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Title: Le vote des femmes
Author: Auclert, Hubertine
Language: French
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*** Start of this LibraryBlog Digital Book "Le vote des femmes" ***


  Au lecteur

  Cette version numérisée reproduit dans son intégralité la version
  originale. Les erreurs manifestes de typographie ont été corrigées.
  Les mots entourés de _ sont en italique et ceux de = sont en gras
  dans le texte original (sauf dans la partie Catalogue).

  La ponctuation a pu faire l'objet de quelques corrections mineures.



LE

VOTE DES FEMMES



DU MÊME AUTEUR


=Les Femmes Arabes en Algérie.= 1 volume.

=Le Droit Politique des Femmes.= 1 brochure (_Epuisée_).

=L'Egalité Sociale et Politique de l'Homme et de la Femme.= 1 brochure.

=L'Argent de la Femme.= 1 brochure.

=Le Nom de la Femme.= 1 brochure.


SAINT-AMAND, CHER.--IMPRIMERIE BUSSIÈRE



  HUBERTINE AUCLERT


  LE

  VOTE des FEMMES


  [Illustration]


  PARIS (5e)

  V. GIARD & E. BRIÈRE

  LIBRAIRES-ÉDITEURS

  16, RUE SOUFFLOT ET 12, RUE TOULLIER

  1908



AUX LECTEURS


Ce livre, qui relate les efforts faits en France depuis plus d'un
siècle pour faire entrer les femmes en possession de leurs droits
politiques; envisage le vote des femmes à tous les points de vue,
il réfute les objections qui y sont faites, démontre les avantages
qui résulteront de sa mise en pratique et amène à conclure que les
femmes--par la force du nombre de leurs bulletins de vote--pourront
seules faire triompher la raison de la folie; donc, donner à la nation
entière des garanties de sécurité et de bien-être.

Ce livre mettra ceux qui le liront, à même de bien connaître; et, en
mesure de défendre, cette importante question du suffrage des femmes
qu'il va falloir résoudre, pour pouvoir modifier la société et faire se
réaliser la République.

  H. A.



LE VOTE DES FEMMES



LE SIMULACRE DU SUFFRAGE UNIVERSEL

  Le suffrage des femmes, c'est l'utilisation de l'intégralité de
  l'intelligence et de l'énergie de la nation, pour réaliser son mieux
  être.


Tout le monde connaît le monument élevé au promoteur du suffrage dit
universel. Qui n'a vu, place Voltaire, Ledru-Rollin et son urne?

Aux jours glacés de l'hiver, comme en l'été brûlant, des hommes à la
figure have et ravinée, aux loques trouées laissant apercevoir la peau,
aux souliers percés qui montrent les pieds nus, s'appuient, exténués et
faméliques à la grille qui entoure le monument.

Quels sont ces malheureux, sans gîte, sans travail et sans pain?

--Ce sont des souverains!

--?

--Oui, des souverains... intermittents.

Périodiquement, pendant tout un jour, ils sont rois! Le soir venu,
ils abdiquent, ou plutôt ils délèguent leur pouvoir à des charlatans
politiques qui se partagent leurs palais, l'or de leurs caisses et
laissent les souverains errants, pourchassés, privés d'abri et de
nourriture.

Les mandataires se nantissent généreusement; mais, ils ne se
préoccupent pas de mettre leurs souverains en état de faire figure dans
le monde, ou de ne point mourir de faim.

Le dénûment des électeurs sans travail s'offrant au regard, en même
temps que Ledru-Rollin et son urne, démontre au peuple l'amère dérision
du suffrage restreint pompeusement baptisé universel.

Le penseur lui, interpelle l'organisateur du suffrage.--Pourquoi
dit-il, Ledru-Rollin, n'as-tu pas fait donner le bulletin de vote à la
femme instigatrice d'ordre social; et ainsi, rendu valable ce papier
pouvoir avec lequel les Français pourraient aussi sûrement qu'avec un
chèque obtenir du bien-être et de la liberté?

--Pourquoi Ledru-Rollin n'as-tu pas fait confier à l'éducatrice
accordée à l'homme par la nature, le soin de lui donner conscience de
la valeur de son bulletin? La mission de lui inculquer que voter, c'est
pour l'opprimé initié, le pouvoir de réaliser sa volonté d'être libre
et heureux?

--Pourquoi, Ledru-Rollin, n'as-tu pas fait appeler à voter, au lieu
de l'homme seul, le couple humain et ainsi précipité l'éducation
politique, rendu les Français aptes à garder en permanence leur
souveraineté, capables de se donner à eux-mêmes leur règle et leurs
lois?


Le suffrage est une machine à progrès, qui pour produire des effets,
doit être mise en mouvement par la volonté mâle et femelle de la
nation; mais qui seulement activée par un petit nombre d'hommes, est
faute de force motrice réduite à l'impuissance.

Avant de déprécier le suffrage universel, qu'on le fasse fonctionner;
car, s'il ne donne les résultats promis, c'est parce qu'il est faussé
dans son principe, tronqué dans son application.

De même que beaucoup d'inventions modernes, qui ne deviennent
utilisables qu'à l'aide de certaines combinaisons; le suffrage a besoin
de toutes les énergies féminines et masculines de la nation, pour
devenir l'instrument d'évolution capable de transformer l'état social.

Pour tirer profit de l'excellente institution du suffrage, il faut
l'appliquer rigoureusement dans toute l'étendue qu'elle comporte en
l'universalisant. Il ne suffit pas de travestir les mots de notre
langue, de faire l'apothéose d'une contre vérité, pour donner à un
suffrage mutilé l'autorité et la puissance de celui qui engloberait
l'intégralité des Français et des Françaises.

Le suffrage ne produira des résultats mathématiques, que quand pratiqué
par les deux sexes, il aura été soumis à un dressage qui le rendra
conscient.

Actuellement, le suffrage universel n'est pas. Ce qui existe est un
suffrage de fantaisie, qui n'autorise à voter qu'une petite minorité
de la nation. Il exclut en bloc toutes les femmes, les savantes comme
les autres Françaises. Il exclut le grand nombre d'hommes qui sont
militaires, marins, voyageurs, touristes ou privés par jugement de
leurs droits politiques.

En se déplaçant, l'électeur perd sa souveraineté...

Est-ce que le papier-pouvoir ne devrait pas, comme le papier-monnaie,
avoir cours partout?

Le suffrage réduit, faussé, fraudé ne donne pas même une vague idée de
ce que sera le suffrage réellement universel.

Les votes émis ont si peu de poids, les électeurs ont si peu
d'autorité, qu'à chaque élection, les candidats rejetés par eux--pourvu
qu'ils soient gouvernementaux--sont ramassés par les ministres, qui
font un pied de nez aux électeurs souverains, en hissant à de bonnes
places les blackboulés.

Si les élections les plus républicaines ne donnent que des résultats
stériles, si le suffrage fait faillite aux engagements pris en son nom,
c'est parce qu'il est une fiction et non point une réalité, c'est parce
qu'il ne s'appuie que sur une convention, au lieu de tirer sa puissance
de la force du nombre.

Avec le suffrage restrictif, dénaturé qui existe, l'électeur n'a que
l'illusion de la souveraineté; tandis qu'avec le suffrage universel,
c'est-à-dire englobant la nation entière, les femmes comme les hommes,
l'électeur aura la matérialité de la souveraineté.



DÉGRADÉE CIVIQUE-NÉE

  Posséder le papier-pouvoir, facilite de palper le papier-monnaie.


Aucun homme n'est par son rôle si infime qu'il soit, exclu des
prérogatives de Français et de citoyen, pourquoi donc le rôle des
femmes les priverait-il de leurs droits de Françaises et de citoyennes?
La perpétuation de l'espèce humaine, les soins donnés aux affaires
domestiques sont-ils moins importants que l'attention apportée à
l'exercice d'un métier?

«Celui de nous deux, dit Socrate, glorifiant le travail du ménage, qui
sera le plus industrieux économe, est celui qui apporte le plus en la
société.»

Le devoir imposé à tous est différent pour chacun. Le droit inhérent à
l'individu est égal pour tous.

Le sexe ne confère pas des prérogatives particulières attendu que les
qualités morales et intellectuelles sont indépendantes du sexe de
l'individu qui les possède. On ne peut aujourd'hui faire croire qu'être
homme, étend les facultés intellectuelles d'un individu et qu'être
femme, restreint les facultés intellectuelles d'un autre individu.

La maternité que l'on objecte aux revendicatrices ne s'oppose pas plus
à l'exercice des droits politiques, qu'elle ne s'oppose à l'exercice
d'un art ou d'un commerce.

Marie-Thérèse d'Autriche eut seize enfants, ce qui ne l'empêcha
point d'être un grand homme d'Etat auquel l'Autriche dût d'exister.
Pour elle, les Magnats hongrois tirèrent leur sabre du fourreau, en
s'écriant: «Mourons pour notre roi, Marie-Thérèse!»

Mères ou non, mariées ou non mariées, toutes les femmes doivent exercer
leurs droits politiques afin de pouvoir mettre l'ordre dans la commune
et dans l'Etat.


_Restez femmes._

A l'idée que la femme va devenir son égale en droits, l'homme se cabre!
Au lieu de comprendre que c'est un auxiliaire qui lui vient pour
atteindre à une vie meilleure, il semble croire qu'on va lui enlever
quelque chose.

Le Français adjure la Française de ne pas chercher à devenir citoyenne.
Il lui dit qu'elle n'aurait rien à gagner au suffrage universel, que sa
supériorité consiste à rester asservie.

Un langage analogue était tenu par les censitaires à ceux qui ne
votaient pas avant 1848. Le «Restez femmes!» d'aujourd'hui, équivaut au
«Restez ouvriers!» d'alors et pareillement signifie: Demeurez inaptes à
améliorer votre condition.

Les femmes qui voient quels avantages sociaux et économiques les
électeurs obtiennent, les femmes, qui constatent qu'en tous les pays
les hommes privés du suffrage s'acharnent à le réclamer; commencent à
comprendre que ce papier-pouvoir, le bulletin de vote, leur est aussi
nécessaire que le papier-monnaie, puisque posséder l'un rend plus
facile de palper l'autre.

Ce sera la carte électorale qui fera rétribuer le travail ménager et
comprendre, parmi les retraités ouvriers, les ménagères.

Les Françaises ne peuvent rester spoliées de la capacité politique,
qu'un député appelle, avec raison, «un commencement de capital».

Le travail est, en effet, estimé suivant la condition de qui
l'accomplit. L'œuvre de la femme est si dépréciée, obtient un si
dérisoire salaire, parce que cette femme est une mise hors la loi, une
esclave dont l'effort n'est point jugé digne de récompense. Que l'on
fasse entrer la femme dans le droit commun politique et bientôt sa
situation économique sera changée; son labeur, ennobli par sa qualité
de citoyenne, obtiendra un salaire rémunérateur.

                                   *
                                  * *

Les femmes n'échapperont à l'oppression du mari, à l'exploitation du
patron, qu'en devenant, devant l'urne, leurs égales.

La carte électorale dont la Française est privée, est un certificat
d'honorabilité qui assure la considération à quiconque peut le montrer.

En l'état actuel de la société, le suffrage est pour l'humain la plus
sûre garantie de n'être lésé, ni diminué. C'est comme une assurance
prise pour obtenir droit et justice. Pourquoi la femme ne jouirait-elle
pas de cette assurance?

En devenant citoyenne, la Française remplira encore mieux le devoir,
puisque son rôle d'éducatrice s'étendra de l'unité à la collectivité
humaine et que sa sollicitude maternelle embrassera la nation entière.

La personne et la condition de la femme dépendant de la politique qui
de toute part l'enserre; dans son propre intérêt comme dans l'intérêt
général, la femme doit participer à la vie publique, coopérer à
la transformation de la société afin de s'assurer de n'être point
sacrifiée en l'organisation sociale future.

On cite cette jolie phrase de M. Thiers que ceux qui dédaignent le
concours féminin feraient bien de méditer:

«Pour régler cette affaire, disait M. Thiers, il me faut mes femmes»
(Mme Thiers et Mlle Dosne). Ces paroles prouvent que même l'homme
d'Etat, que les louanges purent rendre orgueilleux, reconnaissait aux
femmes des facultés particulières capables de compléter les siennes.
Si ces deux parties du tout humain, l'homme et la femme, semblaient
indispensables à M. Thiers pour régler une affaire privée difficile,
combien est donc plus indispensable encore le concours de l'homme et de
la femme, pour bien diriger les affaires publiques!

Le suffrage des femmes, c'est l'utilisation de l'intégralité, de
l'intelligence et de l'énergie de la nation pour réaliser son mieux
être.

Rapprocher hommes et femmes par la politique, ce sera faire s'établir
entre les sexes une émulation salutaire pour le progrès.



LA FEMME DANS LA COMMUNE


En constatant que dans la commune les hommes souvent sacrifient au
superflu, l'indispensable, on se demande s'il ne serait point sage de
faire s'appliquer tout l'effort humain à l'administration publique; et,
si ce n'est pas se montrer ennemi de son propre bien-être que de tenir
éloignées du gouvernement, du bourg ou de la ville, les femmes qui sont
particulièrement aptes à s'ingénier et à prévoir.

Quant à propos d'adjudications de fournitures d'ustensiles ou de
provisions de ménage, on entend à l'Hôtel de ville des conseillers
municipaux discuter; chacun fait la réflexion que des femmes seraient
beaucoup plus capables que nos édiles d'apprécier ces matières.

Les conseillers municipaux de Paris, ainsi d'ailleurs que ceux de
toutes les communes de France, sont forcés d'être à la fois hommes et
femmes. Ils doivent résoudre des difficultés qui auraient besoin d'être
élucidées par des matrones.

Certes, ils se dépensent pour le bien public; seulement, réunissant
dans leurs mains les attributions masculines et féminines, on a à
déplorer dans leur administration des lacunes.

Il n'est pas possible, en effet, d'être à la fois homme et femme. On
trouverait étrange qu'un homme cumulât dans la famille le rôle de père
et de mère et l'on admet que les hommes cumulent dans la commune ce
double rôle.

Ne vaudrait-il pas mieux, dans l'intérêt général, que chacun des deux
facteurs qui concourent à former la population parisienne mette ses
aptitudes particulières au service de l'administration de la ville de
Paris?

La femme, qui est contribuable, productrice et consommatrice, doit être
électeur et éligible dans la commune.

Au temps où la loi, comme la monnaie et les mesures étaient spéciales à
chaque province, des Françaises délibéraient et votaient dans beaucoup
de villes et de communes. On ne peut les avoir privées à jamais, des
droits que de nombreuses Européennes exercent présentement.

Dans presque tous les pays qui nous entourent, en Angleterre, en
Ecosse, en Russie, en Autriche, en Hongrie, en Suède, en Norvège, dans
plusieurs Etats de l'Allemagne, etc., les femmes participent, plus
ou moins complètement, à la gestion des affaires municipales. Seule
la France--oubliant les précédents--en compagnie de quelques Etats
enténébrés, exclut la femme de l'administration communale.

En France, la femme qui possède les trois quarts du territoire de la
commune, n'est pas devant l'urne l'égale de son domestique mâle. Le
domestique vote, la propriétaire qui l'emploie ne vote pas.

L'habitante qui a une résidence fixe, une industrie, des intérêts
engagés dans sa commune, n'a pas le droit qu'a le touriste qui s'arrête
là six mois, d'exercer--en votant--son influence dans l'administration
communale.

La veuve chef de famille qui se trouve à la mort de son mari à la tête
d'une grande maison de commerce, n'a pas le droit de donner son avis
dans la commune. Ses ouvriers, ses employés, tous ceux qui dépendent
d'elle, ont le pouvoir de lui nuire en votant contre ses intérêts; il
lui est impossible de se défendre. Elle ne peut rien puisqu'elle n'est
pas électeur.

Les Français se déprécient, en refusant aux femmes dont ils
proviennent, les prérogatives qu'ont les dames des nations voisines.

Si, en effet, les femmes de France sont inférieures aux femmes des
autres pays et ne peuvent exercer les droits de celles-ci, il est bien
certain que leurs pères, leurs frères, leurs époux sont eux-mêmes
inférieurs aux hommes des autres pays.

Si le Français continue à tenir dans un tel état d'infériorité, sa
mère, il finira par faire penser à ses contemporains étrangers qu'ils
ont sur lui une suprématie héréditaire; et par faire croire qu'au
lieu d'être né d'une femme, il pourrait bien être issu d'une guenon,
puisqu'il la laisse aussi loin, derrière lui.

La compatriote que le Français comble d'humiliations et qu'il se
complaît à faire, à son détriment, déconsidérer, est, ô ironie! plus
qu'aucune femme au monde, intelligente, utile et agréable.

                                   *
                                  * *

En demandant que les femmes participent à l'administration municipale,
nous ne réclamons pas une innovation, mais simplement le retour à ce
qui fut de 1182 à 1789; la remise en vigueur et la généralisation, de
la _loy et coutume de Beaumont_.

Cette loi rendue en 1182, à Beaumont en Argonne, se répandit dans tout
l'Est, dans le Nord et sur les pays Basques. Elle prescrivait que les
veuves, les filles ayant leur ménage et les femmes mariées en l'absence
de leurs maris prissent part aux délibérations et aux votes.

Dans les documents qui mentionnent la part prise par les femmes à
l'administration des bourgs et des villes, elles sont traitées sur le
pied d'égalité avec l'homme, témoin cette finale: «Lesquels, _tous et
toutes_ firent, ordonnèrent et devisèrent entre eux.»

Plus d'un siècle après la révolution, les communes où les femmes sont
les plus nombreuses et les plus imposées, n'ont pas même d'électeurs
du sexe féminin. La participation des femmes à la gestion municipale
décuplerait pourtant, la prospérité des localités auxquelles leurs
flancs fournissent sans cesse de nouveaux habitants.



VOIX DONNÉES AUX FEMMES


L'intervention des Françaises dans les affaires du pays est depuis
longtemps jugée si nécessaire, qu'en certaines élections municipales,
des femmes ont obtenu des voix sans avoir sollicité de mandat.

Les bulletins portant inscrits des noms de femmes ont quelquefois été
comptés.

En 1881, dans la commune de Grandpré (Ardennes), Mme Jules Lefebvre,
commerçante, mère de famille, eut son nom écrit sur bien des bulletins
électoraux. «En votant pour elle, disaient ses électeurs, nous avons
voulu choisir le plus capable parmi nous, à quelque sexe qu'il
appartienne.» Ce raisonnement de ruraux n'est-il pas propre à inciter
les citadins à réfléchir?

Toujours en 1881, à Paris, Mme Léonie Rouzade, candidate dans le XIIe
arrondissement, obtint 57 voix.

Peu après, à Thorey (Meurthe-et-Moselle), trois dames obtenaient
chacune cinq voix. Elles étaient, proclamaient leurs électeurs, les
plus dignes de nous représenter.

En 1884, à Houquetôt (Seine-Inférieure) les électeurs accordèrent à une
femme huit voix de plus que la majorité des suffrages exprimés.

Dans le (Lot-et-Garonne) les électeurs donnèrent à une femme
trente-quatre voix de majorité.

A Vornay (Cher) Mme Gressin, propriétaire, obtint suffisamment de voix
pour être nommée conseillère municipale.

En enregistrant ces succès qu'ils savaient dus à l'active propagande
faite par _La Citoyenne_, de grands quotidiens nous disaient de mettre
un bouquet à notre chapeau.

Ces trois élections de femmes furent annulées; le suffrage dit
universel n'étant--pendant qu'il est restreint à la moitié de la
nation--qu'une institution de fantaisie que les gouvernants mutilent à
leur gré.

Mais les voix accordées en tant de points du territoire à des femmes,
prouvent que les électeurs sont las de la fiction, qu'ils veulent dans
la commune une représentation réelle de la population.

Tous les habitants de la commune doivent être déclarés égaux devant les
prérogatives, comme ils le sont devant les charges.

Evincer de l'administration municipale, les Françaises qui savent avec
rien, faire régner le bien-être en la maison, c'est de gaieté de cœur
sacrifier le bonheur commun.

La femme ne doit pas seulement être l'âme de la famille, il est
nécessaire qu'elle soit l'âme de la Cité, afin de pouvoir, en
décuplant et en ménageant ses ressources, faire resplendir de bien-être
le visage de chacun de ses habitants.

A chaque élection, le suffrage bien que réduit, borné, faussé et mutilé
fait entendre un bégaiement de vérité. Ce serait trop long, de citer
toutes les circonscriptions électorales où les femmes ont obtenu des
voix.

Voici, cependant, à propos de succès électoraux féminins ce qui s'est
passé en 1897 à Ménerville (Algérie).

Le dépouillement du scrutin terminé, M. Vissonnaux, candidat, fit
observer que les bulletins, portant le nom de Mme Pellier-Le-Cerf,
ayant un caractère inconstitutionnel, devaient être considérés comme
nuls. Il demandait que sa déclaration fût inscrite au procès-verbal et
lesdits bulletins y annexés.

Le maire trouvant l'observation bien fondée, s'empressait de jeter les
bulletins dans la cheminée et d'y mettre le feu.

A ce moment, survint M. Bouayoume qui, voyant l'escamotage, donna de
grands coups de poing sur la table, protestant avec indignation contre
la suppression de bulletins sur lesquels était inscrit le nom de Mme
Pellier-Le-Cerf. Il flétrit énergiquement les procédés du bureau.

--«Vous violez, dit-il, la liberté du suffrage universel en annulant
les voix données à une femme!»

Aux élections municipales de 1908, Melle Jeanne Laloé, candidate à
Paris dans le 9e arrondissement obtint 987 voix, mais 527 bulletins
portant son nom furent seulement comptés.

L'exclusion des Françaises de l'administration communale, fait qu'en la
cité le bien-être manque, comme en la maison où il n'y a pas de femme.

Les édiles veulent Paris beau, ce dont chacun ne peut que les
féliciter; mais parce qu'ils sont exclusivement des hommes, leurs
efforts tendent seulement à faire de la capitale du monde le plaisir
des yeux; alors, que des hommes et des femmes réunis, la rendraient en
même temps qu'un séjour enchanteur, le pays de Cocagne souhaité.

                                   *
                                  * *

Il est inutile d'insister sur les inconvénients du gouvernement d'un
seul sexe, ni de parler des négligences dont souffrent les habitants
des villes et des villages seulement régis par les hommes; et où il n'y
a qu'une moitié de la sollicitude humaine éveillée, alors que l'espèce
entière devrait être appelée à tout prévoir.

Avec l'administration des seuls hommes, nous avons de tout, seulement
l'apparence: les rues sont arrosées pendant que l'eau manque dans les
maisons. Avec l'administration des hommes et des femmes, l'illusion
deviendra réalité, les génératrices perpétuellement préoccupées
de conserver les êtres, d'entretenir la vie qu'elles donnent,
s'emploieront à accumuler à Paris l'air et l'eau.

Au pays de la soif, la garde de l'eau vivifiante est confiée aux
femmes. A Ghat, seules les femmes disposent des sources.

Tout ce qui a trait au boire et au manger est office de ménagère;
malheureusement, ceux qui parlent de laisser la femme à son rôle, le
lui dérobent ce rôle, dès qu'il rapporte des honneurs et de l'argent.

Les hommes sont de mauvais ménagers, chacun se trouverait donc très
bien, que les femmes fassent avec eux la cuisine administrative.

Les Françaises ont le sens de l'utilitarisme démocratique. Quand
elles seront électeurs et éligibles, elles forceront les assemblées
administratives et législatives à se pénétrer des besoins humains et à
les satisfaire.

                                   *
                                  * *

La République qui ne laisse pas en la métropole les femmes participer à
l'élection du conseil municipal de leur commune, a autorisé en Océanie,
des femmes à exercer les fonctions de Maire.

En 1891, le gouvernement fit remettre par le gouverneur de Tahiti aux
huit cheffesses de districts de Tahiti et de Moréa, une écharpe aux
couleurs nationales; en même temps qu'il les fit rétablir en leurs
pouvoirs et dignités d'officières de l'état-civil, pour mettre fin aux
irrégularités constatées dans les actes de l'état-civil, depuis que
l'annexion leur avait fait retirer leur emploi.

Les faits, forcent parfois les populations à reconnaître que la
femme exclue de l'électorat municipal, est supérieure aux élus de la
commune: A Rieufort de Randon (Lozère) momentanément privée de maire
et d'adjoints, on vit un jour une jeune fille remplir sans embarras le
rôle d'officier d'état-civil, procéder à un mariage à la place d'un
conseiller municipal qui se déclarait inapte à unir les futurs époux,
parce qu'il ignorait la loi et ne savait pas lire (_sic_).

C'est seulement le couple humain, qui peut en tout accomplir exactement
ce qui convient dans la commune et dans l'Etat.

Nous mettons au défi les hommes les meilleurs, de faire de la commune
la maison agrandie que chacun espère, sans le concours du cœur féminin.



LES FEMMES DANS L'ÉTAT


De même que pour appeler un être à la vie, il faut le couple humain,
pour instaurer un milieu approprié où cet être puisse s'épanouir
pleinement, la femme est autant que l'homme indispensable.

«La femme et l'homme, ces deux parties du même tout, dit Benjamin
Franklin, c'est comme les deux branches d'une paire de ciseaux, l'une
ne sert de rien sans l'autre.»

Les hommes sans les femmes, sont dans l'impossibilité d'organiser pour
l'humanité entière de bonnes conditions d'existence. Ce ne sera qu'en
s'adjoignant pour l'effort politique leurs compagnes, que les Français
pourront assurer l'ordre social et la prospérité publique.

Interrogez à la campagne et à la ville des hommes de toutes conditions,
ils vous répondront qu'une maison sans femmes est la pire des choses;
cependant, ces mêmes hommes ne veulent point se rendre compte qu'une
commune et un Etat sans femmes, sont bien plus pitoyables encore que la
maison d'où l'élément féminin est absent, car le mal-être, restreint
ici à quelques individus, se généralise et est là, supporté par toute
la population. Présentement, les Françaises ne sont pas représentées
dans les assemblées administratives et législatives.

Ce retranchement des femmes de la chose publique, cause au corps social
le préjudice et le malaise, que le retranchement d'un organe fait
éprouver au corps humain.

Si vous avez un membre ou deux membres supprimés, toute votre personne
est affaiblie, amoindrie; de même, la nation, privée de l'activité de
la moitié de ses membres, a sa force et son intelligence réduites, est
endolorie, paralysée; finalement, voit se rapetisser sa destinée.

Pour que l'individu et la collectivité puissent complètement exister,
la première des conditions est que tous les organes du corps humain
et que tous les organes du corps social fonctionnent. La république
amputée des femmes est aussi réduite à l'impuissance que l'individu
amputé d'une jambe et d'un bras.

La population française, qui a deux yeux pour voir et deux pieds pour
marcher, se diminue en s'obstinant à ne voir que par le seul œil
masculin les difficultés à résoudre et à ne marcher que du seul pied
masculin vers les buts poursuivis.

Ce que décide une minorité des Français dans des assemblées où un seul
sexe est représenté ne peut convenir à la nation tout entière.

Les hommes clairvoyants se rendent compte de cela; aussi, le nombre
augmente de ceux qui osent proposer de s'adjoindre les femmes pour
combiner les arrangements sociaux.

Les Françaises qui subissent les lois doivent contribuer à les faire.

Comme le dit fort bien M. Jaurès: «C'est l'humanité complète qui doit
agir, penser, vivre, et l'on a bien tort de redouter que le suffrage
des femmes soit une puissance de réaction, quand c'est par leur
passivité et leur servitude qu'elles pèsent sur le progrès humain.»

                                   *
                                  * *

Les millions de femmes qui sont ouvrières, et les millions de femmes
qui sont ménagères doivent pouvoir, en votant, régler les relations
extérieures au point de vue économique et politique, en raison des
traités de commerce qui élèvent ou abaissent le prix des denrées et de
la main-d'œuvre.

On a entendu un ministre des finances se plaindre de ne pas trouver
chez les députés le sens de l'économie. C'est que le sens de l'économie
n'est réellement possédé que par l'élément féminin. Or justement,
l'élément féminin est exclu de la Chambre.

Si le Parlement, où nulle femme ne siège et où n'est entré aucun
mandaté des femmes, manque parfois de prudence et de prévoyance, il
manque aussi, on en conviendra, autant d'aptitude et d'autorité,
pour élaborer des lois réglant les rapports humains, que manquerait
d'aptitude et d'autorité, une Chambre exclusivement féminine pour
légiférer, sur ce qui concerne hommes et femmes; attendu que
l'homme absent serait, comme est aujourd'hui la femme absente du
Palais-Bourbon, victime de la partialité du sexe omnipotent.

Les hommes ne peuvent, sans le concours du sexe féminin, juger, en même
temps, de ce qui leur convient à eux et de ce qu'il nous faut à nous?

Les deux types qui forment l'espèce humaine doivent avoir voix au
chapitre, quand il s'agit de régler leur propre destinée.

                                   *
                                  * *

Les femmes faites citoyennes, régénèreront la politique et l'impulsion
qu'elles feront donner aux affaires permettra bientôt aux Français de
manifester la virilité des peuples neufs.

Les sauvegardiennes de la probité morale affermiront la droiture
masculine en la vie publique.

En dépit de délits spéciaux inventés pour elles, les femmes, si nous
en croyons les statistiques, faillissent moins que les hommes. Il y a
beaucoup plus d'inculpés que d'inculpées.

Puisqu'il est établi que la femme résiste plus à l'excitation au mal,
que l'homme; pourquoi ne pas garantir celui-ci contre ses propres
défaillances en la lui adjoignant au gouvernail?

Les maisons de secours se joignent aux statistiques, pour attester la
supériorité morale de la femme, frappée d'infériorité légale.

Dans les établissements charitables, on rencontre surtout un public
d'hommes, c'est-à-dire le sexe qui a en la vie, l'argent et les
positions.

L'homme a dans la société le monopole du travail lucratif, il gagne
plus souvent 8 francs que la femme 2 francs. Cependant, dès le premier
jour de chômage le voilà réduit à la mendicité.

La femme qui est exclue des gros gains tend moins que l'homme la main.

Est-ce parce qu'elle a plus de dignité et moins de vices? Ou est-ce
parce qu'avec des centimes elle trouve mieux le moyen de parer à la
disette que l'homme avec ses 8 francs quotidiens?

Comment peut-on charger seul du soin de gouverner les autres, l'homme
sans prévoyance qui n'est point apte à se gouverner lui-même?

Pour les Français aimant les lendemains sûrs, la gestion du sexe
masculin, qui avec son salaire convenable ne parvient à se suffire,
offre beaucoup moins de garanties que celle du sexe féminin qui, à
force d'ordre, d'ingéniosité, se tire d'affaire en sa perpétuelle
pénurie d'argent.



LES FEMMES ET LE BUDGET

  La puissance d'économie des femmes fera s'équilibrer les recettes et
  les dépenses.


Puisqu'on reconnaît aux femmes, de réelles facultés d'épargne; et,
l'aptitude à augmenter la valeur d'emploi de l'argent, pourquoi ne
fait-on pas appel au concours féminin pour mettre fin aux déficits
budgétaires?

Si les Françaises participaient à l'administration de l'Etat, elles
apprendraient aux membres du Parlement à être moins prodigues des fonds
publics, et les contribuables obtiendraient en payant moins d'impôts,
plus de garanties et de commodités.

Les hommes ne savent faire face aux exigences sociales avec le gros
budget de la France, comme la femme sait faire face aux besoins de la
famille avec le petit budget du ménage. En l'Etat, les recettes énormes
ne couvrent pas les dépenses phénoménales.

Pendant que législateurs et administrateurs municipaux déplorent que
le manque d'argent entrave tous les projets de réforme, des électeurs
avouent, s'ils sont commerçants, que sans leur femme, ils ne pourraient
faire honneur à leurs affaires...

S'ils sont ouvriers, employés, médecins, avocats, petits rentiers,
confessent que, sans leur femme, ils ne parviendraient point à
équilibrer leur budget, à vivre.

A la ville comme à la campagne, c'est quotidiennement que l'on entend
des Français dire: que cent francs ne valent pour l'homme que soixante
francs, tandis que pour la femme, cent francs sont l'équivalent de cent
vingt francs.

Alors!... le voilà bien trouvé le moyen de mettre fin aux déficits
budgétaires et de rendre possibles les transformations sociales
souhaitées.

Ce moyen consiste à confier aux femmes, qui ont de si grandes facultés
d'épargne, tout ce qui a rapport aux finances.

Tout le monde a sous les yeux l'exemple d'hommes qui, en dépensant de
très grosses sommes, ne parviennent pas en la maison à réaliser le
bien-être que couramment les femmes y introduisent, avec peu d'argent.
Eh bien, l'Etat est une agglomération de maisons à administrer. Or,
n'est-ce pas imprudent de confier aux seuls hommes, qui se montrent
souvent inhabiles à équilibrer leur budget individuel, le budget
national? Attendra-t-on que la France ait déposé son bilan, pour
charger l'élément féminin d'introduire des réformes en nos finances?

L'accroissement des dépenses, devrait susciter un patriotisme capable
de faire émettre par tous les groupes de la Chambre et du Sénat, la
proposition d'appeler les femmes au secours du pays.

Nouvelles venues en la politique, elles trancheraient aisément dans
le vif du fonctionnarisme et préserveraient les Français des lourdes
charges et de la vie chère.

Tous les contribuables doivent pouvoir mettre un frein à la
dilapidation des deniers publics. Exclure ces épargneuses--les
femmes--de la gestion sociale, c'est contraindre la République à
faillir à ses engagements.

Si les femmes coopéraient à l'administration des biens de la nation,
les recettes excèderaient les dépenses.

Les Françaises ont en elles développé, par l'obligation quotidienne de
partager un centime en quatre pour arriver à satisfaire de multiples
besoins familiaux, une aptitude administrative qui fera s'ouvrir une
ère de prospérité pour les populations qui l'utiliseront.

On réaliserait de grandes économies, si le budget national était
épluché et passé au crible par les femmes, comme l'est le budget
familial.

Le bien-être résulterait, de la remise à la femme de la clef de la
caisse publique.

