru en
1756, trois volumes in-12. B.

[127] Il est né à La Rochelle en 1638. B.

[128] Voyez page 8. B.

[129] Les _Lettres sur la grace_, par Étienne-Agard De Champs (né à
Bourges, en 1613, mort le 31 juillet 1701), forment un volume, 1689,
in-12, qui contient les réponses du prince. B.

[130] Voyez, tome XX, ce que Voltaire dit encore de Corneille dans le
chapitre XXXII. B.

[131] Voyez ma note, tome XXXIX, page 283. B.

[132] Le _Glaneur historique, moral, littéraire, et galant_, était
un journal qui paraissait en Hollande les lundi et jeudi, en 1731 et
années suivantes. Il contient plusieurs morceaux contre Voltaire et ses
ouvrages. J’en ai cité un dans ma note, tome II, page 348. B.

[133] Voyez mes notes, ci-dessus, pages 35 et 62; et tome XXVIII, page
348. B.

[134] En janvier 1711. B.

[135] Voyez tome XXXII, page 444. B.

[136] Voltaire a composé, en 1762, un _Éloge de Crébillon_, qui n’est
pas un panégyrique: voyez tome XL. B.

[137] C’est ainsi qu’a écrit Voltaire, qui avait placé cet article
à la lettre D. Il l’avait ajouté en 1768. Mais il s’exprime bien
autrement sur le chancelier, dans sa _Correspondance_; voyez la lettre
à Damilaville, du 24 mai 1761, et à D’Alembert, des 7 ou 8 mai 1761, et
30 janvier 1764. Le chancelier signait _Daguesseau_. B.

[138] Il était frère du marquis de Dangeau, dont les _Mémoires_ sont
souvent cités et réfutés par Voltaire, qui, le premier, en fit imprimer
un extrait avec des notes: voyez tome XLVI. B.

[139] Le Puiset est un bourg entre Orléans et Chartres. CL.

[140] Les éditions données du vivant de Voltaire portent: _et_ on _a
dit après lui_, etc. B.

[141] Cette flatterie à Louis XV existe dès 1751. Le _Cours des
principaux fleuves et rivières de l’Europe_, imprimé dès 1718,
c’est-à-dire _du vivant de Delisle_, paraît, dit M. Renouard, n’être
que la copie des leçons du maître. B.

[142] Voyez tome XXVII, page 180; et, tome XLIII, la troisième des
_Lettres à son altesse monseigneur le prince de ***_. B.

[143] Voyez, ci-après, l’article GENEST. B.

[144] Dreux Du Radier, dans ses _Récréations historiques_, I, 89,
remarque que le dernier tercet du sonnet de Des Barreaux est une
imitation du dernier tercet d’un sonnet de l’abbé Des Portes (édition
de 1598 de ses _Poésies chrétiennes_):

    Ne tourne point les yeux sur mes actes pervers;
    Ou, si tu les veux voir, vois-les teints et couverts
    Du beau sang de ton fils, ma grace et ma justice.

Voltaire, dans la septième de ses _Lettres à son altesse monseigneur le
prince de ***_ (voyez tome XLIII), reparle de Des Barreaux et de son
sonnet. B.

[145] L’article DES COUTURES fut ajouté dans l’édition de 1752, et
tel qu’il est ici. Au lieu de ce qui le termine, on lit ces mots dans
un manuscrit que je possède de la main de Voltaire: «Le nombre de
ceux qui, à l’exemple des anciens, ont cru la matière éternelle, est
étonnant.» Jacques Parrain, baron Des Coutures, né à Avranches, est
mort en 1702. Sa traduction de Lucrèce, qui avait paru en 1685, deux
volumes in-12, a été effacée par celle de Lagrange: voyez tome XXVIII,
page 383. B.

[146] Voyez, ci-après, l’article MORIN (Simon). B.

[147] Tout ce qui précède est de 1757; ce qui suit est de 1763. B.

[148] Voyez, tome XIV, dans les _Poésies mêlées_ (année 1749), les vers
de Voltaire sur le _Glorieux_. B.

[149] Voyez l’article Th. RENAUDOT. B.

[150] Sur ce _Journal_, voyez ma note, tome XXXIII, page 267. B.

[151] Les éditions de Kehl terminaient cet article par ces mots, qui
étaient entre parenthèses: «Mort depuis l’impression de cet article,
en 1768.» Ils ne sont point dans l’édition de 1775 donnée du vivant de
Voltaire. D’Olivet est mort le 8 octobre 1768. C’était dans l’édition
du _Siècle de Louis XIV_, donnée cette année, que Voltaire avait ajouté
son article, ainsi que celui de HÉNAULT. Jusque-là Fontenelle était le
seul auteur admis de son vivant dans le _Catalogue_. B.

[152] Cette phrase et celle qui suit sont posthumes; elles ne sont pas
dans l’édition de 1775. B.

[153] 1703, in-12. Sur la guerre de la succession, voyez, tome XX, les
chapitres XVIII et suivants. B.

[154] 1740, in-4º, réimprimés en divers formats. B.

[155] L’_Institution d’un prince_ n’a été publiée qu’après la mort de
Duguet, Londres, 1739, in-4º, ou quatre volumes in-12. Si, malgré ce
que dit Voltaire, ce traité a été composé pour l’éducation d’un prince
de Savoie, ce doit avoir été pour Charles-Emmanuel, né en 1701, plutôt
que Victor-Amédée, né en 1726. B.

[156] L’abbé Grosier a donné une _Description de la Chine_, qui forme
le treizième volume de l’_Histoire générale de la Chine_, 1777-85,
treize volumes in-4º, et a été réimprimée séparément en deux volumes
in-8º, puis, en 1818-1820, sept volumes in-8º. B.

[157] Voltaire a composé une _Lettre de M. Hudde, échevin d’Amsterdam,
écrite_ _en 1620_. Il n’en reste qu’un fragment, _inédit jusqu’à ce
jour_, et que je donnerai dans le tome L (dernier des _Mélanges_). B.

[158] On ignore la date de la naissance de Duryer, qui était revenu
en France vers 1630: né à Semur-en-Brionais, il est mort en 1688. Sa
traduction de l’_Alcoran_ parut en 1647, in-4º. Quant à son _Histoire
de Perse_, elle est tout-à-fait inconnue. Voltaire a peut-être voulu
parler de la traduction qu’a donnée Duryer de _Gulistan, ou l’Empire
des roses, composé par Saadi, prince des poëtes turcs et persans_,
1634, in-8º. B.

[159] 1709, cinq volumes in-12; 1719, six volumes in-12; 1743, neuf
volumes in-12. B.

[160] L’abbé Faydit est l’auteur de la _Télémacomanie_, 1700, in-12;
Gueudeville a composé une _Critique générale de Télémaque_, 1700,
deux volumes in-12. Voltaire reparle de Fénélon dans le chapitre
XXXVIII (voyez tome XX). B.

[161] Voyez, tome XX, ce que Voltaire dit de Fléchier dans le chapitre
XXXII. B.

[162] «Originairement _Le Bouyer_ (dit l’abbé Trublet); dans la suite
l’_u_ voyelle s’est changé en _v_ consonne, et l’_y_ grec en _i_
français, comme dans beaucoup d’autres noms.» B.

[163] C’est _Aspar_, connue par l’épigramme de Racine. J’ignore
l’autre, dit l’abbé Trublet (qui connaissait si bien son Fontenelle),
à moins que Voltaire n’ait voulu parler du _Brutus_; voyez, ci-dessus,
page 59. B.

[164] Après ce mot, on lisait en 1752: _Il fit beaucoup d’ouvrages
légers_, etc. Dans l’édition de 1763, Voltaire avait ajouté: «Il
essuya même une espèce de persécution littéraire pour avoir soutenu
qu’à plusieurs égards les modernes valaient bien les anciens. Racine
et Boileau, qui avaient pourtant intérêt que Fontenelle eût raison,
affectèrent de le mépriser, et lui fermèrent long-temps les portes de
l’académie. Ils firent contre lui des épigrammes; il en fit contre
eux, et ils furent toujours ses ennemis. Il fit beaucoup, etc.» Ce
fut en 1768 que Voltaire remplaça ce passage de 1763 par ce qu’on lit
aujourd’hui. B.

[165] Voyez ma note, tome XXXVII, page 257. Voltaire parle plus au long
de tout ceci dans la septième de ses _Lettres à son altesse monseigneur
le prince de ***_, qui sont dans le tome XLIII. B.

[166] Voyez, tome XXXIX, page 243, ce que Voltaire dit des _Lettres
diverses du chevalier d’Her..._, ouvrage de Fontenelle. B.

[167] Voyez ce que Voltaire a dit de ces _Éloges des académiciens_, t.
XXXVII, p. 552. B.

[168] Le jésuite Baltus, adversaire de Fontenelle (voyez ma note, tome
XXXI, page 398), n’a point fait de _Vies des saints_; mais il a donné,
entre autres ouvrages, les _Actes de saint Barlaam_, 1720, in-12. Sur
Baltus, voyez aussi tome XXXI, page 307. B.

[169] Basnage pressa long-temps Fontenelle de répondre à Baltus. «Mon
parti est pris, répondit Fontenelle, je ne répondrai point au livre du
jésuite; je consens que le diable ait été prophète, puisque Baltus le
veut, et qu’il trouve cela plus orthodoxe.»

[170] Lorsque la première édition du _Siècle de Louis XIV_ devint
publique, Fontenelle vivait encore. On avait cherché à l’irriter contre
M. de Voltaire. Comment suis-je traité dans cet ouvrage? demanda
Fontenelle à un de ses amis.--Monsieur, répondit-il, M. de Voltaire
commence par dire que vous êtes le seul homme vivant pour lequel il se
soit écarté de la loi qu’il s’est faite de ne parler que des morts.--Je
n’en veux pas savoir davantage, reprit Fontenelle; quelque chose qu’il
ait pu ajouter, je dois être content.

Ce qu’on trouve ici sur l’_Histoire des Oracles_, et sur _Méro et
Énégu_, a été ajouté depuis la mort de Fontenelle. K.--L’article
Fontenelle ne parut que dans la seconde édition du _Siècle de Louis
XIV_, donnée à Leipsick, en 1752, deux volumes in-12; il commençait
ainsi: «Fontenelle (B. de), quoique vivant encore en l’année 1752,
fera une exception à la loi qu’on s’est faite de ne mettre aucun
homme vivant dans ce catalogue. Son âge de près de cent années semble
demander cette distinction. Il est à présent au-dessus de l’éloge et de
la critique. On peut le regarder, etc.» jusqu’à l’alinéa qui finit par
ces mots, _le don de l’invention_. (Sauf toutefois les trois phrases
que j’ai indiquées.) B.

[171] Les déclamations contre le scepticisme sont l’ouvrage de la
sottise ou de la charlatanerie. Un sceptique qui n’admettrait pas les
différents degrés de probabilité serait un fou; un sceptique qui les
admet ne diffère des dogmatiques qu’en ce qu’il cherche à démêler ces
différents degrés avec plus de subtilité. K.

[172] Ce qui précède est de 1751; ce qui suit, de 1763: le _N. B._ est
de 1768. B.

[173] Elles ne le sont pas encore. B.

[174] Voyez tome XXVIII, page 353; et tome XXXIX, page 409. B.

[175] Le 17 octobre 1639, suivant D’Olivet et D’Alembert. B.

[176] Gombauld est né en 1576, sous le règne de Henri III. B.

[177] Né à Montmirel, en Brie, au mois d’octobre 1614: voyez les
_Recherches historiques sur le cardinal de Retz, par V.-D. Musset
Pathay_, 1807, in-8º. B.

[178] Hamilton est né en Irlande: voyez ma note, tome XXXVII, page 373.
B.

[179] Le P. Hardouin cherchait à prouver qu’un dieu tel que les
cartésiens le concevaient, ne pouvait ressembler au véritable Dieu tel
que l’admettent les chrétiens, puisque ce dieu des philosophes devait
gouverner le monde par des lois générales et invariables; ce qui, selon
le P. Hardouin, détruisait toute espèce de révélation particulière,
et toute religion, même la religion naturelle. Il prouvait que ces
philosophes étaient athées par les mêmes arguments que les déistes
emploient pour prouver que les théologiens sont absurdes. K.

[180] Sur Hecquet, voyez mes notes, tome XXXII, pages 298 et 456. B.

[181] Tout cet article HELVÉTIUS est de 1768. Sur les persécutions
contre C.-A. Helvétius, voyez ma note, tome XXX, page 236. B.

[182] Ce qui précède est de 1768; ce qui suit est posthume. Dès 1763
Voltaire avait rendu justice au président Hénault: voyez, page 52, la
fin de l’article AVRIGNY. Dès 1751 existait la fin de l’article J.
HESNAULT, qui suit. B.

[183] Ce qui précède de cet article fut ajouté en 1768. Les _Mémoires
pour servir à l’histoire des égarements de l’esprit humain_ (par l’abbé
Pluquet, né à Bayeux en 1716, mort en 1790) avaient paru en 1762, deux
volumes in-8º. B.

[184] Voyez ma note, tome XXII, page 282. B.

[185] Cet article est de 1752. L’_Histoire de la vie et des ouvrages de
M. La Croze_, par C.-E. Jordan, est de 1741, deux parties in-8º: voyez,
sur La Croze, ma note, tome XXXI, page 145. B.

[186] Voltaire a publié des _Remarques sur les souvenirs de madame de
Caylus_; voyez tome XLVI. B.

[187] Livre IX, fable 14, vers 15 et 16. B.