                                   *
                                  * *

Les hommes point pressés de voir la Française échapper à la dégradation
civique, dont dérivent pour elle toutes les oppressions, toutes les
spoliations, trouvent que pour le sexe féminin l'heure n'est jamais
venue de posséder le bulletin affranchisseur. En 1789 et 1793, les
hommes disaient qu'il était prématuré de donner les droits politiques
aux femmes; en 1848, ils jugeaient également prématuré d'englober les
femmes dans le suffrage. Actuellement, ils sont d'avis qu'il serait
encore prématuré d'octroyer l'électorat aux femmes.

Toute proposition de loi, ne devrait cependant venir en discussion,
qu'après que le suffrage aurait été attribué aux femmes.

La France entière ayant seule l'intuition des besoins humains, la
France entière peut seule poser les bases d'une société meilleure en
votant des réformes fondamentales.

Tenir les femmes hors des salles de vote où tout se projette et à
l'écart du Parlement où tout se résoud, c'est les désigner d'avance
pour être sacrifiées.

Les femmes seront plus considérées, mieux rétribuées, quand elles
exerceront leurs droits politiques. Et, l'humanité entière a intérêt
à ce qu'elles exercent leurs droits politiques; car, on ne peut sans
nuire à l'espèce, sans amoindrir l'homme, garder infériorisée la femme,
qui imprime à la société sa marque de fabrique, puisque matrice de la
nation, elle est le moule qui forme tous les Français.

Afin de se justifier d'annuler les femmes, les hommes spoliateurs
les incriminent d'attachement aux vieux usages; alors, qu'il est
surabondamment prouvé qu'en dépit de toutes les entraves, elles ne
sont pas plus qu'eux ennemies du progrès.

Les femmes sont les premières à utiliser les innovations; on les a vues
adopter pour la locomotion tous les nouveaux systèmes.

La femme que l'homme déprécie afin de pouvoir, en la spoliant de ses
droits, l'opprimer et l'exploiter, n'est pas plus que lui bornée, elle
doit donc être autant que lui électeur.

Soutenir que la dégradée civique, que la serve obligée de singer son
maître peut avoir sur lui une influence occulte pour le bien, semble
être moins encore une erreur qu'une ironie.

L'homme ne reçoit pas d'en bas ses impressions morales; et, aussi
longtemps que la femme sera au-dessous de lui, elle pourra l'amuser,
le charmer; non changer sa manière de voir et de faire, non le
métamorphoser; car si l'être dit supérieur condescend à demander à
l'être dit inférieur le secret du mal, jamais il ne lui demande le
secret du bien.

Aussi, il paraît indispensable que pour accomplir la mission sociale
qu'on lui assigne, la femme ait le pouvoir que confère la souveraineté;
ce ne sera que ce pouvoir matériel, qui lui assurera l'autorité morale.

Au lieu de restreindre en les partageant les prérogatives masculines,
les femmes les augmenteront; puisque le jour où il sera en les mains
de tous les ayants droit hommes et femmes, le bulletin octroiera aux
Français et Françaises la faculté de matérialiser leur volonté d'être
heureux et libres.

C'est de peur de ne pouvoir faire parler comme on veut le suffrage
rendu conscient en même temps qu'il deviendrait universel, que l'on
écarte des affaires publiques cette force nationale, la femme.

                                   *
                                  * *

Ce ne sera qu'en unifiant la condition de l'homme et de la femme que
l'on unifiera la manière de voir des Français.

Dire à la Française, de cesser d'être coquette, sans lui donner le
moyen d'améliorer son sort en votant, c'est la maintenir en une
immobilité mentale qui paralysera la marche en avant.

La femme doit voter, car il n'y a place au soleil de la République que
pour qui dispose d'un vote. Et, ce ne sont pas seulement les femmes,
c'est la nation entière qui souffre de l'annulement politique des
Françaises.

Les hommes n'ignorent point cela; cependant, à quelque parti qu'ils
appartiennent, réactionnaires et républicains, ils sont d'accord pour
faire envisager le vote des femmes comme un danger public.

En notre France qui garde l'empreinte monarchiste de la loi salique,
le fantôme de la femme politique est aussi redouté que le spectre
rouge. Ce ne sera, cependant, qu'à l'aide de celle-ci que l'on pourra
triompher de celui-là. Les femmes étant seules assez nombreuses pour
mettre à la raison les perturbateurs.

                                   *
                                  * *

Bien que l'on sache, que les femmes sont pourvues de facultés qui
feront se transformer sans violences la société et que partout où les
femmes ont voté, elles ont mis leur zèle et leur énergie au service des
partis avancés, les révolutionnaires repoussent le bulletin pondérateur
de la femme, et les radicaux évolutionnistes ne s'empressent pas
d'utiliser ce bulletin pondérateur, qui leur assurerait le gouvernail
de la barque sociale.

Si les hommes d'opinions si opposées s'entendent pour représenter comme
un épouvantail le vote des femmes, c'est qu'ils sont d'accord pour
continuer à accaparer les bénéfices électoraux; et, qu'ils trouvent
avantageux de tenir les sièges législatifs de la force du nombre des
femmes, sans avoir besoin d'obtenir leurs bulletins.

Pour faire s'activer l'évolution de l'humanité, il faut mettre la
femme au niveau de l'homme, afin que les deux êtres équivalents qui se
complètent ne cheminant plus en des voies différentes, marchent du même
pas vers la justice sociale.

La République cessera seulement d'être pour les Françaises une
bluffeuse, quand elle leur facilitera le combat pour la vie en les
armant du bulletin de vote.



L'ÉDUCATION POLITIQUE DES FRANÇAIS


L'étranger comprend l'horreur que le Français a pour la politique, en
entendant le camelot parisien faire ce boniment: «Dans mes journaux, il
n'y a pas de politique, tout n'est que blague et rigolade.»

La politique, qui d'après le rusé marchand ferait se sauver les
acheteurs, joue cependant un rôle énorme, puisque c'est d'elle que
dépend la destinée humaine.

Sous le nom de règlement et de répression, la politique prend à la
femme comme à l'homme sa liberté. Sous le nom de taxe, la politique
prend à la femme comme à l'homme, son argent. Sous le nom de guerre, la
politique prend à l'homme sa vie et à la femme plus que sa vie, la vie
de ceux qu'elle aime!

Pourquoi donc cette question suprêmement intéressante répugne-t-elle
aux foules, au lieu d'être l'objet de leur constante préoccupation?

--Parce qu'on ne la comprend pas.

Un seul sexe étant admis à faire de la politique, il n'est point séant
d'en parler. De sorte que la politique, qui se réduit à sauvegarder ou
à mettre en péril les intérêts généraux et particuliers, est considérée
comme une science inaccessible même aux hommes qui se distinguent dans
leur art ou leur profession. Et l'indifférence pour les affaires du
pays menace de se perpétuer.

Comment l'homme s'initierait-il à la politique, pendant que la femme,
avec laquelle il est sans cesse en tête à tête, n'est pas admise à en
chercher avec lui le mécanisme?

Aussi longtemps que, comme des pestiférées en quarantaine, les femmes
seront tenues à l'écart de la politique, la nation sera sans éducation
politique.

Pour que la politique cesse d'être pour l'homme chose ennuyeuse et
incompréhensible, il faut qu'elle s'introduise dans le ménage, où elle
deviendra une question d'autant plus familière qu'elle sera tous les
jours incidemment creusée.

Bien loin d'être une source de division, la politique resserrera les
liens entre époux. En élargissant l'horizon intellectuel du _home_,
elle fera souvent succéder à l'amour envolé, l'amour du bien public.

Quand les femmes jouiront des mêmes droits électoraux que les hommes,
le sein maternel ne sera plus un milieu où le cerveau s'atrophiera.
L'affranchissement de la mère soustraira l'homme à l'abâtardissement
utérin qui en fait plus un sujet qu'un citoyen. La maison familiale
deviendra une école où électeurs des deux sexes luttant d'émulation
feront ensemble, sans y penser, leur éducation politique. Alors, la
nation sera plus clairvoyante et aux phrases pompeuses qui retentissent
dans les réunions d'électeurs et d'élus, succéderont des émissions
d'idées, de plans, d'où pourront découler le bien de l'humanité.

                                   *
                                  * *

Présentement, les électeurs pétris du sang et de la chair de dégradées
civiques, vivant en tête-à-tête avec des repoussées de la vie publique,
sont, par l'atavisme et le milieu ambiant, maintenus en une telle
enfance politique qu'ils n'écoutent que les charlatans criant le plus
haut, sachant le mieux persuader qu'ils feront couler du bourgogne des
fontaines Wallace et tomber, rôties, du ciel les cailles.

C'est seulement quand les femmes voteront, que Français et Françaises,
s'instruisant mutuellement en discutant ensemble des affaires
publiques, deviendront des électeurs souverains conscients.

Assimiler les femmes aux hommes citoyens, épouvante le Français; nos
partisans d'indépendance électorale aiment mieux laisser escroquer
à l'électeur son vote que de le rendre promptement capable d'être
son propre maître en admettant sa compagne si divinatrice, si
investigatrice à coopérer avec lui aux affaires publiques.

On reconnaît que la nation entière saurait mieux qu'une partie de la
nation organiser son bonheur; on affirme que les Françaises ont des
qualités propres qui complètent les qualités des Français.

On dit que les tournants politiques cesseraient d'être dangereux, si la
masse électorale avait pour la guider le jugement sûr et le tact inné
de femmes.

Pourtant, on reste privé de leur concours, on les élimine, au grand
préjudice de la généralité des êtres, puisque les femmes intuitives
seraient en arrivant sur la scène politique, les monitrices électorales
qui démêleraient les questions et dessilleraient les yeux.

Il n'est pas possible de «marcher vers la justice sociale» sans d'abord
soustraire la moitié de l'humanité à l'oppression de l'autre moitié, en
la munissant de cette arme libératrice, le bulletin de vote.

On comprime la nature en annihilant les femmes et en les contraignant
à jouer le rôle de traînardes paralysatrices d'efforts; alors, qu'il
convient si bien à leur tempérament d'être des avant-gardes du progrès,
faisant évoluer l'espèce.

Quiconque se préoccupe de l'avancement humain, doit vouloir assurer à
la République, le concours des femmes, en les faisant citoyennes.

Lorsque hommes et femmes gèreront ensemble les affaires publiques, ils
deviendront bientôt aptes à être eux-mêmes leurs représentants. Or,
quand les Français et les Françaises seront leurs propres députés,
ils économiseront avec les millions de l'indemnité parlementaire,
beaucoup d'autres millions dépensés pour satisfaire les grands
électeurs que chaque élu traîne après soi; et, l'on peut prévoir tout
ce qui résultera d'heureux pour la population, du gouvernement exercé
directement, par les Français et les Françaises.

                                   *
                                  * *

La mère qui a quarante ans d'expérience de la vie est bien plus
préparée à exercer ses droits politiques, que son fils électeur à vingt
et un ans.

C'est en votant, que l'on apprend à bien voter.

Les hommes gratifiés du suffrage en 1848 étaient beaucoup moins aptes
que ne le sont les femmes d'aujourd'hui à exercer le suffrage; et,
combien trouverait-on d'électeurs qui pourraient présentement offrir
les garanties que l'on demande au sexe féminin? Pas plus que le droit
de l'homme, le droit de la femme ne peut être soumis à des conditions,
ni être ajourné par une question d'opportunité.

Les spoliateurs des Françaises qui feignent de redouter leur arrivée
dans la politique, savent fort bien que les femmes, au contraire,
réveilleront l'enthousiasme des masses pour la République, puisqu'elles
la rendront capable de réaliser les réformes attendues.

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                                  * *

Pourquoi toutes les révolutions ont-elles si peu amélioré le sort
humain?

--Parce qu'elles ont passé par-dessus la tête des femmes sans les
affranchir, et, que l'asservissement féminin est le plus grand obstacle
au progrès.

Les Françaises sont depuis si longtemps spoliées qu'elles ne peuvent
croire que leur entrée dans le droit commun est indispensable à
l'accélération de l'évolution humaine; elles ne seront persuadées
qu'elles ont des droits que lorsqu'on les appellera à exercer ces
droits.

N'y aurait-il pas pour les hommes plus d'avantages à s'associer
immédiatement la femme, dans la commune et dans l'Etat, qu'à risquer
de se créer des difficultés, pour se donner la puérile satisfaction
de garder encore un peu de temps hors la loi, les vingt millions de
Françaises?

Aucune unité de vues n'est possible entre Français et Françaises, avant
qu'ils ne soient appelés à se concerter sur ce qui mutuellement les
intéresse; c'est-à-dire, avant que ne soit substitué au jeu sans effet
du petit suffrage restreint, la toute puissance transformatrice du
grand suffrage universel.

On dissipera l'incohérence politique, en élevant au niveau de l'homme,
la femme qui moule et façonne les électeurs.

L'éducation politique du pays serait maintenant achevée, si les hommes
et les femmes avaient depuis 1848, appris à bien voter, en votant
ensemble; et, au lieu de redouter que l'ignorance, la servilité,
n'enrayent le progrès, on aurait la certitude que le bon sens général
l'accélèrerait; car, la nation serait moralement augmentée, si la serve
qui lui donne son empreinte était citoyenne.



LE VOTE DES FEMMES CÉLIBATAIRES


Toutes les restrictions apportées à l'exercice des droits politiques
de la femme étant préférables à l'exclusion du sexe féminin de la
politique, nous admettrions, au pis aller, que pendant qu'elle est dans
le mariage, la femme soit comme l'homme pendant qu'il est sous les
drapeaux, privée du droit de voter.

Mais la femme affranchie de la tutelle maritale, la femme apte à gérer
toutes les affaires civiles et privées, n'est-elle pas apte aussi à
gérer les affaires politiques et publiques?

Si nous proposons de demander le suffrage d'abord pour les femmes
instruites et pour les célibataires, c'est afin d'esquiver en même
temps que la demande d'autorisation maritale, l'objection que la femme
est une ignorante.

En réclamant, dans l'intérêt du sexe entier, le pouvoir immédiat pour
les plus libres d'affranchir celles qui sont opprimées, on ne favorise
personne, attendu que les femmes mariées ne sont, pas plus que les
célibataires, dans un état immuable et permanent.

Tous les jours, des épouses deviennent veuves, donc célibataires; tous
les jours, des filles majeures, des veuves, des divorcées deviennent
des femmes mariées. Alternativement, les Françaises se remplacent
dans leurs successives conditions; aussi, la tactique consistant à
revendiquer d'abord le suffrage pour les momentanément majeures,
c'est-à-dire pour les femmes ayant l'aptitude exigée des hommes pour
être électeur, ne peut être qualifiée de transaction. C'est un moyen
employé pour réussir.

                                   *
                                  * *

Il ne peut point être question de décider à quelle catégorie de femmes
on va donner le vote. Toutes les Françaises sont dans une situation
trop instable pour être classées par catégories, et toutes ont droit au
vote.

Il s'agit de faire obtenir adroitement le suffrage au sexe féminin.
Si on le réclame pour la généralité des femmes, on jette sans profit
l'alarme au camp des maris. Si, au contraire, on introduit dans la
citadelle politique, afin qu'elles en ouvrent la porte à toutes
celles qui parmi les femmes n'ont pas leurs mouvements paralysés par
la puissance maritale, on aplanit les difficultés, on prévient les
objections et très promptement on triomphe.

La revendication du suffrage pour les Françaises qui n'ont pas de
mari est un démenti donné à ceux qui affirment que les femmes sont
représentées à la Chambre par leur mari.

M. Aulard, dans un de ses cours, a rappelé que les hommes ont commencé
à user de cette échappatoire pour s'abstenir de conférer le vote aux
femmes lors de la discussion de la Constitution de l'an III.

A propos de l'abolition du suffrage universel, Rouzet, député de la
Haute-Garonne, prit la parole pour dire que le suffrage universel
n'avait pas existé puisque les femmes n'étaient pas admises au droit
politique.

Lanjuinais, lui répondit que les femmes étaient représentées par leurs
maris.

Depuis, les députés chargés de faire des rapports sur les pétitions
réclamant le suffrage des femmes se sont toujours tirés d'embarras en
répétant après Lanjuinais que les femmes étaient représentées par leurs
maris.

Il était nécessaire d'arrêter sur les lèvres des législateurs cette
version erronée en demandant les droits électoraux pour les millions de
Françaises qui n'ont pas de mari.

                                   *
                                  * *

Quand on révise la loi électorale, des députés demandent quelquefois
d'assurer la représentation des épouses en accordant aux électeurs
mariés deux suffrages.

Mais, jamais il n'a été question de charger quiconque de déposer un
bulletin pour les Françaises célibataires. C'est que ces femmes-là
sont des majeures devant le devoir public et que l'on ne peut contester
leur droit.

Ce droit des célibataires, les hommes l'appellent même parfois au
secours de leurs privilèges; seulement, après qu'ils ont proclamé qu'il
est indispensable que les veuves et les filles majeures aient des
mandataires, ils leur disent qu'elles auraient l'esprit bien étroit si
elles croyaient qu'elles ont besoin de voter pour être représentées à
la Chambre.

                                   *
                                  * *

Demander de concéder d'abord le suffrage aux femmes qui ont les
qualités requises pour le posséder, ce n'est pas transiger, c'est
adapter le droit à l'aptitude.

Quand on a donné l'électorat consulaire aux commerçantes, quand on
a accordé l'électorat et l'éligibilité aux conseils départementaux
d'enseignement et au conseil supérieur de l'instruction publique, aux
institutrices, on a adapté le droit à l'aptitude.

Les épouses sous la tutelle de leur mari, qui ne seront pas
provisoirement comme les femmes majeures aptes à exercer leurs droits
politiques, ne se croiront pas plus déchues que les dames qui, n'étant
ni commerçantes, ni institutrices, ne peuvent de celles-ci partager les
privilèges.

Les hommes sont-ils devenus tous à la fois électeurs?--Non. Avant que
le suffrage soit pour eux universalisé, étaient exclus du vote les
domestiques, les illettrés, les exemptés du service militaire, enfin
ceux qui ne payaient pas deux cents francs d'impôts.

Les femmes n'obtiendront peut-être pas non plus, toutes en même temps
le suffrage; il est possible que ce ne soit que quand les veuves et les
filles majeures voteront déjà que les épouses, acquerront la capacité
électorale.

La tactique consistant à réclamer d'abord l'électorat des célibataires,
a pour but d'obtenir plus vite les droits politiques aux femmes mariées.

Est-il besoin de rappeler qu'en Angleterre le vote des célibataires a
précédé de vingt-cinq ans le vote des femmes mariées? C'est en 1869
que l'électorat municipal a été octroyé aux Anglaises non mariées, et
ce n'est qu'en 1894 que ce même électorat municipal a été accordé aux
Anglaises mariées.

L'éligibilité aux borough councils n'a encore été conférée qu'aux
Anglaises célibataires, veuves ou filles inscrites sur les listes
électorales de leur résidence.

La ruse de guerre dont nous usons en demandant que la catégorie de
femmes qui n'est pas sous la puissance maritale, qui administre déjà
ses affaires particulières, puisse gérer ses affaires publiques, nous
a été suggérée par les législateurs qui ont rejeté nos pétitions
réclamant les droits politiques pour toutes les Françaises, en
alléguant que les femmes étaient représentées par leurs maris.

Nous avons voulu savoir ce que les députés pourraient bien objecter
à la revendication du vote pour les nombreuses femmes n'ayant pas de
mari, donc n'étant pas représentées.

Tel est le motif de la pétition suivante.

  «Messieurs les députés,

  «Nous vous prions de bien vouloir conférer le droit électoral aux
  millions de Françaises célibataires--les filles majeures, les veuves,
  les divorcées--qui sont maîtresses de leur personne, de leur fortune,
  de leurs gains, afin qu'elles puissent, en votant, sauvegarder, dans
  la commune et dans l'Etat, leurs intérêts qui sont actuellement
  laissés à l'abandon.»

Cette pétition déposée en 1901 sur le bureau de la chambre, fut
transformée en projet de loi par M. Gautret, député.

Notre proposition d'attribuer d'abord l'électorat aux célibataires
excita l'indignation de quelques femmes mariées; l'une d'elles nous
écrivit:

«Alors vous pensez que le mariage est une déchéance morale?»

Le mariage n'est pas une déchéance morale, mais il est une déchéance
légale bien caractérisée, puisqu'il dépouille, annihile l'épouse, fait
redevenir mineure la femme, fût-elle depuis dix ans majeure quand elle
se maria.

La participation du plus petit nombre de femmes à la politique
aurait de suite un résultat heureux pour tout le sexe, attendu
que les intérêts féminins étant identiques, les dames électeurs
sauvegarderaient avec les leurs, les intérêts des autres femmes.

Il est bien entendu, que nous voulons le suffrage pour les épouses
comme pour les demoiselles, les veuves, les divorcées. Pendant que
toutes les femmes de la nation ne voteront point avec les hommes, le
suffrage ne sera pas en France universel, mais plus ou moins restreint,
réduit, émasculé.

Ce principe posé, on reconnaîtra que c'est une tactique habile
d'employer les célibataires à faire une brèche en la forteresse des
privilèges masculins par où l'armée entière des femmes passera. Nul ne
peut nous blâmer de pousser vers les urnes les plus libres pour hâter
l'affranchissement de celles qui le sont le moins; car, en politique
comme à la guerre et au jeu, il faut savoir user de stratagème pour
être victorieux.

Ne vaudrait-il pas mieux que les moins assujetties parmi les femmes
aient avec le bulletin le pouvoir d'arracher aux fers les triplement
enchaînées, que de les regarder souffrir sans avoir la possibilité de
leur porter secours?

Les législateurs n'osent appeler à exercer leurs droits politiques, les
filles majeures, les veuves et les divorcées, parce qu'ils savent bien
que le sexe féminin, entier, aussitôt les suivrait dans la salle de
vote.

Cependant, la très nette déclaration ci-dessous fut un jour faite à la
chambre par un orateur: «Il y a des personnes qui ne votent pas dans
la nation, mais qui ont des intérêts et des droits à être représentées.
Ces personnes ce sont les femmes célibataires et les veuves disposant
de leur fortune, ayant réellement des intérêts manifestes, ayant droit
à avoir des représentants de ces intérêts.» Les députés applaudirent.

Quelle objection pourrait-on faire au droit des Françaises célibataires
de se nommer des représentants? Il est impossible de prétexter pour
elles d'empêchements naturels temporaires, ou de les dédaigner, car
leur nombre est considérable. Cette catégorie de femmes formerait un
Etat dans l'Etat.

On compte en France près de six millions de demoiselles qui, avec les
légions de veuves et les divorcées, représentent un total imposant
d'individualités dont les intérêts ne sont pas même représentés
indirectement par un mari au Parlement, aux conseils généraux et
municipaux.

Comme l'homme, la célibataire est maîtresse absolue de sa personne et
de sa fortune. Elle garde avec son nom sa personnalité, fait ce qu'elle
veut, vit comme elle l'entend. Pourquoi cette femme ne voterait-elle
pas?

Il est de l'intérêt général que le droit électoral soit rendu
accessible aux célibataires dont l'activité et les facultés affectives
demeurent inutilisées, sont perdues pour la société, pendant qu'elles
ne peuvent se dépenser au profit du bien public.



VOUS N'ÊTES PAS MILITAIRES!


Quand les femmes demandent à voter, ceux mêmes qui parlent de supprimer
les armées permanentes leur répondent: «Vous ne pouvez jouir des
prérogatives politiques puisque vous ne portez pas le fusil».

La loi de deux ans sert aux antiféministes de prétexte pour déclarer
que les femmes point astreintes aux obligations militaires imposées aux
hommes, ne peuvent être en la société leurs égales.

C'est peine perdue de leur faire remarquer que la loi de neuf mois
renouvelable est plus dure pour les femmes que la loi de deux ans
pour les hommes; que beaucoup plus de femmes succombent sur le lit de
douleur pour l'œuvre de création, que d'hommes sur le champ de bataille
pour l'œuvre de destruction.

Les femmes ne se battent pas; mais, tous les hommes non plus ne se
battent pas; il y a de par le monde une foule d'hommes impropres au
service militaire; on les appelle des réformés, ces réformés, jouissent
cependant de leurs droits civiques.

Personne n'a jamais songé à contester le droit de vote à ceux que le
conseil de revision a repoussés.

Il est donc bien singulier de voir se manifester quand le sexe féminin
réclame ses droits, des exigences que l'on n'a pas pour le sexe
masculin.

Cette objection du service militaire n'est pas nouvelle. J'ai épinglé
dans mon cabinet de travail un numéro du _Grelot_ illustré, où sous ce
titre «Hubertinauclertinade», Alfred Le Petit a dessiné un militaire
qui interpelle ainsi une femme enceinte:

--Eh! dites donc vous, la citoyenne, puisque vous voulez les mêmes
droits que nous, venez donc faire aussi vos vingt-huit jours?

--Pourquoi pas, si vous voulez faire nos neuf mois?... répond la future
mère.

Les plaisantins qui voudraient laisser la femme hors du droit commun,
parce qu'elle n'assume pas à la fois la peine de perpétuer la race
et celle de défendre le territoire, négligent de songer que, s'ils
exigeaient pour leur sexe pareil cumul, il serait infiniment moins
facile aux hommes d'être mères qu'aux femmes d'être soldats.

Il y a déjà eu des femmes soldats: les Gauloises accompagnaient leurs
maris à la guerre, elles étaient si intrépides, elles maniaient avec
tant d'adresse le bouclier, qu'elles avaient reçu en présent de leur
fiancé, qu'un Gaulois pouvait, disait-on, terrasser six ennemis s'il
était secondé par sa femme dont les bras nerveux se raidissaient et
portaient des coups aussi terribles que ceux des pierres lancées par
des catapultes.

Sous l'ancienne France des femmes se ceignaient virilement d'un habit
de guerre, combattaient, ou se précipitaient entre les bataillons
armés, pour les empêcher d'en venir aux mains en s'écriant:
«Gardez-vous de livrer un combat ou périra tout le bien du pays.»

Les femmes se font soldats aux heures désespérées.

Avant et après Jeanne Darc notre héroïne nationale, qui en 1429 arracha
la France aux Anglais en les forçant avec un réel génie militaire, à
lever le siège d'Orléans après les avoir vaincus à Patay--A toutes les
époques de l'histoire des femmes se sont distinguées par des actions
d'éclat.

Jacqueline Robin, sauva la ville de Saint-Omer, en lui procurant des
vivres et des munitions.

Jeanne Hachette, défendit héroïquement Beauvais, assiégée par
Charles-le-Téméraire.

Mlles Ferny, se battirent si bien que la Convention leur envoya deux
chevaux caparaçonnés.

Combien d'autres femmes se sont enrôlées dans les armées de la
République: Marie Pochelet, Madeleine Petit-Jean, Rose Marchand, Elisa
Quatresou, pour ne citer que celles-là, obtinrent de la Convention des
éloges et des pensions.

Thérèse Figueur, qui fut dragon eut deux chevaux tués sous elle, fut
cinq fois blessée; se retira en 1815 après 22 ans de service militaire
avec 200 francs de pension.

Virginie Ghesquière dite le «joli sergent,» s'engagea à la place de
son frère jumeau qui n'avait pas sa vigueur et se distingua à Wagram.

Angélique Brûlon, nommée sous-lieutenant et décorée de la légion
d'honneur, fut après ses campagnes admise aux invalides.

Marie Schellinck, frappée de six coups de sabre à Jemmapes, blessée à
Austerlitz et à Iéna eut une citation à l'ordre du jour de l'armée;
après Arcole fut nommée sous-lieutenant et décorée pour ses douze
campagnes et ses 17 ans de service.

Ni les Conventionnels, ni Bonaparte, n'encourageaient l'enrôlement
des femmes dans les bataillons. On était porté à confondre ces braves
soldates, avec les troupeaux de filles qui de tous temps avaient
encombré les camps; et que les chefs d'armée, soucieux de la santé de
leurs troupes ordonnaient parfois de jeter dans la rivière. En 1760 le
maréchal de Broglie leur faisait noircir le visage avec une drogue qui
les marquait pour six mois. C'était un moyen préférable au fouet qui,
disait le maréchal, ne les empêche pas de revenir.

Bonaparte eut recours au même système, il ordonna de passer au noir les
femmes qui venaient sans autorisation à l'armée.

En 1870, une institutrice, Mlle Lix fit brillamment la campagne des
Vosges.

D'autre part, Livingstone nous rapporte en le récit de ses voyages, que
dans le petit royaume de Bantam (Ile de Java) les capitaines et les
soldats sont des femmes.

L'Amérique méridionale a le fleuve des _Amazones_, parce que sur les
rives de ce cours d'eau des femmes combattirent.

En 1865, Lopez, pour lutter contre le Brésil, enrôla les Paraguayennes,
elles se battirent si vaillamment, et se firent tuer avec tant de
courage, qu'après la paix signée il n'y avait plus au Paraguay que des
hommes.

Au Dahomey, l'armée permanente formée des femmes repoussa souvent nos
troupes; et, pour conquérir ce pays à la France, nos soldats durent
en 1892 énergiquement lutter contre les intrépides amazones dont ils
admiraient la bravoure.

Les femmes ont un peu partout suffisamment prouvé qu'elles étaient
aptes à porter les armes, et qu'elles pourraient être avantageusement
utilisées par le département de la guerre.

Avec les femmes «riz--pain--sel» nos soldats qui souvent souffrent
et meurent surtout des privations endurées, seraient certains d'être
toujours réconfortés, sustentés, car ils seraient l'objet de la
sollicitude de celles qui sachant seules ce qu'un homme coûte à faire,
comprennent réellement seules l'importance qu'il y a à le conserver.

Les femmes pourraient augmenter l'effectif de l'armée en prenant dans
l'administration et l'intendance la place des hommes qui ont été
distraits des bataillons.

                                   *
                                  * *

Il faut prévoir--un conflit sérieux surgissant--la nécessité que tous
les hommes soient à la frontière et assurer le fonctionnement des
services de l'intendance au moyen de l'élément national qui ne porte
pas le fusil, au moyen des femmes.

Au théâtre, pour parer à tout événement, on fait apprendre les rôles à
plusieurs acteurs, on a des artistes prêts à suppléer le chef d'emploi;
pourquoi donc, lorsqu'il s'agit non plus de comédie, mais de cette
effrayante réalité pour la France: être, ou ne pas être! oublie-t-on
la prévoyance, néglige-t-on d'assurer avec des remplaçants féminins
le fonctionnement de transports, d'approvisionnements de vivres et de
munitions?

IL suffirait de diriger le dévouement que beaucoup de femmes prodiguent
durant les chocs sanglants, pour obtenir du sexe féminin une
coopération précieuse.

Nulle guerre n'a eu lieu, sans que plusieurs Françaises bravent la
mort pour aider au ravitaillement des armées bloquées, pour porter
des munitions aux assiégés. En 1870, à Châteaudun, Mme Jarrethout
entretenait de munitions, sous le feu prussien, les combattants:
pendant qu'à Pithiviers Mlle Dodu subtilisait ingénieusement les
télégrammes allemands et ainsi sauvait un de nos corps d'armée.

Ni la décision, ni le sang-froid, ni l'intrépidité, ne font défaut aux
femmes. Qu'on leur permette donc d'augmenter le nombre des hommes qui
se battent, en les remplaçant dans les services inactifs comme elles
les remplacent dans l'industrie, en continuant le commerce, dans
l'agriculture en faisant prospérer la ferme quand ils ne sont pas là.

Les féministes ont depuis plus de 25 ans proposé d'utiliser les
Françaises dans les services auxiliaires de l'armée: L'intendance, la
manutention, l'équipement, l'infirmerie et tout ce qui a rapport aux
vivres et aux munitions.

Lors de la campagne de Tunisie, tous les journaux publièrent une
lettre adressée au général Farre, ministre de la guerre, dont voici un
passage: «Nos soldats vaincraient vite l'ennemi et la maladie, si un
personnel dévoué, veillait à leur bien-être matériel. Qu'on appelle les
femmes à faire leur service humanitaire--pendant du service militaire
des hommes--et l'on aura ce personnel[1].»

  [1] _La citoyenne_, numéros 36 et 43.

Après ces offres de service, comment peut-on oser dire aux femmes qu'il
faut qu'elles soient militaires pour avoir leur part de souveraineté?

Les mères remplissent des charges au moins équivalentes aux obligations
des militaires et elles n'ont pas les avantages dont jouissent ceux-ci.

La femme chargée de perpétuer la nation, devrait être traitée de même
que le soldat chargé de défendre le territoire; comme le soldat, la
mère devrait être logée, nourrie, vêtue par la société.



VOUS ÊTES CLÉRICALES!


Dès les temps les plus reculés, la ruse religieuse a aidé la force
gouvernementale à asservir, exploiter, spolier les femmes.

Sans demander aux femmes de se soumettre à une quelconque formalité,
pouvoirs spirituels et pouvoirs temporels se sont entendus pour leur
confisquer leurs droits, les annuler.

Les femmes accusées d'avoir causé la perte du genre humain, furent
vouées à l'opprobre par le christianisme qui sanctionna la tradition
juive de la chute de la femme.

Au lieu d'élever à leur niveau la génératrice que les pères de l'Eglise
avaient mis sous leurs pieds, les laïques, qui rient de la légende
biblique, ont adopté le dogme religieux de l'infériorité de la femme;
et, l'exclue du sacerdoce a été exclue du suffrage.

Pour évincer les femmes de la politique qui leur octroierait leur part
des avantages sociaux, les hommes prétextent qu'elles sont cléricales.

La séparation de l'église et de l'Etat en ses divers incidents, a
révélé que ce croquemitaine le cléricalisme, avec lequel on impose
depuis si longtemps silence aux femmes, est un épouvantail aussi fictif
que ceux dont on se sert pour effrayer les enfants.

Du moment que les ministres des différents cultes sont électeurs on n'a
pas d'objection à faire contre l'électorat des femmes fussent-elles
pratiquantes de ces cultes.

Car, si le fait d'avoir les opinions religieuses est par lui-même
répréhensible, peu importe le sexe des personnes qui ont ces opinions.
On peut même soutenir que les actes religieux accomplis par les hommes
qui se sont attribué dans la société un rôle prépondérant, ont une
portée plus considérable que ceux accomplis par des femmes annulées.

Pourquoi les femmes croyantes seraient-elles donc traitées avec plus de
rigueur que les hommes croyants?

On ne demande pas aux hommes quelles sont leurs idées philosophiques
quand on leur délivre la carte électorale: les prêtres, les pasteurs,
les rabbins, la reçoivent, comme les libres-penseurs.

Puisque les hommes ne sont pas spoliés de leurs droits pour cause
d'opinions, pourquoi les femmes le seraient-elles?

Si la religiosité aide plutôt des hommes à s'élever dans la République
aux premières fonctions et dignités, comment cette religiosité
ferait-elle dégrader civiquement les femmes?

Ceux qui excommunient les Françaises de la vie publique, entendent
substituer au déisme, le masculinisme.

--Femmes! disent-ils, ne croyez pas à l'infaillibilité du pape, mais
admettez sans discussion l'infaillibilité de l'homme!

Ce sont surtout les femmes malheureuses en ménage qui s'adonnent au
mysticisme. Cela m'a été tant de fois démontré, que dès qu'un citoyen
me confie que sa compagne légitime ou illégitime, tombe dans la
religiosité ou l'occultisme; avec la certitude d'avoir devant moi un
coupable, je lui demande aussitôt:--Qu'avez-vous fait à votre femme?

Pendant qu'elles sont les embastillées des codes, s'occuper de
l'opinion des femmes, c'est comme si l'on s'occupait du chemin qu'un
prisonnier prendra quand il aura brisé ses chaînes. Tous les délivrés
de l'oppression courent du côté où ils voient le plus de liberté.

                                   *
                                  * *

On arrête le progrès en laissant à la loi l'empreinte cléricale qui lui
fait inférioriser le sexe pour lequel les pères de l'Eglise avaient une
haine contre nature.

Ainsi que saint Jérôme et saint Cyprien, qui mutilaient leurs corps
pour s'abstenir de s'avilir avec la femme impure, les législateurs
libres-penseurs mutilent le corps social, retranchent la moitié de ses
membres, pour s'épargner l'impur contact féminin.

                                   *
                                  * *

Les détenteurs du pouvoir considérèrent toujours comme subversive
l'idée féministe. L'Eglise favorisa cette tendance en flétrissant au
concile de Paris «les dames qui au mépris de la constitution canonique,
se mêlent des choses de l'autel, manient effrontément les vases sacrés
et, ce qui est plus grave, plus indécent, plus inepte, offrent le corps
et le sang du Seigneur aux fidèles».

Quand les hommes veulent se réserver le monopole d'une bonne place, que
ce soit celle de prêtre ou celle de député, ils sont d'accord, pour
dire à la femme que c'est inepte et indécent, de la leur disputer.

Les libres-penseurs enlèvent aux femmes l'espoir d'être indemnisées au
ciel de leurs souffrances; mais, ils ne se hâtent point de leur donner
ici-bas tout leur dû.

Laïciser la France, ce n'est pas seulement cesser de payer
pour enseigner des dogmes religieux, c'est rejeter la loi
cléricale--infériorisant la femme--qui découle de ces dogmes.

Les apôtres de la foi civile qui dénient aux Françaises leurs droits
politiques, sont frères jumeaux des évêques du concile de Mâcon, qui se
demandaient si les femmes avaient une âme et faisaient partie du genre
humain.



LA RELIGION LAIQUE


Je fus un jour déléguée par une société de libres-penseurs pour prendre
la parole à un mariage civil. Aucun programme ne m'ayant été tracé,
je crus avoir carte blanche et après avoir entendu le maire lire aux
nouveaux époux les articles 213-214-215-217 du Code civil, je ne pus
m'empêcher de dire aux conjoints:

  «Il ne suffit pas que vous vous absteniez d'aller à l'Eglise faire
  bénir votre union, vous devez encore réprouver le texte de la loi
  basée sur l'esprit de l'Eglise qui consacre le principe d'autorité.
  Si vous voulez être heureux dans le mariage, traitez-vous en amis!
  en associés! en égaux!... Ne tenez pas plus compte de la loi qui
  outrage et infériorise la femme, que vous n'avez tenu compte du
  droit canonique qui vous enjoignait de vous marier à l'Eglise.»

Le préfet de la Seine indigné qu'il soit fait des correctifs au Code,
adressa aux maires de Paris la circulaire suivante:

  LES MARIAGES CIVILS

  Paris, le 21 avril 1880.

  Messieurs et chers collaborateurs,

  Une de nos préoccupations communes les plus vives a été de maintenir
  et d'accroître la dignité de la cérémonie du mariage civil.

  Mais il ne suffit pas, pour rendre à la loi le respect qu'elle
  mérite, que la cérémonie s'accomplisse régulièrement et que l'ordre
  matériel ne soit pas troublé il faut encore que les paroles
  contraires au respect de la loi ne puissent s'élever dans le lieu
  même où l'on vient rendre hommage à la loi.

  Nous voulons augmenter le prestige du mariage civil, et nous
  laisserions critiquer publiquement la législation qui le consacre au
  moment même où l'acte vient de s'accomplir.
  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

  Il y a quelques jours, à la mairie du dixième arrondissement, à la
  suite et à l'occasion d'un mariage civil, une personne dont on parle
  beaucoup en ce moment a prononcé un discours dont le texte même
  ne m'est pas connu, mais dont le fonds roulait sur les inégalités
  établies entre le mari et la femme par les articles du Code civil
  dont l'officier de l'état-civil venait de donner lecture quelques
  instants auparavant.

  Vous sentez, messieurs et chers collaborateurs, sans que j'y insiste
  de nouveau, à quel point de tels faits sont intolérables.

  Que la personne dont j'ai parlé développe ses idées dans des
  réunions, qu'elle les communique aux journaux, nous n'avons rien à
  dire à cela; qu'elle les transforme en réclamations administratives,
  nous ne nous en plaignons pas; qu'elle demande son inscription sur
  les listes électorales; qu'elle requière sa radiation du rôle des
  contributions; qu'elle postule son admission sur les listes de
  recrutement; elle use ou elle usera d'un droit et les inconvénients
  sont nuls; les pouvoirs compétents ont statué ou statueront.

  Mais ici le cas est tout différent, il n'y a pas de droit; et, quant
  aux inconvénients, ils éclatent d'eux-mêmes: demain, un partisan
  d'idées opposées à celles qui ont été exposées à la mairie du dixième
  arrondissement prendrait la parole; puis ce serait le tour d'un
  autre, et la polémique et les discours des clubs s'établiraient dans
  la maison de la loi et la transformeraient en lieu de trouble et
  d'agitation, à la grande joie de nos ennemis.

  Toute personne n'a pas le droit de prendre la parole à un mariage
  civil. Cela est bon à rappeler.

  Mais la condition essentielle qui constitue la seule garantie
  véritable contre les incidents imprévus c'est la présence continue de
  l'officier de l'état-civil.

  Il importe que vous soyez là, que vous y soyez jusqu'à la fin, pour
  qu'au premier écart qui se produirait, vous déclariez la séance levée
  et donniez l'ordre de faire évacuer la salle.

  Veuillez agréer, messieurs et chers collaborateurs, l'expression de
  mes sentiments affectueux et dévoués.

  _Le sénateur, préfet de la Seine_,

  F. HÉROLD.

«La personne avec laquelle M. Hérold polémique dit _Le Temps_ qui
s'occupe de la chose avec une douce gaieté, n'est autre que Mlle
Hubertine Auclert.»

M. E. Lepelletier écrit dans _Le mot d'Ordre_:

  «Il s'agit on le sait de Mlle Hubertine Auclert, qui, à un mariage
  civil au lieu de se borner à féliciter les nouveaux époux au nom
  de la commission de la Libre-Pensée du 10e dont elle fait partie,
  a paraît-il, parlé des inégalités entre mari et femme et critiqué
  le texte du Code civil dont l'officier de l'état-civil venait de
  donner lecture.»

_La Justice_ demande «En quoi importe-t-il qu'il soit fait ou non, à la
suite de la célébration du mariage, des dissertations sur le rôle de la
femme dans la société? La loi en est-elle amoindrie? L'institution du
mariage est-elle atteinte par ces pratiques?--Evidemment non.»

Les libres-penseurs furieux, que j'aie osé conseiller de transgresser
les dogmes légaux, déclarèrent qu'à l'avenir les hommes seuls seraient
les officiants de la religion laïque; néanmoins, les mairies leur
furent momentanément fermées. Ce ne fut que deux ans après cet
incident, qu'ils purent de nouveau discourir dans les salles des
mariages. J'écrivis alors au préfet de la Seine, M. Floquet la lettre
suivante:

  Paris, 4 septembre, 1882.

  Monsieur le Préfet,

  «J'apprends par les journaux qu'un libre-penseur a harangué des
  nouveaux mariés dans une mairie de Paris, et je m'empresse de vous
  remercier d'avoir levé l'interdit de M. Hérold, interdit motivé par
  une allocution que j'avais faite en semblable occasion.

  «Je ne doute pas que la liberté d'adresser dans les mairies quelques
  mots aux nouveaux mariés, liberté dont je serai heureuse d'user,
  est octroyée aux femmes comme aux hommes, aux _féministes_, comme
  aux libres-penseurs; car, il serait incompréhensible que les
  libres-penseurs puissent aller à la mairie critiquer l'église sur
  l'esprit de laquelle reposent les lois matrimoniales, alors que les
  _féministes_ ne pourraient aller à cette même mairie critiquer les
  lois matrimoniales qui sont basées sur l'esprit de l'église.

  Vous ne ferez pas de distinction, monsieur, entre ceux qui attaquent
  l'effet et ceux qui attaquent la cause du moment qu'un partisan de la
  libre-pensée a pu parler, les partisans du _Féminisme_ ont le droit
  de parler.

  Veuillez agréer, monsieur le Préfet, l'assurance de ma considération
  très distinguée.

  «HUBERTINE AUCLERT»

  Directrice de «_La Citoyenne_.»

En son numéro du 5 septembre 1882, _Le Temps_ en parlant de ma lettre
au préfet souligne le mot _Féministes_: «Mlle Hubertine Auclert a,
dit-il, réclamé au profit des femmes, ou plutôt, le mot est joli, des
_féministes_, un droit égal à celui que s'arrogent les libres-penseurs.
Pourquoi, en effet, les _féministes_, ne profiteraient-ils pas de ces
occasions-là pour prêcher leurs dogmes particuliers?»

Les expressions: _Féminisme_, _Féministes_, ont été dès lors employées.



LES FEMMES ONT VOTÉ EN FRANCE


Le sexe féminin qui est aujourd'hui annulé dans la commune et dans
l'Etat, intervenait parfois jadis dans les affaires publiques.

Tacite nous apprend, que les femmes Gauloises étaient appelées dans
toutes les assemblées délibérantes où les plus graves questions étaient
traitées et où elles discutaient et votaient.

Les historiens, parlent de la sagesse du Sénat des femmes Gauloises.

Plutarque nous dit, que les femmes Lyguriennes furent investies
d'une autorité politique supérieure à celle des hommes, à l'occasion
d'interminables querelles qui amenaient les Lyguriens à une guerre
civile. Déjà, les deux partis avaient couru aux armes, ils se
mesuraient des yeux sur le champ de bataille, lorsque les femmes se
précipitant entre eux voulurent connaître le sujet de leur discorde.
Elles le discutèrent et le jugèrent avec tant d'équité et de raison,
qu'une amitié de tous avec tous régna dès lors, non seulement dans
chaque cité, mais dans chaque famille. De là, naquit l'usage d'appeler
les femmes aux délibérations sur la paix et la guerre.


_Les Gaulois prenaient les femmes pour arbitres de leurs différends._

Quand les soldats d'Annibal, venant d'Espagne, voulurent passer les
Alpes pour envahir l'Italie, les Gaulois, qui se demandaient si ils
laisseraient le général Carthaginois traverser leur pays, prirent les
femmes pour arbitres et les chargèrent de régler les difficultés qui
pourraient surgir. Il fut stipulé dans le traité passé entre Annibal et
les Gaulois: «Que si les Carthaginois avaient à se plaindre de leurs
hôtes, ils exposeraient leurs griefs au tribunal des dames Gauloises
lesquelles en seraient juges.» (Fauchet)

Annibal reconnut cette autorité féminine si nouvelle pour un
Carthaginois. Quelques femmes siégeant au bord du Tet, prononcèrent
en dernier ressort sur la demande et les plaintes de celui qui allait
ébranler Rome. Il n'eut, paraît-il, jamais qu'à se féliciter des arrêts
du tribunal féminin.

Les Celtes ou Germains délibéraient aussi avec leurs femmes sur la paix
et la guerre; c'était avec les femmes--auxquelles ils attribuaient
une divination sacrée et prophétique--qu'ils éclaircissaient tous les
différends qui s'élevaient entre eux.

Sous le règne de Cécrops, premier roi d'Athènes, les femmes avaient
voix dans les délibérations publiques.

Dès les temps les plus reculés les femmes des populations de races
diverses habitant le territoire des Gaules étaient considérées et
jouaient un grand rôle.

On attribuait aux Gauloises des lumières surnaturelles, l'art de la
divination. Les Druidesses Gauloises étaient célèbres: Velléda passait
pour une divinité 71 ans après J.-C.

Mais la Gaule est envahie par les Francs, les Wisigoths; et le
vainqueur substitue aux lois et mœurs Gauloises, les siennes.



LA LOI SALIQUE


Les Francs-Saliens en leur législation barbare rédigée en latin
et publiée sous Clovis, Dagobert, Charlemagne, déclarèrent que la
propriété allodiale (héréditaire) ou terre salique, ne pouvait être
dévolue aux femmes, et que, par conséquent, celles-ci étaient inhabiles
à succéder au trône de France.

Les Etats-Généraux de 1317 interprétèrent cette disposition des
anciennes coutumes des Francs-Saliens, dite _loi salique_, au détriment
de Jeanne fille de Louis X, en faveur de Philippe V. Et depuis,
fussent-elles reconnues supérieures aux fils de France, toutes les
filles de France furent exclues de la royauté.

Pourtant, si les femmes ne pouvaient régner elles gouvernaient parfois,
en qualité de régentes, le royaume.

Richilde, femme de Charles-le-Chauve, eut à la mort de son mari la
régence de l'empire (870). Elle prit place dans l'assemblée des évêques
et présida même un concile.

Louis VI traitait sa femme Adélaïde en associée. Il voulait que son nom
figure avec le sien dans la rédaction des chartes et de tous les actes
publics (1120).

Jeanne de Navarre, épouse de Philippe IV, gouverna fort bien la
Champagne et la Navarre qui lui appartenaient. Douée d'une intelligence
supérieure et d'une rare énergie, elle empêcha le comte de Bar
d'envahir la Champagne, le battit et le ramena prisonnier à Paris
(1297).

Jeanne de Bourgogne femme de Philippe de Valois était associée aux
actes les plus importants de l'Etat. Son mari l'autorisait à tout
signer (1328).

Anne de Beaujeu, fille aînée de Louis XI fut régente du royaume pendant
six ans, en raison de la minorité de son frère Charles VIII. Elle
prouva tellement qu'elle était une politique consommée, que la régence
et le pouvoir lui furent maintenus par les Etats de Tours (1484) à
l'exclusion du duc d'Orléans.

Anne de Bretagne, qui épousa successivement Charles VIII et Louis XII,
prenait aux affaires publiques la part la plus active, elle recevait
les ambassadeurs et les princes dans de véritables cours plénières.

Catherine de Médicis gouverna le royaume pendant les règnes de
François II, Charles IX et Henri III.

Marie de Médicis fut régente. Anne d'Autriche fut régente.

Les impératrices Marie-Louise et Eugénie de Montijo furent régentes.



LES PRÉROGATIVES DES FEMMES EN L'ANCIENNE FRANCE


La féodalité fit des femmes juges. On a conservé des arrêts rendus
par des femmes juges au XIIIe et XIVe siècle qui valent ceux de nos
meilleurs magistrats.

Louis VII dit (le jeune) maintint dans ses droits contestés de
justicière, Ermengarde, vicomtesse de Narbonne.

Au Moyen Age on vit des religieuses, comme dans l'ordre de Fontevrault,
avoir sous leur gouvernement des communautés d'hommes.

Mais, de nos jours, ne voit-on pas des sœurs franc-maçonnes diriger en
qualité de vénérables des loges où siègent beaucoup plus d'hommes que
de femmes?

Les abbesses de Remiremont et leurs doyennes jugeaient dans les
domaines de l'abbaye.

La féodalité fit des femmes pairesses. La comtesse de Flandres siégea
en qualité de pairesse dans les conseils du roi Louis IX, quand se
discuta la possession du comté de Clermont.

Au Moyen Age, les femmes nobles veuves ou célibataires qui possédaient
des fiefs, étaient dans l'étendue de ces fiefs investies du droit de
lever des troupes, de rendre la justice, de battre monnaie, d'imposer
des taxes, d'octroyer des chartes.

Les clercs, révoltés de voir les détentrices de fiefs faire fonction
d'hommes, voulurent que leurs prérogatives leur fussent enlevées. Un
synode de Nantes contemporain des premières origines féodales injuria
à ce propos les femmes. Les peu galants ecclésiastiques assemblés
appelèrent les femmes «femmelettes».

En l'ancienne France, ce n'était point seulement les femmes de qualité
qui participaient à la politique: les simples «vilaines» eurent dès
l'émancipation des communes le droit d'opiner dans leurs villes et
villages.

Depuis les temps les plus anciens, dit Elisée Reclus, les habitants de
Besançon avaient le titre et le rang de citoyen et de citoyenne. Les
femmes dans les actes publics étaient qualifiées citoyennes.

Dès 1182, la _loy de Beaumont_ ordonna aux veuves, aux filles ayant
leur ménage et aux femmes mariées en l'absence de leurs maris, de
prendre part aux délibérations et aux votes, non seulement lorsqu'il
s'agissait d'affaires administratives; mais même quand il fallait
décider des questions politiques et sociales.

On retrouve dans les archives des Communes qui vivaient sous la _loy de
Beaumont_, les procès-verbaux des séances où les veuves, les filles et
les femmes, délibéraient avec les hommes.

Dans une Commune des environs de Montpellier, à Cournontéral, le 8 août
1334, l'établissement du Consulat fut mis aux voix et sur 175 votants
pour cet établissement, on trouve 37 noms de femmes.

Le suffrage était dans cette commune, réellement universel et de plus
obligatoire: Qui n'allait pas voter, payait une amende de _cinq sols_.

La loy de Beaumont qui confiait aux femmes comme aux hommes,
l'administration municipale, fut en vigueur dans des milliers de
communes jusqu'à la révolution.

Jusqu'à la révolution, les dames nobles veuves ou célibataires qui
possédaient des fiefs, et les communautés de femmes participèrent à
l'élection des députés.

«Il arriva donc, dit M. A. Aulard, que des députés de la noblesse et
du clergé aux Etats-Généraux de 1789 durent leur élection à des voix
féminines[2].»

  [2] A. AULARD, _Le Féminisme pendant la Révolution Française_ (Revue
  Bleue).


_Les Premiers Etats-Généraux._

Quand Philippe IV dit le Bel, fut excommunié par Boniface VIII, il
voulut faire prendre à la nation tout entière, parti pour lui contre
le pape; et convoqua les représentants du clergé, de la noblesse, du
Tiers-Etat, le 10 avril 1302 dans la cathédrale de Notre-Dame de
Paris. Ce furent les premiers Etats-Généraux. Les dames nobles détenant
des fiefs et les communautés de femmes étaient là représentées par les
nobles et les ecclésiastiques qu'elles avaient contribué à faire élire.

Les femmes pouvaient être représentantes aux Etats Provinciaux: Anne
de Bretagne tint en personne les Etats de Bretagne où Mme de Sévigné
siégea.

En 1576 trente-deux veuves siégeaient aux Etats de Franche-Comté.

En ce temps-là, en imposant des taxes, en donnant des chartes, les
femmes sauvegardaient les places fortes, gouvernaient les villes:
Françoise de Cezelly, en l'absence de M. de la Barre son mari,
gouverneur de Leucate, défendit en 1589 si admirablement cette place
forte, que quand M. de la Barre fait prisonnier par les Espagnols eut
été étranglé dans sa prison, Henri IV garda Françoise de Cezelly comme
gouverneur de la ville qu'elle avait conservée à la France.

Les femmes qui participaient aux affaires publiques se montraient
libérales: Aliénor d'Aquitaine donnait aux Aquitains la liberté du
commerce.

Le bon sens des privilégiées qui n'étaient pas exclues du droit,
faisait prévaloir le courant d'opinions favorables au relèvement du
sexe féminin, sur la traditionnelle tendance à son abaissement; et,
incitait des écrivains à protester contre le préjugé assignant aux
femmes une activité sociale inférieure à celle de l'homme.

Parmi ces précurseurs du féminisme, Poulain de la Barre s'est fait
remarquer. En son livre de _L'Egalité des Sexes_ publié en 1673, il
réclame avec énergie pour les femmes, l'égalité complète des droits
politiques et sociaux avec les hommes.

  «Il est, dit-il, aisé de conclure que si les femmes sont capables
  de posséder souverainement, toute l'autorité publique, elles le
  sont encore plus de n'en être que les ministres: Que pourrait-on
  trouver raisonnablement à redire qu'une femme de bon sens et éclairée
  présidât à la tête d'un parlement et de toute autre compagnie?... Il
  faut reconnaître que les femmes sont propres à tout.»


  Au XVIIe et au XVIIIe siècle, des femmes furent ambassadrices: Mme
  Delahaye-Vanteley fut envoyée à Venise, Mme de Guébriant à Varsovie.

                                   *
                                  * *

En 1789, les femmes du Tiers-Etat adressèrent une pétition au roi pour
demander que les hommes ne puissent exercer les métiers de femmes: tels
que couturière, brodeuse, modiste.

L'Assemblée Constituante, en avril 1791, par un décret-loi, donna aux
femmes le droit d'héritage, en supprimant les droits d'aînesse et de
masculinité dans le partage des successions. Mais en abolissant les
privilèges féodaux et coutumiers, cette même Assemblée Constituante
enleva à une catégorie de femmes, le droit qu'elle possédait de se
faire représenter aux assemblées politiques.

A la suprématie nobiliaire, succéda alors la suprématie masculine, les
ex-détentrices de fiefs, de même que les «vilaines» furent exclues de
l'affranchissement général, c'est-à-dire que la majorité de la nation
fut mise hors la loi et hors l'humanité.

En excluant les femmes des affaires publiques, on causa la faillite de
la révolution; car on faussa son principe égalitaire et on la priva des
agents qui pouvaient faire rapidement triompher ses idées.

Les Françaises auxquelles on refusait leur part des conquêtes du
mouvement révolutionnaire, avaient en participant à l'effervescence
générale contribué à faire s'établir le conflit entre la nation et la
royauté. Souvent, elles avaient donné le signal de l'action, en sonnant
le tocsin dans les clochers.

En 1788, à la Journée des Tuiles, on avait vu les Dauphinoises mêlées
aux Dauphinois, lancer en guise de projectiles des tuiles contre les
soldats du roi qui s'opposaient à la convocation des Etats-Provinciaux.

Ces femmes, avaient les premières compris que Grenoble devait garder
le parlement dans ses murs, sous peine de déchoir et de voir se
restreindre sa prospérité. Aussi, elles s'en étaient constituées les
gardiennes, montant la garde, veillant en armes, autour du château
de Vizille où siégeaient les Etats du Dauphiné qui préparèrent la
révolution.

Quand on convint d'obtenir de la cour, le retrait des troupes.
Ce fut à une de ces si vaillantes femmes et à un colonel, que fut
confiée la mission d'aller s'entendre, à ce sujet, avec le comte de
Clermont-Tonnerre. On affirmait ainsi, que le maintien du parlement à
Grenoble, était dû au sexe féminin.

                                   *
                                  * *

La petite fruitière Reine Audru et la fameuse Théroigne de Méricourt
reçurent, disent les historiens, un sabre d'honneur, en récompense de
la vaillance dont elles avaient fait preuve, à la prise de la Bastille
le 14 juillet 1789.



REVENDICATION DES FEMMES EN 1789


En voyant proclamer l'égalité des droits entre le seigneur et le
vassal, le noir et le blanc, les femmes réclamèrent l'égalité des
sexes. Elles adressèrent pétitions sur pétitions pour demander
l'abrogation des privilèges masculins, la cessation de l'abus qui
les empêchait de siéger à l'Assemblée Nationale, à l'Assemblée
Constituante, à l'Assemblée Législative.

Les femmes firent déposer sur le bureau de l'Assemblée Nationale ce
projet de décret:

  L'Assemblée Nationale[3] voulant réformer le plus grand des abus et
  réparer les torts d'une injustice de six mille ans décrète ce qui
  suit:

  «1º Tous les privilèges du sexe masculin sont entièrement et
  irrévocablement abolis dans toute la France».

  «2º Le sexe féminin jouira toujours de la même liberté, des mêmes
  avantages, des mêmes droits et des mêmes honneurs que le sexe
  masculin.»

  [3] Amédée le Faure, «Le socialisme pendant la révolution».

Nombreuses furent les femmes qui demandèrent leur part de la liberté et
de l'égalité, que tous proclamaient. Mais, ce fut surtout la brillante
improvisatrice Olympe de Gouges, qui formula avec précision les droits
du sexe féminin, en sa fameuse déclaration des «Droits de la Femme.»

  _Déclaration des Droits de la femme et de la citoyenne_

  «La femme naît libre et demeure égale à l'homme en droit. Les
  distinctions sexuelles ne peuvent être fondées que sur l'utilité
  commune.

  «Le but de toute association politique est la conservation des droits
  naturels et imprescriptibles de la femme et de l'homme. Ces droits
  sont la liberté, la prospérité, la sûreté et surtout la résistance à
  l'oppression.

  «Ce principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la
  nation qui n'est que la réunion de la femme et de l'homme. Nul corps,
  nul individu, ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément.

  «La liberté et la justice consistent à rendre tout ce qui appartient
  à autrui. Ainsi l'exercice des droits naturels de la femme n'a de
  bornes que la tyrannie perpétuelle que l'homme lui oppose. Ces bornes
  doivent être réformées par les lois de la nature et de la raison.

  «La loi doit être l'expression de la volonté générale. Toutes les
  citoyennes, comme tous les citoyens doivent concourir personnellement
  ou par leurs représentants à sa formation. Elle doit être la même
  pour tous.

  «Toutes les citoyennes et tous les citoyens étant égaux à ses yeux,
  doivent être également admissibles à toutes les dignités, places et
  emplois publics selon leur capacité et sans autres distinctions que
  celles de leurs vertus et de leurs talents.

  «La femme a le droit de monter à l'échafaud, elle doit avoir
  également celui de monter à la tribune.

  «La garantie des droits de la femme est pour l'utilité de tous et non
  pour l'avantage particulier de celle à qui elle est accordée.

  «La femme concourt ainsi que l'homme à l'impôt public; elle a le
  droit, ainsi que lui de demander des comptes à tout agent public de
  son administration.»

Olympe de Gouges mourut sur l'échafaud en 1793 à l'âge de 38 ans. Elle
avait été traduite devant le tribunal révolutionnaire, non point pour
avoir revendiqué le droit des femmes; mais, parce qu'elle avait trop
pris fait et cause pour les partis politiques; s'était alternativement
déclarée royaliste ou révolutionnaire et avait osé attaquer Robespierre.

La belle Liégeoise, Théroigne de Méricourt, qui le 5 octobre 1789,
avec sa redingote de soie rouge, son chapeau d'amazone et l'épée nue
au côté, séduisit le régiment de Flandres, aida à faire la royauté
prisonnière de la révolution.

Cette courtisane si populaire qui n'aimait que les hommes austères,
enthousiasmait les révolutionnaires et personnifiait pour les Français,
la liberté.

Afin de lui enlever son prestige, des ennemis politiques n'hésitèrent
pas en 1793 à relever ses jupes et dit Michelet à la fouetter comme
un enfant, devant la foule lâche qui riait. Cet outrage rendit folle
Théroigne qui mourut à la Salpêtrière en 1817 sans avoir recouvré la
raison.

Les femmes de la révolution, s'employèrent bien plus à élever encore
l'homme au-dessus d'elles, en soutenant ses plus hardies prétentions,
qu'elles ne se dévouèrent à procurer à leur sexe l'égalité avec le sexe
masculin.

Des femmes cependant étaient puissantes, elles étaient écoutées
de l'élite masculine qui se pressait dans leurs salons; mais, ni
Germaine Neker (Mme de Staël)--que la politique absorbait et qui
inspira à son père l'idée du suffrage universel. Ni Mme Roland (Manon
Phlipon) qui poussa son mari dans la voie républicaine et fut autant
que lui ministre de l'Intérieur--ne songèrent à tirer leur sexe de
l'asservissement.

Pourtant, l'heure semblait si favorable, que les étrangères elles-mêmes
luttaient pour l'affranchissement féminin.

En même temps que la Hollandaise Palm Aëlders envoyait à toutes les
villes de France sa brochure revendiquant le droit des femmes qui
lui fit décerner par la ville de Creil la médaille et le titre de
membre honoraire de la garde nationale; l'Anglaise miss Wolstonecraft
publiait son livre: _La défense des droits de la femme_ où il est dit:
que la femme devient un obstacle au progrès, si elle n'est pas autant
développée que l'homme».

L'acte originel de la république est dû à Mme Keralio-Robert[4]. Cette
femme de lettres qui avait déjà appelé les femmes à l'action publique;
et, avait été l'inspiratrice du parti républicain fondé par les
sociétés des deux sexes, improvisa sur l'autel de la Patrie au Champ de
Mars le 17 juillet 1791, la pétition républicaine pour ne reconnaître
aucun roi.

  [4] MICHELET.

                                   *
                                  * *

Les femmes spoliées de leurs droits, eurent pour défenseurs
Condorcet, Siéyès, l'abbé Fauchet, Saint-Just... Malheureusement,
les protestations de ces hommes de principes furent étouffées par
Mirabeau, Danton, Robespierre qui ne considéraient la femme que comme
un instrument de plaisir charnel.

Condorcet secrétaire de l'Académie des sciences, demanda publiquement
en 1788 que les femmes participent à l'élection des représentants[5].

  [5] A. AULARD.

Cet illustre philosophe qui réclama l'abolition de la royauté, la
proclamation de la république, posa le principe de l'égalité de la
femme et de l'homme qu'il regardait comme la base de la question
sociale. Condorcet fut donc en France un des précurseurs du féminisme;
et, sa statue quai Conti recevra avant longtemps, les périodiques
hommages des femmes reconnaissantes.

Le 3 juillet 1790, Condorcet publia son fameux article sur l'admission
de la femme au droit de la cité dont voici un passage:

  «Au nom de quel droit, au nom de quel principe écarte-t-on dans un
  état républicain les femmes du droit public? Je ne le sais pas. Le
  mot représentation nationale signifie représentation de la nation.
  Est-ce que les femmes ne font point partie de la nation?
  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
  «Plus on interroge le bon sens et les principes républicains, moins
  on trouve un motif sérieux pour écarter les femmes de la politique.
  L'objection capitale elle-même, celle qui se trouve dans toutes les
  bouches, l'argument qui consiste à dire qu'ouvrir aux femmes la
  carrière politique c'est les arracher à la famille, cet argument n'a
  qu'une apparence de solidité; d'abord il ne s'applique pas au peuple
  nombreux des femmes qui ne sont pas épouses ou qui ne le sont plus;
  puis, s'il était décisif, il faudrait, au même titre, leur interdire
  tous les états manuels et tous les états de commerce, car ces états
  les arrachent par milliers aux devoirs de la famille.»
  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
  Les droits des hommes résultent uniquement de ce qu'ils sont des
  êtres sensibles susceptibles d'acquérir des idées morales et de
  raisonner sur ces idées. Les femmes ayant ces mêmes qualités ont
  nécessairement des droits égaux. Ou aucun individu de l'espèce
  humaine n'a de véritables droits, ou tous ont les mêmes; et celui qui
  vote contre le droit d'un autre, quels que soient sa religion, sa
  couleur ou son sexe a dès lors abjuré les siens.»

En plaidant aussi bien pour les femmes ce grand esprit n'espérait
point se les rendre sympathiques, au contraire:

  Je parle de leurs droits à l'égalité disait-il et non de leur empire.
  On peut me soupçonner d'une envie secrète de le diminuer, et, depuis
  que Rousseau a mérité leurs suffrages, en disant qu'elles n'étaient
  faites que pour nous soigner et propres qu'à nous tourmenter, je ne
  dois pas espérer qu'elles se déclareront en ma faveur. Mais il est
  bon de dire la vérité dût-on s'exposer au ridicule.»

Les idées de Condorcet furent exprimées dans plusieurs cahiers
de doléances; celui de Rennes notamment, demande d'admettre les
procurateurs des veuves, dont les maris auraient le droit de vote, à
être électeurs et éligibles. Mais, les requêtes de ces précurseurs du
féminisme ne furent pas entendues.

Quand dans les réunions publiques quelqu'un parlait d'appeler les
femmes à exercer leurs droits; aussitôt, des cris et des hurlements
couvraient la voix de l'orateur et si l'on ne pouvait lui enlever la
parole, la séance était levée.

La cabale des clubs contre les droits de la femme, fut bientôt
répercutée au sein de l'assemblée législative: La loi du 20 mai 1793
fit exclure les femmes des tribunes de la Convention, et la loi du 26
mai 1793 leur défendit d'assister aux assemblées politiques.

Trois journaux: l'_Orateur du Peuple_, _Le Cercle Social_, _La Bouche
de Fer_, soutenaient le droit des femmes, aidaient les femmes à
organiser des réunions. Labenette dans son journal, _Les Droits de
l'Homme_, demande l'admission des femmes dans les assemblées. «Pendant
que vous vous tuez à délibérer, elles ont, dit-il, déjà saisi toutes
les nuances qui vous échappent.»

Parmi les clubs de femmes _La Société Fraternelle des Patriotes des
Deux Sexes_, défenseurs de la Constitution dont Mme Roland était
membre, se fit surtout remarquer par ses protestations contre les
décrets de l'Assemblée Constituante.

_La société des Femmes Républicaines et Révolutionnaires_ que présidait
l'actrice Rose Lacombe et dont faisait partie Mme Colombe imprimeur
de la feuille de Marat, dépassait les hommes en violence, quand il
s'agissait de prendre une détermination[6].

  [6] LAIRTULLIER, _Les femmes célèbres de la Révolution_.