[188] Titon du Tillet, dont Voltaire parle dans son _Commentaire
historique_, à l’année 1760: voyez ce _Commentaire_ dans le tome
XLVIII. Le _Parnasse français_, de Titon du Tillet, est dans une des
salles de la Bibliothèque du roi. B.

[189] _Plus curieux que connus_, dit Voltaire, ci-après, dans le chap.
IV. B.

[190] Lenet est mort en 1671. B.

[191] Antoine de La Loubère, né en 1600, mort en 1664, était oncle de
Simon. B.

[192] Né à Noisy-le-Grand le 23 juin 1639, mort à Paris le 25 avril
1723. La Mare publia, en 1705; les deux premiers volumes de son _Traité
de la police_, qui devait avoir douze livres; la dernière édition,
1722-1738, quatre volumes in-folio, n’en contient que six. B.

[193] Voltaire reparle de La Mothe Le Vayer dans la septième de ses
_Lettres à son altesse monseigneur le prince de ***_; voyez tome XLIII.
B.

[194] Voltaire écrivait _La Motte-Houdart_; d’autres écrivent _La
Motte-Houdard_. L’auteur d’_Inès_ signait _Houdar de La Motte_: voyez
son approbation transcrite dans ma note, tome II, page 52. B.

[195] Soanen, évêque de Senez, fut déposé pas le concile d’Embrun, que
présidait Tencin: voyez, tome XX, le chap. XXXVII. B.

[196] Dans l’édition de 1751 du _Siècle de Louis XIV_, l’article LA
MOTTE était conçu en ces termes: «La Motte-Houdart (Antoine), né à
Paris en 1672, célèbre par ses ouvrages, et aimable par ses mœurs. Il
avait beaucoup d’amis, c’est-à-dire qu’il y avait beaucoup de gens
qui se plaisaient dans sa société. Je l’ai vu mourir sans qu’il y eût
personne auprès de son lit, en 1731.» Le texte de ce qui précède est
de 1768, ainsi que la phrase qui termine ce premier alinéa. C’était en
1759, dans ses _Mémoires pour servir à l’histoire de Fontenelle_ (et de
La Motte), que Trublet, page 349, combattait ce que dit Voltaire sur la
mort de La Motte. B.

[197] M. de La Motte avait une famille nombreuse dont il était aimé,
et qui lui rendait beaucoup de soins par devoir et par goût. Ses
infirmités ne lui avaient rien ôté de sa gaîté et de son amabilité
naturelles. Mais M. de Voltaire ne parle ici que des amis de M. de La
Motte. K.

[198] La fin de cet article, sauf quelques corrections et additions,
est de 1752. Au moment où l’on imprimait l’édition de 1752, «on
publiait, dit M. Clogenson, le _Mémoire pour servir à l’histoire des
couplets de 1710, attribués faussement à Rousseau_. Voilà pourquoi
l’article de La Motte-Houdar est plus long que la plupart des autres.»
B.

[199] Ou Nocei, gendre de madame de la Sablière. B.

[200] Voyez ma note, tome XXXVII, page 529. B.

[201] Jean-François-Leriget de La Faye, mort en 1731, est l’auteur des
vers cités par Voltaire, tome II, page 63; c’est pour son portrait que
Voltaire fit les vers qui sont dans les _Poésies mêlées_, tome XIV. Il
était frère cadet de Jean-Élie, capitaine aux gardes, mort en 1718:
voyez tome XXXVII, pages 491-92. B.

[202] Cet alinéa fut ajouté en 1768. Le précédent fut alors retouché. B.

[203] Voyez ma note, tome XXXVII, page 491. B.

[204] Voyez ma note, tome XXXVII, page 493. B.

[205] Guillaume Arnoult: voyez tome XXXVII, pages 505 et 525; et
ci-après, page 142. B.

[206] Voyez tome XXXVII, pages 506 et 508. B.

[207] 1751, deux volumes in-12, recueil de mauvaises pièces, dont
la plupart ne sont point de Rousseau, dit Voltaire lui-même, dans
le fragment conservé de sa lettre du 15 avril 1752: voyez la
_Correspondance_. B.

[208] En 1756, l’article se terminait ainsi: «Il se pourrait que Saurin
eût été l’auteur des derniers couplets attribués à Rousseau. Il se
pourrait que Rousseau, ayant été reconnu coupable des cinq premiers,
Saurin eût fait les autres pour le perdre, quoiqu’il n’y eût point
de rivalité entre ces deux hommes; mais il n’y a aucune raison d’en
accuser La Motte. Le but de cet article est seulement de justifier La
Motte, que je crois innocent. Il sera difficile, après tout, de savoir
qui de Joseph Saurin ou de Rousseau était le coupable; mais La Motte ne
l’était pas.»

Lorsqu’en 1757 Voltaire fit les cartons dont j’ai parlé dans ma
_Préface_, il avait changé la rédaction de ce passage, qu’on lisait
ainsi: «Il se pourrait, à toute force, que Saurin eût été l’auteur des
derniers couplets attribués à Rousseau. Il se pourrait que Rousseau
ayant été reconnu coupable des cinq premiers, Saurin eût fait les
autres pour le perdre, quoiqu’il n’y eût point de rivalité entre
ces deux hommes. Rousseau l’en accusa toute sa vie; il l’avait même
chargé encore de ce crime par son testament; mais le professeur Rollin
l’engagea à rayer cette dernière imputation. Rousseau n’osa jamais
accuser La Motte pendant le cours du procès, ni pendant le reste de sa
vie, ni à la mort: voyez l’article SAURIN.»

B.-J. Saurin, fils de Joseph, réclama contre cette version, que
Voltaire modifia en 1763 et en 1768. B.

[209] Et aussi l’article J.-B. ROUSSEAU. B.

[210] Né en 1603, mort en 1680. CL.

[211] La Quintinie, né à Chabanais, petite ville de l’Angoumois, en
1626, est mort à Versailles en 1688. B.

[212] Sur cette _Bibliothèque_, voyez ma note, tome XXX, page 200. B.

[213] _Saint Louis, ou la sainte couronne reconquise_, 1658, in-8º; et
dans les _Œuvres poétiques du P. Pierre Le Moyne_, 1672, in-folio. B.

[214] A Sarzeau, à quatre lieues de Vannes, le 8 mai 1668. B.

[215] Cette opinion est combattue et détruite par François de
Neufchâteau, dans son _Examen de la question de savoir si Le Sage est
l’auteur de Gil Blas, ou s’il l’a pris de l’espagnol_. B.

[216] 1710-11, dix tomes reliés en vingt volumes in-12; 1757, sept
volumes in-4º. B.

[217] _Médée_ est de 1694; _Électre_, de 1703. Entre ces deux pièces
Longepierre, né à Dijon, le 18 octobre 1659, avait donné, en 1695,
_Sésostris_, connu par l’épigramme de Racine. B.

[218] Cet article est de 1751. Le P. Fontenay, mort le 15 octobre 1742,
a fait les tomes IX, X, et une partie du XIᵉ. Brumoy acheva le XIᵉ, et
fit le XIIᵉ. Berthier a fait et publié les tomes XIII à XVIII, 1745-49,
in-4º. B.

[219] Née en 1635; femme de Scarron en 1652, de Louis XIV en 1685:
voyez tome XXXIX, page 385. B.

[220] 1752, deux volumes petit in-12; 1755, huit volumes in-12; 1756,
neuf volumes in-12. L’éditeur fut La Beaumelle. L’article de Voltaire
est de 1756. B.

[221] Cet alinéa fut ajouté en 1768. B.

[222] Voyez, dans le tome XLII, la _Lettre à l’auteur des honnêtetés
littéraires_ (à la fin de ces _Honnêtetés_). B.

[223] Voyez, tome X, une note du chant X de _la
Henriade_. B.

[224] C’est le nombre donné dans le tome XXXII des _Mémoires_ de
Nicéron. B.

[225] Ce n’est point un sonnet; la pièce a vingt vers, et est
intitulée: _Épigramme_, à la page 204 de l’édition des _Œuvres de
Maynard_, 1646, in-4º. B.

[226] Ces vers sont intitulés: _Sonnet_, page 31 de l’édition des
_Œuvres_, citée dans ma note précédente; mais c’est un sonnet
irrégulier. En voici le texte, qui est bien différent de celui que
donne Voltaire:

    Par vos humeurs le monde est gouverné;
    Vos volontés font le calme et l’orage;
    Et vous riez de me voir confiné,
    Loin de la cour, dans mon petit village.

    Cléomédon, mes désirs sont contents;
    Je trouve beau le désert où j’habite,
    Et connais bien qu’il faut céder au temps,
    Fuir l’éclat, et devenir ermite.

    Je suis heureux de vivre sans emploi,
    De me cacher, de vivre tout à moi,
    D’avoir dompté la crainte et l’espérance.

    Et si le ciel, qui me traite si bien,
    Avait pitié de vous et de la France,
    Votre bonheur serait égal au mien.

Il paraît que cette pièce de Maynard circula en 1756, sous le titre
de _Compliment à la chèvre_, et qu’on l’attribua à Voltaire: voyez sa
lettre à madame de Lutzelbourg, du 13 août 1756. B.

[227] Voltaire cite et traduit ce vers dans le chapitre
LVII de son _Histoire du parlement_; voyez tome XXII,
page 276. B.

[228] A Ry, ou Rye, près d’Argentan. B.

[229] Jacques-Louis Valon, marquis de Mimeure, né à Dijon le 19
novembre 1659, est mort à Auxonne, le 3 mars 1719. B.

[230] Dalembert a imprimé l’_Ode à Vénus_ à la suite de l’éloge qu’il a
fait de Mimeure: voyez aussi, page 134, l’article LA MOTTE-HOUDAR. B.

[231] Voyez tome XXXVIII, page 385 et suivantes, la _Vie de Molière_,
par Voltaire. B.

[232] Voyez ma note, tome XXXIII, page 436. B.

[233] Nicolas-Hubert Mongault, fils naturel de Colbert-Pouanges, naquit
en 1674, et mourut le 15 août 1746. B.

[234] Voyez, tome XLII, mes notes sur la seconde des _Honnêtetés
littéraires_. B.

[235] Voltaire est le seul auteur qui parle de cette édition, faite
spécialement pour le cardinal, et que personne encore n’a pu se
procurer. Mais il ne faut pas se hâter d’en conclure que l’anecdote
soit fausse. Voltaire a eu, sur beaucoup de faits contemporains, des
renseignements particuliers. B.

[236] Voyez ma note 2, tome XXXI, page 86. B.

[237] Voyez tome XXVII, page 5; et tome XXXI, page 97. B.

[238] Le premier ouvrage imprimé de Montesquieu est de 1721; ce sont
les _Lettres persanes_: Louis XIV était mort en 1715. Montesquieu,
Voltaire, J.-J. Rousseau, et Buffon, sont les quatre grands hommes du
dix-huitième siècle. B.

[239] Voyez tome XXX, pages 433-34; et, tome XLIII, la septième des
_Lettres à son altesse monseigneur le prince de ***_. B.

[240] Son vrai nom est _Montereul_; mais celui de _Montreuil_, que
Boileau lui donna (dans sa satire VII) pour la mesure d’un vers, et
pour mieux rimer avec _recueil_, lui est resté. Né en 1620; mort à
Valence. CL.

[241] Juigné-Broissinière, sieur de Molière, avait fait imprimer,
dès 1627, son _Dictionnaire théologique, historique, poétique,
cosmographique et chronologique_, in-4º. La première édition du
_Dictionnaire de Moréri_ est de 1673, un volume in-folio. La dernière
édition, en dix volumes in-folio, est de 1759. B.

[242] Voyez, tome XLII, l’_Histoire de Simon Morin_, qui forme le
paragraphe VIII du _Commentaire sur le livre des délits
et des peines_. B.

[243] Nièce de Jean Bertaut, évêque de Seez; elle signait _Mauteville_.
CL.

[244] Tout cet article est de 1756. Louis-Jules-Barbon, duc de
Nivernais, petit-fils du duc de Nevers, mort le 25 février 1798, a
survécu quarante-deux ans à son éloge par Voltaire. B.

[245] En 1692. B.

[246] La Chaussée est mort le 14 mai 1754. C’est en 1757 que Voltaire
lui donna place dans le _Siècle de Louis XIV_. Voltaire a depuis revu
son article. La première pièce de La Chaussée est de 1733. B.

[247] Tacite, _Annales_ XVI, 19. Voltaire revient sur le
Pétrone de Nodot, dans le quatorzième chapitre de son _Pyrrhonisme de
l’histoire_; voyez tome XLIV. B.

[248] L’ouvrage de Pardies parut à Paris en 1672, in-12, sous le titre
de _Discours sur la connaissance des bêtes_. Le petit volume intitulé:
_De l’ame des bêtes_, Lyon, 1766, est de A. Dilli, prêtre d’Embrun. CL.

[249] Voyez, tomes XXXVII et L, les _Remarques_, et les _Dernières
remarques de_ Voltaire _sur les Pensées de Pascal_. B.

[250] Voyez page 64. B.

[251] Le 12 janvier 1628, suivant ses _Mémoires_, publiés par Patte,
1769, in-12. B.

[252] Voyez page 71. B.

[253] A Châlons-sur-Marne. CL.

[254] Cet ouvrage est de son père François Petis, mort en 1695, et il
n’en fut que l’éditeur au commencement du dix-huitième siècle. CL.

[255] Voyez SAINT-PIERRE. B.

[256] Pontis n’est point un personnage imaginaire. Né en 1583, il est
mort en 1670. P. Thomas Dufossé fut le rédacteur de ses _Mémoires_;
voyez ma note, tome XXXIX, page 283. B.

[257] C’est le _Dictionnaire de Barral et Guibaud_: voyez ma note, t.
XXVIII, page 348. B.

[258] A Vendes, près de Caen. B.

[259] Cet article est dans l’édition de 1751. Le roi de Prusse n’a
publié qu’en 1760 son _Art de la guerre_, poëme en six chants.
Puységur, né à Paris en 1655, est mort en 1743. B.

[260] Par Raynal: voyez page 70. B.

[261] L’_Alcyonée_ de Du Ryer est de 1639; la _Mariamne_ de Tristan est
de 1636; c’était le _Cléomédon_ de Du Ryer qu’on opposait au _Cid_:
voyez tome XXXV, page 98. B.

[262] Fontenelle donna le même conseil à M. de Voltaire, après la
tragédie de _Brutus_. Tous deux étaient de bonne foi. Corneille
trouvait Racine trop simple, et Fontenelle trouvait Voltaire trop
brillant. K.

[263] Cet article est de 1768. Louis Racine, né le 6 novembre 1692, est
mort le 29 janvier 1763. B.

[264] Voyez tome XXXVII, page 262. B.

[265] Le 27 octobre, selon la plupart des biographes; mais le 31,
selon une note apposée par un trappiste sur un manuscrit autographe de
Rancé, intitulé: _De trinitate_, que possède la bibliothèque publique
d’Alençon. CL.

[266] Né à Paris le 8 février 1655, Regnard fut inhumé à Dourdan le 5
septembre 1709. B.

[267] Il avait écrit contre Boileau avant de publier les _Ménechmes_,
qu’il lui dédia en 1705. Leur raccommodement est de 1698 environ. B.

[268] Ou des suites d’une indigestion. B.

[269] La _Gazette de France_, créée par Renaudot et D’Hosier, commença
à paraître en mai 1631. Les cinq premières feuilles sont sans date;
la sixième est du 4 juillet 1631. L’article de T. Renaudot existe dès
1751. B.

[270] Cet article fut ajouté en 1768. B.

[271] _Traité qui contient la méthode la plus facile et la plus assurée
pour convertir ceux qui se sont séparés de l’Église_, 1651, in-folio. B.

[272] Voyez, tome XXXV, pages 6 et 7, la _Préface du commentateur_. B.

[273] Voyez, tome XXVI, page 323; tome XXXVII, page 384; t. XXXIX, page
282; tome XLII, les _Doutes nouveaux_, et l’_Arbitrage_. B.

[274] C’est-à-dire les _Doutes nouveaux sur le testament attribué au
cardinal de Richelieu_: voyez tome XLII. B.

[275] Il est difficile de ne pas regarder cette histoire comme un
ouvrage du cardinal de Richelieu. Elle renferme des anecdotes curieuses
sur les premières années de Louis XIII, des détails particuliers au
cardinal, écrits avec un air de naïveté et de franchise que Mézerai
n’aurait pas saisi, et des opinions absolument opposées à celles de
cet historien. Il n’en a paru que deux volumes; le reste est demeuré
entre les mains du gouvernement, ou chez les héritiers du cardinal.
K.--Voyez, sur l’_Histoire de la mère et du fils_, ma note, tome XXII,
page 232. B.

[276] J.-B. Rousseau est né à Paris le 6 avril 1671: voyez, tome
XXXVII, page 483, la _Vie de M. J.-B. Rousseau_. B.

[277] Le 17 mars 1741. B.

[278] Voyez tome XXXVII, page 488. B.

[279] C’est l’ode 3 du livre II, en tête de laquelle on lit: _A M. de
Caumartin_, mais que Rousseau avait d’abord adressée à M. Rouillé du
Coudray. B.

[280] Voyez tome XXXVII, pages 521-22; et, dans la _Correspondance_, la
lettre à Rousset de Missy, du 9 février 1754. B.

[281] On pourrait ajouter que Rousseau, ayant été maltraité en public
par La Faye, insulté dans les couplets, consentit à recevoir de
l’argent, et renonça aux poursuites qu’il avait commencées; cet excès
de bassesse le rend indigne de toute croyance. K.--Voyez tome XXXVII,
page 504. B.

[282] C’est dans la préface des _Acta primorum martyrum sincera et
selecta_, 1689, in-4º; 1713, in-folio; 1731, in-folio. Les _Actes
sincères_, que Voltaire cite fréquemment dans plusieurs de ses ouvrages
(voyez, entre autres, tome XXXI, pages 144-158), ont été traduits en
français par Drouet de Maupertuy, et plusieurs fois imprimés. B.

[283] Edmond Martène, bénédictin, né en 1654, mort le 20 juin 1739, est
auteur du traité _De antiquis Ecclesiæ ritibus libri tres_, 1700-1702,
trois volumes in-4º, et de beaucoup d’autres écrits. B.

[284] Dom Vincent Thuillier, né en 1685, mort le 12 janvier 1736,
traducteur de Polybe. B.

[285] Le Maistre de Saci aida seulement Fontaine dans la composition
connue sous le nom de _Bible de Royaumont_. B.

[286] Né en 1608, mort en 1658. B.

[287] Louis de Saci, né à Paris en 1651, mort le 26 octobre 1727. B.

[288] Né le 24 mai 1650. B.

[289] C’est-à-dire qu’il en commença une nouvelle édition refondue,
dont il publia les trois premiers volumes de 1715 à 1725. On a mis au
jour, en 1785, le treizième volume de cette nouvelle édition, qui ne se
trouve pas terminée. B.

[290] Né en 1618, il était, non le frère, mais le fils aîné du Scévole
mort en 1650. B.

[291] Voyez, page 79, l’article CHARLEVAL. Voltaire parle de
Saint-Évremond dans la septième de ses _Lettres à son altesse
monseigneur le prince de ***_; voyez tome XLIII. B.

[292] Boileau a fait contre lui une épigramme, et lui a consacré un
hémistiche du vers 128 de la satire première. Mais il ne parle que de
son irréligion, et nullement de son talent poétique, que Voltaire vante
peut-être trop. B.

[293] Gaspard de Fieubet, né à Toulouse, en 1626, mort au couvent des
camaldules, à Grosbois, le 10 septembre 1694, est celui dont Voltaire a
déjà parlé avec éloge, tome XXXVII, page 374. B.

[294] Dans l’édition de 1751, cet article n’avait que quatre lignes:
«Saint-Pierre (l’abbé de) a contribué, par ses écrits, à faire établir
la taille proportionnelle; ses idées politiques n’ont pas toujours été
des rêves.» Le texte actuel du premier alinéa formait, à quelques mots
près, tout l’article en 1752. Le second alinéa fut, comme on le verra,
ajouté en 1763 et 1768. B.

[295] L’exclusion fut unanime, à une voix près, celle de Fontenelle. Il
raconta depuis qu’il avait entendu plus d’une fois un homme de la cour,
membre de l’académie, s’attribuer, devant l’abbé de Saint-Pierre, et
devant lui-même, le mérite de cette action de justice.

L’exemple de l’abbé de Saint-Pierre prouve qu’en France il est
également dangereux pour un homme de lettres, qui ne veut que dire la
vérité, de soutenir les opinions du gouvernement, ou de les combattre.
K.

[296] Ce qui précède est de 1763. La phrase dernière de l’alinéa fut
ajoutée en 1768. B.

[297] Toute la fin de l’article fut ajoutée en 1775. B.

[298] Voyez, tome XLVII, le treizième des _Fragments sur l’histoire_,
intitulé: _Défense de Louis XIV contre les Annales politiques de l’abbé
de Saint-Pierre_. B.

[299] La première édition des _Trois siècles de la littérature
française_, par Sabatier de Castres, est de 1772, trois volumes in-8º.
B.

[300] Dans sa lettre à Thieriot, du 31 octobre 1738, Voltaire lui
recommande de tâcher d’obtenir de l’abbé de Saint-Pierre communication
de son manuscrit. Il paraît que, entre la première édition du
_Siècle de Louis XIV_ (1751) et 1756, Voltaire eut communication du
manuscrit de l’abbé de Saint-Pierre; car il le cite plusieurs fois
dans des notes imprimées cette année. Voyez, tome XX, les chapitres
XXVIII, XXIX, XXX. B.

[301] Voltaire parle encore de l’abbé de Saint-Pierre dans la septième
de ses _Lettres à son altesse monseigneur le prince de ***_: voyez tome
XLIII. B.

[302] L’article SALLO est de 1751. Voltaire avait déjà nommé Th.
Renaudot (voyez son article) _premier auteur des gazettes en France_.
Le _Journal des savants_, commencé par Sallo, ne date que de 1665. B.

[303] En 1652. B.

[304] Guillaume, mort le 15 mai 1703; Adrien, mort le 7 septembre 1718.
B.

[305] A Hermanville. B.

[306] L’ouvrage de Saumaise est intitulé: _Defensio regia, pro Carolo
primo_, 1649, in-4º. B.

[307] Il en est de même de la réplique de Saumaise, qui ne fut imprimée
qu’après sa mort, sous ce titre: _Ad Joannem Miltonum responsio_,
Dijon, in-4º; Londres, 1660, in-8º. B.

[308] Voyez ma note, page 57. B.

[309] La fin de cet alinéa fut ajoutée lorsqu’en 1763 Voltaire supprima
le morceau que je donne ci-après en note. B.

[310] Il est bon de remarquer que ce certificat est de 1757, vingt
ans après la mort de Saurin; cependant les prédicants suisses
voulurent déposer les trois dignes pasteurs qui avaient signé suivant
leur conscience: tant la haine théologique est implacable, et tant
l’hypocrite intolérance de Calvin a jeté de profondes racines dans les
pays qu’il a infectés de son esprit. K.

[311] Le 29 décembre. B.

[312] Dans l’édition de 1757 (voyez ma _Préface_), l’article se
terminait ainsi:

«Depuis que cet article a été composé, j’ai en main la déclaration
suivante; elle doit fermer la bouche à ceux qui ont voulu décrier un
philosophe:

«Nous, les pasteurs de l’église de Lausanne, canton de Berne, en
Suisse, déclarons que, requis de dire ce que nous pouvons savoir d’une
accusation intentée contre feu M. Joseph Saurin, ci-devant pasteur
de la baronnie de Bercher, au bailliage d’Yverdun, et touchant une
lettre imputée audit sieur Saurin, dans laquelle il paraît s’accuser
d’actions criminelles et honteuses; ladite lettre et ladite imputation
étant imprimées dans les _Suppléments aux Dictionnaires de Bayle et de
Moréri_, nous déclarons n’avoir jamais vu l’original de cette prétendue
lettre, ni connu personne qui l’ait vue, ni ouï dire qu’elle ait été
adressée à aucun pasteur de ce pays; en sorte que nous ne pouvons
qu’improuver l’usage qu’on a fait de ladite pièce. En foi de quoi nous
nous sommes signés. Ce 30 mars 1757, à Lausanne.

              _Signés_: ABRAHAM DE CROUSAZ, premier pasteur de l’église
                                                 de Lausanne, et doyen.

                      N. POLIER DE BOTTENS, premier pasteur de l’église
                                                           de Lausanne.

                                            DANIEL POVILLARD, pasteur.»

Ce certificat fut attaqué dans le _Journal helvétique_; et Voltaire
publia la _Réfutation d’un écrit anonyme_, etc., qui est à la fin du
tome XXXIX. Voltaire ne reproduisit pas le certificat en 1763; ce fut
alors qu’il ajouta l’alinéa sur l’auteur de _Spartacus_. B.

[313] Bernard-Joseph Saurin, auteur de _Spartacus_, né en 1706, est
mort le 17 novembre 1781. B.

[314] Le _Dictionnaire de commerce_ n’est pas de Jacques Savari, mort
en 1690, mais de Jacques Savari, son fils, mort en 1716, et connu
sous le nom de Savari des Brulons. Ce ne fut qu’en 1723 que parut la
première édition, par les soins de l’abbé Savari, qui avait été le
collaborateur de son frère, et qui, lors de sa mort, en 1727, laissa un
volume de supplément, qui fut publié en 1730. B.

[315] Le 3 auguste. B.

[316] C’était l’opinion générale du temps de Voltaire; mais madame de
Sévigné est née le 5 février 1627. B.

[317] Ce qui précède est de 1756, et conséquemment antérieur à la
_Nouvelle Héloïse_ de J.-J. Rousseau; Voltaire a eu en vue les _Lettres
diverses du chevalier d’Herm..._ (par Fontenelle): voyez tome XXXIX,
page 243. Ce qui suit est de 1768. B.

[318] Madame de Sévigné, dans sa lettre du 6 novembre 1675, dit que
Mascaron _a surpassé tout ce qu’on attendait de lui_. Dans sa lettre
du 10 novembre, elle appelle l’oraison funèbre _admirable_; mais dans
la lettre du 28 mars 1676, elle met l’oraison funèbre de Turenne, par
Fléchier, au-dessus de celle par Mascaron. B.

[319] Silva, dont le nom se trouve dans des vers des second et
quatrième _Discours sur l’homme_ (voyez tome XII), est mort le 19 août
1742. B.

[320] Fille du maréchal de Coligni, tué à la Marfée, en 1646, et, par
conséquent, arrière-petite-fille de l’amiral. CL.

[321] Boileau (vers 90 de son épître VII) avait appelé Tallemant

    ... le sec traducteur du français d’Amyot. B.


[322] Voyez tome XXXV, pages 193-94. B.