Le 28 brumaire 1793, Rose Lacombe accompagnée d'une députation de
femmes révolutionnaires coiffées comme elle de bonnets rouges, força
l'entrée de la séance du conseil général de la commune--à ce moment,
la pétition orale était admise--cependant, en voyant ces femmes, le
procureur général Chaumette s'écria:

  «Je requiers mention civique au procès-verbal, des murmures
  qui viennent d'éclater; c'est un hommage aux mœurs, c'est un
  affermissement de la République! Et quoi! des êtres dégradés qui
  veulent franchir et violer les lois de la nature, entreront dans les
  lieux commis à la garde des citoyens et cette sentinelle vigilante ne
  ferait pas son devoir! Citoyens, vous faites ici un grand acte de
  raison: l'enceinte où délibèrent les magistrats du peuple doit être
  interdite à tout individu qui outrage la nation! ... Et depuis quand
  est-il permis aux femmes d'abjurer leur sexe, de se faire hommes?
  Depuis quand est-il d'usage de voir les femmes abandonner les soins
  pieux de leur ménage, le berceau de leurs enfants, pour venir sur la
  place publique dans la tribune aux harangues, à la barre du Sénat,
  dans les rangs de nos armées, remplir les devoirs que la nature a
  répartis à l'homme seul? A qui donc cette mère commune a-t-elle
  confié les soins domestiques? Est-ce à nous? Nous a-t-elle donné
  des mamelles pour allaiter nos enfants? A-t-elle assez assoupli nos
  muscles pour nous rendre propres aux soins de la hutte, de la cabane
  ou du ménage? Non, elle a dit à l'homme: Sois homme! les courses, la
  chasse, le labourage, les soins politiques, les fatigues de toute
  espèce, voilà ton apanage. Elle a dit à la femme: Sois femme! les
  soins dus à l'enfance, les détails du ménage, les douces inquiétudes
  de la maternité, voilà tes travaux.

  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

  «Femmes imprudentes qui voulez devenir des hommes! n'êtes-vous pas
  assez bien partagées? Que vous faut-il de plus? Vous dominez sur
  tous nos sens; le législateur, le magistrat sont à vos pieds. Votre
  despotisme est le seul que nos forces ne puissent abattre, puisqu'il
  est celui de l'amour...

  «Autant nous vénérons la mère de famille qui met son bonheur à
  élever, à soigner ses enfants, à filer les habits de son mari et
  alléger ses fatigues par l'accomplissement des devoirs domestiques,
  autant nous devons mépriser, conspuer la femme sans vergogne qui
  endosse la tunique virile et fait le dégoûtant échange des charmes
  que lui, donne la nature contre une pique et un bonnet rouge.--Je
  requiers que le conseil ne reçoive plus de députation de femmes.»

La proposition de Chaumette fut adoptée.

En même temps que la femme était en la personne de l'actrice Rose
Lacombe, traitée par Chaumette d'être dégradé; la femme était élevée au
rang des dieux, en la personne de Mlle Maillard, actrice de l'Opéra,
qui remplissait le rôle de déesse de la liberté, dans la fête de la
raison célébrée dans l'église de Notre-Dame de Paris.

Rose Lacombe protesta contre la décision du Conseil général de la
commune; et elle parvint à entraîner beaucoup de femmes à demander
leurs droits.

Ces femmes étaient souvent battues par les très royalistes dames des
halles. Un jour que les républicaines, vêtues en hommes, reprochaient
aux marchandes de poissons de s'abstenir de porter la cocarde
nationale. Celles-ci les assaillirent et les fouettèrent publiquement.

Les réunions des républicaines finirent par inquiéter le comité de
sûreté générale, qui chargea un de ses membres de révéler le fait à la
Convention.

Le Conventionnel Amar monta à la tribune et dit:

  «Je vous dénonce un rassemblement de six mille femmes, soi-disant
  jacobines, et d'une prétendue société révolutionnaire... Plusieurs,
  sans doute, n'ont été égarées que par un excès de patriotisme; mais
  d'autres ne sont que les ennemies de la chose publique et n'ont
  pris le masque du patriotisme! que pour exciter une espèce de contre
  révolution.»

  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

  «Les droits politiques du citoyen sont de discerner, de faire prendre
  des résolutions relatives aux intérêts de l'Etat et de résister
  à l'oppression. Les femmes ont-elles la force morale et physique
  qu'exige l'exercice de l'un et de l'autre de ces droits? L'opinion
  universelle repousse cette idée...

  Et puis la pudeur des femmes leur permet-elle de se montrer en
  public, de lutter avec les hommes et de discuter à la face du peuple
  sur des questions d'où dépend le salut de la République? Voulez-vous
  que dans la République française on les voie venir au barreau, à
  la tribune aux assemblées politiques comme l'homme, abandonnant la
  retenue, source des vertus de ce sexe?».

Il est curieux d'entendre ces révolutionnaires invoquer des lieux
communs et des préjugés surannés, pour maintenir les privilèges de
sexe, après que tous les privilèges de caste ont été abolis. C'est
d'autant plus révoltant, que dans l'épopée révolutionnaire, des femmes
se sont montrées à la hauteur des plus grands hommes et souvent les ont
inspirés et dirigés quand elles n'ont pas agi elles-mêmes.

Après le discours d'Amar, un seul homme se leva des bancs de la
convention, le député Charlier qui soutint énergiquement que les femmes
avaient le droit de se réunir pour s'occuper des affaires publiques.
«A moins, dit-il, que l'on constate comme dans un ancien concile que
les femmes ne font pas partie du genre humain, on ne saurait leur ôter
ce droit commun à tout être pensant.»

Mais la cause des femmes était perdue d'avance; la convention resta
sourde aux objurgations de Charlier et décréta que toutes les sociétés
de femmes, quelles que soient leurs dénominations, étaient supprimées
et dissoutes.

Ceux qui dénient le droit commun aux autres, tiennent suspendue
au-dessus de leur tête la menace d'être à leur tour exclus du droit
commun. Les hommes, qui supprimèrent les clubs de femmes, eurent tous
leurs clubs fermés par Bonaparte.

Les femmes qui voulaient que la révolution s'accomplisse au profit des
deux sexes, faisaient preuve de bien plus de sens pratique que les
Jacobins, qui en leur fermant les portes de la révolution, rejetèrent
les femmes dans la réaction.

Cependant, la liberté eut encore des militantes: En 1799, sous le
Consulat, des femmes qui s'honorent du titre de «citoyenne» refusent
d'être appelées de nouveau «madame» et font acte d'indépendance
en s'assemblant rue de Thionville pour discourir sur leurs droits
méconnus[7].

  [7] Gilbert STENGER, _La Société Française pendant le Consulat_.



APRÈS LA RÉVOLUTION


Les femmes, qui en donnant dans les salons l'essor aux idées
philosophiques avaient préparé la révolution et tant aidé à la faire,
furent indignées en se voyant exclues du droit commun et condamnées par
les révolutionnaires autocrates à rester dans la société nouvelle des
parias.

Puisqu'il n'y avait pas de justice pour elles, il ne devait y en
avoir pour personne!... Et ces dupes de la révolution, ne songèrent
plus qu'à devenir des femmes de plaisir ayant pour unique souci de
paraître belles; à leur dissolvant contact, les hommes se déprimèrent,
rentrèrent vite sous le joug en se donnant pour maître Bonaparte.

Napoléon sanctionna la servitude féminine que la révolution avait
conservée. Lors de la promulgation du Code, les femmes ne furent
comprises dans la législation nouvelle, sous le titre générique de
français, que dans les chapitres ayant trait à la compression, aux
charges; pour tout ce qui avait trait au droit et à la liberté, le mot
français ne s'appliquait pas à elles.

Bonaparte, avait pour idéal la polygamie et déclarait que la femme
puisqu'elle donne des enfants, est la propriété de l'homme comme
l'arbre à fruit est celle du jardinier. «Il y a, disait-il, une chose
qui n'est pas française, c'est qu'une femme puisse faire ce qui lui
plaît.»

Les femmes, cependant, manifestaient un fol enthousiasme pour le tyran.
A son retour après ses victoires, toutes voulaient le contempler et
jeter des fleurs sous ses pas.

Mme de Staël (Germaine Neker) elle-même avait été son admiratrice
avant de devenir l'ennemie qu'il exila, en même temps qu'il condamna
au séjour forcé de Lyon, les duchesses de Chevreuse et de Luynes qui
avaient refusé de faire partie du cortège de l'impératrice.

Napoléon si hostile à l'égalité de l'homme et de la femme, autorisa
pourtant la publication d'un journal féministe qui parut en 1808 sous
ce titre: l'_Athené des Dames_, il était exclusivement rédigé par des
femmes et avait pour directrice: Mme Sophie Senneterre de Renneville.

Après la restauration, les femmes publièrent un manifeste, formulèrent
un plan d'émancipation où elles revendiquaient les droits politiques.

Les Saint-Simoniens firent espérer qu'ils allaient aider à
l'affranchissement féminin; mais, en exaltant l'amour libre, en
faisant découler l'égalité des sexes de la liberté de l'amour, ils
prouvèrent que ce n'était que la liberté illimitée de l'égoïsme et de
l'immoralité de l'homme, qu'ils réclamaient.

Le sociologue Fourier, avait lui, très nettement posé le principe de
l'égalité de l'homme et de la femme, en faisant dépendre les progrès
sociaux du progrès des femmes vers la liberté.

  Dans la «théorie des quatre mouvements», il explique que «si les
  philosophes de la Grèce et de Rome dédaignaient les intérêts
  des femmes et croyaient se déshonorer en les fréquentant, c'est
  que depuis le vertueux Socrate jusqu'au délicat Anacréon, ils
  n'affichaient que l'amour sodomite et le mépris des femmes».

  Ces goûts bizarres n'ayant pas pris chez les modernes, Fourier ajoute
  qu'il y a lieu de s'étonner que nos philosophes aient hérité de la
  haine que nos anciens savants portaient aux femmes et qu'ils aient
  continué à ravaler le sexe féminin, alors que les femmes se montrent
  supérieures aux hommes, quand elles peuvent déployer leurs moyens
  naturels».

Pendant que les derniers Saint-Simoniens annonçaient le règne de la
femme, chantaient le compagnonnage de la femme, Mmes Laure Bernard et
Fouqueau de Pussy écrivaient dans _Le Journal des Femmes_ des articles
offensants pour les Saint-Simoniens.

Mme Poutret de Mauchamps fondatrice de la _Gazette des Femmes_
(1836-1839) réclama l'électorat pour les femmes qui payaient 200
francs d'impôts; et, elle pria Louis-Philippe de se déclarer roi des
Françaises comme il se déclarait roi des Français.

En 1846, M. Emile Deschanel proposa que les veuves et les filles
majeures, inscrites sur les rôles des contributions comme propriétaires
foncières, fussent électrices. On était à ce moment-là, sous le régime
censitaire, pour pouvoir voter, il fallait payer 200 francs d'impôts.
M. Emile Deschanel ne faisait donc que revendiquer le droit commun pour
les femmes, lorsqu'il proposait de faire les propriétaires électeurs.



LES SUFFRAGISTES EN 1848


Quand en 1848 l'électorat fut accordé à tous les hommes, aux pauvres
comme aux riches, aux ignorants comme aux instruits; les femmes
demandèrent à être englobées dans le suffrage universel.

Victor Considérant fut le seul des neuf cents membres de l'Assemblée
Constituante qui soutint leurs prétentions, en proposant d'admettre les
femmes à exercer leurs droits politiques.

Pierre Leroux présenta un amendement en faveur de l'électorat municipal
des femmes.

Le pasteur Athanase Coquerel réclama lui, la loi d'exclusion,
retranchant de la politique le sexe féminin.

La République avait été proclamée le 24 février, un mois après, le
23 mars, quatre déléguées des «Droits de la Femme» se présentèrent
à l'Hôtel-de-Ville pour solliciter: la liberté de participer au
gouvernement du pays. L'universalisation du suffrage. L'égalité de la
femme et de l'homme devant la loi.

Ce fut Marrast membre du gouvernement provisoire, qui reçut cette
délégation féministe; il répondit à sa requête en encourageant ses
espérances.

Mme Alix Bourgeois professeur d'histoire naturelle et beaucoup d'autres
dames, demandèrent individuellement au gouvernement, le droit électoral
pour le sexe féminin.

A ce moment l'influence féminine était grande: George Sand rédigeait
avec Jules Favre le Bulletin de la République; et, il y avait dans la
masse populaire un tel sens de l'égalité, que quant à la prière d'une
revendicatrice, Cabet[8] posait dans un club qu'il présidait cette
question:--La femme est-elle l'égale de l'homme devant le droit social
et politique?

  [8] Jeanne DEROIN, _Almanach des Femmes_.

Le communiste Cabet était déconcerté (_sic_) de voir presque toutes les
mains se lever pour l'affirmative.

Proud'hon disait: «La République tombe en quenouille.»

Pauline Roland, que Victor Hugo a qualifiée l'apôtre; Jeanne Deroin,
Anaïs Ségalas, Henriette Wild créèrent successivement trois journaux.
_La Politique des Femmes._ _La République des Femmes._ _L'opinion
des Femmes._ Les rédactrices de ces journaux s'entendirent avec Mmes
Eugénie Niboyet, E. Foa, Louise Collet, Adèle Esquiros qui avaient
fondé _La Voix des Femmes_, pour offrir à George Sand de porter sa
candidature.

La grande romancière, répondit dans _La Réforme_: qu'elle ne
partageait point les idées des revendicatrices et ne connaissait pas
les dames qui formaient des clubs et rédigeaient des journaux.»

Les femmes arrivées croient qu'elles n'appartiennent plus au sexe
féminin.

Après George Sand refusant d'aider à l'affranchissement politique des
Françaises, on a vu Clémence Royer, la commentatrice de L'origine des
Espèces de Darwin, ne point vouloir que les droits politiques soient
conférés aux femmes et disant à M. Adolphe Brisson, rédacteur au
journal _Le Temps_: «Du jour où les femmes voteront nous sommes perdus.»

                                   *
                                  * *

Les dames obtenant difficilement la parole dans les clubs d'hommes
créèrent des clubs féminins. Le plus renommé, fut le Club des
Femmes, ouvert le 11 mai 1848 à la salle de spectacle du boulevard
Bonne-Nouvelle. La foule rendit les séances tumultueuses. Les femmes ne
purent bientôt plus parler dans ce club transformé en ménagerie où les
hommes aboyaient, miaulaient, beuglaient.

Eugénie Niboyet qui présidait, dit dans _Le Vrai Livre des Femmes_:
«Une heure de pilori m'eût paru moins douloureuse que cinq minutes de
cette violente lutte. Toutes les clubistes qui avaient promis de me
seconder disparurent comme les feuilles sous le vent et laissèrent
peser sur moi la responsabilité de notre tentative.»

Jeanne Deroin avait posé sa candidature à l'Assemblée Constituante pour
consacrer le principe de l'égalité politique des deux sexes; mais, elle
ne put parvenir à la faire admettre, partout les bureaux la rejetèrent
comme étant inconstitutionnelle.

Les Françaises eurent de suite la preuve, que leur exclusion électorale
faisait d'elles des parias dans la société. Aussitôt, en effet,
après l'instauration de la République, les membres du gouvernement
provisoire avaient créé des ateliers nationaux pour les ouvriers en
chômage--électeurs--mais point pour les ouvrières en chômage non
électrices.

Ces demi-réformateurs furent donc un peu gênés, quand de pauvres
ouvrières en chômage vinrent à l'Hôtel-de-Ville demander si elles
étaient comprises dans la proclamation du droit au travail; et, où
était l'atelier national des femmes?

L'atelier national des femmes?... Mais... Il n'existait pas!... Les
femmes ne comptaient point en France puisqu'elles ne votaient pas!



JEAN MACÉ FÉMINISTE SUFFRAGISTE


Jean Macé[9] écrivait en 1850:

  «Du temps des 200 francs on avait fabriqué contre le suffrage du
  pauvre toutes sortes de raisonnements qui resteraient sans emploi,
  si cette question du droit électoral de la femme soulevée à son
  tour par les esprits logiques, n'était venue à point pour les
  remettre de service.

  [9] _L'Opinion des Femmes._

  «Indifférence, ignorance, dépendance, inaptitude, ce qui
  s'objectait hier, à propos du pauvre, s'objecte aujourd'hui à
  propos de la femme.

  «Droit égal, intérêt égal.

  «Comment faire pour laisser la femme en dehors de la cité, quand on
  a déclaré qu'on en ouvrait les portes à deux battants? Quand on a
  écrit dans la loi que l'infamie seule ferait exception et que toute
  âme humaine apportait au monde en naissant son droit de compter
  pour un, dans les délibérations de la société?

  «Dénier l'égalité des droits à deux êtres égaux, en fait, en vérité
  c'est se faire rire au nez, si l'on voulait se donner la peine
  d'y réfléchir cinq minutes; et quand on pense que cette femme
  soi-disant inférieure de nature à l'homme, condamnée comme telle
  à l'infériorité de fonctions et de rôle social, quand on pense
  qu'elle peut, sans qu'on souffle mot, donner sa cuisine à faire et
  sa chambre à balayer, à tel domestique mâle si barbu qu'il soit
  et que c'est une question de 400 francs par an avec les étrennes,
  on se prend à douter de la raison humaine qui se permet une telle
  débauche d'inconséquence.

  «Croyez-moi, ne parlez plus de votre loi de nature, ni du grand
  principe de l'infériorité de la femme, non plus que de sa
  destination culinaire, vous mettez le pied sur tout cela à chaque
  pas, et la femme qui dans cette société est inférieure à l'homme,
  est celle-là qui n'est pas assez riche pour être sa supérieure.

  «Expliquez-moi, comment vous permettez à l'homme qui fait la
  cuisine que la femme devait faire, de laisser là à un jour donné sa
  marmite et ses légumes pour aller voter avec vous. Si les détails
  d'intérieur sont si absorbants qu'ils ne laissent place pour aucune
  autre idée, pourquoi celui-là vote-t-il? S'ils ne le sont pas,
  pourquoi celle-là ne vote-t-elle pas?»



LES FEMMES QUI AGISSENT ET QUI ÉCRIVENT


Bien que annihilées en politique, Jeanne Deroin, Pauline Roland et
d'autres militantes impliquées dans une affaire politique. «L'Union
des Associations» furent sans bénéfice pour notre cause, emprisonnées
expulsées, exilées.

Plus tard, ont été déportées pour avoir participé à la Commune, ces
autres exclues de la politique: la révolutionnaire point suffragiste,
Louise Michel et ses sœurs insurgées.

Lorsqu'on offrit à Louise Michel qui recommandait les candidatures de
morts, de poser sa candidature, elle répondit:

--«Le progrès ajournant la révolution, le bulletin de vote n'est pas
mon arme».

                                   *
                                  * *

Après les femmes qui agissent, voici des femmes qui écrivent:
Juliette Lamber (Mme Adam) dans son livre sous ce titre: «_Idées
Anti Proud'honiennes_ sur l'amour, la femme, le mariage, réfuta
intelligemment Proud'hon.

Mme Jenny d'Héricourt, pour combattre Michelet, Proud'hon, Auguste
Comte, E. de Girardin fit paraître en 1860 _La Femme Affranchie_.

Vers la même époque Julie Daubié publia _La Femme Pauvre au XIXe
siècle_.

Mme Olympe Audouard avec son journal _Le Papillon_.

Mme André Léo avec ses romans en vogue, Mme M. L. Gagneur avec ses
livres, Mmes Angélique Arnaud, et Caroline de Barreau avec leurs
articles de journaux firent discuter la question des femmes, sur
laquelle l'homme d'Etat Stuart Mill, attira l'attention mondiale en
publiant: _L'assujettissement des Femmes_ et en déposant, dès 1866 à la
Chambre des Communes, des pétitions couvertes de signatures de femmes
demandant le suffrage.

                                   *
                                  * *

Un comité fut créé en 1866 pour s'occuper de refondre les Codes
napoléoniens et poser les bases d'une législation civile rationnelle.
Les réunions de ce comité se tenaient chez M. Jules Favre; elles
étaient composées de MM. Emile Acollas, Jules Favre, Jules Simon, Ch.
Vacherot, Frédéric Morin, Joseph Garnier, Courcelles-Seneuil, Ch.
Lemonnier, André Cochut, Hérold, Clamagéran, Paul Jozon, Jules Ferry,
Floquet, Paul Boiteau, Henri Brisson, Dr Clavel.

Ce comité qui s'occupa de réformer le mariage, ne maintint dans le
chapitre VI que l'article 212. Les époux se doivent mutuellement
fidélité, secours, assistance.

Le distingué jurisconsulte Emile Acollas, dont en 1878 et 1879 je
suivis le cours de droit, était l'avocat du sexe féminin dans le comité
pour la refonte des Codes.


_De 1868 à 1908._

En 1869 la société de _La Revendication des Droits de la Femme_ fut
fondée par Mlle Caroline Demars, M. et Mme Leval, M. Antide Martin,
Mme André Léo, M. Colfavru, M. et Mme Verdure, Mlle Toussaint, M. et
Mme Elie Reclus, M. Ernest Hendlé, M. G. Francolin, Mlle Marie David,
dans le but d'instituer des écoles de filles destinées à hâter la
reconnaissance légale des droits de la femme.

Mais déjà Maria Deraismes et Léon Richer avaient entrepris une
campagne en faveur du sexe féminin. Ils ne réclamaient pas comme leurs
devanciers le droit intégral pour la femme, ils demandaient seulement
les droits civils disant, qu'afin de ne point effrayer il fallait bien
se garder de revendiquer les droits politiques qui ne pouvaient être
que le couronnement de l'affranchissement des femmes.

Maria Deraismes qui a donné son nom à une rue de Paris et dont la
statue est place des Epinettes, fut une oratrice aussi éloquente
qu'érudite et spirituelle. Cette femme politique, qui ne parlait point
d'introduire son sexe dans la politique, n'était cependant pas toujours
satisfaite des législateurs mâles, puisqu'elle fit souvent blackbouler
les députés qu'elle avait fait élire. Maria Deraismes mourut en 1894 à
l'âge de 66 ans.

Léon Richer, qui fut surnommé «L'homme des Femmes» avait abandonné les
professions de clerc de notaire et d'employé de chemins de fer, pour se
dévouer à faire rendre justice aux femmes opprimées.

En 1869, il créa avec les sœurs Deraismes la société pour
«L'Amélioration du sort de la Femme et la revendication de ses Droits».

En 1882, il fonda «La Ligue Française pour le Droit des Femmes» qui fut
présidée par Mme Maria Pognon de 1891 à 1903.

Léon Richer, avec le concours financier de M. Arlès Dufour, fit
paraître, en 1869, le journal _Le Droit des Femmes_ qui après la guerre
devint la revue l'_Avenir des Femmes_ et plus tard reprit son premier
titre. Il organisa des banquets sensationnels. C'est à l'occasion d'un
de ces banquets que Victor Hugo écrivit en 1872:

  «Dans notre législation, la femme est sans droits politiques;
  elle ne vote pas, elle ne compte pas, elle n'est pas. Il y a des
  citoyens, il n'y a pas de citoyennes. C'est là un état violent: il
  faut qu'il cesse.»

En citant notre grand poète, la Presse a éveillé chez les spoliées
l'idée du droit et, un an après, je ne fus pas la seule conscrite, qui
vint de cent lieues s'enrôler dans l'armée féministe, où nous rejoignit
vers 1878 Eugénie Pierre.

Léon Richer, défenseur des droits civils de la femme, ne souffrit point
que son programme s'élargît: Or, il y avait parmi ses disciples des
impatients qui entendaient réclamer de suite les droits politiques des
femmes; cela fit se produire une scission, dont d'ailleurs le parti
tira avantage.

La société _Le Droit des Femmes_, dont les énergiques manifestations
firent tant de bruit, fut créée. _La Citoyenne_ parut et l'avant-garde
d'irréductibles entraîna, poussa en avant, les effrayés d'entendre
proposer de donner à la femme avec l'électorat et l'éligibilité le
pouvoir de se faire libre.

                                   *
                                  * *

En 1871, Mlle Julie Daubié fonda «L'association pour l'Emancipation de
la Femme» où était demandé le Suffrage des Femmes remis entre les mains
des veuves et des filles majeures.

Julie Daubié fut en France la première bachelière[10]. Elle passa ses
examens devant la faculté des lettres de Lyon en 1862 à l'âge de 40
ans, fut reçue avec grands éloges.

  [10] H. Wild, Jeanne Deroin et Julie Daubié.

Après s'être difficilement fait admettre à passer son baccalauréat,
elle eut à soutenir une véritable lutte avec le ministre de
l'instruction publique pour obtenir son diplôme qui ne lui fut délivré
que grâce à l'intervention de M. Arlès Dufour.

Elle fut reçue licenciée-ès-lettres en 1871, elle se préparait à
devenir docteur, quand en 1874 la mort la terrassa.

Au 1er Congrès international des Droits de la Femme qui fut organisé en
1878 par Léon Richer et Maria Deraismes, il était défendu de parler des
droits politiques de la femme.

Voici un passage du discours jugé subversif que je fis paraître sous ce
titre:

«Le Droit Politique des Femmes, question interdite au Congrès des
Femmes de 1878.»

  «La collectivité des hommes et des femmes a les mêmes intérêts
  sociaux et politiques. Pourquoi l'homme s'est-il arrogé à lui seul
  le privilège de faire les lois? Se croit-il un roi infaillible? Vous
  riez beaucoup, messieurs les libres-penseurs, vous riez beaucoup du
  pape infaillible; mais dans la vie présente, vous tous, vous êtes des
  papes infaillibles. Vous nous obligez, nous, la moitié de l'humanité,
  et cela, sous peine de condamnation, à nous soumettre sans examen,
  sans discussion, aux lois que vous nous faites.»

  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

  «Trouvez-vous juste, messieurs, que les femmes subissent les lois
  sans les faire; qu'elles soient mineures devant les droits, majeures
  devant les lois répressives; qu'elles n'aient pas le droit de
  s'occuper de politique, et que, pour un écrit politique, elles
  soient condamnées à la prison et à l'amende; qu'elles n'aient pas le
  droit de cité et qu'elles soient admises à monter sur l'échafaud,
  comme cette femme ministre, Mme Roland; qu'elles n'aient pas le
  droit d'opter pour une forme de gouvernement et qu'elles aient celui
  d'aller agoniser à Lambessa, comme cette mère de famille, Pauline
  Roland. Trouvez-vous juste, messieurs, que les femmes n'aient pas le
  droit d'affirmer leur opinion par un vote, quand, pour avoir prêché
  les principes républicains, beaucoup ont été emprisonnées, exilées,
  déportées?

La société Le Droit des Femmes, fondée en 1876, ne voulut s'inféoder
à aucun système. En protestant contre les lois existantes faites
sans les femmes contre les femmes, elle a toujours rejeté l'idée
d'institutions futures élaborées sans le concours des femmes, parce que
ces institutions seraient encore faites contre elles.

En 1879 eut lieu à Marseille, le congrès socialiste ouvrier qui vota
l'égalité de l'homme et de la femme, et ainsi fit inscrire dans le
programme du parti des travailleurs socialistes de France, art, 5.
«Egalité civile et politique de la femme».

Voici un extrait du discours prononcé par moi à ce Congrès où la
société «Le Droit des Femmes» m'avait déléguée.

  «On trouve bon de faire des recherches scientifiques sur tout. On
  multiplie les expériences tendant à tirer des bêtes tout l'utile, des
  plantes tout le salutaire. Mais jamais encore on n'a songé à mettre
  la femme dans une situation identique à celle de l'homme, de façon
  à ce qu'elle puisse se mesurer avec lui et prouver l'équivalence de
  ses facultés. On dépense en France des sommes folles pour obtenir
  certaines qualités, souvent factices, chez des races d'animaux, et
  jamais on n'a essayé d'expérimenter avec impartialité la valeur de
  la femme et de l'homme. Jamais on n'a essayé de prendre un nombre
  déterminé d'enfants des deux sexes, de les soumettre à la même
  méthode d'éducation, aux mêmes conditions d'existence.


  «Qu'on permette aux femmes d'exercer les droits dont jouissent
  les hommes et qu'on enserre les hommes dans les préjugés à l'aide
  desquels on a garrotté les femmes; bientôt les rapports entre la
  valeur des sexes seront totalement renversés.»

  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

  «Pour édifier la société future de manière à ce que les femmes n'y
  soient pas lésées, il leur faut le droit de travailler à l'édifier;
  il leur faut l'outil qui se trouve au pouvoir de l'homme: le bulletin
  de vote.......»

La société «Le Droit des Femmes» toujours agissante, fit des
manifestes, des conférences, des pétitions, des manifestations. A la
première fête nationale, sa bannière bleue voilée de crêpe provoqua des
applaudissements et des critiques.

Alors que les féministes de ce temps-là interrogeaient le vent; étaient
paralysés par la crainte du ridicule, restaient chez eux ironiques et
bras croisés; nous déployions sous les injures et les outrages, ce
drapeau programme du féminisme, _La Citoyenne_!

Notre petit bataillon d'intrépides rénovateurs, devait à la fois
riposter à Léon Richer qui criait que «nous ne pouvions étant
si jeunes, voir juste, penser bien» et au _Figaro_, qui très
courtoisement, nous demandait: si après les femmes, les bœufs
voteraient?

En 1883 la société «Le Droit des Femmes», prit le titre de société _Le
suffrage des Femmes_.

«Le suffrage des Femmes», avec sa bannière rose et bleue fut acclamé
aux funérailles de Victor Hugo (1885).

Alexandre Dumas qui avait éloquemment plaidé en faveur des droits
politiques du sexe féminin ayant été sollicité de devenir président de
la société _Le Suffrage des Femmes_ vint me faire cette réponse:

  «Je vous aiderai davantage en restant indépendant, si j'acceptais
  la présidence que vous m'offrez, on me dirait:--Vous êtes avec
  Hubertine Auclert... et je ne serais plus écouté à l'Académie!»

                                   *
                                  * *

La société voulut ouvrir un cercle du suffrage, elle loua à cet effet
un joli local occupant tout le premier étage 31, rue de Paradis; mais,
le propriétaire effrayé par notre titre, écrit en grosses lettres sur
son immeuble, nous donna immédiatement congé.

Le Cercle du suffrage des femmes fut installé dans un magasin 8,
Galerie Bergère. Les femmes pouvaient venir là, lire, écrire, causer;
elles étaient chez elles. Des réunions hebdomadaires avaient lieu
l'après-midi ou le soir.

Le 13 février 1881 parut _La Citoyenne_, journal hebdomadaire que
Léon Giraud docteur en droit et Antonin Lévrier licencié en droit,
journaliste, avaient avec moi fondé. Antonin Lévrier et Léon Giraud
véritables apôtres des droits de la femme, m'aidèrent à faire du
journal _La Citoyenne_ un initiateur que les suffragistes ont intérêt à
consulter[11].

  [11] _La Citoyenne_ (1881 à 1891).

L'article ci-dessous précise le but de ce journal dont le seul titre
est un manifeste:

«LA CITOYENNE»

Est _Citoyenne_--d'après Littré--la _femme_ qui jouit du droit de
cité dans un Etat.

Pour ce journal, dont le but unique est de revendiquer l'égalité
de la femme et de l'homme, nous n'avons pas pensé trouver un
meilleur titre que _La Citoyenne_, car nous voulons pour la femme
non seulement la qualité civile du Français, mais encore la qualité
politique du citoyen, et même--cela paraîtra peut-être étrange à
quelques-uns-l'examen des événements passés et l'observation des
événements présents nous font subordonner l'affranchissement civil
de la femme à son affranchissement politique.

Qu'entend-on par affranchissement civil de la femme?

Par affranchissement civil de la femme on entend l'abrogation
d'une foule de lois vexatrices qui mettent la femme hors la justice
et hors le droit commun.

Quels sont ceux qui peuvent abroger les lois iniques qui oppriment
les femmes dans la vie civile? Ce sont les électeurs et les
législateurs, c'est-à-dire ceux-là seuls qui font ou qui commandent
de faire les lois. Voilà un point bien établi.

Maintenant, qu'est-ce que l'affranchissement politique de la femme?
C'est l'avènement de la femme au droit qui confère le pouvoir
de faire les lois: par soi-même, si l'on est élu député: par
délégation, si l'on est électeur.

Donc, il ressort de toute évidence que le droit politique est pour
la femme la clef de voûte qui lui donnera tous les autres droits.

Pendant que la femme ne possédera pas cette arme--le vote--elle
subira le régime du droit masculin. Tous ses efforts seront vains
pour conquérir ses libertés civiles et économiques.

Ce qu'il faut aux femmes pour s'affranchir de la tyrannie
masculine--faite loi,--c'est la possession de leur part de
souveraineté; c'est le titre de _Citoyenne_ française, c'est le
bulletin de vote.

La femme citoyenne: c'est-à-dire la femme investie des plus hauts
droits sociaux, aura, par la liberté, sa dignité rehaussée; par le
sentiment de la responsabilité, son caractère augmenté.

La femme citoyenne se relèvera promptement de sa fâcheuse situation
économique, l'Etat et la législation ne l'infériorisant plus, toutes
les carrières, toutes les professions lui seront accessibles, et,
quel que soit son travail, elle ne le verra plus déprécié sous ce
prétexte ridicule qu'il émane d'une femme.

Avant que la femme ait le pouvoir d'intervenir partout où ses
intérêts sont en jeu pour les défendre, un changement dans la
condition politique de la société ne remédierait pas au sort de la
femme.

Un changement de l'ordre social économique n'affranchirait pas la
femme; car, bien que tous les jours la question économique soit
résolue pour un petit nombre de personnes, la condition de la femme
est, chez les favorisés de la fortune, le lendemain, la même que la
veille. En France, les femmes millionnaires sont soumises aux mêmes
lois tyranniques que les femmes pauvres.

Toutes les femmes,--de quelque opinion et de quelque condition
qu'elles soient,--toutes les femmes souffrent ou peuvent souffrir de
la législation actuelle. Et sont intéressées à posséder le pouvoir
d'abroger les lois qui les infériorisent et les asservissent.


_La Citoyenne_ que des antiféministes représentaient comme un
épouvantail fut appréciée; ses articles furent souvent reproduits
par les grands quotidiens qui en discutant ses théories, louaient sa
modération et sa logique.