[323] Jean Terrasson est né à Lyon en 1670. Matthieu Terrasson, son
cousin, avocat à Paris, né à Lyon, le 13 août 1669, est mort en 1734. B.

[324] Voyez, tome XIV, dans les _Poésies mêlées_ (année 1731), une
épigramme de Voltaire sur _Séthos_. B.

[325] Le 11 novembre 1636, auteur de l’_Histoire des perruques_, de _La
Sauce-Robert_, de la _Dissertation sur la sainte larme de Vendôme_,
etc. B.

[326] Le 11 octobre 1714. Son successeur à l’académie française fut
Malet, dont la réception est du 29 décembre 1714. B.

[327] Voltaire a déjà parlé de Ramsay, pages 183 et 184; voyez aussi,
dans la lettre à Formont, du 25 juin 1735, ce que Voltaire dit de la
_Vie de Turenne_, par Ramsay. B.

[328] C’est la satire XI, _Sur l’honneur_; elle a forme d’épître. CL.

[329] _Gesta Francorum_, 1646-58, trois volumes in-folio. B.

[330] Vauban est l’auteur du _Projet de dixme royale_; voyez ma note,
tome XXXIV, page 40. B.

[331] Vergier est né à Lyon, le 3 janvier 1655. B.

[332] Vergier n’est pas l’auteur de la parodie d’une scène de
_Mithridate_, dirigée contre le prince de Condé, que la calomnie accusa
d’avoir fait assassiner Vergier. Ce furent des voleurs de la bande de
Cartouche qui assassinèrent Vergier, dans l’intention de le voler. B.

[333] Au château de Bernetot, arrondissement d’Ivetot. CL.

[334] Les _Mémoires du duc de Villars, maréchal de France_, 1734, trois
volumes in-12, ont été publiés par l’abbé Margon, qui fabriqua les deux
derniers volumes; c’est le même qui, trois ans après, donna les faux
_Mémoires de Berwick_: voyez page 20. B.

[335] Née en 1632, à Alençon. CL.

[336] Marc-Antoine-Gérard, sieur de Saint-Amant, né à Rouen, en 1594,
ne mourut qu’en 1660, la dix-septième année du règne de Louis XIV,
alors âgé de vingt-deux ans. B.

[337] Sur sa _Lettre de la carpe au brochet_, voyez tome XXXIX, page
241. B.

[338] Alors on était dans l’usage de retrancher, dans les vers, les
lettres finales qui incommodaient; _vous ête_ pour _vous êtes_. C’est
ainsi qu’en usent les Italiens et les Anglais. La poésie française est
trop gênée, et très souvent trop prosaïque.

[339] Voiture, valet de chambre de la reine-mère, rêvant à la fontaine
de Belle eau, la reine vint par derrière, lui donna un coup sur
l’épaule, et lui demanda le sujet de sa rêverie. Sur quoi il lui
répondit qu’il aurait l’honneur de le lui donner par écrit à son
coucher; et voici les vers qu’il fit:

    Je pensois que la destinée,
    Après tant d’injustes rigueurs,
    Vous a justement couronnée
    D’éclat, de gloire, et de grandeurs;
    Mais que vous étiez plus heureuse
    Lorsque tous étiez autrefois,
    Je ne veux pas dire amoureuse,
    La rime le veut toutefois:
    Je pensois (car nous autres poëtes
    Nous pensons extravagamment)
    Ce que, dans l’état où vous êtes,
    Vous penseriez en ce moment
    Si vous voyiez dans cette place
    Venir le duc de Buckingam,
    Et lequel seroit en disgrace
    De lui ou du père Vincent.
    Je pensois que le cardinal,
    J’entends celui de La Valette,
    Auroit un plaisir sans égal
    En voyant l’éclat où vous ête:
    Je dis celui de la beauté,
    Car sans lui je n’estime guère,
    Cela soit dit sans vous déplaire,
    Tout celui de la majesté;
    Que tant de charmes, de jeunesse,
    Pour vous le feroit soupirer,
    Et que madame la princesse
    Auroit beau s’en désespérer.
    Je pensois à la plus aimable
    Qui fut jadis dessous les cieux,
    A l’ame la plus admirable
    Que formèrent jamais les dieux,
    A la ravissante merveille
    De cette taille sans pareille,
    A la bouche la plus vermeille,
    La plus belle qu’on ait jamais;
    A deux pieds gentils et bien faits
    Où le temple d’amour se fonde;
    A deux incomparables mains,
    A qui le ciel et les destins
    Ont promis le sceptre du monde;
    A mille graces, mille attraits,
    A cent mille charmes secrets,
    A deux beaux yeux remplis de flamme
    Qui rangent tout dessous leurs lois:
    Devinez sur cela, madame,
    Et dites à quoi je pensois.

Voltaire, dans ses _Remarques sur l’épître dédicatoire de Polyeucte_
(voyez tome XXXV, page 276), cite quatre vers de cette pièce, qu’il
dit et que je crois inédite. Cependant vingt-quatre vers, dont huit ne
sont pas dans la copie que j’ai suivie, avaient été imprimés dans les
_Mémoires_ de madame de Motteville. B.

[340] Frédéric-le-Grand, roi de Prusse. B.

[341] Pascal Colasse, né en 1639, est mort en 1709. Sur Campra, voyez
tome XXXVII, page 493; sur Destouches, voyez, tome XLII, l’opuscule
intitulé: _André Destouches à Siam_. B.

[342] Sébastien Bourdon, né en 1616, mort en 1671. Moïse Valentin, né
en 1600, mort en 1632. CL.

[343] Né à Paris, en 1676; mort en 1754. CL.

[344] En 1647. Un frère aîné de Jouvenet naquit en 1644; de là
l’erreur. CL.

[345] Né en 1640; et mort à Paris, sa ville natale, en 1716. CL.

[346] Né à Paris, en 1649; mort dans sa ville natale, en 1717. CL.

[347] Né à Paris, en 1654; mort en 1733. CL.

[348] Né à Montpellier, en 1677; mort en 1734. CL.

[349] Né à Toulouse, en 1645; mort à Paris, en 1730. CL.

[350] Né à Valenciennes, en 1684; il était âgé d’environ trente-sept
ans quand il mourut, en 1721, à Nogent-sur-Marne. CL.

[351] François Desportes, né en 1661; mort en 1743. Jean-Baptiste
Oudry, né en 1686; mort en 1755. CL.

[352] Charles-André Vanloo, né en 1705, mourut en 1765. Son frère aîné,
Jean-Baptiste, cessa de vivre en 1745. CL.

[353] Pierre Legros, né à Paris, en 1666. Jean-Baptiste Théodon, mort à
Paris, en 1713. CL.

[354] Le même jour que Louis XIV. Il était né en 1630, selon la
_Biographie universelle_. CL.

[355] Antoine Coisevox, originaire d’Espagne, né à Lyon, en 1640; mort
à Paris, en 1720. CL.

[356] Trois sculpteurs ont illustré le nom de Coustou: Nicolas, né
à Lyon, en 1658, mort en 1733; Guillaume, frère de Nicolas, le plus
célèbre des trois, né en 1678, mort en 1746; et Guillaume, frère de ce
dernier, né à Paris, en 1716, mort en 1777. CL.

[357] François Chauveau, mort en 1676. CL.

[358] Robert Nanteuil, né à Reims, en 1630, gendre d’Edelinck, mort à
Paris, en 1678. CL.

[359] Claude Mellan, né à Abbeville, en 1598; mort à Paris, en 1688. CL.

[360] Girard Audran, le plus distingué des neuf artistes de ce nom,
naquit à Lyon, en 1640, et mourut à Paris, en 1703. CL.

[361] Gérard Edelinck, né à Anvers, en 1649, et appelé en France par
Colbert, mourut en 1707; il n’appartenait pas réellement au siècle de
Louis XIV. CL.

[362] Sébastien Leclerc, né à Metz, en 1637; mort à Paris, en 1714. CL.

[363] Pierre Drevet, né à Lyon, en 1664, eut pour fils Pierre Drevet,
né à Paris, en 1697; morts tous deux en 1739, selon la _Biographie
universelle_. CL.

[364] François de Poilly, né en 1622, à Abbeville, mourut en 1693. Son
frère Nicolas, mort en 1696, fut son élève, et laissa deux fils, morts
avant 1730, avec la réputation de graveurs habiles. CL.

[365] Bernard Picart, fils d’Étienne, naquit à Paris, en 1673, et
mourut à Amsterdam, en 1733. CL.

[366] Gaspard Duchange, né à Paris, en 1662, mort en 1756. CL.

[367] Claude Ballin mourut à Paris au commencement de 1678; et Pierre
Germain en 1682. CL.

[368] Né à Paris, en 1598; mort en 1666. CL.

[369] Né en 1645, à Paris, où son père, nommé aussi Jules HARDOUIN,
était premier peintre du cabinet du roi; mort à Marli, en 1708. CL.

[370] Voyez ma note, tome XXXIII, page 8. B.

[371] On a construit, depuis que M. de Voltaire a écrit cet article,
trois théâtres pour les trois grands spectacles de Paris. K.--Les trois
théâtres dont parlent les éditeurs de Kehl, étaient, pour l’Opéra,
la salle de la Porte Saint-Martin; pour les Français, la salle de
l’Odéon, consumée par les flammes le 28 ventôse an 7 (18 mars 1799);
reconstruite, brûlée de nouveau le 20 mars 1818, et reconstruite
encore; pour l’Opéra-comique, ou les Italiens, la salle qui est entre
le boulevard et la place des Italiens. Depuis la note des éditeurs
de Kehl, on a construit beaucoup d’autres théâtres. Aucune des trois
salles dont parlent les éditeurs de Kehl n’a conservé jusqu’à ce jour
sa destination première. B.

[372] Claude Perrault, auquel on doit la colonnade du Louvre, quoiqu’en
ait dit Boileau. Louis Levau, mort en 1670, eut pour élève François
Dorbay, mort en 1697. CL.

[373] André Le Nostre, fils d’un jardinier du roi, naquit en 1613,
à Paris, où il mourut en 1700. Beaucoup d’ouvrages, même récents,
racontent que Le Nostre embrassa effectivement Innocent XI, et qu’il en
usait ainsi avec Louis XIV, de l’aveu même de ce monarque. Anobli par
son maître, auquel il était fort attaché, mais sans adoration servile,
il n’oublia ni son _bon homme de père_, ni _sa bêche_; bien différent
en cela de tant de vilains, improvisés grands seigneurs depuis le
commencement du dix-neuvième siècle. CL.

[374] C’était ici que finissait cet article dans les premières
éditions: voyez la lettre de d’Alembert, du 24 août 1752. La fin de
l’alinéa a été ajoutée en 1763. Sur l’_Encyclopédie_, voyez, tome XL,
une des notes sur le premier des _Dialogues chrétiens_. B.

[375] Voyez ma _Préface_ en tête de ce volume. B.

[376] Louis XIV est né le 5 septembre 1638; l’établissement de
l’académie française est de 1635: voyez tome XXII, page 247. B.

[377] Voltaire s’exprimait ainsi en 1756, lorsque les chapitres
CLXV-CCX et CCXIII-CCXV de l’_Essai sur l’histoire générale_ (devenu
l’_Essai sur les mœurs_), se composaient de ce qu’il avait déjà publié
sous le titre de _Siècle de Louis XIV_. Voyez, au reste, tome XVIII,
page 169 et suivantes; et surtout les chapitres CLXXV et CLXXVI de
l’_Essai sur les mœurs_; voyez aussi le chapitre suivant. B.

[378] Il n’y a plus dans ce moment (juillet 1782) que huit électeurs,
les deux électorats de la maison de Bavière étant réunis; et de ces
huit électeurs trois sont rois. K.--Les diverses éditions données du
vivant de Voltaire portent dans le texte, les unes _quatre rois_, les
autres, _trois rois_, selon que l’électeur de Saxe était ou n’était pas
roi de Pologne. Les trois autres rois-électeurs étaient ceux de Bohême,
de Prusse (Brandebourg), d’Angleterre (Hanovre). L’empire d’Allemagne
n’existe plus (voyez ma note, tome XXIII, page 662). Beaucoup d’autres
états de l’Europe ont subi des changements par suite de la révolution
française. B.

[379] _Essai sur les mœurs et l’esprit des nations._--Voyez tome XVIII,
pages 271-279; et aussi les _Annales de l’empire_, tome XXIII, pages
582 et 596. B.

[380] Tome XVIII, page 295 et suiv.; et ci-dessus ma note, page 243. B.

[381] Voyez tome XXXII, page 379. B.

[382] Voyez l’article TAXE, tome XXXII, page 314. B.

[383] Voyez tome XVI, pages 27 et 233; tome XXVIII, pages 449 et 453;
et, tome XLVI, la remarque sur un des articles du _Journal de la cour
de Louis XIV_ (par Daugeau). B.

[384] _Essai sur les mœurs_, chap. CLXXXV.

[385] Vers le milieu du règne de Louis XIV, les sciences ont été
cultivées en Suisse. Ce pays a produit depuis quatre grands géomètres
du nom de Bernouilli, dont les deux premiers appartiennent au siècle
passé, et le célèbre anatomiste Haller. C’est actuellement une des
contrées de l’Europe où il y a le plus d’instruction, où les sciences
physiques sont le plus répandues, et les arts utiles cultivés avec
le plus de succès. La philosophie proprement dite, la science de
la politique, y ont fait moins de progrès; mais leur marche doit
nécessairement être plus lente dans de petites républiques que dans les
grandes monarchies. K.

[386] Voltaire écrivait en 1751. Depuis lors le sort de la Pologne a
subi bien des changements. Après deux partages, l’un en 1772, l’autre
en 1795, ce qu’on appelle aujourd’hui le royaume de Pologne est réuni à
la Russie, mai 1830. B.

[387] Voyez page 14. B.

[388] Comme dans la suite il sera souvent question de cette opération
sur les monnaies, et que M. de Voltaire n’en a discuté les effets dans
aucun de ses ouvrages, on nous pardonnera d’entrer ici dans quelques
détails.

La livre numéraire n’est qu’une dénomination arbitraire qu’on
emploie pour exprimer une certaine partie d’un marc d’argent. Cette
proposition, le marc d’argent vaut cinquante livres, est l’équivalent
de celle-ci: j’appelle livre la cinquantième partie du marc d’argent.
Ainsi, un édit qui prononcerait que le marc d’argent vaudrait cent
livres ne ferait autre chose que déclarer que, dans la suite, on
donnera dans les actes le nom de livre à la centième partie du marc
d’argent, au lieu de donner ce nom à la cinquantième. Cette opération
est donc absolument indifférente en elle-même; mais elle ne l’est pas
dans ses effets.

Il est d’un usage général d’exprimer en livres la valeur de tous
les engagements pécuniaires; si donc on change cette dénomination
de _livre_, et qu’au lieu d’exprimer la cinquantième partie d’un
marc d’argent, par exemple, elle n’en exprime que la centième, tout
débiteur, en payant le nombre de livres qu’il s’est engagé de payer, ne
donnera réellement que la moitié de ce qu’il devait.

Ainsi, ce changement, purement grammatical, devient l’équivalent du
retranchement de la moitié des dettes ou des obligations payables en
argent.

D’où il résulte pour un état qui ferait une opération semblable:

1º Une réduction de la dette publique à la moitié de sa valeur, ce qui
est faire une banqueroute à cinquante pour cent de perte.

2º Une diminution de moitié dans ce que l’état paie en gages, en
appointements, en pensions, ce qui fait une économie de moitié sur les
places inutiles ou jugées telles, et une diminution sur les places
utiles et trop payées: car on sent que, pour les places utiles, une
augmentation de gages devient une suite nécessaire de cette opération.

3º Une diminution aussi de moitié dans les impôts qui ont une
évaluation fixe en argent: on les augmente proportionnellement dans
la suite; mais cette augmentation se fait moins promptement que le
changement des monnaies. Souvent un gouvernement faible a profité
de cette circonstance pour faire, dans la forme des impôts, des
changements qu’il n’aurait osé tenter directement.

4º Une perte de moitié pour les particuliers créanciers d’autres
particuliers; injustice qu’on leur fait sans aucun avantage pour l’état.

5º Un mouvement dans les prix des denrées, qui dérange le commerce,
parceque les denrées ne peuvent pas doubler de prix sur-le-champ, ni
aussi promptement que l’argent.

Ainsi, cette opération est une manière de faire une banqueroute, et de
manquer à ses engagements, qui entraîne de plus avec elle une injustice
envers un très grand nombre de citoyens, même de ceux qui ne sont pas
créanciers de l’état, une secousse dans le commerce, et du désordre
dans la perception des impôts.

Mais si, dans quelque état de l’Europe, on établissait un système plus
raisonnable sur les monnaies que celui qui est adopté chez presque
toutes les nations, et qu’on fût obligé, pour donner à ce système
plus de perfection et de simplicité, de changer la valeur de la livre
numéraire, alors on éviterait les inconvénients dont nous venons de
parler, et on se mettrait à l’abri de toute injustice, en déclarant
que tout ce qui devait être payé en livres anciennes ne pourrait être
acquitté qu’en payant, non le même nombre de livres nouvelles, mais un
nombre de ces livres qui représenterait un égal poids d’argent.

Voici maintenant en quoi nous croyons que devraient consister les
changements dans les monnaies:

1º A rapporter toutes les évaluations en monnaies à un certain poids
d’un seul des deux métaux précieux, à l’argent, par exemple, et à ne
fixer aucun rapport entre la valeur de ce métal et celle de l’autre,
de l’or, par exemple. En effet, toute différence entre la proportion
fixée et celle du commerce est une source de profit pour quelques
particuliers, et de perte pour les autres.

2º A changer les dénominations et les monnaies, de manière que chaque
monnaie répondît à un nombre exact des divisions de la livre numéraire
et du marc d’argent, et que les divisions de la livre numéraire et
celles du marc d’argent eussent entre elles des rapports exprimés par
des nombres entiers et ronds. L’usage contraire a concentré entre un
petit nombre de personnes la connaissance de la valeur réelle des
monnaies; et dans tout ce qui a rapport au commerce, toute obscurité,
toute complication est un avantage accordé au petit nombre sur le plus
grand. On pourrait joindre à l’empreinte, sur chaque monnaie, un nombre
qui exprimerait son poids, et sur celles d’argent (_voyez_ nº 1), sa
valeur numéraire.

3º A faire les monnaies d’un métal pur: 1º parceque c’est un moyen de
faciliter la connaissance du rapport de leur valeur avec celui des
monnaies étrangères, et de procurer à sa monnaie la préférence dans
le commerce sur toutes les autres; 2º parceque c’est le seul moyen de
parvenir à l’uniformité du titre des monnaies entre les différentes
nations, uniformité qui serait d’un grand avantage. L’uniformité,
dans un seul état, s’établit par la loi; elle ne peut s’établir entre
plusieurs que lorsque la loi ne s’appuie que sur la nature, et ne fixe
rien d’arbitraire.

4º A ne prendre de profit sur les monnaies que ce qui est nécessaire
pour faire la dépense de leur fabrique. Cette fabrique a deux parties;
les opérations nécessaires pour préparer le métal à un titre donné, et
celles qui réduisent le métal en pièces de monnaie. Ainsi on rendrait,
pour cent marcs d’argent en lingots, cent marcs d’argent monnayé, moins
le prix de l’essai et celui de leur conversion en monnaie. On rendrait
pour cent marcs d’argent allié à un centième quatre-vingt-dix-neuf
marcs d’argent monnayé, moins les frais nécessaires pour l’affiner et
le réduire ensuite en monnaie.

Ces moyens très simples auraient l’avantage de rendre si clair tout ce
qui regarde le commerce des matières d’or et d’argent, et la monnaie,
que les mauvaises lois sur ce commerce, et les opérations pernicieuses
sur les monnaies, deviendraient absolument impossibles. K.

[389] Les lettres-patentes sont du 10 février 1638; ce fut le 15 août,
jour de la procession, qu’eut lieu la bataille entre le parlement et la
cour des comptes: voyez tome XXII, page 252. B.

[390] Il s’appelait Morin: voyez, tome XX, le chapitre
XXVI. B.

[391] Voyez, tome L, le paragraphe IX du _Prix de la
justice et de l’humanité_. B.

[392] «Et que le conseiller Courtin, interrogeant cette femme
infortunée, lui demanda de quel sortilége elle s’était servie pour
gouverner l’esprit de Marie de Médicis, que la maréchale lui répondit:
«Je me suis servie du pouvoir qu’ont les âmes fortes sur les esprits
faibles;» et qu’enfin cette réponse ne servit qu’à précipiter l’arrêt
de sa mort.»

«On voit encore,» etc. Variante de l’_Essai sur le Siècle de Louis
XIV_, dont j’ai parlé dans ma _Préface_. B.

[393] «Accusés tous deux de sortiléges. Dans cette disette d’arts, de
police, de raison, de tout ce qui fait fleurir un empire, il s’élevait
de temps en temps des hommes de talent, et le gouvernement se signalait
par des efforts qui rendaient la France redoutable. Mais ces hommes
rares et ces efforts passagers, sous Charles VIII, sous François Iᵉʳ,
à la fin du règne de Henri-le-Grand, servaient à faire remarquer
davantage la faiblesse générale.»

«Ce défaut de lumières,» etc. Variante de l’_Essai sur le Siècle de
Louis XIV_. B.

[394] Riencourt, dans son _Histoire de Louis XIV_, dit que le testament
de Louis XIII fut vérifié au parlement. Ce qui trompa cet écrivain,
c’est qu’en effet Louis XIII avait déclaré la reine régente, ce qui fut
confirmé: mais il avait limité son autorité, ce qui fut cassé.

[395] Le cardinal pouvait avoir en secret le motif que lui prête M.
de Voltaire; mais cette guerre avait un objet très important, celui
d’empêcher la maison d’Autriche de s’emparer de l’Allemagne et de
l’Italie. K.

[396] Torstenson était page de Gustave-Adolphe, en 1624. Le roi, prêt
d’attaquer un corps de Lithuaniens, en Livonie, et n’ayant point
d’adjudant auprès de lui, envoya Torstenson porter ses ordres à un
officier général, pour profiter d’un mouvement qu’il vit faire aux
ennemis; Torstenson part et revient. Cependant les ennemis avaient
changé leur marche; le roi était désespéré de l’ordre qu’il avait
donné: «Sire, dit Torstenson, daignez me pardonner; voyant les ennemis
faire un mouvement contraire, j’ai donné un ordre contraire.» Le roi ne
dit mot; mais le soir, ce page servant à table, il le fit souper à côté
de lui, et lui donna une enseigne aux gardes, quinze jours après une
compagnie, ensuite un régiment. Torstenson fut un des grands capitaines
de l’Europe.

[397] Dans les _Annales de l’empire_, voyez tome XXIII, page 618,
Voltaire dit que les combats eurent lieu du 5 au 9. B.

[398] Son père était mort en 1646.

[399] La prise de Courtrai est de juin 1646; la prise de Mardick est de
août 1646. B.

[400] Les Mémoires manuscrits du duc de La Rochefoucauld confirment le
même fait. Il était un des confidents de la reine dans les derniers
temps de la vie de Louis XIII. K.--Voyez les _Mémoires du duc de La
Rochefoucauld, première partie, jusqu’à ce jour inédite_. Paris,
Renouard, 1817, in-18. B.

[401] Cette évaluation a été faite avant la guerre de 1755. K.

[402] Voyez ci-dessus, page 36; et, tome XXII, pages 255 et 264. B.

[403] Ce fut le 7 juillet 1647 que Masaniello se mit à la tête des
révoltés napolitains. B.

[404] Voyez tome XXII, page 225. B.

[405] Voyez id., page 262. B.

[406] Voyez tome XVI, page 404; et tome XXII, page 38. B.

[407] Voyez _Histoire du parlement_, chap. XXX.

[408] Voyez tome XXII, page 268. B.

[409] Voyez tome XVIII, pages 221, 245. B.

[410] Voyez tome XXII, page 269. B.

[411] Voyez tome XXII, page 271. B.

[412] Sur cette date, voyez ma note, tome XVIII, page 315. B.

[413] Ces vers sont tirés d’une tragédie de Du Ryer; le duc de La
Rochefoucauld les écrivit au-dessous d’un portrait de madame de
Longueville: s’étant aperçu qu’elle le trompait, il en parodia les deux
derniers hémistiches:

    Pour mériter son cœur, qu’enfin je connais mieux,
    J’ai fait la guerre aux rois; j’en ai perdu les yeux. K.

Voltaire, dans son _Supplément au Siècle de Louis XIV_, première partie
(voyez tome XX), dit lui-même que les vers qu’il a mis dans la bouche
de La Rochefoucauld sont tirés de l’_Alcyonée_ de Du Ryer. B.

[414] Le prince de Condé fut d’abord conduit à Vincennes, avec une
escorte commandée par le comte de Miossens. L’abbé de Choisi rapporte
dans ses Mémoires que, la voiture du prince ayant cassé, Condé dit à
Miossens: «Voilà une belle occasion pour un cadet de Gascogne;» mais
que Miossens fut fidèle à la reine. Cette anecdote ne peut être vraie;
Miossens était d’Albret, du même nom que la mère de Henri IV, et ce
n’était pas du prince de Condé qu’il pouvait attendre sa fortune.
C’est le même que le maréchal d’Albret, qui fut depuis un des premiers
protecteurs de madame de Maintenon.

Le comte d’Harcourt, de la maison de Lorraine, conduisit ensuite Condé
au Havre; le prince, étant avec lui dans la même voiture, lui fit cette
chanson:

            Cet homme gros et court
            Si fameux dans l’histoire,
            Ce grand comte d’Harcourt
            Tout rayonnant de gloire,
    Qui secourut Casal, et qui reprit Turin,
    Est devenu recors de Jules Mazarin. K.


[415] Voyez page 296. B.

[416] Voyez page 297; et tome XXII, page 270. B.

[417] Voyez tome XXII, pages 255-256. B.

[418] Des hommes très instruits des anecdotes de ce temps prétendent
que le prince de Condé n’avait insulté Rieux que de paroles ou de
gestes: celui-ci donna le premier coup, que les amis du prince lui
rendirent avec usure. Les deux avocats-généraux du parlement, Omer
Talon et Jérôme Bignon, furent consultés: Talon voulait poursuivre
le comte de Rieux; Bignon, plus sage, s’y opposa, et fit revenir son
collègue à son avis. K.

[419] C’est le père du maréchal de Villars, à qui Louis XIV, dans ses
malheurs, a dû la victoire et la paix. K.

[420] Ce fut pendant cet exil que le cardinal écrivait au roi: «Il
ne me reste pas un asile dans un royaume dont j’ai reculé toutes les
frontières.» K.

[421] Voyez page 295. B.

[422] Voyez tome XXII, page 274. B.

[423] _Mémoires de Gourville._

[424] Dunkerque fut perdue en septembre 1652; Barcelone et Casal en
octobre. B.