Dès son 16e numéro _La Citoyenne_ adressait cette question aux
législateurs:--Quels sont les députés qui veulent que le suffrage soit
également exercé par les hommes et par les femmes?

M. Alfred Talendier député et M. J. de Gasté député--qui proposa en
1890 qu'un nombre égal d'hommes et de femmes siègent à la chambre et
au sénat, nous répondirent:--qu'ils voulaient le suffrage réellement
universel, également exercé par les hommes et par les femmes». Beaucoup
d'autres législateurs, affirmèrent dans des conversations particulières
ce qu'ils n'osèrent dire publiquement.

Quand vinrent les élections de 1885, il fut décidé au cercle du
suffrage des Femmes que la candidature unique de Maria Deraismes
serait posée; mais, celle-ci ne voulait ni dépenser ni payer de sa
personne. Sur ces entrefaites, des dames membres du cercle du suffrage
qui désiraient être candidates formèrent «La ligue de Protection des
Femmes» qui fit inscrire sur la liste de la Fédération Républicaine
socialiste une vingtaine de femmes candidates. Plusieurs de ces dames
déclinèrent l'honneur qui leur était fait et les suffragistes les plus
déterminées s'abstinrent de prendre part à cette manifestation.


En 1888 lors de mon départ pour l'Algérie, où mon mari Antonin Lévrier
était juge de paix, j'avais confié à une de mes collaboratrices la
direction de _La Citoyenne_ dont la publication était assurée par une
subvention de M. de Gasté; et, à laquelle je continuais à collaborer.
En décembre 1891, cette dame, en changeant le titre du journal
s'appropria _La Citoyenne_ et sa clientèle.

Ce procédé indélicat, fit retirer par M. de Gasté sa subvention et lui
fit rayer de son testament, la donation qu'il avait faite pour hâter la
proclamation des droits de la femme.

En 1889 eut lieu le congrès Français et international du Droit des
femmes.


_Programme Electoral des Femmes qui fut affiché à Paris pendant des
périodes électorales._

L'esclavage de la femme entrave la liberté de l'homme.

La nation française est composée d'hommes et de femmes qui subissent
les mêmes lois et paient les mêmes impôts. Etant également
responsables et contribuables, tous les Français, sans distinction
de sexe, sont au même titre des ayants droit, à sauvegarder leurs
intérêts dans la société, en participant au gouvernement du pays.

ARTICLE PREMIER.--Tous les Français, hommes et femmes, sont égaux
devant la loi, et jouissent de leurs droits civils et politiques.

ART. 2.--Le suffrage réellement universel, c'est-à-dire exercé par
les femmes comme par les hommes, remplace le suffrage restreint aux
hommes.

ART. 3.--Revision de la Constitution, par une assemblée composée
d'hommes et de femmes.--Revision des Codes, sanctionnée par un
_referendum_ englobant les femmes comme les hommes.

ART. 4.--Question de paix et de guerre, budget national, soumis au
vote des Français et Françaises.

ART. 5.--Ecoles mixtes. Egale facilité de développement intellectuel
et professionnel, pour tous les enfants et libre accès, sans
distinction de sexe, à tous les emplois et à toutes les fonctions
publiques. Equitable appréciation du travail; à production égale,
rétribution égale pour l'homme et pour la femme.

ART. 6.--L'_Etat minotaure_ qui ne se manifeste que pour percevoir
des dîmes d'argent et de sang, est remplacé par l'Etat _maternel_,
qui assure par sa prévoyante sollicitude, sécurité et travail aux
Français valides, assistance aux enfants, vieillards, malades et
infirmes.

L'Etat renseigné sur les besoins de production dans chaque industrie,
fait d'après ces données, l'enrôlement pour le travail et permet
aux individus de se classer dans la société, selon leurs aptitudes,
comme il les fait se classer dans l'armée, selon leur taille. L'Etat
Maternel n'est pas oppresseur, il entrave seulement la liberté de
mourir de faim.

ART. 7.--La contribution proportionnée aux moyens de chacun.
Suppression des impôts de consommation, augmentation des taxes sur
les objets de luxe.

ART. 8.--Allègement du fardeau des femmes qui ont charge et
responsabilité de vies humaines; allocation à toute mère, mariée ou
non mariée, d'une indemnité dite indemnité maternelle.

ART. 9.--Service militaire obligatoire pour les hommes--service
humanitaire obligatoire pour les femmes.--La défense du territoire
confiée aux hommes.--L'assistance publique confiée aux femmes.

ART. 10.--Liberté individuelle pour tous et toutes. Droit absolu de
penser et d'exprimer verbalement ou par écrit ses idées.

ART. 11.--La justice gratuite et impartiale. Les tribunaux et les
jurys, composés d'hommes et de femmes.

ART. 12.--Enfin, mêmes avantages sociaux pour la femme que pour
l'homme; et, affirmation de l'esprit égalitaire de nos institutions,
par la préférence donnée à l'utile et au nécessaire qui profite
à tous, sur l'agréable et le superflu dont ne bénéficient que
quelques-uns.

Electeurs, pour que la malhonnêteté en politique cesse d'être de
règle, il faut que le droit cesse d'être chose arbitraire.

Si vous êtes vraiment las de voir vos ordres méconnus; si vous voulez
que la nouvelle législature fasse époque dans l'histoire du progrès,
imposez ce programme aux candidats: l'égalité humaine qu'il préconise
est le but d'une République; car, République et Justice doivent être
synonymes.


Après avoir publié dans _La Libre Parole_ des articles sous ce titre:
«Les Droits de la Femme» je suis entrée en 1896 au journal _Le Radical_
où sous cette rubrique «Le Féminisme» je réclame librement l'électorat
et l'éligibilité pour les femmes.


En 1900 eut lieu le Congrès International de la Condition et des Droits
de la Femme présidé par Mme Maria Pognon, où la question des droits
politiques de la femme ne fut pas discutée.



JOURNAUX ET SOCIÉTÉS FÉMINISTES


Avant de fonder la Maison-Maternelle, Mme Louise Koppe avait créé le
journal _La Femme_.

Parmi les journaux féministes qui parurent après _La Citoyenne_, il
faut citer:

_L'Harmonie Sociale_ dirigée par Aline Valette.

_La Femme de L'avenir_ de Mme Astié de Valsayre.

_La Revue Féministe_ de Mme Clotilde Dissard.

_Les Droits de la Femme_, de Mme Gabrielle Rony.

_Le Féminisme Chrétien_ de Mlle M. Maugeret.

_La Fronde_, journal quotidien, qui eut pour directrice Mme Marguerite
Durand.

_L'Abeille_, que fit paraître Mme Pauline Savari organisatrice de
l'exposition des Arts et des Métiers féminins en 1902.

_L'Entente_, créée par Mmes Jeanne Oddo-Deflou et Héra Mirtel.

_La Française_, fondée par Mme Jane Misme.

_La Suffragiste_ de Mlle Madeleine Pelletier.

Le parti féministe n'est pas encore organisé en France; cependant,
nombreuses sont les sociétés qui revendiquent les droits de la femme.
Il y a:

La société pour _L'Amélioration du sort de la Femme_ et la
revendication de ses Droits, présidente Mme Feresse Deraismes.

_Le Suffrage des Femmes_, secrétaire générale Hubertine Auclert.

_La Ligue Française pour le Droit des Femmes_, présidente Mlle Marie
Bonnevial.

_La Solidarité des Femmes_, présidente Mlle Madeleine Pelletier,
secrétaire Mme Caroline Kauffman.

_L'Egalité_, présidente Mme Vincent qui a réclamé l'électorat et
l'éligibilité des femmes aux conseils des Prud'hommes.

_L'avant-Courrière_, présidente Mme Jeanne Schmahl. C'est à
l'initiative et à l'opiniâtreté de Mme Jeanne Schmahl, que l'on doit la
loi autorisant la femme mariée à toucher le produit de son travail et à
en disposer.

_Le Groupe Français d'Etudes Féministes_, présidente Mme Jeanne
Oddo-Deflou.

_L'Union Fraternelle des Femmes_, présidente Mme Marbel.

_L'Union de Pensée Féminine_, présidente Mme Lydie Martial.

_L'Union Internationale des Femmes_, présidente Mlle J. Van Marcke de
Lummen.

_Le Conseil National des Femmes_ (Fédération de groupes
philanthropiques et féministes), présidente Mlle Monod, secrétaire
générale Mme Avril de Sainte-Croix.

A Lyon, il y a _La société d'Education et d'action Féministes_,
présidente Mme Desparmets-Ruello, secrétaire générale Mme Odette
Laguerre.

                                   *
                                  * *

Les efforts réunis de ces journaux et de ces sociétés, ont fait
s'atténuer l'annihilation de la femme. Une loi sur l'enseignement
secondaire des jeunes filles fut votée en 1880.

La femme devint électeur et éligible aux conseils départementaux
d'enseignement en 1880.

Electeur et éligible au conseil supérieur de l'Instruction publique en
1886.

Apte à servir de témoin dans les actes civils et publics en 1897.

La femme commerçante fut en 1898, admise à voter pour l'élection des
juges aux tribunaux de commerce.

La femme licenciée en droit fut en 1900 autorisée à exercer la
profession d'avocat. Les doctoresses avaient pu vingt-cinq ans
auparavant exercer la médecine. A propos de leur admission à l'internat
des hôpitaux[12], il y eut le 2 février 1885 une grande discussion au
conseil municipal.

  [12] _La Citoyenne_ nº 94.

Les femmes devinrent électeurs en 1899 et éligibles aux conseils
supérieurs du Travail en 1901.

Les femmes devinrent électeurs aux conseils des Prud'hommes en 1907.



ETATS OU LES FEMMES EXERCENT LEURS DROITS POLITIQUES


Mais, les Françaises restent des dégradées civiques, alors qu'en trois
parties du monde des femmes exercent leurs droits politiques.


_Europe._

En l'île de Man, petite île anglaise de la mer d'Irlande (54.000 h.)
les femmes jouissent de leurs droits politiques depuis 1881.

En Finlande (2.781.000 h.) un ukase de 1906 conféra aux femmes la
plénitude des droits politiques, et en les élections de 1907 dix-neuf
Finlandaises ont été élues députées à la diète qui ne compte que 200
députés.

En Norvège (2.240.000 h.) les droits politiques ont été octroyés aux
femmes en 1907.

En Danemark (2.450.000 h.) les droits politiques ont été accordés aux
femmes en 1908.


_Amérique._

En la République de l'Equateur (Etat de l'Amérique du Sud 1.272.000 h.)
les femmes jouissent de leurs droits politiques depuis 1861.

En le Wyoming (Etat de l'Amérique du Nord 100.000 h.) les femmes
jouissent de leurs droits politiques depuis 1869.

En l'Utah (Etat de l'Amérique du Nord 277.000 h.) les femmes ont leurs
droits politiques.

En le Colorado (Etat de l'Amérique du Nord 540.000 h.) les femmes
jouissent de leurs droits politiques depuis 1893.

En l'Idaho (Etat de l'Amérique du Nord-Ouest 162.000 h,) les femmes
possèdent leurs droits politiques.


_Océanie._

En Nouvelle-Zélande (823.000 h.) les femmes possèdent leurs droits
politiques.

En Australie (4.400,000 h.) les femmes jouissent de leurs droits
politiques.


Bien que spoliée encore en France du droit, la femme qui était hier
méprisée, semble être aujourd'hui le facteur indispensable sans lequel
on ne peut rien. L'élite intellectuelle combat pour la femme. Au
théâtre, dans les journaux, le talent se fait l'avocat de son bon droit.


La mairie du onzième arrondissement, située sur la place Voltaire où
l'on voit Ledru-Rollin mettre un bulletin dans l'urne électorale était
bien désignée pour contribuer à rendre réellement universel le suffrage
en favorisant la revendication de son extension aux femmes.

Depuis 1900 la Société _Le Suffrage des Femmes_ tient à la mairie,
salle Parmentier des réunions où sont étudiées les questions qui
passionnent l'opinion, discutées les réformes et les projets de
lois--ces réunions sont une école où les femmes s'exercent à leur futur
rôle d'électrices.

En 1901 la société _Le Suffrage des Femmes_ émit sa vignette _Droits de
la Femme_ qui fut très recherchée par les philatélistes; et, fit créer
le timbre du parti radical-socialiste et le timbre féministe américain.

M. Alexandre Bérard, alors sous-secrétaire d'Etat aux Postes et
Télégraphes, par sa circulaire du 30 avril 1903 autorisa à coller sur
les lettres près du timbre légal, la vignette féministe, qu'un receveur
des Postes avait dénoncé comme étant un timbre contrefait.

Le 29 octobre 1904, les féministes s'efforcèrent de brûler aux pieds
de la colonne Vendôme, un exemplaire du Code, pour protester contre la
célébration de son centenaire.

En 1906, la société _Le Suffrage_ émit son timbre et sa carte postale
_Suffrage universel_ dont beaucoup de journaux donnèrent le fac-similé;
et, qui obtinrent tant de succès, qu'un artiste suisse, nous demanda
l'autorisation de graver l'éloquent dessin sur des montres et sur des
bijoux.

En les périodes électorales, la société _Le Suffrage des Femmes_ fait
apposer des affiches où l'on voit un électeur et une électrice qui
déposent leur bulletin dans l'urne électorale.

Une proposition de loi en faveur du suffrage administratif et politique
des femmes célibataires, veuves et divorcées a été présentée à la
Chambre en 1901 par M. Gautret.

Un autre projet de loi donnant aux femmes le vote dans les élections
aux conseils municipaux, aux conseils d'arrondissements, aux conseils
généraux a été déposé à la Chambre en 1906 par M. Dussaussoy.

Ces propositions ne sont pas venues en discussion.


En avril 1907 la lettre suivante fut adressée à chacun des députés et
des sénateurs.

  _Monsieur le législateur._

  La Société «_Le Suffrage des Femmes_», qui lutte depuis vingt-neuf
  ans pour faire admettre les Françaises à exercer leurs droits
  politiques, vous prie instamment de proposer au Parlement de conférer
  aux femmes--aux mêmes conditions qu'aux hommes--l'électorat et
  l'éligibilité dans la Commune et dans l'État.

  Accorder aux femmes qui subissent les lois et paient les impôts,
  le droit au droit commun, ce sera immédiatement élever, avec
  la mentalité, le niveau moral de la France; donc, rendre moins
  redoutables pour la prospérité individuelle et collective, les
  conflits économiques entre individus et entre nations.

  Veuillez agréer, Monsieur le Législateur, l'assurance de notre
  considération très distinguée.

  Pour la Société «Le suffrage des Femmes».

  Le Comité:

  Hubertine AUCLERT, Valentine OGER, Hermance PHILIPPE, Marie AUCLERT,
  Julie AUBERLET, Marie GRAS, Françoise LE DOUIGOU, Delphine ADAM,
  Jeanne AVÉZARD, Louise ARBAN.

Le parti Radical-Socialiste a refusé d'adopter un vœu proposé par
MM. Jean-Bernard, Lucien Le Foyer, Ch. Roret pour l'électorat et
l'éligibilité des femmes. Nous avons néanmoins demandé à ce parti
d'inscrire à l'ordre du jour de ses congrès, la question: «De
l'extension aux femmes des droits politiques.»

Le parti socialiste qui veut le suffrage réellement universel, promet
d'aider les femmes à conquérir le droit de vote.


_Le vœu des Conseillers Généraux de la Seine._

Dans sa séance du 20 novembre 1907, le Conseil général de la Seine a
émis le vœu «que les femmes soient appelées à jouir du droit électoral,
pour les élections au conseil général et au conseil municipal».

L'électorat politique aurait été compris dans ce vœu si le rapporteur
de ma pétition M. d'Aulan, n'avait point été hostile à la participation
des femmes à la politique.

Voilà les Françaises en marche vers l'urne électorale, grâce à ce vœu
des Conseillers Généraux que les législateurs ne pourront se dispenser
de ratifier.


Après avoir employé tous les moyens légaux pour obtenir leurs droits
politiques, les féministes sont forcées de recourir aux moyens
révolutionnaires.

Le 3 mai 1908, les suffragistes parisiennes envahirent la section
électorale de la rue Paul-Baudry, la section électorale de la mairie
du 2e arrondissement, la section électorale de la mairie du 1er
arrondissement, et l'une d'entre elles, mit la main sur les urnes et
tenta de les culbuter.

Ce ne fut qu'à la section électorale de la place Baudoyer, 4e
arrondissement, qu'Hubertine Auclert parvint enfin à s'emparer de
l'urne qu'elle secoua, renversa et jeta violemment à terre en disant:
«Ces urnes sont illégales! elles ne contiennent que des bulletins de
votes masculins! alors que les femmes ont comme les hommes des intérêts
à défendre à l'Hôtel de Ville.»

Immédiatement arrêtée, Hubertine Auclert fut conduite au commissariat
où procès-verbal fut dressé contre elle.


Les femmes peuvent précipiter l'entrée de leur sexe dans la salle de
vote; pour cela, il faut que de dilettantes, elles deviennent des
sectaires du féminisme.

Les revendicatrices intensifieront leur propagande, si elles
substituent les efforts collectifs aux efforts individuels, en faisant
se fédérer tous les groupements suffragistes, en déterminant les femmes
de toutes opinions, de toutes conditions--pareillement opprimées
et spoliées par la loi--à s'unir pour exercer une pression sur les
pouvoirs publics et forcer l'entrée du droit commun politique.



L'INSCRIPTION SUR LES LISTES ÉLECTORALES

  «Une femme fait autrement la même chose qu'un homme.»


Les Françaises les plus dignes d'estime et de considération, sont
dans l'impossibilité d'obtenir une seule carte électorale; alors, que
les repris de justice peuvent parfois collectionner ces certificats
d'honorabilité.

On jugeait dernièrement une affaire de vol dans laquelle était impliqué
un receleur qui avait engagé au Mont-de-Piété des objets volés.

--Comment avez-vous procédé pour engager ces objets au Mont-de-Piété
demanda le juge au prévenu?

Le prévenu.--En produisant ma carte d'électeur.

Le président, avec stupéfaction.--Comment, vous avez été plusieurs
fois condamné pour vol--et une fois à treize mois de prison--vous êtes
électeur?

Le prévenu.--Oui, je suis électeur. Mais je me borne à retirer ma carte
d'électeur. J'en ai cinq chez moi...

Le président.--Il est bien bizarre qu'il y ait des électeurs de votre
espèce.

Les hommes voleurs peuvent voter, tandis que les femmes intègres sont
frappées d'interdiction civique.

Depuis longtemps nous réclamons contre cette anomalie. Dès 1880, dans
tous les arrondissements de Paris, des dames membres de la Société
«Le Droit des Femmes» ont demandé leur inscription sur les listes
électorales.

Le maire du Xe arrondissement, motiva dans la lettre ci-dessous, son
refus d'inscrire les femmes.

  VILLE DE PARIS

  _Mairie du Xe arrondissement_

  Nous, maire du Xe arrondissement de Paris,

  Vu la demande à nous présentée le 2 février courant, par Mlle
  Hubertine Auclert, tendant à obtenir son inscription sur la liste
  électorale du Xe arrondissement.

  Vu les motifs longuement développés sur lesquels cette demande est
  fondée.

  Vu les lois électorales actuellement en vigueur, notamment le décret
  organique du 2 février 1852, les lois des 7 juillet 1874 et 30
  novembre 1875.

  Considérant que, depuis 1789, jusqu'à nos jours, toutes les lois
  électorales qui se sont succédé ont été sans exception aucune,
  interprétées et appliquées en ce sens qu'elles ont conféré et
  confèrent des droits seulement aux hommes et non aux femmes;

  Considérant que la prétention formulée par la réclamante de faire
  ressortir du texte de ces lois une interprétation dont le résultat
  serait de créer en faveur des femmes des droits d'électorat et
  d'éligibilité identiques à ceux appartenant aux hommes, constitue dès
  lors une innovation politique dont il n'est pas de notre compétence
  de déterminer ni le mérite, ni la valeur légale.

  Considérant qu'il nous appartient encore moins par conséquent de
  prendre sur nous d'en admettre la mise en pratique.

  Décidons qu'en l'état actuel de la législation, la demande de Mlle
  Hubertine Auclert est déclarée inadmissible.

  Paris, le 4 février 1880.

  DEVISME.

Les dames de la Société «Le Droit des Femmes» firent publier par toute
la presse cette protestation:

  «Nous soussignées, nées de parents français, remplissant tous les
  devoirs et les obligations qui incombent aux Français, nous nous
  sommes présentées munies de pièces justificatives établissant
  notre identité, majorité, temps de séjour, à la mairie de nos
  arrondissements respectifs, pour nous faire inscrire sur les
  registres électoraux.»

  On nous a répondu que, parce que femmes, nous ne pouvions être
  inscrites.

  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

  Nous en appelons à l'opinion, de l'injustice que consacre la
  République après les autres régimes en nous maintenant esclaves.»

Bien que notre demande eût été rejetée, nous persistâmes à réclamer
notre inscription électorale.

En 1885, la commission (pour le quartier du faubourg Montmartre)
chargée de juger les réclamations électorales, formula ainsi son
refus d'admettre ma requête:

  «Considérant que la qualité d'électeur dérive de la qualité de
  citoyen aux termes de toutes les constitutions et lois électorales
  françaises; que toutes les constitutions et lois ne reconnaissent
  qu'aux hommes la qualité de citoyen.

  «Considérant qu'en fait et par application de ce principe, les
  femmes n'ont jamais été inscrites sur les listes électorales.

  «Considérant que l'application constante universelle et non
  contestée d'une loi en constitue la meilleure interprétation.

  «La requête de Melle Hubertine Auclert demeurant Galerie Bergère,
  8, tendant à son inscription électorale ne saurait être admise.

  «La commission rejette.

  «Le Maire du IXe arrondissement.

  «E. FERRY.»

Au XIe arrondissement la commission chargée de juger les réclamations
électorales nous a fait cette réponse:

  «Attendu qu'une loi a été reconnue nécessaire pour permettre aux
  femmes d'être inscrites sur les listes électorales consulaires.

  «Attendu que les lois et décrets qui régissent les élections
  politiques ne contiennent aucune disposition permettant aux femmes
  d'être inscrite sur la liste électorale. Vu d'autre part, l'arrêt
  de la cour de cassation de mars 1885, stipulant que les femmes ne
  peuvent exercer des droits politiques, la demande d'inscription sur
  les listes électorales de Mme Hubertine Auclert n'est pas admise.

  «Le maire du XIe arrondissement.»

En nombre de villes et de communes, des citoyennes ont vainement
demandé leur inscription électorale. Les femmes du peuple, les
travailleuses, qui se laissent guider par la droite raison, ont depuis
longtemps dans différents départements réclamé leur inscription sur les
listes.

«Nous avions, disent-elles, lu les affiches pour la revision de la
liste électorale et ignorant que les femmes n'étaient point électeurs,
nous sommes allées une bande à la mairie demander qu'on nous inscrive.

Les hommes qui étaient là, se sont bien moqués de nous; nous leur avons
répondu qu'il n'y avait pas de quoi rire parce qu'on avait fait la
bêtise d'empêcher de voter les femmes.»

Maintenant, quand les dames demandent à être électeurs on ne leur
répond plus comme autrefois. «Les chevaux et les bœufs voteront avant
les femmes.» On leur donne un récépissé de leur demande d'inscription.

Dans les communes suburbaines comme à Paris, on consigne sur le
registre, les demandes d'inscription électorale des femmes.

Celles qui possèdent le récépissé de leur requête et la réponse de la
commission chargée de juger les réclamations en matière électorale,
doivent garder précieusement ces papiers. Ce sont des parchemins
en valant bien d'autres, puisqu'ils établissent la supériorité
intellectuelle qui les a fait protester contre la mise de leur sexe
hors la loi.

La loi stipule que sont électeurs tous les Français âgés de vingt-et-un
ans. Ces termes «tous les Français» englobent les femmes quand il
s'agit d'impôts à payer et de lois à subir; mais, lorsqu'il s'agit de
droits à exercer, ces mots «les Français» sont censés ne désigner que
les hommes.

Les Françaises ont tout tenté, pour faire infirmer non point la loi
inexistante, mais l'usage qui les annule politiquement; elles sont
allées devant toutes les juridictions: devant le conseil de préfecture,
devant le Conseil d'Etat, devant la Cour de cassation, réclamer leur
droit électoral.

Les juges de la Cour de cassation, pour stipuler que les femmes ne
devaient pas exercer de droits politiques, ont appelé à leur secours la
Constitution de 1791, qui ne reconnaissait qu'aux gens inscrits sur la
liste de la garde nationale, la capacité électorale.

Or, comme pour pouvoir faire partie de la garde nationale, il fallait
payer 40 francs d'impôts, le droit électoral dérivait de l'obligation
d'être contribuable.

La Constitution de 1791 a d'ailleurs été abrogée par celle de 1848,
dont la Cour de cassation n'a pas parlé, parce que justement, elle nous
est favorable, puisqu'elle déclare que «la souveraineté réside dans
l'universalité des Français, que cette souveraineté est inaliénable,
qu'aucun individu, ni aucune fraction d'individu ne peut s'en attribuer
l'exercice».

Les juges de la Cour de cassation n'ignorent point que les hommes ne
peuvent s'approprier les droits des femmes; pourtant, ils nous ont
demandé de trouver un texte législatif autorisant les femmes à voter.

Indiquez vous-mêmes, messieurs les juges, un texte législatif
interdisant aux femmes de voter.



LE PRIX D'UN VOTE DE FEMME


Sous la République, qui conserve la coutume salique excluant les femmes
du gouvernement, il est tellement interdit aux Françaises de s'immiscer
dans les affaires de leur pays, qu'un maire du département des Landes,
M. Dubedout, qui avait permis en 1885 à deux femmes de voter, fut
condamné pour ce fait à deux cents francs d'amende. Cent francs par
vote de femmes, c'est cher!

On ne doit point se laisser effrayer par ce moyen d'intimidation, il
suffirait qu'un maire et une commission municipale soient déterminés
à faire de la _res hominum_ la _res publica_, pour que la question de
l'électorat féminin fût sans délai résolue.



LE BLUFF ÉLECTORAL


Pour refuser la carte électorale aux Françaises, on les cloue au pilori
d'infamie, en les assimilant aux hommes déchus de leurs droits.

C'est avec les individus condamnés à des peines afflictives ou
infamantes, c'est avec les voleurs, les escrocs, les gens de mauvaises
mœurs, les assassins et les fous, que les femmes sont exclues de
l'électorat.

En ce pays où le nombre fait loi, le suffrage ne comprenant pas les
femmes qui sont le nombre, n'exprime point la volonté de la France.

Après l'argent, c'est le domicile qui vote et non le souverain.
L'électeur souverain ne circule pas avec sa souveraineté; c'est un
roi qui, quand il se déplace, s'arrache du front sa couronne pour la
confier au garde-meuble social jusqu'à nouvelle installation.

Les difficultés dressées devant l'urne électorale, qui forcent des
hommes à recourir à la fraude pour voter, prouvent que le suffrage,
qui exclut en bloc toutes les femmes, c'est-à-dire la majorité de
la nation, doit s'universaliser aux deux sexes et pouvoir partout
s'exercer pour avoir droit de s'appeler universel.

Les usurpateurs donnent à la loi électorale une interprétation
contradictoire. Après lui avoir fait dire que les femmes ne doivent
pas nommer de représentants pour défendre leurs intérêts, ils lui font
proclamer que les femmes ont le droit d'être représentées...

--Représentées sans représentants?

Parfaitement; ce subterfuge autorise à prendre pour base de l'élection
des députés cent mille habitants au lieu de cent mille électeurs.

Les Françaises qui sont trouvées indignes d'envoyer des mandataires au
Parlement, sont trouvées dignes d'être comptées comme les brebis d'un
troupeau, pour faire nombre et permettre aux éligibles d'augmenter,
avec les sièges à la Chambre, leur chance d'être élus.

Ce ne sont pas les habitants, mais les seuls électeurs qui doivent être
pris pour base de l'élection des députés.

Si l'on exigeait pour l'élection d'un député, cent mille électeurs au
lieu de cent mille habitants, les femmes voteraient bientôt; attendu,
que les législateurs de tous les partis seraient d'accord pour leur
octroyer l'électorat. Aiguillonnés par l'intérêt, ils soutiendraient
que la nation n'est pas exactement représentée à la Chambre pendant que
les femmes ne votent pas; et, ils auraient vite mis le bulletin dans la
main des annulées afin de ne point perdre leur place au Parlement.

Présentement, désintéressés de l'établissement du vrai suffrage
universel puisqu'ils bénéficient du nombre des femmes pour être élus,
sans que leurs actes aient à subir le contrôle féminin les députés
aiment mieux additionner un troupeau de muettes, que d'avoir à rendre
des comptes aux femmes électeurs. Des électeurs! ils en ont déjà trop!
Loin de chercher à les multiplier ils voudraient pouvoir les réduire,
comme les femmes, au rôle de moutons. Ah! ne représenter qu'un troupeau
masculin et féminin, dont on n'a point à se préoccuper des bêlements,
quel rêve!

Les législateurs essaient de persuader aux parias Françaises, qu'elles
seraient lésées si la loi les libérait, en s'abstenant de les compter.

Certes, les femmes contribuables ont le droit de compter dans la nation
puisqu'elles coopèrent à la prospérité du pays; seulement, elles
doivent être représentées non point comme des animaux recensés, mais
comme des êtres conscients, choisissant et nommant leurs représentants.

Les femmes ne se soucient point de continuer à être confondues avec le
cheptel d'après lequel l'homme calcule sa richesse, en étant un bétail
dont il fait le dénombrement pour édifier sa fortune politique.

En ce pays, où M. Thiers affirma que les chemins de fer ne pourraient
jamais fonctionner, il ne faut pas s'étonner si des hommes soutiennent
que les femmes ne doivent point participer aux affaires publiques.

Un décret ministériel transformerait de suite les Françaises annihilées
en citoyennes actives.

Puisqu'il n'est pas plus facile de faire admettre aux Français inquiets
de l'avenir, le suffrage des femmes qui les délivrerait de leurs
cauchemars, que de faire se soumettre les malades aux prescriptions
qui les guériraient, les ministres, qui, souvent, imposent par décret
des innovations coûteuses, ne pourraient-ils pas aussi, par décret,
imposer aux hommes d'être plus riches et plus heureux, en décidant que
le qualificatif «Français» comprend, les hommes et les femmes devant le
droit électoral, comme devant les charges publiques?



REFUS DE L'IMPOT


Les femmes qui s'étaient vu refuser la carte d'électeur, informèrent
leur préfet qu'elles ne voulaient plus coopérer aux dépenses de l'Etat
qui les annulait:

  «Monsieur le préfet,

  «J'ai reçu un avis relatif à mes contributions, comme je n'ai pas
  l'intention de les acquitter, je viens vous en prévenir et vous prier
  en même temps de rayer mon nom du rôle des contribuables.

  «Je me soumettais aux impositions, parce que je croyais que dans la
  commune, dans le département, dans l'Etat, qui me trouvent bonne pour
  supporter ma part de charges, je possédais ma part de droits.

  «Ayant voulu exercer mon droit de citoyenne française, ayant
  demandé, pendant la période de revision, mon inscription sur les
  listes électorales, on m'a répondu que «la loi conférait des droits
  seulement aux hommes et non aux femmes.»

  «Je n'admets pas cette exclusion en masse des femmes, qui n'ont été
  privées de leurs droits civiques par aucun jugement. En conséquence,
  je laisse aux hommes qui s'arrogent le privilège de gouverner,
  d'ordonner, de s'attribuer les budgets, le privilège de payer les
  impôts qu'ils votent et répartissent à leur gré.

  «Puisque je n'ai pas le droit de contrôler l'emploi de mon argent,
  je ne veux plus en donner. Je ne veux pas être, par ma complaisance,
  complice de la vaste exploitation que l'autocratie masculine se croit
  le droit d'exercer à l'égard des femmes. Je n'ai pas de droits, donc
  je n'ai pas de charges; je ne vote pas, je ne paye pas.

  Recevez, etc.

  «HUBERTINE AUCLERT.»

Cette lettre fut publiée par tous les journaux; les plus hostiles à
nos idées écrivirent: «La question se trouve par cette logique serrée
portée du coup sur son véritable terrain.» Dans une société où tout
repose sur le principe d'égalité, il est incompréhensible que les
droits que les femmes demandent ne leur soient pas accordés: Nous
payons des impôts disent-elles, nous devrions être autorisées à les
voter et à en surveiller l'emploi.»

«Vous êtes dans l'impossibilité, d'opposer à ce raisonnement une seule
objection qui n'ait pas été réfutée déjà par les partisans de la
souveraineté populaire.

«L'examen de ce qui se passe dans l'existence fournit d'excellents
arguments à l'appui de la théorie des femmes. Voilà par exemple une
dame d'intelligence et de volonté qui a fondé une importante maison
de commerce; elle occupe deux cents ouvriers et employés; elle verse
à l'Etat sous forme d'impôt des sommes considérables. Vous n'admettez
pas que cette femme ait le droit de discuter cet impôt, de peser par
sa voix sur certaines questions de tarif, d'apporter l'appui de son
expérience à des débats économiques. Ce droit, vous l'attribuez sans
hésiter à un rôdeur de barrière, qui n'a jamais gagné honnêtement un
liard de sa vie.»

Sous ce titre: Grève des Contribuables M. Charles Bigot écrivit dans
_Le_ XIXe _siècle_: «On ne saurait contester à Mlle Hubertine Auclert
d'avoir eu une idée. Ni en Angleterre, ni en Amérique où les champions
du droit des femmes ne manquent pas cependant, le beau sexe n'avait
encore imaginé de protester contre l'exploitation de l'autocratie
masculine par le refus de l'impôt. Mlle Hubertine Auclert coupe les
vivres à une société qu'elle trouve injuste pour son sexe. Pas de
droits électoraux, pas d'argent. La déclaration est nette au moins.»

Mais ce fut surtout une grêle d'injures qui plut sur ces énergiques
lutteuses pour leur faire lâcher pied.

Dans _Le Petit Parisien_, Jean Frollo en louant la crânerie des
insurgées contre le fisc avait prévu les défections qui devaient se
produire.