[425] Voyez page 245. B.

[426] Voyez tome XXIII, pages 592 et 599. B.

[427] Datée de Vincennes, du 11 septembre 1654.

[428] Voyez tome XXVIII, page 266. B.

[429] Mai 1657. B.

[430] Nommée Calderona. B.

[431] Sous les noms de Charles II et Jacques II. B.

[432] On a long-temps cru que Cromwell était né en 1603; mais il naquit
à Huntingdon, le 25 avril 1599, et avait cinquante-neuf ans révolus
quand il mourut. B.

[433] Dans l’_Essai sur les mœurs_ (tome XVIII, page 327), chap.
CLXXXI.

[434] Voyez tome XXVIII, page 269. B.

[435] Voyez tome XXXIX, page 424; et ma note, tome XXIII, page 598. B.

[436] Un nommé La Beaumelle, qui falsifia le _Siècle de Louis XIV_,
et qui le fit imprimer à Francfort avec des notes aussi scandaleuses
que fausses, dit à ce sujet que Christine était en droit de faire
assassiner Monaldeschi, parcequ’elle ne voyageait pas incognito; et
il ajoute que Pierre-le-Grand, entrant dans un café à Londres, tout
écumant de colère, parceque, disait-il, un de ses généraux lui avait
menti, s’écria qu’il avait été tenté de le fendre en deux d’un coup
de sabre; qu’alors un marchand anglais avait dit au czar qu’on aurait
condamné sa majesté à être pendue.

On est obligé de relever ici l’insolence absurde d’un pareil conte.
Peut-on imaginer que le czar Pierre aille dire, dans un café, qu’un
de ses généraux lui a menti? fend-on aujourd’hui un homme en deux
d’un coup de sabre? un empereur va-t-il se plaindre à un marchand
anglais de ce qu’un général lui a menti? en quelle langue parlait-il
à ce marchand, lui qui ne savait pas l’anglais? comment ce feseur de
notes peut-il dire que Christine, après son abdication, était en droit
de faire assassiner un Italien à Fontainebleau, et ajouter, pour le
prouver, qu’on aurait pendu Pierre-le-Grand à Londres? On sera forcé
de remarquer quelquefois les absurdités de ce même éditeur. En fait
d’histoire, il ne faut pas dédaigner de répondre; il n’y a que trop de
lecteurs qui se laissent séduire par les mensonges d’un écrivain sans
pudeur, sans retenue, sans science, et sans raison. K.

[437] Balthasar Charles, fils de Philippe IV et d’Isabelle, fille de
Henri IV, né le 17 octobre 1629, est mort le 9 octobre 1646. B.

[438] La renonciation d’Anne d’Autriche avait été présentée aux états
de Castille et d’Aragon, et acceptée par eux. Celle de Marie-Thérèse
ne leur fut pas présentée; et c’est une des principales raisons sur
lesquelles les casuistes et les jurisconsultes, auxquels Charles
II s’adressa, se fondèrent pour décider que les descendants de
Marie-Thérèse étaient les héritiers légitimes de la couronne d’Espagne.
K.

[439] Les compagnies de mousquetaires de la maison du roi ont été
supprimées par Saint-Germain, ministre de la guerre, de 1775 à 1777.
Elles ont eu quelques mois d’existence en 1814 et 1815. B.

[440] Cet alinéa fut ajouté dans l’édition de 1752. B.

[441] C’est que Mazarin avait des talents pour la politique extérieure,
et qu’il n’avait ni talents ni lumières pour l’administration; c’est
qu’un ministre ne peut guère avoir, dans les négociations, d’autres
intérêts que ceux du peuple qu’il gouverne; au lieu que, dans le
gouvernement intérieur, il peut en avoir de tout opposés; c’est enfin
que l’art de négocier ne suppose que certaines qualités de l’esprit
et du caractère, communes à tous les pays et à tous les siècles, au
lieu que la science de l’administration suppose des principes qui
n’existaient pas encore dans le siècle de Mazarin. K.

[442] Chapitres XXV à XXX. B.

[443] Voltaire reparle de cet événement dans son opuscule intitulé:
_Les Droits des hommes_: voyez tome XLIV. B.

[444] Voyez ma note, tome XVI, page 35. B.

[445] Jean de Coligni, né à Saligny, le 17 décembre 1617, mort le
16 avril 1686, laissant un fils, Alexandre-Gaspard, qui mourut eu
1694, sans postérité. Jean avait écrit sur les marges d’un missel
ses _Mémoires_ ou notes, qui ont été imprimées dans le chapitre
VIII des _Contes historiques, par V. D. Musset-Pathay_,
Paris, 1826, in-8º. Le prince de Condé, dont il avait été aide-de-camp,
y est bien maltraité. B.

[446] En 1666, le 13 septembre. L’incendie dura quatre jours, et
consuma treize mille maisons; Voltaire en a parlé tome XVIII, page 334.
B.

[447] Tome Iᵉʳ, page 16, édition supposée de La Haye.

[448] Louis de Crévant, marquis puis duc d’Humières, nommé maréchal
en 1668, n’assiégea jamais Arras, qui appartenait aux Français depuis
1640; mais, en 1676, il assiégea Aire, dont il se rendit maître le 31
juillet. B.

[449] Ces plans ont été depuis transportés aux Invalides. K.

[450] Sur l’origine du nom de Franche-Comté, voyez tome XXIII, page
191. B.

[451] Jean de Witt avait été, en Hollande, un des premiers et un des
meilleurs disciples de Descartes. On a de lui un _Traité des courbes_,
ouvrage de sa première jeunesse, rempli de choses ingénieuses et
nouvelles, qui annonçaient un véritable géomètre. Il paraît être le
premier qui ait imaginé de calculer la probabilité de la vie humaine,
et d’employer ce calcul pour déterminer quel denier des rentes viagères
répond à un intérêt donné en rentes perpétuelles. K.

[452] Chapitres XXXII et XXXIII. B.

[453] Arthur ou Artus, prince de Galles, fils de Henri VII, roi
d’Angleterre, épousa, en 1501, Catherine d’Aragon, et mourut six mois
après son mariage, sans l’avoir, dit-on, consommé. Henri VII, pour
ne pas rendre la dot, obtint du pape Jules II, le 26 décembre 1503,
dispense pour faire épouser à Catherine le nouveau prince de Galles,
son beau-frère, Henri, depuis roi sous le nom de Henri VIII. Ce fut
sous Clément VII que Henri VIII prétendit que les dispenses de Jules
II étaient nulles, etc., et, par suite, se sépara de l’Église romaine:
voyez tome XVII, page 286, B.

[454] Il avait épousé Maria de Gonzague, veuve de son frère, avec
toutes les dispenses dont pouvait avoir besoin un jésuite cardinal,
pour se marier avec sa belle-sœur; et on a prétendu qu’en France il
épousa secrètement Marie Mignot, fille d’une blanchisseuse, mais déjà
veuve d’un conseiller au parlement de Grenoble, et du second maréchal
de L’Hospital. Cette anecdote n’est rien moins que certaine. K.

[455] 25 juin 1669. B.

[456] Voyez les _Anecdotes du Siècle de Louis XIV_, chap.
XXVI. K.

[457] On trouve des anecdotes curieuses sur toutes ces négociations,
dans les pièces justificatives des _Mémoires de la Grande-Bretagne
et de l’Irlande_, par le chevalier Dalrymple. On y voit comment
l’argent de Louis XIV gouverna l’Angleterre depuis 1669 jusqu’en 1677;
comment il servait à déterminer Charles II à se convertir, et puis à
l’engager à différer sa conversion, et qu’il était le contre-poids
des autres intérêts qui conduisaient ce roi et ses ministres. Ces
détails de corruption sont honteux, mais il est utile que les peuples
les connaissent, et que les princes apprennent que ces mystères de la
politique sont toujours révélés. Au reste, ces _Mémoires_ prouvent qu’à
cette époque Louis XIV avait beaucoup plus de politique que de zèle
pour la religion. Après avoir acheté la nation anglaise de Charles II,
Louis XIV, peu satisfait de lui, se lia avec les mécontents, et leur
fournit également de l’argent contre Charles et contre ce même Jacques,
qu’il protégea depuis avec tant d’opiniâtreté. Dalrymple a imprimé la
liste de ces pensionnaires du roi de France, avec les sommes données
à chacun. On y trouve le nom d’Algernon Sydney, avec une somme qui
n’aurait pas suffi pour séduire son secrétaire. Il est vraisemblable,
ou que Barillon trompait Louis XIV avec ces listes, comme d’autres gens
le trompèrent depuis avec des listes de conversions; ou (ce qui est
plus probable encore) que quelque intrigant subalterne trompa Barillon,
et garda pour lui-même l’argent qu’il prétendait avoir fait accepter à
Sydney. K.

[458] Corwei, en latin _Corbeia nova_, pour la distinguer de _Corbeia
vetus_, Corbie, en Picardie. CL.

[459] Voyez chapitre VII, page 360. B.

[460] Il est vrai que depuis on a frappé en Hollande une médaille
qu’on a crue être celle de Van-Beuning; mais elle ne porte point de
date. Elle représente un combat avec un soleil qui culmine sur la tête
des combattants. La légende est: _stetit sol in medio cœli_. Cette
médaille, que des particuliers ont fabriquée, n’a été faite que pour
la bataille d’Hochstedt, en 1709, à l’occasion de ces deux vers qui
coururent alors:

    «Alter in egregio nuper certamine Josue
      Clamavit: Sta, sol gallico! solque stetit.»

Or, Van-Beuning ne s’appelait point Josué, mais Conrad.

[461] L’éditeur des _Œuvres de Voltaire_, en douze volumes in-8º,
propose de mettre _fesait la même chose_. Je crois la correction très
bonne; mais je ne la trouve dans aucune édition. B.

[462] Voyez page 175. B.

[463] On prononce Ossembrouck; l’_œ_ fait _ou_ chez les Hollandais.

[464] Peu de temps après un de ces archevêques titulaires d’Utrecht,
se trouvant par hasard ce qu’on appelait janséniste, se retira dans
son diocèse où les jansénistes sont tolérés comme toutes les autres
communions chrétiennes. Il se fit élire un successeur par le clergé et
le peuple de son Église, suivant l’usage des premiers siècles; ensuite
il le sacra. Au moyen de cette précaution, il s’est établi en Hollande
une succession d’évêques jansénistes, qui ne sont, à la vérité,
reconnus que dans leur Église. K.

[465] Il fut stathouder le premier juillet. Comment La Beaumelle, dans
son édition subreptice du _Siècle de Louis XIV_, a-t-il pu dire dans
ses notes qu’il ne fut déclaré que capitaine et amiral?

[466] La Beaumelle, dans ses notes, dit: «C’est un être de raison que
cette politesse.» Comment cet écrivain ose-t-il démentir ainsi l’Europe?

[467] On avait d’abord tenté d’assassiner le grand pensionnaire dans
La Haye; mais il échappa et eut le crédit de faire punir l’assassin.
On n’osa condamner son frère à la mort, parceque ses tourments
n’avaient pu lui arracher l’aveu d’aucun des crimes qu’on lui avait
imputés; on se contenta de le bannir. Ce fut dans le moment où le grand
pensionnaire allait délivrer son frère de la prison après ce jugement,
que tous deux furent massacrés. Cette mort a répandu sur le nom de
Guillaume III un opprobre ineffaçable. K.

[468] Voyez page 380. B.

[469] La Beaumelle dit qu’il fut condamné à une prison perpétuelle.
Comment cela pourrait-il être, puisque, l’année suivante, il fut tué au
siége de Grave?

[470] Cet usage, qui n’a point été réformé, est ancien, et n’a pu
avoir pour origine qu’un enthousiasme exagéré de valeur, et une grande
indifférence pour le sort des malheureux bourgeois qu’il dévouait à
toutes les horreurs du pillage. Mais depuis que l’art des siéges s’est
perfectionné, et qu’on a la précaution de détruire toutes les défenses
d’une place avant d’y donner l’assaut, cette condition imposée aux
gouverneurs n’est plus regardée que comme une chose de forme; et, de
nos jours, un officier qui, prenant une ville d’assaut, la livrerait
au pillage, serait aussi déshonoré qu’il l’aurait été dans le siècle
dernier pour avoir refusé de servir de second dans un duel. K.

[471] Pendant le cours de cette édition, M. Colini, secrétaire intime
et historiographe de l’électeur palatin aujourd’hui régnant, a révoqué
en doute l’histoire du cartel par des raisons très spécieuses, énoncées
avec beaucoup d’esprit et de sagacité. Il montre très judicieusement
que l’électeur Charles-Louis ne put écrire les lettres que Courtilz de
Sandras et Ramsay ont imputées à ce prince. Plus d’un historien, en
effet, attribue souvent à ses héros des écrits et des harangues de son
imagination.

On n’a jamais vu la véritable lettre de l’électeur Charles-Louis,
ni la réponse du maréchal de Turenne. Il a seulement toujours passé
pour constant que l’électeur, justement outré des ravages et des
incendies que Turenne commettait dans son pays, lui proposa un duel
par un trompette, nommé Petit-Jean. J’ai vu la maison de Bouillon
persuadée de cette anecdote. Le grand-prieur de Vendôme et le maréchal
de Villars n’en doutaient pas. Les _Mémoires_ du marquis de Beauvan,
contemporain, l’affirment. Cependant il se peut que le duel n’ait
pas été expressément proposé dans la lettre amère que l’électeur dit
lui-même avoir écrite au prince maréchal de Turenne. Plût à Dieu qu’il
fût douteux que le Palatinat ait été embrasé deux fois? Voilà ce qui
n’est que trop constant, ce qui est essentiel, et ce qu’on reproche à
la mémoire de Louis XIV.