Sur les vingt femmes qui avaient refusé l'impôt, trois seulement,
Hubertine Auclert, Vve Bonnaire, Vve Leprou ne furent pas effrayées par
les papiers de toutes couleurs qu'elles reçurent, résistèrent aux
sommations du percepteur et les huissiers saisirent leurs meubles.

«Je ne plains pas trop, écrivit Henry Fonquier, Mlle Hubertine Auclert,
elle a eu du bruit pour son argent. Il lui a suffi de ne pas payer
ses contributions pour devenir célèbre. Dans le pays où «paraître
est tout», elle a paru. Les curieux de l'avenir, qui voudront écrire
l'histoire du refus de l'impôt au XIXe siècle, ne pourront se
dispenser de parler d'elle. Elle appartient à l'histoire, en compagnie
de M. de Genoude, qui faisait vendre son fauteuil, et de M. Gambon,
qui faisait vendre sa vache. Ceci pourrait donner matière à un groupe
curieux, et il est bizarre de voir un catholique légitimiste, un
socialiste et une femme libre user du même procédé.»

Dans «_Les Femmes qui tuent et les Femmes qui votent_,» Alexandre
Dumas parle de notre refus de payer l'impôt, il démontre qu'on ne peut
faire que des objections de fantaisie à nos revendications des droits
politiques.

Tous les gens de bonne foi pensent bien que si l'on nous empêche
de contrôler les budgets, c'est-à-dire d'avoir l'œil ouvert sur
l'administration de nos affaires c'est afin de pouvoir mieux nous duper.

En refusant l'impôt, les femmes ont voulu mettre l'Etat au défi de
fonctionner sans elles. Cette protestation est légitime, qui paie est
en droit de donner son avis.


_Qui paie la dépense doit la consentir._

En 1066 ses amis et conseillers dirent à Guillaume duc de Normandie:
«Il vous faut demander aide et conseil à la généralité des habitants de
ce pays; car, il est de droit que qui paie la dépense soit appelé à la
consentir.»

«Raison est que qui paie l'escot il soit à l'asseoir.»

C'est la première fois, au Moyen Age, que le droit politique est
exprimé avec cette netteté.

Les femmes apportent plus que les hommes dans les caisses de l'Etat
puisqu'elles sont en ce pays la majorité.

Il y a en France un million de femmes de plus que d'hommes, cependant,
le sexe masculin minorité en la nation gouverne seul et étant maître
absolu, s'attribue tous les bénéfices sociaux.

Les Françaises spoliées et exploitées, auraient un bon moyen pour
forcer les hommes dictateurs à entrer en accommodement avec elles, ce
serait de refuser en masse l'impôt.

Dans tous les temps et en tous les pays, le refus de l'impôt a toujours
été le grand levier des opprimés:

En Angleterre, le patriote John Hampden qui sous Charles Ier refusa
l'impôt, à ce despote, fut incarcéré, plaida, replaida et finit par
provoquer un mouvement qui se termina par la défaite de Charles Ier
dont la tête roula sur l'échafaud.

Sous Louis XIV des provinces s'insurgèrent contre les intendants
financiers, elles refusèrent les redevances; mais le faste royal
nécessitait trop d'or pour que l'on n'écrasât pas sous le pressoir du
fisc les rebelles. Les intendants furent investis du droit de vie et de
mort sur les contribuables récalcitrants.

En 1787, la Bretagne et la Normandie, après avoir vainement réclamé
contre les vexations et les corvées, ne trouvèrent pas de moyens plus
pratiques pour faire cesser l'oppression, que de couper les vivres aux
oppresseurs; elles se liguèrent pour refuser l'impôt.

L'exemple donné par ces deux grandes provinces à une époque où la
situation financière était si difficile, décida la réunion des états
généraux et hâta par conséquent la révolution.

M. de Genoude légitimiste refusa l'impôt à Louis Philippe. On vendit
ses meubles.

M. Gambon propriétaire de la Nièvre refusa de payer l'impôt à l'Empire.
On lui saisit une vache qui fut mise à l'enchère.

En Amérique, le refus de payer la taxe des marchandises importées
d'Angleterre, a été le signal de la guerre de l'indépendance. Les
Américains ont mieux aimé détruire, jeter à la mer des cargaisons de
denrées alimentaires que de payer l'impôt qui les frappait.


Vingt-six ans après des Françaises, des Anglaises ont refusé
d'acquitter leurs contributions parce qu'elles ne sont, elles non plus,
point électeurs politiques. Si cette manifestation se généralisait,
elle jetterait l'inquiétude au camp des hommes, puisqu'elle menacerait
d'arrêter faute de munitions, la force motrice qui fait mouvoir la
machine gouvernementale.

Les femmes peuvent-elles continuer à entretenir un état masculiniste où
elles ne sont admises qu'à titre de contribuables?

Quand des individus s'associent dans un but quelconque, pourvu qu'ils
apportent le même numéraire, qu'ils soient hommes ou femmes, ils ont un
identique pouvoir administratif. Les impôts, qui sont la part apportée
dans les caisses publiques par chacun des Français et des Françaises,
ne peuvent donc, sans préjudice pour la nation, être livrés à
l'arbitraire masculin. Il est urgent que la collectivité féminine dise
à la collectivité masculine:--Nous n'avons point confiance en votre
administration, voilà pourquoi nous voulons examiner, discuter, voter
avec vous les budgets.

Le préfet de la Seine qui avait répondu aux femmes que bien qu'elles
soient non électrices, elles restaient contribuables reçut cette lettre:

  «Monsieur le préfet,

  «Vous m'informez que, pour rejeter ma demande de dégrèvement d'impôt,
  vous vous appuyez sur l'article 12 de la loi du 21 avril 1832, qui
  déclare imposable à la contribution personnelle et mobiliaire tout
  habitant français ou étranger non réputé indigent.

  «Il y a quelques mois, je m'appuyais sur une loi identique, mais de
  date plus récente, la loi du 5 mai 1848, qui dit: «Art. 6.--Sont
  électeurs tous français,» pour réclamer mon inscription sur les
  listes électorales.

  «On m'a répondu que, devant le scrutin, «Français» ne signifiait pas
  «Française». Si Français ne signifie pas Française devant le droit;
  Français ne peut signifier Française devant l'impôt.

  «Je n'accepte pas cette anomalie qui fait mon sexe incapable de voter
  et capable de payer.

  «Comme vous ne paraissez pas tenir compte des motifs qui me font
  refuser la contribution, j'ai l'honneur de vous informer, monsieur le
  préfet, que je désire user de mon droit de présenter des observations
  orales à la séance publique du conseil de préfecture que vous voudrez
  bien m'indiquer. Je m'y ferai assister par Me Antonin Lévrier.

  «Recevez, etc.

  «HUBERTINE AUCLERT».



POURVOI DEVANT LE CONSEIL DE PRÉFECTURE


A l'appel de l'affaire Hubertine Auclert contre le préfet de la Seine,
je me suis avancée vers le prétoire et avant que n'intervînt mon avocat
Antonin Lévrier, j'ai dit:

Messieurs, vous savez, qu'il existe entre l'impôt et le vote une si
grande corrélation que jusqu'en 1848 le cens a été la condition du
vote. C'est un principe de notre droit français, que l'impôt doit être
voté par celui qui le paie.

J'ai légalement revendiqué mon droit de vote, je suis dans les
conditions requises pour l'exercer, cependant, quand j'ai demandé ma
carte d'électeur on m'a répondu que je n'avais pas de droits, que je ne
comptais pas parce que j'étais une femme!..

Comment se fait-il alors qu'on me réclame, à moi qui ne compte pas, des
contributions? C'est illogique, attendu que je ne puis à la fois être
rien et quelqu'un. Je ne puis être inexistante quand il s'agit de voter
et existante quand il s'agit de payer.

J'ai voulu porter cette question devant vous, messieurs, parce que vous
êtes un tribunal obligé de motiver vos jugements; et que la discussion
étant contradictoire entre l'organe du gouvernement et moi; vous et
par vous tout le public, devant ce débat porté si haut, sera obligé
de peser ce que valent les arguties de texte devant les arguments de
raison.

Or, la raison enseigne que tout argent déboursé doit avoir son emploi
contrôlé par la personne qui le débourse.

Je ne réclame pas de dégrèvements d'impôts pour avoir la satisfaction
de ne rien payer. Je ne demanderais pas mieux que de participer aux
charges qui incombent aux habitants de mon pays, mais je veux jouir des
droits qui découlent de ces charges. Si je suis contribuable; eh bien,
je veux être électeur. Ce ne sont pas ceux qui ont pour mission de
rendre la justice qui peuvent me blâmer de la demander.

On vous dit, que si vous me dispensiez de payer les contributions,
l'année prochaine d'autres femmes réclameraient, puis d'autres et
d'autres encore; si bien, qu'en peu de temps, il se produirait un
sensible déficit dans les recettes de l'impôt.

Tant mieux, si cela arrivait, car alors les hommes voyant qu'ils ne
peuvent se passer de notre apport se décideraient à compter avec nous,
à nous traiter en associées et non plus en esclaves rançonnées. Si un
déficit se produisait, les hommes s'empresseraient de remplacer le
régime de droit masculin existant, par une constitution réellement
basée sur l'égalité des hommes et des femmes devant le devoir.

Vous penserez, messieurs, que l'avenir qui sûrement émancipera la femme
enregistrera l'arrêt que vous allez prononcer. Vous vous ferez un
honneur d'établir ce grand principe de justice sociale, à savoir: que
dans un Etat où les femmes n'ont pas de droits, les femmes ne peuvent
non plus avoir de charges.

Me Antonin Lévrier, dans son langage concis et mesuré rappelle que
la question de l'impôt, de l'égale répartition de l'impôt, a été aux
grandes époques de notre histoire, le point de départ des réformes
dont nous jouissons. «Avant 1789, le tiers Etat contribuait seul aux
charges de l'Etat, la noblesse payant, disait-elle, de son sang, le
clergé de ses prières. L'égalité a enfin prévalu, mais elle n'est pas
encore ce qu'elle devrait être, puisque la femme est restée en tutelle,
sans indépendance et sans initiative. On la compte pour rien et on lui
demande l'impôt.

Mlle Hubertine Auclert s'adresse à vous, messieurs, qui êtes juges des
différends entre l'Etat et les individus pour obtenir la réformation
d'un abus qui a trop duré.»

Le Conseil a sur le rapport de M. Pasquier pris l'arrêté suivant:

  «Considérant que l'art. 12, § 1er de la loi du «21 avril 1832, décide
  «que la contribution «personnelle et mobilière est due par chaque
  habitant français et par chaque étranger de tout sexe jouissant de
  ses droits et non réputé indigent.»

  »Que dans la disposition précitée, les mots _jouissant de ses droits_
  n'ont qu'un sens spécial et restreint;

  »Que d'après les termes exprès du § 2e de l'art. 12 survisé, il y
  a lieu de comprendre au nombre des personnes jouissant de leurs
  droits les garçons et les filles majeurs ou mineurs ayant des moyens
  suffisants d'existence, soit par leur fortune personnelle, soit par
  la profession qu'ils exercent;

  »Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mlle Auclert a des
  moyens suffisants d'existence;

  »Qu'elle doit donc être réputée _jouir de ses droits_ dans le sens
  attribué à cette expression par la loi du 21 avril 1832;

  »Que dès lors elle n'est pas fondée à demander la décharge de la
  contribution personnelle et mobilière à laquelle elle a été imposée
  au rôle de 1880, 12, rue, Cail, à Paris;

  »Arrête:

  »La requête de Mlle Hubertine Auclert est rejetée.»

Nous en avons appelé de la juridiction du conseil de préfecture, à
la juridiction du conseil d'Etat, pour établir que les femmes sont
électeurs en même temps que contribuables.



POURVOI DEVANT LE CONSEIL D'ETAT


  _A Messieurs les Conseillers d'Etat._

  Messieurs,

  «J'en appelle à vous, de l'arrêt rendu contre moi, par le conseil de
  préfecture de la Seine: Le conseil a rejeté ma demande en dégrèvement
  d'impôts, en s'appuyant sur l'article 12 de la loi du 21 avril
  1832 ainsi conçu:--La contribution personnelle mobilière est due
  par chaque habitant français et par chaque étranger de tout sexe,
  _jouissant de ses droits_ et non réputé indigent.

  Je ne puis être visée par cet article qui stipule qu'il faut jouir de
  ses droits pour payer la contribution; car moi, je ne jouis pas de
  mes droits puisque je suis rangée parmi les exclus de l'électorat.

  «Le commissaire du gouvernement m'a dit, que je n'étais pas seule
  à payer sans exercer de droits, que les étrangers, que les mineurs
  étaient dans le même cas que moi et que cependant ils ne réclamaient
  pas.

  Veuillez remarquer, Messieurs, que les mineurs et les étrangers,
  qui sans exercer de droits contribuent aux charges publiques, n'ont
  pas à subir le même dommage que les femmes. Sans légiférer, sans
  administrer, ils sont servis par les mandataires de leur sexe qui
  ont reçu mandat de s'employer pour la collectivité masculine. Les
  étrangers et les hommes mineurs appartenant à cette collectivité,
  bénéficient naturellement de tout ce qui lui revient d'heureux. Il
  n'y a donc aucune analogie, entre les femmes privées à perpétuité de
  leurs droits et les hommes qui en obtiennent ou par le temps, ou par
  leur volonté, l'exercice.

  «Ce principe; que l'impôt doit être voté par celui qui le paie, qui
  existe dans la loi de 1832, découle de la constitution de 1791 basée
  sur «La déclaration des droits» qui dans son article 14 déclare
  formellement que tous ceux qui paient l'impôt, ont le droit d'en
  contrôler par eux-mêmes ou par leurs représentants la nécessité. Que
  tous ceux qui paient l'impôt, ont le droit de le consentir librement,
  d'en suivre l'emploi, d'en déterminer la quotité, l'assiette, le
  recouvrement et la durée.» Cet article, abonde dans mon sens. Ou
  bien, comme je le soutiens, tous les imposés hommes et femmes,
  doivent régler l'emploi des contributions; ou bien, les hommes qui
  seuls contrôlent les dépenses, doivent les payer.

  «Les femmes, par la contribution directe et indirecte, apportent
  la moitié des recettes dans les caisses de l'Etat; mais, elles ne
  bénéficient point du quart des dépenses.

  «En examinant les différents chapitres du budget, on voit que les
  hommes se sont presque tout attribué. Les deux tiers des sommes
  allouées pour l'instruction publique leur sont accordés, afin
  qu'ils puissent se donner cette supériorité du point de départ, le
  développement intellectuel.

  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

  «Tous les budgets étant employés surtout à l'avantage du sexe
  masculin. Ne l'ignorant pas, je suis naturellement amenée à vous
  présenter ces conclusions que j'espère que vous agréerez.

  «Attendu, qu'il est bien démontré que je ne jouis pas de mes droits
  et ne puis par conséquent être visée par l'article 12 de la loi du 21
  avril 1832 qui énumère expressément les conditions requises pour être
  contribuable.

  «Attendu, qu'il est bien démontré que l'argent des contributions que
  je verse profite presque exclusivement aux hommes.

  «Attendu, que je suis exclue de la loi qui donne pour garantie de
  l'équité de la répartition des impôts, le droit à tout contribuable
  de les répartir ou de les faire répartir par des mandataires légaux.

  «M'en référant à la déclaration des droits de 1789 et à la
  Constitution de 1791 de laquelle découle toute la législation
  postérieure relative à cet objet, je conclus que je dois pouvoir
  contrôler, ou faire contrôler par des personnes mandatées par moi,
  l'emploi de mon argent, ou que je dois être déchargée de toute
  contribution.

  «Vous écouterez ma réclamation, Messieurs, vous rendrez un arrêt
  équitable pour la moitié déshéritée de l'humanité et de la chambre du
  Conseil d'Etat, sortira pour les femmes la réforme de la législation.

  «HUBERTINE AUCLERT.»

Le Conseil d'Etat après avoir examiné notre affaire; a rendu l'arrêt
ci-dessous:



L'ARRÊT DU CONSEIL D'ÉTAT


  CABINET

  DU

  Sénateur Préfet de la Seine

  1er Bureau

  =PRÉFECTURE=

  DU DÉPARTEMENT DE LA SEINE

  =RÉPUBLIQUE FRANÇAISE=

  _CONSEIL D'ÉTAT_

  Séance du 31 mars 1881.


  Au nom du peuple Français.

  La section du contentieux du conseil d'Etat.

  Vu la requête présentée par la demoiselle Hubertine Auclert,
  demeurant à Paris, tendant à ce qu'il plaise au conseil: annuler
  un arrêté, en date du 11 août 1880, par lequel le conseil de
  Préfecture du département de la Seine a rejeté sa demande de
  décharge de la contribution personnelle et mobilière à laquelle
  elle a été imposée, pour l'année 1880, sur le rôle de la ville de
  Paris.

  Ce faisant, attendu qu'elle n'a pas la jouissance des droits
  politiques; que, dès lors, elle ne jouit pas de ses droits dans
  le sens de l'article 12 de la loi du 21 avril 1832, et ne doit
  pas être imposée à la contribution personnelle et mobilière; lui
  accorder la décharge demandée;

  Vu l'arrêté attaqué;

  Vu la réclamation de la demoiselle Hubertine Auclert devant le
  conseil de Préfecture;

  Vu l'avis de la commission des contributions directes, et des
  agents de l'administration des contributions directes;

  Vu la lettre, en date du 28 février 1881, par laquelle le Préfet de
  la Seine, transmet le présent pourvoi;

  Ensemble le rapport du directeur des contributions directes;

  Vu les autres pièces produites et jointes au dossier;

  Vu la loi du 21 avril 1832;

  Ouï, M. Bonnieu, auditeur, en son rapport;

  Ouï, M. Chante-Grellet, maître des requêtes, commissaire du
  Gouvernement, en ses conclusions;

  Considérant qu'aux termes de l'article 12 de la loi du 21 avril
  1832, la contribution personnelle et mobilière est due par chaque
  habitant français ou étranger de tout sexe jouissant de ses droits
  et non réputé indigent; que d'après le même article, les garçons et
  filles majeurs ou mineurs, ayant des moyens suffisants d'existence,
  sont considérés comme jouissant de leurs droits;

  Considérant qu'il résulte de l'instruction que la demoiselle
  Hubertine Auclert jouit de ses droits dans le sens de l'article 12
  précité; que, dès lors; c'est avec raison qu'elle a été maintenue
  par le conseil de Préfecture de la Seine, à la contribution
  personnelle et mobilière à laquelle elle a été imposée pour 1880
  sur le rôle de la ville de Paris,

  Décide:

  Article 1er

  La requête de la demoiselle Hubertine Auclert est rejetée.

  Art. 2

  Expédition de la présente décision sera transmise au ministre des
  finances.

  Délibérée dans la séance du 31 mai 1881 où siégeaient MM.
  Laferrière président; Bertout, Braun, Tirman, Colonna-Ceccaldi,
  conseillers d'Etat, et Romieu, auditeur, rapporteur.

  Lue en séance publique le 8 avril 1881.

  Le président de la section du contentieux

  Signé: ED. LAFERRIÈRE.

Le Conseil d'Etat invoque la subtilité de la loi qui me fait considérer
comme jouissant de mes droits lorsqu'il s'agit de payer les impôts, et
qui, quand je veux exercer ces droits, me les dénie.

Si pour les élections je voulais essayer de voter, je suis certaine que
l'on me repousserait de l'urne électorale avec cette formule:--Vous ne
jouissez pas de vos droits!

Dans tous les actes de la vie sociale et politique, on me dit que je
ne jouis pas de mes droits. Cependant quand arrive le moment de payer
l'impôt, que, pour ce motif, je demande à en être déchargée; on me
répond! «Que je suis considérée comme jouissant de mes droits.»

Ainsi, moi qui ne jouis pas de mes droits pour voter l'impôt, je
jouirais de mes droits pour le payer?

Je ne puis cependant être à la fois capable et incapable. Capable pour
donner mon argent; et incapable, pour contrôler l'emploi qu'on en fait.



LE DROIT POUR LES FEMMES DE PÉTITIONNER


_Pétitions remarquées._

Les Françaises doivent à Mme Jeanne Deroin, à MM. Schoelcher et
Crémieux, d'avoir conservé le droit de pétitionner.

Quand en avril 1851 un député, M. Chapot, fit à l'assemblée législative
la proposition de supprimer pour les femmes le droit de pétition en
matière politique, Jeanne Deroin alors détenue politique, protesta du
fond de sa prison, pria les citoyens représentants de ne point enlever
aux femmes le droit de pétitionner.

La question vint en discussion le 24 juin 1851[13]. Le rapporteur M.
Quantin-Bauchard, commença par trouver plaisant qu'une seule femme
réclamât contre l'interdiction du droit de pétitionner:--«Il s'agissait
pour elles, dit-il, de prouver qu'elles sont capables de se servir du
droit de pétition, en pétitionnant contre leur exclusion de ce droit.

--A droite:--C'est cela! C'est cela!

M. Quantin-Bauchard--Eh bien, il y a une femme, une seule, qui a
réclamé (explosion de rires), et c'est notre honorable collègue Laurent
de l'Ardèche, qui s'est fait l'avocat des dames pétitionnaires en
matière politique.
  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .

--Vous sentez que c'est là une question de décence publique, de dignité
parlementaire. Comment! il arrivera une pétition signée dans un sens
par le mari, signée dans un autre par la femme! Quels seraient donc
l'autorité et le sexe qui domineraient ici?»

 [13] Le _Moniteur_.

Tout le monde cependant n'était pas convaincu, puisque le 2 juillet
M. Schoelcher proposa un amendement pour maintenir aux femmes le droit
de pétitionner. Cet amendement chaleureusement défendu par M. Crémieux,
fut adopté à l'unanimité au milieu de l'hilarité générale.--Ces députés
riaient d'avoir été empêchés de jouer un bon tour aux femmes spoliées,
en leur interdisant de réclamer.


_Pétition pour demander le droit de vote ou l'exonération de l'impôt._

  «Messieurs les députés,

  «Nous nous sommes adressées à toutes les juridictions: Le maire,
  le préfet, le conseil de préfecture, le conseil d'Etat, pour être
  déchargées du devoir de payer les impôts ou être admises à exercer
  notre droit de vote. Toutes les juridictions nous ont répondu que
  leur compétence ne pouvait aller jusqu'à nous faire justice, que
  nous devions nous adresser à vous.

  «Nous avons, messieurs, l'honneur de vous présenter notre requête.
  La corrélation entre l'obligation de payer l'impôt et le droit de
  le voter est indiscutable. Nous espérons que vous nous accorderez
  le droit de voter, c'est-à-dire le pouvoir de contrôler ou de faire
  contrôler l'emploi de notre argent, ou que vous nous dispenserez de
  payer.

  «Si les hommes ont besoin de l'apport des femmes, qu'ils les traitent
  en associées et non en esclaves rançonnées. Nous voulons bien
  participer aux charges qui incombent aux habitants de notre pays,
  mais nous voulons jouir des droits qui découlent de ces charges. Pour
  être contribuables, nous voulons être électeurs.

  «L'impôt ne peut être consenti que par les ayants droit au vote;
  pendant que nous ne sommes pas de ceux-ci, nous ne devons rien à
  l'Etat. Vous aurez, messieurs, l'impartialité de le reconnaître et
  d'établir ce grand principe de justice sociale, à savoir: que dans
  un pays où les femmes n'ont pas de droits, les femmes ne peuvent non
  plus avoir de charges.

  HUBERTINE AUCLERT,»

  12, rue Cail, directrice de la _Citoyenne_.

  VEUVE BONNAIRE,

  103, boulevard de la Gare, commerçante et propriétaire.

  VEUVE LEPROU,

  à Pontlieu (Sarthe), relieuse et propriétaire.

Cette pétition a été écartée par l'ordre du jour.

En 1882 au moment où il fut question de reviser la Constitution nous
demandâmes par la pétition suivante que les femmes coopèrent à cette
revision.

  Messieurs les Députés,

  «Permettez-nous d'introduire dans votre discussion sur la revision
  intégrale ou partielle de la Constitution, une question bien
  plus importante que toutes celles qui vous divisent: la question
  d'admettre les femmes comme membres du Congrès, pour reviser la
  Constitution.

  «Si vous voulez réellement faire une constitution républicaine, vous
  devez décréter que vos mères, vos sœurs, vos épouses, vos filles, les
  femmes qui portent le beau nom de Françaises--Franques, c'est-à-dire
  libres--sont affranchies de l'esclavage et jouissent de toutes les
  prérogatives qu'ont les hommes.

  «Vous trouvez mauvais que les femmes acceptent les dogmes, ne
  serait-ce pas aussi mauvais que les femmes acceptent sans discussion,
  sans examen, les lois qui sont au temporel ce que les dogmes sont
  au spirituel? Pour que les femmes respectent la Constitution, pour
  qu'elles s'y soumettent, il faut qu'elles participent à sa confection.

  «L'équité la plus élémentaire, vous conseille d'appeler les femmes
  au Congrès, pour qu'elles y réclament l'exercice de leurs droits de
  citoyennes.

  «Comment, pourriez-vous tenir plus longtemps en dehors de
  l'administration des affaires publiques, les femmes sur lesquelles
  reposent la sécurité et le crédit de la France?

  «Vous vous inspirerez de ces considérations sérieuses, messieurs, et
  si vous voulez réellement fonder la République, vous laisserez aux
  générations, une Constitution qui donne aux hommes et femmes, les
  mêmes droits.»

Le rapporteur de la commission des pétitions de la chambre, M. Frédéric
Thomas, conclut dans les termes suivants au rejet de la pétition:

  «La demoiselle Hubertine Auclert paraît remplie de confiance, elle
  se flatte que les destinataires de sa pétition s'inspireront de ses
  considérations sérieuses. L'épithète de sérieuse peut passer pour
  une qualification ambitieuse; regardons-la, comme l'illusion d'un
  cœur sensible et aventureux et ménageons-la, sans espérer la guérir
  en la traitant, sinon par cette fin de non recevoir rigoureuse de la
  question préalable, du moins par cette exception plus courtoise de
  l'ordre du jour.»

Ces injures ne nous découragèrent pas, et une nouvelle pétition
réclamant l'électorat et l'éligibilité pour les femmes fut déposée à la
chambre.


_Pétition pour demander que ces mots: «Les Français,» qui comprennent
les deux sexes comme contribuables, comprennent les deux sexes comme
électeurs_,

  «Messieurs les députés,

  «Ce fait que la représentation nationale est exclusivement composée
  d'hommes, et d'hommes exclusivement mandatés par des hommes, cause un
  préjudice moral et matériel considérable aux femmes. L'absence des
  femmes de la législature produit l'injustice de la législation.

  «Dans la discussion et le vote des lois générales, les femmes n'ayant
  personne pour prendre la défense de leurs intérêts, leurs intérêts
  sont sacrifiés.

  «Dans la discussion et le vote des lois qui visent particulièrement
  les femmes, les projets qui leur seraient favorables sont écartés,
  pour ce principal motif qu'ils gênent l'autocratie masculine, ou
  prennent pour les femmes un peu des budgets que les hommes se sont
  presque exclusivement attribués.

  «Nous vous demandons, messieurs les députés, de décider que ces mots
  «_Les Français_» soient interprétés dans la loi électorale comme ils
  le sont dans la loi civile. Ces mots «_Les Français_» qui comprennent
  les deux sexes comme contribuables doivent comprendre les deux sexes
  comme électeurs, donc, leur conférer, au même titre, le droit au vote
  municipal et politique, le droit à l'éligibilité.

  «Les femmes ont autant d'intérêt que les hommes à la confection des
  bonnes lois, à la répartition équitable des budgets. Or, l'exercice
  des droits civiques est le seul moyen pour elles de contrôler ce qui
  se fait, de garantir à la fois leurs intérêts et leur liberté.

Cette pétition couverte de plus de mille signatures fut rejetée par
l'ordre du jour.

M. Cavaignac dit dans son rapport: «Il n'est pas permis de parler
légèrement d'une thèse dont des hommes éminents et parmi eux Stuart
Mill, se sont faits les défenseurs éloquents. Mais l'opinion n'est pas
suffisamment préparée, à voir siéger sur les bancs de nos assemblées,
un élément étranger au sexe masculin. Les femmes ne sont pas préparées
au maniement des affaires publiques.»

Hé! ce ne sera qu'en votant et en légiférant que les femmes deviendront
d'habiles législatrices.

Tous les journaux parlèrent de cette pétition.

La _Presse_ trouva la réponse de la commission des pétitions
dangereuse. Elle semble, dit-elle, encourager Mlle Hubertine Auclert à
persévérer et à gagner l'opinion publique à une idée qui est fausse.

Le _Figaro_ appuya notre revendication.

«Comment, dit-il, n'être pas choqué à l'idée qu'une de ces femmes de
tête, comme on en compte par milliers dans le commerce ou l'industrie,
ou bien une de ces femmes de haut luxe, résumant en elle la culture
de vingt générations n'ait pas sur les affaires publiques, la part
d'influence que personne n'oserait contester aujourd'hui au charretier
de la marchande, ou au palefrenier de la grande dame.

Changeons de monde si vous voulez; comparez la ménagère laborieuse,
économe, martyre du mariage et de la maternité, qui vient chercher le
jour de paie, à l'atelier, son mari ivrogne et qui tâche de sauver des
cabarets le modeste pécule de la maisonnée! L'être maculé de vin et de
boue, dégradé, abruti, immonde, qui heurte les murailles et qui bat sa
femme--c'est l'électeur. C'est lui dont on défend les droits, c'est lui
qu'il est urgent de représenter.

La femme, la victime ne compte pas; elle n'est pas «suffisamment
préparée.»

Dans La _Bataille_ M. Lissagaray réfuta en ces termes le rapport
de M. Cavaignac: «Le vote des femmes est le corollaire fatal du
suffrage universel, comme la vie politique est le corollaire de
l'affranchissement des noirs; où il y a identité absolue d'intérêt, il
ne saurait exister de différence dans le droit.


_Pétition au Congrès de Versailles_
(_12 Août 1884_)

_A Messieurs les membres du Congrès_

  Messieurs,

  Nous venons rappeler à votre mémoire l'existence des femmes,
  existence dont vous paraissez vouloir vous abstenir de tenir compte
  en revisant la Constitution.

  Veuillez vous souvenir que les femmes sont la moitié de la nation.

  Responsables, contribuables, membres de la société, les femmes sont
  au même titre que les hommes des ayants droit.

  Pour que la France entière soit représentée aux Chambres, pour que le
  suffrage soit véritablement universel, il faut que les femmes soient
  électrices.

  Vous voulez supprimer le suffrage restreint pour l'élection des
  sénateurs, supprimez, en même temps, le suffrage restreint pour
  l'élection des députés; appelez les femmes à voter comme les hommes.

  Nous vous prions, messieurs, d'introduire dans la nouvelle
  Constitution, un paragraphe qui autorise les femmes à exercer leurs
  droits de Françaises et de citoyennes.

  Vous ne feriez pas une Constitution républicaine, si vous conserviez
  dans la loi, pour ces égaux devant les charges--les femmes et les
  hommes--l'inégalité devant les droits.

  Une Constitution qui diviserait toujours la nation en deux camps,
  celui des rois--les hommes souverains--et celui des esclaves--les
  femmes exploitées--serait une Constitution autocratique et mort-née.

  Nous vous demandons, Messieurs, au nom des femmes de France, et dans
  l'intérêt des hommes et des femmes, d'avoir le courage de faire une
  Constitution qui donne à tous, Français et Françaises, avec les mêmes
  devoirs, les mêmes droits.

  Pour le Cercle du Suffrage des Femmes:

  _La déléguée_

  HUBERTINE AUCLERT.

Cette pétition est venue à l'ordre du jour de la huitième séance, et,
chose curieuse, c'est un nègre, c'est-à-dire un homme qui, en raison de
la couleur de sa peau a été victime des préjugés, qui est monté à la
tribune proposer de maintenir les préjugés de sexe.

Malgré le respect qu'elle professe pour les dames, a dit M.
Gerville-Réache (_rires_)[14], la commission ne croit pas nécessaire
de leur accorder des droits politiques et de leur imposer les devoirs
politiques qui appartiennent aux citoyens français. Elle ne croit
pas non plus que ce vœu soit celui de la majorité des Françaises. La
commission propose donc l'ordre du jour sur cette pétition.

  [14] Avant 1848 on riait aussi quand on parlait de donner le vote à
  tous les hommes.

Ce n'est pas galant s'écria un membre de la gauche.

M. Raoul Duval ne s'explique pas pourquoi de simples aspirantes à
l'électorat sont traitées plus favorablement que des membres de
l'assemblée nationale.


_Opinion de la presse sur notre pétition._

  _Le Temps_

  On ne saurait reprocher à l'Assemblée nationale d'avoir manqué de
  courtoisie envers les dames, Mlle Hubertine Auclert, directrice du
  journal la _Citoyenne_, organe des droits sociaux et politiques de
  la femme, plus heureuse que M. Barodet et nombre d'autres membres
  du sexe laid, n'a pas eu à subir l'affront de la question préalable
  pour sa pétition relative à l'électorat des femmes. Cette pétition
  a eu les honneurs d'un rapport à la tribune et on ne lui a opposé
  que l'ordre du jour pur et simple, ce qui, en pareille matière, est
  presque un succès, car Mlle Auclert, quelle que soit la ferveur de
  son apostolat, ne pouvait s'être fait cette illusion que le Congrès,
  quittant toutes autres préoccupations, allait consacrer une partie de
  son temps à discuter sérieusement le point de savoir si les femmes
  seraient mises, pour l'exercice des droits politiques, sur le même
  pied que les hommes.

  Mlle Hubertine Auclert doit donc se trouver très heureuse d'avoir
  occupé, ne fût-ce que pendant quelques instants l'attention du
  Congrès. Pareille fortune n'est pas advenue à tout le monde.