M. Colini reproche à M. le président Hénault d’avoir dit, dans son
_Abrégé chronologique_, que le prince de Turenne répondit à ce cartel
_avec une modération qui fit honte à l’électeur de cette bravade_. La
honte était dans l’incendie, lorsqu’on n’était pas encore en guerre
ouverte avec le Palatinat, et ce n’était point une bravade dans un
prince justement irrité, de vouloir se battre contre l’auteur de ces
cruels excès. L’électeur était très vif; l’esprit de chevalerie n’était
pas encore éteint. On voit dans les _Lettres_ de Pellisson que Louis
XIV lui-même demanda s’il pouvait en conscience se battre contre
l’empereur Léopold.--Cette note fut ajoutée par Voltaire dans l’édition
de 1768. Cosme-Alexandre Colini, secrétaire de Voltaire, de 1752 à
1756, mort en 1806, avait publié, en 1767, une _Dissertation historique
et critique sur le prétendu cartel envoyé par Charles-Louis, électeur
palatin, au vicomte de Turenne_. B.

[472] Voyez tome XVI, page 385.

[473] Voyez, chapitre XXVI (tome XX); et tome XXVIII,
page 417. B.

[474] Né en 1611 (voyez page 30), il avait cinquante-sept ans lors de
sa conversion. B.

[475] Voyez, dans la _Correspondance_, la lettre au président Hénault,
du 8 janvier 1752. B.

[476] Reboulet dit que le marquis de Créqui eut la faiblesse de signer
la capitulation: rien n’est plus faux; il aima mieux se laisser prendre
à discrétion, et il eut ensuite le bonheur d’échapper. Qu’on lise tous
les mémoires du temps; que l’on consulte l’_Abrégé chronologique_ du
P. Hénault: «Bois-Jourdain, dit-il, fit la capitulation à l’insu du
maréchal, etc.»

[477] Voyez page 8. B.

[478] L’_Art de vérifier les dates_ dit que la ville de Gand fut prise
le 9 mars, et que la citadelle capitula le 12. B.

[479] Kintzing, rivière de Souabe, qui se jette dans le Rhin vis-à-vis
de Strasbourg. B.

[480] Près d’Augusta, le 22 avril. Ruyter mourut de ses blessures le 29
du même mois. CL.

[481] Duquesne fut mal récompensé parcequ’il était protestant. Louis
XIV le lui fit sentir un jour: «Sire, lui répondit Duquesne, quand
j’ai combattu pour votre majesté, je n’ai pas songé si elle était
d’une autre religion que moi.» Son fils, forcé de s’expatrier après
la révocation de l’édit de Nantes, se retira en Suisse, où il acheta
la terre d’Eaubonne. Il y porta le corps de son père, qu’il avait été
obligé de faire enterrer en secret.

On lit sur son tombeau:

«La Hollande a fait ériger un mausolée à Ruyter, et la France a refusé
un peu de cendre à son vainqueur.» K.

[482] Dans ses remarques sur _Horace_, tome XXXV, page 158, Voltaire
dit qu’on donna à Corneille le nom de _grand_, «non seulement pour le
distinguer de son frère, mais du reste des hommes.» B.

[483] Dans la compilation intitulée: _Mémoires de madame de Maintenon_,
on trouve, tome III, page 23, ces mots: «Les réunions des chambres
de Metz et de Besançon.» Nous avons cru d’abord qu’il y avait eu
une chambre de Besançon réunie à celle de Metz. Nous avons consulté
tous les auteurs, nous avons trouvé que jamais il n’y eut à Besançon
de chambre instituée pour juger quelles terres voisines pouvaient
appartenir à la France. Il n’y eut, en 1680, que le conseil de Brisach
et celui de Metz chargés de réunir à la France les terres qu’on croyait
démembrées de l’Alsace et des Trois-Évêchés. Ce fut le parlement de
Besançon qui réunit pour quelque temps Montbeillard à la France.

[484] On a prétendu que ce fut alors que le prince d’Orange, depuis
roi d’Angleterre, dit publiquement: «Je n’ai pu avoir son amitié, je
mériterai son estime.» Ce mot a été recueilli par plusieurs personnes,
et l’abbé de Choisi le place vers l’année 1672. Il peut mériter quelque
attention, parcequ’il annonçait de loin les ligues que forma Guillaume
contre Louis XIV; mais il n’est pas vrai que ce fût à la paix de
Nimègue que le prince d’Orange ait parlé ainsi; il est encore moins
vrai que Louis XIV eût écrit à ce prince: «Vous me demandez mon amitié,
je vous l’accorderai quand vous en serez digne.» On ne s’exprime ainsi
qu’avec son vassal: on ne se sert point d’expressions si insultantes
envers un prince avec qui on fait un traité. Cette lettre ne se trouve
que dans la compilation des _Mémoires de Maintenon_; et nous apprenons
que ces _Mémoires_ sont décriés par le grand nombre d’infidélités
qu’ils renferment.

[485] Cet appareil est plus effrayant que l’effet n’en est terrible.
Les bombes sont mal ajustées; les bâtiments qui les portent manœuvrent
mal, sont aisément désemparés, le feu y prend fréquemment, et les frais
de ces armements excèdent de beaucoup le dommage qu’ils peuvent causer.
On prétend que le dey d’Alger ayant su ce que l’expédition de Duquesne
avait coûté à Louis XIV: «Il n’avait qu’à m’en donner la moitié,
dit-il, j’aurais brûlé la ville tout entière.» K.

[486] Voyez les étranges particularités du siége de Vienne, dans
l’_Essai sur les mœurs_ (tome XVIII, p. 432); et dans les _Annales de
l’empire_ (tome XXIII, page 640).

[487] Léopold ne vit Sobieski qu’à cheval et en pleine campagne.
Il avait délibéré sur l’étiquette qu’il devait observer avec son
libérateur; et ayant assemblé son conseil, il demanda comment un
empereur devait recevoir un roi électif: «A bras ouverts, s’il a sauvé
l’empire,» répondit le duc de Lorraine. Il fut le seul de son avis. K.

[488] Dans l’_Essai sur les mœurs_ (tome XVII, page 508).

[489] Le bombardement de Gênes est du mois de mai. B.

[490] L’édition encadrée de 1775, et, d’après elle, les éditions de
Kehl, disent _quatorze mille_. Dans les éditions antérieures à 1775, on
lit _quatre mille_. B.

[491] 15 mai 1685. B.

[492] 28 septembre 1684. De nouveaux ambassadeurs de Siam arrivèrent à
Paris en juillet 1686. B.

[493] Le P. Dorléans a publié une _Histoire de M. Constance_, 1692,
in-12. Une autre _Histoire de M. Constance, par Deslandes_, a été
imprimée en 1756, petit in-8º. B.

[494] Il est singulier que des ministres osent porter leur mépris
pour leur maître jusqu’à lui faire dire que _c’est à lui de servir
d’exemple_; et cet exemple était celui de favoriser chez un de ses
voisins la contrebande, qu’il réprimait dans ses états par un code
barbare, et de protéger contre les lois les voleurs et les assassins. K.

[495] Joseph Clément: voyez, tome XXIII, page 24. B.

[496] Tome XX, chap. XXXVI, du calvinisme. B.

[497] On trouve, dans la compilation des _Mémoires de Maintenon_, au
tome III, chapitre IV, intitulé: _Du roi et de la reine
d’Angleterre_, un tissu étrange de faussetés. Il y est dit que les
jurisconsultes proposèrent cette question: «Un peuple a-t-il le droit
de se révolter contre l’autorité qui veut le forcer à croire?» Ce fut
précisément le contraire. On s’opposa en Angleterre à la tolérance du
roi pour la communion romaine. On agita cette question: «Si le roi
pouvait dispenser du serment du test ceux qu’il admettait aux emplois?»

Le même auteur dit que le pape Innocent XI donna au prince d’Orange
deux cent mille ducats pour aller détruire la religion catholique en
Angleterre.

Le même auteur, avec la même témérité, prétend qu’Innocent XI fit dire
des milliers de messes pour l’heureux succès du prince d’Orange. Il
est reconnu que ce pape favorisa la ligue d’Augsbourg; mais il ne fit
jamais de démarches si ridicules et si contraires aux bienséances de sa
dignité. L’envoyé d’Espagne à La Haye fit des prières publiques pour
l’heureux succès de la flotte hollandaise. M. d’Avaux le manda au roi.

Le même auteur fait entendre que le comte d’Avaux corrompait des
membres de l’état: il se trompe, c’est le comte d’Estrades. Il se
trompe encore sur le temps; c’était vingt-quatre ans auparavant. Voyez
la lettre de M. d’Estrades à M. de Lyonne, du 17 septembre 1665.

Le même auteur ose citer l’évêque Burnet, et lui fait dire, pour
exprimer un vice du prince d’Orange, que ce prince n’aimait que _les
portes de derrière_. Il n’y a pas un mot dans toute l’histoire de
Burnet qui ait le moindre rapport à cette expression si basse et si
indigne de l’histoire. Et si quelque feseur d’anecdotes avait jamais
prétendu que l’évêque Burnet eût laissé échapper dans la conversation
un mot aussi indécent, ce témoignage obscur ne pourrait prévaloir
contre une histoire authentique.

[498] L’auteur des _Mémoires de Maintenon_ avance que le prince
d’Orange, voyant que les États-Généraux refusaient des fonds, entra
dans l’assemblée, et dit ces mots: «Messieurs, il y aura guerre au
printemps prochain, et je demande qu’on enregistre cette prédiction.»
Il cite le comte d’Avaux.

Il dit que ce ministre pénétrait toutes les mesures du prince d’Orange.
Il est difficile d’entasser plus mal plus de faussetés. Les neuf mille
matelots étaient prêts dès l’an 1687. Le comte d’Avaux ne dit pas un
mot du prétendu discours du prince d’Orange. Il ne soupçonna le dessein
de ce prince que le 20 mai 1688. Voyez sa lettre au roi, du 20 mai.

[499] On peut consulter sur ces détails les _Mémoires du chevalier
Dalrymple_ déjà cités. Nous n’en rapporterons ici qu’une anecdote.
Jacques, qui, sous le règne de son frère, l’avait empêché de faire
grace au lord Russel, appela auprès de lui le vieux comte de Bedford,
père de Russel, et le conjura d’employer en sa faveur son crédit sur
les pairs. «Sire, j’avais un fils, répondit le comte, il aurait pu vous
servir.» K.

[500] Voyez les _Lettres de madame de Sévigné_, et les _Mémoires de
madame de La Fayette_, etc.

[501] On attribue le même propos à Charles II. «Mon frère, disait-il,
perdra trois royaumes pour une messe, et le paradis pour une fille.» On
fit cette chanson, attribuée à Fontenelle:

    Quand je veux rimer à Guillaume,
    Je trouve aisément un royaume
    Qu’il a su mettre sous ses lois;
    Mais quand je veux rimer à Jacques,
    J’ai beau rêver, mordre mes doigts,
    Je trouve qu’il a fait ses pâques. K.


[502] Sur les écrouelles, voyez tome XVI, page 41; tome XXVIII, page
528; et, dans la _Correspondance_, la lettre de Frédéric II, du 27
juillet 1775. B.

[503] Le _Mercure_ de 1753, juin, premier volume, contient, page 140,
une _Lettre à M. de Voltaire, sur son Histoire de Louis XIV, par M***_.
L’auteur de cette _Lettre_, qui, dans la guerre d’Irlande, combattit
contre Guillaume, après quelques détails sur différents combats,
demande à Voltaire comment il a «pu dire que les Irlandais s’étaient
toujours mal battus chez eux.» B.

[504] On lisait dans les premières éditions, «la supériorité que les
blancs ont sur les nègres.» M. de Voltaire effaça cette expression
injurieuse. L’état presque sauvage où était l’Irlande lorsqu’elle fut
conquise, la superstition, l’oppression exercée par les Anglais, le
fanatisme religieux qui divise les Irlandais en deux nations ennemies;
telles sont les causes qui ont retenu ce peuple dans l’abaissement
et dans la faiblesse. Les haines religieuses se sont assoupies, et
il a repris sa liberté. Les Irlandais ne le cèdent plus aux Anglais,
ni en industrie, ni en lumières, ni en courage. K.--L’édition de
Berlin, 1751, deux volumes petit in-12, est la seule dans laquelle on
lise: «Les Anglais ont toujours eu sur les Irlandais cette espèce de
supériorité que les hommes blancs ont sur les nègres.» Les éditions de
1752 ont le texte actuel. B.

[505] Les nouveaux _Mémoires de Berwick_ disent le contraire; mais
plusieurs historiens, et entre autres le chevalier Dalrymple, sont
d’accord avec M. de Voltaire. Schomberg, qui avait quitté le service
de France à cause de sa religion, combattit les troupes françaises
à la tête des réfugiés français. Blessé mortellement, il criait aux
troupes qui passaient devant lui: «A la gloire, mes amis! à la gloire!»
Ces troupes ayant été mises en désordre, Callemotte, qui remplaçait
Schomberg, les rallia, et leur montrant les régiments français:
«Messieurs, voilà vos persécuteurs.» Ainsi les dragonnades furent une
des principales causes de la perte de la bataille de la Boyne, et de
l’oppression des catholiques dans les trois royaumes. K.