  _Le XIXe siècle_

  Mlle Hubertine Auclert ne cesse pas de revendiquer en faveur des
  femmes. Sa pétition au Congrès demandait pour les femmes l'électorat
  et l'éligibilité politiques. Elle était fort bien tournée, cette
  pétition, et il est certain que si Mlle Hubertine Auclert triomphait,
  les Congrès futurs offriraient un aspect plus agréable que les
  Congrès d'aujourd'hui. Mais la pétition de Mlle Hubertine Auclert n'a
  obtenu du Congrès que la question préalable, tout comme un amendement,
  tempérée par un mot gracieux et galant du rapporteur. C'est à
  recommencer et vous pouvez compter que la pétitionnaire recommencera.
  Rien ne la lasse. Et elle tient à faire mentir les ennemis des
  femmes qui prétendent que le sexe n'a pas l'esprit de suite dans ses
  entreprises!

  HENRI FOUQUIER


  _Le Soleil_

  Dans une tribune quelques femmes ont applaudi le nom de Mlle
  Hubertine. Auclert. Cette manifestation a été très vite réprimée sur
  les ordres de la questure.


  _Le Moniteur universel_

  Mlle _Hubertine Auclert_ rappelle avec raison que les femmes sont au
  même titre que les hommes des ayants droit.

  Voyez combien vous êtes injustes; vous inventez le suffrage
  universel, et vous ne vous apercevez pas qu'il n'y a rien de moins
  universel que ce suffrage.

  Vous avez exclu les femmes; pourquoi cela?

  Avez-vous donc peur qu'elles usent mal du droit de vote?

  J'en appelle à toutes les mères de famille; que font-elles donc du
  matin au soir, si ce n'est d'exercer, comme on disait autrefois, un
  véritable sacerdoce?

  Et quoi, une mère élève son enfant, et cet enfant lui doit tout ce
  qu'il est; elle fait tout cela, et vous dites qu'elle est incapable
  de nommer des députés?

  Laissez-moi vous le dire, quand on crée des hommes, on a bien le
  moyen de faire des députés.

  On a même le moyen d'en faire de très bons; est-ce par hasard cela
  qui vous fait peur?

  La femme est un être essentiellement civilisé: prenez-la dans un
  tel milieu que vous voudrez; si défectueuse que soit son éducation,
  si incomplète que soit son instruction, ce n'est jamais en vain que
  vous ferez appel en elle à tout ce qu'il y a de noble et d'élevé dans
  l'humaine nature.

  Ah! tenez, vous vous ôtez le plus clair de vos ressources et votre
  arme la plus solide, quand vous vous privez du concours de la femme
  dans vos luttes politiques.

  ROBINSON.


  _Le Rappel._

  Je crois que c'est moi qui ai publié le premier la pétition de Mlle
  Hubertine Auclert demandant à l'Assemblée nationale «d'avoir le
  courage de faire une Constitution qui donnerait à tous les Français
  et Françaises avec les mêmes devoirs les mêmes droits civils et
  politiques.»

  Mlle Hubertine Auclert a dit, entre autres, une chose à laquelle il
  ne nous paraît pas très facile de trouver une réponse: c'est que nous
  nous prétendons sous le régime du suffrage universel, et que c'est un
  drôle de suffrage universel, que celui qui commence par destituer la
  moitié du genre humain.

  M. Gerville-Réache a cru répondre en disant qu'il ne croyait pas
  que la pétition de Mlle Hubertine Auclert répondît au sentiment et
  au désir de la majorité des Françaises. M. Gerville-Réache croit-il
  que l'émancipation des noirs répondît au sentiment et au désir de
  la majorité des esclaves? L'état de sujétion est un état mou et
  lâche auquel on tient par habitude et par hébétude, et le premier
  mouvement est de reculer devant la liberté, c'est-à-dire devant
  la responsabilité. Mais ce n'est pas une raison pour perpétuer la
  servitude, il faut affranchir les esclaves et les femmes, même de
  force.

  AUGUSTE VACQUERIE.


  _Paris._

  Quelques orateurs se sont couverts de gloire en _blaguant_
  l'honorable pétitionnaire. Etant donné que les novateurs ont toujours
  tort, c'était une besogne trop facile.

  Il n'y a pas un argument sérieux pour combattre le vote des femmes.
  On n'ose pas invoquer la question d'intelligence. Cela ferait rire
  tous les gens de bonne foi. La femme la plus bête sera toujours plus
  fine que l'homme le mieux doué. La femme possède un tact supérieur:
  puisque le suffrage universel est entré dans nos mœurs, il faut, sous
  peine d'illogisme, l'admettre tout entier. Dans quelque cinquante
  ans d'ici, nos petits-neveux seront stupéfaits d'apprendre qu'on
  aura attendu un long temps avant de donner à la femme des droits
  politiques égaux à ceux de l'homme. Nous paraîtrons aux yeux des
  citoyens de l'avenir, aussi stupides que les membres du concile de
  Mâcon, qui, à la majorité d'une voix seulement, décrétèrent que la
  femme avait une âme.

  ALBERT DELPIT.


_Le National._

L'admission des femmes au vote n'est plus qu'une question de temps. Qui
aurait cru, sous Louis XVI, alors que les paysans n'étaient encore que
«ces sortes d'animaux farouches» dont parle La Bruyère, qu'ils seraient
un jour, par le suffrage universel, les véritables souverains du pays?
Ne jetons pas la pierre à Mlle Hubertine Auclert, les idées qu'elle
défend feront leur chemin.

  PAUL FOUCHER.


_Pétitionnement organisé par le Journal «La Citoyenne» pour réclamer le
suffrage des femmes_

  «Messieurs les députés,

  «Etant donné que non seulement les intérêts des femmes mais tous
  les intérêts français sont gravement compromis par l'absence des
  femmes de la législature.

  «Etant donné que, conciliatrices et pacificatrices par excellence,
  les femmes rendront possibles sans révolutions les réformes
  sociales, dès qu'elles participeront à la vie publique.

  «Etant donné, d'autre part, que les femmes, contribuables et
  responsables, sont des ayants-droit qui doivent de concert avec les
  hommes, administrer les fonds publics, faire les lois.

  «Nous vous prions, Messieurs les députés, de bien vouloir réformer
  la loi électorale de manière qu'elle confère aux femmes les droits
  politiques: vote et éligibilité.»

Pour le rapporteur de cette pétition M. Escanyé, la question de
l'électorat et de l'éligibilité des femmes est digne des méditations
des philosophes et des publicistes, mais il trouve que le moment n'est
pas venu de lui donner une solution et fait rejeter notre pétition par
l'ordre du jour.


_Pétition au Conseil Général de la Seine._

  Messieurs les conseillers généraux,

  Dans votre séance du 6 juillet, vous avez adopté un vœu d'amnistie en
  faveur des falsificateurs et des fraudeurs destitués de leurs droits
  civiques.

  Puisque vous êtes à ce point bons et généreux, permettez-moi
  d'appeler votre attention sur une catégorie d'individus, bien plus
  intéressante que celle qui a été l'objet de votre sollicitude, et de
  vous demander d'émettre en faveur des vingt millions de Françaises,
  arbitrairement privées de leurs droits de citoyennes, un vœu
  d'amnistie qui les relève du crime d'être nées femmes.

  Vous ne pouvez, messieurs les conseillers, avoir moins de pitié pour
  les femmes, innocentes victimes des préjugés, que pour les voleurs,
  qui en falsifiant les aliments, ont altéré la santé de la nation et
  assassiné lentement peut-être des milliers d'individus.

  Je vous prie de mettre fin au monstrueux déni de justice qui
  déshonore la République, en émettant le vœu qu'avant les élections de
  1885 les femmes soient mises en possession de leurs droits électoraux.

  J'espère, messieurs les conseillers généraux, que vous voudrez bien
  accueillir favorablement la requête que je vous adresse au nom de mon
  sexe, et je vous prie d'agréer, avec mes remerciements anticipés,
  l'hommage de ma haute considération.

  Hubertine AUCLERT,

  Directrice de La _Citoyenne_.


_Conseil Général de la Seine, séance du 2 décembre 1885._

  ORDRE DU JOUR SUR UNE PÉTITION DE Mlle HUBERTINE AUCLERT DEMANDANT
  QUE LES FEMMES SOIENT MISES EN POSSESSION DE LEURS DROITS ÉLECTORAUX

  _M. Georges Berry_ rapporteur.--Mlle Hubertine Auclert a adressé au
  conseil général de la Seine une pétition ayant pour but de faire
  appuyer, par un vœu de cette assemblée, les revendications qu'elle
  ne cesse de faire au sujet du droit électoral des femmes.

  «Tout le monde connaît, en effet, les efforts mémorables de Mlle
  Hubertine Auclert, qui a fait une agitation de tous les instants
  autour de la question du vote des femmes.

  «Tantôt, elle réclame son inscription sur les listes électorales et
  épuise en vain les juridictions sans se décourager.

  «Tantôt elle refuse de payer ses contributions, sous prétexte que
  si elle n'a pas les droits d'un citoyen, elle ne saurait en avoir
  les charges.

  «Tantôt, enfin, elle fait signer des pétitions pour le Sénat et la
  Chambre des députés.

  «Aujourd'hui, c'est nous que Mlle Hubertine Auclert charge du soin
  de saisir de nouveau les pouvoirs publics.

  «Les femmes, dit Mlle Auclert, ont les mêmes charges que les
  hommes, pourquoi n'ont-elles pas les mêmes droits? Elles sont
  en outre, au moins aussi intelligentes qu'eux? pourquoi dès
  lors leur refuser de prendre part à la confection des lois, où,
  entre parenthèse, elles sont abominablement sacrifiées, et à la
  discussion d'un budget qui absorbe leurs finances?


  «La nature de la femme dit M. Georges Berry, son caractère, son
  rôle dans la vie, sont autant de motifs qui doivent la faire
  exclure de la scène politique.

  «Chez la femme l'élément sensuel domine l'élément intellectuel.
  Quels hommes d'affaires choisiront ces dames?

  «Si les femmes deviennent électeurs, elles deviendront du même
  coup éligibles et je crains qu'elles soient aussi mauvais députés
  qu'imparfaits électeurs.

  «La femme n'a aucune aptitude pour les fonctions publiques. Ce qui
  prouve son incompétence en politique, c'est l'attraction qu'elle
  subit de la part de tout ce qui est faux.

  «La véracité et la précision sont des traits caractéristiques
  masculins!. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
  quels gâchis! quelles intrigues indignes de la représentation
  nationale! quelles lois contradictoires! quelle majorité versatile!
  que de séances perdues, dans cette assemblée des deux sexes...»

  Quand M. Georges Berry a été las d'insulter les femmes, il s'est
  excusé d'avoir été aussi grossier envers elles. «Si je leur ai dit
  tant de choses désagréables, s'est-il écrié, c'est leur faute,
  elles n'avaient qu'à ne pas réclamer leurs droits au conseil
  général.» Aujourd'hui le gouvernement laisse tout dire et tout
  faire aux petites filles d'Olympe de Gouges. Finalement il demande
  de passer à l'ordre du jour sur la pétition de Mlle Hubertine
  Auclert:

  _M. Cattiaux._--Messieurs, je ne viens pas réclamer aujourd'hui le
  droit de vote en faveur des femmes, par cette seule raison que leur
  éducation a été trop négligée.

  Quant à ce droit lui-même, il est incontestable (Réclamations) nous
  ne pouvons qu'en retarder l'avènement.

  La femme a des charges comme les hommes; n'élève-t-elle pas
  seule ses enfants après la mort de son mari ou quand elle est
  fille-mère,--plutôt par la faute de l'homme que par la sienne.

  Or, vous ne faites pas pour elle ce que vous devriez faire:
  laissez-lui donc alors revendiquer ses droits et puisqu'elle n'a
  pas d'autre moyen de les faire triompher que le vote, donnez-lui le
  pouvoir de voter?

  _M. Michelin._--Il s'agit de statuer sur le rapport de M. Georges
  Berry.--Je viens combattre les conclusions de ce rapport et me
  déclarer très nettement pour le droit des femmes.

  _M. Monteil._--Il faut dire cela à la Chambre.

  _M. Michelin._--Je suis disposé à le faire, Monsieur Monteil.

  J'estime que, dans une République, la femme doit être traitée
  autrement que sous les lois de l'Eglise et de la monarchie._

  _M. Maurice Binder._--Si les femmes votaient, la République n'en
  aurait pas pour vingt-quatre heures!

  _M. Michelin._--Je sais qu'il est contraire aux principes de
  l'Eglise de donner aux femmes des droits, et même un concile s'est
  réuni pour étudier la question de savoir si la femme avait une âme.

  Il appartient à la société moderne d'émanciper la femme au point de
  vue civil, au point de vue politique.

  Au point de vue municipal et politique, je demande que l'on
  commence au moins par reconnaître le droit de vote des femmes dans
  les élections communales. Des femmes ont souvent des intérêts
  considérables dans une commune et l'on ne comprend pas qu'elles ne
  soient pas appelées à voter, pour défendre ces intérêts.

  J'irai plus loin et je voterai l'admission des femmes aux droits
  politiques. Nous ne devons pas établir deux catégories de citoyens.
  Je sais très bien qu'aujourd'hui l'éducation de la femme est le
  plus souvent cléricale; mais, fort heureusement, les idées marchent
  et, avant peu, je l'espère, la femme sera complètement affranchie
  du confessionnal et des superstitions du Moyen Age. Le meilleur
  moyen de parvenir à ce résultat, est de reconnaître les droits de
  la femme.

  Il est grandement temps, messieurs, de s'occuper de la condition de
  la femme dans notre société moderne.

  Je suis convaincu que le Conseil général ne voudra pas sanctionner
  le rapport très spirituel de M. Berry, mais qui vous propose des
  conclusions contraires à l'équité; qu'il envisagera de haut cette
  question et dira très nettement, que la femme, dans la société
  moderne, n'a pas les droits qu'elle doit avoir.

  _M. le Président._--Le scrutin est ouvert sur les conclusions de la
  Commission.

  Nombre de votants........ 48
  Majorité absolue......... 25

  Onze ont voté contre le rapport de M. Georges Berry, c'est-à-dire
  pour le suffrage des femmes:

  MM. Cattiaux, Chabert, Chassaing, Decorse, Desmoulins, Jacquet,
  Michelin, Navarre, Piperaud, Rousselle, Paul Viguier.

  37 ont voté pour le rapport réactionnaire de M. Berry. Voici les
  noms de ces partisans de la royauté masculine.

  MM. Léopold Auguste, Bartholoni, Georges Berry, Maurice Binder,
  Boll, Collin, Combes, Cusset, Darlot, Delhomme, Desalys, Després,
  Dufaure, Gamard, Guichard, Ernest Hamel, Hattat, Jacques, Alfred
  Lamoureux, Leclerc, Lefoullon, Lerolle, Stanislas Leven, Levraud,
  Maillard, Mathé, Mayer, Millerand, Monteil, Patenne, Réty, Riant,
  Robinet, Ruel Sauton, Simoneau, Weber.

  Excusés:

  MM. Hubbard, Rouzé, Songeon.

  Enfin, voici les noms des abstentionnistes qui ont eu peur de se
  nuire en étant justes.

  MM. Armengaud, Boué, Braleret, Cernesson, Chautemps, Cochin,
  Curé, Davoust, Delabrousse, Deligny, Depasse, Deschamps, Dreyfus,
  Dujarrier, Frère, Gaufrès, Hervieux, Jobbé-Duval, Lefèvre, Narcisse
  Leven, Lyon-Alemand, Marsoulan, Marius Martin, de Ménorval,
  Mesureur, Muzet, Pichon, Emile Raspail, Aristide Rey, Reygeal,
  Strauss, Stupuy, Vaillant, Vauthier, Villard, Voisin.



_Pétition demandant l'électorat pour les célibataires et les veuves._


  «Messieurs les Sénateurs,

  «Messieurs les Députés,

  «Permettez-nous d'appeler votre attention sur la condition--de
  mise hors le droit commun--qui est conservée à la femme sous la
  République.

  «Les femmes responsables et contribuables--qui sont comme les
  hommes des ayants droit à contrôler l'emploi de l'argent qu'elles
  versent au Trésor et à faire les lois qu'elles subissent--sont
  encore dans la société destituées de tous les droits.

  Nous vous demandons, Messieurs, d'accorder au moins à celles de ces
  femmes--LES CÉLIBATAIRES ET LES VEUVES--dont les intérêts ne sont
  représentés par personne dans les assemblées élues, le pouvoir de
  garantir leur sécurité et de sauvegarder leurs affaires privées en
  participant à la gestion des affaires publiques.

  Les femmes célibataires et veuves ne sont pas mineures, quant à
  leurs biens personnels, pourquoi le seraient-elles relativement
  à leur part indivise des biens de la Commune et de l'Etat? Le
  pouvoir qu'elles ont d'administrer leur fortune privée doit--pour
  être effectif--avoir pour corollaire le pouvoir d'administrer leur
  fortune publique.

  Nous espérons, Messieurs, que vous accorderez à la moitié
  déshéritée de la nation française un commencement de justice, en
  autorisant les célibataires et les veuves à exercer leurs droits de
  citoyennes.»

Cette pétition, a été à la Chambre et au Sénat, écartée par l'ordre du
jour:


_A la Chambre des Députés._

M. de Lévis-Mirepoix, rapporteur, après avoir rappelé ma campagne en
faveur des droits politiques des femmes dit:

«Aujourd'hui, dans une pétition différente en apparence, mais
absolument identique quant au fond, et avec une subtilité
d'imagination que nous ne voulons pas lui contester, la demoiselle
Hubertine Auclert, réduisant habilement ses prétentions à une classe
spéciale de femmes, sollicite l'exercice des droits politiques pour
les veuves et les célibataires dont les intérêts ne sont, dit-elle,
représentés par personne: elle espère ainsi, par une argumentation
spécieuse qui ne manque pas d'une certaine valeur, faire admettre
le principe cher à ses rêves, mais qui, une fois introduit dans la
législation, ne manquerait pas d'y prendre une dangereuse extension».

«En effet, si ces arguments prévalaient, il faudrait étendre les mêmes
droits à toutes les femmes qui, pour des causes diverses, sont privées
de quelqu'un pouvant représenter leurs intérêts. La commission ne veut
pas s'appesantir sur les graves inconvénients qu'entraînerait une telle
innovation.»

Au Sénat M. de la Sicotière, rapporteur, dit: «Tout en imitant la
courtoisie dont l'autre chambre a toujours fait preuve à l'endroit de
la pétitionnaire, nous avons le regret de ne pouvoir vous proposer que
l'ordre du jour.

«Après les veuves et les célibataires, toutes les affranchies de la
tutelle maritale réclameraient l'exercice des droits civiques et par la
brèche ainsi ouverte, toutes les femmes finiraient par passer.»

Les journaux trouvèrent cette pétition très juste.--«On ne peut, dit le
_Figaro_, alléguer d'autres raisons que le préjugé contre le vote des
femmes célibataires et veuves qui ne sont pas mineures quant à leurs
biens personnels».


_Pétition réclamant le suffrage pour les filles majeures, les veuves,
les divorcées._

  «Messieurs les Députés

  «Nous vous prions de conférer le droit électoral aux millions de
  Françaises célibataires:--les filles majeures, les veuves, les
  divorcées--qui sont maîtresses de leur personne, de leur fortune, de
  leurs gains afin qu'elles puissent en votant, sauvegarder, dans la
  commune et dans l'Etat, leurs intérêts qui sont actuellement laissés
  à l'abandon.»

Cette pétition circula avec succès dans les milieux les plus divers;
dans les cafés, les marchés, les halles en les galeries de l'exposition
de 1900, elle fut couverte de plus de trois mille signatures et déposée
par M. Clovis Hugues sur le bureau de la Chambre en 1901.

M. Gautret qui avait signé cette pétition et avait demandé à la
déposer; sournoisement, la transforma en projet de loi, comme il avait
déjà transformé en projet de loi notre pétition réclamant la loi des
sièges. Il nous écrivit «qu'en agissant ainsi, il avait eu la ferme
intention d'aboutir plus vite.» Ne nous plaignons pas, que l'on trouve
bonnes nos idées.

Notre pétition et la proposition de loi renvoyées à la commission du
suffrage universel, ne sont pas venues à l'ordre du jour.


_Pétition aux Conseillers généraux de la Seine._

  «Messieurs les conseillers généraux,

  «Vos efforts pour faire progresser les êtres et les choses m'excitent
  à croire que plus encore que les conseillers qui vous ont précédés,
  vous êtes résolus à pousser en avant l'humanité. C'est donc avec
  confiance que je viens vous prier--comme j'ai prié il y a vingt-et-un
  ans vos prédécesseurs--d'émettre un vœu pour que les femmes soient
  appelées à exercer leurs droits électoraux.

  «Ces droits, qui sont pour l'être humain les meilleurs instruments
  d'émancipation, sont aussi la plus sûre garantie de n'être point
  lésé, quand surviennent des changements dans l'ordre social et la
  condition des individus.

  «Veuillez, messieurs, considérer que la question de la propriété
  est à l'ordre du jour. Or, si le capital et la propriété étaient
  socialisés avant que les femmes soient électeurs, ces malheureuses
  ne récupéreraient pas en la société nouvelle ce qui leur aurait été
  pris, attendu que les fonctions, les emplois, le bon travail seraient
  monopolisés par les électeurs-souverains; donc, plus encore que
  maintenant, les déshéritées du droit seraient des êtres de peine, des
  bêtes à plaisir.

  «Sachant que les désirs que vous exprimez sont des ordres pour le
  Parlement, vous ne voudrez pas vous soustraire au devoir de faire se
  transformer la République de nom en République de fait, en aidant les
  matrices de la nation à devenir citoyennes!

  «Vous voterez en 1906 la proposition qui fut examinée par vos
  prédécesseurs en 1885, ainsi que l'atteste le Bulletin municipal
  officiel du 3 décembre 1885.

  «Votre dévouement au bien public vous incitera à faire bénéficier le
  pays de l'intégralité de l'intelligence de ses habitants de l'un et
  de l'autre sexe; aussi, messieurs les conseillers généraux, j'espère
  que vous accueillerez favorablement la requête que je vous adresse
  au nom des Françaises, et je vous demande de vouloir bien agréer mes
  remerciements anticipés.

  «Hubertine AUCLERT.»


_Conseil Général de la Seine,
séance du 20 novembre 1907._

Vœu relatif à la participation des femmes aux droits électoraux.

M. d'Aulan rapporteur.--Messieurs, votre 4e commission m'a chargé de
rapporter favorablement un vœu présenté par Mme Hubertine Auclert en
faveur de la «participation des femmes aux droits électoraux.»

Mme Hubertine Auclert exprime son espoir de voir obtenir un meilleur
sort au même vœu qu'elle présenta il y a 21 ans--et nous devons louer
sa persévérance-au Conseil Général.

A cette époque que je n'ose dire lointaine--quelques-uns de nos
collègues déjà nubiles auraient pu apprécier la valeur de la requête
«en aidant les matrices de la nation à devenir citoyennes» selon
l'expression de Mme Hubertine Auclert.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

J'estime pour mon compte, messieurs, que le beau sexe ne doit pas se
mêler aux luttes politiques, ce serait trop souvent transformer son
sourire en grimace.

_M. Thomas._--Pourquoi les femmes ne seraient-elles pas aussi capables
que les hommes en cette matière? Elles sont tout aussi intelligentes
qu'eux.

_M. d'Aulan._--Mais j'estime aussi que les femmes qui gèrent des
intérêts de propriété, d'industrie ou de commerce ont droit à donner
leur opinion sur la façon dont nous gérons les intérêts de la ville ou
du département.

Cela changera-t-il la composition de notre assemblée? Je ne le crois
pas.

Dans le quartier qu'habite Mme Hubertine Auclert celui de la Roquette,
où l'on a quelquefois perdu la tête, notre collègue qui représente le
quartier récoltera le suffrage des dames, comme le feront de l'autre
côté du conseil, les conseillers de la rue Marbeuf ou de l'ex-rue Bréda.

Aussi, au nom de votre 4e commission, ai-je l'honneur de vous proposer
de voter le vœu suivant:

«Le Conseil Général.

«Emet le vœu,

«Que les femmes soient appelées à jouir du droit électoral pour les
élections au conseil général et au conseil municipal.

Adopté:

_M. Landrin._--J'ai voté le vœu présenté par la 4e commission, mais il
me semble que cette question était suffisamment importante pour être
traitée d'une façon plus sérieuse par M. le rapporteur.


Tous les journaux ont parlé du vœu émis par le conseil général de la
Seine.

Le _Temps_ dit: «Sur la demande de Mme Hubertine Auclert qui les
priait d'aider «les matrices de la nation à devenir citoyennes» les
conseillers généraux ont émis le vœu que les femmes soient appelées à
jouir du droit électoral.

Ce vœu présenté avec une grâce toute dix-huitième par M. le comte
d'Aulan a été voté à main levée. Le débat court et vif fut empreint
d'une certaine gaieté.»

Pour Le _Figaro_. «Le féminisme a remporté une petite victoire toute
platonique, d'ailleurs, mais flatteuse.

MM. les conseillers généraux ont beaucoup ri et comme la gaieté est
gentille conseillère, le vœu féministe fut adopté à la majorité des
suffrages.»

Le Petit _Journal_ pense que «Le conseil général a émis un vœu qui
marquera d'une pierre la route vers la conquête du droit de vote qu'ont
entreprise depuis longtemps déjà des groupes féministes...»

Suivant L'_Eclair_ «le vote du conseil général est par le succès qu'il
souligne un des feuillets intéressants du livre d'or du féminisme.»

L'_Echo de Paris_ fait remarquer que «c'est sans discussion que le
conseil général à mains levées a voté le vœu favorable au suffrage des
femmes. A la contre épreuve il n'y a même pas eu la moindre opposition.

«Evidemment, les féministes préféreraient qu'un tel vœu eût été émis
par le Parlement; mais il y a commencement à tout et puisque les cent
un membres du conseil général se déclarent partisans du droit de
suffrage pour les deux sexes, c'est que l'idée a fait du chemin.»

Parrhisia écrit dans La _Française_ «une journée qui sera marquée d'un
caillou blanc dans les annales du féminisme, car une grande victoire y
fut remportée, c'est celle où le conseil général adopta le vœu émanant
de Mme Hubertine Auclert et réclamant pour les femmes la participation
aux droits électoraux.»


_Pétition pour demander de rendre effectif le vœu émis par les
conseillers généraux de la Seine._

  «Messieurs les députés,

  «Messieurs les sénateurs,

  «Dans sa séance du 20 novembre, le Conseil général de la Seine, a,
  sur ma demande, émis le vœu que les femmes soient appelées à jouir du
  droit électoral pour les élections au conseil général et au conseil
  municipal.

  «Je vous prie de rendre effectif ce vœu, en étendant aux femmes
  françaises les droits électoraux, que beaucoup d'Européennes
  possèdent.

  «Veuillez, messieurs, considérer que les femmes qui sont à leur
  grand préjudice, privées des droits électoraux, ont des facultés
  d'épargne, sont aptes à s'ingénier, à prévoir, et vous voudrez, dans
  l'intérêt général, utiliser leurs qualités.

  «HUBERTINE AUCLERT.»

La commission des pétitions de la chambre, n'a pas même voulu examiner
la proposition de ratifier le vœu émis par le Conseil général de la
Seine et a passé à l'ordre du jour.

Ne pouvant donner notre suffrage aux conseillers qui ont tenté de
soustraire les femmes à l'exclusion électorale, nous avons fait apposer
des affiches sur lesquelles on lit:


  _Le Suffrage des Femmes, 151, rue de la Roquette._

  «_Votez_, faites _voter_, pour les _Conseillers_ qui ont émis
  un _vœu_ pour que les _Femmes_ soient _électeurs_. Les _Femmes
  électeurs_ seront plus _considérées_, mieux _rétribuées_, leurs
  facultés d'épargne rendront possibles toutes les _réformes_.»



UN SEXE EST-IL SUPÉRIEUR A L'AUTRE?


Le docteur Paul Topinard, dans _La Revue de la science politique_, dit:
«que la différence de volume du cerveau était moindre entre les sexes
aux âges préhistoriques et est moindre chez les sauvages, qu'elle n'est
dans les races civilisées. Le progrès fait s'accentuer l'inégalité
cérébrale. Le genre d'occupation de chacun crée des inégalités
physiques dans le cerveau et dans ses manifestations.

«Il faut, conclut l'anthropologiste Paul Topinard, se préoccuper de la
femme, lui faire partager nos travaux, notre responsabilité, fournir un
aliment non futile à son activité cérébrale.»

Selon le docteur Louis Büchner:

«La prétendue infériorité de la femme, quant au volume cérébral, est
une notion tout à fait erronée. Ce n'est pas dans ses dimensions
absolues, mais dans ses dimensions relatives qu'il faut chercher la
valeur réelle du cerveau; c'est-à-dire dans sa masse comparée à la
masse totale du corps, et la qualité de la matière cérébrale. S'il
n'en était ainsi, l'homme occuperait alors dans l'échelle des êtres un
rang bien inférieur à celui de l'éléphant ou de la baleine, qui ont un
cerveau bien plus volumineux que le sien.

«Si l'on observe que le développement matériel du corps de la femme,
reste en général de beaucoup au-dessous de celui de l'homme, on
trouvera (d'après plusieurs savants) que la grosseur relative du
cerveau de la femme, loin d'être inférieure à celle qu'offre l'homme,
lui serait plutôt sensiblement supérieure.»

_Broca_, le fondateur de l'_Anthropologie en France_, écrivait en 1882:

«La campagne dirigée contre la femme au point de vue anthropologique
ne trouve pas d'appui dans la crâniométrie. La diminution moyenne de
capacité crânienne chez la femme est en majeure partie due à sa taille.

«Je crois avoir démontré qu'il y a égalité entre les sexes pour le
développement cérébral et même _on pourrait soutenir_, fait en rapport
avec ce que l'anatomie comparée indique comme constituant un véritable
progrès morphologique cérébral, _que la femme est plus avancée en
évolution que l'homme_.»

M. Louis Lapique a fait cette communication à l'académie des sciences:
«Le poids du cerveau par rapport à l'intelligence, n'a pas plus
d'importance que le poids d'une horloge par rapport à la justesse des
heures qu'elle marque.»

Des savants européens de l'un et de l'autre sexe, prétendent
pouvoir prouver scientifiquement que la femme est en raison de sa
sexualité, supérieure à l'homme; cependant, que des savants américains
prétendent que dans l'avenir: il y aura alternativement une période de
prédominance masculine et une période de prédominance féminine.

En attendant que les hommes et les femmes l'emportent tour à tour,
les uns sur les autres, il se peut fort bien que le sexe féminin,
infériorisé aujourd'hui, soit durant un temps, considéré comme le sexe
supérieur.

D'abord, le droit qui partout élève ceux qui le possèdent, fera
s'élargir la mentalité des Françaises, et il les rendra aptes à appeler
à la vie des êtres supérieurs.

Pourtant, sous leur aspect différent, les deux parties du tout humain,
sont et resteront toujours équivalentes, comme la gauche et la droite
d'un même corps.

Mais, quand une erreur a été longtemps accréditée, on ne réagit contre
elle qu'en tombant dans l'excès contraire. Pour établir l'égalité des
sexes, il est donc bien possible que l'on dépasse le but proposé, que
l'on exalte celle que l'on a tant dépréciée et rabaissée, en la voyant
prime-sautière, faire pour ascensionner dépense d'énergie.

En France, il y a près d'un million de femmes de plus que d'hommes,
cependant, il naît beaucoup plus de garçons que de filles.

Le sexe féminin naît mieux équipé que le sexe masculin d'après M.
Henry de Varigny. «Les reins, le foie, le cœur sont plus lourds chez
l'embryon féminin. La femelle est mieux pourvue que le mâle; elle est
physiologiquement plus parfaite que lui. Si la femelle n'a pas la
vigueur du mâle, elle a une force de résistance supérieure à la sienne.

«La femme a plus de ténacité de vie que l'homme, elle supporte mieux
l'abstinence, elle mange moins, mais profite mieux de ce qu'elle mange.

«La mortalité masculine l'emporte sur la mortalité féminine. Le sexe
fort, c'est le sexe féminin!»


Mieux organisées que les hommes, les femmes meurent beaucoup moins
facilement qu'eux.

«Dès la plus tendre enfance, dit le docteur Perron, sur 1.000 décès de
petits garçons, on n'en compte pas 750 de petites filles.

«Dira-t-on que les petits garçons ont été victimes de leurs passions,
de leurs fatigues, de leur intempérance?--Non: _La supériorité
organique du sexe féminin est native, physiologique_.

«Cette supériorité est surtout manifeste pendant la vie embryonnaire;
sur huit avortements naturels, cinq sont d'enfants mâles.»

Avant que ne soient faites ces observations scientifiques, ce
dicton:--«Le chagrin fait vivre la femme,» établissait, en même temps
que la longévité, la douloureuse destinée des femmes.

Ce sont les femmes soustraites à l'oppression masculine: les veuves et
les célibataires, qui ont l'existence la plus longue.

Ce sont les femmes mariées qui ont la vie la plus courte.

Le cerveau de la femme restant inerte s'atrophie, tandis que le cerveau
de l'homme travaillant s'hypertrophie. On peut donc penser que si les
femmes étaient en la société dans les mêmes conditions que les hommes,
elles seraient loin d'être inférieures à ceux-ci.



Mme CURIE ET SA DÉCOUVERTE


Quand Mlle Sklodowska fut reçue docteur es-sciences physiques, sa thèse
avait pour objet, la recherche des substances radio-actives. Après
son mariage avec M. Curie, la fille du savant Sklodowski continua ses
recherches sur les substances radio-actives, trouva le radium; et,
cette manifestation du génie féminin embarrassa le sexe masculin.

Le syndicat de la presse parisienne ayant décidé de répartir les cent
mille francs du prix Osiris entre les deux inventions qui avaient fait
à l'époque le plus d'honneur à la science française; 60,000 francs
furent donnés à Mme Curie pour le radium, 40.000 francs à M. Branly
pour la télégraphie sans fil.

En dépit du prix Osiris, récompense sonnante décernée à Mme Curie pour
sa découverte, les hommes mirent la main sur la victoire scientifique
obtenue par elle.

A ceux qui reprochent au sexe féminin de manquer de génie, de ne rien
inventer, il est à présent démontré que les découvertes faites par les
femmes sont mises à l'actif des hommes.

M. Curie, qui fut associé à Mme Curie pour partager avec M. Becquerel
les cent mille couronnes du prix Nobel, n'était pas complice des gens
déterminés à déposséder sa compagne du résultat de son labeur pour le
gratifier de son mérite. En une conférence à la Sorbonne, il déclara
que le radium avait été découvert par son épouse; qu'il n'avait
abandonné ses travaux en cours pour se joindre à elle, qu'après qu'elle
fut parvenue à isoler le corps nouveau.

Lorsque les roues d'une lourde voiture eurent enlevé à la vie M. Curie,
il fallut bien avouer la vérité, en nommant professeur à la Sorbonne
et en faisant monter dans la chaire créée en l'honneur du radium, la
savante jusque-là tenue dans l'ombre dissimulée derrière un homme.

Seulement, n'est-ce pas une anomalie de charger la femme d'enseigner
les sciences et de lui interdire de faire les lois?



LA RÉFORME PRIMORDIALE

  Proclamer égaux devant le droit l'homme et la femme, est une réforme
  qui facilitera toutes les autres.


Le progrès résulte surtout de l'aptitude des humains à l'accélérer;
or, pour obtenir des êtres propres à activer le progrès, la première
condition est de perfectionner le moule d'où ils sortent, de donner à
ce moule la possibilité de les produire. Ce ne sera qu'en faisant les
matrices de la nation citoyennes, qu'on les rendra capables de créer
des citoyens.

L'usage, qui dans la vie sociale tend de plus en plus à assimiler
les femmes aux hommes, à laisser celles-ci exercer la profession de
ceux-là, incite à considérer comme d'un autre âge, le préjugé faisant
exclure des affaires publiques le sexe qui s'entend particulièrement à
gérer ses affaires privées.

On est bien plus habitué aujourd'hui à l'idée de voir voter les femmes,
qu'on ne l'était en 1847 à celle de voir voter les non-censitaires.
Chacun, se rend tellement compte que l'exploitation du sexe majorité
est due à son exclusion politique, qu'à toutes injustices commises
envers les femmes, des hommes maintenant s'écrient: «Si les Françaises
votaient, on ne les traiterait pas de la sorte» et les journaux de
toutes opinions tiennent à l'occasion, ce même langage féministe.

Cette unanimité à convenir que tant de maux découlent pour les
femmes de leur annihilement, forcera bientôt le bon sens français à
reconnaître que c'est à toute la nation, que l'exclusion politique des
génératrices préjudicie.

L'affiche illustrée, la carte postale, le timbre, représentant un
homme et une femme qui se rencontrent devant l'urne électorale, pour
sauvegarder leurs intérêts publics, comme ils se rencontrent dans une
étude de notaire, pour sauvegarder leurs intérêts privés, obligent à
penser, que le droit de voter, est aussi indispensable au sexe féminin
qu'au sexe masculin.

Si l'on demandait aux hommes pourquoi ils s'opposent à ce que les
femmes aient leur part des prérogatives conquises par nos aïeux; ils ne
parviendraient pas à donner d'explications valables, sachant bien que
les privilèges qu'ils s'arrogent sans les faire partager aux femmes,
ne sont pas plus légitimes, que ceux dont la noblesse et le clergé
jouissaient au détriment du peuple avant 1789.


_Un Précédent._

Autrefois, on avait pour la condition sociale, le mépris que l'on a
actuellement pour le sexe féminin. Avant 1848 les hommes des basses
classes et les bourgeois instruits mais non fortunés, ne pouvaient
pas plus que les femmes aujourd'hui, opiner sur les lois qu'ils
subissaient. Il a fallu que les ouvriers s'insurgent, fassent des
barricades en demandant la réforme, pour que le bulletin de vote fut
octroyé à de savants professeurs, à des membres de l'Institut qui
ne payaient point les deux cents francs d'impôts exigés pour être
électeurs.

C'est encore avec une apparence de raison, que les monarchistes, imbus
du principe d'autorité, maintiennent la femme dans une condition
inférieure à celle de l'homme; mais, les républicains qui écrivent sur
les murs: Liberté! Egalité! se mettent en contradiction avec eux-mêmes,
en laissant le sexe masculin spolier le sexe féminin de ses droits.

Les députés, voient sans déplaisir les électeurs s'amoindrir en
compagnie de serves, alors, que ceux-ci ont au contraire intérêt à
s'augmenter au contact de citoyennes, afin d'être à même de contrôler
les actes de leurs mandataires, de les nommer pour une période plus
courte, jusqu'à ce qu'ils puissent exercer directement le gouvernement.

Quand tout le monde convient que hommes et femmes sont équivalents,
ont chacun des qualités propres, que les deux intelligences, les deux
énergies, masculine et féminine, sont aussi absolument indispensable
l'une que l'autre pour réaliser le mieux être souhaité; n'est-il point
temps pour l'homme, de renoncer au stupide préjugé qui fait de sa mère
qu'il aime tant, son inférieure?

Si les Français comprenaient leurs véritables intérêts, la première
question résolue serait cette question motrice: l'universalisation du
suffrage aux femmes.



LES FEMMES SONT LES NÈGRES


Alors que les nègres votent, pourquoi les blanches ne votent-elles pas?

Alors que des nègres siègent à la Chambre, pourquoi des femmes ne
peuvent-elles pas sauvegarder au Parlement les intérêts de leur sexe?

Certes, nous applaudissons à l'assimilation des nègres aux blancs;
mais, on nous permettra de demander:--Qu'attend-on pour assimiler à
leur tour les femmes aux hommes blancs et noirs?

En nos possessions lointaines, on fait voter un grand nombre de noirs,
qui ne sont intéressés ni à nos idées, ni à nos affaires; cependant que
l'on refuse aux femmes éclairées de la métropole le bulletin de vote,
qui les empêcherait d'être broyées dans l'engrenage social.

Au Sénégal, en le corps électoral, il y a huit mille nègres, dont la
majeure partie ne comprend même pas la langue française.

Les électeurs sont des moutons conduits aux urnes par ce berger: le
chef de village, qui opine pour eux.

Aux Indes, soixante-douze mille électeurs indigènes ne parlent pas
notre langue, ne subissent pas nos lois, ne sont pas contribuables,
cependant ils votent, alors que les Françaises, qui fournissent
la moitié des budgets et facilitent aux hommes, par leur habileté
économique, le moyen d'apporter dans les caisses publiques leur
quote-part, sont exclues de l'électorat.

Le pas donné aux nègres sauvages, sur les blanches cultivées de la
métropole, est une injure faite à la race blanche.

Les hommes de couleur sont chez nous bien plus favorisés que les femmes.

Pour les Français, les vrais nègres ne sont pas les noirs, ce sont les
femmes qui, partout, peinent et souffrent à leur place.

Comme pour jouer le rôle de nègre, il ne faut pas avoir qualité pour
demander le remaniement du pacte social faisant une si anormale
répartition des droits et des devoirs, la femme, naturellement, est
privée du bulletin de vote.

Les hommes qui se sont préoccupés de faire en nos possessions
lointaines, du suffrage une réalité pour les nègres, se sont
contentés, en France, de changer la signification des mots, d'appeler:
souveraineté du pays, la souveraineté des hommes, qui sont le
sexe-minorité, en ce pays.

Cette mise en parallèle de nègres à moitié sauvages, sans charges ni
obligations, votant, et de femmes civilisées, contribuables et point
électeurs, démontre surabondamment, que les hommes ne conservent leur
omnipotence en face des femmes, qu'afin d'exploiter ces déshéritées.

Pour empêcher les Français de traiter en nègres les Françaises, il est
indispensable d'octroyer aux femmes les privilèges dont jouissent les
hommes blancs et noirs.



LES FRUSTRÉES DU BULLETIN SONT PRIVÉES DES EMPLOIS, DU REPOS, DES
HONNEURS ET DES LEGS.


Parce qu'elles ne votent point, les femmes n'ont pas droit au droit
commun. On leur mesure le labeur payé, on les frustre des emplois, du
bon travail, du repos hebdomadaire, des honneurs et des héritages.

Les Françaises non électrices sont à ce point des parias, qu'elles ne
peuvent jouir des réformes accomplies.

Tout le monde, en France, se repose le dimanche: hormis les femmes.

Parce que le sexe féminin mis au ban de la République ne vote pas, les
travailleuses, les artisanes, les petites bourgeoises, les ménagères
ne bénéficient point du repos hebdomadaire; attendu que les hommes
trouvent commode de se faire servir par leurs domestiques gratuites,
le dimanche comme les autres jours; et qu'ils abusent plus encore le
dimanche qu'en la semaine, de celles qui sont leurs instruments de
plaisir.

Parce que le sexe féminin mis au ban de la république ne vote pas, les
travailleuses à domicile qui exercent une profession--tout en élevant
leurs enfants--ne bénéficieront point des retraites ouvrières; les
usurpateurs du droit des femmes, n'entendant pas diminuer la pension
de retraite des électeurs pour en allouer une aux sans bulletins,
qui peinent sans relâche, en même temps qu'elles perpétuent l'espèce
humaine.

Parce que les femmes mises au ban de la République ne votent pas, elles
se voient enlever le pain de la bouche. Sous prétexte de sauvegarder
leur santé--en réalité pour réserver à l'homme le bon travail.--On leur
mesure le labeur rétribué, mais elles peuvent travailler gratuitement,
le jour, la nuit, les dimanches!...

Les femmes auxquelles il est interdit de veiller pour faire un travail
bien payé ont la liberté de peiner, pourvu qu'elles ne gagnent rien en
s'épuisant.

Lorsque les femmes voteront, elles jouiront du droit commun; et, pour
un travail égal, elles recevront un salaire égal à celui de l'homme.

Beaucoup de femmes sont vaincues en la lutte pour l'existence, parce
qu'elles sont laissées sans armes politiques. L'exclusion du droit au
vote prive du droit au pain; l'homme s'étant attribué les gains en même
temps que le suffrage.

L'émancipation économique du sexe féminin est liée à son émancipation
politique. Les femmes ne peuvent disputer aux hommes les bonnes places
pendant qu'elles ne possèdent point ce passe-partout--le vote--qui
ouvrirait la porte de toutes les carrières à leur activité productrice.

Les Françaises, en vain, ont des mérites, possèdent des titres; ce
n'est pas le diplôme, c'est le bulletin qui fait employer.

La dégradation civique amoindrit dans la main de la femme le
gagne-pain. Pour pouvoir prétendre à l'indépendance économique que le
bon travail procure, les femmes doivent devenir électeurs; et ainsi
faire que le suffrage universel soit une vérité.

Actuellement, le système électoral ne fournit de la France qu'une
représentation défigurée. Plus de la moitié de la nation n'est pas
représentée pendant que les femmes ne votent point.


_Pas de droits, pas d'honneurs._

Dire aux femmes qu'elles ne sont pas aptes à voter, c'est leur déclarer
qu'elles ne sont pas dignes de porter la rosette.

Quels actes surhumains doit accomplir une femme pour être décorée!
Encore, tous ses mérites sont-ils insuffisants, si elle n'est
chaleureusement recommandée aux distributeurs de croix.

S'enrubanner conventionnellement, est partout un privilège mâle.

La décoration, qui varie de forme et de couleur chez les différents
peuples, reste sous toutes les latitudes l'attribut de l'homme
orgueilleux.

Les femmes peuvent en mille occasions s'être distinguées, leurs actes
seraient-ils sublimes, ils passent inaperçus. De même que sur le champ
de bataille toujours l'officier est décoré pour son régiment vainqueur,
en la société, toujours le mari obtient la récompense honorifique
méritée par son épouse.

En toutes les expositions, des époux de commerçantes reçoivent la croix
à la place de la corsetière ou de la lingère émérite qui est leur
compagne.

En temps de paix, l'intelligence de la femme assure la glorification de
l'homme. En temps de guerre, la femme augmente les efforts défensifs,
elle souffre, elle lutte, cependant, elle n'est pas décorée.

L'homme et la femme--ont un sort si différent dans la société, parce
qu'ils sont régis par des lois différentes.

Les hommes seuls étant législateurs, chacun comprend pourquoi tout est
défavorable au sexe féminin et favorable au sexe masculin.

A l'homme qui a la belle destinée, le champ reste ouvert pour
l'améliorer encore.

A la femme annulée et bâillonnée au point de vue politique, est dévolu
l'irrévocable.

Quand les femmes auront été proclamées les égales des hommes devant le
droit, elles seront les égales des hommes devant les distinctions; et
à toutes distributions de croix elles recevront leur part de marques
honorifiques.


_Pas de droits, pas de donations._

Parce que la femme ne vote pas, il ne lui est point fait de legs. Les
dames n'exercent leur libéralité qu'envers les hommes, qui seuls sont
actuellement à même de reconnaître la générosité.

Des féministes en mourant déshéritent leur sexe, pour laisser comme Mme
Griess-Traut 50,000 francs aux Fouriéristes.

Mme Dimbour était elle aussi féministe. On trouve son nom au bas des
affiches électorales de la société «Le Droit des Femmes» et elle fit
un jour à un politicien qui lui recommandait une œuvre masculine cette
réponse:--Croyez-vous, que nous, femmes, nous allons chauffer le four
pour les hommes?»

Cependant, quand elle sentit sa fin proche, ce fut aux hommes qu'elle
fournit une torche de cent mille francs pour allumer le four de la
verrerie d'Albi.

Certes, propager la doctrine de Fourier et créer une verrerie ouvrière
sont œuvres excellentes; seulement, leur sexe opprimé criait aux
généreuses mourantes: «Au secours!» Le délivrer, n'était-ce pas ce
qu'il y avait de plus pressé à faire?

Pourquoi toutes les femmes riches s'en vont-elles sans songer à leur
sexe?

Parce que ce sexe n'a pas le pouvoir de faire honorer les donatrices.

Les hommes ont immédiatement prouvé leur reconnaissance, en baptisant
une avenue de Carmaux, «avenue Dimbour.» Tandis qu'avec la meilleure
volonté, les femmes qui ne sont ni conseillères municipales, ni
députées, n'auraient pu donner à une rue le nom de leur bienfaitrice.

Pour avoir part aux libéralités, des partantes, il faudrait que les
femmes puissent répartir la gloire fugitive. Or, pour atteindre à ce
pouvoir distributif, il est justement indispensable qu'elles reçoivent
beaucoup de dons... Qui est-ce qui tirera le féminisme de cette impasse?

--Les Françaises ont à la fois la fortune et l'amour de la liberté.
Le cadastre atteste qu'elles possèdent la plus grande partie de la
propriété terrienne, pendant que la statistique apprend que, par esprit
d'indépendance, beaucoup de femmes riches se refusent au mariage.

Eh bien, parmi les millionnaires de France, n'est-il donc point de
dames ou de demoiselles qui aient l'ambition de remplir le monde de
leur renommée, de donner leurs noms aux places publiques, de s'assurer
d'être perpétuellement honorées et glorifiées; qu'aucune encore n'est
venue dire:--Je veux être la rédemptrice de mon sexe? Voilà des
millions pour payer la lime briseuse de chaînes qui procurera aux
femmes la liberté?

Les Françaises sont admirables de dévouement, beaucoup sacrifieraient
avec enthousiasme leur vie pour une idée; pourtant, dès qu'il s'agit
de débourser afin d'assurer le triomphe de cette idée, leur ardeur se
refroidit; elles se fient les unes sur les autres pour sortir de la
poche l'or libérateur.

La crainte de dépenser les domine.

Cette propension des femmes à une parcimonie frisant l'avarice,
qui, utilisée dans la commune et dans l'Etat donnerait d'heureux
résultats financiers, permettrait, en faisant mieux encore les choses
qu'aujourd'hui de réduire les dépenses publiques, de procurer un
mieux-être national; est absolument préjudiciable à l'émancipation des
femmes.

L'économie excessive, qualité ou défaut qui profite aux autres, leur
nuit à elles-mêmes, en ce sens qu'elle les empêche d'apporter ce qui
en toute lutte constitue le principal élément du succès: les munitions
de guerre c'est-à-dire l'argent, qui crée les courants d'opinion et
détermine les enrôlements.

Les femmes ne veulent rien dépenser pour démolir le piédestal du dieu
mâle.

Les Françaises ne sont pas admises à l'Académie; cependant, aucune
riche lettrée ne crée, à l'imitation de MM. de Goncourt, une académie
spéciale aux évincées.

Dans la guerre aux privilèges masculins, qui a toujours payé la poudre
et les cartouches?

--Des femmes peu fortunées et des hommes, surtout des hommes.

Les dames riches ne donnent rien pour empêcher leur sexe d'être sur la
roue et sous l'affront.

Pour remonter le courant d'égoïsme et conquérir l'opinion à la
justice envers les femmes ce sera long; tandis qu'en quelques jours,
la législation qui opprime et infériorise la Française pourrait être
transformée. Quand on songe à quel point le changement de condition
de la femme améliorerait la situation politique et économique du
pays, on est surpris que les philanthropes n'emploient pas des sommes
considérables à réaliser l'affranchissement féminin.



LE FORÇAGE DES IDÉES


Les Françaises déprimées par la servitude ont peur de la liberté et
haïssent ceux qui veulent les affranchir. Il y a plus d'un siècle que
Condorcet fit de cela la remarque en disant: «que les femmes ne lui
pardonneraient point de réclamer leurs droits politiques.»

Les Françaises ont une docilité de brebis qui surprend même les bergers.

Eh bien! il suffirait qu'un berger entre-bâille devant ces brebis, les
femmes, la porte des gras pâturages politiques, pour que le troupeau
féminin entier s'efforce de s'y précipiter. Mais, qu'est-ce qui décidera
un berger, c'est-à-dire un député, à monter à la tribune de la Chambre,
pour demander que les femmes aient leur part des prérogatives dont les
hommes ont le monopole?

--Les principes? L'égalité?

--Hélas! tout cela est trop passé de mode pour pouvoir aiguillonner un
être et susciter un effort.

Actuellement, la plus juste des causes reste en souffrance si l'on ne
gagne rien à la défendre.

Les détenteurs du pouvoir n'ont aucun intérêt à servir les dégradées
civiques d'origine.

Mais, cet intérêt, les femmes pourraient l'exciter en offrant des
primes au dévouement. Recourir à l'achat des vouloirs, négocier les
réformes souhaitées serait moins long, que de décider la masse des
électeurs à forcer, en notre faveur, la main aux députés.

A notre époque de mercantilisme où tout s'acquiert à prix d'argent,
pourquoi les femmes riches n'achèteraient-elles pas avec des votes et
des projets de lois la liberté de leur sexe?

Le droit s'achète, les réformes se négocient comme les affaires. Très
souvent au Parlement, des avantages sont offerts, par les ministres,
aux chefs de groupes, pour s'assurer en certaines circonstances, le
vote de ces groupes.

Le seul mobile des actions humaines est l'intérêt, et c'est seulement
l'intérêt, qui sera le stimulant déterminant à prendre parti pour les
femmes.

L'argent est un moteur plus puissant que le temps pour changer les
mentalités. Il est urgent que les revendicatrices aient un trésor
libérateur; afin d'être en mesure d'activer l'épanouissement du
féminisme, en appliquant aux idées le forçage que les jardiniers
appliquent aux plantes dont ils veulent hâter la floraison.

Le jour où les Françaises seront à même d'encourager à vouloir les
affranchir, ceux qui ont le pouvoir de les affranchir; il est certain
qu'il se produira chez les hostiles à nos revendications un revirement,
que la question féministe deviendra passionnante et sera aussitôt
résolue.



INSTAURATRICES DE BIEN-ÊTRE

Si l'homme est plus que la femme apte à créer de la richesse, la femme
est beaucoup plus capable que l'homme de tirer parti de cette richesse.


L'homme a des qualités que sa compagne ne possède pas: il est grand!
franc! généreux! La femme souvent use de ruse, de duplicité, de
finasserie. On l'accuse d'être ennemie de la vérité! On dit qu'il est
aussi dangereux de lui confier un secret qu'un projet; car elle révèle
l'un, elle s'approprie l'autre.

Cette difformité morale du sexe féminin, qui fait se garer les femmes
les unes des autres et retarde le groupement émancipateur, est
cependant purement artificielle; c'est une déviation qui résulte de la
condition, une déformation due à l'état d'esclavage.

De même que l'être physique privé d'air et de liberté, l'être moral
immobilisé dans la sujétion se tord et s'enlaidit. Que l'on soumette
la femme à l'action vivifiante du soleil de justice et ses mauvais
instincts disparaîtront.

Toutefois, si la femme étale avec une sorte d'inconscience les vices de
l'esclave, il faut reconnaître qu'elle fait aussi montre de qualités
et, entre toutes, de cette aptitude à la prévoyance qui, en dépit du
dénûment, lui permet de subsister.

Que ferait-on dans les ménages pauvres sans l'esprit précautionneux de
la femme?

Si la prévoyance féminine, si précieuse pour la famille, était utilisée
pour la nation; si la femme ménagère dans la maison était ménagère dans
l'Etat. Toutes mesures seraient prises pour qu'on ne paie point cher
les aliments.

Il est incompréhensible, que la femme chargée de ravitailler la maison
n'ait pas le pouvoir de rendre ce ravitaillement facile, en assurant
l'approvisionnement du marché.

Si l'on ne retirait honneurs et profits quand on s'emploie dans l'Etat,
il est probable que le sexe masculin aurait laissé la prévoyance
féminine intensifier la vitalité et accroître le bien-être de la
nation. Mais comme il y a, pour qui est censé s'occuper du grand ménage
public, une bonne rétribution et des croix de la légion d'honneur,
les hommes ont dit: «Nous nous chargeons de préserver de la faim les
estomacs!»

Or, l'alimentation des Français, même en temps normal, n'est point
assurée.

Si les femmes contribuaient à répartir les budgets comme elles
contribuent à les former, elles ne laisseraient pas subsister pour la
majorité de la nation l'absence de garanties contre la mort par la
faim; et, pour la minorité, la profusion des jouissances, la vigilance
à prévenir les désirs.

La prudence conseille de ne plus confier à l'homme, le soin d'assumer
seul, sans le concours de la femme, la responsabilité de la vie humaine.

C'est parce que la ménagère est exclue des conseils de la nation, qu'il
y a souvent disette au lieu de surabondance.

                                   *
                                  * *

Le Français qui sacrifie dans l'Etat l'indispensable au superflu est
dans la maison un être très positif. Si pauvre qu'il soit, il veut le
bien-être: logement, vêtements chauds l'hiver, en toutes saisons bonne
table.

Quand il s'agit de réaliser avec un maigre budget ce _desideratum_,
quel embarras dans le ménage! On calcule, on additionne, on soustrait;
l'homme se décourage, la femme s'ingénie, elle augmente la valeur
d'emploi de l'argent et parvient à faire face aux dépenses.

Le mari, qui ne manque de rien, qui se trouve plutôt à son aise, finit
par se reposer complètement sur le savoir-faire de sa femme, il la
laisse pourvoir à tout. Point avare d'éloges d'ailleurs, il apprend à
chacun qu'avec peu d'argent, sa compagne lui fait une vie confortable.
La logique permettrait de supposer que tous les maris, plus satisfaits
les uns que les autres de la manière dont leurs épouses gèrent le
budget familial, vont proposer de mettre à profit leur habileté pour
la gestion du budget national.

Profonde erreur, ces messieurs entendent se réserver le monopole
de la compétence, en matière administrative; et s'attribuer, à eux
exclusivement, toute fonction rétribuée.

Le préjugé fait s'éterniser le masculinisme; cependant, nous ne serons
une démocratie que le jour où les femmes exerceront en France leurs
droits civiques comme les hommes; car «la démocratie est l'organisation
politique dans laquelle tout est véritablement fait _par tous_ et _pour
tous_.»

Chacun ne comprend-il pas quel intérêt il y aurait à avoir, en même
temps qu'une commission d'hommes habitués à dépenser sans compter, une
commission de femmes rompues à l'économie, pour contrôler les budgets?

Les Français sont dans l'erreur, lorsqu'ils pensent que la citoyenne
ferait disparaître la ménagère. C'est justement le contraire qui
aurait lieu; puisqu'il est impossible à la femme d'être une parfaite
ménagère, c'est-à-dire, une instauratrice de bien-être, sans devenir
une citoyenne.

Pour que l'homme trouve chez lui le réconfort physique et moral que lui
procureront une saine habitation, une alimentation substantielle, il
est indispensable que sa compagne participe à l'administration de la
société, surveille dans la commune et dans l'Etat, la production et la
vente des choses nécessaires à l'existence.

La plus habile préparation culinaire, n'étant point capable de donner
à la vache maigre, les qualités nutritives du bœuf en bon état; il est
pour réaliser le bien être familial, quelque chose de plus important
encore que de savoir sauter un poulet et arroser un gigot; c'est de
pouvoir d'abord se procurer ce gigot et ce poulet, de bonne qualité et
à bon compte.

Or, comment les ménagères, ou plutôt les instauratrices de bien-être
parviendraient-elles à se procurer facilement des denrées comestibles
fraîches, de première qualité, à bas prix, pendant qu'elles n'ont ni
le droit d'opiner, ni le droit d'agir en la cité, pendant qu'elles
restent en France des annulées auxquelles il est interdit de s'occuper
de l'approvisionnement alimentaire?

Place aux femmes! est la plateforme indiquée aux résolus à transformer
l'Etat social; car les héréditaires préjugés vont être obligés de
capituler devant les événements qui crient, qui hurlent, qu'il faut sur
la scène politique le concours du sexe féminin.

Partout, les hommes sont actuellement dans un grand embarras: Pour
n'avoir pas poursuivi en même temps que le développement intellectuel,
l'amélioration des conditions d'existence des masses, les détenteurs du
pouvoir se trouvent aux prises avec des difficultés que le concours des
femmes, si intuitives et maternelles rendraient plus faciles à résoudre.

L'heure psychologique semble donc venue d'appeler les femmes dans les
conseils de la nation, comme au moment du péril, on appelle sur les
champs de bataille la réserve, les régiments de renfort.

Le sexe masculin ne peut suppléer le couple humain pour administrer la
société. Dans l'intérêt de l'ordre et de la prospérité publique, les
femmes doivent compléter les hommes au Palais-Bourbon et à l'Hôtel de
Ville?

Les Français cumulent à leur préjudice, les rôles masculins et féminins
dans la République. Ce n'est pas seulement au détriment du bien
général, c'est au détriment de leur santé, de leur vie, que les hommes
s'obstinent à tout régir dans l'Etat.

Pendant, en effet, qu'en leurs laboratoires des savants s'efforcent
de découvrir le moyen d'anéantir microbes et bacilles, de nombreux
organismes humains sont détériorés par une alimentation défectueuse.
C'est que par une de ces contradictions qui abondent en notre ordre
social, les femmes qui sont chargées de ravitailler la maison,
d'apprêter les aliments, ne peuvent contribuer à améliorer la manière
de sustenter l'humanité; elles ne sont pas plus admises à réglementer
les approvisionnements des marchés, qu'à inspecter les comestibles.

Pourquoi les femmes ne siègent-elles pas dans les commissions
d'hygiène? Pourquoi les femmes ne sont-elles point désignées pour
surveiller le commerce des denrées alimentaires?

--Parce qu'elles ne votent pas; et que même les emplois qui conviennent
particulièrement aux femmes, sont seulement donnés aux électeurs.



L'UNIVERSALISATION DU SUFFRAGE

En notre société en travail de transformation, qui n'a pas voix au
chapitre, en ayant droit au vote, sera sacrifié demain et manque
aujourd'hui.


Les femmes riches seraient privées de leur fortune et les femmes
pauvres resteraient dans le besoin, si la propriété individuelle était
socialisée avant que le sexe féminin soit électeur et éligible, car,
les femmes dépouillées de ce qu'elles possèdent ne récupéreraient
point dans la société nouvelle ce qui leur aurait été pris; attendu,
que les fonctions, les emplois, le bon travail, appartiendraient aux
seuls électeurs. Les femmes restant déshéritées des droits politiques,
risquent donc d'être demain plus malheureuses encore qu'elles ne sont
aujourd'hui.

Pour que la transformation sociale s'accomplisse au profit de toute
l'humanité, il est indispensable que hommes et femmes aient le droit de
participer à cette transformation et d'en bénéficier.

C'est seulement l'égalité dans la société d'aujourd'hui qui garantira
aux femmes d'être traitées en équivalentes des hommes dans la société
de demain.

On voit qu'il est important de se hâter de mettre en pratique,
l'égalité politique des deux sexes qui est écrite dans la loi.

La loi sur l'électorat dit, en effet:--sont électeurs _tous les
Français_ âgés de 21 ans...

Ces mots «les Français» qui comprennent les hommes et les femmes comme
contribuables, lorsqu'il s'agit de payer les impôts, comprennent
certainement aussi les hommes et les femmes comme électeurs, lorsqu'il
s'agit d'exercer l'électorat.

Une louable équité a fait élargir l'interprétation du texte législatif
de la loi sur le jury et admettre les ouvriers à juger les criminels.
Pourquoi cette équité ne ferait-elle pas pareillement élargir
l'interprétation de la loi électorale et admettre les femmes à voter?

Il vaut mieux avouer avoir mal interprété une loi, que de laisser la
législation de la République, exclure en bloc de la politique, les
femmes que les chartes royales d'avant 1789 admettaient partiellement à
y participer.

En arrivant sur la scène politique, les femmes enrayeront le gaspillage
des fonds publics; donc, faciliteront de faire les réformes demandées.

Quand les femmes qui ont dans l'Etat les mêmes intérêts que les hommes,
seront comme ceux-ci, armées des droits nécessaires, pour se protéger,
pour se défendre, pour ascensionner; la France, en possession de
l'intégralité de sa force cérébrale, prendra dans le monde un rôle
prépondérant.

L'universalisation du suffrage aux femmes, décuplera la puissance de
la nation, accélérera l'évolution sociale, intensifiera la sollicitude
de la collectivité à l'égard de l'individu; et, fera s'ouvrir pour les
humains une ère de bonheur.

  HUBERTINE AUCLERT.



TABLE DES MATIÈRES


   Aux Lecteurs                                                1

   Le simulacre du suffrage universel                          3

   Dégradée civique-née                                        7

   La femme dans la Commune                                   12

   Voix données aux femmes                                    16

   Les femmes dans l'Etat                                     22

   Les femmes et le budget                                    27

   L'éducation politique des français                         34

   Le vote des femmes célibataires                            40

   Vous n'êtes pas militaires!                                48

   Vous êtes cléricales!                                      55

   La religion laïque                                         59

   Les femmes ont voté en France                              65

   La loi salique                                             68

   Les prérogatives des femmes en l'ancienne France           70

   Revendication des femmes en 1789                           77

   Après la Révolution                                        89

   Les suffragistes en 1848                                   93

   Jean Macé féministe suffragiste                            97

   Les femmes qui agissent et qui écrivent                    99

   Journaux et sociétés féministes                           115

   Etats ou les femmes exercent leurs droits politiques      119

   L'inscription sur les listes électorales                  124

   Le prix d'un vote de femme                                131

   Le bluff électoral                                        132

   Refus de l'impôt                                          136

   Pourvoi devant le Conseil de préfecture                   144

   Pourvoi devant le Conseil d'Etat                          148

   L'arrêt du Conseil d'Etat                                 152

   Le droit pour les femmes de pétitionner                   156

   Un sexe est-il supérieur à l'autre?                       185

   Madame Curie et sa découverte                             190

   La réforme primordiale                                    192

   Les femmes sont les nègres                                196

   Les frustrées du Bulletin                                 199

   Le forçage des idées                                      207

   Instauratrices de bien-être                               210

   L'universalisation du suffrage                            216


Saint-Amand (Cher).--Imprimerie BUSSIÈRE.



CATALOGUE


  V. GIARD & E. BRIÈRE, LIBRAIRES-ÉDITEURS

  _16, rue Souflot, et 12, rue Toullier, PARIS_


  AUCLERT (Hubertine).--Le vote des Femmes=, 1908.
    Un vol in-18.                                               2 fr. 50

  AVRIL DE SAINTE CROIX (Me).--Le Féminisme, avec
    préface de V. Marguerite, 1907. Un vol. in-18 relié
    toile.                                                      3 fr. »»

  BONNIER (CH.).--La question de la Femme, 1897.
    Une brochure grand in-8º.                                   2 fr. »»

  CASTRO OSORIO (A. de).--Les femmes portugaises,
    traduction de H. Faure, 1907. Une brochure grand
    in-8º.                                                      2 fr. 50

  CHAUVIN (Mlle G.).--Etude historique sur les
    professions accessibles aux femmes, 1892.
    Un vol. in-8º.                                              6 fr. »»

  DISSARD (Clotilde).--Opinions féministes, 1896.
    Une brochure grand in-8º.                                   1 fr. »»

  FRANCK (L.).--La femme-avocat, 1898. Un vol. in-8º.           6 fr. »»

  GERRITSEN.--La femme à travers les âges, 1901. Un
    vol. in-4º cartonné.                                        6 fr. »»

  GUILLEMINOT (A.).--Femme, Enfant, Humanité.
    Études sociales, 1896. Un vol. in-18.                       1 fr. 25

  HAUSER (H.).--Le travail des femmes aux XVe et
    XVIe siècles, 1897. Une brochure grand in-8º.               1 fr. »»

  JORAN (Th.).--Le Féminisme à l'heure actuelle,
    1907. Une brochure grand in-8º.                             1 fr. »»

  LEDUC (L.).--La Femme devant le Parlement, 1898.
    Un vol. in-8º.                                              6 fr. »»

  LETOURNEAU (Ch.).--La condition de la Femme dans
    les diverses races et civilisations, 1908. Un
    vol. in-8º broché.                                          9 fr. »»

  LORIA (A.).--Le Féminisme au point de vue
    sociologique, 1907. Une brochure grand in-8º.               1 fr. »»

  LOURBET (G.).--Le problème des sexes, 1900. Un
    vol. in-8º broché.                                          5 fr. »»

  MADAY (A. de).--Le Droit des Femmes au travail,
    1905. Un vol. in-18.                                        3 fr. 50

  NEERA..--Les Idées d'une femme sur le féminisme,
    1908. Un vol. in-18.                                        3 fr. »»

  PELLETIER (Dr-M.).--La Femme en lutte pour ses
    droits, 1908. Un vol. in-18.                                1 fr. »»

  POINSINET (L ).--le Rôle social de la femme,
    1906. Une brochure grand in-8º.                             1 fr. »»

SAINT-AMAND (CHER).--IMPRIMERIE BUSSIÈRE



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