[506] On nie ce fait dans les _Mémoires de Berwick_, et Dalrymple n’en
parle point. On peut voir, dans ce dernier historien, les détails de
la conduite de Guillaume, qui fut politique et dur, beaucoup plus que
généreux. K.

[507] La bataille de La Hogue est du 29 mai. B.

[508] Tourville avait ordre de combattre, et ce fut lui qui attaqua
la flotte anglaise. Seignelai lui avait reproché de n’avoir pas osé,
l’année précédente, aller brûler les vaisseaux anglais dans leurs
ports, après la défaite de leur flotte. Tourville parut regarder ce
reproche comme un soupçon sur sa bravoure. «Vous ne m’avez pas entendu,
répliqua le ministre; il y a des hommes qui sont braves de cœur et
poltrons de tête.»

Russel, qui commandait la flotte anglaise, avait une correspondance
secrète avec Jacques. Lui, Marlborough, plusieurs chefs du parti
populaire, avaient formé le projet de rétablir Jacques, en lui imposant
des conditions encore plus dures que celles qu’ils avaient forcé le
prince d’Orange d’accepter. Russel avait écrit à Jacques de remettre
la descente à l’hiver, et surtout d’éviter que la flotte française
n’attaquât la sienne; qu’il le connaissait incapable de sacrifier à
aucun intérêt l’honneur du pavillon britannique. Jacques avait encore
d’autres intelligences dans la flotte.

On a prétendu que Russel, voyant qu’on le forçait à combattre,
déconcerta ces intelligences en changeant les capitaines suspects la
veille de l’action. Dalrymple rapporte, au contraire, qu’on en donna le
conseil au prince d’Orange, mais qu’il prit le parti de faire écrire
par la reine à Russel qu’on avait cherché à lui donner des soupçons
sur la fidélité de plusieurs officiers, et proposé de les changer,
mais qu’elle ne ferait aucun changement, regardant ces imputations
comme l’ouvrage de ses ennemis et des leurs. Russel lut publiquement la
lettre, et tous jurèrent de mourir pour leur reine et pour leur patrie.

On a dit que Jacques, placé sur le rivage, voyant combattre les mêmes
vaisseaux avec lesquels il avait gagné des batailles, ne pouvait
s’empêcher de s’intéresser à eux contre lui-même. Cependant il avait
demandé à combattre sur la flotte française. K.

[509] On a nié ce fait dans les _Mémoires de Berwick_. Nous observerons
que M. de Voltaire a été lié intimement avec les personnes qui
connaissaient le mieux les petits détails de la cour de Saint-Germain.
K.

[510] En 1701, ainsi qu’on le lit page 13. B.

[511] On a poussé le ridicule jusqu’à dire que ses reliques avaient
guéri un évêque d’Autun de la fistule.

[512] Voyez, tome XXI, les chapitres XXIV et
XXV du _Précis du Siècle de Louis XV_. B.

[513] Le 29 octobre. B.

[514] _Mémoires du maréchal de Luxembourg._

[515] Voyez les _Anecdotes_ à l’article de la _Chambre ardente_, chap.
XXVI. Il est aujourd’hui généralement regardé par les
militaires comme le premier homme de guerre qui ait connu l’art de
faire manœuvrer et combattre de grandes armées.

[516] On voit, par les _Lettres de madame de Maintenon_, qu’elle
n’aimait pas le maréchal de Catinat. Elle n’espère rien de lui; elle
appelle sa modestie _orgueil_. Il paraît que le peu de connaissance
qu’avait cette dame des affaires et des hommes, et les mauvais choix
qu’elle fit, contribuèrent depuis aux malheurs de la France.

[517] Plus d’un siècle après, une autre victoire a été remportée par
les Français, le 26 juin 1794, sous le commandement du général Jourdan.
B.

[518] Né le 2 août 1674, le duc de Chartres avait, le jour de la
bataille, dix-huit ans révolus. B.

[519] Racine, dans sa lettre à Boileau, du 6 août 1693, rapporte ces
paroles un peu différemment, et les met dans la bouche du comte de
Solms. B.

[520] Voyez, tome XX, une note de Voltaire sur le chap. xxvii. B.

[521] Voyez tome XXXIX, page 19-20. B.

[522] Voyez chapitre xiv, page 445. B.

[523] Voyez l’_Ode_ de Boileau, et le _Fragment historique_ de
Racine. L’expérience, dit Racine, avait fait connaître au prince
d’Orange combien il était inutile de s’opposer à un dessein que le roi
conduisait lui-même.

[524] Voyez chapitre XVIII, année 1703. B.

[525] Ces _Mémoires de Torci_ ont été imprimés depuis, et confirment
combien l’auteur du _Siècle de Louis XIV_ était instruit de tout ce
qu’il avance.--Les _Mémoires de Torci_ ont été, comme on l’a vu, page
83, publiés en 1756. La note de Voltaire est de 1761; son texte est de
1752. B.

[526] _Paix précipitée par le seul motif de soulager le royaume.
Mémoires de Torci_, tome Iᵉʳ, page 50, première édition.

[527] Giannone, si célèbre par son utile _Histoire de Naples_, dit
que ces tribunaux étaient établis à Tournai. Il se trompe souvent
sur toutes les affaires qui ne sont pas celles de son pays. Il dit,
par exemple, qu’à Nimègue, Louis XIV fit la paix avec la Suède. Au
contraire, la Suède était son alliée.

[528] François 1ᵉʳ, époux de Marie-Thérèse: voyez, tome XXI, le chap.
XVII du _Précis du Siècle de Louis XV_. B.

[529] Il avait dix-huit ans, comme Voltaire le dit tome XXIV, page 64,
dans son _Histoire de Charles XII_. B.

[530] Voltaire l’appelle _Maximilien-Marie_, tome XXIII, pages 28-29;
et _Marie-Emmanuel_, tome XXIII, page 644. L’_Art de vérifier les
dates_ dit _Maximilien-Emmanuel_. B.

[531] Voyez les _Mémoires de Torci_, tome Iᵉʳ, page 52.

[532] L’auteur du _Siècle de Louis XIV_ avait écrit la plupart de ces
particularités, alors aussi nouvelles qu’intéressantes, long-temps
avant que les _Mémoires_ du marquis de Torci parussent; et ces
_Mémoires_ ont enfin confirmé tous les faits rapportés dans cette
histoire.--Voyez ma note, page 504. B.

[533] Joseph-Ferdinand Léopold, destiné à la couronne d’Espagne, était
né le 27 octobre 1692. B.

[534] Les bruits odieux répandus sur la mort du prince électoral de
Bavière ne sont plus répétés aujourd’hui que par de vils écrivains
sans aveu, sans pudeur, et sans connaissance du monde, qui travaillent
pour des libraires, et qui se donnent pour des politiques. On trouve
dans les prétendus _Mémoires de madame de Maintenon_, tome V, page 6,
ces paroles: «La cour de Vienne, de tout temps infectée des maximes de
Machiavel, et soupçonnée de réparer par ses empoisonneurs les fautes
de ses ministres.» Il semble, par cette phrase, que la cour de Vienne
eût de tout temps des empoisonneurs en titre d’office, comme on a des
huissiers et des drabans. C’est un devoir de relever des expressions si
indécentes, et de combattre des idées si calomnieuses.

[535] Voltaire dit _Pernits_, dans le chap. XXVI.
Saint-Simon écrit _Berlips_; voyez pages 278, 445 du tome II de
l’édition de ses _Mémoires_ en vingt volumes in-8º. B.

[536] Reboulet suppose que cet ambassadeur fut reçu d’abord
magnifiquement. Il fait un grand éloge de sa livrée, de son beau
carrosse doré, et de l’accueil tout-à-fait gracieux de sa majesté. Mais
le marquis, dans ses dépêches, avoue qu’on ne lui fit nulle civilité,
et qu’il ne vit le roi qu’un moment dans une chambre très sombre,
éclairée de deux bougies, de peur qu’il ne s’aperçût que ce prince
était moribond. Enfin, les _Mémoires_ de Torci démontrent qu’il n’y a
pas un mot de vrai dans tout ce que Reboulet, Limiers, et les autres
historiens, ont dit de cette grande affaire.

[537] Il y avait toujours un parti français à la cour d’Espagne. Les
chefs de ce parti imaginèrent de faire accroire au roi qu’il était
ensorcelé, et l’on envoya consulter, en conséquence, le plus habile
sorcier qu’il y eût alors dans toute l’Espagne. Le sorcier répondit
comme on le desirait, mais il eut la maladresse de compromettre dans sa
réponse des personnes très considérables; ce qui fournit à la reine,
contre qui cette intrigue était dirigée, et qui n’osait s’en plaindre,
un prétexte pour perdre le sorcier et ses protecteurs. (_Mémoires de
Saint-Philippe_). K.

[538] Quelques mémoires disent que le cardinal Portocarrero arracha du
roi mourant la signature de ce testament; ils lui font tenir un long
discours pour y disposer ce monarque: mais on voit que tout était déjà
préparé et réglé dès le mois de juillet. Qui pourrait d’ailleurs savoir
ce que dit le cardinal Portocarrero au roi tête à tête?

[539] Voyez, dans le volume suivant, le chapitre (XXVII)
des _Anecdotes_.

[540] Voyez les _Mémoires_ de Torci, tome Iᵉʳ, page 12.

[541] A ne considérer que la justice, cette question était délicate.
Le traité de partage liait Louis XIV; mais il n’avait aucun droit de
priver son petit-fils d’une succession qui était indépendante de son
autorité. Il avait encore moins celui de donner à l’Espagne un autre
maître que celui qui était appelé au trône par la règle ordinaire des
successions, par le testament de Charles II et le consentement des
peuples. Le traité fait avec l’Angleterre paraît donc injuste; et
ce n’est pas de l’avoir violé, mais de l’avoir proposé, qu’on peut
faire un reproche à Louis XIV. Devait-il regarder comme absolument
nul cet engagement injuste, ou devait-il, en laissant la liberté à
son petit-fils d’accepter ou de refuser, se croire obligé à ne lui
point donner de secours contre les puissances avec lesquelles il avait
pris des engagements? La guerre qu’elles feraient au nouveau roi
d’Espagne n’était-elle point évidemment injuste? Et l’engagement de ne
pas défendre son petit-fils, injustement attaqué, aurait-il pu être
légitime? K.

[542] Malgré le mépris où sont en France les prétendus _Mémoires de
madame de Maintenon_, en est pourtant obligé d’avertir les étrangers
que tout ce qu’on y dit au sujet de ce testament est faux. L’auteur
prétend que lorsque l’ambassadeur d’Espagne vint apporter à Louis XIV
les dernières volontés de Charles II, le roi lui répondit: _Je verrai_.
Certainement le roi ne fit point une réponse si étrange, puisque, de
l’aveu du marquis de Torci, l’ambassadeur d’Espagne n’eut audience de
Louis XIV qu’après le conseil dans lequel le testament fut accepté.

Le ministre qu’on avait alors en Espagne s’appelait _Blécour_, et non
pas _Belcour_. Ce que le roi dit à l’ambassadeur Castel dos Rios, dans
les _Mémoires de Maintenon_, n’a jamais été dit que dans ce roman.

[543] Guillaume III, né, suivant les uns, le 14 octobre 1650, suivant
les autres, le 13 novembre, est mort le 16 mars 1702, avant d’avoir
atteint sa cinquante-deuxième année. Il était dans la cinquante et
unième au commencement de 1701. B.

[544] Du moins c’est ce que rapportent les _Mémoires_ manuscrits _du
marquis de Dangeau_. Ils sont quelquefois infidèles.

[545] Cet alinéa fut ajouté dans l’édition de 1752. Des changements et
additions furent aussi faits à ce qui précède et à ce qui suit. B.

[546] Il paraît, d’après les notes des _Mémoires de Berwick_, que Louis
XIV avait pris sa résolution avant la mort de Jacques, et qu’ainsi le
conseil, dont en a parlé ici, fut tenu avant la troisième visite de
Louis XIV à ce prince, celle où il déclara au malheureux Jacques qu’il
reconnaîtrait son fils pour roi d’Angleterre. K.

[547] Entre autres, milord Bolingbroke, dont les _Mémoires_ ont depuis
justifié ce que l’auteur du _Siècle_ avance. Voyez ses _Lettres_,
tome II, page 56. C’est ainsi que pense encore M. de Torci dans
ses _Mémoires_. Il dit, page 164 du tome Iᵉʳ, première édition:
«La résolution que prit le roi, de reconnaître le prince de Galles
en qualité de roi d’Angleterre, changea les dispositions qu’une
grande partie de la nation témoignait à conserver la paix, etc.» Le
lord Bolingbroke avoue, dans ses _Lettres_, que Louis XIV reconnut
le prétendant _par des importunités de femmes_. On voit, par ces
témoignages, avec quelle exactitude l’auteur du _Siècle de Louis XIV_ a
cherché la vérité, et avec quelle candeur il l’a dite.

[548] Voyez page 476. B.

[549] Voyez, ci-devant, la note de la page 460.

On a fait dire à Guillaume: «Le roi de France ne devrait point me haïr;
je l’imite en beaucoup de choses, je le crains en plusieurs, et je
l’admire en tout.» On cite sur cela les _Mémoires de M. de Dangeau_. Je
ne me souviens point d’y avoir vu ces paroles: elles ne sont ni dans le
caractère ni dans le style du roi Guillaume. Elles ne se trouvent dans
aucun mémoire anglais concernant ce prince, et il n’est pas possible
qu’il ait dit qu’il imitait Louis XIV, lui dont les mœurs, les goûts,
la conduite dans la guerre et dans la paix, furent en tout l’opposé de
ce monarque.





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